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TRCM - Comité permanent

Transports et communications

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Transports et des communications

Fascicule 10 - Témoignages du 6 novembre 2014


MONTRÉAL, le jeudi 6 novembre 2014

Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui, à 9 h 1, pour poursuive son étude sur les défis que doit relever la Société Radio-Canada en matière d'évolution du milieu de la radiodiffusion et des communications.

Le sénateur Dennis Dawson (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Honorables sénateurs, je déclare cette séance du Comité sénatorial permanent des transports et des communications ouverte. Aujourd'hui, nous continuons notre étude sur les défis que doit relever la Société Radio-Canada en matière d'évolution du milieu de la radiodiffusion et des communications.

Nous accueillons, ce matin, M. Michel Nadeau, qui va témoigner sur les règles de gouvernance. Monsieur Nadeau, la parole est à vous.

Michel Nadeau, directeur général, Institut sur la gouvernance d'organisations privées et publiques : Merci beaucoup, monsieur le président.

Je suis Michel Nadeau. J'ai passé 10 ans comme éditorialiste au journal Le Devoir entre 1974 et 1984. Après, j'ai eu une carrière de 20 ans à la Caisse de dépôt où j'ai occupé plusieurs fonctions de cadre. C'était avant les papiers commerciaux, je tiens à le souligner. Et, depuis 10 ans, je m'occupe de gouvernance, du fonctionnement des conseils d'administration où, je pense, les entreprises canadiennes peuvent améliorer leur performance.

Ce matin, je vais vous parler de deux idées que je vais développer. La première, c'est l'avenir de la télévision généraliste. La télévision généraliste au Canada, quel est son avenir? Quant au deuxième point, je vais apporter quatre éléments qui pourraient aider la Société Radio-Canada dans cette évolution de la télévision généraliste au pays.

Ce qui a été frappant au cours des dernières années, depuis le début des années 1990, c'est l'arrivée d'Internet dans le monde des communications. Or, nous avons un univers global, instantané et souvent gratuit. L'Internet a beaucoup changé l'univers du monde des communications.

Au chapitre de la publicité, par exemple, 24 p. 100 du budget publicitaire a été, l'an passé, consacré aux services Internet. Donc, 24 p. 100 des 12 milliards de dollars que les entreprises canadiennes versent pour de la publicité dans les médias, soit 3 milliards de dollars, sont accordés aux budgets de différents réseaux Internet.

Évidemment, si 24 p. 100 ont été injectés de ce côté, il y a eu des perdants. Le premier grand perdant, c'est la presse écrite : les quotidiens et les magazines. Les quotidiens étaient les châteaux forts de l'économie canadienne. Je suis boursier Southam, et je peux affirmer que M. Gordon Fisher est extrêmement fier de la chaîne Southam; c'est son fleuron.

Aujourd'hui, quand on regarde, malheureusement, nos grands quotidiens, on s'aperçoit qu'avec la fusion de la chaîne Sun Media et de Postmedia, la moitié des quotidiens des grandes villes canadiennes seront la propriété de fonds spéculatifs où on a commencé à décortiquer ces grands quotidiens. On a vendu l'immeuble. On a vendu l'imprimerie. On sous-traite l'impression et la vente d'annonces et, bientôt, il ne restera plus que la salle de rédaction.

Donc, le modèle des quotidiens ne fonctionne plus. Il y a des quotidiens qui, comme on le voit ce matin dans le Toronto Star, migrent vers la tablette, comme La Presse. C'est parce que ce sont des gens qui ont des poches profondes. La vente de Harlequin a permis au Toronto Star d'offrir ses services sur les tablettes. La Presse a évidemment un actionnaire important qui peut se permettre d'avoir une vision à long terme. Mais, il n'est pas du tout prouvé que le modèle de la tablette soit rentable.

Donc, au chapitre de la presse écrite et des magazines — je suis président du conseil du magazine Protégez-Vous —, on voit les difficultés que la presse écrite a connues. La presse écrite détenait environ de 35 p. 100 à 40 p. 100 de l'assiette publicitaire; aujourd'hui, c'est moins de 20 p. 100.

C'est l'état de notre presse écrite qui vit une tragédie, parce qu'elle doit continuer d'imprimer un journal tout en déployant ses activités sur Internet. On développe les deux canaux simultanément, ce qui entraîne évidemment des déficits.

Malheureusement, c'est ce qui va arriver à la télévision généraliste. Quand j'étais petit, j'habitais la région de Québec, et mon père désignait celui des enfants qui devait changer le bouton de télévision, pour passer de 2 à 4, soit de Radio-Canada à Télé-Capitale. C'était nos deux choix. On avait un écran. Le seul endroit où on pouvait voir des images qui bougent, c'était à la télé ou au cinéma.

Aujourd'hui, évidemment, ce n'est plus cela. Le câble et le satellite ont amené une profusion de canaux spécialisés; on a offert le choix. Cela a permis aux groupes de télévision de survivre; les canaux spécialisés comme les quotidiens gratuits ont permis à la presse écrite de survivre quelques années de plus. Donc, les canaux spécialisés ont donné de la croissance au monde de la télévision.

Mais, voilà qu'il arrive quelque chose d'important, c'est que la télévision va maintenant offrir une pléiade, une pléthore de nouveaux services, tel Netflix. On va passer de plus en plus de temps devant le téléviseur, mais on va regarder de moins en moins la télévision.

La télévision en direct va représenter, selon moi, dans 15, 20 ans, peut-être 2, 3 ou 4 p. 100 du temps qu'on passera devant notre téléviseur, parce que ce sera un ordinateur. Notre téléviseur va être relié à Internet. On va avoir accès à toutes les banques de Google, de YouTube sur notre téléviseur, tout comme Netflix, que j'ai déjà nommé. Il y aura une panoplie de services disponibles. Or, le choix qui est extrêmement limité, entre Radio-Canada et TVA ou les cinq ou six canaux spécialisés qu'on regardait, évidemment, va beaucoup changer.

Donc, je crois que la télévision, si vous lisez The Globe and Mail ce matin, à la page B10, aux États-Unis, éprouve de gros problèmes quant à la vente de publicité. Les recettes publicitaires de la télévision se sont maintenues malgré la baisse de l'auditoire, parce que c'était un moyen d'avoir accès à de grands publics.

Mais, je pense que les prochaines années vont être décisives, malheureusement, en raison de l'abondance de l'offre avec les téléviseurs intelligents et la petite version qu'est notre cellulaire dont on se sert de moins en moins comme téléphone pour parler. C'est une télé mobile. Donc, les téléviseurs et leurs petites sœurs mobiles vont accaparer de plus en plus le temps des gens dédié aux médias.

On voit que, chez les personnes de plus de 55 ans, on écoute la télévision 39 heures par semaine, alors que chez les jeunes, c'est 21 heures. Dans ce contexte, la télévision généraliste va connaître, je crois, des problèmes importants. Alors, qu'en est-il de Radio-Canada? Moi, je crois que Radio-Canada peut, et doit — je suis un très grand partisan de Radio-Canada, je dois le souligner en passant — jouer ses cartes.

D'abord, la première chose, c'est que Radio-Canada a un plan stratégique 2015 : être partout pour tous. Eh bien, c'est une erreur. Les magasins Eaton, Simpson, Dupuis Frères voulaient être partout pour tous, on voulait être tout pour tout le monde. Sears et La Baie veulent encore être tout pour tout le monde et ils ont de gros problèmes financiers.

Je crois qu'on doit abandonner ce concept de remplir une grille horaire 24 heures par jour. Radio-Canada doit mettre l'accent sur trois grands champs d'activités : l'information, les dramatiques et les variétés. Avoir des émissions rassembleuses dans ces trois secteurs d'activités pour rejoindre les Canadiens et leur offrir une solide alternative. Pour moi, c'est le premier point.

Le deuxième point, c'est que les jeunes n'écoutent plus la télévision traditionnelle, ils l'écoutent de moins en moins. Je crois que Radio-Canada, qui s'est aventurée dans les chaînes spécialisées un peu en retard, RDI, Explora, devrait revoir sa stratégie. Je crois qu'il serait important de lancer une nouvelle chaîne spécialisée pour les 2 à 24 ans, soit tous ces jeunes qui sont vraiment axés sur les réseaux sociaux, qui sont dans l'univers numérique. Je crois que c'est un monde tout à fait différent du mien et probablement du vôtre aussi.

Mes adolescents sont découragés de voir leur père, et souvent ils me le rappellent : « Papa, tu es le seul Canadien, avec Stephen Harper, à ne pas avoir augmenté le nombre de tes amis au cours des dernières années. » Je leur dis : « L'explication, c'est que je n'ai pas de compte Facebook. »

Il faut trouver une alternative pour les jeunes, un canal qui se fonderait sur les réseaux sociaux, car ce ne sont plus des téléspectateurs, ce sont des « téléparticipants ». La jeune population veut participer à ces émissions de télévision. Donc, c'est une toute nouvelle approche, et Radio-Canada devrait innover, être pionnière dans ce domaine, offrir une télé entièrement numérique pour les 2 à 24 ans. J'ai dit deux ans, parce que j'ai un bébé qui est plus expert que moi sur mon téléphone.

Dans un tel contexte, je crois qu'il est important de se doter d'une stratégie pour revoir la télévision qui a été conçue pour les gens de plus de 50 ans ou 60 ans. Évidemment, il faut revoir la stratégie dans ce domaine.

Le troisième élément, je dirais, c'est qu'il faut que Radio-Canada fasse des partenariats. Radio-Canada a toujours pris des initiatives seule. Aujourd'hui, les journaux en sont réduits à des salles de rédaction. Tout le reste a été vendu, a été cédé ou est parti en sous-traitance. Il faut qu'il y ait de la collaboration entre les quotidiens, entre Le Devoir, et en Acadie, entre L'Acadie Nouvelle et Radio-Canada Moncton; il doit y avoir des partenariats. Radio-Canada ne doit plus continuer d'évoluer seule, c'est mon troisième point.

Le quatrième point, évidemment c'est la lourdeur, la rigidité de Radio-Canada. On a beaucoup investi dans le béton, dans les camions, dans les infrastructures. On commence maintenant à céder. On vend certains de ces éléments. Mais, je pense que Radio-Canada doit se munir d'une structure administrative beaucoup plus légère. Elle doit se doter d'une gouvernance beaucoup plus crédible.

Le conseil de Radio-Canada, à mon avis, ne fait pas le poids en matière de gouvernance d'une entreprise de communications en 2014. J'ai beaucoup de respect pour nos amis les avocats, mais est-ce qu'il est nécessaire qu'il y en ait quatre sur douze au conseil de Radio-Canada?

Dans ce contexte, il faut une structure beaucoup plus légère, des partenariats, plus de flexibilité, et beaucoup moins de rigidité. On sait qu'à Radio-Canada, la réalité se passe dans les sous-sols, mais vous avez une très grande tour de 25 ou 30 étages au-dessus. Il me semble qu'il y aurait peut-être lieu d'assouplir cette structure de fonctionnement.

En conclusion, monsieur le président, je dirai que Radio-Canada doit avoir une valeur unique, une valeur essentielle : c'est le souci de l'excellence. Radio-Canada ne doit pas viser les plus hautes cotes d'écoute. Elle doit avoir un auditoire raisonnable. Elle doit répondre à des critères de performance, bien clairs. Ceux qu'elle a actuellement ne sont pas clairs, à mon avis. Radio-Canada doit agir avec le milliard et demi que les contribuables canadiens y investissent, et je crois qu'il est important que Radio-Canada, comme tous les autres organismes au pays, rende des comptes.

Dans ce contexte, encore une fois, on ne fait les choses que très bien. Des émissions en fin de soirée, et d'autres émissions, comme Pour le plaisir, où c'est du bavardage plutôt sympathique, je pense qu'on pourrait s'en passer. Et, le secteur privé fait fort bien ce genre d'émissions. Radio-Canada devrait chercher ailleurs.

Est-ce que Radio-Canada devrait s'investir dans le domaine du sport? J'entends dire qu'elle a signé les deux prochains Jeux olympiques. On espère que cela sera rentable. Là, je pose le problème, mais, encore une fois, les trois secteurs importants, l'information, les dramatiques et les variétés, sont prioritaires, selon moi.

En conclusion, je dirai qu'il est important que les crédits et les budgets de Radio-Canada soient maintenus. Est-ce qu'on devrait accorder un pourcentage des dépenses budgétaires? Je pense qu'on parle de 200 ou 300 millions de dollars sur un budget, sur des dépenses budgétaires de 260 milliards de dollars. Quel est l'enjeu par rapport à certaines autres dépenses fort critiquables?

Il y a de grandes sociétés comme Bell Canada qui sont omniprésentes. Vous allez avoir, maintenant, dans la plupart des villes au Canada, une concentration de la presse écrite. Le rapport Kent n'aurait jamais toléré ce genre de concentration. Tous les journaux, les hebdos appartiennent à un même individu, et cet individu serre les vis pour exploiter jusqu'au dernier sou.

Dans ce contexte, il est important, pour le secteur public, que la population canadienne se dote d'une agora, d'un lieu de rencontre important. Je crois qu'il est primordial que les parlementaires canadiens de la Chambre basse et la Chambre haute s'entendent pour redonner leur appui à notre grande société d'État nationale.

Voilà. J'espère avoir répondu à vos questions dans le temps qui m'était imparti.

Le président : Merci, monsieur Nadeau.

La sénatrice Hervieux-Payette : Merci, monsieur Nadeau. C'est très intéressant. Je pensais qu'on aurait un grand exposé sur l'absence de gouvernance, comme on a entendu hier. Apparemment, la façon dont Radio-Canada s'administre et dépense ses budgets correspond à peu près à ce qu'il y a de plus mystérieux au Canada.

Alors, c'est une entreprise de communications, mais on ne sait pas comment elle dépense son argent. J'aurais aimé que vous le souligniez peut-être un peu plus. Vous dites que les généralistes, c'est dépassé, et que nous avons beaucoup de canaux spécialisés. Ensuite, vous dites que, évidemment, il y en a plusieurs qui sont en difficultés.

Hier, on a parlé des différentes clientèles, et des clientèles des francophones en dehors du Québec. On a parlé des Autochtones. On a parlé des différents groupes d'âge. On a vu une entreprise qui sert surtout les jeunes sur la base éducative, dont TV5 et une de ses filiales. Donc, comment les Canadiens seraient-ils bien servis, selon la vocation de Radio-Canada? Est-ce qu'elle ne doit pas servir toutes les clientèles qui sont souvent ignorées par le secteur privé, parce qu'elles ne sont pas payantes vis-à-vis des annonceurs?

M. Nadeau : Je crois qu'il devrait y avoir deux budgets à Radio-Canada, soit un budget pour les activités principales qui seraient le canal de Radio-Canada pour les trois grands domaines que j'ai mentionnés; et le réseau spécialisé pour les 2-24 ans comme je l'ai proposé.

On devrait essayer avec ces deux avenues d'aller rejoindre le plus grand nombre de Canadiens, évidemment, au Québec dans le cas de Radio-Canada et pour la CBC dans le reste du pays également. Évidemment, pour les autres publics, pour Moncton, pour Edmonton et les autres régions du pays où il y a des concentrations francophones, je pense que Radio-Canada a toujours sa place.

Mais, je dois vous dire que ce sera difficile, là aussi. Encore une fois, vous avez un écran de télévision qui va offrir autre chose. Là où nous sommes actuellement par rapport au point où nous serons dans cinq ans ou dix ans, c'est totalement différent. L'introduction d'une télévision intelligente avec un ordinateur intégré, ça change la donne.

Quand vous pouvez aller sur Internet et que vous pouvez segmenter votre écran de 60 pouces en petits morceaux, ça change complètement. Là, la concurrence est plus vive. Quand on avait le choix entre le Canal 2 ou le Canal 4 à Québec, c'était facile. On en avait deux, on choisissait l'un des deux, puis il n'y en avait pas d'autres.

Mais, aujourd'hui, les canaux spécialisés ont élargi le choix. Encore une fois, on sait que c'est six, sept canaux que les gens regardent en moyenne. Avec Internet, vous allez fabriquer vos émissions. C'est pour cela que je pense que les canaux spécialisés vont entraîner des radiations importantes. Si je veux lancer un Canal Vie, je m'en vais sur le Web et, avec quatre, cinq amis diététiciens et décorateurs, on lance un canal de décoration, sans aucune contrainte.

Dans ce contexte, pour les populations minoritaires à l'extérieur de Toronto et de Montréal, évidemment, il y aura de grands défis, parce que les autres solutions seront beaucoup plus nombreuses. J'espère qu'on va continuer d'appuyer les minorités linguistiques anglophones au Québec et francophones à l'extérieur du Québec.

Mais, je pense que ceci devrait faire l'objet de budgets bien précis, pour une question de survie. Le coût additionnel d'un téléspectateur, évidemment, est beaucoup moins cher au Québec et en Ontario que dans le nord d'Edmonton, à titre d'exemple.

Le sénateur Housakos : Bonjour, monsieur Nadeau. Il est clair que le domaine des communications a changé beaucoup depuis 10 ou 15 ans. Tous les jours, on voit des changements incroyables et rapides. On vit maintenant dans un monde où Internet est primordial et prend beaucoup de place. Présentement, dans le domaine des communications, le mot « globalisation » a pris place.

Quels sont, à votre avis, les nouveaux grands défis pour la culture canadienne-française et, plus particulièrement, pour les médias francophones au Canada?

M. Nadeau : Je crois que, pour les médias, c'est le souci de l'excellence. Auparavant, à la télévision, vous aviez la possibilité de déplacer, le nombre de choix était limité. Mais, maintenant, avec Netflix, vous avez des quantités impressionnantes de films. Sur YouTube, vous avez d'excellents documentaires qui sont accessibles.

Or, si la télévision dite généraliste conventionnelle n'offre pas des choses de très haute qualité, d'excellentes choses, on va aller sur YouTube ou sur Netflix, ou encore vers les réseaux sociaux. Ce sera très facile, parce que vous allez avoir votre téléviseur fixe à la maison et vous allez avoir avec vous votre téléviseur mobile qu'est votre cellulaire. Donc, les quantités, les options vont être beaucoup plus grandes. Dans un tel contexte, il faut faire des choix. On ne peut pas être tout pour tout le monde. Au Québec, on a bien réussi, et la CBC, également, jusqu'à un certain point, mais c'est plus difficile, évidemment, avec la concurrence américaine. Mais, on a bien réussi avec des émissions comme Tout le monde en parle, les téléromans et autres, à attirer un million, un million et demi de téléspectateurs chaque semaine durant une demi-heure ou une heure, à plusieurs moments de la semaine. C'est excellent.

Encore une fois, il faudra concentrer nos ressources vers des émissions très performantes. Il faut viser l'excellence par des partenariats avec des alliés pour essayer d'offrir aux francophones quelque chose d'excellent. Parce que, maintenant, vous avez vu TV5 qui offre une excellente alternative aussi. Les émissions culturelles chez TV5 sont bien présentes. Au Québec, c'est très complaisant, c'est très aimable. On s'envoie des fleurs, on se flatte un peu, alors que vous avez en France des émissions beaucoup plus agressives.

Dans ce contexte, je pense qu'on va avoir, pour les médias francophones et pour les médias canadiens-anglais également, le défi et le devoir de mettre l'accent, avec toutes les parties en place, sur l'excellence, parce que la concurrence va être beaucoup, beaucoup plus forte.

Quand je dis que la télévision traditionnelle va représenter 4 p. 100 de tout ce qu'on peut voir devant un écran, 4 ou 5 p. 100, ça veut dire qu'il restera 95 p. 100 de sollicitation constante : Netflix a de nouveaux films, ainsi de suite. Sur YouTube, il y aura de nouveaux documentaires.

Dans ce contexte, vous avez un temps médias, vous avez un budget médias qui est limité, et on ne peut pas passer sa vie devant la télévision. Donc, au cours des 40 ou 50 heures au cours desquelles je regarde le petit écran, je vais aller vers les choses qui m'intéressent. Auparavant, je n'avais que la télévision traditionnelle, mais j'aurai beaucoup plus de choix à l'avenir. Donc, visons l'excellence.

Le sénateur Housakos : Ma deuxième question, c'est à propos de la gouvernance de la Société Radio-Canada/CBC. Quand vous regardez la performance de Radio-Canada, sa cote d'écoute est très raisonnable. Elle prend une place importante dans la société québécoise et dans la société franco-canadienne. Vous regardez la performance de la CBC, et sa cote d'écoute n'est pas bonne.

Récemment, elle a perdu une icône importante, Hockey Night in Canada et, de ce fait, elle a perdu des revenus importants. Je crois qu'à cause de l'affaiblissement de CBC anglais, souvent, Radio-Canada en paie le prix. Je pense que, depuis longtemps, c'est peut-être le temps pour le Parlement et les gouvernements d'examiner l'opportunité, pour des raisons stratégiques, de créer deux sociétés indépendantes : une Radio-Canada qui va répondre aux besoins des Canadiens français et des milieux francophones, et une autre société, CBC anglais, qui va essayer de réussir dans les milieux où elle évolue présentement.

Est-ce que vous partagez cette opinion que Radio-Canada devient une victime quand vient le moment de faire des compressions budgétaires et des coupures?

M. Nadeau : J'ai beaucoup de sympathie pour la CBC, parce que vous offrez la meilleure télévision, entre guillemets, de la planète, par rapport à la télévision américaine, le Hollywood. Encore une fois, je dis « la meilleure » avec beaucoup de scepticisme, mais elle est là.

Évidemment, encore une fois, est-ce que la CBC fait des choix stratégiques? Cette idée d'être tout pour tous, d'offrir 24 heures. On a une grille de programmation, mais doit-on remplir chaque heure ou chaque demi-heure, y mettre une émission, et essayer d'être le meilleur entre 5 heures et 5 h 30? Non.

Il faudrait peut-être faire des choix, et essayer de gagner l'auditoire entre 20 et 22 heures. Quant au reste, tant pis, les Américains l'auront. Mais on doit mettre l'accent sur des choses. Quant à distinguer Radio-Canada et la CBC, déjà, il faut que le matériel de transport et les équipements servent aux deux réseaux. Je pense qu'il y a là une synergie à aller chercher.

Est-ce qu'on ne pourrait pas être plus efficace? Je voyais le chiffre de 250 personnes qui sont allées à Sotchi pour Radio-Canada, et je crois que c'est beaucoup trop. Est-ce qu'on ne pourrait pas faire davantage? Dans une autre entreprise québécoise que je ne peux pas passer sous silence, Québecor, l'aspect multiplateforme est mis en évidence; le journaliste qui va à Paris, il fait une entrevue avec M. Demers, il la fait à l'audio avec un microphone, ensuite il la fait à la caméra audiovisuelle, puis il prend par écrit ses commentaires. Il y a donc trois entrevues. Mais, pour Radio-Canada, il y aura trois équipes.

Dans un tel contexte, il y a peut-être, comme je l'ai mentionné, une flexibilité, une agilité et une nervosité que Radio-Canada pourrait améliorer au niveau de sa performance.

Le sénateur Massicotte : Merci, monsieur Nadeau, d'être parmi nous. C'est très apprécié, et vos commentaires sont très pertinents. J'aimerais revenir au début de votre présentation qui est plus large et ensuite parler de l'impact sur Radio-Canada et sur la CBC. On dit effectivement que l'audience typique est plus jeune que nous; il s'agit d'une orientation à très court terme, des « clips » de dix secondes, des SMS de deux ou trois secondes, beaucoup moins de lecture de journaux, moins de programmes en profondeur.

Mais, les médias ont aussi un rôle historique relatif au système démocratique, au point de vue de la sauvegarde de l'information, de l'éducation, et cetera. Mais, vu cette tendance de « clip » à très court terme, comment peuvent-ils satisfaire ce rôle très important? Un des piliers de la démocratie, c'est les médias. Comment voyez-vous cela?

Quand on voit la façon d'agir des médias, surtout les médias américains où on cherche toujours le spectacle ou le scandale, la chose qui va attirer l'attention, souvent très exagérée — mais, évidemment, on réagit à l'auditoire qui cherche toujours la nouvelle qui va durer quelques secondes pour attirer l'attention —, comment voyez-vous la tendance relativement au système démocratique qui est le nôtre?

M. Nadeau : Évidemment, lorsqu'on utilise Twitter, soit 144 caractères, on est habitué à s'exprimer en synthèse, en capsules de 40 secondes. Je vais souvent à Radio-Canada et à TVA, et j'ai développé l'habitude de m'exprimer en trois phrases pour communiquer l'essentiel de ma pensée. Je sais que j'aurais beau parler 10 minutes, mais qu'ils vont garder trois phrases, et je sais quelles sont les trois phrases qu'ils vont garder.

Il est clair qu'il y a un défi à être très superficiel, parce que l'auditoire n'est plus habitué à avoir des débats en profondeur, et tout cela. Par contre, je regarde ce qui se passe en France, je regarde ce qui se passe à PBS, je regarde ce qui se passe à la BBC — évidemment, vous allez me dire que ce sont des télédiffuseurs un peu marginaux dans certains cas —, et il y a tout de même des possibilités de débats.

Ce matin, en me rendant ici, j'écoutais Paul Arcand au 98,5, qui avait une bonne engueulade avec le ministre des Transports du Québec, pendant 10 minutes. Il ne s'agissait que de 10 minutes, mais il y avait de la substance, il y avait de quoi discuter.

Je pense que tout est dans la qualification; il faut que le journaliste ait une volonté de gratter et de penser qu'il puisse y avoir des verres de cassés. Mais, il faut avoir la volonté d'aller en profondeur puis d'égratigner un peu.

Si on veut ne pas faire de mal à personne, évidemment, en 40 secondes, on ne fait pas de dommages. Par contre, l'opposé, c'est qu'on s'en va dans le voyeurisme médiatique. Je suis cofondateur, depuis 1978, du Centre canadien pour le journalisme d'enquête; de nos jours, tout le monde fait du journalisme d'enquête. Et là, on va chercher vos comptes de dépenses. On n'essaie pas de déterminer si le président d'Hydro-Québec fait un bon travail. Non. On veut savoir quel est son compte de dépenses, s'il a une prime, un boni. Ce n'est pas pertinent.

Donc, on doit prendre le temps qu'il faut. Évidemment, il y a des gens qui vont décrocher, certains vont « zapper ». Je crois qu'une télévision d'État a ce mandat, peut-être, de ne pas avoir les plus grands publics, parce que ce n'est pas de l'information spectaculaire, ce n'est pas du divertissement. Alors, il faut vraiment aller en profondeur dans le cadre d'entrevues d'une durée raisonnable.

Encore une fois, il y a la contrainte de la grille horaire que la télévision française n'a pas. En France, souvent, il y a des émissions qui dépassent l'heure; c'est accepté et c'est tout. On continue, parce qu'il y a encore quelque chose à dire. On se rend à 75 ou 77 minutes, alors que ça devait s'arrêter à 60.

Je crois que la volonté de la haute direction de Radio-Canada devrait être très claire : on doit offrir quelque chose de différent aux Canadiens et ne pas copier ce que font les réseaux privés qui font, par ailleurs, très bien leur travail.

On a vu les résultats de TVA hier. Vous allez voir ceux de Bell-Astral, les radiations qu'ils vont prendre à la suite de l'acquisition des réseaux et des chaînes spécialisées d'Astral, surveillez bien. Je pense que les réseaux privés aussi commencent à éprouver des difficultés.

Je crois que Radio-Canada devrait faire sa marque de commerce. Cela ne donnera pas les meilleurs auditoires, mais permettra d'aller un peu plus en profondeur, tout en étant intéressant.

Le sénateur Massicotte : Ma deuxième question porte sur la gouvernance de Radio-Canada. Comme vous le savez, selon la loi qui a établi Radio-Canada, il y a quelques objectifs et il peut y avoir quelques nuances. Cependant, le président-directeur général se rapporte à un conseil d'administration, et il a aussi un lien avec le ministre. La gestion est indépendante du gouvernement comme tel, sauf que c'est le gouvernement, par l'intermédiaire de la Chambre des communes et du Sénat, qui détermine le budget.

Alors, il y a une indépendance de programmation, mais, indirectement, celui qui tient les cordons de la bourse influence beaucoup les résultats. Est-ce que c'est une bonne structure et y en aurait-il une meilleure?

M. Nadeau : Je crois que l'humeur du prince ne devrait pas être une variable. Je crois que le budget de Radio-Canada devrait tout simplement être un pourcentage, point 35 des dépenses budgétaires. Donc, peu importe le parti au pouvoir, si l'enveloppe budgétaire du gouvernement du Canada monte à 275 milliards de dollars, les dépenses d'exploitation, à ce moment-là, représenteraient point 35. Je lance un chiffre comme ça.

Mais, je crois que le budget est essentiel, dans un tel cas où il est trop facile d'influencer l'autonomie, de porter atteinte à l'autonomie par des contraintes budgétaires : « Sois gentil et tu auras tes 100 millions de dollars », je pense que ce n'est pas opportun.

Donc, il s'agirait d'un pourcentage fixe de l'enveloppe budgétaire. Évidemment, c'est une exception, mais je crois que, dans le cas de la culture canadienne, de l'identité canadienne, pour Radio-Canada qui en est un maillon important, on devrait faire cette exception et qu'un pourcentage du budget canadien devrait être accordé à Radio-Canada, peu importe le président du conseil d'administration.

Le sénateur Massicotte : Les nominations au conseil d'administration, évidemment, représentent un peu le gouvernement comme tel; ils ont peut-être des messages à transmettre. Comment voyez-vous cela?

M. Nadeau : Je crois que le conseil d'administration de Radio-Canada devrait établir un profil de compétences. Qui est-ce qu'on veut? L'équipe des étoiles, au hockey, on en connaît le profil de compétences des joueurs. On veut deux bons attaquants, on veut un bon gardien de but, quelqu'un au centre, deux bonnes défenses, et cetera. Donc, on a un profil de compétence.

Le sénateur Joyal : Et des bons commentateurs aussi.

M. Nadeau : Naturellement. Mais, je parle de l'équipe sur la glace. On a un profil de compétences. Je crois que Radio-Canada devrait se doter d'un profil de compétences. Dans le cadre de Protégez-Vous, mon magazine, je ne suis pas du tout du type « tablette », je l'ai dit tout à l'heure. J'ai deux jeunes qui vivent sur les tablettes et tout ça. Or, je suis allé les chercher, parce que l'avenir de la presse écrite est sur les tablettes, sur iPad et ainsi de suite.

Dans un tel contexte, je crois qu'on devrait établir un profil de compétences. Quant aux 12 membres, je n'ai rien contre l'idée d'avoir quelqu'un en droit, en comptabilité, en fiscalité, mais il faut quelqu'un qui connaît le monde des communications.

Si je regarde le profil des 12 personnes qui occupent actuellement ces fonctions de responsabilité, je ne suis pas ébloui, si vous voulez, par leur enracinement dans la connaissance des nouveaux médias et dans l'évolution de l'enveloppe budgétaire de la publicité des entreprises canadiennes.

C'est comme dans toute entreprise. Dans l'immobilier, on veut avoir quelqu'un qui s'y connaît en architecture, en génie. Dans le commerce de détail, on veut se doter d'une palette d'experts pour avoir une diversité, hommes, femmes, une variété d'expériences, de gens qui ont déjà géré quelque chose dans leur vie, car cela va faire un bon débat.

Encore une fois, vous le savez, la démocratie, ce n'est pas le vote, c'est le débat qui le précède. Ainsi, dans ce contexte, je crois qu'il y aurait beaucoup de choses à améliorer. Je pourrais vous en dire davantage sur toute la gouvernance de Radio-Canada plus en détail, la reddition de comptes, les indicateurs de performance, le suivi des programmes; je pense qu'il y aurait, là aussi, beaucoup de travail à faire.

Le président : Merci.

[Traduction]

Le sénateur Plett : Merci, monsieur Nadeau, d'être venu. Je crois que vous avez répondu à la plupart de mes questions, mais j'aimerais revenir sur certains points.

L'une des choses que vous avez dites très clairement, c'est que Radio-Canada essaie peut-être de tout faire pour tout le monde, et que ce n'est pas une bonne stratégie. Vous avez donné l'exemple d'Eaton et de La Baie, entre autres. Pourtant, la chaîne de magasins la plus prospère au Canada à l'heure actuelle est probablement Walmart, qui fait vraiment tout pour tout le monde. Alors, j'imagine que cette société va à contre-courant, mais je suis d'accord avec vous au sujet de la SRC. Je faisais plutôt une observation.

M. Nadeau : La chaîne la plus prospère est Dollarama, un magasin à 1 $.

Le sénateur Plett : Très bien.

Parmi les questions qui ont été soulevées ici — et vous en avez un peu parlé —, il y a le manque d'efficience de Radio-Canada. Nous avons parcouru une grande partie du pays, de Halifax à Edmonton et à Yellowknife, et nous sommes allés à Winnipeg, à Toronto et, maintenant, à Montréal.

Le radiodiffuseur public vend une grande partie de ses actifs — comme ses immeubles —, et elle conclut des baux. À Toronto, on nous a dit qu'on n'avait plus besoin que de 5 des 10 étages de son immeuble. À Halifax, je crois qu'on procède à une réduction de 60 p. 100. À Halifax, on nous a montré un merveilleux studio de production qui a coûté 800 000 $. Cela a permis d'éliminer quelques emplois, car maintenant, on a seulement besoin de trois ou quatre personnes pour faire ce qui nécessitait autrefois neuf personnes, ce qui représente une économie d'environ 600 000 $ par année. Dans un peu plus d'un an, ce studio de production sera rentabilisé.

Radio-Canada est-elle trop réactive plutôt que proactive? Il semble qu'elle attende les compressions budgétaires pour dire : « Oh, il faut faire quelque chose. » Pourquoi n'a-t-elle pas fait certaines choses avant? Vous avez parlé des Jeux de Sotchi, et je conviens du fait qu'il était fantastique de regarder les Jeux olympiques. Or, mes collègues et moi-même avons discuté de cela pendant le souper hier soir. Qu'aurait fait une société privée à Sotchi? Je veux dire, combien d'argent la société d'État a-t-elle perdu pour nous présenter ce programme? Alors, est-elle un peu trop réactive? Son budget est réduit, et elle décide donc de commencer à faire des compressions un peu partout et à mettre à pied 1 500 personnes. Si elle parvient à faire ce qu'elle faisait jusqu'à maintenant avec 1 500 personnes en moins, elle aurait dû se délester de 1 500 personnes avant qu'on lui retire les 115 millions de dollars. Pourriez-vous faire quelques commentaires sur cette question?

M. Nadeau : Je crois que vous avez raison. Malheureusement, vous avez raison. Le problème se rattache à la gouvernance. Dans toute société, il y a la direction et les gestionnaires. Ils s'efforcent de gérer la société au quotidien, et nous mettons beaucoup l'accent sur le fait que le Canada « gère la société ». Mais la gouvernance — c'est pourquoi j'évolue dans ce milieu —, c'est la surveillance de l'administration, et nous n'y sommes pas habitués. C'est le fait de demander à un gestionnaire : « Faites-vous un bon travail? Faites-vous la bonne chose? »

Je parlais du cas de l'aéroport au Canada. Je crois qu'il s'agit probablement du pire cas de gouvernance au pays, en ce qui a trait à l'organisation. Je m'arrête là. Si la direction n'est pas remise en question par le conseil d'administration, par les parties intéressées, elle réagira tout en douceur, très lentement. Elle attendra les compressions budgétaires — ce qui, de fait, remplace la volonté ferme d'assurer la rentabilité, et ne fera rien avant d'y être contrainte. Je suis actionnaire d'une grande société. Je sais que, si elle réduit les coûts, mes dividendes seront plus élevés et je ferai plus de profits. Ainsi, je profite de l'efficience.

Malheureusement, nos sociétés d'État ne sont pas assez remises en question par les médias, l'opinion publique et le Parlement. Je crois que le conseil d'administration proprement dit ne fait pas son travail et ne met pas vraiment les gestionnaires en cause. « Hé, tout le monde, chers collègues, vous devriez pouvoir en faire plus avec le même montant. Nous sommes à une ère de contraintes budgétaires, vous devriez améliorer votre rendement. »

Malheureusement, la seule façon d'obtenir ce rendement est de réduire les crédits parlementaires. Mais je crois que l'Institut sur la gouvernance d'organisations privées et publiques et les médias québécois devraient dire : « Hé, monsieur Lacroix, faites-vous un bon travail? Donnez-nous les indicateurs; pas les pourcentages indiqués dans votre rapport annuel, mais les indicateurs. L'argent que nous avons investi — les 1,2 ou 1,3 milliard de dollars — procure-t-il un rendement raisonnable? »

J'ignore ce que vous pouvez faire, mais je crois que les médias, les différents groupes et le Parlement devraient jouer un rôle beaucoup plus actif pour ce qui est de remettre en question le rendement de nos sociétés d'État : Radio-Canada et toutes les autres.

Le sénateur Plett : Je suis tout à fait d'accord pour dire que nous devrions les remettre en question, et il est même possible que ces audiences mènent à ce résultat : un rapport qui — on l'espère — remettra en question le rôle de certaines personnes.

Le sénateur Housakos et vous-même avez parlé des cotes d'écoute. Quelle meilleure façon de juger du rendement dans le monde des médias que les cotes d'écoute? Combien de gens achètent mon journal ou regardent mon émission de télévision? Peut-être qu'une heure ne vous suffirait pas pour répondre, mais avez-vous une idée d'une meilleure façon de juger le rendement que les cotes d'écoute? Le cas échéant, j'aimerais l'entendre.

M. Nadeau : Ce n'est pas facile, et nous pourrions en débattre longuement. Il est possible que j'écoute la radio lorsque je conduis, mais quelle est la qualité de mon écoute? Peut-être que je regarde autour de moi ou que je parle au téléphone. Alors, la qualité de mon écoute est relative, tout comme la qualité de l'auditoire. Les chiffres seuls ne suffisent pas. Je crois que nous devrions peut-être essayer un type de conseil consultatif. Certaines personnes, outre le conseil d'administration, pourraient mettre leur sagesse à contribution. Des gens bien avisés pourraient évaluer le rendement de Radio-Canada et non seulement les chiffres. Le Toronto Star est un bien meilleur quotidien que le Globe and Mail. À Québec, le Journal de Québec est beaucoup mieux que Le Soleil.

Les cotes d'écoute devraient faire partie de la solution, mais elles ne devraient pas être le cœur de la solution, car l'enjeu est trop grand; il y va de la culture du pays. Il est dans la culture du pays de prévoir un point de rencontre pour tous les Canadiens. Il est vrai que ce ne sont pas tous les Canadiens qui sont prêts à participer au débat public, mais ceux qui sont intéressés devraient avoir une tribune, un endroit où débattre et mettre leurs valeurs en commun, et je crois que la SRC devrait faire partie de ce système.

À mes yeux, il s'agit d'un jugement qualitatif, d'un exercice où des gens de l'extérieur — 10 ou 15 personnes — forment un conseil consultatif et disent : « Radio-Canada, pour bien réaliser votre mission, vous devriez attacher plus d'importance à ceci, à cela et tenir un débat sur les enjeux. » Radio-Canada sera libre de faire ce qu'elle veut, mais, à mes yeux, ce ne sont pas seulement les chiffres qui comptent. L'indicateur de rendement pour une société est très simple : il s'agit du résultat net.

Le sénateur Plett : Merci.

[Français]

Le sénateur Demers : Merci beaucoup, monsieur Nadeau. Concernant votre ligne de conduite, j'espère que je vais y demeurer; ce matin, j'ai écouté l'entrevue avec M. Moreau et Paul Arcand. Il me semble que c'était un débat extraordinaire du genre qu'on ne voit pas souvent à la télévision. Vous aurez peut-être un commentaire à ce sujet.

Il y a plusieurs années, Radio-Canada a perdu La soirée du hockey, et maintenant, la CBC l'a également perdu. Même si on télévise à la CBC, elle n'a droit à aucun revenu. Quel est l'avenir, à ce niveau-là? On voit de plus en plus, aux États-Unis et en Amérique du Nord, au niveau sportif, la publicité comme au Super Bowl, par exemple, et pendant 30 secondes, ça peut rapporter 4 millions de dollars.

À la télévision, aujourd'hui, s'il y a une publicité, on peut en arrêter l'écoute, oublier ce qui se déroule, aller voir un autre événement, ou encore ne pas la regarder. Au basket-ball, dernièrement, on a payé des milliards — des milliards — pour la télévision. On a une équipe ici, à Toronto. C'est la même chose pour le baseball et ainsi de suite.

Il y a le hockey qui a été transféré cette année à Sportsnet. Selon ce qu'on entend, c'est une entente de 12 ans, et il n'y a absolument aucune façon qui leur permettra, à long terme, de justifier ou même d'arriver à payer cette somme exorbitante. C'est la Ligue nationale de hockey qui en profite.

Est-ce que vous pouvez me dire comment vous voyez cet aspect dans l'avenir? Parce que le sport, ce sont des milliards que l'on paie pour le voir.

M. Nadeau : Le sport regroupe une partie importante du public, évidemment, selon le degré d'avancement de la saison. Pour un annonceur, aujourd'hui, ce qui est visé, c'est de rejoindre beaucoup de monde en même temps, quel que soit le produit de consommation.

Évidemment, la beauté d'Internet, c'est que vous rejoignez le public que vous voulez. Mais, il y a des gens qui veulent rejoindre tout le monde, que ce soit le café, des produits de consommation, Nike, Sony, Toshiba et bien d'autres. Dans le cas du sport, il peut livrer de beaux publics dans des moments très limités durant l'année, telle la Coupe Grey, et pendant les finales et les éliminatoires. C'est là où les clubs de hockey font de l'argent.

J'ai été associé, quand j'étais à la Caisse de dépôt, à la vente des Canadiens de Montréal à la famille Gillett. C'est là que j'ai vu que, pour faire de l'argent dans le domaine du hockey, il faut que participer aux séries éliminatoires et remplir le Centre Bell entre les parties de hockey.

Dans ce contexte, je crois que le sport, évidemment, apporte beaucoup d'argent. Mais, il est sûr que les propriétaires des clubs ne sont pas naïfs, ils vont revendre à Rogers, à Sportsnet et à TVA. Il y aura là de gros défis. Il y a une surenchère qui n'est pas évidente. Je pense que si le secteur privé veut prendre ce pari, qu'il le prenne. Il va peut-être réussir. Il va peut-être réussir selon différentes variables : les vedettes, l'intensité de la course, et ainsi de suite.

Je crois qu'il n'appartient pas à une société d'État de prendre ce genre de pari. Lorsqu'on a annoncé les deux prochains Jeux olympiques de 2018 et 2020, je ne me souviens pas des villes, mais on a dit qu'on recouvrerait probablement nos frais avec ces événements. Je comprends que l'identité canadienne est forte; les Jeux olympiques sont des moments intenses pour le pays, mais je pense que ce n'est pas essentiel et que le secteur privé peut le faire. Le secteur privé va le faire.

Alors, la perte de La soirée du hockey de René Lecavalier et de Jacques Demers, autrefois, on s'en ennuie, mais je pense qu'on peut l'avoir dans des canaux spécialisés qui, eux, amènent une logique financière. Ce sont des experts. Les amateurs de sports vont à RDS, à TVA Sports. À ce niveau, Radio-Canada ne peut pas concurrencer, parce qu'eux sont en mode survie et se disent : « Si je n'ai pas le match du Canadien, les gens ne viendront pas me voir. »

Radio-Canada n'a pas besoin du match du Canadien. Elle doit avoir de bonnes émissions d'information, de variétés et des dramatiques. Donc, le sport, pour moi, ce n'est pas essentiel.

Le sénateur Demers : Merci beaucoup, monsieur Nadeau.

Le sénateur Joyal : Merci, monsieur Nadeau. J'ai apprécié, l'époque où vous étiez à la Caisse de dépôt et placement, et ce que vous avez décidé à ce moment-là. Je sais que vous avez été contesté à l'époque où vous y étiez, mais les années qui ont suivi ont démontré que vous aviez raison. Je pense que c'est à votre crédit.

M. Nadeau : Dans le cas de la transaction de Vidéotron et de Québecor, je dois reconnaître qu'il y a beaucoup de gens qui étaient fort critiques.

Le sénateur Joyal : Les résultats parlent d'eux-mêmes.

M. Nadeau : Il y a un débat autour du député de Saint-Jérôme, mais c'est autre chose.

Le sénateur Joyal : Je crois qu'il y a une confusion, à mon avis, dans ce qu'on est en droit d'attendre de Radio-Canada. On veut que Radio-Canada soit tout pour tous. On veut qu'elle ait des cotes d'écoute faramineuses. On veut que les annonceurs se précipitent chez Radio-Canada. On veut que Radio-Canada fasse de l'info tous azimuts comme tous les tweets possibles et imaginables. Et, en même temps, on veut que Radio-Canada nous fasse rire, nous fasse pleurer, nous fasse applaudir, et ainsi de suite.

Je crois que, dans le cadre de la restructuration des médias écrits, il y a des leçons à tirer. Je connais le journal La Presse un peu plus que d'autres. Ce qui fait le journal La Presse, dans le fond, ce sont ses chroniqueurs. C'est Nathalie Petrowski, Alain Dubuc, Cassivi et, évidemment, Foglia la fin de semaine. Donc, il y a quatre ou cinq chroniqueurs qui sont les points d'ancrage du public de La Presse.

Le reste des nouvelles, comme vous dites, on peut les lire sur n'importe quelle plateforme. Mais, les lecteurs de La Presse veulent savoir ce que pensent l'une ou l'autre de ces personnes. Je crois que Radio-Canada est un peu placée, si vous voulez, dans le même modèle. Il est sûr que Radio-Canada doit informer. Mais, Radio-Canada, je la vois davantage comme une information de réflexion. Vous pouvez être avec votre tablette, avec les 40 ou 150 mots, suivre l'information tous les jours et devenir complètement accroché à la tablette, mais ça ne vous fait pas réfléchir.

Ce qui vous fait penser et ce qui alimente le débat dans une société démocratique, parce que c'est la seule raison, à mon avis, pour laquelle, entre autres, on doit consacrer de l'argent public à un diffuseur, c'est que Radio-Canada améliore, élève le débat démocratique, donne la chance à des Canadiens de faire valoir leur point de vue, qui n'ont pas nécessairement un grand public.

Quand Radio-Canada découvre des talents, il n'y a pas de grand public pour des artistes en herbe. Il y a un grand public quand ils atteignent un certain niveau de reconnaissance nationale ou internationale. La raison pour laquelle, à mon avis, il y a des raisons d'investir dans un diffuseur public canadien, c'est essentiellement parce qu'il y a un plus, parce que Radio-Canada va apporter un plus.

Quand vous lisez Le Devoir, ce n'est pas parce qu'il tire à 350 000 copies que vous allez le lire. Quand on vous lisait dans Le Devoir, c'est parce qu'on était intéressé de savoir ce que vous pensiez, parce qu'on vous accordait une certaine crédibilité. Il me semble que Radio-Canada doit se définir dans un cadre comme celui-là. Si on écoute Radio-Canada, c'est parce qu'au départ, on croit qu'on va apprendre quelque chose qu'on n'apprendra pas ailleurs, parce que ce n'est pas uniquement la commercialisation qui fait que cela existe.

Je pense qu'il y a un terrain d'entente qu'il faut trouver concernant la publicité. Jusqu'où Radio-Canada doit-elle dépendre de la publicité dans le contexte des médias contemporains qui, comme vous l'avez démontré, a éclaté complètement? Et, les publicitaires vont aller, comme vous dites, là où ils peuvent vendre leur café, leurs chaussures, leurs jouets électroniques, et cetera.

Il faut accepter que Radio-Canada n'ait pas nécessairement les plus gros classements pour justifier son existence. Ce n'est pas là-dessus uniquement qu'on doit évaluer Radio-Canada. Je pense qu'il y a une tendance à dire tout simplement que, plus Radio-Canada est écoutée, plus on est justifié de mettre de l'argent public. Je serais presque porté à dire le contraire : plus Radio-Canada rejoint le public, moins on a d'intérêt à y investir de l'argent, puisque de toute façon, les gens vont acheter le produit.

Alors, qu'en fait, ce qui justifie que le Trésor public accorde des fonds à Radio-Canada, c'est sur la qualité de l'apport de Radio-Canada aux débats publics, à la révélation des talents et à l'expression de l'identité canadienne à travers une multitude de créations qui ne trouveraient pas nécessairement d'application dans le commerce courant.

Je crois que l'élément de commercialisation vient corrompre un peu, d'une certaine façon, la perception qu'on a du diffuseur public. Comme je vous dis, il y a une simplification à outrance à faire de la performance de Radio-Canada sur le plan de son avenir, et je ne suis pas sûr de l'avoir entendu de la part de M. Lacroix quand il a fait sa présentation du renouvellement du mandat ou du contexte dans lequel Radio-Canada allait dorénavant opérer.

M. Nadeau : Quant aux budgets publicitaires, vous avez raison sur ce point. En 1997, la publicité apportait 364 millions de dollars à Radio-Canada; en 1998, 383 millions de dollars. En 2011, soit 15 ans plus tard, 368 millions de dollars; et en 2013, 330 millions de dollars.

Il s'agit de 330 millions de dollars sur un budget de 1,8 milliard de dollars, soit environ un sixième. Donc, on voit qu'on fait beaucoup de vagues, on fait beaucoup de génuflexions, on se prosterne devant les annonceurs pour 18 p. 100 du budget.

Évidemment, on doit chercher de l'annonce, on doit chercher de la publicité, mais encore une fois, vous avez raison, la réflexion, la politique de Radio-Canada ne devrait pas être ciblée sur l'annonce, parce qu'on voit que ça ne monte pas, ça ne bouge pas, quoi que l'on fasse, et même, ça diminue. On doit essayer d'en avoir. Je ne suis pas pour l'abolition; c'est 300 millions de dollars de moins pour les contribuables canadiens, mais pas à n'importe quel prix.

Il y a une prolifération d'information sur Internet. Internet a fait exploser les sources d'information. Or, il faut des cadres de référence, par exemple, des René Lévesque avec le Point de mire qui nous expliquent comment cela fonctionne, ce qu'est la politique.

Le résultat des récentes élections américaines, j'aurais aimé que quelqu'un m'explique en 1 heure, en détail, pour me dire ce qui a changé et ce qu'il en ressortira. Les républicains dans les deux Congrès, qu'est-ce que ça change?

Je pense qu'il y a une place pour cela. Les gens auront besoin d'un cadre de référence. Le Devoir joue ce rôle. Vous avez 24 pages dans Le Devoir; La Presse en avait 60 ou 70, et maintenant, c'est environ 40 ou 50. Mais, dans Le Devoir en 24 pages, on y trouve l'essentiel. L'honnête femme ou l'honnête homme aujourd'hui veut l'essentiel de ce qui se dit d'important dans notre société, et Radio-Canada doit le dire.

Radio-Canada doit nous informer, par ses téléromans, des grands problèmes du harcèlement psychologique et des autres formes de harcèlement dans notre société en 2014. Dans les variétés, on doit montrer les talents sans verser dans la radio commerciale en faisant tourner toujours les mêmes 15 tubes. On doit aller chercher de nouveaux talents. Un air de famille, c'est une excellente émission où on voit des familles ordinaires aller à la télévision, c'est la gloire d'un jour.

Radio-Canada doit être la référence, doit être ce à quoi on s'accroche pour comprendre le monde. Ce n'est pas avoir la plus grande quantité d'information. Oui, on doit s'amuser, on doit s'émouvoir, on doit être informé, mais on doit d'abord voir nos valeurs. On doit faire affaire avec des gens qui ont le souci de l'excellence, pas le souci du plus bas dénominateur commun.

Si je suis dans le domaine de l'information, il est certain que je veux avoir pour ma grille de publicité le plus grand public possible, donc, je vise le plus bas dénominateur commun. Pour Radio-Canada, ce n'est pas la situation.

Le président : Très brièvement, monsieur Joyal, si vous voulez poser une dernière petite question. Ce sera le mot de la fin pour vous, monsieur Nadeau, parce que nous avons d'autres témoins qui sont en attente.

Le sénateur Joyal : Dans le plan présenté par M. Lacroix, quel est, d'après vous, l'élément le plus discutable?

M. Nadeau : Je n'ai pas analysé en profondeur le plan de M. Lacroix. Mais, ce qui est l'élément le plus important pour moi, c'est la place des jeunes. Je vous l'ai dit, les jeunes ne passent que 21 heures devant la télévision, évidemment, à écouter la télévision traditionnelle, mais devant les ordinateurs, mes ados, passent de 50 à 60 heures et même plus. Je ne les vois pas la nuit, mais je sais qu'ils sont aussi devant leurs écrans.

Je crois que les jeunes vont décrocher de la télévision traditionnelle, et ça me fait peur, les jeunes de 2 à 24 ans qui vivent dans les réseaux sociaux, qui vivent dans l'univers numérique. Nous, on s'y retrouve actuellement avec Radio-Canada : on aime Mme Bombardier, on aime Mme Dussault. On a nos leaders d'opinion qui pourraient, comme vous dites, avoir plus de caractère, plus de personnalité, plus de points de vue, comme les chroniqueurs de La Presse. Cependant, ceci appartient à notre génération, mais pas aux 2 à 24 ans. On ne peut plus dire : « Il y a une bonne émission de télévision, venez dans le salon, on va l'écouter. » Non. Jamais de la vie. À moins que je leur fasse venir de la pizza; à ce moment-là, ils vont venir, mais autrement, je n'ai pas d'appui.

C'est ce qui me préoccupe : la relève. Radio-Canada ne doit pas devenir une télévision de vieux. On doit renouveler la formule pour attirer un jeune public.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Nadeau. Chers collègues, merci de votre collaboration.

[Traduction]

Nos prochains témoins représentent le Quebec Community Groups Network; accueillons MM. Walter Duszara et Stephen Thompson.

Vous avez la parole, monsieur Duszara.

Walter Duszara, secrétaire, Quebec Community Groups Network : Bonjour, sénateur Dawson et sénateur Housakos, bonjour aux membres du Comité permanent des transports et des communications. Je m'appelle Walter Duszara, et je suis secrétaire du Quebec Community Groups Network, organisme sans but lucratif représentant les communautés anglophones minoritaires du Canada, que nous appelons collectivement les communautés anglophones du Québec. Steven Thompson, directeur, Politique stratégique, recherche et affaires publiques, Quebec Community Groups Network, m'accompagne aujourd'hui.

Plus d'un million de personnes, la moitié de tous les Canadiens vivant dans une communauté de langue officielle en situation minoritaire, composent notre communauté. De ce nombre, 850 000 vivent dans la région du Grand Montréal, et 300 000, dans les autres régions du Québec. Notre communauté a des identités multiples et représente nombre de cultures et de religions. Notre communauté compte 36 p. 100 de la population immigrante du Québec et 34 p. 100 des minorités visibles de la province. Nous sommes fiers de notre diversité, une force qui distingue notre communauté de communautés.

Comme la plupart des gens, les membres de notre communauté ont de multiples identités. Selon la recherche, l'identité dominante se rattache au fait d'être Canadien et d'être un Québécois anglophone. Nous sommes moins susceptibles de nous identifier à la « nation québécoise » ou aux « Québécois ».

Malgré un degré de bilinguisme élevé, nous consommons surtout du contenu médiatique anglophone; 80 p. 100 de la radio que nous écoutons, 70 p. 100 des journaux que nous lisons et plus de 80 p. 100 de la télévision que nous regardons est en anglais. Pourquoi? Parce que c'est là que nous nous sentons représentés.

Je mentionne ces faits pour démontrer que le Québec anglophone, malgré sa nature hétérogène, est une culture unique au sein du Canada et possède une identité différente de celle de la société majoritaire dans laquelle nous vivons. Nous ne sommes pas détachés ou indépendants du Québec, et nous ne souhaitons pas l'être; nous sommes intégrationnistes de nature. Mais nous sommes particuliers et spéciaux et avons toujours été reconnus comme tels, depuis les débuts du Canada, il y a 150 ans.

C'est ce qui explique pourquoi, aux termes de son mandat, la CBC doit offrir des programmes locaux qui reflètent notre communauté. Et c'est pourquoi nous saluons la décision de la Cour fédérale du 9 septembre qui confirme le devoir de la CBC à l'égard de notre communauté, en application de la partie VII de la Loi sur les langues officielles.

En préparation pour aujourd'hui, le QCGN a tenu un certain nombre de consultations avec une sélection de représentants de nos 41 membres québécois. Nous n'étions pas étonnés du degré d'attachement qui nous a été témoigné à l'égard de la CBC en général et de sa radio en particulier. Le comité a entendu le témoignage de représentants de deux organisations membres du QCGN le 23 octobre à Québec; Ann Marie Powell, de la Megantic English-Speaking Community Development Corporation, et Jean-Sébastien Jolin-Gignac, de Voice of English Quebec. La proximité entre la communauté de ces deux organisations et le Quebec Community Network de la radio de la CBC reflétait des sentiments partagés aux quatre coins de la province.

La radio de la CBC est le média qui nous rassemble, il s'agit d'une présence proactive et bienvenue, et on ne saurait trop insister sur son importance, surtout pour les communautés isolées et les populations vulnérables, comme les personnes âgées.

La communauté ne se reconnaît pas dans la programmation de la CBC autre que les nouvelles. Toutefois, on a louangé le service de nouvelles de la CBC, qui est considéré comme la source d'information la plus crédible et le média qui nous relie au reste du Canada.

Nous avons des données relatives à l'accès à Internet et à l'utilisation de téléphones intelligents, entre autres, dans notre communauté, que nous avons transmises à l'analyste du comité. Veuillez noter que ces données ont été recueillies en 2010 et seront mises à jour cette année pour publication en 2015. Si vous le voulez, nous pouvons discuter des points saillants.

Mesdames et messieurs, nous sommes une communauté unique, pas une extension de la majorité anglophone du reste du Canada ni de la majorité francophone du Québec. La CBC — particulièrement la radio et les nouvelles — assure une présence réelle et physique dans nos communautés. C'est là que les parents se renseignent au sujet de la fermeture d'écoles, des rencontres paroissiales, des événements artistiques et des détails quotidiens qui soudent nos communautés. CBC Quebec peut et veut en faire plus, et nous croyons que la CBC a l'obligation, aux termes de son mandat, de fournir les ressources nécessaires.

Merci de votre attention, et nous avons hâte de participer à la discussion ce matin.

Le président : Avez-vous quelque chose à ajouter, monsieur Thompson?

Stephen Thompson, directeur, Politique stratégique, recherche et affaires publiques, Quebec Community Groups Network : Non, monsieur.

Le président : Sénateur Housakos, la parole est à vous.

Le sénateur Housakos : Merci, monsieur le président.

Bienvenue. Votre groupe représente-t-il aussi les Québécois multilingues, ou les Canadiens multilingues, ou seulement le groupe anglophone minoritaire?

M. Duszara : Nous représentons les Québécois anglophones, ce qui comprend des Québécois multilingues.

[Français]

Je serai très content de vous répondre en français, qui est ma troisième langue. Il y a beaucoup de personnes de notre communauté, sans les nommer anglophones, parce que je n'aime pas ce mot, qui utilisent la langue anglaise, qui font partie de notre groupe communautaire.

[Traduction]

Le sénateur Housakos : Votre témoignage est clair : il importe que la CBC remplisse son mandat. Bien sûr, le CRTC a imposé la condition du renouvellement de ses licences, pour que la société puisse exercer sa responsabilité d'offrir des services à des groupes appartenant à des minorités linguistiques à l'échelle du pays.

Nous avons entendu partout au pays les doléances de groupes francophones à l'égard de Radio-Canada, qu'on juge trop centrée sur Montréal, peu à l'écoute de leurs besoins locaux particuliers et peu représentative de leur identité. Ce sont des griefs que nous avons entendus des Franco-Manitobains, des Franco-Néo-Brunswickois et des Franco-Ontariens.

Pouvez-vous me dire si, à votre avis, la CBC a fait un bon travail de rayonnement et de représentation des groupes minoritaires de langue anglaise au Québec?

M. Duszara : Je vais vous faire part de mon expérience personnelle. Je ne suis pas un expert des communications, mais je suis un citoyen expert, et j'ai passé une bonne dizaine d'années en région, dans le secteur de Sherbrooke, à l'époque où j'ai occupé le poste de directeur général, entre autres, pour des commissions scolaires. Je peux vous dire aujourd'hui que la CBC est une partie importante du réseau —comment devrais-je décrire cela —, du cadre qui répond aux besoins de la communauté de langue anglaise qui vit dans les régions, et elle joue un rôle important pour les anglophones à Montréal.

Les rôles diffèrent parfois, car la composition de la communauté est différente. Au fil des années, grâce à un dialogue établi et maintenu avec des membres du personnel de la CBC, on s'est toujours adapté pour refléter les besoins de la communauté et y répondre.

Alors, oui, la CBC a déployé des efforts pour répondre à nos besoins. Elle a réussi de bien des façons, surtout par l'intermédiaire de ses services à la radio, à répondre à divers besoins de la communauté. Et, oui, le service de télévision de la CBC laisse un peu à désirer.

Le sénateur Housakos : C'est drôle que vous disiez cela, bien sûr, car mon collègue, au moment d'une intervention précédente, parlait des cotes d'écoute et de leur importance; pour nous, les parlementaires, il s'agit de la seule mesure dont nous disposons pour déterminer si l'argent des contribuables est bien investi.

Les cotes d'écoute de la radio de la CBC sont excellentes; elles démontrent que la radio de CBC est non seulement concurrentielle, mais à bien des endroits au pays, le premier choix des auditeurs. Comme vous dites, la télévision laisse beaucoup à désirer.

La communauté anglophone du Québec a d'autres options. Il y a d'autres options lorsqu'on pense à la programmation télévisuelle et même à la radio pour les anglophones dans la province. Si vous regardez certains exemples, vous verrez que leur rendement est supérieur à celui de la CBC. Les cotes d'écoute des nouvelles de Montréal en anglais à la CBC, par exemple, sont horribles, désastreuses.

Alors, où se trouvent les centaines de milliers d'anglophones de la région de Montréal, que regardent-ils à 18 heures, au moment du bulletin de nouvelles? Où obtiennent-ils l'information?

M. Duszara : Je suis d'accord pour dire qu'il y a plus d'un choix à la disposition des anglophones de l'île de Montréal et, de fait, à l'extérieur de l'île aussi. Toutefois, je ne crois pas que le nombre d'yeux rivés sur le téléviseur ou le nombre d'oreilles à l'écoute d'une station de radio soit le seul indicateur utile. Pour paraphraser, je crois, Albert Einstein, qui a dit quelque chose comme : « Les choses qui comptent ne peuvent pas toujours être mesurées, et les choses pouvant être mesurées ne comptent pas toujours. »

Une grande partie de la discussion que j'ai entendue ce matin avait à voir — pour utiliser le jargon de la gestion — avec les indicateurs d'intrants et d'extrants. Je ne crois pas que nous devrions nous arrêter là. Bien souvent, c'est là que s'arrête la direction, mais je crois que nous devrions regarder les indicateurs d'impact.

La CBC a un vaste mandat. Elle doit contribuer à la création et au maintien d'une identité canadienne. Elle doit aider à faire comprendre aux gens qu'ils appartiennent à quelque chose de plus grand que leur petite collectivité locale, contribuer à créer un type d'identité canadienne par rapport au reste du monde. Voilà des objectifs de taille. C'est lorsque nous tentons de mesurer ces objectifs que, selon moi, nous envisageons les enjeux réellement importants : pas la discussion relative aux immeubles et aux structures, mais la discussion de ce que le radiodiffuseur public apporte à la collectivité. Que nous apporte-t-il, à nous, citoyens du pays, que personne d'autre ne peut nous apporter? Et cet indicateur d'impact n'est pas ce qu'on mesure en comptant le nombre de téléspectateurs et le nombre d'auditeurs.

Le sénateur Housakos : J'aimerais poursuivre sur cette question. Au bout du compte, c'est ce qu'essaie de déterminer le comité. Au cours des 20 ou 30 dernières années, les recettes de la CBC/Radio-Canada ont diminué de façon spectaculaire, ses subventions gouvernementales ont diminué de façon importante et ses cotes d'écoute ont considérablement diminué, surtout du côté de la CBC.

Estimez-vous qu'aujourd'hui, en 2014, nous sommes un peu moins canadiens que nous l'étions il y a 10 ou 20 ans? Pour moi, la CBC a toujours été associée à l'idée de regarder Hockey Night in Canada le samedi soir avec ma famille. Bien entendu, elle ne diffusera plus cette émission, alors je vais devoir passer à Rogers, ou je vais voir mon fils regarder Hockey Night in Canada sur son iPad ou son grand écran d'ordinateur. Est-ce que cela le rend moins canadien?

La question fondamentale est la suivante : nous avons vu l'affaiblissement de la CBC/Radio-Canada et nous essayons de trouver un moyen d'arrêter l'hémorragie, mais cet affaiblissement nous a-t-il amenés à devenir moins canadiens, d'après vous?

M. Duszara : Si je regarde mes enfants, je constate qu'ils sont moins attachés à la CBC et à toute autre source d'information que je ne l'étais à leur âge. Toutefois, je crois toujours que la CBC contribue de façon spectaculaire à notre vision de l'espace que nous occupons et de l'époque dans laquelle nous vivons.

Je pense à un certain nombre d'émissions que j'ai commencé à regarder lorsque j'étais un jeune adolescent et que je regarde toujours : Ideas, Quirks & Quarks et Cross Country Checkup. Les émissions matinales de la CBC, Peter Gzowski, il y a plusieurs années... Et ça continue, vous savez, la musique classique qui était proposée à l'époque. Toutes ces choses nous rassemblaient, en quelque sorte; elles nous donnaient l'impression de faire partie de quelque chose de plus grand.

Cross Country Checkup est une excellente occasion de faire entendre la voix des Canadiens sur différentes questions, à tout moment. Si vous vivez dans une métropole, une ville ou un village et que vous entendez une personne de votre ville ou de votre village parler d'un enjeu en même temps qu'une autre personne, de Vancouver ou de Terre-Neuve, cela donne l'impression que vous faites partie de quelque chose de plus grand.

Maintenant, comment maintenir cela dans l'avenir, avec tous les autres concurrents qui se disputent votre temps et votre attention; c'est un défi de taille. Je crois que la radio publique ou le radiodiffuseur public doit prendre du recul et se questionner sur sa mission. Si sa mission est de contribuer à l'identité canadienne et de maintenir le tissu du Canada et les liens entre ses citoyens partout au pays et de s'assurer qu'ils restent forts, alors c'est là qu'il faut orienter les efforts.

Le sénateur Plett : J'aimerais continuer dans la même voie que le sénateur Housakos. Pouvez-vous seulement préciser — et je sais que vous l'avez dit lors de votre exposé — quel est votre auditoire au Québec; quelle est la quantité de gens à Montréal et celle à l'extérieur de Montréal?

M. Duszara : Je n'ai pas ces chiffres sous la main.

M. Thompson : Il y a 1 058 000 personnes dans notre communauté, 800 000...

Le sénateur Plett : Dans tout le Québec?

M. Thompson : C'est exact : 800 000 sur l'île et 350 000 à l'extérieur.

Le sénateur Plett : Êtes-vous satisfait de l'état actuel des choses? La CBC devrait-elle faire un meilleur travail, ou craignez-vous de perdre ce que vous avez déjà?

M. Duszara : Je crois que la CBC fait un bon travail, compte tenu des ressources dont elle dispose. Je crois qu'elle pourrait faire un meilleur travail si elle avait plus de ressources. Je crois que la CBC doit se montrer à la hauteur des aspirations et des besoins divers de la communauté anglophone au Québec. Nos identités ne sont pas les mêmes, les enjeux qui nous touchent ne sont pas les mêmes, mais nous partageons aussi de nombreuses qualités. Vous ne pouvez pas espérer interpeller une société complexe et diversifiée comme celle du Québec à l'aide d'une émission conçue et produite à Toronto qui vise à atteindre tout le monde, car cela ne fonctionnera pas.

Nous avons besoin d'une programmation adaptée au caractère et à la population que nous appelons les Québécois de langue anglaise, qui diffère de la communauté ontarienne de langue anglaise et de la communauté britanno-colombienne ou des communautés britanno-colombiennes ou manitobaines de langue française. Il ne peut pas y avoir d'approche universelle; l'approche doit être personnalisée et adaptée à nos besoins. Il doit y avoir une tentative de répondre à nos besoins, en tant que Québécois de langue anglaise, tout en nous donnant l'impression de faire partie de quelque chose de plus grand, qu'on appelle le Canada. Il s'agit non pas de cloisonner les services, mais d'offrir un service personnalisé qui nous invite à participer à une discussion et à une réflexion plus larges sur l'identité canadienne.

M. Thompson : Je crois aussi qu'il importe, sénateur, de préciser que nous parlons de la CBC dans son ensemble. Notre relation avec CBC Quebec est très étroite, et elle en fait beaucoup pour notre communauté. Ce qu'elle fait pour notre communauté dépend des ressources qu'elle peut obtenir de Toronto, où se situe le siège social de la CBC.

Laissez-moi vous donner un exemple. Il y a plusieurs années, CBC News n'assurait aucune couverture médiatique d'événements à l'extérieur de l'île de Montréal l'hiver, car elle n'avait pas les moyens de munir ses véhicules de pneus d'hiver. Cette situation a aujourd'hui changé.

Mais ce que CBC Quebec peut faire pour nous dépend des ressources qu'elle obtient de Toronto. Et, oui, nous estimons que notre relation avec CBC Quebec est très étroite, qu'elle en fait beaucoup pour notre communauté. Oui, monsieur, elle pourrait en faire plus si elle avait davantage de ressources.

Le sénateur Plett : Comme l'a déjà mentionné le sénateur Housakos, la plainte que nous entendons d'un bout à l'autre du pays, c'est que la SRC et la CBC sont axées sur Montréal et Toronto. Je viens de Winnipeg, et c'est ce que j'entends tout le temps; que ce soit chez les francophones ou les anglophones, tout est centré sur Montréal et Toronto, et nous ne voulons pas nécessairement des nouvelles de Montréal et de Toronto.

Mais, de toute évidence, dans le cas de la CBC/Radio-Canada, davantage de ressources signifient davantage de deniers publics, chose qui ne se produira probablement pas. J'ai posé la question suivante aux trois derniers témoins : la société d'État doit-elle tout simplement devenir plus efficiente?

Au chapitre de l'efficience, peut-elle en faire plus avec les ressources qu'elle a? Lors de notre séance à Halifax, j'ai posé une question à des témoins du Nouveau-Brunswick. Ils ont parlé des services en français au Nouveau-Brunswick, et nous parlions de la quantité de gens nécessaire pour offrir ces services. Alors, je vais vous poser la même question du côté anglais. De toute évidence, 800 000 personnes à Montréal est un chiffre important. Pour le reste de la province, 300 000 personnes, ce n'est peut-être pas aussi important, vu que la province compte six ou sept millions d'habitants, ou je ne sais combien à l'heure actuelle.

J'ai demandé ce qui constituait une population importante, et on m'a donné deux réponses. On m'a répondu : « Eh bien, s'il y a une école, une école francophone, cela veut peut-être dire que la population est importante. » L'autre réponse qu'on m'a donnée est la suivante : « S'il y a plus d'une personne, il s'agit d'une population importante. » Je crois que c'est un peu exagéré.

À quoi correspond une population importante sur les 300 000 personnes, selon vous? S'il y a une communauté de 30 Québécois de langue anglaise, s'agit-il d'une population importante et devrait-on lui offrir tous les services en anglais?

M. Thompson : C'est une question fantastique, merci de l'avoir posée. Plus tôt cette semaine, nous avons témoigné devant le Comité sénatorial des langues officielles au sujet du projet de loi S-205, qui traite de choses comme la notion de demande importante.

Actuellement, la demande importante est envisagée de trois façons. S'il s'agit du nombre de personnes dans un village ou une ville, on applique la « règle des 5 000 », donc, on se demande s'il y a plus de 5 000 personnes; s'il y a plus de 5 p. 100 de la population dans un secteur donné; ou selon la nature du service offert, comme les services postaux et les aéroports. Ce sont donc les trois facteurs qui entrent dans le calcul de l'existence d'une demande importante.

À l'heure actuelle, cela est prévu par règlement. Il s'agit du règlement d'application de la Loi sur les langues officielles, et les articles 4 et 5 décrivent ces aspects.

Qu'est-ce qu'une population importante? Si vous avez une communauté de 30 personnes, qui sont isolées par ailleurs, une population vulnérable qui ne parle pas la langue de la majorité de la région, qui n'a pas accès à Internet et qui n'a pas accès à un média qui lui permet de faire des choix, si son seul lien vers le monde extérieur est un média où elle peut se reconnaître, s'agit-il d'une population importante? C'est une question de jugement. Je crois qu'on hésiterait à associer un nombre particulier au mot « important »; c'est une question de jugement. Il faut poser un jugement qualitatif pour définir ce qui est important.

S'il reste un anglophone ou un francophone dans une mer de francophones ou d'anglophones, il s'agit d'une personne importante. Si la dualité linguistique est une valeur fondamentale de l'Atlantique au Pacifique en passant par l'Arctique, alors, oui, il est tout à fait possible qu'une personne soit une population importante, mais cela dépend.

Le sénateur Plett : Je suis d'accord pour dire que chaque personne est importante. Je ne suis pas d'accord pour dire que la population est importante. Je crois qu'il y a une distinction à faire ici : chaque personne au pays, peu importe la langue dans laquelle elle s'exprime, est importante. Que cela soit donc tout à fait clair.

Cela dit, ma dernière question est la suivante : le désir est-il en hausse ou en baisse? Y a-t-il aujourd'hui au Québec plus de gens qui aimeraient obtenir des services en anglais par rapport à il y a un an, ou y en a-t-il moins?

M. Thompson : C'est une excellente question. Les chiffres que nous avons présentés dans notre déclaration préliminaire viennent de deux sources, lorsque nous parlons d'identité et d'identités multiples. L'une de ces sources, ou l'un de ces documents de recherche, est un échantillon représentatif des différents groupes d'âge dans la province. Qui êtes-vous? Nous sommes des Canadiens. Nous sommes des Québécois de langue anglaise, voilà ce que nous sommes.

L'autre étude que nous avons citée portait sur des Québécois anglophones, des jeunes qui fréquentaient l'Université McGill à l'époque. Ce qui est merveilleux ici, c'est qu'il est possible de déterminer si l'identité est stable ou si elle change chez les jeunes. La stabilité de l'identité est remarquable.

Alors, la réponse à votre question, sénateur, selon moi, c'est que la demande de contenu où nous nous reconnaissons demeure constante; nous ne perdons pas notre identité, et nous ne perdons pas le désir de nous reconnaître dans la programmation. Ainsi, l'importance d'un service comme celui de la CBC demeure constante.

Le sénateur Plett : Merci.

[Français]

La sénatrice Hervieux-Payette : J'aimerais faire un commentaire relativement aux propos de votre prédécesseur selon lequel l'avenir dans les communautés minoritaires, c'est l'Internet. Cinq personnes pourront se réunir pour faire la production, et puis tout le monde sera content. Alors, j'aimerais avoir votre point de vue à ce sujet.

Vous avez parlé de Sherbrooke. On sait que les Townshippers, où se trouve ma circonscription sénatoriale, sont historiquement plus d'expression anglaise que d'autres régions du Québec. Et que dire des Autochtones dans les régions plus éloignées? Tenez-vous compte de ces populations, qui sont souvent plus d'expression anglaise que française, parmi votre clientèle?

Tout à l'heure, mon collègue parlait de Montréal. À ma connaissance, pour renforcer l'identité canadienne, ce sont les régions plutôt que Montréal qui sont menacées. Dans les régions, la population est moins élevée, mais les besoins sont plus importants. Êtes-vous d'accord avec moi?

M. Duszara : À mon avis, les besoins sont plus criants dans les régions qu'à Montréal en ce qui concerne les communautés autochtones. Les Autochtones qui parlent anglais représentent environ 60 p. 100 de la population dans son ensemble.

En termes des services qu'on peut offrir à cette population, il ne faut pas oublier que nous avons déjà une structure en place. Nous avons des installations qui desservent la population. L'offre de services dans les régions ne peut être comparée à la livraison de pizzas qui ne requiert qu'une seule personne pour livrer les commandes.

Nos antennes et nos installations desservent un vaste territoire. Nous avons un réseau d'antennes partout au Québec qui comporte plusieurs stations de radio, par exemple des services qui sont partagés. En voyageant à travers le Québec, j'ai eu l'occasion de changer souvent de postes de radio d'un endroit à l'autre. Je m'assurais toujours d'être branché à Radio-Canada.

C'est possible de le faire entre ici et Québec, entre Québec et Gaspésie, entre Québec et Chibougamau, peu importe où on est dans la province. Cela contribue grandement à établir et à maintenir un sens d'appartenance à notre communauté.

À l'avenir, cette demande ou ce besoin demeurera. Lorsque vous menez vos réflexions, n'oubliez pas qu'au point de départ, on ne part pas à zéro. Il y a des structures en place. Nous pouvons bâtir. Des éléments sont déjà en place pour rejoindre cette population et répondre à ses besoins.

Notre regroupement est d'avis qu'il faut maintenir cette importante institution, qui dessert notre communauté et contribue à sa vitalité. Peu importe la grande diversité de la population, nous croyons qu'elle est essentielle pour l'avenir de cette communauté. Et cela fait partie de la mission de CBC/Radio-Canada.

Le sénateur Massicotte : Je vous remercie tous les deux de votre participation à notre comité. Lorsque vous décrivez Radio-Canada comme un service désigné, je suis curieux de savoir quel est l'auditoire et quels sont vos intérêts.

Vous dites que vous êtes une communauté anglophone québécoise, non francophone, ce n'est pas le même marché, et qu'elle n'est pas une communauté anglophone canadienne. Vous faites référence à Toronto.

Mis à part la curiosité d'obtenir des nouvelles locales, quelle sont les autres spécificités de votre groupe en comparaisons avec les anglophones de l'Ontario? À part la curiosité de savoir, qu'est-ce qui se passe dans votre propre communauté? Y a-t-il une autre différence importante?

M. Duszara : Le fait que nous soyons dans les mêmes eaux du Québec, cela fait une grande différence. Notre milieu comporte des problématiques et un contexte différent. Nous avons nos forces et nos faiblesses. Tout cela fait partie de notre environnement.

Et dans cet environnement, il va falloir qu'on puisse mettre en commun nos idées, qu'on puisse communiquer entre nous. Et toujours selon une volonté, un désir même, de préserver notre identité canadienne et notre lien avec le Canada.

Le sénateur Massicotte : Jetons un regard sur l'avenir. Selon des études et des sondages, une proportion assez élevée des enfants nés de parents qui ont fait leurs études universitaires finissent par quitter le Québec.

Dans 20 ou 30 ans, quelle sera la proportion de cette population anglophone québécoise?

M. Duszara : J'ai quatre enfants et ils ont tous terminé l'université et sont tous des professionnels. Ils ont eu l'occasion de travailler à l'extérieur de Montréal, du Québec, même à l'étranger, entre autres, en Arabie saoudite, en Suisse, en Italie et en Algérie. Et ils sont tous revenus à Montréal. Ils ont choisi de rester ici. Il y a de nombreux débouchés ailleurs, mais ils se sentent chez eux ici.

Le sénateur Massicotte : Tant mieux.

M. Duszara : Et c'est vrai aussi pour leurs amis. Nous devons tous faire des choix durant notre vie. Parfois, nous avons le contrôle de notre situation, et parfois non. Il arrive que nous soyons obligés de quitter.

Cependant, à l'époque où je travaillais en milieu scolaire, je n'ai jamais entendu de parents dire qu'ils souhaitaient que leur enfant quitte. C'est plutôt l'inverse : « J'aimerais que mon enfant reste et qu'il se trouve un emploi qui répondra à ses forces et à sa formation. » C'est ce que ces parents souhaitaient.

Il y a des forces qui nous poussent et d'autres qui nous retiennent.

Le sénateur Massicotte : J'espère que vous dites vrai. Quand on regarde 1,2 million de leur communauté aujourd'hui... Qu'est-ce qui arrivera dans 20 ou 30 ans?

M. Duszara : Nous avons été témoins d'une grande migration dans les années 1970 et 1980. Nous pouvons même fait des liens entre des événements politiques et divers mouvements de personnes.

Personne ne souhaite mettre son avenir en péril. Si, par la force des choses, certaines personnes se sentent un peu menacées, elles ont la possibilité de quitter, et cela arrive parfois.

Mais ce n'est pas un indice d'une situation qui a été voulue. Ils n'avaient pas un sentiment d'appartenance à leur région, à leur ville, à leur province.

Ce sont plutôt des forces extérieures qui les incitent à partir. Dans le cas de certains jeunes, il y a des occasions d'emplois qui les poussent vers l'extérieur. Si on peut renverser cette tendance, si on peut donner l'image d'une communauté d'expression anglaise vitale, une communauté forte, on va inciter des gens à rester ou à revenir.

Les gens doivent savoir qu'ils disposent de ressources linguistiques adéquates, entre autres, qui leur donnent la possibilité de travailler dans une entreprise française. Et que leur connaissance du français est suffisante pour contribuer aux forces de cette entreprise. Nous serons en mesure d'attirer les gens de l'extérieur.

Mais il faut s'assurer que nous avons des institutions, des instances et des conditions qui sont attrayantes, qui vont amener les gens de l'extérieur à venir ici, des autres provinces par exemple, vers Québec et surtout vers les régions. Ce sont surtout les régions qui perdent leur jeune main-d'œuvre. Ils vont ailleurs parce qu'il y a moins de débouchés ici.

[Traduction]

Le sénateur Joyal : Dans votre exposé, vous avez mentionné la décision récente de la Cour fédérale relativement à la CBC. Je parle de la décision du commissaire aux langues officielles du Canada dans l'affaire opposant M. Karim Amellal à la CBC/Radio-Canada. Est-ce à cela que vous faisiez allusion dans votre exposé?

M. Thompson : C'est exact.

Le sénateur Joyal : Il s'agit d'une décision rendue par le juge Martineau le 8 septembre. Saviez-vous que le gouvernement du Canada a interjeté appel de cette décision? Le saviez-vous?

Premièrement, pourriez-vous nous dire en quoi vous considérez que cette décision est favorable au maintien de votre identité en tant que communauté? Peut-être que vous ne la connaissez pas bien, je ne voudrais pas vous jeter dans l'embarras, mais, comme vous y avez fait allusion...

M. Thompson : Il est difficile de me jeter dans l'embarras, monsieur.

De toute évidence, pour toute communauté de langue officielle en situation minoritaire au Canada, que la langue soit le français ou l'anglais, la partie VII de la Loi sur les langues officielles est cruciale : elle traite du devoir des institutions fédérales de fournir des services, et de celui des sociétés d'État et d'autres entités assujetties à la loi.

La partie VII témoigne du devoir qu'a le gouvernement de soutenir les droits linguistiques constitutionnels des Canadiens, et nous croyons que le gouvernement a le devoir de constamment élargir les droits, et non pas de les contraindre. Alors, selon nous, tout élargissement de la partie VII s'inscrit tout à fait dans le renforcement et l'élargissement des droits linguistiques constitutionnels. Nous ne croyons pas que la partie VII est lourde ou qu'elle soit un fardeau; permettez-moi de vous donner un exemple. Il y a trois ans, nous avons été appelés à témoigner devant le Comité sénatorial des langues officielles au sujet d'Air Canada. J'ai dit : « Bien sûr, je vais y aller ». Mon patron a dit : « Qu'allons-nous dire au Comité des langues officielles au sujet d'Air Canada? Avons-nous du mal à obtenir des services en anglais? » J'ai répondu : « Non, laissez-moi y réfléchir. »

Air Canada est assujettie à la Loi sur les langues officielles, mais elle n'avait jamais songé à ses obligations aux termes de la partie VII à l'égard de notre communauté, une communauté de langue officielle en situation minoritaire. Elle n'y avait jamais pensé. Nous avons mentionné cet aspect au Sénat, et cela nous a permis d'aller rencontrer des représentants d'Air Canada et de leur dire : « Hé, vous avez des obligations aux termes de la partie VII à l'égard de notre communauté. Bon, nous ne vous demandons pas de faire quelque chose de particulier, nous ne vous demandons pas de remuer ciel et terre, mais que faites-vous actuellement pour apporter une contribution positive au dynamisme de notre communauté? »

Air Canada a un budget de marketing considérable et publie la revue enRoute. Elle parraine des événements communautaires. Alors, sans investir des ressources additionnelles ni déployer d'effort exceptionnel, elle a pu parrainer la cérémonie des prix Sheila et Victor Goldbloom que nous tenons annuellement ici à Montréal, pour reconnaître des leaders importants dans notre communauté. Elle a aussi publié des articles dans la revue enRoute au sujet de certaines de nos communautés éloignées en région, qui dépendent du tourisme. Parfait, voilà pour l'obligation aux termes de la partie VII.

La licence de la CBC est assortie d'une condition, dont vous parleront les représentants d'ELAN, nos experts communautaires, dans un instant.

Le CRTC impose des obligations à la CBC/Radio-Canada, mais il s'agit d'obligations réglementaires qui, par définition, sont de nature temporelle. Alors, pour cet ensemble de licences particulier, le radiodiffuseur public a une obligation. Mais qu'arrivera-t-il la prochaine fois, et la fois d'après? La partie VII de la Loi sur les langues officielles devrait être le fondement de ces obligations. La Cour fédérale a jugé que la position de la CBC/Radio-Canada, selon laquelle la partie VII ne s'appliquait pas à elle, était indéfendable. Nous partagions l'enthousiasme du commissaire lorsque la décision a été rendue le 8 septembre.

Cette décision aura pour effet — si l'appel est rejeté — d'intégrer dans la jurisprudence l'obligation de la CBC/Radio-Canada aux termes de la partie VII. Il ne s'agira pas d'une obligation réglementaire qui découle d'une décision du CRTC; ce sera une question de droit. Cela renforce les droits relatifs aux langues officielles au Canada, ce qui est une bonne chose. Voilà notre position.

Le sénateur Joyal : Vous n'êtes pas intervenu, si je comprends bien, à la première instance. Avez-vous l'intention d'intervenir maintenant que la décision est en appel, pour expliquer votre position comme vous venez de le faire ici?

M. Thompson : Nous n'avons pas les ressources nécessaires pour faire ce genre d'interventions. Nous rendons la position de notre communauté claire sur des tribunes comme celle-ci.

Le sénateur Joyal : M. Lacroix, PDG de la SRC, comme vous le savez, a annoncé un plan de restructuration des services et de mise en œuvre des services. Estimez-vous que l'annonce de ce plan témoigne d'une attention prêtée à ce que la Constitution vous donne le droit d'attendre d'une société d'État comme la SRC, au chapitre du maintien de l'identité de votre groupe, protégée et reconnue dans différentes dispositions de la Constitution? Est-ce que le plan annoncé par M. Lacroix assure le respect et la prise en compte de vos droits?

M. Thompson : Nous avons eu l'occasion de rencontrer M. Lacroix il y a environ trois semaines, et il nous a accordé environ une heure et demie ou deux. Il y a eu — ici à Montréal — une consultation communautaire, dans le cadre de laquelle il nous a informés du plan stratégique 20/20. Il était très ouvert à l'égard des difficultés que connaît le radiodiffuseur public, dont d'autres témoins ont parlé. M. Nadeau a fait preuve d'une grande éloquence ce matin.

M. Lacroix nous a annoncé quelque chose de troublant lors de notre rencontre, à savoir le fait que, pour l'heure, aucune ressource ne serait accordée à la programmation autre que les nouvelles adressées à notre communauté. Il s'agit d'une condition de sa licence. Nous avons posé une autre question pour nous assurer d'avoir bien compris, et M. Lacroix a répété qu'il n'y aurait pas d'argent pour la programmation autre que les nouvelles, ce que nous estimons être une condition de la licence délivrée par le CRTC.

Le plan de la CBC/Radio-Canada à l'heure actuelle, comme l'a expliqué M. Lacroix, consiste à réduire les coûts d'infrastructure et à réaffecter les économies réalisées vers la programmation autre que les nouvelles, mais, actuellement, la priorité est accordée à la programmation des nouvelles.

Alors, non, nous ne sommes pas contents de voir ce qui arrive à l'heure actuelle, dans l'avenir immédiat. Nous ignorons ce que la CBC/Radio-Canada fera plus tard, car, vu sa structure, ces décisions sont prises à l'échelle de la société. Nous avons voix au chapitre, mais ces décisions sont prises d'en haut, pas d'en bas. Alors, nous pouvons prendre M. Lacroix au mot : si des économies sont réalisées, elles seront réaffectées vers la programmation autre que les nouvelles.

De toute évidence, nous ne trouvons pas cela suffisant. Si j'ai l'obligation de faire quelque chose, je dois le faire. Je ne crois pas qu'il est acceptable de dire : « Je ne peux pas le faire parce que je n'ai pas les ressources. » Mais ce n'est pas notre problème, c'est celui de M. Lacroix.

Le sénateur Joyal : Avez-vous mentionné à M. Lacroix l'argument énoncé dans la décision de la Cour fédérale de septembre selon lequel, en vertu de la Constitution, vous avez le droit de vous attendre à ce que la CBC/Radio-Canada fasse quelque chose pour honorer son obligation?

M. Thompson : Je ne crois pas que c'était ce type de rencontre; il s'agissait plutôt d'une consultation sur le plan stratégique 20/20. Il y a d'autres membres de notre communauté qui témoigneront dans un instant, et ils ont décrit avec beaucoup d'éloquence au CRTC et à la CBC/Radio-Canada les obligations constitutionnelles de la société d'État.

Le sénateur Joyal : Saviez-vous qu'une plainte officielle avait été déposée auprès du commissaire aux langues officielles relativement à l'annonce de M. Lacroix concernant la restructuration des services de la SRC et de la transmission directe qui devraient être offerts à une communauté comme la vôtre et aux autres minorités francophones au Canada?

M. Thompson : Non, je l'ignorais, mais cela ne m'étonne pas.

Le sénateur Joyal : Avez-vous l'intention de présenter votre point de vue à un autre ordre de gouvernement dans l'espoir d'obtenir ce à quoi vous croyez avoir droit de ce service à un moment donné?

M. Thompson : Certainement, nous ferions cela. Nous allons attendre le rapport du comité, puis nous l'utiliserons comme fondement, à titre de preuve documentaire, puis, en collaboration avec nos partenaires communautaires, comme l'English Language Arts Network, et d'autres chefs de file dans la communauté, nous formulerons une position et ferons valoir nos droits.

Le sénateur Joyal : Avez-vous noué des relations avec les groupes qui représentent des minorités francophones au Canada? Ils partagent certaines de vos positions et certains de vos principes, en ce qui concerne les services que devrait vous offrir la CBC ou Radio-Canada.

M. Thompson : Oui, monsieur. L'English Language Arts Network travaille avec ses homologues francophones dans le reste du pays sur ce dossier. Son témoignage suit le nôtre.

Le sénateur Joyal : Ne serait-il pas sage — si je puis me le permettre — d'échanger vos préoccupations avec ces gens et de vous présenter ensemble devant le tribunal pour présenter votre point de vue, de façon à démontrer que le principe en jeu s'applique à tous les groupes communautaires?

M. Thompson : C'est une excellente idée, monsieur. C'est une question de ressources et de lièvres. Combien de lièvres peut-on poursuivre?

Le sénateur Joyal : D'où provient votre budget?

M. Thompson : Eh bien, si l'enjeu est un droit linguistique constitutionnel, alors il y a possibilité d'obtenir du financement par l'intermédiaire du Programme d'appui aux droits linguistiques.

Le sénateur Joyal : Exactement. Comme vous le savez, cette source de soutien financier existe, sans compter qu'il y a déjà une décision, une première décision qui reconnaît le principe et qui sert de fondement juridique pour établir le caractère raisonnable de la position que vous défendriez. Alors, à mon avis, il y a des ressources qui pourraient certainement vous aider, pour vous assurer que votre point de vue soit présenté et ait une incidence sur la décision de l'instance supérieure.

M. Thompson : Merci, monsieur.

Le sénateur Joyal : Vous n'avez pas répondu à ma question. D'où provient votre budget, votre budget général?

M. Thompson : La majeure partie de notre budget provient du ministère du Patrimoine canadien.

Le sénateur Joyal : À combien se chiffre-t-il?

M. Thompson : Il était de 780 000 $ l'année dernière.

Le sénateur Joyal : Vos membres doivent-ils payer des frais d'adhésion?

M. Thompson : Notre réseau n'impose pas de frais à ses membres.

Le sénateur Joyal : Alors, vous touchez essentiellement un budget public?

M. Thompson : C'est exact.

Le sénateur Joyal : Merci.

Le président : Messieurs Thompson et Duszara, merci beaucoup.

Nos prochains témoins, chers collègues, sont M. Gerald Cutting et Mme Rachel Hunting, de la Townshippers' Association; et M. Guy Rodgers, de l'English Language Arts Network.

Qui va commencer? Les témoins précédents nous ont dit que vous collaborez beaucoup, monsieur Cutting?

Gerald Cutting, président, Townshippers' Association : Bonjour, sénateur Dawson, sénateur Housakos, et bonjour aux membres du comité. Merci de nous donner l'occasion de faire valoir nos préoccupations actuelles. Je m'appelle Gerald R. Cutting, et je suis président de la Townshippers' Association. Je suis fier de dire que je suis un Townshipper de septième génération.

Mme Rachel Hunting, directrice exécutive de notre association — ici à ma gauche — est fière de dire qu'elle fait partie de la huitième génération de Hunting. Nos familles étaient installées dans les cantons avant même que les cantons fassent partie du Canada.

Avec sa programmation dynamique touchant le patrimoine et la culture, le développement communautaire, les services de santé et les services sociaux, les populations vieillissantes et les jeunes, la Townshippers' Association est une organisation non partisane et sans but lucratif qui sert la communauté de langue anglaise dans la région historique des Cantons de l'Est depuis 1979.

Notre mission a trois volets qui consistent à défendre les intérêts de la communauté anglophone des Cantons de l'Est, à renforcer l'identité culturelle de cette communauté et à encourager la pleine participation de ses membres dans la collectivité.

Nous sommes ici aujourd'hui pour exprimer notre profonde préoccupation du fait que la programmation adressée à la minorité anglophone des Cantons de l'Est est à risque. Vu les récentes compressions budgétaires et la programmation qui en découle, nous estimons que notre communauté est particulièrement vulnérable. Les anglophones des Cantons de l'Est ne sont pas simplement une extension de la majorité anglophone à l'extérieur du Québec. Notre communauté a besoin d'une programmation adaptée à ses besoins et à son identité dans un contexte de minorité en région rurale. Notre population est répartie sur un vaste territoire, environ de la taille de la Belgique, alors vous pouvez sûrement comprendre notre préoccupation ici.

De plus, pour des anglophones isolés en région rurale dans la province, qui n'ont toujours pas un accès adéquat, abordable ou fiable à une infrastructure offrant un accès Internet haute vitesse, la radio demeure un moyen important de communiquer avec la communauté et de maintenir le lien avec d'autres anglophones dans la province.

À la lumière de cette réalité, la stratégie 20/20 du radiodiffuseur public, qui consiste à renverser et à inventer — pour reprendre la formule du PDG, Hubert Lacroix —, sa priorité actuelle en matière de radio et de télévision — à savoir d'innover au chapitre de la mobilité, pour s'adapter par la suite aux nouvelles technologies qui seront les plus répandues — pose un problème à notre communauté linguistique minoritaire.

Comme il y a des antennes de radio partout dans la région, la radio de la CBC est facilement accessible aux membres de la communauté, contrairement à la télévision, qui vient essentiellement de Toronto, maintenant; par conséquent, nous devons nous pencher sur l'une des préoccupations les plus importantes de notre communauté, parce que la CBC, avec son réseau communautaire québécois, tient les Townshippers informés des événements provinciaux, nationaux et internationaux tout en offrant aussi une couverture médiatique importante des enjeux et des événements locaux.

Les animateurs de l'émission Quebec AM jouent depuis de nombreuses années un rôle important dans le cadre de notre festival annuel des Cantons de l'Est, en accueillant des anglophones locaux et des visiteurs pour animer nos cérémonies d'ouverture et en frayant toute la journée avec les membres de la communauté et en les interviewant, pour explorer une nouvelle région.

Ces dernières années, nous avons vu leur capacité de soutenir notre festival culturel annuel s'appauvrir. Cette année, les Cantons de l'Est ont eu la chance d'avoir Susan Campbell, animatrice de Quebec AM, toute la journée, mais, malheureusement, elle n'avait aucune équipe. L'absence de ses collègues et d'une présence manifeste de la CBC dans le cadre de l'événement n'est pas passée inaperçue parmi les membres de la communauté. De fait, on a carrément demandé au personnel de l'association pourquoi la CBC avait décidé de ne pas offrir le même soutien à l'événement tenu dans la région, comparativement aux années précédentes. Avant les compressions touchant la télévision de la CBC, des commentateurs montréalais étaient aussi souvent présents à nos événements.

Il est difficile de garder nos jeunes dans une région où leur langue et leur identité culturelle sont sous-représentées dans les médias au quotidien. Il est encore plus difficile de lutter contre l'interprétation qu'ont ces générations de jeunes de cette sous-représentation comme étant synonyme de dévalorisation.

La programmation communautaire aide à renforcer l'attachement des gens à l'endroit où ils vivent. Une émission complète axée sur sa région est fantastique pour inspirer à la communauté un sentiment de fierté et d'appartenance. Par exemple, avant de finir par succomber à des compressions annuelles croissantes, le radiothon de la CBC pour la Fondation du Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke a permis de recueillir 200 000 $ auprès des membres de la communauté anglophone de 2008 à 2011.

Les anglophones ruraux ont bien noté la perte de l'émission communautaire de la CBC, Farm Panel, annulée en 2013. Elle faisait partie de la programmation du midi de la radio de la CBC depuis plus de 20 ans et permettait à la communauté agricole de la province de s'exprimer et de nouer des liens, elle offrait à l'auditeur un aperçu de la vie agricole et des enjeux qui reliaient la communauté agricole anglophone au consommateur. Dans le monde compétitif de la radiodiffusion, un tel contact personnel avec l'auditoire doit certainement avoir une valeur.

Pour conclure, nous recommandons vivement que la CBC soit appelée à rendre des comptes relativement à ses obligations, à titre de radiodiffuseur national, découlant de son mandat d'offrir une programmation en anglais au Québec rural qui, comme le prévoit l'article 3 de la Loi sur la radiodiffusion, reflète « la situation et les besoins particuliers des deux collectivités de langue officielle, y compris ceux des minorités de l'une ou l'autre langue ».

Merci.

Le président : Merci, monsieur Cutting.

Monsieur Rodgers?

Guy Rodgers, directeur général, English Language Arts Network : Bonjour, sénateur Dawson, et bonjour aux membres du Comité sénatorial permanent des transports et des communications. Je m'appelle Guy Rodgers et je suis directeur général de l'English Language Arts Network, qui représente environ 8 000 artistes anglophones au Québec : musiciens, cinéastes, artistes visuels, danseurs, écrivains et autres travailleurs culturels. Nos membres sont répartis dans plusieurs régions du Québec, surtout l'Outaouais et les Laurentides, la Montérégie, les Cantons de l'Est, Québec et, bien sûr, Montréal.

L'ELAN célèbre son 10e anniversaire cette année. Lorsque l'organisme a été créé, il était le seul groupe communautaire représentant constamment la communauté anglophone du Québec devant les audiences du CRTC.

Au cours des deux dernières années, un ancien membre de notre conseil d'administration est devenu directeur général du Quebec English Language Production Council, qui s'intéresse aux enjeux liés à la production et à l'industrie. Comme l'a mentionné le représentant du QCGN, l'ELAN collabore avec ce groupe et ses membres pour faire connaître les préoccupations en matière de radiodiffusion de la communauté de langue officielle en situation minoritaire du Québec, dans la région métropolitaine de Montréal et répartie dans les régions du Québec. Alors, nous sommes heureux de constater qu'un certain nombre de ces communautés vous ont parlé directement.

Au moment du renouvellement des licences de la CBC par le CRTC en 2012, l'ELAN et le Quebec English Language Production Council ont présenté des observations au nom de la communauté anglophone minoritaire du Québec. L'un des commissaires du CRTC a bombardé de questions la haute direction de la CBC au sujet de ses responsabilités linguistiques, et les cadres supérieurs ont clairement indiqué qu'ils voyaient le Canada comme une mosaïque de régions géographiques. Ils n'estimaient pas avoir d'obligation particulière à l'égard de communautés de langue officielle en situation minoritaire dans ces régions. La transcription de ces discussions est en fait très instructive.

Le CRTC ne partageait pas l'avis des cadres supérieurs de la CBC et a assorti les licences de conditions se rattachant à des obligations touchant les communautés de langues officielles en situation minoritaire. Ainsi, le Quebec English Language Production Council s'est réjoui du fait que la CBC doive consacrer « au moins 6 p. 100 des dépenses de programmation de l'année de radiodiffusion actuelle à de la programmation canadienne provenant de sociétés de production indépendante » et « au moins 10 p. 100 de ses dépenses annuelles en développement de programmation à de la programmation de langue anglaise de sociétés de production indépendante provenant de la province de Québec ».

Ces mesures offriront un soutien nécessaire aux producteurs québécois de langue minoritaire. Toutefois, les producteurs s'interrogent au sujet des normes redditionnelles et se demandent si l'information que fournira la CBC permettra de prouver qu'elle satisfait réellement à ces exigences à l'égard des licences.

Il importe de noter que les producteurs et la collectivité ont différentes attentes relativement à la production locale. L'industrie s'attache à l'entité qui produit et à l'endroit où a lieu la production, car cela détermine les budgets et le nombre d'emplois qu'on peut créer. La collectivité s'attache à la nature de ce qui est produit. Une émission pourrait être tournée dans le Vieux-Montréal, mais, si l'action est censée se dérouler en Europe, elle n'a pas de valeur en tant que contenu local. De même, une émission tournée en anglais qui porte sur la majorité francophone au Québec n'apporte aucune contribution pour ce qui est de refléter la réalité de la minorité anglophone de la région.

La télévision est complexe, et il ne s'agit pas du secteur d'activité où la CBC s'illustre le plus. Comme vous l'avez entendu des communautés régionales, la radio de la CBC est très appréciée et tenue en haute estime. Le personnel local de CBC Quebec, bien que son nombre diminue graduellement, est très déterminé à offrir un service excellent qui interpelle la communauté, raconte ses histoires et reflète la réalité régionale d'une façon qu'un radiodiffuseur commercial n'a jamais même tenté d'imiter.

La radio de la CBC est aux prises avec des ressources en déclin et pourrait en faire beaucoup plus avec un accroissement relativement modeste de ces ressources. Comme le comité ne prévoit pas entendre de représentant de l'Ouest du Québec, j'aimerais porter leur situation particulière à votre attention. L'Ouest du Québec est isolé de la communauté anglophone du reste du Québec, car il ne profite d'aucune programmation communautaire québécoise. En principe, il est facile de comprendre pourquoi l'Ouest du Québec reçoit la programmation ontarienne, mais cela ne réduit pas l'impression d'isolement à l'égard d'enjeux communautaires importants au Québec.

J'aimerais conclure ma déclaration préliminaire en soulignant quelques idées que j'espère que nous pourrons aborder ce matin. À l'instar de nombreux Canadiens, les membres de l'ELAN s'intéressent beaucoup au nouveau plan stratégique de la CBC/Radio-Canada. Le cadre décrit un certain nombre de changements importants. Le passage d'un contenu général à un contenu ciblé profiterait du fait que les cadres établis dans la lointaine région de Toronto accordent à CBC Quebec plus de ressources et la liberté d'axer ses activités sur l'auditoire local.

Le passage des technologies classiques aux technologies numériques est important et inévitable. L'ELAN a passé beaucoup de temps, au cours des dernières années, à penser aux conséquences du passage au numérique, et nous avons discuté de partenariats mutuellement bénéfiques avec la direction locale de la CBC. Au chapitre de la radiodiffusion, le passage d'un système axé sur le producteur à un système à plates-formes multiples a le potentiel de créer du contenu local qui renforce les producteurs indépendants et les auditoires locaux.

J'aimerais terminer en vous laissant sur une dernière réflexion qui revêt une importance particulière pour les communautés linguistiques en situation minoritaire. L'un des rôles les plus importants d'un radiodiffuseur national est de cultiver un dialogue national qui relie les Canadiens d'un bout à l'autre du pays et au sein des régions. Le partage d'idées stimule l'unité. La CBC/Radio-Canada est particulièrement bien placée pour stimuler le dialogue entre les anglophones et les francophones. Que les enjeux soient d'envergure nationale ou régionale, la CBC/Radio-Canada pourrait jouer le rôle en permettant aux minorités linguistiques de participer à la conversation. Cela entraînerait des coûts financiers supplémentaires négligeables, voire nuls, mais les retombées sociales seraient considérables.

Merci. J'ai hâte de répondre à vos questions et de discuter de ces idées.

Le président : Merci, monsieur Rodgers.

Avant de donner la parole au sénateur Plett, pourrais-je vous demander de nous envoyer une compilation des « meilleurs moments » de ces audiences entre la CBC...

M. Rodgers : Certainement, avec plaisir.

Le président : Pas nécessairement toute la transcription.

M. Rodgers : Eh bien, l'extrait dure environ 20 minutes, et je pourrais le réduire aux points saillants. C'est très intéressant.

Le président : D'accord.

Pourriez-vous définir l'« Ouest du Québec » pour mes collègues et moi-même?

M. Rodgers : La région de l'Outaouais, des endroits comme Wakefield et Chelsea. Ils se trouvent en face d'Ottawa, de l'autre côté de la rivière, et ils reçoivent la programmation de la CBC ontarienne, alors ils ignorent ce qui se passe dans le reste du Québec.

La sénatrice Hervieux-Payette : Maniwaki.

M. Rodgers : Maniwaki, et tous ces endroits le long de la frontière ouest, oui.

Le sénateur Plett : Merci à tous d'être des nôtres.

Je vais poser certaines des questions que j'ai déjà posées aux témoins précédents, car, à mon avis, elles sont très pertinentes.

Monsieur Cutting, durant votre exposé, vous avez dit que la programmation à l'intention de la minorité de langue anglaise était en péril, selon vous. Quels indicateurs prouvent qu'elle est en péril? Est-ce seulement une impression, du fait que la CBC a tenté de réduire certaines de ses dépenses, parce qu'elle a dû devenir un peu plus efficiente? Vous a-t-elle indiqué qu'elle avait l'intention de faire quelque chose qui nuirait à la programmation en anglais?

M. Cutting : Regardons des exemples concrets, et je vais laisser Rachel compléter. Lorsque les gens avec qui nous travaillons à la CBC, surtout à la radio, depuis un certain nombre d'années, nous disent : « Désolé, nous ne pouvons plus faire ceci. Désolé, ce n'est plus possible, nous n'avons plus les fonds », ce que nous voyons, c'est un phénomène auquel les gens des régions rurales en sont malheureusement venus à s'attendre : les gens des régions rurales peuvent être sacrifiés en raison de leur petit nombre. Nous ne vivons pas dans les grands centres. Nous n'avons pas tendance à faire beaucoup de bruit; habituellement, nous ne sommes pas le genre de personnes à descendre dans la rue. Nous avons tendance à faire tous les efforts possibles pour nous adapter aux circonstances, qu'il s'agisse de la communauté anglophone ou de la communauté francophone à l'extérieur du Québec. C'est devenu un mode de vie.

L'impression que nous avons maintenant découle du fait que l'émission Farm Panel a été annulée et que des gens qui venaient souvent autrefois disent : « Nous ne pouvons plus le faire. » Que nous réserve l'avenir? Il est assez naturel, selon moi, que nous commencions alors à croire que c'est le signe du début de quelque chose qui pourrait s'avérer très grave.

Je dois répéter, comme je l'ai fait à maintes reprises, que le lien qui unit les habitants des petites collectivités des Cantons de l'Est a toujours été la radio. Nous pouvons choisir d'écouter toute une gamme de stations de radio, mais, si personne ne parle de vous, alors, encore une fois, il y a une conséquence naturelle dans la communauté, et elle a trait aux jeunes. Vous savez, nous représentons deux générations ici. Étrangement, nous sommes unis sur ce point, car nous sommes engagés à l'égard de notre communauté. Mais la question qui s'impose à l'esprit est la suivante : notre radiodiffuseur national est-il engagé envers nous?

Le sénateur Plett : Eh bien, tout d'abord, en ce qui concerne les petites collectivités, je suis tout à fait d'accord avec vous. Je viens d'une petite collectivité agricole de 1 500 personnes.

M. Cutting : C'est assez grand, par rapport à certains endroits.

Le sénateur Plett : Eh bien, c'est assez grand, par rapport certains endroits, vous avez raison. Et notre population est à 1 500 seulement parce que des gens de la ville se sont installés ici, et nous devenons peu à peu un village-dortoir. Néanmoins, l'impression est là, que ce soit dans ma collectivité, dont la langue principale est l'allemand, ou les communautés francophones qui nous entourent. Je crois qu'elles ressentent la même chose.

Là où je veux en venir, c'est que la situation n'est pas propre aux Québécois de langue anglaise, la situation est aussi vécue par les francophones du reste du Canada et, en général, par les habitants de petites collectivités; Toronto et Montréal prennent les ressources.

À cet égard, monsieur Rodgers, vous avez parlé dans votre exposé de la diminution des ressources. Mais la diminution des ressources est-elle un problème à la SRC dans son ensemble, ou utilise-t-elle les ressources pour tout maintenir à Montréal et à Toronto au détriment des autres régions? Est-ce qu'elle dit : « Eh bien, le gouvernement a encore sabré dans nos budgets, alors nous devons transférer ces compressions », alors que nous avons vu qu'en fait, dans des biens des cas, la société d'État vit au-delà de ses moyens et devient peut-être simplement plus efficiente aujourd'hui?

Estimez-vous que vous subissez les contrecoups de l'affectation de la majeure partie des ressources à Toronto et à Montréal?

M. Rodgers : Eh bien, j'aborderais la question sous un autre angle, car nous parlons de couper une petite tarte et nous pourrions en discuter en long et en large. L'idée, c'est que la CBC/Radio-Canada a été créée à titre de radiodiffuseur national pour toutes sortes de raisons, qui touchent l'interrelation des communautés, l'identité nationale et l'unité nationale. Elle a un rôle à jouer. Il est vrai que la diminution des ressources lui rend la tâche très difficile. Jetterions-nous le blâme sans raison sur Toronto? Je crois que la question de Toronto/Montréal se rattache en partie à la vision, à la gestion et au contrôle. Je veux dire, je sais que nos collègues francophones du Québec écoutent Radio Montréal, car, vous savez, il s'agit surtout de Montréalais qui parlent de Montréal. La même chose est vraie à Toronto. Nous ne sommes pas les seuls à être touchés, mais je crois qu'il est facile de réserver de petites sommes. Vous savez, un animateur dans une communauté, ça ne coûte pas cher.

Rachel Hunting, directrice exécutive, Townshippers' Association : Un partenaire communautaire part à la retraite, et on ne le remplace pas. Exactement.

M. Rodgers : L'impact est énorme. C'est comme si le signal provenait de Montréal exclusivement.

La réalité, c'est que, oui, il est important de continuer de maintenir un produit national axé sur Montréal et Toronto qui cultive un dialogue entre les Canadiens. Mais ces petites relations dans toutes les régions sont essentielles au dialogue national.

Le sénateur Plett : Y a-t-il aujourd'hui plus de gens qui veulent des services en anglais au Québec, par rapport à il y a un an ou deux, ou trois ou quatre, ou y en a-t-il moins? Je sais que certaines personnes seront tout à fait en désaccord avec moi, mais je crois que la demande de service en français dans l'Ouest canadien, à tout le moins, lorsqu'on va dans cette direction, est en baisse. Ainsi, j'imagine que nous devons toujours essayer d'équilibrer l'offre de services?

M. Thompson a dit — et à juste titre — que chaque personne au pays était importante. J'ai répondu qu'en fait, la population n'était pas nécessairement importante. Mais y a-t-il aujourd'hui plus de gens qui veulent les services, ou y en a-t-il moins?

M. Rodgers : Je crois que vous soulevez là une question importante de notre point de vue, et j'aimerais y répondre.

Dans les années 1960, 1970 et 1980, très peu d'anglophones au Québec étaient bilingues. Durant la période de transformation du Québec, qui prenait en main son identité et sa langue, une quantité énorme de gens sont partis; environ 350 000. Je veux dire, la population du Plateau est de 25 000 personnes... Une quantité énorme est partie. Les gens qui sont restés sont restés parce qu'ils voulaient parler français. Si vous regardez le nombre d'anglophones qui sont bilingues aujourd'hui, la proportion est bien au-delà de 50 p. 100, 60 p. 100 et 70 p. 100 et, chez les jeunes, elle est très élevée.

Alors, ces personnes sont déterminées à rester au Québec, et elles sont déterminées à participer à la conversation. Il y a un côté « Oui, nous sommes Canadiens. Oui, nous écoutons Cross Country Checkup. Oui, nous écoutons Radio-Canada. » Il y a aussi un dialogue au Québec, une conversation unique concernant la communauté minoritaire au Québec, et le seul média qui peut jouer un rôle à ce chapitre est la CBC/Radio-Canada. Si nous le perdons, alors un élément essentiel de l'identité canadienne sera perdu.

Mme Hunting : Si vous me permettez, j'ajouterais que c'est aussi important pour les générations plus jeunes, comme la mienne. Si vous êtes entièrement bilingues et travaillez dans la province de Québec, vous travaillez probablement en français toute la journée, et vos collègues sont majoritairement francophones. Vous vivez et travaillez dans votre langue seconde, et, lorsque vous consommez des médias, vous voulez y voir votre patrimoine et votre culture; ainsi, la CBC est le seul média qui offre une programmation de ce type, et c'est important. C'est important pour le maintien de cette culture et le renforcement de votre identité.

Le sénateur Plett : Monsieur Cutting, vous avez dit que la CBC devrait être appelée à rendre des comptes, et je partage votre avis. De qui devrait-elle relever?

M. Cutting : Nous pourrions tenir un très long débat sur cette question, alors je vais tenter de répondre ainsi : si la CBC est responsable de sa programmation, à qui doit-elle rendre des comptes? Je dirais que, premièrement, elle doit rendre des comptes à l'auditeur. Elle doit rendre des comptes à l'auditeur dans la mesure où la programmation doit être, au sens classique, à la fois divertissante et instructive, en plus d'être un reflet de la société. Alors, la responsabilité tient au fait que, si la CBC est le miroir du citoyen, alors chaque citoyen devrait pouvoir voir son image dans ce média de sorte qu'il puisse, dans une certaine mesure — comme nous le faisons aujourd'hui — participer au débat. Nous mesurons, en quelque sorte, la responsabilité. Ainsi, au bout du compte, qui est l'employeur de la CBC/Radio-Canada si nous voulons établir une chaîne de commandement qui va de haut en bas.

Enfin, je dois dire que cela doit revenir aux représentants élus et aux représentants désignés. Je ne veux pas heurter qui que ce soit aujourd'hui. Mais, au bout du compte, le gouvernement doit jouer un rôle pour ce qui est d'assurer que tous les citoyens se voient dans le miroir. Nous devons trouver des façons de nous assurer que c'est le cas, et nous avons effectivement un processus démocratique en place pour ce faire, mais il faut l'utiliser. Il faut l'utiliser de sorte que nous n'appliquions pas un étalon de mesure unique, comme on le fait souvent, c'est-à-dire l'efficience, ce qui revient aux coûts.

Nous perdons des jeunes tous les ans. Notre population diminue, pas tous les ans, mais il y a bel et bien un déclin, parce que les jeunes ne se reconnaissent pas dans ce qu'ils voient.

[Français]

La sénatrice Hervieux-Payette : Monsieur Cutting, je suis votre sénatrice. Ma circonscription est celle de Bedford, et cela comprend vos terrains sur Tibet Hill. C'est vraiment dans votre coin.

Donc, je suis très heureuse d'être à votre service à la suite de vos récents commentaires. Je partage, en grande partie, votre opinion. Nous-mêmes, de la communauté francophone, sommes enrichis si votre communauté aussi continue à faire des progrès.

J'avais l'impression que du côté de la radio, c'était assez vivant. Il y a lieu d'apporter des améliorations, mais de ce côté, les faiblesses sont moins grandes. Le problème se situe plus du côté de la télévision.

Monsieur Rodgers, j'avais l'impression que vous étiez plus du côté image et télévision. Je me demandais si vous étiez du côté de la production télévision et à la radio. J'écoute, indifféremment, surtout en revenant d'Ottawa, de très bonnes émissions anglaises à la station radio de la CBC. Vous n'êtes pas le seul à être servis par elle.

M. Rodgers : On écoute aussi la radio française.

La sénatrice Hervieux-Payette : Au Québec, nous avons ce privilège. Quand vous parlez de vos inquiétudes du côté de la production, est-ce que le pouvoir de décider devrait se faire, pour les anglophones, à Montréal plutôt qu'à Toronto?

Il est absolument aberrant que des gens de Toronto, qui n'ont jamais été dans les Cantons-de-l'Est, prennent des décisions pour une population et un territoire presque qu'aussi grand que la Belgique.

Est-ce qu'on doit rapatrier, d'une part? Est-ce qu'on doit améliorer du côté de la télévision ou du côté de la radio?

Peut-être que chacun pourrait donner son point de vue à ce sujet.

[Traduction]

M. Rodgers : Il y a beaucoup de questions là-dedans.

La sénatrice Hervieux-Payette : Oui.

M. Rodgers : Comme j'ai tenté de l'exprimer dans ma déclaration préliminaire, le Conseil québécois de la production de langue anglaise représente les producteurs de contenu télévisuel. Ceux-ci veulent produire des émissions. Il leur importe peu, en réalité, que l'émission qu'ils produisent traite du Québec ou se passe au Québec; ils veulent qu'elle soit produite au Québec. Je crois qu'on peut dire sans se tromper que la télévision est moins proche de son public que la radio. Les émissions de radio sont beaucoup plus intimes, les sujets couverts nous touchent de plus près. Nous avons donc des relations différentes avec la télévision et la radio, et je crois qu'il s'agit de deux phénomènes distincts.

Alors, les producteurs — qui forment un sous-groupe parmi nos membres — ont vraiment à cœur la télévision et la production, et il est presque dommage qu'ils ne soient pas ici pour en parler eux-mêmes.

L'ELAN travaille déjà depuis quelques années avec le QCGN pour représenter les membres de la communauté, et je ne crois pas que la télévision soit un élément aussi central de l'identité et des valeurs des gens que l'est la radio. La radio est extrêmement importante, je crois qu'on ne le dira jamais assez.

[Français]

M. Cutting : Je vais essayer de répondre à votre question. Je vais vous donner un exemple. À Terre-Neuve, Republic of Doyle est une production où on voit la capitale, on y voit les gens de Terre-Neuve.

Ce n'est certainement pas 100 p. 100 de toute la population de Terre-Neuve qui est devant son téléviseur pour écouter Republic of Doyle chaque semaine, mais parce qu'il y a une image, un miroir de la communauté de Terre-Neuve, cela compte.

Si vous posez la question à savoir quand il y a eu une émission à la télévision où on a pu dire que l'intrigue se déroulait dans les Cantons-de-l'Est, à Thetford ou à Sherbrooke, on ne peut pas donner d'exemple, et je ne suis pas sûr qu'il y en ait eu dans notre histoire.

Je vais vous donner un autre exemple. L'émission He Shoots, He Scores! ou Lance et compte est une production du Québec, et tout le monde pouvait partager, parce que c'était des gens de chez nous.

Quand on rencontre des francophones, surtout de la Gaspésie ou de la Côte-Nord, les gens parlent deux langues mais partagent exactement la même image. Dans le cadre des productions télévisées, est-ce que l'esprit pourrait être plus proche? On pourrait sûrement dire que, plutôt que d'aller à Toronto, allons à Montréal. Et peut-être qu'un jour ce sera Sherbrooke ou Thetford.

La sénatrice Hervieux-Payette : D'accord.

Mme Hunting : C'est cela qui est important aussi. C'est sûr qu'un transfert de Toronto à Montréal serait bien pour les nuances québécoises et la réalité des deux communautés. Mais il ne faut pas oublier la différence entre les gens d'expression anglaise qui se trouvent en dehors de l'île de Montréal et les gens d'expression anglaise qui habitent ici, à Montréal, dans un grand centre urbain.

On n'a pas les mêmes réalités, on n'a pas le même vécu ni les mêmes besoins de consommation médiatique. Ce n'est pas nécessairement les histoires qui sortent de Montréal qui vont allumer les gens de Bedford, de Coaticook ou de Cowansville.

Alors, il y aussi une importance nuance à faire entre la programmation qui est issue pour une communauté rurale. C'est aussi important pour les communautés d'expression française qui sont dans des milieux ruraux aussi.

La sénatrice Hervieux-Payette : Je pense que vous avez bien répondu à mes questions. Surtout, effectivement, l'Ontario par rapport au Québec et au reste du Canada, de toute façon.

Même à l'intérieur de la communauté anglophone, vous voudriez qu'il y ait aussi une spécificité régionale, c'est ce que je comprends?

[Traduction]

M. Rodgers : Ce ne serait probablement pas une fonction nécessaire si elle se limitait au budget et au contrôle. Ce que je veux dire, c'est que je ne crois pas qu'il faudrait une chaîne Radio-Quebec anglophone. Il s'agit en réalité de donner à la région du Québec les budgets et l'autonomie dont elle a besoin pour faire ce qu'elle doit faire et ce qu'elle devrait faire.

[Français]

La sénatrice Hervieux-Payette : Je ne parlais pas de l'administration, à savoir qui fait le chèque. Je parlais surtout des décisions sur la programmation.

M. Rodgers : Ce sont surtout des décisions.

La sénatrice Hervieux-Payette : Oui. Donc, c'est clair, merci.

M. Rodgers : Oui.

Le sénateur Demers : À ce que je sache, Radio-Canada, c'est un service public. À ce que je sache, vous payez vos taxes. Qu'il y ait 10 000 personnes ou 500 personnes, vous avez le droit de recevoir les mêmes informations qu'on reçoit à Montréal ou à Sherbrooke qui est un peu plus grand.

Alors, il est sûr et certain que, parce qu'on coupe, si c'est plus petit, on va couper un journaliste. Je sais qu'à Moncton, cela s'est fait à l'occasion. On ferme la porte à des gens et on n'engage personne d'autre. Comme le disait Mme Hervieux-Payette, même si vous êtes une petite communauté, je ne comprends pas pourquoi vous n'avez pas le droit de savoir ce qui se passe à Ottawa et à Montréal.

Comme nous tous, vous êtes des contribuables. Le gouvernement contribue 1,2 milliard de dollars, mais à un moment donné, il vient le chercher dans votre poche. Et c'est tout à fait normal.

À mon avis, c'est inacceptable. J'aimerais connaître votre opinion à ce sujet, parce que, d'ici quelques années, dans quatre ou cinq ans, vous n'aurez plus ou presque plus d'information.

M. Cutting : À l'heure actuelle, à la CBC Radio à Sherbrooke, personne ne travaille à temps partiel. On a parlé de nos inquiétudes et l'une d'elles, est la suivante : qu'est-ce qu'ils voudront produire quand ils vont regarder les chiffres? C'est toujours plus facile de dire que, un employé à temps partiel, on met un « X » là-dessus, et c'est une autre personne de perdue. Elle est obligée de voyager de Cowansville à Thetford, à Mégantic, à Sherbrooke ou à Coaticook.

Une personne à temps partiel peut-elle vraiment faire du bon travail? Elle fait son possible. Lorsqu'un événement survient dans plusieurs régions, elle doit faire un choix. Et qu'est-ce qui se produit? Si vous êtes une petite région, on vous met de côté parce qu'on doit économiser de l'argent. C'est la réalité.

Mme Hunting : Les Cantons-de-l'Est comptent plus de 46 000 personnes d'expression anglaise. C'est 5 p. 100 de la population totale. Mais il ne faut pas oublier que cette population est en croissance.

En 2006, on comptait 42 000 personnes d'expression anglaise. Cela représente un nombre assez élevé de consommateurs de médias.

M. Rodgers : On peut partager les mêmes informations qui sortent de Toronto et de Montréal. Mais le plus important, c'est de partager des informations qui viennent des régions. Ce n'est pas juste de recevoir les mêmes informations qui viennent des grands centres. Toutes les rivières mènent vers le grand lac central. Toutes les régions sont importantes.

Le sénateur Demers : Je vous remercie.

[Traduction]

Le sénateur Massicotte : J'ai perçu une certaine inquiétude quand vous parliez du fait que Radio-Canada ou la CBC fournit suffisamment de services; il y a de toute évidence moins d'attachement avec la communauté; on constate un phénomène cyclique. Quelle différence faites-vous entre l'inquiétude que cause la CBC, ce qui n'est de toute évidence pas très positif, et l'inquiétude qui a été causée, aux dernières élections provinciales, quand il a été question entre autres de la Charte. J'ai l'impression que, quand vous parlez de vos enfants quittant le territoire pour aller ailleurs, la Charte a fait plus de tort à votre communauté que l'inquiétude suscitée par ce que font Radio-Canada ou la CBC.

Quelle distinction faites-vous entre ces deux choses pour savoir où se trouve le problème, et que faites-vous à cet égard?

Mme Hunting : Je ne sais pas s'il est possible de séparer ces deux choses. C'est un exemple des situations auxquelles font face les anglophones au Québec. Un bon exemple des difficultés qui se posent, dans cette province, a trait au programme de maintien que nous administrons — c'est un programme ayant pour but d'attirer des jeunes et de les inciter à rester — qui bénéficie d'un financement provincial dans le cadre du programme Place aux jeunes en région. Grâce à ce programme, nous recrutons des migrants potentiels dans de grands centres urbains en leur proposant un emploi dans les régions, pour qu'ils s'y installent, qu'ils y fondent une famille et y gagnent leur vie.

La Townshippers' Association administre le seul programme visant les anglophones. Il s'agit du seul projet qui vise uniquement à recruter des professionnels et des diplômés anglophones pour les inciter à venir s'installer dans les six MRC autour de Sherbrooke, dans la région de l'Estrie. Il a été vraiment difficile de les convaincre, l'an dernier, au cours des 18 derniers mois, étant donné les débats politiques hautement médiatisés, toute cette inquiétude, tout ce qui s'est passé. La situation est difficile pour les gens qui vivent dans les régions, elle est difficile pour les gens qui voudraient investir dans les régions, et nous avons du mal à convaincre les jeunes de rester dans nos régions ou encore de venir y vivre. C'est en partie parce qu'ils ne se reconnaissent pas dans les médias. C'est en partie parce qu'ils n'ont pas l'impression qu'il y a des débouchés et c'est aussi en partie parce qu'ils ont l'impression qu'on veut les écarter, qu'on ne veut pas d'eux.

C'est une combinaison de choses. Il y a des causes et il y a des effets dans toutes les sphères de la communauté.

M. Cutting : J'aimerais que vous répondiez à la question d'un autre point de vue : oui, lorsque le projet de loi 60 a été déposé, au départ, je crois qu'un certain nombre de gens qui parlaient anglais ou une autre langue se sont dit : « Oh, oh! Il est peut-être temps de plier bagage. » Mais en fait, des gens se sont levés. Nous étions là, nous avons parlé du projet de loi 60. Je crois qu'un certain nombre de gens se sont levés, ainsi que des organismes, et qu'ils ont dit : « Le projet de loi ne reflète pas ce que nous sommes. Le projet de loi n'est pas représentatif de qui nous sommes, en tant que Québécois; il n'est pas représentatif de qui nous sommes, en tant que Canadiens. »

Je dirais que le fait que le projet de loi soit resté lettre morte va peut-être avoir un effet de renforcement sur ces gens, dans la mesure où... Si les citoyens commencent à prendre la parole et à se lever, à expliquer et à confirmer ce que sont nos véritables valeurs en tant que Canadiens et que Québécois, il deviendra plus intéressant pour les jeunes — qu'ils parlent français, anglais ou une autre langue — de réfléchir au processus démocratique et à son efficacité, lorsqu'on exerce le pouvoir qu'il nous confère.

C'est pourquoi je vous dirais que l'échec du projet de loi va peut-être renforcer dans l'esprit de bien des gens le fait que, finalement, nous pouvons nous lever pour défendre ce que nous jugeons correct, ce que nous jugeons démocratique, ce qui nous amène à nous identifier à la société à laquelle nous appartenons.

Le sénateur Massicotte : J'espère que vous avez raison. L'histoire n'a pas toujours été très accueillante pour votre communauté, et pas seulement dans les Cantons de l'Est, alors j'espère que votre optimisme est bien fondé et que vous aurez raison.

Merci.

Le sénateur Joyal : Bienvenue. C'est un plaisir de vous voir, monsieur Cutting, madame Hunting et monsieur Rodgers.

Avez-vous eu l'occasion de rencontrer la direction de Radio-Canada ou de la CBC pour lui faire part de vos préoccupations au sujet de l'annonce qui a été faite au sujet des compressions budgétaires qui affectent la société d'État?

Mme Hunting : Les Townshippers n'ont pas eu la possibilité de participer directement à cette réunion, car nous avions un autre engagement, mais nous avons participé aux consultations avec le Quebec Community Groups Network, et fait passer notre message par son entremise.

Le sénateur Joyal : Monsieur Rodgers, de votre côté?

M. Rodgers : J'ai été invité à rencontrer M. Lacroix. J'avais un autre engagement et je n'ai pas pu accepter, alors je me suis rallié au QCGN et à d'autres gens qui y étaient. Nous avons travaillé en étroite collaboration avec nos collègues francophones de toutes les régions du Canada, qui elles aussi se préoccupent beaucoup de toute cette affaire. Nous avons présenté des observations au nom de la communauté anglophone, et nous allons continuer à le faire.

Le sénateur Joyal : Avez-vous présenté des observations écrites?

M. Cutting : Je dois dire que la consultation avec le QCGN et tout ce qui en a découlé reflétaient nos opinions. En ce sens, à titre de membres du regroupement qui représente toutes nos associations et organisations, nous avons eu l'impression que nos représentants ont réussi à nous faire entendre.

Le sénateur Joyal : Monsieur Rodgers, en ce qui concerne les journaux... Je sais que ma question est en marge du débat, mais elle pourrait nous aider à comprendre la situation particulière dans laquelle vous vous retrouvez... Je pense à des quotidiens comme la Gazette ou La Presse, qui font face au même type de problème, dont le nombre des lecteurs a diminué et qui ont dû soit fermer leurs portes, soit trouver une autre solution. Quelle est la situation des médias imprimés dans votre réalité?

M. Rodgers : Eh bien, nous pouvons parler de la situation de Montréal, et ensuite, de celle des cantons. Tous les médias prennent le virage numérique; cela a une incidence sur les radiodiffuseurs et sur les médias imprimés. À Montréal, il y avait deux journaux hebdomadaires indépendants qui nous apportaient beaucoup sur le plan des arts et de la culture; ils ont tous deux fermé leurs portes il y a deux ou trois ans. La Gazette a dû à plusieurs reprises faire d'importantes compressions et a donc dû réduire le contenu, bien que les journalistes locaux s'efforcent d'assurer la plus large couverture possible, compte tenu de l'espace disponible, de la même façon que la CBC, à l'échelle locale, essaie de donner le plus d'information possible.

Le plan stratégique, le cadre dans lequel se déroule le virage numérique, ailleurs, est très important. Nous avons reçu du financement du Conseil des Arts du Canada pour mener un examen approfondi de l'avenir des médias, de la manière dont le public et les artistes, dans notre cas particulier, peuvent se rejoindre. Je sais que la CBC a beaucoup pensé à la façon dont elle pourra assurer sa présence sur Internet, également, tout en assurant la représentation des régions. Nous avons discuté avec le bureau régional de la CBC sur la façon dont cela pourrait se passer et la façon dont nous pourrions l'aider à toucher les publics de la région du Grand Montréal et de toutes les autres régions du Québec.

Le sénateur Joyal : Je dois donc comprendre qu'il n'y a pas dans les cantons ou dans les régions de médias imprimés vers lesquels vous pourriez vous tourner pour faire connaître votre opinion et traiter de la réalité.

M. Cutting : Dans les Cantons de l'Est, il y a The Record, à Sherbrooke.

Le sénateur Joyal : The Record.

M. Cutting : Il existe depuis très longtemps.

Le sénateur Joyal : Quelle est la situation du Record, sur le plan financier? A-t-il menacé de fermer ou est-il dans une situation analogue à celle de La Tribune, à Sherbrooke, qui fait partie du groupe Gesca et qui, bien sûr, peut compter sur l'appui de l'ensemble du groupe? Mais qu'en est-il du Record?

M. Cutting : Le Record, je dirais, évalue constamment depuis une vingtaine d'années l'opportunité de cesser la production quotidienne pour devenir un hebdomadaire. Je crois que ses motifs concernent principalement des questions budgétaires. Le Record a changé de propriétaire assez fréquemment, et les différents propriétaires, selon l'époque, considèrent que la publication a du potentiel ou encore se demandent essentiellement comment s'en débarrasser.

Je crois qu'ils font de leur mieux pour assurer une couverture locale, mais, encore une fois, ils doivent composer avec le fait qu'un certain nombre de leurs journalistes travaillent à temps partiel. Bien souvent, ils n'ont tout simplement pas de personnel pour couvrir certains événements. Ils doivent faire des choix, tout comme les gens de la radio de la CBC doivent le faire.

Il faut donc, souvent, si on veut vraiment avoir une couverture complète des événements locaux, s'abonner, comme je le fais, à la fois à La Tribune et au Record, et même peut-être lire en ligne la Gazette et La Presse ou un autre journal. Si vous désirez un portrait plus complet, il est facile de s'abonner en ligne à la Gazette, mais vous ne saurez pas ce qui s'est passé dans votre région la nuit dernière, si une personne a sauvé quelqu'un de la noyade, ou s'il y a eu d'autres événements locaux. On n'en parle pas dans la Gazette.

Je dirais donc que les médias écrits ont sans aucun doute pris le virage numérique et j'ajouterais, en ce qui concerne les plus jeunes générations, en particulier, que la tendance est au numérique. Mais si vous voulez vraiment savoir ce qui se passe et ce qui s'en vient, vous devez vous tourner vers le réseau communautaire québécois. J'écoute tous les matins Québec AM, et j'ai l'impression de savoir ce qui se passe ici et là. Je dois dire que cela confirme mes soupçons ou mon hypothèse voulant que, lorsque certains types de médias perdent de l'importance, d'autres en prennent davantage.

La télévision, je crois, en est un exemple; elle est très dispersée. Mais comment allons-nous communiquer les uns avec les autres si nous sommes en train de conduire, par exemple? Il nous faut, je crois, divers types de médias pour être bien informés, dans le monde actuel.

Le sénateur Joyal : Autrement dit, vous ne pouvez pas vraiment, dans les années à venir, vous attendre à ce que le Record finisse par refléter qui vous êtes ou la réalité du monde qui vous entoure et de la communauté dans laquelle vous évoluez?

M. Cutting : C'est une question très délicate. Je ne veux pas que le public puisse jamais penser que j'ai dit que le Record n'y arrivera pas. Je crois qu'il a le potentiel nécessaire pour survivre, mais ses propriétaires ont eu de la difficulté à réaliser ce potentiel. C'est un petit marché, et la survie des médias — et en particulier celle des médias écrits, et je crois que la situation est la même partout en Amérique du Nord — représente un défi pour les propriétaires, les éditeurs et les rédacteurs en chef.

Mme Hunting : Dans le milieu rural, et dans les cantons, le Record se heurte au même problème que notre association quand il s'agit de diffuser des publications, c'est-à-dire le fait que les jeunes de la communauté sont tout à fait à l'aise dans le monde numérique et disposés à y investir et à accéder au contenu en ligne. Les populations plus âgées, les gens plus vieux, n'y ont peut-être pas accès. En ce qui concerne l'infrastructure, il existe encore, dans les Cantons de l'Est, certains secteurs qui n'ont pas Internet à haute vitesse et n'ont pas un accès adéquat. En outre, il n'est peut-être pas possible pour les aînés de la communauté de se familiariser avec la technologie afin de pouvoir l'utiliser.

Donc, la direction du Record désire toujours conserver ce lien avec les gens plus âgés et avec la population qu'elle sert depuis nombre d'années, mais, pour optimiser son budget et rester à flot, elle devra peut-être entrer dans la réalité numérique, une décision qui serait plus sensée, pour elle, sur le plan économique.

La situation est difficile, et, comme M. Cutting le disait, ce n'est pas par manque de volonté ou parce qu'on ne reconnaît pas le besoin de fournir cette information; le problème, c'est de trouver la façon de le faire efficacement, dans les limites du budget.

Le sénateur Joyal : Alors, si j'ai bien compris, il y aurait une incidence bien réelle si La Tribune abandonnait le format imprimé pour prendre le virage numérique?

Mme Hunting : Oui.

M. Cutting : Oui.

Mme Hunting : Cela aurait une incidence sur l'accès à l'information dans notre communauté, oui, absolument.

Le sénateur Joyal : Je parlais de l'information régionale, essentiellement.

M. Cutting : Oui. Encore une fois, si je prends notre exemple, j'aime bien ouvrir le journal et le lire tranquillement, en prenant mon café, et y revenir, peut-être, plus tard. Rachel, de son côté, sera...

Mme Hunting : Devant l'écran.

M. Cutting : C'est notre réalité, et je crois que, pour les gens des médias, c'est un problème avec lequel ils doivent composer.

Encore une fois, nous en revenons à nous demander comment y arriver. Nous sommes réunis ici aujourd'hui pour discuter de la SRC et de ce que nous décrivons comme ses deux engagements. J'irais plus loin en disant qu'il y a également une obligation morale à respecter. Comment un fournisseur majeur va-t-il trouver les réponses nécessaires et mettre au point une solution aux problèmes que nous éprouvons aujourd'hui? Je n'ai pas toutes les réponses, et je crois que la seule façon d'en arriver enfin à trouver les réponses consiste à engager un dialogue et à chercher des façons et des moyens de concevoir le genre de stratégies dont nous aurons besoin pour répondre aux besoins dans l'avenir.

Le sénateur Joyal : Pensez-vous que la station de radio locale pourrait compenser pour ce que la radio de la CBC n'est pas en mesure de vous offrir?

Mme Hunting : Il y a CJMQ dans l'arrondissement de Lennoxville et à Sherbrooke, et il y a, dans l'est de la Montérégie, CIDI, de Knowlton, et ces stations ont de la difficulté à obtenir du financement. Il y a des bénévoles qui s'occupent des émissions et des enregistrements, et ils sont dans la même situation financière que les autres organes médiatiques. Donc, encore une fois, il ne s'agit pas tant d'un manque de désir ou de volonté de combler le vide que d'une absence de capacité.

Le sénateur Joyal : Merci.

Le sénateur Housakos : J'ai une question d'ordre très général. Tous les témoins qui ont comparu devant nous, ces derniers mois, avaient préparé une liste de souhaits, et, de toute évidence, ils envisagent toujours la situation de leur propre point de vue. Ainsi, il y a à l'extérieur de Toronto des groupes linguistiques minoritaires, des anglophones, qui nous disent : « On n'en fait pas assez pour nous, et, vous savez, la CBC se préoccupe surtout de Toronto. » Nous rencontrons ensuite des groupes linguistiques minoritaires du Québec, et ils disent, à bon droit : « Il faut que la CBC en fasse plus pour nous. »

Nous sommes tous d'accord sur le fait que nous avons besoin d'un radiodiffuseur public. Nous sommes tous d'accord sur le fait que les besoins de ce vaste pays qu'est le Canada sont grands, étant donné qu'il y a deux groupes linguistiques et un nombre si élevé d'intérêts régionaux et communautaires, mais nous devons également tenir compte de la réalité des contraintes budgétaires, et ces contraintes commencent à devenir un problème important. Les contribuables ont atteint leur limite. La SRC a dû faire face à des compressions successives de son financement. L'évolution de l'environnement — qui est, en réalité, l'objet de notre étude — est d'une évidence flagrante. Nous sommes entrés dans l'ère numérique, CBC/Radio-Canada est en concurrence avec des organisations communautaires intégrées verticalement qui utilisent diverses plates-formes que la CBC n'a pas adoptées et qu'elle a beaucoup de difficulté à adopter.

La CBC a dépensé — vous avez parlé d'une stratégie numérique —, si nous avons bien compris, des dizaines de millions de dollars pour prendre le virage numérique. Personne n'a pu nous dire quels ont été les résultats tangibles, et nous ne pouvons donc pas les quantifier.

Il faut maintenant que l'industrie des communications — qu'il s'agisse des journaux, de la radio ou de la télévision — se rende compte que les choses ont changé et qu'aucun organe médiatique ne peut tout faire pour tout le monde ni être présent partout. Il y a des décisions à prendre. C'est mon avis personnel, mais je crois que ces industries devront s'orienter vers un créneau. La plupart des entreprises de communication le font déjà, elles deviennent — par exemple — des stations sportives, pensez à TSN ou à RDS. D'autres entreprises se tournent vers les émissions de fiction, et d'autres se spécialisent dans les nouvelles.

À un moment ou à un autre, Radio-Canada et la CBC devront proposer une stratégie selon le point de départ suivant : « Savez-vous quoi? Nous ne pouvons pas nous occuper des nouvelles, nous ne pouvons pas nous occuper des nouvelles internationales, nous ne pouvons pas nous occuper des œuvres de fiction, nous ne pouvons pas assurer une couverture locale. Nous ne pouvons pas remplir notre mandat et combler les besoins des groupes linguistiques minoritaires de tout le pays. Nous n'avons pas la capacité d'offrir des services dans les régions éloignées, ce n'est pas faisable. » La société a bien la capacité de faire une, deux ou trois de ces choses, et très bien, mais je crois qu'il est irréaliste, à l'heure actuelle, pour le gouvernement et pour les citoyens, de penser qu'elle a la capacité de faire tout cela.

La SRC a récemment répondu à mes questions en disant que 40 p. 100 de son budget est consacré aux nouvelles, et c'est à mon avis beaucoup d'argent; 30 p. 100 de son budget de production est consacré à la radio, et, d'un océan à l'autre, on dit qu'il n'y a pas de meilleure radio. La dernière tranche de 30 p. 100, je ne sais pas très bien où elle va. Mais j'ai parlé avec des représentants du milieu artistique — les arts et la culture —, et il semble que la société abandonne rapidement ce secteur et qu'elle se serait en quelque sorte soustraite à sa responsabilité à cet égard.

J'ai parlé longtemps. Je sais ce que vous attendez de la CBC/Radio-Canada. À votre avis, qu'est-ce que le radiodiffuseur public devrait laisser tomber, dans quels secteurs devrait-il cesser de consacrer des ressources, du temps et de l'énergie, étant donné que le besoin n'est plus là?

Le président : Sénateur Plett.

Le sénateur Plett : Le sénateur Housakos a vraiment dit une bonne partie de ce que je voulais dire, mais je vais aller un peu plus loin. Il a dit, avec raison, que nous sommes maintenant une société multiculturelle. Je sais, bien sûr, que nous avons deux langues officielles, mais nous sommes une société multiculturelle et nous sommes tous citoyens canadiens. La SRC a le mandat de diffuser un contenu canadien. Alors, en quoi consiste un contenu canadien dans une société multiculturelle?

Ma question est la suivante et, si vous pensez que le sénateur Joyal a posé une question délicate, la mienne vous semblera encore plus délicate. Le sénateur Housakos, toutes les personnes ici présentes, je crois, et moi-même, sommes d'accord pour dire qu'il faut un radiodiffuseur public, dans une certaine mesure, mais à quelle fin?

La famille du sénateur Housakos vient de Grèce, et il y avait autrefois en Grèce un radiodiffuseur public, mais il n'y en a plus. On m'a dit que les gens ignoraient, en fait, qu'il n'y avait plus de radiodiffuseur public. Que se passerait-il si, tout d'un coup, du jour au lendemain, il n'y avait plus de radiodiffuseur public au Canada? Le soleil se lèverait-il encore? Est-ce que la vie continuerait, et est-ce que les services seraient maintenus? C'est une question tendancieuse, je sais.

M. Cutting : Bien sûr, le soleil va se lever. Quand nous allumerons le téléviseur ou la radio, nous allons pouvoir écouter des émissions où l'accent serait principalement du Midwest, du Nebraska. Nous, les anglophones, allons en fait écouter presque exclusivement des émissions américaines.

Vous voulez savoir ce que je suggérerais de couper : tout ce qui n'est pas un contenu canadien. Si la SRC a un mandat public, c'est bien de promouvoir les Canadiens qui produisent un contenu canadien. Si personne ne le fait, il ne nous restera plus qu'à fermer nos portes. Mais vers quoi allons-nous nous tourner? Il n'y aura plus de contenu canadien. Il pourrait y avoir, à l'occasion, une émission de la BBC, mais elle sera diffusée tard le soir. Est-ce que les Canadiens sont prêts à devenir, je le dis comme je le pense, radicalement américanisés dans la façon dont ils se voient eux-mêmes?

J'ai un certain nombre de parents et d'amis qui habitent aux États-Unis. On essaie, là-bas, de concevoir une programmation qui plaise autant dans le Maine qu'en Californie alors l'accent du Sud n'y a tout simplement pas sa place. Il se peut qu'il y ait des émissions où les gens du Sud sont censés se reconnaître, mais on n'y entend plus vraiment de véritables accents du Sud.

Je dois vous prévenir que cela n'est pas l'avenue à prendre. Oui, cela va coûter de l'argent, on n'en sortira pas, et c'est pourquoi nous devons aller ailleurs. Il nous faut trouver le moyen de gérer judicieusement les fonds disponibles de façon à respecter nos engagements et, par-dessus tout, à nous assurer que les Canadiens se reconnaissent dans ce qu'ils voient et entendent.

Je parle à des gens qui écoutent Radio-Canada, et ils ne semblent pas éprouver le même type de problèmes, parce que, pour les francophones, l'enjeu concerne l'accent sur le Québec, et il y a encore beaucoup d'émissions qui sont traduites de l'anglais vers le français. Je dirais, encore une fois, que si nous voulons vraiment, concrètement, travailler pour le Canada, nous devons prendre des décisions en faveur du Canada.

Le président : Mesdames et messieurs, j'aimerais remercier les témoins de leurs exposés.

Le sénateur Joyal : Me donneriez-vous 30 secondes?

Le président : Certainement, sénateur Joyal.

Le sénateur Joyal : Je crois que, en tant que minorités, dans notre pays, nous avons droit à un gouvernement qui tient compte de notre réalité, lorsqu'il prend des décisions, de la même façon que, lorsque le gouvernement s'exprime dans une langue donnée, il tient compte de notre réalité, dans les décisions qu'il prend touchant les services qu'il a décidé de fournir. C'est ma ferme conviction, je l'ai toujours défendue, et je vais toujours la défendre. Je crois que nous sommes en droit de nous attendre à ce que notre réalité soit représentée.

M. Cutting : Merci, sénateur.

M. Rodgers : Merci.

[Français]

Le président : On continue notre étude sur l'avenir de Radio-Canada. Cet après-midi, les témoins sont de la Confédération des syndicats nationaux, dont Jacques Létourneau, président, et François Enault, assistant au comité exécutif, et de la Fédération nationale des communications, Pascale St-Onge, secrétaire générale.

Monsieur Létourneau, vous avez la parole.

Jacques Létourneau, président, Confédération des syndicats nationaux : Je vais faire un tour d'horizon du mémoire qu'on vous a déposé. Par la suite, durant la période d'échange, Pascale et François pourront intervenir.

Je tiens à vous remercier de nous donner l'occasion de présenter nos vues sur l'avenir de Radio-Canada. D'abord, j'aimerais préciser que la Confédération des syndicats nationaux est une centrale syndicale dotée d'une charte canadienne basée au Québec en termes de représentativité, mais avec le CTC canadien, qui est l'autre organisation syndicale, fait partie des grandes délégations comme celles de l'OIT ou de l'Organisation de coopération et de développement économiques, avec le gouvernement canadien.

On représente 325 000 membres, dans les secteurs public et privé, mais aussi dans le secteur des communications, notamment 1 600 travailleuses et travailleurs de l'information à Radio-Canada.

En tant que représentants des travailleuses et des travailleurs, on est préoccupé par la situation qui prévaut à la société d'État. Mais ce n'est pas parce qu'on représente les travailleuses et travailleurs de Radio-Canada que nos préoccupations se limitent à notre organisation.

On est une organisation syndicale progressiste de la société civile, qui se préoccupe de questions de démocratie et du droit d'accès à des informations de qualité. Donc, on représente non seulement les travailleuses et travailleurs aux tables de négociations, mais aussi les membres de la CSN sur des grands enjeux de la société, notamment le droit à l'information.

C'est un peu dans cet esprit qu'on vous présente notre mémoire, aujourd'hui. Je ne vous apprendrai rien en vous disant qu'on est extrêmement inquiet pour l'avenir de Radio-Canada. Vous pouvez le constater dans notre mémoire dans lequel on rappelle les grandes missions de la société d'État et les vagues de compressions budgétaires qui l'ont affectée au cours des dernières années.

Les transformations et les organisations ont lieu parce que les milieux changent. En tant qu'organisation syndicale, on est tout à fait conscient que le monde des communications a changé. On ne peut plus traiter la question des communications de la même façon qu'il y a une cinquantaine d'années.

On est conscient des transformations technologiques et de l'arrivée de nouvelles plateformes. On a négocié par le passé — on pourra vous donner une multitude d'exemples, que ce soit dans la presse écrite, à la télévision ou à la radio — des aménagements qui ont permis au monde des communications d'évoluer.

En même temps, quand on parle de transformation et d'évolution en fonction des nouvelles réalités, on veut quand même s'assurer qu'il y ait un certain nombre de principes fondamentaux qui sont respectés, par exemple la qualité de l'information.

On ne veut absolument rien enlever aux différents diffuseurs privés qui existent au pays. Mais on pense que Radio-Canada a comme obligation fondamentale d'assurer une information qui est accessible partout au pays.

Mon collègue, Jean Lortie, est venu vous parler il y a quelques semaines de la question de Radio-Canada en régions et de l'importance de la préserver. En même temps, nous disons qu'il faut veiller à ce que les contenus soient non seulement de qualité, mais qu'ils reflètent aussi la réalité canadienne et ses particularités.

Pour une organisation syndicale comme la nôtre qui est principalement concentrée au Québec, il est clair que Radio-Canada français a joué et continue et doit continuer à jouer un rôle au niveau de l'accessibilité à une information de qualité.

Les compressions budgétaires qui ont eu lieu depuis une vingtaine d'années n'ont pas seulement affecté la structure de l'emploi — on parle d'environ 4 000 pertes d'emplois — mais aussi et surtout les contenus et la qualité de l'information.

Vous l'avez vu dans notre mémoire, on s'inquiète du virage qui a été pris, notamment au niveau de la radio, en termes de commandites et de publicité. Ce n'est pas parce que la question du financement n'est pas une dimension importante dans la réflexion, mais on pense que le rôle de Radio-Canada doit être soutenu par les efforts des contribuables, parce que cela appartient aux Canadiens et aux Canadiennes et cela doit justement s'appuyer sur une fiscalité progressive. Le gouvernement canadien doit apporter une aide financière, répondre aux besoins et aux transformations plutôt que de comprimer les dépenses.

Le virage du côté du privé, notamment au chapitre de la publicité, nous inquiète au niveau du contenu. On l'a d'ailleurs indiqué dans notre mémoire. Souvent, les publicistes souhaitent financer des émissions qui sont davantage populaires. Parfois, des émissions à caractère plus socio-économiques ou politiques seront mises de côté au profit d'une émission un peu plus populaire.

Ce n'est pas que nous soyons contre la télévision populaire. C'est parce nous pensons que Radio-Canada doit respecter un certain nombre de principes fondamentaux en termes de contenu.

On est préoccupé par les nombreuses fermetures, dont le Costumier, qui est peut-être celui de trop. J'ai été absolument renversé quand on nous a dit : « Le Costumier a fait un déficit l'année dernière de 70 000 $ ». C'est comme si cela compromettait l'état des finances publiques au Canada.

On sait très bien que le Costumier ne représente pas juste un héritage par rapport à ce qu'on a écouté nous-mêmes à la télévision lorsqu'on était tout petit. On sait que le Costumier joue encore un rôle important, pas juste à Radio-Canada, mais aussi auprès des organisations de la culture.

Lorsqu'on veut un monde de culture fort, on s'organise pour maintenir les services qui sont importants. On s'est appuyé sur un certain nombre d'études qui démontrent que c'est probablement dans les pays occidentaux où la société d'État est la moins financée.

Il y a aussi la Nouvelle-Zélande et les États-Unis qui sont moins financés, soit à hauteur d'environ 29 $ par habitant. Alors, si on avait voulu se rabattre sur une moyenne de financement, ce serait de 65 $ à 68 $. Or, dans notre cas, il s'agit de 40 $ par habitant pour assurer un financement de base permettant de maintenir une production de qualité. Vous retrouverez dans le mémoire les éléments montrant l'importance d'un financement public. Nous demandons de relever le financement de Radio-Canada, et non l'inverse, de le réduire.

Sur la question de la représentation régionale, Mss. Lortie et Pierre Roger de la FNC l'ont affirmé, et en tant que président de la CSN, je peux vous le dire par expérience : quand on se rend au Saguenay-Lac-Saint-Jean, en Abitibi, en Gaspésie et en Estrie, les journalistes assurant la couverture médiatique font en sorte que les différents points de vue exprimés dans nos sociétés le sont à travers Radio-Canada. Je ne dis pas que le privé ne le fait pas, mais Radio-Canada le fait admirablement bien, qu'il s'agisse des points de vue défendus par les partis politiques au pouvoir ou des points de vue défendus par les organisations de la société civile.

Je dois vous dire que le traitement et la qualité du service en région, c'est un gage d'accessibilité à l'information. On revient presque aux origines de Radio-Canada, à savoir que les Canadiens un peu partout au pays doivent avoir accès à des informations de qualité.

En tant que président de la centrale syndicale et porte-parole d'une organisation syndicale, je suis extrêmement préoccupé par cette idée que dans le futur, on pourrait réduire l'offre de Radio-Canada dans les régions.

Enfin, on met l'accent sur la gouvernance, qui est une question complexe. En même temps, il y a une certaine opacité dans le mode de fonctionnement de la haute direction et du conseil d'administration de Radio-Canada. Il y des nominations qui passent par le gouverneur et qui sont directement liées au Bureau du premier ministre.

On devrait réfléchir très sérieusement à mettre en place des mécanismes davantage démocratiques qui pourraient même refléter, un peu comme on le fait avec le vérificateur général, le sentiment et le positionnement politique des différentes composantes qui sont présentes au Parlement canadien.

Donc, il serait important de réfléchir à nouveau à cette question. On doit s'assurer que la séparation entre le pouvoir politique et la société d'État est claire. Il faut savoir que Radio-Canada n'appartient ni au parti au pouvoir ni au Parlement canadien, mais qu'elle appartient à l'ensemble des Canadiens et des Canadiennes.

Voici une première livraison de notre contribution. Nous acceptons avec plaisir d'échanger avec vous à ce sujet.

[Traduction]

Le sénateur Plett : Merci, monsieur Létourneau. Je suis on ne peut plus d'accord avec votre dernier commentaire; la SRC appartient aux Canadiens, aux contribuables du Canada. Vous avez tout à fait raison. Elle n'appartient pas au gouvernement au pouvoir.

Vous dites, dans votre mémoire, qu'il faut que le gouvernement fédéral vous verse un financement adéquat. J'aimerais ajouter, monsieur, que le gouvernement fédéral n'a pas d'argent. Il administre l'argent des Canadiens à qui la CBC appartient, ils sont les administrateurs et les gardiens de cet argent, et ils doivent pour cela agir de manière responsable.

J'aimerais discuter rapidement des compressions et de votre désir d'avoir accès à davantage de deniers publics. Il y a quelques années, la Société d'État a subi des compressions d'environ 400 millions de dollars. Pourtant, elle a continué de croître. Elle a su acquérir davantage de locaux. Elle a su, pendant un certain temps, licencier des gens, puis elle a recommencé à croître.

Je me demande comment elle a fait pour y arriver malgré une compression de 400 millions de dollars. Aujourd'hui, bien sûr, la compression est de 125 millions de dollars, et elle doit licencier 1 500 personnes. Comment peut-on licencier 1 500 personnes dans le sillage de ces compressions? Si elle peut se passer des services de 1 500 personnes, elle aurait peut-être dû y penser un peu plus tôt, penser peut-être davantage à l'amélioration de l'efficience.

Beaucoup de choses ont changé au fil des ans. Aujourd'hui, nous avons des iPad, ce que nous n'avions pas il y a quelques années. Quand nous sommes allés à Toronto, il y a une ou deux semaines, on nous a dit qu'il était maintenant possible d'installer un studio de production dans une salle comme celle-ci, alors qu'il y a quelques années, il fallait un énorme studio de production. Nous sommes allés à Halifax, où on a construit un studio de production pour 800 000 $. Alors, au bout du compte — et je suis convaincu que, tout comme moi, vous vous inquiétez pour les gens qui perdent leur emploi —, il a fallu sacrifier six emplois. À cause de ce studio de production de 800 000 $, ils peuvent faire avec trois personnes ce qu'il fallait neuf personnes pour faire autrefois.

Ne devrions-nous pas à tout le moins nous concentrer sur l'efficience et essayer de vivre selon nos moyens? Chacun de nous doit tenter de vivre selon ses moyens, et le gouvernement doit tenter de vivre selon ses moyens, quand il s'agit d'administrer l'argent des contribuables. La SRC ne devrait-elle pas tenter de vivre selon ses moyens, et le fait-elle déjà? Il ne s'agit pas seulement de distribuer plus d'argent, il nous faut aussi, à un moment donné, essayer d'équilibrer le budget. La SRC perd continuellement de l'argent. Son auditoire rétrécit continuellement. Ne devrions-nous pas réfléchir également à ces questions?

[Français]

Le président : Monsieur Létourneau.

M. Létourneau : Est-ce qu'on répond à chaque intervention?

Le président : Oui, au début. Tout à l'heure, je vais probablement accélérer le processus.

M. Létourneau : En ce qui concerne la question de la capacité ou non des citoyens et des citoyennes et de l'État canadien à financer adéquatement Radio-Canada, je vous répondrai qu'on ne fait pas du tout la même lecture que les conservateurs sur l'état des finances publiques canadiennes.

Au contraire, des études menées récemment ont démontré qu'à partir du moment où on va atteindre un équilibre budgétaire au cours des prochaines années, le gouvernement fédéral va engranger des surplus assez importants. Je pense que c'est le Conference Board qui démontrait que pendant que les surplus vont s'accumuler à Ottawa, le déficit des provinces va augmenter.

Alors, je pense que les marges de manœuvre du gouvernement canadien démontrent qu'il est possible de financer correctement nos sociétés d'État. On a mené un sondage scientifique auprès des citoyens qui n'a pas été commandé par la CSN, mais par une firme indépendante. Ce sondage révélait que les citoyens sont prêts à payer des impôts quand ceux-ci servent à financer le filet de sécurité sociale et les grandes sociétés comme Radio-Canada, pour avoir accès à des informations de qualité.

Les contribuables, ce sont les travailleurs et les travailleuses qui paient des impôts au Québec comme à Ottawa. Et ceux-ci vont prendre conscience que la fiscalité canadienne doit servir à développer des sociétés d'État dans la perspective du bien collectif et du bien commun.

En ce sens, je pense que les marges de manœuvre existent. Soit dit en passant, le gouvernement canadien n'hésite pas à fournir une aide financière pour revitaliser le patriotisme canadien autour de grands événements. Ce sont des choix politiques qui sont faits.

Dans le cas de Radio-Canada, malheureusement, on comprend que le gouvernement actuel n'a pas fait le choix politique de favoriser Radio-Canada, bien au contraire. C'est clair. Et cela nous inquiète énormément. Je le répète : le choix des citoyens en matière de radio et de télédiffusion en est un qui va dans le sens d'une société d'État qui évolue et qui progresse. Vous avez raison.

On ne peut plus considérer la télévision comme on la considérait à l'époque de la télévision en noir et blanc ou du radio transistor. Le monde des communications a changé. Nous sommes en mesure d'accompagner de tels changements, mais pas au détriment d'un héritage collectif comme celui qu'on a bâti avec Radio-Canada.

[Traduction]

Le sénateur Plett : Bien sûr, je ne suis pas tout à fait contre cet argument. Je crois que ma réserve tient au fait qu'on ne sait pas si c'est ce qui se fait ou pas.

Vous avez parlé des impôts et des réductions d'impôt. Je viens du Manitoba et vous venez du Québec, les deux provinces les plus imposées au pays. Je serais donc tout à fait d'accord pour qu'on réduise les impôts à l'échelon provincial tout comme à l'échelon fédéral.

Pourtant, quand un gouvernement affiche un surplus... Je ne voudrais pas qu'il dépense ce surplus n'importe comment, et je ne crois pas que vous le voudriez non plus. S'il peut baisser les impôts, s'il peut réduire la dette, il devrait en faire sa priorité.

Donc, encore une fois, ma question porte sur l'auditoire qui n'arrête pas de rétrécir. Vous dites avoir mené des enquêtes. Eh bien, nous avons nous aussi mené quelques enquêtes. En Alberta, 2 p. 100 de la population regarde la CBC. Il y a forcément un problème si nous continuons de verser de plus en plus d'argent alors que les gens ne la regardent pas. Moi, soit dit en passant, je regarde la CBC. Je l'ai souvent dit au comité. S'il y a une station que je regarde plus que toute autre, c'est bien la CBC, parce que je préfère son bulletin de nouvelles aux autres. À la télévision, je regarde la plupart du temps les nouvelles. On peut regarder d'autres choses sur un iPad ou sur Netflix, mais je tiens à avoir les dernières nouvelles, et c'est pourquoi je regarde la CBC.

Le président : Vous faites partie des 2 p. 100.

Le sénateur Plett : Les 2 p. 100, c'est en Alberta.

[Français]

M. Létourneau : C'est une très bonne nouvelle en ce qui concerne votre réalité vis à vis la CBC. La nôtre, en matière d'accès à des informations de qualité, c'est Radio-Canada. Je pense qu'on ne peut pas s'appuyer uniquement sur les cotes d'écoute. Je ne suis pas au courant des cotes d'écoute au Manitoba, vous les connaissez mieux que moi.

Je suis quand même étonné d'apprendre qu'il y a si peu de gens qui écoutent la CBC. Mais en même temps, je répète ce que je disais un peu plus tôt. On ne pense pas que le monopole d'État doit prendre toute la place. Au contraire, il y a de la place pour un diffuseur public et pour des diffuseurs privés. À mon avis, ils peuvent même être très complémentaires.

À partir du moment où on affaiblit et on appauvrit le diffuseur public, malheureusement, il y a un déséquilibre qui se met en place. À notre avis, cela va aussi loin que de menacer le droit à une information accessible et démocratique de contenus de qualité.

Dans une démocratie comme la nôtre, on a tout intérêt à s'assurer que Radio-Canada va recevoir, en termes de priorité de financement et priorité gouvernementale, les bons soins du gouvernement canadien.

As-tu un commentaire à ajouter à propos de la CBC?

Pascale St-Onge, secrétaire générale, Fédération nationale des communications : La CBC? En fait, j'aimerais me concentrer un peu plus sur Radio-Canada, étant donné que ce sont les gens qu'on représente. En 2009, la CSN avait mené un sondage CROP pour interroger la population québécoise au sujet de son attachement à Radio-Canada et de de la contribution qu'elle était prête à payer pour financer Radio-Canada.

En 2009, le coût par habitant était de 34 $ par année. Aujourd'hui, on est rendu à 29 $ par année. Donc, on peut supposer que les chiffres et les pourcentages que je vais vous nommer et que je vais vous distribuer par la suite sont encore plus valables aujourd'hui qu'ils ne l'étaient en 2009.

Donc, au moment où on leur a posé ces questions, le gouvernement fédéral subventionnait la Société Radio-Canada/CBC à hauteur de 34 $ par année pour les réseaux français et anglais.

Selon vous, pour assurer le maintien et le développement des services de la Société Radio-Canada/CBC, le gouvernement fédéral devrait...? Et les choix de réponses étaient les suivants : 1. Augmenter la subvention à plus de 34 $ par année, par habitant? Vingt-neuf p. 100 de la population a répondu oui; 2. Baisser la subvention à moins de 34 $ par habitant par année? Seulement 9 p. 100 de la population a répondu oui à cette question; 3. Maintenir la subvention à 34 $ par habitant par année? Et ici, la réponse a été favorable à 57 p. 100.

Donc, on peut dire que 86 p. 100 de la population était favorable soit à maintenir le financement à 34 $ par habitant par année ou encore à l'augmenter. Quand on a voulu savoir jusqu'à quel niveau les contribuables étaient prêts à augmenter le financement, 35 p. 100 de la population était favorable à l'augmentation du financement de 35 $ à 39 $.

De 40 $ à 44 $, 27 p. 100 de la population. De 45 $ à 49 $, 9 p. 100 de la population. Et 50 $ ou plus, 18 p. 100 de la population.

Ainsi, 28 p. 100 de la population était prête à financer à hauteur de plus de 45 $ par habitant. À notre avis, ceux qui ont répondu à ce sondage, ce sont aussi des contribuables. On peut prétendre, du moins au Québec, que les contribuables sont favorables à financer leur diffuseur pour lui permettre de s'adapter aux nouvelles technologies et d'être présent sur toutes les plateformes, mais aussi de préserver un contenu de qualité.

Le président : Vous aviez une question supplémentaire?

Le sénateur Housakos : Qui a mené ce sondage?

Mme St-Onge : La firme CROP.

Le sénateur Housakos : CROP? Qui a payé ce sondage?

Mme St-Onge : La CSN.

Le sénateur Housakos : La CSN. C'est un sondage qui a été mené au Québec ou partout au Canada?

Mme St-Onge : Au Québec.

Le sénateur Housakos : Au Québec. Merci.

Mme St-Onge : Toutes les statistiques et le protocole sont indiqués dans le sondage qu'on vous remettra avant de vous quitter.

Le sénateur Housakos : Est-ce que vous avez fait un sondage comparable dans le reste du pays à propos de la CBC?

Mme St-Onge : On s'est concentré sur le Québec.

Le sénateur Housakos : C'est bien.

Le président : Sénatrice Hervieux-Payette, la parole est à vous.

La sénatrice Hervieux-Payette : Tout d'abord, je reprends vos propos au sujet du conseil d'administration. Que pensez-vous d'une clientèle qui puisse contribuer à mieux représenter? Ce matin, on nous a dit que bon nombre de personnes ne connaissent rien aux communications. On devrait regarder du côté de la clientèle.

On pourrait avoir un francophone et un anglophone venant du milieu universitaire, des chambres de commerce, des syndicats, du milieu culturel, des producteurs et des acteurs, ainsi que des représentants du milieu international.

Ce serait des personnes qui connaissent les secteurs qu'on veut couvrir dans la société, qui seraient nommés par leur propre groupe. Quant au président, je suis d'accord à ce qu'il soit nommé par le Parlement, comme le vérificateur général. Ces personnes serviraient tous les Canadiens de manière équitable.

En deuxième lieu, hier, on a entendu des gens qui nous parlaient de mode de financement stable, qui augmente avec les années puisqu'il y a plus de ménages. On pourrait demander un tarif, par télévision, par famille ou par adresse, comme en Suède, en Angleterre, en Australie et plusieurs autres pays.

Ainsi, le financement demeure stable. Il n'est pas dépendant des contraintes budgétaires. On peut avoir encore une autre catastrophe économique et se retrouver en déficit. Les contribuables qui n'en veulent pas n'ont qu'à aller sur leur ordinateur.

Donc, est-ce que cet aspect vous plairait? Croyez-vous que les médias sociaux sont une menace pour la télévision? On nous les met souvent en contradiction. Plus je consulte les médias sociaux, plus je vois des imbécillités. Il en est de même pour Facebook et d'autres médias. Je ne peux pas dire que je suis très impressionnée par la qualité de l'information que je reçois.

Donc, il y a peut-être des médias sociaux qui sont bien équipés, qui ont des centaines de journalistes partout au pays et à l'étranger, mais je n'en connais pas. Alors, est-ce vraiment un compétiteur?

Donc, la première question, c'est le conseil d'administration; la deuxième, c'est le tarif qu'on pourrait modifier et enfin, la troisième porte sur la concurrence dans les médias sociaux.

Mme St-Onge : Pour ce qui est du conseil d'administration, on est favorable à ce que les membres proviennent le plus possible du milieu de la culture ou des communications. Donc, on serait favorable à une composition semblable à celle que vous avez citée. En ce qui concerne les règles de gouvernance, c'est expliqué très clairement dans notre mémoire.

En ce qui concerne le financement stable et pluriannuel, c'est un sujet sur lequel on milite depuis très longtemps. Si on laisse le diffuseur public au bon vouloir du parti politique qui est en place ou encore aux fluctuations du marché, il risque d'être très difficile de planifier sur une courte, moyenne ou longue période. Cela est vrai autant pour le contenu que la programmation, que les employés, les emplois, et cetera. Oui, évidemment, on souhaite un financement stable et pluriannuel.

Également, quant au financement stable, plus le diffuseur public est soumis à la publicité, aux revenus provenant soit de la publicité ou encore d'autres revenus privés, plus c'est difficile de préserver la qualité, surtout en période de crise économique. On l'a vu en 2008-2009, les revenus publicitaires de tous les médias ont été drôlement affectés.

Nous représentons également des gens qui travaillent dans les médias privés et cela s'est fait sentir. Au cœur de cette tourmente, il est de plus en plus important qu'on ait un diffuseur public qui puisse préserver la qualité, et puisse continuer à donner les services à la population et que la population ait toujours accès à une information de qualité, à du divertissement et à de la culture également de qualité, qui reflètent les Canadiens et les Canadiennes.

En ce qui concerne les médias sociaux, effectivement, on pourrait être tentés de voir les médias sociaux comme un concurrent naturel des médias traditionnels. Pourtant, ce qu'on sait — et les statistiques le prouvent —, alors qu'on pensait qu'il allait y avoir une abondance d'information sur les médias sociaux, entre autres, c'est plutôt l'inverse. C'est-à-dire que c'est la même information qui est relayée un peu partout et cette information, souvent, provient des médias traditionnels.

Alors, ces médias n'ont pas perdu leur place, dans l'univers médiatique canadien. De là à dire, donc, que les médias sociaux sont concurrentiels, je dirais plutôt qu'ils sont complémentaires et que c'est une façon différente de partager l'information.

Mais cette information, on doit continuer de la recevoir des endroits qui ont leur marque, qui ont leur réputation, qui ont leur sceau de qualité également. Il y a tellement d'information non vérifiable et non vérifiée, qui circule sur Internet, qu'on a besoin d'avoir des repères importants. Or, Radio-Canada a toujours été un repère qui était valorisé et reconnu partout, non seulement au Canada, mais à travers le monde.

Le président : M. Létourneau voulait ajouter quelque chose, je crois.

M. Létourneau : Oui, très rapidement, sur la question du financement, vous avez quand même soulevé le concept de l'utilisateur payeur. Sur la question de Radio-Canada, nous, on est très clair à l'effet qu'elle doit être accessible à tous ceux et celles qui ont la télévision et la radio à la maison, indépendamment de la capacité ou non de payer.

Moi, j'aime bien RDS, les analyses de M. Demers au hockey, mais je paie pour RDS, et ça ne me dérange pas. Les gens qui n'aiment pas le sport ne paieront pas pour RDS. Mais pour une information aussi fondamentale et compte tenu de la place que Radio-Canada joue dans notre société, je pense qu'on ne devrait pas s'avancer sur le terrain de l'utilisateur payeur.

Même si les gens ne l'écoutent pas, que cela soit disponible, possible, quand tu pitonnes à la télé ou que tu cherches à la radio, d'avoir accès à cette information, ça devrait être quelque chose d'accessible à tout le monde, peu importe son revenu et où on vit au Canada.

Sur la question des médias sociaux, je partage vos préoccupations. En même temps, je pense qu'on n'évitera pas le développement, comme Pascale l'a dit, des médias sociaux au cours des prochaines années. Je pense que ça doit se faire dans la complémentarité.

C'est-à-dire que les médias sociaux peuvent servir de plateforme pour alimenter un certain nombre de débats, que ce soit à la télé ou à la radio. Mais je ne pense pas que les médias vont remplacer les médias plus traditionnels, surtout pas en termes de qualité de l'information. En tout cas, ce n'est pas pour demain matin; ça m'étonnerait beaucoup.

Je pense qu'il faut plutôt le voir comme étant quelque chose de complémentaire. Chez nous, on a des médias tout à fait traditionnels à la CSN qui sont des revues, mais qui reposent aussi sur des plateformes de plus en plus. Alors, je pense que c'est un peu la combinaison des deux qu'il faut rechercher.

La sénatrice Hervieux-Payette : Dans la composition du conseil d'administration, tout à l'heure, j'ai oublié de vous dire que, évidemment, il devrait y avoir 50 p. 100 d'hommes et 50 p. 100 de femmes.

M. Létourneau : On est d'accord avec vous.

La sénatrice Hervieux-Payette : C'est pour le bien-être de ceux qui vont rédiger le rapport.

M. Létourneau : On va être d'accord avec vous.

Le sénateur Joyal : Bienvenue, monsieur Létourneau, madame St-Onge et monsieur Enault.

La prémisse de la restructuration de Radio-Canada, comme elle a été annoncée par M. Lacroix, est fondée sur la reconnaissance que la télévision généraliste, comme on l'a connue, est morte; c'est terminé, comme on est passé de l'ère supersonique à l'ère interstellaire. On prend pour acquis que le modèle, comme on l'a connu, n'a plus de pertinence dans la réalité d'aujourd'hui.

Quelle forme d'évaluation faites-vous de ce constat? Parce qu'on a un peu l'impression que, finalement, la télé va vivre ce que les médias écrits vivent actuellement. Vous représentez, évidemment, plusieurs syndicats de journalistes, vous pourriez peut-être nous l'expliquer aussi. Donc, vous vivez la transformation au niveau de la presse écrite.

Dans l'opinion publique, on a l'impression que ce que M. Lacroix dit est juste, parce qu'on voit que les médias écrits, évidemment, sont tous en train de se convertir à la tablette et que le monde de l'écrit va rester : peut-être La Presse, une fois la fin de semaine, et puis enfin, vous connaissez le débat là-dessus. Je vous vois sourire, je sais que vous le vivez quotidiennement.

Comment vous interprétez ou vous réagissez à ce constat qu'il y a une restructuration complète à faire de la télé généraliste et qu'en fait, celle-ci va disparaître? Par conséquent, il faudrait faire les réajustements rationnels que cela suppose.

Mme St-Onge : À notre avis, il y a, effectivement, des mutations qui s'effectuent présentement dans tous les médias, que ce soit, comme vous dites, la presse écrite ou encore la télévision. Par contre, on n'est pas encore à l'aube de dire que le niveau de transformation qui touche à la presse écrite présentement prévaut au niveau de la télévision.

Il y a certains changements dans les modes de consommation qui se font présentement, mais surtout dans les grands centres. Par exemple, l'Internet à haute vitesse n'est pas nécessairement accessible dans toutes les régions du Québec et du Canada.

Donc, lorsqu'il s'agit de prétendre que les gens, massivement, au Canada et surtout dans les régions éloignées, vont commencer à consommer la télévision uniquement sur Internet, je crois qu'on n'est pas rendu là, même au niveau technologique.

Donc, à notre avis, il y a encore de nombreuses années pour la télévision. Ensuite, l'autre élément que j'ajouterais, c'est que les mutations, dans l'industrie des médias, ont toujours fait partie du paysage. À plusieurs reprises, les médias ont dû s'adapter, que ce soit au niveau de l'imprimé, entre autres, en ce qui concerne les méthodes d'impression, qui ont changé dans les années 1950.

Pourtant les gens ont continué de consommer de l'information sur les médias traditionnels. Ce qu'on a démontré, entre autres, avec La Presse — parce qu'à la CSN, à la Fédération nationale des communications, on représente les travailleurs du journal La Presse qui ont innové avec leur modèle sur la tablette —, en fait, c'est que, non seulement les employés et les syndicats étaient capables de s'adapter à de tels changements, mais en plus, cela peut se faire en préservant la qualité du contenu.

Justement, il s'agit d'un univers de transformation qui nécessite des investissements majeurs; à La Presse, par exemple, on parle d'environ 40 millions de dollars d'investissement pour développer la plateforme numérique. Donc, de là l'importance de continuer à subventionner adéquatement notre diffuseur canadien pour qu'il puisse continuer de s'adapter et suivre les évolutions, tout en préservant la qualité du contenu.

Le sénateur Joyal : Vous pouvez, monsieur Létourneau, commenter également ce sujet?

M. Létourneau : Oui, absolument.

Le sénateur Joyal : Merci, madame St-Onge.

M. Létourneau : Oui, surtout que madame représente le syndicat de La Presse, donc elle connaît très bien le dossier.

Le sénateur Joyal : C'est la raison pour laquelle j'écoutais attentivement.

M. Létourneau : Elle connaît très bien le dossier. Évidemment, je partage tout à fait l'opinion que Pascale vient de présenter, en termes de transformation. Je veux tout de même insister sur la dimension de la participation syndicale et à ses transformations ou non. Parce que, souvent, dans l'opinion publique en général, on a l'impression que les syndicats n'acceptent pas le changement et la transformation, alors que dans les faits, les syndicats sont composés des travailleurs, des travailleuses et des artisans qui sont à l'œuvre, que ce soit dans le monde des communications ou ailleurs.

De façon générale, à part peut-être quelques exceptions, quand la direction d'une entreprise, qu'elle soit publique ou privée — et je pense que c'est important de le mentionner — décide de mettre à contribution l'ensemble de ses artisans, que ce soit des professionnels ou non, la reconversion et la restructuration d'une entreprise, que ce soit une société d'État, un service public ou une entreprise privée, c'est du gagnant-gagnant, et pour les travailleuses et les travailleurs et pour l'entreprise.

Je le dis, parce qu'il y a un « modèle d'affaires » à Radio-Canada qui nous préoccupe, qui veut que les analyses soient faites ici, au sommet, sous prétexte de transformation et de changement et que cela s'applique de haut en bas, sans véritable consultation et implication des travailleuses et des travailleurs. On pense que les gens vivent le changement et qu'ils ne veulent pas rester nécessairement 10, 15 ou 20 ans en arrière. Les gens, dans le cadre de la professionnalisation de leur travail, vont justement se mettre à utiliser davantage les médias sociaux ou autres.

Si on s'appuie mutuellement et si on leur fait confiance, les gens sont capables de muter, ils sont capables de changer et ils sont capables de faire les transformations nécessaires.

Le sénateur Joyal : Dois-je comprendre que vous n'avez pas été impliqué dans la redéfinition du déploiement de la nouvelle approche que Radio-Canada a proposée par M. Lacroix?

M. Létourneau : Disons que c'est assez laborieux.

Le sénateur Joyal : Il n'y a pas eu de processus de consultation ou autres?

M. Létourneau : Pascale peut répondre.

Mme St-Onge : Il y a eu, effectivement, un certain processus de consultation où les dirigeants ont demandé aux organisations syndicales de présenter leur vision, en prévision de la préparation du plan quinquennal.

Mais le processus de ces consultations a été écourté. Il y a eu un premier document que les organisations ont pu déposer, mais la consultation des artisans mêmes qui travaillent à Radio-Canada s'est arrêtée là, elle n'a pas été plus loin. De toute façon, l'annonce du plan quinquennal a été précipitée à la suite des dernières compressions et avec, également, toute la tourmente autour du changement d'appellation de Radio-Canada pour Ici Radio-Canada. Donc, le plan quinquennal a été précipité et la consultation auprès des artisans et des organisations syndicales a été très limitée. C'est resté à un premier niveau.

Je dois dire que les recommandations qui ont été faites par les organisations syndicales n'ont pas été vraiment écoutées ou retenues non plus.

François Enault, adjoint au comité exécutif, Confédération des syndicats nationaux : Ce n'est pas seulement dans le milieu des communications avec la CSN. La Confédération des syndicats nationaux, chaque fois, a travaillé en partenariat pour redonner un deuxième souffle à des entreprises.

Notre expertise n'est pas seulement en communications. On peut en donner des exemples concrets : dernièrement, l'hôtel Le Concorde à Québec est reparti, et on a travaillé avec le futur acquéreur. Le chantier maritime Davie, qui a été fermé, compte maintenant 1 000 travailleurs et travailleuses. Donc, on a l'expertise de faire de la concertation, de travailler avec les gens, pour s'assurer de sauver leurs emplois.

Pascale parlait de La Presse tantôt. La Presse, oui, a fait le virage technologique, mais en investissant davantage dans la salle de presse, en rajoutant du monde. Ce n'est pas en diminuant qu'elle a réussi, c'est en rajoutant du monde pour avoir de l'information de qualité.

On se sert de l'exemple de la tablette pour couper dans les communications, couper dans les services et dans la qualité de ce qu'on donnait aux contribuables. C'est fort différent. On ne nie pas le virage vers les tablettes, mais les journalistes seront encore essentiels de même que des gens à la recherche de ce que Radio-Canada fait et faisait très bien.

J'ai donné l'exemple, l'autre jour, à Québec, même s'il manquait quand même quelques personnes, compte tenu des événements qui venaient d'arriver la veille au Parlement, que Radio-Canada met la barre. Si elle n'est pas là, il est clair que les diffuseurs privés ne donneront pas la même qualité d'information qu'ils sont obligés de donner présentement.

C'est fort important, il y a un standard imposé par Radio-Canada. Il y a des enquêtes qui sont faites. Dans notre mémoire, on en parle. Prenons la Commission Charbonneau : sans se vanter de ce qui s'est passé au Québec, mais en même temps, s'il n'y avait pas des journalistes de Radio-Canada qui avaient poussé la chose, on ne serait peut-être pas là aujourd'hui.

Donc, c'est vraiment important. On ne nie pas qu'il y a un virage, mais présentement, et je m'excuse de l'exemple, on dit toujours du côté syndical qu'on déshabille Pierre pour habiller une autre personne. Cependant, il faut continuer d'offrir les services, tout en sachant fort bien qu'il va y avoir un virage un jour, et on ne peut le faire au détriment de la qualité de ce qu'on fait présentement, comme valeur journalistique au Québec et au Canada.

Le sénateur Joyal : Je crois que c'est une question très importante et vous êtes les témoins privilégiés concernant cet aspect des réflexions du comité. En d'autres mots, il n'y a pas un comité patrons/employés — pour simplifier le vocabulaire — dans lequel vous êtes impliqués quant à la négociation des changements et de la mise en œuvre progressive des changements, afin que l'entreprise continue d'évoluer dans un climat raisonnablement acceptable?

Mme St-Onge : La mieux placée pour répondre vraiment sur la façon dont cela fonctionne présentement, à l'interne, c'est Isabelle Montpetit, la présidente du syndicat qui a témoigné devant vous hier. Nous sommes la fédération qui le représente.

Je sais qu'il y a des comités paritaires chargés d'étudier l'application de la convention collective dans le cas des compressions, mais je doute que ce soit dans le but de participer de façon active au développement du plan quinquennal et à son implication.

Le sénateur Joyal : Le plan quinquennal ne comprenait pas les compressions?

Mme St-Onge : Non.

Le sénateur Joyal : Donc, le plan quinquennal est obsolète, en fin de compte?

Mme St-Onge : L'objectif du plan quinquennal, en fait, c'est d'appliquer de nouvelles compressions à l'intérieur même du diffuseur public, pour avoir une marge de crédit, si on peut le dire de cette façon, pour développer, à ce qu'on nous dit, de nouveaux contenus et de nouvelles avenues. En fait, cela se fait sur le dos des employés présentement.

On vous donnait l'exemple de La Presse, précédemment. En 2008-2009, lors de la crise économique, il y a eu une négociation très ardue à La Presse, les employés ont concédé environ 20 p. 100 de leurs conditions de travail.

Par la suite, il y a eu des investissements qui se sont faits pour développer la tablette numérique. À ce moment-là, la salle de rédaction a plus que doublé, puis on a misé sur la marque de La Presse, qui était la qualité de son contenu, pour développer ce virage technologique.

À Radio-Canada, on voit l'opposé. Ce qu'on voit, c'est qu'on coupe dans le contenu pour développer, à ce qu'on nous dit, de nouvelles plateformes ou de nouvelles façons de faire qui restent assez nébuleuses. On ne voit pas les investissements, par contre, au niveau des salles de rédaction, par exemple, au niveau des investissements dans la main-d'œuvre, dans les artisans, qui, en fait, préparent tout le contenu.

Le sénateur Joyal : Il y a une question que je voudrais poser sur un des constats que vous faites dans la conclusion de votre mémoire.

Dans la conclusion, vous dites, au milieu du premier paragraphe à la page 13 :

L'information d'intérêt public, essentielle à la participation citoyenne et à la démocratie, devient rare dans un contexte où le marché publicitaire, qui s'intéresse peu à ce type d'information, influence grandement la programmation des médias.

En d'autres mots, plus on dépend de la publicité, plus on va augmenter les émissions de variété et de divertissement et moins, en pratique, on investit dans ce qui est d'intérêt public. Parce que les émissions d'intérêt public, malgré les mots « intérêt public », n'ont pas la même auditoire, évidemment, qu'une émission où on entend une chanteuse, un chanteur ou un groupe rock préféré, ou encore un spectacle d'humoriste, par exemple, puisque c'est tellement populaire.

Il me semble, dans le cas de la présence d'un diffuseur public, que ce dernier a une responsabilité d'animer, de structurer le débat public. Comme vous le dites très bien, à mon avis, le gazouillis de Twitter puis des médias sociaux, c'est de l'information en vrac, qui se succède et qui s'accumule un peu comme un déraillement de chemin de fer, où tous les wagons s'empilent les uns derrière les autres et à un certain moment, on n'y voit plus rien.

À mon avis, la télé publique a une responsabilité d'essayer de comprendre ce qui se passe et d'élever, d'une certaine façon, le niveau du débat national. Vous êtes les premiers à l'avoir mentionné; d'une certaine façon, l'obligation de servir de référence, d'établir des normes d'excellence, que ce soit au niveau de la langue parlée, de l'approche professionnelle, de la couverture plus large sur des sujets qui intéressent moins la foule, mais qui sont néanmoins très essentiels dans une vie démocratique saine et dynamique.

Comment voyez-vous le rapport entre la publicité, les revenus publicitaires et la réalité d'un diffuseur national public?

Mme St-Onge : On ne peut qu'acquiescer à tout ce que vous avez énoncé précédemment. Tous les éditeurs de journaux, tous les rédacteurs en chef ou les directeurs de salles de nouvelles, du secteur privé, vous le diront : présentement, ils subissent tous d'énormes pressions venant des publicitaires, sur le contenu.

Il y a de nombreux témoignages à cet effet, entre autres la directrice de L'Actualité qui en a parlé. En fait, il est de plus en plus difficile de résister à ces pressions, parce que tout le monde s'arrache cette tarte publicitaire pour continuer d'exister.

Radio-Canada, à notre avis, ne doit pas entrer dans ce jeu, ne devrait pas avoir à se battre pour avoir une part de cette tarte publicitaire qui, disons-le, si elle va à Radio-Canada, n'ira pas aux autres diffuseurs privés qui en dépendent aussi.

De là l'importance de financer adéquatement Radio-Canada. Le diffuseur public, surtout dans la réalité de l'immédiat et de l'instantanéité qu'on vit présentement — on l'a vu avec l'événement du Parlement canadien il y a deux semaines —, est nécessaire ainsi que des professionnels pour mettre en perspective ce qui se déroule et démêler le faux du vrai, partager la présomption et la réalité.

Radio-Canada a été vantée partout en Amérique relativement à la couverture qu'elle a faite des événements. Pour nous, c'était une démonstration absolument formidable du rôle que joue Radio-Canada/CBC et qu'elle doit continuer de jouer. Donc, en ce qui concerne ce que vous avez dit précédemment, nous endossons tout à fait vos propos.

Le sénateur Housakos : Bienvenue à vous trois. J'ai bien entendu votre message selon lequel il est clair que, à votre avis, la solution pour régler les problèmes chez Radio-Canada /CBC, c'est l'augmentation de ses subventions fédérales.

L'autre perspective, c'est que vous avez des membres que vous représentez, qui travaillent chez Radio-Canada/CBC, et vous avez des membres aussi qui travaillent pour TVA, pour des télédiffuseurs privés. Les membres du privé et du public ont le même marché qui est devenu très compétitif. Il y a des compressions de revenus, qui se font de tous les bords, pour tous ceux qui sont dans ce domaine.

Dans le cas des entreprises privées, leur stratégie est simple, c'est d'essayer de trouver plus de revenus. Dans le cas de Radio-Canada, il faut trouver plus de revenus aussi.

À part l'idée selon laquelle le gouvernement fédéral devrait verser plus d'argent, année après année, à Radio-Canada, avez-vous d'autres suggestions à faire concernant le plan stratégique, la façon de travailler chez Radio-Canada/CBC, à part l'enveloppe publique? Est-ce qu'il y a une autre façon de faire? Avez-vous une autre idée pour aider cette entreprise à respecter son mandat, et en même temps, à ne pas dépenser des centaines de millions de dollars de l'argent des contribuables?

Mme St-Onge : Il y a quelques modèles qui pourraient être élaborés, comme un système de redevances. On pourrait s'inspirer de ce qui se fait ailleurs. Quand on dit « continuez d'envoyer toujours plus d'argent à Radio-Canada », en fait, c'est l'inverse qui se produit, c'est toujours moins. C'est un choix. Vous dites que le marché est très compétitif, et vous avez raison, le marché est extrêmement compétitif. On le vit avec les membres qu'on représente dans tous les médias que vous avez mentionnés. C'est la raison pour laquelle on se demande pourquoi le diffuseur public devrait jouer dans ces eaux.

À notre avis, c'est un choix, et les Canadiens et les Canadiennes ont le choix de décider s'ils veulent avoir un diffuseur public de qualité et continuer d'y investir et à quelle hauteur. Je pense qu'il est temps qu'on consulte les Canadiens sur cette question. Il est temps qu'on consulte les Canadiens sur ce qu'ils attendent de leur diffuseur public.

De l'autre côté, je crois aussi qu'on doit trouver des solutions pour éviter que CBC/Radio-Canada se comporte comme un diffuseur privé, toujours à chercher de nouveaux revenus, à part ceux qui proviennent des crédits parlementaires.

M. Enault : Sans dire ce qu'on pourrait faire ou ce qu'on ne devrait pas faire, je pense qu'il faut écouter les gens et leur parler. Je vais vous donner un exemple : il y a trois semaines, j'étais avec Pascale et certains travailleurs et travailleuses du syndicat de Radio-Canada à la Chambre de commerce au Palais des congrès de Montréal, où M. Lacroix était invité par la Chambre de commerce pour expliquer sa nouvelle plateforme. Le président de la Chambre de commerce de Montréal, M. Leblanc, d'entrée de jeu, a dit : « Monsieur Lacroix, qu'est-ce qu'on peut faire pour vous aider, pour sauver Radio-Canada? »

Ce n'est pas un syndicat qui s'exprime, c'est le président de la Chambre de commerce de Montréal. Je vous dirais qu'il y avait deux tables de syndicalistes : une table de la FTQ et une table de la CSN. Il n'y avait guère plus de syndicalistes dans la salle, et M. Leblanc a posé la question.

Mais en 45 minutes d'intervention, M. Lacroix n'a jamais répondu à la question. Il y avait des gens d'affaires avec de l'argent, qui tendaient la main. On ne tend pas plus la main aux gens d'affaires qu'aux syndicalistes ou à d'autres. Il y a une espèce d'imposition de ligne à suivre, sans savoir qui donne les mandats.

Donc, c'est un peu compliqué. On peut bien vous dire n'importe quoi, mais la première chose, c'est la concertation. Quand des syndicats au Canada et des gens d'affaires sont préoccupés de la situation de Radio-Canada, et que personne ne nous écoute, dans un premier temps, il faut minimalement que nous soyons capables de nous asseoir ensemble et d'échanger pour trouver des solutions.

Toute la communauté veut sauver Radio-Canada. Le Sénateur Plett a dit qu'il se promène partout, et que ce n'est pas ce qu'il entend. Je suis resté à Wabush pendant trois ans, qui est passablement plus loin que Montréal, et Radio-Canada était importante.

J'ai habité aux Îles-de-la-Madeleine où Line Danis est la voix des Îles-de-la-Madeleine. Je pense que ce n'est pas vrai que les gens ne veulent pas Radio-Canada, mais on ne nous écoute pas, dans toutes les couches de citoyens confondues.

Le sénateur Housakos : Notre comité a fait une étude sur CBC/Radio-Canada, la société du télédiffuseur public et, malheureusement, j'ai appris très vite qu'il y a deux réalités au Canada et qu'il y a deux réalités avec CBC/Radio-Canada.

Quand on affirme que la cote d'écoute est terrible pour CBC/Radio-Canada, on parle beaucoup plus pour la CBC. Le chiffre que vous avez partagé avec nous, à propos des opinions des Québécois et Québécoises, je le crois; je suis un sénateur de Montréal et un Québécois, je sais bien qu'il y a un attachement de la plupart des Québécois envers Radio-Canada.

Les cotes d'écoute au Québec, dans le Canada français, sont tellement plus élevées que celles de CBC anglais. J'ai souvent dit que, malheureusement, Radio-Canada a été victime pendant deux, trois, quatre ans de l'affaiblissement de CBC anglais. Mais, c'est un autre débat. Je ne sais pas si vous voulez partager votre opinion à ce propos.

J'ai toujours dit que c'est maintenant le temps de diviser cette société en deux, parce que les objectifs de Radio-Canada, le marché de Radio-Canada, la cote d'écoute de Radio-Canada, même les revenus de Radio-Canada, j'imagine, sont beaucoup plus importants que les revenus de CBC anglais.

La CBC a perdu l'émission Hockey Night in Canada. Cela représente une perte de 250 millions de dollars par année de revenus. Si on additionne toutes les pertes en revenus de publicité chez CBC anglais depuis deux ou trois ans, elles sont beaucoup plus élevées que les coupures que le gouvernement fédéral a faites au niveau de ses subventions.

Le sénateur Joyal : Et ça se reflète sur Radio-Canada.

Le sénateur Housakos : Absolument.

M. Létourneau : Il est clair que notre préoccupation est portée d'abord et avant tout sur Radio-Canada. On l'a dit d'ailleurs dans notre mémoire, d'entrée de jeu, la place qu'a occupée Radio-Canada, notamment par rapport au phénomène de la francophonie dans le pays, mais surtout au Québec; pour nous, c'est indissociable quand on pose la question de l'avenir de Radio-Canada. Peu importe ce qu'on pense de la dimension politique canadienne ou québécoise, il n'en demeure pas moins qu'il y a une réalité de société distincte, avec un besoin tant sur le plan de l'information sociale, politique, que culturelle, en termes d'affirmation, pour nous qui est indéniable. Donc, Radio-Canada francophone ne doit pas faire les frais des difficultés que la CBC éprouve. Cela nous apparaît très clair.

Mme St-Onge : S'il y a un problème du côté de la CBC au niveau de l'attachement des Canadiens à la CBC, je crois qu'au lieu de détruire Radio-Canada et la CBC, du côté anglophone, il faudrait peut-être y réfléchir et essayer de comprendre pourquoi et voir ce qu'on peut faire différemment et mieux pour répondre aux besoins et aux aspirations des Canadiens.

À mon avis, cela n'enlève pas la pertinence de Radio-Canada, parce qu'on sait que les Canadiens, particulièrement du côté anglophone, et c'est peut-être ce qui fait la distinction avec Radio-Canada, sont de plus en plus envahis par le contenu qui provient des États-Unis, le contenu américain.

Est-ce que, comme Canadiens, comme citoyens canadiens, on doit se définir de la même façon que les Américains? Est-ce qu'on est un peuple distinct ou est-on amalgamé avec les États-Unis? Et si on n'est pas amalgamé avec les États-Unis et que le Canada est un peuple distinct, à ce moment-là, qu'on donne les outils à Radio-Canada et à la CBC de représenter les citoyens canadiens de façon adéquate et de répondre à leurs besoins et à leurs souhaits au sujet de ce qu'ils veulent voir et entendre à la télévision et à la radio de la CBC et de Radio-Canada.

Le président : Malheureusement, toute bonne chose a une fin, et aujourd'hui, la fin sera la dernière question du sénateur Massicotte.

Le sénateur Massicotte : Merci à vous trois d'être parmi nous. Effectivement, ma question a trouvé sa réponse, mais je vais demander une réaction de M. Enault.

Personnellement, je suis surpris et déçu que, malgré les efforts de certains artistes et journalistes d'essayer de lancer un mouvement populaire contre les coupures, il ne semble pas y avoir d'échos. Quelques efforts sont faits, mais ça ne marche pas et ça ne fait pas boule de neige. On n'en entend pas parler à Ottawa. Je suis déçu de cela. C'est une opinion personnelle. Vous dites, au contraire, que c'est très évident. Mais nous ne le voyons pas et c'est malheureux.

M. Enault : Je vous invite le dimanche 16 novembre prochain dans les rues, parce que vous allez voir qu'il y aura une manifestation de citoyens que nous n'avons pas mise de l'avant; ce sont vraiment des citoyens qui ont décidé de partir cela.

Lorsqu'on nous demande de revendiquer certains points, il est clair qu'on va apparaître, nous aussi, mais je pense que ce n'est que le début. Pour les gens, ce n'était peut-être pas assez concret; je vous dirais que la goutte qui a fait déborder le vase, malheureusement ou heureusement, c'est le Costumier.

Le sénateur Joyal : 36 000 gazouillis, je pense, des gens.

M. Enault : Oui. Je crois que c'est démarré. Vous devez comprendre également que les gens qu'on représente, de par leur professionnalisme, ne peuvent pas se promener avec une pancarte qui serait pour ou contre Harper ou Jean Chrétien.

Ce sont des journalistes, ce sont des professionnels. Donc, ils ont un devoir de réserve, ils ne peuvent pas faire n'importe quoi et n'importe comment comme dans une autre entreprise publique ou privée. Donc, ces gens sont professionnels. Il est clair que, présentement, c'est un peu difficile.

Ce que vous devez comprendre au-delà de tout cela, et vous devez être au courant que Radio-Canada, en même temps, donc parallèlement, a fait des démarches pour faire la fusion des accréditations des quatre syndicats au Québec. Donc, en même temps, on est en discussion pour trouver des solutions pour déterminer quelle sera l'unité appropriée.

Il y a tous ces éléments. Il est clair que la meilleure façon de faire passer des choses, dans la vie, c'est de tenir les gens occupés avec autre chose, et pendant ce temps, faire ses mauvais coups. C'est un peu ce qui nous arrive présentement.

Le président : Merci, madame St-Onge, monsieur Létourneau, monsieur Enault, merci beaucoup de votre présentation.

Chers collègues, on se rencontre dans le foyer dans 15 minutes. Pour ceux qui y vont directement, nous serons à 15 heures dans le hall central de Radio-Canada pour faire la visite. Je vous remercie, la réunion est terminée.

(La séance est levée.)


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