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TRCM - Comité permanent

Transports et communications

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Transports et des communications

Fascicule 9 - Témoignages du 23 octobre 2014


QUÉBEC, le jeudi 23 octobre 2014

Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui, à 9 h 30, pour étudier les défis que doit relever la Société Radio-Canada.

Le sénateur Dennis Dawson (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Bonjour, je suis Dennis Dawson, président du Comité sénatorial des transports et des communications. Il y avait, comme je vous l'ai dit tout à l'heure, d'autres membres qui devaient participer, mais à cause des incidents qui se sont déroulés hier, à Ottawa, ils n'ont pas pu nous rejoindre... ils n'ont malheureusement pas pu se rendre d'Ottawa à Québec.

J'aimerais commencer aujourd'hui avec une pensée pour toutes les victimes des tragiques incidents survenus hier dans notre capitale, ainsi que pour leur famille, et nous prions pour eux.

[Traduction]

Au nom des membres du comité, je tiens également à remercier les braves soldats qui ont su protéger les Canadiens. Je remercie aussi la population de son appui et de sa solidarité au cours de cette période difficile.

[Français]

À nos collègues, nous tenons à leur dire que bien que nous ne soyons pas à Ottawa, nous continuons à nous acquitter de notre devoir parlementaire et de servir les Canadiens. À ce moment-ci, je vous demanderais, si ça ne vous dérange pas, d'observer une minute de silence en l'honneur des gens qui sont décédés hier... de la personne qui est décédée hier.

[Traduction]

Merci.

[On observe un moment de silence.]

[Français]

Le président : Dans le cadre de l'étude sur les défis que doit relever la Société Radio-Canada en matière d'évolution du milieu de la radiodiffusion et des communications, nous accueillons le Syndicat des employé(e)s de bureau et professionnel(e)s de Radio-Canada. Nous entendrons Isabelle Doyon, présidente de la section 675; Nathalie Blais, conseillère à la recherche, et Adrien Caissie, président local de Moncton.

Merci de votre présence. Nous sommes ici pour vous écouter.

[Traduction]

Les témoins étayeront leur discours d'un document qui comporte un tableau indiquant les diverses parts de marché. Si le sénateur Plett ne voit pas d'objection à ce qu'il soit présenté, je crois que ce serait un excellent point de référence. Nous ferions traduire le document pour l'envoyer à tous les membres.

[Français]

Madame Blais ou madame Doyon, la parole est à vous.

Isabelle Doyon, présidente, SCFP section 675, Syndicat des employé(e)s de bureau et professionnel(le)s de Radio-Canada : Bonjour, monsieur le président et honorables sénateurs — puisqu'il n'y a pas de sénatrices ce matin avec nous. Je vous remercie de nous recevoir.

Nous sommes devant vous aujourd'hui parce que vous nous avez invités à vous parler des défis que doit relever Radio-Canada sur le plan régional, dans le contexte de l'évolution du milieu des communications. Le SCFP représente environ 1 800 personnes qui travaillent à Radio-Canada dans tout le Québec et à Moncton.

Pour entrer dans le vif du sujet, mentionnons d'abord que la Loi sur la radiodiffusion donne des obligations particulières au diffuseur public en ce qui concerne les régions. Radio-Canada doit offrir une programmation qui rend compte « [...] de la diversité régionale du pays [...] tout en répondant aux besoins particuliers des régions. » L'objectif de cette disposition est double : d'une part, faire en sorte que l'on parle des différentes régions dans tout le pays et, d'autre part, permettre aux gens qui habitent ces régions de voir leurs réalités transposées dans les médias.

Avec les compressions à répétition vécues par le diffuseur public depuis 2009 et les réductions de personnel qui en découlent, la réalisation de cette partie du mandat de Radio-Canada est menacée. Le principal défi des stations régionales de la SRC est donc de continuer à offrir une programmation locale pertinente, de qualité et en quantité, malgré un contexte économique difficile.

Nathalie Blais, conseillère à la recherche, Syndicat canadien de la fonction publique : Depuis quelques années, la situation financière des stations de télévision généralistes est mauvaise partout au pays. Dans le secteur privé, la croissance des revenus publicitaires locaux est négative dans toutes les régions sauf en Ontario et au Québec.

À Radio-Canada, les ventes de publicité ont été en croissance au cours des cinq dernières années. Toutefois, le lock-out dans la Ligue nationale de hockey a eu un impact à la baisse important sur les revenus publicitaires en 2013.

La SRC doit donc appréhender des revenus commerciaux à la baisse pour les quatre prochaines années compte tenu du fait qu'elle ne touchera plus un sou de la publicité diffusée pendant l'émission Hockey Night in Canada. Par la suite, le diffuseur public devra ajouter 360 heures de programmation à sa grille pour remplacer le hockey, ce qui augmentera forcément ses dépenses de programmation.

Au printemps dernier, le PDG de Radio-Canada faisait l'analyse suivante, et je cite :

La télévision locale est particulièrement menacée à cause de l'élimination par le CRTC du Fonds pour l'amélioration de la programmation locale. Dans de nombreux cas, il n'y a simplement pas de modèle économique viable pour la soutenir. Pour ces raisons, nous ne croyons pas que les radiodiffuseurs privés continueront à s'investir dans les régions, à l'exception peut-être des plus grandes villes canadiennes. Devrions-nous alors nous retirer avant eux ou devrions-nous être le dernier à s'intéresser aux nouvelles locales et à en diffuser?

Le SCFP croit que le diffuseur public national doit absolument poursuivre ses opérations en région. Radio-Canada a l'obligation légale d'offrir — à la radio et à la télévision; en français et en anglais — une programmation qui renseigne, éclaire et divertit, tout en répondant aux besoins des régions. La présence de la SRC d'un bout à l'autre du pays est d'autant plus nécessaire que les diffuseurs privés pourraient éventuellement délaisser ce marché.

Adrien Caissie, président local - Moncton, SCFP section 5757, Syndicat des technicien(ne)s et artisan(e)s du réseau français de Radio-Canada : La télévision privée n'est pas la seule touchée par la disparition du Fonds pour l'amélioration de la programmation locale. Ce fonds rapportait plus de 40 millions de dollars par année à Radio-Canada qui l'a utilisé pour enrichir sa programmation en région. Ces améliorations sont remises en question par les difficultés budgétaires du diffuseur public. Malgré tout, dans son plan quinquennal de 2015-2020, Radio-Canada dit vouloir ce qui suit, et je cite :

[...] préserver sa présence géographique pour être encore plus locale [...]

Fin de la citation.

Nous voyons difficilement comment Radio-Canada pourrait y parvenir avec moins de personnel. À Moncton, où je travaille comme monteur, notre syndicat représentait 54 employés permanents en 1998. Nous sommes maintenant environ 40 et nous croyons qu'il restera moins de 30 techniciens et artisans lors du déménagement prévu dans des locaux plus petits, au printemps prochain.

Avec moins de travailleurs dans les stations régionales cela signifie moins de journalistes et moins de caméramans sur le terrain. Cela veut aussi dire moins de temps pour faire de la recherche, pour trouver des invités, pour faire des entrevues. Cela veut aussi dire offrir des nouvelles qui ont moins de profondeur parce que la même équipe doit alimenter la télévision, la radio et le Web. Moins de travailleurs, c'est finalement moins d'émissions réalisées en région, moins de tournages à l'extérieur des studios et moins de contacts avec les communautés.

Il y a déjà des critiques à l'endroit de Radio-Canada en région. Les citoyens nous disent être déçus que nos reportages ne présentent plus toutes les facettes de la nouvelle. D'autres affirment qu'il n'y a pas assez d'information régionale dans nos bulletins — et ils ont raison! Sur une heure de nouvelles, moins de 30 minutes sont consacrées à l'information locale. Le reste vient d'ailleurs au pays, principalement du Québec.

Par ailleurs, le plan 2015-2020 prévoit un virage vers le numérique et la mobilité qui modifie les priorités du diffuseur public. Dans ce cadre, l'information à la télévision et à la radio régionale, qui est le cœur des activités de Radio-Canada en région, verra ses ressources diminuer d'ici 2020. Cette stratégie nous inquiète au plus haut point. Elle va causer la disparition d'une expertise professionnelle qu'il sera impossible de rebâtir.

Le diffuseur public a donc un autre défi à relever. Il doit préserver ses acquis dans les régions, malgré la transformation en cours. Les syndicats SCFP de Radio-Canada sont conscients de la nécessité d'innover sur de nouvelles plateformes. Il faut cependant éviter que ce virage numérique soit fait trop rapidement, de la mauvaise façon ou pour les mauvaises raisons.

Par exemple, puisque les Canadiens sont friands de programmation audiovisuelle sur Internet, il est illogique à notre avis que Radio-Canada se départisse de ses studios de télévision en région. Ceux-ci pourraient lui permettre de tourner différents produits audiovisuels à saveur régionale, que ce soit pour la télévision, Internet ou une tablette.

Mme Doyon : Le SCFP s'oppose également à la demande faite par Radio-Canada au CRTC de cesser d'utiliser ses émetteurs numériques pour la télévision. Radio-Canada est un diffuseur public, financé par des fonds publics, et à ce titre, il doit offrir ses signaux gratuitement au plus grand nombre via les ondes publiques.

Accepter la fermeture des émetteurs de Radio-Canada priverait 15 p. 100 des contribuables d'un accès au seul diffuseur offrant une perspective nationale des événements canadiens et internationaux. Les francophones hors Québec qui ne sont pas câblés perdraient quant à eux l'accès à la seule station de télévision s'exprimant dans leur langue maternelle sur des sujets locaux.

L'ampleur du virage numérique planifié par Radio-Canada et, surtout, la vitesse à laquelle on souhaite l'entreprendre nous semblent avant tout motivées par les économies envisagées. Des économies qui restent à démontrer, car pour l'instant, la consommation de télévision ou de radio sur Internet a tendance à s'ajouter à l'écoute sur les appareils conventionnels, et non à la remplacer.

Il serait dommage que Radio-Canada perde son expertise en région pour avoir voulu se moderniser trop rapidement afin d'équilibrer son budget. Le plan mis de l'avant par la SRC pour 2015-2020 devrait non seulement être rentable économiquement, mais aussi culturellement et socialement. Les régions devraient également y trouver leur compte, puisque Radio-Canada a pour mission de répondre à leurs besoins, en vertu de la Loi sur la radiodiffusion.

Quel que soit le média utilisé pour transmettre sa programmation, le diffuseur public a une mission à remplir et il doit être financé adéquatement pour y arriver. Radio-Canada ne peut constamment sacrifier ses employés pour équilibrer son budget sans porter atteinte à sa mission en région. La SRC a besoin de stabilité budgétaire. Le gouvernement doit assumer ses responsabilités à cet égard.

Nous vous remercions. Nous sommes maintenant prêts à répondre à vos questions.

Le président : Nous vous remercions tous les trois.

[Traduction]

Le sénateur Plett a quelques questions.

Le sénateur Plett : Je remercie les témoins de leur présence.

De toute évidence, CBC/Radio-Canada doit fournir le service qu'attend le public. C'est une question d'auditoire. La programmation doit correspondre à ce que le public veut et non à ce que les employés ou la direction veulent, dans le respect de l'enveloppe octroyée.

Vous dites aujourd'hui que CBC/Radio-Canada ne devrait pas agir aux dépens de ses employés. C'est une opinion que je comprends et que je respecte. Vous avez dit que l'information nationale devrait laisser davantage de place à l'information régionale. Ce matin, nous avons visité le studio qui se trouve à quelques immeubles d'ici. L'équipe nous a affirmé que, à son avis, elle laisse plus de place à l'information régionale qu'à l'information nationale. Le bulletin de 18 heures, par exemple, se compose uniquement de nouvelles régionales. Il arriverait même que des auditeurs appellent pour se plaindre de l'absence de nouvelles nationales. On leur répond alors de se tourner vers d'autres chaînes, car le bulletin de 18 heures est réservé à l'information régionale.

Compte tenu de l'auditoire, et non des employés, quelles sont, tout d'abord, les parts globales de marché de CBC/Radio-Canada à Québec? Quelles sont les cotes d'écoute? En tant qu'auditeurs et non qu'employés, pouvez-vous nommer deux choses que CBC/Radio-Canada peut faire pour les auditeurs?

[Français]

Mme Blais : Pour ce qui est des cotes d'écoute spécifiques à la station de Québec, on doit admettre qu'on ne les a pas. Par contre, on a celles de Moncton, qui est une station à peu près de la même taille. Je ne sais pas si tu as les chiffres en tête, Adrien, ou si tu veux que je les donne, mais de mémoire, c'est à peu près 50 p. 100. En fait, c'est 42 p. 100, si je me souviens bien, des gens de la région de Moncton qui écoutent la programmation locale de Radio-Canada. Donc, il y a vraiment un grand intérêt pour la programmation locale. Le SCFP a participé dernièrement au CRTC à des audiences sur l'avenir de la télé, non seulement au sein de Radio-Canada, mais aussi pour toute la télé au Canada. Selon les témoignages des télédiffuseurs privés indépendants, leur programmation locale est plus populaire que celle des réseaux auxquels ils sont affiliés. Généralement, les gens tendent à vouloir avoir des nouvelles de ce qui se passe autour d'eux, et je pense que c'est une bonne façon de les intéresser. En fait, vous me demandez qu'est-ce que Radio-Canada peut faire pour les gens. Et ce qu'elle peut faire c'est offrir de l'information locale. Par exemple, la station de Moncton — peut-être qu'Adrien peut ajouter des précisions là-dessus puisqu'il travaille là-bas — couvre une énorme région, soit tout l'Atlantique. Lorsqu'on parle de nouvelles locales et régionales et qu'on dit qu'on en fait 30 minutes par jour, il y a certainement plus que 30 minutes de nouvelles à couvrir dans tout ce territoire qui comprend Terre-Neuve, la Nouvelle-Écosse, l'Île-du-Prince-Édouard et le Nouveau-Brunswick.

[Traduction]

M. Caissie : J'ajouterais que, lorsque nous n'avons pas les moyens de présenter un bulletin réservé à l'information locale, nous puisons à même les nouvelles du Québec, de l'Ontario ou de Toronto pour le compléter. C'est ce qui se passe actuellement. Si notre enveloppe était plus élevée, nous pourrions présenter davantage de nouvelles locales. Nous devons faire des choix.

Le sénateur Plett : Qu'entendez-vous par « nouvelles locales »? Nous parlons de Moncton, des provinces de l'Atlantique ou de Québec. À quel territoire correspond un contenu « local »? Combien de stations faudrait-il pour présenter du contenu local à tous les Canadiens?

Je viens du Manitoba. Il y a une station de Radio-Canada à Saint-Boniface. Elle sert le Manitoba, qui compte 1 million de personnes. Personnellement, je dirais qu'une station qui couvre ce qui se passe au Manitoba couvre l'information locale. Convenez-vous que l'information locale peut viser l'échelle provinciale ou doit-elle se limiter à un territoire plus petit que celui d'une province?

M. Caissie : Dans mon cas, je parlerais d'information régionale. Je parle de l'information locale et régionale, celle qui couvre les quatre provinces de l'Atlantique, en français.

Le sénateur Plett : Pour vous, les quatre provinces de l'Atlantique, c'est local?

M. Caissie : Oui.

Le sénateur Plett : Merci.

[Français]

Mme Blais : J'aimerais ajouter que Radio-Canada a des obligations envers le CRTC. Radio-Canada détient des licences de radiodiffusion qui prévoient pour chaque station une certaine quantité de programmation locale définie. Le CRTC la définit comme étant une programmation qui s'adresse aux gens qui reçoivent le signal de Radio-Canada. Donc, si vous recevez son signal via l'antenne de Radio-Canada, vous êtes dans sa zone de desserte. Et c'est dans celle-ci que Radio-Canada doit faire sa couverture locale. Lorsque vous dépassez cette zone, vous êtes dans la partie régionale. Donc, selon les règlements du CRTC, quand on parle des quatre provinces de l'Atlantique, vous êtes plutôt dans la région. Et, à ce moment-là, on n'est plus nécessairement dans une information spécifiquement locale.

Je pourrais vous donner un autre exemple : la station V, qui est un réseau indépendant au Québec, a cessé de faire de la programmation locale pendant un certain temps. En fait, elle a grandement réduit sa quantité de programmation locale. De plus, dans le cadre des nouvelles de la station de Québec, ils présentaient des nouvelles provinciales. Par exemple, toutes les nouvelles de l'Assemblée nationale étaient considérées comme des nouvelles de Québec. Toutefois, on ne parlait pas de ce qui se passait à l'hôtel de ville, de l'économie de la ville de Québec, des faits divers, de la vie communautaire à Québec. On parlait de ce qui se passait au Parlement et cela était calculé dans la programmation locale. Puis, le CRTC a dit non, que ce n'était pas de la programmation locale puisqu'une information provinciale s'adresse à un plus large auditoire. Je ne sais pas si vous saisissez bien la différence entre les deux : la programmation locale et la programmation provinciale.

[Traduction]

Le sénateur Plett : Je ne saisis pas très bien la distinction, mais j'ai l'impression que ce que vous désirez ne correspond pas nécessairement à ce qu'Adrien désire. J'ai peut-être mal compris, mais Adrien a dit que, pour lui, les provinces de l'Atlantique, c'est local. Or, les Prince-Édouardiens n'ont peut-être rien à faire de ce qui se passe à l'Assemblée législative de la Nouvelle-Écosse, à Halifax, alors peut-être qu'ils ne considéreraient pas cela comme du contenu local. Encore une fois, je ne pense donc pas qu'il soit rentable pour Radio-Canada de produire des émissions dans chaque ville ou chaque localité du Canada atlantique. Le Québec est une grande province. Ce qui ne représente que quelques villes au Québec correspond à toutes les provinces de l'Atlantique. Je suis dubitatif. Souhaitez-vous la même chose qu'Adrien ou ai-je mal compris?

Mme Blais : Je parlais du côté réglementaire des choses. C'est ce qui explique les divergences entre nos propos. Pour le CRTC, le contenu « local » se rapproche davantage de l'échelle d'une localité.

Le sénateur Plett : D'accord.

Mme Blais : Je pense que c'est ce dont vous parlez.

Dans l'Atlantique, compte tenu de la population, c'est normal d'avoir une seule grande station régionale. La station de Moncton est une grosse station, comme celle de Québec. Elle est associée à divers petits bureaux, qui recueillent les nouvelles pour elle. C'est ainsi qu'on couvre la région de l'Atlantique.

Le sénateur Plett : À ce sujet, nous étions à Halifax il y a deux jours et nous avons aussi discuté d'information locale. L'un des témoins a dit qu'il faut une présence là où il y a une importante population francophone. Je lui ai alors demandé à quoi correspondait une population importante. J'ai obtenu deux réponses. La première veut que l'existence d'une école de langue française dénote la présence d'une importante population francophone. Cette définition m'a semblé un peu restreinte et, par conséquent, difficile à appliquer. Or, la réponse suivante a été que dès qu'il y avait plus d'un francophone, il s'agissait d'une population importante. Je trouve que c'est exagéré.

Une bonne proportion de la population manitobaine est francophone. Ma circonscription fédérale, Provencher, est celle qui, à l'extérieur du Québec, compte le plus de francophones, le plus de personnes d'expression française. C'est ma circonscription. Dans ce contexte, je devrais pouvoir m'exprimer en français. Pourtant, lorsque nous allons dans l'Ouest, lorsque nous allons en Saskatchewan ou en Alberta, moins de personnes s'expriment en français. Quel genre de ressources faudrait-il investir là-bas?

Il y a manifestement beaucoup de francophones dans les provinces de l'Atlantique, surtout au Nouveau-Brunswick, mais quelles devraient être les ressources affectées là-bas? Faudrait-il prendre une partie de l'enveloppe budgétaire de Radio-Canada et dire : « De toute évidence, nous en dépenserons une plus grosse partie dans l'Atlantique » pour ensuite réduire la proportion de l'enveloppe au fur et à mesure qu'on va vers l'Ouest? Combien de francophones faut-il pour que nous leur offrions des services? Tout le monde devrait jouir des services auxquels il a droit. Je comprends cela. Il y a deux langues officielles. Que faire?

On a entendu des gens — vous y avez même fait allusion dans votre présentation — dire très clairement que CBC/Radio-Canada ne devrait pas être un diffuseur national. Or, cela n'a jamais été son mandat. Son mandat, c'est d'être un diffuseur régional et national qui offre des services à tous nos concitoyens, dans les deux langues officielles. Il est peut-être même inexact d'employer le mot « national ». Je devrais peut-être aller encore plus loin et dire « international ». L'Afrique est aux prises avec l'épidémie d'Ebola, et l'EIIL sévit au Moyen-Orient. Est-il nécessaire pour CBC/Radio-Canada d'aller sur place? Très honnêtement, si je veux apprendre ce qui se passe en Syrie, je peux écouter CTV ou Global. Cependant, si je m'intéresse à ce qui se passe dans ma propre localité, CTV et Global ne me sont d'aucune utilité. S'il n'y a pas de profit à faire dans ma localité, ils ne s'intéressent pas à ce qui s'y passe. Serait-il souhaitable que CBC/Radio-Canada abandonne pour le moins sa couverture internationale pour ne devenir qu'une station strictement locale et régionale?

Je sais que je vous ai posé plusieurs questions. N'hésitez pas à répondre en français. Nous avons d'excellents interprètes. Sentez-vous très à l'aise.

[Français]

Mme Blais : Pour ce qui est de la CBC... En fait, la question que vous posez, c'est : est-ce que Radio-Canada ne devrait pas être un diffuseur régional plutôt qu'un diffuseur national ou international? D'abord, selon la Loi sur la radiodiffusion, Radio-Canada doit offrir un service international. Deuxièmement, je connais moins bien le marché anglophone, mais est-ce que CTV et Global ont vraiment des journalistes canadiens sur le terrain, par exemple, en Syrie? Est-ce que c'est ce que vous m'avez dit?

[Traduction]

Le sénateur Plett : Lorsqu'on cherche à apprendre ce qui se passe là-bas, CTV et Global assurent aussi une couverture.

Mme Blais : Avec des journalistes sur le terrain?

Le sénateur Plett : Oui. Il n'y a pas que CBC/Radio-Canada là-bas. On peut même écouter des chaînes étatsuniennes. CBC/Radio-Canada devrait-elle simplement faire appel aux journalistes qui sont sur place, recourir à leurs services? Est-il nécessaire que la société d'État envoie ses propres journalistes? Est-il nécessaire d'accorder autant d'attention au sujet? Est-ce ainsi que CBC/Radio-Canada devrait commencer à faire des économies?

[Français]

Mme Blais : Je pense que oui. On doit avoir des journalistes sur le terrain à l'étranger et je vais vous expliquer pourquoi. D'abord, il y a une perspective canadienne à présenter. D'après ce que vous me dites, il y a des journalistes d'autres réseaux qui sont à l'étranger, mais dans le marché francophone il n'y en a pas. TVA, qui est le plus gros réseau privé, n'a aucun journaliste à l'étranger, à part un qui est à Washington. Et le réseau V n'a absolument aucun journaliste. Il fait affaire avec une entreprise privée qui leur fournit les nouvelles. Donc, si Radio-Canada n'affectait personne à l'étranger, nous n'aurions jamais un point de vue canadien sur ce qui se passe ailleurs dans le monde. Dans le marché francophone, pour les gens qui parlent français, c'est un élément qui est vraiment précieux.

[Traduction]

M. Caissie : Pour répondre à votre première question, à propos de la présence de Radio-Canada, il faut comprendre qu'il y a des Acadiens dans toutes les provinces de l'Atlantique. Il y en a à Terre-Neuve. Il y en a à l'Île-du-Prince-Édouard, en Nouvelle-Écosse et, surtout, au Nouveau-Brunswick. Radio-Canada est le seul moyen de garder le contact entre eux. Ce n'est pas TVA, une station québécoise privée, qui couvrira les nouvelles du Nouveau-Brunswick. C'est notre seule source d'information en français. Le bulletin de nouvelles, le bulletin d'informations de toute la région, est enregistré à Moncton. C'est ainsi et c'est capital pour notre survie et notre identité. C'est capital pour nous.

Le sénateur Plett : Mais, actuellement, vous bénéficiez de tout cela partout dans le Canada atlantique. Radio-Canada diffuse ses émissions dans l'ensemble des provinces de l'Atlantique. Il n'y a donc rien à changer.

M. Caissie : Non. Mais si nous n'avons pas le personnel nécessaire, comment pourrons-nous couvrir la nouvelle? Actuellement, c'est difficile. Lorsqu'on coupe des postes, c'est l'information qui en souffre, que ce soit en quantité ou en profondeur. Nous ne pouvons plus enquêter autant. Il y a moins de recherche. Moins de travail peut être consacré à chaque nouvelle, ce qui nous oblige à faire des choix. Imaginons par exemple qu'il y ait deux nouvelles aussi importantes l'une que l'autre, mais que nous manquons de personnel. Si nous disposons d'images d'archives qui conviennent à l'un des deux sujets, nous les utiliserons en nous contentant de lire la nouvelle, ce qui nous permettra de couvrir également l'autre. C'est le genre de choix qu'il faut faire. Parfois, il faut couvrir les deux nouvelles. C'est important.

Il faut aussi tenir compte des distances. Quand il se passe quelque chose de majeur à Edmundston, c'est à cinq heures de route de Moncton. Nous avons un bureau à Edmundston, mais ça dépend de ce qui se passe. S'il s'agit de quelque chose de majeur ou si c'est à Halifax, il faut couvrir la nouvelle.

Le sénateur Plett : J'imagine que c'est là ma question : dans quelle mesure faut-il le faire?

Je comprends ce que vous dites. Dans ma province, il y a de vastes régions inhabitées. On veut assurer une couverture du Pas jusqu'à Thompson, au Manitoba, mais, de toute évidence, compte tenu du bassin de population, on ne peut pas justifier la présence de deux centres. Il y a ensuite Churchill. Il n'y a même pas de route qui y mène. On s'y rend uniquement en train ou en avion. Dans quelle mesure devrions-nous faire ce que vous préconisez avant de décider que ce n'est tout simplement pas faisable? On invoque souvent le cas des villages-dortoirs. J'habite dans un village-dortoir situé à 20 kilomètres de Winnipeg. Voici un exemple qui n'a rien à voir avec la radio, mais le même scénario s'applique. Quelqu'un s'installe dans le village-dortoir de Landmark, au Manitoba. Le Manitoba, à l'instar du Québec, du moins il y a quelques années, c'est en quelque sorte la capitale canadienne du porc. L'élevage du porc génère parfois des odeurs déplaisantes. Donc, des gens s'installent dans le village-dortoir entouré d'élevages porcins. Tout d'un coup, les résidants demandent que tous les éleveurs cessent leurs opérations, car ils les trouvent trop nauséabondes. Ils ont l'habitude de vivre en ville. Ou encore, en ville, des gens s'installent dans les environs d'un aéroport et demandent qu'un terminal soit déplacé parce que c'est trop bruyant.

C'est un peu la même chose. Comme l'a dit un témoin à Halifax, deux francophones forment une population importante. Lorsqu'une famille déménage dans un petit village, il faudrait donc l'accommoder. Doit-on aller aussi loin?

[Français]

Mme Blais : Non, je pense que notre intervention ne vise pas à desservir de façon déraisonnable des secteurs où il n'y aurait pas suffisamment de personnes. Ce qu'on vous dit, c'est qu'avec les compressions successives — je ne sais pas si vous avez le décompte en tête —, mais depuis 2009, on a aboli 800 postes; en 2012, 650; cette année, 657. Et on nous a annoncé l'abolition de 1 000 à 1 500 postes au cours des prochaines années. Nous sommes préoccupés parce que présentement l'élastique est tendu. On ne peut pas, comme disait Adrien, toujours couvrir toutes les nouvelles qui sont importantes, même au niveau régional. Alors, si on réduit encore le personnel, on craint que Radio-Canada ne puisse plus vraiment accomplir sa mission d'information locale et régionale. On ne demande pas qu'il y ait... On ne demande pas, comme vous semblez le dire...

[Traduction]

Le sénateur Plett : La réduction des effectifs vise principalement les employés de terrain. Comme je l'ai dit, nous venons de visiter le studio. Je tiens à dire que j'ai été fort impressionné. Sous certains angles, cela rejoint ce que vous dites lorsque vous évoquez la suppression de postes.

Des postes ont été éliminés en studio. Des changements ont été apportés à un studio de production. Auparavant, neuf personnes travaillaient au studio de production. Avantages compris, elles gagnaient près de 100 000 $ par année, soit 65 000 $, plus les avantages et les heures supplémentaires. J'imagine que ça totalise dans les 100 000 $. Il y avait donc neuf personnes dans cette situation.

Le studio de production a été remis à neuf, pour une facture de 800 000 $. On a ensuite aboli six postes, car il suffisait maintenant de trois personnes pour accomplir le même travail, ce qui représente une économie de 600 000 $ par année.

Je ne parle pas d'économies, mais plutôt de l'élimination des postes, qui n'a vraiment pas les conséquences que vous évoquez. Avez-vous l'impression que les compressions frappent surtout les journalistes sur le terrain?

M. Caissie : La station de nouvelles de Moncton compte actuellement sept suites de production. Il n'y en aura plus que quatre. Nous avons cinq studios de radiodiffusion à Moncton. Il y en a une en français, une en anglais et d'autres encore. Il n'y en aura plus que deux. Nous avons deux graphistes. Nous n'en aurons plus qu'un. Voilà les compressions avec lesquelles nous devons composer.

Le sénateur Plett : Merci, monsieur le président.

[Français]

Le président : Sénateur Housakos, vous avez la parole.

Le sénateur Housakos : Je vous remercie, monsieur le président, et je souhaite la bienvenue à tous les participants du présent comité. Vos présentations sont très appréciées.

J'aimerais faire quelques commentaires et poser quelques questions. Tout d'abord, le comité a fait beaucoup de travail depuis longtemps à ce sujet. C'est intéressant d'entendre les témoignages de nombreuses personnes provenant de divers domaines. Bon de nombre de témoins affirment que Radio-Canada/CBC a comme mission de diffuser les nouvelles internationales et les nouvelles nationales aux Canadiens parce que cette station le fait mieux que le secteur privé et les autres entreprises. Et qu'il y a là un besoin.

Selon d'autres témoins, il faudrait confier une mission qui permettrait de diffuser une programmation locale et régionale, les nouvelles, et cetera, parce que le secteur privé n'a pas la capacité. Ce n'est pas rentable pour le secteur privé d'aller aux Territoires du Nord-Ouest dans les régions francophones du Manitoba pour assurer une programmation locale. Selon moi, c'est un argument très important parce que partout au Canada on retrouve des minorités anglophones et des minorités francophones. On ne peut pas les laisser tomber parce que le marché privé ne voit pas un intérêt économique d'aller là.

D'un autre côté, il ne faut pas oublier que la mission de CBC/Radio-Canada, mise en place il y a longtemps par le gouvernement fédéral, est très précise, et c'est la promotion de la culture canadienne.

Il faut faire progresser le contenu canadien dans le secteur de développement des films canadiens ou de production canadienne. Selon moi, ce qui est arrivé à la CBC et à Radio-Canada au fil du temps, c'est qu'ils se sont développés selon le même modèle que les autres télédiffuseurs. Ils travaillent pour obtenir une cote d'écoute importante comme Global ou TVA. Ils font concurrence dans le secteur des nouvelles nationales, et cetera. À mon avis, ils ont laissé tomber leur aspect de développement et ont mis de l'avant leurs intérêts locaux ou régionaux. Et ils ont oublié, tranquillement, la mission régionale que leur avait confiée le gouvernement fédéral.

J'aimerais savoir ce que vous pensez des commentaires que je viens de faire? En tant que membres du comité, on doit être en mesure de proposer quelques recommandations à la fin du présent exercice. Et jusqu'à présent, moi-même et plusieurs de nos collègues ont l'impression que Radio-Canada/CBC essaie d'être, comme on dit en anglais : « All things to all people ». Mais, à la fin de l'exercice, il faut choisir notre créneau et travailler fort pour le développer.

Mme Blais : Je vais commencer par la question du créneau, parce qu'un diffuseur public assume une mission particulière. Vous avez parlé des diffuseurs privés qui ne voient pas l'intérêt économique d'aller dans certaines régions. C'est le diffuseur public qui s'en charge. C'est lui aussi qui couvre les régions comportant des minorités linguistiques. Et de la même façon, je pense que le diffuseur public ne devrait pas se cantonner dans une niche très spécifique. Il devrait aussi pouvoir offrir des émissions qui plaisent à un peu tout le monde. Par exemple, une émission de sports qui plairait au sénateur Plett, une émission sur l'économie qui vous plairait et une émission sur les sciences qui plairait à Isabelle. Qui d'autre que Radio-Canada diffuse des émissions sur les sciences? Personne.

En ce qui concerne l'aspect régional, on est préoccupé par le nouveau plan 2015-2020. On a vraiment l'impression qu'on va vider Radio-Canada de sa substance parce que, d'une part, on nous dit on veut être plus régional, mais à moindre coût. Et c'est sûr que des économies peuvent être réalisées grâce à l'automatisation, notamment dans les studios. Mais il y a aussi une limite à ce que la technologie peut nous apporter comme économie. Lorsque vous avez à produire un contenu — et j'ai travaillé longtemps dans une salle de nouvelles —, vous devez réfléchir à ce que vous allez présenter, vous assurer que les faits sont vérifiés, qu'ils sont véridiques; vous devez rencontrer des gens, un peu comme vous le faites ici, pour avoir obtenir divers points de vue. Tout ce travail demande du temps. Donc, si vous demandez à votre journaliste d'être à la fois caméraman, monteur et journaliste, puis d'envoyer son reportage à la station lorsqu'il est à l'extérieur, vous coupez les deux tiers du temps qui lui est alloué pour produire son travail. Donc, notre préoccupation porte vraiment sur cet aspect-là. Oui, on peut économiser une fois que nos objectifs sont clairs — et je pense que la mission de Radio-Canada, comme vous l'avez dit, est très précise et qu'il y a des obligations régionales à remplir —, mais il faut vraiment les remplir. Il ne faut pas faire semblant de les remplir. Il ne faut pas que ce soit un objectif sur papier seulement. Il faut aussi qu'on soit en mesure de constater les faits sur le terrain.

M. Caissie : Radio-Canada est présente dans les régions de l'Atlantique. Mais on ne peut envisager une station privée en français. Ce ne serait pas viable. C'est pour cette raison que Radio-Canada nous tient à cœur.

C'est sûr qu'il y a davantage de couverture dans les grandes villes où il est possible de tirer plus de revenus publicitaires. Si Radio-Canada a moins d'argent ou a besoin d'argent supplémentaire pour sa production ou sa transformation, elle peut se tourner vers les revenus publicitaires. À ce moment-là, elle s'adapte au marché. Donc, il faut aussi tenir compte de ce facteur-là.

Mme Blais : L'autre chose, c'est qu'on ne sait pas exactement quel est le budget de Radio-Canada dans chaque région. Puisque les données sont agglomérées, on ne sait pas quelles sont les dépenses pour chaque région. Pour faire référence à ce que vous disiez plus tôt, à savoir que vous avez l'impression que Radio-Canada fait un peu comme le secteur privé, je pense que cela vient des cotes d'écoute. En fait, des études ont été menées à ce sujet. Le fait que notre diffuseur public doit aller chercher des revenus publicitaires, cela le force à fonctionner comme un diffuseur privé parce que pour vendre sa publicité à un bon prix il doit diffuser des émissions qui vont plaire au plus grand nombre de téléspectateurs. Comme je vous l'ai mentionné tout à l'heure, Radio Canada doit présenter une émission pour le sénateur Plett, une pour vous, et cetera. Tout le monde doit y trouver son compte. Si vous souhaitez offrir une vaste programmation, vous ne pouvez pas présenter seulement des émissions qui ont de fortes cotes d'écoute et qui vont rapporter des revenus publicitaires infinis. Il y a donc des choix à faire. Si on décide d'offrir une vaste programmation comme la loi le prescrit, le gouvernement, à mon avis, a comme responsabilité de financer suffisamment Radio-Canada pour lui permettre de remplir sa mission. J'examinais les données du dernier trimestre, 56 p. 100 du financement provient de l'État. Cela signifie que 44 p. 100 du financement provient des revenus publicitaires. Cela a un impact sur le genre de programmation qu'on diffuse. C'est pour cette raison que Radio-Canada ressemble plus, à la télévision, à un diffuseur privé. À la radio, où il n'y a pas de publicité, c'est très différent.

Le sénateur Housakos : Pouvez-vous nous dresser un portrait de vos employés? De quel secteur ou de quelle entreprise proviennent-ils? Avez-vous des employés qui viennent du secteur privé? Si oui, de quels domaines?

Mme Blais : Tout d'abord, Radio-Canada compte du personnel de bureau, des professionnels, des techniciens et des artisans, soit les maquilleurs, les coiffeurs, les gens qui réalisent les décors, et cetera. Et à l'extérieur de Radio-Canada, on représente des gens à TVA, au Journal de Québec, à RNC Média, qui est un télédiffuseur indépendant affilié à TVA, chez Global à Montréal. Dans le secteur des communications, on représente aussi des gens de la câblodistribution, soit chez Cogeco, Telus et Vidéotron. Comme je l'ai mentionné plus tôt, on a récemment participé à une consultation sur l'avenir de la télévision. Malgré le fait qu'on représente des gens de la câblodistribution, tout le monde était d'accord pour dire qu'il faut absolument qu'on transmette le message que Radio-Canada doit maintenir ses émetteurs. Donc, voilà.

Le sénateur Housakos : Y a-t-il une grande différence au niveau des négociations ou des façons de travailler chez Radio-Canada/CBC comparativement aux télédiffuseurs de secteur privé? Aussi, avez-vous une idée — étant donné le poste que vous occupez — du salaire moyen d'un employé de Radio-Canada/CBC en comparaison avec un quelqu'un qui accomplit le même travail à TVA ou à Global?

Mme Blais : Je n'ai pas les chiffres devant moi. De mémoire, la dernière fois que je l'ai vérifié, les salaires étaient assez comparables. Je suis une ancienne employée de TVA. Quand on négociait pour notre syndicat, on était mieux rémunéré qu'à Radio-Canada. En fait, on avait un salaire horaire comparable étant donné qu'à Radio-Canada on travaille plus d'heures. Mais il faudrait que je vérifie à nouveau les dernières données. C'est une information que je peux trouver.

Le sénateur Housakos : Pouvez-vous nous montrer des données ou même un tableau? Ces informations nous seraient fort utiles parce que, jusqu'à présent, on n'a pas été en mesure d'établir une comparaison.

Le président : Si vous aviez ce genre de document, vous pourriez le faire parvenir au greffier qui l'enverrait aux membres du comité. Je pense que ce serait intéressant d'obtenir ces données.

Le sénateur Housakos : Monsieur le président, si vous me le permettez, j'aurais une autre question à poser. Peu importe les critères d'évaluation utilisés, à mon avis, la situation s'est beaucoup améliorée à Radio-Canada contrairement au volet anglophone à la CBC du point de vue des cotes d'écoute et des revenus. Le présent comité perçoit une grande différence au chapitre de la performance. De nombreux témoins ont récemment affirmé qu'il devrait peut-être y avoir à l'avenir deux entreprises séparées et deux budgets séparés. Il faudrait développer deux stratégies : une qui répondrait aux besoins spécifiques des milieux francophones et une autre qui serait axée sur les besoins des régions anglophones. Quel est votre avis à ce sujet?

M. Caissie : De plus en plus, on constate qu'à Moncton, les journalistes de la CBC, soit les journalistes anglophones de la station de Moncton, réalisent leur reportage en anglais, mais posent aussi des questions en français ou demandent aux intervenants, dont certains sont bilingues, de répondre en français s'ils le peuvent. Donc nous, on est capable d'utiliser ces reportages pour diffuser des nouvelles en français et en anglais. Les journalistes francophones font la même chose. Ils posent des questions et réalisent toutes leurs entrevues en français, ce qui permet de réaliser des économies. Ensuite, ils posent des questions en anglais. À ce moment-là, les reportages peuvent se faire à Moncton, à Fredericton ou à d'autres endroits. Donc, des économies sont réalisées lorsque deux réseaux travaillent en étroite collaboration. Il y a un grand partage d'informations entre Moncton et Fredericton parce que ce sont toutes deux des capitales. Il y a beaucoup d'échanges. Il y a du file footage, des archives qui sont partagées. Beaucoup d'informations sont mises en commun. Donc, il y a des avantages quand tout le monde fait partie de la même entreprise.

Le président : C'est la première fois qu'on a cette réponse-là. Elle est tout à fait valable en ce qui concerne le fameux mariage CBC/Radio-Canada.

Madame Blais, vous avez parlé à quelques reprises du CRTC, notamment sur le plan juridique et en ce qui concerne les obligations. La Loi sur la radiodiffusion a été adoptée en 1991. Il n'y avait pas Internet, il n'y avait pas de cellulaire, il n'y avait pas de iPad. Comme mon collègue le sénateur Plett le dit parfois : il n'y avait pas de iPad aux Jeux olympiques de Vancouver et quatre ans plus tard, en Russie, les gens ont écouté la majorité de leur programmation sur leur iPad, leur iPhone ou via d'autres technologies. La Loi sur la radiodiffusion ne couvre pas cet aspect-là. Vous avez peut-être raison lorsque vous dites que Radio-Canada a certaines obligations, mais est-ce qu'elles sont réalistes par rapport à l'évolution des technologies?

Mme Blais : En fait, c'est clair qu'il y a une évolution technologique. Lors des dernières audiences sur l'avenir de la télé, tous les diffuseurs affirmaient qu'il y a une évolution vers une diffusion par Internet. Et cet engouement s'explique en raison de la mobilité. Avec un téléphone ou une tablette, peu importe où l'on est, on a accès à la programmation. Cependant, personne ne s'entend sur le rythme auquel ça va se passer. Au cours des dernières années, il y a eu des développements très rapides, mais le taux d'utilisation des technologies — d'après ce qu'on a pu constater — varie beaucoup selon les régions. Par exemple, si vous habitez une région où le signal Internet large bande n'est pas encore disponible — parce que ça existe encore au Canada — vous n'allez pas utiliser ces technologies-là. Et la loi fait quand même preuve d'une certaine souplesse. Le CRTC émet une ordonnance d'exemption sur les services de programmation par contournement. Ainsi, toute la programmation qu'on reçoit, soit par Internet, Netflix, Dailymotion ou tout autre site, offre une programmation de ce type-là — Tou.tv, aussi, fait partie de ce genre de service. Ces entreprises bénéficient d'une exemption, qui ne les oblige pas à demander de licence pour exploiter. Et dans le cadre de cette ordonnance-là, le CRTC peut — je pense que c'est l'article 9.4 — ajouter des conditions. En ce qui concerne Radio-Canada, la loi mérite peut-être d'être modifiée, mais je n'ai pas de position à vous donner là-dessus aujourd'hui.

On a quand même tenu compte de cela dans le dernier renouvellement. Radio-Canada a expliqué son plan de 2010-2015, qui préconisait à l'époque qu'elle soit plus régionale, plus distinctive et plus numérique. Le CRTC a tenu compte que Radio-Canada offrait aussi ses services sur d'autres plateformes. Maintenant, il n'y a pas de conditions spécifiques qui ont été ajoutées à cela. À ce moment-ci dans notre réflexion, on se rend compte que le plan de 2015-2020 arrive à grands pas. Je ne sais pas si je peux déposer un petit document, qui est un tableau de Radio-Canada indiquant les changements que Radio-Canada veut effectuer entre 2014 et 2020. Je pense que ce document va un peu nourrir la discussion.

Le président : Pouvez-vous le déposer?

Mme Blais : oui.

Le président : Lorsque le sénateur Housakos a parlé des budgets régionaux, vous avez répondu : « On ne le sait pas. ».

Le manque de transparence à Radio-Canada, de Halifax à Edmonton en passant par Saint-Boniface et Ottawa, est probablement l'une des remarques qui reviennent le plus souvent. Cela est sans doute très intéressant d'avoir ces secrets-là, mais est-ce que la population ne serait pas mieux servie si Radio-Canada, un peu comme le modèle de BBC en Angleterre, faisait preuve de plus de transparence? Si vous allez sur le site Internet de BBC, tous les salaires des employés de BBC sont affichés. Et nous, depuis le début de nos audiences, on se bat pour obtenir des réponses concernant les grilles salariales. On nous a transmis un document de plusieurs milliers de noms, avec aucun ordre alphabétique, dans un format « non-consultable ». Le greffier et l'analyste, après maintes recherches dans la grille, ont enfin trouvé les salaires de Peter Mansbridge et de Céline Galipeau, qui étaient dans la catégorie de 80 000 $.

Le président ne se fâche pas souvent. Vous n'avez qu'à demander à mes deux collègues conservateurs, qui m'accusent de temps en temps d'être un ami de Radio-Canada. Et je plaide coupable. Mais je suis terriblement insulté que la direction de Radio-Canada nous remette un document aussi insignifiant. Je le répète encore aujourd'hui. Et cela se voit quand je suis fâché.

Plusieurs mois plus tard, on a fini par être dans la bonne direction à la suite de nos demandes. Au lieu de nous répondre, étant donné qu'ils ne sont pas forts sur la transparence — d'où viendra ma prochaine question —, ils ont fini par nous m'envoyer une lettre un jeudi dans laquelle on disait : « Monsieur Dawson, depuis lundi, on publie sur notre site Internet la grille des salaires des employés les mieux rémunérés, soit le personnel qui touche 100 000 $ puis 150 000 $, et cetera. » C'est très respectueux de nous dire d'aller voir sur Internet au lieu de répondre à notre lettre, mais c'est tout le volet « transparence » qui pose problème.

Lorsqu'on vous pose la question sur les salaires, vous êtes en mesure de déposer un document qui compare les salaires entre les employés de TVA et de Radio-Canada. Quand on pose la question sur les salaires de Radio-Canada, on n'est jamais capable d'obtenir ces informations-là. Sur le plan de la transparence, en général, et en particulier dans votre cas quand vous faites référence aux régions, ne trouvez-vous pas qu'il serait plus rentable pour Radio-Canada de collaborer avec les comités, avec le CRTC et avec le public en général pour leur donner les comparables au niveau financier?

Mme Blais : Bien, c'est sûr qu'il y a une certaine transparence qu'on constate aussi, puis je pense qu'Isabelle pourrait vous en parler, notamment au niveau des compressions de personnel. Vous avez eu des problèmes à obtenir des listes utilisables et tout ça, mais même à l'interne, c'est compliqué.

Mme Doyon : Premièrement, je dois avouer qu'ils sont beaucoup plus transparents qu'ils l'étaient auparavant. Cela fait quand même huit ans que je suis à Radio-Canada et j'ai pu constater une évolution. Ce n'est pas parfait, c'est un peu long, mais minimalement les choses progressent.

En ce qui a trait aux salaires, les grilles salariales de tous les syndicats sont disponibles publiquement. Si vous souhaitez qu'on vous les fournisse, cela nous fera plaisir. Le document comporte une page.

Pour ce qui est de l'aspect de la transparence, ma collègue disait que nous, en tant que représentants syndicaux, on a beaucoup de difficulté à savoir, par exemple, le nombre de postes qui seront abolis de façon officielle. Quand il y a plus de 50 postes en moins dans un établissement, il faut que la ministre envoie un avis pour le mentionner. On n'obtient jamais les faits véridiques. Je vous donne un exemple très simple. Cette année, on s'était fait annoncer qu'environ 32 postes seraient abolis. Vous comprenez qu'ils prennent le terme « 32 postes équivalents temps plein », ce qui ne représente pas le nombre de personnes, parce qu'on a des employés à temps partiel. Mais il reste que, depuis décembre 2013 — évidemment, j'inclus les départs à la retraite — on a perdu 94 postes. Donc, vous comprendrez que la différence est notable. C'est du simple au triple. Donc, nous aussi, on a un peu de difficulté avec la transparence à ce niveau-là. Là on parle du point de vue des relations de travail. En ce qui concerne le point de vue des citoyens, je comprends aussi. Lorsqu'on tente d'obtenir de l'information sur les conseils d'administration de Radio-Canada en consultant leur site, il n'y a rien dans les dossiers, à part les grands titres. Donc, je vous comprends très bien de ce côté-là.

[Traduction]

Le sénateur Plett : Le sénateur Dawson a mentionné l'iPad et l'évolution technologique. Vous lui avez en quelque sorte répondu qu'il est difficile pour un caméraman d'assumer les fonctions d'un journaliste et ainsi de suite. Il faut des personnes différentes. Loin de moi l'idée de faire de la récupération en parlant des événements terribles et horrifiants survenus hier à Ottawa, mais les images les plus explicites de la situation ont été saisies au moyen d'un téléphone. C'est un journaliste qui a filmé la fusillade dans l'édifice du Centre, et il l'a fait avec son téléphone. Étant donné l'évolution technologique et le fait qu'un téléphone cellulaire permet aujourd'hui de saisir des images d'une netteté saisissante, pourquoi un journaliste ne pourrait-il pas être son propre caméraman et tout prendre en main? Il n'est plus nécessaire d'employer une grosse caméra pour filmer des images très nettes. C'est de plus en plus facile.

[Français]

Mme Blais : Vous parlez sûrement des images du Globe and Mail, du journaliste du Globe and Mail qui était à l'intérieur?

[Traduction]

Le sénateur Plett : Oui, Josh Wingrove, du Globe and Mail.

[Français]

Mme Blais : Notre position, c'est que lorsqu'un événement imprévu survient, si le journaliste peut prendre des images ou une photo, tant mieux. Mais s'il le fait au quotidien, cela vient gruger du temps qu'il consacre pour réaliser son reportage. Personne n'aime se faire mal citer par un journaliste ou voir une nouvelle incomplète. Donc, notre position, c'est qu'un journaliste devrait faire le travail pour lequel il est embauché, soit de couvrir la nouvelle d'abord, et si effectivement, pour des raisons X, Y, Z, il peut prendre des images dans un événement imprévu, tant mieux. Mais il n'y a rien comme d'avoir un spécialiste de l'image qui peut vous appuyer pour bien tourner aussi les images pertinentes par rapport à votre sujet. J'ai déjà vu des journalistes tourner des images qui n'étaient pas toujours pertinentes par rapport à leur sujet ou des plans qui n'étaient pas intéressants à regarder.

Le président : Madame Doyon, madame Blais et monsieur Caissie, je tiens à vous remercier de votre présentation. Comme je vous l'ai dit, une audience un peu moins grande de sénateurs, mais les transcriptions sont faites, les documents, les recommandations vont être faites non pas juste pour ceux qui étaient présents, mais aussi ceux qui liront les recommandations et les débats. On apprécie votre présence. Et je pense que cela justifie le fait qu'on vienne en région rencontrer des gens qui nous donnent des opinions très différentes.

Monsieur Caissie, j'aurais eu d'autres questions concernant les émetteurs et la grandeur de vos bureaux à Moncton parce que votre directeur est venu à Halifax nous dire qu'il trouvait que c'était une bonne idée.

[Traduction]

Monsieur Gignac — je l'ai mentionné un peu plus tôt, mais vous n'étiez pas là —, vous comprendrez que, compte tenu de ce qui est survenu hier, les membres du comité n'ont pas tous pu être parmi nous. À vrai dire, les membres lisent la transcription des témoignages, puis formulent des recommandations en fonction de l'information fournie au comité. Nous vous remercions de votre présence.

Vous avez déjà eu le plaisir, Jean-Sébastien, de témoigner au Comité des langues officielles, mais c'est le nôtre qui s'occupe de ce qui concerne CBC/Radio-Canada. L'étude porte sur le passé et le présent de la société d'État, mais surtout sur les moyens de l'adapter à un milieu en pleine évolution technologique et peut-être même législative.

Je sais que vous devez faire une présentation un peu plus tard, alors je vous invite de ce pas à prononcer votre déclaration préliminaire.

Jean-Sébastien Gignac, directeur général, Voice of English-speaking Québec : Parfait. Merci beaucoup.

Monsieur le sénateur Dawson, membres du Comité sénatorial permanent des transports et des communications, bonjour. Je m'appelle Jean-Sébastien Gignac et je suis le directeur général de Voice of English-speaking Québec, ou VEQ, un organisme au service de la minorité anglophone de la grande région de Québec. VEQ représente une communauté d'environ 14 500 personnes, soit un peu moins de 2 p. 100 de la population régionale.

Fait intéressant, selon le dernier recensement de Statistique Canada, notre population serait en hausse plutôt qu'en déclin, une première en plus de 150 ans. La situation est principalement attribuable à la capacité d'accueillir et d'intégrer les anglophones qui s'installent dans la région.

VEQ collabore de près avec plus de 70 groupes des deux communautés linguistiques de la région. Nous sommes fiers de compter plus de 2 300 membres. En tant que groupe-cadre au service d'une communauté en situation minoritaire à Québec, VEQ propose des services variés à divers segments de la communauté, notamment les nouveaux arrivants, les personnes âgées, les chercheurs d'emploi et les employeurs. Chaque année, nos services de qualité aident plus de 400 anglophones nouvellement venus dans la région à s'y intégrer. Nous aidons des centaines de personnes âgées à rester actives et autonomes afin qu'elles puissent continuer aussi longtemps que possible à vieillir chez elles. Nous aidons des dizaines de chômeurs à trouver un emploi valorisant ici même, à Québec, ou à y fonder leur propre entreprise, et nous organisons des activités variées qui attirent des milliers de participants chaque année.

Tous ces efforts visent bien sûr à préserver le dynamisme de la communauté minoritaire de langue anglaise de Québec, mais toujours à l'appui de la majorité de langue française. C'est le pourquoi de tout ce que nous accomplissons.

Il importe de préciser que la communauté anglophone du Québec n'est pas que le prolongement de la majorité anglophone canadienne dans son ensemble. En fait, il faudrait plutôt parler « des » communautés anglophones du Québec. En effet, même si les communautés anglophones des quatre coins de la province sont parfois aux prises avec les mêmes problèmes, comme un taux de chômage supérieur à celui de la majorité, le vieillissement ou l'exode des jeunes, elles sont très différentes les unes des autres. Divers facteurs expliquent cette situation, par exemple selon qu'on se trouve en milieu urbain plutôt que rural, ou qu'on cherche ou non à attirer de nouveaux venus et à les intégrer. Cela peut aussi dépendre de la composition démographique du bassin d'anglophones. Quoi qu'il en soit, ce sont autant de communautés aux particularités propres. L'essor démographique d'une petite communauté telle que celle de Québec repose sur l'intégration des nouveaux venus. Il est essentiel de pouvoir compter sur la présence de médias forts qui reflètent concrètement notre identité.

Je ne saurais surestimer l'importance de la radio anglaise de Radio-Canada, CBC Radio, pour notre communauté. En plus de couvrir les dossiers qui nous concernent directement, elle traite des événements qui se déroulent dans notre milieu, discute des enjeux qui tiennent à cœur à nos membres et, par sa couverture, nous aide à mobiliser la communauté entière relativement aux dossiers majeurs.

Le sénateur Dawson l'a dit : dans moins d'une heure et demie, je m'exprimerai à l'Assemblée nationale, auprès du gouvernement du Québec, dans l'important dossier de la réforme de la santé. CBC Radio a joué un rôle névralgique à ce sujet. Elle nous a aidés à mobiliser la communauté et à la sensibiliser aux éventuelles conséquences de la réforme pour ses membres.

Bien sûr, à l'instar des anglophones du reste du pays, ceux de la région ont accès, grâce à la télévision et à Internet, à des centaines, voire à des milliers de sources d'information en anglais. Cependant, il ne faut jamais oublier qu'une seule d'entre elles accorde véritablement la priorité à la couverture locale de notre communauté : CBC Radio. À notre avis, il est donc absolument fondamental que la radio anglaise et que le réseau anglais de Radio-Canada en général demeurent une force vive pour notre communauté.

Les anglophones de Québec ne sont pas comme ceux du reste du pays, où ils sont en situation majoritaire. Je l'ai déjà dit et je n'ai sans doute pas besoin de vous convaincre, mais la réalité d'un anglophone de Montréal n'est pas la même que celle d'un anglophone de la Gaspésie, de Thetford Mines ou de Québec. La CBC Radio a su s'adapter à cette réalité. Elle propose à nos membres une couverture qui reflète fidèlement l'unicité de notre communauté. C'est très important.

Par ailleurs, nous sommes convaincus que, sur le plan télévisuel, la société d'État pourrait mieux faire à ce chapitre. Bien qu'elle demeure une source d'information cruciale et viable dans les dossiers d'envergure nationale ou internationale, elle perd de sa pertinence pour nos membres au chapitre de la couverture régionale. Nous savons qu'elle dispose de ressources limitées et nous avons conscience que nous formons une petite communauté. Néanmoins, nous croyons qu'elle peut mieux faire.

Dans l'ensemble, nous espérons de tout cœur que la société d'État continuera à assurer à notre communauté une couverture qui reflète réellement notre identité, les enjeux auxquels nous sommes confrontés et le contexte dans lequel nous évoluons.

Je vous suis immensément reconnaissant de m'avoir donné l'occasion de témoigner devant le comité. Je vous remercie de m'avoir consacré du temps.

Le président : Merci beaucoup.

Ann Marie Laughrea Powell, présidente, Corporation de développement de la communauté d'expression anglaise de Mégantic : Messieurs les sénateurs Dawson et Housakos ainsi que tous les autres membres du Comité des transports et des communications, bonjour et bienvenue à Québec.

Je m'appelle Ann Marie Laughrea Powell. J'habite à Sainte-Agathe-de-Lotbinière, un village à vocation essentiellement agricole situé sur la Rive-Sud du Saint-Laurent, entre Québec et Thetford Mines. Je suis présidente de la Corporation de développement de la communauté d'expression anglaise de Mégantic, communément appelée MCDC, un organisme sans but lucratif qui sert les 3 800 Canadiens qui composent la communauté anglophone de la région Chaudière-Appalaches ainsi que de la sous-région d'Arthabaska et de l'Érable, ce qui englobe essentiellement Drummondville et Plessisville en allant vers Montréal. Nous proposons des activités communautaires, un accès à des services sociaux et de santé ainsi que des services destinés aux jeunes et aux personnes âgées. Je vous remercie de me donner l'occasion de faire valoir l'importance de CBC/Radio-Canada, en particulier la radio anglaise, dans la transmission d'information régionale aux anglophones de la région.

La MCDC a vu le jour en 2000. Étant donné l'exode des jeunes, le vieillissement de la population et la fermeture des mines d'amiante, la population d'expression anglaise de la région a gravement chuté. En conséquence, les dirigeants et bénévoles de la communauté ont senti le besoin de créer un groupe communautaire pour offrir des services et redynamiser la communauté anglophone.

Avant la fondation de la MCDC, Voice of English-Speaking Québec et l'Association Townshippers faisaient de leur mieux pour offrir des services dans notre région, mais les budgets n'étaient évidemment pas infinis, ce qui limitait l'offre de services. Nous avons donc mis sur pied notre propre organisme.

Seule la CBC diffuse des émissions de radio en anglais dans la région. Notre communauté a besoin d'un signal radio clair. Pas plus tard qu'hier, j'ai eu à me rendre à Saint-Georges-de-Beauce, et le signal était très mauvais. Dans les régions rurales, c'est pourtant quelque chose d'essentiel.

Notre région rurale n'est pas à proximité de la frontière avec les États-Unis, pas plus que de l'Ontario ou d'une grande ville. La CBC est notre unique source de communications en anglais. Comme l'a dit Jean-Sébastien, nous sommes une communauté d'expression anglaise en situation minoritaire. Comme la population anglophone de la région Chaudière-Appalaches et d'Arthabaska-L'Érable ne représente que 1 p. 100 de la population entière, il n'y a presque pas de services et de documents d'information en anglais, à l'exception de ceux de la MCDC. Il est très rare ne serait-ce que de trouver un journal en anglais. Notre réalité, c'est celle d'une minorité d'expression anglaise au sein d'une majorité d'expression française.

Comme l'a aussi dit Jean-Sébastien, nous avons accès à la vaste programmation en anglais provenant du reste du Canada et des États-Unis, c'est vrai, sauf qu'elle ne reflète pas notre réalité propre. Elle ne nous apprend rien sur nous ni sur notre identité.

Notre seule source d'information régionale dans notre langue, c'est la station CBC Radio de Québec. Nous n'avons pas de chaîne locale de télévision ni de journal local en anglais. En plus de jouer un rôle vital sur le plan de l'information régionale, la station de Québec permet aux groupes et organismes communautaires de faire des annonces publiques pour joindre directement leur auditoire cible. C'est la seule source d'information en anglais, aussi bien en cas de situation d'urgence qu'en ce qui concerne la santé publique. Notre communauté doit continuer d'avoir accès à cette unique source d'information en anglais.

Quel que soit leur âge, les membres de la communauté aiment écouter la radio, aussi bien à la maison que dans leur voiture ou même à bord de leur tracteur. Il serait utile d'offrir davantage de programmation locale. La station CBC Radio de Québec soutient systématiquement notre communauté. Même lorsqu'elle n'a pas les moyens financiers de venir faire des entrevues sur le terrain, elle est toujours prête à faire passer quelque chose sur les ondes ou à mener une entrevue téléphonique. Cependant, elle ne dispose pas d'un budget et de ressources suffisants pour améliorer les services au chapitre de la programmation régionale.

Je vous remercie de m'avoir permis de m'exprimer ce matin. Il faut maintenir un service de radiodiffusion régional qui reflète notre réalité en tant que minorité de langue officielle en situation minoritaire. J'espère que le message portera.

Le président : Merci beaucoup, madame Powell.

Le sénateur Plett : J'ai quelques questions. Tout d'abord, Jean-Sébastien, avez-vous bien dit que vous servez 14 000 personnes? Ai-je bien compris?

M. Gignac : Oui, 14 500.

Le sénateur Plett : Et vous dites que votre communauté en compte 3 800?

Mme Powell : Oui.

Le sénateur Plett : Je crois avoir entendu ce matin le chiffre de 140 000 personnes servies dans...

Le président : Toute la province : l'Estrie, la Gaspésie...

Le sénateur Housakos : À l'extérieur de Montréal.

Le sénateur Plett : Oui.

Le sénateur Housakos : Ils ont ensuite dit qu'il y en a 14 500 dans la région de Québec.

Le sénateur Plett : D'accord. Ces anglophones, pour la majorité, s'expriment-ils également en français ou sont-ils unilingues?

Mme Powell : Dans notre région, les personnes que nous servons, surtout celles qui sont âgées, s'expriment principalement en anglais. Elles peuvent éventuellement avoir une conversation en français, mais je ne dirais pas qu'elles écoutent des émissions en français. Elles écoutent strictement la radio anglaise de Radio-Canada.

M. Gignac : Dans ma communauté, la situation est grosso modo la même, bien sûr, pour la population âgée et les nouveaux arrivants. Prenons les 2 000 personnes qui se sont jointes à nous depuis quatre ans : certaines d'entre elles n'ont que des rudiments de français et poursuivent leur apprentissage. Je dirais que le reste de la population comprend assez bien le français et peut le parler au quotidien. Cela nous ramène évidemment au problème de la représentation de notre communauté au sein des médias de langue française : il n'y en a pas. CBC Radio demeure donc la principale source d'information.

Le sénateur Plett : C'est l'objet de ma prochaine question. Vous voulez que l'information concernant les enjeux touchant Québec et ses environs soit diffusée en anglais, c'est votre plus grande préoccupation, n'est-ce pas? Ce qui vous préoccupe, ce n'est pas que les enjeux auxquels Québec est confrontée diffèrent des autres villes, vous voulez que l'information soit diffusée en anglais.

M. Gignac : Oui et non. Parfois, les enjeux sont différents. Voilà pourquoi il est important d'avoir des médias intéressés à couvrir les enjeux touchant la communauté anglophone. Je vais vous donner un exemple. Lorsque les médias francophones couvrent un enjeu touchant la communauté anglophone, c'est généralement parce qu'il s'agit d'une situation problématique ou d'une confrontation entre les deux communautés. Par contre, les médias anglophones couvrent ce que nous faisons, pas seulement nos défis, mais également nos succès. Ces derniers nous aident à promouvoir notre identité et certaines de nos initiatives. Cela nous aide à attirer plus de nouveaux arrivants à Québec et, à long terme, cela nous aide à devenir un atout encore plus précieux, non seulement pour les membres de notre communauté, mais pour la majorité francophone. Nous contribuons à la prospérité économique de cette région grâce à notre travail d'intégration des nouveaux arrivants.

Je le répète, lorsqu'on travaille dans une dynamique comme la nôtre, avec une petite communauté, il faut utiliser tous les outils à sa disposition pour recruter des nouveaux arrivants. J'ajouterais que tous les outils sont importants, qu'il s'agisse des établissements de santé, des institutions sociales ou de la source d'information médiatique qui reflète notre identité en tant que communauté.

Le sénateur Plett : Nous avons visité le studio de CBC/Radio-Canada plus tôt ce matin et avons constaté qu'il y a une très bonne collaboration entre les secteurs francophone et anglophone. Ils collaborent bien et on nous a expliqué ce que le secteur anglophone fait. Dans votre témoignage — et corrigez-moi si je me trompe —, vous n'avez pas dit que vous êtes mécontent de ce qui se fait actuellement, mais plutôt que vous voulez maintenir les acquis. Vous ai-je bien compris? Dans l'ensemble, êtes-vous content de ce que fait le réseau anglais de CBC/Radio-Canada?

Mme Powell : Je dirais oui, mais nous espérons plus de programmation locale sur notre culture et notre identité. Dans les petites communautés, la radio joue un rôle important. Elle contribue à la vitalité de la communauté et à son bien-être. Il est très difficile pour quelqu'un qui ne parle ou ne comprend pas bien le français d'écouter la radio francophone. Prenons par exemple les événements survenus hier à Ottawa. Bien sûr, si vous avez une télévision, vous pouvez l'allumer et voir ce qui se passe, mais vous vous fiez à la radio pour comprendre l'information correctement. Je pense donc que nous insistons sur la programmation locale. La plupart des émissions sont diffusées de Toronto; il y a donc très peu de place pour la programmation locale.

M. Gignac : Comme je l'ai déjà dit, nous comprenons que nous sommes dans un contexte où l'augmentation du financement n'est pas à l'ordre du jour des gouvernements. Nous en sommes conscients. Cela apporte toutefois de l'eau à notre moulin : nous devons maintenir les services actuels. La radio du réseau anglophone de CBC/Radio-Canada est un outil essentiel à la viabilité de nos communautés et à notre capacité d'attirer plus de gens dans notre communauté et de nous identifier à elle.

Pour en revenir à votre question, il ne fait aucun doute que nous sommes très contents des services que nous fournit la radio anglophone de CBC/Radio-Canada. Bien sûr, nous espérons que ces services seront maintenus. Comme je l'ai mentionné, le réseau télévisuel anglais de CBC/Radio-Canada pourrait nous offrir un peu plus de services. Là encore, nous comprenons que les ressources ne seront pas doublées dans les prochaines années. Nous comprenons les problèmes. Au minimum, nous nous attendons à ce que les services actuels soient maintenus.

Le sénateur Plett : Madame Powell, dans votre réponse à ma dernière question, vous avez parlé de Toronto. C'est une référence que nous avons entendue très souvent, mais vous n'en avez pas parlé dans votre présentation.

Mme Powell : Oui.

Le sénateur Plett : Avez-vous l'impression que tout est contrôlé par Toronto ou Montréal?

M. Gignac : Dans notre cas, même si nous sommes totalement convaincus que les gestionnaires de CBC/Radio-Canada à Québec comprennent notre communauté, nous ne sommes pas convaincus que c'est le cas de ceux qui gèrent le réseau de télévision anglophone de CBC/Radio-Canada à Toronto. Je doute qu'ils comprennent que les anglophones du Québec ne sont pas simplement un prolongement de la population anglophone du reste du Canada. Je doute qu'ils comprennent cette réalité. Je ne les blâme pas. Nous n'avons peut-être pas assez bien présenté notre communauté, notre réalité ou le fait qu'être anglophone au Québec est une tout autre paire de manches qu'être anglophone ailleurs au Canada.

Le sénateur Plett : Je pense, comme nous l'avons dit, que le réseau anglophone de CBC/Radio-Canada dessert 140 000 personnes à l'extérieur de Montréal. Vous desservez des communautés de 14 000 personnes, de 3 800 personnes. Combien d'autres communautés anglophones de 3 800 ou de 1 000 personnes y a-t-il? Évidemment, le budget est limité. Peu importe comment on le divise. De combien de communautés la radio anglophone de CBC/Radio-Canada doit-elle couvrir les enjeux locaux et combien de communautés doit-elle desservir?

M. Gignac : Il y a des petites communautés dans presque toutes les régions de la province. Comme je l'ai déjà dit, étant donné qu'il s'agit d'une grande province et que de grandes distances séparent les communautés, nous comprenons que c'est un défi pour CBC/Radio-Canada d'essayer de refléter la réalité de toutes ces régions. Il y a probablement entre huit et dix communautés éparpillées dans la province. Cela dépend bien sûr comment vous divisez la province. Je crois savoir que vous entendrez les témoignages des municipalités dans quelques semaines. Il y a des communautés sur la côte de Gaspé, sur la Basse-Côte-Nord ainsi qu'en Abitibi.

Mme Powell : Il y a des enjeux propres à chaque communauté.

M. Gignac : Il existe plusieurs moyens d'être créatif et de desservir plus d'une communauté à la fois. En survolant les programmes diffusés sur la radio de CBC, j'ai vu que certains sont diffusés de Sherbrooke et d'autres de Québec. Les gens des deux communautés se reconnaissent dans la réalité l'une de l'autre, en raison de la dynamique. Je pense qu'il existe des façons de desservir plus d'une communauté, en gardant à l'esprit qu'il est important de bien investir l'argent des contribuables.

Le sénateur Plett : Merci.

Le sénateur Housakos : Bienvenue à notre comité. Il est intéressant d'écouter vos points de vue. D'un point de vue montréalais, je pourrais, je pense, être mis dans la catégorie des anglophones. On m'a mis dans la catégorie des allophones. On me met dans toutes sortes de catégories, mais je suis curieux : parmi les quelque 15 000 anglophones de Québec, combien d'enfants fréquentent une école anglaise? En ce qui concerne la croissance de la population anglophone, quel pourcentage est attribuable à l'immigration? Quel pourcentage est attribuable au baby-boom, si je puis le qualifier ainsi, dans la communauté anglophone?

M. Gignac : Il est difficile de répondre à votre première question, car beaucoup d'anglophones envoient leurs enfants dans une école anglaise, mais la commission scolaire responsable de nos deux régions couvre en fait 40 p. 100 de la province. Des écoles partout au Québec, de Chibougamau jusqu'à Trois-Rivières, relèvent de cette commission. Il est donc difficile d'extraire ces...

Le sénateur Housakos : Ces commissions scolaires ont-elles enregistré une augmentation du nombre d'élèves?

M. Gignac : Les commissions scolaires n'ont pas enregistré une augmentation aussi importante que nous, car, à Québec, l'augmentation est en grande partie attribuable aux immigrants ou aux immigrants canadiens, et ces derniers n'ont évidemment pas accès aux écoles anglaises. En outre, certains membres de notre communauté choisissent d'envoyer leurs enfants dans des écoles primaires françaises, puis de les envoyer dans une école secondaire anglaise. Il existe plusieurs options.

Cependant, je le répète, à Québec, la croissance résulte principalement de l'établissement d'immigrants et d'immigrants canadiens. En outre, notre communauté est intégrée sans être assimilée. Les membres de notre communauté ont des enfants. Les données ressemblent beaucoup à celles de la majorité francophone dans la région, mais cela fait également partie de la dynamique.

Mme Powell : Sur la Rive-Sud où nous habitons, beaucoup de parents enverraient leurs enfants à l'école anglaise, mais c'est le transport qui pose problème. Mes enfants ont fréquenté l'école anglaise et nous sommes les tuteurs légaux de nos deux petits-enfants. Ashley va maintenant à l'école à Thetford Mines. L'année dernière, pour la maternelle, l'autobus venait la chercher à 6 h 9 le matin et ne la ramenait qu'à 17 heures. Les heures de transport ont maintenant changé pour aller à Thetford Mines. Elle part à 6 h 42 et revient environ à la même heure. Le temps de transport en autobus est très long. Voilà pourquoi beaucoup de parents n'envoient pas leurs enfants à l'école anglaise.

Le sénateur Housakos : Quel âge a Ashley?

Mme Powell : Ella a 10 ans, mais elle a commencé la maternelle en arrivant à Québec.

Le sénateur Housakos : Quels programmes — autres que la radio de CBC dont le contenu ne l'intéresserait probablement pas — Ashley regarderait ou écouterait-elle en anglais?

Mme Powell : Nous sommes probablement une famille unique à Québec. Je suis originaire de Boston. Nous parlons anglais à la maison. Mes enfants sont pas mal bilingues. Elle regarde Disney Channel. Nous avons une antenne parabolique. Elle regarde des programmes pour enfants en anglais.

Le sénateur Housakos : Jean-Sébastien, outre CBC, quelles autres chaînes les anglophones de Québec regardent-ils? Sur quelle chaîne regardent-ils la diffusion des matchs de football de la LCF? Sur quelles chaînes regarderaient-ils leurs émissions préférées?

M. Gignac : Que ce soit CBC ou d'autres chaînes, la réalité des gens qui vivent dans des communautés minoritaires diffère de celle des anglophones ou des allophones de Montréal. À mon avis, les gens regarderaient n'importe quelle émission qui reflète leur identité et la réalité de leur région de résidence. Par exemple, il n'existe actuellement aucune émission de ce genre pour Québec sur CBC. Il est difficile d'émettre des hypothèses, mais je peux vous garantir que si CBC diffusait une émission qui parle des initiatives et des enjeux locaux, les gens la regarderaient.

Je le répète, je comprends que les coûts de production sont élevés pour la télévision, mais, dans les petites communautés, les gens se soucient beaucoup de leur communauté. C'est une réalité. Ils font davantage de bénévolat. Ils participent plus souvent aux événements communautaires que les membres de la communauté majoritaire, parce qu'ils se soucient de leur communauté et ont un sentiment d'appartenance. Ce serait la même chose pour toute émission d'information. À mon avis, ils la regarderaient plus assidûment — même si, au début, ils ne manifestaient pas beaucoup d'intérêt — parce qu'ils auraient l'impression qu'ils doivent l'appuyer, qu'elle est importante pour eux et qu'elle reflète leur identité.

Le sénateur Housakos : Il existe certainement une demande pour ce que vous demandez, à savoir la desserte et la prestation d'information pertinente à un groupe de langue minoritaire dans une province à majorité francophone. Bien sûr, vous n'êtes pas les seuls dans cette situation. Si vous allez à Saint-Boniface et parlez aux groupes francophones minoritaires, ils vous diront que Radio-Canada est la seule qui diffuse des émissions en français et que sans elle, ils n'auraient rien du tout. Comme je l'ai répété, tout est axé sur le marché. Nous vivons dans le monde de l'offre et de la demande, et vice-versa. Le problème — auquel nous devons remédier, en tant que gouvernement, et dont la direction de CBC/Radio-Canada doit tenir compte, dans sa stratégie —, c'est que même si l'offre et la demande existent, les ressources pour répondre à ce besoin sont limitées.

M. Gignac : Oui.

Le sénateur Housakos : Voici donc ma question : selon vous, quels genres de modèles, permettant d'atténuer ce très épineux problème, devrions-nous mettre dans notre rapport? Plus de 1,1 milliard de dollars de l'argent des contribuables est alloué à cette société d'État. Au fil des ans, son budget a été raisonnablement réduit, en raison de la loi du marché. Elle doit composer avec les compressions et essaie de répondre aux priorités de tout le monde.

En terminant, j'aimerais savoir si vous seriez favorable à un système d'abonnement ou à une chaîne ciblée de CBC à Québec pour laquelle il faudrait payer un tarif mensuel? Selon vous, serait-ce une bonne solution? Bien sûr, il faudrait qu'elle soit, dans une certaine mesure, subventionnée par le gouvernement, mais je doute que — à l'heure actuelle, quel que soit le parti politique au pouvoir — le gouvernement ait l'intention d'augmenter le financement alloué à CBC/Radio-Canada de 20, 30, 40 ou 50 p. 100.

M. Gignac : Premièrement, comme je l'ai déjà dit, il faut maintenir les services actuels. Nous comprenons la loi de l'offre et de la demande, mais il faut se rappeler que notre pays s'est donné pour objectif et a la responsabilité de desservir les deux communautés linguistiques. Cela a un coût. Nous le comprenons. Toutefois, si nous voulons maintenir les communautés anglophones dans la province, il faut investir. Il faut faire des efforts. Je suis convaincu que la même réalité s'applique aux minorités francophones partout au Canada.

Les gens seraient-ils contents de devoir payer pour obtenir les mêmes services que d'autres Canadiens obtiennent gratuitement? Probablement pas. Je le répète, c'est une question que le gouvernement doit se poser : est-il toujours important pour nous de maintenir les communautés minoritaires partout au pays et les minorités anglophones partout au Québec? Si la réponse est oui, cela a un coût qui dépasse la loi de l'offre et de la demande.

Le président : Je viens de cette communauté et j'ai pu envoyer mes enfants dans une école anglophone. Je suis très heureux que les témoins expliquent la situation aux membres du comité, car, pour moi, ce sujet n'a presque plus de secrets. Souvent, je me vante d'avoir été le premier, lorsque j'étais député, à subventionner l'organisme Voice of English-speaking Québec au moyen d'un programme de Patrimoine Canada.

M. Gignac : Oui.

Le président : Cela fait donc longtemps que je m'engage envers cette communauté.

Cela dit, CBC/Radio-Canada a très bien expliqué les services qu'elle fournit à la communauté et comment elle collabore avec cette dernière.

Ce matin, j'ai notamment posé une question concernant le projet pilote de CBC/Radio-Canada dans le 450, sur la Rive-Sud de Montréal. La communauté a accès au site web. Dans son cas, ce n'est pas un problème linguistique, mais un problème géographique. Lui serait-il possible d'offrir un quelconque service, par le biais de la nouvelle technologie — que ce soit Facebook, Twitter ou le site web anglophone de CBC/Radio-Canada —, aux anglophones de Québec et de l'extérieur de Montréal, lequel pourrait vous intéresser et qui coûterait moins cher que les transmetteurs?

Mme Powell : Cela pourrait être intéressant. Comme je l'ai déjà dit, je parle probablement beaucoup, par le biais de notre organisme, de nos aînés. Ces derniers n'ont pas d'ordinateur. Certains d'entre eux en ont un, mais pas tous. Dans une présentation sur l'avenir, j'ai appris que les choses seront différentes d'ici 2020. Oui, tout le monde, y compris mon enfant, a un téléphone intelligent. Les gens ont un iPad. Vous êtes connectés à la technologie. Par contre, dans notre région, la radio est le seul média auquel bon nombre d'aînés ont accès. Ils n'ont pas la télévision par satellite. Ils captent les chaînes au moyen d'antennes. Seule une partie des Canadiens est connectée au câble. C'est une possibilité intéressante, mais je pense que, comme nous l'avons dit, il resterait des régions ou des communautés qui n'y auraient pas accès.

M. Gignac : Dans notre cas, lorsqu'on travaille pour une communauté minoritaire de la province, si on veut survivre, il est essentiel d'évoluer et de s'adapter. Nous serions donc ouverts à d'autres options, comme celle-ci, à condition qu'elles ne nuisent pas à la qualité des services offerts à notre communauté.

Je ne connais pas le modèle montréalais, et je m'en excuse, mais cela semble être une option potentiellement intéressante pour nous.

Le sénateur Plett : Ma question ressemble plus à un commentaire.

Je suis originaire du Manitoba où il y a une grande communauté francophone en situation minoritaire. Nous avons entendu, à maintes reprises, que les services doivent être fournis en français aux petites communautés francophones partout au pays. Je ne cesse d'entendre l'argument selon lequel il faut leur fournir les services dans leur langue. Il y a deux langues officielles dans notre pays et je voulais simplement profiter de l'occasion pour vous remercier de vous battre pour la minorité anglophone.

M. Gignac : Merci.

Le sénateur Plett : Je pense que c'est important et on n'en entend pas parler. J'entends souvent que Québec n'est pas une ville bilingue, qu'elle est unilingue français. Je vous remercie de mener cette bataille et je vous souhaite du succès dans la poursuite de vos projets.

M. Gignac : Merci.

Mme Powell : Merci.

Le sénateur Housakos : J'aimerais faire un commentaire et poser une question. J'ai entendu votre réponse à ma dernière question. Vous avez dit que les groupes minoritaires n'accepteraient peut-être pas de payer des frais additionnels pour un service que les autres Canadiens obtiennent gratuitement. N'oublions pas qu'aucun Canadien n'obtient gratuitement les services fournis par CBC/Radio-Canada.

M. Gignac : Non, bien sûr.

Le sénateur Housakos : Nous payons tous pour ce service et nous le payons cher.

M. Gignac : J'aurais dû dire « frais additionnels ».

Le sénateur Housakos : Je tiens également à souligner que c'est là que le gouvernement doit, à mon avis, jouer un rôle et combler les lacunes que le secteur privé ne veut pas combler.

Je vais réorienter ma question. J'aime être innovant et je pense qu'il est important que CBC/Radio-Canada — pour moi c'est une seule entité — trouve une façon de mieux servir les communautés partout au pays. À mon avis, CBC/Radio-Canada devrait avoir pour mandat de se concentrer sur la promotion et l'encouragement des créations culturelles canadiennes, car si elle ne le fait pas, le réseau Global ou TVA ne le fera pas, car cela ne lui rapporte pas d'argent.

J'ai une idée et j'aimerais avoir vos commentaires. Ne convenez-vous pas que, dans la région de Québec, par exemple, Radio-Canada ne devrait pas se voir uniquement comme une chaîne pour les Canadiens francophones, mais comme une chaîne qui reflète l'image de sa communauté, y compris les 15 000 anglophones, et que CBC ne devrait pas être une entité distincte? Dans le même ordre d'idées, à Saint-Boniface, CBC ne devrait pas considérer les services fournis à la communauté francophone comme un petit service annexe de quelques heures d'émission francophone par semaine diffusées à partir d'un petit studio dans ce coin de la ville. Il est peut-être temps que l'on modifie le mandat de CBC/Radio-Canada, afin d'en faire une société parfaitement bilingue, de sorte que la chaîne francophone locale de Radio-Canada diffuse quelques reportages en anglais, et que tous les studios de CBC/Radio-Canada diffusent des reportages dans les deux langues. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.

Mme Powell : Ce serait merveilleux si cela arrivait, mais la réalité au Québec — et je n'étais même pas ici dans les années 1970 — c'est que vivre en anglais est un défi de tous les instants.

Le sénateur Housakos : Je vis à Montréal. Je sais exactement de quoi vous parlez. Cela pourrait être une bonne chose pour les francophones d'entendre un peu d'anglais et inversement pour les anglophones d'entendre un peu de français.

Mme Powell : Ce serait merveilleux si cela arrivait.

M. Gignac : Je suis d'accord. Certainement, un des efforts que des organismes comme le mien doivent faire, c'est de communiquer davantage avec les médias francophones et d'essayer de les inciter à faire des reportages sur notre communauté et nos activités, afin qu'ils ne parlent pas seulement des problèmes que pose une réforme donnée, de l'impact des modifications proposées à la Charte de la langue française ou d'autres situations de ce genre. Je suis tout à fait d'accord.

La réalité, c'est que nous représentons 2 p. 100 de la population du Québec. Par définition, les médias accordent la priorité aux nouvelles qui attireront le plus d'attention. C'est la réalité dans laquelle nous vivons. Je le répète, si Radio-Canada acceptait de couvrir davantage de nouvelles communautaires, nous accepterions de participer à n'importe laquelle de ses émissions, à n'importe quelle heure du jour, n'importe quel jour de la semaine.

Mme Powell : Je pense vraiment que nous sommes invisibles pour Radio-Canada. Bien sûr, comme Jean-Sébastien l'a dit, nos organismes devraient peut-être insister davantage. C'est certainement une bonne idée.

Le sénateur Housakos : Merci.

Le président : Merci beaucoup. J'espère que vous aurez un bon public et beaucoup de soutien lors de votre prochaine réunion.

Mme Powell : Merci.

M. Gignac : Merci beaucoup de nous avoir donné l'occasion de témoigner.

[Français]

Le président : Bonjour, je suis Dennis Dawson. Je suis le président du Comité des transports et des communications du Sénat. Nous continuons aujourd'hui notre étude sur les défis que doit relever la Société Radio-Canada en matière d'évolution du milieu de la radiodiffusion et des communications.

Nous avons comme témoins, de la Confédération des syndicats nationaux, M. Jean Lortie, secrétaire général; M. François Enault, adjoint au comité exécutif; et M. Pierre Roger, président de la Fédération nationale des communications.

Messieurs, la parole est à vous pour une déclaration d'ouverture et, ensuite, les sénateurs vont être appelés à vous poser des questions.

Monsieur Lortie, voulez-vous commencer?

Jean Lortie, secrétaire général, Confédération des syndicats nationaux : Oui.

Le président : À vous la parole.

M. Lortie : Bon après-midi et merci au Comité sénatorial des transports de nous recevoir comme Confédération des syndicats nationaux. Je suis accompagné, à ma gauche, de Pierre Roger, président de la Fédération nationale des communications de la CSN, qui représente, entre autres, plus de 6 000 salariés du monde des communications, dont 1 500 de Radio-Canada au Québec et au Nouveau-Brunswick; à ma droite, François Enault, adjoint au comité exécutif de la Confédération des syndicats nationaux.

Alors, on remercie le comité de nous recevoir afin que nous puissions nous prononcer sur les enjeux liés à Radio-Canada. Je vais présenter, particulièrement, les questions liées aux régions.

Pour la Confédération des syndicats nationaux, qui est une organisation syndicale fondée en 1921, la présence de Radio-Canada/CBC à travers le Canada — et je vous dirais, par expérience aussi, que nous représentons des milliers d'agents correctionnels fédéraux à travers le Canada, de Grande Cache, en Alberta, jusqu'à la frontière de la Nouvelle-Écosse —, est importante pour nous.

D'abord, je parlerai de la qualité du produit. Lorsque — et je peux en témoigner dans plusieurs de mes interventions publiques — Radio-Canada/CBC est présente dans la région, cela force les autres diffuseurs privés à avoir des standards de qualité aussi bons que la CBC pour la crédibilité de leurs propres messages. Ils sont des diffuseurs ou des radiodiffuseurs privés, ils sont des entreprises à profit, donc, évidemment, le standard de la qualité du produit journalistique, de la qualité de l'information doit être respecté, si Radio-Canada/CBC est présente.

L'autre élément qui est important également, c'est la diversité de l'information dans les régions. D'abord, pour les populations francophones du Canada, mais également pour les populations anglophones minoritaires, ici, au Québec, la qualité et la diversité de l'information, qui provient des réseaux privés ou publics, sont importantes; Radio-Canada/CBC fait un travail extraordinaire en étant présente dans les régions et doit être encore beaucoup plus présente, même si, depuis de nombreuses années, on a fermé des stations à travers le Canada, des stations régionales. À notre avis, il faut renforcer l'identité des régions.

La présence de Radio-Canada/CBC en région va également permettre une pluralité des voix dans la région, autant pour les organisations de la société civile que pour les entreprises, les communautés, les édiles municipaux ou régionaux. Le fait d'avoir un radiodiffuseur national public dans la région permet, premièrement, d'être connu, permet à la région de connaître les enjeux auxquels elle est confrontée et permet aux autres régions du Canada, lorsque des dossiers ont une emprise nationale — pensons à l'industrie de la pêche au Canada, à la sécurité publique, à la question de l'assurance emploi, à tous ces enjeux dits nationaux —, de devenir un miroir pour l'ensemble de la population canadienne. D'autre part, elles peuvent aussi être une fenêtre sur ce qui se passe au Canada.

Évidemment, pour nous, à la Confédération des syndicats nationaux, la question de la présence de Radio-Canada/CBC est une question qui débute par un financement pérenne adéquat. On constate, depuis quelques années, que près d'un demi-milliard de dollars a été retranché des finances du radiodiffuseur national et public, ce qui a eu des impacts importants sur la qualité dans les régions du Canada. Or, cela porte une entrave à la démocratie canadienne puisque, évidemment, moins de ressources sont accordées à des contenus, à des analyses, et à la diffusion, ce qui fait en sorte que l'espace est de plus en plus occupé par des diffuseurs privés et que notre radiodiffuseur national ne peut pas être présent.

Pour nous, la question du financement est importante. Nous nous trouvons dans le processus d'un plan quinquennal qui nous inquiète. La Confédération des syndicats nationaux a pu, au cours des derniers mois, commenter publiquement l'ensemble des annonces qui ont été faites par la direction de Radio-Canada/CBC sur ce plan quinquennal. À la base, il y a un problème de financement. On ne peut pas développer un radiodiffuseur national et public n'y respecter la mission fondamentale qui a été à la base de sa création dans les années 1930 si on ne lui donne pas un financement qui le met à l'abri des humeurs politiques du moment et de la concurrence de l'entreprise privée. Ce n'est pas une entreprise privée que Radio-Canada/CBC. Nous croyons fondamentalement que, si on veut développer un produit en région, à travers le pays, dans toutes les provinces et tous les territoires, il faut que le radiodiffuseur national ait les ressources nécessaires pour le faire, pour développer sur la longue portée des contenus et poursuivre et maintenir sa crédibilité pour les auditeurs à travers le pays, dans les deux langues officielles.

Alors, pour l'instant, je terminerais mes commentaires en disant que, pour nous, la question du financement est intimement liée au développement du produit Radio-Canada/CBC dans les régions. Dans le monde des communications — cela peut paraître comme un lieu commun, mais, dans le monde des télécommunications qui est en profond bouleversement —, investir dans les technologies, investir dans les artisans qui sont les employés de Radio-Canada et investir sur la moyenne durée dans un produit canadien dans la région, qui reflète la réalité multiple de ce pays, est une valeur sûre pour l'ensemble des citoyennes et des citoyens de ce pays.

Je vous remercie encore de nous avoir reçus cet après-midi.

Le président : Est-ce que vos collègues ont quelque chose à rajouter?

Pierre Roger, président, Fédération nationale des communications : Non, on va répondre aux questions par la suite.

François Enault, adjoint au comité exécutif, Confédération des syndicats nationaux : On va répondre aux questions.

[Traduction]

Le sénateur Plett : Merci, messieurs, de votre présence. Ma première question ne concerne pas nécessairement CBC. Vous avez dit, je pense, que M. Roger est le président du syndicat du Québec et du Nouveau-Brunswick. Pourquoi le Québec et le Nouveau-Brunswick? Pourquoi pas l'ensemble du Canada atlantique et le Québec?

M. Roger : Oui, mais en fait, la façon dont le syndicat — comment dire?

[Français]

Je vais le dire en français, ça va peut-être être plus simple. C'est que la façon dont les unités syndicales ont été regroupées, ça s'est fait par territoire et, le Québec, nous représentons les gens qui travaillent à Radio-Canada en langue anglaise et française, et en langue française à Moncton. Pour le reste du Canada, les travailleurs et travailleuses de Radio-Canada/CBC sont représentés par le même syndicat, qui est la Guilde canadienne des médias.

[Traduction]

Le sénateur Plett : Comment les services de CBC/Radio-Canada au public, pas aux employés... Je me préoccupe du public et nous devrions tous nous en préoccuper. Honnêtement, je veux que vous gagniez tous bien votre vie, mais ce n'est pas cela qui me préoccupe. Ce qui me préoccupe, c'est la qualité des services offerts au public.

J'ai une question concernant les compressions d'un demi-milliard de dollars au cours des dernières années que vous avez mentionnées. Outre qu'elles ont entraîné le congédiement d'un millier d'employés, quels services ont été touchés par ces compressions?

Nous arrivons de la Nouvelle-Écosse. Nous sommes allés dans l'Ouest. Nous sommes allés dans ma province, le Manitoba, et en Alberta. Nous sommes allés à Yellowknife. Hier, à Halifax, j'ai dit que j'ai une meilleure impression des services offerts par CBC lorsqu'on m'a demandé si mon impression avait changé au cours de nos audiences. La plupart des gens de CBC auxquels j'ai parlé m'ont dit qu'ils ont subi des compressions, mais qu'ils ont improvisé, se sont adaptés aux nouvelles technologies et ont pris des mesures, et que la qualité des services ne s'est pas vraiment détériorée.

Outre le fait que vous n'avez plus autant de syndiqués à représenter, donnez-moi des exemples d'auditeurs ou de téléspectateurs ayant constaté une diminution des services.

[Français]

M. Lortie : Je vais débuter en l'illustrant particulièrement, ici, au Québec, et à Moncton. Dans les régions, il y a beaucoup moins de salles de presse, beaucoup moins de journalistes qui sont présents; compte tenu des coupures, plus de 11 stations ont été fermées, il y a moins de journalistes sur le terrain, évidemment, pour aller enquêter ou faire des reportages sur des situations qui se passent dans la région. Concrètement, il y a moins de monde affecté à ce qui se passe dans la région. Les bulletins de nouvelles régionaux sont beaucoup plus petits, et il y a réduction des émissions d'ordre régional.

Évidemment, ça affecte quotidiennement les gens. On l'a vu à Sept-Îles, à Baie-Comeau, dans le Bas-Saint-Laurent, partout, l'impact de la réduction des services s'est fait sentir sur la qualité du produit d'information pour les régions.

On dépend de plus en plus des médias nationaux pour prendre le relais, on dépend de plus en plus des bulletins de nouvelles des grands centres, Québec, Montréal ou Toronto ou Moncton, parce qu'il y a moins de monde sur le terrain. Nous sommes de moins en moins outillés, parce qu'on n'investit pas là; on investit dans les grands centres. Pierre va compléter la réponse.

M. Roger : Il y a, effectivement, un volet très important, c'est celui de la question technologique. Radio-Canada, comme les autres diffuseurs, qu'ils soient privés ou non, entre autres, fait face à un grand bouleversement actuellement. C'est qu'on est en transformation. Radio-Canada était et est toujours un diffuseur traditionnel sur la radio, la télévision. Il a su, au fil des ans, développer aussi une expertise et développer des plateformes Internet. Maintenant, il doit se déployer aussi sur les téléphones mobiles, sur les tablettes. Alors, il faut des investissements pour pouvoir être présent, parce que le public, lui, se déplace sur ces nouvelles plateformes. Il faut donc qu'on soit capable d'aller rejoindre ce public-là et, évidemment, il faut des ressources pour le faire. On ne peut pas uniquement compter sur les budgets actuels de Radio-Canada pour faire ce genre de développement.

Ce qui a toujours fait le succès de Radio-Canada, c'est une programmation qui est très riche, que ce soit au niveau du divertissement, mais aussi, principalement, au niveau de l'information. Radio-Canada a un rôle très particulier à jouer dans le domaine de l'information. C'est un peu — Jean le disait, tantôt, d'entrée de jeu — l'espèce de phare qui éclaire les autres médias, une espèce de standard au niveau de l'information et même de la qualité de la programmation. Les autres diffuseurs regardent beaucoup Radio-Canada pour dire : « Il faut qu'on ait ce standard-là. »

Alors, pour conserver ce standard, en termes de qualité, surtout au niveau de l'information, pour bien éclairer les gens en termes d'information, il faut avoir les moyens, les ressources, et Radio-Canada joue un rôle primordial dans la démocratie canadienne afin de bien informer le public.

J'évoque simplement, lorsqu'il y a une campagne électorale, à quel point les gens, principalement dans les régions, sont à l'écoute de leur radio, de leur télévision pour entendre les différents candidats proposer leur programme, expliquer à la population ce qu'ils font, ce qu'ils ont fait quand ils étaient au pouvoir.

Alors, c'est important. Il y a un rôle de communication très important dans les régions, dans les grands centres aussi, mais dans les régions, que Radio-Canada joue. On sent que c'est très apprécié; vous avez dû constater sûrement lors de vos tournées dans ces régions-là à quel point les populations locales sont vraiment liées à Radio-Canada.

M. Enault : J'ai peut-être un autre exemple que vous m'avez demandé, monsieur le sénateur. J'étais, il y a trois semaines, avec Alex Levasseur, le président sortant du Syndicat local sortant de Radio-Canada, et il donnait comme exemple les camions satellites. Lorsque Radio-Canada/CBC a pris la décision de sortir certains camions satellites en région au Québec, il est clair qu'un mois plus tard, trois semaines plus tard, TVA retirait également son camion satellite.

Donc, pour continuer, en ce qui a trait aux standards dont Pierre et Jean parlaient, automatiquement, lorsque vous baissez certains standards, il est clair que la concurrence les enlève. Ainsi, ces communautés-là n'ont plus les mêmes services qu'elles avaient avant. Donc, il y a un standard créé par Radio-Canada. C'est un exemple concret d'une situation qui s'est produite au Québec.

[Traduction]

Le sénateur Plett : Vous avez parlé des élections. Je vais vous poser une question concernant les scrutins. Cela fait 50 ans que je m'implique dans les élections. Au cours des 50 dernières années, le taux de participation n'a cessé de diminuer. Au cours de ces 50 ans, j'ai pu suivre les soirées électorales. Combien de gens portent attention aux débats dans les régions? Bien sûr, je veux avoir l'information et je veux suivre les résultats de mon candidat le soir des élections. Si je ne m'implique pas dans les élections, je veux savoir comment les autres candidats s'en tirent. Toutefois, nous n'avons pas besoin de toutes ces ressources. Une équipe nationale peut s'en occuper. Nous n'avons pas besoin de toutes les ressources actuelles.

Vous avez parlé des camions satellites et de la norme établie par CBC. Hier est survenu l'un des incidents les plus horribles de l'histoire de notre pays. Cette semaine, le terrorisme a fait son entrée dans notre pays de façon insidieuse. Nous avons tous regardé, à la télévision, les événements survenus dans le Hall d'honneur, filmés au moyen d'un téléphone cellulaire. Un journaliste du réseau Globe a filmé la vidéo avec son téléphone cellulaire. La vidéo a une bonne résolution et est très claire. C'était comme si la vidéo avait été filmée au moyen d'une caméra de télévision. Bien sûr, le journaliste a dû se cacher un peu, parce qu'il ne voulait pas être dans la ligne de tir et empêcher les policiers de faire leur travail, mais l'image est claire.

Je me demande donc s'il faut établir une norme de qualité si élevée qu'on ne peut pas s'y conformer avec d'autres services. Il y a eu tellement de progrès technologiques.

Il y a deux semaines, lors d'audiences à Ottawa, un de mes collègues a donné l'exemple des entrevues télévisées qu'il avait faites dans le studio de CBC/Radio-Canada et de certains de vos concurrents. En fait, CBC/Radio-Canada est la Cadillac des studios de télévision et c'est peut-être ce que nous voulons. J'ai fait des entrevues de télévision dans ces studios. Quand on arrive, une réceptionniste nous ouvre la porte, une autre personne nous apporte du café, puis deux ou trois personnes s'occupent du maquillage. Chez le diffuseur privé, on nous fait entrer, puis on doit se servir soi-même une tasse de café en passant si on en veut une. Ensuite, on nous fait patienter dans une petite pièce et, si on a de la chance, on a droit à un peu de maquillage, mais il se peut également qu'on nous dise que notre visage est assez rouge comme ça et qu'on ne se donnera pas la peine de nous maquiller. Tous ces services coûtent beaucoup d'argent. Est-il vraiment nécessaire d'avoir tous ces services?

CBC/Radio-Canada a fait de l'excellent travail lors des derniers Jeux olympiques. Je tiens à féliciter et à complimenter toutes les personnes de leur travail durant ces Jeux olympiques. Cependant, quatre ans plus tôt, lors des Jeux olympiques de Vancouver, les iPad n'existaient pas. La technologie a évolué. Pour rendre compte de la plupart des événements qui surviennent aujourd'hui, nous n'avons pas besoin de camions satellites. Nous n'avons pas besoin de toutes les équipes de télévision. N'êtes-vous pas d'accord que certaines compressions sont justifiées?

J'ai posé une question au sujet des services. Lorsque je demande aux citoyens s'ils ont constaté une diminution des services à CBC/Radio-Canada — et je tiens à vous féliciter, vous trois qui y travaillez — j'ai l'impression que la société maintient un bon niveau de services. Les contribuables que nous représentons ne constatent donc pas une diminution des services. Comment expliquez-vous que, même si vous dites que la qualité des services diminue, les contribuables ne sont pas d'avis que les services diminuent?

Je sais, c'était une très longue question, mais une question néanmoins.

[Français]

M. Roger : Merci, sénateur Plett. Il y a plusieurs aspects à votre question. Tout d'abord, je reprends les événements qui se sont produits hier soir. Vous avez raison, effectivement, un journaliste avait capté des images d'une partie de l'événement avec son téléphone portable, laquelle a été reprise souvent par les chaînes de télévision. Cependant, le plus important dans les événements qui se sont produits hier, ce n'est pas uniquement les images, parce que ce sont des éléments factuels. Il faut aussi avoir des gens qui sont capables d'en faire l'analyse, de faire une présentation pour le public, les téléspectateurs canadiens afin qu'ils comprennent l'événement, ce qui a pu se produire, et quels peuvent être les impacts de tout ça.

Présenter les faits, c'est une chose, mais il faut être capable de les analyser. Or, il faut des ressources pour le faire et de la technologie, parce que, vous l'avez dit vous-même, ça avait été très bien présenté à la télévision hier.

Oui, il y avait peut-être les images prises avec l'appareil cellulaire, mais au-delà de cela, il faut une immense machine technologique pour nous rapporter ce qu'on a pu voir, et ce, aussi rapidement et en très peu de temps. Dans le cas de l'événement qui s'est produit hier, immédiatement les grands réseaux de télévision et Radio-Canada ont fait un travail absolument extraordinaire afin de pouvoir rapidement se retourner et analyser, faire venir des experts pour commenter l'événement.

Sur le plan technique, encore une fois, oui, il est vrai que nous sommes rendus à l'ère du téléphone portable et de la tablette, mais il y a un problème dans les régions et, de cela, j'aimerais bien qu'on soit conscient. Le CRTC en est conscient, et s'il y a une recommandation qui doit émaner parmi plusieurs de ce comité, ici, c'est peut-être de rappeler au CRTC ou à Industrie Canada qu'on devrait trouver le moyen au Canada de rendre accessibles Internet et la bande passante dans les régions, parce qu'il est difficile dans les régions éloignées pour les gens d'avoir accès à ces nouvelles technologies qu'on considère plus souples, plus légères, moins coûteuses. Cependant, ces gens-là n'y ont pas accès dans les régions.

Je veux bien que Radio-Canada utilise ces équipements-là qui sont légers, mais il faut aussi que les gens puissent y avoir accès dans les régions. C'est l'un des problèmes que nous avons au Canada, parce que nous avons un très grand pays. C'est fantastique, mais ça nous cause des problèmes sur le plan technologique, à certains niveaux.

[Traduction]

Le sénateur Plett : M. Lortie, dans votre discours d'ouverture, vous avez dit que les compressions entravent la démocratie. Premièrement, comme je l'ai répété à maintes reprises, le gouvernement n'a pas d'argent. Il administre l'argent des contribuables et il doit le faire de manière responsable. Comment les compressions entravent-elles la démocratie? Avez-vous fait des sondages qui montrent que les contribuables désapprouvent les compressions et qu'ils sont mécontents des services? Existe-t-il des résultats de sondage corroboratifs? La seule façon d'entraver la démocratie, c'est en allant à l'encontre de la volonté des électeurs.

[Français]

M. Lortie : D'abord, il y a plusieurs remarques que je vais faire. C'est d'abord un choix politique de priorités; on peut faire tous les choix qu'on veut, c'est une question de priorités.

Je regarde la crise économique de 2008. Préalablement à cette crise-là, tous les gouvernements occidentaux n'avaient jamais d'argent, les contribuables ne voulaient pas payer plus et, soudainement, à l'automne 2008, pour sauver les banques du monde entier, c'est au moyen de centaines et centaines de milliards et milliers de milliards de dollars qu'on a sauvé le système bancaire planétaire.

Alors, je veux bien croire que les contribuables n'ont pas été consultés pour sauver les banques, mais on l'a fait, parce que c'était une priorité nationale et internationale. Tous les pays se sont mis à l'œuvre et ça a permis de voir que les gouvernements font les choix qu'ils doivent faire, et établissent les priorités de la façon dont ils vont utiliser l'argent des contribuables.

C'est un choix d'avoir un diffuseur public au Canada. On peut décider de ne se baser que sur Québecor, Sun Media et les autres médias privés. Nous considérons, comme organisation, parce que nous ne représentons pas seulement les employés de Radio-Canada; nous représentons plus de 325 000 membres à travers le pays, que la démocratie canadienne a besoin d'avoir un radiodiffuseur public qui est à l'abri des monopoles, des conjonctures politiques qui appartiennent à des actionnaires qui ont un message à passer, et je l'illustrerais par l'exemple des élections en région. Si vous n'avez pas les ressources financières comme candidate ou candidat ou comme organisation de la société civile pour faire entendre votre voix, parce que le média privé a décidé qu'il ne vous donnait pas accès à cette voie privée, cela pose une question sur la pluralité des voies dans ce pays.

Ce qui fait la force du Canada, c'est la diversité des informations, des points de vue, et le rassemblement de tout ça fait cette société canadienne qui est une société ouverte et démocratique.

Si vous demandiez à n'importe quel contribuable ce matin : « Voulez-vous payer des impôts? », personne ne veut payer des impôts. Cependant, tout le monde veut avoir un système de santé public, personne ne veut toucher à la Loi sur la santé du Canada, personne ne veut toucher au financement des écoles, des universités à travers le Canada, mais personne ne veut payer d'impôts.

Il y a un moment où on doit se poser la question : voulons-nous, comme société, faire le choix d'avoir ce radiodiffuseur public national payé par les impôts des citoyennes et des citoyens pour assurer, disons, un morceau de plus dans l'édifice démocratique canadien? C'est un choix. On peut ne pas être d'accord, c'est tout à fait souhaitable ou valable, c'est un choix que les individus peuvent avoir. Nous considérons, nous, que ce radiodiffuseur national public permet d'avoir une vision.

Hier, on parlait des événements, hier soir ce qui était intéressant, c'est d'écouter la CBC ou RDI et d'avoir l'analyse, l'analyse de ce qui s'était passé au Parlement fédéral, d'avoir un regard critique, sans publicité, sans aucune ligne éditoriale parce que les actionnaires souhaitent ou ne souhaitent pas, le problème de la concentration des médias privés est un enjeu de taille ici au Canada. D'avoir un radiodiffuseur, c'est qu'on peut avoir confiance, parce que les enjeux ou ce qui est attaché c'est qu'il a la mission d'être le radiodiffuseur national et public.

On a des problèmes sur l'accès, on en parlait, mais dans les régions, c'est encore plus présent. Vous le voyez moins à Toronto ou à Montréal ou même à Winnipeg, mais vous le voyez quand vous êtes dans des villes comme Chicoutimi, Saguenay ou Gaspé. Il y a un problème, une crise dans l'industrie de la pêche, alors, quand les journalistes de Radio-Canada enquêtent sur cette industrie de la pêche qui est en crise, ils mettent des standards. Le benchmark est une qualité de l'information et c'est CBC/Radio-Canada qui le fait; les autres médias suivent.

Et ce n'est pas une question d'avoir une Cadillac, c'est d'avoir une qualité de l'information, de prendre le temps et d'avoir les ressources pour le faire, c'est le message qu'on vous passe, monsieur.

[Traduction]

Le sénateur Plett : Je comprends et je reconnais parfaitement votre besoin de représenter vos 325 000 membres. Toutefois, vous répétez que les contribuables n'ont pas eu de choix lorsque les gouvernements ont décidé de faire ce qu'ils ont fait durant la crise financière. En fait, depuis la Confédération, il y a eu deux gouvernements, deux partis, au pouvoir. Ce sont ces derniers qui ont procédé aux compressions à CBC/Radio-Canada. Les prédécesseurs, les libéraux, ont retranché environ 400 millions de dollars au budget de CBC/Radio-Canada et l'actuel gouvernement environ 115 millions de dollars.

En fait, les compressions se sont faites démocratiquement, car il y a des élections tous les quatre ans, ou parfois plus souvent, et les contribuables ainsi que les électeurs décident si le gouvernement au pouvoir a dépensé leur argent judicieusement. Je m'implique dans la politique et les élections depuis que j'ai 15 ans et le financement de CBC/Radio-Canada n'a jamais été une question inscrite sur le bulletin de vote. Je doute qu'un gouvernement ait été élu ou chassé du pouvoir en raison du budget de CBC/Radio-Canada, qu'il l'ait augmenté ou diminué. Cela n'a jamais été une question inscrite sur le bulletin de vote. Dans l'ensemble, beaucoup de choses, y compris l'économie, ont des répercussions sur le fonctionnement de la société d'État.

Par conséquent, je ne suis pas d'accord lorsque vous dites qu'on ne consulte pas les contribuables. Nous consulterons les contribuables le 19 octobre 2015 et ils nous diront si nous avons ou non fait du bon travail. Je suis convaincu qu'ils diront que nous avons fait du bon travail. C'est une déclaration politique, alors j'en resterai là.

Le président : La présidence a été très généreuse, parce que vous avez accepté de rester, à notre demande.

Le sénateur Plett : Je vous en remercie.

Le sénateur Plett : Je vais conclure. Ma dernière question concerne la transparence. Notre président a écrit des lettres pour demander de l'information au président de CBC/Radio-Canada et à d'autres concernant les échelles salariales et d'autres points. J'aimerais connaître votre avis au sujet du niveau de transparence dont CBC/Radio-Canada devrait faire preuve. Comme d'autres, nous comparons parfois la société d'État à la BBC. Si vous travailliez à la BBC, je pourrais trouver votre salaire et celui du président sur le site web. À votre avis, devrait-on être en mesure de connaître votre salaire, à vous trois, et celui d'Hubert Lacroix?

[Français]

M. Lortie : C'est loin du débat sur la mission de Radio-Canada/CBC en région.

Le président : Mais, en général, la question concernant la gouvernance à Radio-Canada, c'est quelque chose qui revient depuis le début.

M. Lortie : Absolument, et on peut y répondre.

Le président : J'ai donné l'exemple, ce matin que, avec beaucoup de force et d'insistance, nous avons reçu, il y a quelques mois, une liste de 1 500 employés de Radio-Canada dans un ordre alphabétique numérique qui n'était basé sur rien, dans laquelle la SRC prétendait répondre à notre demande pour savoir combien les gens étaient payés. Nous voulions ce tableau, qui était un document en format « non-consultable » — il n'était pas dans un format Excel ou autre —, pour connaître le salaire de Céline Galipeau, pour connaître l'échelle des salaires des grands du réseau de Radio-Canada francophone et de la CBC.

On arrive à la conclusion, en voyant ce document, que Peter Mansbridge gagne 88 000 $. Tout le monde sait que ce n'est pas vrai. Ne m'insultez pas, comme membre du Sénat, comme président d'un comité, en me donnant de l'information qui est fausse.

Mais c'est la culture radio-canadienne et, après quelques mois d'insistance, on a fini par l'obtenir, parce que la transparence est importante dans ce sens-là. Si on ne peut pas analyser, nous, comme comité sénatorial, la façon dont Radio-Canada dépense son argent, on veut bien vous dire qu'on veut aider les régions, mais on ne sait pas s'ils abusent; quand il y a des coupures, on ne sait pas, malheureusement, où sont les coupures. Est-ce qu'elles sont à Moncton ou à la maison mère, à Toronto et à Montréal?

En région, il est important qu'on le sache. Vous pouvez peut-être penser que ça n'affecte pas la mission et que ce n'est pas à l'ordre du jour. Cependant, je vous dis que, compte tenu de la nature des coupures actuelles, nous voudrions savoir si les régions sont maltraitées. Nous pensons que vous pouvez peut-être nous aider en nous disant si, dans la notion de la transparence, vous avez l'impression que les régions sont moins bien traitées que le centre.

[Traduction]

Le sénateur Plett : Monsieur le président, la réponse, j'en suis certain, figurera dans le compte rendu, alors je vous prie de bien vouloir m'excuser.

Le président : D'accord.

Le sénateur Plett : Merci beaucoup.

Le président : Je tiens à vous remercier, au nom du comité, d'être resté, compte tenu des circonstances.

Merci beaucoup, sénateur Plett. Bon voyage.

[Français]

M. Lortie : On va y aller en deux temps, Pierre va répondre en partie à la question. Sur la question de la gouvernance, les gens qui sont sur la ligne de front, ceux qui sont dans les régions à faire des salles de nouvelles, ils paient le prix des coupures, soyons clairs. La CSN ne peut pas être plus claire; ceux qui subissent les coupures sont dans les régions, les journalistes, les techniciens, les gens qui sont sur la ligne de front. En termes d'équipement, de qualité d'équipement, de qualité des salles de nouvelles, ce sont eux qui sont sur la ligne de front. Alors, je veux être bien clair.

Sur la question de la gouvernance, il y a des questions importantes. Pas plus tard que jeudi dernier, nous étions par pur hasard au déjeuner-causerie de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain où le président, Hubert Lacroix, faisait une présentation sur le plan quinquennal de Radio-Canada. Je dois vous avouer, nous trois, nous étions là, on était estomaqué de la qualité de cette présentation-là sur cette transparence.

On fait une opération magique de dire qu'en 2020, Radio-Canada sera ceci et cela, la CBC sera ceci et cela, comme s'il n'y avait aucun artisan, mais on annonce qu'on liquide les actifs, on liquide les immobilisations. Il y a un problème, un problème important de transparence de ce côté-là, en ce qui concerne le coût pour atteindre l'objectif du président Lacroix.

Sur cette première partie, il n'y a aucun doute pour nous, il y a des difficultés de ce côté-là. Pour la question des salaires ou des questions d'intendance, Pierre va pouvoir vous répondre un peu plus.

M. Roger : Je pense comprendre certaines de vos préoccupations, sénateur Dawson. Effectivement, j'ose espérer que face au comité, Radio-Canada puisse avoir plus de transparence, mais il faut comprendre qu'il y a une nature publique aussi à votre consultation, mais il aurait pu y avoir à tout le moins dépôt de documents peut-être de façon confidentielle sur certains salaires. Il faut comprendre que dans le secteur de la télévision ou des médias il y a une très grande compétition.

Qu'on prenne un animateur comme Patrice Roy, qui anime à 18 heures le journal francophone très important à Radio-Canada, il a un compétiteur sur une autre grande chaîne québécoise à TVA. Vous comprendrez que chacun offre des conditions salariales pour maintenir son animateur vedette en place et on ne veut pas que le compétiteur vienne le chercher. Et si Radio-Canada n'est pas capable d'offrir une certaine compétition sur le plan salarial, il va perdre ses meilleurs journalistes, ses meilleurs animateurs comme tels.

Cela fait partie du système de rémunération de cette industrie qui est très particulière au niveau de ce que j'appellerais un certain type de vedettariat, ce qui n'est pas nécessairement le cas pour le journaliste qu'on appelle sur le terrain. Mais les journalistes animateurs vedettes ont, par conséquent, un statut particulier sur le plan souvent de la rémunération parce que ça demeure que c'est une bataille de cotes d'écoute aussi.

Et Radio-Canada en est là aussi, parce que, étant donné que son financement diminue d'année en année, se maintient ou même diminue, ça devient difficile de continuer à offrir les mêmes services. Alors, ça fait partie de l'état des lieux dans ce mode des médias.

Le président : On ne veut pas faire une obsession de connaître le salaire exact, on veut avoir, comme dans la majorité des conventions publiques et des corporations traitées à la bourse, une grille qui indique combien gagnent les dirigeants. Cela nous a pris des mois et, finalement, comme vous l'avez vu, on l'a demandé, et il nous l'a dit quand il m'a envoyé une petite lettre pour me dire : « Regardez, maintenant, depuis la semaine passée, on l'a affiché sur Internet. » Il est difficile d'obtenir de l'information de Radio-Canada concernant les opérations. Mais, si je veux connaître le salaire de tous les employés de la BBC, je vais sur son site Internet et je l'ai.

Ils vivent dans un environnement compétitif un peu différent du Canada, du Québec en particulier, et je comprends très bien la nature de la compétitivité, que ce soit Patrice Roy ou Céline Galipeau. Cependant, les contribuables, pour répéter ce que disent mes collègues, savent combien gagne le président de Postes Canada : 134 244 $.

Ils savent ce que je peux gagner comme sénateur, combien gagne un député ou un ministre, mais nous ne pouvons pas obtenir une grille comparable de la SRC. L'une de vos collègues, qui est assise à l'arrière, a dit que la situation s'améliore, que l'on commence à avoir un peu plus d'information de la part de Radio-Canada.

Il aurait été beaucoup plus simple pour nous si cette collaboration avait eu lieu dès le départ. Quand ils nous disent qu'ils vont donner des bonis à leurs employés d'une valeur de 20 à 40 p. 100, on se dit qu'il doit y avoir des critères qui y sont liés, parce que, oui, moi, je suis en faveur des bonis. Cependant, est-ce en fonction de la cote d'écoute ou est-ce — pour reprendre l'une de vos références — en fonction de leur capacité de réduire des dépenses? Est-ce qu'on les récompense parce qu'ils ont coupé des salaires en région?

Si c'est le cas, ils ont le droit de le faire. Encore une fois, je ne nie pas les droits de gérance, mais on pense qu'il doit y avoir une certaine transparence dans ces critères.

On pense aussi que, certainement, au lieu de vous voir comme étant des adversaires sur ce sujet, on devrait au contraire constater que l'on sert les mêmes intérêts.

M. Roger : Je vous rejoins à ce sujet. Je voudrais peut-être nuancer un peu, la tenue de mes propos précédemment. Je vous faisais plus référence peut-être aux animateurs vedettes. Vous avez tout à fait raison en ce qui a trait à la gouvernance même de la haute direction de Radio-Canada, de son conseil d'administration. Il doit y avoir quand même une forme de transparence puisque c'est une société d'État.

Maintenant, j'aimerais revenir sur un point — je vais donner une réponse à une des questions posées précédemment —, sur certains éléments, au sujet des taxes. Qu'est-ce que les contribuables veulent ou ne veulent pas au Canada par rapport à Radio-Canada?

Je ne sais pas sur quelle étude se base le sénateur Plett pour dire que les Canadiens ne veulent plus de Radio-Canada ou qu'ils trouvent que ça coûte trop cher. Il n'a pas dit qu'ils n'en veulent plus, mais peut-être qu'ils trouvent que ça coûte trop cher, soyons modéré.

On a fait faire des études, et je pourrai les déposer, elles ne sont peut-être pas récentes, elles datent de quelques années, dans lesquelles est énoncé combien coûtait Radio-Canada par Canadien et on leur avait même posé la question dans un sondage auprès de 1 000 personnes. C'est quand même un sondage important, les gens étaient prêts à payer 5 $ de plus par année pour le maintien de Radio-Canada. Je ne sais pas ce à quoi il fait référence quand il dit : « Les gens ne veulent plus payer. »

Je pense que, oui, quand on va en élection un parti politique peut bien dire : « Ils étaient contents qu'on ait coupé dans Radio-Canada. » Mais est-ce qu'il y a eu une étude, un sondage, quelque chose qui le dit? J'aimerais avoir des éléments factuels ou allons directement puis faisons comme certains pays, posons des questions lors de l'élection : « Êtes-vous satisfait? Voulez-vous telle chose? »

Je ne sais pas, ce n'est pas dans notre culture au Canada de toute façon ce genre de procédé ou de consultation. Je pense que si on veut changer des choses par rapport à Radio-Canada parce que nous sommes très inquiets. Vous avez vu ce matin, dans Le Devoir, encore une annonce importante de coupures à Radio-Canada, 400 postes, qui devraient avoir lieu dans les prochains jours.

Ils vont être où ces postes-là? On ne le sait pas. Est-ce que ça va être dans les régions encore une fois? Je pense qu'on est en train de faire mourir Radio-Canada à petit feu et, si c'est le cas, pourrait-on au moins le savoir, qu'on nous le dise clairement au lieu de laisser perdurer le problème, ou posons des questions directement à la population canadienne : « En voulez-vous encore de Radio-Canada? »

Il y a un mandat, il y a une loi qui fait que Radio-Canada existe, est en vie, il faut revoir cette loi puis regarder qu'on a le devoir de maintenir Radio-Canada en place. Il y avait certaines raisons pour lesquelles Radio-Canada a été mise en place. Peut-être qu'il faut revoir ces raisons parce que peut-être que ce n'est plus les bonnes raisons. Je pense qu'il faut s'assurer de respecter le mandat de Radio-Canada et actuellement, ça devient de plus en plus difficile avec les budgets qui sont alloués à Radio-Canada.

Le président : Sénateur Housakos, la parole est à vous.

M. Lortie : J'aimerais revenir, si vous permettez, monsieur le président, sur la question de la gouvernance. Poser des questions, c'est votre devoir, comme sénateurs, parce que vous êtes mandatés pour le faire. En ce qui a trait à la gouvernance de Radio-Canada, nous nous posons les mêmes questions sur les enjeux de la direction que prend Radio-Canada/CBC. Ce plan quinquennal ne fait que livrer des coupures de personnel; qu'on ne nous dise pas qu'on coupe dans le gras, qu'on ne nous dise pas que c'est désuet, mais on aimerait savoir ce que l'on veut faire. Où veut-on être dans cinq ans?

Quand on écoutait le président Lacroix la semaine passée, nous n'étions certainement pas rassurés, jamais il n'a parlé de personnes, les artisans qui sont dans la société d'État, jamais il ne les a mentionnés. Il dit : « On vend des meubles, on va vendre des immeubles, on va vendre des équipements, des équipements de technologie pour être là en 2020. »

Alors, quand, en 2017, il n'y aura pas d'argent, il ne pourra pas, c'est une descente infernale. Où seront-ils? On n'est pas capable d'avoir des réponses, sur leur plan d'affaires, s'ils en ont un. Ils peuvent peut-être vous le livrer en comité à huis clos, je ne le sais pas, mais certainement ils ont des réponses à nous donner.

Il est diffuseur public, il a l'obligation d'être sur la patinoire et de faire l'objet d'un examen public par rapport à ce qu'il fait. C'est votre devoir de poser ces questions, et on va vous encourager à le faire. Nous-mêmes, nous posons les mêmes questions.

Sur cette question et sur l'affaiblissement de CBC/Radio-Canada, je reviens, parce qu'on parle des régions; pour nous, il ne peut pas y avoir qu'une voix commerciale dans les régions du Canada, il ne peut pas y avoir qu'une seule façon que les Canadiennes et Canadiens aient accès à une information, à un divertissement qui se fait sur la base commerciale seulement.

Il faut avoir un équilibre et c'est là le rôle et la mission de la CBC. S'il faut revoir la mission qui a été déterminée avant la Deuxième Guerre mondiale, faisons le travail, s'il s'agit de ça. Mais nous souhaitons qu'en 2020, il y ait encore un radiodiffuseur national public, payé avec les impôts des Canadiennes et des Canadiens, et qu'il fasse son travail et respecte sa mission, pas de la gestion de crise comme on le fait actuellement tous les jours. Au lever du matin, on voit constamment des nouvelles de coupures et on ne sait pas où on s'en va.

Le sénateur Housakos : Merci, messieurs, pour votre présence, et merci pour votre discours très intéressant aujourd'hui.

Dans votre communiqué de presse du 26 juin dernier, votre organisme a dénoncé les nouveaux plans stratégiques de CBC/Radio-Canada en disant qu'ils ouvrent la voie au démantèlement et à la privatisation de l'entreprise.

J'aimerais savoir s'il y a des entités que vous connaissez, au Canada ou ailleurs au monde, qui sont prêtes à acheter CBC/Radio-Canada si le gouvernement décide demain de privatiser une entreprise qui perd plus d'un milliard de dollars par année. Moi, je n'en connais pas beaucoup dans l'industrie aujourd'hui qui sont prêts à acheter CBC/Radio-Canada. Il y en a plusieurs qui souhaitent peut-être qu'on ferme CBC/Radio-Canada; cela, c'est une autre histoire. Mais je ne connais pas beaucoup de gens qui sont prêts à investir un milliard de dollars par année dans une entreprise qui perd année après année.

Vous réclamiez un moratoire sur toutes les compressions budgétaires et vous le faites aujourd'hui encore. Vous suggérez la mise en place d'une commission parlementaire pour étudier l'avenir de CBC/Radio-Canada. On est en train de faire cela depuis un an.

On peut vous assurer que ce qu'on a vu et entendu de partout au pays à ce jour, et je veux réaffirmer les perspectives du sénateur Plett, c'est que, vraiment, il n'y a pas d'appétit de la part des contribuables au Canada pour consacrer encore plus d'argent. Peu importe le parti politique qui serait au pouvoir dans quelques mois, que ce soit les libéraux ou les conservateurs, il est sûr et certain que les contribuables ne peuvent pas faire plus que ce qu'ils font présentement. Quels sont les baromètres que l'on utilise pour affirmer cela? C'est le fait que les cotes d'écoute de la CBC sont dans un état horrible. Les cotes d'écoute de Radio-Canada sont un peu plus grandes, je vous l'accorde. Cependant, les revenus publicitaires de Radio-Canada diminuent à un rythme beaucoup plus rapide que la réduction des fonds octroyés par le gouvernement sous la forme de subventions par année.

On a fait 500 millions de dollars de coupures au cours des 10 dernières années en ce qui a trait à la contribution fédérale, aux subventions fédérales à CBC/Radio-Canada, mais la réduction des revenus publicitaires, au cours des derniers mois, est beaucoup plus grande que cela. Pour nous, c'est inquiétant. Le gouvernement a investi plus de 15 milliards de dollars au cours des 15 dernières années et, les cotes d'écoute, en particulier au Canada anglais, comme je l'ai remarqué, sont horribles.

Récemment j'ai lu un sondage, qui a été envoyé à mon bureau par les Amis de la CBC, Friends of CBC, selon lequel 39 p. 100 des Canadiens trouvent que Peter Mansbridge est le meilleur chef d'antenne au Canada.

Je le crois, c'est possible, mais, en même temps, les cotes d'écoute de M. Mansbridge, au National, au Canada anglais, représentent moins de 5 p. 100 de la population, constamment, mois après mois. C'est très inquiétant. J'ai bien entendu votre message à savoir qu'il faut plus d'argent de la part du gouvernement.

Pouvez-vous nous proposer une idée à part celle-là, sur la façon dont on peut sauver l'avenir de CBC/Radio-Canada?

Je peux vous garantir que, quand on va publier le rapport dans quelques mois, on va l'envoyer au ministre, au Bureau du premier ministre et à la Chambre des communes. Ils ne seront jamais d'accord pour dépenser 6 ou 7 millions de dollars par année de plus pour continuer de recevoir le service, compte tenu du résultat qu'on a eu au cours des cinq, quatre dernières années.

C'est une longue question, j'ai mis beaucoup de choses sur la table, mais je tiens pour acquis votre proposition que le gouvernement dépense tout l'argent qu'il faut pour remplir l'espace laissé ouvert par la perte de Hockey Night in Canada, par la perte des revenus publicitaires qui sont en train de diminuer mois après mois depuis trois, quatre ans. Oubliez ça, le gouvernement n'est pas capable de trouver ce montant d'argent, ni de le justifier aux contribuables.

J'aimerais connaître votre plan B et votre plan C à propos de ce que l'on doit faire avec cette société qui est importante, qui a une place, à mon avis; cependant, il faut trouver quelle est cette place et comment on peut la payer.

M. Roger : Votre question est vraiment très intéressante, sénateur Housakos. On revient toujours à la question fondamentale. Premièrement, je voudrais clarifier un point : oui, il y a des différences entre le Canada français et le Canada anglais. Les cotes d'écoute ne sont pas très élevées, il faut l'admettre, du côté du Canada anglais. C'est définitivement meilleur du côté francophone, et je pense que vous savez pourquoi.

Évidemment, la population canadienne-anglaise a accès à beaucoup de programmation aux heures de grande écoute des réseaux américains en temps réel alors qu'au Québec, les gens sont captifs de la langue française, alors il y a une programmation qui est particulière pour le Québec.

On revient à la question de la pertinence de Radio-Canada. Je participe aujourd'hui à votre comité, mais depuis tout près de 20 ans, j'ai été présent dans de nombreux comités au fédéral, par exemple, à Patrimoine canadien. Je ne compte pas le nombre de participations à différents comités où on discutait justement de la pertinence, de l'avenir de Radio-Canada, même le comité sénatorial de Mme Joan Fraser où on avait abordé cette question, je pense que vous vous en souvenez. Et à chaque fois, les recommandations étaient qu'il fallait faire mieux, qu'il fallait soutenir Radio-Canada, qu'on avait un télédiffuseur national, il fallait se questionner. Je trouve que le débat doit se faire au niveau de l'enjeu même du choix d'avoir un télédiffuseur public, la BBC a fait ce choix et existe en Grande-Bretagne.

Si on veut remettre en question Radio-Canada/CBC, il faut qu'on tienne un débat là-dessus et ça presse. Il faut faire un vrai débat et qu'on fasse intervenir les joueurs au lieu de dire : « Les gens n'en veulent plus, on sent qu'ils n'en veulent plus, mais on ne sait pas pourquoi. »

Parler des cotes d'écoute, c'est jouer le jeu du privé parce que ça n'a jamais été supposé être l'enjeu majeur à Radio-Canada. Radio-Canada a toujours voulu faire une programmation distincte. Malheureusement, parce que les budgets de Radio-Canada ont été handicapés au fil des ans, Radio-Canada a dû se résigner à faire une programmation qui ressemblait aux joueurs privés pour pouvoir aller chercher des revenus publicitaires afin d'être encore en mesure de continuer de produire.

Je prends l'exemple de la radio à Radio-Canada, n'eût été la dernière période d'essai avec Radio 2 et Espace Musique où on a tenté de mettre de la publicité, puis ça ne fonctionne pas vraiment. Mais la radio est très distincte à Radio-Canada. Les Canadiens et Canadiennes savent qu'en syntonisant un poste de radio, ils savent où le trouver parce que c'est le seul endroit où il n'y a pas de publicité. C'est magnifique, c'est quelque chose de vraiment particulier, mais encore une fois, c'est Radio-Canada.

Je vais déborder du local parce que je sais qu'il va y avoir un débat sur la pertinence nationale, mais pas avec nous peut-être, mais je trouve tellement important de pouvoir entendre les journalistes, les reporters de Radio-Canada quand ils sont à l'étranger, pour nous transmettre des reportages tels que ceux sur le virus Ebola actuellement en Afrique. Des journalistes canadiens sont sur place, ils couvrent les conflits armés où le Canada est impliqué. Ils sont les yeux, le regard du Canada, ce n'est pas des reportages qu'on achète d'un journaliste de la BBC ou d'un journaliste français, mais c'est fait avec les Canadiens et Canadiennes qui se déplacent là-bas avec notre regard à nous, notre culture et c'est important, mais ça coûte des sous pour faire ça, comme tel.

Je trouve que les débats démocratiques au pays se font très bien grâce, entre autres, à Radio-Canada, et il institue une forme de standard pour les autres joueurs dans les médias et c'est vraiment pertinent. J'en viens au fait qu'il faut faire un débat définitivement plus large sur l'avenir de Radio-Canada, pas uniquement un débat de dire : « Il faut réduire les dépenses puis on va espérer qu'ils vont être encore en vie. » Il faut peut-être se questionner sur ce qu'on veut vraiment faire avec Radio-Canada.

M. Lortie : Votre question, sénateur Housakos, est pertinente en disant : « Fondamentalement, voulons-nous au Canada un radiodiffuseur public financé par les contribuables? — c'est la question qui est fondamentale — et quelle est cette utilité-là? »

Pierre en a mentionné beaucoup de choses, j'aimerais ajouter que, malgré les cotes d'écoute, quand vous regardez la télévision américaine, je ne regarde pas le financement des réseaux, c'est des réseaux privés ABC et tous les autres. PBS ne peut pas prétendre avoir des cotes d'écoute de CBS et de NBC, mais quand vous écoutez PBS, vous savez ce que vous voulez : une qualité de l'information ou une qualité des documentaires.

Ceux et celles qui écoutent American Experience, si on avait ça au Canada, ce serait extraordinaire, sur notre histoire comme Canadiens et Canadiennes d'avoir cette qualité de produit, mais les gens qui vont là, ça rajoute à la qualité de l'information, la qualité du divertissement et la qualité du produit culturel qui est développé aux États-Unis.

Vous écoutez American Public Radio, c'est la même chose. Vous syntonisez, vous êtes dans le fin fond de l'Iowa, vous syntonisez Public Radio, vous savez tout de suite qu'il y a autre chose. Là, ce n'est pas de la publicité, ce ne sera pas un show, un Gong Show, ça ne sera pas un Loft Story sur une île déserte à se massacrer, c'est autre chose. Ce n'est pas 80 p. 100 d'auditeurs qui vont écouter ça, mais ça contribue à bâtir une société plurielle.

C'est la même chose au Canada. Vous disiez que The National représente 5 p. 100, mais moi, quand je le syntonise à 9 heures le soir, je m'attends à quelque chose de Peter Mansbridge et de l'émission; je m'attends à une qualité que je ne retrouverai pas sur aucun réseau qui n'est pas public, parce qu'ils ont cette capacité d'approfondir les sujets.

Quand on écoute les radios, ils ont le temps de faire de l'analyse en profondeur, c'est ça qui nous manque. Les choses vont tellement vite qu'on est dans le superficiel, le divertissement, l'infotainment comme on l'appelle, on n'a pas le temps de mesurer, d'avoir le recul parce que les technologies nous polluent et nous inondent, nous bombardent d'informations et on n'est pas capable de l'analyser.

Quand vous avez un radiodiffuseur national qui n'a pas à vendre, à se vendre tous les jours pour survivre, bien ça place ça. C'est sûr que c'est un choix politique, un choix de société. On peut ne pas être d'accord, mais je pense qu'on doit le faire à visière levée ce débat-là. Que voulons-nous encore, dans le cadre de ce plan quinquennal et quel type de radiodiffuseur? Faisons-le visière levée. Pour ou contre?

Nous, évidemment, on est très favorable, on est assez convaincu à ce niveau. Je regarde ce qui se passe puis je reviens toujours aux régions. Quand je me déplace en région au Canada ou au Québec, là où je sais que je vais avoir une information de qualité, ça va être sur les réseaux publics.

Mais je paie ce prix, il y a un prix à payer, vous avez tout à fait raison, sur les cotes d'écoute parce que ce n'est pas Entertainment Tonight, ce n'est pas des émissions comme Loft Story, mais en même temps c'est un type d'information, un type de divertissement ou de produits culturels que des Canadiens ont besoin d'avoir et ça fait partie de là. Maintenant, à quel prix? Ça, c'est la question.

Le sénateur Housakos : Simplement pour clarifier, je suis dur, peut-être, quand je pose des questions, et il y a beaucoup de personnes qui sont rendues à la conclusion que je suis anti-CBC, anti-Radio-Canada, mais c'est loin d'être le cas.

Je pense qu'il y a une place pour Radio-Canada et pour la CBC, mais il faut déterminer quelle est cette place, où elle se situe, quel est le créneau de ces sociétés; et je suis tout à fait d'accord avec vous.

Quand on regarde PBS, c'est une expérience très unique par rapport à tous les autres télédiffuseurs américains. Dans le cas de PBS, présentement, les contribuables et l'argent qui est consacré à PBS proviennent du secteur public, mais la chaîne est autofinancée à 50 p. 100. Pour chaque dollar qui est consacré à PBS, il y a un dollar qui provient du contribuable, du gouvernement fédéral.

Présentement, ici, à Radio-Canada/CBC, ce n'est pas le cas du tout. Pour chaque dollar de publicité qui est consacré à CBC/Radio-Canada, il y a quatre, cinq dollars qui proviennent du contribuable. Maintenant, le vrai débat, ici, pour nous, la vraie question — et je veux arriver à une conclusion précise à la fin de cet exercice, parce que, présentement, tous les témoins qui viennent ici ont une perspective selon laquelle leur domaine est le plus important.

Tantôt, on a entendu un témoignage de gens qui représentent la communauté anglophone minoritaire au Québec. Pour eux, la CBC English, c'était la fin du monde, c'était très important.

Lorsque nous sommes allés à Saint-Boniface, au Manitoba, pour le Franco-Manitobain, Radio-Canada, c'est « the only game in town », c'est primordial pour eux, on ne peut pas couper là.

Ensuite, il y a d'autres gens qui témoignent, et vous l'avez dit vous aussi, que The National à la CBC, sa façon de diffuser les nouvelles est vraiment fantastique, c'est la Cadillac, il faut garder cela.

Je suis d'accord. J'ai vu les reportages au National hier, les événements qui se sont déroulés à Ottawa hier, et c'était vraiment bien fait. J'étais très impressionné et j'ai essayé de voir la différence entre The National et CTV News, et j'ai été impressionné par tous les reportages de Peter Mansbridge, le niveau de détail, c'était vraiment brillant. Je ne peux pas dire que leur production n'est pas extraordinaire, car elle est très bonne, mais en même temps, je ne comprends pas pourquoi leurs cotes d'écoute sont si faibles.

C'est là que j'arrive à la conclusion que c'est parce que les gens ne trouvent pas ça intéressant, et que je suis dans la minorité.

Quand on a visité Radio-Canada, ici, à Québec, le matin, j'ai posé la question suivante au directeur de la station : « Où se situent vos cotes d'écoute? » Puis il a répondu : « Bien, nous sommes deuxièmes, derrière TVA ».

Mais, ce n'est pas parce qu'ils ne sont pas innovateurs dans leur approche, qu'ils n'ont pas travaillé fort, et ce n'est pas parce que le contribuable n'a pas contribué suffisamment d'argent. Ainsi, à la fin de l'exercice, il faut décider que ce serait impossible de financer tout ce que CBC/Radio-Canada fait présentement.

J'aimerais avoir votre point de vue, si on était obligé d'identifier deux, trois priorités sur les six ou sept qui existent présentement. Quelles sont les deux, trois meilleures priorités, quelles sont les deux priorités qui se situent le plus bas dans la liste sans lesquelles CBC/Radio-Canada pourrait tout de même survivre? Parce qu'elle fait tout présentement : elle essaie de répondre aux besoins des minorités linguistiques partout au pays, elle essaie de devenir la BBC des nouvelles internationales au Canada, elle a essayé d'être, comme je dis en anglais, all things to all people, mais, peut-être qu'à la fin de l'exercice, on n'a pas le moyen financier de faire tout cela.

M. Roger : C'est une excellente question, monsieur Housakos. Effectivement, ce serait difficile de définir les priorités parce qu'on se réfère au mandat de Radio-Canada et évidemment, il n'y a pas un autre télédiffuseur qui a cette obligation, par exemple, de diffuser dans plusieurs langues autochtones, dans le Nord du Canada et d'offrir des services dans ces endroits-là ça coûte très cher.

Je vous rappellerai, par exemple, que Radio-Canada a mis fin pratiquement à tout ce qui est transmission, ça n'existe plus, aux transmissions ondes courtes de Radio-Canada International qui diffusait à partir de la Nouvelle-Écosse avec des antennes à ondes courtes. On est rendu dans le monde moderne, et maintenant, c'est Internet. Ils ont encore Radio-Canada International, mais c'est diffusé sur Internet aujourd'hui.

Mais c'est difficile de dire : « On va faire juste de la nouvelle, pas du divertissement. » C'est parce qu'il faut voir le mandat de Radio-Canada. Moi, je pense que ça revient à la question de base, regardons le mandat de Radio-Canada à ce moment-là puis essayons de trouver les priorités. Mais elles sont là, ces priorités, puis c'est ce que fait Radio-Canada actuellement, elle essaie de remplir son mandat et de tenir compte, comme je le disais précédemment, du fait qu'il y a maintenant des nouvelles plateformes, des nouvelles technologies sur lesquelles Radio-Canada doit être présente pour rejoindre les jeunes, parce que les jeunes sont présents, les jeunes de 18 à 24 ans, ils sont présents sur les téléphones mobiles, sur les tablettes, mais ils le sont moins devant le téléviseur traditionnel ou la radio où sont encore très présents les gens plus âgés, par exemple, qui constituent une grande partie de la population canadienne, maintenant en termes démographiques.

Je reviens brièvement à une de vos questions sur le financement aussi parce que ce qu'il faut savoir que les données financières du CRTC que j'ai analysées depuis de nombreuses années sur Radio-Canada, que je suis régulièrement, m'ont démontré qu'à jusqu'à il y a quelques années — vous parliez des derniers mois tantôt, vous disiez que ça avait l'air dramatique —, oui, ça ne va pas bien dans le monde de la publicité, pas uniquement pour Radio-Canada, mais dans l'ensemble des autres médias, la presse écrite. Je pourrais vous en parler pendant des heures aussi parce qu'il y a beaucoup de problèmes à ce niveau, c'est un enjeu important encore une fois. Mais au fil des ans, Radio-Canada, quand il y avait des coupures, il y a eu des coupures, a réussi quand même à récupérer une partie des revenus avec la publicité et il y a des tableaux, où on peut très bien le voir, sauf dans les dernières années. Je vous rejoins, vous avez raison, où il semblerait que là, c'est plus difficile parce que la publicité, c'est dur pour tout le monde de ce temps-là et aussi pour Radio-Canada.

Et Radio-Canada, je vous rappelle qu'on l'a forcée à aller vers la publicité parce que les subsides gouvernementaux ne pouvaient plus suivre. Ce qui est le plus inquiétant, c'est l'annonce de M. le président, Hubert Lacroix, la semaine dernière, qui a dit que nous allons vendre les actifs, comme si on va acheter l'épicerie à crédit. Dans le sens, on vend les actifs pour payer le contenu, la programmation, mais on ne va pas la payer pour 10 ans à venir, il va y en avoir juste pour quelques années. Après on va faire quoi, là, si on achète du temps, là? Il faut vraiment traiter le problème de fond. Je vais passer la parole à Jean, je pense qu'il voulait enchaîner.

M. Lortie : En complément, je rajouterais que évidemment quand le CRTC a renouvelé les licences de Radio-Canada, nous étions aux audiences publiques de la CSN il y a deux ans à Gatineau et le couloir est mince dans le mandat actuel. Donc, c'est-à-dire on revient à vos questions, on a ouvert ce débat sur la mission. Est-ce qu'on doit revisiter la mission ou pas, dans le cadre de vos travaux et des réflexions qui vont être suivies par votre rapport?

Je ne le mettrai pas en priorité, mais moi il y a trois chantiers sur lesquels on doit travailler pour avoir au Canada un radiodiffuseur national : la question du divertissement de qualité, c'est-à-dire une production de divertissement; faire de la production comme société d'État et une information de qualité qui reflète les régions du Québec.

Alors, miroir et fenêtre. Les régions du Canada sont le miroir l'une vers l'autre et en même temps pour les populations des grands centres, elles sont une fenêtre sur le Canada.

Par pur hasard ce matin, je regardais CBC North juste pour mesurer cet impact-là. Il n'y a personne qui peut faire ça, savoir ce qui se passe dans les grandes communautés du Nord canadien, qui sont un enjeu stratégique, votre gouvernement chaque été le martèle : le Grand Nord va devenir la frontière, la nouvelle frontière du Canada dans les prochaines années.

Et s'il n'y avait pas CBC North, il faudrait le créer, parce que c'est là où va se développer toute l'information des communautés nordiques. Cela, ça fait partie de notre préoccupation des régions.

Alors, il faut travailler autour de ça et cette mission de Radio-Canada, celle qui date de l'avant-guerre, on parle des années 1930, aujourd'hui en 2014, dans la conjoncture des difficultés des médias globalement, parce que ça va très vite, doit-on la revoir?

La reddition de comptes de Radio-Canada, les règles de gouvernance et où veut-elle se retrouver comme société? Ce sont toutes, à mon avis, des questions pertinentes qu'on doit tous se poser, comité sénatorial, comité de la Chambre ou les acteurs de la société civile, nous posons ces questions-là et elles sont, je pense, pertinentes.

Le sénateur Housakos : J'ai une autre question. Est-ce que vous avez remarqué si, au cours des dernières années, il y a eu une réduction des gens dans cette industrie-là, dans toutes les agences? Radio-Canada a réduit le nombre de ses employés, TVA, tout le monde est en train de réduire leur nombre d'employés, leur budget, leur façon de faire. Est-ce qu'on a perdu beaucoup de gens issus de cette industrie, qui sont partis pour les États-Unis, des journalistes, des gens qui ont travaillé dans ce domaine?

M. Roger : Oui, je peux tenter de répondre parce qu'on représente une grande partie des journalistes au Québec. Il y a 1 800 journalistes et nous en représentons 1 500 dans l'industrie, les médias écrits, radio, télé.

Non, je ne crois pas, évidemment quand les gens comme journalistes perdent leur emploi, par exemple, pour répondre précisément à votre question de journalistes, et qu'il n'y a pas d'autres possibilités dans un autre média, ils vont parfois aller travailler dans le domaine des relations publiques, pour des entreprises auprès de municipalités, de villes pour faire les relations publiques parce que ce sont des communicateurs, les journalistes de formation, comme telle.

Mais je voudrais répondre aussi à votre question de façon plus large. Il n'y a pas eu tant de coupures que ça, je prends l'exemple à TVA, il n'y en a pas vraiment eu parce qu'ils ont une grosse machine aussi, alors ils n'ont pas vraiment coupé de gens.

Le sénateur Housakos : C'est davantage dans la presse écrite, les journaux.

M. Roger : Oui, dans les journaux, parce qu'on vit...

Le sénateur Housakos : ... comme La Presse canadienne...

M. Roger : Oui, tout à fait.

Le sénateur Housakos : ... Postmedia...

M. Roger : Oui, il y en a eu à La Presse canadienne, vous avez raison, mais dans les journaux, je sais bien que ce n'est pas votre sujet ici, mais dans les journaux ce qui se passe c'est que c'est la disparition du papier qu'on va voir dans les prochaines années et le développement des nouvelles plateformes de diffusion, comme la Presse+ sur la tablette iPad et ça nécessite de revoir l'organisation du travail des salles de nouvelles, mais ça ne touche pas vraiment les journalistes, c'est souvent les autres types de travailleurs comme ceux qui imprimaient le journal ou le distribuaient. Mais on a toujours besoin des journalistes parce que c'est eux qui font la nouvelle, qui l'analysent, ça, on va toujours en avoir besoin; même à Radio-Canada. Je veux dire, c'est eux qui font la nouvelle, on a besoin de journalistes pour aller la chercher puis l'analyser puis la diffuser, la présenter.

Le président : Monsieur Roger, monsieur Lortie, monsieur Enault, merci beaucoup de votre présence. Comme je vous l'ai souligné au tout début, nous nous excusons, et vous comprenez les circonstances présentes.

M. Lortie : Absolument.

Le président : Je vous assure que le témoignage est enregistré et qu'il sera partagé avec les sénateurs. Au moment de la préparation de notre rapport, ce n'est pas la quantité de participants qui compte, mais bien la qualité.

M. Housakos est mon vice-président, et je peux vous assurer que vous avez été bien entendus et que vous allez être entendus par nos collègues grâce aux transcriptions.

Le prochain témoin est M. Mériol Lehmann, directeur général d'AVATAR. Avant de vous donner la parole, monsieur Lehmann, je dois vous dire, comme vous pouvez le constater, compte tenu des incidents d'hier, que nous avions deux options, soit celle de suspendre nos audiences aujourd'hui et de ne peut-être pas avoir l'occasion de revenir à Québec pour entendre les gens des différentes communautés, ou celle d'aller de l'avant. On a préféré prendre les témoignages, comme je l'ai souligné tout à l'heure. Avant que l'autre groupe ne nous quitte, je voudrais préciser que les témoignages font partie du registre des documents sur lesquels va être basée l'étude sur l'avenir de Radio-Canada, qui va être rendue publique plus tard en 2015. Qu'on soit six sénateurs ou qu'on soit deux sénateurs, prenez pour acquis que vos propos vont avoir la même importance. Comme je l'ai dit un peu à la blague, mais ce n'est pas tout à fait à la blague, le sénateur Housakos est vice-président du comité, je suis le président du comité, et il est sûr que si nous écoutons votre témoignage, c'est que nous avons l'intention de lui donner la même importance que si nous étions six, sept ou huit sénateurs pour vous écouter.

Mériol Lehmann, directeur général, AVATAR : Merci, monsieur le président. Avant de commencer, je voudrais aussi vous remercier pour cette invitation. Je suis ravi de participer à cet exercice démocratique. J'espère pouvoir y amener une contribution intéressante. Évidemment, j'ai regardé un peu la liste d'invités et je me vois un peu comme un outsider, mais en même temps je pense que j'ai certaines connaissances et préoccupations qui peuvent amener de l'eau au moulin.

Histoire de mettre les choses en contexte, je veux simplement vous rappeler que AVATAR est un centre d'artistes en arts médiatiques, que je fais également partie du comité d'orientation du Conseil québécois des arts médiatiques, et que je siège également sur le conseil d'administration de l'Alliance des arts médiatiques indépendants du Canada, qui regroupe l'ensemble des centres en art médiatique au Canada.

Cela vous permet de comprendre un peu le point de vue que je vais avoir aujourd'hui.

Évidemment, il y a plusieurs manières d'aborder toute cette question, la question de l'avenir de Radio-Canada/CBC est extrêmement large, je ne compte absolument pas adresser toutes les questions. J'ai choisi de regarder deux points que je pense plus préoccupants : un point qui est l'impact de Radio-Canada sur le développement économique de la culture et le développement culturel, principalement au Québec évidemment vu que c'est la région du Canada que je connais le mieux, et un deuxième point qui est au sujet du tournant numérique parce que, évidemment, AVATAR est très impliquée dans le numérique, j'y suis également à titre individuel dans beaucoup d'autres organisations. Je représenterai la Ville de Québec aux Rencontres Champlain Montaigne sur la culture numérique dans deux semaines à Bordeaux, en France, et le numérique, l'évolution et la révolution du numérique sont des questions qui m'interpellent particulièrement.

Je vais directement aller au premier point, le premier point qui est l'impact de Radio-Canada sur le développement économique culturel du Québec. Vous n'êtes pas sans savoir, parce qu'il y a eu maintes et maintes études qui prouvent que le secteur de la culture est un secteur qui économiquement est un secteur qui est très profitable, comparativement à d'autres secteurs. Par exemple, c'est quand même un secteur qui génère beaucoup d'économie, beaucoup d'emplois aussi. Et là-dessus, je vous dirais que l'industrie culturelle, et au-delà de l'industrie, mais également la culture de manière très générale profite énormément du service offert par Radio-Canada, entre autres, notamment au niveau de la visibilité qu'on va donner aux acteurs culturels.

Par exemple, il n'y a aucune autre place qu'à Radio-Canada où on peut avoir des critiques de littérature, de théâtre, d'événements d'art visuel, et cetera, une culture qui va un peu plus loin que la culture du divertissement qui touche un très large public. Les autres médias, en dehors de petits médias communautaires ou de médias universitaires, et cetera, ne touchent pas à ça.

Et donc, pour l'ensemble du milieu culturel, c'est quelque chose d'extrêmement important et c'est quelque chose que souvent on oublie. Ce que j'essaie de vous amener, c'est un point de vue que je n'entends pas souvent, mais par exemple, pour moi, comme directeur général d'AVATAR, le seul média électronique, donc, c'est-à-dire, que ce soit la radio, la télévision qui va parler du type d'artistes qu'on va produire et diffuser, c'est Radio-Canada et ça veut dire que, que ce soit au Téléjournal ou dans le cadre d'émissions spécialisées, c'est mon contact direct avec le public, c'est celui qui me permet d'amener du public. Et c'est le cas pour évidemment l'organisation que je représente, mais c'est le cas pour énormément d'organisations.

Je regarde la couverture culturelle qui se fait dans la ville de Québec, la seule couverture digne de ce nom dans les médias électroniques c'est celle qui est faite par Radio-Canada. Je ne veux pas dire que des organisations comme TVA ou les autres radios ne couvrent pas du tout, mais vont les couvrir dans un sens très générique, on va couvrir un humoriste qui vend déjà des salles combles. On va couvrir des artistes qui vont remplir le Colisée.

Et dans l'écologie culturelle québécoise, cet apport de Radio-Canada est extrêmement important et je pense qu'il faut en tenir compte parce que ce n'est pas un impact direct nécessairement qu'on peut voir, c'est un impact un peu plus diffus. On n'a pas l'impression de ça quand on ne travaille pas dans des organismes comme les nôtres à quel point ça a une importance, à quel point ça a une importance sur la visibilité qu'on peut avoir, sur notre manière de toucher le public et à quel point ça permet aussi, je pense par exemple à certaines émissions de radio à Radio-Canada, ça amène aussi au débat que c'est une des seules places où on a une critique de qualité, où on a des gens qui sont capables de faire évoluer le discours sur la culture au Québec de manière intelligente, posée et neutre.

Il faut se rappeler aussi que l'autre gros joueur dans la culture québécoise au niveau des médias est Québecor, et ce n'est un secret pour personne qu'il y a, mettons, beaucoup de liens entre leurs différentes plateformes. Et donc, évidemment on va mettre de l'avant dans leur journée leurs émissions de télévision, de la même manière qu'on va mettre de l'avant leurs artistes musicaux, et cetera; on a le contrôle aussi de la distribution musicale via Archambault, via Select, et cetera.

Donc, on a un très gros joueur qui joue beaucoup pour lui, ce qui est normal dans un contexte d'entreprise privée et je n'ai pas à débattre de ça, mais Radio-Canada offre un très important contrepoids et en fait une couverture beaucoup plus égale pour tout le monde et rehausse le niveau de la discussion.

Je ne veux pas aller plus loin que ça parce que je sais que j'ai peu de temps et j'ai peur déjà d'avoir dépassé. Je veux arriver sur mon deuxième point qui est le point du numérique.

On a vu récemment la Société Radio-Canada développer énormément tout l'aspect web et c'est extrêmement important de développer cet aspect-là. On ne peut pas passer à côté du numérique. Passer à côté du numérique, ça veut dire que si la Société Radio-Canada ne s'implique pas dans le numérique, ce qui va arriver, c'est que les consommateurs vont consommer d'autres contenus et principalement pas du contenu canadien.

Donc, ça pour moi c'est extrêmement important pour le développement de la culture canadienne que Radio-Canada soit présente sur le Web et sur toutes les plateformes numériques.

Maintenant, je m'inscris quand même un peu en porte à faux avec ce qui a été dit tantôt quand on a dit qu'on a absolument besoin du numérique pour toucher les jeunes, je pense qu'on sous-estime beaucoup la puissance de la radio. La radio, ça reste un des médiums les plus consommés. Les gens quand ils sont dans leur voiture pour aller et venir au travail, on écoute la radio, il y a des gens qui écoutent facilement deux heures de radio par jour. Il ne faudrait pas sous-estimer cela.

Mais le point qui m'inquiète avec le numérique, et c'est un point qui revient aussi avec les médias écrits, quand on regarde, par exemple, ce qui se passe avec La Presse+ et la disparition à moyen terme des versions papier du Soleil, du Droit, et cetera, on voit qu'il y a quand même une tangente de dire : « Le numérique va être notre sauveur, on n'a plus besoin du reste. »

Et moi où j'ai un problème, c'est concernant l'accès au numérique et je suis complètement dans le numérique, non seulement par mon travail, mais aussi comme personne. Je consomme énormément de numérique, je suis constamment sur ma tablette, mon ordinateur portable, mon iPad, des fois les trois en même temps, mais il reste que, par exemple, en région, l'accès à Internet est nettement insuffisant pour avoir accès, par exemple, à quelque chose comme juste écouter une émission de télévision, l'équivalent de Netflix, par exemple.

Si on regarde les statistiques, en Ontario il y a actuellement encore près de 100 000 foyers qui n'atteignent pas une possibilité d'avoir du 5 megs par seconde, qui est le standard établi par le gouvernement du Canada pour avoir une bande passante potable.

Et là, on parle des foyers en région et ça, je peux très bien vous le dire, quand je vais chez mes parents à 200 kilomètres au nord ici, il y a une zone où il n'y a absolument pas d'Internet. Jusqu'à l'année passée, on était avec du modem 56k, là on est avec une coupole. Il n'est absolument pas question d'écouter ni de la radio, ni de la télévision via Internet.

Donc, il y a cette question-là pour un diffuseur national qui est financé par l'impôt de l'ensemble des Canadiens, cette question d'accès dans les régions. Au Nunavut, actuellement il y a 100 p. 100 de la population qui n'a pas accès à une bande passante suffisante. Et donc, ça veut dire que la télévision et la radio sont encore des choses extrêmement importantes et il ne faudrait pas croire que le numérique va permettre qu'on puisse se passer de ça.

Et l'autre point aussi, c'est qu'au-delà du problème des régions, c'est un problème de ressources financières et aussi d'âge. Par exemple, on sait très bien que les personnes d'un certain âge maîtrisent nettement moins le numérique, les ordinateurs, et cetera, et il y a aussi toutes les personnes qui sont dans des situations financières plus difficiles, les personnes qui peuvent être en dehors du salaire moyen qu'on peut avoir dans la société, qui n'ont pas nécessairement accès à des fonds suffisants pour payer le 60 $, 70 $ que nécessite une connexion de vitesse.

Et donc pour ces personnes, leur manière d'accéder à de l'information et à du contenu informatif et à du divertissement reste encore la radio et la télévision et même si, comme je vous le dis, je pense qu'il faut que le virage numérique se fasse, la tendance qu'on voit du côté de la Société Radio-Canada est est de dire : « On va tout transférer sur le numérique, on va sauver de l'argent et ça va nous permettre de réduire ce qu'on offre actuellement comme services du côté de la radio et de la télévision. » Pour moi, c'est quelque chose qui est nettement injuste envers une proportion importante de Canadiens, notamment ceux des régions et ceux plus défavorisés.

Sur ce, je pense que j'ai fait le tour de mes deux points, je suis disponible pour répondre à vos questions et aller plus loin autour de cette discussion, notamment en ce qui a trait aux impacts du numérique et au développement du numérique par rapport à l'industrie, c'est des choses sur lesquelles je peux répondre à vos questions.

Le président : Dans un premier temps, on cherche la diversification, d'avoir des témoins qui viennent de divers milieux. Les témoins qui étaient là avant vous étaient des syndiqués, qui ont un intérêt direct à Radio-Canada. On a eu toutes sortes de témoins qui sont des compétiteurs. Donc, on veut avoir du simple citoyen à un citoyen partenaire pour l'avenir de Radio-Canada parce qu'on n'est pas sur le passé de Radio-Canada, on n'est même pas sur le présent de Radio-Canada, on est sur l'avenir de Radio-Canada et ce que vous nous expliquez sort un peu de l'ordinaire de ce qu'on a entendu parce qu'effectivement, le numérique sonne comme étant la solution pour bien des problèmes. Je peux vous assurer que mon vice-président et moi avons co-signé un rapport il y a quelques années qui n'a pas eu autant d'envergure qu'on aurait aimé tous les deux, sur une société numérique canadienne dans laquelle on disait que la bande passante ne doit pas être un facteur de discrimination dans le Grand Nord et que la bande passante ne doit pas se limiter uniquement à la rentabilité des compagnies qui peuvent servir les grands centres, mais que l'État canadien doit utiliser les revenus qui sont attribués par la vente de bandes passantes à subventionner des services.

Il y a eu des améliorations, il y a eu des centaines de millions de dollars d'investis. Il y a eu un pas dans la bonne direction. Je pense qu'avec les milliards qui ont été obtenus par la vente de bandes numériques de l'ancienne télévision, on aurait pu en partager un peu plus avec les communautés nordiques. Vous parlez certainement à deux personnes qui sont partisans de l'investissement dans la bande numérique. Nous avons parlé de cela dans un rapport conjoint il y a plusieurs années et je ne pense pas que mon collègue ait changé d'idée. Moi, je peux vous assurer que je n'ai pas changé d'idée.

Monsieur Housakos, la parole est à vous.

Le sénateur Housakos : Merci, monsieur le président.

J'ai entendu votre commentaire sur l'importance de Radio-Canada/CBC pour protéger puis avancer la culture canadienne, culture québécoise, mais les télédiffuseurs comme TVA ou Canal V, par exemple, sont aussi des entreprises québécoises, ce sont des entreprises qu'il faut considérer comme des entreprises qui vendent le produit culturel québécois.

M. Lehmann : Tout à fait.

Le sénateur Housakos : À votre avis, quelle est la grande différence entre la façon dont Radio-Canada appuie la culture québécoise et le travail que fait TVA, par exemple?

M. Lehmann : Oui, vous avez tout à fait raison sur cette notion-là et la différence pour moi est assez simple, c'est-à-dire tant TVA que V que toutes les stations, même dans les chaînes spécialisées, ceux qui produisent du contenu québécois, il y a beaucoup de contenu québécois.

La principale différence que je vois au niveau de Radio-Canada, ce n'est pas tant au niveau du contenu créé par le télédiffuseur ou le radiodiffuseur, mais c'est au niveau des émissions d'informations, donc des émissions d'affaires publiques où on fait — et je ne voudrais pas utiliser le mot « promotion » parce que Radio-Canada n'agit pas en ce sens, ce n'est pas de l'infopub — la promotion de la culture québécoise, canadienne en faisant des critiques de livres, en faisant des critiques de films, les nouvelles culturelles sont également quelque chose comme ça.

C'est quelque chose qui est très mal couvert par les autres sociétés. Le point qui est majeur là-dedans, c'est que la qualité de l'information à Radio-Canada est quand même exceptionnelle et qu'il y ait une couverture qui est beaucoup plus large, beaucoup plus neutre, un niveau de journalisme supérieur que ce qu'on va avoir sur d'autres stations.

Donc, mon point il n'est pas tant au niveau de la production que Radio-Canada va avoir, parce que ça, je pense que ça s'équivaut. Une télésérie à TVA versus une télésérie à Radio-Canada, pour moi, c'est sensiblement du pareil au même, mais c'est vraiment dans les émissions d'affaires publiques et dans la couverture de l'information que Radio-Canada fait une différence pour le milieu culturel.

Le sénateur Housakos : Je suis Québécois, je vois l'importance et le rôle important que Radio-Canada joue dans la vie québécoise, dans le Canada français. En même temps, je regarde, comme anglophone, la CBC et sa façon de faire, et depuis 30 ans, dans le cas de la CBC, c'est clair et net qu'elle est en train de perdre ses cotes d'écoute, elle perd un revenu important. Et la question que j'ai posée à plusieurs personnes jusqu'à maintenant, est-ce qu'on est moins Canadien au Canada anglais qu'on l'était 30 ans auparavant? Parce que quand on regarde les cotes d'écoute, on regarde le revenu, on regarde où la CBC English est présentement par rapport à ses compétiteurs, il y a beaucoup plus de Canadiens anglais qui écoutent Bell Media, Global, Sun Media, tous les autres compétiteurs de la CBC. Est-ce que ça veut dire qu'aujourd'hui, en 2014, dans le Canada anglais, on est moins Canadiens? Est-ce qu'on peut dire que la CBC n'a pas rempli le mandat de faire la promotion de la culture canadienne comme il faut?

M. Lehmann : Dans le cadre de cette question, je trouve qu'il y a une question intéressante qui m'amène à deux sous-réponses. La première sous-réponse est à votre question selon laquelle cette différence entre la Société Radio-Canada et la CBC refait régulièrement surface. Effectivement, c'est un fait, donc tout le monde le constate de part et d'autre, la Société Radio-Canada a un impact très différent et les gens au Québec ont un attachement beaucoup plus fort à la SRC que ce que peuvent avoir les Canadiens anglais à la CBC.

Les explications de cela, à mon avis, vont être assez difficiles à cerner. Il y a une chose quand même que j'aimerais souligner, c'est que comme Québécois très attaché à la SRC, quand je vois que la Société Radio-Canada subit les contrecoups des mauvais coups de la CBC, j'avoue que ça m'affecte. Je n'en viens pas à l'idée qu'il faudrait scinder ces deux compagnies, ça n'a aucun sens, mais ça reste qu'il y a quand même des questions qui se posent. Pourquoi? Parce que la CBC va mal et n'a pas de cotes d'écoute, la Société Radio-Canada, ici, qui a d'excellentes cotes d'écoute, tant au niveau de la radio que de la télé, doit subir ces contrecoups-là et subir des compressions budgétaires.

Évidemment, je pense que vous êtes probablement beaucoup plus habilités que moi autour de cette table à y trouver des réponses, mais c'est quelque chose que je veux soulever.

Pour ce qui est de la CBC par rapport aux autres stations, je ne pense pas que c'est une question d'être plus ou moins Canadien que d'écouter la CBC, c'est-à-dire que Global reste une station de télévision canadienne. Par contre, il y a une chose qui est très claire et actuellement, on peut le voir avec la télévision, la radio, mais on le voit dans toutes les formes de cultures qui existent, le fait français fait que le Québec ait une culture distincte qui est très forte. Par exemple, on a ici des chanteurs qui sont très importants au Québec et qui, dans le reste du monde, ne veulent absolument rien dire.

Les artistes canadiens très importants, on peut prendre, par exemple, Brian Adams, il est aussi important au Canada qu'aux États-Unis, on n'aime pas plus Brian Adams parce qu'on est Canadien, on aime Brian Adams parce que son type de musique, c'est du rock.

Et il y a toujours ce problème, je ne voudrais pas amener un préjugé là-dessus, mais je constate quand même qu'évidemment la culture américaine est une culture extrêmement forte. Quand on regarde, par exemple, des entreprises comme HBO qui produit cette qualité-là de séries télévisées, c'est normal qu'une personne canadienne-anglaise soit peut-être plus intéressée à écouter une série à HBO qu'une série produite au Canada. Il y a une question de moyens aussi, mais il y a une question que ce sont des cultures beaucoup plus proches. Entre Nickelback et un groupe équivalent aux États-Unis, pourquoi Nickelback serait plus canadien? Tandis qu'entre, par exemple, Daniel Bélanger et n'importe quel artiste américain, là, il y a une différence majeure, il y a la différence de la langue, de la culture. Et on retrouve ça dans le cinéma, on retrouve ça dans beaucoup d'autres choses. Cela explique peut-être notre attachement à Radio-Canada. Il ne faut pas oublier aussi que la qualité de certaines séries de télévision produites par Radio-Canada est exceptionnelle.

Quand vous regardez au niveau de la fiction ce qui se produit, par exemple, en France, versus la qualité d'une série comme 19-2, ici, la Société Radio-Canada a une grosse longueur d'avance pour le francophone. Même si on avait des télévisions francophones qui diffusaient, en dehors de TV5, je ne pense pas que les Québécois écouteraient des téléséries françaises, parce que la qualité de Radio-Canada est un pas au-dessus.

Alors, dans le cas de la CBC, c'est autre chose. On a de gros joueurs comme HBO, par exemple, et je vous parle juste des séries, mais on peut prendre les nouvelles aussi, c'est une autre chose.

L'attrait de CNN sur des nouvelles mondiales par rapport à un canal de nouvelles en continue comme Sun News, par exemple; il y a donc des moyens qui sont mis en place. Est-ce qu'on a une solution à ça? Je ne suis pas sûr qu'on ait une solution. Et j'aimerais que les Canadiens anglais soient patriotes et écoutent massivement la CBC pour que ce soit une station qui ait du succès et que ça n'affecte pas la Société Radio-Canada. Malheureusement, ce n'est pas aussi simple que ça.

Une réponse à ça, par contre, est au niveau du contenu local. Quand on parlait du numérique, par exemple, avec le numérique, les frontières n'ont plus d'importance. On peut regarder le site web d'à peu près n'importe où, vous allez me dire. Il y a du contenu qui peut être barré, mais je vous dirais que ça ne prend pas de gros efforts pour avoir accès à du contenu débarré. Quelqu'un qui écoute Netflix Canada n'a pas besoin de faire de gros efforts pour avoir accès à Netflix USA, et ça, c'est une chose dont il faut être conscient. Ce n'est pas avec des verrous qui soient numériques ou de quelque autre manière qu'on va changer la consommation des gens.

Par contre, moi, je veux écouter Radio-Canada ou la CBC, parce que je veux du contenu local, parce que je veux qu'on m'informe de ce qui se passe au Canada, parce que je veux voir des artistes québécois, parce que je veux des téléséries produites ici. Je pense que dans cette approche du Web, il faut garder ça en tête. Il ne faut pas essayer de faire compétition à la production américaine sur le même terrain, il faut vraiment développer cette spécificité-là au niveau du contenu local, notamment au niveau du contenu de l'information où on a quelque chose, quand même. Je vous parle beaucoup plus de Radio-Canada, mais je regarde la couverture que la CBC a faite des événements d'hier; c'était une couverture qui était exemplaire. Il est ressorti, même sur les médias sociaux et dans le monde numérique, que la couverture des médias canadiens a été supérieure à la couverture des médias américains. Ce sont des choses sur lesquelles on peut jouer pour avoir des cotes d'écoute intéressantes.

Le sénateur Housakos : Merci, monsieur Lehmann.

M. Lehmann : Ça fait plaisir.

Le président : Merci, comme je vous l'ai dit, c'est très important que vous compreniez que ce n'est pas parce qu'on n'est pas nombreux que le témoignage n'a pas la même importance.

J'en profite pour le dire plus fort, parce que le prochain témoin est entré dans la salle et on va lui demander de passer en avant. Monsieur Thibodeau, si vous voulez vous joindre à nous. Si vous voulez, vous pouvez même rester ensemble tous les deux, si ça ne vous dérange pas.

Claude Thibodeau, président, Productions Claude Thibodeau inc. : Bonjour.

Le président : J'avais expliqué, monsieur Thibodeau, avant votre arrivée que, à cause des incidents d'hier, nous avions deux options : soit d'annuler nos audiences ou de les faire avec un groupe plus restreint.

Je me présente, Dennis Dawson, président du Comité; le sénateur Housakos est le vice-président du Comité des transports et des communications.

Nous ne savions pas si nous pouvions tenir une audience; d'autres sénateurs ont dû nous quitter, mais nous ne savions pas si nos sénateurs pouvaient être présents. Ils ont été pris en otage jusqu'à un certain point, jusqu'à 10 h, hier soir, à Ottawa. Étant de Québec et sachant que des comités sénatoriaux sur les transports et les communications siègent rarement à Québec, j'ai décidé, avec la collaboration de mon vice-président et des membres du comité directeur, d'aller de l'avant. Nous aurons une présence numérique moins grande de sénateurs, mais le témoignage aura la même valeur en ce qui concerne les transcriptions. Nous croyions que de venir en région était une étape importante pour nous.

Nous continuons notre route, nous allons à Toronto la semaine prochaine et à Montréal. Nous sommes allés à Halifax, à Saint-Boniface, à Edmonton et à Yellowknife. Nous avons décidé d'aller de l'avant, parce que, comme je vous le dis, la qualité de la présentation, l'analyse de la présentation est la même, et je ne suis pas sûr que j'aurais pu convaincre mes collègues de donner une deuxième chance au Comité des transports de venir ici et d'entendre des témoins.

Monsieur Thibodeau est président de Productions Claude Thibodeau inc. Je connais monsieur Thibodeau depuis longtemps; il a fait des batailles importantes dans le domaine de la radio au Québec depuis environ 30 ans, et je pense qu'il va nous apporter un témoignage qui va résonner au-delà de la région de Québec.

Comme nous le soulignons, nous ne nous penchons pas sur Radio-Canada du passé, ni sur Radio-Canada du présent; ce qui nous intéresse, c'est l'avenir de Radio-Canada dans un environnement technologique qui change et, dans le cas de monsieur Thibodeau, dans un environnement où la Loi sur la télédiffusion n'a pas été modifiée depuis 1991, et mérite peut-être d'être réexaminée.

Monsieur Thibodeau, la parole est à vous.

M. Thibodeau : Bien, merci beaucoup, monsieur le sénateur. Heureusement, les deux capitales nationales n'ont pas été perturbées en même temps. Alors, c'est ce qui...

Le président : Mais elles l'ont été de la même façon à 30 ans d'intervalle!

M. Thibodeau : Oui, c'est ça, c'est ce qui permettait votre passage ici aujourd'hui. Alors, merci beaucoup, merci de m'avoir invité à faire une courte présentation devant vous.

Je me suis documenté, bien sûr, sur la forme dans laquelle vous voulez faire vos débats, alors, je vais m'y conformer, de la façon la plus stricte possible.

Au bénéfice de vos collègues qui me connaissent un peu moins, je suis, effectivement, comme monsieur Dawson l'a dit, un professionnel des médias depuis une quarantaine d'années, maintenant retraité, amené malgré lui dans certaines batailles épiques avec le CRTC dans les années 80, qui se sont heureusement bien résolues pour toutes les parties impliquées, je crois.

D'autre part, je ne veux pas vous ennuyer, mais mon parcours a été tel que j'ai eu la chance de faire de la radio AM, pour ceux qui se souvienne de ce que c'était, de la radio FM, j'ai aussi travaillé dans le secteur privé. En outre, j'ai aussi eu l'opportunité de travailler pour Radio-Canada pendant quelques années, ici même, à Québec, et par la suite, de faire successivement l'expérience de la télévision au privé, chez TVA et Global, et également une courte période à la direction comme éditeur et président du journal Le Soleil, sous la direction d'un émérite citoyen canadien, monsieur Black, qui est, j'espère, sorti de prison depuis.

Alors, les circonstances professionnelles que j'ai eu l'occasion de traverser m'ont amené à voyager partout au Québec et au Canada, et à participer à de nombreux comités industriels, comme la Canadian Association of Broadcasters et le Comité exécutif de BBM.

Alors, j'évoque tout ça, non pas pour me bomber le torse, mais simplement pour que vous compreniez que les commentaires que je vais faire et les nuances que je vais apporter sont inspirés de plusieurs expériences pratiques et, également, d'un bon nombre d'opportunités de me frotter à des collègues canadiens-anglais, autant dans le domaine de la radio que de la télévision que dans l'industrie de la musique, ce qui a été un éveil pour moi puisque, clairement, la façon de faire et les réalités de nos collègues anglophones sont loin, comme mon prédécesseur le disait, d'être les mêmes que celles auxquelles on se heurte ici, au Québec.

Pour faire succinctement à travers les quelques notes que j'avais préparées, s'il y a une chose qui m'a frappé au cours de toutes ces années, sur la façon de fonctionner de Radio-Canada, c'est éminemment son approche institutionnelle.

Évidemment, Radio-Canada, quand on regarde le contexte dans lequel elle est née, le contexte dans lequel elle nous a été amenée pour servir la communauté canadienne, elle a rapidement été positionnée par les gouvernements comme étant une institution. J'ai été, à travers les années, étonné de constater jusqu'à quel point cette perception qu'elle a d'elle-même n'a pas changé et jusqu'à quel point, à certains égards, cela sclérose la façon dont elle réfléchit et la façon dont elle pourrait vouloir s'adapter à des réalités distinctes et à géométrie variable à travers le Canada, alors qu'on a plutôt tendance à choisir une formule « mur à mur » ou one size fits all, comme disent les Japonais.

Je suis aussi une personne qui va nuancer ses propos, ici, aujourd'hui, en vertu de ce que j'appellerai l'offre de Radio-Canada, non pas nécessairement la façon dont cela se gère et combien elle coûte, mais ce qu'elle choisit d'offrir et les choix stratégiques qu'elle choisit de faire et qui, à mon avis, à certains égards, doivent être acclamés, et à d'autres égards, critiqués.

Je suis un grand consommateur de radio et je ne peux pas m'empêcher, cette année par exemple, de faire un parallèle entre un grand broadcaster canadien que vous avez sans doute connu, Peter Gzowski, le regretté Peter Gzowski, et le profil de l'émission qu'il animait à l'époque où il avait sa tribune nationale, Morningside. Si je compare à une émission par ailleurs tout aussi intéressante qui s'appelle Q et qui est diffusée par CBC Radio, qui est animée par Jian Ghomeshi de façon brillante, je ne peux pas m'empêcher d'y voir une évidente différence entre l'époque où la radio de CBC célébrait ce que j'appellerais le « canadianat » et le fait qu'aujourd'hui, une radio beaucoup plus — comment dirais-je? — contemporaine et internationale comme celle que fait monsieur Ghomeshi cherche beaucoup plus ses invités, ses sujets pour titiller les auditeurs canadiens auprès d'un bassin de sujets d'intérêt qui sont très internationaux.

Alors, quand j'entends Jian Ghomeshi avoir une conversation intéressante avec un musicien américain, évidemment, je suis capable d'apprécier la qualité de ce qu'il fait, mais je constate qu'on est à des kilomètres de ce que Gzowski, par exemple, et ses contemporains érigeaient comme mission pour CBC/Radio-Canada.

Je constate aussi que la télévision de CBC peine à s'affirmer dans le marché global du reste du Canada. Là, les parts de marché sont assez anémiques, malheureusement, et on parle de 5 à 9 p. 100. Alors, je ne suis pas surpris que plein de gens à travers le Canada, à l'heure actuelle, au niveau des autorités, s'interrogent sur la bonne direction à donner à Radio-Canada dans des circonstances comme celles-là.

Faisons rapidement une comparaison avec la performance de la radio et de la télévision de Radio-Canada, ici, au Canada français. La SRC Radio va généralement très bien, à Montréal, où elle connaît un énorme succès d'estime et de cote d'écoute.

Elle a des résultats qui sont, par ailleurs, assez bons dans les principales stations régionales à travers le Québec, des résultats qui se sont accrus depuis quelques années. Certainement, c'est mon analyse, à la faveur de l'augmentation du poids local dans la programmation de ses stations respectives dans les différents territoires qu'elles desservent ici au Québec.

Par ailleurs, l'offre de radio hors pointe et sur fin de semaine, dans les stations de Radio-Canada, à travers le vaste territoire du Québec, s'est véritablement, vous me pardonnerez l'expression québécoise, ratatinée.

On a assisté depuis deux ans, et je le sais, dans tout le territoire québécois, à du recours de plus en plus accentué, croyez-le ou non, à des bénévoles pour participer aux émissions de Radio-Canada, non pas comme invités sporadiques, mais bien de façon régulière. C'est assez étonnant, pour ne pas dire gênant. Non pas que ces gens-là ne font pas de la radio de qualité, mais qu'on en soit réduit à cela, ça m'étonne un peu.

D'autre part, il est clair, quand on regarde le comportement des auditoires au Québec vis-à-vis l'offre de Radio-Canada, que beaucoup de gens semblent percevoir Radio-Canada et la radio qu'elle produit à l'heure actuelle au Québec, comme une espèce de refuge contre une espèce de médiocrité ambiante dans le reste des médias dont la qualité de la langue, dont la qualité des propos s'est radicalisée, s'est beaucoup détériorée.

Alors, ne serait-ce que pour célébrer cette réalité-là, je lève mon chapeau aux artisans de la radio de Radio-Canada qui tiennent le fort dans une majorité de cas pour maintenir des standards de qualité qu'on est capable de constater et, certainement, d'apprécier.

Je constate aussi — et j'essaie de me ramasser rapidement — qu'on a beaucoup appliqué une certaine logique comptable dans la façon dont la radio de Radio-Canada mène ses activités à travers le Québec depuis quelques années. Je la questionne, si vous êtes à vous interroger sur la façon dont Radio-Canada pourrait vouloir faire certains choix stratégiques dans les prochaines années.

Ce que je veux dire par « logique comptable », c'est que, quand vous travaillez dans l'industrie de la radio et de la télévision, vous rencontrez rapidement, quand vous êtes nouveau, un vieux singe qui est dans la bâtisse depuis longtemps et qui vous dit : « Jeune homme, il y a deux façons de faire de la radio et de la télévision : on fait de la radio et de la télévision miroir ou on fait de la radio et de la télévision fenêtre. » Quand vous exprimez votre curiosité, on vous dit : « C'est simple, de la télévision miroir ou de la radio miroir, c'est celle qui montre aux gens de la région d'où elle émane leur réalité à eux et qui leur montre à eux ce qu'ils sont. La télévision fenêtre ou la radio fenêtre, c'est celle où on prend une équipe dans une ville donnée, comme Québec, par exemple, et on lui demande de faire émaner, depuis Québec, une émission qui n'est pas nécessairement représentative de Québec et qui est destinée à l'ensemble du marché. »

Alors, un exemple typique de ce genre d'émission, par exemple, serait La Semaine verte à la télévision de Radio-Canada, produite à Québec, mais destinée à un plus vaste marché où on ne reconnaît pas nécessairement toujours des valeurs et des critères qui sont purement locaux.

Au fil des ans, on a un peu travesti ce concept-là. Ça m'a fait sourire de constater, il y a deux ans, que, lorsque Radio-Canada télévision a souscrit au principe ou à la licence de l'émission Les Dragons, ou Dragons' Den, elle a profité de certaines particularités, des attentes législatives à son endroit quant à la notion de faire de la production locale, pour amener à Québec la production de l'émission Les Dragons dans un studio de fortune qui a été improvisé — bien fait, cependant —, dans un endroit public à Québec, en alléguant qu'il s'agissait là d'une production locale et en se prévalant de certaines des dispositions fiscales et autres, qui sont assorties à ce genre de production.

Alors, quand je vous dis qu'on pervertit un peu parfois la mission de l'entreprise en se pliant à certaines logiques comptables et à certaines vues de l'esprit ou certaines licences qu'on s'attribue par rapport aux attentes législatives, c'en est un exemple, je crois.

Je pense qu'on a éliminé beaucoup de plages de desserte à la radio de Radio-Canada dans les stations régionales depuis plusieurs années, parce qu'il y a une limite à ce que les administrateurs peuvent répéter, lorsqu'ils nous disent qu'on coupe leur budget, qu'on compresse leur budget, et que cela n'affectera pas les services que la population va percevoir. Je serais le premier à dire que ce n'est pas vrai.

Par ailleurs, je suis obligé de constater, avec tristesse, ce qu'un des chroniqueurs les plus cinglants du National Post, qui avait fait sienne la théorie suivante, il y a quelques années, avait dit : « Radio-Canada nous coûte trop cher, on devrait lui permettre de cesser de diffuser deux jours par semaine pour faire des économies. Qu'il y ait donc une espèce de silence à l'antenne pendant deux jours et on verra bien si les gens vont massivement se mettre à téléphoner pour demander où est passée Radio-Canada. Jamais les gens de CBC et de Radio-Canada n'oseront faire une chose pareille, parce qu'on sait très bien que le téléphone ne sonnerait pas. »

Je ne dis pas que je fais mienne sa philosophie, mais, à certains égards, on peut constater que, dans les stations régionales, Radio-Canada a atrophié son offre à bien des égards, et je crois que les auditeurs, malheureusement, ont résolu de s'en accommoder.

SRC télévision fonctionne très bien au Québec; mon prédécesseur l'a fait remarquer à juste titre. C'est un triomphe, cependant, de l'exportation des contenus montréalais où ils ne sont supplantés en cette matière que par Télé-Québec, qui collecte des taxes pour offrir ses services à travers tout le Québec, mais qui ne produit rien à l'extérieur de Montréal. Est-ce que je l'ai dit? Rien, à l'extérieur de Montréal.

Alors, Radio-Canada, au moins, à certains égards pour la production, maintient des postes de production dans certains marchés, mais, évidemment, éminemment, la télévision, c'est un rayonnement très montréalais. Si on accepte la logique de Radio-Canada qui est celle de partager le territoire canadien en nombreuses sous-régions, l'Atlantique, le Québec francophone, l'Ontario, les Prairies et la côte Ouest, on ne s'étonnerait pas que des téléspectateurs, par exemple, de Vancouver soient malheureusement très déçus si on leur disait que chaque jour leurs bulletins de nouvelles locaux vont leur provenir de Toronto, et qu'ils vont refléter la logique de Toronto. Il serait logique immédiatement de constater que ce ne serait pas une bonne stratégie de programmation.

Au Québec, par ailleurs, souvent, on choisit de privilégier Montréal comme étant la source. Ce sont des artisans de qualité qui font du bon travail, mais qui privent certaines régions d'une fenêtre ou d'un miroir, pour revenir à l'expression que j'élaborais tout à l'heure et qui, à mon avis manque un peu. Si j'avais une exhortation à faire au comité, ce serait de lui recommander d'être très prudent quant à toute manoeuvre que certaines instances directionnelles à Radio-Canada pourraient vouloir mettre de l'avant pour atrophier, contingenter, rationaliser l'activité dans les régions.

D'autant plus que, en terminant, je ferai remarquer que mon expérience pratique pendant la période de deux ans où j'ai eu le privilège de travailler à Radio-Canada m'a amené à constater qu'à plusieurs égards, la gestion des coûts de revient à Radio-Canada n'est pas toujours faite en vertu de critères optimaux.

Il me suffit de donner deux exemples que vous allez rapidement comprendre. Je me souviens très bien d'avoir fait une tournée promotionnelle dans la région de Québec avec un cadre supérieur de Radio-Canada qui traînait avec lui, dans toutes ses activités, son attaché de presse. Alors, évidemment, je le taquinais et je lui disais : « Est-ce que tu amènes ton attaché de presse au cas où tu serais obligé de commenter rapidement la baisse du titre de Radio-Canada sur le TSX à Toronto? »

Il n'aimait pas mon commentaire, mais, quand je vous dis que Radio-Canada se gère souvent comme une institution, c'en est un exemple probant.

Un autre exemple que je donnerais est une chose que je trouve un peu étonnante — c'est de la cuisine, c'est du pratico-pratique, et je m'arrêterai là-dessus. Les plus vieux parmi nous se souviendront qu'en 1993-94, les réseaux de télévision ont soudainement été dotés d'un nouvel outil partout à travers les civilisations avancées, c'était l'arrivée de ce qu'on appelait dans le domaine les camions micro-ondes.

Les camions micro-ondes étaient des camions de transmission à rayonnement court, qui permettaient, par exemple, à une station de télévision d'aller couvrir en direct un début d'émeute ou une manifestation à quatre coins de rue et, spontanément, de mettre en ondes les images qui en provenaient avec une qualité relativement bonne.

Alors, à l'époque, tous les télédiffuseurs de l'Amérique du Nord et de l'Europe cherchaient à faire de la télévision, j'allais dire, de proximité et de choc, la télévision qui nous montre immédiatement ce qui est en train d'arriver, comme on a pu le voir sur la Colline du Parlement à Ottawa, hier.

Ainsi, le déploiement de ces outils-là est rapidement devenu une espèce de passage obligé de choses qu'on ne questionne jamais. Or, les coûts associés à la gestion quotidienne de ce genre d'outils sont constamment croissants, y compris les équipes qu'on doit y dédier, et les priorités de choix éditoriaux auxquelles on doit s'astreindre, qu'on puisse ou non les couvrir avec ce genre de moyens techniques.

Il y a donc eu une espèce de perversion de la façon de faire, parce que, soudainement, on disposait d'un outil qu'on n'avait pas auparavant, et les comptables ne semblaient pas, à l'interne, remettre en question ou mettre au défi ce genre de logique, qui est de reconduire de façon automatique ce type d'utilisation.

Alors, je conclurai en disant que, quand vous voyez Radio-Canada à Québec, par exemple, atrophier son offre d'émissions de fin de semaine produites localement, mais ne jamais remettre en question la flamboyance de ses couvertures à l'aide de certains de ces jouets ou de ces outils technologiques, c'est le genre de choses qui peut porter un vieux « snoreau » comme moi à penser que, parfois, certains choix sont discutables, quand je regarde le produit et la façon dont on le fabrique, et connaissant les coûts de revient.

Le président : Merci, monsieur Thibodeau. Je n'écoute pas la traduction, mais j'aimerais savoir de quelle façon ils ont traduit « vieux snoreau »!

M. Thibodeau : Je l'ignore.

Le président : Je vais le réécouter.

Je suis d'accord avec vous en ce qui concerne les unités mobiles; présenter la température à partir de la Place D'Youville quand Radio-Canada est de l'autre côté de la rue, ce n'est pas toujours une bonne idée. Faire la météo sur l'avenue Myrand avec un camion à l'extérieur quand le studio est dans le même périmètre, il est vrai que ça permet une utilisation des jouets.

Mais vous avez parlé de Télé-Québec, et je pense que vous êtes la première personne qui en parle depuis qu'on a commencé les audiences. Le raisonnement lié à l'existence de Télé-Québec, de la nouvelle chaîne UNIS, la filière canadienne de TV5, et de TV5 et de Radio-Canada... N'y aurait-il pas une utilisation beaucoup plus rationnelle de l'argent des Canadiens et des Québécois plutôt que d'avoir ces quatre services-là qui sont maintenant offerts? N'y aurait-il pas une économie ou une stratégie de coexistence qui pourrait amener ces gens-là à travailler ensemble au lieu de se faire compétition pour un marché francophone?

M. Thibodeau : Vous parlez spécifiquement de Radio-Canada et de Télé-Québec?

Le président : C'est-à-dire, Radio-Canada, Télé-Québec, UNIS maintenant, et TV5, est-ce que le marché francophone au Canada a les moyens de se payer quatre outils subventionnés de cette nature-là? De plus, je laisse de côté le secteur privé, qui a ses outils, mais est-ce que les contribuables ne seraient pas mieux servis si ces argents-là ou ces services-là étaient partagés?

M. Thibodeau : Bien, la réponse à votre question, la réponse brève, c'est oui et non. La réponse un peu plus détaillée, à mon avis, c'est que, au Canada, il y a eu plusieurs jalons, en anglais on dit des posts, vous excuserez mon mauvais français, mais il y a eu des poteaux ou des jalons, des bornes dans l'évolution des réglementations de la radio et de la télévision à travers les âges.

Un moment charnière extrêmement important est survenu au début des années 1980 quand le législateur et le CRTC s'interrogeaient sur la pertinence d'augmenter l'offre de télévision de deux manières au Canada, soit en permettant l'arrivée de nouveaux réseaux. À certains endroits, au Québec, on se souviendra de la famille Pouliot qui avait obtenu Télévision Quatre Saisons à l'époque, et on avait assisté aussi, au début des années 1980, dans la période 1982 à 1985, à l'arrivée d'une flopée de nouveaux canaux spécialisés, comme MusiquePlus. Vous les connaissez aussi bien que moi, et l'offre de ce secteur d'activités n'a jamais cessé de s'accroître depuis.

Alors, le raisonnement qui prévalait à l'époque, c'est que le législateur pensait deux choses : la première, c'était qu'il fallait se protéger en offrant une version canadienne de tout nouveau service que le marché américain allait proposer de son côté de la frontière pour éviter que ces stations américaines viennent pirater l'écoute des Québécois, mais surtout des Canadians. Alors, à chaque fois qu'il y avait une nouveauté au sud de la frontière, on créait son pendant au Canada français ou anglais.

Prenons un exemple bien connu, en 1981 est arrivé aux États-Unis le réseau MTV, cette chaîne spécialisée dans la diffusion des vidéos. Deux ans plus tard, je crois, on émettait la licence à Moses Znaimer pour MuchMusic, à Toronto et, bien sûr, comme on est au Canada et qu'on aime l'équivalence des choses, un an plus tard, on a donné une licence à MusiquePlus qui est née en 1985, si ma mémoire est bonne.

Alors, je m'attarde à cet exemple-là, parce qu'il est tout à fait indicatif de la philosophie d'augmentation de l'offre de la télévision au Canada, quand vous examinez, aux États-Unis, les circonstances qui ont amené la création, le lancement et la mise en popularité d'un service comme MTV et que vous regardez, au Canada, quelle était la logique qui prévalait lorsqu'on s'est dit : « Il faut immédiatement se pourvoir d'un service pareil et vite, faisons-le et faisons un MuchMusic et un MusiquePlus. »

Les logiques derrière le développement de ces services-là étaient diamétralement opposées. Aux États-Unis, pour faire ça simple, l'industrie de la promotion de la musique et du disque était confrontée à des coûts croissants pour vendre des nouveaux artistes et, n'arrivant plus à maintenir un modèle de profitabilité suffisamment intéressant pour justifier le lancement continuel de nouveaux artistes, elle s'est dit : « Qu'est-ce qu'on pourrait faire pour contrôler nos coûts? »

Quelqu'un a eu la brillante idée de dire : « On va faire des vidéoclips, des films qui accompagnent les chansons et on va les donner aux stations de télévision pour qu'elles les diffusent. Ce faisant, on va contrôler nos coûts de promotion. »

Le modèle a plu, toutes les stations de télévision dans les grands marchés américains se sont mises à diffuser des vidéos et, devant l'immense popularité du phénomène, les gens de l'industrie de la musique aux États-Unis se sont dit : « On a peut-être créé quelque chose d'intéressant, on devrait peut-être créer un canal que nous contrôlerions nous-mêmes et qui nous affranchirait de l'obligation coûteuse d'aller constamment cogner aux portes de tous les programmeurs de stations de radio à travers l'Amérique du Nord et de leur dire : ''Vous devriez jouer le nouveau disque de X, Y, Z, c'est très bon. Est-ce que je peux t'inviter au restaurant, on va en parler en dégustant un bon steak?'' »

Alors, tout le lobby, la promotion, tout ça s'évanouissait, parce que tous les jeunes adolescents américains, lorsqu'ils arrivaient de l'école l'après-midi à 4 heures, ouvraient le téléviseur, écoutaient MTV et étaient subjugués par une offre massive de productions. Il fallait même se demander qui on n'allait pas jouer et qui on n'allait pas diffuser comme vidéos.

Au Canada, lorsqu'on a créé Much et MTV, on a pensé que c'était une bonne chose que d'offrir un pendant tout à fait similaire, mais on a découvert, avec consternation, que personne ne produisait des vidéos accompagnant les chansons des principaux artistes populaires au Canada, parce que ça coûtait trop cher.

Alors, qu'est-ce qu'on a fait? On a subventionné massivement, bien sûr — je ne conteste pas le fait que c'était opportun de le faire, mais je constate seulement qu'on l'a fait —, la production des vidéos et, partant, toute l'industrie.

Donc, quand, au Canada, on adopte un modèle et une façon de faire, souvent on veut se pourvoir d'un service qui ressemble à celui qui nous inquiète chez un pays concurrent qui peut traverser nos frontières, mais on ne le fait pas pour répondre aux mêmes normes comptables.

Ainsi, pour répondre à votre question, est-ce qu'il y aurait une économie d'échelle à faire mieux travailler en synergie des télévisions publiques comme TV Ontario ou Télé-Québec, et Radio-Canada? Sans aucun doute, il y aurait des économies d'échelle, je pense que poser la question, c'est donner la réponse.

Cependant, comme ce sont toutes des institutions, elles vont résister farouchement à céder une partie de la responsabilité de l'exécution de leur mandat et elles ne s'astreindront pas plus qu'elles ne le faisaient préalablement à la réalité économique tout à fait différente qu'est la nôtre.

Le président : Voulez-vous ajouter quelque chose, monsieur Lehmann?

M. Lehmann : Oui, en fait, je voudrais juste prendre un très court temps pour rebondir sur deux éléments qu'il a amenés relativement au numérique. Quand il parle d'institutions, ça a vraiment frappé, parce que s'il y a une chose que le numérique nous a apprise, c'est que les institutions et l'industrie, de manière générale, vivent mal les changements très rapides que le numérique amène.

Il y a quelque chose à cet égard qui résonne. Quand on parle de réfléchir à l'avenir, et cetera, il y a une constatation qu'on peut faire au niveau du numérique, si on regarde, par exemple, l'industrie de la musique qui a refusé d'évoluer avec le numérique, qui a pensé qu'iTunes allait les sauver; or, on a eu le signal, il y a deux semaines, qu'iTunes venait de les enterrer en offrant l'album de U2.

Ce que cela veut dire, c'est que de la musique, ça ne vaut plus rien, et on s'en va maintenant vers les abonnements. Or les abonnements, on sait ce que ça rapporte en termes de droits d'auteur, et on va frapper une autre crise pour l'industrie de la musique, encore plus importante que celle du téléchargement illégal, mais on dirait que personne dans l'industrie n'est en train de le voir venir.

Donc, cette question-là d'institution, je pense qu'il y a lieu de s'y pencher. Quand M. Thibodeau parle de cette centralisation-là vers Montréal, pour moi, la centralisation amène justement ce genre de chose où on adopte la formule one size fits all, où on décide à une place ce qui est bon pour partout ailleurs, alors qu'on devrait plutôt faire l'inverse. On devrait, au lieu de centraliser, y aller avec des structures vraiment décentralisées qui ont plus de souplesse.

Mon deuxième point, qui va être très court, c'est quand on parle de virage numérique, de plateformes numériques; il a mentionné Télé-Québec et l'absence de production qui se fait dans les régions.

Si vous voulez un bon exemple de ce que vous ne devriez pas faire avec un virage numérique, ce serait de regarder La Fabrique culturelle, qui a réussi, en ayant, au départ, beaucoup de partenaires qui étaient extrêmement enthousiastes de participer à ce projet, à faire revirer une grande partie de l'industrie du milieu culturel, parce qu'on s'est rendu compte que, dans le fond, l'approche qu'ils avaient utilisée était une approche similaire à YouTube, c'est-à-dire une approche où on s'attend à ce que les autres nous fabriquent du contenu pour qu'on puisse l'utiliser gratuitement.

Cela a été extrêmement mal reçu par le milieu, et je pense que c'est un bon exemple de choses à éviter quand on parle de virage numérique.

Alors, cette notion de compter sur les autres pour faire du contenu a non seulement un impact sur la qualité du contenu, mais elle a un impact aussi beaucoup plus grave sur la production. Effectivement, pour Télé-Québec, c'est une porte de sortie, mais, à mon avis, ça crée un malaise.

Le président : Monsieur Housakos.

Le sénateur Housakos : Merci.

Monsieur Thibodeau, pouvez-vous souligner pour nous trois choses que Radio-Canada fait très bien, et pouvez-vous souligner et identifier pour le Comité trois choses que la CBC fait très bien?

M. Thibodeau : Trois choses, oui, bien sûr. Alors, trois choses que Radio-Canada fait très bien...

Le sénateur Housakos : Qui figurent parmi les meilleures dans le marché dans ce domaine-là. Je ne veux pas non plus nommer des choses qui sont déjà offertes par d'autres compétiteurs, mais plutôt des choses qui sont distinctes, que l'on peut trouver uniquement chez Radio-Canada et à la CBC, qui n'existent pas ailleurs.

M. Thibodeau : À la radio de Radio-Canada et de la CBC, dans les deux cas, clairement, on met de l'avant souvent des choix de programmation qui ne font aucune logique économique, qu'aucun télédiffuseur commercial ne mettrait de l'avant, parce qu'il ne serait pas payant de le faire.

Alors, beaucoup de concurrents de Radio-Canada dans les réseaux privés, de radio et de télévision, ont souvent critiqué Radio-Canada, parce qu'elle s'aventure parfois dans les plates-bandes des concurrents ou qu'elle adopte des formats ou des façons de faire qui sont trop proches de ceux des diffuseurs privés, qui vivent de commandites.

À cet égard, Radio-Canada fait souvent preuve d'une grande indépendance qu'il faut célébrer. Ça, c'est une chose que j'applaudis.

Une chose que la télévision de Radio-Canada fait de façon remarquable aussi, autant à la télévision française qu'à la télévision anglophone, c'est de maintenir à l'antenne un certain nombre d'émissions où on nous présente des nouveaux venus, des nouveaux talents, et où on nous permet de découvrir l'émergence de nouvelles personnes. Je ne vous dis pas qu'il s'agit de la majorité de la programmation, mais ils en font encore dans les deux cas, autant à la CBC qu'à Radio-Canada.

Alors, c'est un aspect que je célèbre, parce que les télédiffuseurs commerciaux sont toujours à la recherche de quelqu'un ou de quelque chose dont on pourra mesurer instantanément les retombées commerciales. Donc, des gens bien connus, des household names, comme on dit en français, alors que Radio-Canada s'est avérée à plusieurs égards, parfois, être une télévision, dans les deux langues, qui a accepté de prendre des risques.

J'ignore, cependant, si Radio-Canada le fait encore autant qu'elle l'a déjà fait, mais si elle le fait encore, ce que je crois, je l'exhorte à continuer de le faire. C'est une deuxième chose qu'elle fait très bien.

La troisième chose que Radio-Canada fait très bien et que, malheureusement, je dois constater comme étant une chose de plus en plus rare chez les diffuseurs privés, c'est, à plusieurs égards, de se faire encore le défenseur d'un langage de qualité et d'une langue correcte, et d'éviter les effets-chocs pour émoustiller l'auditoire.

Alors, si j'avais à souligner trois choses, les premières qui me viennent en tête sont celles-là.

Le sénateur Housakos : Est-ce qu'il y a deux ou trois choses qu'il peut faire mieux, qu'il ne fait pas bien dans le cas de la CBC et de Radio-Canada? Si vous pouviez conseiller la ministre du Patrimoine et suggérer à notre comité des éléments à mettre dans son rapport, quelles seraient les choses qu'il faut améliorer le plus vite possible?

M. Thibodeau : Moi, je crois qu'il faut accroître l'offre de produits locaux-régionaux, et les montrer aux auditoires locaux et régionaux. La personne qui est responsable de la comptabilité dans n'importe quelle station de télévision ou de radio, le directeur financier, le bean counter en chef va toujours vous dire que, lorsqu'on interrompt la diffusion d'une émission réseau dans une région en particulier pour y substituer une émission locale, ce n'est pas mathématiquement et financièrement logique, parce qu'on fait de la redondance. On paie pour un contenu dont on s'abstient de le diffuser dans la région A et on y substitue à coût faible ou élevé une autre émission. Alors, si on écoute les chefs financiers des réseaux, on va effectivement faire du « mur à mur » partout et on va maximiser la recherche du coût de revient le plus bas possible pour chaque heure de diffusion. À la limite, cela serait acceptable chez un diffuseur privé, mais c'est, à mon avis, une façon perverse de voir les choses si on est un diffuseur public, pour deux raisons : on a un mandat qui n'est pas le même que le diffuseur privé; nos cibles ne doivent pas toujours être les mêmes que le diffuseur privé, et on est foncièrement financé en grande partie et en totalité, si on parle de la radio, par les contribuables.

Ainsi, Radio-Canada, à mon avis, et la CBC doivent profiter de chaque opportunité qui leur est donnée pour augmenter l'offre locale et régionale de programmation en radio et en télévision.

Le sénateur Housakos : Voici ma dernière question : est-ce que vous pensez qu'il soit encore logique qu'une compagnie gère les deux côtés en même temps, Radio-Canada et la CBC? Il y a plusieurs témoins qui ont exprimé l'idée qu'il serait préférable que l'on crée deux budgets distincts, deux entités, deux sociétés distinctes. Vous avez souligné, tantôt, que la réalité est tellement différente dans le Canada français que dans le Canada anglais; il est peut-être temps de voir s'il serait logique de créer deux administrations dotées de deux stratégies distinctes pour répondre à la demande.

M. Thibodeau : Je n'écarterais pas cette logique-là, si les balises qui en encadrent l'exécution sont adéquates, sont connues de tous et sont appliquées avec rigueur. Je ne pourrais pas m'inscrire en faux contre une idée comme celle-là.

Le président : Quand on a un conseil d'administration formé de 12 honnêtes citoyens canadiens venant de toutes les régions, avec une proportion normalement linguistique, ça veut dire qu'il y a deux francophones du Québec possiblement...

M. Thibodeau : Balancée.

Le président : ... puis une dizaine d'anglophones. Les anglophones écoutent la télévision américaine et canadienne; les Québécois écoutent la télévision et consomment 80 p. 100 de ce qu'ils produisent. On leur demande de s'asseoir à une table puis de prendre une décision concernant un avenir; pour moi, cela mérite certainement que nous nous penchions sur la gouvernance au plus haut niveau.

Nous allons d'ailleurs accueillir le président de Radio-Canada et le président du conseil d'administration de Radio-Canada, parce que, comme vous le savez, ce n'est pas le conseil d'administration de Radio-Canada qui choisit son président, c'est le premier ministre.

M. Thibodeau : Vous avez raison.

Le président : Encore là, en ce qui concerne la gouvernance, est-ce que c'est logique? Je pense qu'en 2014, nous avons certainement le mandat, à titre de comité, de nous interroger sur cette question, à savoir si cette logique-là devrait être réexaminée, pas seulement en fonction de la Loi sur la radiodiffusion, mais en fonction de la bonne gestion des ressources qui sont mises à disposition.

Un exemple nous a été donné — et je pense que nous allons terminer avec cela —, de la part de l'un de nos témoins, qui nous avait dit que la gouvernance de Radio-Canada, c'est comme avoir un conseil d'administration qui gouverne la BBC et Radio France, mais à partir de la Belgique. Il s'agit de deux mondes complètement séparés...

M. Thibodeau : Oui.

Le président : ... à tel point que, comment voulez-vous... Pauvre M. Lacroix, il y a des témoins qui sont allés l'écouter, et je respecte les efforts qu'il fait pour travailler dans ces conditions-là, car il doit faire face à deux mondes. Vous savez, des émissions comme Tout le monde en parle, au Canada en anglais, il n'y en a pas, et il vient de perdre ses 100 quelques millions de revenus publicitaires liés à Hockey Night in Canada, et qui n'était pas seulement un revenu publicitaire. C'était aussi le point d'ancrage de toutes les autres émissions de Radio-Canada pendant que les gens écoutaient le hockey, où on entendait : « Dragons' Den is going to be on tomorrow night... » C'était le point de référence pour les autres émissions...

M. Thibodeau : Oui, mais si je peux me permettre...

Le président : ... et maintenant — excusez-moi, et je termine là-dessus — ils vont être obligés de combler 350 heures de télédiffusion le samedi soir lorsqu'ils vont avoir perdu toutes leurs références avec le hockey. Car c'est le même monde. Quand ils ont pris la décision... quand Radio-Canada français a perdu le hockey, ce n'était pas la fin du monde, car ce n'était pas l'émission la plus écoutée. Dans ce temps-là, c'était La Petite Vie, et ce n'était pas l'émission la plus rentable. Les émissions comme La Petite Vie, entre autres, encore une fois, étaient deux, trois fois plus rentables et beaucoup plus faciles.

Donc, ils ne sont pas morts, mais l'effet du départ de Hockey Night in Canada est certainement plus grave. Ainsi, c'est le même conseil d'administration qui doit prendre ce genre de décisions, et pour moi, c'est...

M. Thibodeau : Oui.

Le président : ... je trouve ça compliqué.

M. Thibodeau : Vous avez raison. Avant de répondre spécifiquement au point que vous amenez, je dirais que dans le cadre de l'exemple que vous avez donné quand vous parlez de Tout le monde en parle, il est intéressant de constater qu'une émission comme Tout le monde en parle est née, a connu son émergence, a conforté sa popularité, et s'est avérée être un succès énorme d'abord en France. Or, lorsqu'on regarde la façon dont la mosaïque nationale est constituée en Europe, on constate que la France est une... si je regardais la Fédération européenne ou la Communauté européenne, la France est un peu comme une province qui, par ailleurs, parle français à côté de gens qui parlent allemand ou qui parlent flamand, ou peu importe. Alors, cette espèce de sens de la communauté d'être une île dans un océan d'autres choses est éminemment présent en France, pour avoir travaillé un peu en France et avoir fait des consultations avec des clients là-bas et l'avoir découvert. C'est aussi l'une des caractéristiques du Québec.

Alors, quand vous faites une grand-messe comme Tout le monde en parle le dimanche soir, vous parlez à une population qui est extrêmement homogène : tout le monde est blanc, catholique non pratiquant et en position du missionnaire. Vous savez ce que je veux dire, c'est très homogène, je ne peux pas le dire autrement.

Par contre, quand vous écoutez la radio de Radio-Canada, je reviens à l'exemple de Peter Gzowski que j'ai écouté pendant des années avec satisfaction et avec plaisir, Gzowski faisait des efforts absolument extraordinaires pour essayer d'incarner, dans chacune de ses émissions, ce qui, en l'occurrence, par exemple, pouvait provenir de l'Alberta, ce matin-là, et qui était d'intérêt et dans lequel le reste des Canadiens allait possiblement se reconnaître. Cependant, il était diablement difficile d'y arriver, parce que, vous le savez, vous parcourez le Canada, il y a des réalités régionales à l'ouest des Rocheuses, les Prairies, le Centre du Canada, le Québec et les Maritimes.

Ainsi, lorsqu'une personne qui dirige, qui est sommet de la pyramide à Radio-Canada, essaie d'adopter l'approche one size fits all ou une philosophie opérationnelle qui serait homogène, uniforme, elle n'y arrivera pas dans un Canada bilingue en vertu des deux territoires où sont concentrées les deux principales langues officielles. Elle va y arriver avec difficulté dans l'ensemble du Canada, parce que la réalité des gens de Victoria, en Colombie-Britannique, est à des kilomètres de celle des gens de St. John's, à Terre-Neuve.

Alors, oui, la réponse à votre question, c'est certainement qu'il est opportun d'explorer une formule bicéphale ou quelque chose qui permettrait de mieux reconnaître et de mieux ajuster l'offre et les façons de faire au territoire.

Le président : Si jamais vous avez des recommandations plus précises à cet égard, nous serons heureux de les recevoir par l'intermédiaire de notre greffier.

M. Thibodeau : Monsieur, je n'ai pas la science de mes collègues qui dirigent Radio-Canada à l'heure actuelle, et je ne voudrais pas me substituer à leur bonne gestion. Je suis sûr qu'ils essaient de faire le maximum selon les circonstances.

Le président : Je vais vous demander, dans ce cas-là, de nous les transmettre anonymement, puis il me fera plaisir de ne pas vous nommer comme source!

M. Thibodeau : Je ferai cela!

Le président : Encore une fois, je vous remercie. Nous nous excusons des circonstances, mais je pense que la décision à prendre, c'était d'aller de l'avant. Vous allez être, comme disait Molière, « on the record ». Et j'ajourne la séance.

M. Lehmann : Je voulais quand même vous remercier d'avoir tenu cette journée, de pouvoir nous écouter. Vous auriez pu prendre une décision inverse et on aurait tout à fait compris, mais je vous remercie d'avoir fait l'effort d'être présents à Québec.

(La séance est levée.)


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