Aller au contenu
AEFA - Comité permanent

Affaires étrangères et commerce international

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et du commerce international

Fascicule no 4 - Témoignages du 13 avril 2016


OTTAWA, le mercredi 13 avril 2016

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd'hui, à 16 h 17, pour étudier les relations étrangères et le commerce international en général (sujet : les accords commerciaux bilatéraux, régionaux et multilatéraux pour le Canada : perspectives pour le Canada).

La sénatrice A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Chers collègues, le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international est autorisé à étudier les questions susceptibles de survenir relativement aux relations étrangères et au commerce international en général. Dans le cadre de ce mandat, le comité entendra aujourd'hui des témoignages sur les perspectives pour le Canada liées aux accords commerciaux bilatéraux, régionaux et multilatéraux.

À ce jour, le comité a tenu plusieurs séances sur ces questions et il a entendu le témoignage d'universitaires, d'experts et de représentants du gouvernement. Le comité est heureux de poursuivre cette étude et d'avoir l'occasion d'entendre d'autres témoignages cet après-midi.

Au nom du comité, permettez-moi d'accueillir deux représentants de l'Alliance canadienne du commerce agroalimentaire : M. Martin Rice, membre du Conseil de direction et directeur exécutif du Conseil canadien du porc, et Mme Claire Citeau, directrice générale. Les membres du comité ont reçu le mémoire déposé par l'ACCA. Sans plus tarder, je vais inviter Mme Citeau à faire son exposé. Monsieur Rice, allez-vous répondre aux questions?

Martin Rice, membre du Conseil de direction et directeur exécutif, Conseil canadien du porc, Alliance canadienne du commerce agroalimentaire : Oui.

La présidente : Nous aimons entendre les déclarations préliminaires de nos invités. Les sénateurs, eux, aiment poser des questions, alors je suis sûre que nous pouvons satisfaire tout le monde et vous permettre de faire votre exposé au complet. Bienvenue au comité. Nous vous écoutons.

[Français]

Merci de m'avoir invitée, et d'avoir invité l'Alliance canadienne du commerce agroalimentaire, l'ACCA. Comme vous l'avez mentionné, je suis accompagnée aujourd'hui d'un de mes directeurs, M. Martin Rice. L'ACCA —

[Traduction]

— ou ACCA en anglais, l'Alliance canadienne du commerce agroalimentaire est le porte-parole des exportateurs agricoles et agroalimentaires du Canada. L'ACCA est une coalition d'organisations qui unissent leurs efforts en vue de favoriser un environnement commercial international plus ouvert et plus équitable pour le secteur agricole et agroalimentaire. Nos membres sont des agriculteurs, des producteurs et des exportateurs qui œuvrent dans les principaux secteurs tributaires du commerce, notamment le bœuf, le porc, les céréales, les oléagineux, le sucre, les légumineuses, le soja et le malt.

Les membres de l'ACCA représentent plus de 90 p. 100 des exportations agricoles et agroalimentaires canadiennes, soit environ 50 milliards de dollars en exportations par année. L'activité économique générée par nos membres permet de soutenir des centaines de milliers d'emplois au pays.

L'ACCA travaille principalement sur des accords commerciaux multilatéraux et régionaux. Ce que j'aimerais bien faire comprendre au comité aujourd'hui, c'est l'importance d'un accès concurrentiel aux marchés mondiaux pour la viabilité future de nos secteurs axés sur les exportations. Le monde évolue constamment. Pourquoi une entreprise de transformation d'aliments du Manitoba devrait-elle accepter d'avoir un moins bon accès aux marchés qu'une entreprise semblable du Dakota du Nord? Pourquoi un fermier d'Australie a-t-il un meilleur accès aux marchés qu'un fermier du Québec? Un accès concurrentiel signifie que les producteurs et les exportateurs canadiens ont un accès au moins égal à l'accès dont jouissent les exportateurs agricoles de l'Australie, des États-Unis ou d'autres pays concurrents. Un accès concurrentiel dépend des accords de libre-échange qui réduisent ou éliminent les barrières tarifaires et non tarifaires.

Parce que le Canada bénéficie de conditions propices à une production agricole qui dépasse largement les besoins alimentaires de sa population, le secteur agricole et agroalimentaire canadien repose, en majeure partie, sur les exportations. Nous exportons plus de la moitié de ce que nous produisons, notamment la moitié de notre bœuf, 65 p. 100 de notre soja, 70 p. 100 de notre porc, 75 p. 100 de notre blé, de 90 p. 100 de notre canola, 95 p. 100 de nos légumineuses et 40 p. 100 de nos produits transformés.

Quatre-vingt-dix pour cent des agriculteurs de tout le pays dépendent des exportations. Ils exportent leurs produits directement ou ils les vendent au pays à des prix établis par les marchés internationaux.

Les débouchés à l'exportation favorisent la croissance. Au cours des 10 dernières années, nos exportations ont augmenté de 77 p. 100. Cela se traduit en revenus et en croissance pour tout le monde qui participe au commerce agricole et agroalimentaire au pays.

Dans le contexte mondial actuel, l'Organisation mondiale du commerce continue de servir de fondement au commerce international. Bien que le Programme de Doha pour le développement ne progresse pas comme nous l'aurions espéré, l'OMC demeure la meilleure tribune pour la réalisation de gains mondiaux justes et réciproques en commerce international. L'OMC demeure aujourd'hui la seule tribune pour aborder la question des subventions intérieures et de la concurrence à l'exportation. De plus, l'OMC fixe les règles et demeure la principale institution de règlement des différends.

Cependant, le régime de politique commerciale mondiale demeure incertain pour les produits agricoles. L'agriculture a toujours été un domaine très délicat en ce qui concerne la libéralisation du commerce international en raison de son importance pour la sécurité alimentaire nationale et le développement rural et de sa dépendance au climat et à la nature.

En moyenne, dans le monde, les droits de douane sur les produits agricoles sont supérieurs à ceux imposés aux produits manufacturés. L'agriculture représente une part disproportionnellement importante des différends commerciaux, et sa part des plaintes portant sur les normes sanitaires et phytosanitaires et sur les obstacles techniques au commerce est en augmentation constante.

Aujourd'hui, nous sommes entrés dans une ère de libéralisation concurrentielle du commerce, dans laquelle les pays se font concurrence pour obtenir un accès préférentiel au moyen d'accords de libre-échange régionaux et bilatéraux. Pas moins de 620 accords commerciaux bilatéraux et régionaux ont été notifiés à l'OMC, dont plus de 400 sont en vigueur.

Il s'agit probablement de l'une des dernières tendances les plus importantes en commerce mondial. La libéralisation du commerce ne s'effectue pas toujours à la même vitesse et n'a pas toujours de la même ampleur. Il en résulte une multitude d'accords de libre-échange de portée variable, dont certains sont même négociés avec des pays qui ne sont généralement pas partisans du libre-échange. C'est le cas du Japon, qui fait partie du PTP, le Partenariat transpacifique.

Qu'est-ce que cela signifie pour nos secteurs qui dépendent du commerce? Cela signifie que la compétitivité sur les marchés internationaux n'est pas une option; c'est une nécessité. Aujourd'hui, la compétitivité de notre secteur dépend de la rapidité des négociations et de celle de la mise en place d'accès préférentiel ou équivalent à celui de nos concurrents sur les marchés visés.

Nous avons déjà vécu une telle expérience dans le cas de la Corée du Sud lorsque ce marché d'un milliard de dollars a été réduit de moitié presque du jour au lendemain, car des concurrents y ont eu accès, mais pas nous. Ces concurrents étaient, notamment, les États-Unis, l'Union européenne et l'Australie.

Aujourd'hui, les priorités pour les exportateurs agricoles et agroalimentaires du Canada sont les suivantes. Premièrement, il est primordial que le Canada ratifie rapidement le Partenariat transpacifique. L'ACCA soutient fermement le PTP et elle croit qu'il est essentiel à la viabilité future du secteur agricole et agroalimentaire canadien axé sur l'exportation.

La région couverte par le PTP absorbe 65 p. 100 de nos exportations. Elle comprend certains de nos grands marchés traditionnels, soit les États-Unis, le Mexique et le Japon — le grand prix —, mais aussi certains de nos plus importants concurrents, à savoir les États-Unis, le Mexique, le Chili et l'Australie, et plusieurs signataires ont déjà conclu entre eux des accords de libre-échange, ou ALE. Cela signifie que plus nous tardons, plus nous perdons des parts de marchés.

Au bout du compte, si nous ne faisons pas partie du PTP, mais que d'autres en font partie, nous perdrons bon nombre de ces marchés. La meilleure façon de mettre en œuvre l'accord rapidement, c'est de le ratifier sans tarder.

De plus, de nombreux pays de la région importante d'Asie-Pacifique ont exprimé le souhait de se joindre au PTP. Ce partenariat représente une excellente occasion de négocier les modalités d'entrée d'autres signataires éventuels, comme la Corée du Sud, la Thaïlande, Taïwan, les Philippines, l'Indonésie et peut-être même la Chine.

Deuxièmement, nous encourageons fortement le règlement des questions juridiques et politiques respectives liées à l'accord de libre-échange entre le Canada et l'Europe, l'AECG, tout en ayant les discussions techniques nécessaires pour que les avantages formulés de l'accord puissent aboutir à un accès commercialement viable pour tous les exportateurs canadiens.

Pour conclure, la croissance et la viabilité de l'industrie agricole et agroalimentaire canadienne dépendent, en grande partie, d'un accès concurrentiel aux marchés internationaux. Il sera essentiel de mettre en œuvre les accords de libre- échange conclus, de négocier de nouveaux accords commerciaux et d'élargir les relations commerciales dans les marchés cibles pour permettre à nos exportateurs d'avoir un accès prévisible et concurrentiel aux plus grands marchés du monde. Merci.

La présidente : Monsieur Rice, avez-vous quelque chose à ajouter, ou devrions-nous passer aux questions?

M. Rice : Passons aux questions, je vous prie.

La présidente : Merci pour les informations et, surtout, pour les statistiques. Je crois que nous en avions parlé, mais c'était dans le contexte d'un produit particulier, pour ainsi dire. Vous nous avez présenté des points de vue intéressants sous un tout nouvel angle. Je vous en remercie.

Le sénateur Oh : Selon Agriculture et Agroalimentaire Canada, près de la moitié de la valeur de la production agricole primaire au Canada est exportée sous forme de produits bruts et transformés. Certains témoins ont indiqué que les entreprises agroalimentaires canadiennes devraient produire plus d'aliments entièrement emballés, prêts pour la vente et destinés au marché d'exportation afin que cette valeur ajoutée puisse se refléter dans les ventes de leurs produits, et ce, à l'avantage du Canada. Sauriez-vous nous dire quelle proportion de ces produits à valeur ajoutée est exportée à partir du Canada?

M. Rice : Je suppose que la viande pourrait être considérée comme un produit à valeur ajoutée, en ce sens qu'il s'agit d'un produit dérivé d'un animal vivant et converti en aliment, mais je crois que vous parlez plutôt de produits emballés, prêts pour la vente au détail, et cetera.

Une des raisons pour lesquelles le Partenariat transpacifique est intéressant, c'est que, d'après certains membres de l'ACCA, cette entente réduira les désavantages sur le plan tarifaire que subissent les exportateurs de produits transformés. À l'heure actuelle, les droits de douane sur les produits bruts sont inférieurs à ceux sur les produits finis ou les produits de transformation ultérieure. C'est là un facteur à prendre en considération, car nous profiterons de modalités d'accès plus égales pour les produits transformés par rapport aux produits bruts.

Par ailleurs, je crois que nous aurons plus d'occasions de prendre des mesures comme des normes de vente au détail, des exigences en matière de transformation pour... à vrai dire, nous cherchons sans arrêt des possibilités d'harmoniser davantage les divers éléments du commerce agroalimentaire, de sorte que nous ne soyons pas désavantagés par rapport au marché intérieur. Donc, un des aspects importants des accords commerciaux, c'est qu'ils visent à accroître l'harmonisation.

Selon moi, le Canada devra aller de l'avant dans la mesure du possible pour que ces changements s'opèrent, mais l'industrie doit également agir en conséquence. C'est bien beau d'avoir des débouchés, mais encore faut-il en tirer profit.

Dans mon secteur, nous envisageons maintenant de favoriser une plus grande différenciation entre les produits. À une certaine époque, tout le monde produisait le même produit. Aujourd'hui, il existe des marchés qui répondent à des intérêts précis, comme le choix d'un certain régime d'alimentation ou la façon d'héberger les animaux destinés à la production alimentaire, et l'industrie s'adapte de plus en plus à ces occasions. Je crois que les accords commerciaux amélioreront les possibilités à cet égard.

Le sénateur Oh : Pensez-vous que le marché des produits prêts à l'utilisation soit disponible en Asie?

M. Rice : Le marché des produits prêts à la vente au détail est certainement disponible au Japon. Nous expédions de plus en plus de produits dans des emballages à atmosphère contrôlée. Il s'agit de produits qui n'ont jamais été congelés. Ils sont maintenus tout près du point de congélation, mais ils sont toujours frais parce qu'ils se trouvent dans un environnement où l'on a éliminé toutes les conditions susceptibles d'entraîner leur détérioration. Ces produits s'adressent particulièrement à ce type de débouchés, car ils sont prêts à être mis sur les tablettes.

Mme Citeau : Sur la question des produits bruts par rapport aux produits transformés, les accords de libre-échange permettent généralement de réduire la dépendance envers les marchés traditionnels et d'ouvrir des marchés où les entreprises peuvent obtenir un meilleur rapport qualité-prix pour des produits similaires. C'est le cas au Japon. Il s'agit d'un marché de grande valeur pour bon nombre de nos entreprises. Il en va de même pour l'Accord économique et commercial global, l'AECG. C'est un moyen non seulement de limiter le recours aux marchés traditionnel, mais aussi d'encourager une production adaptée aux besoins d'un marché particulier.

La présidente : Vous avez utilisé l'exemple du Japon. Nous étions censés entreprendre des négociations bilatérales, mais voilà que nous sommes maintenant en train de négocier le PTP. Les principes sont-ils les mêmes dans les deux cas? Y a-t-il une différence marquée, outre le fait qu'on a accès à un plus grand nombre de marchés? L'objectif est-il le même, selon qu'on vise à accéder au marché japonais par l'entremise du PTP ou par l'entremise d'un accord bilatéral?

M. Rice : Il s'agit du même objectif, je suppose, mais peut-être avec un effet de levier moindre. Dans le cadre du PTP, les Japonais ont amélioré considérablement l'accès à leur marché en raison des possibilités combinées qui s'offraient à eux; en effet, le Japon a pu obtenir des concessions d'autres pays, ce qui n'aurait pas été possible dans le cadre d'un accord bilatéral avec le Canada. Nous estimons qu'il sera certes important de reprendre les négociations sur un accord bilatéral avec le Japon s'il y a peu de chances que le PTP soit adopté par le Congrès américain, ce qui devrait avoir lieu peut-être l'année prochaine. Toutefois, si nous examinons la situation de nos autres concurrents qui ont conclu des accords de libre-échange avec le Japon, les résultats sont beaucoup plus modestes.

La présidente : Merci.

La sénatrice Poirier : Merci de votre présence et de votre exposé. Tout d'abord, mis à part l'AECG et le PTP, avec quels autres pays le Canada devrait-il entamer, selon vous, des pourparlers sur le libre-échange pour votre secteur précis?

Mme Citeau : Pour l'instant, le PTP et l'AECG constituent les principales ententes qui sont prévues pour notre secteur. Des discussions sont en cours au sujet d'un éventuel accord avec la Chine. L'Inde est également un marché important pour un grand nombre de nos entreprises. Nous ne disons pas que le Canada doit conclure un accord, mais il s'agit certes d'une éventualité que notre conseil envisage à ce stade-ci. En principe, l'expansion des débouchés commerciaux ne peut être que bénéfique.

La sénatrice Poirier : Du point de vue du secteur agroalimentaire, quels sont les points faibles de ces accords? Comment peut-on les corriger? Par ailleurs, quels aspects sont les plus importants pour votre secteur?

Mme Citeau : Les droits de douane constituent un des aspects les plus importants. Il s'agit certainement d'une des premières barrières tarifaires à éliminer. Dans le cas de l'AECG comme dans celui du PTP, un certain nombre de comités se pencheront sur les mesures liées aux normes sanitaires et phytosanitaires et aux obstacles techniques au commerce. Ces mesures reposent généralement sur les engagements pris à l'égard de l'OMC, mais plusieurs mécanismes seront instaurés pour abattre certaines barrières non tarifaires qui tendent à surgir dès qu'un accord de libre-échange est mis en œuvre. En gros, les droits de douane diminuent, mais les barrières non tarifaires augmentent. Ces accords permettront d'éliminer certaines de ces barrières non tarifaires, et c'est ce qui rend ces ententes plus modernes que les précédentes.

M. Rice : La question du soutien public n'est pas vraiment abordée dans les accords commerciaux. Il s'agit surtout d'un intérêt multilatéral propre à l'OMC. C'est l'une des raisons pour lesquelles nous considérons toujours l'OMC comme le fondement à notre système commercial et la tribune où régler ce genre de problèmes. Les gouvernements ne mettent pas ces questions à leur ordre du jour, si ce n'est dans le cadre de discussions multilatérales.

La sénatrice Cordy : Merci d'être des nôtres aujourd'hui. Nous exportons une grande quantité de produits dans le secteur agroalimentaire. C'est quelque chose de positif. Quand vous parlez de produits alimentaires transformés, entendez-vous par là des aliments surgelés comme les produits McCain? Que considérez-vous comme un produit alimentaire transformé destiné à l'exportation? C'est écrit ici que 40 p. 100 de nos produits alimentaires transformés sont exportés.

Mme Citeau : Cela peut être une foule de choses, allant des produits de boulangerie aux viandes transformées, y compris les viandes emballées sous forme de produits frais ou surgelés. L'huile de canola est également un produit transformé. Bref, c'est toute chose qui est transformée et qui n'est pas à l'état brut, c'est-à-dire qui ne provient pas directement d'un champ.

La sénatrice Cordy : Donc, tout ce qui est prêt pour la cuisson. Nous avons entendu des témoignages contradictoires au sujet du PTP et de l'AECG. Certains témoins ont dit que c'était la meilleure chose qui puisse arriver. D'autres, en revanche, ont affirmé que ce n'est pas très avantageux pour leur industrie. Vous avez dit que les deux accords seraient très bénéfiques pour le secteur agroalimentaire. Quels en seraient les principaux avantages pour le Canada, advenant la signature de ces accords?

Mme Citeau : En ce qui concerne l'AECG, si vous voulez connaître les chiffres précis, l'ACCA a évalué que les retombées possibles pour nos secteurs axés sur l'exportation entraîneraient des exportations supplémentaires de 1,5 milliard de dollars, ce qui n'est pas négligeable. Un des aspects importants de cet accord, c'est qu'il a été négocié avant que nos concurrents aux États-Unis aient achevé leurs négociations avec l'Europe. Ils poursuivent toujours les négociations. Pour nous, il s'agit d'un marché de 500 millions de personnes; c'est donc un marché de grande valeur pour bon nombre de nos produits. Et on parle là uniquement du marché européen.

Pour ce qui est du PTP, nous obtenons également certains avantages. Si vous y tenez, je pourrais dresser la liste des avantages précis pour chaque secteur. Nous pouvons passer en revue toutes les retombées. Le point plus important au sujet du PTP dans son ensemble, si nous tenons compte du contexte mondial et des pertes que nous avons subies sur le marché sud-coréen, c'est que si le Canada n'est pas partie à cette entente, alors que d'autres pays le sont, nous perdrons certainement une grande part du marché dans cette région cruciale. Ce qui s'est passé en Corée risque de se reproduire au Japon, entre autres. À l'heure actuelle, le Japon constitue notre troisième marché d'exportation en importance; c'est donc un marché de grande valeur. Qui sait ce qui pourrait arriver? Mais les conséquences seraient extrêmement négatives pour notre secteur.

La sénatrice Cordy : Ce sont des régions à forte densité démographique.

Mme Citeau : Absolument.

La sénatrice Cordy : Dans votre exposé, vous avez dit que 90 p. 100 des agriculteurs canadiens exportent leurs produits directement ou les vendent au pays à des prix établis par les marchés internationaux. J'ai été quelque peu surprise que les prix soient établis par les marchés internationaux. Comment cela fonctionne-t-il?

M. Rice : C'est certainement le cas pour le bœuf, le porc, les céréales, les oléagineux, probablement la plupart des cultures horticoles, et cetera. Même si ces produits devaient être vendus à une entreprise de transformation canadienne, leur prix correspondrait à celui en vigueur dans le pays où l'entreprise de transformation entendre les vendre. Par exemple, si une entreprise de transformation de la viande achète des bovins ou des porcs canadiens, elle paiera un prix qui correspond à celui en vigueur sur ses marchés d'exportation, de sorte qu'elle maintienne une position concurrentielle par rapport à ses fournisseurs ou concurrents américains. Si nos producteurs n'obtiennent pas, de la part des entreprises de transformation canadiennes, un prix aussi attrayant que celui offert aux États-Unis, ils pourraient alors exporter leurs produits vers les États-Unis. Dans le même ordre d'idées, si nos entreprises de transformation n'obtiennent pas un prix concurrentiel sur le marché intérieur — disons, de la part d'un détaillant en alimentation —, c'est-à-dire si ce prix n'est pas aussi attrayant que celui offert par un acheteur japonais, là encore, elles pourront choisir de vendre leurs produits à ce dernier.

C'est un peu comme le pétrole et d'autres produits faisant l'objet d'échanges internationaux. Si un pays se trouve dans un contexte d'échanges commerciaux, ses prix ont tendance à suivre de près les conjonctures internationales ou à s'y adapter en conséquence.

La sénatrice Cordy : Ce n'est donc pas prévu aux termes d'une entente. C'est plutôt une question de bon sens, et cela dépend de ce que le marché pourra absorber.

M. Rice : Exactement. Plus les prix sont similaires d'un pays à l'autre, plus le système commercial est ouvert.

[Français]

Le sénateur Rivard : L'un des bienfaits d'un comité comme celui-ci est d'entendre des témoins. Parfois, les témoins sont pour, et parfois d'autres sont contre. C'est à nous de faire l'équilibre, comme on dit.

Le prochain témoin à comparaître après vous ne partage pas votre opinion. Selon M. Stanford, qui est professeur d'économie, il n'est pas à l'avantage du Canada de signer le PTP, parce qu'il soutient que plusieurs gouvernements de la région, comme la Corée du Sud, le Japon, la Malaisie et le Vietnam, utilisent des stratégies économiques et commerciales qui faussent les échanges. Il l'a affirmé dans le Globe and Mail le 11 février 2016. Avez-vous pris connaissance de cet article? Si oui, je vous demanderais de nous en donner votre opinion. Si vous n'avez pas pris connaissance de ce que je viens de décrire, il s'agit des pays où il dit y avoir des « tricheurs ».

[Traduction]

M. Rice : Cela dépend de l'industrie en question et de la question de savoir si on peut survivre, malgré une situation désavantageuse, grâce aux exportations vers des pays comme le Japon et tout le reste.

En l'occurrence, je crois que M. Stanford parle du point de vue de l'industrie automobile, qui est une industrie principalement nord-américaine sur le plan des échanges commerciaux — c'est du moins le cas pour l'industrie basée en Amérique du Nord. Si je ne me trompe pas, près de la moitié du PIB de l'économie canadienne repose sur les exportations vers les États-Unis — qui constituent, à coup sûr, la part du lion —, mais aussi de plus en plus vers d'autres pays. Par exemple, en 1991, environ 85 p. 100 de nos exportations étaient destinées aux États-Unis, alors qu'aujourd'hui, environ 25 à 30 p.100 de nos exportations sont dirigées vers nos voisins du Sud et 70 p. 100 vers d'autres pays, sachant que 70 p. 100 de notre production est exportée.

Prenons le cas de la Corée du Sud, dont Claire a fait mention. En 2011, nous jouissions des mêmes modalités d'accès au marché sud-coréen que tous les autres exportateurs. Ce marché représentait pour nous des exportations d'un quart de milliard de dollars par année. Deux ans plus tard, notre part a chuté à 70 millions de dollars. Nous avons perdu 75 p. 100 de nos exportations, et il ne nous restait que des produits à faible valeur ajoutée. Il s'agissait de produits qui attiraient très peu de marchés de rechange et qui finissaient par être exportés en Corée, peu importe à quel point les droits de douane étaient élevés comparativement à ceux imposés aux autres concurrents.

Par conséquent, si on a affaire à une industrie qui peut se débrouiller grâce à des transactions menées uniquement sur son marché d'origine, sur le marché canadien ou encore, seulement sur les marchés américain et canadien, le PTP sera évidemment moins attrayant pour cette industrie, vu la rareté des occasions ou les pertes éventuelles, advenant une situation où elle n'aurait pas les mêmes modalités d'accès que ses concurrents.

Le sénateur Housakos : Bonjour à nos témoins. Ma première question porte sur votre industrie en particulier. Y a-t- il des marchés mondiaux que nous n'avons pas exploités et qui pourraient s'avérer intéressants pour votre secteur?

M. Rice : De toute évidence, l'Union européenne est un marché auquel nous n'avons pas encore un accès important, et l'AECG ne nous fournira assurément pas un accès illimité, mais il nous permettra tout de même d'avoir un accès assez intéressant si nous pouvons nous assurer que les exigences techniques européennes conviennent à nos exportations. Nous voulons croire que les Européens seront fidèles à l'objectif d'éliminer tout obstacle au commerce dans les cas où nous aurons négocié des quantités excédentaires. Nous comptons donc sur leur bonne foi, et c'est pourquoi nous appuyons cet accord.

Outre l'Union européenne, je crois que nous nous intéressons beaucoup à la Chine, mais bon nombre des questions qui limitent notre accès au marché chinois ne seront probablement pas réglées au moyen d'accords de libre-échange. Parfois, tout dépend de la question de savoir si la Chine utilisera ou non une norme internationale ou si elle optera pour une norme différente qui ne favorise pas nos exportations. Ce problème ne sera probablement pas réglé aux termes d'un accord de libre-échange. La solution résidera dans le dialogue entre le Canada et la Chine pour parvenir à une entente politique.

Quoi qu'il en soit, la Chine représente un marché extrêmement important pour nous, mais le Canada a encore beaucoup d'options pour trouver des moyens de rendre le commerce plus prévisible et plus transparent.

Le sénateur Housakos : Mon autre question concerne le rôle que joue l'OMC, de votre point de vue, à titre d'organisme chargé de surveiller les accords commerciaux et de s'assurer que les pratiques commerciales loyales entre les pays ayant conclu ces accords sont appliquées en bonne et due forme. J'aimerais savoir si votre industrie estime que l'OMC a réussi à atteindre son objectif primordial et à respecter ses principes directeurs.

M. Rice : Eh bien, nous avons récemment réussi à faire enlever une règle d'étiquetage appliquée par les États-Unis à la suite d'un différend de longue date qui portait sur ce qu'on appelle l'« étiquetage indiquant le pays d'origine ». Même s'il a fallu beaucoup de temps pour en arriver là, le processus de règlement des différends de l'OMC s'est avéré très efficace, et les États-Unis ont entièrement adhéré à ses conclusions. Nos voisins du Sud ont pris tous les moyens possibles pour que l'affaire s'éternise, et le Canada a d'ailleurs utilisé les mêmes tactiques dans les différends commerciaux soulevés au fil des ans. Chaque occasion d'interjeter appel a été saisie, mais au bout du compte, les États- Unis ont respecté la décision de l'OMC et ils ont pris des mesures pour observer leurs obligations. C'est donc quelque chose qui nous tient à cœur.

Lorsque les négociations commerciales étaient loin d'atteindre leurs objectifs, par exemple, durant le cycle de Doha, je me suis demandé à un moment donné si tout le système du GATT et le cadre commercial de l'OMC allaient se remettre de la baisse de confiance envers la capacité de l'OMC de négocier des ententes commerciales, mais je crois que le système de règles est tout à fait judicieux et absolument essentiel à la protection de nos intérêts. Comme je l'ai dit, c'est le seul endroit où nous pouvons régler efficacement la question de l'aide nationale, notamment les subventions.

Le président : Sur un registre un peu différent, parlons de l'industrie du porc. C'est du frais. Avant, il y avait ce que j'appelle « la coupe du boucher », puis il y a eu les produits congelés. Il y a maintenant les produits à valeur ajoutée, mais les technologies ne sont plus les mêmes. Dans quelle mesure le secteur agricole canadien parvient-il à suivre les nouvelles technologies du secteur de la restauration, celui-là même qui est en partie responsable du succès que vous connaissez?

M. Rice : Assurément, rien ne vaut l'obligation d'être concurrentiel à l'international pour se motiver à profiter de toutes les possibilités technologiques qui existent.

Nos usines sont effectivement plus modestes que, disons, celles des États-Unis, et c'est quelque chose qui doit être compensé ailleurs. Ce n'est pas facile d'installer de l'équipement conçu pour une usine tout simplement trop grande pour une échelle de production comme celle du Canada. Je crois que nous y parvenons en insistant un peu plus sur les processus de différenciation et de séparation. Plutôt que de tout mettre sur une seule ligne de transformation, nous cherchons dans une certaine mesure à transformer notre porc en fonction d'un marché particulier où le consommateur n'a pas les mêmes attentes. Plutôt que d'être axées sur l'optimisation quantitative de la production, nos technologies cherchent plutôt à répondre aux fines distinctions en matière de normes, aux goûts des consommateurs, et cetera.

J'aurais tendance à dire que la robotique est en train de prendre sa place dans l'industrie. Elle n'est pas aussi présente que, disons, dans l'industrie automobile. Il y en a quand même un peu, mais elle vise plutôt à optimiser l'utilisation de la main-d'œuvre et de toutes les autres ressources de nos usines.

Le président : Si je vous ai bien compris, vous dites que l'industrie est davantage mue par le besoin d'aller à l'international que par les besoins nationaux.

M. Rice : Oui, exactement. Nous exportons dans presque 100 pays. Chaque pays a ses propres exigences et ses propres préférences en matière de produits, et nous devons effectivement être en mesure de concurrencer tous les autres exportateurs de porc pour répondre aux besoins particuliers de ces marchés.

Le président : Dans quelle mesure comptez-vous sur les partenaires que vous pouvez trouver dans ces autres pays? Certaines des études que nous avons faites nous ont montré que, géographiquement et à l'échelle des pays eux-mêmes, il est mieux de pouvoir compter sur un partenaire fiable qui est sur place lorsque l'on tente de percer un marché, sur quelqu'un qui adhère à nos normes et qui peut vous donner l'heure juste sur la dynamique du pays. Est-ce la même chose pour votre industrie?

M. Rice : Oui, bien sûr. Je crois que les États-Unis sont le seul pays où nos entreprises arrivent à se débrouiller toutes seules, car les marchés canadiens et américains opèrent de façon similaire et parce que la seule ampleur de ce marché justifie le fait pour les entreprises de veiller à ce que leur personnel ait tout le savoir-faire nécessaire.

Bien entendu, pour tous les autres marchés, elles devront avoir un importateur local et leur propre bureau sur place où seront embauchés des gens du pays, des gens qui comprennent le mode de fonctionnement de leur gouvernement. C'est souvent le cas. En Chine, la façon d'aborder une question technique est très différente de la façon de faire nord- américaine, elle est moins transparente. En outre, les rapports avec les différents organismes gouvernementaux ne sont pas les mêmes qu'ici.

Assurément, pour ce qui est du financement à l'importation, du commerce à l'étranger et des questions de logistique, les entreprises ont besoin de partenaires, d'alliés et d'associés dans ces différents pays pour prospérer.

Le président : Tant dans la présente étude que dans d'autres études antérieures, des témoins nous ont dit que c'était très ardu pour les petites et moyennes entreprises qui ont un marché à créneaux et qui veulent percer à l'étranger. Elles ne semblent pas être en mesure de composer avec les règlements et les systèmes du Canada et avec ceux d'autres pays. C'est à cet égard qu'elles ont le plus besoin d'aide, et c'est sur ces PME que nous aurions dû focaliser nos efforts. Cela s'applique-t-il aussi à votre industrie?

M. Rice : Malheureusement, certains de nos bureaux à l'étranger ont vu la taille de leurs effectifs décliner. Ces personnes sont essentielles pour prêter main-forte aux petites entreprises qui pourraient avoir besoin d'un contact fiable là où elles exportent, un rôle que joue notre personnel diplomatique à l'étranger. Certains des employés qui ont été remerciés au cours des dernières années avaient été embauchés localement. Je sais que dans le cas du Royaume-Uni et du Danemark, il y avait des gens qui étaient en poste depuis plus de 20 ans, ce qui fait qu'ils en savaient beaucoup sur le marché local et qu'ils s'étaient déjà dotés d'un programme pour répondre aux besoins d'une mission de petites et moyennes entreprises. Comparativement aux géants comme JBS, au Brésil, Cargill et d'autres encore, pratiquement toutes les entreprises canadiennes sont de taille modeste. Elles ont besoin d'aide pour découvrir les aspects importants de ces marchés avant même d'approcher un acheteur sur place. Elles doivent savoir dans quoi elles s'embarquent.

Le président : Je viens de la Saskatchewan. C'est un fait bien connu au sein de notre comité. Dans cette province, c'est l'agriculture qui est le principal soutien, et l'agriculture a toujours été identifiée aux familles et aux fermes familiales. Puis, la tendance a commencé à pencher du côté des exploitations agricoles axées sur les affaires. Ce sont peut-être encore des familles qui les dirigent, mais elles sont davantage axées sur les affaires et elles sont plus grosses. Cette dynamique a forcé certaines d'entre elles à fermer, alors que d'autres sont devenues plus concurrentielles, notamment en recourant aux nouvelles technologies et aux nouvelles compétences.

Plus récemment, j'ai constaté un nombre croissant de femmes qui dirigent des entreprises agricoles et j'essaie de trouver des statistiques à ce sujet afin de voir si ce passage des femmes à l'agriculture est vraiment d'une tendance. Mais je n'ai pas eu de succès jusqu'ici. Est-ce quelque chose que vous constatez aussi dans votre domaine? Que les femmes ne sont pas seulement le soutien de famille, mais qu'elles dirigent aussi les opérations, les affaires ou la fabrication? Avez- vous des statistiques à ce sujet?

M. Rice : Je ne sais pas si le recensement aurait des chiffres sur le sexe des dirigeants d'exploitations agricoles. Je sais cependant qu'il y a de plus en plus d'intervenantes dans la structure internationale qui sont des femmes.

Je ne crois pas que nous sommes aussi avancés que le sont maintenant d'autres professions pour ce qui est d'avoir autant de femmes que d'hommes, mais il ne fait aucun doute qu'il y a plus de femmes qu'avant. Je ne dirais pas qu'il y a des programmes pour les encourager de façon délibérée ou proactive à se joindre à l'industrie, mais on peut citer l'exemple de la présidente d'Ontario Pork, une productrice prospère qui est en poste depuis cinq ans — un record — et qui inspire une grande confiance à l'industrie. Son entreprise est une entreprise familiale qui produit à la fois au Canada et aux États-Unis. Je ne crois pas que ce soit une situation unique, pas du tout.

Le président : Je crois que nous sommes arrivés à la fin des questions. Madame Citeau et monsieur Rice, merci d'avoir comparu devant le comité. On dit souvent que nous sommes une nation fondée sur le commerce. Vos statistiques montrent que votre industrie fait beaucoup pour donner corps à cette réputation. Bien que je sois de la Saskatchewan, je trouve stupéfiant qu'environ 90 p. 100 de notre production de légumineuses soit exporté. Maintenant, je comprends pourquoi les producteurs de légumineuses affirment qu'ils doivent vendre ce produit au Canada en raison de l'immigration et de la popularité grandissante de l'alimentation saine, qu'ils ont ici même des marchés pour lesquels ils doivent produire. C'est un peu comme s'ils disaient : « Nous avons réussi à l'étranger, et nous devons réussir ici. »

C'est rassurant de savoir que vous visez de nouveaux marchés et que vous travaillez à cela. Merci de nous avoir fait part de vos points de vue sur les accords commerciaux. Cela nous sera bien utile pour la poursuite de notre étude et la rédaction de notre rapport. Encore une fois, merci beaucoup d'avoir comparu.

Nous nous préparons à accueillir par vidéoconférence M. Jim Stanford, professeur-industriel en économie, Université McMaster et conseiller économique, Unifor. M. Stanford a travaillé pendant des années pour Unifor à titre d'économiste. Les membres du comité ont reçu sa notice biographique.

Merci d'avoir accepté notre invitation. Nous savons que c'est beaucoup vous demander. Je n'ai aucune idée de l'heure qu'il est là où vous êtes. Ce serait peut-être une bonne idée de nous le dire pour que nous soyons plus indulgents à votre égard. Merci de vous être adapté à notre horaire habituel. Cela simplifie grandement la tâche de notre personnel technique. Nous vous sommes reconnaissants d'être parmi nous, par vidéoconférence, depuis Sydney. Le comité vous souhaite la bienvenue. La parole est à vous.

Jim Stanford, Harold Innis, professeur-industriel en économie, Université McMaster et conseiller économique, Unifor, à titre personnel : Merci beaucoup monsieur le sénateur et merci à tout le comité de m'avoir invité à me joindre à vous. Ici, il est 7 h 15. Ce n'est pas si mal. Je sais que les sénateurs se lèvent généralement beaucoup plus tôt que cela.

Heureusement, ici, les Australiens font de très bons expressos. Ils sont reconnus pour cela. J'en ai déjà bu un. Alors tout va bien de mon côté. Je suis très content de pouvoir participer à cet important débat qui se déroule dans mon pays d'origine, même si je l'observe depuis l'autre côté du monde.

Je remercie aussi le comité du mandat large qu'il s'est donné en évitant de limiter son étude aux conditions d'un accord commercial particulier. Bien sûr, il y a certains accords commerciaux importants que nous, Canadiens, devrons examiner avec précaution et dont nous devrons jauger les répercussions. Je suis vraiment content que vous ayez décidé de prendre du recul et de considérer l'incidence globale des accords commerciaux préférentiels bilatéraux ou régionaux, ce que vous cherchez à accomplir avec ces accords ainsi que leur capacité de vous donner satisfaction à cet égard.

J'espère que les membres du comité ont pris connaissance des notes et des tableaux que nous avons soumis. Ma présentation portera là-dessus. Plus tard cette semaine, je vais publier d'autres recherches plus approfondies à ce sujet par l'intermédiaire de l'Institut de recherche en politiques publiques, cet organisme basé à Montréal qui a entrepris de faire un examen réfléchi et éclectique de la politique commerciale du Canada. L'Institut publiera un article plus long et plus détaillé que j'ai rédigé dans le même ordre d'idées.

Mes observations partent en quelque sorte de ce qui semble être une contradiction. Quelle que soit la façon d'envisager les choses, depuis le tournant du siècle, la performance du Canada en matière d'exportation a été désastreuse à tous points de vue : quantitativement, qualitativement, ainsi que par comparaison à d'autres époques et à ce qui se passe ailleurs dans le monde. Les exportations canadiennes ont été lamentables. Nous avons constaté l'émergence d'importants déficits commerciaux chroniques, qui s'expliquent en partie par la combinaison d'une faible croissance des exportations et d'une croissance rapide des importations. Nous avons aussi constaté un virage qualitatif préjudiciable de la composition de notre commerce. Ainsi, l'importante emprise que nous avions dans quelques secteurs importants axés sur les technologies est mise à mal depuis le tournant du siècle au profit d'une dépendance croissante — et, selon moi, dangereuse — à l'exportation de ressources brutes ou à peine transformées.

Pour toutes ces raisons, les Canadiens devraient se soucier du commerce. Je crois fermement aux mérites du commerce. Je sais qu'il y a au Canada une foule d'emplois qui en dépendent. Les gens ont souvent tendance à penser que si vous croyez aux mérites du commerce, vous croyez nécessairement aux mérites des accords commerciaux. C'est un lien qui se fait automatiquement. C'est d'ailleurs la source du paradoxe. Ironiquement, durant exactement la même période — les quelque 15 ans qui se sont écoulés depuis le tournant du siècle —, le Canada a obéi à un programme de libéralisation du commerce et de libéralisation des investissements plus dynamique et plus vaste que jamais auparavant. Toujours durant cette période, nous avons conclu 10 nouveaux accords de libre-échange et 25 accords bilatéraux de protection des investissements. Et, bien entendu, nous avons négocié deux accords multilatéraux de grande portée, l'Accord économique et commercial global avec l'Europe et le Partenariat transpacifique, mais aucun des deux n'a encore été mis en œuvre.

Ainsi, au fur et à mesure que nous avons libéralisé notre commerce sur le plan stratégique et juridique, notre performance en matière de commerce a décliné. Il faut donc se poser la question suivante : devrions-nous, oui ou non, tenter de remédier à la piètre performance commerciale du Canada en « doublant la mise » sur cette orientation générale?

Permettez-moi de faire un survol des principales constatations rapportées dans ma présentation. J'ai documenté la détérioration de la performance commerciale du Canada. Autour de 2001-2002, la croissance de nos exportations a commencé à ralentir de façon beaucoup plus marquée que ce qu'on avait vu jusque-là, tandis que la croissance de nos importations est demeurée rapide. Dans le commerce des marchandises, nous sommes passés d'une tradition d'excédents à la situation actuelle de déficits, ce qui est inusité pour le Canada, ce à quoi s'ajoutent un déficit dans le commerce des services et un déficit au chapitre des revenus de placements. Notre balance commerciale actuelle est donc largement déficitaire.

Cela signifie que le Canada s'endette un peu plus chaque année à l'égard du reste du monde, plus précisément au rythme annuel d'environ 3 p. 100 du PIB, ce qui constitue un déficit des paiements courants considérable. Il ne fait aucun doute que la piètre performance du Canada en matière de commerce y est pour beaucoup.

Sur le plan international, notre performance commerciale est l'une des pires de tous les pays industrialisés. Dans le tableau 3 du document que je vous ai soumis, on compare la performance des exportations du Canada avec celle des autres membres de l'OCDE, l'Organisation de coopération et de développement économiques. En ce qui concerne la croissance réelle des exportations depuis 2001, nous sommes presque au bas de la liste, 33e sur 34, et notre score n'est guère mieux pour les autres aspects considérés dans le tableau.

En analysant notre performance commerciale à l'international en fonction de nos partenaires commerciaux, nous constatons que nous tirons moins bien d'affaire avec nos partenaires de libre-échange qu'avec le reste du monde. Ces données sont consignées dans le tableau 4. Nous y avons ventilé la variation des exportations et des importations en fonction des pays qui sont nos partenaires de libre-échange — dont les États-Unis, bien entendu, qui sont notre principal partenaire —, des pays avec lesquels nous n'avons pas d'accord de libre-échange, puis en fonction du monde entier. Comme vous pouvez le voir, depuis 2001, nos exportations vers des pays avec lesquels nous n'avons pas d'accord de libre-échange ont augmenté à un rythme plus de cinq fois plus rapide que nos exportations vers nos partenaires de libre-échange, y compris les États-Unis. Nos importations en provenance de ces pays non-partenaires ont aussi crû plus rapidement, plus de deux fois plus rapidement.

Ce qu'il faut retenir, c'est qu'en ce qui concerne nos exportations et nos exportations, il y a un lien beaucoup plus fort avec le reste du monde qu'avec nos partenaires de libre-échange. Nos exportations vers le reste du monde ont crû plus rapidement que nos importations en provenance du reste du monde, alors qu'avec nos partenaires de libre- échange, nos importations ont augmenté plus rapidement que nos exportations. Je crois que la conclusion à tirer, c'est qu'il faut réfuter l'affirmation selon laquelle la bonification du commerce doit passer par la multiplication d'accords de libre-échange modelés sur l'ALENA et sur d'autres accords bilatéraux que nous avons signés.

L'exemple le plus récent d'accord de libre-échange est évidemment l'accord bilatéral que nous avons conclu avec la Corée, et ma présentation donne un certain nombre de détails sur notre première année d'expérience à cet égard. Les résultats sont les mêmes que ceux que nous avons eus avec nos autres accords de libre-échange, c'est-à-dire que nos importations ont crû beaucoup plus rapidement que nos exportations. Nous constatons une émergence de déficits bilatéraux ainsi qu'une érosion de la qualité de nos exportations. Bien entendu, la Corée s'intéresse avant tout aux produits à base de matières premières du Canada et elle est une exportatrice très en vue de produits manufacturés à forte composante technologique. Le cas de la Corée nous donne selon moi une confirmation des tendances observées auprès de nos autres partenaires de libre-échange.

Permettez-moi de conclure en vous expliquant les implications stratégiques de cette dynamique. Il serait exagéré d'affirmer que les accords de libre-échange proprement dits sont la seule cause ou la cause principale de la détérioration des échanges commerciaux du Canada des 15 dernières années, mais il y a une forte corrélation. Je crois qu'il faudrait étudier la chose plus à fond afin de cerner quelques-uns des autres facteurs qui ont contribué à la piètre performance du Canada sur le plan commercial.

Il reste que le fait de chercher à appliquer de façon encore plus soutenue un programme de libéralisation bilatérale du commerce ne parviendra pas nécessairement à redresser la situation et risque en fait de l'aggraver.

Selon moi, la chute des exportations canadiennes est avant tout attribuable au fait que nous n'avons pas été en mesure de développer un écosystème d'affaires apte à soutenir les entreprises axées sur les technologies qui veulent exporter et à leur permettre de décupler leurs activités en matière d'innovation — comme vous le savez, le Canada n'a pas une fiche particulièrement reluisante en matière de recherche et de développement, de création de nouveaux produits, et cetera. — de manière à ce qu'elles puissent vendre au reste du monde des produits et des services à valeur ajoutée pour lesquels elles pourront exiger un prix de prestige.

Plutôt que de voir les entreprises, l'État et d'autres intervenants réussir dans cette voie, nous avons misé double sur notre dépendance traditionnelle aux exportations de matières premières brutes ou à peine transformées. Bien entendu, lorsque le prix des ressources était élevé, cette orientation a pu sembler lucrative. Mon titre — professeur Harold Innis à l'Université McMaster — tire son nom du célèbre historien de l'économie, Harold Innis, qui s'est fondé sur l'histoire économique du Canada pour élaborer la théorie des principales ressources et exposer les risques d'une dépendance trop forte à l'exportation de ces ressources.

Au lieu de chercher à multiplier les accords de libre-échange bilatéraux, je crois que nous devons approfondir nos recherches sur les causes fondamentales de l'insuccès du Canada en matière de commerce. À cet égard, la cause que je mettrais en tête de liste est le fait que les entreprises canadiennes n'ont pas réussi à innover et à mettre au point des produits et des services à valeur élevée exportables.

Je crois que ma déclaration préliminaire va s'arrêter là. J'ai bien hâte d'entendre vos questions. Merci encore de m'avoir reçu.

Le président : Merci. Si j'en juge par la liste de sénateurs qui veulent poser des questions, votre intervention a fait mouche.

Le sénateur Downe : Merci. Il y a de toute évidence quelque chose qui ne tourne pas rond. Il semble que le Canada est très bon et très efficace lorsqu'il s'agit de signer des accords commerciaux. Avant chaque signature, nous entendons évidemment parler des avantages et des débouchés formidables qui viendront, mais lorsque nous tentons de tirer parti de ces débouchés pour notre économie, nous avons cette incapacité dont vous avez parlé et que d'autres ont aussi soulignée. Vous avez parlé de technologies de pointe, de valeur ajoutée et d'autres choses, mais quelle responsabilité les gouvernements ont-ils? Le gouvernement devrait-il avoir un rôle à jouer dans tout cela, et si oui, lequel?

Plus tôt cet après-midi, j'ai rencontré des fonctionnaires du ministère que l'on appelle maintenant Affaires mondiales — la plupart des gens le connaissent sous l'appellation de ministère des Affaires étrangères —, et ils me disaient qu'ils étaient allés au Nouveau-Brunswick plus tôt cette semaine pour parler des avantages de l'accord. La Société pour l'expansion des exportations, la SEE, était aussi sur place pour parler de ces avantages et pour presser les gens d'affaires à profiter des débouchés, mais on dirait qu'il n'y avait pas de responsable. Le gouvernement est un monstre à plusieurs têtes. J'aimerais savoir si vous avez des idées sur la façon dont le Canada pourrait mettre l'accent sur ces présumés avantages.

M. Stanford : Je crois que vous n'allez pas au cœur du problème. Traditionnellement, lorsque le gouvernement signe un accord de libre-échange, il invoque un modèle économique théorique, modèle qui s'accompagne parfois de chiffres. Le terme qui est souvent utilisé est « modèle d'équilibre général calculable ». Croyez-moi, ce n'est pas une mince affaire à prononcer, surtout à 7 h 15 du matin. Ces modèles économiques sont fondés sur la théorie qui veut que la libéralisation du commerce en elle-même entraîne une augmentation du commerce dans les deux sens profitable aux deux parties et mène à une spécialisation mutuellement avantageuse.

Voilà pour ce qui est de la théorie. Dans le mode réel, le commerce se produit quand des entreprises qui se battent pour rester en vie élaborent des produits et des services qui se vendront mieux que ceux des autres entreprises. Si les entreprises n'arrivent pas d'office à faire cela, on se retrouve avec des échecs commerciaux, des fermetures d'usines et du chômage, comme le prédit la théorie. Ces aspects ne sont pas pris en compte par les modèles économiques, mais ils existent dans la réalité. Le simple fait de claironner que nous avons signé un accord de libre-échange et que nous allons maintenant en tirer profit n'est pas une fin en soi. Il faut s'atteler à la tâche concrète d'édifier des industries et des entreprises qui sont en mesure de vendre des biens et des services au reste du monde et d'exiger un bon prix en échange.

Le principal obstacle qui nous empêche de faire cela n'est pas le manque d'accords de libre-échange, mais bien le fait que nous n'ayons pas développé le type d'écosystèmes d'affaires et d'innovation que l'on voit dans d'autres pays. Il s'agit bien sûr de la Corée, dont j'ai parlé tout à l'heure, mais aussi de l'Allemagne et d'autres pays européens qui ont réussi à combiner les efforts de toutes les parties concernées pour bâtir des entreprises qui réussissent.

Nous avons des exemples concrets d'entreprises et d'industries canadiennes qui ont le potentiel qu'il faut pour réussir dans cette voie. L'aérospatial est un exemple de réussite souvent cité et particulier à nous. Nous avons certaines forces dans le domaine des technologies de l'information et des communications. Nous avons des sociétés de services financiers qui ont de bons débouchés et de bonnes marques à l'étranger. D'ordinaire, l'industrie automobile est considérée comme étant l'une de nos forces. Voilà des industries sur lesquelles nous devrions miser en soutenant l'innovation ainsi que les investissements et les regroupements d'affaires, regroupements que les théoriciens du commerce considèrent comme étant un important moyen de constituer une masse critique dans les industries clés. Tous ces aspects ont à voir avec le développement des entreprises, la stratégie en matière d'innovation et la politique industrielle.

Les gens qui croient avec ferveur que le libre marché fera le travail à lui seul n'adhèrent pas à cette orientation. Ils disent que c'est comme si on choisissait des gagnants et que le gouvernement devrait tout simplement s'enlever du chemin. En pratique, ce dont nous avons vraiment besoin c'est de reconnaître que le gouvernement doit jouer un rôle actif pour le développement de secteurs tournés vers le monde. Le travail fait sur ces secteurs nous aidera à mieux développer nos exportations, mieux que la simple signature d'accords commerciaux.

Le sénateur Downe : Qu'en est-il de l'incidence de la faiblesse de notre dollar? Faute d'autres initiatives, le gouvernement devrait-il avoir comme politique de chercher systématiquement à préserver la faiblesse de notre monnaie?

M. Stanford : Il ne fait aucun doute que le dollar fort que nous avons eu de 2002 à 2013 ou à peu près — c'est un peu plus que la décennie durant laquelle notre dollar s'échangeait pour bien plus que sa valeur intrinsèque réelle — a contribué aux déboires commerciaux que nous avons connus durant la même période. Maintenant que le dollar a renoué avec une valeur qui a plus de sens ou qui est même avantageuse pour la compétitivité de nos produits et services, nous constatons une certaine reprise.

Par exemple, la figure 1 du document que vous avez reçu compare l'évolution de nos exportations au chapitre des ressources avec celle des exportations à valeur ajoutée. Pendant que le secteur des ressources était en pleine effervescence, nos exportations à valeur ajoutée ont décliné, mais ce lien s'est beaucoup estompé depuis les deux dernières années, et la faiblesse de notre monnaie en est la cause principale. Je crois que nous constatons maintenant une reprise très encourageante de nos exportations à valeur ajoutée.

Mais la question qu'il faut se poser est la suivante : que faut-il faire à propos du dollar canadien? Actuellement, nous avons un régime qui fait que les taux d'intérêt sont fixés par la Banque du Canada, laquelle jouit d'une pleine autonomie par rapport au gouvernement. Alors, en ce sens, disons que le gouvernement n'a pas de contrôle direct sur le dollar, mais qu'il peut faire des choses pour en influencer sa valeur. Bien entendu, la Banque du Canada a un rôle à jouer. Le simple fait de dire que le gouvernement ou la Banque du Canada estime qu'un dollar plus faible est en adéquation avec une performance commerciale soutenue suffit à modifier les attentes des institutions financières qui déterminent la valeur du dollar d'un jour à l'autre.

D'autres mesures comme certaines restrictions concernant la prise de contrôle des ressources du Canada par des intérêts étrangers aideraient aussi à veiller à ce que nous ne retournions pas à une période de surévaluation du dollar comme celle que nous avons connue au cours de la dernière décennie.

À mon sens, la force du dollar a été une des causes fondamentales de la chute de nos exportations à valeur ajoutée. Maintenant que le dollar est plus bas, les entreprises devraient investir au Canada. Certaines le font, mais elles sont nombreuses à craindre que la valeur de notre dollar se remette à fluctuer lorsque les prix du pétrole remonteront. À cet égard, je crois qu'il est important que le gouvernement et la Banque du Canada fassent tous les deux savoir qu'ils ne considèrent pas qu'un dollar à valeur élevée soit dans l'intérêt commercial du Canada.

La sénatrice Poirier : Merci de votre présentation. En lisant votre commentaire qui a été publié le 11 avril dernier dans le Globe and Mail, j'ai cru comprendre que vous ne considérez pas le Partenariat transpacifique comme une occasion formidable pour le Canada de bonifier son économie par l'intermédiaire des exportations. Vous vous êtes servi de l'exemple de la Corée du Sud, pays avec lequel notre déficit commercial est élevé depuis la mise en œuvre de l'accord de libre-échange, et vous nous avez mis en garde à l'endroit d'autres pays de cette région, comme le Japon et le Vietnam. J'aimerais savoir quels sont les grands problèmes qui doivent être surmontés et comment le Canada peut les surmonter.

M. Stanford : Merci. Oui, nous passons du général au particulier lorsque nous nous mettons à parler du Partenariat transpacifique ainsi que des débouchés et des défis associés à cet accord du point de vue du Canada.

Je n'essaie pas de dire qu'un accord commercial est automatiquement bon ou mauvais juste parce que c'est un accord commercial. Je crois qu'il faut adopter une approche pragmatique et empirique pour examiner chaque accord commercial pour ce qu'il est, tenir compte des débouchés possibles pour nos exportations et évaluer les torts qu'il causera, notamment en ce qui concerne la pénétration des importations et l'affaiblissement de nos industries qui ne sont pas renforcés par une initiative de libéralisation du commerce. Je sais qu'un processus a été amorcé au Canada pour faire précisément cela, c'est-à-dire recueillir des renseignements auprès de différentes industries, de différentes firmes, de différentes régions et de différents intervenants sur leur façon de voir comment le Partenariat transpacifique se traduira par une bonification ou un recul des occasions favorables.

Comme je l'ai laissé entendre dans ma présentation, les constats tirés de nos autres accords de libre-échange ne sont pas encourageants. Le simple fait de supprimer les barrières commerciales que nous avons avec un autre pays ne nous garantit pas l'essor de nos industries. En fait, notre expérience indique plutôt l'inverse.

Après examen des traits particuliers du Partenariat transpacifique, je suis d'avis que le fait d'inclure le Japon dans une zone de libre-échange avec le Canada est ce qui aura le plus grand impact. La structure économique du Japon ressemble beaucoup à celle de la Corée. Le Japon a un secteur manufacturier très novateur et très raffiné qui est responsable de plus de la moitié de ses exportations. Il s'intéresse aux ressources naturelles du Canada. Nos plus grandes exportations vers le Japon sont le charbon, les produits du bois, les minerais et d'autres ressources de ce type. L'accord de libre-échange ne permettra pas de consolider nos exportations de minéraux de façon considérable. Les Japonais n'exigent pas de droits tarifaires élevés pour ces produits. Pour ce qui est du secteur manufacturier, je pense que le potentiel de croissance des exportations canadiennes vers le Japon est très modeste.

Un autre des problèmes aux termes du Partenariat transpacifique concerne certaines dispositions sur l'industrie automobile — c'est quelque chose que je connais bien et qui a suscité beaucoup d'inquiétude — et le fait que le partenariat allait procéder à la réécriture des règles d'origine et d'autres mesures techniques utilisées par l'ALENA. Il est notamment question de fragiliser les seuils de teneur nationale ou régionale, ce qui permettra aux fabricants de voitures d'acheter une plus grande proportion de pièces à l'extérieur de l'Amérique du Nord voire à l'extérieur du Partenariat transpacifique.

À première vue, je crois qu'il y a beaucoup à craindre du fait que le Partenariat transpacifique viendra renforcer le type de tendances dont j'ai parlé dans ma présentation. Il faudra néanmoins effectuer une étude au cas par cas empirique et pragmatique au sujet de ce qui doit vraisemblablement se produire. À cet égard, je pense que le processus mis en branle par le gouvernement est important, voire essentiel.

La sénatrice Poirier : Selon certains exportateurs, le Partenariat transpacifique est une façon de protéger ce qu'ils ont. Ils ne veulent pas non plus prendre du retard par rapport à leurs compétiteurs sur les nouveaux marchés de la région asiatique. On dirait une situation où vous êtes perdant, quoi que vous fassiez. Comment le Canada peut-il transformer la donne pour que tout le monde gagne?

M. Stanford : Oui. Il y a assurément de mauvais côtés à la possibilité de voir cet accord prendre son envol sans le Canada. La façon de procéder la plus prometteuse serait donc d'en faire partie et de tenter d'en corriger les dispositions les plus nuisibles ou potentiellement préjudiciables pour les industries canadiennes, comme certaines des conditions concernant l'industrie automobile dont je parlais tout à l'heure.

L'avenir du Partenariat transpacifique est très incertain, je crois que tous en conviendront, surtout si l'on considère ce qui se passe en politique américaine. Je pense qu'il est presque inévitable que les conditions particulières du Partenariat transpacifique soient renégociées à un moment donné.

Dans cette optique, je crois que nous pourrions cerner les passages où les rédacteurs initiaux de cet accord ont fait des erreurs, les endroits où ils ont manqué de réalisme dans leur façon d'envisager l'incidence que l'accord pourrait avoir sur les industries canadiennes. Ensuite, nous pourrions présenter une liste des principales choses que nous voulons voir modifiées dans le cadre des renégociations subséquentes. Étant donné la tournure que prend la situation politique aux États-Unis, je crois qu'il est probable que les choses se déroulent de cette façon.

La sénatrice Poirier : Dans les autres pays visés par le Partenariat transpacifique, les réactions sont-elles négatives ou positives?

M. Stanford : Eh bien, on voit toutes sortes de réactions dans différents pays. Vous êtes probablement au courant du débat très intense qui se déroule aux États-Unis.

Ici, dans ma région du monde, l'Australie et la Nouvelle-Zélande participent aux négociations du Partenariat transpacifique. Il y a eu de longs débats ici aussi, notamment en ce qui concerne certains écueils comme le règlement judiciaire des différends entre les investisseurs et les États, une disposition très controversée et pour cause. Différents pays et différents intervenants dans ces pays tenteront de trouver ce qui leur convient le mieux et iront dans le sens de leurs intérêts.

Permettez-moi seulement, madame Poirier, de faire cette observation : le fait pour une entreprise donnée d'affirmer qu'un accord commercial est une bonne chose ne signifie pas nécessairement qu'il sera bon pour le pays où cette entreprise est basée. Nous avons vu des situations, même avec des multinationales canadiennes, où des sociétés ont appuyé un accord de libre-échange parce qu'il leur permettait précisément de profiter des bas coûts de la sous-traitance et des chaînes d'approvisionnement à faibles coûts qu'elles allaient utiliser non seulement à l'extérieur de l'Amérique du Nord, mais encore une fois, à l'extérieur de la zone de commerce proposée. Des sociétés qui ont des usines ou des chaînes d'approvisionnement dans des pays comme la Chine ou l'Inde, qui ne feront même pas partie du Partenariat transpacifique, pourraient décider que cette façon de procéder est profitable pour elles. Mais dans la perspective d'une politique nationale, nous devons prendre du recul et regarder la situation bien en face. Oui, il se peut que cela soit profitable pour ces sociétés puisqu'elles pourront réduire les coûts de certains de leurs intrants, mais quelles seront les répercussions réelles sur notre économie nationale? C'est la raison pour laquelle il peut y avoir une distinction à faire entre ce que les sociétés affirment et les besoins des pays.

La sénatrice Poirier : Au plan économique, le PTP semble soulever plus de questions que l'AECG. Pouvez-vous nous expliquer ce qu'est, de votre point de vue, la principale différence entre le PTP et l'AECG qui fait en sorte que ce dernier soit plus accepté?

M. Stanford : C'est une très bonne question. Je ne suis pas certain d'avoir la bonne réponse. J'ai examiné les deux accords, j'ai écrit à leur sujet à tous les deux, et j'ai des réserves dans les deux cas. Je ne suis pas certain que l'AECG soit une option moins controversée et moins risquée que le PTP.

Je suppose que le PTP est probablement plus controversé en raison de sa complexité et de la gamme de pays qu'il concerne. Parmi les signataires se trouvent des nations comme le Vietnam et la Malaisie, qui sont des pays en développement où les coûts de la main-d'œuvre sont beaucoup moins élevés qu'ailleurs, ce qui soulève une série de questions qui ne s'appliquent pas nécessairement à l'AECG. Cela dit, même en Europe, avec l'adhésion de nouveaux membres à l'UE, il y a des pays en Europe orientale et sud-orientale qui offrent une main-d'œuvre à très bon marché et qui pourraient susciter les mêmes problèmes pour le Canada que l'a fait l'ALENA avec le flux d'investissements et d'activités manufacturières vers le Mexique.

Je suis d'avis que les deux méritent qu'on les étudie à fond et qu'on les soumette tous les deux à une analyse industrie par industrie très empirique et pragmatique plutôt que d'utiliser un modèle informatique reposant sur l'hypothèse que le libre-échange est toujours mutuellement avantageux. Allons-y, mettons-nous au travail et procédons à un examen industrie par industrie des possibilités d'exportation qui seront générées, des chances que les entreprises canadiennes puissent tirer parti de ces possibilités, des mesures que l'industrie canadienne doit prendre pour se préparer à faire des exportations fructueuses vers l'Europe et l'Asie, et les comparer à tous les risques qu'engendreraient une pénétration accrue des importations au Canada et l'élimination de divers outils réglementaires que nous avions l'habitude d'utiliser. Selon moi, c'est le type d'analyse que nous devons faire en ce qui concerne l'AECG et le PTP.

La sénatrice Johnson : Merci. Mon collègue a beaucoup parlé du PTP. En passant, bonjour l'Australie. Il ne neige pas ici, mais presque.

M. Stanford : Nous avons surfé pendant le week-end.

La sénatrice Johnson : Je ne veux pas le savoir. Vous venez de donner votre réponse concernant le PTP et de dire qu'il serait bon de mener une analyse industrie par industrie. Aimeriez-vous donner des détails supplémentaires sur ce point, car que doit-on faire si on refuse de signer des accords comme le PTP? Je sais que les États-Unis posent problème en ce moment. Nous étions à Washington avec notre groupe Canada-États-Unis le mois dernier, et ils en parlent beaucoup; cet accord influera sur chaque nation participante. Pouvez-vous ajouter autre chose à la réponse que vous avez donnée sur ce point, surtout en ce qui concerne les dispositions sur le travail et l'environnement, et la raison pour laquelle vous pensez qu'elles ne suffisent pas ou ne sont pas efficaces?

M. Stanford : Je vais peut-être commencer à répondre à la dernière partie de votre question, sénatrice Johnson. En général, les soi-disant accords parallèles ou chapitres parallèles qui portent sur les normes relatives au travail et à l'environnement sont, grosso modo, mis en œuvre en vue de vendre l'accord commercial à un public sceptique au lieu de sérieusement réglementer les normes relatives au travail et à l'environnement dans la zone de libre-échange. C'est certainement le cas en Amérique du Nord, où les chapitres relatifs au travail et à l'environnement ont été établis clairement par le gouvernement étatsunien, qui essayait de vendre l'accord au public américain au milieu des années 1990. Or, ces chapitres n'ont eu aucune incidence que ce soit sur les normes de travail ou la réglementation environnementale en Amérique du Nord.

Je sais que différents accords commerciaux ont essayé de réviser et d'élargir le libellé de ces dispositions mais, en général, ils passent à côté de la question, c'est-à-dire que la concurrence internationale intense pour des investissements et des emplois qui découleront de l'accord de libre-échange poussera tous les participants de cette zone de libre-échange à essayer de réduire tout ce qui correspond à un coût d'exploitation. Alors c'est cette logique économique, et non l'établissement formel de politiques dans les secteurs du travail et de l'environnement en tant que tels, qui crée des problèmes dans ces secteurs. Selon moi, ces accords parallèles sur le travail et l'environnement sont généralement là pour les apparences.

Pour ce qui est de la comparaison industrie par industrie dont vous vous êtes informés, je pense que certaines industries visées par le PTP font face à des enjeux particuliers. Il y a eu bien des discussions concernant le secteur de l'automobile au Canada, mais il y a d'autres secteurs comme ceux de la fabrication des produits alimentaires, des produits laitiers et de la volaille pour lesquels nous devons aussi procéder à un type d'examen industrie par industrie. Parallèlement, bien sûr, je reconnais qu'il y a des secteurs auxquels un accord de libre-échange exhaustif comme le PTP offrirait d'éventuels nouveaux débouchés au plan des exportations.

C'est là, je pense, que nous pourrions tous bénéficier d'une approche plus ouverte à l'égard de ces débats. Qu'on soit favorable ou non aux accords commerciaux, force est de reconnaître qu'ils ne sont ni entièrement bons ni entièrement mauvais. Nous devons les évaluer de façon très pragmatique pour déterminer s'ils donneront ou non un avantage net ajouté aux exportations canadiennes. La réponse pourrait pencher d'un côté comme de l'autre. Nous avons vu suffisamment d'exemples d'accords de libre-échange qui minent le rendement net du Canada en matière d'exportation pour savoir que c'est un risque lorsqu'on signe ce type d'accords.

La sénatrice Johnson : Comment décririez-vous notre rendement commercial actuel, car dans vos remarques, vous avez parlé de la contre-performance du Canada depuis 2001? Est-ce toujours le cas?

M. Stanford : Non, en partie à cause du déclin du dollar canadien et des conditions économiques plus favorables aux États-Unis, notre principal partenaire commercial, nous observons un revirement très important en ce qui concerne notre performance commerciale. Le document que j'ai distribué montre l'augmentation au cours des deux dernières années des exportations de produits à valeur ajoutée du Canada. Il est notamment question de produits automobiles, de produits aérospatiaux, de machinerie industrielle, de produits électroniques, et j'en passe. Voilà vraiment les choses que nous voulons produire à long terme, car elles incarnent une innovation accrue et une meilleure productivité. Elles génèrent des revenus plus élevés au pays. Nous voyons des signes de revirement.

Je pense que cela est conforme à mon avis général qu'il n'y a pas que la nature de nos accords commerciaux qui détermine notre performance commerciale, et que, d'une certaine façon, s'attacher autant à la question de savoir s'il faut signer ou non le prochain accord commercial nous distrait de projets plus tangibles comme ceux d'essayer de bâtir les industries canadiennes, de les encourager et de renforcer nos exportations. Peut-être avons-nous besoin de faire d'autres choses, y compris, comme nous l'avons déjà dit, de garder un œil sur le dollar canadien.

La sénatrice Johnson : Excellent. Merci beaucoup.

Le sénateur Housakos : Ma question porte sur le baromètre que vous utilisez pour déterminer si un accord commercial est fructueux ou non. Vous fondez-vous uniquement sur l'excédent commercial ou le déficit avec un partenaire commercial en particulier? Pourriez-vous aussi tenir compte des accords dans lesquels nous avons un déficit, mais qui offrent néanmoins un type d'avantage net à l'économie canadienne? Au bout du compte, il doit y avoir quelqu'un dans l'économie canadienne qui achète ces biens et services d'un partenaire commercial en particulier avec lequel nous accusons un déficit. J'aimerais connaître votre point de vue là-dessus.

M. Stanford : Je pense que c'est une question très pertinente, sénateur Housakos. Il est clair que nous ne pouvons pas avoir une relation commerciale parfaitement équilibrée avec le monde entier. Le commerce global consistera à acheter plus de choses de certains pays et d'en vendre plus à d'autres.

Parallèlement, notre balance commerciale est, en fait, la somme de toutes nos balances bilatérales. Sans penser qu'un déficit commercial avec un partenaire commercial en particulier est nécessairement une mauvaise chose, il y a lieu de s'inquiéter si on voit une série de déficits commerciaux, et c'est exactement ce qui se passe. Les États-Unis sont le seul partenaire commercial important avec lequel nous avons un excédent commercial, ce qui, dans une certaine mesure, est compensé par nos achats dans le secteur des services des États-Unis et les revenus d'investissements étrangers, qui retournent aux États-Unis grâce à leurs investissements au Canada. Je pense que la relation Canada- États-Unis est une relation vraiment avantageuse des deux côtés et qu'elle est fondamentalement bilatérale.

Si vous signez un tas d'autres accords ou de partenariats avec d'autres pays avec lesquels vous accusez des déficits qui ne font qu'augmenter au fil du temps, c'est là que vous commencez à vous préoccuper, surtout parce qu'ils finissent par représenter, pour le Canada, un déficit commercial global qui est très néfaste.

Je trouve intéressant que nous tolérions, sans presque nous en rendre compte, un déficit du compte courant équivalant à 3 p. 100 de notre PIB. C'est deux fois plus que le déficit du gouvernement fédéral dont tout le monde parle depuis le budget qui a été déposé cette année. En fait, il est pire puisqu'il s'agit d'argent que nous devons au reste du monde, argent qui quitte le pays quand nous le remboursons. C'est moins le cas avec un déficit gouvernemental parce que la plupart des intérêts sont payés à d'autres Canadiens.

Vous avez raison de dire qu'il y a d'autres façons d'examiner l'incidence globale et d'autres facteurs à garder à l'esprit lorsqu'on examine l'incidence globale d'un accord commercial, pas seulement le déficit. Cependant, je pense que les déficits bilatéraux et le fait qu'ils augmentent avec nos partenaires de libre-échange sont importants.

Même sans en venir au calcul du déficit, le simple fait de prendre la croissance des exportations en tant que telle, je pourrais tolérer un déficit bilatéral s'il était associé à une situation dans laquelle nos exportations connaissent une croissance forte. Avec les accords de libre-échange que nous avons signés, nous ne voyons pas le stimulus positif aux exportations que nous espérions, et nos exportations ont été meilleures vers certains autres pays.

Il n'y a pas que les déficits. Vous avez bien raison sur ce point, mais je pense qu'ils sont importants.

La présidente : J'ai eu l'occasion de jeter un coup d'œil aux documents que vous nous avez donnés. Les tableaux et statistiques sont-ils tirés de vos propres recherches ou vous fondez-vous sur des sources canadiennes ou internationales? Nous aimerions les citer correctement dans notre rapport.

M. Stanford : Certainement, sénatrice Andreychuk. Il devrait y avoir une source sous chaque tableau qui montre exactement de quelle base de données les données originales ont été tirées. Pour construire les tableaux, j'ai fait mes propres recherches et calculs. La plupart des données viennent de sources canadiennes officielles — Statistique Canada et Industrie Canada. Le tableau qui montre la comparaison entre le Canada et d'autres pays, les comparaisons de l'OCDE, provient de la base de données de statistiques de cette organisation. Lorsque viendra le temps de rédiger votre rapport, je me ferai un plaisir de parler à vos chercheurs pour les orienter vers les sources précises que j'ai utilisées.

La présidente : Merci. Nous avons récemment entendu des témoins qui nous ont parlé de ce qui se serait passé si nous n'avions pas signé certains de ces accords commerciaux, en particulier si nous n'avions pas exporté de biens; je pense notamment au secteur de l'agroalimentaire. Grâce à nos exportations, nous produisons, nous créons des emplois et nous stimulons l'économie, notamment dans certaines régions. Elles ont motivé l'innovation et la technologie qui ont rendu les entreprises plus concurrentielles sur le marché international. Est-ce une des retombées? Si nous signons un accord commercial fructueux, pouvons-nous devenir plus concurrentiels? Cela force-t-il certains de nos secteurs, de nos industries et de nos intervenants à devenir plus innovateurs? On a beaucoup dit qu'il nous fallait non seulement de la recherche et du développement en ce moment, mais aussi plus d'innovation. Les gens font la distinction entre les deux.

M. Stanford : C'est certainement le cas, sénatrice Andreychuk, que les exportations soient associées à nombre de ces avantages économiques. Je crois fermement aux politiques gouvernementales qui promeuvent les exportations. Il est prouvé que les sociétés exportatrices sont plus productives. Les salaires dans les industries qui exportent sont plus élevés que dans les industries qui ne le font pas. Les exportations sont associées à l'innovation, car il faut maîtriser les technologies de pointe à l'échelle mondiale pour pouvoir vendre dans le monde entier.

Je suis entièrement d'accord avec vous pour dire que l'exportation génère des avantages pour le pays en entier, pas seulement pour l'entreprise exportatrice. Les politiques gouvernementales devraient promouvoir les exportations canadiennes.

Là où je veux en venir est que la proposition « la promotion des exportations canadiennes » n'est pas nécessairement synonyme de signature d'accords de libre-échange. Ces deux concepts en sont venus à être traités comme des synonymes dans notre discours au Canada ces 30 dernières années, peut-être en raison du temps considérable que nous passons à discuter d'accords de libre-échange. Lorsqu'il est question de politique commerciale, c'est la seule chose à laquelle nous pensons, et c'est une erreur. Il existe toutes sortes de mesures concrètes et pragmatiques qu'un gouvernement peut prendre pour aider les entreprises canadiennes à améliorer leur rendement en matière d'innovation, à dénicher des marchés d'exportation, à fournir l'infrastructure qui leur permette de vendre aux marchés d'exportation et à encourager les exportations canadiennes. À cet égard, je pense que nous avons peut-être été distraits par les discussions concernant le dernier accord important.

L'accès aux marchés constitue une partie importante de l'exportation, j'en conviens, mais très peu de marchés internationaux sont fermés aux produits canadiens. Les réductions tarifaires et les libéralisations associées aux accords commerciaux sont généralement assez modestes — pas dans tous les cas, mais en général. Peut-être avons-nous mieux à faire pour promouvoir ces exportations. Je suis tout à fait d'accord pour dire que les exportations fructueuses génèrent des avantages économiques de taille qui profitent à l'économie tout entière.

La présidente : Dans des témoignages précédents, nous avons beaucoup entendu parler des chaînes de valeur mondiales. Certains témoins ont affirmé que nos statistiques sont, au mieux, trompeuses, car elles ne tiennent pas compte des produits pouvant être fabriqués au Canada, exportés vers un troisième et un quatrième pays, et revenir. Qui réclame le produit? Qui en tient compte dans ses statistiques? Nous nous en remettons toujours beaucoup aux statistiques. Notre vision du commerce et de la fabrication est très simple. Nous avons fabriqué les produits ici. Nous les avons exportés. Ce n'est plus comme cela aujourd'hui, surtout dans les services des TI et les industries de services. Alors peut-être que les modèles statistiques que nous utilisons ne nous aident pas à bien cerner l'activité au Canada. Avez-vous quelque chose à dire sur ce point?

M. Stanford : C'est bien vrai que ce soi-disant phénomène de chaîne d'approvisionnement mondiale fait en sorte qu'il soit plus compliqué de mesurer les importations et les exportations. L'erreur est plus marquée du côté des exportations. Lorsque nous présentons des données sur les exportations brutes au Canada, nous tenons compte de la valeur des composantes que nous avons importées et intégrées à autre chose. Le meilleur exemple est une automobile. Au Canada, nous sommes très forts côté assemblage, mais nous importons une grande partie des pièces qui vont dans les véhicules assemblés. Lorsque nous exportons un véhicule, nous comptons le véhicule en entier, pas seulement les pièces que nous avons fabriquées. Alors on remet en question l'exactitude des statistiques.

Si nous finissions par aborder ce problème, notre situation paraîtrait probablement bien pire qu'elle ne l'est, car certaines de nos exportations brutes contiennent bien des produits importés. Je sais que Statistique Canada, Affaires mondiales Canada et Industrie Canada essaient, de concert avec des chercheurs universitaires, de trouver de meilleures façons de mesurer leur incidence sur les chaînes d'approvisionnement.

J'ai souvent remarqué, sénatrice Andreychuk, que les gens lancent l'expression « chaîne de valeur mondiale » ou « chaîne d'approvisionnement mondiale » comme s'il s'agissait d'une panacée. En fait, elle signifie que les sociétés trouvent d'autres endroits pour produire leurs intrants, endroits où ils sont généralement fabriqués à meilleur marché. Dans certains cas, elles le font pour des raisons de qualité mais, en règle générale, elles sont motivées par l'économie d'argent.

Selon moi, le développement, la complexité et la portée des chaînes de valeur mondiales ou des chaînes d'approvisionnement mondiales exacerbent ces problèmes, car ils font en sorte qu'il soit encore plus difficile d'essayer de définir et de défendre ce que nous faisons au Canada au fil du temps. Ils compliquent la situation, c'est clair, mais de certaines façons, cela pourrait vouloir dire qu'elle est encore pire que ce que nous pensions.

La présidente : Alors suggérez-vous que nous gardions les méthodes statistiques que nous utilisons en ce moment ou qu'il est temps de les moderniser? J'entends beaucoup parler de modernisation. Nos systèmes gouvernementaux ne sont pas en phase avec les réalités d'aujourd'hui, que les gens aillent à l'étranger pour trouver de la main-d'œuvre meilleur marché ou qu'ils y cherchent certaines compétences. Nous devrions tenir compte de la mobilité de la main-d'œuvre et des biens si nous voulons vraiment répondre aux besoins futurs du Canada au plan économique.

M. Stanford : Je crois fermement en la connaissance. Plus nous pouvons acquérir de connaissances, d'informations et de données concernant ces processus, meilleures seront nos chances de prendre une décision éclairée. Ma seule mise en garde serait simplement de ne penser que le jargon qu'on entend signifie que nous vivons dans un monde équitable dont nous tirons tous parti par des moyens dissimulés. Ces chaînes de valeur regorgent autant de coûts cachés que d'avantages dissimulés.

Nous avons besoin d'un supplément d'informations à leur sujet, j'en conviens, mais on ignore si ces informations nous rassureront sur la situation dans laquelle nous nous trouvons. Il est très probable que plus nous la comprendrons, plus nous prendrons conscience de l'ampleur de la contre-performance commerciale du Canada.

La présidente : Je parlais des statistiques. Je ne dis pas qu'elles amélioreront ou empireront la situation, mais qu'en recherche, nous voulons nous fier aux données que vous recevez. Si nous entendons dire que les données ne nous sont pas utiles, peut-être que c'est une des raisons pour lesquelles notre gouvernement ne nous donne pas l'orientation stratégique dont nous avons besoin. Je me demande — j'ignore si le reste du comité en fait autant — si nous avons besoin de recommandations pour qu'il nous soit plus facile de cerner les faits vérifiés au Canada, en particulier à l'échelle régionale, afin de réussir à mieux formuler, à l'échelle nationale, les politiques les plus utiles pour nos industries, nos travailleurs et nos collectivités. Là est la question. J'ignore si les chaînes de valeur mondiales sont bonnes ou mauvaises; je sais simplement qu'elles existent et qu'elles ont changé en 40 ans.

M. Stanford : Nous avons besoin de mieux les comprendre pour pouvoir formuler les meilleures politiques possibles pour le Canada. Je suis entièrement d'accord avec vous.

La présidente : Merci de vous être levé à une heure aussi matinale. La sénatrice Johnson a fait remarquer que ce n'était pas si difficile puisque que vous alliez surfer et tout. Nous nous sentons un peu coupables de vous avoir tiré du lit aussi tôt, mais pas entièrement, puisque nous attendons toujours le printemps. Merci d'avoir pris le temps de venir nous parler, d'avoir contribué à la discussion et de nous avoir donné votre avis sur les options que nous devons envisager pour ne nous fermer aucune porte. Comme vous l'avez dit, le comité examine le commerce en général avant de parler du PTP ou de l'AECG. Nous voulons vraiment participer à la conversation concernant notre avenir économique au Canada. Merci d'être venu.

(La séance est levée.)

Haut de page