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MDRN - Comité spécial

Modernisation du Sénat (spécial)

 

Délibérations du Comité sénatorial spécial
sur la Modernisationdu Sénat

Fascicule n° 9 - Témoignages du 8 février 2017


OTTAWA, le mercredi 8 février 2017

Le Comité sénatorial spécial sur la modernisation du Sénat, auquel a été renvoyé le projet de loi S-213, Loi modifiant la Loi constitutionnelle de 1867 et la Loi sur le Parlement du Canada (présidence du Sénat), se réunit aujourd'hui, à 12 h 2, pour en faire l'examen.

Le sénateur Thomas Johnson McInnis (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : La séance se déroulera en public.

Le Sénat nous a renvoyé le projet de loi S-213, Loi modifiant la Loi constitutionnelle de 1867 et la Loi sur le Parlement du Canada (présidence du Sénat).

Il s'agit d'un projet de loi d'intérêt public proposé par un de nos collègues, l'honorable Terry Mercer, qui est parmi nous aujourd'hui.

Comme vous le savez, l'objectif général du projet de loi va dans le même sens que l'une des recommandations que notre comité a formulées dans son premier rapport. Il vise à changer le processus par lequel le Président est choisi. Il va toutefois bien au-delà des recommandations du comité, à savoir l'élaboration d'une méthode qui permet au Sénat de nommer les candidats à la présidence, aux fins d'examen par le premier ministre.

Le projet de loi du sénateur Mercer modifierait plutôt la Constitution de manière à ce que le Sénat soit entièrement responsable du processus de sélection.

En décembre dernier, le sénateur Mercer s'est adressé à nous en tant que parrain du projet de loi. Cette semaine, nous avons la chance d'accueillir un collègue de longue date qui a lui-même été Président, l'honorable Dan Hays. Il a également le point de vue unique d'une personne qui a présidé le Comité spécial sur la réforme du Sénat et qui a rédigé des articles sur la question.

Enfin, nous avons reçu un mémoire qu'il a rédigé à propos des événements récents au Sénat. Il sera distribué après avoir été traduit. Lorsque nous aurons terminé la séance d'aujourd'hui qui vise à examiner le projet de loi, nous devrions peut-être nous accorder un peu de latitude et discuter brièvement du point de vue du sénateur.

Sénateur Hays, bienvenue. Je vous prie de faire votre déclaration liminaire, et je suis certain que les sénateurs auront ensuite des questions à vous poser.

[Français]

L'honorable Dan Hays, C.P., ancien Président du Sénat, à titre personnel : Merci, monsieur le président. Je commencerai en prononçant quelques mots en français pour vous dire que je suis désolé, car j'ai perdu la maîtrise de la langue française. J'utiliserai donc l'aide des interprètes pour faire pour ma présentation en anglais.

[Traduction]

Je suis heureux d'être parmi vous pour participer à cette très importante étude que le Sénat a entamée sous votre gouverne, avec d'autres membres du comité.

Si vous voulez, je vais commencer par le projet de loi S-213. Espérons que nous aurons l'occasion d'aborder d'autres sujets, mais c'est à vous, mes anciens collègues, de décider. Je m'en remets à vous, et, dans l'éventualité où vous auriez le temps d'aborder d'autres questions, je ferai de mon mieux pour vous donner une réponse, si j'en ai une, ou pour vous faire part de mon point de vue, si vous êtes patients. N'hésitez pas à m'interrompre ni à être brusques; faites comme bon vous semble. Je suis à votre disposition pendant un court laps de temps.

Je pense que le Sénat a déjà été saisi d'un projet de loi S-213 il y a plusieurs années. Il a pris différentes formes. Je pense que l'approche la plus simple est celle proposée par le sénateur Mercer, à savoir la modification de l'article 44. Je ne vois pas de problème de la part des provinces ou de grandes difficultés, excepté pour ce qui est de la Chambre des communes. Si elle appuie le projet de loi, je pense que ce serait un moyen d'atteindre ses objectifs.

Je sais qu'on a un peu parlé de la voix prépondérante du Président, comme c'est le cas à la Chambre des communes. Je viens tout juste de regarder brièvement le règlement, qui indique que le Président vote le premier. À défaut de quoi, il ne pourra pas voter tout simplement parce qu'il faut respecter le règlement. Le Sénat peut modifier la règle concernée. Je pense que ce serait une façon relativement simple de recourir à la voix prépondérante en cas d'égalité des voix. Je ne sais pas exactement de quelle façon on procède à la Chambre des communes.

Donc, à propos du projet de loi S-213, en tant qu'ancien sénateur et ancien Président, je pense que c'est une bonne idée. J'ai appuyé l'idée quand j'ai eu l'honneur de siéger au Sénat, et j'espère que le sénateur Mercer, son comotionnaire et le Sénat pourront y donner suite. Il est possible que l'idée soit débattue, que d'autres ne soient pas d'accord, mais quoi qu'il en soit, c'est le point de vue que je fais valoir.

Le sénateur Joyal : Bienvenue, sénateur Hays. Rappelez-vous le moment où le projet de loi a été déposé, je crois, pendant que vous assumiez la présidence. C'est l'ancien sénateur Oliver qui a présenté un projet de loi similaire. À l'époque, on a soulevé la question de la constitutionnalité de la mesure. La question a été soulevée, mais le ministère de la Justice a indiqué très clairement qu'on ne pouvait pas savoir avec certitude s'il était possible de recourir au pouvoir général de la Chambre des communes et du Sénat pour modifier l'article 44 de la Constitution dans le but de changer les pouvoirs du gouverneur général précisés à l'article 38, qui l'autorisent, par instrument sous le grand sceau du Canada, à nommer ou à convoquer des sénateurs. Dans la Constitution, l'expression « sous le grand sceau du Canada » renvoie à un pouvoir de la Couronne, et c'est exactement le même qui est prévu à l'article 24. C'est donc un pouvoir royal.

Pour changer ce pouvoir royal, l'opinion que nous avons obtenue et qui a été reprise par le ministre des Pêches, qui a comparu devant le Comité du Règlement, au début de la présente session parlementaire — le ministère de la Justice partage encore ce point de vue —, était que c'était lié au pouvoir que confère la charge — la charge est le pouvoir —, au statut et au rôle du gouverneur général ou de Sa Majesté.

Cet objectif peut sembler souhaitable sur le plan politique, comme l'a affirmé le sénateur Mercer, mais nous sommes liés par le libellé de la Constitution. Vous avez peut-être entendu parler d'une décision récente rendue l'année dernière par la Cour supérieure au Québec, qui a clairement indiqué que nous devons comprendre ce que signifie la charge de gouverneur général, ou office of governor general en anglais. La question a été abordée relativement à Sa Majesté, à la charge de Reine — le terme est également employé dans l'expression « charge de gouverneur général ». La même définition s'applique, peu importe la fonction.

Il me semble que nous faisons face à un important défi. Si le Sénat adopte le projet de loi sans en modifier le libellé, nous allons certainement nous heurter à l'opposition du gouvernement par l'entremise du ministère de la Justice, qui dira que cela renvoie à un problème constitutionnel non réglé.

Ne serait-il pas préférable d'atteindre le même résultat, c'est-à-dire la participation du Sénat au choix d'un candidat à la présidence, en s'engageant dans la voie proposée par notre comité, qui consiste à autoriser le Sénat, tous les sénateurs, à nommer des candidats de la même façon que le comité consultatif du premier ministre propose maintenant des candidats parmi lesquels le premier ministre fait un choix — le gouverneur général convoque ensuite la personne? Je vais employer un mot d'une autre religion et dire que c'est certainement « casher » comme pratique, car personne ne remet en question sa constitutionnalité, tandis que l'approche proposée par le sénateur Mercer soulève des questions.

Pour progresser, ne devrions-nous pas appuyer la recommandation du comité qui ne présente pas d'obstacle constitutionnel et qui confirmerait le précédent créé par la participation de l'ensemble des sénateurs à la sélection d'un candidat à la présidence?

M. Hays : Vous pourriez nous rappeler le contexte de la décision rendue au Québec, celle à laquelle vous faites allusion. Est-ce similaire à ce qui est proposé dans le projet de loi S-213? C'est peut-être pertinent pour obtenir une réponse à votre question.

Je n'étais pas au courant de nombreuses choses que vous avez mentionnées à propos de précédents récents, mais je dirais, si c'était mon projet de loi, que je ne suis pas découragé. Il serait important de voir si le Sénat peut proposer des modifications à la Loi constitutionnelle de 1867 ou, en fait, à la Loi constitutionnelle de 1982. Rappelez-vous que l'on a souvent recours à la prérogative royale pour freiner la progression de mesures législatives. Il arrive que le gouvernement ou des gens pensent que c'est une affaire qui change ce qu'on essaie d'accomplir sur le plan législatif et qu'elle a parfois un effet dissuasif, et parfois pas. C'est la meilleure réponse que je peux vous donner.

Cela ne nous dit pas ce que les tribunaux feraient si le gouvernement décide de ne pas s'en occuper ou de prendre les mesures nécessaires pour demander à la justice de régler cette question qui, je crois, est une question, pas une position définitive sur la prérogative royale.

Le sénateur Joyal : Eh bien, comme vous l'avez correctement dit, un projet de loi comme celui-ci dont le titre indique une modification du pouvoir de la Couronne doit obtenir l'approbation d'un ministre pour être adopté.

Nous pouvons en débattre. Vous vous êtes vous-même prononcé à maintes reprises lorsque vous étiez Président. Je me souviens d'avoir soulevé une question devant vous dans des circonstances particulières. Je répète que lorsqu'un projet de loi, comme celui-ci, vise à réduire le pouvoir de la Couronne ou à empiéter sur ce pouvoir, il doit faire l'objet d'une recommandation royale. Cela ne nous empêche pas d'en discuter. Nous pourrions nous rendre jusqu'à l'étape de la troisième lecture, jusqu'au vote en troisième lecture. C'est la décision que vous avez rendue à quelques reprises. Le Sénat pourrait demander au gouvernement de renvoyer la question à la Cour suprême pour qu'elle se prononce sur la constitutionnalité du projet de loi. C'est une option.

Autrement dit, le Sénat peut adopter une recommandation du comité et ajouter un autre paragraphe qui dit que la Chambre haute demande à l'exécutif de saisir la Cour suprême de la question constitutionnelle. Cela n'empêcherait pas, comme je le dis, de donner suite à la volonté du Sénat de participer à la sélection du Président, et cette façon de faire réglerait en même temps la question constitutionnelle que soulève ce projet de loi. Nous pourrions ainsi atteindre l'objectif à long terme du sénateur Mercer et du Sénat, si le Sénat tient un vote.

Il semble que c'est ainsi qu'il faut aborder la question et que nous ne devrions pas être inactifs. Le Sénat devrait adopter la recommandation du comité, mais aussi reconnaître qu'une question constitutionnelle doit être réglée et prendre les moyens nécessaires.

M. Hays : Si je vous comprends bien, il sera également nécessaire de régler la question constitutionnelle si le gouvernement l'aborde à l'étape de la troisième lecture et refuse d'accorder la sanction royale pour aller de l'avant avec le projet de loi. Ce serait le meilleur moment de s'engager dans une autre voie, si vous êtes vraiment sérieux à propos de ces modifications à la partie de la Loi constitutionnelle de 1867 qui porte sur le Sénat. Vous avez maintenant la décision rendue au Québec, que je n'ai pas lue, comme je l'ai dit. Elle est peut-être claire comme de l'eau de roche et fait également le tour de la question.

Le Sénat a un choix, mais si je me souviens bien du premier rapport du comité sur la modernisation, on proposait que plusieurs noms soient donnés, pas un seul, et je pense que le Sénat pourrait être insatisfait à cet égard. Il semble que l'objectif est d'être en mesure de procéder comme on le fait à la Chambre des communes, ce qui est raisonnable, et cela pourrait changer ce que la Cour suprême dit à propos de l'applicabilité de la prérogative royale et représenter un moyen d'éviter de saisir officiellement les tribunaux de la question, ou de laisser le processus d'adoption suivre son cours pour trancher la question dans le cadre d'un vote à la Chambre des communes.

Si les députés ne veulent pas que le Sénat choisisse son Président, il s'agit de l'outil ultime pour éviter que cela se produise, et nous sommes tous curieux de savoir si cela leur tient à cœur. Je ne pense pas qu'ils voudraient qu'une autre personne que le premier ministre choisisse le Président, mais nous allons y revenir plus tard. C'est une époque de grands changements au Sénat, qui ont été déclenchés par le nouveau processus de nomination. Beaucoup de ces questions seront soulevées. C'est ce que je pense. La réponse n'est peut-être pas satisfaisante.

Le sénateur Joyal : Non, pas du tout. Même si le projet de loi est adopté à l'étape de la troisième lecture, il faudrait quand même obtenir la recommandation royale. Nous pourrions en débattre à fond à l'étape de la troisième lecture, mais au moment de mettre la question aux voix, le Président devra indiquer que le vote ne peut pas avoir lieu à défaut d'avoir une recommandation royale.

M. Hays : Je comprends.

Le sénateur Joyal : Donc, le projet de loi ne se rendra jamais à la Chambre des communes. C'est le point que je soulève.

M. Hays : Et je dis qu'il vaut la peine d'essayer.

Le sénateur Joyal : Merci.

La sénatrice McCoy : Je suis ravie de vous revoir, monsieur le sénateur.

M. Hays : Moi aussi, sénatrice McCoy.

La sénatrice McCoy : Je viens de l'Alberta; vous nous manquez encore beaucoup.

Je m'apprêtais à dire quelque chose de semblable étant donné que le parrain du projet de loi, le sénateur Mercer, nous a encouragés, la dernière fois qu'il a comparu devant nous, à faire une bonne partie de ce que vous proposez, à savoir aller de l'avant avec le projet de loi et en saisir le gouvernement pour voir sa réaction. C'est le seul moyen que nous avons pour provoquer cette discussion.

Vous dites que vous appuyez cette approche. Je paraphrase ce que j'ai cru entendre, et corrigez-moi si je me trompe. J'ai cru entendre que vous avez un plan A et un plan B étant donné que la recommandation faite par le comité sur la modernisation dans le rapport de la première étape pourrait être interprétée comme un pas dans cette direction, et ils ne sont pas incompatibles d'ici à ce que les choses soient réglées dans la loi.

Nous savons tous que lorsqu'il y a deux avocats dans la salle, il est probable que l'on obtienne trois opinions juridiques. Par conséquent, d'ici à ce que ces choses soient réglées d'une manière ou d'une autre, ai-je raison d'entendre que vous appuyez une approche qui consiste à avoir un plan A et un plan B?

M. Hays : Il y a toute une différence entre le plan A, le projet de loi S-213, et le plan B, c'est-à-dire remettre cinq noms parmi lesquels le premier ministre choisira.

Le Sénat pourrait peut-être donner un nom et dire qu'il a tenu un scrutin secret, qu'il a suivi une procédure semblable à celle de la Chambre des communes pour élire un Président et que les sénateurs pensent que c'est le candidat qui devrait être choisi. J'ignore si cela serait public ou non, mais supposons que c'est public et que le premier ministre refuse la demande à cause de la prérogative royale ou d'une autre raison, et qu'il remercie le Sénat de ses efforts.

Ce serait intéressant. C'est une autre approche possible, et je pense que c'est une position de repli.

La sénatrice McCoy : Nous connaissons les vieilles façons de faire du Sénat, et vous avez raison : nous sommes en transition et nous élaborons de nouvelles façons de procéder, et cette évolution demandera un certain temps.

Pour revenir à nos vieilles pratiques, nous nous serions adressés au leader du gouvernement au Sénat pour avoir des discussions informelles avec lui, qui en aurait probablement fait autant avec le premier ministre, le ministre, le Cabinet ou quelqu'un de semblable, pour se faire une idée de ce que serait la réflexion préliminaire, ou pour y réfléchir.

Nous n'avons actuellement pas de leader du gouvernement, mais nous avons un représentant du gouvernement, qui nous a dit que son travail consiste non seulement à être la voix du gouvernement au Sénat, mais aussi de faire entendre la voix du Sénat au gouvernement. À votre avis, devrions-nous encourager le sénateur Harder à avoir une discussion préliminaire avec le gouvernement pour nous donner une idée de ce que pourrait être sa réponse?

M. Hays : Oui, ce serait parfaitement logique. En passant, je connais le sénateur Harder depuis longtemps et j'ai beaucoup de respect pour lui. Bien honnêtement, il fait un travail difficile.

La sénatrice McCoy : Oui, c'est vrai.

M. Hays : Je suis sûr qu'il s'attend à ce type d'engagement.

La sénatrice McCoy : Je vous remercie de comparaître aujourd'hui.

M. Hays : Tout le plaisir est pour moi.

Monsieur le président, j'ai quelques commentaires préliminaires. Je ne sais pas s'il est approprié de les formuler, mais cette décision vous revient.

Le président : Au sujet du projet de loi S-213?

M. Hays : Non.

Le président : Nous terminerons d'abord ce volet, car je crois que les questions le concernent, et nous parlerons ensuite de cela.

Le sénateur Wells : Je vous remercie de comparaître aujourd'hui, monsieur Hays. C'est un honneur de vous rencontrer.

Ma question concerne le fait de forcer la main au premier ministre, et il y a aussi la discussion publique, dans la mesure où il y a actuellement une discussion publique, sur la légitimité démocratique des sénateurs comparativement à la légitimité démocratique des députés de la Chambre des communes. Je ne me pose pas ces questions, mais de nombreuses personnes se les posent.

Étant donné que le Président du Sénat a un rang très élevé dans l'ordre de préséance, c'est-à-dire après le gouverneur général et le premier ministre, selon vous, que se passerait-il si — pour reprendre l'expression populaire — « les sénateurs non élus » choisissaient une personne qui occupe un rang très élevé dans l'ordre de préséance sans profiter de la légitimité démocratique perçue par la population dont profite certainement le premier ministre grâce à son processus?

M. Hays : C'est une bonne question. J'aimerais toutefois vous rappeler que le Président de la Chambre des communes vient juste après le Président du Sénat dans l'ordre de préséance, et qu'il est élu. La réponse courte, selon moi, c'est que le premier ministre devra passer par un processus de réflexion similaire. Par exemple, il devra déterminer s'il est prêt à demander au Président du Sénat de représenter le Canada lors d'un certain événement, ce qui arrive parfois en raison du fonctionnement de l'ordre de préséance, ou si cette tâche devrait être confiée au gouverneur général ou au juge en chef. Le premier ministre vient juste avant le juge en chef, et cetera.

C'est un choix auquel le premier ministre sera confronté assez souvent. C'est différent. Ce n'est pas la personne qu'il a choisie — ou c'est peut-être le cas. Mais dans quelle mesure le Sénat tient-il à choisir son propre Président? Si ce n'est pas trop important pour les sénateurs, le projet de loi ne sera pas adopté au Sénat. Si c'est très important pour eux, ils devraient réfléchir à ce qu'ils peuvent faire pour atteindre l'objectif qu'ils jugent important.

Le sénateur Wells : Si le projet de loi S-213 n'est pas adopté — et cela revient à l'une des questions du rapport sur l'étude de la modernisation qui concernent la situation dans laquelle le Sénat choisirait des noms et les enverrait au premier ministre pour examen... manifestement, cela ne l'engagerait à rien. Pensez-vous que le fait que le premier ministre ne soit pas tenu de choisir l'un des noms suggérés représente une lacune potentielle, car il pourrait choisir son propre candidat et créer, au sein du gouvernement et du Sénat, un problème de — je ne dirai pas de « légitimité démocratique », mais de légitimité dans ces groupes si le Président n'est pas l'une des cinq personnes qui avaient été proposées?

À titre de sénateurs, l'une de nos tâches consiste à prévoir les conséquences imprévues des gestes posés dans le cadre du processus législatif. À votre avis, devrait-on se pencher sur cette question ou ce scénario est-il tellement improbable que nous pouvons l'écarter?

M. Hays : C'est un problème. Si le Sénat propose son premier choix ou quelques noms de candidats et que le premier ministre ne choisit aucun des candidats proposés, les sénateurs auront-ils le même respect à l'égard du Président? Est-ce que cela nuira au Sénat?

Je dirais que certains auront le même respect, mais je soupçonne que ce ne sera pas le cas pour la plupart d'entre eux. Ils respecteront le président parce que c'est notre tradition, et le président sera peut-être un peu mal à l'aise. Je ne sais pas exactement comment se sentira le président, mais s'il accepte ce travail, je pense que les sénateurs s'adapteront. C'est mon opinion.

Le sénateur Wells : J'ai seulement connu trois Présidents depuis que je suis sénateur, je crois, et ils ont tous fait un excellent travail. Je suis sûr que les Présidents précédents avaient également effectué un excellent travail.

Avons-nous une solution en quête d'un problème? Y a-t-il un problème avec le système actuel?

M. Hays : Non, il ne me revient pas de dire...

Le sénateur Wells : Eh bien, vous avez occupé le fauteuil.

M. Hays : Il n'y a aucun problème avec le système, mais il n'y a pas de mal à le modifier un peu après 150 ans.

Le sénateur Wells : Juste pour le plaisir de le modifier, et non par nécessité?

M. Hays : Non, il ne faut jamais modifier une chose juste pour le plaisir. On a de bonnes raisons d'apporter des modifications, et nous en parlerons peut-être un peu plus tard.

Le sénateur Wells : D'accord. Merci beaucoup.

Le sénateur McIntyre : Merci, monsieur Hays, de votre exposé. Une chose est certaine, il semble exister deux approches liées au rôle du Président. La première requiert une modification constitutionnelle, comme le souligne le projet de loi S-213, et la deuxième requiert une modification au Règlement du Sénat, comme l'a recommandé notre comité dans son rapport d'octobre.

Selon ce que j'ai compris de votre exposé, à votre avis, une modification constitutionnelle produirait les mêmes résultats que l'approche proposée par le comité. En gardant cela à l'esprit, le projet de loi S-213 propose de limiter le droit de vote du Président à une voix prédominante en cas d'égalité des voix. Cette proposition aurait-elle l'effet de limiter les droits de participation du Président aux travaux de la Chambre?

M. Hays : Actuellement, le Président peut voter, comme tous les sénateurs. Le Règlement exige que le Président vote en premier et à mon avis, il faudra respecter cette disposition, car dans le cas contraire, je pense que le vote ne sera pas valide. Le Président de la Chambre des communes vote seulement en cas d'égalité des voix, et sa voix est prépondérante. Si c'est ce que prévoit le projet de loi S-213 — je dois l'examiner à nouveau —, alors oui, on pourrait faire valoir que la capacité du Président de voter, à l'exception d'un cas d'égalité des voix, sera modifiée.

Toutefois, on pourrait probablement rédiger le projet de loi de façon à obtenir un résultat différent de celui que je prévois. C'est-à-dire que si le Président souhaite voter, on ne pourrait pas l'empêcher de voter seulement en cas d'égalité, mais il pourrait ajouter son vote d'un côté ou de l'autre à la fin, car selon le Règlement, à ce moment particulier, si le Président souhaite voter, il doit voter à la fin, avec le dernier vote.

Le sénateur McIntyre : Je remarque également que le projet de loi ne contient aucune disposition qui vise à attribuer au Président des fonctions relatives à l'administration du Sénat, comme celles du Président de la Chambre des communes. Vous avez une expérience considérable à la présidence du Sénat, et à la lumière de votre expérience, devrait-on accorder des pouvoirs supplémentaires au Président?

M. Hays : Vous voulez dire, par exemple, la présidence de la régie interne, et cetera?

Le sénateur McIntyre : Peut-être.

M. Hays : C'est ce que fait le Président de la Chambre des communes. Oui, je crois que la culture et les traditions du Sénat permettent au Président de participer pleinement aux travaux du Sénat. Certains présidents ont choisi, par exemple, de ne pas participer au caucus de leur parti. D'autres ont choisi d'y participer ou de participer au caucus régional. Je ne pense pas que ce serait une bonne idée de tenter de restreindre ces activités au Sénat, tout simplement parce que la tradition du Sénat permet au Président de les exercer.

Le président : Merci, sénateur McIntyre. Nous entendrons le sénateur Eggleton et ensuite le sénateur Mercer, s'il a des commentaires.

Le sénateur Eggleton : Écoutez, au chapitre de la politique, la suggestion du sénateur Mercer n'est pas tout à fait révolutionnaire. C'est ce que fait la Chambre des communes lors de l'élection d'un Président et d'un vote, car le Président a seulement une voix prépondérante en cas d'égalité. Je crois que c'est préférable à la recommandation du comité.

Toutefois, il ne faut pas oublier que la recommandation du comité est ainsi formulée parce qu'on nous a dit que nous ne pouvions pas proposer, dans la première discussion, des solutions qui nécessiteraient des modifications constitutionnelles. Eh bien, manifestement, nous formulons maintenant des commentaires sur un projet de loi qui nous a été envoyé pour que nous le commentions, et ce projet de loi nécessite la mise en œuvre d'une modification constitutionnelle. Mais je crois que la modification constitutionnelle se trouve très clairement dans l'article 44, ce qui n'est pas un gros problème. On peut le faire à l'interne au Parlement du Canada. Les avocats du ministère de la Justice auront peut-être quelques difficultés. Vous savez, les avocats du ministère de la Justice peuvent se tromper. Le dernier gouvernement a reçu de nombreux mauvais conseils des avocats du ministère de la Justice et ces conseils ont été rejetés par la Cour suprême du Canada.

Je crois que si nous jugeons que c'est la bonne façon de procéder au chapitre de la politique, nous devrions présenter cette option et retenir la recommandation du comité, car l'idée de proposer cinq noms pourrait servir de plan B. Si nous présentons les deux recommandations en même temps, le gouvernement choisira la plus facile.

Je pense donc qu'il serait préférable de présenter cette proposition et de retenir le plan B. Si on refuse d'accorder la prérogative royale ou de l'approuver, nous pourrons toujours revenir à cette suggestion.

J'aimerais savoir comment les autres Chambres hautes choisissent leur Président, si vous avez des informations sur les autres Chambres du Commonwealth qui fonctionnent selon le système de Westminster, même si le fonctionnement du système de Westminster varie selon l'endroit où se trouvent ces Chambres hautes. Savez-vous comment on choisit le Président dans d'autres Chambres du système de Westminster au sein du Commonwealth?

M. Hays : Je n'ai pas de renseignements fiables à cet égard. Selon ce dont je me souviens du système de Westminster, c'est seulement depuis la Commission royale Wakeham, c'est-à-dire les réformes mises en œuvre par le gouvernement Blair en 1999, que la Chambre des lords a un Président. Auparavant, les fonctions de Président étaient assumées par le lord chancelier. Il y a maintenant un Président de la Chambre des lords, mais selon ce qu'on me dit, les membres de la Chambre des lords n'en tiennent pas compte, car ils sont fiers de leurs traditions en matière d'autoréglementation. D'une façon ou d'une autre, on a apporté cette modification constitutionnelle. Je crois que le Président de la Chambre des lords est élu.

Aux États-Unis, je présume que le Président est en fait le vice-président, et nous savons comment cette personne accède à cette fonction.

Le sénateur Eggleton : Je n'appellerais pas cela un système de Westminster.

M. Hays : De toute façon, c'est un système bicaméral et, en 1867, ce système nous a beaucoup influencés.

Le sénateur Eggleton : Donc, à votre connaissance, la Chambre des lords, au sein du premier parlement, élit son propre Président?

M. Hays : Je me trompe peut-être, mais c'est ce dont je me souviens.

Le sénateur Eggleton : Eh bien, pourquoi n'est-ce pas le cas au Canada?

Le sénateur Mercer : Chers collègues, je vous remercie de prendre part à cette discussion au sujet du projet de loi. Pour revenir à la dernière question du sénateur Eggleton, selon mes recherches, les seules législatures bicamérales qui n'élisent pas leur Président sont le Canada, Antigua, Barbuda et Bahreïn; nous sommes donc en très bonne compagnie.

Je tenais à revenir sur la question de savoir s'il faut limiter les pouvoirs personnels du Président à titre de membre du Sénat. Selon moi, si le Président occupe le fauteuil du Président, il ne peut pas voter, mais s'il souhaite voter sur une question particulière ou formuler des commentaires, comme c'est le cas maintenant, il doit quitter son fauteuil, assumer le rôle de sénateur ordinaire, prendre la parole, voter et faire ce que nous faisons collectivement. Donc, à mon avis, cela ne diminue pas ses pouvoirs, à l'exception du fait qu'il ne peut pas voter s'il occupe le fauteuil. S'il n'occupe pas le fauteuil et qu'il veut le confier au vice-président — dans la proposition, il y aurait un vice-président —, le vice-président ne peut pas voter, mais le Président peut assumer le rôle de sénateur ordinaire et voter comme bon lui semble.

Cela revient donc à la fonction que vous assumez lorsque le vote s'effectue. Dans le cadre de ma proposition, si vous occupez le fauteuil du Président... et cela signifie que si l'un d'entre nous, comme cela se produit parfois, était appelé à occuper le fauteuil du Président en raison de l'absence du Président et du vice-président, nous ferions réellement valoir notre capacité de voter, mais c'est le pouvoir de la présidence qui empêche de voter. C'est mon interprétation.

Je vous encourage donc, chers collègues, à mettre le gouvernement actuel à l'épreuve. Il dit qu'il veut entreprendre une réforme du Sénat; confions-lui donc cette tâche. À mon avis, si nous adoptons ce projet de loi et que nous l'envoyons ensuite aux représentants du gouvernement, s'ils ne font rien en retour, ils se ridiculiseront, mais pas nous.

La sénatrice Lankin : Cette question ne s'adresse pas vraiment au témoin. Je vous remercie d'être ici aujourd'hui, et j'ai hâte de lire vos commentaires. Toutefois, elle vise surtout les commentaires formulés par le sénateur Eggleton et le sénateur Mercer. J'appuie l'élection du Président et je n'ai aucun problème avec cette proposition. Je viens d'un contexte législatif où les choses fonctionnaient de cette façon.

Ma question concerne l'aspect pratique de la mise en œuvre d'une modification législative et constitutionnelle. Ce qui me préoccupe, ce sont les autres questions qu'il faudrait régler relativement aux règlements que nous souhaitons modifier. Nous pouvons modifier nos pratiques, mais si nous souhaitons enchâsser, par exemple, la définition des mots « partis politiques » et leur rôle au sein du Sénat, ce ne sont pas des éléments concrets dans le cadre de la discussion.

Je crois que si nous souhaitons faire quelque chose qui nécessite l'ouverture de la Loi sur le Parlement du Canada, il faudrait le faire une seule fois et offrir plusieurs propositions. Je ne veux pas retarder le processus, mais je ne crois pas qu'il soit sage de faire une tentative à ce moment-ci.

Avez-vous des commentaires à cet égard? Je crains qu'on se penche seulement sur un enjeu en négligeant les autres questions. Certaines des questions soulèveront peut-être davantage la controverse, et nous devons les examiner ensemble au Sénat, afin de déterminer si la majorité d'entre nous appuient ces propositions.

Sénateur Mercer, j'aimerais d'abord entendre vos commentaires, car il s'agit de votre projet de loi.

Le sénateur Mercer : Je comprends ce que vous dites, c'est-à-dire qu'on devrait apporter d'autres modifications, notamment à la définition des « partis politiques » ou des groupes de sénateurs. Je comprends et j'appuie cela. Toutefois, ce sont des questions qui soulèvent davantage la controverse et qui nécessitent plus de travail. Il s'agit d'une approche directe qui nous permettra de commencer à prendre le contrôle de notre propre Chambre.

Notre gouvernement soutient qu'il veut réformer le Sénat. Il veut que les sénateurs ramènent l'ordre dans le Sénat, faute d'une meilleure expression. Mais vous savez, si vous souhaitez ramener l'ordre dans une Chambre, vous devez contrôler cette Chambre.

La personne au sommet de cette Chambre est le Président. Il contrôle les discussions et les débats et manifestement, il tranche lorsque c'est nécessaire. C'est le début, et non la fin, de ce que nous souhaitons modifier. À mon avis, la première étape consistant à élire le Président n'est pas une étape facile. De plus, cela nous donne l'occasion de déterminer si le gouvernement prend la réforme du Sénat au sérieux.

Le sénateur Eggleton : En réponse à la question de la sénatrice Lankin, j'aimerais formuler deux commentaires. Tout d'abord, dans le cadre des travaux du comité, nous avons été saisis de la question du Président et de la façon dont il est choisi. C'est dans ce rapport. Même s'il s'agit d'une suggestion raisonnable, je crois que la suggestion consistant à élire notre Président est plus appropriée; nous pourrions et nous devrions la mettre à l'essai.

Je ne crois pas que cela signifie que les autres questions sont exclues. Oui, je conviens qu'il y a d'autres questions dans le rapport qui devraient avoir la priorité. Nous devrions les aborder, et je suis heureux de dire que nous commençons à les traiter. Monsieur le président, vous avez également accompli du bon travail à cet égard.

C'est une question sur laquelle il faut nous pencher. Je pense que le sénateur Furey ne partira nulle part avant longtemps. Je l'espère, à tout le moins. Il est excellent. Ce n'est peut-être pas une question à traiter en priorité dès cette semaine ou la prochaine, mais elle doit faire partie de la réforme et découle d'une recommandation du comité, donc je pense que nous devrions l'examiner.

Le président : Merci beaucoup. Ce sera tout pour ce projet de loi. Comme je l'ai déjà dit, je voulais permettre à notre témoin de dire quelques mots sur la réforme du Sénat, puisqu'il est l'auteur de quelques articles sur le sujet.

Avant de lui donner la parole, je souhaite souligner la présence parmi nous d'un sénateur à la retraite, celui qui a déposé la motion portant création du Comité sur la modernisation du Sénat, le sénateur Cowan. Levez-vous, sénateur Cowan.

Des voix : Bravo!

Le président : Tout le monde le connaît. C'est lui qui a eu cette idée. Je ne suis pas certain qu'il savait vraiment dans quoi il s'embarquait. Il ne me l'a pas dit, en tout cas, mais nous le remercions de ses efforts et de ses bons services. Nous sommes très fiers de lui en Nouvelle-Écosse, et je suis certain que nous en entendrons encore parler. Je vous remercie d'être venu.

Sénateur Hays, à titre d'ancien sénateur, voulez-vous nous parler de la réforme? Vous avez présidé un comité sur la réforme du Sénat.

M. Hays : Certainement. Assurez-vous que je ne m'écarte pas du sujet, monsieur le président et chers ex-collègues. J'observe avec beaucoup d'intérêt l'évolution de la réforme du Sénat; non seulement je la suivais quand j'étais sénateur, mais je continue de la suivre depuis que je l'ai quitté.

Bien que ce ne soit pas un sujet qui fasse les manchettes en ce moment, les gens s'en souviennent, et c'est un enjeu important. Nous en sommes à la croisée des chemins avec cette initiative du gouvernement actuel.

Si l'on remonte un peu dans l'histoire, les accords de Charlottetown et du lac Meech, ainsi que le rapport de la Commission royale Macdonald sur les enjeux économiques contenaient des recommandations à cet égard. Divers rapports de comités sénatoriaux et de comités mixtes ont recommandé une réforme, tout comme beaucoup de personnes. Jusqu'à maintenant, rien n'a donné lieu à une réforme officielle du Sénat.

Cependant, il y a maintenant quelque chose qui se passe, puisque le gouvernement a indiqué, sans en avoir beaucoup parlé, qu'à son avis, à partir de maintenant, toutes les personnes nommées au Sénat devraient faire l'objet d'un examen approfondi et ne pas avoir d'allégeance partisane.

Si mes calculs sont bons, d'ici la fin de l'année ou presque, les sénateurs nommés de cette façon formeront la majorité au Sénat. Le temps venu, il n'en tiendra qu'à eux de changer les choses. Ils pourraient faire fi de leur pouvoir de changer le Sénat, mais j'en doute. Il pourrait toutefois leur falloir un certain temps pour le faire.

C'est donc différent. Il y a des choses qui ont été faites qui changent la donne. Le gouvernement n'en a pas parlé beaucoup, il s'est contenté de dire qu'il avait fait quelque chose, c'est-à-dire, qu'il a modifié le processus de nomination et qu'il le respecte. Il serait intéressant que le gouvernement accepte de nous parler de la façon dont les choses devraient évoluer selon lui, parce que ce sera différent. Parce que c'est tout nouveau et que ce changement donne des outils au Sénat, cela dit sans exagération ni spéculations sur l'évolution des choses, mais ce sera très intéressant.

Je crois qu'il serait bon de trouver le moyen d'en savoir un peu plus sur la vision du gouvernement quant à la façon dont cette nouvelle formule changera le fonctionnement du Sénat, pour l'adoption et la modification des lois au Canada, en raison du rôle législatif que le Sénat joue en vertu de la Constitution. Certains changements se feront lentement, mais je pense qu'il est très difficile de prévoir exactement de quoi aura l'air le Sénat dans quelques années, à supposer que le gouvernement actuel demeure au pouvoir pour un second ou même un troisième mandat. S'il obtient un second mandat — et j'en présente le scénario dans le document que je vous ai remis, si je ne me trompe pas — le premier ministre actuel nommera 42 autres sénateurs, quelque chose de cet ordre. J'oublie le nombre exact, mais il en nommera beaucoup en plus des vingt quelques sénateurs qu'il a déjà nommés.

Bref, que nous le voulions ou non, le processus de réforme du Sénat est enclenché. Que nous l'admettions ou non, c'est un fait. Pendant cette période de transition, d'ici à ce que les sénateurs indépendants forment la majorité, je présume que nous aurons pour réaction d'essayer de restructurer le Sénat à la lumière du changement qui s'amène.

Serait-il possible que la majorité composée de sénateurs indépendants perpétue les usages actuels? Je ne sais pas trop comment ce serait possible. Nous suivons depuis longtemps le modèle de Westminster, qui génère une dynamique gouvernement-opposition.

Quoi qu'il en soit, le Comité sur la modernisation du Sénat est là. Je pense que c'est une idée brillante. C'est une initiative importante du Sénat. Le mot « modernisation » laisse entendre qu'il y a des choses qu'on peut faire dès maintenant pour modifier la structure du Sénat sans nous lancer dans le processus officiel de modification de la Loi constitutionnelle, qui prescrit l'accord de toutes les provinces selon l'article 42, contrairement à l'article 44. Il y a donc une longue liste de possibilités, dont les règles régissant l'élection à la présidence, et même des éléments moins controversés, comme le remplacement du libellé de 1867 par un libellé moderne. Je pense que ce pourrait être une façon de nous préparer à une différente forme de Sénat.

Le parti au pouvoir peut changer, et il se pourrait qu'un nouveau gouvernement ne suive pas le précédent, mais le gouvernement en place sera là assez longtemps pour qu'on voie une majorité de sénateurs indépendants au Sénat. Ce sera nécessairement un catalyseur de changement, et si ce gouvernement reste au pouvoir plus longtemps, les changements pourraient être considérables. Je ne sais pas trop quoi vous dire sur la façon de restructurer le Sénat ou la question de savoir si vous devriez essayer de préserver certaines choses, mais je pense que vous devriez inviter votre comité à y réfléchir.

Je vais m'arrêter là. Je vous ai remis un document qui présente diverses propositions, qui reprennent pour ainsi dire celles que j'avais exposées dans un article déposé au Sénat en 2007, et j'y ai ajouté une postface, que je peux vous fournir sur demande. Ce document est déjà traduit. Il décrit la situation avant les tentatives du gouvernement Harper de réformer le Sénat, des tentatives qui n'ont mené à rien en bout de ligne, à aucune modification officielle, comme toutes les tentatives précédentes de réformer le Sénat.

Il serait donc bon de commencer à y réfléchir et de songer à ce que nous pouvons faire maintenant pour nous préparer à cette réforme. Il est encore trop tôt pour que les sénateurs indépendants exercent pleinement leur influence. Il faut du temps avant d'être à l'aise au Sénat, de bien connaître les procédures en vigueur, de véritablement s'intégrer au système, parce qu'il le faut bien. Le gouvernement a un représentant utile. Quoi qu'il en soit, j'espère que cela suscitera des questions.

Le sénateur Joyal : Je suis désolé de partir le bal encore une fois. sénateur, vous avez eu l'occasion de présider le comité spécial créé au début du mandat de l'ancien gouvernement, et vous avez souligné à juste titre que nous sommes liés par la Constitution, selon l'interprétation qu'en fait la Cour suprême. Comme vous le savez très bien, la Cour suprême a rejeté l'une des principales recommandations de votre comité, la qualifiant d'inconstitutionnelle.

Compte tenu du cadre dans lequel nous évoluons aujourd'hui, étant donné que nous connaissons mieux maintenant les contraintes constitutionnelles entourant le rôle que le Sénat est amené à jouer et compte tenu de la configuration que vous avez décrite au Sénat, selon votre expérience, le fait que les sénateurs indépendants soient nombreux aujourd'hui, alors qu'ils étaient l'exception auparavant, serait-il le principal motif pour lequel nous devrions adapter l'institution? Si vous faisiez partie du groupe, dans ce contexte — vous avez fait des recommandations, mais à l'époque où vous les avez faites, en 2007, vous n'aviez pas à tenir compte de la composition actuelle du Sénat —, que nous recommanderiez-vous, compte tenu de notre structure de fonctionnement actuelle?

M. Hayes : Merci, sénateur Joyal. Je ne suis pas étonné que vous soyez le premier à m'interroger, puisque nous avons eu beaucoup de conversations à ce sujet, de manière formelle et informelle.

Je rappelle à tous que le sénateur Joyal parle de l'opinion exprimée par le comité spécial que j'ai présidé, selon qui il serait possible de modifier la Constitution sans obtenir l'accord de toutes les provinces, par application de l'article 42, afin de limiter la durée du mandat des sénateurs. À l'époque, les réformes de M. Harper contenaient cette proposition, et c'est celle qu'il voulait faire adopter, en plus de nombreux autres éléments un peu inhabituels, qui équivalaient à dire, en somme : « Quel est le chemin le plus facile vers l'abolition du Sénat? » La Cour lui a répondu que cela fait partie de l'architecture de la Constitution et, comme elle le signalait dans un renvoi à une décision de 1980, c'est une caractéristique fondamentale ou essentielle du Sénat. Si l'on veut la modifier, il faut l'approbation des provinces. C'est clair. La loi est claire aujourd'hui. On peut être contre, mais c'est ainsi.

Il y a, cependant, une possibilité intéressante que je vous inviterais à prendre en considération, et ce serait d'établir des limites à la durée des mandats. Quand Harper a évoqué cette possibilité, les limites à la durée du mandat devaient faciliter l'élection ou la sélection des sénateurs. Je pense que cela a donné sa couleur à tout le reste, y compris à l'opinion du tribunal, mais ce n'est que mon avis. Les opinions de la Cour sont ce qu'elles sont, donc clairement, si vous vouliez envisager d'imposer une limite à la durée des mandats (je pense que ce serait une bonne idée, simplement parce qu'on ne sait jamais ce que d'autres gouvernements pourraient faire), nous savons que l'opposition officielle a une position favorable au fonctionnement actuel du Sénat. Nous savons que le troisième parti a toujours la même position sur son abolition, une idée qui devra être débattue de nouveau à un moment donné, de façon officielle, selon une formule qui permettrait la participation de tous les Canadiens, de même que de toutes les personnes comme nous qui s'intéressent à la question.

Je pense qu'il serait utile d'envisager d'établir un mandat fixe et raisonnable pour les sénateurs. Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, qui a tranché la question soulevée par le sénateur Joyal, a dit ce qui suit : « Nous ne sommes pas certains que le Parlement du Canada a le pouvoir de le faire, si bien que nous ne ferons rien de plus que de lui dire de bien s'informer et de nous renvoyer le projet de loi, après quoi nous pourrons l'examiner. »

Il a toutefois dit — et le Sénat de l'époque était différent du Sénat d'aujourd'hui — que si le mandat était de 15 ans, il le jugerait acceptable.

Je pense qu'en ce moment, il faut avoir entre 30 et 75 ans, et sans donner de nombre exact, je pense qu'il faudrait au moins envisager un mandat de 15 ans. Il pourrait être de 12 ans ou de 20 ans, mais je pense qu'il vaudrait la peine d'envisager un mandat fixe au Sénat du Canada. Il y a d'autres éléments, mais c'en serait un. Je pense que si vous le faisiez aujourd'hui, si ce mandat était raisonnable et que les provinces le considéraient raisonnable, il serait fort peu probable que cela ne crée beaucoup de vagues. Cela vaut sûrement la peine d'essayer.

Le sénateur Joyal : En fait, pour ce qui est de la durée du mandat, quand le premier ministre recommande un candidat au gouverneur général pour une nomination au Sénat, il a le pouvoir de limiter la durée du mandat des sénateurs. Si le premier ministre décide de ne nommer que des sénateurs ou des candidats de 65 ans ou plus, il se trouve à en limiter leur mandat à un maximum de 10 ans; si la personne a 62 ans, son mandat ne pourra être de plus de 13 ans. Le premier ministre a ce pouvoir. Rien ne l'empêche de s'en prévaloir.

En fait, vous vous rappellerez que le premier ministre au pouvoir à l'époque où vous étiez Président, M. Chrétien, avait décidé de nommer des sénateurs assez avancés en âge. Il a même nommé une sénatrice qui n'a été au Sénat que six mois, si ma mémoire est bonne, la sénatrice Betty Kennedy, et vous vous rappellerez qu'il y avait un grand roulement au Séant à cette époque, parce que le premier ministre avait décidé de nommer un grand nombre de sénateurs de 70 ans et plus. De mon humble avis, certains d'entre eux ont apporté au Sénat une contribution remarquable. D'autres moins, parce que toutes sortes d'expériences préalables ne les préparaient pas à être efficaces immédiatement.

Comme je l'ai dit, le premier ministre d'aujourd'hui pourrait décider de ne nommer que des sénateurs de 60 ans et plus, ce qui équivaudrait dans les faits à limiter leur mandat à 15 ans, et c'est la durée que vous avez proposée.

Il y a une façon de contourner le cadre officiel contraignant de la Constitution, quand on l'interprète dans le contexte de la convention qu'un premier ministre peut vouloir établir ou suivre, s'il reprend celle de son prédécesseur. Concrètement, cela permet de limiter la durée du mandat des sénateurs. Je n'ai pas vérifié l'âge des nouveaux sénateurs, ceux qui viennent d'être nommés, mais ce pourrait être un exercice intéressant que de déterminer la durée médiane du mandat des sénateurs qui viennent tout juste d'être nommés.

M. Hays : C'est un outil un peu rudimentaire, toutefois, mais c'est un argument valable. Cela dit, il vaudrait la peine de revoir le cadre. Vous avez travaillé très fort afin de nous donner une charte qui dicte qu'on ne peut pas exercer de discrimination en fonction de l'âge, alors que selon notre Constitution même, nous faisons actuellement une discrimination. Une personne de 29 ans n'est pas admissible à cette fonction. Une personne de 76 ans non plus. Il y a pourtant beaucoup de personnes de 29 ou de 76 ans d'une grande compétence. Je ne sais pas trop quoi penser de la limite inférieure, mais il est certain que, pour avoir dans les 70 ans moi-même, je trouve que 76 ans, ce n'est pas si vieux. Je pense qu'il serait bien de déterminer une durée fixe de mandat et que cela correspondrait davantage à ce que le gouvernement au pouvoir semble avoir à l'esprit, pour que tous les sénateurs soient bel et bien indépendants, qu'il y ait des garde-fous, mais aussi pour nous débarrasser des dispositions discriminatoires de la Loi constitutionnelle de 1867. C'est mon opinion.

Le sénateur Joyal : La seule observation de nature juridique que je ferai à ce sujet, c'est que comme vous le savez, l'article de la Loi constitutionnelle qui prescrit les limites d'âge des sénateurs a été jugé constitutionnel, parce qu'une disposition de la Constitution, soit de la Charte, ne peut pas venir contredire une autre disposition de la Constitution, à l'égard des nominations au Sénat.

Autrement dit, ces articles de la Loi constitutionnelle ne peuvent pas être contestés sur la base de la Charte, parce que comme je l'ai dit, ils existaient avant que la Charte ne soit promulguée, et à partir du moment où elle est entrée en vigueur, la Charte ne pouvait pas contredire des dispositions préexistantes de la Loi constitutionnelle. Comme vous le savez, la Cour suprême a rendu de nombreuses décisions en ce sens.

M. Hays : C'est vrai.

Le sénateur Joyal : Je pense que de manière générale, ce serait utile pour le premier ministre ou le Sénat, mais je suis un peu sceptique quand vous mentionnez que nous ne savons pas ce que le gouvernement veut faire du Sénat. Je serais porté à dire que le Sénat n'a pas à attendre que le gouvernement lui fasse des propositions. Je pense qu'il revient aux sénateurs de réfléchir eux-mêmes à la valeur de leur fonction et à la façon dont ils assumeront leur rôle constitutionnel.

Je pense que la proposition du sénateur Cowan, qui avait reçu l'appui de l'opposition à l'époque, serait la plus pertinente pour le Sénat. C'est mon avis. Bien que je sois d'accord avec l'idée selon laquelle le Sénat devrait participer à la sélection du Président, nous sommes liés par les dispositions de la Constitution. Je pense qu'on ne peut pas y échapper. Par contre, je ne serais pas de ceux qui diraient : « Si le gouvernement ne fait rien, nous ne ferons rien. » Je pense qu'il n'en tient qu'à nous d'agir, de manière générale, pour établir clairement comment nous interprétons le rôle du Sénat en vertu de la Constitution, comment nous devons nous en acquitter chaque jour dans nos débats et dans l'étude des projets de loi.

À mon avis, nous n'avons rien à gagner à être passifs. Encore une fois, le Sénat doit s'adapter à l'évolution du contexte démographique et politique. Il n'en tient qu'à nous de déterminer quel choix et quelle décision nous souhaitons recommander à nos collègues.

M. Hays : Je suis d'accord. Je ne le conteste pas du tout. Cependant, je pense que le gouvernement a le devoir d'informer les Canadiens. Pour ce qui est du Sénat lui-même, j'ai déjà dit que ce changement est sans précédent. Nous n'avons jamais rien changé de tel. Cette nouvelle procédure est déjà en place, elle est différente et changera la donne. De toute évidence, le parti ministériel estime qu'elle la changera pour le mieux. Je me pose des questions à cet égard, parce que la partisanerie, bien que ce soit habituellement un concept péjoratif, semble être notre façon de résoudre la plupart de nos problèmes politiques. Quoi qu'il en soit, l'avenir lui réservera peut-être une place, je n'en suis pas certain.

En définitive, ceux qui ne participent pas du tout à la discussion et qui devraient être beaucoup plus informés de l'avenir de leurs institutions parlementaires, de cette institution en particulier, ce sont les Canadiens. Normalement, le gouvernement dirait : « Nous pensons que ce changement sera bon pour le Sénat. » C'est sa vision. « Nous avons apporté ce changement et nous prenons des mesures pour faire ce que nous pouvons. Nous en prendrons plus encore, mais notre objectif ultime, c'est qu'il y ait un organe décisionnel parlementaire non partisan. Nous pensons que c'est une très bonne idée, parce que la partisanerie est très présente à la Chambre, si bien qu'une Chambre législative composée de membres non-affiliés à un parti assurerait la non-partisanerie, la diversité du Canada, et c'est pour ces raisons que nous apportons ces changements. » Il n'y en a pas beaucoup d'autres.

J'espère que les conservateurs et les néo-démocrates, pour ne nommer que les deux autres partis présents au Parlement — avec les Verts — y répondraient en disant s'ils sont d'accord ou non. Il y aurait une discussion, et les Canadiens bénéficieraient de cette discussion. C'est ce que je veux dire, au fond.

Sans cela, ce changement passe inaperçu, et comme c'est un changement important, je ne crois pas qu'il devrait passer inaperçu. Il devrait recevoir beaucoup de visibilité.

Le sénateur Joyal : Merci.

La sénatrice McCoy : Encore une fois, comme vous le dites, vous défendiez déjà cette institution avec ferveur avant. Vous avez ses intérêts à cœur et vous les aurez toujours, et je suis ravie de vous voir aussi convaincu 10 ans plus tard.

J'aimerais simplement vérifier un certain nombre de choses que vous avez dites. Mon but n'est pas d'exposer mon opinion. J'aimerais connaître la vôtre. Dans ce cas-ci, vous avez affirmé que le gouvernement avait dit qu'à l'avenir, tous les sénateurs seraient non-affiliés. Pouvez-vous me donner une citation? Je n'ai jamais rien entendu de tel de ses représentants. Je les ai entendus dire, quand ils ont annoncé ce changement, qu'ils croyaient que le Sénat devrait être moins partisan. Je ne les ai jamais entendus dire que le Sénat ne devrait pas être partisan du tout. Il y a peut-être quelque chose qui m'a échappé. Vous êtes un brillant esprit juridique, et vous avez un pied dans un cabinet d'avocats de Calgary, qui a peut-être remarqué une chose que je n'ai pas remarquée.

M. Hays : Votre question est bien formulée. J'ai tendu l'oreille, j'ai lu. Vous avez raison. Quelqu'un quelque part a dit que le gouvernement n'avait jamais prétendu qu'il ne nommerait pas de sénateur affilié à un parti. C'est peut-être vrai, mais cela n'a pas été dit haut et fort, et ce changement d'approche n'a pas été expliqué.

Donc, un processus de réforme du Sénat a été lancé et il y a des progrès. Pour ce qui est d'un changement réel, je pense que le point de bascule ne sera pas franchi du jour au lendemain. Cela pourrait être long, mais de toute évidence, les sénateurs indépendants n'auront pas la culture qui a caractérisé — ou non — le Sénat depuis le début, et c'est un aspect dont il convient de discuter.

Je pense que même si le gouvernement ne s'est pas engagé à ne pas nommer des sénateurs partisans, cela ne pose pas problème, car il n'a fait que nommer des sénateurs indépendants, comme nous l'avons constaté. C'est peut-être une bonne idée. Je ne dis pas que c'est une erreur. Nous verrons.

J'ai lu la première lettre de mandat de la ministre des Institutions démocratiques. Au nombre de ses responsabilités, on pouvait lire les mots « réforme du Sénat ». Or, dans son nouveau mandat, l'expression a été supprimée; elle n'y figure plus. À ma connaissance, ce n'est pas un enjeu qui fait l'objet de discussions et dont nous entendrons à nouveau parler. Je pense simplement que des encouragements polis et prudents pourraient favoriser la tenue de discussions publiques supplémentaires sur le sujet.

Le Sénat fait un bon travail et ce comité en est l'exemple parfait. C'est une idée géniale et je vous envie, car beaucoup de choses très intéressantes vous attendent, à mon avis.

La sénatrice McCoy : En 2014, dans l'arrêt relatif au renvoi, la Cour suprême du Canada a exprimé très clairement son point de vue sur l'indépendance du Sénat et sur celle des sénateurs en particulier. Ensuite, il y a eu une décision du juge Vaillancourt. C'était un obiter dictum, une opinion incidente dans laquelle il laissait entendre que le cabinet du premier ministre et son ingérence dans les activités quotidiennes du Sénat était... Je ne sais pas quel terme employer, mais il estimait manifestement que c'était inapproprié.

Ensuite, à la fin de l'automne 2015, je crois, un de nos comités, le Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement, si je ne me trompe pas, a invité les ministres responsables de l'époque — les ministres LeBlanc et Monsef — à comparaître. Ils ont exprimé de façon non équivoque qu'ils considèrent que cette question relève du Sénat et que le pouvoir exécutif et la Chambre des communes ne devraient pas s'ingérer dans les affaires du Sénat.

Vous avez laissé entendre que le gouvernement devrait jouer un rôle à cet égard. À votre avis, les gens pourraient-ils mal interpréter cette proposition et considérer qu'il s'agit d'une proposition visant à revenir à une situation qui n'était pas jugée appropriée?

M. Hays : Cela pourrait expliquer le mutisme relatif du gouvernement sur la question. On ne veut pas donner l'impression de vouloir diriger le Sénat à partir du Bureau du Conseil privé ou de la Chambre des communes, bref, de l'extérieur du Sénat. Pour le gouvernement, c'est la position qu'il convient d'adopter.

Toutefois, le gouvernement a inévitablement un rôle à jouer dans certaines décisions. À titre d'exemple, si le Sénat décidait de limiter la durée des mandats, il devrait obtenir l'approbation de la Chambre, en supposant que les provinces ne s'y opposent pas, auquel cas il faudrait abandonner l'idée, car la culture qui caractérise notre époque est de ne pas discuter avec les provinces ou rend impossible la tâche de convaincre le gouvernement d'accepter cette idée, et je comprends pourquoi.

Il serait pertinent de rendre obligatoire le recours à la Commission des nominations publiques; le Sénat et la Chambre des communes pourraient alors avoir des discussions à ce sujet. Actuellement, la loi ne l'exige pas, comme au Royaume-Uni, de sorte qu'il n'y a pas de discussions. Je pense simplement qu'il s'agit d'aspects importants dont il faut discuter avec les gens.

Quant au juge Vaillancourt, c'est un aspect intéressant. J'en prends note, mais je vais en rester là.

La sénatrice McCoy : Je souscris sans réserve à votre désir de voir la société civile participer à la transition historique du Sénat du Canada, mais vous avez fait référence à maintes reprises aux nouveaux sénateurs indépendants. J'ai eu le privilège — je dis bien le privilège — de travailler avec les nouveaux sénateurs indépendants, même s'ils siègent au Sénat depuis un certain temps, et j'ai aussi eu le plaisir de travailler avec les sénateurs récemment nommés qui se sont déclarés indépendants. Je n'ai jamais entrevu l'avenir de cette institution avec plus d'optimisme et je suis impressionnée par l'intelligence de ces gens. Je suis impressionnée par leur volonté à assumer leurs responsabilités. Je suis impressionnée par leur désir de participer, de jouer un rôle pour améliorer les choses et de servir les Canadiens de manière concrète.

Je serais enchantée si vous acceptiez notre invitation à revenir au comité pour discuter avec nous. Ce serait l'occasion de vous informer des progrès considérables des discussions que nous avons tenues au cours des quelque huit derniers mois, de nos plans pour poursuivre ces discussions et de la transformation des mécanismes habituels qu'on observe déjà au Sénat pour accommoder les nouveaux sénateurs indépendants. Je pense que vous entreverriez probablement l'avenir avec autant d'optimisme et d'enthousiasme que moi.

M. Hays : Ce serait un plaisir.

Le président : J'espérais que nous pourrions siéger à huis clos pendant environ cinq minutes. Il serait donc utile que nous fassions preuve de concision.

Le sénateur Dean : Merci beaucoup d'être venu. C'est un plaisir et un privilège de bénéficier de votre expérience et de votre sagesse.

Permettez-moi de revenir à une observation que vous avez faite plus tôt lorsque vous avez décrit la trajectoire de réforme. Vous avez parlé de l'arrivée d'un groupe de sénateurs indépendants et de la possibilité que ce groupe forme bientôt la majorité au Sénat. Vous avez indiqué que les nouveaux sénateurs... J'en suis à ma sixième semaine; je suis donc de ceux qui commencent lentement à s'adapter.

Je sais deux choses. La première, c'est qu'outre les directives qui m'ont déjà été données, je n'ai pas besoin de directives supplémentaires de la part du gouvernement ou du premier ministre. Je suis persuadé que lorsqu'il m'a appelé, le premier ministre a tenu les mêmes propos qu'avec les autres nouveaux sénateurs, soit qu'il ne cherche qu'une chose : il souhaite que je siège au Sénat en toute indépendance, en action et en pensée, et que je contribue à faire du Sénat une institution plus indépendante et moins partisane.

En toute logique, je pense qu'il serait probablement imprudent, pour un premier ministre — ou pour tout autre dirigeant politique ou pour le gouvernement — de demander à des gens d'agir en toute indépendance puis de leur donner une liste de choses à faire. Je ne crois pas être le seul à être de cet avis, et je suis ici depuis six semaines. Beaucoup de mes collègues pensent probablement la même chose, à mon avis.

La sénatrice McCoy a déjà mentionné que les discussions et les déclarations publiques du premier ministre concernant un Sénat moins partisan s'inscrivent dans la foulée des instructions plutôt claires émises par la Cour suprême en 2014. Je dirais que les directives de la Cour suprême et du nouveau premier ministre me suffisent. Je parle uniquement en mon nom personnel.

Pour moi, l'enjeu est de savoir comment arriver à collaborer pour donner effet à ces directives et rendre le Sénat moins partisan. Je pense que l'expression « moins partisan » est la clé, car personne ne parle d'éliminer complètement la partisanerie au Sénat. Cela dit, nous sommes loin de la coupe aux lèvres actuellement, si je peux m'exprimer ainsi.

Quels conseils donneriez-vous à des gens qui arrivent au cœur d'une période de changement — une période que je dirais porteuse d'espoir —, en tenant compte des directives préexistantes des tribunaux et du premier ministre? Si vous étiez à notre place, quelles seraient les deux ou trois mesures que vous prendriez pour modifier le ton et la teneur des délibérations au Sénat, qui sont continuellement teintées de partisanerie? Voilà la question.

M. Hays : Je vous remercie d'avoir décrit votre expérience initiale et d'avoir parlé de votre discussion avec le premier ministre. J'aime ce que vous avez dit et je ne m'attendais à rien de moins de vous, mais il est tout de même bon de l'entendre.

Comme je l'ai indiqué, vous avez d'intéressantes décisions à prendre pour transformer un ensemble de règles et de précédents axés sur la partisanerie. Le gouvernement n'a pas à donner des instructions au Sénat quant à ce qu'il doit faire. Il peut toutefois prendre certaines mesures pour confirmer qu'à l'avenir, le Sénat sera une institution où les décisions seront prises autrement. Cela ne veut pas dire pour autant que la prise de décisions politiques n'a pas ses avantages. Dans le document que je vous ai fourni, vous verrez des arguments très favorables à la démocratie, aux partis politiques et à la partisanerie, de même qu'une citation de Churchill, je crois, qui a dit : « La démocratie est le pire des régimes — à l'exception de tous les autres déjà essayés dans le passé. »

Donc, vous pourriez réfléchir à la façon dont pourrait fonctionner un Sénat indépendant sans le contexte politique dans lequel des sénateurs comme moi-même ont évolué, soit en assurant la présidence du parti, en siégeant au comité des politiques et programmes, en rencontrant les Canadiens pour savoir ce qui les inciterait à voter pour le parti dont je suis partisan. Vous n'avez aucun intérêt pour ces questions, mais elles ont leur importance, et il est important de demeurer à l'écoute.

Donc, qu'est-ce qui pourrait remplacer ce genre de choses, disons dans deux ou trois ans, lorsque vous aurez toute la latitude voulue pour agir pratiquement à votre guise, notamment par rapport au Règlement? S'agit-il là d'un aspect qui fait défaut quant à la prise de décision en comité, quant à la question de savoir s'il s'agit d'une bonne idée?

Dans le dossier de l'aide médicale à mourir, vous avez eu l'aide de la Cour, et vous avez finalement choisi de reporter votre décision. Agirez-vous toujours ainsi? C'est une décision difficile. Vous avez le droit de veto pour tout enjeu, à l'exception des modifications constitutionnelles. Il convient que vous commenciez à réfléchir à la question. Y a-t-il une ligne directrice selon laquelle, par exemple, une mesure quelconque ne passera pas, quoi qu'il advienne? Ou vais-je plutôt choisir de signaler, comme le sénateur Pratte l'a indiqué, qu'il existe un risque, soit la possibilité que ce soit une autre façon d'utiliser un organe législatif disposant d'un droit de veto absolu?

Il n'est certainement pas trop tôt pour tenir de telles discussions; les sénateurs partisans qui sont ici ont beaucoup à vous apprendre, pourvu qu'on ne vise pas à les évincer à l'avenir.

Il faut aussi tenir compte de l'opinion des Canadiens, qui pourraient trouver que c'est une excellente idée ou qui pourraient poser toutes sortes de questions. Il est impossible de prédire ce que les Canadiens en penseront, ce que le Parti conservateur, le Nouveau Parti démocratique ou le Parti de la Saskatchewan auront à dire à ce sujet. Toutefois, c'est inévitable, et je pense que plus tôt vous étudierez la question, mieux ce sera.

Le sénateur Dean : Merci.

Le sénateur Eggleton : J'aimerais parler de la représentation régionale au Sénat. Je sais que c'est un enjeu qui vous préoccupait lorsque vous siégiez ici, étant donné la sous-représentation des provinces de l'Ouest. L'équilibre régional est une question qui préoccupait considérablement les Pères de la Confédération. Les provinces de l'Atlantique étaient préoccupées par la diminution de leur poids relatif en raison de l'augmentation de la population et du contrôle qu'exerceraient les provinces du centre, le Québec et l'Ontario, sur la Chambre des communes. Le Québec se préoccupait également de la protection des droits linguistiques dans un pays majoritairement anglophone. C'est ainsi qu'on en est arrivé à 24 sénateurs par région, soit 24 pour le Québec, 24 pour l'Ontario, 24 pour les provinces de l'Atlantique et 24 pour les 4 provinces de l'Ouest. Six ont été ajoutés lorsque Terre-Neuve est entrée dans la Confédération et trois autres ont été ajoutés par la suite pour les territoires.

Bien que la Chambre haute — le Sénat — ne soit pas fondée sur la représentation selon la population, la représentation régionale demeure une préoccupation, car elle ne correspond aucunement à la répartition de la population. À titre d'exemple, la Colombie-Britannique et l'Alberta ont toutes deux une population deux fois plus élevée que le Canada atlantique, mais les provinces de l'Atlantique disposent de 30 sièges, tandis que l'Alberta et la Colombie-Britannique en ont six chacun. C'est totalement disproportionné.

C'est un problème qu'il est difficile de régler, étant donné que le gouvernement écarte toute possibilité de modification constitutionnelle. Or une modification constitutionnelle serait nécessaire dans le cas présent, peut-être en vertu de l'article 42, comme vous l'avez indiqué.

Permettez-moi de vous poser deux questions à cet égard. Premièrement, quel serait l'équilibre idéal, à votre avis? Actuellement, selon vous, comment pourrait-on améliorer l'équilibre de la répartition régionale des sièges au Sénat? Devrait-on considérer la Colombie-Britannique comme une région, ou l'Alberta, voire les deux? Sous quelle forme cela pourrait-il fonctionner, selon vous?

Deuxièmement, que doit-on faire par rapport à la situation constitutionnelle? Devrait-on insister là-dessus? Le gouvernement a toujours tendance à dire que d'autres enjeux feront surface si on choisit cette voie et que ce sera alors le chaos. Est-ce une excuse? Devrions-nous insister sur la modification constitutionnelle? En mon sens, une telle modification est extrêmement logique, mais quoi qu'il en soit, j'aimerais avoir votre opinion sur la question de la représentation régionale.

M. Hays : Vous soulignez que je viens d'une région qui se considère sous-représentée au Sénat. C'est une question dont je pourrais parler pendant longtemps. Je me contenterai donc de dire que la meilleure solution — c'est simplement mon opinion personnelle — serait de suivre l'exemple de la République fédérale d'Allemagne et de répartir les sièges en fonction de Länders ou de provinces de petite, moyenne et grande taille. Sans aller dans les détails sur la façon dont cela fonctionne, cela permettrait de régler adéquatement le problème que vous avez décrit, soit que certaines régions sont sous-représentées, tandis que d'autres sont surreprésentées. Cela pourrait être fondé sur la population, peut-être en ajoutant un critère lié au PIB ou quelque chose du genre, mais d'avoir des divisions de petite, moyenne et grande taille. Nous avons le Québec et l'Ontario. Le Québec n'a pas un poids aussi grand que l'Ontario, mais il voudrait probablement être dans la catégorie des grandes provinces, tandis que l'Île-du-Prince-Édouard voudrait probablement être dans celle des petites provinces.

Vous devez vous rappeler que si vous allez dans une région surreprésentée, comme je l'ai fait, vous devez faire preuve de prudence si vous commencez à discuter de cette question, car c'est un sujet délicat. On parle de sièges garantis et, qui plus est, de sièges au Sénat. Ce n'est pas un enjeu facile à régler. Je vous ai présenté ma solution idéale, mais ma réponse est fonction de la région d'où je viens. Les gens du Canada atlantique, et possiblement du Québec, pourraient avoir une tout autre opinion, et l'Ontario pourrait être pris au milieu dans le rôle de médiateur. Je pense que des changements sont possibles, mais ce ne serait pas facile; il faudrait beaucoup de patience et de diligence.

Cela pourrait poser problème pour un Sénat privé de son caractère partisan; je n'en suis pas certain. Il s'agit peut-être de l'instance la mieux placée pour régler le problème, mais il faudrait alors beaucoup de négociations et de compromis pour en arriver à la solution souhaitée, car la dernière redistribution des sièges remonte à la Loi constitutionnelle de 1915. Beaucoup trop de choses ont changé, et vous avez raison : tout cela est dépassé.

Le sénateur Eggleton : En effet. On pourrait redistribuer les sièges existants, je suis conscient qu'il pourrait y avoir beaucoup de résistance du côté des provinces qui perdraient des sièges. Il serait toutefois possible d'ajouter des sièges, comme cela a été fait à la Chambre des communes, ce qui a permis d'éviter de nombreux problèmes liés à la redistribution.

M. Hays : C'est aussi ce qui était prévu pour le Québec dans l'Accord de Charlottetown. La province avait obtenu une représentation minimale à la Chambre en échange de la modification du nombre de sénateurs. Il convient de prendre en compte ce genre de choses.

Le sénateur Eggleton : Merci.

[Français]

La sénatrice Bellemare : Je tiens à vous remercier d'être parmi nous aujourd'hui. Je me sens également très privilégiée de connaître votre opinion, compte tenu de votre expérience en cette auguste Chambre.

Comme nous le savons tous, de plus en plus de sénateurs indépendants seront nommés au Sénat et le leader du gouvernement est dorénavant remplacé par le représentant du gouvernement, qui joue aussi un rôle de représentant du Sénat auprès du gouvernement et à qui le gouvernement remet les projets de loi à étudier. Selon votre expérience, et compte tenu de la mise en œuvre de ce nouveau système, croyez-vous qu'il y ait encore place pour une opposition officielle?

Il y aura certainement toujours des sénateurs qui appartiendront à un parti politique donné, donc des sénateurs partisans. Toutefois, un caucus de l'opposition officielle dans un Sénat plus indépendant, est-ce viable?

[Traduction]

M. Hays : Il n'existe aucune autre fédération ou aucun autre système bicaméral dont nous pouvons nous inspirer. Habituellement, c'est la première chose à faire. Je l'ai fait, mais il n'y a rien. Nous sommes dans une situation unique.

Honnêtement, je ne vois pas comment on pourrait conserver les règles actuelles et les adapter en fonction de 105 ou 98 sénateurs indépendants. C'est une pure hypothèse...

[Français]

— comme le Sénat en France, un hémicycle avec la gauche et la droite —

[Traduction]

On choisit de quel côté on veut siéger. Il y a toujours la possibilité de changer, si vous voulez, mais on finit par rester d'un côté, en particulier lorsqu'on est appelé à siéger à vie ou pour une très longue période.

Très franchement, c'est l'une de mes principales préoccupations lorsque je réfléchis à l'importance du rôle de la partisanerie dans la prise de décisions — parfois mauvaises — qui mènent à l'élection des gens. C'est un aspect important, car on n'a pas à tenir compte d'un organe législatif disposant d'un droit de veto absolu sur toute nouvelle mesure législative ou toute modification aux lois existantes.

Donc, comment parviendrez-vous à vous distinguer? Vous ne serez pas toujours d'accord, ce qui n'a rien de surprenant. Je ne sais pas. Que pourriez-vous faire? C'est une bonne question; je ne dis pas que ma proposition est la solution. Je vous dis simplement ce qui me passe à l'esprit, probablement de mon point de vue d'avocat, je suppose. Une telle situation s'est-elle produite auparavant? Si oui, qu'a-t-on fait? Sinon, y a-t-il quelque chose de comparable? Qu'est-ce qui pourrait ressembler à ce que nous essayons de créer? Je ne vois vraiment pas.

Il existe au nouveau gouvernement de l'Indonésie un troisième organe, mais il n'a aucun pouvoir législatif. Je pense que ses membres sont élus, mais ils n'ont aucun pouvoir. La République populaire de Chine a ce qu'on appelle la Conférence consultative politique du peuple chinois, mais comme ce sont tous des communistes, cela ne pose pas vraiment problème. Quoi qu'il en soit, je ne sais pas. C'est une bonne question. Je vous souhaite bonne chance. La question m'intéresse vivement, et je vous invite à commencer à en discuter immédiatement.

Le président : Merci beaucoup. L'honorable Dan Hays est venu aujourd'hui, principalement pour discuter du projet de loi S-213. C'est ce que nous avons fait. Cela dit, nous avons été enchantés de vous accueillir ici et d'avoir eu l'occasion de discuter avec vous, étant donné votre vaste expérience et vos connaissances approfondies du Sénat. Merci beaucoup; nous vous en sommes très reconnaissants.

M. Hays : Merci, monsieur le président. Merci, mesdames et messieurs les sénateurs. C'était un privilège d'avoir l'occasion de participer à cette discussion.

Des voix : Bravo!

(La séance se poursuit à huis clos.)

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