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AEFA - Comité permanent

Affaires étrangères et commerce international

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et du commerce international

Fascicule no 9 - Témoignages du 2 juin 2016


OTTAWA, le jeudi 2 juin 2016

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd'hui, à 10 h 31, pour étudier les relations étrangères et le commerce international en général (sujet : accords commerciaux bilatéraux, régionaux et multilatéraux : perspectives pour le Canada).

La sénatrice A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bonjour. Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international est autorisé à examiner les questions qui peuvent se présenter de temps à autre concernant les relations étrangères et le commerce international en général. Dans le cadre de son mandat, le comité continuera d'entendre aujourd'hui des témoins sur le sujet des accords commerciaux bilatéraux, régionaux et multilatéraux : perspectives pour le Canada.

Nous avons eu jusqu'à maintenant d'excellents témoins, et aujourd'hui ne fera pas exception. Je suis heureuse d'accueillir Mme Beverly Lapham, professeure d'économie, Département d'économie, Université Queen's; M. Daniel Trefler, titulaire de la Chaire de recherche du Canada Ruth Grant sur la compétitivité et la prospérité, professeur d'économie de l'entreprise, École de gestion Rotman, Université de Toronto. Mme Beiling Yan, économiste recherchiste principale, Division de l'analyse économique, et M. John Baldwin, conseiller spécial, Division de l'analyse économique, tous deux de Statistique Canada, sont également avec nous.

Comme les sénateurs le savent, nous devions à l'origine avoir deux panels, mais les témoins ont estimé qu'ils peuvent travailler très bien ensemble; alors, nous les entendrons tous. Je vous propose de raccourcir vos longues déclarations pour que nous ayons plus de temps à notre disposition pour parler avec vous et vous interroger.

Madame Lapham, je vous invite à prononcer votre déclaration préliminaire. Soyez la bienvenue au comité.

Beverly Lapham, professeure d'économie, Département d'économie, Université Queen's, à titre personnel : Merci de m'inviter à comparaître aujourd'hui. Je suis honorée d'avoir la possibilité de m'adresser à vous. Ma déclaration d'aujourd'hui s'articule sur trois points interreliés.

Premièrement, j'ai l'impression que, pour bien comprendre les répercussions économiques de la libéralisation du commerce, il faut tenir compte du fait que tout changement à l'environnement commercial provoque la restructuration des facteurs de production, principalement la main-d'œuvre et le capital, à l'intérieur d'un pays. La nature de cette restructuration et ses répercussions sont très complexes; toutefois, je dirais que les changements attribuables à la libéralisation du commerce se traduisent par une amélioration du bien-être global.

Deuxièmement, la théorie centrée sur les sociétés et la recherche empirique ont modifié notre perception de la façon dont cette restructuration fonctionne. Fait important, ces recherches laissent entendre que cette restructuration donne lieu à la création de liens bilatéraux importants entre les sociétés, l'industrie et la productivité globale d'une part, et les firmes, l'industrie et le commerce global d'autre part.

Troisièmement, la restructuration a des répercussions particulières importantes sur le bien-être des travailleurs. Il y a des gagnants et des perdants dans la libéralisation du commerce. Les coûts des changements attribuables à la libéralisation du commerce sont importants et ils affectent les travailleurs différemment. En conséquence, les programmes d'adaptation pour les travailleurs devraient être pensés directement en fonction de la politique commerciale.

Permettez-moi de revenir au premier point. Dans les premiers modèles commerciaux centrés sur le pays, les facteurs sont restructurés depuis la production de biens que réussit mal un pays jusqu'à la production de biens qu'il réussit fort bien. Voilà la source des gains agrégés tirés du commerce; c'est l'avantage comparatif standard.

Dans les modèles centrés sur l'industrie élaborés dans les années 1980, on a mis l'accent sur l'importance de concevoir le commerce en fonction d'industries qui ont des technologies de production telles que les firmes doivent produire à une échelle relativement élevée pour être rentables, ce qui est le cas de beaucoup d'industries manufacturières.

Le commerce donne aux sociétés exportatrices accès à de grands marchés et la restructuration des facteurs favorise ces entreprises en croissance, qui tirent des gains agrégés en produisant à moindre coût. La question était au cœur de nombreuses discussions qui ont mené à l'Accord de libre-échange canado-américain : les sociétés canadiennes allaient avoir accès au grand marché des États-Unis et elles allaient pouvoir produire plus efficacement à grande échelle.

Les modèles commerciaux plus récents sont centrés sur les sociétés dans leur analyse. Ces modèles mettent l'accent sur le fait que, même à l'intérieur des industries, les sociétés peuvent être hétérogènes, tout particulièrement en ce qui concerne leur productivité. Une augmentation des échanges commerciaux peut amener les sociétés les moins productives à perdre de la place dans le marché et à s'en retirer, tandis que les sociétés les plus productives prendront de l'expansion pour répondre aux besoins du marché international.

Dans ces modèles, les facteurs de production passent des sociétés les moins productives à celles qui le sont le plus, ce qui en soi peut conduire à une augmentation de la productivité. On parle parfois de l'effet de sélection du commerce.

À la lumière des nouveaux modèles, il appert que la restructuration attribuable au commerce qui améliore le bien- être global ne consiste pas simplement à passer de secteurs d'importation qui perdent du terrain à des secteurs d'exportation. Il semble plutôt que les répercussions sur la distribution des activités commerciales sont plus compliquées que nous pourrions le penser.

Comme deuxième point, cette recherche théorique et empirique récente, qui met l'accent sur les décisions prises au niveau des sociétés et sur leur hétérogénéité, a révélé que la libéralisation du commerce est très étroitement liée à la productivité.

Pour appuyer ce dernier lien, je viens de dire que les échanges commerciaux provoquent une restructuration des facteurs de production, qui passent des sociétés les moins productives à celles qui le sont le plus, favorisant ainsi la croissance de l'industrie et l'augmentation de la productivité globale. Naturellement, dans ces circonstances, il y a des gagnants et des perdants dans les industries.

Les liens qui unissent les échanges commerciaux et la productivité sont peut-être même plus complexes encore. Comme certains des témoins qui ont comparu ici précédemment, dont Joy Nott et Bob Wolfe, l'ont fait ressortir, les sociétés subissent également les contrecoups de la libéralisation du commerce dans leur participation aux chaînes de valeurs globales et dans l'importation de ressources intermédiaires. Si les mesures de libéralisation du commerce permettent à ces sociétés de réorganiser leurs structures de production plus efficacement au moyen de ces canaux, les échanges commerciaux peuvent améliorer la productivité au niveau des sociétés mêmes.

Cette restructuration nécessite également des réaffectations importantes des facteurs de production. Des recherches empiriques utilisant des données applicables à des sociétés et à des usines de nombreux pays ont mis au jour de façon convaincante les mécanismes qui interviennent et qui montrent un lien entre les échanges commerciaux et la productivité. Fait important, plusieurs membres de ce panel, ainsi que les auteurs qui ont publié avec eux, ont établi, preuves à l'appui, l'existence à grande échelle de ce type de répercussions sur la productivité qui ont suivi l'entrée en vigueur de l'Accord de libre-échange canado-américain. Il se peut qu'ils soient en train de discuter de ces études aujourd'hui.

En terminant, les nombreuses théories commerciales et les nombreuses données empiriques axées sur les travailleurs et les sociétés révèlent clairement que la libéralisation du commerce fait des gagnants et des perdants. Les travaux effectués précédemment par Dan Trefler le montrent clairement.

Les coûts des rajustements rendus nécessaires à cause des changements dans l'environnement commercial sont répartis de façon très inégale entre les travailleurs, et il y aura certainement des travailleurs qui seront déplacés. Les recherches effectuées au Canada nous ont appris que les travailleurs déplacés qui avaient au moins cinq ans d'ancienneté dans leur ancien emploi ont subi en moyenne une perte de revenu de 25 à 30 p. 100, et ce, même plusieurs années après qu'ils ont quitté leur emploi initial. Aux États-Unis, de plus en plus de gens sont favorables au protectionnisme et le soutien dont profitent certains candidats aux élections présidentielles provient en partie de ces travailleurs qui ont été déplacés.

De nombreuses études montrent que les travailleurs déplacés subissent de grandes pertes. Au Brésil, par exemple, une étude a été menée tout particulièrement sur les pertes causées par les échanges commerciaux et elle a révélé, à la lumière de données relatives aux travailleurs, que certains d'entre eux voient leur revenu annuel diminuer pendant la période de rajustement dans une proportion allant de 1,5 à 3 fois ce qu'il était auparavant.

Naturellement, des politiques sont en place pour aider les travailleurs déplacés. Des politiques préventives leur donnent accès à des cours et à de la formation professionnelle et des politiques d'aide à la transition leur fournissent de la formation et des prestations d'assurance-emploi. Les données sur l'efficacité de ces politiques au Canada sont mitigées; elles ne relèvent pas de mon champ de compétence et je ne les ai pas assez étudiées pour formuler des recommandations précises à ce sujet. J'espère toutefois que le comité examinera soigneusement ces études pour comprendre les répercussions des accords de libre-échange sur les travailleurs canadiens.

En conclusion, je ferais valoir que la théorie et les données récentes centrées sur les sociétés montrent que les mesures de libéralisation du commerce, comme l'Accord économique et commercial global, l'AECG, et le Partenariat transpacifique, le PTP, amélioreront la productivité et le bien-être global des Canadiens. Toutefois, il est essentiel de reconnaître pleinement que ces mesures créeront des gagnants et des perdants à l'intérieur des industries et entre elles, et il est très difficile de prévoir qui gagnera et qui perdra. Ces politiques commerciales devraient donc s'accompagner de programmes et de politiques de redistribution et d'adaptation pour les travailleurs. Je vous remercie de votre attention.

Daniel Trefler, titulaire de la Chaire de recherche du Canada Ruth Grant sur la compétitivité et la prospérité, professeur d'économie de l'entreprise, École de gestion Rotman, Université de Toronto, à titre personnel : C'est pour moi un honneur d'être ici. Je crois que tous les Canadiens seraient extrêmement intéressés de savoir que tant de sénateurs s'occupent d'une question de politique publique importante. Je vous remercie tous d'être aussi attentifs à cette question.

Le comité m'a demandé de parler des accords commerciaux dans le contexte tout particulièrement du commerce et de l'innovation; je vais donc limiter essentiellement mes commentaires à cet aspect des accords. J'aimerais commencer en posant la question la plus fondamentale : que savons-nous réellement des répercussions qu'ont pu avoir les accords passés? Nous voulons parler des accords futurs en nous appuyant sur des données solides. Nous savons tout d'abord que les entreprises qui exportent sont beaucoup plus productives que celles qui n'exportent pas, c'est un fait très simple. Partant de cela, il y a deux raisons pour lesquelles les accords commerciaux du passé ont eu des répercussions très tangibles qui ont aidé la productivité et l'innovation des Canadiens.

En premier lieu, les exportateurs canadiens ont profité de l'ouverture du marché américain avec l'Accord de libre- échange canado-américain. Nos entreprises exportatrices les plus productives ont pris de l'expansion. Ce doit être une bonne chose. Cela a signifié également, et je crois que Mme Lapham y a fait allusion, que nos entreprises moins productives ont été durement frappées par la concurrence des Américains. Elles ont perdu du terrain, elles sont sorties du marché et elles ont fermé des manufactures. Vous devez voir les données pour savoir, et j'ai pris connaissance de ces chiffres pour la première fois auprès de John Baldwin, que la productivité canadienne s'en est trouvée augmentée.

Pour comprendre le phénomène, il faut retourner quelques années en arrière, lorsque nous faisions des mathématiques de secondaire III. Si nous avions eu de vraies bonnes notes pour certains examens et de moins bonnes pour d'autres et que le professeur nous avait annoncé qu'il nous permettait de laisser tomber les mauvais examens, que serait-il arrivé? Notre moyenne aurait augmenté. C'est ce qui est arrivé au Canada également. Nos entreprises les plus productives ont pris de l'expansion et exercé un poids plus lourd dans nos calculs de productivité et nos entreprises les moins productives ont perdu du terrain. De cette façon, la productivité moyenne a augmenté.

En deuxième lieu, les répercussions de la libéralisation du commerce sur l'innovation m'ont beaucoup étonné et elles ont guidé ma réflexion sur les accords commerciaux depuis lors. Elles sont extrêmement importantes. N'oubliez pas que lorsqu'une entreprise veut innover, elle doit commencer par engager des frais fixes assez substantiels. La seule raison pour laquelle une entreprise acceptera d'engager ces frais, c'est qu'elle s'attend réellement à les récupérer en pouvant vendre beaucoup plus de produits en bout de ligne. Comment mieux encourager une entreprise à innover alors qu'en lui disant : « Notre gouvernement va vous donner la possibilité de vendre sacrément plus aux États-Unis. » Les activités d'innovation des entreprises canadiennes et l'adoption par elles de nouvelles technologies ont alors fait un bond en avant. C'est un fait avéré.

Permettez-moi de mettre un chiffre là-dessus. Je suis tenté de dire que la productivité canadienne s'est accrue de 14 p. 100. Vous allez alors me demander si c'est beaucoup ou peu. Je vous répondrai par un seul chiffre. Cette augmentation signifie que, chaque année, le Canada génère 70 milliards de dollars de valeur ajoutée de plus. Étant donné votre position dans la société canadienne, vous devez être intéressés à connaître un chiffre légèrement différent, soit que le tiers de cet argent revient dans le système fiscal. Quelque 25 milliards de dollars entrent donc dans les coffres du gouvernement fédéral et des gouvernements provinciaux chaque année. Je trouve tout simplement extraordinaire qu'une simple politique de plus grande intégration avec l'économie américaine puisse accroître notre productivité et générer des impôts dans une proportion aussi énorme.

Voilà donc la prémisse de départ de ma réflexion sur les accords commerciaux. Beaucoup d'autres recherches ont été effectuées depuis. Mme Yan et M. Baldwin ont fait un travail remarquable en ce sens avec des recherches fondées sur des faits. J'en tire la conclusion suivante : dans un petit pays comme le Canada, nous n'avons pas d'autre option que de participer à des accords commerciaux si nous voulons demeurer parmi les pays les plus novateurs au monde. Tel est certainement mon objectif.

Vous devez vous attaquer à un grand nombre de dossiers, j'en suis sûr. Je vais me risquer à en énumérer quelques- uns et vous faire part de ma réflexion sur le sujet et de quelques idées que je formulerai rapidement.

Premièrement, il faut ratifier l'AECG et le PTP. Je crois comprendre que la décision est très difficile à prendre. Beaucoup de voix s'élèvent contre ces accords. Or, nous devons ratifier l'AECG, et si les États-Unis ratifient le PTP, nous n'aurons pas le choix d'en faire autant. Nous ne pouvons pas être laissés en dehors de grands blocs commerciaux. Les conséquences pour l'innovation au Canada seraient tout simplement trop désastreuses — nous n'avons pas le choix.

Croyez-vous que ces accords me comblent de bonheur? Non. Ces accords représentent des compromis. Personne ne comprend mieux les compromis que les politiciens et les sénateurs. Qu'est-ce que j'aimerais voir corrigé dans ces accords? Prenons un moment pour rêver, je ne vous en donnerai pas beaucoup.

Le mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États ne cadre pas bien avec ces accords. Je n'aime pas ce mécanisme. Les dispositions relatives à la propriété intellectuelle du PTP présentent de sérieux problèmes : clés magnétiques brevetées, rétablissement des brevets, extension des brevets et produits biologiques. Tous ces aspects constituent, à mon sens, des problèmes importants. Enfin, les dispositions relatives au commerce électronique — que personne ne comprend vraiment, je crois, — sont une autre raison pour laquelle ces accords devraient nous inquiéter. Nous ne voulons pas signer des accords que nous ne comprenons pas complètement. En outre, les dispositions relatives à la non-localisation et à la protection de la vie privée ne sont pas saines.

Compte tenu de tout ce qui précède, devrions-nous ratifier le PTP si les États-Unis le font et lorsqu'ils le feront? Oui, absolument. Parce qu'il y a un autre côté à la médaille : l'appartenance à de grands blocs commerciaux favorise l'innovation.

Quels problèmes devrions-nous songer à corriger? Si nous pouvons exclure le mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États, faisons-le. Si c'est impossible, faisons-le au moins adopter par l'OMC. Si cela aussi est impossible, faisons ce que l'Europe propose pour l'AECG.

En ce qui concerne la propriété intellectuelle, nous devons reconnaître que les législateurs américains ont des intérêts spéciaux à défendre. Ces intérêts spéciaux les poussent maintenant à chercher à conclure des accords commerciaux partout dans le monde. La situation est très malsaine pour l'économie mondiale. Elle est très malsaine pour les États- Unis également et elle est encore plus malsaine pour le Canada. Voilà ce avec quoi nous nous sommes pris. Voyons si nous pourrons réussir un peu mieux dans les futurs accords.

En conclusion, il convient de dire, premièrement, que les accords commerciaux ont fortement stimulé l'innovation et la productivité au Canada. Deuxièmement, nous ne pouvons pas nous permettre d'être laissés en dehors de l'AECG et du PTP. Troisièmement, prenons-nous-y beaucoup mieux à l'avenir pour négocier des choses dans les accords commerciaux comme la propriété intellectuelle, le mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États et le commerce électronique. Merci.

Beiling Yan, économiste recherchiste principale, Division de l'analyse économique, Statistique Canada : J'ai distribué le texte des diapositives. Merci de m'inviter à comparaître devant vous. Comme vous l'avez demandé, nous commencerons par parler des principales constatations tirées de notre recherche sur le commerce et la productivité. Le sommaire de nos constatations est publié par l'Institut de recherches politiques, dans un article intitulé Trade and Productivity : Insights from Canadian Firm-Level Data. Nous nous reporterons également à d'autres études menées dans le domaine à l'extérieur de Statistique Canada.

La deuxième diapositive montre un lien étroit entre le commerce international et la productivité au Canada. La performance de la productivité globale de l'économie canadienne a été très étroitement liée au commerce général au cours des trois dernières décennies. Dans les années 1990, les deux ont connu une croissance rapide, coïncidant avec la faiblesse du dollar canadien et l'entrée en vigueur de l'ALENA. Au début des années 2000, la situation s'est inversée, lorsque l'environnement commercial s'est détérioré à cause du renforcement de la frontière canado-américaine faisant suite aux attentats du 11 septembre et de l'appréciation importante du dollar canadien.

Pour mieux comprendre le lien entre les occasions d'affaires et la productivité, Statistique Canada a mené une série de projets de recherche au cours des deux dernières décennies à partir de données d'affaires microéconomiques portant sur le secteur de la fabrication. Voici un résumé de nos constatations.

Sur la troisième diapositive, nous pouvons voir qu'un meilleur accès aux marchés étrangers a permis d'améliorer la productivité du secteur canadien de la fabrication. Les exportateurs constituent la principale source de croissance de la productivité globale, comptant pour près de 70 p. 100 de la croissance de la productivité globale de la main-d'œuvre dans le secteur de la fabrication au cours des années 1990. Selon un certain nombre d'études, comme celles menées par le professeur Trefler, l'Accord de libre-échange canado-américain aurait fait croître la productivité du secteur manufacturier de presque 14 p. 100 entre 1988 et 1996.

L'importation contribue également à la performance de la productivité du Canada. Notre recherche a montré qu'une part importante, soit les deux tiers, de la croissance de la productivité multifactorielle est attribuable aux importations provenant d'autres pays, et les importations américaines ont compté pour la moitié de notre croissance entre 2000 et 2007.

Nous examinerons ensuite les conclusions que nous avons tirées sur les mécanismes au moyen desquels le commerce influe sur la productivité.

La quatrième diapositive montre que les facteurs particuliers aux entreprises comptent. Si une entreprise tire des profits du commerce, ces profits sont associés au commerce. Un meilleur accès aux marchés étrangers rendu possible par la libéralisation du commerce permet aux entreprises d'accroître leur productivité au moyen de trois grands mécanismes. Le premier est la spécialisation accrue et la réalisation d'économies d'échelle à mesure que les entreprises prennent de l'expansion. Plusieurs études montrent clairement qu'un accord de libre-échange donne lieu à une réduction importante de la diversité des produits fabriqués au Canada et à une augmentation substantielle de la production d'un plus petit ensemble de produits.

Le second mécanisme tient à ce que le commerce facilite le transfert des connaissances. Les faits montrent que les nouvelles entreprises exportatrices ont tendance à utiliser des technologies étrangères dans une proportion de 37 p. 100 supérieure aux entreprises qui n'exportent pas. Il existe un lien entre l'exportation et l'augmentation des accords de collaboration de R-D avec des acheteurs étrangers; les entreprises qui commencent à exporter sont également plus susceptibles de commencer à mener des activités de R-D. L'importation peut également améliorer la productivité d'une entreprise en donnant aux sociétés canadiennes accès à des produits et à des technologies d'autres pays qui ne sont pas disponibles au Canada ou qui coûteraient plus cher à obtenir localement.

Le troisième mécanisme consiste en une concurrence accrue. Le commerce oblige les entreprises à devenir plus efficientes pour faire face à la concurrence.

La cinquième diapositive montre que ces avantages commerciaux ne surviennent pas automatiquement. Ils nécessitent des mesures d'adaptation et des investissements. Les sociétés qui ont réussi à l'étranger présentent les caractéristiques suivantes : elles sont dans l'ensemble adaptables et novatrices, elles mettent sur le marché de nouveaux produits et elles utilisent de nouveaux procédés.

Elles ont également tendance à investir dans des technologies de pointe, dans la recherche et développement et dans la formation; toutes ces activités augmentent leur capacité de tirer des leçons des pratiques exemplaires en usage à l'étranger.

On peut voir sur la sixième diapositive que l'environnement commercial influe sur la réussite d'une entreprise. Les conditions de l'environnement macroéconomique qui sont indépendantes de la volonté directe des entreprises canadiennes, comme les tarifs et les fluctuations des taux de change, revêtent aussi de l'importance. Les changements qui surviennent dans l'environnement macroéconomique, comme les fluctuations des taux de change, ont eu des répercussions importantes non seulement sur le degré d'expérimentation, mais également sur l'ampleur des parts des marchés étrangers gagnées et des gains associés à la productivité. Par exemple, la dépréciation du dollar canadien a permis de renforcer la bonne performance des exportateurs canadiens dans les années 1990. À l'inverse, les avantages tirés de la productivité dont profitent habituellement les nouveaux exportateurs ont été beaucoup réduits après l'an 2000, lorsque le dollar canadien s'est apprécié considérablement.

La septième diapositive montre une autre incidence importante des politiques de libéralisation, soit une augmentation de la productivité par la restructuration de l'industrie, qui amène les entreprises les moins productives à sortir du marché et les entreprises les plus productives à prendre de l'expansion et à accroître la productivité globale. On estime que cette redistribution de la production entre les entreprises est à l'origine de 50 à 60 p. 100 des gains de productivité dans le secteur canadien de la fabrication qui étaient associés aux réductions des tarifs canado-américains dans les années 1990.

Pour terminer, comme on peut le voir sur la huitième diapositive, les recherches empiriques fondées sur les données des entreprises au Canada montrent que l'adaptation à de nouveaux marchés et à de plus grands marchés favorise la croissance de la productivité. La conjoncture macroéconomique dans son ensemble ainsi que les facteurs au niveau des entreprises, comme la capacité d'adaptation, d'investissement et d'innovation, contribuent à l'expansion dans de nouveaux marchés. Merci.

La présidente : Monsieur Baldwin, voulez-vous ajouter quelque chose?

John Baldwin, conseiller spécial, Division de l'analyse économique, Statistique Canada : Non.

La présidente : Nous utilisons le terme « innovation » tellement souvent. Il veut dire tant de choses dans les ministères et dans le discours public. Monsieur Trefler, quelle définition donnez-vous de ce mot dans vos études de cas?

M. Trefler : Je lui donne des sens précis inspirés par les travaux de John Baldwin. L'innovation est quelque chose qui aide à mettre sur le marché un nouveau produit ou qui aide à améliorer un procédé existant.

Les entreprises se font demander très précisément si elles ont dépensé de l'argent, et combien, pour améliorer un procédé de fabrication de leur produit. Elles donnent des réponses très précises à cette question. Avez-vous mis un nouveau produit sur le marché? Quel a été le coût de développement de ce nouveau produit? Voilà le genre de questions précises que Statistique Canada posera aux entreprises sur une grande échelle et dont il examinera soigneusement les réponses. Mais vous demandez, n'est-ce pas, ce que cela veut dire de façon plus générale?

La présidente : Oui.

M. Trefler : Il est difficile de concevoir l'humanité sans l'innovation. Des anthropologues comme Joe Henrich de Harvard étudient la définition qu'on donne de l'humanité. Les humains sont différents de tous les autres mammifères parce qu'ils apprennent les uns des autres. Nous voyons des personnes améliorer quelque chose et nous faisons la même chose. C'est ainsi que l'humain se comporte depuis au moins 10 000 ans.

L'innovation, c'est tout ce qui améliore le bien-être de l'humanité. À mon sens, c'est un terme très, très général. S'éloigner de cette définition serait, je crois, commettre une erreur.

Les gens d'affaires donnent un sens plus précis au terme. Pour eux, l'innovation est n'importe activité nouvelle qui accroît la valeur de leur entreprise. Ce peut être une façon de gérer différente et ce peut être également des activités appartenant davantage à la haute technologie, comme faire marcher un homme sur la lune. Ce peut être tout cela.

La présidente : Avez-vous alors un commentaire à formuler sur le rôle du gouvernement pour amener les entreprises à innover?

M. Trefler : Tout d'abord, le gouvernement joue un rôle extrêmement important dans l'innovation. Quiconque vous dira que le gouvernement n'a aucun rôle à jouer, que le libre marché s'occupe de tout, n'a tout simplement aucune idée de la façon dont l'innovation est apparue dans la dynamo du monde en matière d'innovation, les États-Unis. Ce pays a mis en œuvre de nombreux programmes pour améliorer l'innovation au niveau national. Le programme le plus connu est celui de la Defense Advanced Research Projects Agency, la DARPA. Le département américain de la Défense a dit : « Nous avons un problème précis. Nous ne savons pas comment le régler. Nous financerons donc le secteur privé pour le résoudre. »

Parfois, il s'agit de choses dégradantes, comme trouver comment tuer plus efficacement. Parfois, il s'agit de choses qui transforment notre société en profondeur, comme Internet.

Le gouvernement joue un rôle de coordination énorme. Je crois que le gouvernement canadien peut même intervenir encore mieux. Le gouvernement fait déjà beaucoup de choses merveilleuses, mais je crois qu'il peut faire encore davantage. Je collabore avec divers services du gouvernement à cette fin.

À un certain point, le secteur privé doit entrer dans le jeu, et j'ai l'impression qu'il ne fait pas toute sa part.

La présidente : Yan, faisons-nous un suivi de ce que fait notre gouvernement pour les entreprises par rapport aux autres gouvernements?

M. Baldwin : Des données sont recueillies au Canada sur l'un des aspects précis de la contribution à l'innovation dont Dan a parlé, et c'est l'attribution de subventions pour la R-D par le gouvernement. Nous recueillons des données sur la recherche et le développement et, naturellement, une partie des subventions accordées provient du régime fiscal. Cette partie du système fait l'objet d'un suivi.

J'aimerais ajouter une réponse plus générale à la question de Dan sur ce que font les gouvernements pour appuyer l'innovation, et je vais pour cela vous raconter une petite histoire.

Je me rappelle d'une séance où nous étions en train d'élaborer des enquêtes sur l'innovation. Nous avions avec nous des représentants de grandes sociétés de technologie de partout au Canada et nous discutions de ce que les gouvernements faisaient pour les aider. Le chef de l'une des plus grandes sociétés du Canada a alors déclaré que la raison pour laquelle il avait développé ses innovations dans le Sud de l'Ontario tenait à ce qu'il devait faire appel aux meilleurs ingénieurs en logiciels au monde, et ces ingénieurs provenaient d'au moins 16 universités qui se situaient à moins d'une demi-journée de route.

Le réseau de l'éducation joue un rôle de premier plan dans l'innovation au Canada. L'accès à des travailleurs qualifiés est essentiel pour innover, qu'il s'agisse de scientifiques, d'étudiants en commerce ou de personnes capables de gérer efficacement des sociétés. C'est une facette incroyablement importante de la question. Statistique Canada a beaucoup d'enquêtes sur le réseau de l'éducation, le niveau de compétence acquis par les travailleurs et la façon dont tout cela interagit.

Dans ses enquêtes sur l'innovation, Statistique Canada pose des questions sur l'importance des pratiques de RH et sur leur contribution réelle au processus d'innovation. L'organisme reconnaît que cet aspect de l'aide gouvernementale est effectivement très important.

La présidente : Merci.

La sénatrice Johnson : L'innovation est pas mal le sujet du jour dans notre société, et dans le monde.

Madame Lapham, vous avez fait observer dans une étude l'an dernier que le Canada doit mieux coordonner ses politiques commerciales traditionnelles avec les nouvelles initiatives concernant la productivité, l'innovation et la politique industrielle, et je ne pourrais pas être plus d'accord avec vous. Le Canada est en retard et se situe loin derrière la plupart des pays du G7.

Que devrait faire le Canada pour se rattraper et redevenir une économie innovante forte?

Mme Lapham : Je crois que les points soulevés en réponse à la dernière question sont parfaitement pertinents. Je conviens tout à fait avec Dan que le secteur privé a certes un rôle actif à jouer parce que, de par sa nature même, l'innovation est un bien public et qu'elle comporte des externalités. Dans ce genre de situations, le marché ne fournit pas nécessairement le niveau optimal de tels biens et l'innovation est un exemple parfait de cela.

Je crois que le gouvernement a un rôle actif à jouer pour encourager l'innovation. À la lumière de la théorie et des connaissances empiriques que nous avons, nous comprenons maintenant qu'il existe un lien fort entre le commerce et l'innovation, qui va dans les deux sens, et la productivité. La politique commerciale constitue une façon pour les gouvernements d'encourager l'innovation, tout comme la mise en œuvre de programmes directs et la reconnaissance du fait que ces politiques peuvent être utilisées efficacement pour travailler ensemble. Je crois que c'est important.

La sénatrice Johnson : Devrions-nous regarder de près ce que font les Américains, les Allemands et les Japonais, peut-être, pour favoriser des environnements propices à l'innovation?

M. Trefler : Chacun de ces pays fait des choses particulières que nous devrions regarder. J'ai mentionné quelques mesures que le gouvernement américain prend déjà. Le gouvernement allemand a quelque chose qu'il appelle le Fraunhofer, qui est une série d'instituts chargés de conseiller de façon très précise les entreprises manufacturières locales. Je crois que le modèle s'est révélé merveilleux et qu'il a permis à des entreprises manufacturières de fournir 20 p. 100 des emplois en Allemagne, alors que les entreprises du même genre n'offrent que 10 p. 100 des emplois au Canada. L'Allemagne a sauvé son secteur de la fabrication grâce à des activités novatrices parrainées par le gouvernement.

Il ne fait aucun doute que notre gouvernement peut jouer un rôle comme celui-là. Nous voyons, je crois, le début de ce phénomène au Canada. Ainsi, l'Université de Waterloo sert son milieu local. Elle ne sert pas l'entrepreneuriat partout au Canada; elle sert l'entrepreneuriat de haute technologie local, comme le fait l'Université de Sherbrooke, et plusieurs autres qui tentent la même expérience ailleurs au Canada, mais avec moins de succès.

Le gouvernement pourrait trouver des façons de faire bouger les universités; il pourrait leur dire : « Nous avons des modèles qui fonctionnent. Nous allons vous obliger à les mettre à profit et nous allons vous fournir des incitatifs » pour essayer de reproduire ailleurs dans le pays les résultats obtenus par l'Université de Waterloo. Voilà un exemple de ce que le gouvernement pourrait faire.

La sénatrice Johnson : J'ai été intriguée par vos commentaires sur les accords commerciaux, sur le fait qu'il ne faut pas être exclu de l'AECG et du PTP et sur le fait que nous devons mieux travailler.

Quelles stratégies économiques ou commerciales nous permettraient au Canada de faire en sorte que la mise en œuvre d'accords comme l'AECG et le PTP soit nettement à l'avantage des Canadiens?

M. Trefler : Qu'est-ce que nous pouvons faire sur le plan de la mise en œuvre du PTP?

La sénatrice Johnson : Quelles stratégies économiques ou commerciales pourraient être utiles?

M. Trefler : Je crois que les accords comportent plus de zones d'ombre que nous le reconnaissons. Ce sont des textes complexes sur le contenu desquels même les grands avocats du Canada ne s'entendent pas. Ils ont des zones d'ombre.

Si nous avons une vision de ce que nous voulons accomplir, nous pouvons tirer notre épingle du jeu dans ces accords. Toutefois, nous devons avoir une vision parce que l'enjeu dépasse les ministères pris individuellement : il relève à la fois des finances, de la politique sur la concurrence, du développement des ressources humaines et de l'immigration. Le gouvernement doit donc penser de façon holistique et faire de tous ces vases clos des vases communicants.

Je crois personnellement que le gouvernement doit avoir une vision de la future stratégie nationale d'innovation. Cette stratégie sera importante, tous les Canadiens peuvent en convenir; il pourra s'agir de remédier aux anciennes technologies productrices de carbone ou d'ouvrir le Nord pour en tirer de meilleurs avantages économiques et sociaux. Quelle que soit notre vision nationale, utilisons-la pour l'intégrer à la stratégie d'innovation.

Un exemple bien simple est que, si nous voulons mieux servir les collectivités du Nord, nous devrons apprendre à connaître les aéronefs sans pilote, parce que nous aurons besoin de drones pour les ravitailler. Nous devrons connaître les notions d'intelligence artificielle nécessaires pour les guider, et il se pourrait que nous voulions augmenter leur capacité avec l'informatique quantique de façon à pouvoir réellement réduire les coûts et fournir de merveilleux services.

Il nous faut élaborer une vision qui soit non seulement importante pour les Canadiens que nous sommes, mais qui prenne appui sur notre expertise actuelle dans des secteurs comme l'intelligence artificielle et l'informatique quantique, et il faut nous en servir pour susciter l'innovation au Canada. Conjuguons notre vision sociale à l'innovation et nous obtiendrons quelque chose d'extrêmement puissant pour nous projeter dans la prochaine décennie.

La sénatrice Johnson : Quelle serait votre vision?

M. Trefler : Ma vision? J'ai plusieurs éléments sur ma liste. Je vais vous en donner deux. J'en ai de beaucoup plus fous.

La sénatrice Johnson : Nous vous écoutons.

M. Trefler : Premièrement, le Nord.

La sénatrice Johnson : Le Nord revêt une importance cruciale pour l'avenir, n'est-ce pas?

M. Trefler : Oui, et il y a d'autres aspects que je n'ai pas mentionnés. Nous devons protéger le passage du Nord- Ouest pour de nombreuses raisons, pas seulement pour des fins militaires — je ne suis pas le genre à brandir des drapeaux pour cela —, mais également parce que l'écosystème du Nord est important et extraordinairement fragile et que le bilan environnemental des compagnies maritimes et des sociétés pétrolières n'est pas très bon à cet égard.

Nous devons protéger cet écosystème, et nous avons besoin pour cela des technologies mises au point par les universités à Halifax pour cartographier le plancher sous-marin, des technologies navales, et cetera. Ce sont des technologies pour lesquelles nous avons déjà l'expertise qui, à mon avis, conviendraient très bien pour cette vision.

Le sénateur Housakos : La discussion de ce matin est très intéressante, et j'aimerais la poursuivre en parlant de l'aspect de l'innovation abordé par les sénatrices Johnson et Andreychuk.

Votre perspective selon laquelle il faut conjuguer une vision sociale globale à un plan d'innovation est intéressante.

J'ai un point de vue légèrement différent. J'ai examiné les modèles utilisés aux États-Unis et en Allemagne, et tout particulièrement ceux des États-Unis, qui, nous en conviendrons tous, sont un leader mondial dans les innovations technologiques. Je crois que nous avons beaucoup à apprendre d'eux.

Il ne sera pas facile de concurrencer un pays dont le secteur privé investit réellement dans l'innovation. D'une certaine façon, les Américains ont compris qu'investir dans les universités et dans la recherche procure un bénéfice net pour leur économie.

Nous citons constamment l'Université de Waterloo en exemple au Canada. C'est un excellent exemple de réussite : l'Université de Waterloo a réussi à se faire financer par quelques organismes privés puissants qui lui ont permis de croître, mais il n'y a pas beaucoup de cas comme celui-là au Canada.

Les États-Unis, eux, ont des centaines d'établissements comme celui de Waterloo. C'est vraiment le cas. Regardez les fonds de dotation au MIT, de l'Université Harvard, de l'Université de Stanford et des autres universités partout au pays. Nous faisons pâle figure à côté d'eux, et je crois que leur réussite en innovation est le fruit de la recherche du profit et non d'une vision sociale.

Je me demandais ce que nous pouvions faire pour surmonter les difficultés auxquelles nous faisons face actuellement, alors que les banques et les grandes sociétés dans notre pays ont engrangé des milliards au cours de la dernière décennie, mais qu'elles ont hésité à réinvestir dans nos institutions, dans l'innovation et la croissance technologique. Elles semblent se tenir en arrière et croire beaucoup que c'est au gouvernement à assurer la direction des choses, comme nous l'avons entendu dire ici ce matin. Elles disposent actuellement de beaucoup de capitaux tandis que les gouvernements fédéral et provinciaux sont à court d'argent et doivent répondre à beaucoup de demandes avec des ressources limitées.

Ma question a commencé par un long préambule, mais je crois que vous en comprenez la teneur. Pourriez-vous vous prononcer là-dessus?

M. Trefler : Je diffère d'avis avec vous sur certains points. Je n'aurais pas choisi le MIT; j'aurais choisi l'Université de Stanford, puisqu'elle se trouve dans la Silicon Valley, et j'aurais précisé que cette université a reçu des sommes énormes du gouvernement américain. Elle a vécu des retombées de la guerre du Vietnam.

Je ne préconise pas une vision inspirée d'une guerre comme celle du Vietnam pour encourager l'innovation, mais nous devons reconnaître les liens entre le profit, qui est extrêmement important, et le gouvernement. Nous avons tendance à minimiser l'importance du gouvernement, mais, en un certain sens, il faut agir de façon plus constructive.

À mon sens, il y a un certain nombre de réussites colossales dans le monde. Boston en est une, tout comme Wall Street — pour eux, mais peut-être pour le reste du pays — et Silicon Valley. Ils représentent des réussites américaines extraordinaires. Les réussites de ce genre ne sont pas nombreuses et il ne faut pas négliger ce que nous avons pour nous ici. Nous sommes des chefs de file dans l'apprentissage machine. Cela ne veut peut-être pas dire grand-chose dit dans ces termes, mais permettez-moi de m'exprimer autrement : nous avons inventé, ici au Canada avec des fonds gouvernementaux, tous les algorithmes que nous appelons maintenant Google. Tout ce qui est novateur dans Internet auquel nous pouvons penser — comme Uber —, et cela vaut pour énormément d'industries entières, utilise des algorithmes qui ont été conçus à l'Université de Toronto. Nous avons manqué le train pour cela.

La question est la suivante : voulons-nous manquer le prochain train qui se présentera, comme les machines quantiques? Je ne veux pas le manquer, et je crois que personne dans cette salle ne le veut également. Nous ne devons pas passer à côté de ce genre de choses, mais ce ne sera pas facile.

Lorsqu'une société se présente sur le marché avec une idée, elle doit faire face à deux gros problèmes. Premièrement, les gens qui ont l'argent se font approcher par des innovateurs potentiels qui ont beaucoup, beaucoup d'idées. Il est très difficile pour ceux qui ont une bonne idée de joindre les gens qui ont des capitaux parce que ces gens sont sollicités de toute part. Il faut donc un système qui permet aux gens du secteur financier de voir ce qui se fait de vraiment remarquable au Canada. Il ne s'agit pas de connaître ce qui se fait au Canada, mais ce qui se fait d'exceptionnel. Il leur sera alors possible de profiter des occasions qui se présentent presque gratuitement.

Deuxièmement, pour mettre sur pied une compagnie, il faut savoir comment la démarrer. Or, cela ne s'apprend pas à l'École de gestion Rotman, mais en exploitant une compagnie avec succès. Si nous n'avons pas de succès avec nos compagnies, nous n'avons pas l'expertise pour gérer des compagnies avec succès.

Nous nous trouvons alors dans une spirale négative. Nous devons trouver une façon d'aider à développer quelques compagnies canadiennes qui obtiendront du succès et qui développeront l'expertise qui se répercutera sur la prochaine génération de jeunes entreprises.

Je crois que le gouvernement peut jouer un rôle à cet égard, et qu'il peut, entre autres, amener les gens du secteur financier à choisir des projets à financer. Je crois que le plan d'action sur le capital de risque nous aidera à avancer dans cette direction.

Le sénateur Housakos : Fondamentalement, ma question est la suivante : sans que le secteur privé prenne la direction des choses au Canada, croyez-vous que le gouvernement a les ressources pour pouvoir répondre aux besoins en matière de technologie et d'innovation?

M. Trefler : C'est clairement une question de partenariat.

Le sénateur Housakos : Que devons-nous faire pour encourager le secteur privé canadien à emboîter le pas?

M. Trefler : Nous disposons de certains programmes qui, je l'espère, seront considérés comme intéressants, comme le plan d'action sur le capital de risque.

Le gouvernement est à son meilleur, je crois, lorsqu'il fournit de l'information et assure une coordination. Si nous pouvons élaborer une vision sur laquelle cette coordination sera articulée et si nous pouvons décider de ce que nous voulons mettre de l'avant à la lumière de ce que nous croyons être pertinent et de l'expertise pratique que nous avons déjà, je crois que nous pourrons nous présenter aux investisseurs et leur dire : « Nous essayons d'aller au point A. Le premier problème que nous avons aujourd'hui, c'est que nous ne disposons pas des connaissances en génie requises pour nous y rendre. » Le secteur privé verra alors qu'il y a de l'argent à faire. « C'est un problème. Si nous sommes les premiers à le régler, nous ferons un peu d'argent. » Voilà, à mon sens, comment le gouvernement pourrait aider à coordonner les choses.

La sénatrice Cordy : Madame Yan, vous avez dit — et d'autres l'ont mentionné plus tôt — que des conditions qui échappent au contrôle des sociétés canadiennes entrent également en jeu. Vous avez parlé des tarifs, des taux de change, de la situation économique mondiale dans laquelle les attentats du 11 septembre ont joué un rôle. Celui ou celle qui sera élu à la présidence des États-Unis aura aussi une incidence énorme sur nos échanges commerciaux.

Monsieur Trefler, vous avez soulevé d'excellents arguments au sujet de l'importance du PTP parce que, dans l'ensemble, nous devons faire partie du bloc commercial si nous voulons en profiter. Toutefois, si les États-Unis ne ratifient pas le PTP, que fera le Canada? Est-il important pour nous de ratifier le PTP si les États-Unis ne le font pas?

M. Trefler : Je ne les ai pas lues, mais il y a dans le texte du PTP des dispositions sur ce qui se produira si certains joueurs ne ratifient pas l'entente. Je pourrais me tromper, mais je crois qu'il faut au moins quatre joueurs. Certaines questions légales pourraient nous libérer; si les États-Unis ne ratifient pas l'entente, je serai très heureux de m'en retirer également.

La sénatrice Cordy : Madame Yan, vous avez dit que les exportateurs constituent la principale source de croissance de la productivité lorsqu'il y a des accords de libre-échange, et je crois que nous le comprenons tous. Toutefois, on nous a dit auparavant et vous avez dit vous-même aujourd'hui que les importations comptent également dans la productivité du Canada.

Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur la façon dont les importations vont accroître la productivité des compagnies canadiennes?

Mme Yan : Statistique Canada a mené des recherches pour proposer une autre façon de mesurer la productivité qui tient compte non seulement des progrès techniques dans une industrie particulière, mais également des progrès techniques et de la croissance de la productivité dans toutes les industries en amont, tant au Canada qu'à l'étranger, qui fournissent les biens intermédiaires importés au Canada.

Notre recherche montre, par exemple, qu'en 2000 et 2007, les trois quarts environ de la croissance de la productivité au Canada ont été attribuables à l'action d'autres pays qui ont fourni les biens intermédiaires importés au pays, et la majorité de ces biens ont été fournis par les États-Unis.

Il en est ainsi parce que le Canada est hautement intégré dans le processus mondial de production de biens intermédiaires. Nous importons environ 23 p. 100 de biens intermédiaires, alors que d'autres pays avancés en importent 10 p. 100. Dans les années qui ont suivi le passage à l'an 2000, les États-Unis ont connu une augmentation de leur productivité tandis que le Canada a subi un ralentissement, la contribution des pays étrangers devient donc plus importante au Canada lorsqu'on calcule la croissance de la productivité dans la production de produits finis.

On constate ainsi que la compétitivité de l'industrie canadienne dépend non seulement des progrès techniques réalisés dans notre pays, mais également du degré de notre intégration avec les pays étrangers et de la façon dont ces pays peuvent transmettre leur vitalité économique au Canada.

La sénatrice Cordy : Monsieur Trefler, j'aimerais revenir à la question du sénateur Housakos; j'ai participé à un autre comité où nous avons examiné la question des études postsecondaires. Nous avons constaté que les universités faisaient énormément de recherches et de bonnes choses, mais que l'industrie n'était pas intéressée à amener ces connaissances ou ces produits sur le marché. Que faisons-nous des bonnes trouvailles, des trouvailles extraordinaires, si nous ne les amenons pas sur le marché? C'est magnifique que les gens étudient et soient novateurs, mais il faut que le commerce du Canada en profite.

M. Trefler : C'est la grande question. Nous ne sommes pas le seul pays à nous débattre avec cela. Si vous regardez les bureaux de transfert de la technologie partout aux États-Unis dans les grandes universités, vous verrez que la plupart sont des échecs. Nous ne sommes pas les seuls.

Pour surmonter cette immense difficulté, je crois qu'il faut revenir à ce que j'ai dit plus tôt. Nous devons trouver des façons de nous attaquer aux deux problèmes avec lesquels ces nouvelles entreprises seront vraisemblablement aux prises, soit le financement et une main-d'œuvre qualifiée. Nous devons mettre les chercheurs des universités en relation avec ces deux groupes de gens. J'imagine trois moyens principaux.

Premièrement, les universités réagissent positivement aux entrepreneurs locaux et exécutent des programmes de stages qui les mettent en relation avec eux. Deuxièmement, il y a un modèle que nous tentons de mettre en œuvre à l'École de gestion Rotman que nous appelons le Laboratoire de destruction créative; nous avons amassé plusieurs centaines de millions de dollars en capitaux de démarrage. Le modèle est nouveau et certains établissements, comme l'école de médecine de l'Université Harvard, nous ont demandé la permission de le reproduire.

Il s'agit d'essayer de former des alliances entre des chercheurs et des entrepreneurs qui ont du succès un peu comme dans le jeu « Dans l'œil du dragon » où les meilleurs candidats sont choisis et chargés d'exécuter certaines tâches pour faire avancer leurs entreprises. S'ils n'y arrivent pas dans un très court laps de temps, ils sont exclus de l'île. Je mêle les métaphores ici, parce que je ne regarde pas la télévision. C'est une possibilité.

Là où nous pouvons faire des progrès, mais à beaucoup plus long terme — j'hésite à le dire même si je crois fermement dans l'éducation en bas âge —, ce serait de faire comme l'école SHAD à Toronto, une école secondaire qui met l'accent sur l'entrepreneuriat. J'adore les écoles secondaires qui sont tournées vers les arts, et je ne veux pas que nos écoles secondaires deviennent centrées sur les affaires. Toutefois, nous pourrions créer quelques écoles comme SHAD s'il y avait des étudiants et des collectivités intéressés par cette idée. Voilà des idées que nous pourrions mettre à profit.

En fin de compte, ce qui est le plus important, c'est qu'il y a des tonnes de bonnes choses qui se font à petite échelle au Canada, certaines sont parrainées par les gouvernements et d'autres ne relèvent que du secteur privé. Nous devons être plus souples et plus agiles pour repérer ce qui donne de bons résultats et doter les expériences qui marchent des ressources requises pour qu'elles puissent être reproduites à grande échelle rapidement.

En ces temps d'innovation, ces cycles sont beaucoup plus rapides que ce que nous avons imaginé par le passé. Nous devons agir rapidement, repérer les projets qui donnent de bons résultats partout au pays et y injecter de l'argent et des ressources.

La sénatrice Cordy : Vos déclarations étaient claires, concises et faciles à suivre. Je vous en remercie tous.

La sénatrice Poirier : Je conviens avec ma collègue que vous avez prononcé de bonnes déclarations.

Monsieur Trefler, en janvier dernier, vous avez été l'un des trois auteurs d'un article paru dans le Globe and Mail sur le PTP dans lequel vous avez déclaré que le Canada a besoin du PTP et qu'il ne pourrait pas en être exclu. Vous avez terminé l'article en laissant entendre que le Canada devrait chercher à négocier une entente commerciale avec la Chine. Comme la Chine vient au deuxième rang des plus grandes économies dans le monde, on l'a proposée un certain nombre de fois comme partenaire commercial potentiel. Est-il possible d'avoir à court terme un bon accord commercial pour les deux pays? Selon vous, dans combien de temps un tel accord pourrait-il être conclu?

M. Trefler : C'est une brillante question. La Chine a une culture différente, comme nous le savons. Je dis cela parce qu'en Chine, les négociations sont plus relationnelles que transactionnelles, comparativement à ici. Lorsque nous allons en Chine, nous devons penser à long terme. Je pense à très long terme. Nous devons commencer dès maintenant; autrement, nous pourrions devoir faire face aux mêmes problèmes que nous avons eus avec le PTP. Si nous arrivons en dernier, nous serons confrontés à des problèmes énormes. Je ne veux pas me retrouver encore dans une telle situation avec la Chine. Je veux commencer les négociations maintenant. Je ne crois pas que j'ai une échéance ferme en tête.

Le premier ministre a lancé les négociations de façon remarquable, mais la Chine n'a pas aussi bien agi que je l'aurais voulu, en posant des conditions préliminaires. Je ne crois pas que le Canada devrait commencer les négociations avec des conditions préliminaires sur les pipelines, et cetera. Nous devrions commencer à nous parler, ce qui est très important. Actuellement, les relations avec les Chinois se tiennent dans l'ombre des Américains. Les relations entre les États-Unis et la Chine sont en train de devenir de plus en plus conflictuelles, bien qu'elles ne soient pas hors de contrôle. Le Canada devrait se sortir de l'ombre faite par les États-Unis et agir en toute indépendance. Nous devrions participer à tous les comités internationaux où des questions concernant la Chine sont débattues, qu'il s'agisse de questions militaires ou financières, comme la Banque asiatique de développement, à laquelle nous aurions dû adhérer. Nous aurions dû être les premiers à y adhérer.

Nous devrions sortir de l'ombre faite par les États-Unis et profiter de toutes les occasions pour entrer en liaison avec les Chinois et développer des relations probablement à très long terme. Je ne crois pas que ces liens soient imminents. Nous devons toutefois commencer à y travailler. Commençons donc maintenant.

La sénatrice Poirier : Au cours de la visite du premier ministre au Japon, un article a été publié dans lequel on a dit qu'une relation étroite avec le Japon pourrait nuire à nos rapports commerciaux avec la Chine. Est-ce juste de dire cela?

M. Trefler : Il y a deux volets à cet énoncé. Il y a un volet économique, qui n'a aucun sens. Aucune économie n'est plus intégrée que celle du Japon avec celle de la Chine. L'affirmation n'a donc aucun sens au niveau économique. Il s'agit clairement d'intérêts stratégiques et militaires, et cela n'entre pas dans mon champ de compétence, mais les points que j'ai soulevés plus tôt sont pertinents. Nous devons nouer le plus de liens possible avec les Chinois. Nous ne pouvons pas laisser les Chinois contrôler complètement la situation. Nous sommes un pays souverain et nous savons ce que nous voulons accomplir.

La sénatrice Poirier : Le 23 juin, la Grande-Bretagne votera pour déterminer si elle restera dans l'UE. Selon vous, quelle incidence cela aura-t-il sur l'AECG?

M. Trefler : Je n'y ai pas réfléchi du tout. Je ne connais pas la réponse à cette question.

La présidente : Madame Lapham, avez-vous quelque chose à ajouter sur ces deux points?

Mme Lapham : Pas sur le dernier point, mais sur la question de la Chine, je suis parfaitement d'accord avec M. Trefler. La Chine est un gros joueur dans le marché mondial. Elle est demeurée bien présente et elle est en croissance. Il est donc très important que le Canada ait de bonnes relations commerciales avec ce pays. Je vais revenir au dernier point que j'ai soulevé dans ma déclaration : ce qui préoccupe pour une grande part les Canadiens et les Américains, ce sont les répercussions des échanges commerciaux sur la population de ces deux pays, étant donné que les gens croient que les emplois seront exportés en Chine, et cetera.

Pour aller de l'avant avec ce genre d'accord de libre-échange, le Canada et les États-Unis doivent faire face au fait que certaines personnes seront frappées par une augmentation des échanges commerciaux avec ces pays et ils doivent réfléchir aux politiques à adopter en conséquence qui sont, à mon avis, d'une importance cruciale. C'est un problème énorme et très complexe avec un pays comme la Chine.

Pourrais-je me prononcer sur quelque chose qui a été soulevé plus tôt concernant l'importation? Mme Yan a parlé de plusieurs points intéressants au sujet du taux de change et de la dépréciation du dollar canadien qui aident les exportations et les exportateurs. Si nous estimons que l'importation par les sociétés est importante pour leur survie et qu'elle a un lien avec la productivité, la dépréciation du dollar canadien nuit alors à ces sociétés qui achètent ces biens.

Si nous estimons que le rôle des sociétés qui importent est en croissance, les questions relatives aux fluctuations du taux de change et leur incidence sur ces sociétés deviennent beaucoup plus nuancées. C'est quelque chose qu'il faut garder en tête, étant donné que nous estimons que les importations sont peut-être aussi importantes que les exportations pour les entreprises.

[Français]

Le sénateur Rivard : Presque tous les témoins qui ont comparu depuis quelques mois sont favorables aux accords de libre-échange, notamment l'ALENA, qui est plutôt de l'histoire ancienne, mais surtout l'accord avec l'Union européenne et le nouvel Accord sur le Partenariat transpacifique.

Lorsqu'on parle d'accord de libre-échange, il y a lieu de mentionner les exclusions ou les quotas. Par exemple, avec l'Union européenne, les importations de fromage sont limitées. Cependant, une fois ces balises établies, on s'attend à ce qu'il y ait une libre circulation des biens et des services pour les produits. En d'autres mots, il n'y a pas de droits de compensation, qu'il s'agisse de taxes ou autre. Voilà en quoi consiste le libre-échange. C'est ce que je comprends du libre-échange.

De plus en plus d'États américains adoptent des mesures restrictives, en insérant dans les appels d'offres, notamment pour la construction de ponts inter-États ou à l'intérieur d'un État, des conditions qui favorisent indûment certaines parties et qui mènent à l'incapacité des entrepreneurs canadiens d'exécuter des travaux. Les Américains ont été au cœur d'un litige coûteux en matière de bois d'œuvre qui a duré de nombreuses années, sous prétexte que l'industrie forestière canadienne subventionnait trop son industrie.

Or, avec la nomination possible d'un certain candidat à la présidence américaine, qui affirme pouvoir construire des murs à la frontière de certains pays voisins et obliger des compagnies comme Apple ou d'autres fabricants de téléphones de ramener la production aux États-Unis dans le cadre de projets de loi, étant donné que le marché aura toujours le dessus, n'y a-t-il pas lieu de s'inquiéter?

De plus, lorsque des États appliquent des clauses de protection pour la construction d'un pont ou d'un stade, par exemple, l'acier doit être produit aux États-Unis, et les installateurs spécialisés doivent être Américains. Voici les préoccupations dont je souhaitais vous faire part concernant la situation chez notre voisin. Que peut-il arriver de pire que la situation actuelle?

[Traduction]

M. Trefler : Vos préoccupations sont fondées. Lorsque les accords commerciaux sont devenus plus imposants, nous y avons ajouté, entre autres, des dispositions infranationales sur les politiques d'acquisition. C'est certainement un problème dont il faut s'occuper, sinon il se retourne contre nous. Je pense au gouvernement de l'Ontario et à certains de ses projets d'énergie propre.

Il faut garder les choses dans leur contexte. Ces accords commerciaux ne sont pas parfaits, nous devons donc trouver un juste équilibre pour les intérêts en jeu. Je ne crois pas qu'on ait accordé beaucoup d'importance aux questions d'acquisition. J'aurais aimé que nous puissions nous en occuper mieux; c'est un prix à payer pour les accords, un défaut de ces accords.

Je crois comprendre, à la lumière de votre question, que vous vous attendez à ce qui pourrait être une avalanche de politiques protectionnistes par les Américains si Donald Trump est élu. J'ai une perception étrange du personnage qui ne cadre pas, je crois, avec celle de la plupart des gens. Je ne suis pas de près la politique américaine, mais il y a deux choses que nous devrions garder en tête.

Il faut d'abord se rappeler que Bill Clinton était opposé à l'ALENA, mais qu'il l'a signé. Il a apporté quelques changements de forme au moyen d'accords trilatéraux et il l'a signé. Je ne sais pas ce que Trump fera à cet égard s'il est élu président, en partie à cause de ce que je viens de dire et en partie parce que je ne sais pas d'où viendront les plus grandes pressions exercées sur lui, soit de l'extrême droite du Parti républicain, ou s'il trouvera quelque chose qui sera un peu plus à gauche pour cela.

C'est étrange, mais je ne sais tout simplement pas quelle tournure les choses vont prendre, mais j'en parle parce que c'est pertinent pour les accords commerciaux. Il ne faut pas oublier non plus que Trump utilise les médias avec une habileté que nous n'avons peut-être jamais vue auparavant chez les politiciens. On peut s'en réjouir ou le déplorer, pour des motifs différents.

Nous serons confrontés aux mêmes dilemmes pour les futurs accords commerciaux. Voudrons-nous que les négociateurs justifient ce qu'ils font dans les réseaux sociaux? En soi, ce serait peut-être la bonne chose à faire, mais pour un petit pays comme le Canada, aller à l'encontre de certaines très grosses compagnies dans des pays étrangers pourrait solidifier la position du gouvernement. Le gouvernement pourrait alors exprimer son mécontentement profond à l'égard de cette disposition particulière de l'accord et dire qu'il ne peut pas le signer. Cela conduirait soit au rejet de l'accord, soit à l'apport d'améliorations. Ce serait l'un ou l'autre, mais je ne sais pas lequel.

Nous devrions au moins commencer à réfléchir à la possibilité de négocier les accords commerciaux de façon plus démocratique. Cela sera-t-il avantageux pour les accords ou dommageable?

M. Baldwin : Je ne vais pas me prononcer sur l'éventualité que l'élection américaine change les choses. On nous a demandé de parler de travaux de recherche très précis sur ce que les compagnies ont dû faire pour s'adapter après l'entrée en vigueur d'accords commerciaux par le passé.

D'autres travaux de recherche ont été effectués par un groupe d'analystes économiques qui ne s'est pas servi de données portant sur les compagnies, mais sur les flux commerciaux. Ces chercheurs ont voulu comprendre dans quelle mesure les flux commerciaux, tant entre les provinces qu'outre-frontière, ont montré que le commerce s'est libéralisé et que tous les obstacles dont M. Rivard a parlé ont pris moins d'importance.

Les résultats de la recherche seront rendus publics bientôt; ils montrent que, malheureusement, nous n'avons pas fait après l'entrée en vigueur de l'ALENA autant de progrès que j'aurais pensé comme économiste et que la réduction des prétendus obstacles à l'importation aux États-Unis ne s'est pas produite comme prévu. Bref, la barrière représentée par la frontière ne s'est pas abaissée beaucoup. Je crois qu'il est important de garder cette réalité en tête pour les négociations futures. Ces obstacles auraient dû tomber, je crois, mais ils sont toujours là et on pourrait adopter des politiques pour y remédier.

[Français]

Le sénateur Rivard : J'aimerais répondre au commentaire de M. Trefler concernant M. Clinton.

[Traduction]

La présidente : On m'a informée que nous devrons avoir terminé à 11 h 45 parce que l'un de nos panélistes doit prendre un avion. Deux autres personnes veulent poser des questions. Allez-y.

[Français]

Le sénateur Rivard : Monsieur Trefler, vous nous avez rappelé que M. Clinton n'était pas favorable au libre- échange. Il ne faut pas oublier que c'est Brian Mulroney qui a conclu l'accord de libre-échange au Canada. Or, son successeur avait affirmé qu'il y mettrait la hache, ce qui n'a pas été fait. Ce qui m'encourage dans votre commentaire, c'est que, comme vous l'avez rappelé, il y a eu un précédent des deux côtés de la frontière. Par conséquent, si M. Trump est conduit au pouvoir, il est possible qu'il se rende compte qu'il n'a pas intérêt à jouer dans le dossier du libre-échange.

[Traduction]

Le sénateur Ngo : J'aimerais revenir aux réponses données par M. Trefler et Mme Lapham.

Vous avez dit que le Canada devrait saisir toutes les occasions d'entrer en relation avec la Chine. Vous savez toutefois que ce pays est un de ceux où les droits de la personne sont les plus malmenés au monde. Comment le Canada pourrait-il répartir ses priorités entre les droits de la personne et ses liens économiques avec la Chine?

M. Trefler : Vous me mettez sur la sellette en me posant une question aussi difficile. Tout d'abord, je ne dirais pas que la Chine est le pire pays sur la planète pour les droits de la personne. Des actes très regrettables sont perpétrés contre des civils dans beaucoup de pays au nom d'idéaux. Nous pourrions nommer beaucoup de pays. Je ne veux pas qu'on accuse la Chine d'être la seule à agir ainsi.

La question est dépourvue d'utilité pratique : vaut-il mieux entrer en relation avec un pays ou refuser tout rapport avec lui pour améliorer les droits de la personne? Je n'ai pas la réponse à cette question, mais je crois que les Chinois seraient tout à fait imperméables aux pressions que nous voudrions exercer en refusant d'avoir des rapports avec eux. Les Chinois ne se soucient nullement de ce que nous disons. Si nous cherchons à les « punir en leur tournant le dos », nous n'aiderons nullement les citoyens de ce pays, comparativement à ce que nous pourrons faire si nous entretenons des rapports avec ces gens et les amenons à réfléchir à la question.

Je suis allé à Pékin il y a quelques mois. J'ai été prié de participer à un forum sur la corruption. Les Chinois sont disposés à parler des abus de la bonne façon. Nous disposons de moyens extrêmement efficaces pour lutter contre la corruption, ici. Lorsque nous faisons face à de la corruption, nous nous y attaquons. Examiner avec la Chine comment réagir à ce genre de choses est utile. Je comprends que c'est une question très difficile.

Mme Lapham : J'aime croire que la prospérité économique fait diminuer la corruption. Ce n'est pas nécessairement le cas, mais j'aime croire que la participation à ce genre d'accords et l'intégration des économies permettent d'accroître le bien-être et de réduire la corruption. C'est peut-être naïf de penser ainsi. Je conviens avec M. Trefler que la question est complexe, mais je ne crois certainement pas que fermer la porte et isoler l'autre peut aider. Cela ne fera que nuire.

Le sénateur Ngo : Je ne demande pas s'il faut isoler la Chine. Nous savons que la Chine ne respecte pas les droits de la personne. Nous en sommes certains. Devons-nous faire passer les droits de la personne avant les considérations économiques? Qu'est-ce qui devrait passer en premier? Pour être certain, il faut savoir que la majorité de la compagnie est parrainée par le gouvernement. Fondamentalement, vous ne traitez pas avec des entreprises privées, mais avec le gouvernement, c'est l'État qui est propriétaire des entreprises.

M. Trefler : Vous pensez beaucoup aux entreprises de l'État. C'est un peu réduire les choses.

L'ouverture procure certains avantages précis. J'ai certaines préoccupations à l'égard des entreprises appartenant à l'État, c'est certain. Toutefois, l'ouverture donne lieu à ces choses très précises. Nous commençons à rédiger des contrats avec des entreprises appartenant à l'État, mais la Chine vient tout juste de commencer à élaborer ses lois sur les contrats. Quand on regarde un petit nombre de décisions rendues par la Cour populaire suprême, on secoue la tête et on se demande : « Mais pensent-ils réellement ainsi? » Or, si des avocats canadiens qui discutent avec les Chinois de questions de compétence, de la loi des lois, déclarent : « Hé, vous vous trompez. Vous ne pouvez pas prendre des décisions arbitraires comme celles-là. Vous devez respecter une norme internationale », il y a une chance que le réseau juridique chinois commence à repenser progressivement son schème de valeurs.

Ai-je des preuves que quelque chose comme cela s'est produit dans le passé? Oui, en fait, j'ai rédigé quelques articles à ce sujet et j'essaie de rédiger un livre sur l'incidence du commerce international sur les systèmes juridiques. Je suis en train d'écrire un article dans lequel je parle de l'incidence des investissements étrangers directs en Chine sur la mise en place de cours de brevets. Je ne veux pas exagérer l'importance du sujet, mais il est certain que l'ouverture procure des avantages. Naturellement, il y aura en définitive des décisions politiques à prendre et je laisse le Sénat et la Chambre des communes tracer la limite.

Le sénateur Oh : Je voyage en Chine depuis 1978. J'ai vu la vie de beaucoup de Chinois s'améliorer. Convenez-vous avec moi que l'amélioration des droits de la personne de 600 millions de Chinois qui ont haussé leur qualité de vie, passant de la pauvreté à un bien meilleur niveau de vie, aide non seulement les Chinois eux-mêmes, mais également les autres pays avec lesquels ils ont des liens commerciaux et qu'elle favorise l'économie mondiale? Elle est à l'avantage des pays de partout dans le monde. En convenez-vous?

M. Trefler : Je conviens parfaitement avec vous que nous devons être conscients que nous, les Canadiens, ne sommes pas les seuls en cause dans les accords commerciaux, mais que toute la planète est concernée. Les accords commerciaux ont apporté de la prospérité, mais ils ont également nui à quelques milliards de personnes. Il ne faut pas sous-estimer cela.

Le sénateur Oh : Parlant d'entreprises appartenant à l'État, vous ne trouverez aucune grande compagnie en Asie qui n'appartienne pas à un État. Telle est la situation presque partout en Asie, et en Afrique également.

M. Trefler : Je pense à Alibaba.

La présidente : Je ne suis pas certaine que je voulais terminer sur ce point avec vous, monsieur Trefler, mais vous devez partir. Vous pouvez voir que vous avez suscité une discussion animée au comité. Je vous remercie de votre participation.

J'ai une autre question que les attachés de recherche m'ont demandé de vous poser. C'est une question que nous surveillons pour d'autres panélistes, peut-être davantage pour ceux de Statistique Canada. On nous a dit que notre modèle de collecte de données sur les accords commerciaux et les facteurs économiques est peut-être dépassé et biaisé, parce qu'il est axé sur l'information relative aux biens alors que l'économie tend maintenant davantage vers les services. Estimez-vous qu'à Statistique Canada, vous étudiez les questions qui sont extrêmement importantes pour l'économie de la nouvelle vague?

Vous pourriez peut-être vous identifier, monsieur.

Éric Boulay, directeur adjoint, Division du commerce et des comptes internationaux, Statistique Canada : Je m'appelle Éric Boulay.

Nous recueillons déjà pas mal d'informations que nous communiquons à la population dans des publications trimestrielles et annuelles. Nous disposons de données sur le commerce et les services internationaux transmises tous les trimestres par quelque 25 pays partenaires que nous rendons publiques dans notre cadre conceptuel que nous appelons la balance des paiements. Des données sont disponibles dans un certain nombre de catégories, comme le transport, les services gouvernementaux, les services commerciaux et les voyages. Voilà le genre de données que nous recueillons dans notre travail.

Dernièrement, nous avons rendu publiques de nouvelles statistiques sur le commerce avec les pays affiliés, tant au niveau de l'importation que de l'exportation. Les nouvelles statistiques que nous avons rendues publiques en décembre dernier ont révélé, entre autres, que les pays à participation majoritaire affiliés au Canada comptent pour 50 p. 100 des exportations canadiennes.

Ces pays affiliés prennent une importance croissante pour le Canada, et c'est la raison pour laquelle Statistique Canada s'est mis à rendre publiques ces nouvelles statistiques. Au niveau international, tous les grands pays produisent également de telles statistiques. Par exemple, les échanges commerciaux avec ces pays génèrent 1,9 million d'emplois au Canada, ce qui représente environ 12 p. 100 de tous les emplois du Canada. Voilà une information qui montre un peu l'importance de ce genre d'industrie de services dans l'économie canadienne.

La présidente : C'est très instructif. Nous avons également entendu parler des réseaux mondiaux et des chaînes de valeurs mondiales qui ont cours actuellement. Cela relève du domaine des affaires étrangères.

Un gadget logiciel arrive au Canada et placé dans quelque chose qui sera expédié ailleurs. Commencez-vous à suivre toute l'activité qui y est rattachée — parce que l'économie est mondiale maintenant —, tant sur le plan de la propriété intellectuelle que sur celui du produit même?

M. Boulay : Fondamentalement, nous avons un produit que nous appelons une exportation à valeur ajoutée qui équilibre le contenu importé de nos exportations. C'est un produit rendu public par une autre division appelée Comptes des industries, ce qui est pas mal en lien avec votre question.

Une recherche est en cours sur ce que nous appelons les services de fabrication des produits à transformer. Des produits enregistrés comme produits réguliers par les douanes entrent au pays simplement pour être transformés; ils sont ensuite renvoyés à des pays étrangers.

Nous ne pouvons pas réellement isoler ce genre d'informations, mais une initiative est en cours pour essayer de mesurer cette activité, de l'isoler des autres afin d'évaluer la différence entre les valeurs à l'importation et à l'exportation de ces produits. En raison de la chaîne de valeurs, nous voyons de plus en plus ce genre de mouvements de biens envoyés à l'étranger pour y être transformés ou rapatriés au Canada pour les mêmes fins.

Danny Leung, directeur, Division de l'analyse économique, Statistique Canada : Je m'appelle Danny Leung, et je suis directeur de la Division de l'analyse économique à Statistique Canada.

J'aimerais ajouter que l'on s'efforce actuellement d'accroître notre capacité de suivre le mouvement de ces biens. Beiling Yan a déjà fait allusion au travail que nous avons fait pour lequel nous avons utilisé ce que nous appelons des tableaux sur les entrées-sorties pour examiner comment les produits importés des États-Unis et d'autres pays ont accru la productivité au Canada.

Ce projet a constitué un premier essai pour étudier les questions que vous avez mentionnées ici. Je parle d'un premier essai parce que faire le lien entre tous les facteurs de production de toutes les marchandises représente un gros travail. Il faut s'assurer que les comptes que nous avons au Canada correspondent réellement à ceux qui ont cours dans d'autres parties du monde et qu'ils s'équilibrent.

Dans leur étude, Mme Beiling et ses collègues ont dû formuler l'hypothèse voulant que toutes ces choses s'additionneraient. Nous menons un projet actuellement dans lequel nous prenons un certain recul pour essayer d'utiliser un ensemble plus restreint de connexions entre le Canada et les États-Unis, d'une part, et le Canada et le Mexique, d'autre part, les deux pays qui sont nos principaux partenaires commerciaux, pour mesurer correctement ces connexions en limitant les hypothèses pour équilibrer le système.

Tout ceci pour vous dire que nous sommes conscients qu'il faut recueillir ces statistiques et que nous sommes en train d'améliorer ce qui a déjà été fait.

La présidente : Merci. Merci d'être venus nous voir, madame Lapham, et tous les autres de Statistique Canada. Votre participation est extrêmement précieuse. Elle nous aide à comprendre un peu mieux certaines initiatives menées à Statistique Canada et certaines perspectives sur le sujet que nous avons présentées aujourd'hui.

Chers collègues, nous poursuivrons notre séance à huis clos pour discuter de deux questions. Ce sera assez court et nous pourrons lever la séance ensuite.

(La séance se poursuit à huis clos.)

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