Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et du commerce international
Fascicule no 5 - Témoignages du 21 avril 2016
OTTAWA, le jeudi 21 avril 2016
Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd'hui, à 10 h 35, afin d'étudier les relations étrangères et le commerce international en général (sujet : accords commerciaux bilatéraux, régionaux et multilatéraux : perspectives pour le Canada).
La sénatrice A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Bienvenue à cette séance du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international. Le comité est autorisé à étudier les questions sur les relations étrangères et le commerce international en général. Conformément à son mandat, le comité continue d'entendre des témoins aujourd'hui concernant les accords commerciaux bilatéraux, régionaux et multilatéraux et les perspectives pour le Canada.
À ce jour, le comité a tenu plusieurs séances sur ce sujet et a entendu des universitaires, des experts et des représentants du gouvernement. Le comité a le plaisir de poursuivre son étude aujourd'hui. Il entendra maintenant le témoignage d'un expert du domaine de la propriété intellectuelle.
Au nom du comité, je souhaite la bienvenue à Barry Sookman, associé, McCarthy Tétrault, qui se joint à nous par vidéoconférence. M. Sookman se spécialise dans les domaines des technologies de l'information, de la propriété intellectuelle, de la protection des renseignements personnels et de la loi antipourriel. Il a aussi écrit de nombreux ouvrages et articles sur les technologies de l'information et la propriété intellectuelle. De plus, il est professeur affilié en droit d'auteur et propriété intellectuelle à l'Osgoode Hall Law School. Vous avez reçu sa biographie complète, bien plus étoffée encore, mais je voulais en souligner quelques détails, car cela rejoint le mandat du comité.
Monsieur Sookman, notre façon de faire habituelle est d'entendre l'exposé de nos témoins avant de passer aux questions des sénateurs. Je vous souhaite la bienvenue. La parole est à vous.
Barry Sookman, associé, McCarthy Tétrault, à titre personnel : Merci beaucoup. Je tiens à remercier le comité de m'avoir invité à venir parler aujourd'hui des accords commerciaux internationaux, multinationaux, régionaux et bilatéraux. Je vais axer mes commentaires sur le Partenariat transpacifique.
Ma pratique couvre les secteurs abordés par les chapitres importants dont je veux vous parler, c'est-à-dire le chapitre 14 du PTP, sur le commerce électronique, et le chapitre 18, sur la propriété intellectuelle.
Je suis ici aujourd'hui à titre personnel, et mes commentaires n'engagent aucun de mes clients.
Le PTP a été annoncé comme étant un accord commercial digne du XXIe siècle. Les chapitres sur le commerce électronique et la propriété intellectuelle en font foi, selon moi. Le chapitre sur le commerce électronique est réellement innovateur, en ce sens qu'il vise à abattre les barrières qui font obstacle au commerce sur Internet et d'autres réseaux. Les entreprises canadiennes auront ainsi la possibilité de mener des affaires dans les 11 autres pays membres du PTP à partir du Canada, ce qui leur permettra de créer et de garder des emplois hautement rémunérés au pays.
En vertu du chapitre sur le commerce électronique, les parties ne pourront imposer des droits de douane aux transmissions électroniques, mais pourront tout de même appliquer des taxes. L'accord est au premier rang des efforts visant à éliminer les barrières au commerce électronique, notamment en reconnaissant les documents et les signatures électroniques. Le traité obligerait les parties à se conformer à l'une des deux lois types internationales sur la reconnaissance des documents et des signatures électroniques. Toutes les parties seraient ainsi soumises à des normes équivalentes aux normes canadiennes, qui sont en place au Canada depuis plus de 10 ans. Cela facilitera également l'utilisation des dernières technologies d'authentification, et le Canada fait œuvre de pionnier dans ce domaine.
Les autres parties ne pourront pas bloquer l'accès à leur marché en empêchant les entreprises canadiennes de transférer des renseignements personnels vers le Canada à des fins de traitement, pas plus qu'elles ne pourront les obliger à établir des centres de données à l'étranger. Certaines exceptions sont prévues pour permettre l'application de normes internationales dans l'atteinte d'objectifs légitimes en matière de politique publique. Ces dispositions sont essentielles pour que les Canadiens puissent faire des affaires à partir du Canada, à l'aide des réseaux électroniques, avec d'autres membres du PTP.
Le PTP exige également des normes minimales de protection des renseignements personnels, afin de prévenir les pourriels et de favoriser la protection des consommateurs. Le Canada satisfait à ces normes, et en fait, il les surpasse. Certains ont reproché au PTP de ne pas aller plus loin à cet égard, mais selon moi, il n'est pas réaliste de s'attendre à ce qu'un traité commercial soit, en fait, un traité voué à la protection des renseignements personnels et des consommateurs ainsi qu'aux mesures antipourriel.
Le PTP prévoit aussi des normes minimales en matière de protection de la propriété intellectuelle. Le Canada a joué un rôle actif dans la négociation de ces dispositions. Je sais que vous l'avez déjà entendu, mais le résultat en est que les lois canadiennes sont déjà conformes à ces exigences, à quelques exceptions près.
Quelques détracteurs ont décrié le chapitre sur la propriété intellectuelle au Canada. À mon avis, bien des choses qui ont été dites à propos de ce chapitre sont erronées, et les problèmes potentiels ont été exagérés. J'ai soumis au comité plusieurs articles de mon blogue qui portent sur ces critiques, et je me ferai un plaisir de répondre à vos questions à ce sujet si vous en avez.
Dans l'étude qu'il fera du chapitre sur la propriété intellectuelle, et en particulier sur le caractère adéquat des normes minimales, le comité devrait selon moi tenir compte des éléments suivants : premièrement, le traité ne requiert que des changements minimes à la législation canadienne. Deuxièmement, les répercussions des changements dont il a été question publiquement ne sont pas considérables, surtout en ce qui a trait au contexte global du traité. Ces changements sont motivés par des politiques publiques raisonnables, et prévoient notamment le prolongement de la durée de protection du droit d'auteur, l'ajout de sanctions criminelles pour ceux qui encouragent le piratage en supprimant l'information sur le régime des droits des produits numériques, et l'ajout de sanctions criminelles également pour les pirates informatiques qui volent des secrets commerciaux au détriment des intérêts économiques, des relations internationales ou de la défense et de la sécurité nationale du Canada.
Honorables sénateurs, le PTP permettra aux entreprises canadiennes d'accéder à une zone commerciale représentant 40 p. 100 du PIB mondial. Les entreprises canadiennes auront aussi un accès privilégié aux marchés de nos trois principaux partenaires commerciaux, soit les États-Unis, le Japon et le Mexique. Le Canada pourra faire partie de chaînes d'approvisionnement mondiales qui exploitent cette zone commerciale.
Les lois régissant la propriété intellectuelle favorisent l'innovation et la commercialisation de produits de propriété intellectuelle. Nous sommes au XXIe siècle et au beau milieu de la quatrième révolution industrielle, et cela signifie que nous devons de plus en plus miser sur la propriété intellectuelle pour obtenir des capitaux et favoriser l'innovation et la commercialisation.
Le marché canadien est trop petit pour soutenir à lui seul le niveau d'investissements requis pour que les entreprises de haute technologie et de propriété intellectuelle soient florissantes. Les entreprises canadiennes doivent se mesurer à des concurrents internationaux et elles devront aller chercher toutes les protections offertes par les partenaires commerciaux du Canada en matière de propriété intellectuelle, et ce, que le Canada se joigne ou non au PTP.
Honorables sénateurs, je vois difficilement comment les entreprises canadiennes pourraient être désavantagées si le Canada accepte de maintenir ses protections actuelles en matière de propriété intellectuelle. Les normes prévues par le PTP sont conformes aux normes internationales et elles soutiennent les industries qui misent grandement sur la propriété intellectuelle, tout en offrant une marge de manœuvre raisonnable.
C'est ce qui conclut mon exposé. Je serai heureux de répondre à toutes vos questions.
La présidente : Monsieur Sookman, merci pour votre exposé. Vos commentaires ont été assez généraux, mais vous avez aussi parlé du PTP. Avez-vous des choses à dire concernant l'Accord économique et commercial global proposé? Ou est-ce que vous vous concentrez sur le PTP et je ne devrais pas poser la question?
M. Sookman : Eh bien, sénateurs, la séance vous appartient, alors vous pouvez me poser toutes les questions que vous voulez.
Je crois que l'Accord économique commercial global est moins ambitieux que le PTP, du moins en ce qui a trait aux dispositions sur le commerce électronique. Les deux accords se ressemblent à de nombreux égards. Les dispositions sont abordées différemment, mais de façon générale, le Canada a réussi à garder intactes la majorité de ses lois. Il faudra apporter quelques changements, notamment en ce qui concerne les indications géographiques et la prolongation de la période de validité des brevets. Dans les négociations du PTP, le Canada a réussi à restreindre les changements à ceux qu'aurait déjà entraînés l'AECG, à l'exception d'un ou deux dans le domaine du droit d'auteur.
La présidente : Est-ce que, par conséquent, les nouveaux traités proposés tiennent au moins compte de l'intention et de l'orientation de l'Organisation mondiale du commerce?
M. Sookman : Je crois qu'ils vont au-delà de cela. L'OMC a mis sur la glace, si j'ai bien compris, son programme de libre-échange. Le PTP et l'AECG sont des accords qui tentent d'établir des règles exhaustives entre les différentes parties. Il est plausible que le PTP devienne une norme reconnue à laquelle d'autres pays pourraient adhérer. D'autres pays en ont déjà fait la demande, je crois, dont la Corée du Sud. Il est bien possible que ces normes deviennent un jour celles de l'OMC.
Ces traités s'appuient certainement sur les normes de l'OMC, même que bon nombre des dispositions du PTP renvoient à des obligations de l'OMC, mais certaines vont plus loin encore. Par exemple, le PTP exige que le droit civil protège les secrets commerciaux. Certains ont critiqué l'adoption de cette disposition, mais elle est en fait identique à celle de l'OMC, et identique à une disposition de l'ALENA, et nous nous y conformons entièrement. Elle s'appuie sur ce qui existe déjà et ajoute des protections supplémentaires.
La présidente : Merci.
Le sénateur Dawson : Nous avons déjà entendu le témoignage de M. Geist, mais j'imagine que vous avez appris à être en désaccord avec lui sur bien des sujets. Il a soulevé quelques points et j'aimerais avoir vos commentaires aux fins du compte rendu. J'en ai lu quelques-uns sur votre blogue. Il a déclaré que puisque le Canada s'était joint aux négociations par la porte d'en arrière et qu'il n'avait pas eu la possibilité de discuter des points déjà convenus, il se trouve désavantagé.
Il affirme qu'adhérer au PTP signifie aussi, qu'on le veuille ou non, adhérer à neuf autres traités internationaux en matière de propriété intellectuelle, qui se greffent au noyau du PTP.
J'aimerais avoir vos impressions, sur ces deux points d'abord.
M. Sookman : Merci, sénateur. Je vais vous dire ce que je pense de ces deux affirmations.
À la lecture du chapitre du PTP sur la propriété intellectuelle, il est on ne peut plus clair que le Canada a participé activement aux négociations et qu'il a réussi à faire adopter un grand nombre de modifications qui n'auraient pas vu le jour autrement. Le PTP comporte des mesures uniques qu'on ne trouve dans aucun autre accord commercial, notamment les exceptions aux engagements qui tiennent compte des particularités du droit canadien. Je dirais qu'il suffit de prendre réellement connaissance du libellé du traité pour voir que le Canada y a laissé sa trace un peu partout. Il est absolument faux de dire que le Canada n'a pas participé activement au processus, et la preuve en est dans le traité lui-même; on le voit aux différents éléments du traité, y compris les nombreuses notes de bas de page.
Le Canada a entre autres insisté pour maintenir son régime d'avis et avis, et ainsi éviter de mettre en place un régime d'avis et de retrait. Je crois personnellement que le régime d'avis et de retrait, qui est presque universellement accepté chez tous nos partenaires commerciaux, est bon un régime qui devrait être offert parallèlement au régime d'avis et avis. Mais en fait, les deux régimes ont des rôles équivalents.
Pour ce qui est de la position du Canada à la table de négociation, si son mandat était de préserver une marge de manœuvre et de maintenir son régime actuel, il a fait ce qu'il fallait, car le traité comporte une annexe spéciale qui vise précisément à conserver cet élément du cadre réglementaire que les responsables des politiques canadiens jugeaient approprié.
Je ne suis donc pas d'accord pour dire que le Canada n'a pas participé ou n'a pas pu participer activement aux négociations.
Pour ce qui est des traités qui forment le noyau du partenariat, il faut se rappeler que le Canada adhère déjà à ces traités, alors ce n'est rien de nouveau. Mais, sénateur Dawson, il y a une grande différence dans la façon dont le PTP et l'AECG abordent les traités internationaux. Avec l'AECG, les parties conviennent de se conformer à tous les traités, qui sont incorporés à l'accord par renvoi, et la violation d'un des éléments des traités pourrait se traduire par la violation de l'AECG même.
À cet égard, le PTP est moins restrictif. Il exige seulement que les parties adhèrent à ces traités. Ils ne sont pas nécessairement incorporés par renvoi. Le Canada adhère déjà aux traités en question. Je ne crois pas qu'il ait l'intention de s'en détacher, alors il ne s'agit pas d'obligations indues pour le Canada. L'approche privilégiée pour le PTP est moins stricte que celle de l'AECG.
Le sénateur Dawson : Dans votre déclaration préliminaire, vous avez parlé de criminalisation. Les accords commerciaux précédents ne contenaient pas de dispositions sur la criminalisation, mais celui-ci, oui. Pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet?
M. Sookman : M. Geist avance que le PTP prévoit des sanctions criminelles en cas de violation des secrets commerciaux. Il maintient que cela pourrait poser problème.
Cependant, si on regarde de plus près la façon dont le PTP aborde la criminalisation de la violation des secrets commerciaux, on voit tout de suite que c'est beaucoup moins large que cela. Le PTP accorde aux parties une très grande marge de manœuvre pour décider des sanctions criminelles à appliquer. Différentes options s'offrent à elles, dont celle que j'ai mentionnée, sur le piratage informatique par les États étrangers, qui mettrait en péril la sécurité nationale du Canada. Je vois mal comment on pourrait s'objecter, politiquement parlant, à la criminalisation de ce genre d'activité.
Sénateurs, je crois que vous savez tous qu'un des défis auxquels est confronté le Canada — et pas seulement le Canada, mais tous les pays industrialisés — est le piratage informatique par des cybercriminels, des terroristes, des terroristes financés par l'État et des organisations criminelles. C'est devenu un problème toujours plus pressant. Nos partenaires commerciaux, l'Europe et les États-Unis, ont entrepris de modifier leurs lois afin d'aborder la question des secrets commerciaux.
Les dispositions du PTP sur la criminalisation de la violation des secrets commerciaux sont modérées, une obligation minimale seulement, et je ne crois pas qu'elles soient problématiques. En fait, compte tenu de l'urgence et de la réelle inquiétude des Canadiens face à la cybercriminalité, je pense que c'est une bonne politique publique de criminaliser le vol de secrets commerciaux.
Le sénateur Dawson : Merci beaucoup.
La sénatrice Poirier : Merci pour votre exposé et vos commentaires. Mon collègue a déjà posé quelques-unes des questions que j'avais pour vous, mais j'en ai d'autres.
Le comité a entendu de nombreux témoignages concernant le PTP, et jusqu'ici, la plupart ont été négatifs. Dans votre blogue, vous avez répondu à quelques-unes de ses plus virulentes critiques. Je me demandais si vous pouviez commenter tout cela. Le PTP a suscité une conversation sur la propriété intellectuelle et l'innovation au sein du grand public. Ce qu'on en retire essentiellement jusqu'à maintenant, c'est que le Canada a du chemin à faire de ce côté et l'impression qu'on en garde est assez négative.
À votre avis, le Canada occupe-t-il une bonne position et se dirige-t-il dans la bonne direction?
M. Sookman : Je vous remercie de la question, madame la sénatrice. C'est vrai que certains médias et blogues populaires ont diffusé des commentaires négatifs sur le PTP, mais il y a aussi eu des commentaires positifs au sujet des dispositions concernant la propriété intellectuelle. Ils n'ont peut-être pas été propagés autant que les articles défavorables. Je pense que c'est la façon dont les médias fonctionnent. Les critiques ont tendance à circuler davantage que les observations positives. Il y a eu de bonnes analyses du chapitre sur la propriété intellectuelle; les critiques ont été examinées et on y a trouvé des lacunes.
En ce qui touche la position du Canada, j'ai entendu M. Halucha dire hier que le Canada avait dû se rattraper. Notre régime de propriété intellectuelle était dépassé; il était usé et il avait vraiment besoin de changements. Il n'avait pas tenu le rythme de l'évolution rapide de la numérisation; nous avons donc dû faire des progrès dans de nombreux domaines. La Loi sur la modernisation du droit d'auteur de 2012 en est un exemple. Un autre bon exemple, ce sont les dispositions anti-contrefaçon, qui visent à aider nos frontières poreuses à agir contre les produits de contrefaçon et à protéger la population canadienne.
Nous arrêtons-nous là? Je crois que la réponse est non, madame la sénatrice. Les innovateurs ont encore des difficultés considérables à résoudre. Il y a encore des fuites importantes dans certains domaines en raison du piratage. Il en reste beaucoup à faire, mais nous avons certainement grandement avancé la modernisation de nos lois.
Selon moi, si vous comparez les normes du PTP aux lois canadiennes, vous constaterez que, dans l'ensemble, les lois canadiennes cadrent avec ces normes, et si vous croyez comme moi que le chapitre du PTP établit des normes internationales générales, vous pouvez voir que nos lois y sont aussi conformes et qu'elles se rapprochent de plus en plus de celles de nos partenaires commerciaux principaux. Devons-nous nous arrêter? Non, mais je suis d'avis que nous avons accompli des progrès importants au cours des dernières années.
La sénatrice Poirier : Merci. Par rapport aux futurs accords, est-ce avantageux pour le Canada d'inclure les chapitres portant sur la propriété intellectuelle? Qu'est-ce qui devrait être fait différemment dans les futurs accords sur le plan de la propriété intellectuelle?
M. Sookman : Merci, madame la sénatrice. La réponse est certainement oui. Les entreprises canadiennes ne peuvent pas prospérer en tentant simplement de tirer parti du marché canadien. Si nous voulons réussir durant la quatrième révolution industrielle, nous devons être à l'avant-garde de l'innovation et de la commercialisation.
Dans le monde de demain, il y aura un Internet des objets et tout le monde sera branché. Il y aura des technologies prêtes-à-porter et de nouvelles technologies pour lutter contre les changements climatiques. La Colombie-Britannique est au premier rang dans ce domaine. La médecine connaîtra des innovations, y compris des traitements génétiques révolutionnaires. On fera des progrès considérables en robotique. Aussi, l'informatique quantique fournira probablement de nombreux débouchés imprévisibles aux entreprises canadiennes.
Voilà le marché dans lequel le Canada doit réussir s'il veut avoir des emplois intéressants et rémunérateurs, des emplois qui soutiendront le système que nous connaissons tous aujourd'hui. Ces secteurs dépendent des lois sur la propriété intellectuelle qui favorisent les investissements et qui permettent aux innovateurs canadiens de concevoir des produits au pays, de les commercialiser à l'étranger, d'accéder aux marchés étrangers et de savoir que les lois sur la propriété intellectuelle des autres pays protégeront leurs innovations contre les imitations et les concurrents.
Pour que les entreprises canadiennes soient au sommet de leur force et qu'elles puissent soutenir la concurrence au XXIe siècle, il nous faut un régime de propriété intellectuelle solide que nous connaissons bien au pays et auquel nous pouvons nous fier à l'étranger.
Ainsi, étant donné que de plus en plus de pays adoptent des accords commerciaux, que les Canadiens appuient ces accords et veulent être en mesure de faire affaire avec ces marchés, et que la propriété intellectuelle est tellement importante au XXIe siècle et qu'elle le sera encore plus à l'avenir, j'approuve de tout cœur l'inclusion de dispositions en matière de propriété intellectuelle dans les futurs accords.
La sénatrice Poirier : D'après vous, les chapitres sur la propriété intellectuelle de l'AECG sont-ils semblables à ceux du PTP?
M. Sookman : Il y a des ressemblances et des différences. Les Européens s'intéressent particulièrement aux indications géographiques; elles occupent donc une place beaucoup plus importante.
Je pense que les dispositions relatives aux lettres patentes sont semblables. Il y a aussi des ressemblances dans les dispositions portant sur le droit d'auteur. Le PTP met plus l'accent sur certaines choses, mais de façon générale, ce sont des normes internationales, et les entreprises canadiennes qui se conforment au PTP respecteront aussi l'AECG et vice versa.
La sénatrice Ataullahjan : Les accords commerciaux entraînent parfois des modifications législatives. Envisagez- vous des modifications à la loi canadienne concernant la protection de la propriété intellectuelle? Devons-nous modifier la Loi sur le droit d'auteur?
M. Sookman : Madame la sénatrice, vous avez raison lorsque vous dites que la mise en œuvre du PTP, si le Canada décide de le ratifier, impliquera des modifications, mais elles ne seront pas radicales. Je les divise en deux catégories. Certaines sont liées simplement à la conformité. Par exemple, le Canada a certaines obligations d'accorder un traitement national à d'autres pays. Lorsque nous concluons un accord commercial, nous ajoutons d'autres pays à notre loi afin de reconnaître les droits des étrangers visés. Il faut apporter ce genre de modifications techniques, en plus des autres modifications dont j'ai déjà parlé.
Dans son ensemble, le régime canadien ne changera pas. Cela nous ramène à la réponse que j'ai donnée plus tôt au sénateur Dawson : l'équipe canadienne de négociation semblait tenir coûte que coûte à ce que la souplesse et le régime du Canada ne soient pas considérablement modifiés par le PTP.
Donc oui, il y aura des modifications, mais devrons-nous récrire la Loi sur le droit d'auteur? Non.
[Français]
Le sénateur Rivard : Je vous souhaite la bienvenue, monsieur Sookman. Au cours des dernières semaines, nous avons eu l'occasion d'entendre plusieurs experts en matière de propriété intellectuelle en ce qui concerne nos accords commerciaux et les traités de libre-échange, et cetera. Nous avons eu le privilège d'accueillir Jim Balsillie à notre comité pendant plusieurs jours. J'ai écouté attentivement son discours, mais je ne me souviens pas qu'il ait abordé le sujet pour lequel j'aimerais vous poser des questions. Dans le Globe and Mail du 30 janvier 2016, il a déclaré que le Canada ne dispose pas d'un arsenal de protection intellectuelle qui lui permettrait de profiter financièrement de ces dispositions. Partagez-vous cet avis, ou quelles sont vos vues à ce sujet?
[Traduction]
M. Sookman : Permettez-moi de répondre à la question, puis d'aborder d'autres points mentionnés dans l'article.
M. Balsillie a demandé si le Canada aurait autant de lettres patentes que les États-Unis ou le Japon au moment de la ratification de l'accord. La réponse est non.
Or, ce n'est pas sur le nombre de lettres patentes que nous avons à un moment donné que nous devons nous concentrer; l'objectif du PTP est de créer un cadre qui nous permette d'innover. L'important, ce n'est pas ce que nous avons aujourd'hui, mais bien ce que nous aurons dans 10, 15 ou 20 ans, lorsque nous affronterons la concurrence à l'échelle mondiale. Il faut considérer les objectifs à long terme, et non une certaine position à un moment donné.
Le deuxième point que M. Balsillie a mentionné dans l'article, c'est la préoccupation d'être contraint à respecter une norme qui n'est pas canadienne et la préoccupation de maintenir la souplesse de la loi canadienne.
Permettez-moi de vous donner mon avis à ce sujet. D'abord, nous nous conformons déjà en grande partie, et notre loi est ce qu'elle est. Il n'y a pas de grands changements sur ce plan.
En ce qui touche la contrainte, il faut se poser deux questions. D'abord, est-il avantageux pour tous de respecter les mêmes règles, plutôt que le Canada dispose d'un ensemble unique de règles qui protègent moins la propriété intellectuelle que celles de ses partenaires commerciaux principaux?
Pensons en termes de football. Le Canada a la Ligue canadienne de football, la LCF, et les États-Unis ont la Ligue nationale de football, la NFL. Imaginez que la NFL considérait la possibilité d'étendre ses activités au Canada et que nous lui disions : « Vous pouvez venir au Canada, mais vous devez respecter les règles de la LCF parce que ce sont nos règles uniques. » Je doute qu'il y aurait beaucoup d'intérêt à forcer une équipe de la NFL à venir ici, puis à observer les règles de la LCF plutôt que celles de la NFL.
Imaginez l'inverse : le propriétaire d'une équipe de la LCF qui voudrait se joindre à la NFL, le plus grand marché pour le football. Ce n'est pas réaliste de dire : « Nous allons faire cela, mais lorsque nous affronterons les autres équipes, nous allons suivre les règles de la LCF et non celles de la NFL. » Il y a de vrais avantages à respecter les mêmes règles, tant pour les investissements au Canada que pour les Canadiens qui veulent étendre leurs activités à d'autres régions.
Ensuite, il faut se demander si ce sont les bonnes ou les mauvaises règles. Deux points valent la peine d'être examinés. Premièrement, ce sont les règles de facto, et ce seront les règles de facto que nous nous joignions au PTP ou non. S'il est avantageux d'adhérer au PTP et si nous devrons respecter ces règles de toute façon, pourquoi ne devraient- elles pas être incluses dans le PTP?
Deuxièmement, demandez-vous quels sont les pays les plus innovateurs au monde et songez à leur régime de propriété intellectuelle. Les États-Unis ont Google, Facebook, Intel, Microsoft, Motorola, ainsi que des industries culturelles importantes, y compris l'édition du livre, les logiciels, la musique et le cinéma. C'est ce régime de propriété intellectuelle qui a permis leur croissance et leur succès.
Il n'y a aucune raison de penser que les Canadiens ne peuvent pas réussir en respectant les mêmes règles.
Je le répète donc : à mon avis, dans l'optique du XXIe siècle et de nos difficultés, il n'est nullement avantageux d'avoir des règles radicalement différentes et de penser que nous allons jouer uniquement dans un marché local, avec des règles différentes, et que nous n'allons pas tenter d'innover et d'exporter au-delà de nos frontières. Si c'est la vision, il est très avantageux de suivre les règles internationales, qui ont prouvé leur valeur.
On peut présumer que les entreprises canadiennes ne sont pas intelligentes, qu'elles n'ont pas les moyens d'innover, qu'elles ne vont pas faire de commerce et qu'elles vont perdre. Si c'est l'opinion générale, peut-être qu'il y a un problème. Or, si l'opinion est que les Canadiens sont intelligents, qu'ils peuvent jouer dans la cour des grands et qu'ils auront l'appui de leurs gouvernements, y compris par l'intermédiaire de politiques d'innovation, alors il n'y a aucune raison de croire qu'il y a un problème.
J'ai beaucoup de respect pour M. Jim Balsillie et ses observations sur le succès de nos politiques d'innovation. Quand j'étais à l'université, il y a malheureusement plusieurs décennies, je me rappelle que le Sénat avait publié un rapport sur les raisons pour lesquelles le Canada avait une économie de succursales. À l'époque, les préoccupations du Sénat portaient sur une politique scientifique pour le pays. À certains égards, nous avons encore des difficultés, et je pense que nous devons poursuivre la réflexion sur les façons d'appuyer les entreprises canadiennes pour leur permettre d'innover. Toutefois, à mon avis, les mesures à adopter pour favoriser l'innovation canadienne et l'établissement du bien-fondé des règles concernant la propriété intellectuelle prévues par l'accord sont deux questions distinctes.
La présidente : Monsieur Sookman, je vous remercie de votre excellent témoignage. C'est évident que vous avez lu le PTP, du moins les chapitres qui vous intéressent, et cela a beaucoup aidé.
Cela aide aussi beaucoup de savoir que vous lisiez les rapports du Sénat lorsque vous étiez à l'université. Nous sommes très fiers de la profondeur et du sens de nos rapports, ainsi que de leur contribution au débat sur les politiques du Canada.
Ainsi, je vous remercie de votre formation universitaire, mais aussi des renseignements que vous nous avons présentés. Ils ont certainement été très utiles, et ils le seront pour notre rapport et notre étude, ainsi que pour nous aider à comprendre la direction que prennent les accords commerciaux, ce qu'ils doivent contenir et le milieu dans lequel ils doivent être mis en œuvre. Je comprends que vous êtes loin, mais au nom de tous les membres du comité, je vous remercie de votre témoignage.
Mesdames et messieurs, nous passons à notre deuxième invité.
Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international est autorisé à étudier les questions qui pourraient survenir occasionnellement se rapportant aux relations étrangères et au commerce international en général. En vertu de ce mandat, le comité continuera à s'entretenir avec un témoin au sujet des accords commerciaux bilatéraux, régionaux et multilatéraux : perspectives pour le Canada.
Je suis heureuse d'accueillir en personne M. Robert Wolfe, professeur, École des études sur les politiques publiques, Université Queen's, et attaché de recherche, Institut de recherche en politiques publiques.
Les recherches de M. Wolfe portent sur l'avenir des processus de négociations commerciales, ainsi que des mécanismes de transparence et de reddition de comptes de la gouvernance mondiale. Nous avons une biographie plus détaillée, mais je n'en dirai pas plus, monsieur Wolfe, afin de vous donner plus de temps pour présenter votre exposé et répondre à nos questions.
Robert Wolfe, professeur, École des études sur les politiques publiques, Université Queen's et attaché de recherche, Institut de recherche en politiques publiques, à titre personnel : Merci beaucoup de l'invitation. Je suis ravi d'être ici aujourd'hui. J'ai lu les transcriptions des séances que vous avez tenues au cours des derniers mois et j'espère ajouter quelque chose aux excellents témoignages que vous avez déjà entendus, y compris ce matin.
Mon exposé puise dans un livre que l'Institut de recherche en politiques publiques publiera cette année. Vous avez la table des matières de l'ouvrage. Beaucoup de chapitres se trouvent maintenant en ligne.
Aujourd'hui, en me fondant sur ce que nous avons fait dans le livre, je veux vous fournir un cadre analytique montrant comment réfléchir aux tribunes où on négocierait le genre de questions qui ont été examinées.
Le premier point, c'est que nous ne pouvons pas oublier que l'OMC constitue notre accord commercial avec le monde. Tous les commerçants importants en sont membres. Ses ententes englobent les biens, les services et la propriété intellectuelle. Ses principes fondamentaux de multilatéralisme et de non-discrimination ont bien servi le Canada.
La diapositive montre que tous les cycles de négociations successifs de l'OMC incluent de plus en plus de participants — la colonne bleue —, et prennent de plus de temps à conclure — la ligne rouge continue. La complexité croissante du programme contribue à la lenteur accrue — la ligne rouge discontinue.
La prolifération des accords commerciaux régionaux au cours des 20 dernières années est due au ralentissement au sein de l'OMC, mais on pourrait soutenir que c'est cette prolifération qui a entraîné le ralentissement.
L'OMC a été ralentie par un programme qui illustre un monde qui s'est orienté dans deux directions. Premièrement, le pouvoir a changé de mains. En 2001, la part du marché mondial de la Chine était comparable à celle du Canada, mais elle est maintenant comparable à celle de l'Union européenne et se rapproche beaucoup plus de celle des États- Unis.
Deuxièmement, il y a eu un changement dans les échanges commerciaux. L'automobile sur cette diapositive — c'est une Volvo — montre un exemple de ce à quoi ressemble une chaîne de valeur mondiale dans la pratique. Les échanges commerciaux que nous faisons maintenant sont dans la fabrication, dans les services et même dans les chaînes alimentaires complexes.
Une grande conséquence sur le plan de la politique publique, c'est que les importations ont la même importance que les exportations. Cela signifie qu'il faut éliminer les droits de douane sur les biens intermédiaires, comme le Canada l'a fait. Cela signifie également qu'il faut éliminer l'incertitude au chapitre de la réglementation tout au long de la chaîne d'approvisionnement et réduire considérablement les coûts des échanges, ce qui crée un fossé entre le prix intérieur et le prix mondial, sans servir aucun intérêt public.
Les problèmes ne visent pas uniquement les accords commerciaux préférentiels actuels, et il n'y a aucune raison intrinsèque pour qu'un nouveau programme de l'OMC ne les règle pas.
Le système commercial doit s'adapter aux changements dans les échanges commerciaux, mais l'OMC est dans une impasse, tout comme la majorité des négociations multilatérales dans un monde sans leadership. C'est pourquoi si peu de nouveaux traités ont été négociés. La prolifération des négociations bilatérales, régionales et plurilatérales est certainement une manifestation de la fragmentation mondiale. Je dirais que l'une des questions stratégiques sur lesquelles le Comité doit se pencher est si ces négociations sont également une solution.
Comment devrions-nous envisager la stratégie future en matière de politiques commerciales, à la lumière des chaînes de valeur mondiales dans un monde qui ne produit aucune émission? Dans le cadre de mes recherches, j'essaie de considérer l'ensemble des négociations comme étant une expérience naturelle. Je demande si nous pouvons savoir si ces accords sont négociables et s'ils peuvent être efficaces. Je demande également dans quelle mesure le programme de réglementation peut être respecté.
Une grande question qui a une incidence sur la négociabilité et qui a été soulevée dans vos séances précédentes est si la transparence des négociations a de l'importance. Des deux options sur la diapositive, ni l'ouverture ni la confidentialité n'ont une grande incidence sur la rapidité du processus, mais les résultats de négociations ouvertes pourraient être qu'il est plus facile de ratifier l'accord puisque tous les intervenants, dont les parlementaires, comprendraient mieux le processus et les résultats.
Au sujet de la négociabilité également, des accords importants, comme ceux à l'OMC, permettent de faire des compromis entre pays et dans le cadre de problèmes, mais tous les pays, que ce soit les États-Unis ou le Bangladesh, doivent s'entendre. Il semble plus facile de réduire le nombre de problèmes ou le nombre de participants, ou les deux, mais il peut être plus difficile de dégager des compromis si l'on n'offre pas quelque chose à tout le monde.
On dit que le problème à l'OMC est la nécessité de dégager un consensus multilatéral, ce qui a amené l'organisme à chercher des solutions de rechange plurilatérales. La masse critique dans le jargon signifie maintenant que si un accord couvre 90 p. 100 des échanges de biens environnementaux en vertu de l'Accord sur les biens environnementaux, les participants peuvent inscrire les résultats dans leurs calendriers du GATT. Ils pourraient ne pas se soucier de savoir si d'autres pays bénéficient de la règle de la nation la plus favorisée sans contribuer. Les échanges commerciaux et l'accord de services profitent-ils à la masse critique en l'absence de la Chine, où cela ne fait-il pas partie de cet accord? L'ACS pourrait survivre à une contestation judiciaire de l'OMC en tant qu'entente régionale, mais sera confronté au même problème de faiblesse institutionnel auquel sont confrontés d'autres ATP. Qu'est-ce que je veux dire?
Les accords commerciaux fructueux assurent une transparence aux partenaires commerciaux et une reddition de comptes pour respecter les obligations. À l'OMC, cela signifie un système élaboré d'avis officiels de politiques modifiées, des discussions subséquentes dans les réunions ou les comités réguliers et, au final, un règlement des différends rigoureux, le tout appuyé par un grand secrétariat sophistiqué. Par comparaison, les ATP paraissent bien sur papier, mais l'avis est généralement émis par l'OMC car ils n'ont pas de secrétariat. Les comités qui sont visés par des accords existants se réunissent rarement, et leurs mécanismes de règlement des différends ne sont presque jamais utilisés. La faiblesse institutionnelle n'a pas une grande incidence sur l'accès au marché, mais elle pourrait être fatale pour le programme de réglementation du XXIe siècle.
Le but de nombreuses négociations dans le document est de créer des règles ambitieuses sur les questions intrafrontalières. L'OMC a des règles pour s'assurer que la réglementation ne crée pas d'obstacles inutiles au commerce, mais il en faut plus compte tenu des changements dans la façon dont les échanges commerciaux se font de nos jours. La première façon dont les ATP essaient d'aller plus loin est ce qu'on appelle la « coopération réglementaire », ce qui signifie une collaboration entre les organismes de réglementation qui visent à harmoniser les règles.
La deuxième façon est la « cohérence réglementaire », qui est simplement des principes idéalistes pour ce que l'on appelle une « bonne pratique en matière de réglementation ». Ces principes donnent lieu à une meilleure réglementation, ce qui aide les sociétés, mais il est fort probable que l'harmonisation soit difficile.
L'AECG et le Partenariat transpacifique sont des réalisations impressionnantes, mais leur ratification est incertaine, et il n'est pas clair s'ils auront la force institutionnelle de changer les choses sur les questions intrafrontalières essentielles. Si tous les ATP sont conclus, les sociétés seront confrontées à des chevauchements et à une discipline incohérente, et si la Chine, le plus grand acteur commercial au monde, est exclue, alors il pourrait ne pas en valoir la peine. Nous ne le saurons pas avant un bon moment, mais si les réponses sont négatives, l'OMC sera-t-elle une solution?
Les négociations multilatérales à l'OMC sont assurément au point mort, mais elles ont connu un certain succès récemment. En raison de leur faiblesse institutionnelle, la mise en œuvre des ATP dépend des mécanismes de transparence et de reddition de comptes robustes de l'OMC. Il n'y a aucune solution de rechange à l'OMC pour certaines questions comme les subventions. Si les résultats de la ronde actuelle de négociations sont inadéquats pour les grands négociants, ils peuvent et doivent revenir à Genève.
Le Canada doit maintenir l'accès au marché et aux chaînes d'approvisionnement axées sur les États-Unis, un accès qui est à tout le moins aussi bon que celui dont dispose n'importe quel autre partenaire commercial. Cela signifie que nous faisons comme eux, ce qui comprend le Partenariat transpacifique et l'ACS. Si l'un de ces accords échoue, idéalement, nous aimerions que les États-Unis ramènent leurs affaires à l'OMC. Cela pourrait ne pas se produire avant les élections au Congrès de 2018, au plus tôt. La Chine est le plus grand commerçant au monde et l'OMC ne sera pas en mesure de régler les répercussions de la centralité jusqu'à ce que les États-Unis et la Chine commencent à collaborer ensemble. Des négociations bilatérales canadiennes avec la Chine pour discuter des problèmes du XXIe siècle aideront les deux parties à apprendre comment mieux intégrer la Chine dans le système commercial, et je dirais que c'est la vraie récompense au cours des prochaines années.
Merci beaucoup. J'attends vos questions avec impatience.
La présidente : Merci. Vous avez couvert de nombreux sujets. L'un des points sur lesquels je vous demanderais de nous donner des explications, si possible, c'est sur votre déclaration selon laquelle la Chine ne fait pas partie de l'accord. À l'heure actuelle, la Chine fait partie de l'OMC, mais pas du Partenariat transpacifique, et elle crée ses propres structures de bien des façons.
Mais on fait valoir que plus de pays se rallient à des groupes régionaux, ce qui, tôt ou tard, fera en sorte que la Chine sera obligée d'adopter la norme internationale, mais ce sera peut-être un peu plus tard. Elle pourrait être contrainte de le faire. Mais si le pouvoir collectif est suffisamment important, la Chine devra s'attaquer à cette question. C'est une théorie.
D'un autre côté, c'était la théorie derrière l'OMC concernant les subventions agricoles, soit réunir tous les intervenants, petits et grands, pour faire avancer le dossier des subventions agricoles et régler le différend entre l'Europe et les États-Unis, mais cela ne s'est pas produit.
Qu'en pensez-vous?
M. Wolfe : Ce sont deux questions importantes auxquelles j'ai beaucoup réfléchi. Prenons la première. Peut-on obliger la Chine à respecter les règles? Si je dis non, je m'oppose au président Obama qui a été très clair à ce sujet dans son discours de l'état de l'Union. C'était l'un des principaux objectifs des Américains avec le PTP. Il est possible pour les États-Unis de jouer ce jeu afin d'influencer des pays comme le Canada, le Vietnam ou le Bangladesh, mais pas un pays qui détient une plus grande part du commerce mondial qu'eux.
C'est peut-être aussi ce qui inquiète les États-Unis. La Chine pourrait tout simplement dire : « Voici les règles. À vous maintenant de les suivre. » La Chine ne participe pas aux négociations sur l'accord sur le commerce et les services et elle n'est pas membre du PTP. Selon moi, la Chine n'acceptera jamais d'entreprendre le processus d'accession à un accord qu'elle n'a pas aidé à négocier. C'est la raison pour laquelle je dis que, si le PTP s'avère utile et si l'absence de la Chine nuit aux chaînes de valeur mondiales, la seule façon de mettre fin au différend sera d'entreprendre une négociation multilatérale au sein de l'OMC où tous les participants sont sur un même pied d'égalité. Je ne vois pas comment l'on pourrait placer la Chine dans une telle situation.
Je travaille depuis longtemps au dossier des subventions agricoles. D'ailleurs, j'ai écrit un livre intitulé Farm Wars dans lequel je parle de la guerre sur les subventions qui faisait rage dans les années 1980. Cette guerre était l'un des principaux éléments abordés dans les négociations ayant mené à la création de l'OMC. Je crois que l'OMC fonctionne très bien, en partie — il faut bien l'admettre —, parce que les pays riches n'offrent plus le même soutien intérieur qu'avant en raison des changements apportés à la structure des prix des produits. Comme vous le savez, en décembre dernier, au Nairobi, un accord a été conclu pour éliminer les subventions à l'exportation. Des propositions déposées dans le cadre du cycle de Doha, qui semble être au point mort, permettraient de faire des progrès considérables sur ce que l'on appelle maintenant les « mesures nationales globales faussant le commerce » — les négociateurs commerciaux aiment bien utiliser des termes obscurs —, mais celles-ci pourraient réduire davantage les subventions intérieures.
Peu importe. Ce qui est clair, et vous le constaterez en lisant le PTP ou l'AECG, c'est que même dans le cadre d'accords ambitieux, il est impossible de faire des progrès dans le dossier des subventions intérieures. La seule façon d'y arriver, c'est de procéder de manière unilatérale.
La présidente : Je voulais aborder deux points, mais vous m'avez devancé pour l'un d'eux. Nous nous penchons sur nos exportations, mais il ne faudrait pas oublier nos importations au sein de ces chaînes de valeur mondiales. Des témoins ont dit que nous attachions trop d'importance à ces chaînes. C'est un des commentaires formulés à ce sujet.
D'autres prétendent que nous n'y prêtons pas suffisamment d'attention. C'est très difficile à suivre. Nous avons tendance à nous concentrer uniquement sur l'entrée et la sortie des produits pour la collecte de données, alors que la circulation des produits est plus complexe. Qui plus est, les produits circulent constamment. On ne sait jamais d'où viennent tous les morceaux; il est donc difficile de faire un suivi cohérent.
Cela rendra-t-il notre tâche plus difficile pour comprendre tout le processus et adopter une position de principe?
M. Wolfe : La réponse courte est oui. La réponse longue est que notre PARP contient des documents sur le sujet. Beverly Lapham a publié un document dans lequel elle se penche sur l'idée de placer les sociétés au centre de la politique commerciale et non les produits ou les pays. Selon elle, il nous faudrait beaucoup plus de données sur la participation des sociétés, et même des usines, au commerce international afin de bien comprendre.
Des projets de recherche majeurs ont été menés conjointement par l'OCDE et l'OMC dans le but de trouver de meilleures données sur ce que l'on appelle les « échanges en valeur ajoutée », soit ce que l'on retrouve dans une chaîne d'approvisionnement complexe. Ces efforts sont importants et il faut les soutenir. Donc, une des recommandations que le comité pourrait faire, c'est que l'on appuie Statistique Canada dans ces efforts internationaux visant à trouver de meilleures données canadiennes et trouver des façons de mettre de meilleures données sur les sociétés à la disposition des chercheurs canadiens. Cela nous aiderait beaucoup à mieux comprendre la participation des sociétés canadiennes à ces chaînes de valeur.
Vous trouverez aussi dans notre document des informations fournies par des chercheurs de Statistique Canada sur le sujet, notamment sur les sociétés canadiennes et les chaînes de valeur.
La présidente : On s'inquiète aussi de la circulation des marchandises, mais le secteur des services semble en pleine croissance, ce qui a soulevé, bien entendu, la question des propriétés intellectuelles, entre autres. Auriez-vous un commentaire à formuler sur la politique publique dans ce domaine, y compris la collecte de données?
M. Wolfe : Tout ce que je sais, c'est qu'il est difficile d'obtenir des données sur les services, notamment dans le secteur du commerce. Je ne m'aventure pas trop loin en disant cela. Il est clair qu'il faut améliorer les règles en matière de services et faciliter le commerce de services intermédiaires, notamment, d'un pays à l'autre. C'est un autre domaine où l'importation de services de haute qualité peut être aussi importante pour une société canadienne que l'exportation. Les économistes commerciaux parlent de la « servicification du secteur manufacturier », soit qu'un produit manufacturier est en réalité un ensemble de services profondément inclus dans le processus.
L'iPhone en est un exemple classique. On dirait un produit entièrement exporté de la Chine, mais les composantes du iPhone proviennent en réalité de plusieurs pays de l'Asie du Sud-Est et de l'Europe. Plusieurs de ces composantes sont en fait des services créés et livrés en Californie — la conception, les services après-vente, le marketing et la publicité. Toutes ces composantes font partie du iPhone et elles aussi sont constamment transportées d'un pays à l'autre.
Les services de télécommunication sont une des principales activités des transporteurs aériens.
Les banques sont un autre exemple typique où plusieurs services peuvent être divisés en plusieurs groupes et commercialisés d'un pays à l'autre.
Un des principaux défis des négociateurs est de bien comprendre ces enjeux, compte tenu du cadre juridique international qui permet aux sociétés de se livrer plus facilement à ces activités tout en respectant la réglementation nationale.
C'est ce que l'on tente de faire avec l'accord sur le commerce et les services. C'est complexe, car les négociations n'ont pas lieu au sein de l'OMC et ces deux secteurs et marchés importants dont il faudrait parler ne font pas partie des négociations. Il serait possible de faire plus de progrès qu'avec le PTP ou l'AECG, mais encore une fois — et c'est mon patrimoine multilatéraliste qui refait surface —, il faudrait travailler avec l'OMC, car c'est le meilleur endroit pour faire avancer le dossier des services.
La présidente : Pourquoi l'OMC ne s'est-elle pas penchée sur le secteur des services? Est-ce en raison de la mobilité des gens et parce que c'est un enjeu qui évolue? Ce n'est pas comme déménager une usine, un sujet que nous avons déjà étudié. Les gens se déplacent rapidement. C'est un des éléments dont il faut tenir compte.
Un autre élément est le piratage. Comment faire un suivi des services et savoir ce que font les gens? Nous nous sommes concentrés sur la cybercriminalité, le vol d'idées et la circulation inappropriée de l'argent ainsi que des biens et services.
Selon vous, dans quelle direction devrions-nous aller?
M. Wolfe : Vous avez accueilli des témoins s'y connaissant beaucoup mieux que moi sur ces sujets. Je crois que je devrais m'abstenir.
La sénatrice Unger : Professeur Wolfe, selon vous, la Chine semble-t-elle délaisser les marchandises pour se concentrer davantage sur les services?
M. Wolfe : Je n'ai fait aucune recherche sur le sujet, mais selon ce que je peux lire dans les journaux, cela semble être le cas. C'est souvent ce qui se produit lorsque les économies deviennent plus sophistiquées, mais je n'ai aucune base de recherche sur laquelle m'appuyer pour discuter de la question. Je suis désolé.
La présidente : Y a-t-il d'autres questions? Je crois que vous nous avez bien communiqué votre point de vue, surtout votre point de vue multilatéral dominant, et avez aussi mis en évidence les propos d'autres témoins. Je vous suis reconnaissante d'être venu témoigner pour nous confirmer que cette étude est sur la bonne voie et que nous y traitons les bons enjeux.
Il s'agit d'un nouvel enjeu et le rôle du Sénat est d'approfondir ce que nous apprennent les commentateurs sur les blogues ou à la télévision. Ce domaine est plus complexe qu'il ne l'était.
Je vous remercie d'être venu renforcer notre étude et nous transmettre votre opinion sur l'OMC et l'approche que nous pourrions adopter face à cet enjeu.
Merci d'avoir accepté notre invitation.
M. Wolfe : Merci de m'avoir invité.
La présidente : Mesdames et messieurs les membres du comité, nous avons commencé plus tôt que prévu, nous allons terminer plus tôt que prévu. Je crois que nous pouvons lever la séance.
(La séance est levée.)