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TRCM - Comité permanent

Transports et communications

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Transports et des communications

Fascicule 8 - Témoignages du 30 septembre 2014


OTTAWA, le mardi 30 septembre 2014

Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui, à 9 h 30, pour poursuive son étude sur les défis que doit relever la Société Radio-Canada en matière d'évolution du milieu de la radiodiffusion et des communications.

Le sénateur Dennis Dawson (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Honorables sénateurs, aujourd'hui, nous continuons notre étude sur les défis que doit relever la Société Radio-Canada en matière d'évolution du milieu de la radiodiffusion et des communications.

[Traduction]

Nos témoins d'aujourd'hui sont Esther Enkin, ombudsman de CBC et Pierre Tourangeau, ombudsman de Radio- Canada. Mme Enkin a été nommée au poste d'ombudsman des services anglais le 28 novembre 2012.

[Français]

M. Tourangeau a été nommé ombudsman des Services français le 14 novembre 2011. Depuis 1977, il a occupé diverses fonctions de journaliste de presse; or, il a passé plusieurs de ces années à poursuivre les mêmes intérêts en suivant la politique québécoise et canadienne.

[Traduction]

Honorables sénateurs, je vous rappelle que notre mandat consiste à examiner l'évolution du milieu de la Société Radio-Canada. Les ombudsmans sont ici pour nous parler de l'objet précis de notre étude et non de cas particuliers.

[Français]

Madame ou monsieur, à vous la parole.

[Traduction]

Esther Enkin, ombudsman, Bureau de l'ombudsman de CBC : Nous remercions le comité de nous permettre de venir nous exprimer sur le rôle et les activités des ombudsmans de CBC/Radio-Canada dans le contexte des défis que doit relever la SRC compte tenu de l'évolution du milieu de la radiodiffusion. Comme nous travaillons en étroite collaboration, pour éviter les répétitions, nous allons faire un exposé conjoint.

Nous aimerions vous expliquer comment nous travaillons et comment nous nous acquittons de notre rôle de représentants du public et de défenseurs de ses droits. Edward Wasserman, doyen de la faculté de journalisme à l'Université de la Californie, à Berkeley, croit que les ombudsmans « représentent une reconnaissance puissante par les organisations de nouvelles qu'elles doivent rendre des comptes au public, qu'il n'est pas qu'optionnel de répondre de leurs actes périodiquement, que c'est une partie intégrante de l'exercice du journalisme ». Nous ajouterions à cela que cette fonction rappelle aussi au nouveau personnel qu'il doit respecter les normes. Wasserman affirme que ce n'est pas optionnel, contrairement à ce que l'on pourrait croire, parce que nous ne sommes pas très nombreux au Canada. Nous sommes cinq pour être exact, et deux d'entre nous travaillent pour CBC/Radio-Canada. C'est ironique parce que dans le monde actuel du multimédia, qui est extrêmement compétitif et effervescent, le rôle de l'ombudsman est d'autant plus essentiel pour assurer la crédibilité et la responsabilité des médias de nouvelles.

[Français]

Pierre Tourangeau, ombudsman, Bureau de l'ombudsman de Radio-Canada : Les membres du comité devraient avoir en main le mandat des ombudsmans, que nous vous avons fait parvenir. Ce mandat a été modifié par le conseil d'administration, donc modernisé et ajusté aux Normes et pratiques journalistiques qui avaient elles-mêmes été modifiées en 2010.

En bref, on demande aux ombudsmans de s'assurer que tous les contenus d'information, qu'ils soient produits ou diffusés sur quelque plateforme de Radio-Canada, respectent ces Normes et pratiques journalistiques. Je rappelle que Radio-Canada s'engage, dans le cadre de ces Normes et pratiques journalistiques, à informer, à révéler, à contribuer à la compréhension d'enjeux d'intérêt public et à encourager la participation des Canadiens à notre société libre et démocratique.

La Société Radio-Canada s'oblige aussi formellement à faire preuve d'exactitude, d'intégrité, d'équité, d'impartialité et d'équilibre dans ses activités journalistiques. Ce sont les cinq valeurs à la base des Normes et pratiques journalistiques de Radio-Canada. Le mandat des ombudsmans précise aussi que ceux-ci sont totalement indépendants de la direction et du personnel de la programmation de Radio-Canada, qu'ils relèvent directement du PDG de la société et, par son entremise, de son conseil d'administration.

[Traduction]

Mme Enkin : Notre mandat s'applique à tout le contenu de nouvelles et d'affaires courantes, quelle que soit la plateforme de diffusion ou l'émission dans laquelle il apparaît. La technologie a beaucoup évolué, mais l'exercice du journalisme aussi. Les organisations de nouvelles ne se limitent plus à une seule fonction de nos jours, et avec l'avènement des médias sociaux et d'Internet, ces limites sont de plus en plus floues.

Ce que nous faisons et comment nous faisons évoluer l'exercice journalistique. Comme l'observait le professeur Stephen Ward, un éthicien et chercheur qui enseigne l'éthique journalistique au Canada et aux États-Unis : « Le défi est de définir en quoi consiste une pratique journalistique responsable de nos jours, dans le monde des médias en ligne. »

Voici comment nous essayons de relever le défi. Comme notre mandat l'indique, nous sommes une instance d'appel pour les plaignants. Notre première tâche le matin, lorsque nous ouvrons nos boîtes de réception, consiste à séparer tous les messages qui ne relèvent pas de notre mandat du reste. Les premiers sont transférés aux services compétents de la société.

Tous les autres sont envoyés à la direction de gestion des nouvelles. Dans la majorité des cas, elle est obligée d'y répondre et doit le faire dans les 20 jours ouvrables. L'an dernier, j'ai reçu presque 3 000 communications, demandes et commentaires. Du lot, environ 1 600 ou 1 700 relevaient de notre mandat.

Si les plaignants ne sont pas satisfaits de la réponse qu'ils reçoivent de la gestion des nouvelles, ils peuvent nous demander une révision. J'en ai effectué 67 l'an dernier. Dans 11 cas, j'ai constaté une violation de politique ou d'autres fautes. Ce chiffre n'englobe pas les révisions multiples sur le même sujet.

Du côté de Radio-Canada, M. Tourangeau a reçu 1 266 communications, dont 912 relevaient de son mandat. Il a effectué 36 révisions et a constaté une violation de politique dans 10 cas.

Nous suivons attentivement nos courriels pour en dégager les tendances. Dans nos révisions et nos rapports annuels, nous soulignons tout enjeu susceptible de se présenter et formulons des recommandations. Par exemple, il y a deux ans, M. Tourangeau s'inquiétait de la façon dont Radio-Canada diffusait ses mises au point et il a mis l'accent là-dessus. L'an dernier, je m'inquiétais de la qualité des méthodes de sondage et des rapports en découlant, et je l'ai signalé dans mon rapport. Dans presque tous les cas, la gestion des nouvelles de CBC et de Radio-Canada a suivi nos recommandations.

De temps en temps, pendant les élections, par exemple, nous retenons les services de groupes indépendants pour évaluer une couverture donnée. Nous pouvons créer des groupes d'examen à notre convenance pour examiner tout problème persistant.

Nous présentons nos rapports au président du conseil d'administration. Nos contacts avec le président portent essentiellement sur des questions administratives. Tout ce qui concerne le journalisme est noté dans nos rapports de révision et nos rapports annuels.

CBC a un ombudsman depuis 1991. Son bureau n'a jamais cessé d'évoluer, en fonction du milieu des nouvelles en général et des changements apportés à son mandat. Il a vu le jour sous la forme du Bureau des normes et pratiques journalistiques, qui rédigeait les politiques. Lorsque cette fonction a été remplacée par celle de l'« ombudsman », le département des nouvelles a repris la responsabilité d'élaborer la politique et les guides de pratiques.

L'existence du Bureau de l'ombudsman est devenue une condition de permis après les dernières audiences du CRTC. Le permis prescrit également les conditions d'embauche et de cessation de contrat, essentiellement en cas grave d'inconduite.

Il y a trois ans, le mandat du bureau a été revu et amélioré. Un groupe de chercheurs et de journalistes de CBC/ Radio-Canada et d'ailleurs a examiné le rôle des ombudsmans et présenté des recommandations sur leur mandat. Le comité a recommandé la conservation du modèle existant, avec quelques modifications pour mieux définir leur juridiction et l'harmoniser à la version la plus récente à l'époque des Normes et pratiques journalistiques.

Nous avons donc adopté le style classique de la fonction d'ombudsman à CBC/Radio-Canada. Comme nous l'avons déjà dit, cela signifie que nous nous voulons une instance d'appel et que nous sommes là pour répondre aux plaintes. Le comité a conclu que le modèle de CBC se comparaissait bien aux modèles d'autres radiodiffuseurs et comblait bien le besoin de l'organisation.

Il y a bien sûr d'autres modèles. À la BBC, par exemple, le système est assez complexe. Il y a un rédacteur de normes, qui travaille avec le personnel des nouvelles avant leur publication. La CBC, du côté anglophone, joue un rôle assez similaire. La plupart des plaintes sont traitées et résolues par un grand département des plaintes du public, qui analyse un volume astronomique de plus de 200 000 correspondances chaque année dont, bien sûr, certaines portent sur des questions allant bien au-delà des nouvelles et des affaires courantes. Elles peuvent porter sur n'importe quel contenu télédiffusé à la BBC. Si la réponse à la plainte n'est pas jugée satisfaisante, le plaignant peut interjeter appel à la division des plaintes éditoriales, et la dernière instance est un comité des normes éditoriales de BBC Trust.

En France, la télévision publique et ses nombreuses chaînes font l'objet de la surveillance de cinq ombudsmans qu'on appelle des médiateurs. Ceux-ci sont nommés par le président et sont indépendants de la direction. Les journaux ont des rédacteurs publics, qui jouissent de divers degrés d'indépendance.

[Français]

M. Tourangeau : De nos jours, on compte environ 140 ombudsmans à travers le monde; ce n'est quand même pas beaucoup, et je parle d'ombudsmans de la presse. Il y en a une trentaine en Amérique du Nord, une trentaine aussi en Amérique latine et une cinquantaine en Europe. Dans les pays démocratiques — ce n'est pas à vous que je vais apprendre cela —, la liberté d'expression jouit de garanties constitutionnelles. Les médias y sont rarement, pour cette raison, encadrés par des lois particulières. Il leur appartient donc de s'autoréguler; c'est dans ce contexte que l'ombudsman est utile et qu'il intervient. Sa seule présence dans un média oblige celui-ci à rendre des comptes. Il y institutionnalise, en quelque sorte, le système d'autorégulation. L'ombudsman de la presse est d'autant plus pertinent aujourd'hui que l'environnement médiatique — on s'en rend compte tous les jours — est en profonde et constante mutation. Le public, aujourd'hui, ne se contente plus de recevoir l'information; il veut la critiquer, la commenter, réagir et, surtout, de plus en plus, il veut créer l'information.

Les sites web et les blogues se multiplient; il est de plus en plus difficile de décider, de déterminer ou de définir ce qu'est un journaliste et qui est journaliste. Les frontières sont aussi de plus en plus vagues, de plus en plus floues entre le divertissement et l'information, l'opinion, l'analyse et le reportage factuel. Les médias écrits et les diffuseurs qui évoluaient auparavant dans deux mondes complètement distincts se retrouvent maintenant face à face sur les plateformes internet et les plateformes mobiles.

Il est donc de plus en plus évident, à notre avis, que la crédibilité des organes de presse doit dépendre, d'une part, de la qualité de leur contenu, mais aussi de la qualité du dialogue qu'ils seront capables de créer avec leur public. Pour veiller à cette qualité, ils doivent d'abord se donner des principes sûrs, des règles d'éthique et de pratique claires et complètes et des mécanismes crédibles leur permettant de s'assurer que ces normes sont respectées. Ils doivent aussi permettre aux citoyens de critiquer et de commenter leur contenu en se dotant d'un processus de plainte ouvert, transparent et public. L'ombudsman intervient sur ces deux aspects; il accueille les plaintes, vérifie les contenus, à savoir si les contenus ont respecté ou non les normes journalistiques, et il demande des correctifs ou recommande, le cas échéant, des changements à la pratique journalistique du média.

Il joue aussi un rôle d'interface, je dirais, pédagogique entre le public et les médias, en expliquant au public le rôle de la presse et des journalistes et en rappelant aux journalistes les balises éthiques et les pratiques dont l'interprétation peut parfois s'avérer assez complexe.

[Traduction]

Mme Enkin : C'est une période difficile pour les nouvelles et la radiodiffusion. Comme nous l'avons expliqué, les contours sont de plus en plus flous, les médias grand public se battent pour trouver un modèle d'affaires qui fonctionne, et la propriété des organes de presse est de plus en plus concentrée.

Pour les professionnels, c'est aussi difficile. Nous vivons dans une culture de la communication instantanée, dans un monde effervescent où tout le monde peut dire ce qu'il veut en temps réel. On ne peut pas échapper à la surveillance du public, et ce même public participe dorénavant à la création de contenu. Les mêmes réalités ont une incidence sur le travail des ombudsmans aussi.

Stephen J. Ward a écrit que l'éthique journalistique est un discours interculturel en évolution et non une doctrine établie, un ensemble de principes absolus. Elle doit évoluer pour s'adapter à ce monde en effervescence et à la mondialisation des médias. Nous, les ombudsmans, jouons un rôle en ce sens par les décisions que nous prenons et le dialogue que nous établissons avec le public et dans les salles de nouvelles.

Nous ne croyons ni un ni l'autre que notre structure est parfaite. Elle nous semble préférable à bien d'autres options, cependant, et nous croyons qu'elle va continuer d'évoluer. Nous avons la liberté de dire ce que nous voulons dire et de l'écrire sans crainte d'ingérence ni de représailles.

Y a-t-il des personnes qui sont en désaccord avec nos jugements? Absolument. Nous avons entendu des journalistes, des producteurs et des plaignants qui ne sont pas satisfaits des conclusions de leur affaire. Nous avons le dernier mot, comme c'est l'usage dans le domaine. De temps en temps, quand des plaignants représentent des organisations ou ont leur propre blogue, ils critiquent ou réfutent nos décisions et publient nos révisions lorsque nous les avons déboutés.

Nous valorisons le débat autour de nos décisions. L'une des façons dont nous envisageons de changer notre bureau consisterait à ajouter un espace sur notre propre site web pour permettre ce genre de dialogue.

[Français]

M. Tourangeau : Au cours des derniers 10 ans, il n'y a pas manqué d'exemples de mauvaises pratiques qui ont discrédité la presse en général, à travers le monde, et les journalistes. La CBC, le New York Times, CNN, l'Associated Press, Fox News, l'empire Murdock au complet, et même la très grande et vertueuse BBC ont tous pataugé dans des scandales absolument énormes. Tout cela vient nourrir la crise de confiance réelle des citoyens envers leur média traditionnel. Ce n'est pas uniquement en Amérique du Nord; partout en Occident, la confiance du public envers les médias est à son plus bas depuis des décennies.

Aux États-Unis, un sondage récent, réalisé l'an dernier en fait par le Pew Research Center's Project for Excellence in Journalism, indiquait que 31 p. 100 des Américains les mieux éduqués, et aussi, entre parenthèses, les plus fortunés, donc ceux que recherchent les médias et les annonceurs, avaient déserté un média d'information, parce qu'il ne leur fournissait plus la qualité à laquelle ils s'attendaient. Par contre, les médias qui se sont donné un ombudsman ou qui l'ont maintenu en poste, comme le New York Times aux États-Unis, le Guardian en Grande-Bretagne, le Globe and Mail ici au Canada, ont réussi à conserver leur crédibilité et leur image de marque.

CBC/Radio-Canada a toujours été reconnue pour la qualité de son information. En tant que société publique, elle a aussi toujours considéré qu'elle devait rendre des comptes aux Canadiens. Sa direction a eu le courage, il y a plus de 20 ans, de créer des postes d'ombudsmans et les a maintenus, depuis, malgré le contexte économique difficile. Ceux qui ont écouté, à l'automne 2012, les audiences du CRTC sur le renouvellement des licences de CBC/Radio-Canada ont bien compris que l'organisme réglementaire accordait beaucoup d'importance à la responsabilisation de la société en matière d'information et, à cet égard, au rôle joué par ses ombudsmans.

Le CRTC a d'ailleurs choisi, en renouvelant les licences de CBC/Radio-Canada, d'enchâsser dans ces licences le mandat des deux ombudsmans. Les médias qui se sont donné un ombudsman ont rarement eu à s'en plaindre, et les médias publics encore moins. À cet égard, le cas de la National Public Radio (NPR) aux États-Unis est plutôt éclairant et souvent cité en exemple. Au moment où d'autres médias américains importants étaient empêtrés dans des scandales de plagiat ou de fausses nouvelles, NPR a pu maintenir sa réputation, qui était construite sur le reportage juste et équilibré.

Ay moyen d'un blogue, donc en participant à des assemblées publiques ou à des émissions de radio, son ombudsman a établi un dialogue constant avec le public, et NPR en est ressortie ouverte, aux yeux du public, à la critique. L'ombudsman a également souligné aux gestionnaires de NPR certaines lacunes concernant ses normes journalistiques ou ses pratiques éditoriales. Il s'agissait, par exemple, de l'absence de politiques cohérentes et de balises claires en matière de reconnaissance et de correction des erreurs. C'est le genre de lacune qui s'observe aussi, à certains égards, à CBC/Radio-Canada. À la lecture des milliers de plaintes que nous recevons chaque année, Esther et moi, nous voyons que le public pense et croit fermement que les médias cherchent toujours à cacher leurs erreurs. Pour eux, CBC/Radio- Canada ne fait pas exception à la règle. C'est pourquoi le dialogue avec le public, dont parlait Esther, est si important. De plus, il doit se faire dans l'absolue transparence et la sincérité.

[Traduction]

Mme Enkin : Nous croyons que le Bureau de l'ombudsman joue un rôle essentiel pour faciliter le dialogue continu entre le public et le département des nouvelles et des affaires courantes. Nous rappelons le besoin de respecter les valeurs et les engagements inscrits dans le code journalistique de Radio-Canada. Nous aidons les membres du public à comprendre l'exercice du journalisme et son rôle pour assurer une société libre et démocratique. Nous exerçons une profession qui se fait de plus en plus rare. Comme nous l'avons dit au début, il n'y a que trois autres ombudsmans ou rédacteurs publics au pays. Aucun d'entre eux ne travaille pour des radiodiffuseurs, sauf Pierre et moi. Nous sommes les catalyseurs de l'exercice transparent et responsable du journalisme. La crédibilité est l'attribut le plus important d'une organisation de nouvelles. Ce sera l'un des atouts les plus précieux de CBC/Radio-Canada pour relever le défi de l'évolution contemporaine de la radiodiffusion.

Le président : Je donne la parole au sénateur Plett.

Le sénateur Plett : Je vous remercie tous les deux d'être ici ce matin.

J'ai quelques questions qui émanent directement de votre présentation. Je trouve intrigant que pour CBC, vous conveniez que 1 670 plaintes s'inscrivaient dans le cadre de votre mandat, mais que vous n'avez effectué que 67 révisions. Pour Radio-Canada, au moins, le pourcentage des communications qui s'inscrivaient dans le cadre de votre mandat est un peu plus élevé, il représente les trois quarts, pour 36 enquêtes. Si ces affaires sont de votre ressort, pourquoi ne faites-vous pas plus de révisions? Vous admettez qu'elles relèvent de vous, mais vous en avez carrément écarté environ 1 200.

Mme Enkin : Non, ce n'est pas cela. La façon dont nous fonctionnons, c'est que les lettres nous parviennent, puis nous les transmettons à la gestion des nouvelles pour une réponse. Ces lettres sont très approfondies. Il revient ensuite au plaignant de demander une révision. S'il n'en demande pas, je n'en mène pas.

Dans ce cas-ci, on peut présumer qu'environ 1 200 personnes ont été satisfaites de la réponse qu'elles ont reçue de la gestion des nouvelles. Chaque fois qu'on me demande de réviser un cas, je le fais, tout comme Pierre, sauf dans des circonstances, très rares. C'est bien expliqué dans notre mandat sur notre site web. C'est la procédure. Les lettres sont acheminées à la gestion des nouvelles pour une réponse. Quand la gestion des nouvelles répond à un plaignant, celui-ci peut accepter la réponse et c'est la fin de l'histoire, le dossier est clos, ou il peut demander une révision. S'il demande une révision, j'en fais une.

Historiquement, les chiffres sont toujours à peu près dans cet ordre de grandeur. En 2013-2014, il y a eu 67 révisions; en 2012-2013, il y en a eu 70. Ces révisions ont surtout été réalisées par mon prédécesseur, puisque je ne suis entrée en poste qu'en janvier. En 2011-2012, il y en a eu 91, parce que quand Kirk a été nommé, il y avait un arriéré important de l'ombudsman précédent.

Le nombre de révisions reste assez constant.

Le sénateur Plett : Ce n'est vraiment pas ce qui ressortait de votre exposé, mais je vous remercie de cette explication.

Mme Enkin : Je suis heureuse de clarifier la situation.

M. Tourangeau : C'est la raison pour laquelle notre mandat nous définit comme une instance d'appel. Il faut donner à la gestion des nouvelles la possibilité de répondre d'abord aux plaignants.

Le sénateur Plett : Monsieur Tourangeau, vous avez dit ici, en lisant votre mémoire, qu'on voit bien que le public croit que les médias cherchent à cacher leurs erreurs; pour eux, CBC/Radio-Canada ne fait pas exception. Nous, les politiques, serions d'accord avec le public à cet égard dans la plupart des cas.

Voici la question que je vous pose. Si vos conclusions penchent en faveur du plaignant, que faites-vous pour corriger la situation? Je suis probablement biaisé, mais on voit souvent un journaliste écrire un article qui fait les manchettes. Cet article se retrouve en page 1 ou 2 du Globe ou d'un autre média. Je ne veux pas cibler le Globe en particulier ici, mais l'article fait les manchettes. Si l'on se rend compte, une semaine plus tard environ, que le journaliste a fait une erreur, on publiera un petit erratum en page 67, dans le coin inférieur gauche. Est-ce vraiment la bonne façon de faire? Que faites-vous si vous constatez que le plaignant avait raison et que le journaliste a fait une erreur flagrante dans son article? Comment gérez-vous la situation?

[Français]

M. Tourangeau : Quand on estime qu'il y a eu effectivement une erreur commise par un journaliste dans un reportage, on demande que la correction soit apportée à l'endroit même où cette erreur a été diffusée. Par exemple, si c'est fait dans le cadre du Téléjournal, ou à l'émission The National, le correctif doit être fait à l'intérieur de cette émission.

On insiste aussi pour qu'il y ait un caractère permanent à cette erreur. C'est pour cette raison qu'on demande toujours à ce que l'erreur soit aussi mise en ligne sur le site « Mises au point » de Radio-Canada ou de CBC, pour qu'il y ait une trace permanente que cette erreur a été faite, que l'ombudsman l'a reconnue et qu'il a demandé un correctif.

Dans les cas, de nos jours, où les reportages sont de plus en plus repris par écrit et qu'il est possible de les consulter sur le site web, on s'arrange pour que la correction soit diffusée également à la suite du reportage écrit sur Internet.

[Traduction]

Le sénateur Plett : Donc vous demandez les deux. Ainsi, pour revenir à la première partie de votre réponse, si une erreur est commise pendant The National ou Power and Politics, la correction est apportée pendant « Power and Politics », et les gens ont l'occasion de l'entendre. Si elle est apportée à l'émission The National, puis qu'elle est également publiée sur le site web, j'oserais croire que la vaste majorité des gens verront The National — j'écoute The National presque tous les jours. J'écoute Power and Politics quand j'en ai l'occasion, mais je vais rarement sur le site web de CBC pour vérifier s'il y a des mises au point. Est-ce fait avec autant d'éclat que lorsqu'on dit que quelqu'un a fait quelque chose de mal?

M. Tourangeau : Cela devrait.

Mme Enkin : J'ai ici notre politique sur les mises au point. Il y est écrit que le choix et la forme et le moment de diffusion d'une mise au point incombent au directeur, qui peut, si nécessaire, consulter le Service juridique.

L'idée, c'est que la mise au point soit faite dans le média où l'erreur est survenue, mais comme M. Tourangeau l'a dit, la mise au point doit également avoir un caractère permanent.

Par exemple, il y a six éditions de World Report, puisqu'il est diffusé partout au pays. On essaie de publier la mise au point à peu près à la même heure et dans la même édition que lorsque l'erreur a été commise. C'est vrai également pour The National.

La mise au point sera-t-elle faite exactement au même endroit dans la programmation? Pas nécessairement. J'observe, dans le domaine de la radiodiffusion et d'Internet, qu'il y a probablement une génération de personnes plus jeunes que vous et moi qui aurait le réflexe de chercher d'abord en ligne. Elles pourraient donc assurément trouver une mise au point officielle grâce à une recherche dans Google. Vous et moi sommes habitués à la télévision, mais il y a toute une génération qui consomme les médias différemment.

Le sénateur Plett : On parle beaucoup, et vous en avez parlé aussi dans votre exposé, de l'indépendance des ombudsmans. Pourtant, vous faites rapport au président. C'est peut-être normal dans tous les milieux, vous pourrez le préciser, mais le président est votre patron. Il fait partie de Radio-Canada, mais vous vous proclamez indépendants. Vous avez également un comité de ce que vous appelez des « conseillers indépendants », et je présume que ce comité relève de vous.

Encore une fois, je constate que l'indépendance ici n'est pas telle que je la concevrais si vous devez rendre des comptes à une partie de l'organisation. Vous nommez le groupe de conseils indépendants. Comment pouvez-vous être indépendants si vous nommez des gens?

[Français]

M. Tourangeau : À titre d'ombudsmans de CBC/Radio-Canada, il est un peu normal que nous nous rapportions au conseil d'administration de Radio-Canada.

Mais lorsqu'on dit qu'on se « rapporte » au président — je n'ai pas parlé à Hubert Lacroix depuis plus d'un an —, on se rapporte à lui pour les questions administratives, les questions de discipline, parce que la seule raison pour laquelle un ombudsman de Radio-Canada pourrait perdre son emploi, ce serait pour négligence grave. Sinon, le président n'a pas de droit de regard sur la façon dont nous exerçons notre métier d'ombudsman. Par ailleurs, c'est par l'entremise du rapport annuel que nous rapportons nos conclusions au conseil d'administration. Depuis que le CRTC a enchâssé dans les conditions de licence de Radio-Canada les positions et les mandats de l'ombudsman, nous faisons maintenant rapport deux fois par année au conseil d'administration, sur tous les sujets d'intérêt que nous avons trouvé important de lui communiquer au cours de l'année.

Donc, à mon avis, nous sommes assez indépendants, et je ne vois pas comment nous pourrions fonctionner différemment pour être plus indépendants, à moins de relever carrément du Parlement canadien.

[Traduction]

Le sénateur Plett : Qu'en est-il du groupe de conseillers indépendants?

[Français]

M. Tourangeau : On le fait simplement quand il y a des campagnes électorales. On crée trois comités — un pour le Web, un pour la radio et un pour la télé — de cinq citoyens chacun. On tente de les choisir nous-mêmes, évidemment en choisissant des gens qui représentent une diversité d'opinions ou de points de vue, des jeunes, des plus âgés, des professionnels, des gens de métier, des gens qui viennent de différentes régions, pas uniquement de la région métropolitaine, et ainsi de suite. On demande à ces gens de faire la surveillance de la campagne électorale sur le média qu'on leur a confié, et ils font un rapport. C'est ainsi que l'on fonctionne. Je ne sais pas comment on pourrait procéder de façon plus neutre. Il faut faire confiance un peu à l'ombudsman. On ne cherche pas des gens qui ont des opinions particulières; on cherche des gens qui ont différentes opinions. Les gens ont tous des opinions, mais on essaie d'obtenir une diversité d'opinions dans le cadre de ces comités. On s'organise pour que ce ne soit pas des gens qui sont activement impliqués en politique non plus. C'est normal, on veut vraiment des citoyens qui viennent de toutes sortes de communautés et de régions.

[Traduction]

La sénatrice Unger : Je vous remercie tous deux de votre exposé. Ma question s'inscrit dans la foulée de celles du sénateur Plett.

Vous êtes tous deux des employés de Radio-Canada depuis de nombreuses années. J'ai du mal à comprendre comment vous pouvez être ombudsmans aujourd'hui et ne pas être biaisés. Je serais portée à croire qu'après tout ce temps, on en vient à penser d'une certaine façon. Je me demande si votre perception peut être biaisée et comment vous gérez cela.

Mme Enkin : Les principes directeurs d'un employé qui travaille pour les services journalistiques de CBC/Radio- Canada et des ombudsmans sont les Normes et pratiques journalistiques. Nous n'inventons rien. Nous ne procéderons pas de manière arbitraire. C'est le code que nous suivons.

C'est intéressant, lorsque j'ai fouillé la question pendant ma réflexion avant d'accepter le poste, j'ai trouvé un rapport rédigé en 1997 par David Bazay sur le sujet, précisément. Il avait sondé des universitaires et des professionnels, et j'ai moi-même lu divers articles scientifiques. Les deux modèles sont reproduits presque partout dans le monde. Je sais que cela semble contre-intuitif. Il est toutefois jugé préférable d'embaucher quelqu'un de l'interne. On sait quelle roche soulever pour trouver ce qu'on cherche. On comprend la philosophie de l'organisation, et l'ombudsman doit déjà très bien connaître la culture et le mode de raisonnement de l'organisation dès son arrivée. Il n'y a pas vraiment de période d'apprentissage.

Bien sûr, on peut embaucher quelqu'un de l'extérieur. Ben Bagdikian, à l'époque, travaillait au Washington Post. Le Washington Post est la plus grande organisation à alterner entre des candidats de l'interne et des candidats de l'externe. C'est lui qui a dit qu'il est préférable de retenir les services de quelqu'un de l'extérieur, sauf, selon ses dires, s'il y a un candidat vraiment qualifié pour l'emploi à l'interne qui va prendre sa retraite après avoir occupé ce poste. Ce serait l'idéal.

Eh bien, sachez que Pierre et moi allons tous deux prendre notre retraite après ce mandat. On s'attend à ce que la personne prenne sa retraite après ce mandat. C'est une façon de dire que la personne n'aurait pas vraiment de raison de chercher à gagner les faveurs.

Par ailleurs, je ne veux pas exagérer mon importance, mais les juges sont d'abord avocats.

Le bureau et le poste confèrent donc une certaine distance. Je ne passe pratiquement plus de temps à la salle des nouvelles.

Par contre, M. Bazay a dit une chose qui est vraie, selon moi. Je me rappelle de l'époque où j'étais une jeune journaliste et lui, l'ombudsman; je respectais vraiment ce qu'il avait à dire. Il connaissait l'organisation et les politiques. Quand il observait qu'une chose n'était pas adéquate, et c'était fréquent, même s'il ne s'agissait pas d'une violation de politique, vous pouvez être sûr qu'on y portait attention. L'ombudsman est certes là pour défendre l'intérêt public, mais il joue également un rôle pédagogique important, et il est important pour cela de connaître le système, de le comprendre. Comme je le dis, dans une certaine mesure, nous sommes guidés par les politiques et la pratique. C'est la vérité. Je pense que c'est assez efficace.

Il faut aussi tenir compte du processus d'embauche, et je pense que le CRTC et CBC/Radio-Canada ont même convenu de le renforcer. Des candidats internes et externes sont invités à y participer. Le comité d'embauche se compose de gens de l'externe. S'ils ont déjà travaillé à CBC/Radio-Canada, plus de trois années doivent s'être écoulées. Un processus assez rigoureux permet de trouver les bons candidats. Je pense qu'il s'agit là d'assez bonnes raisons pour lesquelles cette façon de faire peut fonctionner.

La sénatrice Unger : À mes yeux, il s'agit tout de même d'initiés qui répondent aux questions des gens. Il est vrai que vous connaissez les rouages internes et la culture de la société, mais tout un autre groupe de Canadiens ont beaucoup de problèmes avec CBC/Radio-Canada. Si vous n'avez toujours connu qu'un seul côté de la médaille, comment pouvez-vous vraiment comprendre les préoccupations du reste de la population?

[Français]

M. Tourangeau : Votre question est intéressante, parce qu'elle présuppose que, parce qu'on vient de la CBC, on est d'accord avec tout ce qui s'est fait à la CBC au plan de l'information, au plan de la nouvelle. Mme Enkin et moi avons occupé auparavant des postes de gestion au sein de la CBC. J'ai dirigé l'ensemble des salles de nouvelles de la radio, de la télévision et du Web de Radio-Canada pendant six ans. Je peux vous dire que, évidemment, comme gestionnaire, je n'étais pas toujours d'accord avec tout ce que mes journalistes faisaient. J'ai dû prendre des mesures contre certains journalistes. J'ai dû faire en sorte qu'ils aient une meilleure formation. J'ai dû les rappeler à l'ordre. Il y en a avec qui j'ai plus d'affinités que d'autres. Ce n'est pas parce qu'on est ombudsman et qu'on vient de la CBC qu'on a une relation égale avec tout le monde et qu'on est d'accord avec tout ce qui se fait.

Si on est capable de faire abstraction de ses propres opinions pendant 20 ans, 30 ans comme journaliste, il faut essayer d'être le plus impartial possible. Je ne vois pas pourquoi, quand on devient ombudsman, après cette expérience de gestionnaire qui a fait en sorte qu'on reçoive des avis différents sur un certain nombre de questions, sur la façon dont on gérait l'information, sur les choix de nouvelles, sur la façon même de faire des reportages, je ne vois pas pourquoi cette impartialité disparaîtrait du jour au lendemain.

Comme Mme Enkin le disait, les juges sont d'anciens avocats et, chaque jour, ceux qui sont devant eux pour plaider sont souvent des confrères, d'anciens confrères, des gens qui viennent du même bureau. C'est ainsi que cela fonctionne dans tous les ordres professionnels : les comptables, les notaires; tous les organismes professionnels fonctionnent un peu de la même façon.

[Traduction]

Le sénateur Eggleton : Je remarque qu'il y a des ombudsmans au sein du gouvernement. Je me souviens avoir créé un poste semblable au ministère de la Défense nationale qui relevait du ministre, mais son impartialité ou son code d'éthique n'a jamais été remis en question.

J'aimerais simplement préciser qu'il n'y a pas d'ombudsman chez les radiodiffuseurs privés, comme CTV ou Global. Il n'y a aucune position semblable. Ces radiodiffuseurs n'ont pas de procédure officielle d'appel comme vous, à CBC/ Radio-Canada.

Mme Enkin : Eh bien, j'imagine qu'ils font partie du Conseil canadien des normes de la radiotélévision. C'est par là que les plaintes doivent passer.

Le sénateur Eggleton : En êtes-vous membre aussi?

Mme Enkin : Non. Je sais qu'il en a été question aux audiences du CRTC, mais il y a certaines raisons objectives pour lesquelles cela ne conviendrait pas mutuellement. En passant, ce processus est bien plus long que celui de l'ombudsman à CBC/Radio-Canada. De façon générale, le conseil nécessite beaucoup plus de temps.

Le sénateur Eggleton : Vous dites que la confiance du public envers les médias est à son niveau le plus bas depuis des décennies dans les pays occidentaux en général. On assiste à une crise de confiance envers les médias traditionnels. Parallèlement, la qualité du contenu et du dialogue fait notamment partie de votre mandat et de vos préoccupations. Mais dans ce monde où les nouvelles vont de plus en plus vite, n'est-ce pas de plus en plus difficile à faire? Compte tenu de l'empressement à diffuser, n'a-t-on pas tendance à tourner les coins ronds, ce qui est peut-être encore plus vrai aujourd'hui qu'autrefois?

Mme Enkin : C'est effectivement une préoccupation. Prenons l'exemple de la couverture médiatique du marathon de Boston. En général, cela arrive plutôt en présence d'une nouvelle-choc spectaculaire. Une sorte de boucle interne se crée.

Il y a des pressions, mais il faut y résister puisque la seule chose qui reste, au bout du compte, c'est la crédibilité. Je pense que les organismes d'information qui résistent à la tentation de se jeter dans la mêlée sont ceux vers lesquels les gens se tourneront finalement dans les situations qui comptent vraiment. C'est tout simplement la réalité.

Mais vous avez raison de dire que le milieu a complètement changé. Il y a une école de pensée qui prône la diffusion sur-le-champ — et je ne parle de personne en particulier. On peut toujours envoyer une correction sur Twitter. Mais quand on sait à quelle vitesse une information peut être diffusée et devenir omniprésente, la correction ne semble jamais être aussi percutante que la première nouvelle spectaculaire, mais erronée. C'est la réalité des médias à laquelle tout le monde est confronté. À quel point est-il important d'être le premier, et quelle est l'importance d'avoir raison? J'ai toujours eu comme mot d'ordre que l'exactitude de l'information est plus importante.

Le sénateur Eggleton : Pouvez-vous prendre des mesures préventives à cet égard, ou ne faites-vous que réagir aux plaintes?

M. Tourangeau : Croyez-moi, c'est un outil très efficace.

[Français]

Quand je fais une révision, ou quand Esther fait une révision, et qu'on détermine qu'une erreur a été commise, on peut être très sévère dans ces révisions, je vous le jure; il y a des jugements ou des décisions qu'on rend qui font très mal aux journalistes ou aux gens qui ont produit ce reportage.

Il est certain que cela fait des vagues. Cela fait des vagues dans les médias, puisque c'est repris. Cela fait des vagues au sein de la salle de rédaction et au sein de la direction de l'information. Il y a toujours des post mortem qui sont faits et des mesures qui sont prises pour éviter que ces erreurs se reproduisent.

Je vous donnerais en exemple la dernière couverture par RDI, le Réseau de l'information continue de Radio- Canada, de la fusillade survenue cet été à Moncton. Il a complètement manqué une coche. Forcément, j'ai regardé tout ce qui avait été fait et j'ai conclu que le réseau avait manqué à sa mission de servir l'intérêt public à ce moment-là. Il y a eu beaucoup de conséquences à l'interne. On s'est interrogé de nouveau sur la façon de fonctionner et sur la prise de décisions. Je pense que la meilleure façon, encore une fois, de faire en sorte que des changements se produisent, c'est d'examiner, de façon très attentive, les processus qui ont été utilisés pour arriver à une couverture ou à des erreurs dans une couverture ou dans un reportage. C'est encore la meilleure façon de faire en sorte que les choses changent.

[Traduction]

Mme Enkin : C'est une analyse après coup, mais si vous voulez éviter qu'une telle situation ne se produise au départ, ce n'est plus la responsabilité de M. Tourangeau ou de moi-même. La décision doit venir de la direction de l'information et des politiques établies. La politique d'une organisation peut dire une chose, et celle d'une autre organisation, être complètement différente. Il s'agit donc encore ici de se différencier sur le marché. La vérité, c'est que même si la politique dit une chose, il peut se passer une tout autre chose dans le feu de l'action. Je ne banalise pas les politiques, mais je pense que la direction de tout organisme d'information doit donner le ton juste.

Le sénateur Eggleton : Vous semblez aussi dire que si vous prenez des mesures correctives dans un cas, ces dernières serviront de leçon pour la suite des choses.

Mme Enkin : En effet.

Le sénateur Eggleton : Permettez-moi de poser une dernière question. Le mandat de notre étude est d'examiner les défis que doit relever CBC/Radio-Canada en matière d'évolution du milieu de la radiodiffusion et des communications, puis d'en faire rapport. Dans ce contexte, quelle est la différence entre la situation d'aujourd'hui et celle qui prévalait à l'époque de vos prédécesseurs? Et dans quelle mesure les rôles que vous jouez seront-ils différents à l'avenir?

[Français]

M. Tourangeau : Je disais, plus tôt dans mon intervention, qu'il est très difficile maintenant, avec Internet, de définir qui est journaliste et ce qui fait que quelqu'un est vraiment journaliste. Quand n'importe qui peut accéder au public et se créer un auditoire simplement en créant un blogue sur Internet, c'est très difficile. Il y a un effet d'entraînement; presque tous les médias écrits et, de plus en plus, les radiodiffuseurs et télédiffuseurs sont présents sur Internet, ainsi que leurs journalistes — et même ceux de Radio-Canada, qui n'ont pas, entre guillemets, le droit d'exprimer des opinions personnelles —, ont des blogues. Il faut que les blogues respectent quand même les Normes et pratiques journalistiques de Radio-Canada et qu'ils présentent des analyses qui ne permettent pas d'exprimer une opinion personnelle. Il y a tout de même un facteur d'imitation qui fait en sorte que le danger survient alors qu'il n'existait pas auparavant.

Il y a aussi la différence de plus en plus ténue, parfois, entre le divertissement et l'information. Prenez des émissions comme Tout le monde en parle, du côté français à Radio-Canada, qui est un talk-show suivi par 1,5 million de téléspectateurs toutes les semaines; c'est du divertissement, mais on invite des politiciens et on traite aussi de sujets d'actualité. Il est très difficile pour quelqu'un qui n'est pas formé comme journaliste, mais qui est un entertainer de respecter les Normes et pratiques journalistiques. On reçoit souvent des plaintes à cet égard et, parfois, on doit effectivement rappeler aux gens qu'ils sont tenus, quand ils traitent de sujets d'actualité, de respecter les mêmes normes que les journalistes.

Ces aspects disparaissent tranquillement; c'est dû à Internet, mais aussi à la compétition entre les différents réseaux. C'est également dû à l'émergence et à la présence de plus en plus forte de ce qu'on appelle le journalisme d'opinion. Dans les journaux comme La Presse ou le Journal de Montréal, ou sur le réseau concurrent, TVA, du côté français, de plus en plus de gens sont là pour faire de la chronique, donc, pour émettre des opinions personnelles. On en a une variété qui fait en sorte que différents courants sont présents dans ces journaux, mais en même temps, ça demeure de l'opinion. Ce ne sont pas des faits, et la différence est parfois très difficile à comprendre pour le public quand il regarde Radio-Canada et qu'il s'imagine que les gens qui rapportent des faits donnent leur opinion personnelle; cela crée aussi beaucoup de confusion dans l'esprit du public.

Le sénateur Housakos : Merci d'être avec nous ce matin. Depuis que vous êtes en poste, croyez-vous avoir les ressources et l'indépendance nécessaires face à l'administration pour répondre à tous les besoins qui existent à l'heure actuelle?

M. Tourangeau : De façon générale, oui. Concernant les ressources, c'est de plus en plus difficile, parce que vous connaissez le contexte de Radio-Canada; le Bureau de l'ombudsman a lui aussi dû subir des compressions budgétaires.

Par contre, depuis que je suis en poste, les compressions qui étaient appliquées de façon automatique à tous les secteurs, y compris au Bureau de l'ombudsman, faisaient en sorte qu'il restait moins d'argent dans le budget de l'ombudsman pour payer les deux salaires que mon bureau comporte, c'est-à-dire le mien et celui de mon adjointe. On a dû faire des ajustements et le budget a été ajusté en conséquence.

Par exemple, quand on a besoin de ressources particulières, pour les élections, entre autres, et lorsqu'on crée des comités de citoyens, on rémunère ces citoyens — pas beaucoup, mais on leur donne quand même un cachet pour leurs efforts. On demande alors un budget supplémentaire qui nous est accordé par le conseil d'administration de façon automatique.

Pour ce qui est de l'indépendance, oui; je le disais tout à l'heure, moi, je me sens suffisamment indépendant et il n'y a aucun incident qui me revienne en mémoire qui me permettrait de dire qu'on a tenté de me convaincre de ne pas statuer sur un problème particulier. Il est évident que, parfois, les gens ne sont pas contents des décisions qu'on rend, mais c'est normal.

L'ombudsman, dans le cadre du mandat actuel, est tout de même tenu de respecter le code de conduite de Radio- Canada et les Normes et pratiques journalistiques selon lesquelles il n'a pas le droit de s'exprimer personnellement. Cela veut dire que je travaille à l'intérieur de mon mandat. J'agis comme instance d'appel quant aux plaintes qui me sont formulées, mais si on me demande mon avis sur un problème particulier de la presse en général, en théorie, je ne suis pas autorisé à donner mon opinion à ce sujet. On le fait quand même avec discernement quand il est question, comme on le fait aujourd'hui, de discuter de l'ensemble des choses qui touche la presse en général, mais il demeure une certaine restreinte de ce côté. Je ne peux pas, moi, avoir un blogue pour critiquer la façon dont Radio-Canada couvre certains sujets en dehors du processus de plainte. Je ne peux pas, par moi-même, me saisir d'une situation et m'exprimer à son sujet en disant : « Il me semble que... ». Ce n'est pas possible dans le cadre du mandat actuel.

Le sénateur Housakos : J'ai pris le temps d'étudier et de consulter votre site web. Félicitations; j'ai été très impressionné par le détail et la transparence de ce site web.

Mettons un instant de côté votre mandat actuel; vous êtes deux journalistes qui travaillent à CBC/Radio-Canada depuis longtemps et vous connaissez très bien ces entreprises. Beaucoup de témoins nous ont dit que CBC/Radio- Canada dépense beaucoup de ressources et d'énergie sur les actualités; beaucoup d'actualités et pas suffisamment d'énergie pour remplir leur vrai mandat qui est de créer du contenu, de la programmation canadienne. Êtes-vous d'accord?

Vous êtes issus du milieu des nouvelles et vous l'appuyez, j'imagine, mais vous voyez aussi CBC/Radio-Canada se diriger davantage vers le domaine des actualités depuis des années. Beaucoup de gens disent que, dans le secteur privé, plusieurs entreprises fournissent ce service pour le public et ils se demandent s'il est nécessaire d'en avoir un autre. Évidemment, pour le Canada français, c'est un peu différent, il y a moins de compétition. Au Canada anglais, il y a d'autres options.

Quel est votre point de vue sur l'argument selon lequel il est important pour CBC/Radio-Canada de retourner davantage à leur mandat plutôt que de faire de plus en plus d'émissions d'actualité?

M. Tourangeau : Je vais faire attention à la façon dont je vais répondre, parce que, justement, je vous disais précédemment que je n'ai pas le droit d'exprimer mes opinions personnelles sur des choses qui sortent de mon mandat. Je dirais tout de même que la nouvelle et l'information sont au cœur du mandat de Radio-Canada. Je peux témoigner personnellement quant aux compressions budgétaires des dernières années; jusqu'à il y a trois ans, je gérais la salle des nouvelles et j'ai dû appliquer moi-même des compressions budgétaires considérables dans la salle des nouvelles.

Il y a des postes de correspondants à l'étranger qui sont passés sous le couteau. Il n'y a plus personne en Afrique, il n'y a plus personne en Amérique latine et il n'y a qu'une personne au Moyen-Orient. On avait deux reporters à Washington, auparavant; il n'en reste qu'un seul. C'est pareil à Paris.

Comme il est clairement établi dans les Normes et pratiques journalistiques, il me semble que donner un point de vue ou un regard canadien sur ce qui se passe sur la planète fait partie du mandat et de la mission de Radio-Canada. C'est donc l'une des conséquences du contexte actuel de Radio-Canada.

Pour le reste, je ne sais pas exactement à quoi vous faites allusion quand vous parlez de nouvelles qui ne sont pas vraiment dans le mandat.

Le sénateur Housakos : Beaucoup de Canadiens disent que la CBC doit créer plus de programmation, comme des longs métrages, et moins de nouvelles.

M. Tourangeau : Je vais laisser répondre Mme Enkin, parce que je crois que, du côté de Radio-Canada, c'est un peu différent. Il y a pas mal de programmation générale originale faite en français du côté de Radio-Canada. De nombreuses émissions originales à fort contenu canadien sont créées à Radio-Canada, par des producteurs privés, mais en collaboration avec Radio-Canada. Je ne sais pas si la situation est différente à la CBC.

[Traduction]

Mme Enkin : Tout d'abord, j'abonde dans le même sens que ce que M. Tourangeau a dit d'entrée de jeu. La question dépasse largement notre mandat, et je dois faire attention à ce que je dis. J'ai toujours compris que lorsque le mandat de CBC/Radio-Canada dit qu'il faut présenter les Canadiens les uns aux autres, raconter leurs histoires en fait partie, et c'est ce que font les nouvelles et les affaires courantes.

L'horaire de la radio est très riche et varié. Je crois que les nouvelles font bel et bien partie du mandat de CBC/ Radio-Canada. Je ne peux toutefois pas dire si la situation est équilibrée.

Le sénateur Housakos : Convenez-vous qu'il pourrait être plus efficace pour vous deux si le gouvernement créait une enveloppe budgétaire, soit un budget indépendant de l'enveloppe globale qu'il fait parvenir à CBC/Radio-Canada? Ainsi, un budget annuel serait soumis au gouvernement, qui vous affecterait des ressources, ce qui vous rendrait encore plus indépendants du conseil et de l'administration? Une telle façon de procéder serait-elle plus efficace?

M. Tourangeau : D'où viendrait ce budget?

Le sénateur Housakos : De Patrimoine canadien. Ce que je dis, c'est que plutôt que de devoir rendre des comptes directement au conseil et au président, vous présenteriez un rapport annuel de votre travail au gouvernement, qui vous taillerait un budget indépendant de celui de CBC/Radio-Canada.

Mme Enkin : L'idée est intrigante, mais certains pourraient y voir une violation de l'indépendance entre CBC/ Radio-Canada et le gouvernement. Au bout du compte, nous sommes payés par le gouvernement du Canada puisque l'argent vient de...

Le sénateur Housakos : Il n'y aurait aucune violation. Plutôt que de vous envoyer des ressources par l'entremise de la société, l'argent vous parviendrait directement. Je ne vois pas en quoi cela constitue une violation puisque le gouvernement vous verse déjà de l'argent. Vous auriez ainsi une indépendance totale.

Mme Enkin : Si nous soumettons nos rapports directement au Parlement du Canada, je n'en suis pas certaine.

M. Tourangeau : Pourquoi pas?

Le sénateur Housakos : Ce que je dis, c'est qu'une telle pratique vous protégerait d'éventuelles compressions. Si j'étais le président de CBC/Radio-Canada et que j'avais le choix de couper soit un directeur, soit un producteur, soit l'ombudsman, j'imagine que j'aurais le réflexe de réduire un peu...

Mme Enkin : Mais c'est désormais une exigence pour l'obtention du permis. Puisque le CRTC en a fait une exigence, le poste ne peut pas vraiment être supprimé.

M. Tourangeau : Je ne peux pas être congédié. C'est le seul emploi à Radio-Canada qui...

Mme Enkin : C'est vrai.

Le président : Voilà pourquoi le sénateur Housakos n'a pas ce mandat.

[Français]

La sénatrice Verner : Bienvenue à vous deux ce matin.

Je voudrais faire écho à des questions posées par le sénateur Eggleton. Vous avez dit qu'il n'y a que cinq ombudsmans au pays, dont deux à Radio-Canada. Vous avez répondu au sénateur Eggleton que le réseau privé n'a pas de fonction d'ombudsman. Alors où sont les trois autres?

[Traduction]

Mme Enkin : Il n'y en a pas chez les radiodiffuseurs privés. Quant aux trois autres, le premier vient d'être nommé par les journaux Irving, dans le Canada atlantique. Les deux autres sont les rédacteurs-protecteurs du citoyen du Globe and Mail et du Toronto Star.

[Français]

La sénatrice Verner : Vous avez dit également que, pour donner suite à une plainte qui vous était faite, un blâme pouvait être prononcé contre un journaliste.

Quelle est la conséquence, pour un journaliste, de recevoir un blâme? Cela garantit quoi pour l'avenir?

M. Tourangeau : Il n'y a pas de garantie. En fait, il incombe à la direction des nouvelles de voir à ce que les choses soient corrigées.

Évidemment, quand on déclare qu'il y a eu une infraction aux Normes et pratiques journalistiques, et que telle chose qui a été dite est fausse, on demande un correctif. Donc, il y a nécessairement un correctif qui est apporté.

Par contre, il y a des cas où il n'y a pas de correctifs possibles; par exemple, je vous rappelle le cas du reportage de RDI sur Moncton. À ce moment-là, il y a un post mortem nécessaire qui est fait, et le blâme est tellement public que les responsables doivent répondre de leurs actes et rendre des comptes. Ils doivent s'expliquer.

Je vous dirais aussi que, dans une certaine mesure, chaque plainte qu'on examine, pour laquelle on fait une révision, fait l'objet d'une étude de cas. On vous disait tout à l'heure qu'on a un rôle pédagogique à jouer pour expliquer au public comment fonctionnent les nouvelles, les médias, et pour expliquer aux journalistes comment ils ont erré ou pas dans la plainte qui les concerne. Déjà, parce qu'on rend ces plaintes publiques sur nos sites web, cela fait œuvre d'éducation pour faire comprendre aux uns et aux autres comment les choses se déroulent.

Par la suite, il est bien évident qu'il peut y avoir des erreurs à succession. Par exemple, dans mon cas, j'ai fait 30 révisions depuis que je suis en poste sur la couverture du conflit israélo-palestinien. Sur ces 30 révisions, 15 relèvent des erreurs, des infractions à l'impartialité, à l'exactitude, une mauvaise compréhension du sujet, et cetera. Si cela continue de se répéter, j'ai toujours le loisir, encore une fois, de blâmer les responsables. Cela devient un peu ridicule quand cela fait 10 fois qu'on relève le même genre d'erreur; alors Radio-Canada doit absolument s'expliquer.

D'autre part, dans mon rapport annuel, je peux saisir cette occasion pour faire le point sur cette question particulière et demander pourquoi on a toujours des problèmes avec ce type de couverture, et cetera, proposer des avenues de solutions ou souligner que l'information n'a pas fait son travail comme il faut.

Il y a un pouvoir moral, essentiellement, sauf que c'est un pouvoir moral assez puissant. Dans la confrérie journalistique, il est évident que personne n'aime se faire dire qu'il a mal fait son travail. Quand ces personnes ne prennent pas les mesures nécessaires, elles s'exposent encore une fois à étaler leurs problèmes sur la place publique et à se faire demander des comptes par les citoyens.

La sénatrice Verner : Vous avez mentionné, comme Mme Enkin, qu'on vit dans un monde où se confrontent les faits vérifiables et la rapidité avec laquelle on peut sortir une nouvelle. Dans ce contexte, vous dites aussi, d'autre part, qu'il faut faire une différence entre les faits rapportés par un journaliste et par ceux qui exercent le journalisme d'opinion.

Si je comprends bien, est-ce que le journalisme d'opinion ne serait pas devenu une façon de se sortir de la voie du blâme?

M. Tourangeau : Oui.

La sénatrice Verner : C'est-à-dire, qu'on ne peut pas porter plainte contre un journaliste si c'est une opinion qu'il a émise, mais on peut porter plainte contre un journaliste qui a étalé des faits?

M. Tourangeau : Le cas de Radio-Canada est un peu particulier, parce que c'est le seul endroit où on peut vraiment porter plainte. Dans les médias privés, on peut toujours porter plainte, mais cela reste sur la tablette du rédacteur en chef.

Je vous donne un exemple : j'ai reçu beaucoup de plaintes qui émanaient du Centre consultatif des relations juives et israéliennes, un groupe de pression très bien organisé qui suit beaucoup la couverture de tout ce qui concerne le conflit israélo-palestinien. J'ai rendu beaucoup de révisions concernant ces plaintes, et j'ai rencontré finalement le directeur de cet organisme.

Je lui ai dit : « Radio-Canada est à peu près le seul média au Québec qui couvre ce conflit au Proche-Orient, qui diffuse des nouvelles internationales sur ce sujet et qui a un correspondant international sur place; vous passez votre temps à taper dessus. Est-ce que ce n'est pas un peu contreproductif, dans le fond? » En fait, premièrement, il avait souvent raison. Deuxièmement, il m'a dit : « Quand moi j'ai à me plaindre d'un article dans le journal La Presse ou à TVA, j'écris une lettre. » Si le rédacteur en chef est de bonne humeur ce jour-là, il va peut-être la publier dans sa chronique opinion, dans les pages des lecteurs; sinon, ça prend le bord et puis c'est tout. Tandis qu'à Radio-Canada, parce que nous sommes un service public qui rend des comptes, nous avons une procédure de plainte claire, précise, dont nous faisons d'ailleurs la promotion. Ainsi, les gens nous écrivent et se plaignent, et il y a possibilité d'aller jusqu'en révision avec l'ombudsman. Donc, ils s'en servent, et c'est normal.

Je vous dirais aussi que, dans les Normes et pratiques journalistiques, ce que vous avez souligné tantôt ne peut pas arriver, parce qu'on n'a pas le droit, quand on est journaliste à Radio-Canada, de donner son opinion. C'est pour cela que je vous disais que, quand on fait un blogue à Radio-Canada, il faut marcher sur des œufs et faire attention de ne pas tomber de l'autre côté de la ligne.

Mais effectivement, à mon avis, le journalisme d'opinion donne aux gens clairement identifiés comme chroniqueurs d'opinion une liberté beaucoup plus grande de s'exprimer, de sortir des faits et de donner leur opinion personnelle sur l'interprétation de ces faits; c'est normal, c'est ce qu'on cherche.

La sénatrice Verner : Une dernière petite question : on sait bien que les jeunes ne consomment pas les nouvelles de la même façon — quoique les plus vieux aussi, maintenant, se servent des réseaux sociaux. Ceci dit, je voulais savoir si, dans les plaintes que vous traitez, cela s'est illustré d'une certaine façon. Est-ce qu'il y a un décalage démographique en termes d'âge quant au nombre de plaintes que vous recevez?

M. Tourangeau : C'est une question intéressante parce que, effectivement, les jeunes consomment peu l'information et, lorsqu'ils la consomment, ils le font essentiellement sur le Web. Évidemment, puisque le public jeune a vieilli lui aussi depuis l'avènement d'Internet et des médias sociaux, on commence à voir des consommateurs d'information de radio canadienne qui s'informent essentiellement sur le Web. Donc, de plus en plus de plaintes nous proviennent de gens qui ne sont pas satisfaits de ce qu'ils ont vu dans un article sur le Web, ce qui n'était pas le cas au début.

Vous savez, le Web est un animal un peu particulier. On a beaucoup d'opinions, beaucoup de commentaires; les gens réagissent instantanément à quelque chose qu'ils n'aiment pas, et pas toujours de façon très polie. Donc, les jeunes qui consomment cette information sont habitués à ce genre de réaction et ne s'offusquent pas tellement si un journaliste dépasse les bornes. Cela commence à changer, et reçoit de plus en plus de plaintes à cet égard. Je pense qu'on va en recevoir de plus en plus aussi, parce qu'il n'est plus vrai maintenant que ce sont seulement les jeunes qui s'informent sur le Web.

L'autre phénomène, c'est l'utilisation des médias sociaux. J'ai fait une révision — je pense qu'Esther a dû en faire une aussi — qui concernait une journaliste qui s'était « engueulée » par écrit avec un de ses amis Facebook, qui ne l'avait pas apprécié et qui avait porté plainte auprès de l'ombudsman. La révision que j'ai faite à ce sujet a été très utile, parce que cela a fait comprendre à beaucoup de journalistes qu'un média social est un média. Peu importe que ce soit Facebook, votre page personnelle ou pas, vous vous exprimez publiquement et vous n'avez pas le droit de le faire quand vous travaillez à Radio-Canada.

Donc, il y a des choses qui changent beaucoup à cet égard, en raison des changements technologiques et de la possibilité de s'exprimer qu'offrent ces médias.

[Traduction]

Le président : Madame Enkin, pourriez-vous commenter le volet anglophone de la question?

Mme Enkin : C'est très semblable. Je dirais que les gens qui m'appellent sont habituellement beaucoup plus âgés. Je dois recevoir chaque année une demi-douzaine de plaintes par la poste, pour vous montrer combien les choses changent au fil du temps.

Tout comme M. Tourangeau, je dirais que les plaintes portent plutôt sur le contenu web que sur The National ou The Current, ou sur un véritable programme, puisque c'est surtout ainsi que les gens consomment l'information, même si je n'ai pas de pourcentages à l'appui.

Les gens m'envoient aussi des plaintes sur Twitter en utilisant @CBCOmbudsman. Je trouve cela frustrant, car je ne peux pas répondre à une plainte en 140 caractères. Tout ce que je peux dire, c'est « veuillez m'écrire, s'il vous plaît », et nous pourrons alors avoir un dialogue.

Tout comme M. Tourangeau, je trouve parfois que le ton employé est déplorable. Il m'arrive même de répondre : « Vous soulevez des points intéressants. J'aimerais bien participer à cet échange, mais les règles de civilité me tiennent à cœur. Pourriez-vous reformuler vos propos, s'il vous plaît? » J'ai un peu l'impression de jouer à la maîtresse d'école, mais je pense que certaines normes doivent être respectées. J'obtiens toutes sortes de réponses : « Oh, mille excuses, j'ai écrit le courriel sous le coup de l'émotion. » On me répond aussi parfois des choses que je ne peux pas répéter en public. Voilà tout.

J'abonde dans le même sens que M. Tourangeau à propos de l'utilisation des médias sociaux. Dans un cas fort intéressant, j'ai même consulté un groupe international d'ombudsman puisqu'il s'agissait d'une question éthique intéressante. Dans ce cas que j'ai examiné, je crois qu'une personne envoyait des messages sur Twitter à propos d'un journaliste. Puisque la plaignante avait dépassé les bornes de la civilité, le journaliste l'a bloquée. La femme m'a écrit en disant qu'elle avait le droit d'avoir accès aux nouvelles par l'intermédiaire de ce compte Twitter. Elle se plaignait d'être bloquée en tant que Canadienne ayant le droit de suivre CBC/Radio-Canada. Je me suis dit que le cas était vraiment intéressant.

À quel point un journaliste doit-il avoir la couenne dure? Y a-t-il une limite au-delà des plaintes concernant la sécurité personnelle? Si CBC/Radio-Canada dit qu'on peut avoir accès aux nouvelles quand on le souhaite, et de la façon dont on le souhaite, où est la limite?

À vrai dire, le journaliste avait un compte Twitter personnel, et la station avait un fil de nouvelles diffusé sur Twitter, ce qui permettait à la femme d'accéder aux nouvelles. Mais qui aurait eu à répondre à une question semblable il y a cinq ans? Lorsque j'ai dit tout à l'heure que l'éthique et les pratiques évoluent, en voilà un bon exemple.

[Français]

Le sénateur Demers : Bonjour, madame Enkin et monsieur Tourangeau.

[Traduction]

J'aimerais si possible que vous répondiez tous les deux à la question suivante, s'il vous plaît.

Avant d'être sénateur, j'ai déjà travaillé pour CBC et Radio-Canada, et j'ai eu la chance de côtoyer certains des meilleurs journalistes. Il y a toutefois certains journalistes, qui sont heureusement une minorité... L'expression « off the record », ou « source anonyme » m'a toujours exaspéré.

[Français]

Comme sénateur, je fais encore de la télévision à l'occasion. Le nom qu'on nous donne n'est pas celui de journaliste, c'est celui de « joueurnaliste ». Je me suis aperçu que, même de façon minime, on ne peut jamais toucher à ces journalistes. Qu'il s'agisse du milieu sportif, politique ou des affaires, des journalistes, certains de façon minime, peuvent mentionner des sources anonymes...

[Traduction]

... ou « off the record » sans jamais en être punis. Il arrive aussi parfois que, lorsqu'on vérifie les sources, on réalise que l'information n'a pas été rapportée exactement comme elle a été dite.

Quelle est notre protection à ce chapitre? Je ne parle ni des sénateurs ni des politiciens, mais plutôt de mes anciennes fonctions. Les sources anonymes m'exaspèrent — pas dans mon travail, mais je ne comprends pas.

[Français]

M. Tourangeau : Votre protection, comme vous dites, c'est l'ombudsman. Vous portez plainte et vous vous plaignez de ce que la source anonyme a rapporté des faussetés. Cependant, il faut tout de même faire une distinction, sénateur, entre le fait qu'une source soit anonyme et le fait que ce qu'elle rapporte est vrai ou faux.

On utilise beaucoup les sources anonymes. Moins en politique, maintenant, mais il fut un temps où on utilisait beaucoup les sources anonymes dans la presse écrite encore plus qu'en télévision.

On les utilise surtout dans les reportages d'enquête. Pour des raisons évidentes, la situation personnelle de ces gens pourrait en souffrir ou ils pourraient être physiquement menacés si leur identité était dévoilée.

J'ai déjà reçu des plaintes selon lesquelles des sources anonymes avaient été utilisées de façon trop poussée; ce qu'on leur faisait dire n'était pas fondé, ainsi de suite. Évidemment, une telle plainte signifie que je dois refaire le travail d'enquête dans une large mesure. Je dois m'asseoir avec le journaliste et lui demander ses sources. Il peut refuser. En général, il accepte, parce que je m'engage à ne pas dévoiler le nom de ces gens. Je vérifie les enregistrements, les conversations, la qualité de la personne, et si ce qu'il dit est vrai. L'utilisation des sources anonymes peut être justifiée.

Cependant, je parlais tout à l'heure de la distinction de plus en plus floue entre l'information et le divertissement. Dans le domaine des sports, cela a toujours été un peu le cas, c'est-à-dire qu'on suit les matchs sportifs, les équipes sportives, le Canadien de Montréal, les Toronto Maple Leafs, les Sénateurs, c'est une vraie folie, tout le monde devient spécialiste, tout le monde entend des choses, et les journalistes et commentateurs sportifs ne se gênent pas pour citer des rumeurs, et cetera. Je n'ai jamais eu de plainte à cet égard, mais ce serait intéressant de voir ce que j'en ferais. On est à un autre niveau à ce moment-là.

[Traduction]

Mme Enkin : Je n'ai pas grand-chose à ajouter. Il y a une différence entre l'exactitude de l'information et les confidences « off the record ». J'imagine que c'est du pareil au même. Les confidences et les sources anonymes sont la même chose, au bout du compte. Mais c'est parfois un politicien ou son assistant qui dit être prêt à parler en confidence seulement. Ça va dans les deux sens.

Ce sont les politiques et pratiques de CBC/Radio-Canada qui dictent la façon de faire. Je ne peux pas la citer textuellement, mais il existe effectivement une politique sur l'utilisation des sources anonymes, qui nécessite l'accord d'un supérieur. La décision ne revient pas au journaliste. Des critères sont prévus.

L'autre chose que la politique dit à propos des sources, c'est qu'il faut être très clair avec elles d'entrée de jeu. Quelles sont les conditions de l'entretien? Qu'est-ce que la personne peut vraiment offrir? Comme M. Tourangeau l'a fait remarquer à propos du journalisme d'enquête, si vous offrez l'anonymat à une personne, est-ce pour qu'elle ne soit pas reconnue dans la rue, ou pour que sa mère ne soit pas au courant? Sans vouloir dramatiser, il arrive que leur identité doive être protégée pour le bien du plus grand nombre.

L'utilisation de sources anonymes ou non identifiées, ou de matériel recueilli sous le sceau de la confidence dans les reportages parlementaires est un problème partout. Je sais que Margaret Sullivan parle souvent de cet abus dans le New York Times. Elle a d'ailleurs écrit que le recours aux sources anonymes est trop fréquent des deux côtés.

Je suis d'accord avec vous. La politique journalistique dit aussi qu'il faut identifier l'intervenant et fournir les renseignements pertinents pour que les auditeurs puissent décider de prêter l'oreiller ou non à l'information.

Le sénateur MacDonald : Je remercie les témoins d'être avec nous.

J'aimerais revenir sur les principes d'indépendance et de perception d'indépendance. Je reprends une chose que vous avez tous les deux mentionnée à propos des juges, qui sont d'abord des avocats. J'aime l'analogie dans une certaine mesure parce que je suis de ceux qui croient que la plupart des juges devraient être choisis parmi les plaideurs d'expérience qui ont passé 25 ou 30 ans dans un tribunal et qui comprennent les répercussions des jugements. Bien sûr, les juges n'ont pas besoin d'être des plaideurs d'expérience; ils peuvent être des universitaires. S'ils ont ce qu'il faut, le gouvernement peut les nommer même s'ils sortent tout juste de l'école de droit.

Ils ne viennent naturellement pas tous du même cabinet. La plupart des juges sont dispersés au pays. Je ne remets pas en doute votre expérience ou votre intégrité, mais pour ce qui est de l'indépendance, des organisations médicales rencontrent et jugent les médecins coupables de négligence professionnelle et peuvent les suspendre. Il en va de même pour les avocats : ils peuvent être suspendus ou radiés du barreau.

Quelle sorte de conduite pourrait nécessiter une recommandation de congédier un journaliste? L'un d'entre vous a-t- il déjà recommandé le renvoi d'un journaliste? Un ombudsman de CBC/Radio-Canada a-t-il déjà fait une telle recommandation en raison de la conduite d'un journaliste?

M. Tourangeau : Je ne crois pas que ce soit à nous de le faire.

[Français]

Je ne crois pas que cela relève vraiment de notre mandat de recommander le renvoi d'un journaliste. Tout tient à la façon dont on rédige notre décision et les termes qu'on emploie pour qualifier les gestes et les infractions commises par le journaliste. Si c'est suffisamment sévère pour justifier un renvoi, c'est à la direction de l'information de prendre les mesures nécessaires. On n'a pas le même pouvoir qu'un syndic du barreau, par exemple. On est des chiens de garde, on n'est pas des policiers ni des procureurs. On est capable de déterminer l'importance d'une erreur commise, sa gravité et l'intensité de la faute; cependant, c'est à la direction de l'information de déterminer quelle sera la meilleure ou la pire sanction à imposer. Cela relève du droit de gérance. Le personnel de Radio-Canada est syndiqué aussi. Il y a quand même une marge de manœuvre dans ce qu'on peut dire. On peut dire ce qu'on veut, écrire ce qu'on veut, on peut blâmer autant qu'on veut, mais on n'a pas de pouvoir de sanction sur le personnel journalistique.

[Traduction]

Le sénateur MacDonald : Je ne laisse pas entendre que vous avez le pouvoir de congédier, mais vous avez sûrement la latitude voulue pour faire des recommandations. Si une personne se comporte mal à maintes reprises, vous pourriez faire une recommandation à ses supérieurs. Cela se fait dans les barreaux et les collèges de médecins. Pourquoi pas chez les journalistes?

[Français]

M. Tourangeau : Il n'y a pas de limites à la force des mots qu'on peut utiliser. Est-ce qu'on pourrait recommander le renvoi de quelqu'un?

[Traduction]

Mme Enkin : C'est intéressant parce que c'est un milieu syndiqué. Il faudrait suivre des procédures de congédiement. Dans ce milieu, je ne crois pas qu'il convienne de le demander dans le cadre d'un examen public.

Je suis en poste depuis longtemps; j'ai connu de nombreux ombudsmans et je ne me souviens pas qu'il y en ait un qui ait exigé qu'une personne soit congédiée. Je me souviens d'un examen très dévastateur qui a mené à la suspension de quelqu'un, et c'était après avoir suivi la procédure prévue dans les conventions collectives de Radio-Canada.

Le sénateur Plett : J'aimerais faire une remarque concernant la question que le sénateur Housakos a posée et à laquelle vous avez répondu, celle qui portait sur l'augmentation du contenu canadien. Je crois savoir que ce n'est pas de votre ressort; vous vous occupez d'autres affaires.

J'aimerais que le passage que je vais lire figure au compte rendu :

... la Société Radio-Canada, à titre de radiodiffuseur public national, devrait offrir des services de radio et de télévision qui comportent une très large programmation qui renseigne, éclaire et divertit; ...

(i) être principalement et typiquement canadienne,

(ii) refléter la globalité canadienne et rendre compte de la diversité régionale du pays, tant au plan national qu'au niveau régional, tout en répondant aux besoins particuliers des régions,

(iii) contribuer activement à l'expression culturelle et à l'échange des diverses formes qu'elle peut prendre, ...

Le mandat compte cinq autres points, mais il n'est nulle part question d'un contenu international. Vous avez parlé du fait que nous n'ayons qu'un seul représentant à Washington et un autre à Paris. Le fait est que, selon le mandat, CBC/Radio-Canada n'est pas tenue d'avoir des correspondants à ces endroits. C'est une observation plus qu'autre chose. Je sais que vous n'êtes pas responsable de cette partie de la société.

Je veux aussi parler de l'impartialité, de l'exactitude et de l'intégrité. Ce commentaire s'adresse peut-être plutôt à Mme Enkin, mais vous pouvez tous les deux y répondre. Sur votre site web — et je crois que c'est génial —, on dit :

L'évaluation se fait sur la base des principes qui sous-tendent la politique journalistique de Radio-Canada :

l'exactitude, l'intégrité, l'équité, l'impartialité et l'équilibre pour les contenus relevant du service de l'Information;...

Je ne veux pas laisser entendre que je pense que Radio-Canada est pire que toute autre société, mais je ne crois pas qu'il y ait de média qui suive l'une de ces lignes directrices.

Vous avez mentionné la fusillade de Moncton. Si vous voulez rester impartial, vous ne pouvez pas avoir d'opinion, sinon vous ne l'êtes plus.

M. Tourangeau : Bien sûr.

Le sénateur Plett : Nous voyons constamment — et ce n'est pas seulement en politique, bien que nous nous occupions plutôt de politique — nombre de personnes qui subissent des procès médiatiques. Elles sont accusées d'un crime et avant même de comparaître devant un tribunal, elles ont déjà subi un procès, été trouvées coupables et été pendues dans les médias. Encore une fois, Radio-Canada n'est pas pire qu'un autre média.

Je veux que vous me disiez ce que vous faites lorsque vous dites que vous êtes censé être impartial et qu'un journaliste, de la télévision ou de la presse écrite, se fait une opinion quant à la culpabilité ou à l'innocence d'une personne.

Il me reste une autre question après celle-là, monsieur le président.

Mme Enkin : Ce serait génial si vous pouviez me donner un exemple précis pour illustrer votre pensée.

Premièrement, l'impartialité, qui figure aussi dans la politique de Radio-Canada, prévoit qu'un journaliste peut, en fonction de son expertise, faire la synthèse des faits et en tirer des conclusions. Les éléments ne sont pas tous égaux. La BBC a récemment été accusée d'accorder la même importance ou la même valeur à tous les éléments plutôt que de décrire les évènements. Tous les éléments ne s'équivalent pas. Lorsque vous observez une situation, vous dites ce qui, selon vous, est en train de se passer.

Je ne sais pas à quoi vous faites allusion lorsque vous dites qu'une personne a été trouvée coupable en ondes. Ce serait génial si vous pouviez fournir un exemple précis, mais je ne suis pas certaine de savoir ce que vous avez en tête.

Le sénateur Plett : Je ne veux pas que vous parliez d'un cas en particulier, mais je vais vous donner un exemple. Le Sénat a fait l'objet de critiques au cours de la dernière année et tout le monde a ses opinions sur cette institution en général. Je vais utiliser cet exemple.

Mme Enkin : Si je reçois des plaintes concernant la couverture médiatique de la situation au Sénat, je les gère, mais je ne me souviens pas d'en avoir reçu beaucoup. Je ne crois pas avoir fait d'examen de la couverture médiatique de cette situation, à part celle qui se rapportait à...

Le sénateur Plett : Je ne vous ai pas demandé comment vous gériez la situation, mais plutôt comment vous vous y prenez lorsque vous parlez d'impartialité?

Mme Enkin : Je crois que je ne suis fondamentalement pas d'accord avec vous pour dire que tout ce que l'on voit en ondes tient de l'opinion. Je pense que c'est un point fondamental sur lequel nous ne nous entendons pas.

M. Tourangeau : J'ai mené beaucoup d'examens dans lesquels on accusait les journalistes de manquer d'impartialité, notamment dans le cas du conflit israélo-palestinien.

Le sénateur Plett : C'est un bon exemple.

M. Tourangeau : Il y a eu des plaintes, et j'ai conclu qu'elles étaient justifiées, alors les journalistes ont été blâmés.

Le sénateur Plett : Je vous félicite.

M. Tourangeau : D'habitude, lorsqu'une personne se plaint qu'un journaliste a exprimé une opinion personnelle et demande un examen, on se penche sur les faits. Une analyse n'est pas une opinion si elle est fondée sur des faits.

Nous pourrions en parler pendant des heures.

Le sénateur Plett : Elle est toujours fondée sur les faits. Puisque vous avez parlé de Gaza, permettez-moi de vous donner un exemple. De toute évidence, on pourrait dire que je suis de ceux qui affirment qu'Israël a le droit d'exister et de se défendre. Prenons cet exemple.

Lorsqu'il est question dans les médias des tirs de roquettes lancés par Israël contre la Palestine, du carnage qu'ils causent et des innocents qu'ils tuent, on omet de mentionner que les Palestiniens ont utilisé bon nombre de ces civils innocents comme boucliers. Ce serait un exemple.

C'est un fait qu'une bombe a explosé à cet endroit et a causé la mort de civils.

Mme Enkin : Étant donné que nous avons reçu beaucoup de courrier à ce sujet, j'ai visionné deux semaines d'épisodes du National et écouté The Current, As it Happens et World Report. Bien que vous dites qu'on ne mentionne pas que les tirs de roquettes ont été lancés à partir de zones très densément peuplées, en fait, l'information est là. J'ai une théorie pour expliquer la raison pour laquelle les gens n'entendent pas cette information.

Le sénateur Plett : L'ouïe sélective.

Mme Enkin : Non, non, ce n'est pas une question d'ouïe sélective; c'est plus compliqué que cela. C'est la télévision, non? Les images de ces immeubles qui s'effondrent — les dommages ont été plus importants, non? Le Dôme d'acier a été très efficace. Les images que nous montrent tous les jours les médias sont celles d'immeubles qui s'effondrent. C'est ce dont vous vous souvenez. Quels que soient les mots que l'on utilise, c'est l'information que vous absorbez.

Ce n'est qu'une théorie. L'ont-ils dit à chaque fois? Non. L'ont-ils dit assez régulièrement? Oui.

Je sais qu'une autre question que les gens posent est « Pourquoi n'avez-vous pas montré les roquettes alors qu'on les lançait? » Si vous saviez le danger extraordinaire que couraient ces journalistes, il y a un excellent entretien avec...

Le sénateur Plett : J'ai énormément de respect pour eux.

Mme Enkin : ... le photographe du New York Times qui a dit : « Vous pensez que si je ne le voyais pas, je le ferais — il y a une équipe d'Indiens qui a réussi à le faire. Il y avait plein de photos de roquettes en direction d'Israël une fois que les tirs avaient été lancés ». Mais une des choses que bien des correspondants étrangers ont dit a été « Nous n'avons pas pu trouver le Hamas, un point c'est tout ». De toute évidence, c'est une armée de guérilla, pas une armée régulière.

Je comprends ce que vous dites et, encore une fois, nous prenons chacune de ces plaintes vraiment au sérieux. Je n'ai passé que deux semaines en revue. La guerre a duré plus longtemps, alors je n'ai pas refait ce genre d'écoute très ciblée. Cependant, je peux vous dire que l'information s'y trouvait et que je comprends pourquoi vous pensez qu'elle ne s'y trouvait pas.

Le sénateur Plett : Merci.

Il me semble que lorsqu'un juge procède à un examen, il ou elle invite les deux parties à lui présenter leurs arguments. Lorsque vous menez un examen, vous entretenez-vous personnellement avec les parties?

Mme Enkin : Pas dans tous les cas, non.

Le sénateur Plett : Pourquoi pas?

Mme Enkin : En règle générale, parce que leur plainte est très claire et j'estime ne pas avoir besoin de complément d'informations. Je parle presque toujours aux journalistes, car ils ont des comptes à rendre, alors je dois poser une série de questions. Avez-vous fait telle chose? Quelles sont vos sources? Comment avez-vous appris l'information? Montrez- moi vos notes, et cetera. C'est selon.

C'est intéressant de voir que lorsqu'il est question, notamment, de sciences et de technologie, des sujets que je ne connais peut-être pas bien, il est difficile de choisir une personne qui n'est pas associée à bien des questions scientifiques controversées, par exemple des promoteurs plutôt que des scientifiques en tant que tels. Je consulte des spécialistes. C'est généralement ma façon de faire.

Le sénateur Plett : Soixante-sept et 36 examens. Je vous conseillerais de prendre le temps de parler aux parties des deux côtés.

Merci.

Le président : Avant de permettre au sénateur Housakos de poser la question finale, j'aimerais vous signaler que la semaine prochaine, nous entendrons le témoignage de Marie-Linda Lord de l'Université de Moncton ainsi que celui d'un représentant de la Guilde canadienne des médias.

Avez-vous une autre question, sénateur Housakos?

Le sénateur Housakos : J'aimerais poser deux questions rapides, si je le puis, monsieur le président, avec votre permission, bien entendu.

Ma première question est la suivante : madame Enkin, pourquoi le CRTC s'est-il senti obligé d'encourager fermement Radio-Canada à renforcer votre mandat et vos rôles?

Mme Enkin : Je suppose qu'il vous faudrait le lui demander. Selon la transcription que j'ai devant moi, les deux organismes ont étudié ensemble la question et Radio-Canada a fait des suggestions quant aux éléments qui devraient être pris en compte, mais je ne connais pas la réponse. J'ai toujours eu l'impression que CBC/Radio-Canada était très favorable à l'égard du rôle et du Bureau de l'ombudsman.

M. Tourangeau : C'est CBC/Radio-Canada qui en a elle-même fait la suggestion.

Mme Enkin : Oui.

Le sénateur Housakos : Y a-t-il d'autres diffuseurs dans le monde qui font appel aux services d'ombudsmans? Quel type de méthodes la BBC ou d'autres diffuseurs publics européens utilisent-ils? Est-ce qu'elles ressemblent à ce que nous faisons à CBC/Radio-Canada?

Mme Enkin : C'est un modèle relativement commun. Celui de la BBC est différent, comme je l'ai souligné. Elle a une personne responsable des normes — comme Radio-Canada, en fait — qui travaille à l'avance. Elle a un bureau des plaintes, comme je l'appelle, qui reçoit plus de 200 000 communications par année, pas seulement pour les nouvelles, mais pour toutes les activités de la BBC. De plus, elle a un comité éditorial à un échelon supérieur et, enfin, elle dispose d'un mécanisme d'appel auprès du conseil de fiducie de la BBC. C'est un système beaucoup plus complexe que le nôtre.

ABC Australie compte aussi une personne responsable des normes et un bureau chargé des plaintes. NPR fonctionne à peu près comme Radio-Canada, à l'instar de bien des journaux.

Le sénateur Housakos : Qu'arrive-t-il lorsqu'une plainte est déposée tant auprès de Radio-Canada que de la CBC? Comment la gérez-vous?

Mme Enkin : Il ne s'agirait pas du même matériel parce que tout ce qui concerne Radio-Canada serait envoyé à M. Tourangeau et tout ce qui concerne la CBC me serait envoyé à moi.

Le sénateur Housakos : Mais vous couvrez des reportages communs.

Mme Enkin : Oui, mais chaque reportage est pris au cas par cas. Nous discutons bien sûr de dossiers importants, comme le Moyen-Orient cet été. Nous travaillons en très étroite collaboration. C'est un travail dans lequel nous sommes très seuls — il y a peu de gens à qui nous puissions parler — alors nous nous appuyons mutuellement et discutons de certaines questions ou des tendances semblables que nous observons, le cas échéant. C'est ainsi que nous travaillons.

M. Tourangeau : Il y a quelques modèles qui diffèrent du nôtre. Par exemple...

[Français]

Notre collègue israélien est nommé par un office réglementaire qui ressemble beaucoup au CRTC, cela s'appelle la deuxième autorité de la télévision : il supervise l'ensemble des médias électroniques privés, donc plusieurs chaînes de radio et de télévision. Son rôle s'étend à toutes ces télévisions.

En Amérique du Sud, d'ailleurs, Esther connaît bien ce modèle, en Argentine par exemple, le défenseur du public est nommé par leur Parlement. Son regard s'étend à l'ensemble des médias du pays. C'est un peu un ombudsman pour tous les médias écrits, électroniques, radios, et cetera. Il a aussi un rôle d'éducation.

Mme Enkin : Seulement électronique.

M. Tourangeau : L'Argentine est une nouvelle démocratie, donc il faut lui faire comprendre comment fonctionnent les médias. Il y a tout de même différents modèles. On parlait tout à l'heure de l'indépendance; c'est une façon certainement d'assurer une indépendance plus grande aux yeux de certains.

[Traduction]

Mme Enkin : D'un autre côté, en Argentine, la télévision publique n'est pas indépendante au sens où nous l'entendons — c'est eux-mêmes qui le disent. Sans être comme la télévision nord-coréenne, elle n'est pas indépendante.

Le sénateur MacDonald : Lorsque je consulte le site web de la CBC — cela m'arrive à l'occasion —, j'ai souvent remarqué que l'on ne permet pas aux gens de laisser des commentaires sur les sujets qui portent à controverse. Pourquoi interdit-on au public de laisser des commentaires sur le site web de la CBC/Radio-Canada? Je peux comprendre que vous vouliez modérer les propos déplacés ou les suggestions, les choses de ce genre, mais pourquoi empêcher le public de formuler des commentaires? De qui viendrait la consigne?

Mme Enkin : Encore une fois, les commentaires ne relèvent pas de notre mandat, car on estime qu'ils ne font pas partie du journalisme, mais je connais la situation, alors je vais tenter de répondre à votre question. Je ne suis peut-être pas entièrement à jour. Je vous inviterais à consulter le blogue de la rédaction dans lequel Mme McGuire a abordé cette question en détail.

C'est une situation avec laquelle les médias de partout doivent composer, la valeur des commentaires, les ressources nécessaires pour les gérer correctement et la meilleure façon de le faire. Je pense qu'au cours des dernières années, ils sont devenus plus sélectifs. Je ne peux pas vous citer leurs critères de mémoire. Je pense que cela dépend de la fréquence du sujet et de la mesure dans laquelle il est controversé, mais je ne crois pas que les sections réservées aux commentaires soient toujours fermées dans le cas de sujets controversés. Il existe une série de critères — encore une fois, je vous renvoie au site web — quant aux sections qui restent ouvertes et celles qui sont fermées. Il arrive que certaines soient fermées pour des raisons pratiques, par exemple parce que les coûts de modération exorbitants nous empêchent de les garder ouvertes; ces sections sont si populaires qu'elles sont victimes de leur succès.

L'autre point est d'ordre juridique; dans certains cas, certaines personnes pourraient enfreindre une ordonnance de non-publication. Les sections de commentaires dans le cas de reportages qui touchent les enfants sont généralement fermées en raison de leur nature délicate. Je crois qu'on a appris à la dure que même les sujets apparemment les plus inoffensifs, par exemple le décès d'un personnage public, attirent les trolls. On a formulé une série de critères.

On finit par fermer ces sections; elles ne sont pas ouvertes indéfiniment. Il arrive qu'elles le soient pendant un certain temps et qu'elles soient fermées après trois, cinq ou sept jours, je ne sais plus exactement. C'est simplement une façon de gérer le trafic considérable.

Le sénateur MacDonald : Je peux comprendre pourquoi cela ne fait pas partie de votre mandat, mais je pense qu'il y aurait lieu qu'on nous dise pourquoi on ferme la section réservée aux commentaires quand on le fait.

Mme Enkin : C'est une suggestion qui vaut la peine d'être transmise. Je sais qu'il reste du travail à faire. Ils cherchent toujours à faire en sorte que le site soit plus ouvert et qu'il réponde le mieux possible aux attentes.

Le président : Sénateur MacDonald, Mme McGuire viendra témoigner devant le comité dans quelques semaines, alors vous aurez peut-être l'occasion de lui poser la question. Le sénateur Housakos aura peut-être quelque chose à ajouter.

Monsieur Tourangeau et madame Enkin, merci beaucoup de vos exposés. Nous espérons que tout s'est bien passé pour vous.

Nous continuerons la semaine prochaine avec deux témoins et nous nous rendrons ensuite dans les Maritimes et au Québec, avant d'aller à Toronto et Montréal pour couvrir la saga de CBC/Radio-Canada qui se poursuit.

(La séance est levée.)


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