Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Transports et des communications
Fascicule 11 - Témoignages du 19 novembre 2014
OTTAWA, le mercredi 19 novembre 2014
Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui, à 18 h 47, pour étudier la teneur des éléments des sections 2, 6, 10, 11, 16 et 21 de la partie 4 du projet de loi C-43, Loi no 2 portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 11 février 2014 et mettant en œuvre d'autres mesures.
Le sénateur Leo Housakos (vice-président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le vice-président : Honorables sénateurs, aujourd'hui, nous poursuivons notre étude de la teneur du projet de loi C-43, Loi no 2 portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 11 février 2014 et mettant en œuvre d'autres mesures.
Lors de cette réunion, nous étudierons la section 2 de la partie 4 qui modifie la loi sur l'aéronautique.
[Traduction]
Avant de présenter notre premier témoin, je souhaite vous informer que nous avons reçu des mémoires à ce sujet de la part des organisations suivantes : l'Association du Barreau canadien, le Saskatchewan Aviation Council, l'Association canadienne de l'hélicoptère et la ville de Burlington. Ces documents sont affichés sur le site web du comité à titre d'information pour nos audiences.
Notre premier témoin est Daniel-Robert Gooch, président du Conseil des aéroports du Canada. Je vais inviter M. Gooch à faire son exposé, puis les sénateurs pourront poser leurs questions.
[Français]
Daniel-Robert Gooch, président, Conseil des aéroports du Canada : Monsieur le président et chers membres du comité, je vous remercie de cette occasion de vous parler aujourd'hui des modifications proposées à la Loi sur l'aéronautique dans le cadre du projet de loi C-43.
Je m'appelle Daniel-Robert Gooch, et je suis président du Conseil des aéroports du Canada, dont les 45 membres comprennent tous les aéroports non gouvernementaux qui font partie du Réseau national des aéroports.
[Traduction]
Nous sommes ici aujourd'hui parce que nous pensons que les dispositions que le gouvernement propose d'ajouter à la Loi sur l'aéronautique sont trop générales et s'appliquent, si nous avons bien compris, à un pourcentage beaucoup plus élevé des aéroports nationaux que ce que souhaitait le gouvernement. Les dispositions proposées conféreront à la ministre de nouveaux pouvoirs de réglementation dans trois vastes champs d'activité, soit celui de la construction de nouveaux aérodromes, celui de l'agrandissement d'aérodromes déjà en service et celui de la modification des activités d'un aérodrome déjà en service. Ces pouvoirs permettront à la ministre d'intervenir si elle détermine qu'une initiative pouvant être classée dans l'un de ces trois champs d'activité nuirait à la sûreté aérienne ou serait contraire à l'intérêt du public.
Comment la ministre déterminera-t-elle ce qui est dans l'intérêt du public? Quel genre de changements d'activité sera soumis à des interventions ministérielles? Nous l'ignorons.
Si nous avons bien compris ce que Transports Canada nous a indiqué, les dispositions sont conçues pour contrôler la construction de nouveaux aérodromes privés. Nous avons conscience que le ministère est préoccupé par ce champ d'activité. En effet, plus tôt cette année, nous avons participé à un groupe de consultation portant sur ce sujet. Bien que la ministre jouit déjà de pouvoirs d'intervention étendus dans le domaine de la sûreté et de la sécurité des aérodromes, le gouvernement pourrait avoir des raisons valides d'accorder à la ministre des pouvoirs supplémentaires de réglementation des aérodromes en question dans ce domaine. Cependant, les dispositions proposées font beaucoup plus qu'autoriser la réglementation des petits aérodromes privés qui, à ce que nous sachions, sont à l'origine des inquiétudes de la ministre.
Dans sa forme actuelle, le projet de loi ne précise pas le genre d'aérodromes qui seront assujettis à la nouvelle fonction d'intervention de la ministre. Le libellé propose d'accorder à la ministre une foule de nouveaux pouvoirs qu'elle peut exercer sur tous les aéroports, apparemment, dans des domaines décisionnels dont la responsabilité avait été explicitement transférée aux administrations aéroportuaires locales en consultation avec des intervenants de l'industrie aérienne et les transporteurs aériens. Nous ne croyons pas que la ministre ait l'intention de réécrire la Politique nationale des aéroports, mais nos membres craignent vraiment que les modifications proposées aient cet effet.
Depuis le début des années 1990 et l'élaboration de la Politique nationale des aéroports, toutes les responsabilités opérationnelles et financières liées aux aéroports sont assumées localement. Ce changement découlait d'une dépolitisation délibérée et réfléchie du genre de décisions qui seront, apparemment, soumises de nouveau à l'autorité de la ministre, si ces modifications sont adoptées. Les aéroports dont la responsabilité a été transférée aux administrations aéroportuaires locales mènent déjà de vastes consultations auprès de leur collectivité et des usagers, lorsque des projets de développement, comme ceux visés par le projet de loi, sont envisagés.
Nous devons agir avec prudence. Il se peut très bien que certaines personnes soutiennent que la ministre devrait jouer un rôle plus important dans la prise de décisions concernant les aéroports. Toutefois, pour le Réseau national des aéroports, cela représenterait un important changement de politique qui, au chapitre de l'intervention du gouvernement fédéral dans les aéroports, nous ramènerait à l'époque précédant l'adoption de la Politique nationale des aéroports.
Lorsque votre comité a prêté une grande attention à notre industrie il y a quelques années de cela, il n'est certainement pas allé aussi loin. Dans le cadre de son étude détaillée des aéroports, votre comité est tombé d'accord avec nous pour dire que la structure de gouvernance des administrations aéroportuaires fonctionnait bien et qu'elle devrait être maintenue et appuyée.
Nous remarquons que, dans le cadre de l'examen de la Loi sur les transports au Canada entrepris par David Emerson et son groupe d'éminents conseillers, la politique sur les transports fait déjà l'objet d'un autre examen général. C'est là une tribune qui convient mieux pour envisager d'apporter des changements importants à la politique sur les transports. Au CAC, nous et nos membres consacrons des ressources substantielles à cette initiative, car c'est le genre d'examen détaillé et approfondi de la politique sur les transports aériens dans le cadre duquel les questions de ce genre devraient être abordées.
Au Canada, le transport aérien est une industrie de 35 milliards de dollars qui appuie 140 000 emplois directs. Les administrations aéroportuaires planifient et mettent en œuvre des projets de développement clés dont les coûts oscillent entre les millions de dollars et les centaines de millions de dollars. Avant de financer ces projets, les administrations aéroportuaires examinent longuement l'environnement législatif et réglementaire dans lequel nos aéroports sont exploités et dans lequel elles prévoient qu'ils continueront de l'être.
Aujourd'hui, le Conseil des aéroports du Canada demande instamment au comité de modifier la mesure législative afin qu'elle mette adéquatement l'accent sur les petits aérodromes privés qui, à ce que nous sachions, sont la principale source d'inquiétudes du ministère des Transports. Les membres du Comité des finances de la Chambre des communes, devant lequel nous avons comparu lundi, nous ont demandé de suggérer une autre façon de formuler les dispositions du projet de loi, et nous prenons en considération leur demande. L'une des solutions au problème pourrait consister, par exemple, à ajouter des dispositions qui indiqueraient que les pouvoirs les plus vastes de la ministre s'appliquent seulement aux aérodromes qui, selon le Règlement de l'aviation canadien actuellement en vigueur, ne sont pas considérés comme des aéroports. Il y a peut-être d'autres façons de procéder, et nous serions heureux de collaborer, au besoin, avec vous, vos collègues de la Chambre des communes et le ministère des Transports afin de vous aider à trouver une formulation qui répondrait mieux aux besoins de toutes les parties concernées. Nous voulons simplement nous assurer que nous consacrons le temps et l'attention nécessaires pour régler adéquatement les questions législatives d'importance. Je vous remercie d'avoir pris le temps d'écouter nos préoccupations.
Le vice-président : Je tiens à rappeler au comité et à notre témoin que le Comité des transports et des communications procède en ce moment à une étude préalable de cette section du projet de loi C-34, mais qu'au bout du compte, le pouvoir d'apporter des amendements à ce projet de loi relève du Comité des finances. Nous pouvons peut-être suggérer des amendements au cours de notre étude, mais ils ne pourront être apportés que par le Comité des finances.
La sénatrice Merchant : Je vous remercie beaucoup de votre exposé. Qu'est-ce qui est précisément à l'origine des amendements de ce genre? Vous dites avoir mené des consultations, mais vous ne reconnaissez pas dans ces amendements le genre d'enjeux dont vous avez parlé. Est-ce que des situations non sécuritaires avaient été signalées? Les gens qui habitent près de ces aérodromes ont-ils déposé de nombreuses plaintes? Pourquoi ces modifications sont-elles apportées maintenant?
M. Gooch : Je vous remercie de votre question. Je ne tiens pas à émettre trop d'hypothèses à propos des motifs du ministère des Transports, mais on nous a dit que la ministre était préoccupée par sa capacité de réglementer les nouveaux aérodromes privés. Je crois comprendre qu'au cours des dernières années, la construction de certains des aérodromes privés pourrait avoir causé des difficultés à la ministre, et que, si nous avons bien compris, elle souhaitait clarifier sa capacité de réglementer les nouveaux aérodromes privés dans les situations où, par exemple, quelqu'un décide d'entreprendre la construction d'un nouvel aérodrome dans une collectivité.
La sénatrice Merchant : Ces amendements visent donc les nouveaux aérodromes, et non ceux qui sont déjà en service?
M. Gooch : Oui, c'est leur objectif, si nous avons bien compris.
La sénatrice Merchant : Êtes-vous préoccupés par le fait que les pouvoirs de la ministre ne sont pas encore définis et qu'ils vont devoir l'être? Cela vous préoccupe-t-il?
M. Gooch : Oui, car la formulation actuelle semble englober tous les aéroports du pays. Nous croyons comprendre que le ministère a l'intention d'établir des règlements qui donneront du mordant aux mesures décrites dans le projet de loi, mais nous préférerions que la formulation du projet de loi soit resserrée afin que les aérodromes visés par cet exercice législatif soient adéquatement désignés, par opposition aux autres aéroports non ciblés.
La sénatrice Merchant : Si quelqu'un souhaite en appeler de la décision de la ministre, à qui doit-il s'adresser? Un processus d'appel peut-il avoir lieu?
M. Gooch : Faites-vous allusion aux aérodromes privés en question? Je ne suis pas certain de connaître les intentions de la ministre. Nous croyons comprendre que la ministre planifie de réglementer ce secteur une fois que les modifications législatives l'autoriseront à le faire. J'imagine qu'un processus de consultation complet sera prévu dans le cadre de la mise en œuvre de ces modifications, mais je ne suis pas sûr de connaître le résultat final recherché en ce qui concerne le régime envisagé pour réglementer les aérodromes privés.
La sénatrice Merchant : Merci.
Le vice-président : Ces aérodromes privés sont-ils membres de votre conseil en ce moment?
M. Gooch : Non. Notre conseil est composé de 45 membres, qui comprennent tous les aéroports non gouvernementaux du Réseau national d'aéroports. Les autres aéroports membres sont exploités par des administrations aéroportuaires locales qui relèvent des municipalités ou qui ne font pas partie du réseau national. Toutefois, il s'agit généralement d'aéroports qui offrent un service aérien commercial, un service que vous connaissez bien et qui s'étend de Victoria, dans l'Ouest...
Le vice-président : Il s'agit donc d'aéroports régionaux et nationaux?
M. Gooch : Exactement.
Le vice-président : Il me semble qu'aucun d'entre eux ne sera touché directement par la mesure législative.
M. Gooch : Compte tenu de la façon dont la mesure législative est formulée en ce moment, ces aéroports ne sont pas exclus, selon nous. D'après les avis que nous avons reçus, les termes sont assez généraux pour inclure tous les aéroports, y compris nos membres.
Le vice-président : La ministre ne jouit-elle pas en ce moment de tous les pouvoirs dont elle a besoin pour imposer sa volonté si elle croit que certaines normes ne sont pas respectées par les aéroports nationaux et régionaux? Corrigez-moi si j'ai tort, mais j'ai l'impression que l'objectif du projet de loi ne consiste pas à répondre à des préoccupations, quelles qu'elles soient, concernant nos aéroports nationaux et régionaux. L'objectif concerne plus précisément les aérodromes privés.
M. Gooch : C'est ce que l'objectif est censé être, si nous l'avons bien compris, mais nous estimons que le libellé ne coïncide peut-être pas avec cet objectif.
Le vice-président : Nous avons entendu un chiffre qui m'a particulièrement étonné, soit 5 000 aérodromes canadiens non enregistrés, ce qui, selon nous, constitue un nombre substantiel. Ce projet de loi est une bonne mesure législative qui tente de réglementer et de surveiller, dans une certaine mesure, ces aéroports, en plus de veiller à ce qu'ils ne perturbent pas les collectivités dans lesquelles ils sont établis.
Que pense votre conseil des programmes de surveillance du gouvernement qui visent les aérodromes? Outre la mise en œuvre de cette mesure législative, quelle mesure suggérez-vous que nous prenions? Compte tenu des dangers qui existent à l'époque où nous vivons, l'existence de 5 000 pistes d'atterrissage non réglementées dans diverses régions du pays me semble troublante.
M. Gooch : Nous comprenons les préoccupations du ministère. Vous dites qu'il y en a 5 000. Je ne sais pas si c'est exact, mais cela ne m'étonnerait pas.
Il peut certainement y avoir des raisons valides d'accorder à la ministre des pouvoirs supplémentaires dans ce domaine. Les aérodromes privés en question ne font certainement pas partie de notre champ de compétence. Nous sommes conscients des craintes de la ministre, et nous avons été consultés à ce sujet au nom de nos membres. Nos membres s'interrogent surtout sur la sûreté de ces aérodromes et sur les répercussions qu'ils pourraient avoir, par exemple, sur les aéroports membres des environs. Donc, nous ne contestons pas le fait que la ministre puisse avoir besoin de pouvoirs de réglementation supplémentaires pour gérer ses aérodromes privés. Nous aimerions simplement que le libellé de la mesure législative soit resserré de manière à ce qu'on comprenne un peu plus clairement qu'elle vise ces aérodromes privés.
Le vice-président : Merci. Si vous n'avez pas d'autres questions à poser au témoin, j'aimerais le remercier d'avoir pris le temps de comparaître de nouveau devant notre comité. Il nous a déjà apporté son témoignage lorsque nous menions notre étude sur les aéroports. Nous vous sommes reconnaissants de vos observations, et nous prendrons en considération vos suggestions.
Notre prochain groupe d'experts traitera du même sujet. J'aimerais vous présenter Kathy Lubitz, présidente de la Ultralight Pilots Association of Canada, et Kevin Psutka, président et directeur général de l'Association canadienne des propriétaires et pilotes d'aéronefs, qui participe ce soir à notre séance par vidéoconférence. Je vais inviter M. Psutka à faire son exposé, qui sera suivi de celui de Mme Lubitz. Ensuite, les sénateurs pourront poser leurs questions.
Kevin Psutka, président et directeur général, Association canadienne des propriétaires et pilotes d'aéronefs : Merci beaucoup. Monsieur le président, j'aimerais clarifier quelque chose. Lorsque le dernier témoin a parlé, vous avez mentionné les organisations qui vous avaient déjà fait parvenir des mémoires, et nous n'avons pas été mentionnés. Je tiens à préciser que vous disposez, en fait, d'un mémoire que nous avons présenté.
Le vice-président : Je pensais y avoir fait allusion. Nous avons effectivement reçu votre mémoire.
M. Psutka : Merci beaucoup.
Je vous remercie de l'occasion qui m'est donnée de parler de la modification de la loi au nom de l'association aérienne la plus importante du Canada, qui représente les gens qui pilotent des avions à des fins de déplacement personnel ou de récréation, comme ils utiliseraient une voiture familiale, et qui aimeraient que le système de transport aérien reste viable au Canada.
Le comité a reçu le mémoire de l'ACPPA dans lequel nous abordons différents enjeux, dont l'objectif de la ministre, l'absence de politiques de l'aéronautique qui protégeraient le réseau d'aérodromes du Canada et le fait qu'on a oublié de faire participer le Comité permanent des transports et des communications de la Chambre des communes au processus. Compte tenu du témoignage que Transports Canada a apporté au Comité des finances et à votre comité et du fait que nous disposons de seulement sept minutes pour présenter la cause de l'ACPPA, nous n'allons pas répéter l'information qui figure dans notre mémoire. Nous allons plutôt mettre en relief deux enjeux, à savoir le processus et l'équité.
Je témoigne en ce moment en raison d'une faille dans le processus qui était censé avoir lieu. Transports Canada a signalé qu'il avait consulté l'industrie. C'est vrai, mais pas au sujet de la modification qu'on propose d'apporter à la loi.
On nous a dit et nous avons cru que des modifications seraient apportées au Règlement afin que la création, la construction et les activités prévues des nouveaux aérodromes fassent obligatoirement l'objet de consultations. À la suite de ces modifications, nous étions censés discuter de la modification éventuelle de la loi en vue d'y ajouter une définition du mot « aérodrome ». Nous nous attendions à recevoir un rapport publié par le groupe de consultation qui devait aider Transports Canada à rédiger un projet de règlement et à trouver, avec un peu de chance, une voie à suivre sur laquelle tous s'entendraient et qui permettrait à la ministre d'atteindre son objectif qui, selon les paroles que M. Roussel a prononcées hier, « ne consiste pas à restreindre la liberté de vol, mais plutôt à rendre la réglementation plus prévisible et à fournir des outils qui favorisent plus efficacement la sécurité des vols. »
L'industrie participe à ces autres discussions et, notamment, à un groupe de consultation depuis à peu près 11 mois. Toutefois, jusqu'à ce que la modification à apporter la loi soit présentée dans le cadre du projet de loi C-43, ni l'ACPPA, ni les participants au groupe de consultation, que nous avons contactés, n'étaient au courant de la modification proposée. Au lieu de suivre le processus établi qui était censé mener à consensus, une modification à la loi complètement différente a été insérée dans un projet de loi qui porte sur un tout autre sujet, et cette modification vise à créer de nouveaux pouvoirs ministériels très vastes en vue d'interdire unilatéralement les vols et de contourner la Loi sur les textes réglementaires. L'ACPPA pense que cela modifie entièrement le cours de nos discussions, et nous sommes convaincus que bon nombre des participants, voire tous les participants, au processus de consultation partagent notre avis.
Le ministère aurait dû, au moins, discuter de ce changement important avec l'industrie avant qu'il ne parvienne à ce stade. Nous sommes maintenant forcés de renseigner le Parlement, dans le cadre de très brèves discussions et de comparutions devant les comités, organisées à la hâte, sur les complexités de l'aviation et sur les conséquences profondes qu'aura la modification de la loi. Cette tribune ne convient pas à une telle discussion.
Donc, le fait que le gouvernement a négligé de consulter l'industrie à propos de la modification démontre l'échec du processus qui aurait dû être entrepris pour assurer la transparence gouvernementale.
Maintenant, ce qui concerne l'équité.
M. Roussel a encore fait allusion au « malaise » que Transports Canada dit avoir ressenti quand il a entendu les provinces, les municipalités et les Canadiens parler de l'augmentation des problèmes complexes associés à la construction des nouveaux aérodromes et à l'exploitation des aérodromes existants.
On n'a rien dit sur les observations formulées pas les exploitants et les clients des aérodromes concernant l'augmentation de problèmes complexes associés à des activités nouvelles qui voient le jour autour des aérodromes existants et qui sont incompatibles avec ces derniers, comme les parcs d'éoliennes, les tours de communication et les constructions résidentielles. En fait, le problème a été soulevé à plusieurs reprises par les acteurs de l'industrie, dont la COPA.
M. Roussel poursuit en disant que Transports Canada n'a pas répondu de façon efficace aux inquiétudes des électeurs des membres du comité. On n'a absolument rien dit sur le fait que Transports Canada n'avait pas répondu efficacement aux propriétaires et aux utilisateurs d'aérodromes non plus, et qu'il n'y a rien dans la modification proposée pour donner à la ministre quelque pouvoir que ce soit pour mettre fin à ces préoccupations — dont celles en matière de sécurité —, sauf, bien entendu, le fait que la ministre puisse tout simplement restreindre ou interdire les activités liées à l'aviation grâce à certaines dispositions de la loi et du Règlement, ce qu'elle pourra faire chaque fois qu'une activité incompatible comme des éoliennes ou des tours de communication créera des problèmes sur le plan de la sécurité.
Nous remettons en question l'allusion que fait M. Roussel dans le contexte de la modification à la loi relativement au besoin d'outils meilleurs pour remédier aux problèmes générés par les exemples qu'il a cités, nommément les parcs d'éoliennes et la croissance des conifères. La modification apportée à la loi ne vise qu'à interdire les aérodromes et non à protéger les aérodromes existants ou à en permettre de nouveaux. En fait, il y a plusieurs années, une modification à la loi avait été proposée au Parlement pour faire en sorte que le ministre puisse accéder à une propriété adjacente pour émonder les arbres qui devenaient menaçants sur le plan de la sécurité. Toutefois, cette mesure qui aurait été bénéfique pour la protection des aérodromes n'a jamais été adoptée, car le Parlement était aux prises avec d'autres problèmes — comme un vote de non-confiance qui a donné lieu à des élections —, et qu'on a dû faire table rase des projets de loi à l'étude.
Le caractère unidirectionnel et déséquilibré de la modification proposée d'interdire les aérodromes sans voir dans une même mesure à permettre d'interdire les activités incompatibles avec l'aviation dans le voisinage des aérodromes est tout simplement injuste.
La COPA n'est pas contre la consultation. En fait, nous encourageons nos membres à veiller à ce que les collectivités avoisinantes soient tenues au courant de leurs intentions afin de réduire à leur plus simple expression les peurs qu'engendre l'ignorance. Dans la majorité des cas, cette façon de faire a donné des résultats satisfaisants pour la plupart de parties concernées, mais je tiens à souligner qu'il est très rare qu'un aérodrome fasse l'unanimité. On voit la même chose lorsqu'il est question d'élargir une route ou d'en aménager une nouvelle, la nouvelle ne fait pas que des heureux. Mais, comme les nouvelles routes, la construction de nouveaux aérodromes ou l'amélioration des aérodromes existants sont essentielles au réseau canadien des transports.
Ce qui préoccupe la COPA, ce sont les détails. Qu'entend-on par consultation et quelle sera l'étendue de cette consultation? Transports Canada aura-t-il les ressources nécessaires pour composer avec le nombre potentiellement élevé de litiges qui pourrait découler de cette modification? Et, en dernier recours, la ministre se servira-t-elle de ses pouvoirs unilatéraux pour se débarrasser de problèmes à des fins politiques?
Compte tenu le nombre de fois que l'intérêt public a été évoqué par les membres du comité et malgré les déclarations faites par Transports Canada aux audiences du comité, nous soutenons que l'intérêt public est une notion qui n'a pas encore été définie, et ce vide reste le grand vecteur des préoccupations très sérieuses de la COPA. C'est la question que devait régler le groupe de réflexion mis sur pied pour examiner les modifications au Règlement, et c'est exactement ce que cette modification au Règlement élude complètement.
M. Roussel a indiqué hier que le processus présidant à l'aménagement d'aérodromes au Canada a contribué à la santé actuelle du réseau de transport aérien. Or, compte tenu de toutes ses incertitudes, la modification législative proposée menace l'avenir même de ce réseau, qu'il s'agisse des petits aérodromes utilisés pour rejoindre des endroits inaccessibles par d'autres moyens, pour former les pilotes ou pour permettre au public de se récréer, ou des grands aéroports qui répondent aux besoins des Canadiens en matière de déplacements et de transport de biens, ainsi qu'aux besoins particuliers de l'industrie aérospatiale canadienne.
Au Canada, il n'y a pas de crise attribuable à la construction anarchique d'aérodromes qui nuiraient à d'autres usages du territoire. En fait, la tendance est plutôt inverse, notamment en ce qui a trait aux grandes zones urbaines. L'aéroport Buttonville de Markham, où se trouve la plus grande école de pilotage au Canada, en est un exemple.
Nous recommandons que la modification de la loi soit renvoyée à Transports Canada pour être retravaillée, et que la démarche s'accompagne de discussions avec des représentants de toute l'industrie, et que ces discussions fassent partie intégrante du processus auquel nous nous sommes attelés il y a près d'un an.
Le vice-président : Merci, monsieur.
Madame Lubitz, vous avez la parole.
Kathy Lubitz, présidente, Ultralight Pilots Association of Canada : Merci de m'avoir invitée à prendre la parole. Je suis la présidente de l'organisme Ultralight Pilots Association of Canada. Je parle au nom des propriétaires et des pilotes de plus de 7 000 aéronefs sportifs légers et ultralégers ainsi qu'au nom des propriétaires d'aérodromes dotés de pistes gazonnées non aménagées que l'on retrouve à la grandeur du pays et qui sont surtout utilisées par ces pilotes.
Par souci de transparence, je veux que vous sachiez que ma famille possède aussi des aéronefs légers et ultralégers et que nous nous servons de la piste gazonnée de notre ferme pour décoller et atterrir. Cet aérodrome est enregistré, mais nous avons attendu 10 ans avant de le faire enregistrer. Avant cela, nous l'exploitions sans enregistrement.
Je suis ici parce que nous croyons que ces modifications permettront à la ministre des Transports de stopper de façon unilatérale l'expansion, le développement ou l'aménagement des aérodromes au Canada, et parce que nous estimons que cela n'est pas une bonne chose.
Nous voyons aussi d'un mauvais œil que les nouveaux pouvoirs de la ministre ne soient pas assortis de la capacité ou de l'obligation d'intervenir en faveur des aérodromes existants où la sécurité est compromise par l'édification de structures en périphérie de ces sites, et notamment d'éoliennes, comme l'entend la Loi sur l'énergie verte de l'Ontario.
C'est une question trop importante pour que ces dispositions soient mises en œuvre avec les formulations ambigües de leur forme actuelle sans qu'il n'y ait eu un effort légitime de consultation publique et sans que lesdites dispositions ne soient soumises à l'examen des intervenants qui connaissent les tenants et aboutissants de la question.
Les conséquences négatives que ces dispositions engendreront seront énormes pour le réseau des aéroports et des aérodromes, petits et grands, qui dessert le pays. Il est dans l'intérêt public, dans l'intérêt public national, d'avoir un réseau d'aérodromes à la grandeur du Canada, et c'est la responsabilité de la ministre de protéger ce réseau.
Il convient néanmoins de souligner que, contrairement aux chemins de fer et aux pipelines qui relèvent de l'administration fédérale, le réseau des aérodromes ne se voit pas depuis le sol. Les opposants au développement des aérodromes ne tiennent compte que de l'empreinte terrestre du réseau. Ils n'en saisissent pas toute son ampleur ou préfèrent ne pas la voir.
Par ailleurs, il ne faut pas oublier que tout cela a aussi à voir avec la santé de l'aviation générale et avec la sécurité des lignes aériennes et des opérations des transporteurs aériens.
En effet, l'expérience qu'acquièrent les pilotes d'aviation générale lorsqu'ils apprennent à piloter et la vastitude des antécédents des pilotes de ligne a beaucoup à voir avec la sécurité des opérations des transporteurs aériens. Par exemple, le capitaine Gimli Glider, qui a réussi à faire atterrir cet avion d'Air Canada touché par une panne sèche, était un pilote de planeur.
Les deux pilotes qui ont miraculeusement sauvé la mise lors de l'incident qui est survenu à Hudson étaient aussi des pilotes d'aéronefs légers. Dans les pays où l'aviation générale n'existe pas ou si peu, comme en Corée, la chose a aussi son importance — je parle ici de l'accident de la Korean Air, à San Francisco, où les pilotes ont dû faire une approche à vue. Ils n'avaient plus d'instruments pour les guider, mais ils ont quand même réussi à poser l'avion. Il y a un lien. C'est un cas rare, j'en conviens, mais il y a quand même un lien.
Cette modification de la loi ne fixe aucun frein ni contrepoids. Elle donne à la ministre le pouvoir d'interdire tel ou tel aérodrome en fonction d'une opinion. La modification ne prévoit aucun recours particulier. Qui plus est, une ordonnance de cette nature échappera aux exigences de la Loi sur les textes réglementaires. Les promoteurs d'aérodromes n'auront aucun moyen d'en appeler de cette décision. Or, la moindre des choses serait que la modification stipule un processus d'appel.
Étant donné que ces modifications sont une surprise complète pour nous et que l'on a délibérément négligé de consulter les propriétaires d'aérodromes qui, rappelons-le, seront touchés par ces changements, nous croyons que ces modifications doivent être retirées en attendant la tenue de consultations en bonne et due forme. Contrairement à ce qu'a compris le membre du Conseil des aéroports du Canada qui a pris part au même groupe de discussion que nous, nous avons compris que ces modifications vont s'appliquer à tous. En fait, je crois que c'est Mme Currie, hier, qui a affirmé que les modifications s'appliqueront à tous les aérodromes. Les aéroports sont aussi des aérodromes; le terme aérodrome désigne aussi bien la plus petite piste gazonnée que l'aéroport international Pearson.
J'ai même entendu dire, hier, que l'endroit où les drones décollent et atterrissent devient d'office un aérodrome. Je ne sais pas comment la loi va composer avec cet aspect de la question.
Nous croyons que ces dispositions sont injustes, car elles imposent les mêmes obligations de consultation aux petites pistes gazonnées privées où l'activité est irrégulière — la plupart du temps, elles ne sont pas utilisées en hiver — qu'aux aérodromes plus gros et aux aéroports où les vols diurnes et nocturnes se succèdent en grand nombre et à longueur d'année. Les aérodromes n'existent pas de manière isolée. Le public sait qu'ils existent. Ces 5 000 aérodromes qui ne sont pas enregistrés sont connus des collectivités qui les entourent. Leurs voisins connaissent leur existence et, dans la plupart des cas, ils les apprécient et les approuvent. Ils en profitent et les considèrent comme un atout pour leur collectivité.
L'approche universelle qui est proposée ne fonctionnera pas. Un avion de ligne ne peut pas décoller d'une piste gazonnée de 600 m ou y atterrir, et il lui faut un circuit de 10 à 20 km. En revanche, un petit Cessna ou un aéronef ultraléger peut se débrouiller avec une piste de 450 m et des circuits de 1 ou 2 km.
L'application de ces modifications doit être graduée, une approche sur laquelle se penche le groupe de discussion dont a parlé Mme Currie. Cependant, les travaux de ce groupe ne sont pas encore terminés, et il serait prématuré de mettre ces modifications en place sans prévoir de structure pour leur application. Nous suggérons que les modifications soient retirées jusqu'à ce que le groupe de discussion finisse ses travaux.
Par souci de clarification de certains termes, lorsque Transports Canada parle de « mobilisation », il veut tout simplement dire qu'il prête l'oreille et qu'il reçoit des commentaires; « intervenir » signifie plutôt freiner et interdire. C'est la seule intervention permise. Le ministère n'a pas le pouvoir ou l'autorité pour approuver et protéger les aérodromes. Mme Currie l'a reconnu devant le Comité des finances.
Transports Canada ne s'est pas intéressé aux détails, mais j'aimerais lui en signaler un ou deux. L'aéroport municipal d'Edmonton a été fermé parce qu'il a été encerclé par la ville en expansion. La loi ne donnait pas le pouvoir ou l'autorité au ministre d'empêcher sa fermeture.
Dans le cas de Parkland, la collectivité s'est investie et il y a eu des consultations avant l'aménagement. En fait, j'ai même entendu dire, hier, que cette démarche était utilisée comme référence pour le cadre consultatif sur lequel le ministère travaille — le fait que la ministre Raitt y ait participé. Or, l'aérodrome a été aménagé sur le troisième site proposé par le promoteur. Il y a eu des discussions avant que la ministre ne s'en mêle. Même s'il y a eu des consultations, le promoteur a été traduit en justice. La seule position que peut prendre la ministre est d'interdire. En l'absence d'enjeux de taille en matière de sécurité ou sur le plan de l'intérêt public, la ministre reste coite.
En ce qui concerne l'équité, rappelons que les promoteurs d'aérodrome peuvent se buter à des interdictions alors que ce n'est pas le cas pour les autres activités qui se déroulent dans le voisinage des aérodromes.
La modification proposée n'a aucun paramètre en ce qui concerne l'intérêt public. Cet état de fait ouvre la porte à la possibilité d'une mauvaise utilisation motivée par des raisons politiques, comme cela s'est vu avec l'annulation de la construction de la centrale au gaz de Mississauga par un gouvernement libéral soucieux de conserver sa circonscription.
Je ne vais pas m'étendre à mon tour sur l'absence de consultation, car les deux autres témoins l'ont déjà fait. Je souhaite néanmoins vous faire part de la portée du mandat du groupe de discussion, au sein duquel je représente l'Ultralight Pilots Association of Canada. Lors de la réunion du 16 juin dernier, il a été établi que [Traduction] « Le mandat du groupe de discussion consiste à discuter des exigences réglementaires proposées aux fins de consultation. Le groupe ne discutera pas en détail des autres questions de réglementation touchant au développement et à l'exploitation des aérodromes ». Nous ne connaissions pas ces modifications avant qu'elles n'apparaissent dans la loi sur l'exécution du budget.
Le coût du transport n'est pas insignifiant. Mme Currie a affirmé que l'obligation de consulter fera économiser les promoteurs d'aérodromes, mais celui de Parkland a quand même dû aller en cour. Ce qu'il en coûte aux promoteurs pour émettre un avis, régler les problèmes, répondre aux exigences de Transports Canada s'ils décident d'aller de l'avant et produire les études qui peuvent être demandées n'est pas à négliger lui non plus.
En résumé, disons que nous sommes perplexes en ce qui concerne la façon dont la modification a été élaborée, c'est-à-dire sans consultation. Nous sommes préoccupés de l'étendue que pourraient prendre les pouvoirs de la ministre et de la partialité d'imposer des obligations de consultation ou d'interdire des aérodromes, alors que la Loi sur l'aéronautique ne renferme aucune obligation de consultation ou aucune interdiction semblable en ce qui concerne l'utilisation des terrains entourant la majorité des aérodromes au Canada.
Nous sommes aussi préoccupés par le fait que cette question soit traitée dans la loi d'exécution du budget plutôt que dans une autre loi mieux appropriée. C'est pour ces raisons que nous demandons que les articles 143 et 144 de la section 2 du projet de loi C-43 soient supprimés jusqu'à ce que l'industrie de l'aviation ait été consultée.
Le vice-président : Merci. Vous qui vous disiez très nerveuse, sachez que vous avez plaidé votre cause avec grande éloquence.
La sénatrice Merchant : Je remercie nos deux témoins de leurs exposés. Vous avez tous les deux été très clairs. J'estime que vos préoccupations sont légitimes et qu'elles méritent d'être entendues. Malheureusement, comme vous l'avez fait remarquer, ces modifications sont enfouies dans un projet de loi où elles n'ont pas leur place. Nous nous sommes opposés au fait que ces projets de loi omnibus sont utilisés pour faire passer toutes sortes de choses, et que cette formule laisse bien peu de temps au public de les analyser en profondeur et de les commenter, et aux élus de prendre ces commentaires en considération. Je ne suis donc pas surprise de vous entendre dire qu'il n'y a pas eu beaucoup de consultation avant que ces modifications soient incluses dans le projet de loi.
Je n'ai pas de question particulière à vous poser, car je pense que toutes les questions nécessaires ont déjà été posées hier et aujourd'hui, des questions du reste très semblables à celles que vous avez soulevées. Je présume que le comité va se pencher sur la question et trouver une marche à suivre. Je n'ai pas de question particulière à vous poser, car je crois que vos présentations étaient très claires.
[Français]
Le sénateur Maltais : Merci, madame Lubitz. À titre personnel, j'aimerais savoir si ces petits avions dont vous représentez les groupes — les ultra-légers, comme on les appelle chez nous — proviennent d'un aéroport privé, d'un aéroport gouvernemental ou municipal. On les perçoit dans le ciel, mais d'où viennent-ils? Je viens du Nord du Québec, et on en voit beaucoup au-dessus du fleuve Saint-Laurent. Cependant, ils ne semblent pas provenir d'un aéroport en particulier. Ces avions n'ont pas besoin d'une grande piste pour décoller ou atterrir. Comment cela fonctionne-t-il dans votre région?
[Traduction]
Mme Lubitz : Tout d'abord, sachez que je vis dans le sud de l'Ontario, sur la route 401, à environ 16 km de Kitchener-Waterloo. Je sais néanmoins que d'autres vivent dans des régions très isolées.
Plus les avions sont petits, moins ils ont besoin de terrain pour fonctionner de façon sécuritaire. Or, règle générale, ces avions restent à l'écart des aérodromes gouvernementaux à cause de la mixité des vitesses. Ce serait comme une voiture qui roule trop lentement dans la voie rapide et qui force tout le monde à la contourner.
Les aéroports doivent accepter des avions qui fonctionnent à différentes vitesses, et ils doivent veiller à ce qu'ils n'entrent pas en conflit les uns avec les autres. Or, pour éviter cela, les avions les plus petits se tiennent à l'écart des aéroports et optent pour des pistes d'atterrissage plus modestes, des champs, des fleuves ou des lacs.
[Français]
Le sénateur Maltais : Pouvez-vous me faire un bref portrait des utilisateurs d'ultralégers, chez vous?
[Traduction]
Mme Lubitz : Dans ma région, la plupart des utilisateurs sont des hommes d'affaires et des personnes plus âgées. On ne voit pas de jeunes. Ce sont des adultes matures qui ont certains moyens et le temps de s'adonner à leur passe-temps, ou ce sont des hommes d'affaires qui se servent de leur avion pour se rendre dans les différentes villes où ils ont des bureaux. C'est donc une question de temps et d'argent.
[Français]
La sénatrice Verner : Ma question s'adresse à M. Psutka. Avant d'aborder la question du projet de loi C-43, à la page 4 de votre mémoire, vous manifestez des inquiétudes à l'égard de Transports Canada quant à son action pour mieux contrôler certaines activités menées à proximité des aérodromes et qui compromettent la sécurité aérienne. Vous avez mentionné un certain type de développements d'infrastructures, entre autres, qui peuvent compromettre la sécurité. La question a été abordée hier; est-ce qu'il s'agit aussi du nombre croissant de drones que certains particuliers utilisent maintenant et qui deviennent de plus en plus une préoccupation dans l'industrie, tant au Canada que partout dans le monde, d'ailleurs?
[Traduction]
M. Psutka : Dans le mémoire, la référence a trait à l'édification d'obstacles autour des aérodromes, au développement d'activités incompatibles dans le voisinage des aérodromes et au fait que la ministre n'ait aucun pouvoir de les empêcher, sauf pour les 150 aérodromes du pays où s'applique le règlement de zonage aéroportuaire.
D'après le témoignage que j'ai entendu hier au sujet des drones, les intervenants de l'industrie — et j'entends par là aussi bien l'industrie de l'aviation que les utilisateurs de drones — se disent très préoccupés par l'utilisation inappropriée de ces dispositifs. On s'efforce beaucoup d'élaborer des règlements, mais sachez aussi que tout récemment, à peine la semaine dernière, Transports Canada a décidé, en consultation avec l'industrie, de trouver une façon de s'assurer que ces drones sont utilisés de la façon la plus sécuritaire possible. À vrai dire, il s'agit de faire passer le message au segment de la population qui se rend à RadioShack, ou peu importe, pour acheter un de ces engins et pour se mettre ensuite à les faire voler. C'est une question de sensibilisation.
Nous sommes particulièrement inquiets, car dans les environs des petits aérodromes canadiens, surtout ceux qui ne sont pas enregistrés, les gens qui utilisent des drones risquent de ne même pas être au courant de la présence d'un aérodrome; ainsi, il pourrait y avoir des conflits entre les avions et ces petits engins, ce qui pourrait facilement causer l'écrasement d'un avion. Cette éventualité nous inquiète, mais je pense que l'industrie collabore étroitement avec Transports Canada pour assurer une sensibilisation.
[Français]
La sénatrice Verner : Ceci dit, pour revenir au projet de loi C-43, on a abordé la question de l'intérêt public; j'ai moi-même posé la question à M. Roussel, hier. Il a défini l'intérêt public en trois éléments, soit les éléments sociaux et les effets sur les résidents locaux; les impacts environnementaux, positifs et négatifs; et les impacts économiques reliés aux services aéroportuaires dans leur ensemble. Il a dit ceci, et je cite :
C'est l'ensemble des éléments qui appelle la décision, ainsi, chaque cas sera un cas d'espèce, mais il faudra également voir de quelle manière on fait participer les provinces et les municipalités lors de ces discussions.
C'est une définition relativement générale, mais, tout de même, elle semble s'apparenter à l'intervention de la ministre Lisa Raitt dans le dossier de l'aéroport de Parkland County.
Pourriez-vous nous en dire davantage à ce sujet? Quelle est votre opinion à ce sujet? Est-il acceptable que le gouvernement fédéral puisse définir l'équilibre entre la promotion de l'aviation civile et les besoins des communautés locales? Comment réagissez-vous à cette définition de l'intérêt public?
[Traduction]
M. Psutka : J'ai écouté très attentivement M. Roussel lorsqu'il a défini ces trois éléments. En fait, il a parlé des facteurs sociaux, dont les effets sur les résidants locaux — c'est l'expression qu'il a utilisée —, ainsi que des impacts environnementaux et des impacts économiques liés aux services aéroportuaires dans leur ensemble. C'est ce qu'il a dit.
En reliant les facteurs sociaux aux effets sur la population locale, il a laissé entendre que les aspects sociaux concernent les gens qui vivent à proximité de l'aéroport, plutôt que les aéroports eux-mêmes, et c'est là que réside le danger.
Même si je suis d'avis que l'intérêt public devrait tenir compte des intérêts de l'ensemble de la population, y compris de ceux qui se servent des avions comme moyen de transport ou comme loisir, il a été démontré à maintes reprises, surtout dans les cas où le gouvernement fédéral n'est pas intervenu, que l'intérêt public n'a généralement rien à voir avec l'intérêt public de l'industrie de l'aviation; autrement dit, c'est la majorité qui l'emporte, ou peu importe l'expression qu'on emploie.
Ce qui nous préoccupe au plus haut point, c'est l'éventualité qu'au moment d'examiner ces éléments, on soit porté à tenir compte des gens à proximité de l'aérodrome, au lieu des gens qui se trouvent sur le terrain ou qui utilisent l'aérodrome.
En ce qui concerne la modification dont il est question, la proposition actuelle accorde à la ministre le pouvoir unilatéral d'interdire la création d'un aérodrome non seulement si l'aérodrome nuit à la sécurité, mais aussi s'il n'est pas dans l'intérêt public. Il n'y a aucune politique qui autorise la ministre à déterminer si l'intérêt public englobe réellement les intérêts de l'industrie de l'aviation. La seule mesure en vigueur pour l'instant, c'est la Politique nationale des aéroports de 1994, comme je l'ai expliqué dans le mémoire que je vous ai remis. En vertu de cette politique, il est très clair que le sort des aérodromes au Canada est laissé entre les mains des collectivités locales, à l'exception des 26 grands aéroports que représente M. Gooch.
Nous déplorons le manque de politiques, sachant que la ministre peut décider de façon unilatérale que l'intérêt public ne comprend pas l'intérêt de l'industrie de l'aviation.
Ai-je répondu à votre question?
[Français]
La sénatrice Verner : Oui, merci beaucoup.
J'aurais une dernière question; je suis une sénatrice du Québec et j'habite dans la grande région de Québec. Vous aurez probablement entendu parler de l'aéroport de Neuville, qui a fait l'objet de grandes contestations en même temps que celui de Parkland County, en Alberta.
Si c'était à refaire, qu'est-ce que les promoteurs du projet de Neuville devraient faire? Est-ce que le processus de consultation dont il est question serait une mesure qui pourrait améliorer la compréhension? Si je reviens un peu à votre mémoire, vous préconisez le fait d'informer les gens qui habitent les environs. Informer, ce n'est pas tout à fait consulter. Par contre, vous expliquez bien que, de votre point de vue, chaque fois qu'un projet d'aérodrome surgit quelque part, il y a toujours une contestation qui se manifeste.
Pour revenir au projet de Neuville, qu'est-ce qui n'a pas été fait ou qui aurait dû être fait pour améliorer la situation?
[Traduction]
M. Psutka : À ma connaissance, tout s'est passé en bonne et due forme à Neuville. Les gens qui ont acheté la propriété ont pris toutes les mesures possibles pour se procurer ce bout de terrain; ils ont entre autres conclu des accords avec la municipalité pour pouvoir y construire l'aérodrome.
Ils n'étaient pas obligés de le faire selon les pratiques d'affaires actuellement en vigueur au pays. Ils n'étaient pas obligés d'obtenir cette permission. Le site se trouvait à l'extérieur de la zone bâtie d'une ville ou d'un village; les promoteurs avaient donc le droit de créer cet aérodrome là-bas. En fait, ils sont allés beaucoup plus loin avant de sélectionner cette propriété, car ils ont notamment conclu un accord avec la municipalité.
Quand ils ont commencé la construction de cet aérodrome, une personne qui vivait à l'extrémité de la piste d'atterrissage de l'aéroport a décidé de placer un poteau sur sa propriété, ce qui a créé un grave problème de sécurité. Les promoteurs ont dû s'adresser aux tribunaux pour faire enlever le poteau, mais Transports Canada n'est pas intervenu.
En somme, pour répondre à votre question, je dirais que les promoteurs ont fait tout ce qu'ils étaient censés faire. Si on devait adopter ce nouveau processus tel que proposé par la ministre dans le cadre du projet de loi, j'ignore si le résultat serait différent. Je peux sans doute affirmer que, tôt ou tard, on ferait face à un énorme différend et que la ministre aurait alors à trancher ce qui est dans l'intérêt public.
Étant donné le manque actuel de politiques, je ne peux que formuler des hypothèses sur la décision que la ministre pourrait prendre relativement à l'aérodrome de Neuville. Si on ne devait pas le construire là-bas, alors où le ferait-on? Où pourrait-on aménager un aéroport de délestage pour l'aéroport Jean-Lesage, dont les gens ont si désespérément besoin dans la région de Québec?
La sénatrice Unger : Ma question s'adresse à M. Psutka. Je me demande si vous pourriez nous expliquer brièvement en quoi la situation de l'aéroport de Neuville se diffère de celle de l'aéroport de Parkland. J'habite à Edmonton, et je me souviens beaucoup de ce cas. Pourriez-vous mettre en contraste ces deux endroits, ces deux questions?
M. Psutka : J'ignore comment je pourrais les mettre en contraste. Ces deux aéroports ont fait face à la même situation. Dans les deux cas, les promoteurs visaient à régler un problème et à répondre à un marché des services à proximité de deux grandes villes. La seule différence, c'est qu'à Edmonton, les gens devaient composer avec la fermeture de l'aéroport du centre-ville d'Edmonton, qui était là depuis une éternité et qui représentait une capacité très importante en matière de transport et de formation au pilotage.
Tout comme les promoteurs de Neuville, ceux d'Edmonton ont fait de leur mieux pour trouver un terrain qui répondait à leurs besoins, sans porter atteinte, dans la mesure du possible, aux autres secteurs. Ils ont donc acheté la propriété, puis ils ont entrepris l'aménagement d'un aéroport sur les lieux.
La seule chose qu'ils n'ont pas faite, contrairement aux gens de Neuville, c'est de conclure un accord avec la municipalité. Je ne sais pas pourquoi ils ne l'ont pas fait, mais je précise une fois de plus qu'ils ne sont pas tenus de le faire.
Dans le nouveau régime, si cette exigence de consultation était adoptée, les promoteurs seraient tenus de mener une telle consultation. D'ailleurs, je crois comprendre qu'ils ont parlé aux représentants municipaux, mais là encore, ce sont les détails qui posent problème. Est-ce qu'une consultation signifie qu'il faut obtenir l'approbation de la municipalité avant de construire l'aérodrome? Si c'est le cas, je soutiens que nous assisterons alors à une détérioration considérable de l'industrie de l'aviation au Canada, parce que comme je l'ai signalé dans mon mémoire et dans mon exposé d'aujourd'hui, rares sont les cas où l'aménagement d'un aérodrome ne suscite aucune opposition. Puisque les gens connaissent si peu la valeur des aérodromes, des services qu'ils permettent de fournir à tout le monde, non seulement du point de vue des pilotes, mais aussi de celui des collectivités qui les utilisent — par exemple, sur le plan des évacuations sanitaires, des services de lutte contre l'incendie, des services policiers, et cetera —, il est facile d'en arriver à la conclusion qu'un aérodrome n'est pas le bienvenu dans les parages. Allez, ouste, qu'on le construise ailleurs.
La sénatrice Unger : Merci de cette explication. Je viens d'Edmonton, alors je connais très bien le cas de l'aéroport municipal d'Edmonton. J'étais là, à battre le pavé afin de recueillir des signatures en faveur du maintien de cet aéroport. C'était la porte d'entrée vers le Nord, le lieu des services d'évacuation sanitaire — bref, il y avait de nombreuses raisons pour garder cet aéroport ouvert. Malheureusement, les politiciens municipaux n'étaient pas d'accord avec les plus de 12 000 signataires, je crois, que nous avons réussi à mobiliser.
Dans votre exposé, vous avez dit qu'en l'absence du pouvoir équivalent d'interdire des utilisations incompatibles du sol à proximité d'un aérodrome, c'est tout simplement inéquitable et ce n'est pas dans l'intérêt du public. Pensez-vous qu'un tel pouvoir devrait faire partie intégrante du projet de loi?
M. Psutka : Absolument. Comme je l'ai souligné, nous avons été tout à fait estomaqués par ce qui s'est passé, et ce, pour plusieurs raisons. L'absence de consultation est une chose, mais le caractère unilatéral de la décision en est une autre. Si la ministre en venait à solliciter des pouvoirs lui permettant d'établir un équilibre entre les questions soulevées par les deux parties — tant par les partisans de l'aéroport que par ses détracteurs —, nous ne serions pas aussi estomaqués que nous le sommes maintenant.
À mon avis, si une telle disposition faisait partie intégrante du projet de loi, nous serions certainement beaucoup plus avancés dans ce dossier.
La sénatrice Unger : J'ai une question pour Mme Lubitz. Dans votre exposé, vous avez dit qu'au lieu de favoriser un esprit de collaboration et de consensus, les nouveaux pouvoirs accordés à la ministre provoqueront des conflits et de la confusion là où les intérêts publics divergent.
Pouvez-vous me donner un exemple? J'ai vu tant de problèmes liés aux aéroports. L'aéroport municipal est un cas classique, puis il y a eu l'aéroport de Parkland. Je me demande si vous pourriez m'expliquer cela.
Mme Lubitz : Je suppose qu'au départ, si on donne aux gens le droit de se plaindre, c'est ce qu'ils feront. Donc, au lieu de favoriser un esprit de collaboration et d'acceptation, le processus de plainte donnera aux gens qui s'opposent à la création d'un aérodrome l'idée qu'ils peuvent mettre fin au projet, plutôt que de collaborer avec le propriétaire-exploitant de l'aérodrome.
C'est dans la nature humaine. Qu'est-ce qu'on peut faire? Au lieu de songer à collaborer, car après tout, il faut bien vivre ensemble, on peut se dire : « Eh bien, je vais empêcher le projet de se réaliser. »
La sénatrice Unger : Dans un autre ordre d'idées, j'ai observé avec intérêt l'installation d'énormes éoliennes dans bien des régions en Ontario. Je serais très mécontente si on devait en construire une à 400 pieds de ma ferme familiale, malgré les protestations, aussi nombreuses soient-elles.
Je suppose que les gens tirent des leçons en voyant d'autres exemples, et vous conviendrez sans doute que personne ne souhaite avoir un aérodrome dans son quartier. Bref, pour revenir au cas que j'ai évoqué, l'aéroport municipal d'Edmonton était là depuis 100 ans et la ville a été bâtie tout autour, mais malheureusement, on a dû le fermer.
Merci, à tous les deux, pour vos observations.
Le vice-président : Madame Lubitz et monsieur Psutka, nous vous remercions d'avoir été des nôtres et de nous avoir fait part de vos points de vue.
Mardi, nous recevrons des représentants de la Rural Burlington Greenbelt Coalition, et nous commencerons l'étude du projet de loi C-3. Le sénateur Dawson reprendra le fauteuil la semaine prochaine.
Chers collègues, avec votre permission, j'aimerais maintenant poursuivre la séance à huis clos afin que nous discutions de l'ébauche de programme. La séance est levée.
(La séance se poursuit à huis clos.)