Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Transports et des communications
Fascicule 14 - Témoignages du 25 février 2015
OTTAWA, le mercredi 25 février 2015
Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui, à 18 h 45, dans le cadre de son étude sur les défis que doit relever la Société Radio-Canada en matière d'évolution du milieu de la radiodiffusion et des communications.
Le sénateur Donald Neil Plett (vice-président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le vice-président : Honorables sénateurs, bienvenue à la séance du Comité sénatorial permanent des transports et des communications.
Nous continuons notre étude sur les défis que doit relever la Société Radio-Canada en matière d'évolution du milieu de la radiodiffusion et des communications. Nos témoins d'aujourd'hui représentent la Fédération culturelle canadienne-française. Bienvenue.
La FCCF existe depuis 1977 et a été fondée dans ma ville, Winnipeg, au Manitoba. Elle a la mission de promouvoir l'expression artistique des communautés francophones et acadiennes et d'agir en tant que porte-parole des arts et de l'industrie culturelle francophone. Nous accueillons le président de l'organisme, M. Martin Théberge; ainsi que la directrice générale adjointe, Mme Carol Ann Pilon. Je vous remercie de votre présence. Veuillez commencer votre exposé. Les sénateurs vous poseront des questions par la suite.
[Français]
Martin Théberge, président, Fédération culturelle canadienne-française : Messieurs les sénateurs, madame la sénatrice, je tiens à remercier le Comité sénatorial permanent des transports et des communications de nous avoir invités à comparaître dans le cadre de cette étude.
Pour commencer, j'aimerais rappeler que la Fédération culturelle canadienne-française, la FCCF, réunit 7 regroupements artistiques nationaux ainsi que 13 organismes œuvrant au développement culturel et artistique dans 11 provinces et territoires au Canada. Nous avons aussi, au sein de notre fédération, un regroupement de réseaux de diffusion ainsi qu'une association de radios communautaires.
À ce titre, l'organisme est le porte-parole du secteur entier des arts, de la culture et des industries culturelles de la francophonie canadienne. La FCCF est membre de la Coalition canadienne des arts, de la Coalition pour la diversité culturelle et de la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada.
Les compressions annoncées en avril et en juin 2014, ainsi que l'annonce du nouveau plan stratégique de 2015-2020 de la Société Radio-Canada en juin dernier, qui prévoit l'abolition de plus de 2 000 emplois et des compressions évaluées à plus de 200 millions de dollars, nous font craindre le pire pour l'avenir de notre diffuseur public.
À nos yeux, et en vertu du paragraphe 3(1) de la Loi sur la radiodiffusion, il est impensable que la SRC devienne un simple rediffuseur de contenu qui fera concurrence à d'autres entreprises médiatiques par l'intermédiaire de multiples plateformes, en misant principalement sur le développement numérique, tel qu'il est présenté dans le nouveau plan stratégique de la société.
Comme vous le savez, si on se réfère à cet article, et je cite :
l) la Société Radio-Canada, à titre de radiodiffuseur public national, devrait offrir des services de radio et de télévision qui comportent une très large programmation qui renseigne, éclaire et divertit;
m) la programmation de la Société devrait à la fois :
(i) être principalement et typiquement canadienne,
(ii) refléter la globalité canadienne et rendre compte de la diversité régionale du pays, tant au plan national qu'au niveau régional, tout en répondant aux besoins particuliers des régions,
(iii) contribuer activement à l'expression culturelle et à l'échange des diverses formes qu'elle peut prendre,
(iv) être offerte en français et en anglais, de manière à refléter la situation et les besoins particuliers des deux collectivités de langue officielle, y compris ceux des minorités de l'une ou l'autre langue,
(v) chercher à être de qualité équivalente en français et en anglais,
(vi) contribuer au partage d'une conscience et d'une identité nationales,
(vii) être offerte partout au Canada de la manière la plus adéquate et efficace, au fur et à mesure de la disponibilité des moyens,
(viii) refléter le caractère multiculturel et multiracial du Canada.
Ainsi, à la lumière de ces énoncés, il est évident que la SRC ne peut et ne doit pas reposer uniquement sur la seule loi du marché pour mettre en œuvre son mandat. Il est impératif que lui soient donnés des moyens financiers adéquats et que des mesures concrètes soient prises pour lui permettre de continuer d'investir dans la production de contenus nationaux.
En outre, il est clair, pour nous, que la diminution sur trois ans des crédits parlementaires accordés au diffuseur public fragilise incontestablement sa situation financière et sa capacité à contribuer à la diffusion de l'identité et des valeurs canadiennes, à la construction identitaire et à la vitalité linguistique et culturelle des Canadiens, notamment dans les communautés de langue officielle en situation minoritaire.
En affaiblissant ainsi notre diffuseur public, le gouvernement l'empêche de mener à bien sa mission, ce qui a pour conséquences directes un affaiblissement des liens entre nos collectivités, une diminution du nombre d'emplois culturels dans nos milieux, un moindre accompagnement du talent artistique et, surtout, une réduction du rayonnement des artistes et des organismes artistiques et culturels de la francophonie canadienne.
Selon nous, pour remplir pleinement sa mission, notre diffuseur public doit disposer de moyens suffisants qui ne relèvent pas uniquement des cotes d'écoute et des revenus publicitaires. En effet, puisque le CRTC croit qu'il est raisonnable que la Société Radio-Canada adhère à une exigence de diffusion de contenu canadien aux heures de grande écoute qui soit plus restrictive que celle imposée aux stations de télévision privée, cette exigence doit être prise en considération par le gouvernement.
Notre pays a besoin d'un diffuseur public fort qui fait des choix de programmation en fonction de sa mission plutôt que de sa rentabilité. Il est important que la Société Radio-Canada reste un véritable diffuseur public et qu'il se distingue clairement d'une entreprise commerciale par la qualité et la diversité des informations qu'il diffuse et par l'offre d'une programmation haut de gamme et variée. À ce sujet, il est intéressant de noter que, selon Numeris BBM, notre diffuseur public a des cotes d'écoute comparables à celles de ses compétiteurs, et ce, alors qu'il diffuse un contenu canadien dans des proportions bien plus grandes. Fait encore plus révélateur, la portée de CBC/Radio-Canada est évaluée à 87 p. 100.
La FCCF s'interroge également sur la réelle capacité de la SRC à continuer à produire et à générer du contenu original dans lequel tous les francophones se retrouvent et se reconnaissent au moyen d'un environnement multi-écrans. Bien que nous soyons tentés d'applaudir la Société Radio-Canada de se diriger dans cette direction afin de se rapprocher de nouvelles clientèles, nous demeurons grandement préoccupés. Est-il réaliste de croire que le virage numérique soit le moyen le plus adapté pour rejoindre des collectivités éloignées qui ne disposent pas d'un accès Internet haut débit, ou encore, des citoyens de ces collectivités qui ont de faibles revenus, qui sont vieillissants ou analphabètes? Nous sommes en droit de nous demander si cette orientation, prise au nom de la modernité et de l'accessibilité, tient vraiment compte des collectivités à desservir.
De plus, nous savons que le CRTC définit la programmation locale comme une programmation produite par des stations locales qui disposent d'un personnel local, ou une programmation créée par des producteurs indépendants locaux et qui reflète les besoins et les intérêts de la population d'un marché. La réduction du nombre d'employés et de l'effectif sur le terrain de Radio-Canada affaiblit considérablement toute possibilité de créer de réels partenariats avec les communautés en situation minoritaire, ce qui entraînera inévitablement une diminution de leur visibilité et, par conséquent, de leur reconnaissance à l'échelle nationale. À titre d'exemple, le Gala de la chanson de Caraquet, qui était, par le passé diffusé, en direct, est maintenant enregistré et rediffusé en version condensée seulement.
En outre, bien que l'annonce faite le 29 janvier dernier par le CRTC au sujet du réexamen des sources de financement de la programmation locale soit plutôt une bonne nouvelle, nous restons tout de même préoccupés. Les délais nécessaires à cette étude risquent de nous faire perdre des acquis déjà très fragilisés. L'élimination du Fonds d'amélioration de la programmation locale (FAPL) a déjà contribué à réduire considérablement le financement annuel de la SRC.
Aujourd'hui, on observe, dans certaines régions desservies par la SRC, une réduction de la durée des bulletins d'information locale et une diminution importante des ressources consacrées à la couverture des activités culturelles.
Dans le contexte actuel, basé sur une cohabitation des médias traditionnels et numériques, une multiplication des plateformes, une érosion des revenus des médias traditionnels, qui peu à peu prennent le virage numérique, la SRC, par manque de budget, se voit obligée de réduire également ses productions à l'interne. Les coûts de production étant trop élevés et les crédits d'impôt moins avantageux, elle devra donc acheter du contenu de divertissement ou acquis par licence auprès de créateurs canadiens indépendants. Ce point a d'ailleurs été traité dans le cadre de la nouvelle planification de 2015-2020.
À ce stade, la FCCF enjoint la SRC à établir un équilibre entre les créateurs et les producteurs de la francophonie canadienne et ceux du Québec lorsqu'elle effectuera ses achats de contenus francophones en respectant cet équilibre. La SRC profitera peut-être d'une perception moins québéco-centriste ou montréalo-centriste, un fait qui a été souligné par des collègues lors de la présentation précédente devant ce même comité.
En conclusion, il est impératif, à notre avis, pour la vitalité culturelle du Canada, que notre diffuseur public redevienne fort et puisse continuer à favoriser l'accès à la culture canadienne partout au pays, et ce, dans les deux langues officielles. Il est grand temps que le gouvernement prenne des mesures concrètes pour investir dans la production de contenus locaux et nationaux s'il veut que notre industrie culturelle et créative reste compétitive devant l'offre mondiale et joue pleinement son rôle de ciment social entre tous les Canadiens.
Je vous remercie de votre attention.
[Traduction]
Le vice-président : Madame Pilon, voulez-vous ajouter quelque chose?
Carol Ann Pilon, directrice générale adjointe, Fédération culturelle canadienne-française : Non.
Le sénateur Eggleton : Je vous remercie de votre exposé. Vous avez couvert un grand nombre de points importants que notre comité examine. Vous avez parlé en particulier des compressions et des effets dommageables qu'elles ont, à votre avis, sur le système de radiodiffusion publique du pays. J'aimerais en savoir plus sur les communautés francophones hors Québec. Lorsqu'on parle de Radio-Canada, on entend souvent parler de ce qui se passe au Québec, et je pense que vers la fin de votre exposé, vous avez souligné qu'on dit que la programmation est centrée sur le Québec et sur Montréal. Puisqu'il s'agit de la plus grande part de votre marché, c'est un peu compréhensible. Je me demande également quelles sont les répercussions sur le marché ailleurs au pays, qu'il s'agisse du Nord de l'Ontario, du Manitoba ou du Nouveau-Brunswick. Dans les Maritimes, il y a les Acadiens, et un peu partout au pays il y a des populations francophones.
Puisque vous avez fait beaucoup référence à la programmation locale, quelle est la proportion de la programmation locale, pour ce qui est de la diffusion en langue française ailleurs au pays, par rapport au contenu et aux bulletins de nouvelles québécocentristes ou montréalocentristes? De plus, quels effets les compressions dont vous avez parlé ont eus sur la diffusion dans d'autres régions?
M. Théberge : Je vous remercie de la question.
Le sénateur Eggleton : Vous pouvez me répondre en français.
[Français]
M. Théberge : Il y a plusieurs parties à votre question. Je vais tenter tant bien que mal d'y répondre. Premièrement, vous m'avez demandé de parler de la communauté à l'extérieur du Québec. Je répondrai le plus succinctement possible. Le Canada, on l'entend souvent dire, s'étend d'un océan à l'autre. À mon avis, cela est vrai, autant en français qu'en anglais. J'arrive de Charlottetown où j'ai assisté à une réunion du conseil de direction de la fédération. J'y étais avec un collègue du Yukon et un collègue de la Colombie-Britannique, et j'y représentais, d'une manière, l'Acadie. Il y avait des représentants des industries culturelles et une collègue de l'Ontario. Affirmer que c'est plus fort dans une région que dans une autre serait mentir. C'est le Canada dans son ensemble que l'on regarde. Rappelons-nous que, en ce qui concerne plusieurs petites collectivités, la Société Radio-Canada est la seule qui diffuse en français. Donc, si supprime la programmation francophone, ou qu'on diminue ou supprime la Société Radio-Canada, on enlève, à ce moment-là, 100 p. 100 des options. On diminue une grille horaire, et les enjeux sont majeurs.
Quant à l'autre partie de votre question par rapport à la programmation, je ne dispose pas de statistiques. Cependant, rappelons-nous que la Société Radio-Canada a aussi comme mission de parler des Canadiens aux Canadiens. Cela ne signifie pas parler des Montréalais aux gens de Saint-Boniface. Cela ne signifie pas parler de la crise dont on entend beaucoup parler en Gaspésie, par rapport au développement et à l'économie locale. C'est bien en Gaspésie, c'est bien pour les Québécois. À titre de connaissances générales, il est important que je le sache, moi qui suis situé à Halifax. La difficulté, c'est de parler des gens de Halifax aux gens de Saint-Boniface, et de parler des gens de Whitehorse aux Montréalais. Ce n'est pas une question de pourcentage. On doit regarder le tout de façon globale, soit de parler de tous les Canadiens à tous les Canadiens.
Vous nous avez demandé ce qu'il en était de la programmation. La Société Radio-Canada a affirmé qu'elle allait changer ses habitudes, qu'elle allait acheter de plus en plus. Je vous rappelle, ici, qu'il y a d'excellentes opportunités qui existent, au Québec, mais aussi dans la francophonie canadienne. Je parle des joueurs, des industries culturelles, principalement les membres de l'APFC — l'Association des producteurs francophones du Canada —, et du FRIC — le Front des réalisateurs indépendants du Canada —, qui sont tous deux membres de notre fédération, mais qui travaillent tous deux dans le secteur télévisuel, vidéo, et cetera. Il y a là un grand potentiel que Radio-Canada pourrait utiliser pour contribuer à son contenu local — et quand je dis « local », je parle du contenu canadien dans son ensemble.
Finalement, pour la dernière partie de votre question au sujet de l'effet de ces coupures, certaines de ces coupures ont été annoncées; on sait que d'autres s'en viennent, mais on ne sait pas ce que cela va donner. Déjà, les coupures sont majeures, on parle déjà de pertes d'emplois partout. Il y a des bulletins de nouvelles qui sont passés d'une heure à une demi-heure, dans certaines provinces — et je parle pour Radio-Canada, principalement. Donc, la portion des nouvelles locales, automatiquement, si on fait un prorata, va diminuer elle aussi; la portion de nouvelles culturelles va diminuer. Et d'autres coupures s'en viennent. Qu'est-ce qui viendra après? Des bulletins de 15 minutes? Des bulletins pour tout l'Ouest?
Présentement, il y a effectivement une inquiétude. Il y a un recul. Si les coupures continuent comme elles ont été annoncées, ce sera majeur, ce sera problématique. Ce sont les Canadiens qui ne sauront plus comment être canadiens, parce qu'ils n'auront plus de diffuseur public qui leur parle du Canada dans son ensemble.
Vous me demandez quels seront les effets de ces coupures. Il y a déjà eu des retombées relativement majeures. Je vais tout de même faire une parenthèse pour féliciter Radio-Canada d'avoir réussi à effectuer ces coupures — oui, cela a eu un impact négatif pour nous, mais cela aurait pu être pire, à mon avis. Malheureusement, d'autres coupures s'en viennent, et ces coupures nous font extrêmement peur.
Est-ce que j'ai répondu entièrement à votre question?
[Traduction]
Le sénateur Eggleton : Dans l'ensemble, je crois que oui. La durée des bulletins de nouvelles diminue. Si l'on réduit la durée et un certain nombre d'autres choses, je présume qu'on réduit aussi le nombre d'employés. Il n'y a plus autant de nouvelles locales. Avec quoi remplit-on le temps d'antenne supplémentaire si la durée des bulletins de nouvelles passe d'une heure à trente minutes? Qu'est-ce qui remplace cette portion des nouvelles?
[Français]
M. Théberge : Deux choses. Premièrement, on ne sait pas encore comment cette demi-heure supplémentaire sera remplie. On est dans l'exécution, dans le travail d'attribution de ces coupures. On ne sait donc pas encore ce qui va la remplacer. Ce qu'on sait, c'est que ce ne sera pas de l'information locale.
Ensuite, j'ai effectivement donné les bulletins de nouvelles en exemple. Il y a plusieurs autres exemples, et je parle ici des partenariats locaux. Dans mon allocution, je vous ai parlé, par exemple, du Festival de la chanson de Caraquet, qui était auparavant diffusé en direct. Maintenant, il est présenté en capsules; on se retrouve avec un gala de trois heures que l'on condense en une demi-heure, et on le présente soit en intégralité, un dimanche avant-midi, quand les cotes d'écoute sont moins grandes ou, encore, on le présente en capsules, ailleurs.
Il y a plusieurs autres exemples, à des niveaux locaux, où il y avait des partenariats qui existaient et qui ont été réduits ou annulés. Il est de plus en plus difficile, sur le terrain, d'effectuer de nouveaux partenariats avec Radio-Canada. Là où cela se voyait dans le passé, cela ne se voit plus maintenant.
[Traduction]
Le sénateur Eggleton : Y a-t-il des diffuseurs privés francophones ailleurs qu'au Québec?
[Français]
Mme Pilon : TVA distribue à l'échelle nationale également; elle a une distribution obligatoire. Donc, les chaînes de TVA sont aussi distribuées à l'ensemble du pays. TV5 Unis est un nouveau joueur dans le portrait; elle a également une distribution obligatoire. Par contre, il y a un enjeu important dans ces chaînes privées, c'est que pour les marchés où les câblodistributeurs ont un marché de moins de 20 000 abonnés, ils peuvent être exemptés de distribuer et d'offrir ces chaînes obligatoires. Ainsi, dans nos petites communautés, il y a un effet. L'accès, même à des chaînes qui ont une distribution obligatoire, lesquelles sont peu nombreuses dans le système de radiodiffusion du Canada, est restreint, tandis que dans le cas de Radio-Canada, elle a l'obligation d'être présente dans toutes les communautés; elle est la seule.
[Traduction]
Le sénateur Eggleton : Il y a donc des chaînes privées francophones à l'extérieur du Québec.
[Français]
Mme Pilon : Oui. En effet, une nouvelle chaîne vient tout juste d'apparaître dans le portrait, qui fait ses armes, c'est TV5 Unis.
M. Théberge : si je peux ajouter quelque chose, il est vrai que TV5 Unis est nouveau. Mme Pilon a parlé de l'enjeu des 20 000 abonnés ou moins par système. Premièrement, la grille de programmation est encore en voie d'élaboration, et deuxième, quand on parle de ces systèmes de moins de 20 000 abonnés, en Nouvelle-Écosse, par exemple, il n'y a que la région d'Halifax qui y a accès. Il y a un manque d'information important de la part des câblodistributeurs, qui ne savent pas ce qu'est la diffusion obligatoire, et qui ne l'intègrent donc pas. Il y a des membres des communautés francophones qui ont appelé leur câblodistributeur pour demander d'y avoir accès et qui se sont fait répondre qu'ils devaient payer pour l'obtenir. Il y a un manque d'information majeur.
Pour clore ce sujet, j'ajouterais que, de façon générale, oui, il peut y avoir quelques distributeurs ou quelques chaînes francophones pour les francophones hors Québec, mais si on calcule le ratio du nombre de chaînes pour les francophones hors Québec par rapport au nombre de chaînes pour les anglophones au Québec, il y a une énorme disparité, et il est clair qu'il y a encore plusieurs pas à faire pour en arriver à une situation souhaitable pour les communautés francophones en situation minoritaire.
Le sénateur Dagenais : Merci à nos deux témoins. J'aimerais tout d'abord vous dire que je ne siège habituellement pas à ce comité.
J'aurais deux questions pour vous. Je crois que Radio-Canada a reçu plus d'argent des contribuables canadiens au cours des 20 dernières années. Par contre, on a remarqué que les services offerts sur une base régionale sont continuellement en diminution. Comment pouvez-vous expliquer cela?
M. Théberge : C'est une question qui serait intéressante à poser aux gens de Radio-Canada pour connaître leur réaction. Je dirais, et c'est vrai pour plusieurs organismes à but non lucratif, que le financement n'augmente pas nécessairement, mais que les coûts de la vie augmentent, surtout lorsqu'on doit faire face, par exemple, à des syndicats. Le coût de la vie pour ces organismes augmente. C'est, à mon avis, un des enjeux. Je n'ai pas toute la réponse.
Je crois que, dans le passé, on a mentionné, entre autres, le FAPL — le Fonds pour l'amélioration de la programmation locale —, qui était très bon pour nos communautés. On ne demande pas nécessairement à ce que ce programme soit réinstauré, mais que certaines mesures de ce genre qui pourraient appuyer une programmation locale soient prises, parce qu'il faut comprendre qu'il y a des disparités et des distances plus grandes.
Certains de nos collègues des communautés francophones et acadiennes qui ont témoigné devant vous au cours des dernières semaines vous ont aussi mentionné — ce avec quoi j'aurais tendance à être d'accord — qu'une programmation ou qu'un contenu qui serait construit à partir des communautés francophones et acadiennes et à partir de nos organismes à but non lucratif va souvent coûter moins cher à produire que si elle était produite à l'interne, chez Radio-Canada. Donc, il y a là, à mon avis — et j'en reviens à mon point antérieur —, une occasion pour la francophonie canadienne qui pourrait aussi être un appui à notre diffuseur public pour pouvoir en arriver à une bonne programmation.
Le sénateur Dagenais : J'aimerais vous parler des changements technologiques.
Par exemple, l'autre jour, je regardais l'émission des Golden Globe Awards, et j'ai été surpris de voir le nombre de films qui étaient maintenant produits par Netflix. Je me suis dit que Netflix était devenu un joueur majeur. Netflix apporte un changement technologique en ce moment.
J'aimerais savoir quelles sont les répercussions sur les Canadiens qui consomment de l'information et, en général, de quelle façon les communautés francophones et acadiennes peuvent être touchées par ces changements? Parce que, maintenant, on sait qu'il y a des joueurs : il y a Netflix, il peut y avoir iTunes ou YouTube, qui entrent en compétition. De quelle façon ça peut affecter la programmation chez les communautés acadiennes?
M. Théberge : C'est un couteau à double tranchant. D'une part, c'est une occasion d'être mieux vu et connu, mais c'est aussi — pour la personne dans son salon — plus de compétition, plus de gens qui se battent pour avoir l'œil et l'oreille des auditeurs. Le CRTC est en train de faire la révision Parlons télé, et nous sommes parmi ceux qui leur ont demandé de se pencher sur la réglementation liée à Netflix et à d'autres services du même genre. On est très heureux que le CRTC ait décidé de se pencher sur la question de trouver d'autres méthodes de revenu, parce qu'on croit, effectivement, qu'il faut examiner ces options et s'interroger sur la façon de réglementer Netflix et tous les autres services.
C'est un couteau à double tranchant, et j'ai tendance à y voir un côté négatif plutôt qu'un côté positif. C'est-à-dire que, pour les producteurs locaux, il leur est très difficile de mettre leur contenu sur Netflix. Il y a là un problème. En y allant de façon plus large en termes de technologie — encore une fois, je l'ai mentionné et je le répète —, Radio-Canada veut s'orienter dans la direction des nouvelles technologies, et il y a un aspect de cette question qui est génial. Si on prend, par exemple, la deuxième population francophone d'importance à Terre-Neuve, qui se trouve à Corner Brook, et qui n'a pas accès à Radio-Canada, la technologie, comme les multi-plateformes et les tablettes, va lui donner accès à Radio-Canada et à du contenu en français. D'autres communautés — par exemple, Hay River — n'ont peut-être pas accès à la bande passante haut débit pour avoir accès à la technologie, ou à l'Internet haute vitesse qui leur permet de regarder du contenu sur une tablette ou sur Tou.tv. Si on cesse tout ce qui est ailleurs et su on mise là-dessus, on est en train d'écarter une autre communauté. Qu'arrive-t-il des gens à faible revenu qui n'ont pas de tablette, ou des analphabètes qui trouvent le site Tou.tv compliqué? On est d'accord avec ces nouvelles technologies et sur la volonté d'utilisation de ces nouvelles technologies, mais il ne faut pas qu'elles deviennent une fin en soi ou la totalité des efforts mis de l'avant.
La sénatrice Verner : Merci à vous deux pour votre présence ce soir. Monsieur Théberge, vous avez publié, le 22 janvier dernier, un plaidoyer pour le maintien d'une présence forte de Radio-Canada en région, notamment grâce à un cadre financier adéquat et suffisant. Depuis le début des audiences, nous avons eu l'occasion, assez régulièrement, d'entendre parler du financement accordé à CBC/Radio-Canada de façon générale. Mon collègue vient de vous mentionner une chose importante. On a noté une diminution des services en matière de diversité régionale au fil des années malgré tout. Or, je tirerais la conclusion rapide, ou du moins un constat rapide, de dire que le financement n'a pas réglé tous les enjeux et défis pour les communautés en situation minoritaire.
Ceci dit, nous avons accueilli également, le 7 octobre dernier, Mme Marie-Linda Lord, qui est une ancienne journaliste de Radio-Canada et maintenant vice-présidente aux affaires étudiantes et internationales à l'Université de Moncton. Elle a recommandé que la société d'État se concentre davantage sur la représentation de la diversité régionale plutôt que de multiplier les plateformes musicales traditionnelles et numériques, ainsi que les chaînes spécialisées en français et en anglais comme CBC/Radio-Canada l'a fait au cours des dernières années. Elle a même qualifié ces initiatives de gestes désespérés. Je me rappelle également qu'elle ait dit ce qui suite, et je cite : « Vous savez, je suis acadienne et, chez moi, je n'ai aucune difficulté à recevoir des nouvelles ou de l'information de ma communauté acadienne. » Elle a dit aussi : « Parfois, j'aimerais savoir ce qui se passe ailleurs au Canada également. » Alors, ce me semble s'inscrire dans l'intervention que vous faites ici, ce soir. J'aimerais entendre vos commentaires à ce sujet.
M. Théberge : Je ne reviendrai pas nécessairement sur ce qui a déjà été dit. Vous avez raison : ça va dans un sens commun. Je suis tout à fait d'accord avec le fait qu'il ne faut pas aller uniquement vers le numérique, comme je viens tout juste d'en parler. Chez Radio-Canada aussi, on doit parler d'une multiplicité. Je ne peux pas nier que l'ère d'aujourd'hui va vers le numérique et les nouvelles technologies. Mais on ne peut pas nier non plus qu'une population canadienne vieillissante n'est peut-être pas à l'ère numérique. Vous avez parlé de Marie-Linda Lord, qui est Acadienne. En Nouvelle-Écosse, 50 p. 100 des francophones sont analphabètes. Comment vont-ils réussir avec ces plateformes et technologies? Il faut regarder la diversité à l'intérieur de la communauté et offrir autant le contenu que la méthode de l'offrir en lien avec ces communautés et sa diversité.
Je l'ai mentionné dans mon allocution, et il semblerait que Mme Lord l'ait dit aussi : en Acadie, on veut entendre ce qui se passe dans l'Ouest, dans le Nord et au Québec, et non l'inverse, où on entend parler du Québec énormément et des autres provinces, un petit peu s'il y a un gros fait divers. Il y a donc un examen à faire, à mon avis, pour regarder la communauté et l'offre qui est la plus adéquate pour cette communauté, d'une part.
Encore une fois, vous avez parlé des services régionaux. Comme je l'ai expliqué au sénateur Dagenais, il faudrait vraiment poser la question à Radio-Canada. Je serais d'ailleurs intéressé à entendre la réponse. Par rapport à l'offre régionale, je vous invite à regarder — et je ne me souviens pas de la date exacte —, mais le comité sénatorial s'est déplacé à Halifax et il y a eu des interventions d'Acadiens, dont une de Marie-Claude Rioux, directrice générale de la Fédération acadienne de la Nouvelle-Écosse, qui vous a donné un exemple quasi-statistique du contenu qui est présenté en ligne et aux nouvelles. Or, c'est criant. À mon avis, cela démontre très bien l'enjeu auquel on fait face et l'enjeu auquel fait face Radio-Canada dans sa future offre de services.
[Traduction]
Le sénateur Greene : J'ai deux questions à vous poser. Tout d'abord, j'aimerais savoir qui vous représentez exactement pour que je puisse comprendre votre point de vue. Si je me fie au document que vous nous avez fourni, vous représentez 7 regroupements artistiques nationaux, ainsi que 13 organismes œuvrant au développement culturel artistique. On dit ici « 11 provinces ». Je présume que vous vouliez plutôt dire « 10 provinces »?
M. Théberge : Nous sommes également présents dans les territoires.
Le sénateur Greene : Eh bien, il y a alors une erreur.
M. Théberge : Excusez-moi. Il s'agit de « 11 provinces et territoires ». Cela n'inclut pas le Québec. Cela inclut les Territoires du Nord-Ouest, le Yukon et neuf provinces.
Le sénateur Greene : Je vois. Vos organismes ou vos membres produisent-ils du contenu? Est-ce le domaine dans lequel ils travaillent?
[Français]
M. Théberge : Certains de nos membres le font. Par exemple, le Front des réalisateurs indépendants du Canada et l'Alliance des producteurs francophones du Canada. Donc, il y a deux organismes qui travaillent effectivement dans le domaine de la production et de la réalisation de contenu.
[Traduction]
Le sénateur Greene : Où vendent-ils leur contenu? Comment le diffusent-ils? Qui l'achète?
[Français]
Mme Pilon : C'est de moins en moins à Radio-Canada. De moins en moins de licences sont émises aux producteurs indépendants du Canada.
Dans le dernier dépôt au Fonds des médias du Canada, Radio-Canada n'a financé aucun projet de la francophonie canadienne, bien qu'elle l'ait fait par le passé. C'était peut-être une année exceptionnelle. L'enveloppe de Radio-Canada va de moins en moins loin. Comme on l'a dit plus tôt, la valeur du dollar et son pouvoir d'achat diminuent, bien que le crédit parlementaire de la société diminue également.
Une autre voie, c'est la nouvelle chaîne TV5 Unis. Par le passé, TFO aussi était un partenaire important de la production indépendante franco-canadienne. Par contre, elle aussi a changé quelque peu son mandat. Elle ne fait pratiquement plus de documentaires ou de séries documentaires. Elle a vraiment changé sa programmation, ce qui affecte le milieu.
[Traduction]
Le sénateur Greene : Les chaînes privées dont vous avez parlé, comme TV5, sont liées au marché.
Mme Pilon : Les deux sont sans but lucratif.
Le sénateur Greene : Je l'ignorais.
Mme Pilon : TFO est un diffuseur public. C'est le pendant français de TVO.
Le sénateur Greene : Qu'en est-il des ventes à l'échelle internationale? Est-ce une possibilité? Bien entendu, le français est la langue officielle de bon nombre de pays.
Mme Pilon : C'est un marché qui n'est pas encore complètement développé. Je crois que c'est une question d'accessibilité à ces marchés.
Téléfilm fait la promotion de films à l'échelle internationale, mais en ce qui concerne le Fonds des médias du Canada, je ne crois pas qu'on travaille avec des producteurs indépendants pour essayer de commercialiser cela à l'étranger.
Le sénateur Greene : Que faites-vous pour vos organismes membres? Les aidez-vous sur le plan de la commercialisation ou de la promotion en général?
Mme Pilon : Notre travail est lié principalement au positionnement des organismes vis-à-vis des bailleurs de fonds. Nous accompagnons les membres.
[Français]
Nous les accompagnons dans leurs revendications et dans leur positionnement vis-à-vis des bailleurs de fonds. Ce sont plutôt des partenaires, mais on parle de Téléfilm Canada, du Fonds des médias du Canada et de l'ONF, par exemple.
[Traduction]
Le sénateur Greene : Compte tenu de l'absence de marché à Radio-Canada et au Québec, devrait-il peut-être y avoir une chaîne pour les productions acadiennes — une chaîne acadienne distincte?
Mme Pilon : Au sein de Radio-Canada?
Le sénateur Greene : À Radio-Canada ou à une chaîne indépendante.
[Français]
M. Théberge : Mon argument, tout à l'heure, voulait que les Acadiens de la Nouvelle-Écosse entendent parler des gens du Yukon et que les gens de Saint-Boniface entendent parler des gens de Moncton. Dans cette optique, si on avait une chaîne indépendante pour l'Acadie, on serait à l'envers de nos objectifs. Ma première réponse au sénateur Eggleton était que le Canada s'étend d'un océan à l'autre. Dans cette optique, l'Acadie fait autant partie de la francophonie que la francophonie fait partie de l'Acadie. À mon avis, il ne devrait pas y avoir une chaîne indépendante pour l'Acadie.
Mme Pilon : Il y a tout de même des bureaux régionaux de Radio-Canada avec lesquels les producteurs indépendants, les réalisateurs et toute la communauté de créateurs transigent et échangent. L'organisme est structuré de façon à ce que les producteurs indépendants proposent leurs projets aux bureaux régionaux de Radio-Canada, par exemple, puis les décisions sont prises à Montréal.
[Traduction]
Le sénateur Greene : Devrait-il y avoir une chaîne spécialisée consacrée de la production en langue française pour l'extérieur du Québec?
Mme Pilon : TV5 Unis est un nouveau joueur; et c'est également le rôle de Radio-Canada. On ne peut pas desservir toute une population avec un ou deux diffuseurs. Quand on pense à ce qui est offert à la population anglophone, nous avons beaucoup à faire avant de même nous rapprocher de quelque chose d'équivalent proportionnellement.
J'ai surtout parlé des diffuseurs nationaux, mais il y a un grand nombre de chaînes spécialisées avec lesquelles les producteurs travaillent, évidemment. Dans le système en place, souvent, un projet nécessite la participation de plus d'un diffuseur. Une première porte s'ouvre par un grand diffuseur, comme CBC/Radio-Canada. Par la suite, il se peut que TFO mette de l'argent dans le projet. Historia et d'autres petits joueurs appartiennent à des conglomérats. En ce qui concerne le marché international dont vous parliez plus tôt, avant qu'on puisse commercialiser un produit à l'étranger, il y a toutes sortes de restrictions à respecter en vertu des contrats que les producteurs signent avec les diffuseurs. Cela concerne les contrats de licence et la période pendant laquelle on a les droits de diffusion avant de commercialiser le produit dans un autre cadre que celui de l'accord.
Au moment où il n'y a plus d'obligations liées au produit, il se peut qu'il soit complètement dépassé et difficile à commercialiser.
[Français]
M. Théberge : Si on prévoit une chaîne pour la francophonie canadienne qui est différente de la celle de la francophonie québécoise, on est en train de dire que les Québécois sont plus canadiens ou moins canadiens que les autres Canadiens, et que les francophones hors Québec sont moins francophones que les Québécois. Je ne dis pas que c'est ce que vous me dites, mais la perception du public pourrait être telle. On vient ici détruire le tissu social canadien que la SRC est supposée appuyer et bâtir.
[Traduction]
Le sénateur MacDonald : Je crois que je vais revenir à la Nouvelle-Écosse.
Évidemment, je ne sais pas parfaitement quelles émissions en français les Néo-Écossais francophones ont l'habitude d'écouter à la radio ou à la télévision. Lorsque notre comité était dans la région, ils nous ont clairement fait part de leurs préoccupations concernant la montréalisation de Radio-Canada, ce qu'on peut comprendre. Nous, les gens du Canada anglais, trouvons que CBC est plutôt centrée sur Toronto. Je peux donc comprendre votre point de vue.
Prenons la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick, dont la situation est différente. Au Nouveau-Brunswick, il y a entre 250 000 et 300 000 francophones répartis du nord-est au sud-ouest. En Nouvelle-Écosse, c'est bien différent. Il y a deux groupes. À Halifax, 400 000 personnes forment un mélange assez éclectique : Acadiens, immigrants de France, Néo-Brunswickois, Québécois, francophones de tous les milieux. Il y a deux endroits : l'île Madame et la côte francophone. Des Néo-Écossais de vieille souche y vivent — des gens de petites collectivités rurales.
Comment joignez-vous ces gens? Dans quelle mesure sont-ils consultés? Il semble qu'ils disent toujours qu'ils ne croient pas que Radio-Canada tient bien compte de leur point de vue.
[Français]
M. Théberge : Je répondrai tout d'abord en disant que je suis ici à titre de président de la Fédération culturelle canadienne-française, mais que mon travail, au jour le jour, est celui de directeur général de la Fédération culturelle acadienne de la Nouvelle-Écosse. Je travaille avec les communautés francophones et acadiennes de la Nouvelle-Écosse, et nous sommes membres de la FCCF.
Quand vous me parlez des gens de la Nouvelle-Écosse, je les connais très bien et je travaille avec eux. Je peux vous dire qu'ils sont très bien entendus à la FCCF, sans aucun doute.
Maintenant, si on évalue qui fait quoi et qui veut quoi, il y a naturellement de la disparité. Il y a environ 1 500 Libanais qui ont utilisé le français comme langue officielle d'adoption au Canada. Ils font partie également de ce que j'appelle l'Acadie. Je m'explique : l'Acadie que l'on utilise dans le monde corporatif et associatif représente les personnes qui habitent sur le territoire de l'Acadie et qui parlent le français. Peu importe qu'ils aient la peau noire, blanche ou rose avec des pois bleus, et peu importe la façon dont ils s'habillent, quel accent ils ont ou de quelle couleur ils peignent leurs maisons. Ils font partie du même Canada dont je parle depuis le début, et eux aussi méritent d'entendre parler des gens du Yukon, tout comme les gens de Saint-Boniface devraient entendre parler d'une personne qui est Égyptienne, qui a pris le français comme langue officielle d'adoption et qui habite maintenant à Halifax. C'est cela qui fait la beauté du Canada aujourd'hui, et il est là le devoir de la Société Radio-Canada : parler de tous ces Canadiens à tous les autres Canadiens.
[Traduction]
Le sénateur MacDonald : Vous dites que vous communiquez toujours avec les communautés de la Nouvelle-Écosse. Sont-elles d'avis que les choses vont comme elles le veulent? Y a-t-il des souhaits dont elles vous font part auxquels on ne répond pas?
M. Théberge : Il est humain de toujours vouloir davantage, n'est-ce pas?
[Français]
M. Théberge : C'est une grande question philosophique à laquelle je peux donner une réponse générale. Toute personne à qui vous parlerez en Nouvelle-Écosse vous donnera une opinion semblable à la mienne. Je dis qu'on peut faire mieux. Je pourrais aller plus en détail et parler de mesures précises, mais j'illustrerai mon propos par un exemple, en vous posant la question suivante : les gens de la Nouvelle-Écosse qui écoutent la Société Radio-Canada connaissent très bien le pont Champlain, mais combien de gens à Montréal connaissent les ponts MacKay et Macdonald? Y a-t-il place pour l'amélioration? Absolument, mais cela est vrai aussi par rapport à mon travail. On peut toujours faire mieux.
[Traduction]
Le vice-président : Avant de céder la parole au sénateur Eggleton, qui posera les dernières questions, j'aimerais en poser une, si possible. J'ignore si vous le savez, mais nous sommes allés à Londres il y a quelques semaines et nous avons visité la BBC, qui a subi des compressions également. Dans votre exposé, vous avez parlé des compressions et des pertes d'emplois à Radio-Canada. Vous avez dit qu'elles vous font craindre le pire pour notre diffuseur public.
Dans le cas de la BBC, il y a eu une réduction de 20 p. 100 du budget. Nous avons posé des questions sur les cotes d'écoute. Vous en avez parlé un peu. J'admets que certains d'entre nous sont obsédés par les cotes d'écoute et croient qu'ils sont peut-être un signe de réussite ou d'échec. Lorsque nous avons discuté avec les membres de la Chambre des lords des cotes d'écoute et de ce qui s'est passé après les compressions de 20 p. 100, ils nous ont dit qu'en fait, les cotes d'écoute avaient augmenté depuis. La BBC obtient entre 35 et 40 p. 100 des cotes d'écoute, comparativement à notre diffuseur public qui, comme l'a admis son président l'autre jour, obtient 8, 8,2, 8,5. J'ai demandé à l'un des membres de la Chambre des lords à quoi il attribuait ce succès, étant donné que les cotes d'écoute ont augmenté depuis les compressions, dans le cadre desquelles 8 000 employés ont perdu leur emploi. Il a dit que leur réussite s'expliquait par la qualité de la programmation.
Voici ma question : plutôt que de penser que les compressions sont trop sévères et que ce sera la fin pour notre diffuseur public, ne convenez-vous pas qu'il pourrait adopter un plan stratégique lui permettant de faire quelque chose de semblable à ce qu'a fait la BBC? Avant que nous allions à Londres, beaucoup de témoins, dont des représentants de CBC/Radio-Canada, nous ont dit qu'il fallait faire une comparaison avec la BBC. Nous sommes allés à Londres et nous avons comparé les deux diffuseurs à notre retour, et on nous a dit qu'il ne fallait pas le faire, car cela équivaut à comparer des pommes et des oranges. Je crois pourtant qu'il nous faut le faire. Ce sont des diffuseurs publics, bien que sur le plan logistique, ils n'ont pas les mêmes problèmes. Nous affrontons directement les États-Unis, ce qui comporte un énorme problème. Le Royaume-Uni, c'est en quelque sorte une île; il ne fait pas face à des concurrents externes comparables. J'aimerais savoir si vous croyez que notre diffuseur public pourrait axer ses efforts sur l'amélioration de sa programmation, plutôt que sur l'augmentation des fonds, pour faire augmenter ses cotes d'écoute.
[Français]
M. Théberge : Il y a plusieurs éléments de réponse à votre question. Premièrement, je vais l'approcher brièvement. C'est une erreur de n'utiliser que les cotes d'écoute pour évaluer la Société Radio-Canada. Elle a un mandat qui va au-delà des cotes d'écoute et qui l'oblige, par sa définition même, à faire des choses qui coûteront plus cher et serviront davantage à certains, mais moins à d'autres, et qui affecteront les cotes d'écoute. Si on regarde la Société Radio-Canada seulement par le biais des cotes d'écoute, c'est une erreur. Les cotes peuvent faire partie de l'équation, mais non pas être l'équation totale. D'autre part, vous comparez la Société Radio-Canada à la BBC. Si nous évaluons la BBC, malgré les coupures, nous pouvons nous poser la question suivante : quel est le financement qu'elle reçoit par personne? L'autre question est la suivante : de combien de kilomètres carrés et de langues officielles s'agit-il? Il y a là d'énormes différences qui font que, oui, on compare des oranges et des pommes. Si nous voulons faire la comparaison, prenons la photo dans son ensemble. On ne peut pas prendre les cotes d'écoute et les utiliser comme seul élément de comparaison. Il y a beaucoup plus de variables dans l'équation, et cela serait à, mon avis, une erreur.
De plus, si on prend les États-Unis, par exemple, il y a l'élément de la concurrence. Je reviens à la CBC, question de territoire et de langues officielles, et je reviens au mandat de la Société Radio-Canada, qui est extrêmement plus large lorsqu'il s'agit d'informer le Yukonnais et le Haligonien de la même manière. L'équation est beaucoup plus grande.
Je terminerai en disant ce que j'ai dit tout à l'heure : oui, il y a peut-être de nouvelles méthodes de fonctionnement à évaluer afin de mieux faire et d'arriver à une programmation de qualité d'une meilleure manière. Tout à fait. Il y a beaucoup d'occasions qui existent, on a mentionné le FRIC et l'APFC. Ce sont des occasions qui pourraient être utilisées pour favoriser une programmation de qualité, effectivement, mais il y a tout de même un seuil minimum pour que la Société Radio-Canada puisse fonctionner. À mon avis, si on n'y est pas, on est très près de cela.
[Traduction]
Le sénateur Eggleton : Je suis du même avis que vous concernant ce que vous venez de dire. Il n'y a pas que les cotes d'écoute. La CBC/Radio-Canada, comme la BBC, est un diffuseur public. À propos de la BBC, je conviens que la qualité de la programmation est un aspect important. Ses revenus sont, par contre, trois fois plus élevés que ceux de notre diffuseur public. Elle offre des services dans une seule langue et ne diffuse que dans un seul fuseau horaire, tandis que CBC/Radio-Canada offre des services dans deux langues et diffuse dans six fuseaux horaires. Soit dit en passant, il n'y a pas non plus de publicité.
J'aimerais obtenir une précision. Dans votre exposé, lorsque vous avez dit « 11 provinces et territoires », je dois dire que j'ignorais que le Québec n'était pas inclus. Votre organisme n'est donc pas présent au Québec. Par la suite, vous avez dit également ceci : « à ce titre, l'organisme est donc le porte-parole du secteur entier des arts, de la culture et des industries culturelles de la francophonie canadienne ». Pourriez-vous me donner des précisions à cet égard?
[Français]
M. Théberge : Il y a effectivement une clarification à apporter. En tant que fédération culturelle canadienne, donc à titre d'organisme national, nous n'avons pas de membres officiels au Québec. Par contre, plusieurs de nos associations membres ont des membres au Québec ou des partenariats avec le Québec. Je pense ici, entre autres, au Réseau national des galas de la chanson. Le Festival international de la chanson de Granby est membre du Réseau national des galas de la chanson qui, lui, est membre de notre fédération.
L'autre précision que je voudrais apporter, c'est que, encore une fois, une nuance s'est peut-être perdue dans la traduction. On utilise le terme « francophonie canadienne ». Dans le milieu associatif canadien, ce terme désigne principalement les francophones hors Québec. Il y a donc une nuance qui s'est perdue dans la traduction.
[Traduction]
Le sénateur Eggleton : Avez-vous une organisation sœur, une « sister organization » au Québec, ou faites-vous tout cela par l'intermédiaire des membres de votre organisme qui se trouvent à être aussi au Québec?
[Français]
M. Théberge : Il faut faire attention au terme « sister organisation », car il y a un élément de comparaison qui est la minorité linguistique. Effectivement, au Québec, il y a l'organisme English Language Arts Network (ELAN). C'est un organisme provincial qui traite avec le gouvernement provincial et le gouvernement fédéral. Nous sommes un organisme national qui traite avec le gouvernement fédéral et des gouvernements provinciaux dans la quasi-totalité des provinces. Oui, l'organisme English Language Arts Network existe. Toutefois, les réalités sont quelquefois différentes. Nous essayons de travailler avec lui. Il est parfois question de langue. Il fait la promotion d'artistes anglophones et travaille avec eux. Nous travaillons à la francophonie canadienne. Il y a là, parfois, une incompatibilité dans l'avancement des dossiers. Cela ne veut pas dire qu'on ne se parle pas et qu'on s'exclut l'un l'autre. Ce n'est pas le cas. Plusieurs de nos membres ont des partenariats avec des organismes québécois dans tous les secteurs artistiques et culturels.
[Traduction]
Le sénateur Greene : Si vous aviez une ou deux recommandations précises à nous faire, de quoi s'agirait-il?
[Français]
M. Théberge : D'une part, arrêtons les coupures. Organisons-nous pour ne pas entreprendre une réduction à plus long terme des crédits reçus autrefois.
D'autre part, on a mentionné le FAPL. On ne demande pas de ramener de fonds dans sa forme originale. Il y aurait peut-être d'autres moyens d'appuyer la production locale au sein de la francophonie canadienne et dans les petites communautés afin de venir en aide tant aux producteurs indépendants qu'à Radio-Canada. Ce serait là un élément très intéressant pour nous.
[Traduction]
Le vice-président : Monsieur Théberge, madame Pilon, je vous remercie d'avoir comparu ce soir. Nous vous remercions de votre témoignage, et nous vous souhaitons du succès dans vos projets.
Chers collègues, notre prochaine et dernière séance publique sur cette étude aura lieu le 10 mars. Nous accueillerons M. Ken Goldstein de Communications Management Incorporated.
Honorables sénateurs, la séance est levée.
(La séance est levée.)