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SECD - Comité permanent

Sécurité nationale, défense et anciens combattants

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de la
Sécurité nationale et de la défense

Fascicule no 7 - Témoignages du 19 septembre 2016


OTTAWA, le lundi 19 septembre 2016

Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense se réunit aujourd'hui, à 10 heures, pour procéder à l'étude sur les questions relatives à l'Examen de la politique de défense entrepris actuellement par le gouvernement.

Le sénateur Daniel Lang (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bienvenue au Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense. Avant de commencer, je voudrais présenter les personnes présentes autour de la table. Je m'appelle Dan Lang, sénateur du Yukon. Barbara Reynolds, greffière par intérim du comité, se trouve directement à ma gauche. Adam Thompson, notre greffier, sera de retour demain, lorsque nous reprendrons nos travaux.

Je voudrais inviter les sénateurs à se présenter et à nommer la région qu'ils représentent, en commençant par la vice-présidente.

La sénatrice Jaffer : Je m'appelle Mobina Jaffer, et je suis de la Colombie-Britannique.

Le sénateur Kenny : Colin Kenny, de l'Ontario.

Le sénateur Dagenais : Je m'appelle Jean-Guy Dagenais. Je viens du Québec.

Le sénateur Day : Joseph Day, du Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Beyak : Sénatrice Lynn Beyak, de l'Ontario. Bienvenue.

Le président : Aujourd'hui, nous allons nous réunir pendant cinq heures afin d'étudier les questions relatives à l'Examen de la politique de défense qui a été amorcé par le gouvernement. Le 21 avril 2016, le Sénat a autorisé notre comité à se pencher et à rendre des comptes sur l'Examen de la politique de défense entrepris actuellement par le gouvernement. Nous étudions des questions entourant la participation possible du Canada à des opérations de soutien de la paix de l'ONU dans l'avenir ainsi que sur d'autres points liés à l'examen.

Notre étude a commencé le 30 mai, et jusqu'ici, nous avons entendu 17 témoins, y compris le ministre de la Défense, des hauts responsables de l'ONU, des représentants d'organisations non gouvernementales canadiennes et des experts ayant une expérience solide des questions liées à la défense.

Depuis notre dernière séance, le gouvernement a annoncé le déploiement en Lettonie de 450 Canadiens faisant partie du groupement tactique multinational de l'OTAN; le déploiement d'une frégate qui travaillera par rotation avec les forces multinationales de l'OTAN dans la région; et le déploiement d'une force opérationnelle aérienne, qui comprendra jusqu'à six chasseurs à réaction CF-18, chargée d'assurer une surveillance périodique et de mener des activités de police aérienne.

De plus, le ministre de la Défense a annoncé à la fin du mois d'août que 600 membres des Forces armées canadiennes seront disponibles à des fins de déploiement dans le cadre d'une mission de soutien de la paix de l'ONU en Afrique, de même que jusqu'à 150 agents de police. Le gouvernement n'a pas confirmé à quelle mission particulière de l'ONU il participera. Toutefois, on a envisagé sérieusement le Mali, où d'aucuns laissent entendre que le Canada pourrait remplacer les Casques bleus hollandais.

Au cours des trois prochains jours, nous allons cibler notre attention sur l'Examen de la politique de défense, en mettant l'accent en particulier sur la participation renouvelée du Canada aux activités de maintien de la paix de l'ONU.

Le premier groupe de témoins qui se joint à nous aujourd'hui est composé de Mme Jane Boulden, doyenne associée des arts, Collège militaire royal du Canada, par vidéoconférence, et M. Walter Dorn, professeur et président, Programme de maîtrise en études de la défense, Collège militaire royal du Canada et Collège des Forces canadiennes.

M. Walter Dorn a été président du Canadian Pugwash Group, une organisation qui offre des réflexions universitaires sur le règlement et la prévention des conflits armés, et il demeure membre de son conseil d'administration. Il a été affecté au Groupe d'experts sur la technologie et l'innovation pour le maintien de la paix des Nations Unies de l'ONU en juin 2014. Le groupe d'experts a publié son rapport final en février 2015. Le domaine d'intérêt et de recherche de M. Dorn comprend l'imposition et le maintien de la paix et le droit international, les conflits armés, la prévention des conflits, les religions du monde et les Nations Unies.

Mme Jane Boulden comparaît par vidéoconférence. Elle est titulaire de la Chaire de recherche du Canada en relations internationales et sécurité, au CMRC, et, de 2000 à 2003, elle a été boursière à Oxford. Son principal domaine d'expertise, ce sont les efforts déployés par les Nations Unies et l'ONU pour régler les conflits de la période de l'après-guerre froide et pour enrayer le terrorisme. Elle est l'auteure d'un certain nombre d'ouvrages, dont The Rise of the Regional Voice in UN Security Council Politics et International Crisis Response and a Canadian Role.

M. Dorn et Mme Boulden, bienvenue. Je crois savoir que vous avez chacun une déclaration préliminaire à faire. Monsieur Boulden, vous pourriez peut-être commencer. Nous disposons d'une heure pour votre groupe de témoins.

Jane Boulden, doyenne associée des Arts, Collège militaire royal du Canada, à titre personnel : Je vous remercie d'être disposés à m'entendre par vidéoconférence.

Comme vous l'avez dit, mon expérience tient au fait d'avoir étudié le maintien de la paix pendant de nombreuses années et d'avoir mis un accent particulier sur le recours à la force, puis, plus récemment, sur la façon dont les Nations Unies et des organes et acteurs régionaux ont réagi aux conflits qui sévissent en Afrique.

M. Dorn et moi-même avons certains domaines d'expertise en commun; j'ai donc préparé les propos que je vais tenir en prévoyant un peu ce qu'il pourrait dire, alors, espérons que nos propos ne vont pas trop se chevaucher. J'ai tenté de rester concentrée sur la question de la façon dont la Défense nationale — le MDN et les Forces armées canadiennes —, peut contribuer au renouvellement par le Canada de son soutien aux activités de maintien de la paix de l'ONU.

Compte tenu de la nature du mandat et du fait qu'il s'agit du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense, je me suis principalement concentrée sur les aspects à l'égard desquels le MDN et les FC peuvent apporter une contribution. J'espère tout de même que le gouvernement tient une réflexion plus large et que l'engagement englobera plus que le MDN et les Forces armées canadiennes et qu'il s'étendra au-delà, à d'autres domaines, comme la justice, le soutien policier, le développement et le soutien politique et gouvernemental dans les situations de conflit. J'ajouterais à cette liste la médiation et la prévention des conflits, deux domaines qui ne sont pas du tout exclusifs au MDN et aux Forces armées canadiennes, mais qui sont vraiment essentiels au soutien de la paix, en général, par les temps qui courent, et il s'agit d'aspects à l'égard desquels le Canada pourrait apporter une contribution.

Le besoin d'une intervention vastement conçue à la suite de conflits reflète la nature changeante des opérations de soutien de la paix sur le terrain. Je sais que vous avez entendu d'autres témoins vous en parler, notamment le ministre, alors je ne vais pas m'y attarder trop longtemps, mais je voulais simplement le souligner.

Je vais commencer par établir le contexte dans lequel nous étudions la question aujourd'hui, puis — ensuite —, je formulerai certaines propositions très précises. Je serai brève dans les deux cas, et j'espère que, s'il y a quoi que ce soit que vous voulez approfondir dans le cadre des questions ou sur quoi vous voulez obtenir plus de détails, nous pourrons le faire.

Tout d'abord, il y a le contexte des opérations de soutien de la paix. Le mandat provient du Conseil de sécurité; le Conseil de sécurité établit le mandat d'ensemble pour les opérations de soutien de la paix. Depuis la fin de la guerre froide, il rend graduellement — et, dans certains cas, pas si graduellement — ces mandats bien plus complexes et multidimensionnels.

Certains éléments clés ajoutent à cette complexité. Maintenant, les mandats comprennent très souvent — de fait, la majeure partie du temps — l'exigence de protéger les civils, ce qui est une tâche difficile, surtout dans des environnements de conflits continus. Ils comprennent très souvent un mandat en vertu du chapitre 7. Cela signifie que le recours à la force au-delà de l'autodéfense est autorisé. Il s'agit à la fois de reconnaître les environnements risqués qui font l'objet d'interventions sur le terrain et la nature très variée des tâches. La surveillance des droits de la personne et la stabilisation et le soutien des gouvernements sont également très difficiles, car il est question de beaucoup de situations dans lesquelles le gouvernement est très fragile. Enfin, il y a la réforme du secteur de la sécurité, qui comprend le désarmement, la démobilisation et la réintégration des troupes.

Il existe beaucoup d'autres caractéristiques, mais il s'agit là de celles qui sont devenues un élément essentiel des mandats du Conseil de sécurité en ce qui concerne les opérations de soutien de la paix.

Les deux autres éléments contextuels que je veux seulement souligner sont le nombre et les types d'acteurs dans tout conflit donné, lesquels ont augmenté depuis l'époque des activités classiques de maintien de la paix traditionnelles durant la guerre froide. En plus des partis gouvernementaux officiels, il est parfois aussi question d'un grand nombre de groupes belligérants, qui ne viennent pas tous à la table de négociation pour négocier le cessez-le-feu ou l'accord de paix. Même ceux qui s'y présentent ne se sentent pas toujours obligés de respecter leurs engagements, une fois qu'ils retournent sur le terrain, ce qui ajoute à la complexité de l'environnement.

Certains groupes belligérants ne sont pas invités à la table de négociation ou refusent de s'y présenter, alors on ne peut pas présumer qu'ils vont respecter les engagements mis en œuvre dans le cadre de l'opération de soutien de la paix. En outre, une foule d'acteurs dans cette équation n'ont ni le désir ni la volonté de respecter les principes du droit international et les modalités de l'opération de soutien de la paix sur le terrain.

Le troisième facteur contextuel, c'est que le nombre et les types d'acteurs qui interviennent en cas de conflit ont aussi changé et augmenté, et, ce à quoi je fais allusion en particulier, c'est le rôle des organisations régionales et d'autres acteurs. C'est particulièrement vrai en Afrique. De fait, l'Afrique est l'endroit où nous avons observé un changement à cet égard. Nous pouvons considérer l'Union africaine comme étant l'acteur régional continental qui joue un rôle de plus en plus important, en partenariat avec l'ONU, dans les interventions à la suite des conflits, mais il y a aussi une foule d'autres entités et acteurs régionaux, qui vont de la CEDEAO, dans l'Ouest, qui est maintenant une institution d'intervention assez expérimentée — à des acteurs régionaux très petits et, parfois, très ponctuels qui interviennent à la suite d'un conflit donné.

Donc, en résumé, le monde des opérations de soutien de la paix est extrêmement complexe. Dans ce contexte, quel genre de contribution... ou quelles sont certaines des propositions particulières au sujet de la façon dont nous pouvons contribuer... plus particulièrement, comment le MDN et les Forces canadiennes peuvent-ils contribuer?

La première idée en est une qui est exclusive aux FC et au MDN, et elle consiste simplement à dépenser plus d'argent pour maintenir et perfectionner notre capacité à cet égard. Les Nations Unies souhaitent désespérément — même si elles disposent déjà de plus de 100 000 soldats sur le terrain — en obtenir davantage, et elles ont un besoin particulièrement criant de soldats comme les Canadiens. Notre capacité de contribuer de cette manière est limitée par nos propres contraintes du point de vue des besoins de financement et de budget.

Ma première proposition est simple : il s'agit de consacrer plus d'argent à l'armée. Si on maintient le statu quo ou qu'on réduit le financement, on réduira notre capacité de contribuer et d'intervenir dans le cadre d'opérations de soutien de la paix au fil du temps.

La deuxième proposition concerne la rapidité de réaction. Toute la recherche et toutes les leçons tirées dans le cadre de nos opérations précédentes appuient l'idée selon laquelle ce que nous faisons pendant les six premiers jours, les six premières semaines et les six premiers mois d'une intervention à la suite d'un conflit est crucial au succès à long terme. Le Canada a joué un rôle de chef de file à cet égard dans le passé. À la suite du génocide du Rwanda, le gouvernement canadien a pris les devants en établissant une étude internationale visant à déterminer et à étudier les façons de renforcer la capacité de réaction rapide des Nations Unies. Cette idée est revenue sur le tapis récemment lors de la conférence de Londres; par exemple, l'idée d'établir une capacité d'intervention de 30, 60 et 90 jours a été formulée. Ainsi, il s'agit d'un domaine dans lequel le Canada pourrait, encore une fois, s'affairer à prendre les devants, et il a la capacité de le faire.

Le troisième aspect, c'est le renforcement des capacités des organisations régionales. Dans le contexte africain — comme je l'ai dit —, les organisations régionales sont des intervenants clés. Elles sont devenues les intervenants de première ligne. Elles sont les gros bras. En cas de conflit, elles assument le fardeau de l'intervention sur le terrain, et ce sont elles qui prennent les plus grands risques. Elles le font même pendant qu'elles sont elles-mêmes aux prises avec des difficultés importantes au chapitre des capacités, en tant qu'États individuels et qu'acteurs régionaux. Sur ce plan, le Canada pourrait en faire beaucoup pour contribuer à améliorer les interventions de soutien de la paix au fil du temps.

La quatrième et dernière idée, c'est de nous concentrer davantage et d'acquérir plus de connaissances au sujet des tendances globales liées aux conflits qui sévissent en Afrique. Si nous devons nous concentrer sur le maintien de la paix en Afrique — et il semble que nous le faisons, pour l'instant —, nous devrions acquérir davantage de connaissances, non seulement au sujet des conflits précis sur lesquels nous espérons influer, mais aussi au sujet de la situation globale des conflits en Afrique. J'aime vraiment le fait que le ministre prenne le temps de préparer le terrain avant de prendre une décision finale quant à l'orientation que nous allons adopter. Mais, intégrons ces travaux à une vaste stratégie, à un vaste effort visant à renforcer nos capacités et nos bases en ce qui a trait aux conflits qui sévissent en Afrique. Cela rendra la contribution plus efficace au fil du temps et augmentera les probabilités de succès. Le Canada fait partie d'un groupe de pays qui peuvent apporter une contribution clé sur ce plan. Nous n'avons pas de bagage colonial. Nous avons des capacités. Il s'agit d'un rôle qui est très important du point de vue des conflits qui sévissent en Afrique, en général.

Alors, je vais m'arrêter là. Je sais qu'il s'agissait d'un survol très rapide, mais j'espère que nous pourrons disposer d'un certain temps pour la discussion et les questions. Je serai heureuse d'en discuter avec quiconque voudra en savoir plus à ce sujet.

Le président : Merci beaucoup, madame Boulden. Nous allons passer à M. Dorn, et je remarque que nous avons une copie de votre exposé. Je voudrais vous demander de vous en tenir à une période de cinq à sept minutes, afin que nous ayons du temps pour les questions.

En outre, je soulignerais seulement, pour le compte rendu, qu'un certain nombre d'exposés qui — je crois — ont été envoyés à l'administration n'ont peut-être pas été reçus. Il s'agit d'une observation que je veux faire parce que certains sénateurs ont porté à mon attention le fait que nous devrions recevoir ces exposés bien à l'avance, avant que nous ne commencions les séances officielles, et je vais demander au comité directeur de régler ce problème dans un avenir assez rapproché. Monsieur Dorn, veuillez commencer.

[Français]

Walter Dorn, professeur et président, Programme de maîtrise en études de la défense, Collège militaire royal du Canada et Collège des Forces canadiennes : Je vous remercie, monsieur le président, du privilège que vous m'accordez de vous parler des opérations du maintien de la paix. C'est un sujet qui me tient à cœur en tant que professeur d'études de la défense et un sujet de première importance pour le Canada et le monde entier, en particulier pour celles et ceux qui sont touchés par la terreur et la misère de la guerre.

[Traduction]

Les opérations de paix de l'ONU exercent des fonctions essentielles dans les régions du monde qui sont ravagées par la guerre. Elles donnent aux combattants des occasions de cesser leurs combats et leurs tueries. Elles favorisent les processus de paix et les négociations. Elles permettent de valider les accords de paix et renforcent la confiance. Elles protègent les civils contre des attaques. Elles établissent des collectivités et des pays plus solides. Elles réforment le secteur de la sécurité et créent de nouvelles possibilités économiques dans les régions qui sortent de la guerre. Ces buts ambitieux et importants ont désespérément besoin d'un plus grand appui, car la paix est assiégée dans de nombreuses parties du monde. L'ONU a besoin de beaucoup d'aide parce que les opérations de paix sont actuellement sous-équipées, ne disposent pas d'assez de ressources et sont sous-appréciées, surtout si l'on compare les modestes moyens aux buts ambitieux.

Malgré les limites et les obstacles, l'histoire a montré que les opérations de paix fonctionnent bel et bien. Elles ont aidé à apporter la paix et la stabilité en Amérique centrale, dans plus d'une douzaine de pays d'Afrique, dans l'ancienne Yougoslavie et des nouveaux pays comme le Timor-Oriental et en Asie. Elles ont aidé à mettre fin à plusieurs guerres au Moyen-Orient, quoiqu'on ne leur ait encore malheureusement pas donné l'occasion de fonctionner en Syrie.

Il est certain que les opérations de paix ne sont pas une panacée. Elles ne sont pas une solution facile, mais elles constituent une partie importante de la solution, et, si certaines missions se sont soldées par un échec spectaculaire, même ces échecs ont montré que les Casques bleus fournissent une aide précieuse. La mission du général Dallaire au Rwanda a montré comment, grâce à seulement 200 Casques bleus sur le terrain, on a pu sauver plus de 20 000 à 30 000 vies durant le règne du génocide.

En Bosnie, après beaucoup d'efforts déployés de concert avec l'ONU, l'Union européenne et l'OTAN, la paix a enfin pu créer de la stabilité, et on a fini par apporter la paix là où beaucoup avaient cru que c'était impossible.

Le retrait prématuré des Casques bleus de la Somalie, en 1993-1994, montre que le fait de laisser un pays en proie au désespoir n'est pas une solution, puisque, laissée à elle-même, la Somalie a connu le chaos, le terrorisme, la famine et le retour de la piraterie.

De même, en Afghanistan, quand le monde — le Canada y compris — a retiré les Casques bleus de l'ONU, en 1990, après avoir confirmé le départ des Soviétiques, le monde a raté une occasion de prévenir une atroce guerre civile et la montée des Talibans et d'Al-Qaïda.

En tant que pays occidental, il est dans notre intérêt que nous trouvions des façons de soulager la souffrance dans les pays lointains. Ces conflits sont des plaies ouvertes sur le corps du monde qui déversent une hémorragie de problèmes sur le reste de la planète. Ils produisent des flux massifs de réfugiés et propagent des maladies, la piraterie et le terrorisme, et ils peuvent coûter littéralement des milliers de milliards de dollars, comme on a pu le constater en Afghanistan et en Irak. Si on ne trouve pas de solutions pacifiques, nous allons être témoins d'autres catastrophes.

Ainsi, l'annonce faite par le premier ministre le soir des élections selon laquelle le Canada est de retour a été la bienvenue. Toutefois, près d'un an plus tard, nous n'avons encore affecté que 30 membres du personnel militaire aux opérations de maintien de la paix de l'ONU. Le nombre de militaires canadiens demeure près des niveaux les plus bas jamais enregistrés, alors que celui de l'ONU n'a jamais été aussi élevé, soit 92 000 membres du personnel militaire affectés au maintien de la paix dans le monde aujourd'hui.

Que peut faire le Canada pour maintenir la paix? Eh bien, dans mon document de deux pages intitulé « Un retour au jeu : Les contributions potentielles du Canada aux opérations de paix des Nations Unies », je formule environ 20 recommandations de façon dont le Canada peut à nouveau devenir un champion des opérations de paix de l'ONU. Dans mon court témoignage oral, j'ai seulement le temps de faire ressortir les grandes propositions audacieuses.

En ma qualité de personne qui participe le plus à l'instruction à l'échelon du commandement et du personnel dans le cadre des opérations de paix de l'ONU pour les Forces canadiennes, je vais me concentrer sur l'instruction et l'éducation.

Le Canada a besoin d'un centre où les policiers, les militaires et les civils sont formés ensemble. Cette capacité a été perdue lors de la disparition du Centre Pearson pour le maintien de la paix, en 2013. Il est essentiel que ces milieux apprennent à se connaître et à travailler ensemble dans les régions du monde qui sont dévastées par la guerre dans le cadre d'opérations multidimensionnelles de l'ONU... pas seulement les Canadiens, mais des gens d'autres parties du monde qui recevraient une instruction aux côtés des Canadiens. Cela exige non seulement un effort pangouvernemental, mais aussi un effort planétaire, et le Canada peut créer une institution de calibre mondial.

Ma proposition de centre international des opérations de paix canadien — CIOPC — aiderait les civils et le personnel militaire non seulement à recevoir une instruction sur les opérations de paix, mais aussi à se préparer en vue de déploiements. Actuellement, ces possibilités d'instruction sont lacunaires au Canada, et l'adoption d'une approche intégrée — militaire, policière et civile — aiderait non seulement les civils à mieux connaître les méthodes et les tâches des militaires, mais aussi l'inverse, à surmonter les cloisonnements institutionnels et à bâtir des ponts au-dessus du fossé qui sépare les civils des militaires.

Malheureusement, la quantité d'instruction militaire aux fins des opérations de paix de l'ONU est passée à moins du quart de ce qu'elle était il y a une décennie.

En plus de la fin du Centre Pearson pour le maintien de la paix, le nombre de cours et d'activités militaires à l'échelon des officiers a diminué de façon importante. Cette situation a été causée principalement par l'accent mis sur l'Afghanistan et par le manque d'orientation gouvernementale en vue de l'instruction et de la pratique relatives au maintien de la paix. Toutefois, les compétences qui ont été acquises en Afghanistan pourraient encore s'appliquer, et il y a de nombreuses choses qui doivent encore être apprises, comme le commandement et le contrôle de l'ONU, la façon d'être efficace dans l'environnement des Nations Unies, d'être interopérable avec des contingents du monde en développement, d'utiliser les systèmes d'approvisionnement de l'ONU, d'empêcher les gens de s'entretuer, d'appuyer les cessez-le-feu locaux, de mettre en œuvre des accords de paix complets et de servir en tant que soldat diplomate quand toutes les tensions environnantes sont exacerbées et qu'une guerre pourrait éclater.

Outre l'instruction, le Canada peut être un chef de file dans de nombreux domaines. Il s'agit notamment de la technologie; je me contenterai de vous renvoyer à un document qui sera publié à la fin du mois par l'honorable Lloyd Axworthy et moi-même et qui s'intitule New Technology for the Protection of People : Expanding the R2P Toolbox.

Comme votre comité sénatorial est chargé, entre autres, d'étudier les opérations de soutien de la paix, il y a tant d'innovations à effectuer et de choses à améliorer et à mettre en œuvre. Il y a de la place pour les idées de pointe qui permettront d'aider les populations du monde qui sont affligées par la guerre. Le comité peut fournir non seulement un second examen objectif, mais aussi une première réflexion créative, et j'espère que je pourrai vous aider à suivre ce processus dans l'intérêt de vos travaux et pour le bien de notre monde.

Le président : Merci, monsieur Dorn.

La sénatrice Jaffer : Je vous remercie tous les deux de vos exposés. Je vous adresse la même question à tous les deux.

Monsieur Dorn, dans la liste de recommandations que vous avez créée dans le mémoire prônant l'examen des politiques de défense intitulé Un retour au jeu : Les contributions potentielles du Canada aux opérations de paix des Nations Unies, l'un des principaux éléments que vous abordez, je crois, c'est la participation des femmes. Et, comme vous le savez tous les deux, l'ONU et le Canada étaient des chefs de file à cet égard, puisque la résolution 1325 met l'accent sur le fait que les femmes devraient être incluses dans les rôles décisionnels. L'ONU l'a affirmé, mais, à ce que je crois savoir, ne respecte pas sa propre résolution sur l'inclusion des femmes dans les processus décisionnels.

Monsieur Dorn, je voudrais que vous soyez le premier à formuler un commentaire, car vous avez dit que les femmes — surtout les Canadiennes — qui jouent des rôles de leadership devraient participer davantage aux opérations de maintien de la paix. Je voudrais donc connaître vos commentaires à ce sujet, puis ceux de Mme Boulden.

M. Dorn : Bien sûr. Merci de poser la question. Actuellement, seulement environ 4 p. 100 du personnel militaire affecté aux opérations de maintien de la paix sont des femmes. Dans les Forces canadiennes, les femmes comptent pour environ 15 p. 100 de la Force régulière. Je pense que nous pouvons apporter des contributions majeures pour ce qui est de fournir des dirigeantes, des officières d'état-major et des gardiennes de la paix qui effectuent des patrouilles sur le terrain dans le cadre d'opérations de maintien de la paix. Les gardiennes de la paix peuvent tendre la main aux femmes et aux enfants des collectivités locales d'une meilleure manière que ne le peuvent les hommes. Je pense qu'elles peuvent également occuper des postes de leadership. En 2014. Les Nations Unies ont obtenu la première commandante des forces, une officière de la Norvège, commandant les forces à Chypre — la FNUC — dont le Canada a déjà assumé le commandement.

L'ONU déploie actuellement un effort majeur, alors, elle fait appel aux pays afin qu'ils fournissent plus de femmes. Nous pouvons assurément le faire. Nous pouvons également être fiers du fait que la première sous-secrétaire générale était une femme, Louise Fréchette.

Malheureusement, pour l'instant, au quartier général des Nations Unies, nous n'avons aucune femme ni aucun Canadien au Bureau des affaires militaires, un bureau que nous avons déjà dirigé. Il s'agirait d'un excellent poste où affecter des femmes au quartier général de l'ONU à New York, à certains de ces postes clés, afin qu'elles puissent faire partie du processus de planification pour le maintien de la paix et être les yeux et les oreilles du Canada.

La sénatrice Jaffer : Madame Boulden, je veux que vous répondiez à cette question, vous aussi. Dans votre exposé, vous avez parlé de l'inclusion des civils, alors j'aimerais que vous étendiez votre réponse en abordant les façons dont nous pourrions faire participer un plus grand nombre de femmes civiles aux opérations de rétablissement et de maintien de la paix.

Mme Boulden : Je répéterais et confirmerais simplement tous les propos de M. Dorn. Selon moi, il a très bien tout expliqué.

Oui, je pense que le Canada pourrait jouer un rôle — un rôle particulièrement fort — pour ce qui est de fournir des civils. En raison de la nature multidimensionnelle du soutien de la paix, on a de plus en plus besoin d'acteurs civils. Nous pourrions certainement jouer un rôle à cet égard en encourageant les experts canadiens et en puisant dans l'expertise dont nous disposons, et en intégrant cette expertise dans le système de l'ONU.

C'est également lié à l'argument formulé par M. Dorn au sujet de l'absence de Canadiens au quartier général des Nations Unies ces temps-ci. Il s'agit d'une absence notable, car, auparavant, nous y étions très présents et très efficaces.

L'un des autres rôles que pourrait jouer le Canada sur ce plan consisterait à exercer avec d'autres intervenants des pressions visant à tenir l'ONU responsable de ses propres décisions internes relatives au fait d'intégrer plus efficacement les femmes dans le système.

En ce qui concerne le gouvernement canadien, je dirais qu'il s'agit d'un domaine dans lequel nous pourrions et devrions jouer un rôle en intégrant davantage de femmes civiles dans le système. Ce pourrait être par la médiation. Ce peut être par la direction d'aspects civils de la mission. Il y a toute une foule de façons dont nous pouvons contribuer.

La sénatrice Beyak : Merci, madame Boulden et monsieur Dorn. Excellents exposés. Merci de partager avec nous vos connaissances et vos recherches.

Je me demande si chacun de vous pourrait me dire si le Canada devrait accorder la priorité aux opérations de maintien de la paix de l'ONU devant l'OTAN et les pays alliés, et pourquoi. Si vous pouviez donner des détails, je vous en serais reconnaissante.

M. Dorn : Je pense que les deux vont ensemble. Il faut accorder la priorité aux deux. Si vous voulez connaître mon opinion, je dirais à peu près tout autant que j'hésite à tenter de comparer ces deux institutions, qui sont vraiment essentielles à la sécurité du monde. L'OTAN et l'ONU veulent travailler en plus étroite collaboration, et je pense que nous devrions envisager d'établir des liens entre ces deux institutions afin qu'elles aient un moyen de travailler ensemble.

L'OTAN a mené certaines missions de maintien de la paix dans le passé. Elles ont été très fructueuses en Bosnie, après les accords de paix de Dayton de 1995, et il est possible que des missions hybrides soient menées. Tout comme l'ONU qui a travaillé en partenariat avec l'Union africaine dans le cadre de certaines missions menées en Afrique, nous pourrions nous organiser pour que l'OTAN fournisse une composante aux fins de certaines opérations de paix ultérieures.

La sénatrice Beyak : Merci. Madame Boulden?

Mme Boulden : Tout comme M. Dorn, je suis aussi un peu hésitante. C'est en partie parce que je pense que c'est très axé sur le contexte. L'institution à laquelle on pourrait accorder la priorité dépend vraiment de ce qui arrive dans une situation donnée. Si nous étions dans une situation de crise particulière, l'OTAN pourrait être l'institution la plus appropriée, et nous devrions assurément lui accorder la priorité. Toutefois, s'il s'agit d'un autre type de situations, les deux sont peut-être plus égales.

La seule chose que je voulais dire, c'est que, comme l'a affirmé M. Dorn, il y a beaucoup de situations où nous pourrions envisager une opération hybride ou dans lesquelles les deux organisations ont pu ou pourront bien fonctionner ensemble. Mais il est vraiment difficile de sous-estimer le pouvoir de porter un casque bleu. Je ne veux rien enlever aux opérations, mais, souvent, si nous travaillons dans une situation de coalition, nous sommes dans cet environnement. Nous ne portons pas de casque bleu, même si nous pourrions participer à une opération autorisée par les Nations Unies.

Pour les personnes sur le terrain dans des types de conflits particuliers, le fait qu'il s'agisse d'une opération de Casques bleus a de l'importance. Voilà ce que je veux dire par être propre au conflit. Dans une situation donnée, il pourrait s'agir d'un appel à désigner une mission de l'ONU comme étant prioritaire. Cela dépend vraiment.

Je sais que c'est une réponse très théorique — « cela dépend » —, mais je la rendrais propre au contexte plutôt que de dire que toutes les fois, en principe, une institution devrait être au-dessus de l'autre.

Le sénateur Day : Merci beaucoup.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Ma question s'adresse à M. Dorn et à Mme Boulden. Par la suite, j'aurai une sous-question à poser à Mme Boulden.

Je pense qu'on ne sait pas tout ce qu'on devrait savoir sur le déploiement de forces en faveur de la paix en Afrique, que le gouvernement a annoncé. Puisque vous avez une longue expérience, pouvez-vous cerner les cinq principaux risques qui nous attendent et nous dire de quelle façon, selon vous, nous devrions nous préparer pour y faire face?

[Traduction]

M. Dorn : Je peux tenter d'en dresser une liste de cinq.

Le premier — le plus évident —, c'est la sûreté et la sécurité de notre propre personnel. Si nous allons dans un pays comme le Mali — ce qui est très probable pour le Canada —, nous risquons que des attaques soient perpétrées à l'encontre des Casques bleus de l'ONU. De 30 à 40 Casques bleus meurent chaque année. Le degré de risque n'est pas aussi grand qu'en Afghanistan. J'estimerais qu'il est 10 fois moins grand, d'après les taux de pertes de vie, mais il est tout de même important.

Il y a aussi le risque que l'on se retrouve dans une situation où on se sent impuissant, un genre de situation comme celle du Rwanda, où une tuerie est en cours, mais où les Casques bleus se rendent compte qu'ils n'ont pas les moyens, bien qu'ils puissent avoir pour mandat... parce que toutes les opérations multidimensionnelles créées par les Nations Unies ont un mandat relatif à la protection des civils, mais elles doivent fonctionner dans le cadre d'une mission effective. C'est un risque épouvantable pour un pays que de prendre part à une mission, puis de se retrouver sans la capacité d'agir au moment où son impératif humanitaire l'incite à intervenir.

Un autre risque, c'est que le processus de paix puisse échouer et que nous puissions passer d'un accord de paix à une situation de guerre où le combat s'intensifie. Ensuite, nous n'avons plus l'air de mener une opération fructueuse. Il s'agit donc d'un risque d'échec opérationnel.

Comme vous m'avez demandé cinq risques, je dois en ajouter un autre. Nous voulons que le Canada réussisse, et je pense qu'il a eu sa part d'embarras. Nous avons été extrêmement embêtés par l'affaire de la Somalie, et il y a un risque que certains Casques bleus se soient mal comportés dans le cadre de la mission en Haïti. Certains de nos agents de police se sont mal conduits. C'est un risque, mais je fais énormément confiance aux militaires du Canada, et je pense que nous nous comportons extrêmement bien. Nous avons fait cela extrêmement bien en Afghanistan. Alors, je dirais qu'il s'agit du dernier des risques.

Mme Boulden : Je ne suis pas certaine de pouvoir en trouver cinq différents de ceux de M. Dorn.

Je serais tout à fait d'accord pour classer en tête de liste le même risque que lui, soit la sûreté et la sécurité des soldats et des autres membres du personnel sur le terrain, les policiers et les civils, et ainsi de suite. Le risque fondamental général lié à ces conflits — à tout conflit —, c'est qu'une tournure subite des événements — un certain genre de changement imprévu, créé par un autre groupe ou par un certain type d'événement externe, provoquant un revirement de situation sur le terrain — ne crée une situation complètement différente, qui est plus dangereuse, plus fluide, et dans laquelle votre mandat ne s'applique plus vraiment.

Cet exemple est lié à une situation à laquelle nous avons souvent fait face ou qui s'est produite dans le passé, où — dans le contexte des environnements de mandat complexes et lorsque l'environnement sur le terrain change... On pourrait se retrouver dans une situation où divers aspects du mandat entrent en conflit les uns avec les autres. Comme l'a laissé entendre M. Dorn, nous pourrions nous trouver dans une situation où l'impératif humanitaire devient prioritaire, mais nous oblige à violer une certaine autre partie du mandat, ce qui met les troupes à risque et rend plus difficile la possibilité de réussite.

Vous nous avez également demandé comment nous devrions nous préparer à faire face aux cinq principaux risques. Une façon consiste à être surpréparé et à aborder la situation prévue d'un point de vue militaire, sur le terrain, mais à ensuite planifier l'intervention à l'échelon supérieur — au moins, peut-être plus — et à s'y préparer. Ainsi, si la situation change, nous serons prêts à y faire face, et nous ne serons pas en train d'attendre d'obtenir plus d'équipement, un équipement différent ou plus de soutien, et ainsi de suite. Nous serons en fait préparés au maximum.

Je sais que c'est difficile à faire. C'est comme la prévention des conflits. Il est difficile de plaider en faveur d'une augmentation des dépenses et de l'affectation d'un plus grand nombre de ressources lorsque ce n'est pas absolument nécessaire à ce moment-là. Tout comme la prévention des conflits, il s'agit d'un moyen qui — lorsque la situation dérape — nous permet vraiment de tirer notre épingle du jeu parce que nous sommes prêts à y faire face à ce moment-là, et d'un moyen qui peut empêcher la situation de vraiment se détériorer.

Une deuxième façon de se préparer, qui est liée à l'une de mes dernières recommandations, c'est que... nous sommes assez habiles à cet égard, mais nous devons passer à la prochaine étape de l'élargissement de notre base de connaissances au sujet de ce qui se passe sur le terrain, de sorte que nous prévoyions la possibilité de ces risques, même lorsqu'ils ne sont pas nécessairement présents, quand nous effectuons nos premières interventions. J'entends par là qu'il y a plusieurs volets, pas seulement le front militaire, mais aussi la situation politique.

Les conflits et l'évolution de la situation politique stimulent la hausse très marquée ou la réduction des conflits sur le terrain. Mieux nous connaissons les particularités et les vastes tendances liées aux conflits et mieux nous interprétons les signaux indiquant l'orientation d'un conflit, plus nous pourrons réduire nos risques au minimum.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Madame Boulden, selon vous, à l'heure actuelle, nos troupes seraient-elles prêtes à intervenir en Afrique tout en garantissant aussi la sécurité des soldats?

[Traduction]

Mme Boulden : C'est une grande question. Je ne suis pas certaine d'être la bonne personne pour y répondre, car je ne sais pas exactement quels soldats nous envoyons et dans quelle situation nous mettons les pieds. Je supposerais que nous le sommes, mais il s'agirait d'une supposition.

Je pense que la deuxième partie de votre question concerne la réduction des risques au minimum. Encore une fois, comme je ne connais pas les détails, c'est difficile à mesurer, mais je l'espère.

Certes, si nous nous fions à l'expérience du passé — et il ne s'agit pas d'une chose que je défends, et c'est là que j'essayais d'en venir en formulant mes recommandations —, le maintien de la paix, en général... et les troupes canadiennes menant les opérations de soutien de la paix, plus particulièrement, sont connues pour en faire plus avec moins et pour accomplir des miracles sur le terrain, mais nous ne pouvons pas continuer à nous attendre à ce que cela arrive. Nous devons être certains. Elles n'ont pas besoin d'accomplir un miracle pour connaître le succès. Je ne suis pas bien placée pour dire si nous en sommes là ou non par rapport à une opération particulière actuellement menée en Afrique, mais je m'aventurerais à supposer que la réponse est affirmative.

Les signaux envoyés par le ministre et ce qu'il fait du point de vue de la préparation et du processus décisionnel sont de bon augure à cet égard, mais, encore une fois, je ne fais que formuler une supposition.

M. Dorn : Très brièvement, nous devons offrir beaucoup plus d'instruction afin de préparer ces types d'opérations. C'est très différent de l'Afghanistan. La façon de procéder est différente. Il y a beaucoup à faire afin que nous soyons vraiment préparés à ces genres de choses.

J'ajouterais aussi que le fait d'intervenir dans des pays francophones de l'Afrique imposerait un fardeau supplémentaire aux unités francophones du Canada : le Royal 22e Régiment et le 5e Groupe-brigade mécanisé du Canada. On fera appel à eux afin qu'ils interviennent le plus souvent en raison de la nature des intentions de l'ONU et des régions de l'Afrique où elles sont menées.

[Français]

Le sénateur Carignan : Ma question est assez simple, et c'est une question que les Canadiens et Canadiennes se posent. Mon collègue vous a demandé quels étaient les cinq risques auxquels le Canada s'expose lorsqu'il décide de s'impliquer de façon militaire ou dans le cadre de missions de paix à l'extérieur du pays. Je vais en soustraire deux et vous demander quels seraient trois avantages pour le Canada et les Canadiens d'augmenter leur participation à des missions de paix ou autres.

[Traduction]

M. Dorn : Trois avantages : je dirais tout d'abord que nous contribuons à la paix et à la sécurité dans le monde, puisque, en fin de compte, nous vivons dans un village planétaire et que nous ne pouvons tout simplement pas permettre à une catastrophe humanitaire d'avoir lieu dans d'autres parties du monde. Nous devons apporter une contribution. Il s'agit du volet moral.

Quant à l'intérêt personnel, je pense qu'au bout du compte nous aidons à prévenir l'afflux de réfugiés, la propagation de maladies, de la criminalité et du terrorisme, si nous pouvons créer ces zones qui, autrement, deviennent propices à ces types de mauvaises choses qui peuvent revenir nous hanter. C'est dans notre intérêt.

Ensuite, il est utile pour le Canada d'avoir un rôle à jouer à l'ONU et de créer une identité pour le pays, une identité à jour. Dans le monde, nous sommes largement perçus comme un courtier honnête, comme un pouvoir intermédiaire, un réparateur utile, et, en contribuant aux opérations de paix des Nations Unies, nous pouvons solidifier ce rôle et faire en sorte que les Canadiens soient davantage les bienvenus lorsqu'ils voyagent dans le reste du monde.

Mme Boulden : Je me ferais l'écho du premier argument. Je pense que la sécurité nationale doit être liée à la sécurité internationale. L'idée maîtresse de la création des Nations Unies, c'est l'idée qu'il est possible d'établir ce lien, que la sécurité nationale de l'État de toute personne est fondamentalement liée à la sécurité nationale de toutes les autres. Si nous commençons à toucher à cela et à nous concentrer sur l'intérêt national, l'idée tout entière s'écroulera. Comme l'a mentionné M. Dorn, le premier avantage, c'est simplement que nous contribuons à notre propre sécurité nationale en assurant la sécurité d'autres pays.

Le deuxième, c'est que, plus précisément dans le cadre des conflits en question, l'avantage, c'est que nous contribuerions à la résolution d'un conflit particulier. La résolution d'un conflit a toutes sortes de répercussions. M. Dorn a mentionné les réfugiés et d'autres problèmes connexes. Je pense que bien des Canadiens s'identifient à cela. Nous sommes essentiellement un pays où de nombreuses personnes viennent d'ailleurs, et nombre d'elles proviennent d'autres endroits qui étaient en situation de crise... alors, oui, la résolution d'un conflit en particulier.

Le troisième en est un autre que M. Dorn a abordé. L'accroissement de notre rôle à l'ONU en général — pas seulement en ce qui a trait au maintien de la paix — entraînerait beaucoup de répercussions. Cela nous donne un rôle à d'autres endroits. Cela nous procure des avantages, un certain nombre desquels nous n'avons pas toujours été en mesure de formuler, mais des avantages et des privilèges sur toutes sortes d'autres tribunes, mais aussi au sein même des Nations Unies.

[Français]

Le sénateur Carignan : Ma deuxième question concerne le niveau d'investissement dans les forces armées.

[Traduction]

Le Canada est de retour, mais avec quoi revient-il?

[Français]

Je n'ai rien contre les principes qui sont exprimés, mais il faut avoir les moyens de ses principes. Croyez-vous que le Canada investit suffisamment dans ses forces armées actuellement pour atteindre les objectifs que vous proposez? Sinon, quel devrait être le niveau d'investissement en faveur des Forces armées canadiennes? Est-ce que nous devrions répondre à l'appel de M. Obama, notamment, et de nos collègues de l'OTAN pour augmenter de façon substantielle nos investissements?

[Traduction]

M. Dorn : Je pense que nous pouvons examiner les capacités canadiennes actuelles et voir quels aspects auraient besoin d'être améliorés afin que nous puissions mener davantage d'opérations de paix pour l'ONU, mais, selon moi, nous disposons actuellement d'un très bon équipement pour le faire. Grâce au véhicule de reconnaissance Coyote et au VPBT qui entrera en service, nous pourrons tenir lieu de pilier technologique pour une mission donnée. Nous pouvons fournir notre aide relativement aux communications et aux signaux, sachant que l'ONU est loin d'être aussi avancée technologiquement que ne l'est l'OTAN et que le Canada peut apporter une énorme contribution dans ce domaine.

Une grande partie de l'équipement est moins utilisée dans le cadre des opérations de paix de l'ONU que dans le cadre des opérations de guerre de l'OTAN. Ainsi, les chars d'assaut ont encore un rôle à jouer, mais bien moins important, et les chasseurs à réaction en ont à peine un. Alors, cela signifie que l'accent porte moins sur les plateformes très coûteuses et davantage sur les choses comme les véhicules aériens sans pilote, les dispositifs de vision nocturne et ce genre de choses.

Je dirais que nous disposons d'une excellente capacité. Nous allons avoir certains problèmes de personnel si nous voulons maintenir un déploiement à l'ONU pour une longue période. Compte tenu des autres déploiements qui sont en cours, nous devons étudier les questions concernant la façon dont on peut maintenir autant de personnes sur le terrain, mais, selon moi, l'affectation d'un nombre allant jusqu'à 600 est assurément viable, et on peut y arriver grâce aux ressources actuelles, à mon avis.

Mme Boulden : Oui. Je souscris à l'opinion selon laquelle nous pouvons faire ce que nous affirmons pouvoir faire maintenant. Toutefois, si nous envisageons le moyen terme — et même le court à moyen terme —, nous avons besoin de plus de gens. Si nous voulons faire beaucoup plus que cela — c'est-à-dire respecter l'engagement dans les pays baltes, prendre un engagement à l'égard du maintien de la paix, pouvoir encore avoir une certaine capacité de réserve au cas où il se passerait quelque chose —, nous avons besoin de plus de personnel, tout à fait. Mais pouvons-nous respecter nos engagements actuels? Oui.

Le sénateur Day : Je vous remercie tous les deux de votre présence. Ma première question découle du fait que vous enseignez tous les deux au Collège militaire royal... vous, monsieur Dorn, au niveau postdoctoral, je crois, et madame Boulden, au premier cycle universitaire.

Concernant les propositions que nous examinons actuellement, au départ, nous pensions qu'il s'agirait d'un livre blanc de politiques de défense, mais je pense que, maintenant, nous réagissons aux annonces du gouvernement relativement à notre participation en tant que Casques bleus en ce qui a trait aux Nations Unies et à la façon dont cette participation s'insère dans les autres activités que nous menons.

En supposant que nous procédions à peu près de la façon que le gouvernement a déjà annoncée — alors, cela va arriver, au moins pour ce mandat —, sera-t-il nécessaire d'apporter un changement fondamental à l'instruction du personnel militaire et des officiers, en particulier au Collège militaire royal et au Collège militaire royal de Saint-Jean? Un changement fondamental sera-t-il nécessaire, ou bien cela fait-il déjà partie de vos enseignements à cette étape?

M. Dorn : Je suis d'avis qu'il faudra une énorme augmentation de l'instruction et de l'éducation au sein des forces, y compris à l'échelon des officiers, aux fins des opérations de paix.

Je donne le seul cours des Forces canadiennes qui porte sur les opérations de paix aux échelons du commandement et de l'état-major. De fait, comme je pars en congé sabbatique, je n'enseignerai pas cette année. Il doit y avoir des plans de secours et d'autres cours offerts.

Les opérations de paix supposent un très grand nombre de tâches qui ne sont pas semblables à celles que suppose une guerre. Il faut même procéder à un changement de mentalité, où la guerre devient notre ennemie et nous n'avons pas d'ennemi sur le terrain. Elles exigent une formation en ce qui concerne le travail auprès de pays en développement et l'offre d'une formation à d'autres gens, d'autres membres du personnel civil et militaire et d'autres pays. Ainsi, il n'est pas seulement question des structures dont nous disposons actuellement : mais nous aurons besoin de certaines nouvelles institutions pour le faire.

L'Association internationale des centres de formation aux opérations de maintien de la paix a été fondée au Centre Pearson pour le maintien de la paix en 1995. Au départ, elle comptait 20 membres. Maintenant, 200 organisations en sont membres. Elle a pris beaucoup d'expansion, mais le Canada n'y est plus présent. Notre Centre de formation pour le soutien de la paix avait apporté une certaine contribution, mais c'était seulement sur le plan militaire. Nous n'avons pas de volet civil ni de volet policier qui contribue à ce vaste effort. Le Canada a maintenant l'occasion de reprendre les commandes dans ce domaine. Il y a beaucoup à faire sur le plan de l'instruction et de la formation à l'échelon des unités, aux échelons du commandement et de l'état-major et à l'échelon de la sécurité nationale.

Mme Boulden : Comme vous avez pu le constater, il s'agit vraiment du domaine d'expertise de M. Dorn. J'ajouterais simplement qu'au premier cycle universitaire — alors, ici, au CMR, à Kingston —, nous offrons aussi un programme d'études de la guerre aux niveaux de la maîtrise et du doctorat. Dans le cadre des deux programmes, nous enseignons la nature changeante des opérations de maintien et de soutien de la paix, la façon dont ces opérations ont évolué et ce que suppose cette évolution. Strictement du point de vue des études de premier cycle — nous allons en tenir à cela pour l'instant — nous mettons toujours notre programme à niveau. Nous intégrons toujours cette évolution dans le cadre de l'instruction, mais il s'agit d'une question différente du type de questions auxquelles M. Dorn a répondu très efficacement.

Le sénateur Day : Merci. La deuxième question revient sur un argument formulé par ma collègue plus tôt relativement au lien entre l'OTAN et l'engagement du Canada et le rôle de leadership majeur qu'il peut jouer au sein de cette organisation. Le Canada recommence à assurer le maintien de la paix dans le contexte des Nations Unies. Le rôle de rétablissement et de maintien de la paix peut-il être divisé, celui de l'OTAN étant plus agressif et militaire, et celui des Nations Unies, plus lié au maintien de la paix dans le sens traditionnel, si c'est possible compte tenu des nouvelles réalités internationales? Est-ce possible?

Le deuxième aspect de cette question est lié au financement. Mme Boulden a affirmé que nous avons besoin de plus d'argent sous la forme de l'un des engagements. Nous nous penchons sur les mandats précoces d'un gouvernement. Par conséquent, il est un peu plus facile de parler de dépenses. Toutefois, à mesure que le temps s'écoulera dans la période visée par le mandat, il sera plus difficile pour le gouvernement d'affecter des sommes, et c'est toujours dans l'armée que le gouvernement cherche à économiser de l'argent.

Selon le mode de fonctionnement de l'OTAN, chaque pays, dans ses engagements, paie sa part de façon continue, alors que nous avons entendu d'autres personnes qui ont témoigné ici affirmer que, dans le cas de certains des pays qui affectent des soldats aux Nations Unies, c'est presque comme des mercenaires. Ils les y affectent parce qu'ils veulent que les Nations Unies paient pour ces soldats. Y a-t-il une solution à ce problème? Est-il possible que les Nations Unies puissent trouver un modèle qui corresponde au moins à moitié à celui de l'OTAN, ou bien ces deux organismes joueront-ils toujours un type de rôle complètement différent?

Le président : Monsieur Dorn, si vous pouviez être bref. Madame Boulden aussi. Nous avons quelques intervenants à entendre.

M. Dorn : Oui, très brièvement, le terme « rétablissement de la paix » est souvent utilisé dans deux sens complètement opposés. Dans la doctrine des Forces canadiennes et dans celle de l'OTAN et aux États-Unis, il désigne la négociation de la paix. Il s'agit de créer la capacité nécessaire à une paix durable. Certaines personnes utilisent ce terme plutôt que « maintien de la paix » dans le sens de l'application de la loi. Dans le contexte des opérations de l'ONU, nous disons habituellement « application de la paix » ou tout simplement « application du chapitre 7 ». Je pense que les deux organisations ont un rôle distinct à jouer dans le monde et qu'elles peuvent collaborer, comme en Bosnie, où l'OTAN effectuait une partie de l'application de la loi, pendant que le maintien de la paix était assuré par l'ONU sur le terrain, de 1993 à 1995. L'ONU adopte maintenant des opérations plus robustes. Le Conseil de sécurité a conféré aux missions de l'ONU le mandat relatif aux opérations offensives au Congo pour la première fois de l'histoire du maintien de la paix. Nous constatons que les deux sont en train de se rapprocher, et il y a beaucoup d'occasions de collaboration entre les deux.

Concernant la question des mercenaires, pour certains pays, il y a des profits à tirer du maintien de la paix, car le soldat touche maintenant 1 300 $ par mois. Dans le cas du Canada, cela lui coûte de l'argent. Pour certains pays, c'est profitable, mais je ne dirais pas qu'il s'agit du seul motif. Beaucoup de Casques bleus font leur travail pour des raisons très altruistes et ne sont pas du tout motivés par des intérêts personnels, et l'argent est un facteur secondaire.

Mme Boulden : Dans le but de rester brève, je vais simplement poursuivre sur le dernier sujet à propos de la division du travail et du fait que certains États affectent des troupes au maintien de la paix parce qu'ils sont motivés par l'appât du gain. Je pense que vous avez touché une question plus vaste, c'est-à-dire la division du travail qui a vu le jour, où pour trouver un État occidental — un pays industrialisé — dans la liste des principaux États contribuant au maintien de la paix, il faut descendre bien bas dans la liste, vers le 20e rang, je suppose. Les principaux contributeurs sont tous des États — pratiquement tous — d'une partie du monde en développement. Comme l'a mentionné M. Dorn, ils contribuent au maintien de la paix pour divers motifs, pas seulement le profit. Mais, le problème tient au fait que les pays occidentaux se retirent à cet égard. Ils ne se retirent pas, mais ils se retrouvent au bas de la liste du point de vue de la contribution, et nous avons en quelque sorte recours au monde en développement comme à des sous-traitants. Je pense qu'il ne s'agit pas de la bonne position à adopter. Alors, comment pouvons-nous contourner ce problème? Les pays comme le Canada doivent en faire plus.

Le président : Chers collègues, je voudrais poser une question, si je le puis, car le temps est presque écoulé.

Je voudrais demander à chaque témoin quelles sont leurs réflexions sur le débat qui se déroule actuellement au pays concernant le fait que la décision de déployer des soldats en Afrique devrait être prise au moyen d'un vote à la Chambre des communes ou non, et la question que j'adresse à chacun d'entre vous est la suivante : seriez-vous d'accord pour dire qu'un débat parlementaire devrait être tenu à la lumière de l'ampleur de la décision qui va être prise?

M. Dorn : Je crois que ce serait sain de le faire, mais cela devrait être fait de façon accélérée. L'ONU a désespérément besoin de forces sur le terrain, et, si le Canada dit : « D'accord, nous devons procéder à d'autres débats, discuter davantage et effectuer une étude approfondie du pour et du contre », nous ne pourrons pas intervenir rapidement. Nous voulons être sur place aux côtés des gens qui interviennent d'ici 30 jours, si ce n'est pas d'ici trois jours. Si le débat interrompt le processus, alors, je l'éviterais.

Dans ce cas, la raison qui rendrait le débat utile, c'est que nous prévoyons, selon moi, apporter une contribution majeure, comme plusieurs centaines de soldats envoyés dans un certain pays. Des 600 que nous déployons, nous en affectons peut-être une douzaine par-ci et une douzaine par-là. Je ne pense pas que nous puissions débattre de l'endroit où va la douzaine, mais, s'il s'agit d'un déploiement majeur, il vaut la peine d'en débattre au moment de la première intervention.

Mme Boulden : Comme je dispose de peu de temps, je pourrais me contenter de dire que je suis d'accord et m'en tenir à cela, mais je pense que le débat est important et sain et que, dans le contexte d'une contribution importante et d'un retour au maintien de la paix, il serait probablement essentiel d'en tenir un. Tout comme M. Dorn, je ferais attention à tout ce qui étire le processus décisionnel, du point de vue de l'ONU, en particulier, car le temps presse.

Le président : Chers collègues, je voudrais remercier nos deux témoins de s'être présentés, de même que du temps et des efforts qu'ils ont consacrés à leurs exposés. Nous apprécions certainement le fait que vous avez accepté de venir prendre part à cette conversation publique, qui commence ici et qui se poursuivra peut-être même à la Chambre des communes.

J'aimerais accueillir nos prochains témoins, pendant que nous nous penchons sur l'Examen de la politique de défense demandé par le gouvernement du Canada.

Pour notre deuxième groupe de témoins de la journée, les lieutenants-généraux (à la retraite) Michael Day et Charles Bouchard se joignent à nous. Le lieutenant-général Day s'est joint aux Forces canadiennes en 1983 et a été membre de la Princess Patricia's Canadian Light Infantry. Il a été commandant de la deuxième Force opérationnelle interarmées — FOI-2 — et membre du Commandement des Forces d'opérations spéciales du Canada. Il a également été officier supérieur des Forces armées canadiennes au sein du groupe des politiques de défense et planificateur stratégique en chef de l'avenir des Forces armées canadiennes. Il a pris sa retraite en septembre 2015.

Le lieutenant-général Charles Bouchard est le dirigeant au pays de Lockheed Martin Canada. Il a pris sa retraite de l'armée en 2013, après plus de 37 années au sein de l'Aviation royale canadienne. Sa carrière militaire comprend de nombreux rôles de leadership supérieurs qui illustrent une compréhension solide de la sécurité nationale et des relations avec les intervenants. Il est officier de l'Ordre du Canada et, plus récemment, il a été le commandant de la force opérationnelle interarmées multinationale qui a dirigé les opérations de l'OTAN en Libye. Le lieutenant-général Bouchard se présente en tant que simple citoyen, et tous les points de vue qu'il avancera le seront en son propre nom.

Messieurs, bienvenue au comité. Nous sommes heureux de vous accueillir. Nous croyons savoir que vous avez chacun une déclaration préliminaire à faire, et j'inviterais le général Bouchard à commencer.

[Français]

Lieutenant-général (à la retraite) Charles Bouchard, à titre personnel : Je vous remercie, monsieur le président. C'est un plaisir et un honneur de comparaître devant le comité sénatorial qui traite de questions liées à la défense et à la sécurité du Canada.

Je me présente en tant que citoyen, comme vous l'avez si bien dit, monsieur le président, après avoir servi un peu plus de 37 ans dans les Forces armées canadiennes, particulièrement à titre de commandant de la Première Division aérienne de la région canadienne du NORAD, de commandant adjoint du NORAD, de commandant adjoint de la force interalliée de l'OTAN à Naples, en Italie et, récemment, de commandant du théâtre d'opérations en Libye.

[Traduction]

D'une part, cette expérience m'a permis de mieux connaître beaucoup d'aspects de la défense du pays, mais, d'autre part, elle est également le filtre à travers lequel je regarde cette très grande entreprise. Il importe que nous étudiions la défense et la sécurité du pays, et les efforts que vous déployez sont les bienvenus. Monsieur, je vous félicite, votre groupe et vous.

Au moment de me pencher sur la défense et sur la sécurité du pays, je pense qu'il importe tout d'abord que nous envisagions l'objectif optimal, c'est-à-dire — à mon avis — la protection des intérêts canadiens. Et, en fin de compte, ces intérêts — qu'ils soient politiques, économiques ou relatifs à la sécurité — sont aussi interreliés et influent les uns sur les autres. Par conséquent, si nous examinons la défense d'un côté, nous devons l'envisager de façon holistique afin de pouvoir la comprendre. À mes yeux, un environnement paisible et sécuritaire à l'échelle de la planète est un objectif final pour le Canada. Pourquoi est-ce que je dis cela? La sécurité apportera la stabilité. La stabilité apportera de bons gouvernements là où nous le pourrons, habilitera les forces et favorisera une prospérité sur laquelle nous pourrons miser.

Au Canada, nous vivons dans un pays merveilleux, mais notre sécurité est interreliée avec tout ce qui passe à l'étranger également. Ainsi, il importe que nous disposions de forces armées aptes et crédibles, mais il ne s'agit que d'une partie de l'ensemble de l'appareil de sécurité et de défense du pays.

Les trois principaux rôles liés à la défense ont été énoncés plusieurs fois. Laissez-moi formuler quelques commentaires. Bien entendu, la défense du Canada est un rôle fondamental, mais, mesdames et messieurs, je vous poserais la question suivante : où commence la défense du pays, et jusqu'où va-t-elle? Je vous dirais qu'elle s'étend bien au-delà de nos frontières, de notre espace aérien et de notre environnement maritime, et, comme nous faisons partie du village planétaire, il importe que nous l'étendions au-delà.

La défense de l'Amérique du Nord sous l'égide du NORAD est aussi clairement comprise — je l'ai vécue dans le cadre de plusieurs missions —, et il importe que nous exercions notre souveraineté sur notre territoire et sur nos espaces maritimes et aériens, surtout au moment où le climat change et que l'Arctique revêt une importance stratégique encore plus grande.

Cependant, toute attaque contre l'Amérique du Nord s'assortit d'un très grand risque pour tout agresseur potentiel. Le NORAD et, effectivement, l'article 5 de l'Alliance de l'OTAN prévoient des assurances pour le pays. En outre, tout agresseur qui s'en prendrait à l'Amérique du Nord ferait face à une intervention dissuasive rapide et très importante. J'ai fait l'expérience de telles situations, et j'en ai observé personnellement; par conséquent, mon évaluation serait que le risque pour notre souveraineté est faible, actuellement, compte tenu des capacités de réaction et de dissuasion dont nous disposons.

Par conséquent, la clé de notre sécurité, c'est notre contribution à la paix et à la sécurité internationales. Selon moi, même si la défense commence au pays, elle s'étend à l'étranger, et c'est là que nous devons aller. Je crois qu'un monde stable et sécuritaire exige notre participation active, et, si le fait de rester chez nous est une option, elle n'est souvent pas réaliste. Je soutiens qu'il y a des endroits dans le monde, où des opérations de soutien de la paix sont requises, mais ma propre expérience en Libye m'a appris à comprendre également que, à certains endroits, nous pourrions avoir la responsabilité de protéger d'autres gens, comme cela a été le cas en Libye et à plusieurs autres endroits également.

Ainsi, il ne s'agit pas que d'une question de s'interposer entre deux belligérants; il faut aussi protéger les personnes qui ne peuvent pas se protéger par elles-mêmes.

Le général Day a présenté d'excellentes réflexions sur l'opération de soutien de la paix; par conséquent, je ne fournirai pas beaucoup d'autres détails. J'ajouterai simplement qu'il importe que nous comprenions l'objectif final de toute opération que nous menons, qu'il s'agisse d'un environnement paisible ou d'un environnement sécuritaire à l'échelle de la planète. L'armée n'est pas la solution; elle fait partie de la solution.

Dans le cas de la Libye, le but était de créer un espace où la diplomatie et la démocratie pourraient commencer à voir le jour, mais il importe que nous comprenions que, lorsque nous étudions une approche holistique, l'armée joue un rôle, mais il y a aussi les aspects politiques, comme la réforme électorale, la réforme constitutionnelle, et ainsi de suite, qui doivent suivre également. En outre, si nous revenons sur les événements survenus au Kosovo, en Bosnie, en Irak et en Libye, je pense que nous en tirons tous les mêmes leçons, c'est-à-dire que l'armée peut jouer un rôle, mais elle n'est pas une fin en soi.

J'ai beaucoup d'autres commentaires à formuler, monsieur le président, mais je vais m'arrêter là pour l'instant et vous céder la parole afin que vous formuliez d'autres commentaires, et je serai prêt à répondre à vos questions. Merci beaucoup.

Le président : Merci.

Nous allons passer au général Day.

Lieutenant-général (à la retraite) D. Michael Day, membre, Institut canadien des affaires mondiales, à titre personnel : Merci, monsieur le président. Mesdames et messieurs, je suis heureux d'être là, et je suis reconnaissant d'avoir la possibilité de communiquer quelques-unes de mes réflexions concernant les opérations de soutien de la paix.

Je vous ai fait parvenir une version initiale de mes observations. Je les ai remaniées quelque peu et j'y ai ajouté quelques éléments.

Je dirais qu'à première vue, quand on regarde mes commentaires, il serait facile, au premier coup d'œil, de croire qu'en fait je ne suis pas favorable au déploiement d'opérations de paix; toutefois, ce n'est pas le cas. Je pense tout à fait que le Canada joue un rôle crucial. Comme je l'ai expliqué, mes préoccupations ne sont pas vraiment liées à l'idée d'un déploiement militaire en soi. De fait, je pense qu'il s'agit d'un outil nécessaire et crucial pour apporter la stabilité et la sécurité et, au bout du compte, la sécurité et la prospérité dans les pays étrangers. En revanche, d'après mon expérience, ces déploiements effectués par tout pays ont rarement — voire jamais — été accompagnés des efforts diplomatiques et économiques internationaux qui sont tout aussi — si ce n'est plus — importants et qui s'impose pour garantir un succès minimal. De plus, ces déploiements militaires sont trop souvent perçus comme une fin en soi. « Nous avons effectué un déploiement » n'est pas un objectif, et les déploiements ne sont jamais considérés dans le contexte plus vaste d'une analyse des intérêts nationaux du Canada.

En conséquence, les opérations de soutien de la paix ont souvent — je dirais même presque toujours — manqué de clarté sur le plan de l'orientation stratégique, ce qui a entravé l'élaboration et l'exécution d'un plan opérationnel viable et miné davantage les chances de réussite. Dans le passé, ce manque de clarté a été exacerbé par des modifications fréquentes de la portée et de l'ampleur de notre participation en fonction de considérations politiques plutôt que d'analyses et de discussions sérieuses et complètes menées au Canada et avec des alliés essentiels, et, ce qui est le plus important, avec les nations visées par nos opérations.

La mobilisation et les consultations sont en fait la clé et sont au cœur de la préparation de ces types d'opérations et de toute adaptation subséquente. Alors, avant d'en arriver à des arguments précis, j'ajouterais que toutes les proclamations d'objectifs ont également été dissociées de la réalité de les atteindre. Dans la plupart des cas, nous ne pouvons pas apporter la démocratie et la sécurité, telles que nous les connaissons et les vivons ici, au Canada et selon la définition que nous leur donnons, dans certains des pays où nous servons. Ce que nous pouvons faire, c'est améliorer de façon incommensurable le sort d'un pays dans la vie et lui donner une marge de manœuvre pour qu'il puisse créer sa propre forme de démocratie et de sécurité.

Cela dit, je pense que le Canada devrait être actif dans le monde, déployer des forces en permanence et continuer à examiner les endroits où il peut changer les choses.

J'aimerais aborder les raisons pour lesquelles nous déployons des troupes dans le cadre d'opérations de soutien de la paix et exposer mon point de vue à ce sujet. Selon l'opinion populaire, le Canada fait de bonnes choses partout dans le monde. En tant que Canadien, je suis vraiment fier de cette réputation, mais je ne veux pas qu'elle éclaire le processus décisionnel quand vient le moment de choisir où nous menons ces opérations de soutien de la paix et ce que nous faisons dans le cadre de ces opérations.

Je crois que notre gouvernement doit rester ferme dans son cycle décisionnel. Il doit rester concentré sur le Canada et, même si le monde compte d'innombrables endroits qui pourraient profiter de la présence du Canada, nous devons choisir ceux qui sont importants pour notre pays et pour ses intérêts, et nous devons affirmer explicitement et publiquement pourquoi nous avons choisi la mission en question. L'argent du pays ne doit être dépensé — et, ce qui est peut-être encore plus important, le sang des Canadiens ne doit être versé — que pour des enjeux qui ont une incidence directe sur le Canada et les Canadiens. La dure réalité, c'est qu'il y a des dizaines d'endroits où les gens meurent de faim, sont opprimés ou en train de combattre et de mourir. Il ne peut pas s'agir du paramètre le plus important, et encore moins du seul paramètre, de la détermination de notre participation.

Je voudrais aborder les objectifs subséquents et le temps nécessaire lorsque les soldats sont déployés dans le cadre d'opérations. L'histoire récente a montré qu'il n'y a pas d'exemple unique de région qui est à risque, en déroute ou en voie de déliquescence dont la situation a été corrigée dans une période passablement courte. Il est raisonnable de présumer que cette tendance se répétera à l'avenir. De fait, l'histoire récente donne à penser que nous empirons beaucoup les choses lorsque nous ne prenons pas d'engagement à long terme ou que nous perdons notre objectif de vue. Selon mon expérience et ce que toute lecture sur le sujet me porterait à croire, afin de changer des décennies de comportements qui se sont soldés par le problème, un changement générationnel subséquent s'impose pour que nous puissions soulager les symptômes et nous attaquer aux causes du conflit en question.

Je ne dis pas qu'il faut s'engager pendant des décennies sur la ligne de front. Je dis plutôt que, si on s'engage, il faut être conscient du fait que les progrès seront irréguliers et intermittents, qu'il y aura des reculs et qu'un véritable progrès exige un engagement sur de nombreuses années.

Le fait de célébrer une réussite et de crier victoire prématurément serait non seulement tout à fait inexact, mais, surtout, une telle attitude mettrait en péril nos véritables chances de réussite. Notre approche et, par conséquent, notre patience doivent être stratégiques, et nous devons communiquer en conséquence. Le soutien public est essentiel, et les promesses de progrès qui n'aboutissent pas ont des répercussions directes sur le moral et l'efficacité des hommes et des femmes exposés au danger.

Il faut donc être réaliste sur le sens de ces opérations. Pour revenir sur le thème des motifs de nos déploiements, nous devons considérer et accepter qu'il y a peu de régions dans le monde, voire aucune — je ne peux vous en nommer aucune aujourd'hui — où un déploiement de soutien de la paix se fait dans un contexte où toutes les parties sont en paix. En plus de ne pas être exact, le terme « maintien de la paix », qui est désuet, soit dit en passant, induit en erreur.

Dans leur forme la plus simple, les opérations de soutien de la paix nécessitent deux macroactivités : premièrement, nous devons aider les gens bien intentionnés à faire de bonnes choses, et, deuxièmement, nous devons être prêts à empêcher les gens malveillants qui veulent faire de mauvaises choses et qui en ont les moyens de le faire. C'est extrêmement simpliste, mais c'est là la dure réalité sur le terrain.

Ces deux activités essentielles doivent être mises en œuvre militairement, diplomatiquement et économiquement et être exécutées par une force internationale cohérente, qui réunit tous les intervenants de la région et les États hôtes. De plus, l'incapacité d'un État hôte — ou, plus souvent, son désaccord avec les objectifs stratégiques établis — peut le pousser à refuser passivement ou activement d'utiliser ses pouvoirs à de bonnes fins pour atteindre les objectifs que nous avons établis. À elle seule, cette situation condamne une opération à l'échec avant même que les premiers militaires ne mettent un pied sur le terrain.

Sans tous ces ingrédients essentiels, le succès — peu importe la définition qu'on lui donne — sera, dans le meilleur des cas, sous-optimal et, plus souvent, impossible à obtenir. Comprenez-moi bien ici encore : compter sur le meilleur comportement des belligérants ou des ennemis et ne pas être disposé ou apte à imposer le respect a toujours donné le même résultat dans notre passé sombre et récent, à savoir le triste sort des Srebrenica, Rwanda, Alep et Tripoli de ce monde.

Une telle attitude, qui mine aussi le bien-être émotif de nos troupes, conduira à l'échec. Je me suis rendu dans la plupart de ces endroits, sinon la totalité, et laissez-moi vous dire que, dans de nombreux cas, les cicatrices que les membres des Forces armées canadiennes ont conservées viennent du fait qu'on les empêchait de faire ce qu'ils jugeaient nécessaire sur le terrain.

Nous nous leurrons si nous pensons ou agissons autrement. On peut très bien refuser un déploiement si on n'est pas disposé à faire ces choses; je n'ai aucun problème avec ça. Mais, ce qui n'est pas acceptable, c'est de déployer des troupes et de refuser de les faire. En plus d'être inefficace sur les plans tactique et opérationnel, une telle approche affaiblit le Canada et l'ONU stratégiquement, en accréditant la thèse selon laquelle cette dernière est impuissante et inefficace et que le Canada n'est là que pour la forme.

Par conséquent, nous devrions soit accepter les difficultés et les dangers, soit ne pas nous engager. La provocation et les « si » sont insuffisants. Il faut un mandat clair et précis assorti d'un soutien stratégique et des pouvoirs connexes. Ce mandat doit être défini dès le départ pour permettre la mise au point de la mission et sa réalisation plutôt que d'être pris rapidement dans un engrenage aussi nécessaire et qu'inévitable après le déploiement.

Je tiens à aborder brièvement la question du changement d'orientation des missions, de leur surveillance et de la production de rapports, qui, selon moi, présentent un intérêt pour le comité ou suscitent la préoccupation chez ses membres. Je ne crains pas que la mission évolue ou change et je ne doute pas que la chaîne de commandement militaire puisse composer avec ces modifications, mais l'une des grandes qualités des Forces armées canadiennes, c'est leur volonté de tout accomplir ce qui est en leur pouvoir. La recherche d'un moyen de changer les choses est essentielle, mais la chaîne de commandement militaire devrait être chargée de s'assurer du respect des paramètres de la mission.

Cependant, il faut assurer une meilleure surveillance politique et accroître la transparence. Lorsqu'ils sont dans l'opposition, les partis politiques ont l'habitude de se plaindre de ne pas être tenus au courant et, à plus forte raison, de ne pas comprendre ce qui se passe réellement dans le cadre des divers déploiements, et je ferai valoir que leur analyse et leurs déclarations politiques l'ont souvent prouvé. Alors que nous envisageons de mettre sur pied ce type d'opérations, il serait utile d'étudier la possibilité de créer un mécanisme en vertu duquel un comité parlementaire serait informé régulièrement, même si les audiences étaient à huis clos pour assurer la protection des renseignements classifiés. Un tel mécanisme pourrait aussi favoriser la communication appropriée et respectueuse des questions qui, jusqu'ici, selon moi, ont souvent fait l'objet d'un traitement partisan, ce qui a pu mener à une présentation inexacte des faits. Les Canadiens méritent un débat plus ouvert et plus transparent sur la façon dont leur armée est utilisée un peu partout dans le monde.

En résumé, je pourrais bien sûr en vous parler encore longtemps, mais pour qu'une opération de soutien de la paix soit efficace, il faut avant tout porter une attention particulière aux intérêts nationaux du Canada, de façon à définir une série d'objectifs clairs à atteindre par toute une gamme de moyens nationaux, militaires, diplomatiques et économiques imbriqués dans une coalition plus large. La volonté et le pouvoir de faire des choses difficiles et souvent dangereuses ne doivent pas être négligés, et une compréhension stratégique des délais ainsi que des causes profondes favorise la réussite.

Il faut aussi reconnaître que ces types d'opérations ne se passent plus uniquement dans le monde physique. Nous devons élargir notre vision et prendre en considération les enjeux liés à la cyberguerre, aux cybermenaces et ainsi de suite dès le début. Il faut aussi prévoir les pouvoirs nécessaires pour exécuter adéquatement les types d'opérations requises. Nos adversaires ne sont plus simplement du genre à se promener dans le désert avec des AK-47 : ce sont des acteurs mondiaux très perfectionnés, bien financés et bien préparés, même s'ils sont concentrés dans une région précise.

Une occasion de changer les choses s'offre à nous : nous pourrions la saisir, pourvu que nous en ayons le courage politique et collectif. Je crois vraiment que le Canada a un rôle à jouer, et je crois que la planète bénéficierait d'une présence accrue du Canada dans le monde entier. Cependant, pour y arriver, il faut bien comprendre dès le départ les exigences d'une opération réussie, et aider le Canada et les membres des Forces canadiennes à réussir.

Merci beaucoup.

Le président : Merci, général Day. Nous allons passer aux questions.

La sénatrice Jaffer : Je vous remercie tous les deux de vos exposés. Vous avez dit beaucoup de choses, et le temps dont je dispose pour vous poser des questions est limité, alors je vais m'en tenir à une question par témoin. Je vais commencer par vous, général Bouchard. Vous avez parlé de la situation en Libye, et, à la lumière de vos propos, vous semblez en savoir beaucoup à ce sujet. Ce qui me préoccupe dans le cas de la Libye — j'ai travaillé avec beaucoup de femmes de cette région — revient à ce que vous avez dit : on envoie des militaires, et qu'est-ce qui se passe après?

Nous tentons de formuler des recommandations à l'intention du ministre — et vous pourriez vouloir y réfléchir et nous fournir votre réponse plus tard —, mais j'aimerais savoir ce que vous en pensez. Vous avez dit quelque chose que j'ai trouvé très important : vous avez affirmé que les opérations militaires ne sont pas suffisantes : il faut prendre en considération d'autres secteurs et faire intervenir d'autres partenaires. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet?

Lgén Bouchard : Je pourrais vous en parler tellement longtemps; vous savez, j'y ai consacré neuf mois et des années de ma vie, mais j'ai aussi beaucoup appris à de nombreux égards. Je vais vous donner quelques petits exemples. Il s'agissait d'une mission différente. Pour la première fois, l'objectif n'était pas de trouver et de détruire un ennemi. Il fallait « aller protéger la population » en utilisant le niveau de force nécessaire.

Nous avons utilisé le principe de la force minimale. J'ai établi un certain nombre de choses, dont le fait qu'il fallait créer un environnement, et nous devions réaliser la mission sans tout casser sur le terrain. Comme Colin Powell l'a dit : qui casse, paie, mais ce n'a pas été notre cas. À notre départ, les infrastructures étaient encore là. Ça faisait partie de notre façon de faire.

L'autre chose que j'ai prise en considération, c'était l'importance de s'assurer de ne pas nous mettre dans une position menant à la création d'une campagne « gagner le cœur et l'esprit », comme dans les théâtres antérieurs. C'était notre état d'esprit dès le départ. Cela signifie que, peu importe ce qu'on fait, il faut s'assurer que les gens qui partent, ces personnes que vous protégez... Il faut le comprendre.

Mais je vais poursuivre et y venir. Par conséquent, cette situation a eu un impact sur mon temps et mes pensées : la façon dont il faut réaliser l'opération. Au bout du compte, M. Jalil s'est levé et a prononcé un long discours sur le fait qu'ils allaient adopter la sharia. La sharia permet aux hommes d'avoir plus d'une épouse. J'étais totalement bouleversé, parce que je me demandais si c'était vraiment ça que nous avions permis. Alors, grâce à certains contacts bien placés, j'ai appris que son épouse — il n'en a qu'une — était vraiment fâchée en raison de ses propos et qu'il n'allait plus jamais redire ce genre de choses. Puis, tout d'un coup, ça m'a sauté aux yeux et je me suis dit : « Bon, ce que nous devons faire ici, c'est de créer un environnement. » C'est ce que les militaires ont fait. Cependant, après, il faut s'attacher à l'habilitation de toutes les personnes qui sont là, que ce soit grâce à des réformes sociales, une réforme de l'éducation ou une réforme de la santé... Toutes ces choses sont interreliées.

Dans le cas de la Libye, nous avons mis fin au massacre. Je vous assure que, à notre arrivée, les ordres étaient de tuer tout le monde âgé de 17 à 40 ans à Benghazi, et nous avons empêché le massacre, alors je suis convaincu que nous avons réalisé l'objectif de la mission.

Cependant, à mi-chemin durant la mission, je me demandais déjà : « À qui vais-je remettre les rênes? Qui prendra le relais? » Il faut penser à ce genre de choses, parce que le mandat de l'OTAN était très précis. Mais, bon, c'est ce que nous avons fait, mais je ne savais pas à qui transférer la responsabilité. En fait, dans l'exemple qui nous occupe, j'ai cédé le tout à l'équipe de six personnes de l'ONU, et la seule chose qui les préoccupait, c'était les engins non explosés, enjeu relativement auquel nous leur avons donné tous les rapports.

Selon moi, ce que nous avons fait était essentiel, mais il est aussi crucial de comprendre que ces gens ne voulaient pas nécessairement que des Occidentaux viennent dans leur pays. C'est cette compréhension de leur culture et le fait de se demander : « Bon, de quelle façon peut-on leur permettre de déterminer ce qui, selon eux, est la bonne chose? » Ils ont besoin d'aide, mais de quelle façon pouvons-nous mettre en place avec eux l'architecture nécessaire pour les habiliter? Selon moi, il fallait en partie habiliter les femmes grâce à l'éducation et ce genre de choses.

Lorsque nous envisageons le contexte, nous réalisons la mission militaire, mais nous devrions déjà, durant la mission, nous poser les questions suivantes : que ferons-nous pour l'éducation? De quelle façon réglerons-nous le dossier de la santé? Ce sont toutes des choses importantes. Faisons attention à l'infrastructure, ils en auront besoin plus tard. La production de pétrole suit son cours, alors ils ont une source de revenus.

Toutes ces considérations sont interreliées, et, très souvent, lorsque les opérations militaires sont terminées, les gens croient à tort que la mission est terminée. En réalité, elle ne fait que commencer. Par conséquent, c'est un engagement à long terme.

La sénatrice Jaffer : Que faudrait-il mettre en place à votre départ? Nous savons que la Libye est un vrai gâchis. Nous pourrions en parler pendant des heures, mais j'aimerais bien que vous puissiez nous envoyer une réponse courte.

Lgén Bouchard : Oui, madame, je le ferai.

La sénatrice Jaffer : Merci.

Général Day, je vous ai écouté parler, et ce que j'en ai compris, et c'est principalement ce que j'ai tiré de ce que j'ai lu et de ce que vous avez écrit, c'est que, si nous sommes pour y aller, il faut finir le travail. Nous ne pouvons pas aller dans ces endroits et dire : « Nous pouvons seulement faire telle ou telle chose et rien d'autre. »

Le mandat change, les objectifs changent, et pour avoir le bon mandat, l'une des choses les plus importantes qui doivent se produire, c'est qu'il faut être sur le terrain ou dans les bureaux de l'ONU pour définir le mandat sans ressentir les pressions exercées par le pays hôte.

Quelles sont, au minimum, les choses que le Canada devrait mettre en place avant d'aller sur le terrain comme, par exemple, l'influence qu'il faut avoir au moment de l'établissement du mandat?

Lgén Day : Je ne peux que présumer répondre à la question que vous avez posée à Charlie : ne partez pas. Pour commencer, ne partez pas.

J'ai eu l'occasion de suivre Charlie, trois personnes après lui, dans ce travail, à Naples, et nous avons passé beaucoup de temps à étudier la situation en Libye. Je soutiens — et je ne le dis pas seulement parce qu'il est ici — que c'était sans contredit une réussite du point de vue des objectifs de la mission, mais un échec complet et flagrant du point de vue des activités de repli, parce qu'il n'y en a eu aucune. Les activités de repli n'étaient pas une responsabilité militaire. Ma réponse est donc la suivante : ne partez pas. Rappelez-vous que les changements requis dans ces pays se produiront sur des générations; vous allez ainsi comprendre ce dont nous parlons.

Pour répondre plus précisément à votre question sur ce que nous pouvons faire pour dresser la table, pour commencer, il faut être réaliste au moment de déterminer ce que nous pouvons faire et ce qui est réalisable. J'ai toujours dit — peu importe où j'ai été déployé et les endroits où je suis resté — qu'on ne peut pas faire de ces pays des répliques de la Suède, du Canada ou peu importe. Par conséquent, les objectifs et les directives exigeant des organisations sur le terrain, quelles qu'elles soient, qu'elles essaient de mettre en place ce que nous avons ici, au Canada, sont voués à l'échec. Au moment de définir la mission, il faut donc très bien comprendre l'environnement d'opération, et cet environnement est avant tout culturel. Cela définit ce qu'on peut faire et ce qu'on ne peut pas faire. Cela définit la vitesse à laquelle les choses peuvent être réalisées.

Puis, je dirais qu'il ne faut pas essayer de tout faire d'un coup. Le mandat doit reconnaître le fait qu'il y a des phases très importantes dans l'évolution d'un pays qui passe d'un état de crise — que l'État soit à risque, en déroute ou sur le point de défaillir — à une situation où il y a une structure indigène latente et inhérente capable de se maintenir elle-même. C'est un continuum. Ce n'est pas comme si la situation change totalement d'un jour à l'autre.

Je dirais premièrement qu'il faut probablement entreprendre toutes ces activités dès le premier jour. Cette idée qu'il faut assurer la sûreté et la sécurité pour ensuite passer à l'éducation, à la démocratie, aux droits de la personne, et cetera, dans un deuxième temps ne fonctionne plus. Si on ne réalise pas les activités — et je parle non seulement des activités militaires, mais de toutes les activités —, si la mission n'est pas définie, si, dans le cadre des discussions, on n'accepte pas que, dès le premier jour, il faut réaliser des activités militaires, des activités liées à la sécurité, des activités économiques et culturelles et des activités de nature gouvernementale... La première chose que je recommanderais toujours, c'est qu'il faut adopter une approche holistique dès le premier jour plutôt que d'y aller de façon séquentielle. N'ajoutez pas des activités lorsque quelqu'un a une bonne idée : « Hé, il faudrait réfléchir au système d'éducation. »

Si nous convenons du fait qu'un changement générationnel est nécessaire pour régler les problèmes ou les maux qui gangrènent bon nombre de ces pays, il faut commencer dès le premier jour. En effet, c'est ainsi que tous les intervenants bénéficieront de l'unité de pensée nécessaire et qu'ils agiront de façon unifiée pour réaliser un objectif commun. On pourra alors déterminer — comme Charlie l'a dit — de quelle façon mener la campagne militaire, ce qui a été fait dans les règles de l'art en Libye. L'infrastructure n'a pas été endommagée. L'objectif était de protéger les gens. Le problème, c'est que les piliers sous-jacents n'étaient pas là.

Dès le départ, je vous suggérerais d'adopter un point de vue holistique, de façon à réfléchir à toutes les fonctionnalités et toutes les exigences; avant toute action, il faut mettre en place un plan et prévoir les ressources nécessaires dans tous ces domaines. Il faut le faire dès le premier jour.

Le sénateur Kenny : Messieurs, vous nous avez présenté de très bons exposés. Ce que j'en retire, c'est que, en fait, le « maintien de la paix », comme nous en parlons maintenant, est impossible. Je ne peux pas imaginer un seul incident ou une seule situation où nous avons adopté une approche pangouvernementale couronnée de succès. La probabilité de définir des objectifs gouvernementaux clairs est très mince. La capacité de rester dans une région aussi longtemps qu'il faut pour régler les problèmes — on parle d'un engagement de 30 ou 40 ans — n'est pas acceptable d'un point de vue politique. Nous savons tous que, peu importe le parti qui est au pouvoir, l'autre parti voudra connaître la stratégie de retrait, et j'ai l'impression qu'une stratégie de retrait, c'est pour les perdants.

À la lumière de ce que vous avez dit, je ne vois absolument pas de quelle façon le gouvernement actuel peut faire quoi que ce soit dans le domaine du maintien de la paix, parce que les autres éléments que vous avez décrits — et je suis d'accord avec vous — ne seront pas mis en place.

Vous avez des commentaires à ce sujet?

Lgén Bouchard : Merci beaucoup, monsieur le sénateur Kenny. Parfois, nous avons tendance à aborder la situation en tentant de tout faire nous-mêmes, alors que c'est du ressort d'une coalition. Et je ne parle pas ici d'une coalition purement militaire, parce que je suis tout à fait d'accord avec ce que Mike a dit au sujet des activités qui doivent être réalisées de façon parallèle.

Il faut simplement prévoir tout ce qui sera nécessaire. Dans le milieu militaire, on pense à la formation d'attaque, mais, selon moi, au niveau stratégique, il faut aussi réfléchir à ce qu'on apporte. Quels sont les pouvoirs du représentant du secrétaire général des Nations Unies? Quel est le lien? Et c'est important avec le genre d'activités militaires... Pendant que progressent nos opérations, et pendant que nous parlons d'activités parallèles, c'est important de réunir l'équipe, si je peux m'exprimer ainsi, et de reconnaître que le Canada n'a pas à tout diriger ni à tout faire, parce que c'est le monde entier qui doit réfléchir à cette question, ou, au minimum, ceux qui peuvent aider.

Je crois qu'il y a une solution, mais elle ne se limite pas à une approche pangouvernementale canadienne; il faut aborder la situation d'un point de vue plus global, à l'échelle mondiale, monsieur.

Le sénateur Kenny : Pouvez-vous nous fournir un exemple, général?

Lgén Bouchard : Eh bien, les Nations Unies ont tendance à nommer un représentant du secrétaire général dans les théâtres d'opérations, et cette personne fait le travail au nom du gouvernement et interagit avec les autorités gouvernementales. Pour leur part, les militaires arrivent avec leurs propres mandats de prévention... Mais, avant tout, il faut cette première analyse, et aussi le fait de compter sur une équipe préparée et savoir se dire : « J'ai besoin d'une réforme électorale. » Qui s'en occupera? Nous devrons réfléchir à une réforme constitutionnelle dans cette région. Alors qui sont ces équipes? Il y a l'équipe de défense, l'équipe d'attaque, l'équipe politique, l'équipe diplomatique, et il faut toutes les réunir; elles sont nombreuses.

Permettez-moi d'ajouter que, au bout du compte, tous les intervenants travaillent ensemble, mais il faut définir clairement qui fait quoi afin de ne pas se piler sur les pieds. Il faut donc préparer la force adéquatement.

Le sénateur Kenny : Donnez-moi un exemple. Vous ne m'avez pas encore donné d'exemple.

Lgén Bouchard : Je ne connais pas d'exemple où nous avons procédé ainsi. Je n'ai pas encore répondu à votre question, laissez-moi y répondre maintenant : je n'ai pas d'exemple, mais nous avons tiré suffisamment de leçons du passé pour être sûrs que nous pouvons donner un tel exemple, peut-être la prochaine fois.

Lgén Day : J'ai passé en revue le résumé assez déprimant de mes commentaires. Pour tout vous dire, pendant un instant, j'ai eu le goût de me crever les yeux pour en finir une fois pour toutes.

Il y a deux réactions : on se sent un peu comme des partisans des Maple Leafs. Soit on abandonne tout espoir et on adopte un point de vue fataliste selon lequel on n'y arrivera jamais, un point c'est tout, soit on se dit que la situation nous permet de comprendre un peu mieux l'ampleur du défi qui nous attend et nous pousse à être un peu plus réalistes.

Je ne suis pas du genre fataliste. En réalité, nous pourrions bien ramasser toutes nos billes et retourner à la maison, mais ça ne changera rien. On ne rendra pas le monde meilleur. La situation mondiale empirera si des pays comme le Canada refusent de passer à l'action. Malgré le fait que l'histoire nous apprend que nous ne sommes pas bien intervenus, je ne suis tout simplement pas convaincu qu'il faut abandonner.

Je dirai donc qu'il y a trois choses très précises qui ressortent. Espérons que, à un moment donné, nous allons tirer certaines de ces leçons — et je ne suis pas en désaccord avec votre résumé —, mais je crois que tout cela doit définir la façon dont nous aborderons ces situations à l'avenir. Si nous nous améliorons de 10 p. 100 cette année, et si nous nous améliorons chaque année, alors nous allons dans la bonne direction.

La différence entre la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui, dans un monde anachronique, et là où nous nous situerions dans 20 ans si nous ne faisions rien... Je sais qu'on peut difficilement prouver un faux positif, mais il n'en reste pas moins que, si nous ne faisons rien, la situation mondiale empirera. Nous pouvons peut-être créer des conditions équitables. Nous pouvons peut-être changer la donne. Selon moi, le Canada prospère parce que le monde est un endroit où nos citoyens peuvent aller. Je crois que nous pouvons améliorer les choses un peu partout dans le monde.

Nous allons trébucher. Tout ne sera pas parfait. Il ne fait aucun doute qu'il y aura des échecs, mais nous baisserions dans mon estime si cela nous mène à l'inaction. Je ne crois pas qu'il faille ne rien faire tout simplement parce que ce sera difficile.

Le président : Chers collègues, le sénateur Kenny a une question complémentaire. Je demande aux témoins de fournir des réponses plus brèves et aux membres, de s'en tenir à de brèves interventions parce que l'heure avance.

Le sénateur Kenny : J'aime ce que vous nous dites tous les deux, mais notre travail, ici, c'est d'essayer de traduire ce que les experts militaires disent en une réalité politique qui, selon nous, est acceptable pour les Canadiens. Par exemple, Mike, lorsque vous avez parlé de l'organisation de séances d'information à huis clos avec un groupe de parlementaires, les participants ne peuvent pas en parler après coup. Ils peuvent participer à la séance d'information — et c'est parfait —, mais ce n'est plus un dialogue avec les Canadiens. Le problème, c'est qu'il faut convaincre les Canadiens de la nécessité d'envoyer des personnes à l'étranger pour peut-être 30 ans, et c'est un engagement politique à peu près impossible à prendre.

Selon moi, aucun gouvernement ne sera en mesure de décrire honnêtement à la population ce qu'il faut vraiment faire pour changer les choses. Des réunions comme celles-ci aident sans doute. Nous télévisons nos débats sur les défis rencontrés, mais, en réalité, je ne m'attends pas à ce que le gouvernement actuel — ni tout autre gouvernement dans un avenir rapproché — puisse prendre le genre d'engagement que vous avez décrit comme étant nécessaire à la réussite.

Le président : Sénateur Kenny, quelle est votre question?

Le sénateur Kenny : Je pose mes questions sous forme de déclaration.

Lgén Day : Je peux répondre très brièvement. Prenez un engagement de cinq ans et dites publiquement que vous allez examiner les progrès réalisés dans une visée à plus long terme et ainsi de suite. Mais dites-le très publiquement.

Pour ce qui est de la question des séances à huis clos, vous pouvez générer un débat public et transparent au Parlement et organiser des mises à jour opérationnelles à huis clos dans le cadre desquels les partis ont leur mot à dire sur le niveau d'exposition.

Je ne crois pas que l'un empêche l'autre. Il faut définir comment on réglera le problème; pas s'il faut tenter de le régler.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Ma question s'adresse à M. Day. J'aimerais profiter de votre longue expérience sur le terrain pour traiter avec vous de trois questions.

Tout d'abord, même en mission de paix, on peut s'attendre à des hostilités. Quelles conditions devraient être établies pour permettre à nos troupes de réagir à ces hostilités? Il se peut aussi que des militaires soient blessés. Des règles d'évacuation ont-elles été prévues? Comment fait-on pour savoir si toutes ces règles ont été clairement établies avant que des troupes soient envoyées en Afrique?

J'aurai une sous-question par la suite, si vous me le permettez, monsieur le président.

Lgén Day : Je vous remercie, sénateur. Je vais répondre à votre question en anglais, parce que je risque de manquer de nuances en français, et je m'en excuse.

[Traduction]

Pour ce qui est de la première question, l'enjeu du pouvoir est extrêmement important. Au départ, il faut établir une politique qui non seulement décrit le mandat, mais cerne aussi d'entrée de jeu qui sont les forces alliées. La détermination des forces alliées définit le cadre juridique qui permettra à tous les hommes et toutes les femmes sur le terrain de prendre non seulement des mesures d'autodéfense individuelles, mais des mesures d'autodéfense collectives, empêchant ainsi les adversaires, les rivaux et les combattants légaux et illégaux d'agir.

Une bonne partie des problèmes que nous avons rencontrés précédemment dans plusieurs missions étaient liés au fait que nos pouvoirs sur le terrain n'étaient pas bien définis parce que nous n'avions pas déterminé le statut juridique des populations des zones environnantes : il n'y a pas de ligne de front; il n'y a pas de bons ou de mauvais endroits. Ce qu'il faut, c'est déterminer à quel groupe les gens appartiennent. Par conséquent, il est essentiel de compter sur des énoncés politiques qui s'appuient sur la détermination juridique de l'appartenance des personnes aux différents groupes. C'est la première chose à faire.

Pour ce qui est de la question du repli, je ne suis pas allé dans tous ces endroits. Tout ce que je peux vous dire, c'est que, en tant que tel, le Canada s'appuie, comme presque tous les États du monde — à l'exception des États-Unis, alors nous ne sommes pas différents à cet égard — sur une coalition, comme Charlie l'a dit, une coalition dans le cadre de laquelle les alliés réunissent leurs capacités. Nous contribuons à ce système médical de façon très importante. Notre corps médical est brillant. Nous possédons maintenant une série d'équipes mobiles d'intervention chirurgicale améliorée, mais, en tant que tel, le Canada aurait besoin de les intégrer dans une coalition.

Par conséquent, dans le cadre des préparatifs et d'un accord pour nous joindre à une coalition, nous devrions fournir certaines des contributions en nature, mais nous fournirions une portion de cette chaîne de repli, comme tous les autres États aussi.

Il serait tout à fait inefficace — et ce serait même une distraction dans le cadre de l'opération — de croire que nous pouvons mettre en place une chaîne uniquement nationale. C'est impossible, sauf si vous voulez dépenser des milliards de dollars pour la mettre sur pied. Ce n'est pas nécessaire. Ce dont on a besoin, c'est de créer une coalition.

La dernière question concernait les troupes?

[Français]

Pouvez-vous répéter la dernière partie de votre question, s'il vous plaît?

Le sénateur Dagenais : Il s'agissait de prévoir l'évacuation des troupes. Vous m'avez tout de même répondu en partie.

Maintenant, s'il fallait réagir à des hostilités, qui en prendrait la décision? Est-ce que ce serait le gouvernement du Canada ou l'ONU?

Lgén Day : Il y a toujours deux niveaux en même temps. Le gouvernement du Canada et les commandants opérationnels de chaque endroit devront prendre une décision.

[Traduction]

Bien sûr, nous pouvons toujours jouer la carte nationale quant aux processus décisionnels auxquels il faut participer ou non. Peu importe l'opération et le pays, cette carte nationale — comme chaque commandant national canadien dans un théâtre d'opérations le sait... Au bout du compte, les commandants ont la responsabilité de s'assurer que les activités auxquelles les militaires de notre pays participent respectent les directives nationales qu'ils ont reçues. Cette exigence l'emporte sur toute directive opérationnelle.

Dans un théâtre d'opérations, un commandant opérationnel déterminera ce qu'il faut faire. Un commandant national n'ira pas et ne peut pas aller plus loin que le prévoient les directives opérationnelles, mais il peut décider d'en faire beaucoup moins. C'est un système dans lequel il y a deux pôles de décisions : le commandant opérationnel du théâtre d'opérations et le détenteur de l'autorité nationale, et en premier lieu le commandant national principal. Selon le niveau de décision, c'est à cette personne de trancher. La décision est ensuite transmise au quartier général de la Défense nationale, puis à un système politique.

Il faut le concevoir comme trois cercles concentriques. Un commandant national sur le terrain peut prendre des décisions dans un carré de sable de cette grandeur. Le chef ou le général principal désigné en aura un plus large et, évidemment, nos responsables politiques en ont un encore plus grand. Tout dépend du niveau d'autorité que vous voulez accorder aux intervenants.

La chaîne politique ou la chaîne de commandement national peut s'immiscer à tout moment et dans tout aspect de la décision à prendre.

La sénatrice Beyak : Merci, messieurs les généraux, de votre défense exceptionnelle du Canada et de vos impressionnantes carrières. Soyez assurés que votre présence nous honore.

Dans les circonscriptions, l'Examen de la politique de défense du gouvernement a suscité beaucoup de commentaires. Il y en a eu des positifs et des négatifs. Je suis stupéfaite du niveau de connaissance qu'ont les Canadiens de nos anciennes missions de maintien de la paix et de la mesure dans laquelle ils en sont fiers, mais ils partagent les préoccupations du sénateur Kenny au sujet de notre rôle et de la mesure dans laquelle nous pouvons définir les règles sur le terrain.

Pouvez-vous nous parler des pouvoirs auxquels nous avons dû renoncer dans le cadre d'une mission des Nations Unies et nous dire si nos fils et nos filles sont protégés? J'ai surtout entendu parler des dommages collatéraux et, bien sûr, nous avons entendu parler des hommes, des femmes et des enfants sur le terrain dans ces États, mais nous nous intéressons aussi à nos fils et nos filles qui sont déployés là-bas. De quelle façon nous assurons-nous de définir nos règles?

Lgén Bouchard : La première partie de la réponse est liée à la question du sénateur Dagenais au sujet du niveau d'autorité. Mon point de vue est le suivant : j'étais commandant d'un théâtre d'opérations, alors j'étais responsable de tout ce qui se passait dans ce théâtre. Je comprends les limites nationales qui peuvent être imposées, et je crois savoir que tous les intervenants en ont. C'est ce qu'on appelle des réserves. Tant et aussi longtemps que ces réserves sont clairement définies, je peux me débrouiller. Cependant, à un moment donné, il faut laisser les militaires faire leur travail. L'objectif est non pas d'intervenir constamment, mais plutôt de fournir des directives claires, puis de laisser les gens à qui vous avez donné les pouvoirs faire le travail.

Je ne vois pas ça comme renoncer à son pouvoir ou quoi que ce soit. C'est un aspect de l'accord en vertu duquel on dit que le Canada fournira telle ou telle force en fonction de telle ou telle limite, restriction ou autre condition. C'est juste, et c'est compris. Chaque intervenant en a à différents niveaux, et chaque mission a les siennes.

Nous pouvons travailler en fonction de ces contraintes. Cependant, une fois que nous le faisons, alors je recommanderais fortement que nous le fassions au début, le jour un, et qu'on essaie de garder le cap le plus possible. Parce que le commandant sur le terrain qui est responsable de tous ces pays et qui doit jongler avec toutes ces exigences, ce qu'il fait chaque jour et ce qui fait partie de son travail... Mais il doit y avoir un certain niveau d'uniformité afin que nous puissions comprendre.

Je ne crois pas que vous renonciez à vos pouvoirs. Vous les déléguez à quelqu'un en qui vous avez confiance et que vous croyez capable de faire le travail et qui sera réceptif, responsable et comptable aux gouvernements. Je ne crois pas que vous renonciez à votre pouvoir. Vous le déléguez à une autorité appropriée.

J'aimerais dire une dernière chose au sujet des dommages collatéraux, et peu importe la façon dont on envisage la question, c'est l'aspect le plus difficile. Nous avons établi des règles claires selon lesquelles il ne doit y avoir aucun dommage collatéral, mais certains belligérants s'entourent de jeunes enfants.

Permettez-moi de vous donner un exemple qui me donne des frissons dans le dos chaque fois que j'y pense. Imaginez une pièce d'artillerie qui tire sur un hôpital à Misrata. Il y a 2 000 personnes dans l'hôpital — des médecins, des patients et du personnel infirmier —, et on parle d'une seule pièce d'artillerie entourée de 12 enfants, et les belligérants le savent. C'est le genre de décision qu'un commandant de campagne doit prendre. C'est une décision que j'ai dû prendre, et elle doit revenir à une personne qui aura des comptes à rendre. C'est le genre de confiance que vous devez accorder à cette personne. Le Canada peut jouer un rôle de leader dans ce dossier. Nous n'avons pas à nous limiter à fournir du soutien.

Lgén Day : La réponse de Charlie me va.

Le président : Chers collègues, est-ce que cela vous convient si nous devons rester un peu plus longtemps?

Le sénateur Day : On a très bien répondu à la majeure partie de mes questions, et c'est la question du continuum.

Lieutenant-général Bouchard, pouvez-vous nous expliquer le lien entre l'OTAN et les Nations Unies, en Libye, par exemple. De quelle façon vous et vos soldats êtes-vous intervenus là-bas? S'agissait-il d'une opération de l'OTAN? Et quelle était la relation avec les Nations Unies?

Lgén Bouchard : Dans ce cas, il s'agissait d'une mission dirigée par l'OTAN et approuvée par les Nations Unies. Le Conseil de sécurité a présenté deux résolutions — 1970 et 1973 — et a donné le pouvoir d'empêcher les belligérants de menacer la population et la directive de créer une zone d'exclusion aérienne et une autre d'exclusion maritime. C'était l'objectif des Nations Unies et les directives que j'ai reçues : protéger la population.

Cette responsabilité revenait à la branche militaire, parce que la solution devait être militaire : arrêter le régime. L'OTAN s'en est occupé. Dans ce cas-ci, c'était l'OTAN, mais il aurait pu s'agir d'une coalition de pays volontaires. En fait, tout a commencé par une coalition de pays volontaires avec l'opération Aube de l'Odyssée, qui réunissait les États-Unis, la France, le Canada et le Royaume-Uni, puis il y a eu un transfert. On a procédé ainsi pour une raison de rapidité, pour permettre à l'OTAN de mettre les choses en branle. Nous avions un mois pour assurer la participation du reste de l'équipe de l'OTAN, et c'est ce qu'on a fait, et la direction de l'opération a été transférée à l'OTAN 30 jours après le début de la première mission.

Ensuite, l'OTAN m'a donné des directives par l'intermédiaire du commandant militaire. Ces directives m'ont été données. J'ai défini ma mission. Mon rôle en matière d'engagement était clair, et j'ai fait mon travail.

Je devais faire mon travail, puis me présenter devant le Conseil de l'Atlantique Nord pour faire le point sur mes activités et répondre aux questions des membres. Il y a eu beaucoup d'échanges. C'est un dialogue continu chaque jour.

Lorsqu'il fallait prendre des décisions opérationnelles, elles ne revenaient pas au Conseil de l'Atlantique Nord. C'est moi qui les prenais. Mon commandant le savait, et on ne m'a jamais dit de faire ou de ne pas faire telle ou telle chose. Ces décisions revenaient au commandant du théâtre d'opérations.

J'étais donc responsable et je devais rendre des comptes, mais j'avais aussi la responsabilité d'informer le Conseil de l'Atlantique Nord et, bien sûr, ce dernier a informé les Nations Unies de ce qui se passait. Il fallait simplement trouver le juste équilibre entre toutes ces activités.

Le sénateur Day : Lieutenant-général Day, vous avez mentionné l'importance d'agir rapidement lorsqu'on constate qu'il se brasse quelque chose et que beaucoup de vies peuvent être sauvées grâce à une intervention rapide. Est-il raisonnable d'intervenir pour régler cette urgence militaire et d'ensuite définir — après l'intervention militaire et au moyen d'une approche pangouvernementale — la planification après coup dont vous avez parlé de façon très convaincante ici? De quelle façon détermine-t-on ces choses et à qui revient cette tâche? Est-ce la responsabilité de l'OTAN? Des Nations Unies?

Lgén Day : Je crois qu'on peut le faire et voir les choses de deux façons différentes : pour ce qui est de l'intervention et du caractère urgent de la situation dont vous avez parlé, toutes les social-démocraties avec lesquelles nous travaillons — nos amis, nos alliés et ainsi de suite — possèdent ce que nous appelons des forces à haut niveau de préparation. Ces forces bénéficient d'un haut niveau de formation et possèdent un équipement légèrement différent. Par conséquent, elles sont essentiellement prêtes à passer à l'action très rapidement. Nous conservons un bâtiment de garde ici, au Canada.

Le général Bouchard pourra vous dire combien d'avions à réaction sont en disponibilité à un moment donné. Mon fils fait partie d'un bataillon d'infanterie à haut niveau de préparation à Edmonton. Nous ne sommes pas différents des autres pays. C'est une question de volonté politique et de capacité d'intervention. Les forces militaires — assurément celles des États membres de l'OTAN — possèdent toutes une telle capacité.

C'est toujours, bien sûr, un couteau à double tranchant, puisque vous intervenez dans un environnement pour lequel vous n'êtes pas directement préparé, mais c'est une question de risque qu'il convient d'équilibrer, n'est-ce pas? Quels risques sommes-nous prêts à prendre afin de prévenir une catastrophe? Je peux reprendre ici l'analogie utilisée par Charlie au sujet des dommages collatéraux : essaie-t-on de sauver 2 000 personnes ou protège-t-on 12 personnes? Il faut y réfléchir.

Dans de telles situations, si les responsables politiques décident qu'il faut faire quelque chose, je reste totalement convaincu qu'il y a des capacités militaires et des capacités au sein de l'OTAN, y compris au sein du Canada, et qu'il est possible d'intervenir.

Franchement, une telle intervention ne permet pas le recours à une approche plus réfléchie et ce genre de choses. Ce sont deux interventions différentes. Une est un engagement réfléchi, qui s'appuie sur une coalition, d'examiner un environnement qu'on sait à risque, en déroute ou défaillant. L'autre est un type d'intervention d'urgence.

On peut passer d'une à l'autre, parce que, tandis qu'on intervient, on peut entreprendre une intervention pangouvernementale du genre de celle dont j'ai parlé et intégrer les aspects économiques, diplomatiques et internationaux. Mais aussi, franchement, la plupart des organisations militaires et la plupart des gouvernements s'adonnent à beaucoup de planification d'urgence. Par conséquent, en arrière-plan, il y a toute une série de plans associés à ces types de choses qui peuvent être mis en branle.

Je ne crois pas que ces plans soient assez solides au niveau intergouvernemental, mais je crois qu'ils le sont vraiment au niveau militaire. Et, en fait, peut-être qu'une des initiatives que le Comité pourrait envisager consisterait à déterminer si le Canada devrait mettre au point une intervention pangouvernementale suffisamment générique pour ne pas être inutile dans une région précise, tout en étant suffisamment générale pour mobiliser tous les tenants des pouvoirs nationaux en cause dans ces types d'intervention.

Le président : Pouvez-vous être bref?

Le sénateur Day : À la lumière de votre expérience, principalement au sein de l'OTAN et concernant les interactions avec les Nations Unies, avez-vous une opinion quant à savoir si le fonctionnement ou je ne sais quoi d'autre des Nations Unies — la façon dont l'organisation fonctionne actuellement — est adéquat pour gérer les situations qui se sont présentées et qui se présenteront à l'avenir, des situations où une décision politique... S'il faut abandonner le contrôle de nos forces armées à cette organisation... Les Nations Unies sont-elles suffisamment fiables pour gérer ce genre de situation?

Lgén Day : La première chose que je dirais, c'est que nous n'abandonnons jamais le contrôle de nos forces armées — jamais —, et je crois qu'on en revient au commentaire précédent sur le pouvoir. L'armée canadienne n'abandonne à aucun moment le pouvoir relevant des autorités nationales. Nous conservons nos pouvoirs ici, à Ottawa, tant sur le plan militaire que sur le plan politique. Il n'y a pas de compromis en vertu duquel nous devons fournir nos forces aux Nations Unies sans avoir notre mot à dire. En tant qu'État, nous continuons d'avoir notre mot à dire à tout moment durant les déploiements. Mais cela ne dissipe pas la préoccupation plus générale : les Nations Unies possèdent-elles la structure, le processus et la volonté de créer des conditions gagnantes?

Je crois que, depuis l'évolution de l'OTAN et des coalitions des pays volontaires au cours des 5, 10, 15 et 20 dernières années — essentiellement depuis l'Irak, la Bosnie, et ainsi de suite —, les Nations Unies n'ont pas vraiment été mises totalement à l'essai dans ces types d'opération de façon à savoir si elles ont évolué en harmonie avec certaines des coalitions au sein desquelles le général Bouchard et moi avons travaillé. Je crois que c'est une question sans réponse. Le passé donne à penser que cette organisation a encore un grand bout de chemin à faire, mais j'en viens toujours au fait que, si nous ne commençons pas quelque part, nous ne ferons pas de progrès. J'admets que je suis pessimiste en ce qui concerne la capacité des Nations Unies de faire le travail. Cependant, je ne vois pas d'autre structure internationale qu'on pourrait créer et qui bénéficierait d'un soutien mondial. Par conséquent, nous ne devons pas dire : « Je n'y crois pas, regardez, les Nations Unies sont incapables de le faire ». On devrait plutôt dire : « Où échoue-t-on? Qu'est-ce que le Canada peut faire pour essayer d'améliorer ces processus? » Sinon, aussi bien rester chez nous.

[Français]

Le sénateur Carignan : Je comprends qu'il puisse être difficile de déterminer les endroits où il pourrait y avoir du succès quant à l'ONU. Vous avez dit également que l'engagement devrait se situer aux endroits où il y aurait un gain pour le Canada.

Selon vous, quel genre de gain ferait le Canada en menant des missions de paix? Parmi les éléments dont vous parliez, est-ce qu'un gain politique pourrait être un motif? Par exemple, le gouvernement étend ses missions de paix en Afrique pour améliorer son réseau d'influence dans le cadre de sa campagne pour obtenir un siège au Conseil de sécurité. Est-ce de ce genre de gain dont on devrait tenir compte?

Lgén Day : Je vais répondre en anglais, si vous le permettez.

[Traduction]

Je crois que c'est une excellente question. Quels sont les objectifs canadiens dans le cadre de ces missions? Je les classerais selon quatre catégories générales : les gains économiques, les gains culturels, ceux liés aux objectifs de sécurité et les gains politiques. La question qu'il faut se poser, c'est si ces gains sont l'objectif ultime? S'agit-il de mesures provisoires visant à améliorer notre situation? Pour ce qui est de l'objectif politique — et je ne me range derrière aucun parti politique ni aucun gouvernement —, je dirais que je peux présenter un argument selon lequel, c'est franchement démagogique. Je pourrais dire d'un autre côté que, si nous voulons vraiment changer les choses, nous devons jouer un rôle central pour modifier les Nations Unies, et la seule façon d'y arriver, c'est d'être membre du Conseil de sécurité. Tout dépend de la position que vous voulez adopter, mais si vous voulez jouer un rôle, il faut se joindre à la partie. Il faut exercer une influence. Au sein des Nations Unies, si vous ne contribuez pas et si vous n'êtes pas sur le terrain de jeu, personne ne vous écoute. C'est la dure réalité. Alors on peut choisir d'aller d'un côté comme de l'autre.

Comme je l'ai dit, il y a différentes façons dans ces domaines d'exprimer des objectifs. Permettez-moi de vous donner quelques exemples concrets. Je pourrais vous parler du trafic de la drogue, du terrorisme, du terrorisme extrémiste — et, soit dit en passant, je ne parle pas seulement du terrorisme extrémiste islamique... Un rapport intéressant a été publié aujourd'hui selon lequel le terrorisme d'origine interne aux États-Unis est une plus grande menace là-bas que le terrorisme islamique. Je ne veux pas que quelqu'un déduise que je cible quoi que ce soit. Ce n'est pas le cas.

Tout dépend de ce qui est important pour nous. Prenons les plus récents problèmes liés au fentanyl sur la côte Ouest. C'est un fléau. Nous connaissons les cercles et les chemins de la drogue partout dans le monde. Nous les comprenons très, très bien. Vous pouvez aller dans les bureaux de n'importe quel organisme de renseignement et vous pouvez dire où se trouvent les États à risque et en déroute et où il y a de grandes régions non gouvernées; c'est dans ces endroits que se trouvent les criminels, les groupes extrémistes, les trafiquants de drogue et ainsi de suite. En fait, le désir de contribuer à réduire au minimum cette menace n'est pas un mauvais objectif national. Culturellement, nous sommes un pays d'immigrants. On n'a pas à remonter très loin avant de trouver un immigrant parmi nos ancêtres et dans nos familles. Mes grands-parents sont de quatre origines nationales différentes. Nous nous intéressons à l'endroit d'où ces immigrants viennent. Nous reflétons leurs valeurs. Je ne crois pas qu'il soit mal de dire que nous avons un objectif national, soit faire preuve d'équité et offrir un traitement équitable à tous les êtres humains, peu importe d'où ils viennent et ce à quoi ils ressemblent. Ce n'est pas un mauvais objectif national. Vous comprendrez donc que je ne formulerai pas un argument précis pour l'une de ces choses, mais j'aimerais que le tout soit défini par le gouvernement. Ensuite, je tiendrais à ce que tout soit défini — de quelle façon la mission est créée, de quelle façon elle est mise sur pied —, qu'on réponde à certaines des questions que nous avons posées précédemment, de façon à pouvoir contribuer à atteindre cet objectif. Je crois que c'est raisonnable.

Est-ce qu'il y a un certain artifice politique? Peut-être, c'est comme une partie de poker. On ne peut pas gagner si on ne joue pas. C'est ce que j'en pense.

[Français]

Lgén Bouchard : Je comprends la teneur de votre question, mais il s'agit aussi de définir les intérêts nationaux recherchés. Ce sont des intérêts politiques et économiques, mais ce sont aussi des intérêts un peu plus axés sur la protection de la personne, des intérêts qui visent à créer un environnement plus stable qui apportera autre chose au pays. Il est dans notre meilleur intérêt de le faire.

Comme on l'a dit, si on veut changer le monde, que ce soit par ce moyen ou à l'aide de règlements environnementaux, il faut jouer un rôle d'impulsion. Ce contrepoids nous amène à nous poser ces questions. Est-ce que la grande stratégie est de créer un environnement plus vert, un meilleur monde dans lequel les droits de la personne seront protégés? Pour y arriver, quelles sont les étapes à suivre?

Je ne vois pas cela comme étant l'un ou l'autre, mais plutôt comme un cercle parmi tous les cercles, soit les droits de la personne, la sécurité du pays, l'environnement qui rendra le monde plus stable et les besoins du Canada qui le pousseront à chercher certains bénéfices.

À mon avis, cela fait partie de la grande stratégie, mais il faudrait aussi tenir une discussion publique sur cette grande stratégie afin qu'on puisse comprendre le tout.

Le sénateur Carignan : Je comprends l'objectif d'augmenter le nombre de missions de paix, mais le Canada a déjà de la difficulté à respecter ses obligations envers l'OTAN. Il faut augmenter le financement et les apports d'équipements. Je pense que vous serez d'accord avec moi pour dire qu'il faut augmenter notre force et notre participation au sein de l'OTAN.

Ne sommes-nous pas en train de mettre en péril notre engagement envers l'OTAN pour participer à des missions de paix dont les résultats seront difficilement mesurables, ne serait-ce que pour faire des gains politiques afin d'obtenir peut-être un siège au Conseil de sécurité?

[Traduction]

Lgén Day : Je ne crois pas qu'il faille choisir un ou l'autre. Je ne crois pas que nous mettons un ou l'autre en péril. La taille des Forces armées canadiennes nous permet de faire plusieurs choses à la fois. Évidemment, je ne parle pas pour le chef. Je suis à la retraite, alors je ne veux pas nécessairement parler de capacité, mais, d'après mon expérience, je crois que, vu la taille de notre force, et ses nombreuses capacités, nous pouvons faire toute une gamme de choses différentes parallèlement. Nous n'avons pas à prendre à Pierre pour donner à Paul, si c'est bel et bien la question.

Franchement, d'après mon expérience, cela ne change rien : que cela soit 50, 500 ou 5 000 membres des Forces canadiennes, lorsque nous participons à une mission, nous ajoutons une valeur. On peut prendre n'importe quel jeune militaire canadien, peu importe ses antécédents, et dès la première journée de son déploiement, il est déjà dans les 10 p. 100 des membres les plus performants de cette unité ou de ce quartier général.

Nous avons bel et bien des choix politiques à faire. Mettons-nous l'accent ici? Affectons-nous 1 000 personnes à tel endroit ou est-ce que nous les répartissons entre 100 petits groupes dans différents organismes, l'OTAN, les Nations Unies, et ainsi de suite? Cependant, d'après moi, on n'a pas à choisir un ou l'autre, et, d'un point de vue militaire, il y a un nombre en dessous duquel, franchement, notre influence diminue. Tout comme il y a un nombre au-dessus duquel notre influence n'augmente plus.

Si nous affectons 1 000 personnes dans une coalition en Afghanistan qui compte 100 000 personnes, et que nous doublons notre contribution à 2 000, c'est excellent pour la situation en Afghanistan, c'est excellent pour la coalition. Est-ce que le Canada aura deux fois plus d'influence s'il double le nombre de soldats? Absolument pas. Il est possible de calculer la contribution qui est suffisante pour que le Canada puisse exercer l'influence nécessaire, parce que nous ajoutons toujours une valeur à l'opération, et il y a d'autres endroits où l'on peut intervenir afin d'exercer encore plus d'influence.

Lorsque j'ai affecté mes équipes des forces spéciales, nous pouvions envoyer huit membres dans un secteur ou en envoyer quatre ici et quatre là et doubler l'influence du gouvernement du Canada. Selon moi, ce n'est pas une décision binaire qui exige de choisir l'un ou l'autre. Les chiffres sont importants, mais il faut vraiment bien réfléchir avant de décider automatiquement de couper la contribution de moitié ou de la doubler. Il faut penser au Canada et à l'influence du Canada.

[Français]

Lgén Bouchard : Premièrement, la question fondamentale consiste à savoir de quelles capacités le Canada veut se doter. Veut-on une marine puissante, une aviation qui impose du pouvoir ou qui fournit simplement du transport, une force terrestre bien armée et polyvalente? Deuxièmement, une fois cette réflexion faite, nous devons décider ensuite de quelle sorte de structure nous voulons. Voulons-nous de la flexibilité afin de faciliter les déplacements? Parfois, c'est davantage une question de qualité que de quantité. Il est incroyable de voir comment un petit groupe peut exercer un leadership à tous les niveaux. Cela se comprend très bien, car je l'ai vécu et constaté à plusieurs endroits.

Le troisième point consiste à déterminer quel équipement doit être envoyé : le service des forces spéciales, l'aviation ou autres. Ainsi, on peut apporter une contribution avec un équipement adéquat et à la fine pointe de la technologie pour les années qui suivront. Il ne s'agit pas seulement de prendre en compte ce que nous avons aujourd'hui, mais de prévoir une force qui durera longtemps sur tous les plans : les navires, les avions, les forces et autres équipements.

Il faut non seulement penser à ce qui doit se faire aujourd'hui, mais prévoir où l'on s'en va à l'avenir. Avons-nous cette vision stratégique à long terme et débattons-nous sérieusement de cette question?

Le sénateur Carignan : Avons-nous ces capacités?

Lgén Bouchard : C'est une question pour le chef de la Défense. Le pays doit évaluer ses capacités et les proposer aux Forces armées canadiennes qui doivent faire du mieux qu'elles peuvent avec les forces et les faiblesses qu'elles engendrent. C'est au gouvernement du Canada qu'appartient la décision de décider de la capacité nécessaire pour répondre aux objectifs nationaux et internationaux dans le monde imprévisible d'aujourd'hui, mais aussi pour les 30 ou 40 ans à venir. En 1976, comme j'en discutais avec le sénateur Day récemment, on faisait face au pacte de Varsovie. On n'aurait jamais cru alors qu'on irait en Libye ni au Kosovo. Il faut regarder l'avenir d'un point de vue stratégique. Où serons-nous dans 30 ou 40 ans?

[Traduction]

Le président : Chers collègues, nous allons nous arrêter ici. J'ai une question au sujet du financement militaire. J'ai entendu dire aujourd'hui que le financement fourni sera suffisant pour réaliser ces nouveaux déploiements, si c'est ce qu'on décide de faire. Au cours des dernières années, nous avons appris que notre Marine, la force aérienne et les militaires — et dans certains cas, l'armée — étaient sous-financés dans certains domaines en raison des répercussions budgétaires des cinq dernières années.

Afin de respecter nos obligations actuelles et futures, est-ce qu'il sera essentiel pour le gouvernement du Canada d'augmenter ses engagements financiers dans le secteur militaire pour enfin acheter les nouveaux avions à réaction? Nous savons qu'il va falloir les remplacer. De plus, il y a aussi la flotte de sous-marins à laquelle il faudra bien réfléchir un jour. En outre, nous parlons actuellement des drones à haute altitude. Il faudra des millions et des millions de dollars. C'est une chose de parler de la mission en tant que telle, mais il y a tellement d'autres responsabilités conflictuelles ou supplémentaires que les militaires devront assumer... Pourra-t-on leur fournir les technologies nécessaires? Je vais poser la question de la défense antimissiles balistiques au général Bouchard. Devrions-nous participer à cette initiative et est-ce qu'il y aura des coûts associés à cette participation?

Vous avez tous les deux une grande expérience. Par conséquent, puisque nous devons élargir nos responsabilités, faudra-t-il affecter des fonds supplémentaires, en plus des engagements quotidiens habituels déjà prévus dans les livres?

Mme Boulden : Il est évident que, les années ayant passé, notre équipement doit maintenant être remplacé, qu'il s'agisse de l'équipement de la Marine, de l'aviation ou des forces terrestres. Nous avons beaucoup de défis à relever à ce sujet. Personne ne sait combien coûtera le remplacement des bâtiments de guerre de surface. Ces bâtiments coûtent cher, et les prix continuent d'augmenter, c'est la vie. Et on ne fait pas que remplacer certaines pièces d'équipement; avec les drones, nous faisons l'acquisition de nouvelles capacités.

Nous avons tendance à vouloir remplacer une chose par une autre. Encore une fois, il faut aborder cette question du point de vue des capacités et se demander ce dont on a besoin relativement à ce système d'armement, qui fait partie d'un système d'armement global. Quel sera le rôle des drones? Quel sera le rôle d'un avion de chasse? Et qu'en est-il du rôle d'un navire? Il faut tout réunir et trouver un juste équilibre. Selon moi, il faudra accroître le financement pour satisfaire à toutes ces exigences.

Pour ce qui est de la défense antimissiles balistiques, lorsque je pense à la période que j'ai passée dans le NORAD et à ce qui se passe dernièrement en Corée du Nord, par exemple — il y a deux semaines, ils ont fait exploser ce qui semble être une arme nucléaire de 5 kilotonnes; et nous savons qu'ils ont la capacité de monter une tête nucléaire sur un missile —, et si l'on songe à l'avenir, c'est l'une des menaces auxquelles nous serons confrontés. De quelle façon pouvons-nous composer avec les menaces que nous avons cernées?

Enfin, il y a déjà un système bien établi aux États-Unis, mais rejoindre ce système est une œuvre d'envergure. Actuellement, l'Europe se dote d'une défense antimissiles balistiques, alors cela devient une question importante. Je crois que, à l'avenir, les missiles balistiques seront une menace pour notre pays. Par conséquent, de quelle façon faut-il réagir? Eh bien, il faut participer à la défense antimissiles balistiques. Dans quelle mesure? C'est une question qu'il faut aborder avec le NORAD et les États-Unis.

Lgén Day : J'aimerais faire de brèves observations sur la DAB, puisque c'est une question que j'ai examinée de près dans le cadre de mes affectations précédentes quand nous parlions de capacités. J'ai toujours eu du mal à comprendre pourquoi il n'y a pas eu un débat ouvert. Nous participons à la défense antimissiles balistiques. Seulement, nous en subissons les conséquences, et c'est d'autres intervenants qui prennent les décisions pour nous. Essentiellement, nous avons décidé consciemment d'impartir cette capacité, mais nous l'avons fait de telle façon que nous n'avons aucune visibilité dans le contrat. Nous ne comprenons pas le prix, nous ne comprenons pas la capacité offerte et nous n'avons absolument aucun mot à dire sur l'exécution.

Si je disais à n'importe lequel d'entre vous que c'est la façon dont nous allons gérer un autre volet du système de sécurité du Canada, vous seriez consternés. C'est ce que nous faisons depuis des années.

On ne parle pas de la guerre des étoiles de Ronald Reagan. On parle d'un système fondamentalement différent, et nous avons choisi l'aveuglement volontaire et l'ignorance. Pour moi, c'est scandaleux, je veux que cela soit bien clair.

Et pour ce qui est du financement, combien de pommes voulez-vous acheter? Nous parlons de financement comme s'il y avait un nombre définitif de choses à acheter. Je vous soumets que, lorsqu'on parle de financement militaire, il faut réfléchir en fonction de trois horizons : il faut penser à la situation actuelle, c'est-à-dire le financement de nos effectifs, la formation et l'équipement actuels, les bottes, les uniformes, les repas et tout le reste; il faut ensuite regarder à l'horizon, c'est-à-dire le maintien des capacités actuelles; puis, enfin, il faut aussi savoir réfléchir à l'avenir.

Le financement militaire doit et devrait toujours être uniquement mesuré en fonction de la demande. Devrions-nous y consacrer plus d'argent? Eh bien, tout dépend de ce que le gouvernement demande à l'armée. Cependant, il y a une chose dont on a oublié de parler : prenons, par exemple, 15 milliards de dollars. De quelle façon peut-on comprendre ces 15 milliards de dollars en ne se limitant pas à la situation actuelle? Je peux le quantifier. Le chef peut le quantifier. Ses vice-amiraux et lieutenants-généraux peuvent le quantifier extrêmement bien. Le problème, c'est qu'il y a peu de débats, voire aucun, sur ce qui nous attend dans 15 ou 20 ans, lorsqu'on récoltera ce qu'on sème aujourd'hui en refusant d'investir dans les immobilisations.

Je ne dis pas qu'il faut plus ou moins d'argent. Je dis qu'il faut comprendre ce que cet argent nous permet d'acquérir, et ce, pas seulement aujourd'hui, pour soutenir des activités, des opérations et de la formation à court terme, mais aussi les résultats qu'on obtiendra dans 15 ou 20 ans, lorsque ce seront nos enfants et nos petits-enfants qui tireront profit de nos investissements. Contrairement à l'infrastructure, lorsque tout tombe en ruines, on ne peut pas tout reconstruire du jour au lendemain parce qu'on n'a pas les fonds nécessaires.

Pour répondre à votre question, d'après ma compréhension de la situation — et c'est moi qui ai rédigé le Guide d'acquisition de la Défense au sujet des éventuels portefeuilles de capacités envisagées — il faudra plusieurs dizaines de milliards de dollars d'investissement au cours de nombreuses décennies. Voilà l'échéancier, voilà la taille, mais tout est relatif à la demande.

Nous avons tendance à parler du financement sans réfléchir aux exigences. Si vous voulez que les Forces canadiennes aillent faire des choses dangereuses et difficiles un peu partout sur la planète, il faut former les troupes, il faut les équiper et il faut préparer la prochaine génération de soldats, qui devront eux aussi être formés et équipés; tout cela a un prix.

Le président : Je tiens à vous remercier, lieutenant-général Day et lieutenant-général Bouchard, de nous avoir présenté des exposés instructifs. Nous vous remercions du temps que vous avez pris pour être parmi nous aujourd'hui et nous faire part de vos points de vue. Au nom du comité et du Sénat, je vous remercie tous les deux d'avoir servi notre pays de façon exemplaire. Nous avons hâte de vous revoir tandis que vous entreprenez vos nouvelles carrières maintenant que vous êtes à la retraite.

Chers collègues, je tiens maintenant à souhaiter la bienvenue au sénateur Dallaire, qui a pris sa retraite du Sénat.

Le lieutenant-général à la retraite Dallaire a commandé la Mission des Nations Unies pour l'assistance au Rwanda d'octobre 1993 à août 1994. Après sa carrière militaire, il a travaillé comme conseiller aux Nations Unies pour le gouvernement canadien dans des dossiers liés à la prévention des génocides, à la défense nationale, aux anciens combattants et aux enfants victimes de la guerre.

Il a été nommé au Sénat en mars 2005. En 2007, il a fondé l'organisme Roméo Dallaire Initiative enfants soldats, un partenariat international établi à l'Université Dalhousie, en Nouvelle-Écosse. Le programme vise à éliminer l'utilisation et le recrutement d'enfants soldats grâce au travail avec les secteurs de la sécurité — les forces militaires, policières et de maintien de la paix — partout dans le monde, au moyen d'initiatives de formation, de recherche et de défense des droits.

Sénateur Dallaire, nous sommes ravis de vous accueillir à nouveau tandis que nous examinons les questions relatives à l'Examen de la politique de défense au Canada et l'engagement du pays dans le cadre des opérations de maintien de la paix des Nations Unies. Je crois savoir que vous avez une déclaration préliminaire, alors je vous cède la parole.

Lieutenant-général (à la retraite) l'honorable Roméo Dallaire, à titre personnel : Merci, monsieur le président, et merci, chers collègues, de m'avoir laissé revenir, cette fois-ci à titre de témoin, et de l'occasion que vous m'offrez de répondre à vos questions et de formuler quelques points qui se retrouveront, je l'espère, dans le rapport d'étude que le ministre vous a demandé. J'ai trouvé extraordinaire que ce soit le ministre qui nous demande de réaliser une étude et non nous qui essayons de lui en soumettre une. Déjà là, c'est du nouveau.

Dans sa lettre, il dit qu'il faut s'assurer que les politiques qui encadrent les Forces armées canadiennes sont harmonisées avec nos défis actuels et futurs en matière de sécurité, qui, en eux-mêmes, sont difficiles à définir. Il ajoute qu'il veut une nouvelle politique de défense. De toute évidence, cela signifie que nous devons produire un livre blanc. J'ai trouvé le dernier paragraphe particulièrement digne de mention : « Les Forces armées canadiennes peuvent contribuer au renouvellement de l'engagement du Canada à l'égard des opérations de soutien de la paix des Nations Unies et au soutien de l'importante activité multinationale pour contribuer de façon tangible à la stabilité mondiale afin de protéger les populations vulnérables et soutenir les institutions civiles qui aident à prévenir les conflits. »

C'est essentiellement la mission qu'il a décrite là, avec le présent examen et c'est, d'après moi, pas seulement ambitieux — et je le dis positivement —, mais une orientation très valide et très ciblée quant à l'avenir des forces.

Je le dis parce que, il y a quelques années, j'ai participé, avec l'Institut montréalais d'études sur le génocide et les droits de la personne, à la publication d'un livre intitulé Mobiliser la volonté d'intervenir, dans lequel nous avons fait valoir qu'il n'y a pas un conflit actuellement en cours dans le monde qui n'a pas d'impact sur nous, ici. Nous ne pouvons absolument pas faire fi des conflits, puisqu'il est dans notre intérêt, déjà, si vous voulez voir les choses sous cet angle — et je ne parle même pas de la dimension humanitaire et de notre engagement connexe — de prendre en considération ces conflits.

Ces conflits, justement, créent d'importants déplacements de population, ce qui entraîne la création de très grands camps de réfugiés et d'importants camps de personnes déplacées à l'intérieur de leur pays, qui sont des sources de pandémie agressives, et il faut s'attendre à ce qu'il y en ait de plus en plus. Ces camps créent aussi tellement d'insatisfaction qu'ils sont une source d'extrémisme et de radicalisme. Par conséquent, ils perpétuent les conflits et interdisent en fait toute réconciliation.

Souvent, ces conflits sont dans des zones qui possèdent des ressources dont nous avons besoin. Ces ressources sont compromises parce qu'elles se trouvent en zone de conflit et, à ce titre, nous avons de la difficulté à les obtenir à un prix raisonnable, et encore moins de façon constante. On n'a qu'à penser à la situation du coltan dans l'Est du Congo pendant de nombreuses années.

Et le dernier point, mais non le moindre, les diasporas au sein de notre pays n'ont pas nécessairement coupé les ponts avec leur pays d'origine, dans la mesure où ils ont encore des membres de leur famille là-bas qui souffrent. Par conséquent, les conflits dans ces pays ont une incidence — jusqu'au niveau municipal — sur ces diasporas, la façon dont ils gèrent leur intégration ici et l'espoir qu'ils ont que notre pays se mobilise pour aller les aider. Rappelez-vous les Tamouls à Toronto qui ont bloqué toutes les rues parce qu'ils n'appréciaient pas la décision du gouvernement de l'époque; de telles manifestations sont une possibilité à l'avenir.

Je peux vous dire que les travaux que je fais actuellement dans le cadre de l'initiative sur les enfants soldats suscitent l'intérêt des forces policières au Canada. Nous menons des recherches à Montréal, Toronto et Edmonton sur les gangs issus de diasporas et tentons de prévenir la violence extrémiste — certains parlent de « radicalisation » — et, en fait, de récupérer les jeunes radicalisés ou qui adhèrent à ces gangs — que ce soient des gangs issus de la diaspora ou non —, adhésion qui pourrait déstabiliser notre pays.

Rien ne se passe à l'étranger sans qu'on en ressente les contrecoups ici. Si nous n'établissons pas ces liens, alors je crois que nous n'examinons pas vraiment la menace. La menace est envahissante et peut, en fait, traverser les frontières, et, trop souvent, elle a déjà trouvé son chemin vers le Canada et l'Amérique du Nord.

Le domaine du maintien de la paix a subi quelques changements, et il ne fait aucun doute que le rapport Brahimi de 1999 a provoqué des changements importants. De plus, le groupe d'experts indépendants de haut niveau sur la paix et les opérations a formulé un certain nombre de recommandations, comme l'a fait aussi, en 2005, Kofi Annan, recommandations qu'il a présentées à l'Assemblée générale et qui visaient à apporter d'importants changements au sein des Nations Unies, pas seulement en ce qui a trait au maintien de la paix, mais relativement à divers éléments. En fait, il a formulé environ 100 recommandations.

Mon regret, c'est que très peu de ces recommandations ont été adoptées. Il semble y avoir un grand manque de leadership de la part des États lorsqu'il est temps de se mobiliser, d'offrir un soutien et de rappeler l'importance d'appliquer ces recommandations et d'apporter ces changements. C'est donc un élément auquel on devrait s'intéresser puisque les conflits se transportent ici.

La deuxième raison pour laquelle nous nous intéressons aux Nations Unies... Et c'est à ce sujet qu'il a été recommandé que les pays jouent un rôle de leadership pour rendre les Nations Unies plus efficaces, non seulement dans le domaine du maintien de la paix, mais relativement à une diversité de responsabilités, comme le commandement et le contrôle, la planification stratégique et toutes ces choses.

Il y a aussi des innovations qui ont été mises de l'avant, mais qui n'ont pas été mises en œuvre, comme la responsabilité de protéger. Même si, parfois, nous utilisons certaines de ces expressions, nous utilisons rarement les quatre piliers sous-jacents, qui incluent la diplomatie et, dans des situations extrêmes, le recours à la force. La responsabilité de protéger, expression que nous avons forgée et fait approuver en 2005, n'a pas été le fondement d'interventions précoces directement sur le terrain et en fonction des capacités régionales — l'Union africaine, la Ligue arabe et ainsi de suite — à des fins de prévention et de protection des civils pour éviter qu'ils ne succombent à des atrocités de masse.

Cependant, il est intéressant que la résolution 1325 s'intéresse à la question du sexe et à la protection contre la violence sexuelle. Même l'OTAN a adopté cette résolution, et le Canada vient de publier certains de ses travaux. Cependant, il y a aussi la résolution 1612, qui concerne les enfants utilisés comme système d'armes principales dans le cadre de tous les conflits armés actuels.

Donc, mon troisième commentaire, c'est que la menace — et c'est un terme que nous aimons utiliser — est « asymétrique ». La menace, la continuité et le maintien des conflits dans le monde sont très étroitement liés au fait que les belligérants utilisent des générations d'enfants pour les poursuivre, les renforcer et pour créer une ambiance de guerre, qui ne leur laisse aucune autre option que de poursuivre la lutte. Je reviens de Jordanie, et je les ai vu recruter des jeunes de 13 ans dans les camps de réfugiés afin qu'ils s'enrôlent dans l'Armée libre de Syrie.

Le fait que des enfants sont utilisés dans tous les conflits à l'étranger perpétue la menace qui pèse sur nous. Notre capacité à influencer et à atténuer la menace et à restreindre la radicalisation, même dans notre pays, a été minime. Nous avons déployé beaucoup d'efforts en ce qui concerne la réadaptation et la réinsertion sociale, mais nous n'avons pratiquement rien fait pour ce qui est de tirer parti de l'éducation afin de prévenir le recrutement. Lorsqu'on prend des mesures, on utilise simplement des moyens cinétiques destructeurs.

Nous avons fait un travail considérable à d'autres chapitres. Je veux que l'on parle de cela, parce que dans toutes les discussions dont j'ai pris connaissance, on a très peu abordé la question de la menace qui plane sur les opérations de l'ONU et les opérations de soutien de la paix. Selon moi, la menace la plus importante est l'utilisation des jeunes, et je peux appuyer ce que je dis sur des faits : en 1994, au Rwanda, c'est une milice composée de jeunes qui a massacré 800 000 personnes. Actuellement, les problèmes au Burundi sont causés par une milice de jeunes, tous les partis politiques, et cetera.

Monsieur le président, mesdames et messieurs, j'ai participé à l'élaboration du livre blanc de 1987. Cet effort, 10 ans trop tard, était censé combler l'écart que l'épuisement de nos forces avait creusé entre ce que nous pouvions faire et les engagements que nous avions pris. On a sabordé ce plan en moins de deux ans parce que l'effort ne pouvait pas être financé : c'était au-dessus de nos moyens.

En 1994, nous avons préparé un autre livre blanc, mais il n'avait pas vraiment une identité propre, car la menace n'était pas bien circonscrite. À cette époque, nous ne savions pas vraiment comment les choses allaient évoluer : on avait affaire à des pays qui s'effondraient et à des États défaillants, même à des guerres civiles. Le recours traditionnel à la puissance militaire ne semblait plus fonctionner. Nous avons donc mis au point cette notion de « force polyvalente apte au combat », qui voulait dire tout et rien à la fois. En fin de compte, il nous a fallu essayer de deviner le mandat qui nous serait possiblement confié.

Il est opportun de mener cette étude maintenant, en 2016, vu les menaces bien réelles que nous pouvons cerner. Nous pouvons aussi exercer une importante influence sur des pays afin qu'ils ne sombrent pas dans le conflit et n'usent pas d'autres moyens que la puissance militaire.

Cela me fait penser à un terme à la mode ces temps-ci : « pangouvernemental ». Nous ne pouvons pas exclure les autres ministères de l'élaboration de notre politique de défense; ils doivent pouvoir modifier leur structure afin de fournir au pays et au reste du monde des outils beaucoup plus sécuritaires pour prévenir les conflits. Le but ultime est de résoudre les conflits de façon permanente grâce à la réconciliation, et cela suppose un effort de développement, une mobilisation diplomatique internationale.

J'en viens donc — et je sais que mon temps de parole est limité — à mon point principal, soit le renforcement des capacités. Pendant les années 1960, les Forces armées canadiennes ont parcouru l'Afrique et ont bâti des armées. Nous avons envoyé beaucoup de gens organiser des armées : au Ghana, en Tanzanie — des pays d'Afrique —, en Colombie et au Myanmar.

Je reviens tout juste d'Amman, en Jordanie. J'ai remarqué que son influence s'étendait sur tout le Nord de l'Afrique. De grands efforts sont déployés afin de mettre sur pied une armée en bonne et due forme, qui a toutes les capacités d'une armée professionnelle et qui est investie d'un sentiment de responsabilité envers la démocratie, des droits de la personne et la protection des civils.

L'objectif premier, selon moi, est de faire profiter ces pays de nos extraordinaires ressources — en matière de personnel, d'instruction, d'équipement, de technologie — afin de leur permettre de renforcer leurs capacités, puis de changer leur éthos en ce qui concerne la façon dont ils étudient et envisagent les menaces ainsi que leurs responsabilités en tant que pays, et d'effectivement établir un cadre massif et la capacité opérationnelle d'envoyer les Forces canadiennes sur le terrain afin d'assurer l'instruction, le perfectionnement et le maintien de forces armées qui sont prêtes et disposées à se professionnaliser. Au bout du compte, ce sont elles qui pourront régler ces conflits de façon permanente — pas nous, eux — en renforçant leur efficacité.

Comme dernier point, je veux dire que même si mon propos a surtout porté sur l'ONU, ce que je dis s'appliquait également à l'Union africaine, aux organismes régionaux, y compris l'Union européenne. J'ai rencontré le commandant du corps d'armée allemand/néerlandais, et nous avons discuté des problèmes qu'il éprouve par rapport à l'Organisation des États américains, avec qui nous avons beaucoup travaillé dans le passé afin de renforcer la capacité de l'Amérique du Sud, et qui voulait notre aide. Nous avons besoin d'organismes multilatéraux, et nous avons besoin d'organismes régionaux avec qui travailler.

Bien sûr, nous avons aussi besoin de l'OTAN. Toutefois, nous devons éviter d'attraper ce que j'appelle une OTAN-ite, affection faisant que nous ne pouvons plus rien faire si ce n'est pas approuvé par l'OTAN. À mon avis, c'est un élément sous-jacent de l'avenir de nos forces armées. Pensez au fait que le chapitre 8 nous empêche de nous joindre à une entité régionale afin de la renforcer : le premier ministre Martin nous avait envoyés, la sénatrice Jaffer et moi-même, au Darfour en 2005 afin de voir comment les organismes régionaux peuvent s'acquitter efficacement de leurs rôles sans avoir à passer par l'ONU. Nous sommes en mesure d'avoir un impact important sur leur capacité à mener à bien leurs missions grâce à la technologie, à l'instruction, à la doctrine et, finalement, à une adaptation complète de leur philosophie et de leur éthos au regard de ce que les forces armées et policières peuvent accomplir quant à la sécurité. Actuellement, nous formons des policiers, des gardiens de prison et du personnel militaire en appliquant une nouvelle doctrine visant à prévenir l'utilisation d'enfants soldats. De fait, les instructions permanentes de l'OTAN qui sont actuellement en vigueur ont été préparées par nous, et tous les commandements seront formés en conséquence.

Messieurs, je vous ai présenté un document, qui a été traduit, dans lequel figure une liste d'éléments. Au lieu d'en faire la lecture à haute voix, je pense qu'il serait peut-être plus avantageux de discuter. Il y a quand même une dernière chose que j'aimerais mettre en relief dans ce document.

Nous avons échoué en 1990 parce que nos forces armées étaient axées sur l'expérience. Notre structure dirigeante a failli à sa tâche, et la Somalie en a simplement été le paroxysme. Lorsque nous avions réformé le corps des officiers, notre but était d'équilibrer l'expérience et les connaissances chez les officiers et ainsi de leur permettre de répondre aux problèmes complexes, aux ambiguïtés et aux dilemmes auxquels nous faisons face sur le terrain aujourd'hui. C'est pourquoi l'ajout de cours d'anthropologie, de sociologie et de philosophie au programme des collèges militaires était crucial non seulement pour comprendre les problèmes, mais aussi pour participer à leur résolution. Nous nous sommes finement acquittés de cette tâche sur le plan tactique. Nous avons acquis une extraordinaire expérience opérationnelle, c'est-à-dire en ce qui concerne les opérations relevant du commandement du théâtre, par exemple en Afghanistan et ses éléments connexes ou, comme ce fut mon cas, en Ouganda, au Rwanda et au Burundi. C'est le théâtre, ou l'aspect opérationnel.

Mais sur le plan stratégique, à la période de perfectionnement 5, les généraux sont promus et, 15 ans plus tard, n'ont suivi absolument aucun programme professionnel ni programme intellectuel rigoureux afin de se perfectionner à titre de dirigeants au Canada et à l'étranger. Selon moi, il s'agit d'une grande lacune. J'ai toujours regretté le fait de ne pas avoir étudié toute la profondeur des conseils militaires fournis au gouvernement du Canada, c'est-à-dire étudier la pensée stratégique des généraux qui fournissent ces conseils.

Merci beaucoup.

Le président : Merci beaucoup, monsieur le sénateur.

Je tiens à mentionner le mémoire que vous nous avez fourni. Il est très complet, et je veux vous féliciter du travail que vous avez accompli sur la multitude de problèmes qui pèsent sur les Forces armées; vous ne vous êtes pas limité à un seul.

Nous allons commencer par notre vice-présidente, la sénatrice Jaffer, et nous allons ensuite passer au sénateur White.

La sénatrice Jaffer : Sénateur Dallaire, je vous souhaite la bienvenue et vous remercie d'avoir présenté votre exposé. Je peux vous dire que vous nous manquez, et que vous manquez certainement au comité.

Lgén Dallaire : Des deux côtés?

La sénatrice Jaffer : Oui, des deux côtés.

Je veux également vous dire que je viens tout juste de revenir d'Ouganda, et j'ai un message pour vous : le travail que vous y faites est très apprécié, et les gens là-bas ont besoin que vous y retourniez rapidement.

En tant que Canadiens, nous sommes fiers de vous, et je peux vous affirmer que beaucoup de gens de par le monde sont aussi fiers de vous.

J'ai tellement de questions à vous poser, mais j'ai si peu de temps pour le faire.

Vous avez mentionné la résolution 1325. Les femmes sont souvent perçues comme des victimes, mais vous savez tout particulièrement que les femmes, surtout les jeunes, peuvent également combattre. L'un des sujets que nous devrions aborder est celui des filles soldats. Pouvez-vous nous en parler?

J'ai toutefois une question plus globale pour vous qui avez été sur le terrain et avez payé cher parce que nous n'étions pas en mesure de vous soutenir à certains égards : si nous songeons maintenant à mener des opérations de paix, quelles sont les trois choses que le Canada devrait mettre en place, relativement à l'infrastructure au Canada, avant d'envoyer nos hommes et nos femmes à l'étranger?

Lgén Dallaire : Je vous remercie beaucoup de me poser ces questions. C'est gentil. Oui, mon équipe sera de retour en Ouganda en novembre afin de poursuivre l'instruction des forces armées et des forces policières ougandaises. Nous avons eu le plaisir de rencontrer le président Museveni pendant notre voyage avec le ministre. C'était très intéressant, surtout qu'il s'est souvenu de moi et qu'il s'est rappelé ce qu'il avait fait à l'époque. Mais peu importe, c'est une autre histoire.

La résolution 1325 est axée sur le sexe. Elle vise à protéger les femmes. L'OTAN a aussi reconnu cet aspect humanitaire et a élaboré un programme complet afin que les forces armées prennent des engagements et réagissent aux enjeux à ce chapitre. Cela suppose des changements dans le processus. Récemment, le Canada a rédigé ces instructions. Le CEMD a donné son aval, et on aborde maintenant la dimension du sexe, soit les garçons et les filles, bien évidemment.

Cependant, c'est en fait la résolution 1612 qui concerne la question des filles soldats que vous avez mentionnée. La résolution 1612 est la résolution sur « les enfants dans les situations de conflit armé », c'est-à-dire l'utilisation d'enfants comme armes de guerre, essentiellement, que ce soit comme porteurs, comme esclaves sexuels ou comme combattants au front armés d'un AK-47. L'OTAN a reconnu la dimension opérationnelle de la chose, la menace opérationnelle. Voilà à quoi nous sommes confrontés. Nous avons subi des pertes à cause de ces enfants, et des soldats ont eu à tuer des enfants pendant des missions parce qu'ils n'avaient pas les compétences nécessaires pour gérer ces nouvelles situations où des enfants soldats sont utilisés. Alors, la résolution 1612 doit se traduire par une directive des dirigeants de nos forces armées visant à modifier la doctrine sur la façon dont nous devons affronter les enfants soldats. Quarante pour cent des enfants soldats sont des filles, et elles sont utilisées dans tous les sens du terme. Le pire péché dans ce crime contre l'humanité est que ces filles finissent par tomber enceintes et par être rejetées par leur société parce qu'elles ont été exploitées. Les garçons sont vus comme des guerriers, en quelque sorte, mais les filles sont complètement détruites. Il y a des guerres qui continuent simplement parce que des enfants sont recrutés. La taille de la population le permet, et nous n'y avons pas mis un frein.

En ce qui concerne l'infrastructure au Canada et la façon dont nous allons affronter les problèmes dans l'avenir, je crois que j'ai déjà effleuré le sujet, mais, selon moi, l'aspect le plus important est notre capacité à déployer nos troupes en temps opportun et à maintenir le déploiement. C'est une chose de les envoyer sur le terrain, mais c'en est une autre de les garder là-bas.

Premièrement, en ce qui concerne le transport stratégique, le gouvernement précédent a fait du travail extraordinaire pour ce qui est de faire avancer les choses. De fait, grâce aux Chinooks qui ont été achetés, le transport jusqu'au théâtre est maintenant possible. Je crois qu'il s'agit autant d'un atout national que d'un atout militaire. C'est un atout national lorsqu'il faut intervenir en cas de tempêtes de pluie ou de verglas ou d'autres choses du genre. On peut faire beaucoup avec ces appareils.

D'un autre côté, toutefois, il y a notre incapacité à déplacer une grande quantité de ressources, en plus de les garder sur le terrain et de les protéger. Je parle par exemple de ressources médicales, et cetera. Il y a longtemps, nous avions eu l'idée d'un navire roulier qui pouvait transporter un groupement tactique ainsi que des munitions et qui comprendrait aussi un hôpital de niveau 3, je crois, ou de niveau 2.

Depuis, j'ai revu ma position : un navire amphibie pourrait répondre à ce besoin ainsi qu'à un besoin important ici au Canada. Il y a un grand nombre d'endroits ici qui sont près d'un des trois océans et où il n'y a ni port ni installations. Si des problèmes surviennent à ces endroits, nous devons pouvoir leur apporter de l'aide rapidement, et seul un navire amphibie peut y arriver. Selon moi, le Canada doit se munir d'une capacité amphibie : il s'agit d'une capacité d'infrastructure importante qui nous permettrait de déplacer nos forces.

Pour finir, j'ajouterais que nous devons pouvoir maintenir nos forces armées, mais que cela va au-delà de la simple logistique. Autrement dit, on peut affecter une unité à une mission où il n'y a pas assez de troupes. Cela arrive, bien sûr, et même s'il n'y en a pas présentement, il y a des missions où cela peut arriver : nous en avons été témoins avec les Néerlandais, les Français et les Britanniques, et cetera. Votre bataillon ou vos armes de combat — vos effectifs — ne sont qu'à 60 p. 100 ou 50 p. 100. Il faut que vous réunissiez deux ou trois bataillons pour qu'il y en ait toujours un sur le terrain. Alors, comment pouvez-vous maintenir cela après six mois? Combien de rotations pouvez-vous faire? Jusqu'ici, nous avons toujours utilisé un ratio d'un sur cinq : s'il y avait un bataillon d'engagé, il en fallait cinq pour le maintenir. Nous n'avons même pas cette capacité, d'où le besoin en militaires qualifiés.

La solution serait non seulement de renforcer notre Force régulière, dans une certaine mesure, mais également de rendre notre Force de réserve beaucoup plus efficace. Nous devons intégrer la Force de réserve à la Force régulière, comme nous l'avons fait dans les années 1990, et intensifier le processus. C'est le concept du 10/90, ce que le Corps des marines des États-Unis fait avec sa Force de réserve, où 10 p. 100 fait partie des Forces régulières. Cela procure la profondeur d'expérience et de capacité nécessaire pour réagir à une multitude de problèmes.

Le président : Merci. Il nous reste encore 30 minutes, alors je vais demander à ceux qui vont poser des questions de rester brefs dans leur préambule.

Le sénateur White : Votre commentaire des 30 dernières secondes sur les réserves m'a amené à changer ma question. Certains pays — les États-Unis en particulier — ont su tirer parti de leur Force de réserve efficacement, et ce, à de multiples échelons. Ils ont puisé à des échelons encore plus bas que celui des États, mais surtout à celui des États et à l'échelon national. Pour notre part, nous n'avons pas vraiment élargi notre programme au-delà de la Force de réserve et du fait de tenter de tirer parti de certaines ressources présentes dans le secteur privé canadien.

En particulier en ce qui concerne la prochaine mission de l'ONU, aux fins de l'élaboration, nous aurons possiblement besoin d'un type différent de personne sur le terrain, sur le plan humain. Il ne s'agit pas vraiment de cerner un objectif ou de déterminer d'où vont venir ces personnes. Le plus important, c'est de déterminer quelles ressources humaines, d'un point de vue humaniste, seront essentielles pour la prochaine mission, par exemple en Afrique ou au Moyen-Orient.

Lgén Dallaire : Gardez à l'esprit le fait que mon but premier, relativement à notre engagement, est que nous soyons présents dans d'autres pays, même des pays stables, et d'y renforcer la capacité. C'est essentiel. Et ceux qui cherchent à y aller et à leur donner cette profondeur et d'autres qui sont peut-être déjà en situation de conflit fournissent des ressources bien précises, que ce soit au chapitre de l'instruction des forces spéciales, en particulier, ou des forces policières, entre autres. Il ne faut pas aussi oublier que ces forces doivent être soutenues par un système judiciaire, sans quoi nos efforts sont futiles.

À propos de notre capacité à déplacer des ressources importantes, je dirais que la composante de la Réserve aérienne est fluide, fonctionnelle et bien intégrée. Elle est constituée principalement d'anciens membres de la Force régulière. La Réserve navale vient tout juste de procéder à certains rajustements, et d'autres, plus importants, sont encore en cours. Selon moi, elle semble en bonne voie de s'intégrer de manière beaucoup plus efficiente : ses membres pourront servir sur de gros navires, et pas seulement des navires de défense côtière.

Toutefois, on voit qu'il existe encore une séparation au sein de l'Armée de terre. Selon moi, cette séparation nous empêche de vraiment comprendre qui sont ces personnes. D'abord, la Réserve est la force la plus multiethnique, plurilingue et polyvalente de toutes les Forces canadiennes. À un dîner militaire avec une unité de la Réserve, c'est incroyable de voir tous les types de gens qu'il y a, avec leur histoire et leurs atouts propres. Ils apportent quelque chose de la vie civile.

Par-dessus tout, il ne faut pas recommencer ce que nous avons fait en 1970, c'est-à-dire décider que les Forces canadiennes forment « un tout » et tenter de tout intégrer. Non, il faut faire fond sur cet effectif à temps partiel. Nous avons des temps partiels permanents, des temps partiels temporaires et la force permanente. Ces membres à temps partiel peuvent nous apporter d'extraordinaires ressources provenant de la vie civile. Grâce à eux, il serait possible d'accroître de beaucoup notre capacité à déployer des ressources sur le terrain afin de réagir à certains des problèmes les plus importants auxquels nous sommes confrontés. Si les problèmes ne reposent pas sur un recours à la force pur ni sur des interventions cinétiques, c'est qu'il faut renforcer la capacité, maintenir nos forces et régler les problèmes afin de finalement faire reculer le plus possible l'aspect cinétique de la chose.

Il faut renforcer la Réserve. Elle représente un formidable potentiel inexploité que nous n'avons jamais envisagé comme étant bien précis pour notre pays.

[Français]

Le sénateur Carignan : Monsieur Dallaire, j'écoute votre présentation qui, depuis le début, est uniquement en anglais et qui le sera probablement jusqu'à la réponse que vous allez me donner.

Cela dit, dans votre présentation écrite, vous parlez de l'importance du fait français au sein de l'Afrique francophone. Quelle serait, selon vous, l'importance de la contribution du Canada ou des forces armées au fait français en tant qu'élément stratégique d'un déploiement de maintien de la paix en Afrique?

Lgén Dallaire : Sénateur Carignan, vous avez touché un point hypersensible. Après 36 ans, on se rend compte que l'assimilation par l'institution se fait de façon très discrète. Quand je suis invité sur le plateau de Tout le monde en parle, on se moque de mon accent français. Premièrement, on a beau avoir des règlements et des unités francophones, il y a encore trop d'assimilation qui se fait.

Deuxièmement, il y a 13 mois, j'étais au Burundi avec Mme Michaëlle Jean, secrétaire générale de la Francophonie, et avec des représentants hollandais qui tentaient de négocier la participation de leur armée au conflit qui naissait en Afrique. Il était question d'obtenir des équipements dans le but de récupérer les miliciens, tous des enfants soldats, qui étaient sur le point de miner la sécurité du pays. J'ai perçu dans la Francophonie un désir d'intervention, outre celle qui provenait de la France, de la Belgique ou du Luxembourg. Ce désir d'intervention s'exprime dans une perspective totalement différente.

On n'apporte pas seulement une langue, on apporte aussi une éthique, une philosophie et des compétences totalement différentes. Ce sont des choses qu'on ne maximise pas assez. Pour preuve, lorsque nous sommes allés en Haïti la première fois, il y avait des Haïtiens dans l'unité 22, alors que nous avions reçu des autorités l'ordre de ne pas envoyer d'Haïtiens. Nous avons répondu que personne ne parlait le créole sauf les Haïtiens, qui seraient immensément utiles. Finalement, nous avons convaincu les autorités en leur disant que ces Haïtiens allaient être une force multiplicatrice au sein de nos rangs.

La Francophonie cherche bien sûr à participer, mais elle ne trouve pas preneur. Le Canada, un pays solide et reconnu, pourrait devenir un chef de file dans nombre de ces pays qui figurent au sommet de la liste de ceux qui éprouvent des difficultés, que ce soit le Mali, la République centrafricaine, le Burundi ou le Congo. La Francophonie est recherchée et le Canada n'accorde pas assez d'importance à cette dimension.

Le sénateur Carignan : Exactement. Je pense qu'on peut ajouter la notion de droit civil, car beaucoup de ces pays ont une tradition de droit civil qui vient de la France.

Lgén Dallaire : Cela veut dire qu'il ne suffit pas de faire appel à la Gendarmerie royale du Canada — que j'apprécie beaucoup, soit dit en passant —, mais aussi aux forces policières municipales qui gagneraient énormément de leur expérience sur le terrain.

Le sénateur Carignan : J'aimerais examiner un autre élément. Dans votre présentation, vous faites référence à plusieurs éléments, tels que l'importance de la participation de l'OTAN et de certaines de ses missions, l'Europe et la protection contre la « menace russe » dans certaines régions du globe. Il existe une multitude de besoins et d'objectifs.

Vous traitez également de la nécessité de se doter des équipements nécessaires, qu'il s'agisse d'aéronefs, de sous-marins ou de drones. Ma question est la suivante : alors que le Canada a déjà de la difficulté à faire ce qu'il devrait faire dans le cadre de ses engagements stratégiques qui sont nécessaires à la protection du territoire canadien, n'y a-t-il pas un danger de courir trop de lièvres à la fois ou de s'éparpiller en ayant trop d'engagements?

Lgén Dallaire : Nous avons deux options. Nous pouvons rester chez nous et espérer pouvoir nous défendre, voir venir la menace et stabiliser la situation. Ou bien, comme nous le faisons traditionnellement depuis le début, nous pouvons nous rendre où la menace existe et y faire face, munis d'une réserve qui offre tout de même une garantie de sécurité chez nous.

[Traduction]

Le NORAD et... En se joignant au Commandement du Nord et en s'y intégrant — comme c'est le cas au sein du NORAD — nous devrions aussi intégrer cette capacité. Alors, nous avons établi une capacité de défense nord-américaine. Toutefois, les besoins de notre pays en matière de corps expéditionnaires peuvent être comblés, d'une part, grâce à de nouvelles capacités d'instruction militaire de la Défense assurée par des experts chargés de renforcer la capacité et, d'autre part, grâce au déploiement d'unités ou de nouvelles capacités.

L'ONU a transmis une liste au Canada. Je sais que le chef du Département des opérations de maintien de la paix est venu témoigner, et j'espère qu'il vous a remis une liste de tout ce qu'il a demandé au Canada de fournir. Il n'est pas seulement question de bataillons. On nous a demandé de mettre une foule d'autres ressources à leur disposition.

En outre, nous ne tirons pas assez parti de la Réserve, et cela vaut aussi pour nos anciens combattants. L'été dernier, j'ai formé 15 anciens combattants afin qu'ils puissent à leur tour donner à l'étranger de la formation touchant la doctrine sur les enfants soldats. Il y en a beaucoup qui sont prêts à servir dans un nouveau cadre afin de nous permettre d'accomplir un grand nombre de tâches sans avoir à retirer des sous-officiers, des officiers, et d'autres membres de nos bataillons.

Cela dit, le maintien de la paix comptait à peine pour 5 p. 100 de nos activités pendant la guerre froide. Les 95 p. 100 restants étaient consacrés à trouver des façons de tuer des Russes. Cela n'a pas changé, dans la mesure où la menace très sérieuse que l'on croyait éliminée depuis 25 ans a commencé à refaire surface sur la scène européenne.

Il y a deux ou trois ans, j'aurais peut-être dit qu'il n'était pas nécessaire d'avoir un degré élevé de capacité opérationnelle. Aujourd'hui, toutefois, je dirais qu'une telle mesure serait prudente. Malgré tout, il ne faut pas pour autant permettre à des éléments menaçants de s'infiltrer dans notre pays parce que nos forces sont divisées de façon asymétrique, et il ne faut pas non plus miner notre capacité à promouvoir les droits de la personne, les droits individuels et la protection civile dans d'autres pays parce que nous ne sommes plus en mesure de déployer des forces.

En 2002, j'ai rencontré le ministre de la Défense et le ministre des Affaires étrangères. Je les avais informés du fait que Kofi Annan voulait faire de nous la principale structure opérationnelle de la mission au Congo, où quatre millions de personnes ont été tuées. Avec environ 2 000 soldats et un commandant, nous aurions pu former l'épine dorsale de la plus importante mission de l'ONU. Je leur avais dit que nous pouvions nous acquitter de cette tâche en plus de l'Afghanistan.

En 1992, quand j'étais commandant de brigade à Valcartier, il y avait 5 200 soldats sous mes ordres et 3 600 soldats déployés. Pourquoi est-ce impossible aujourd'hui? Où ces soldats sont-ils passés? Pourquoi avons-nous réduit notre capacité? Les facteurs qui ont priorité...

[Français]

... cela est dû au fait que, après une érosion massive par attrition dans les années 1990, on n'a jamais repris le dessus. C'est ce qui limite nos options.

Le sénateur Dagenais : Je suis heureux de vous revoir, général Dallaire.

Lgén Dallaire : Le monsieur de l'union!

Le sénateur Dagenais : Vous ne l'avez pas oublié.

Justement, lorsque j'étais président de l'Association des policières et policiers provinciaux du Québec, il m'est arrivé à deux reprises d'aller en Haïti où il y avait une mission de paix à laquelle les policiers de la GRC et de la Sûreté du Québec participaient.

Je voudrais vous parler de l'ONU, parce que j'ai rencontré les dirigeants de la MINUSTAH. On me disait qu'il était complexe de travailler sous la direction de l'ONU, car lorsqu'on recevait une directive de sa part, on ne savait pas nécessairement d'où elle provenait. C'est une grosse machine et, souvent, les policiers se perdaient en conjectures. Autrement dit, une chatte pouvait y perdre ses petits.

Peut-on espérer que cela s'améliorera, car dans les missions de l'ONU, il y a des gens qui viennent de tous les pays? Les dirigeants à qui j'ai parlé m'ont dit qu'ils trouvaient cela compliqué, parce que, justement, ils ne connaissaient pas la provenance ni le but des directives. Pour les gens qui travaillent sur le terrain, croyez-vous que les choses vont s'améliorer avec le temps?

Lgén Dallaire : Cela sans savoir non plus s'ils peuvent parler la langue des gens du milieu ni s'ils connaissent leurs droits civils et juridiques. Leurs compétences sont souvent à remettre en question.

J'ai rencontré aux Nations Unies le chef de tous les services de police, et celui-ci désire amplifier le déploiement de tous ces services. On participe d'ailleurs en ce moment à la rédaction de la réforme quant à l'entraînement et aux compétences qui sont exigés de la part des policiers qui seront déployés. Ce document sera publié d'ici un an. Il articulera les politiques qui serviront de repères. Nous participons à ce programme en raison de notre engagement envers la protection des droits des enfants, qui sont souvent forcés à devenir soldats et qui sont victimes d'autres abus.

En ce qui a trait aux policiers, on doit s'occuper de la façon dont ils sont traités. Sont-ils traités équitablement par les militaires, les municipalités, les associations de l'endroit où ils sont déployés? Sont-ils reconnus pour l'avantage incroyable qu'ils offrent à une communauté en raison de leur expérience sur le terrain?

Je me souviens de Mme Boucher, mairesse de Québec, qui voulait cesser l'envoi de ses policiers en Haïti. J'ai comparu devant son conseil exécutif et, après une heure de témoignage, elle a compris que, bien sûr, même si quelques policiers avaient été blessés, leur participation lui avait permis de communiquer avec la communauté haïtienne de la ville d'une façon inouïe.

Le temps est venu pour les premiers répondants qui œuvrent pour les Nations Unies d'être considérés comme des militaires, des vétérans ou des membres de la GRC et d'avoir les mêmes privilèges, avantages et appuis dont jouissent ceux-ci. La GRC jouit de cela, mais elle ne veut pas s'en servir. Elle fait partie de la charte même si celle-ci nécessite des améliorations.

[Traduction]

J'ai siégé au Conseil consultatif national des services policiers, et notre recommandation était que le Canada garde jusqu'à 600 agents de police de tous les corps policiers du pays déployés — là où il y a des diasporas à l'échelle du pays — afin d'attirer les gens, afin que les diasporas puissent recruter ces jeunes, les envoyer quelque part et les ramener afin de renforcer la collectivité. Je crois que 150 serait approprié comme première cible, mais ce n'est pas suffisant.

[Français]

C'est pour offrir des soins à ces gens. Les policières et les femmes qui font partie des forces exercent un effet multiplicateur important.

[Traduction]

Elles représentent un effet multiplicateur important. À l'Université Dalhousie, nous avons mené des études et nous avons vu que les femmes, lorsqu'elles sont devant des enfants soldats au front, ont une incroyable capacité à désarmer et à désamorcer la situation afin d'accomplir la mission sans avoir recours à des moyens cinétiques. Je suis convaincu que des femmes seraient prêtes à répondre au besoin criant de déployer des femmes au front, d'avoir des agentes de police et des femmes soldats sur le terrain. En gardant les femmes derrière les lignes, nous gaspillons de manière absolument catastrophique un très important multiplicateur de nos forces.

La sénatrice Beyak : Bienvenue. Je suis heureuse de vous revoir. Les conversations que nous avons eues à propos du monde militaire ont été très intéressantes, très impartiales.

Pourriez-vous nous dire ce que vous pensez de la surveillance parlementaire à l'égard de ces missions? D'après votre avis de militaire, est-ce qu'il devrait y avoir des votes à cet égard?

Lgén Dallaire : Merci de poser cette question.

En ce qui concerne le projet de loi C-22 relatif à la surveillance exercée par le Parlement au chapitre de la sécurité nationale, lequel a été proposé par le ministre Goodale et découle d'un projet de loi élaboré par Hugh Segal et moi-même au Sénat, il s'agit d'un premier pas en matière de surveillance parlementaire vers le renforcement de notre capacité de recueillir des renseignements et à agir de manière proactive contre d'éventuelles menaces tout en nous assurant que toutes ces entités rendent des comptes aux Canadiens. Il existe beaucoup d'organisations du genre, et le Parlement n'exerce aucune surveillance actuellement. On est très loin de répondre aux attentes des Canadiens en ce qui concerne nos forces de sécurité.

Je trouve formidable le désir du ministre Goodale d'orienter davantage les services policiers vers le maintien de la paix et les soins.

Maintenant, en ce qui concerne la surveillance parlementaire pour ce qui est du déploiement, je crois que la sécurité d'un pays repose essentiellement sur le pacte entre le peuple d'un pays et les personnes qui choisissent d'assurer sa sécurité. Il y a un pacte entre eux. Du berceau à la tombe, leur famille immédiate et eux-mêmes s'engagent à assumer la responsabilité illimitée...

[Français]

— ils n'ont pas de syndicat —

[Traduction]

... liée aux risques auxquels ils s'exposent.

Si on admet que cela s'applique également aux militaires, alors il doit y avoir quelque chose qui lie de façon permanente la population d'un pays, les militaires, les anciens combattants et leur famille. C'est un continuum. Donc, si on les engage dans des missions qui posent un risque important ainsi qu'une possibilité de pertes... Et je dois vous dire qu'il n'y a aucune mission où il n'y a aucune possibilité de pertes. Il s'agit toutes de missions visées au chapitre 7. J'ai déjà mené des opérations au titre du chapitre 6 et essuyé des pertes, alors dites-vous que toutes les opérations comprennent un risque, dans une certaine mesure. Donc, je crois que les Canadiens veulent participer aux missions. Elles sont visées du chapitre 7 : le risque de pertes est présent.

Le gouvernement, s'il souhaite continuer à soutenir les militaires et à aider leur famille en leur fournissant un soutien à long terme, ne perd rien en proposant cela au Parlement. Le Parlement lui-même gagnerait à réaliser que les missions menées par les soldats ne se terminent pas dès qu'ils sont revenus au pays.

J'ai perdu quelqu'un à cause du suicide, 15 ans après une mission. Ces répercussions sont encore présentes, et les familles continuent d'exister, et nous sommes en train de couper les ressources au moment où les traumatismes se révèlent de plus en plus.

Je crois effectivement qu'il doit y avoir un pacte. Lorsque les choses sont présentées de cette façon, il n'y a nul besoin de débattre les engagements pris par les représentants du peuple et ceux qui servent le peuple.

[Français]

Le sénateur Day : Bon après-midi, général Dallaire, et merci d'être venu témoigner. J'aimerais discuter de vos commentaires concernant les groupes multilatéraux et régionaux.

[Traduction]

Prenez, par exemple, la Ligue arabe et l'Union africaine. Il nous serait utile d'avoir vos commentaires à propos de ce que vous aimeriez voir dans un exposé de principe sur l'aide que le Canada fournit à ces groupes régionaux.

Lgén Dallaire : Prenons l'Union africaine comme exemple dans une région, même s'il y a de ces organisations dans toutes les régions et que toutes les régions devraient être prises en considération, y compris l'Union européenne. Il y a l'OTAN, mais l'Union européenne est là également, et on pourrait lui demander de se charger d'autres choses que de la seule aide humanitaire. Par exemple, elle pourrait accomplir des actions militaires au lieu de l'OTAN. À vrai dire, cela ne me dérangerait pas du tout.

En ce qui concerne les capacités régionales — au Darfour, en Somalie et au Soudan du Sud —, les premières forces déployées étaient celles de l'Union africaine, et elles n'avaient rien, ou presque. Malgré tout, elles se sont rendues là-bas et y sont restées. Ensuite, l'ONU est arrivée, puis nous avons eu ces terribles hybrides.

Le travail que j'ai accompli auprès de la Direction de la paix et de la sécurité au quartier général de l'Union africaine à Addis-Ababa a révélé qu'il n'y avait pas assez d'expertise ni d'effectifs pour qu'il soit possible de renforcer la capacité dans les cinq sous-régions. Pour la Force africaine en attente, la région est divisée en cinq sous-régions. Il y a l'Est, le Sud, et cetera. Selon moi, le fait de renforcer les capacités dans ces régions et de nous intégrer à leurs opérations nous mène aux lignes de front du conflit qui approche. Cela nous permet de nous informer et d'acquérir l'expertise pour déterminer ce dont nous avons besoin et ce que nous devrions faire.

Donc, intégrer les Canadiens à une organisation régionale n'est pas vu d'un mauvais œil. Au contraire, les gens voient que nous renforçons la capacité et le professionnalisme de ces entités et ressources. Alors, quand j'entends dire que nous parlons seulement de l'ONU, je trouve cela très réducteur, parce que l'Organisation des États américains veut fonctionner sans avoir à travailler avec les États-Unis. Elle veut travailler avec nous, et nous pourrions faire une foule de choses là-bas. Nous travaillons déjà beaucoup avec cette organisation en Colombie. Il en va de même en Afrique, bien sûr, et au Moyen-Orient. Donc, je crois que nous ne tirons pas assez parti de notre capacité à intégrer et à renforcer.

Le sénateur Day : Ces groupes régionaux interviendraient-ils dans leur région s'ils prenaient conscience d'un problème émergeant? De toute évidence, l'un des avantages est qu'ils seraient en mesure d'intervenir plus rapidement et, par conséquent, de résoudre le problème avant que la situation dégénère. Mais est-ce qu'ils invoqueraient leur responsabilité de protéger? Faudrait-il qu'il y ait une sorte d'accord national avant qu'ils puissent intervenir? Il est arrivé souvent que ces organisations n'aient pas été invitées à intervenir parce que le gouvernement était tombé et qu'il n'y avait pas d'accord en place. Devraient-ils autrement attendre l'ONU? De quelle façon pourraient-ils travailler efficacement?

Lgén Dallaire : La seule objection réelle et concrète à l'entrée de forces africaines dans d'autres pays d'Afrique est venue de la Cour pénale internationale, qui s'est montrée préoccupée par la communauté internationale en Afrique et son ingérence dans certaines de ces missions.

À propos de l'Union africaine, celle-ci négocie avec les sous-régions, et les sous-régions négocient avec les pays afin de réagir aux crises. Ce qui les empêche d'agir, c'est l'absence de centres d'instruction afin de renforcer les capacités en matière de commandement et contrôle, de déploiement et de maintien; le problème ne vient pas des militaires. Il y a des militaires qualifiés, des militaires formés ainsi que des ressources pour faire cela. Ce qui les empêche d'agir, c'est le fait qu'ils ne se pensent pas capables d'accomplir leur tâche, ce n'est pas qu'ils refusent.

Et c'est à ce chapitre que nous intervenons dans l'ombre. Par exemple, en Afrique, où 87 p. 100 des Casques bleus sont déployés, l'aspect caché ne se trouve pas nécessairement au front, mais bien dans le renforcement des institutions, de la doctrine, de l'instruction et de l'éthos, pour la police, les forces militaires et les forces de sécurité en Afrique soient non seulement crédibles, mais également à la hauteur des normes de l'Union africaine et de l'ONU, lesquelles diffèrent légèrement. Nous leur nuisons, parce que nous ne leur donnons pas ce dont ils ont besoin pour accomplir leur travail.

Je crois que c'est notre faute si les efforts n'aboutissent pas; je peux donner des exemples tirés de mes propres expériences en Somalie, au Soudan du Sud, au Congo et au Burundi. Je peux vous raconter tous les détails sordides. Je peux vous raconter l'exemple de la Sierra Leone, où le président a déclaré qu'il voulait réformer la totalité de ses forces. Chaque cours, chaque programme d'instruction et même le système d'éducation a été réformé dans son ensemble, et le programme d'enseignement visait à apprendre aux enfants comment éviter d'être recrutés comme enfants soldats.

Le sénateur Day : S'agit-il d'une initiative canadienne?

Lgén Dallaire : Non, c'est ma propre initiative, car nous sommes les seuls à travailler dans cette région présentement.

Le sénateur Day : Donc, il s'agit d'un renforcement des capacités régionales séparément, mais sous le commandement et le contrôle de l'ONU, y compris d'autres choses qu'il fait faire là-bas.

Lgén Dallaire : Oui.

Monsieur le président, si vous me le permettez — pardonnez-moi —, les gens n'aiment pas travailler avec l'ONU parce qu'il n'y a pas de planification stratégique. Il n'y a pas de commandement et contrôle stratégiques. La Libye s'est approprié le mandat parce que l'OTAN avait fait la même chose sans jamais consulter le Conseil de sécurité. Donc, jusqu'au moment où le Comité militaire et le Conseil de sécurité acquièrent cette capacité, le Département des opérations de maintien de la paix se chargera de fournir les forces. Sa tâche se résume à cela. Il constitue des forces et prend en charge sur le terrain les mandats délivrés par les organes politiques et le Conseil de sécurité. Cela n'a rien à voir avec la planification stratégique. Dans certaines régions, il y a quatre ou cinq missions qui coexistent et qui pourraient s'entraider, mais qui n'ont pas la capacité requise. C'est pourquoi les gens n'aiment pas travailler avec eux.

Le sénateur Day : Tout cela est très utile. Merci.

Le président : Sénateur, tout cela met certainement en relief le besoin de tenir un débat public. Si nous envoyons des Canadiens là-bas, quelles seront leurs fonctions, quels seront les instruments habilitants, et qui sera aux commandes? Plusieurs fois, nous avons entendu dire que, à certains égards, l'ONU ne donne pas nécessairement de directives, et ce sont les hommes et les femmes sur le terrain qui en subissent les conséquences.

Lgén Dallaire : Monsieur le président, à cet égard, le gros problème tient non seulement à l'aspect stratégique au siège, à New York, mais aussi au fait que les représentants spéciaux du secrétaire général et les commandants des forces ne sont pas nécessairement les personnes les mieux qualifiées pour être commandants du théâtre d'opérations ou responsables politiques d'une mission. On peut aider, dans une grande mesure, à résoudre ces problèmes tactiques en renforçant la discipline et les capacités.

Le président : Il semble que notre temps tire malheureusement à sa fin, monsieur le sénateur. Je voulais toutefois vous inviter à vous exprimer sur deux questions : d'abord sur la défense antimissiles balistiques — que vous avez mentionnée dans votre mémoire — et notre participation à la défense antimissiles balistiques, d'une part, et les réactions et l'importance relative accordée à notre rapport connexe d'il y a — je crois — trois ans, d'autre part. J'aimerais entendre vos commentaires là-dessus.

Ensuite, j'aimerais connaître votre opinion sur les dépenses en général. Si nous décidons aller de l'avant avec ce genre de missions, cela supposerait-il d'autres engagements financiers de la part du gouvernement?

Lgén Dallaire : En réponse à votre première question, d'emblée, la défense antimissile nécessitera un peu d'argent. Cependant, le danger ne va peut-être jamais frapper New York. Le danger va peut-être frapper Toronto, et cela aura un impact important sur nous. Va-t-on alors inviter les Américains à utiliser les ressources limitées dont ils disposent pour défendre Toronto? Dans quelle mesure la défense antimissile va-t-elle défendre Toronto? Selon moi, et selon les discussions que j'ai eues, si je me rappelle bien de mon temps là-bas, rien n'est garanti s'il n'y a pas d'engagement et si on ne fait pas partie de ce programme. Je crois que nous avons beaucoup à gagner en faisant partie du programme dans son ensemble. Je ne sais pas si le radar a été déployé ou non, mais ça, c'est une autre histoire. Malgré tout, nous devons adhérer à ce programme afin de pouvoir leur dire : « Ces ressources limitées que vous avez, vous allez les déployer même si ce n'est pas une ville américaine qui est visée, même si c'est une ville canadienne. »

Pour finir, je vous dirai que j'étais contre la défense antimissile il y a 10 ans, parce que la portée des missiles était ridicule. Ce n'est plus le cas maintenant. On ne parle pas encore d'un résultat parfait, nous le savons, mais les projectiles sont assez avancés pour justifier le besoin d'adhérer au programme.

En ce qui concerne les ressources, on revient toujours à la question de l'argent. Selon moi, ce qui n'est pas toujours mis en relief est le fait que le budget des forces armées compte plusieurs volets. Premièrement, il y a les biens d'équipement; à ce chapitre, les dépenses continuent d'augmenter de façon exponentielle. Dès qu'on déplace un projet à droite, son coût augmente du coup de 10, de 15 ou de 25 p. 100.

Deuxièmement, il y a les opérations et la maintenance. Les dépenses sont élevées à ce chapitre, à cause de la technologie que nous utilisons et du fait que nous devons entretenir cette technologie et former les gens qui les utilisent. Il y a aussi l'infrastructure nécessaire pour protéger les technologies afin qu'elles fonctionnent pendant l'hiver.

Le troisième volet concerne la relève. On dépense plus d'argent à ce chapitre. Il s'agit des gens. Nous voulons des forces armées professionnelles. Nous voulons une Force de réserve efficace qui peut renforcer les Forces canadiennes et leur procurer de nouvelles capacités et de nouvelles compétences. Le personnel va continuer d'accaparer une part de plus en plus grande du budget. Mais si on ne tient pas compte de ces 62 p. 100, ou peu importe le chiffre actuel — il s'agissait de 52 p. 100 à l'époque où j'étais sous-ministre adjoint, et je crois qu'il est à 62 aujourd'hui —, cela veut dire qu'il n'y aura aucun nouveau financement pour cet aspect. En faisant cela, tout ce que vous faites, c'est gruger vos capacités opérationnelles, le carburant, les munitions, et cetera. ou même votre programme d'immobilisations. Les dépenses liées au personnel doivent toujours être vues comme supposant un engagement financier supplémentaire, qu'il s'agisse d'une augmentation de l'effectif ou simplement d'une amélioration de la qualité de vie du personnel et de leur famille.

Le président : Chers collègues, nous avons dépassé notre temps. Je veux remercier le sénateur Dallaire d'avoir pris le temps de venir témoigner. Vous êtes toujours le bienvenu ici. Comme la sénatrice Jaffer l'a dit, vous manquez aux membres du comité. Je peux confirmer cela. Je suis content de voir le travail que vous accomplissez.

Pour la quatrième table ronde d'aujourd'hui sur les questions relatives à l'Examen de la politique de défense et du renouvellement de l'engagement du Canada auprès des opérations de maintien de la paix de l'ONU, nous recevons le lieutenant-colonel à la retraite David Last, professeur agréé au Collège militaire royal du Canada, et David Bercuson, directeur du Centre for Military, Security and Strategic Studies, de l'Université de Calgary. M. Bercuson est avec nous par vidéoconférence. Bienvenue.

M. Bercuson est directeur du Centre for Military, Security and Strategic Studies à l'Université de Calgary depuis 1997. Il est aussi directeur des programmes de l'Institut canadien des affaires mondiales. En 1997, il a été nommé conseiller spécial auprès du ministre de la Défense nationale au sujet de l'avenir des Forces canadiennes, et il a été membre du Comité de surveillance du ministre de la Défense nationale jusqu'en 2003. M. Bercuson a également siégé au Comité consultatif sur la sécurité nationale de 2005 à 2008. Ses travaux portent surtout sur la politique de défense du Canada, les Forces armées canadiennes et la politique canadienne en matière de sécurité.

Nous accueillons aussi en personne M. David Last, du Collège militaire royal du Canada. M. Last enseigne les sciences politiques et les études sur la guerre depuis 1999. Avant d'évoluer dans la sphère universitaire, il a servi 30 ans dans l'armée canadienne, période pendant laquelle il a pris part à plusieurs opérations de maintien de la paix à Chypre, en Croatie et en Bosnie. Il a publié nombre de ses travaux de recherche sur la gestion des conflits, le maintien de la paix et l'éducation militaire. En 2016, M. Last a été chercheur invité de Fulbright en études sur la paix et la guerre à l'Université Norwich, au Vermont.

Monsieur Bercuson, monsieur Last, je vous souhaite la bienvenue au comité. Je crois savoir que vous avez tous les deux préparé une déclaration préliminaire.

David Bercuson, directeur, Centre for Military, Security and Strategic Studies, Université de Calgary, à titre personnel : L'idée selon laquelle le Canada est quelque peu différent des autres pays qui utilisent la force militaire pour atteindre des objectifs politiques a commencé à s'imposer dans ce pays au début des années 1960. C'est aussi à cette époque que des médias canadiens, des dirigeants politiques et certains spécialistes ont commencé à chanter les louanges d'un Canada pacifiste et voué au maintien de la paix, d'autant plus que nous étions voisins d'une superpuissance. Au Canada, cette idée était aussi liée à la thèse, de plus en plus répandue, voulant que le Canada, en fait, ne s'intéressait d'aucune façon à l'abjecte poursuite des intérêts nationaux.

Je n'ai pas besoin de faire remarquer aujourd'hui qu'une bonne partie, voire la totalité du travail de maintien de la paix que nous avons effectué de 1957 jusqu'au milieu des années 1990 avait une importance relativement faible par rapport à l'ensemble de nos objectifs de défense nationale, premièrement, et avait pour but de servir les intérêts de l'OTAN, et non pas de mettre nos forces armées au service de l'humanité, deuxièmement.

La très grande majorité des dépenses de défense du Canada au cours de la guerre froide ont été affectées aux forces terrestres, aériennes et maritimes qui devaient servir, sous le commandement de l'OTAN, à dissuader l'Union soviétique et les alliés du Pacte de Varsovie d'attaquer l'Europe de l'Ouest ou, ce qui est tout aussi important, de dominer politiquement l'Europe centrale et l'Europe de l'Ouest avec leur puissance militaire.

Pratiquement toute la participation canadienne aux missions de maintien de la paix visait à représenter les intérêts de l'OTAN dans des endroits comme le Moyen-Orient ou Chypre — les Soviétiques désignaient presque toujours la Pologne pour les représenter — et résoudre les problèmes de l'OTAN, tels que la division entre le Royaume-Uni et la France, d'un côté, et les Nations Unies, de l'autre, lors de la crise du canal de Suez de 1956, ou empêcher la Grèce et la Turquie — toutes deux alliés de l'OTAN — d'entrer en guerre au sujet de Chypre. Ces réalités ont été bien décrites par M. Sean Maloney dans son livre intitulé Canada and UN Peacekeeping : Cold War by Other Means.

Pourquoi les Canadiens sont-ils tombés amoureux du « maintien de la paix »? Premièrement, parce que faire la paix est bien plus joli que faire la guerre. Deuxièmement, parce que les gouvernements canadiens successifs, des deux principaux partis, estimaient qu'il était dans leur intérêt d'entretenir l'idée du maintien de la paix. Troisièmement, parce que dans le contexte d'une recherche incessante de petites différences à amplifier, chose que font les Canadiens par rapport aux États-Unis depuis que le Canada existe, nous avons ainsi construit notre mythe national.

Le fait que la majeure partie des efforts de défense du Canada visaient à faire la guerre à l'URSS et à ses alliées du Pacte de Varsovie a échappé à la plupart des Canadiens. Du reste, que faisait l'armée canadienne en Europe, les forces maritimes dans l'Atlantique ou les forces aériennes dans le ciel de l'Amérique du Nord? Elles s'exerçaient, encore et encore. Rien de bien excitant comparativement à une mission visant à empêcher les Israéliens et les Égyptiens de s'étriper.

La fin de la guerre froide a bouleversé la diplomatie internationale. Il n'était plus nécessaire d'empêcher les alliés de l'OTAN et du Pacte de Varsovie de s'affronter. Mais l'ONU a poursuivi presque sans changement son travail de maintien de la paix et a lamentablement échoué au Rwanda, au Timor-Oriental et, particulièrement pour le Canada, dans les Balkans lors de la guerre civile de 1992 à 1995.

Le Canada a envoyé dans les Balkans deux groupes de combat complets, chose impossible aujourd'hui; ses intentions étaient nobles, mais il connaissait mal la géographie humaine de la région. L'objectif de départ était de contrôler un cessez-le-feu entre la Croatie et la Bosnie, deux États issus de l'ex-Yougoslavie. Nous ne semblions pas comprendre la haine profonde qui existait entre de nombreux intervenants — pas tous cependant — associés aux trois principaux acteurs de ce qui allait rapidement devenir une guerre civile entre Croates, Bosniaques et Serbes. Nous ne comprenions pas non plus que les trois parties se méfiaient de l'ONU et que chacune accusait la Force de protection des Nations Unies — mission officielle de l'ONU là-bas à laquelle nous participions à l'époque — d'être du côté de l'autre.

Les Canadiens ont subi des tirs de fusil, de char, de mortier et d'artillerie. Des Canadiens ont été tués par des tireurs embusqués, par des engins explosifs improvisés et dans des embuscades. Les Canadiens se sont battus pendant 36 heures avec les forces croates lors de la bataille de la poche de Medak. Les Canadiens ont été témoins d'effroyables crimes de guerre commis par les trois parties.

De nombreux Canadiens sont revenus au pays profondément marqués, physiquement et psychologiquement. Nous ne nous sommes guère souciés d'eux, pas plus que des corps rapatriés, parce qu'ils n'étaient pas des guerriers, mais des « soldats de la paix ».

Cette époque a marqué la fin du Chapitre 6 de la Charte de l'ONU relatif au maintien de la paix, auquel avait travaillé Lester Pearson avec la FUNI I et qui lui avait valu le prix Nobel de la paix. Mais, parce que le gouvernement en place ne voulait pas briser l'image que les Canadiens se faisaient du maintien de la paix, ceux-ci ne se sont pas rendu compte de ce qui se passait. Ils étaient si épris de maintien de la paix que même au plus fort de la guerre en Afghanistan — notre troisième en importance — de nombreux Canadiens croyaient que les troupes canadiennes étaient à Kandahar pour maintenir la paix.

Il convient toutefois de souligner que le gouvernement Martin, qui a envoyé les forces canadiennes à Kandahar, n'a jamais tenté de tromper les Canadiens à ce chapitre, et c'est tout à son honneur. Le ministre de la Défense nationale de l'époque, Bill Graham, ainsi que le chef d'état-major de la défense Rick Hillier ont parcouru le pays avant le déploiement afin de dire aux Canadiens que l'Afghanistan serait une mission complètement différente, comme le font actuellement les ministres Dion et Sajjan au sujet de la mission prochaine en Afrique, mais beaucoup de Canadiens n'ont pas écouté à l'époque et beaucoup n'écoutent pas aujourd'hui.

Le gouvernement actuel parle non pas de « maintien de la paix » — ce qui est tout à son honneur —, mais « d'opérations de paix ». Voilà qui est bien. Mais nous pourrions tout autant qualifier notre intervention en Corée de 1951 à 1953 « d'opération de paix » plutôt que de guerre. En fait, Washington et Ottawa qualifiaient l'intervention en Corée « d'action de police ». Mais il n'y avait aucun policier au front de la fin de l'automne 1951 au cessez-le-feu en juillet 1953. Tous étaient des soldats combattants.

Je ne suis pas pour une mission en Afrique, parce que toute mission dans presque tous les points chauds en Afrique — comme le Mali, le Congo, la République centrafricaine ou le Soudan du Sud, pour n'en nommer que quelques-uns — est une mission dans une guerre figurant au nombre des guerres incroyablement complexes qui y font rage; des guerres beaucoup plus complexes que celle que nous avons livrée en Afghanistan, dont aucune ne laisse présager de dénouement pacifique à court terme. Peu importe où nous irons, nous entrerons dans un bourbier, sans solution en vue, sans intérêt national apparent à défendre.

Évidemment, nous déplorons les meurtres, les viols et autres atrocités qui s'y produisent. Et nous semblons éprouver un sentiment de culpabilité nationale à propos du Rwanda. Mais nous avons choisi de nous doter d'une petite force militaire et d'une armée encore plus réduite, de sorte que nous n'avons pas les ressources nécessaires pour changer bien des choses dans le monde.

Nos ressources militaires devraient être réservées à l'usage de notre alliance avec l'OTAN et les États-Unis pour la défense de l'Amérique du Nord ou être employées en faveur d'intérêts nationaux vraiment importants dans des endroits comme le bassin des Caraïbes.

Je m'oppose aussi à ce que l'on divise nos modestes forces militaires pour les envoyer dans le plus d'endroits possible dans le monde afin de créer l'impression que nous exerçons un pouvoir militaire beaucoup plus important qu'il ne l'est en réalité. Nous avons actuellement de 300 à 400 soldats au Moyen-Orient, nous en envoyons quelque 400 en Lettonie, et maintenant 600 en Afghanistan. Cela représente environ 1 400 soldats sur les 2 500, tout au plus, que nous pourrions déployer à l'étranger, ce qui mettrait nos ressources à rude épreuve, comme ce fut le cas en Afghanistan.

C'est le gouvernement Martin qui a fait valoir que les intérêts du Canada seraient mieux servis par un ou deux « grands » déploiements — un de préférence — plutôt que par beaucoup de petits. J'expliquerai les raisons plus tard. À mon avis, il avait raison. À mon avis, nous nuisons à nos intérêts nationaux en revenant à l'option de nombreux petits déploiements, plutôt que d'opter pour un déploiement plus grand et plus important. Envoyer 600 soldats se joindre aux quelque 14 000 déjà au Mali, par exemple, est purement symbolique.

Je pourrais aborder beaucoup d'autres questions, mais le temps manque. Je m'arrête donc ici, et c'est avec plaisir que je répondrai à vos questions. Merci.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Bercuson.

Nous allons maintenant entendre le lieutenant-colonel Last. Vous avez la parole.

Lieutenant-colonel (à la retraite) David Last, professeur agrégé, Collège militaire royal du Canada, à titre personnel : Je vous remercie, mesdames et messieurs les sénateurs, de me donner l'occasion de m'exprimer. Je vais souligner trois points au sujet de l'éducation, de l'expérimentation et de l'évaluation.

En 1994, le gouvernement du Canada a pris la décision stratégique de devenir un chef de file intellectuel en matière de maintien de la paix, et il a ouvert le Centre Pearson pour le maintien de la paix à Cornwallis, en Nouvelle-Écosse, l'année suivante. Alex Morrison a vendu le projet comme étant une stratégie à faible coût et hautement efficace qui améliorerait la réputation et l'influence du Canada à une époque où sa contribution aux troupes de l'ONU a diminué. J'étais l'un des instructeurs au Centre Pearson pour le maintien de la paix après mon retour de la Bosnie et de la Croatie.

Grâce au Centre Pearson pour le maintien de la paix, à son leadership au sein de l'International Association of Peacekeeping Training Centres, ou IAPTC — dont le professeur Dorn a parlé ce matin, je crois —, grâce aux séminaires annuels du groupe de Cornwallis, aux séries de publication et aux conférences internationales, le Canada a, selon moi, une influence disproportionnée sur le maintien de la paix depuis plus de 10 ans. L'IAPTC, par exemple, a connu une croissance et regroupe plus de 265 institutions de tous les continents ainsi que de nombreuses organisations régionales. Bon nombre de centres de formation sur le maintien de la paix reconnaissent clairement aujourd'hui le leadership initial du Centre Pearson pour le maintien de la paix.

La réouverture d'un centre de soutien de la paix canadien peut être nécessaire et utile — et vous avez entendu parler le sénateur Dallaire au sujet de la nécessité d'avoir une meilleure infrastructure et de mieux préparer le personnel — mais en soi, l'incidence d'un tel centre ne serait pas la même que dans les années 1990, puisque le monde a changé. Notre politique globale en matière de défense devrait être axée sur la paix et la sécurité afin d'inclure des activités de recherche, d'éducation et d'expérimentation qui permettent de composer avec les défis auxquels nous faisons face aujourd'hui en matière de sécurité. Si nous pensons aux États en déroute, aux bouleversements sociaux, aux échecs du marché, aux espaces non gouvernés, à la migration pour des raisons de survie et des raisons économiques, aux changements idéologiques rapides et à la déshumanisation des victimes, ce sont là des problèmes que nous ne comprenons pas bien.

Je vais commencer par l'éducation. Je crois que la politique de défense doit inclure le développement des connaissances et des compétences — au Canada et à l'étranger — qui sont nécessaires pour endiguer la violence. C'est le problème central auquel sont confrontées les forces armées. L'éducation des dirigeants, ici et à l'étranger, qui comprennent la violence devrait être notre point de départ, tant pour les interventions d'urgence que pour les investissements à long terme dans la défense.

Vous avez déjà entendu aujourd'hui que le Canada jouit d'un avantage comparatif sur le plan de la diversité culturelle. Le Canada a un avantage comparatif au chapitre de l'éducation supérieure et du perfectionnement professionnel, et nous pouvons avoir une incidence moyennant un investissement relativement modeste au fil du temps.

Je crois que la politique de défense ne devrait pas s'appuyer uniquement sur la contribution d'effectifs ou de ressources aux missions. Au lieu de cela, le gouvernement devrait orienter les ressources du ministère de la Défense nationale et des Forces armées canadiennes de manière à ce qu'il puisse développer le capital humain nécessaire pour réagir aux problèmes de sécurité naissants. Cela signifie qu'il faut investir dans des institutions nouvelles et existantes pour l'éducation, la recherche et la formation.

À l'époque où je concevais des cours pour le Centre Pearson pour le maintien de la paix dans les années 1990, j'étais conscient de la vitesse à laquelle le savoir pertinent progressait. Il s'est accru de nombreuses fois depuis, mais on peine encore à concilier des domaines comme la santé, l'éducation et le développement avec l'étude des conflits. Nombre de ces mêmes idées qui ont vu le jour dans les années 1990 refont surface maintenant. Nous réinventons la roue, cette fois-ci à la lumière d'une décennie d'expérience anti-insurrectionnelle.

Nous n'avons aucun équivalent militaire international de la Collaboration Cochrane relative à la médecine fondée sur des données probantes ou de la Collaboration Campbell relative à la politique sociale fondée sur des éléments probants. Donc, si nous nous engagions à soutenir la formation et l'éducation en fonction d'examens systématiques des données probantes provenant des opérations, nous pourrions contribuer de manière considérable à la sécurité internationale et humaine.

Cela m'amène au sujet de l'expérimentation. Toutes les interventions militaires sont des expériences. Elles doivent s'adapter à des circonstances changeantes. Je les qualifie d'« expériences » parce que, nous devons l'admettre, nous ignorons si elles donneront les résultats attendus. Si nous prenons part à des expériences coercitives, comme des attaques de drones ou des opérations de bombardement, nous devrions les accompagner d'expériences de coopération, comme le renforcement communautaire ou l'organisation locale, dans la mesure du possible.

Nos hypothèses à propos des acteurs, des causes et des effets sont-elles valides? Savons-nous réellement ce que nous faisons? Je pense que vous avez entendu ce qu'a dit M. Bercuson au sujet du fait que nous ne comprenions pas le milieu opérationnel dans les Balkans. Il a absolument raison. Nous n'avons pas entrepris d'étudier la question activement.

J'ai inclus dans mes notes une liste d'expériences récentes qui valent la peine d'être examinées, perfectionnées et répétées pour contribuer à la paix et à la sécurité. Je crois que vous avez entendu parler de certaines d'entre elles. Il s'agit entre autres d'expériences visant à accroître la capacité opérationnelle — comme des équipes d'évaluation des droits de la personne ou d'accompagnement locales — et la résolution de problèmes ainsi que des expériences ayant pour but de mobiliser les ressources intérieures pour fournir de l'aide sur la scène internationale. Le général Dallaire a parlé de l'utilisation de ressources policières de multiples pays et d'expériences pour perfectionner les professionnels — canadiens et autres — de la gestion des conflits.

Enfin, en ce qui concerne l'évaluation : les interventions au titre de la politique de défense doivent être évaluées, et elles doivent être revues à la lumière de ces évaluations. Qu'il s'agisse de campagnes de bombardement, de déploiements préventifs, d'opérations anti-insurrectionnelles ou de soutien de la paix, les interventions militaires devraient être traitées de la même manière que les programmes de santé, d'éducation ou de développement. Que tentions-nous d'accomplir, et avons-nous atteint nos objectifs à court terme et à long terme?

Parfois, les effets que cherche à obtenir Ottawa ne touchent pas réellement les zones de conflit où nous déployons nos troupes. Mais si nous prétendons exercer une influence quelconque sur Washington ou sur New York, nous devons alors trouver un moyen d'évaluer ces affirmations, et je pense que cela requiert davantage de raffinement. Nous avons besoin d'outils plus perfectionnés et de changements organisationnels pour évaluer l'incidence de nos politiques de sécurité. Les gens qui formulent et mettent en œuvre les politiques ne sauraient être chargés aussi de les évaluer. Ils ne pourront prétendre à l'objectivité.

Je crois que si nous menions de bonnes évaluations, si nous le faisions bien, nous pourrions bien en arriver à un consensus parmi tous les partis au sujet de la politique de défense, ce qui favoriserait l'appui du public et calmerait l'agitation partisane durant les cycles électoraux.

Le soutien qu'a offert le lieutenant-général Leslie à M. Sean Maloney lorsqu'il a dressé l'historique des nombreuses années d'opérations des Forces canadiennes en Afghanistan est un exemple d'investissement dans un processus d'évaluation et de rétroaction continu. Mais l'évaluation peut également se faire en temps réel dans le cadre d'un cycle budgétaire. Des procédures d'évaluation rapides (PER) ont été appliquées avec succès en santé publique par la Banque mondiale et par des initiatives de développement ayant pour but d'améliorer les programmes permanents. Cela exige du courage. Il faut du courage pour s'engager à réaliser des évaluations honnêtes lorsque des carrières sont en jeu, mais il s'agit là d'une partie essentielle des opérations efficaces.

Pour conclure, je suis personnellement et professionnellement très enthousiasmé par l'engagement du gouvernement à l'égard des opérations de maintien de la paix, mais je crains que — faute d'un engagement envers l'éducation, l'expérimentation et l'évaluation des opérations — nous ne soyons pas en mesure de voir de réels progrès dans notre capacité de composer avec des défis en matière de sécurité qui évoluent constamment.

Je vais m'arrêter là. Merci beaucoup.

Le président : Merci beaucoup, lieutenant-colonel Last.

Nous allons commencer avec la sénatrice Jaffer, et poursuivre avec le sénateur Dagenais.

La sénatrice Jaffer : Monsieur Bercuson, je vous ai écouté très attentivement lorsque vous avez parlé de différentes missions et présenté des chiffres. Si j'ai bien entendu, vous avez dit que le fait d'envoyer 600 de nos militaires là où il y en a des milliers d'autres n'a pas une grande incidence. Mais, selon mon expérience personnelle... Au Soudan du Sud et au Darfour, où nous avons envoyé une poignée de nos hommes et femmes — je crois que c'était 100 au Soudan et encore moins au Darfour — notre contribution touchait non pas le combat, mais plutôt la formation et, si je peux m'exprimer ainsi, la promotion de notre système de valeurs chez les civils. Donc, nous n'avons peut-être pas le nombre, mais nous avons le savoir-faire. J'aimerais vous entendre à ce sujet.

M. Bercuson : Je suis d'accord avec votre évaluation de l'incidence potentielle de la formation. Selon moi, nous n'y pensons pas suffisamment, particulièrement dans des domaines non liés au combat, comme les communications, le transport, la logistique; des domaines où nous excellons.

Nous avons été mis à l'épreuve au combat, et nous savons ce qu'il faut faire. Nous utilisons des technologies de pointe pour la gestion et l'organisation, et nous pouvons enseigner à d'autres forces armées ces types de compétences qui sont nécessaires pour effectuer de réelles opérations de maintien ou d'imposition de la paix et pour protéger les populations civiles. Et oui, c'est ce que nous devrions faire.

Ce que je veux dire au sujet, par exemple, du fait d'envoyer 600 militaires au Mali, je crois comprendre — et c'est encore quelque peu flou — que les 600 militaires prévus par le gouvernement, correspondent à un bataillon. Il me semble que le gouvernement prévoit envoyer un bataillon au Mali ou ailleurs en Afrique. Eh bien, cela ne changera pas grand-chose à la situation militaire là-bas.

Si nous allons de l'avant avec cette mission, nous aurons trois missions : une en Afrique, une en Europe de l'Est et une au Moyen-Orient. Cela signifie que le quartier général de la Défense nationale devra fournir trois fois le nombre de responsables des communications, prévoir trois fois la quantité de fournitures et assurer trois fois la quantité de surveillance administrative. Pour moi, il ne s'agit là qu'un éparpillement de vos forces dans différents lieux, alors qu'il vaudrait mieux toutes les mettre au même endroit.

Maintenant, nous avons choisi en tant que pays d'avoir un petit appareil militaire, et ce que j'essaie de dire, c'est que nous devons vivre dans cette réalité. Certains membres de notre petit appareil militaire sont bien entraînés dans différents domaines, et oui, nous devrions les envoyer aider ceux qui ont besoin d'eux. Mais, je ne crois pas que nous devrions essayer de surestimer notre capacité d'avoir une réelle incidence militaire dans ces régions parce que si vous envoyez une poignée de militaires — et 600 c'est une poignée par rapport à 14 000 —, nous n'aurons pas un grand impact militaire.

La sénatrice Jaffer : Lieutenant-colonel Last, dans vos derniers écrits au sujet du maintien de la paix, vous avez fait valoir l'importance d'insister davantage sur une dimension civile. Je crois que vous étiez présent lorsque le lieutenant-général Day a parlé d'une approche holistique. Je me trompe peut-être, mais je pense que vous parliez également d'adopter — ce ne sont pas vos mots, j'essaie seulement d'ajouter à ce qu'il disait — une approche holistique. Si j'ai bien compris ce dont vous parliez, il faut donner aux groupes sous-représentés une voix au sein du gouvernement pour favoriser une paix durable, puisque les voix qui ne sont pas entendues constituent l'une des raisons des conflits.

Puis-je vous demander d'en dire davantage quant à la façon d'étendre le maintien de la paix? Je m'intéresse davantage au fait que je crois que les femmes sont sous-représentées, alors comment pouvons-nous amener les femmes à prendre part au processus de rétablissement de la paix?

Lcol Last : Merci beaucoup pour cette question. Je crois qu'il s'agit d'un enjeu crucial.

Je partage l'idée de M. Bercuson selon laquelle nous n'aurions pas beaucoup d'impact sur le plan militaire, mais je ne crois pas que c'est une incidence militaire que nous cherchons, en fait. Je pense que la stabilisation, le développement et la gestion de conflits passent surtout par la compréhension des dimensions politiques, économiques et sociales.

Lorsque le général Day a parlé des formes de perfectionnement des forces qui sont nécessaires pour les rendre polyvalents et efficaces, il aurait pu s'appuyer judicieusement sur l'analogie d'une équipe de combat. Lorsque l'infanterie, les blindés et les artilleurs apprennent à travailler ensemble, ils le font tout au long de leur carrière. Un gros problème que comporte l'intégration de femmes et de civils à des opérations complexes est le fait qu'on les intègre à la dernière minute. Ils n'ont aucune expérience commune sur laquelle s'appuyer, ils n'ont aucun langage ou vocabulaire commun, et ils n'ont aucune perception commune. Les différences liées à leurs perceptions et à leurs compétences peuvent seulement être intégrées lorsqu'ils ont une vision commune, laquelle s'articule avec le temps.

Cela nous ramène à la question de l'éducation et de l'expérimentation. Nous devons compter sur les établissements que nous avons : le Collège militaire royal de Saint-Jean, les collèges d'état-major et le Centre de formation pour le soutien de la paix à Kingston. Ce sont autant d'établissements qui peuvent être intégrés à l'application de la politique de défense. Donc, si vous avez l'intention de mettre sur pied des équipes d'accompagnement locales qui comprennent des hommes et des femmes, militaires et civils, afin de permettre aux équipes d'évaluation des droits de la personne d'être déployées dans des environnements non permissifs et en toute sécurité, ce sont là les compétences qui doivent être intégrées.

La sénatrice Jaffer : Nous avons discuté des forces armées, et c'est ce que nous examinons, mais les forces policières font également partie de tout cela. Par exemple, au Darfour, j'ai invité un certain nombre d'agents de police — des hommes et des femmes — à enseigner aux forces sur le terrain comment mener des enquêtes relatives à des viols, et les policiers ont été très efficaces. Nous ne devons pas seulement nous tourner vers les forces armées. D'autres ressources, comme les pompiers et les policiers, peuvent prendre part à ces démarches. Pourrais-je entendre rapidement ce que vous avez à dire tous les deux à ce sujet?

Lcol Last : Si je puis me permettre, je crois que c'est absolument vrai. Les organisations militaires, paramilitaires et policières font partie d'une seule chaîne, et ce n'est que dans les grands États qu'il y a des frontières très claires entre celles-ci. Je crois qu'il est bénéfique de les voir comme des forces complémentaires et les engager dans la même politique, mais également de mener des expériences en combinant et en utilisant ces forces.

Un autre concept est celui des Casques blancs qui a été lancé dans les années 1990 par Carlos Menem, président de l'Argentine. Ce concept est de retour. Cela nous donne la possibilité d'intégrer des civils aux équipes multifonctionnelles.

M. Bercuson : Je suis entièrement d'accord avec ce que le colonel Last a dit en premier lieu dans sa déclaration préliminaire et avec ce qu'il vient tout juste de dire. Vous devez adopter une approche holistique à l'égard de bon nombre de ces conflits qui sévissent en Afrique et ailleurs dans le monde.

Laissez-moi vous raconter notre expérience avec la police en Afghanistan. Nous avions un certain nombre d'équipes policières de mentorat opérationnel et de liaison qui étaient censées travailler avec la police nationale afghane pour élever le niveau des services de police en Afghanistan. D'après tout ce que j'ai entendu et lu, nous avons échoué la plupart du temps. Cela s'explique par le fait que les soi-disant policiers dans ce pays n'étaient tout simplement pas capables — à cause des niveaux d'études, des traditions culturelles ou des conditions économiques dans le pays — d'exercer leurs fonctions selon ce que nous appellerions un niveau acceptable pour les opérations de paix.

Nous avons eu plus de facilité dans les Balkans, même si nous avons eu également des problèmes en formant les policiers là-bas avec nos propres policiers.

Nous avons donné beaucoup de formations aux policiers dans les Caraïbes et avons trouvé cela plus facile en raison de leurs traditions judiciaires britanniques, qui sont les mêmes que nous. Donc, même si leur culture et la nôtre sont quelque peu différentes, leurs concepts de base concernant les approches en matière de justice, la collecte d'éléments de preuve, le système judiciaire et d'autres aspects sont beaucoup plus compatibles avec les nôtres.

Nous devons être vigilants; nous devons choisir les endroits. Nous devrions choisir des endroits où nous serons plus efficaces parce que nous avons plus de points en commun avec les autorités policières locales auxquelles nous avons affaire.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Ma question s'adresse à M. Bercuson. Dans votre présentation, peut-on déduire qu'il y a un manque de connaissances sur le plan politique ou militaire lorsqu'on décide d'envoyer des forces en Afrique? Si vous me le permettez, monsieur le président, j'aurai une deuxième question.

[Traduction]

M. Bercuson : Pour commencer, je dirais que nous avons ce problème depuis que nous avons commencé à mener des opérations hors zone qui ne relèvent pas du maintien de la paix. Par exemple, il est important pour nous de savoir quelles étaient les principales causes de division entre les Grecs et les Turcs à Chypre, mais comme il n'était pas question d'actes de guerre ou d'insurrection, nous n'avions pas à être mis au courant de la « géographie humaine » : le lien qu'a un village avec un autre, la façon dont ils interagissent, pourquoi un déteste l'autre, quelles familles sont en conflit depuis des centaines d'années, et cetera. C'est ce qu'on appelle la géographie humaine.

Nous n'en savions pas suffisamment à propos de la géographie humaine des Balkans.

Nous en savions probablement davantage que lorsque nous étions en Afghanistan, mais nous avions des problèmes particuliers en Afghanistan. Nous avons abordé le sujet des principaux groupes tribaux, comme les Pachtounes ou les Hazaras. Nous n'avions pas compris que chacun de ces groupes tribaux était divisé en plus petits groupes et que ces plus petits groupes tribaux se subdivisaient en villages et en familles. Il ne semblait y avoir aucune logique, alors il fallait étudier longtemps la chose pour savoir où intervenir et où on risquait de faire plus de mal. Selon moi, nous n'avons certainement pas accompli suffisamment de travail de la sorte en Afghanistan.

Je ne sais pas, mais je ne pense pas que nous faisons ce type de travail en Afrique.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Monsieur Bercuson, vous avez déjà tenu des propos selon lesquels le déploiement de 600 militaires canadiens en Afrique était du « sheer tokenism », ce que je traduirais par « pur gaspillage ». Pourquoi avez-vous cette opinion qui est tout de même assez sévère?

[Traduction]

M. Bercuson : Lorsqu'un pays choisit, comme nous l'avons fait, de maintenir un petit appareil militaire et la capacité de déploiement... Je ne connais pas vraiment la taille de la Force régulière aujourd'hui — puisqu'elle varie constamment —, mais si nous déployons plus de 2 500 soldats à l'étranger durant plus de six mois, nous ferons subir un stress hors de toute proportion à nos militaires.

Nous l'avons fait en Afghanistan. Tout le monde y a été mêlé. L'Afghanistan était comme un trou noir pour nous. Si vous étiez dans la Marine et dans les affaires publiques, vous alliez en Afghanistan. Si vous étiez dans l'Aviation et dans la photographie, vous alliez en Afghanistan. C'est ce qui se produit lorsque vous décidez d'essayer de maintenir ce type de force militaire.

Ce que j'essaie de dire, c'est que nous sommes dotés d'un petit appareil militaire et avons pris envers l'OTAN l'obligation de maintenir au moins une force permanente — un groupement tactique ou quelque chose du genre, qui comprend entre 1 000 et 1 200 soldats, ou peut-être un peu plus — et puis une autre, au cas où quelque chose se produirait, et c'est tout. J'essaie de dire que nous ne devrions pas fractionner nos forces militaires en minuscules unités et les envoyer partout dans le monde, parce que si une aide substantielle est requise ailleurs... Par exemple, je n'enverrais pas 400 militaires en Lettonie; j'enverrais un groupement tactique.

Il s'agit simplement de mon point de vue : nous avons plus d'influence politique et faisons davantage de choses pour nous-mêmes. Nous sommes autosuffisants et nous sommes plus en mesure de montrer aux gens que nous exerçons nos activités en tant que pays indépendant défendant ses propres intérêts nationaux. Ce n'est pas possible si on envoie 600 militaires au Mali.

Le sénateur White : Merci à vous deux d'être ici aujourd'hui.

Monsieur Bercuson, nous sommes en plein processus d'examen. Je pense que vous étiez clair dans ce que vous nous suggérez de faire. Devrions-nous prendre des mesures intensives? Devrions-nous attendre quelques mois pour voir ce que l'avenir nous réserve?

M. Bercuson : Si j'étais le roi du monde, je dirais que nous devons concentrer nos efforts sur l'Europe de l'Est et l'Europe centrale. Il existe trois grandes menaces à la sécurité mondiale. Pour deux d'entre elles, nous n'y pouvons pas grand-chose, voire rien du tout. L'une concerne la situation dans la mer de Chine méridionale. L'autre est la Corée du Nord et ses tentatives de mettre au point des missiles à ogive nucléaire de longue portée. Nous pourrions faire quelque chose à ce sujet en établissant un système de défense antimissiles balistiques avec les États-Unis, mais nous ne pouvons rien faire à ce sujet en ce qui concerne notre marine ou notre armée.

Ce que nous pouvons faire c'est de renforcer les facteurs de dissuasion au sein de l'OTAN. Nous envoyons 400 militaires en Lettonie qui seront rejoints par 600 autres militaires, un groupement tactique quelconque. C'est un obstacle bien modeste pour les Russes, mais c'est un obstacle important, puisqu'il s'agirait de ressortissants de différents pays membres de l'OTAN qui seraient tués si les Russes s'en prenaient à la Lettonie. Cela veut dire que les Russes y penseront à deux fois avant d'étendre leur action militaire jusqu'aux pays baltes.

C'est sur cet aspect que nous devrions mettre l'accent, et c'est là que nous pouvons aider grandement.

Le sénateur White : Pour faire simplement un suivi rapide : on dirait que tout le monde veut être partout au lieu d'être quelque part. Je comprends que vous voulez en faire le plus possible, mais peut-être que vous devriez vous concentrer sur un seul endroit. Ce n'est pas seulement nous, d'autres pays font la même chose.

Existe-t-il une stratégie d'ensemble ou est-ce que nous exerçons nos activités de manière indépendante et espérons que nos interventions se rejoignent? Voyez-vous une stratégie mondiale entourant la gestion de ces théâtres, ou croyez-vous que tout le monde fait exactement ce que nous faisons, soit en faire un peu à gauche et à droite et dire que nous faisons notre part?

M. Bercuson : Laissez-moi parler de l'OTAN un instant, parce que je crois que c'est un exemple parfait de ce que vous venez de dire. Chaque gouvernement, chaque pays et chaque public décide de ce qu'il est prêt à tolérer et à quoi il veut contribuer. Bon nombre des contributions des petits pays de l'OTAN — j'en exclurais et je soulignerais celle du Danemark — sont purement symboliques. Le fait est qu'au cœur de l'OTAN se trouvent les États-Unis, suivis par la Grande-Bretagne et la France.

Si nous décidions de contribuer autant que nous le pouvons aux efforts de l'OTAN pour décourager les Russes en Europe de l'Est, nous aurions une plus grande influence politique à Londres et — chose plus importante — à Washington et à Bruxelles, que si nous décidions plutôt d'envoyer 600 militaires au Mali, par exemple. À mon avis, notre appareil militaire est si petit que nous devons être très prudents quant à l'endroit où nous l'envoyons et à la façon dont nous l'utilisons.

Nous ne devons jamais oublier que le recours aux forces armées est une extension de la politique nationale. Si notre politique nationale est de renforcer les facteurs de dissuasion de l'OTAN, alors c'est ce que nous devons faire avec le type d'appareil militaire que nous avons. Si nous avions l'intention d'accroître notre effectif militaire et de lui donner des proportions beaucoup plus grandes qu'à l'heure actuelle, alors oui, nous pourrions les envoyer à différents endroits à différents moments, mais je crois que c'est une utopie.

La sénatrice Beyak : Je vous remercie d'avoir présenté votre point de vue, messieurs. C'était très intéressant pour nous.

J'aimerais savoir ce que vous croyez être préférable : des missions de maintien de la paix de l'ONU ou des missions de maintien de la paix de l'OTAN, ou les deux? J'ai posé la question à d'autres témoins et j'ai obtenu différentes réponses, et j'aimerais connaître votre opinion.

Lcol Last : Je dois commencer par dire que je vois le monde un peu différemment de M. Bercuson. La grande distinction entre les missions de maintien de la paix de l'OTAN et celles de l'ONU concerne la question de savoir quelle organisation est plus apte à intégrer les interventions politiques, économiques et sociales au conflit émergent, au-delà de la seule dissuasion militaire ou solution militaire à un problème. Nous avons beaucoup d'exemples de situations où l'OTAN a travaillé efficacement avec les Nations Unies, comme c'est le cas dans les Balkans. Nous avons d'autres exemples de travail de l'OTAN « hors zone » en Afrique, et nous avons des exemples de situation où les États-Unis ont fait preuve d'un leadership efficace au chapitre de la paix et de la sécurité à l'échelle internationale.

Donc, je ne crois pas qu'il s'agisse de choisir une ou l'autre de ces possibilités. Je pense que c'est surtout une question d'utiliser tous les outils qu'offre l'éventail d'organisations internationales, en n'oubliant pas que les Nations Unies possèdent beaucoup d'outils que n'a pas l'OTAN. Je crois aussi qu'il ne faut pas envisager l'Europe isolément et qu'on doit comprendre que l'Europe ne sera pas en bonne posture pour contrer une agression russe ou une dissolution interne face à la migration de survie et à l'effondrement de sociétés touchées par les défaillances du marché. Ce sont des enjeux qui... En fait, sans élargir l'appareil militaire du Canada, nous pouvons étendre notre capacité en matière de sécurité en nous appuyant sur une organisation civile/militaire. Je vais donner quelques exemples.

Une plus grande empreinte sociale où la Réserve et les cadets mettraient l'accent sur le service au public pourrait inclure le recrutement de femmes et de membres des minorités visibles et de collectivités multiculturelles afin d'avoir les types d'ensembles de compétences dont nous avons besoin pour permettre aux petites équipes déployées d'agir de manière à favoriser la stabilisation, la prévention et le développement dans des régions qui sont des sources de radicalisation déstabilisante. Si vous le faites d'une manière qui donne de l'espoir aux gens dans les collectivités qui peuvent être marginalisées, de manière à leur permettre de jouer un rôle dans la politique internationale canadienne, c'est un rôle beaucoup plus important que le fait de placer un bataillon quelque part. La sécurité n'est pas simplement une question de poster des bataillons à certains endroits. La sécurité concerne l'intégration politique, économique et sociale tant au Canada qu'à l'étranger. Je crois que nous pouvons faire cela de manière beaucoup plus efficace que ce que nous faisons actuellement, mais il faut une politique de défense qui prend beaucoup plus au sérieux l'éducation, les déploiements expérimentaux et l'évaluation des politiques par rapport à ce que nous avons fait par le passé.

M. Bercuson : Ma réponse à votre question est que l'OTAN est plus efficace, mais pas autant qu'il le faut. Pourquoi est-elle plus efficace? Parce qu'elle a été formée en tant qu'alliance militaire et a été principalement une alliance militaire dès le début, en 1949. Elle a mis au point des moyens pour permettre à ses pays membres de mener des opérations ensemble; elle a élaboré des structures de commandement; elle a mis en œuvre des opérations interarmées, de communication et de transport, entre autres. Chose certaine, ce n'est pas parfait, comme nous l'avons vu en Afghanistan lorsque l'OTAN a échoué de nombreuses fois alors que nous comptions sur des partenaires de l'OTAN dont les règles d'engagement différaient des nôtres ou dont les restrictions ne leur permettaient pas de se joindre à nous dans certaines opérations de combat, entre autres choses, alors ce n'est pas parfait.

Vous avez entendu ce qu'a dit le général Dallaire dans les dernières minutes de son exposé au sujet des problèmes des Nations Unies. Le problème fondamental est qu'elles déploient des troupes diverses sur le terrain sans vraiment établir de chaîne de commandement et préciser les aspects touchant les communications, la logistique, le soutien, les évacuations sanitaires et tout ce qui est nécessaire pour maintenir une force sur le terrain dans le cadre d'opérations de combat.

Donc, je réponds sans hésiter l'OTAN.

[Français]

Le sénateur Carignan : Mes questions portent sur deux sujets. On parle de l'ONU, on parle de l'OTAN. Pour être allé en Afrique à quelques reprises, la présence chinoise y est très importante en ce qui concerne les ressources naturelles, les mines et l'infiltration des gouvernements pour faire des échanges en matière de ressources naturelles. Où se situe la Chine dans tout cela?

[Traduction]

M. Bercuson : Parlez-vous des opérations de maintien de la paix?

[Français]

Le sénateur Carignan : Oui, ou du contrôle qui se fait en Afrique. S'agit-il vraiment d'une mission de maintien de la paix? On parle d'intégration politique, économique et militaire. Sommes-nous en train de mettre en place les éléments qui nous permettront de prendre le contrôle du volet économique de sorte que l'Occident ait la mainmise par rapport à la Chine? Où se situe la Chine dans tout cela?

[Traduction]

M. Bercuson : Je ne suis pas un expert en ce qui concerne la Chine, mais je peux vous dire que c'est la première fois que j'entends quelqu'un soulever cette question, et je crois que c'en est une très bonne.

De ce que je connais de la situation dans différentes régions de l'Afrique, pratiquement tous les conflits qui y font rage sont des conflits internes. Il y a des guerres civiles, des guerres entre des djihadistes et des non-djihadistes, des guerres entre les musulmans et les chrétiens et des guerres entre le Sud et le Nord. Au Mali, la situation est particulièrement complexe. Autant que je sache, rien de tout cela n'a jamais été causé par la Chine, mais il serait logique de conclure que certaines de ces guerres pourraient avoir une incidence sur les projets de la Chine pour l'Afrique. Manifestement, la Chine prévoit une pénétration économique accrue en Afrique. Il n'y a rien de mal là-dedans. Si nous voulons faire quelque chose à ce sujet, nous devons cesser de jouer les vierges offensées et tenter de pénétrer le marché nous-mêmes.

Mais la question des motifs derrière le désir de Beijing d'envoyer des agents de maintien de la paix en Afrique est très intéressante.

[Français]

Lcol Last : Je vous remercie beaucoup pour cette question très importante. La présence chinoise en Afrique est énorme, surtout au chapitre de l'éducation.

[Traduction]

La Chine a contribué à l'établissement de collèges d'état-major. Elle a construit l'infrastructure du collège d'État-major namibien. Elle a contribué à l'établissement du collège d'état-major tanzanien. La Chine faisait venir — en date de 2011 — plus d'un millier d'étudiants militaires africains par année. Je n'ai pas vu les chiffres depuis. C'est un effort énorme visant à influer sur la prochaine génération d'élites militaires.

La Chine possède un désavantage considérable par rapport à l'Ouest. Lorsque des officiers se rendent en Chine pour étudier, ils étudient en anglais parce qu'il est trop difficile d'apprendre le chinois. Les officiers sont isolés durant une période de six mois ou un an. Ils n'ont aucun contact avec la société locale, et de nombreux officiers avec qui j'ai parlé qui avaient suivi des cours — de cours de commandant de bataillon, de commandement de brigade, de logistique, d'aviation — sont revenus avec un mauvais souvenir de la Chine. Ils ne sont pas en bons termes avec la Chine.

Cela fait contraste avec les officiers qui étudient au Canada, aux États-Unis et même en France.

[Français]

Ils ont en général une opinion très favorable de l'Occident et des pays particuliers où ils ont étudié.

[Traduction]

Il est possible de constituer des réseaux d'éducation et des réseaux de professionnels qui voient la sécurité comme une valeur transnationale et voient des possibilités de coopération au-delà des frontières nationales. Il y a un énorme potentiel dans le fait de ne pas fermer la porte à la Chine d'une manière néomercantile et d'amener tous les membres de l'ONU à comprendre que — peu importent nos intérêts respectifs — nous avons beaucoup d'intérêts nationaux communs touchant la sécurité internationale et la sécurité humaine; et à ce chapitre, il y a un énorme potentiel pour la formation en matière de sécurité dans l'Ouest. Je crois que c'est vraiment là que réside notre avantage comparatif, et nous n'avons pas à concurrencer la Chine. Nous ne pouvons faire concurrence aux ressources investies par la Chine dans l'infrastructure, l'éducation, le commerce et les volumes d'émigration vers l'Afrique, mais nous n'avons pas à le faire. Nous pouvons nous concentrer sur l'apprentissage et, je crois que c'est un avantage comparatif réel qui devrait faire partie de notre politique de défense.

[Français]

Le sénateur Carignan : Est-ce que nos efforts à vouloir aider certains pays africains ne devraient pas passer davantage par l'éducation? Mon fils étudie à l'Université de Montréal. Or, beaucoup d'étudiants africains, des fils de dirigeants africains, étudient avec mon fils à l'Université de Montréal. Est-ce qu'on ne devrait pas plutôt créer des ponts pour offrir une éducation occidentale à la relève en Afrique? Cela ne serait-il pas un meilleur apport que de courir plusieurs lièvres à la fois et de disperser nos ressources militaires pour participer au maintien de la paix?

Lcol Last : Je suis d'accord. Il existe un potentiel énorme dans les universités canadiennes. On peut augmenter aussi le potentiel des institutions militaires, tels le Collège de commandement et d'état-major de l'armée canadienne et le Collège militaire royal du Canada.

[Traduction]

Mais le fait de nous concentrer sur l'éducation dans de nombreux pays ne mène pas nécessairement à la dispersion, à la diminution ou à la dilution des ressources. Il est possible, je crois, d'accroître notre impact en regroupant des gens de nombreux pays en un seul endroit au Canada. Il y a eu des initiatives pour des centres d'excellence pour l'éducation conjointe. Lorsque des officiers venant d'autres pays sont ici, nous voyons qu'ils parlent de leurs problèmes nationaux d'une manière qui n'est pas la même que s'ils étaient dans leur propre pays. Donc, au Canada, nous bâtissons certains des ponts qui sont nécessaires dans ces régions.

Il est aussi possible de cerner les organisations pivots. Le sénateur Dallaire a parlé de cinq pivots régionaux en Afrique. Chacun de ces pivots a des dirigeants explicitement chargés de l'éducation en matière de sécurité : le Nigéria, le Kenya, l'Afrique du Sud.

[Français]

Il y en a aussi dans le monde francophone. Le Sénégal fait partie des pays assez avancés.

[Traduction]

Il y a aussi des pivots secondaires au Botswana, en Namibie et en Tanzanie. En développant leur infrastructure intellectuelle au moyen d'échanges de professeurs et de curriculums, je crois que nous avons une influence salutaire qui n'est pas diluée et qui renforce en fait la capacité régionale.

Le président : Chers collègues, nous allons terminer bientôt, alors je vais profiter de cette occasion pour moi-même poser deux ou trois questions.

D'abord, j'aimerais poser une question à M. Bercuson au sujet du financement des militaires. En fin de compte, comme vous le savez, monsieur Bercuson, l'engagement financier du gouvernement régira ce que les militaires peuvent et devraient faire. Avec cet engagement — je crois que le chiffre s'élève à 450 millions de dollars pour une mission de l'ONU en Afrique —, croyez-vous que le gouvernement risque de sous-financer d'autres aspects importants et d'autres responsabilités des militaires au pays?

M. Bercuson : J'aurais aimé avoir les chiffres du budget total de la Défense en tête, mais je ne les ai pas. Je sais qu'il s'agit d'environ 20 milliards de dollars, alors 400 millions de dollars, ce n'est pas beaucoup par rapport à 20 milliards de dollars.

Je n'essaie pas de modifier la question, mais je crois que la question globale est la suivante : que fera le gouvernement à l'égard du budget à l'avenir? Va-t-il maintenir l'orientation actuelle — c'est-à-dire plus ou moins celle établie par le gouvernement antérieur — ou augmenter le budget de la Défense ou trouver d'autres manières de le diviser? Selon moi, 400 millions de dollars, ce n'est pas grand-chose lorsqu'on a un budget de quelque 20 milliards de dollars pour la Défense.

Le président : Ce n'est pas ce que je demandais. Je vais essayer de préciser la question. Peut-être aurez-vous un commentaire à cet égard, colonel Last.

Comme nous songeons à prendre des responsabilités que nous n'avions pas jusqu'à l'année dernière, ma question est la suivante : est-ce que cela va nous en coûter plus cher, et est-ce que nous aurons besoin d'argent supplémentaire? Devrons-nous effectuer des compressions dans d'autres secteurs des forces armées afin d'atteindre ces objectifs?

Lcol Last : Si vous demandez si une politique internationale plus active coûtera plus cher, je crois que la réponse est probablement oui. Selon moi, si nous avons l'intention de dépenser plus, nous devrions faire très attention aux moyens d'évaluation, et nous ne devrions pas demander aux gens qui formulent la politique d'évaluer l'incidence de cette politique. Je crois qu'il est assez évident qu'il y a des compromis et des coûts de renonciation à tout choix politique, et nous devrions utiliser tous les outils pour évaluer les politiques militaires comme nous le faisons pour les autres.

Le président : J'aimerais avoir une réponse à la question que je pose. Peut-être que M. Bercuson peut ajouter quelque chose. J'aimerais que cela figure dans le compte rendu.

Si nous faisons ces choses, est-ce que ce sera plus coûteux? Aux fins de notre étude, nous devrions le savoir. Ou est-ce qu'il s'agira plutôt encore de puiser l'argent ailleurs pour faire ce que nous faisons?

M. Bercuson : Lorsque nous étions en Afghanistan, nous prenions l'argent du budget de la Défense et l'utilisions pour la guerre en Afghanistan. Si le passé est garant de l'avenir, nous allons prendre l'argent ailleurs pour payer ces missions.

Le président : J'ai une autre question. Monsieur Bercuson, si on envisage la politique de défense dans son ensemble, quels sont les principaux domaines que nos forces armées doivent soit corriger, soit améliorer considérablement au cours des 10 prochaines années?

M. Bercuson : Commençons par l'approvisionnement. Je ne dis pas qu'il faut faire le tour de la question de l'approvisionnement ici, mais il s'agit là d'un immense problème, et je suis certain que vous le savez, donc je ne vais pas prendre le temps d'entrer dans les détails.

Mais plus précisément, je crois que nous devons déterminer le rôle de notre armée. Nous savons que nous en avons besoin du fait que nous avons des frontières nationales et que nous croyons à la souveraineté de notre pays. Au-delà de cela, nous vivons sous l'égide des États-Unis. À quelles fins voulons-nous employer nos forces armées? Je pense que nous ne nous sommes jamais vraiment penchés sur cette question depuis la fin de la guerre froide.

Nous savions à quoi servaient les forces armées durant la guerre froide. Elles avaient principalement un rôle dissuasif et pouvaient, au besoin, en tant que force apte au combat, ajouter notre poids à celui de nos alliés de l'OTAN ou, dans le cas de la défense de l'Amérique du Nord, pour aider les États-Unis à défendre le continent. La guerre froide est maintenant terminée. Quel est notre rôle? Qu'allons-nous faire de nos forces armées?

Le président : Chers collègues, j'aimerais remercier nos témoins du temps et de l'effort qu'ils ont consacrés ainsi que de leur patience.

Pour notre dernière table ronde de la journée, alors que nous nous penchons sur les questions concernant l'Examen de la politique de défense et le réengagement du Canada dans les opérations de maintien de la paix des Nations Unies, nous accueillons le vice-amiral à la retraite Drew Robertson, qui représente l'Association navale du Canada; M. James A. Boutilier, professeur adjoint, Études du Pacifique, à l'Université de Victoria, et le capitaine de vaisseau à la retraite Harry Harsch, qui est vice-président aux affaires maritimes et qui témoigne au nom de la Ligue navale du Canada.

Le vice-amiral Robertson s'est joint aux Forces canadiennes en tant qu'élève-officier en 1973. En 1998, il devient directeur, Politiques de l'OTAN au QGDN, et il assume en 1999 le commandement du destroyer NCSM Athabaskan. En 2001, après avoir été promu au grade de commodore, il assume le commandement de la Flotte canadienne de l'Atlantique. Au grade de contre-amiral, il sert en tant que directeur général, Politique de sécurité internationale au QGDN. Après avoir été promu au grade de vice-amiral, il a été nommé commandant du Commandement maritime et chef d'état-major de la Force maritime au quartier général de la Défense nationale, poste qu'il occupe jusqu'à sa retraite en 2009.

Le vice-amiral Robertson comparaît au nom de l'Association navale du Canada, organisation qu'on appelait, à l'époque de sa création en 1950, Les associations des officiers de marine du Canada, et qui réunissait en fédération les diverses associations d'officiers de marine qui existaient à l'échelle du Canada.

En 2012, Les associations des officiers de marine du Canada sont devenues l'Association navale du Canada; l'organisation a élargi sa composition en ouvrant les portes non seulement aux officiers de marine à la retraite, comme elle le faisait traditionnellement, mais à tous ceux qui s'intéressent au bien-être et au soutien de la Marine du Canada, qu'il s'agisse de civils ou de militaires, actifs ou retraités, peu importe le rang. L'Association navale du Canada comprend actuellement 14 divisions à l'échelle du Canada.

Le capitaine Harry Harsch se joint à nous aujourd'hui à titre de vice-président, Affaires maritimes, de la Ligue navale du Canada, organisation établie en 1895 qui comprend 260 divisions à l'échelle du pays. Sa principale mission est de promouvoir l'intérêt pour les affaires maritimes dans l'ensemble du Canada. L'organisation accomplit sa mission à l'aide de publications, de conférences, de bourses et d'un éventail d'autres activités.

En plus d'éveiller l'intérêt pour les affaires maritimes, la Ligue navale du Canada participe activement à la mise en œuvre de deux programmes visant les jeunes : les Cadets de la Ligue navale et les Cadets de la Marine royale canadienne. Le programme des Cadets de la Ligue navale accueille des garçons et des filles âgés de 9 à 12 ans. Il y a plus de 3 500 cadets de la Ligue navale dans 102 localités du Canada. Le programme des Cadets de la Marine royale canadienne, pour sa part, est mené grâce à un partenariat entre la Ligue navale du Canada et le ministère de la Défense nationale. Le programme s'adresse aux garçons et aux filles âgés de 12 à 18 ans. On dénombre plus de 5 000 cadets de la Marine royale canadienne dans 237 localités canadiennes.

Mentionnons en outre que le capitaine Harsch a servi dans la Marine royale canadienne durant 36 ans et a terminé sa remarquable carrière dans la Marine en tant que chef d'état-major du Commandant de la Marine à Ottawa; il est conseiller naval au Haut-commissariat du Canada à Londres, de même qu'attaché de défense du Canada au Danemark. Il a été nommé Officier de l'Ordre du mérite militaire en octobre 2007.

Enfin, le dernier témoin, mais non le moindre, M. James Boutilier, professeur adjoint, Études du Pacifique, Université de Victoria, et aussi un très bon ami du comité. M. James Boutilier est conseiller spécial en matière de politiques au quartier général des Forces maritimes du Pacifique à Esquimalt, en Colombie-Britannique, depuis 1996. Dans ces fonctions, il lui incombe essentiellement de conseiller le commandant des Forces maritimes du Pacifique relativement à la politique étrangère, à la politique de défense et à la sécurité maritime dans la région de l'Asie-Pacifique. En outre, il participe à l'organisation d'activités communautaires et de tribunes publiques, dont il fait aussi la promotion, dans le but de mieux faire connaître la Marine canadienne auprès du grand public.

M. Boutilier est également responsable de la très courue conférence sur les défis de la sécurité maritime qui a eu lieu tous les deux ans à Victoria; l'événement, qui attire plus de 200 délégués, porte sur les intérêts maritimes du Canada et insiste particulièrement sur l'Inde, l'Asie et le Pacifique.

Je crois savoir que vous avez chacun une déclaration préliminaire à présenter et que nous commençons par le vice-amiral Drew Robertson.

Vice-amiral (à la retraite) Drew Robertson, Association navale du Canada : Merci beaucoup, monsieur.

Merci à vous tous de me donner l'occasion de témoigner au nom de l'Association navale du Canada et de transmettre son opinion en ce qui concerne les opérations de soutien de la paix et l'Examen de la politique de défense. Je sais que le capitaine Harsch insistera sur les opérations de soutien de la paix. Je vais donc me concentrer sur l'Examen de la politique de défense.

La question des opérations de soutien de la paix est importante, puisque ces opérations — qu'elles soient menées dans le cadre de missions autorisées par le Conseil de sécurité des Nations Unies, de résolutions, de traités internationaux fondamentaux comme la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer ou de la Charte des Nations Unies — constituent l'activité principale dans le cadre de laquelle le gouvernement a déployé la Marine royale canadienne lors de dizaines de déploiements auxquels ont pris part nos navires, nos sous-marins, nos aéronefs et nos groupes opérationnels à l'échelle internationale au cours des 25 dernières années, et ce, alors que la flotte assurait notre souveraineté au pays.

Les gouvernements ont ordonné ces déploiements parce que le soutien de l'ordre international d'aujourd'hui fondé sur les règles — appuyé par la Charte, les traités et les conventions des Nations Unies — a permis l'établissement de la paix et de la sécurité dont dépendent notre commerce et notre prospérité. Ils agissent ainsi, car il est de l'intérêt national durable du Canada de se faire une force du bien.

Malgré cette suite ininterrompue de réussites, la Marine royale canadienne a vu ses capacités s'éroder continuellement au cours des 20 dernières années, ce qui compromet graduellement, mais de plus en plus sa capacité de défendre le Canada ou d'agir à titre de force du bien à l'étranger. J'aimerais vous indiquer où cette situation pourrait mener et décrire les risques stratégiques que le gouvernement et le pays rencontreront.

J'aimerais commencer en disant que des progrès ont été réalisés. Les frégates, qui sont maintenant bien au-delà de la moitié de leur vie utile, ont été modernisées avec succès, et nos sous-marins sont opérationnels. De plus, la Stratégie nationale de construction navale que nous attendions depuis des années est une démarche nationale fort prometteuse.

La question n'est pas de savoir si le Canada construira de bons navires. Il l'a toujours fait. La question est de savoir si leur nombre et leur capacité seront à la hauteur des défis à relever.

Ce qui préoccupe surtout l'Association navale du Canada, c'est qu'au cours des 20 dernières années, une succession de gouvernements et huit législatures n'ont pas été en mesure d'accorder des ressources nécessaires à l'atteinte des résultats établis dans leur politique. Par conséquent, notre pays membre du G7, avec tous ses intérêts maritimes au pays et à l'étranger, a laissé ses navires de ravitaillement et ses destroyers atteindre le milieu de la quarantaine avant de se trouver dans l'obligation de les mettre au rancart, non seulement sans navires de remplacement, mais sans même que les gouvernements aient conclu des contrats pour en construire.

Les succès que la Marine royale canadienne a connus ces 20 dernières années sont attribuables aux investissements réalisés au cours des décennies précédentes, à partir de 1960, dans les flottes de combat qui défendent le Canada, notamment nos sous-marins, nos frégates, nos destroyers et nos aéronefs de patrouille maritime. Mais le gouvernement actuel et ceux qui lui succéderont ne pourront bientôt plus se laisser porter par ces investissements antérieurs et devront assumer des risques stratégiques de plus en plus graves. Ainsi, en plus d'avoir perdu des capacités, le Canada n'est plus en mesure de surveiller de manière indépendante les activités maritimes à cause de la perte de capacité de défense aérienne de son groupe opérationnel. Il ne peut plus soutenir de manière indépendante les opérations des groupes opérationnels déployés et doit s'en remettre à d'autres pays pour assurer le ravitaillement et le soutien logistique en mer, même dans ses propres eaux.

Par conséquent, il est peu probable que le Canada puisse diriger une intervention prolongée comprenant des rotations multiples en réaction aux événements internationaux, comme il l'a fait à maintes reprises au fil des ans, pas plus qu'il n'est susceptible de se voir proposer les occasions substantielles d'agir à titre de dirigeant international en mer qu'une telle intervention offre, particulièrement dans le cadre d'opérations complexes faisant intervenir plusieurs pays, comme nous l'avons fait à plusieurs reprises, notamment après les attentats du 11 septembre afin d'appuyer nos alliés américains pendant plusieurs années.

Si la situation perdure, les gouvernements futurs seront confrontés à de plus grandes réductions et à des risques accrus. À l'heure actuelle, la flotte de combat composée de sous-marins et de navires de combat de surface de la Marine royale canadienne est déjà d'une taille moindre que celle qui serait, selon les recherches, nécessaire pour atteindre des résultats stratégiques durables. Cependant, comme le Bureau du directeur parlementaire du budget et d'autres observateurs l'ont souligné, les Forces armées canadiennes se trouveront en situation de non-viabilité au cours de la prochaine décennie, puisqu'il leur manquera probablement des dizaines de milliards de dollars.

Ainsi, les plans visant à rétablir la capacité de la flotte de combat, notamment en prolongeant la vie de quatre sous-marins de classe Victoria hautement capables du Canada jusqu'au milieu des années 2030 et en les remplaçant, de même qu'en remplaçant nos aéronefs de patrouille Aurora ne sont pas seulement menacés, je dirais qu'ils sont voués à l'échec.

Vu les niveaux budgétaires actuels, on peut s'attendre à une autre réduction de la flotte de combat de la Marine royale canadienne au cours des 15 prochaines années. Selon un chiffre mis de l'avant dans la presse dernièrement, elle pourrait être réduite à seulement neuf navires de combat de surface — soit 40 p. 100 de moins que les 15 navires dont elle disposait il y a deux ans seulement —, alors que les sous-marins et les aéronefs de patrouille maritime de l'Aviation royale du Canada ne seront probablement pas abordables ou remplacés.

Chacun de ces changements aggraverait les risques que j'ai évoqués précédemment en réduisant considérablement les capacités maritimes et les capacités requises pour participer de façon significative aux opérations continentales et internationales d'envergure.

Alors que, pendant des décennies, le gouvernement a souvent déployé de grands navires de guerre dans les théâtres d'opération distincts, il ne pourrait plus le faire avec une flotte réduite. Mais surtout, cette force ne serait pas viable ou ne permettrait pas de relever le formidable défi consistant à défendre nos eaux territoriales sur trois océans.

L'Association navale du Canada considère donc que cette force grandement réduite et déséquilibrée dans l'avenir ne permettrait pas de combler des besoins du pays, particulièrement au regard de l'évolution rapide de l'ordre maritime mondial, puisque : divers pays du monde, mais surtout la Russie et la Chine, continuent de gruger l'écart technologique dont les marines occidentales ont bénéficié pendant des décennies et d'effectuer des investissements dans des forces maritimes, particulièrement dans la région de l'Asie-Pacifique; la collaboration entre les grands États continue de céder le pas à la confrontation, au détriment de l'ordre international fondé sur les règles, notamment dans la mer de Chine méridionale et orientale; le troisième espace océanique du Canada, qui est le plus vaste, mais également le moins accessible et le plus fragile, s'ouvre à l'expédition commerciale et à l'extraction des ressources, et la Marine royale canadienne défend notre souveraineté sur fond d'édification nationale importante dans l'Arctique.

Pour l'Association navale du Canada, il faut, pour que l'Examen de la politique de défense soit un succès, faire concorder les résultats attendus avec les niveaux d'investissement dans le domaine de la défense à moyen et à court termes, en y apportant des ajustements fondamentaux à la hausse ou à la baisse.

L'Association navale du Canada considère, tout comme moi, que le nouvel environnement stratégique exigera des investissements accrus, plutôt que moindres, dans le domaine de la défense afin de répondre aux attentes actuelles. À l'appui de ces investissements, l'Association navale du Canada ferait remarquer qu'en plus d'assurer la défense du pays, une force maritime équilibrée, polyvalente et apte au combat constitue une assurance sans égale contre le risque stratégique et les conflagrations internationales imprévues.

Cependant, l'Association navale du Canada croit également que l'Examen de la politique de défense offre une occasion stratégique, une occasion de non seulement faire concorder les résultats et des ressources dans le domaine de la défense, ce qu'il est urgent de faire, mais aussi de permettre aux Forces armées canadiennes de se restructurer afin de relever les défis du XXIe siècle, où le domaine maritime prend de plus en plus d'importance. La structure des forces du XXe siècle, avec laquelle on a composé lors de plusieurs examens de la politique de défense, peut être modifiée en fonction des défis des prochaines décennies. De telles mesures fondées sur une stratégie exigeront de la vision, du courage, de la détermination et des efforts au fil des ans, mais elles auront pour résultat des Forces armées canadiennes mieux préparées à défendre le Canada sur son territoire et à agir à titre de force du bien à l'étranger.

Je vous remercie de votre intérêt et de votre soutien à l'égard de la Marine royale canadienne et des Forces armées canadiennes en général; je répondrai avec plaisir à vos questions.

Le président : Merci, vice-amiral Robertson.

C'est ensuite le tour du capitaine Harsch.

Capitaine de vaisseau (à la retraite) Harry Harsch, vice-président, Affaires maritimes, Ligue navale du Canada : Bonjour, mesdames et messieurs les sénateurs, et merci de nous donner l'occasion cet après-midi de représenter la Ligue navale du Canada à la séance d'aujourd'hui.

J'aimerais, pendant ma déclaration préliminaire, souligner trois points qui sont tous à mon avis interreliés. Premièrement, j'aimerais aborder la notion du Canada en tant que nation maritime. Nous croyons qu'il faut que cette notion soit mieux comprise. Deuxièmement, pendant que nous travaillons à constituer la flotte de l'avenir, il sera essentiel de faire preuve de souplesse quant à sa capacité. Et pour finir, nous devons pouvoir compter sur des ressources suffisantes et sur la volonté de continuer à participer aux opérations de toute la gamme des conflits, en particulier les opérations de maintien de la paix, qui sont complexes.

Le Canada est bordé par trois océans, et son littoral est le plus étendu du monde. Je crois pouvoir dire que, en tant que nation commerciale, nous dépendons des océans. Cela veut dire que, par définition, le Canada est une nation maritime, même s'il semble que peu de gens comprennent ce que cela veut dire et ce que cela suppose sur le plan des capacités.

Les défis potentiels pour la sécurité nationale que cette dépendance entraîne sont complexes, ce qui fait que nos forces navales n'ont pas toujours été équipées en conséquence.

Une marine bien équipée est naturellement flexible. Elle offre ainsi au gouvernement toute une gamme d'options stratégiques lorsqu'il lui faut réagir aux différents conflits, y compris dans le monde souvent compliqué et trouble des opérations de maintien de la paix. Nous croyons qu'une flotte équilibrée, polyvalente et apte au combat est la clé de cette flexibilité. La Marine doit être en mesure de protéger la souveraineté canadienne et les intérêts du Canada, que ce soit au pays ou à l'étranger, ou encore dans le cadre de la pléthore d'opérations d'urgence dans lesquelles nous nous retrouvons impliqués aujourd'hui.

La Marine royale canadienne est occupée depuis aussi longtemps que je me souvienne, depuis mes débuts comme combattant pendant la guerre froide jusqu'à ce que je prenne le commandement d'une frégate dans le golfe Persique pendant les hostilités de 2003. On peut bien sûr soutenir que, pendant la guerre froide, la menace de l'annihilation nucléaire représentait un enjeu relativement important, à mon avis, mais les opérations navales du Canada, ces deux dernières décennies environ, sont devenues de plus en plus complexes et dangereuses, de la même façon que le monde de l'après-guerre froide est devenu plus complexe et dangereux.

Nous entendons souvent dire que « le monde a besoin de plus de Canada », et, ayant servi à l'étranger auprès de nos alliés et partenaires, j'ai pu moi-même constater à quel point les Forces canadiennes excellent toujours lorsqu'elles travaillent ou dirigent les opérations dans un environnement où plusieurs pays sont présents, mais nous ne sommes jamais reconnus si nous ne sommes pas présents. Notre Marine a participé récemment, par exemple, à des déploiements dans divers contextes : pour appuyer la campagne internationale contre le terrorisme, lutter contre le trafic de la drogue, assurer la protection du Programme alimentaire mondial ou pallier la menace des pirates modernes le long des côtes de la Somalie.

Toutefois, nous sommes préoccupés par l'érosion constante de notre flotte, en ce qui concerne tant la capacité que les nombres. On dirait que, à mesure que le nombre et la complexité des opérations auxquelles participent les forces navales augmentent, par exemple les opérations multifonctionnelles et multinationales effectuées à l'appui des mandats de l'ONU, la capacité d'intervention du Canada s'effrite.

J'aimerais m'arrêter sur quelques opérations spécifiques pour illustrer la diversité des missions que le Canada a eu les moyens de mener au cours des 25 dernières années, qu'il s'agisse d'envoyer un seul vaisseau ou un groupe d'intervention important, de soutenir une mission ou de la diriger, et ce, partout dans le monde.

En 1993 et 1994, le Canada a envoyé des vaisseaux dans le but de faire respecter les résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies et de forcer les chefs militaires d'Haïti à rendre le pouvoir aux élus légitimes.

De 1993 à 1997, le Canada s'est joint aux alliés de l'OTAN et de l'UEO, dans la mer Adriatique, pour faire respecter les sanctions économiques ainsi que l'embargo sur les armes imposés par les Nations Unies à l'ancienne République de Yougoslavie et aux factions rivales de la Croatie et de la Bosnie.

En 1999, au Timor-Oriental, le Canada a pris part à la force internationale en renouvelant la flotte multinationale installée bien en vue des côtes à la fois pour rassurer le nouveau gouvernement du Timor-Oriental et pour dissuader quiconque de l'attaquer.

De 2001 à 2003, la quasi-totalité de la flotte canadienne alors disponible a été déployée en Asie du Sud-Est pour effectuer des opérations d'interdiction maritime visant à empêcher Al-Qaïda d'utiliser la mer et à faire respecter les résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies. C'est d'ailleurs l'amiral Robertson qui était à ce moment-là le premier commandant du groupe d'intervention du Canada; j'étais quant à moi capitaine du NCSM Fredericton, l'avant-dernier vaisseau à être déployé pour cette mission.

En 2008, la frégate NCSM Ville de Québec, qui effectuait une mission de l'OTAN en Méditerranée, a été redéployée d'urgence et chargée d'escorter des vaisseaux affrétés par le Programme alimentaire mondial des Nations Unies pour faire parvenir de l'aide à Mogadiscio. En 2011, le Canada a pris part à une intervention internationale en Libye à l'appui d'une résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies.

Bien sûr, ces missions se poursuivent aujourd'hui, et des vaisseaux canadiens sont déployés de concert avec ceux de l'OTAN et de nos alliés afin de soutenir la stabilité et la sécurité des régions et d'être prêts à intervenir en cas de besoin.

Étant donné qu'ils sont prêts à prendre la mer très rapidement, nos vaisseaux pourraient être mieux équipés et appuyer les opérations d'aide humanitaire et de secours aux sinistrés. La Marine royale canadienne s'est souvent retrouvée au premier plan dans le théâtre de ces opérations. Les exemples sont nombreux; je pense, entre autres, aux opérations de recherche et sauvetage menées en 1998 après l'écrasement en mer du vol 111 de Swiss Air, près de Halifax, ou au déploiement en 2010 pour aider Haïti à se relever après un séisme.

Toutefois, nos vaisseaux ne sont pas nécessairement mieux équipés pour faire face à ce rôle. À ce propos, la Ligue navale croit que des vaisseaux comme ceux des classes Rotterdam et Karel Doorman, de la Marine royale des Pays-Bas, ou ceux de la classe Bay de la Flotte royale auxiliaire du Royaume-Uni ont été utilisés de manière efficace pour toutes sortes d'opérations, de l'aide humanitaire au secours aux sinistrés en passant par les opérations à terre. La Ligue navale croit qu'une capacité de cette sorte ajouterait beaucoup à la flexibilité de la Marine royale canadienne, sans rien sacrifier aux vaisseaux de combat de type frégate, qui ont constamment prouvé leur utilité dans le cadre d'opérations plus complexes et dangereuses.

En conclusion, le Canada est une nation maritime. Ne pas maintenir des forces navales efficaces et flexibles équivaut à renoncer à notre souveraineté en mer. Nous croyons qu'une marine équipée de manière appropriée est un prérequis nécessaire à tout État. Il ne s'agit pas d'un luxe facultatif. La Marine royale canadienne a toujours été capable de s'acquitter de ses engagements. Toutefois, l'effritement constant de la flotte ne garantit pas que nous soyons toujours capables de le faire.

Merci beaucoup de m'avoir donné l'occasion d'exprimer mon opinion.

Le président : Merci beaucoup, capitaine Harsch.

Monsieur Boutilier.

James A. Boutilier, professeur adjoint, Études du Pacifique, Université de Victoria, à titre personnel : Merci beaucoup, monsieur le président. J'aimerais diviser mes commentaires en trois parties, mais avant de commencer officiellement, permettez-moi de féliciter chacune des personnes assises ici autour de la table. Votre comité est absolument essentiel à l'intégrité et à la musculature de l'étude de la défense qui est aujourd'hui entreprise.

Je dois avouer que j'ai de sérieuses réserves quant à l'étude de la défense. Tant que nous n'aurons pas fait l'examen des politiques étrangères, je ne suis pas certain que nous pouvons concrètement situer l'étude de la défense dans un contexte approprié. Entre parenthèses, je constate qu'il y a au Canada une profonde aversion intellectuelle qui nous empêche de prendre le taureau par les cornes et de régler une fois pour toutes cette difficile question : quelles sont nos priorités nationales? Sans cela, il est très difficile de savoir par quel côté prendre une étude de la défense.

J'attire votre attention, bien sûr, sur l'étude approfondie de la défense qui s'est déroulée en Australie. Une étude large, profonde et complète. Il importe bien sûr de savoir que, dans le contexte australien, la défense est un enjeu qui rallie les deux partis. Il y a parfois des discussions enflammées, mais au bout du compte, les partis s'entendent. Ici, on dirait que les partis font du chantage sur le dos de la défense afin d'en tirer un mince avantage à court terme, ce qui est tragique.

En ce qui concerne les opérations de maintien de la paix, je félicite le gouvernement de sa stratégie « le Canada est de retour ». Je crois que nous avons entretenu des illusions dangereuses — permettez-moi de le répéter — des illusions dangereuses quant à notre réputation sur la scène internationale. Nous nous sommes imaginé que, puisque le Canada faisait partie du G7, et que, sans vouloir insister, nous sommes tous des gens bien, nous jouissions d'une bonne réputation internationale. Mais cette réputation est de plus en plus surfaite. Nous avons vécu dans une sorte de monde idéal, en prenant plaisir à jouer dans la cour des grands, et que notre stratégie consistait à nous « débrouiller ». C'est tout simplement inadéquat pour un pays aussi riche, fier et capable que le Canada. Nous avons entretenu de dangereuses illusions quant à notre réputation.

J'aimerais souligner en passant que la force de persuasion est certes louable, mais, dans bien des cas, c'est la force brute qui importe quand on a affaire à des conseils de grande autorité, que ce soit l'OTAN ou d'autres instances. Quand nous nous présentons, nous avons de plus en plus piètre allure. J'aimerais d'ailleurs me faire l'écho des commentaires de mes distingués collègues en ce qui concerne notre posture de défense.

En ce qui concerne le maintien de la paix, je crois que le gouvernement, comme il l'avait promis avant les élections, a misé sur un thème très évocateur dans l'esprit des Canadiens, mais je crois que dans bien des cas, les Canadiens se font une image mythique du maintien de la paix, pensant que cela revient tout simplement à traverser la ligne verte à Nicosie, comme dans les années 1970. Nous voyons aujourd'hui, au Mali, un pays prédateur. C'est complexe. C'est létal. Il s'agit d'une des plus dangereuses missions de maintien de la paix des Nations Unies dans le monde. Un pays minuscule, le Togo, grand comme un mouchoir de poche, a envoyé 18 fois plus de gardiens de la paix que le Canada. Nous vivons dans un monde imaginaire, pour ce qui est du maintien de la paix.

Peut-on faire quelque chose pour maintenir la paix? Tout à fait, mais il faudra deux décennies pour rétablir notre réputation de gardien de la paix sérieux et engagé. Nous avons de véritables talents, qu'il s'agisse de reconnaissance, de renseignement, de logistique, de transport, et ainsi de suite, pour aider par exemple les forces de l'Union africaine au Mali, mais il y a déjà dans ce pays 12 000 ou 13 000 personnes qui assument un rôle au chapitre du maintien de la paix. À en croire le commandant danois, le major général Lollesgaard : « Nous pourrions bien sûr en ajouter 2 000 ou 5 000, mais cela ne ferait pas vraiment une grande différence. L'enjeu est politique. »

J'ai constaté que l'étude de la défense met l'accent sur la transparence et sur les consultations, mais je n'ai pas encore entendu un seul mot, dans ces consultations, au sujet de ce que le gouvernement choisira de faire pour la suite des choses. Qu'allons-nous faire, si nous allons au Mali? Je crois que c'est une décision exclusivement politique et non pas militaire, et l'une de mes craintes les plus vives a trait à un aspect qui a été souligné plus tôt — en fait, je crois que c'est vous qui en avez parlé, monsieur le président —, c'est-à-dire que je crains que cela nous empêche de moderniser des ressources essentielles.

Notre culture d'acquisition pour la défense est scandaleusement dysfonctionnelle. Je suis couvert de honte quand je vois comment nous nous conduisons. Singapour a voulu un hélicoptère maritime. Trente-six mois plus tard, elle l'avait choisi, acheté et modifié, la formation était terminée, et l'appareil était opérationnel. Aujourd'hui, plus de 30 ans plus tard, nous attendons toujours un hélicoptère maritime pour la défense. Je me demande bien ce qui se passe chez nous. Nous sommes incroyablement privilégiés. Nous sommes renseignés. Nous sommes des personnalités de type A. Nous avons énormément d'expérience. Quel est notre problème? Nous ne pouvons pas continuer à entretenir des illusions comme celle-là, parce que dans le monde d'aujourd'hui, on est ce qu'on est. Quand on se présente, on doit se présenter tout équipé. C'est cela qui est important quand on parle de politique. Est-ce que vous pourrez vraiment mettre ces actifs à contribution?

Je me ferai l'écho de mes distingués collègues de la Marine : la Marine est, à mon sens, sur une pente descendante, et c'est un désastre. J'observe l'état de la Marine depuis plus de 40 ans, et je suis profondément horrifié de l'état des choses. Chaque jour qui passe ajoute du retard à la construction.

Je dirais pour finir que nous en sommes à l'âge des océans. Et il ne s'agit pas d'une simple hyperbole. J'estime que jamais, depuis la grande époque des explorations, les océans n'ont eu une aussi grande importance pour le transport commercial, pour les conflits entre grandes puissances, comme celui qui se profile entre les États-Unis et la Chine, pour la réémergence de la Russie et ainsi de suite. Mais l'architecture générale de la Marine change, et elle change vraiment, mais ces changements ne sont pas à notre avantage.

Quand j'étais un jeune officier de navigation, la Marine royale disposait de 152 frégates et destroyers. Elle en possède aujourd'hui 19. Lorsque Ronald Reagan était en poste, la marine américaine disposait de 580 vaisseaux. Elle en compte aujourd'hui 275. Notre propre marine rétrécit dans la même mesure, et nous devons agir, agir résolument et agir maintenant.

Les vaisseaux que nous allons acquérir devront durer 40 ans, et ils sont la clé de notre flexibilité sur la scène internationale, de notre capacité à aider les autres pays, nos alliés, à soutenir les opérations à terre, à maintenir la paix et ainsi de suite. C'est une ère tout à fait nouvelle qui s'ouvre, et la puissance sur mer est l'une des clés si l'on veut protéger le littoral du Canada et, aussi, devenir un joueur important sur la scène internationale.

Merci.

Le président : Merci beaucoup, messieurs. Nous allons commencer par le sénateur Kenny, après quoi ce sera le tour du sénateur White.

Le sénateur Kenny : Y a-t-il quelqu'un parmi vous qui se préoccupe des navires de patrouille extracôtiers et de l'Arctique, les NPEA, qui sont aujourd'hui en cours de construction? N'êtes-vous pas inquiets de savoir que, étant donné qu'ils vont probablement ne pas être très efficaces, ni pour briser la glace ni pour faire des patrouilles, ils vont inutilement gruger l'enveloppe des dépenses de la Marine?

Vam Robertson : Pas vraiment bons pour briser la glace. Je crois que c'est moi qui dois répondre, puisque c'est moi qui ai défini les exigences, il y a de nombreuses années, en me fondant sur le simple principe que les forces navales n'avaient pas à aller dans l'Arctique au moment où les seules forces capables d'y être étaient les brise-glaces. Étant donné que les brise-glaces appartiennent uniquement à des États souverains, nous savons de qui il s'agit. Nous savons où ils sont, et ils se déplacent, comme vous le savez sans doute, très lentement. D'autres vaisseaux de la Marine doivent se rendre dans l'Arctique, en début et en fin de saison, lorsque les vaisseaux commerciaux y arrivent, lorsque d'autres vaisseaux de guerre peuvent arriver. Les navires de patrouille extracôtiers et de l'Arctique pourront arriver avant les autres, et rester après que les autres sont partis, et on a jugé que c'était adéquat étant donné les exigences associées à ce type de vaisseaux. C'est tout ce que j'avais à dire.

Le président : Sénateur Kenny?

Le sénateur Kenny : J'attends de voir si quelqu'un d'autre veut faire un commentaire.

Je comprends que vous ayez un parti pris, amiral, mais mon message est simple : si vous aviez le choix, préféreriez-vous des navires de guerre ou cinq ou six navires de patrouille extracôtiers ou de l'Arctique? Si vous n'avez pas d'opinion, j'aurais une autre question.

Silence. D'accord.

Prochaine question : Étant donné l'intérêt que manifestent les membres du comité pour le maintien de la paix, quelle serait l'importance pour le Canada, s'ils en ont une, des vaisseaux de classe Mistral?

Vam Robertson : Je vais répondre à cette question en termes généraux, car cette classe en particulier n'est pas disponible. De manière générale, on peut ajouter aux vaisseaux des Forces armées canadiennes un certain nombre de capacités qui augmenteraient leur efficacité, mais, quand on sait que la Marine d'aujourd'hui, avec le financement actuel du gouvernement, étant donné que notre approche de la défense, ici — un sujet qui rallie les deux partis, comme je l'ai déjà dit —, consiste à réduire constamment, petit à petit, les ressources affectées aux Forces armées, la structure des Forces de demain sera plus réduite que celle d'aujourd'hui.

Cela dit, nous pouvons ajouter d'autres capacités, mais nous aurions besoin de ressources additionnelles. Je vais commencer par les capacités qui contribuent le plus à la défense de nos intérêts nationaux. Il y aurait, premièrement, la capacité, pour les forces maritimes en mer, de soutenir les Forces armées canadiennes sur terre, soit par ce qu'on appelle les tirs de précision — c'est-à-dire les tirs des forces de l'OTAN qui servent directement aux forces sur le terrain —, soit en ajoutant des capacités de défense aérienne adaptées, qui permettraient de protéger les forces alliées et les populations sur le terrain contre les missiles balistiques à courte ou à moyenne portée.

Cela peut vous paraître incroyable, mais les navires de l'OTAN, qui sont assez semblables aux nôtres, sont dotés de ces capacités. Les navires sont déjà adaptés et opérationnels. On ne sait pas encore à quoi ressemblera l'environnement de la sécurité dans 30 ans, mais cette dernière capacité pourrait très bien avoir de la valeur, même en eaux canadiennes.

Deuxièmement, il faudrait de meilleures capacités pour l'Arctique. Cela veut dire que, bien que les navires de patrouille extracôtiers et de l'Arctique soient utiles, il faudrait ajouter d'autres choses, étant donné que l'Arctique est à une distance stratégique de nos deux littoraux. Vous comprenez qu'il faudra des infrastructures et que d'autres choses seront nécessaires, et aussi des investissements considérables en ce qui a trait au renseignement, à la surveillance et à la reconnaissance à haute altitude avec des systèmes qui fonctionnent aussi bien à basse altitude.

Troisièmement, il faudrait un type quelconque de vaisseau pour l'aide humanitaire, quoique, à ce que j'en sache, le Mistral est un vaisseau mieux adapté pour l'aide humanitaire. Il est en fait beaucoup plus efficace qu'un navire conventionnel, comme on dit, acheté sur le marché et converti afin de le rendre utilisable pour l'aide humanitaire.

Est-ce que ce serait utile? Est-ce que cela pourrait servir bien au-delà de l'aide humanitaire ou des secours en cas de catastrophe? Oui. Cela pourrait servir à toutes sortes d'usages, depuis le soutien aux forces au sol jusqu'à la collaboration sur le théâtre des opérations, en passant par la collaboration avec les États côtiers, et j'en passe.

Je dis cela uniquement pour vous donner une idée de ce qui, à mon avis, servirait le mieux les intérêts nationaux; j'ajoute cependant une mise en garde : quoique utile, la flotte actuelle ne sera pas modernisée de sitôt, et il faudra faire des choix.

M. Boutilier : Je crois que cela revient à ce que le général Dallaire a dit, lorsqu'il a parlé de la nécessité d'un type ou d'un autre de navire d'appoint, et à ce que le capitaine Harsch a dit au sujet des navires de classe Karel Doorman ou Bay, utilisés par la marine des Pays-Bas et du Royaume-Uni, sur le fait qu'une variante des navires Mistral aurait probablement une très précieuse valeur.

Capv Harsch : Le Mistral est un navire tout à fait capable. C'est un solide navire amphibie pouvant assurer une projection de puissance à terre. Ce serait tout un exploit si les forces canadiennes pouvaient acquérir un vaisseau de ce type, même si c'est un navire d'occasion.

Il ne s'agit pas tout simplement d'acheter un des vaisseaux offerts sur le marché. Il faut bien y penser, et il faut beaucoup de ressources au moment d'acheter les connecteurs, les aéronefs, les capacités qui en font un navire amphibie, et il faudra faire tout cela à partir de rien, à bien des égards, dans le but d'utiliser efficacement le vaisseau. Il existe d'autres types de vaisseaux que nous pourrions convertir, ou peut-être acheter ou construire, qui joueraient ce rôle tout aussi efficacement, sans qu'il faille changer du tout au tout la façon dont les Forces armées sont constituées, avec le coût que cela suppose.

M. Boutilier : Je reviendrai encore une fois sur l'exemple de l'Australie, qui a un plan de défense ambitieux et de grande envergure; il illustre bien ce que peut réaliser un pays qui ne compte que les deux tiers de notre population, et cela comprend également le type de vaisseau dont le capitaine Harsch a parlé.

Le sénateur Kenny : En supposant que tous les membres du groupe d'experts sont convaincus, comme moi, que le Canada a besoin d'une force sous-marine robuste, ne pensez-vous pas qu'il serait temps d'abandonner les navires de la classe Victoria? Ils ont toujours été une catastrophe, quant aux jours en mer qu'ils ont réussi à faire. Peu importe si ce vaisseau présente de grandes capacités : s'il ne va pas en mer, il nous fait perdre notre temps. Ne serait-il pas temps pour nous d'aller parler aux Allemands ou aux Français pour voir si nous ne pourrions pas acheter quelque chose qui fonctionnera pour le Canada?

Vam Robertson : Je comprends ce que vous voulez dire à propos des jours en mer, mais pensons un peu à la capacité opérationnelle. Le problème, c'est qu'en raison de leurs caractéristiques, les sous-marins ne font pas beaucoup parler d'eux, au bout du compte. Le fait est que le Windsor est allé en eaux européennes deux fois en deux ans, les deux fois pour des exercices de l'OTAN, et les deux fois, parce que l'OTAN demandait des sous-marins. Étant donné qu'ils étaient prêts et qu'ils sont allés dans les eaux européennes, on les a utilisés pour les opérations, et à mon avis, l'exercice était une réussite.

En ce qui concerne la capacité opérationnelle actuelle, ces vaisseaux semblent être la voie de l'avenir, peu importe l'environnement, si le financement de la défense reste à son niveau actuel.

Le sénateur Kenny : Mais trois de ces navires sont actuellement hors service.

Vam Robertson : Je ne veux pas parler au nom de la Marine, mais vous savez que les problèmes, sur la côte Ouest, ont trait à de simples soudures, faciles à réparer sur la surface d'un navire, un peu plus difficiles à réparer sur des sous-marins, et qu'elles étaient un peu plus importantes pour les sous-marins. Encore une fois, je ne veux pas m'avancer à parler de l'état actuel de la Marine, parce que j'aimerais bien mieux parler davantage de la façon dont nous devons nous y prendre pour façonner la Marine qui sera la nôtre dans 10 ans ou 15 ans.

Le sénateur Kenny : On n'a même pas parlé des sous-marins dans le dernier programme de construction. Il n'en est pas question pour l'avenir. Nous savons que cela va coûter une fortune pour les garder fonctionnels, et ils se sont révélés être des citrons. On peut bien utiliser le Windsor, mais regardez le dossier des autres vaisseaux, ils ont passé des centaines de jours en mer. C'est effarant.

Je dis tout simplement que nous avons besoin de sous-marins. Il faudrait se doter de bons sous-marins, capables, peut-être comme le sous-marin allemand 212, mais nous devrions prendre une décision dans ce dossier dès maintenant plutôt que de miser de nouveau sur ce qui s'est révélé être un mauvais cheval.

Vam Robertson : Je suis tout à fait d'accord, il nous faut des sous-marins, rien de surprenant de ce côté. Mais je laisserais les représentants de la Marine d'aujourd'hui parler des moyens de préparer l'avenir. Je crois que nous sommes d'accord quant à ce dont l'avenir aura l'air.

Le sénateur Kenny : Ils ont essayé, et ils n'ont pas réussi.

M. Boutilier : Je pourrais peut-être donner un peu de contexte. Je pense surtout aux régions de l'océan Indien et de l'océan Pacifique. Presque tous les pays de cette région, bordée de deux immenses océans, s'intéressent aux sous-marins, qu'il s'agisse des Vietnamiens, qui se sont dotés des sous-marins Kilos russes, ou encore des Australiens, qui vont faire passer de 6 à 12 le nombre de leurs sous-marins, les Japonais, les Sud-coréens et les Chinois, qui ont aujourd'hui environ 65 sous-marins et qui les construisent probablement deux fois plus vite que les Américains. La marine indienne, qui est une force critique à laquelle nous devrions peut-être accorder davantage d'attention, s'intéresse aux vaisseaux conventionnels et nucléaires. Il y a probablement 200 sous-marins opérationnels dans les océans Indien et Pacifique, et cette flotte deviendra de plus en plus un étalon dans les régions où nous menons des opérations.

Mais, si nous laissons de côté les qualités ou les défauts de la classe Victoria, il est absolument essentiel de réfléchir à la façon dont nous pouvons nous aussi nous doter de sous-marins, étant donné qu'ils auront un rôle important à jouer du côté de nos relations avec nos amis et nos partenaires.

Capv Harsch : Je crois moi aussi que, si nous abandonnions les sous-marins de la classe Victoria, nous nous retrouverions dans la même position que celle où nous étions il y a 15 ans, quand nous avons mis hors service les Oberon, trop tôt, parce que nous allions avoir des sous-marins de la classe Victoria.

Le sénateur Kenny : Je veux dire que nous ne devrions pas continuer à les améliorer; nous devrions passer à quelque chose de tout à fait différent. Je ne voulais pas dire de tout abandonner maintenant.

Le sénateur White : Merci à tous d'être ici. C'est un plaisir de vous voir.

Parlons du point de vue de la Marine; l'an dernier, j'ai participé aux travaux d'un groupe de réflexion, en Australie, et il a beaucoup été question de la mer de Chine méridionale, en particulier des activités de la Chine dans l'océan Pacifique; au Canada, au contraire, nous ne parlons presque jamais de cela.

Est-ce que quelqu'un parmi vous peut nous donner son point de vue sur la façon dont notre politique étrangère devrait être harmonisée avec notre politique de la défense en ce qui concerne nos relations avec la Chine, du point de vue maritime, si elles sont harmonisées? Si elles ne le sont pas, que devons-nous faire?

M. Boutilier : Je vais me risquer à répondre.

Je crois que, entre 1991 et 2011, disons, nous avions adopté, dans le cas de l'Asie, une approche qui consistait, selon moi, à faire le mort. Nous sommes tout simplement tombés endormis et nous n'avons rien voulu voir des preuves indubitablement convaincantes de ce qui se passait, de la croissance des capacités de la Chine, non seulement sur le plan économique, mais dans le domaine maritime. En réalité, ce dernier quart de siècle, nous avons vu soudain émerger une Marine capable de plus en plus de mener des opérations partout dans le monde et qui rivalise avec la marine des États-Unis au chapitre du nombre de vaisseaux.

On peut bien lancer une discussion théologique sur la capacité de la Marine, et tout cela, sur le manque de transporteurs, mais il s'agit ici d'un essor proprement révolutionnaire, l'apparition subite d'une Marine de catégorie mondiale dans l'océan Pacifique, en un quart de siècle, qui se construit à un rythme alarmant. En fait, nous pourrions tout aussi bien penser à la marine indienne, qui affiche 44 navires sur les livres de commandes. C'est d'une envergure vraiment troublante.

Revenons-en à la Chine; je crois que depuis 2011, nous sommes entrés dans ce que j'appellerais l'ère Potemkine. Nous avions maîtrisé la rhétorique, mais il n'y avait pas de substance. Je crois que c'est en partie l'héritage de l'ère Harper, et M. Trudeau et ses collègues sont déterminés à renverser la vapeur.

Il n'est pas facile de faire des affaires avec la Chine, pour toutes sortes de raisons que vous connaissez probablement très bien. Que faisons-nous dans le dossier de sa marine? Tout ce qu'il nous est possible de faire, c'est de nous servir de notre Marine de la manière traditionnelle, en faisant de la diplomatie maritime. Mais nous voyons bien, dans les océans Indien et Pacifique, qu'une coalition de marines est en train de voir le jour — les Australiens, les Japonais, les Américains, les Indiens, et mêmes les Vietnamiens — qui ont tous l'œil sur ce que la Chine prépare, étant donné que les Chinois sont de plus en plus actifs et dynamiques en mer, comme vous le savez si vous avez lu les documents sur la mer de la Chine méridionale.

C'est pour nous un problème : quelle devrait être notre politique étrangère, notre politique de la défense? Nous devons avoir des relations avec la Chine, mais il y a en réalité des limites. Ça n'est pas facile, mais nous n'avons pas réfléchi comme il le faut, sous l'angle de la politique étrangère, à la forme que doivent prendre nos relations avec la Chine.

La mission Trudeau en Chine est un bon début, mais le véritable problème, pour nous — et cela a toujours été un problème pour les Canadiens — est de trouver la façon de poursuivre sur cette lancée. Nous avons la fâcheuse tendance à papillonner, et nos interlocuteurs asiatiques n'ont pas manqué de le remarquer. Ils sont d'une politesse exemplaire, mais ils ne sont pas du tout convaincus que nous sommes véritablement engagés.

C'est une question de priorités. De combien de pays d'Asie désirons-nous nous occuper?

J'ai discuté avec de hauts fonctionnaires de la Colombie-Britannique qui s'efforçaient de percer les marchés chinois. Je leur ai dit : « Savez-vous que le marché que vous avez cerné, en Chine, compte autant d'habitants que l'Allemagne en entier? Vous allez devoir restreindre vos ambitions. »

Nous devons modérer nos ambitions, car nous sommes une puissance intermédiaire; dans le domaine maritime, nous ne sommes même plus une puissance intermédiaire; nous sommes de plus en plus une puissance de troisième niveau. Nous devons modérer nos ambitions et réfléchir à ce que nous voulons vraiment réaliser. Il y a dans la région des nations très désireuses d'établir une relation plus solide avec nous, que ce soit les Japonais, les Australiens ou qui que ce soit.

Des occasions s'offrent à nous. Nous devons établir un plan, nous devons le respecter, et nous devons être agressifs, dans le bon sens de ce terme.

Vam Robertson : J'aimerais ajouter un petit détail à ce contexte; c'est que, pour le moment, la Chine et les États-Unis sont en désaccord à propos d'un aspect fondamental de l'ordre fondé sur des règles internationales. Pensez au fait que 70 p. 100 du monde est recouvert d'eau et que les pouvoirs des États souverains s'étendent à des milles de leur littoral respectif; c'est la Charte et les traités des Nations Unies, et en particulier la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, qui définissent l'ordre fondé sur des règles internationales en mer.

Considérez que cette convention est, dans les faits, la constitution s'appliquant aux océans; à l'heure actuelle, l'interprétation de ce traité, auquel tous les participants ont souscrit, fait l'objet d'un désaccord entre les États-Unis et la Chine, et la Chine essaie toujours de mettre en œuvre une stratégie qui, avec le temps, lui permettra d'avaler la mer de Chine méridionale et une partie, peut-être, de la mer de Chine orientale, privant ainsi les États-Unis d'un accès à cette région.

Je suis heureux de voir qu'on m'approuve, à ma gauche.

Que se passe-t-il lorsque nos deux plus importants partenaires commerciaux sont en désaccord au sujet de l'ordre fondé sur les règles internationales, situation dans laquelle nous nous retrouvons aujourd'hui? Si ce conflit passait du désaccord à une rupture des relations — une éventualité que les deux parties essaient évidemment d'éviter, mais rien n'est réglé d'avance d'une manière ou d'une autre —, que se passerait-il et de quelles capacités un pays devrait-il se doter pour être en mesure d'intervenir dans un monde où il y a une sorte d'entente, en Asie, où il y a ce type de désaccord quant à l'utilisation des mers, qui est vu de manière légèrement différente par les autres grandes puissances, ce qui cause des problèmes actuellement à l'OTAN? Il y a donc deux camps, et le désaccord est fondamental. La Russie a tendance à intervenir à la fois en mer et sur terre, mais elle aussi conteste l'ordre fondé sur les règles internationales. Cela devrait réellement nous inquiéter et nous guider quant au type de Forces armées que nous voulons mettre sur pied pour l'avenir.

La sénatrice Jaffer : Pendant que je me préparais, pour cet après-midi, je n'ai jamais — et cela tient peut-être à mon expérience — jamais vu la Marine vraiment participer à des opérations de maintien de la paix, du moins là où je suis allée.

Ce qui m'intéresse, en réalité, c'est quand vous parlez de l'avenir. Je crois que la Marine a un rôle très important à jouer dans l'Arctique. J'aimerais beaucoup que vous parliez davantage du rôle que la Marine pourrait jouer, à votre avis, car il semble que nous pourrions avoir quelques problèmes en Arctique. Je crois vraiment que la Marine y jouera un rôle très important, et j'aimerais beaucoup savoir ce que vous avez à dire à ce sujet.

Vam Robertson : En ce qui concerne la sécurité maritime, dans cette région, les marins naviguent en eau libre, et il semble qu'il y aura davantage à l'avenir d'eau libre, non seulement dans les régions de l'Arctique que nous considérons comme étant les nôtres, mais dans l'ensemble de l'Arctique. Donc, à cet égard, il importe peu pour les marins de se trouver au large de Halifax ou au large de Victoria. Quand il s'agit d'assurer la sécurité maritime, dans une région quelconque, peu importe que l'on se trouve à 12 milles de la côte ou à une distance stratégique dans l'Extrême-Arctique, puisque, par la voie des eaux, Halifax est plus loin de l'Extrême-Arctique que de l'Europe.

Le véritable défi, donc, c'est l'absence de soutien, la distance et les dimensions. Pensez à la distance entre l'Alaska et le Groenland. Il semble que nous allons bientôt avoir dans cette région un nouveau littoral, plus long que ceux des côtes Est et Ouest. Nous allons bientôt voir, en effet, un littoral aussi long que la distance entre Halifax et la Floride. Ce sont des considérations de ce type que nous devons avoir à l'esprit au moment de déterminer ce qu'il faudra pour soutenir non seulement la Marine, mais l'ensemble des rôles que jouent les Forces armées dans l'Extrême-Arctique.

La sénatrice Jaffer : Je lisais quelques documents à ce sujet, et j'ai remarqué que les Inuits disent, entre autres, qu'ils n'ont pas énormément été consultés par la Marine. J'aimerais savoir si vous aviez un commentaire à faire à ce sujet. Vous n'êtes peut-être pas au courant.

Vam Robertson : Non. Je crois que je laisserai cela à la Marine, aujourd'hui, et que je me contenterai de dire que la Marine a dressé des plans afin de se renseigner le plus possible au sujet de l'Arctique. Elle a participé aux travaux entrepris pour retrouver les bateaux de Franklin. Elle a affecté de ses marins à des navires de la Garde côtière afin qu'ils puissent apprendre, et je crois qu'ils apprennent toutes sortes de choses, et très rapidement, avant de prendre livraison des navires de patrouille extracôtiers et de l'Arctique. Une fois que ces navires seront entre les mains de la Marine, la formation ne s'arrêtera pas.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Ma question s'adresse au vice-amiral Robertson. Lorsqu'on observe les autres nations, on constate que les Russes et les Chinois investissent tout de même dans leur marine. Comment entrevoyez-vous l'avenir de la Marine canadienne au cours des 10 prochaines années?

Vam Robertson : Par rapport à ces deux nations?

Le sénateur Dagenais : J'ai cité ces deux nations, mais on sait que, récemment, les Français se sont dotés d'un nouveau navire de guerre. On regarde ce qui se passe dans les autres pays, et je pense que plusieurs pays investissent dans les navires de guerre. J'ai vu un reportage dans lequel on disait que les Français venaient d'acquérir un nouveau navire de guerre tout à fait moderne. Je crois que le Canada ne devrait pas être en reste. Cependant, comment doit-on envisager l'avenir, du moins pour les 10 prochaines années?

[Traduction]

Vam Robertson : Pour les 10 prochaines années, monsieur le sénateur, je dirais que, en réalité, nous avons déjà tracé notre voie pour les 10 prochaines années. Il ne faut pas oublier que, dans l'environnement maritime, les choses changent lentement. Nous nous sommes engagés dans la Stratégie nationale de construction navale, et cette stratégie comporte bien des avantages. Elle nous a permis, comme vous le savez probablement, de commencer à construire le navire de patrouille extracôtier et de l'Arctique. Ma seule observation, ce serait qu'il faudrait avancer et prendre des décisions dans le dossier des bâtiments de guerre de surface; autrement dit, il faut qu'il y ait une volonté politique, ou qu'il y ait une volonté, ici à Ottawa, à faire avancer ce dossier et, évidemment, à construire les navires de ravitaillement ainsi qu'un brise-glace adapté à l'Arctique pour la Garde côtière de la côte Ouest.

Mais en réalité, si vous voulez parler de la courroie qui nous amènera aux 10 prochaines années, c'est déjà commencé. Les prochaines décisions auront trait à la modernisation des sous-marins, à l'achat d'aéronefs de patrouille maritimes et ainsi de suite.

M. Boutilier : Mais je crois qu'il est important, monsieur le sénateur, de comprendre que, dans un grand nombre des nations clés vers lesquelles nous pouvons nous tourner, les budgets de la défense augmentent, ils ne sont pas gelés, et ils ne diminuent pas; ils augmentent, et c'est un message. Si vous voulez des actifs, vous devez être prêts à creuser plus profondément.

Vam Robertson : J'ajouterais tout simplement que c'est exactement cela. En fait, partout en Asie, non seulement les budgets de la défense augmentent, mais les budgets de la Marine augmentent beaucoup plus que les budgets de la défense, puisque divers pays, y compris la Chine, privilégient les investissements dans les forces marines et les forces aériennes qui leur permettront de mettre leur stratégie en œuvre.

[Français]

Le sénateur Carignan : Je vous ai écouté attentivement, et je crois comprendre que, en ce qui concerne notre étude sur les opérations de maintien de la paix ou la stratégie, nous avons assez d'éléments à traiter actuellement, avec la protection de nos côtes, la protection de l'Arctique, le développement futur et les autres éléments de défense liés à l'OTAN.

Il faut arrêter de disperser nos efforts et d'aller n'importe où, et nous concentrer sur les éléments essentiels du Canada, qui sont notamment la protection de l'Arctique et des côtes. Est-ce ce que je comprends?

[Traduction]

Vam Robertson : Ce sont les forces maritimes qui défendent en mer l'ordre fondé sur des règles internationales, et elles utilisent leurs capacités opérationnelles en mer pour contribuer aux solutions sur terre. Il n'y a rien qui nous empêche, dans la situation où nous sommes, d'envoyer des navires pour qu'ils participent aux opérations de maintien de la paix comme nous le faisons depuis 25 ans; la seule chose, c'est que notre capacité diminue et qu'il y a certains autres risques et conséquences que j'ai déjà soulignés.

Mais la capacité d'utiliser la mer pour faire respecter les résolutions et les embargos du Conseil de sécurité des Nations Unies, pour faire face aux menaces à la sécurité maritime comme les pirates, les terroristes, les trafiquants de drogues et les passeurs de clandestins, cela existe toujours, et toutes les marines le font.

J'aimerais vous demander si c'est la bonne direction; vous pouvez peut-être continuer.

[Français]

Le sénateur Carignan : Oui, mais de ce que je comprends, nous devons mesurer nos engagements en fonction de nos moyens qui, actuellement, sont limités et se détériorent, alors que les besoins au sein du Canada augmenteront de façon phénoménale, particulièrement en raison de l'Arctique.

[Traduction]

Vam Robertson : Dans une autre perspective, alors, il s'agit non pas tant de la Marine d'aujourd'hui, mais de la Marine et des Forces armées que nous aurons dans les années qui viennent si nous ne voulons pas changer les niveaux de financement actuels. Je suis d'accord, le gouvernement doit toujours conserver la confiance des Canadiens quant à sa capacité de défendre le pays, et conserver aussi la confiance de nos partenaires américains, en ce qui concerne nos approches continentales en matière de défense.

En ce sens, le maintien de forces navales et aériennes qui font respecter des approches continentales dans les airs, sur mer et sur terre, sur les trois océans, est une tâche fondamentale. C'est un point de départ pour la défense. Pensez aux technologies que d'autres pays vont finir par mettre à profit et pensez aux avantages — j'appelle cela des « avantages » — des changements climatiques, c'est-à-dire à ce nouvel océan ouvert; il me semble que la défense de nos approches continentales devrait être le point de départ de notre programme de la défense, qui devrait être assorti d'un budget de 1 p. 100 du PIB, étant donné qu'il faudra apporter des changements.

Je dirais donc que nous devrions envisager un transfert des ressources en capital, pour soutenir la mise à niveau des navires de combat, et aussi, en même temps, modifier l'infrastructure et la structure du personnel, des opérations et de la maintenance pour avoir la capacité nécessaire à cette approche continentale.

[Français]

Le sénateur Carignan : On parle de défense côtière, mais aussi de recherche et sauvetage. Je me souviens avoir été témoin d'une évacuation par l'armée chilienne d'une personne en difficulté sur un bateau de croisière. Plus il y a de bateaux de croisière qui se promènent sur les côtes Est et Ouest et sur le passage du Grand Nord, plus on doit avoir la capacité d'intervenir. Les distances font en sorte qu'il sera impossible d'intervenir si on ne prévoit pas d'investissements majeurs pour protéger la vie des Canadiens et des visiteurs qui naviguent sur ces cours d'eau.

[Traduction]

Vam Robertson : Bien sûr. Ces opérations sont pour la plupart effectuées par la Garde côtière, mais la Garde côtière elle aussi a besoin d'investissements, au fil du temps, pour être en mesure de faire ce que vous décrivez.

Pour la capacité aérienne : il nous faudra absolument avoir la capacité d'intervenir puisque le trafic augmente, comme vous venez de le dire, oui.

[Français]

Le sénateur Carignan : Ne devrions-nous pas dépolitiser l'approvisionnement en matière d'infrastructures et d'équipements, parce qu'il y a une alternance, ici au Canada, de 8 ans à 12 ans de gouvernement? Un gouvernement peut décider d'en faire une priorité, et le temps que les décisions se prennent pour faire les acquisitions et les choix, il arrive un autre gouvernement qui gouvernera pendant 8 ans ou 12 ans. Ce dernier n'aura pas les mêmes priorités, alors il réduira les investissements ou annulera certaines commandes ou n'utilisera pas les équipements selon les objectifs pour lesquels ils avaient été construits ou commandés 8 ans ou 12 ans auparavant. Ainsi, nous sommes toujours dans un état où il n'y a pas de concordance entre la commande des équipements et leur utilisation sur le terrain lorsque les besoins se font sentir. Est-ce qu'on ne devrait pas dépolitiser la procédure?

[Traduction]

Le président : Nous devons nous limiter à une seule réponse; il y a un certain nombre d'autres sénateurs qui ont eux aussi des questions à poser.

Vam Robertson : Je vais répondre rapidement.

Du point de vue des Forces maritimes, ces changements de gouvernement ont toujours représenté un défi puisque les acquisitions, par leur nature même, prennent au moins 10 ans. La Stratégie nationale de construction navale procure un autre avantage, en conséquence, puisqu'elle établit une approche bipartite touchant l'acquisition des vaisseaux de la Garde côtière et de la Marine qui fait que nous ne nous retrouverons pas dans la situation où nous étions il y a plusieurs années et qui perdure.

La seule chose, c'est que le gouvernement en place pourra décider des derniers détails des vaisseaux qui seront construits pendant son mandat, mais, du moins, il sera disposé à poursuivre la construction navale. Le gouvernement en place a bien sûr tout à fait le droit de décider de ce qui sera construit.

Le président : L'heure passe plus vite que je ne le pensais. S'il vous plaît, soyez brefs lorsque vous formulez votre question et lorsque vous y répondez.

La sénatrice Beyak : Merci, messieurs, de vos lumières et de votre sagesse. J'espère que nous pourrons en intégrer une fraction dans notre rapport. Nous sommes très chanceux de vous recevoir.

Ma question concerne le recrutement. Quels changements avez-vous constatés dans le mode de recrutement des cadets ou de la Marine royale canadienne? Est-ce que notre stratégie actuelle est une bonne stratégie?

Vam Robertson : Si votre question concerne les cadets de la Marine royale canadienne, je crois que M. Harsch serait mieux placé pour y répondre.

Capv Harsch : Le programme des cadets de la Marine est relativement stable. Le rythme de croissance n'est pas tout à fait celui que nous voudrions. Il est un peu tôt pour commenter la situation, tout simplement parce que le programme des cadets, qui est le même pour les cadets de l'Air et les cadets de l'Armée, est parrainé par le ministère de la Défense nationale. Le ministère est en train de renouveler à un rythme assez soutenu le programme des cadets et rangers juniors. Nous n'en sommes pas encore rendus là, mais nous avons l'intention d'apporter des améliorations et de régler certains des problèmes que nous connaissons et que nous avons signalés aux diverses ligues des cadets depuis un certain nombre d'années.

Nous espérons que le renouvellement du programme des cadets portera ses fruits, mais nous ne pouvons pas encore faire le point.

L'autre chose, quand on parle de recrutement à partir du programme des cadets de la Marine, pour les Forces navales, c'est que nous ne faisons pas le recrutement pour les Forces armées. Nous sommes un programme axé sur le leadership et la citoyenneté. Les cadets de la Marine, de leur côté, finiront peut-être par servir dans les Forces de réserve ou dans la Force régulière. J'ai moi-même été un cadet de la Marine, mais ce n'est absolument pas pour cette raison que le programme des cadets existe. C'est un programme pour les jeunes.

Le sénateur Meredith : Monsieur, vous avez dit que la politique actuelle était très politique et qu'elle allait dorénavant le demeurer. Vous avez également parlé d'une politique d'acquisition lamentable. À votre avis — et je vous pose la question à vous trois —, quelle sorte d'investissements sera nécessaire si l'on veut s'assurer que nos flottes reviennent aux niveaux nécessaires?

Amiral Robertson, vous avez dit que nous n'étions même pas capables d'entretenir nos propres vaisseaux en mer, en particulier dans nos eaux à nous. Cela m'inquiète un peu, et je crois que cela inquiète l'ensemble des Canadiens.

Le sénateur en face m'a dit qu'il était préoccupé par la question des acquisitions et des changements politiques, du fait que les partis politiques ont chacun leurs priorités et qu'ensuite, ces priorités changent.

Combien cela coûtera-t-il? C'est la question principale. Ensuite, que faudra-t-il faire pour élever nos niveaux?

M. Boutilier : Pour répondre à votre question, la première chose, c'est que c'est urgent. Je ne sens aucun sentiment d'urgence dans tout cela. Nous laissons les choses aller, comme si nous étions des somnambules, et la culture que nous avons créée a beau être inclusive et compter plusieurs couches, personne n'est responsable. Nous devons simplifier le processus, le rendre plus rapide et mieux adapté.

Je ne connais pas la réponse à votre question principale, combien il en coûtera au total pour y arriver. Je vous suggérerais de prendre connaissance de l'analyse qu'a faite mon collègue David Perry, qui a tout calculé et en est arrivé à une estimation prudente de notre situation du côté des acquisitions pour la défense.

À mes yeux, tout cela est extrêmement insatisfaisant. Les contribuables n'en ont tout simplement pas pour leur argent, et le personnel des Forces armées canadiennes n'a pas l'équipement dont il a besoin. Nous ne nous donnons pas les moyens de nous doter de l'équipement nécessaire de façon à pouvoir faire des projets cohérents pour l'avenir.

Je suis désolé de ne pas pouvoir vous donner un coût en dollars, mais en vérité, nous allons devoir agir et adopter une culture en matière d'acquisition pour la défense beaucoup plus dynamique que celle d'aujourd'hui.

Vam Robertson : Vous avez reçu au printemps un ancien sous-ministre adjoint, M. Dan Ross. J'ai pris connaissance de son témoignage. Il a raison quand il parle de responsabilisation. C'est-à-dire que les gens qui ressentent la perte de capacités — en l'occurrence, la Marine — n'ont aucune responsabilité touchant l'exécution du programme; elle est éparpillée sur plusieurs ministères. Cela ne me dérange pas, mais ce que Dan Ross faisait valoir, c'est que les responsabilités sont éparpillées sur plusieurs ministères et que le problème concerne la volonté politique de régler ce problème à long terme et aussi d'amener les gens à comprendre que la Marine n'a pas un problème de vaisseaux : c'est le gouvernement qui a un problème de sécurité. Voilà la clé de l'affaire. Voilà à quoi la volonté politique doit servir, et c'est ainsi que l'on obtient des résultats. Cela ne change rien au fait, cependant, que la Marine a un problème de navires.

Capv Harsch : Je crois que cela nous ramène à notre notion du Canada comme État maritime et à ce que nous désirons, en tant que nation maritime. Évidemment, nous sommes d'avis que la Marine, c'est important. Mais la construction navale coûte extrêmement cher. Le coût unitaire d'un vaisseau est stupéfiant par rapport au coût de construction des appareils des Forces de l'air ou de terre, même si ceux-ci augmentent aussi. Malheureusement, nous ressemblons presque à trois chiens affamés qui se disputent le même os, quand il est question de l'approvisionnement militaire.

Il faut cependant savoir que la Marine a beau coûter extrêmement cher, elle peut être déployée à relativement peu de frais. Nous pouvons nous déployer à très court préavis, une affaire de jours ou d'heures, dans certains cas, et être opérationnels sur nos côtes ou ailleurs, et les navires durent très longtemps. Ils durent 25, 35 et dans certains cas 45 ans. Il s'agit d'un enjeu politique et il faut le régler, tout simplement.

Vam Robertson : Rien n'est plus complexe, pour le Canada, que la plateforme d'acquisition d'un vaisseau de guerre moderne. Cette complexité entraîne des risques de toutes sortes. Vous avez entendu Dan Ross parler des risques associés au calendrier par opposition à la responsabilisation; pourtant, ces risques, qu'ils soient de nature financière ou juridique, qu'ils touchent la réputation, et tout le reste, pour les gens qui essaient de construire ou d'acquérir de nouveaux vaisseaux pour l'avenir, de manière générale, ont pour pendant les risques opérationnels et les risques pour la sécurité d'un pays. La question est de savoir comment utiliser la volonté politique de façon que les gens acceptent les risques inévitables liés à la construction de navires aujourd'hui de façon à réduire les risques opérationnels qu'entraînerait le fait de ne pas avoir de navires à l'avenir.

M. Boutilier : J'aurais deux courtes observations à faire au sujet de ce que M. Harsch vient de dire.

Je crois que, pour acheter un grand aéronef de transport, cela prend en tout six semaines. C'est impossible quand il s'agit d'un vaisseau. Il faut vraiment beaucoup de temps pour construire un vaisseau et, comme il l'a laissé entendre, il faut penser à la postérité. Une décision prise aujourd'hui a une incidence sur la forme qu'aura la Marine en 2050. C'est en réalité notre horizon.

Ensuite, c'est que je crois, à parler franchement et à titre personnel, que les gouvernements ont tous, l'un après l'autre, échoué lamentablement à expliquer au public ce qu'est la comptabilité sur un cycle de vie. C'est comme si on disait qu'une Honda Civic coûtait à l'achat 300 000 $. Je ne connais personne, au Canada, qui ne blêmirait pas à l'idée, mais il faut savoir que nous intégrons à ce coût total chaque rivet, chaque gallon d'essence, et tous les coûts d'exploitation des 35 prochaines années. Il est certain que cela semble une somme énorme. Mais nous n'avons pas expliqué au public d'où vient cette somme ni comment nous en arrivons à déterminer qu'il faudra X milliards de dollars pour constituer une flotte. C'est une chose que nous n'avons pas faite.

Le président : Monsieur Boutilier, je crois que c'est un point très pertinent. Le vérificateur général veut maintenant que la comptabilité se fasse sur le cycle de vie, qu'il s'agisse d'acheter un vaisseau ou d'acheter une école. Quand les gens entendent de quels chiffres il est question, ils ne peuvent croire qu'un navire coûte autant. Ils ignorent complètement qu'il s'agit d'un cycle de vie de 45 ans. Je crois, franchement, que le Parlement et le gouvernement doivent faire preuve de volonté politique et demander au vérificateur général de revoir ce principe général, de façon que le public ne soit pas troublé lorsque l'on parle du coût des navires, des tanks ou des autres équipements que le gouvernement achète.

Cela dit, chers collègues, la journée a été longue. J'aimerais remercier nos représentants de s'être présentés aujourd'hui et d'avoir répondu à nos questions. Nous apprécions vraiment beaucoup le service qu'ils rendent à notre pays, à la Marine royale canadienne et en particulier aux cadets de la Marine. Le public n'en entend pas aussi souvent parler qu'il le faudrait. Franchement, s'il n'en tenait qu'à moi, il y aurait une campagne de publicité beaucoup plus large, qui permettrait aux diverses organisations, peut-être, de recruter davantage de jeunes Canadiens; il s'agit tout simplement d'un excellent programme.

(Le comité s'ajourne.)

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