Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et du commerce international
Fascicule no 11 - Témoignages du 19 octobre 2016
OTTAWA, le mercredi 19 octobre 2016
Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd'hui, à 16 h 18, pour mener une étude sur les relations étrangères et le commerce international en général (sujet : Accords commerciaux bilatéraux, régionaux et multilatéraux : perspectives pour le Canada).
La sénatrice A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.
La présidente : Honorables sénateurs, le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit cet après-midi pour étudier les questions qui pourraient survenir occasionnellement se rapportant aux relations étrangères et au commerce international en général. Dans le cadre de ce mandat, le comité entendra aujourd'hui des témoignages sur les accords commerciaux bilatéraux, régionaux et multilatéraux et les perspectives pour le Canada.
À ce jour, le comité a tenu plusieurs séances sur le sujet et a entendu le témoignage d'universitaires, de spécialistes, de représentants du gouvernement et d'intervenants. Je suis très heureuse que nous puissions poursuivre cette étude aujourd'hui. Nous accueillons, par vidéoconférence, du New Hampshire, Mme Emily Blanchard, professeure agrégée en Administration des affaires, Dartmouth College, et auteure de Leveraging Supply Chains in Canadian Trade Policy publié par l'Institut de recherches politiques.
Nous accueillons également sur place — ce n'est pas sa première comparution et il est toujours très heureux de venir témoigner — M. Paul Davidson, président, Universités Canada. Je sais, monsieur Davidson — j'ignore si c'est le cas également pour vous, madame Blanchard —, que vous deviez témoigner lors d'une séance précédente, mais qu'en raison de difficultés avec les séances du Sénat, notamment, nous avons dû annuler votre comparution. Nous vous remercions sincèrement d'avoir accepté de nouveau de venir témoigner devant le comité.
Nous allons procéder dans l'ordre de présentation des témoins. Puisque nous aurons peut-être à les étudier, nous nous intéressons beaucoup aux politiques commerciales en général, à l'AECG et au PTP. Nous n'allons pas nous attarder précisément sur ces accords. Nous voulons étudier les politiques commerciales afin d'être bien préparés si jamais nous devons examiner ces accords.
Madame Blanchard, bienvenue au comité. Vous avez la parole.
Emily J. Blanchard, professeure agrégée en administration des affaires, à titre personnel : Merci beaucoup de m'avoir invitée à témoigner aujourd'hui. J'aimerais vous parler de ma recherche sur les chaînes d'approvisionnement et la politique commerciale en général, notamment de la façon dont elles s'appliquent au Canada et aux accords commerciaux du Canada.
J'aimerais prendre quelques instants pour parler d'abord de mes recherches, de ce que j'ai appris et des sujets sur lesquels les universitaires se sont penchés au cours des dernières années.
D'abord, une simple observation, soit que, de plus en plus, les frontières économiques nationales ne correspondent plus aux frontières géographiques. Cela signifie que les intérêts économiques du Canada s'étendent bien au-delà des frontières physiques du pays pour inclure des intérêts miniers à l'échelle de la planète et des chaînes d'approvisionnement auxquelles les producteurs canadiens fournissent des produits, services et intrants en amont importants qui se retrouvent souvent dans les produits importés au Canada.
Parallèlement, des investisseurs étrangers importants et chaînes d'approvisionnement étrangères s'intéressent à l'économie canadienne. Cela signifie que des intérêts étrangers, outre-mer, jouent un rôle dans l'économie locale canadienne.
Pour la recherche et la politique, cela signifie qu'une meilleure compréhension des liens entre les entreprises, les marchés et les politiques des pays s'impose. Du côté de la recherche, cela signifie modéliser différemment l'activité commerciale et économique. Nous devons adopter de nouvelles façons de faire, comme des échanges commerciaux à valeur ajoutée plutôt que des échanges commerciaux bruts.
Pour la politique, tout cela souligne l'importance, d'abord, de comprendre et de reconnaître ces nouveaux liens parfois difficiles entre les marchés, puis, dans un monde idéal, de les internaliser.
Pour résumer les leçons de recherche retenues et le document que j'ai écrit l'an dernier pour le PARP, il y a deux principales leçons à tirer de l'influence potentielle des investissements directs étrangers et des chaînes d'approvisionnement mondiales sur la politique commerciale.
D'abord, les pays ont de nouvelles raisons de vouloir réduire les tarifs et éliminer les barrières non tarifaires afin d'ouvrir l'accès à leurs marchés aux produits étrangers. C'est peut-être en raison des investissements directs étrangers. Les intérêts miniers canadiens connaissent plus de succès lorsqu'ils ont un accès direct et libre de droits aux sociétés en amont et aux consommateurs canadiens.
C'est également en raison des chaînes d'approvisionnement. Une société comme Magna International connaîtra plus de succès si elle peut vendre des pièces d'auto au Mexique. Souvent, ces pièces servent à la fabrication de voitures et de camions légers au Mexique, véhicules qui sont ensuite importés au Canada.
C'est aussi en raison des liens classiques entre les intrants et les extrants et les complémentarités de la demande. La recherche nous apprend que les sociétés, notamment les exportateurs, connaissent plus de succès lorsqu'elles ont accès à des importateurs étrangers de partout dans le monde. Elles ont besoin de bons fournisseurs locaux, mais aussi de fournisseurs à l'étranger. De plus en plus, pour jouir d'une activité économique importante, il faut avoir accès à des producteurs étrangers.
Parallèlement, les investissements directs étrangers et les chaînes d'approvisionnement mondiales peuvent introduire de nouvelles vulnérabilités...
La présidente : Je suis désolée de vous interrompre, mais l'on m'apprend qu'il y a un problème avec l'interprétation vers le français, c'est exact? Semble-t-il qu'il y a un bruit de fond, mais je peux tout de même vous entendre. J'ignore s'il s'agit d'un problème de connexion. Y a-t-il un bruit de fond, madame Blanchard, dans la pièce où vous êtes?
Mme Blanchard : Non, pas du tout. C'est très silencieux, ici.
La présidente : Notre technicien semble avoir amélioré la situation. Vous pouvez reprendre. Nous verrons si les interprètes peuvent poursuivre, mais faites-moi signe si ce n'est pas possible.
Allez-y, madame Blanchard.
Mme Blanchard : Merci.
Parallèlement, les investissements directs étrangers et les chaînes d'approvisionnement mondiales introduisent de nouvelles vulnérabilités. Les décideurs et potentiellement les entreprises ont l'occasion d'adopter un comportement opportuniste. Il serait peut-être de mise d'adopter de nouvelles solutions ou mesures de protection. Évidemment, celles-ci sont très controversées et pourraient inclure, par exemple, le règlement de différends entre investisseurs et États et d'autres mécanismes liés à la réglementation ou à la politique frontalière. Je serai heureuse de revenir plus en détail sur ces mesures lors des questions des membres.
De façon plus générale, cela signifie que les pays ont de nouvelles raisons de libéraliser leurs barrières commerciales et d'inclure de nouvelles politiques dans les accords commerciaux. Il ne faudrait pas se surprendre que l'on propose d'accorder plus d'importance aux accords commerciaux régionaux dans un monde où l'on retrouve des chaînes d'approvisionnement mondiales et des investissements étrangers. De nombreux universitaires prétendent que la prolifération récente des accords commerciaux régionaux et préférentiels témoigne d'une demande latente pour ce genre de libéralisation et de protection intérieure accrues et je partage cette opinion. Ces mesures ne sont pas sans prix et sans mises en garde, mais elles semblent être une priorité pour bon nombre de négociateurs commerciaux partout dans le monde.
Il s'agit d'un cycle continu. Des chaînes d'approvisionnement mondiales pourraient mener à des accords régionaux plus complets, ce qui mènerait à de meilleurs liens avec des chaînes d'approvisionnement mondiales ou des investisseurs étrangers. Une des craintes soulevées est que ce mécanisme est si rigoureux dans certains pays et certaines régions, que d'autres pays et régions seraient incapables de percer les marchés de l'ALENA — Canada, États-Unis, Mexique — et se retrouveraient exclus de ces cycles vertueux de l'intégration commerciale, économique et politique croissante.
Compte tenu de cette plus grande intégration des régions grâce à des accords préférentiels, il est important de rester à l'affût des symétries qui pourraient s'accentuer dans le système commercial international. Aussi, il pourrait être de plus en plus important pour le Canada et d'autres économies principales de prendre une position dominante à la table de négociation multilatérale, dont celle de l'Organisation mondiale du commerce.
Ceci dit, je vous remercie de votre attention. Je suis impatiente de répondre à vos questions.
La présidente : Merci. Nous entendrons maintenant l'exposé de M. Davidson, après quoi nous passerons aux questions des membres.
Paul Davidson, président, Universités Canada : Merci, madame la présidente. Je suis très heureux de témoigner de nouveau devant le comité. Si je ne m'abuse, il s'agit de ma cinquième comparution au cours des dernières années, mais il s'est écoulé quelques années depuis mon dernier témoignage. Certains de mes points vous seront familiers, mais le contexte est différent. Nous célébrons la première année au pouvoir du gouvernement actuel et celui-ci souhaite mener des consultations sur un vaste éventail de sujets, dont celui d'aujourd'hui.
Dans le contexte mondial, les négociations entourant l'AECG et le PTP ont progressé et nous pouvons constater les conséquences du Brexit et du climat politique aux États-Unis. Ensemble, ces situations font en sorte que le Canada se retrouve en excellente position pour attirer les meilleurs talents du monde et collaborer à la recherche mondiale. Ce nouveau contexte vient ajouter à l'urgence de mes propos sur le rôle important que peuvent jouer les universités dans le développement de bonnes relations internationales.
[Français]
Comme vous l'avez bien dit, je m'appelle Paul Davidson et je suis président-directeur général d'Universités Canada. Notre association est la porte-parole de 97 universités qui travaillent ensemble afin de bâtir un Canada inclusif, prospère et novateur.
[Traduction]
La réussite commerciale internationale du Canada repose sur des liens personnels entre les étudiants, le personnel enseignant et les chercheurs talentueux et leurs partenaires mondiaux.
Ces partenariats mènent à des découvertes mondiales et des innovations spectaculaires. Ils encouragent également une culture entrepreneuriale mondiale qui mène à de nouvelles façons de faire des affaires et de conquérir de nouveaux marchés pour l'innovation canadienne.
La semaine dernière, Dominic Barton, président du Conseil consultatif en matière de croissance économique, a prononcé une allocution devant le Forum des politiques publiques. J'ai été surpris de l'entendre parler des défis auxquels est confronté le marché mondial et de vanter ensuite la capacité concurrentielle du Canada. Il accorde plus d'importance à la qualité du système d'enseignement supérieur du Canada qu'à tous les autres atouts du pays, et nous savons que le Canada possède de nombreux atouts.
Aujourd'hui, j'aimerais vous donner un aperçu de la façon dont les universités canadiennes, grâce à ces partenariats, jouent un rôle de chef de file dans la création de milieux d'apprentissage actifs sur la scène mondiale en menant des recherches collaboratives transfrontalières et en lançant des innovations sur le marché mondial, tous des facteurs habilitants menant à de bonnes relations commerciales internationales.
Depuis ma dernière comparution, nous avons mené le sondage le plus détaillé sur l'internationalisation des universités canadiennes et les résultats sont impressionnants. Nous en avons remis une copie à la greffière. Presque toutes les universités canadiennes considèrent l'internationalisation comme étant une priorité stratégique et concentrent leurs efforts sur des États prioritaires, comme la Chine, l'Inde et le Mexique.
Lors de mes témoignages précédents devant le comité, j'ai parlé de l'importance des étudiants étrangers, notamment les étudiants chinois, et cela demeure. Toutefois, le niveau de collaboration en matière de recherche croît rapidement. Selon notre plus récent sondage, 80 p. 100 des universités canadiennes ont identifié la Chine comme partenaire important dans la collaboration en recherche.
Je tiens à le souligner, car pour l'heure, plus de 40 p. 100 de toute la recherche au Canada se fait sur les campus et en collaboration avec des partenaires universitaires. Nous devons nous assurer de créer coûte que coûte un environnement qui adopte une perspective mondiale et qui satisfait aux ambitions mondiales. Le Canada se distingue à ce chapitre. Près de 50 p. 100 des publications canadiennes ont été coécrites par des auteurs étrangers, soit plus de deux fois la moyenne mondiale. Nos chercheurs sont parmi les plus cités au monde et eux aussi se distinguent.
L'autre point sur lequel j'aimerais attirer votre attention est la qualité de nos infrastructures de recherche. Nos partenaires mondiaux veulent venir travailler au Canada. Il est terriblement important que nous ayons une politique commerciale, des accords commerciaux et des programmes commerciaux qui encouragent cette façon de faire.
Depuis ma dernière comparution devant le comité, l'Union européenne a créé son programme Horizon 2020 qui comprend une initiative européenne pluriannuelle de 80 milliards de dollars. L'UE a identifié le Canada comme un partenaire de choix, mais nous n'avons aucun mécanisme nous permettant de profiter de cette occasion internationale incroyable et nous tenterons de remédier à la situation au cours des prochains mois.
J'aimerais revenir à la mobilité des étudiants. Nous avons fait du bon boulot pour attirer des étudiants étrangers au Canada. Nous jouissons d'un des systèmes d'éducation les plus enviables au monde. Le nombre d'étudiants internationaux au pays a triplé depuis 2000. Concernant leur impact sur l'économie canadienne, je me souviens que le ministre Stockwell Day et son ministère, à l'époque, avaient mené une étude des retombées économiques et celle-ci avait permis d'établir à 8 milliards de dollars par année la contribution des étudiants étrangers à l'économie canadienne. Ed Fast a annoncé que ces retombées s'établissaient à plus de 10 milliards de dollars à l'époque où il était ministre et nous nous attendons à ce que la ministre Freeland fasse bientôt le point sur ces retombées. Je ne veux pas lui voler la vedette, mais je n'en parlerais pas si ces retombées ne continuaient pas de croître. Tous ces étudiants ont un impact sur l'économie canadienne.
Inversons les rôles. Le pourcentage d'étudiants ayant acquis une expérience internationale n'a pas changé au cours des 30 dernières années. On serait porté à croire qu'un pays comme le nôtre qui dépend du commerce voudrait que ses étudiants acquièrent une expérience internationale dans le cadre de leurs études de premier cycle, mais seulement 3 p. 100 des étudiants canadiens chaque année auront la chance d'acquérir une telle expérience. Nous devons faire mieux. Encore une fois, nous travaillons avec le secteur privé, le gouvernement et d'autres intervenants avant de remédier à cette situation.
Le troisième point entourant la mobilité des étudiants concerne la politique en matière d'immigration. Ce problème n'est pas dispendieux à régler, mais il est essentiel que nous ayons les politiques et pratiques nécessaires en matière d'immigration pour être premiers de classe et continuer d'attirer des étudiants étrangers dans un milieu très concurrentiel.
Puisque je souhaite vous laisser beaucoup de temps pour vos questions, je terminerai bientôt mon exposé. Mais, auparavant, j'aimerais vous faire quelques recommandations relativement à l'objet de cette séance.
D'abord, nous devons continuer de voir l'éducation internationale comme un secteur commercial prioritaire. J'encourage le comité à examiner les ressources offertes par le gouvernement pour promouvoir l'éducation supérieure à titre de secteur prioritaire. Certains ont souligné que le gouvernement du Royaume-Uni dépense plus au New Delhi pour attirer des étudiants que n'en dépense le Canada à l'échelle mondiale. Nous devons faire mieux. Parallèlement, nous devons nous assurer que nos politiques en matière d'immigration sont les meilleures et trouver de nouvelles façons d'attirer des étudiants étrangers.
La semaine prochaine, nous aurons le plaisir d'accueillir mon homologue australienne, Belinda Robinson, pour discuter du nouveau Plan Colombo de l'Australie, un plan ambitieux qui trace un lien entre la mobilité des étudiants, la collaboration en recherche et les intérêts domestiques de l'Australie pour pénétrer plus en profondeur le marché asiatique.
En terminant, à titre d'atouts, les universités sont sous-utilisées dans le développement de la marque de commerce du Canada. Selon nous, nous devons saisir l'occasion qui se présente dans ce climat d'après-Brexit et compte tenu du climat politique qui règne aux États-Unis.
Merci de m'avoir offert l'occasion de venir témoigner.
La présidente : Merci, monsieur Davidson, et merci de comprendre que les sénateurs aiment poser beaucoup de questions. Je vais intervenir la première et m'adresser à Mme Blanchard.
Ma question concerne les nouvelles chaînes d'approvisionnement. Des témoins nous ont dit que la façon dont les pays s'y prennent pour recueillir des données est démodée et obsolète. Vous y avez fait allusion. Pourriez-vous nous fournir plus de détails à ce sujet?
Par exemple, et j'ignore si vous le savez, le Canada et d'autres pays tirent leurs statistiques commerciales des données relatives aux importations et exportations au pays. Ce sont des données très simples sur lesquelles nous nous appuyons encore aujourd'hui. Selon vous, devrions-nous changer de modèle pour la collecte de données? Quel pays fait mieux que les autres à cet égard? Le savez-vous?
Mme Blanchard : C'est une excellente question. C'est essentiel pour tous les pays, et je dirais que le Canada, qui est un pays particulièrement ouvert dont la valeur des échanges commerciaux par rapport au PIB est très élevée à l'échelle internationale, figure en tête de liste. C'est de plus en plus et d'autant plus important.
Le concept clé dont il faut tenir compte renvoie à la distinction entre les échanges commerciaux bruts et les échanges commerciaux à valeur ajoutée. Il s'agit de la simple idée de prendre un produit, disons une automobile fabriquée au Canada, et de déterminer la partie de sa valeur qui est attribuable à des fournisseurs, à des travailleurs, à des innovations et à des investissements locaux canadiens, et la partie de son prix de vente final qui est rattaché à des pièces importées.
À l'heure actuelle, pour comprendre les échanges commerciaux, nous mettons l'accent sur la valeur brute plutôt que sur la valeur ajoutée. En regardant le commerce bilatéral et les partenaires commerciaux du Canada partout dans le monde, vous verrez que la Chine semble exporter énormément vers le Canada, ce qui est évidemment le cas, mais ses exportations paraissent beaucoup plus importantes en valeur brute qu'en valeur ajoutée. Cette différence s'explique par l'assemblage final qui est réalisé en Chine et dans d'autres économies émergentes — le Mexique en fait partie — ainsi que par les crédits supplémentaires qu'elles obtiennent compte tenu de la valeur brute du produit, alors que leur valeur ajoutée est très petite.
Tout d'abord, je pense qu'une distinction entre valeur brute et valeur ajoutée est très importante. Cette distinction n'est pas facile à faire. Il faut être en mesure de déterminer quelle partie d'un produit vient des différentes chaînes d'approvisionnement du monde entier. Pour y parvenir, nous avons besoin de matrices d'intrants et d'extrants qui portent sur des produits distincts — une automobile, un iPhone ou un ordinateur portable — et qui indiquent leurs différentes sources d'intrants? Qu'est-ce qui est produit à l'échelle locale? Qu'est-ce qui est produit à l'étranger?
Je pense que le Canada figure parmi les principaux pays qui compilent ces données, mais je crois que tous les pays doivent faire beaucoup mieux, ce qui comprend sans aucun doute mon propre pays, les États-Unis. L'Organisation mondiale du commerce participe à des efforts visant à mesurer ces données de manière exacte, et des groupes sans but lucratif d'établissements de recherche tâchent de mieux les mesurer.
Le président : Merci.
La sénatrice Poirier : Merci d'être ici. Ma question est pour M. Davidson. Pendant l'étude du comité, j'ai entendu que des universités canadiennes n'ont pas accès à autant d'argent que leurs concurrents américains. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi nos universités ne reçoivent pas un financement équivalent? Quelle part du financement provient du secteur privé?
M. Davidson : Merci beaucoup de poser la question. La réponse renvoie en partie à la nature différente du système d'enseignement supérieur des États-Unis, où de nombreuses universités privées sont financées par des fonds privés. Les comparaisons sont donc très difficiles. Quand les gens demandent aux universités canadiennes pourquoi elles ne font pas ceci ou cela, pourquoi elles ne lancent pas de nouveaux programmes ou n'établissent pas de nouvelles priorités, ils doivent comprendre que c'est difficile pour ces universités parce qu'elles sont financées par des fonds de fonctionnement et des frais de scolarité. La plupart des provinces ont maintenant imposé aux universités un plafond pour les frais de scolarité comme source de revenus et elles ont de la difficulté à maintenir leurs fonds de fonctionnement. Les universités canadiennes ne disposent pas des mêmes contributions supplémentaires du secteur privé que reçoivent de nombreuses universités américaines et les universités américaines privées.
La sénatrice Poirier : Pouvez-vous nous dire quel est le montant du financement que vous recevez du secteur public? Avez-vous déjà fait une comparaison par personne avec les concurrentes américaines?
M. Davidson : Oui. Une fois de plus, il est difficile d'effectuer des comparaisons précises. Dans un certain nombre de cas, les frais de scolarité des universités canadiennes représentent maintenant une grande part de leur fonds de fonctionnement, et les subventions de fonctionnement sont de moins en moins importantes.
Toutefois, pour revenir à la comparaison avec les universités américaines, elle indique que leurs pendants canadiens s'en sortent très bien.
La sénatrice Poirier : Donc, votre rendement du capital investi de l'économie canadienne...
M. Davidson : Il est tout à fait remarquable, et il existe différentes façons d'obtenir des détails à ce sujet. L'une des études les plus intéressantes ayant été réalisées dernièrement, sans aucun doute depuis ma dernière comparution devant votre comité, est une étude de l'Université d'Ottawa sur la situation économique des étudiants qui ont obtenu leur diplôme en 2008.
On a examiné la situation économique, en observant leurs déclarations de revenus, de l'ensemble des étudiants de 14 établissements qui ont reçu leur diplôme en 2008. On a préservé leur anonymat et fait les choses correctement. On a constaté ainsi que les étudiants ayant une éducation postsecondaire étaient mieux rémunérés et que leurs revenus augmentaient. C'est un avantage concret pour les étudiants et les familles, et pour l'économie en général. Les universités en tant que secteur contribuent environ 35 milliards de dollars au PIB.
La sénatrice Poirier : J'ai une dernière question, sous un autre angle.
Les accords commerciaux offrent-ils des possibilités, directement ou indirectement, aux universités canadiennes? Le cas échéant, quelles sont ces possibilités, et de quelle façon sont-elles offertes?
M. Davidson : Je pense que ces possibilités sont une question d'orientation pour les jeunes Canadiens. Comme je le disais dans mes observations, nous devons faire en sorte que les jeunes soient des citoyens du monde. Ils doivent acquérir de l'expérience au-delà de nos frontières. Nous devons les orienter en leur disant que le monde leur appartient, que nos étudiants comptent parmi les meilleurs et qu'ils doivent tenter de tirer parti de ces possibilités.
Une autre possibilité concerne la collaboration en matière de recherche. Comme je l'ai dit, l'Union européenne a affecté 80 milliards d'euros à la recherche. Ce financement ne se limite pas à leurs propres pays. Ils ont ciblé des pays, et le Canada est un pays prioritaire, mais quand vient le temps de trouver des fonds de contrepartie et des ressources pour participer, nous n'avons tout simplement pas le mécanisme nécessaire. Nous avons donc besoin d'un mécanisme pour pouvoir être tout à fait présents sur la scène internationale. Pour être franc, des millions de dollars offerts par nos homologues internationaux restent sur la table à défaut d'avoir un mécanisme qui nous permet de payer notre part des projets de recherche proposés à l'échelle internationale.
La sénatrice Poirier : À cet égard, le financement représente-t-il votre principale difficulté?
M. Davidson : Pour favoriser la collaboration internationale en matière de recherche et la création d'une culture de mobilité des étudiants, le financement aide énormément.
La sénatrice Ataullahjan : Nous discutons de la mobilité des étudiants depuis quelques années. Nous étions dernièrement en Argentine où nous avons entendu la même chose, à savoir que nous accueillons des étudiants internationaux, mais que, d'une certaine façon, nous n'arrivons pas à envoyer des étudiants canadiens à l'étranger. Que pouvons-nous faire? Pourquoi échouons-nous à cet égard? Pourquoi les étudiants canadiens ne comprennent-ils pas le message?
M. Davidson : Voici certaines choses que nous faisons. Tout d'abord, dans le cadre de notre propre travail en tant qu'universités, nous nous efforçons de faciliter la reconnaissance et le transfert des crédits. Six universités canadiennes et six universités chinoises participent à un projet excitant dans lequel le gouvernement de la Chine paye tous les frais de scolarité, l'hébergement et une allocation de subsistance à des Canadiens qui étudient en Chine. Ils étudient en anglais, mais vivent dans un milieu chinois. Ce projet est entièrement financé par le gouvernement de la Chine, et les universités participantes en élargissent la portée. Je pense qu'il conviendrait que le Canada paye sa part. La reconnaissance des crédits est donc la première chose.
La deuxième est la création d'une culture qui consiste à voir d'un bon œil les études à l'étranger et à le signaler aux jeunes. Je pense que les jeunes font partie des gens les plus mobiles et les plus souples, et ils lisent les signaux du marché. Je pense donc qu'il est essentiel que des dirigeants civiques comme vous, ainsi que des chefs d'entreprise et ainsi de suite, soulignent l'importance de la mobilité internationale. Nous avons été heureux de travailler avec le Conseil canadien des affaires et la Chambre de commerce pour envoyer ce genre de message aux jeunes.
Et finalement, le coût. Pour les jeunes, le coût représente un obstacle important, et les universités font ce qu'elles peuvent pour réduire ce genre d'obstacles. Je vais vous donner l'exemple très excitant de l'Université Western à London, en Ontario, où tous les étudiants qui ont reçu une offre d'admission le printemps dernier, dans les couleurs de l'université, le violet et le blanc, ont également reçu une carte d'embarquement qui disait : « Cette carte d'embarquement vous donne droit à 1 000 $, lors de votre troisième année, pour vous rendre n'importe où dans le monde si vous maintenez de bonnes notes. »
C'est une formidable mesure incitative pour les jeunes. Dès le moment où ils réfléchissent pour la première fois à fréquenter l'université, ils pensent à se rendre à l'étranger pour y acquérir de l'expérience.
Nous avons les outils, et nous pouvons prendre cette mesure à grande échelle. Au cours des dernières années, nous avons également créé, en collaboration avec la Fondation Rideau Hall et les Fondations communautaires du Canada, le programme de bourses de la reine Elizabeth II, grâce auquel 5 000 Canadiens étudieront à l'étranger au cours des prochaines années, et un certain nombre d'étudiants de pays du Commonwealth viendront faire des études au Canada.
Si les ressources le permettent, cette plateforme très nouvelle et innovatrice, qui est évolutive, permettra à un nombre beaucoup plus élevé d'étudiants de conquérir le monde.
La sénatrice Ataullahjan : L'autre problème dont j'entends très souvent parler lorsque des gens viennent me voir dans le cadre d'activités communautaires est la difficulté que les étudiants éprouvent à obtenir des visas pour venir fréquenter des universités canadiennes. Quelle est la solution à ce problème? Je pense qu'en regardant les chiffres, on constate qu'un plus grand nombre d'étudiants viennent de certains pays. Les ambassades concernées devraient-elles s'efforcer de faciliter le processus pour ces étudiants, peut-être en affectant quelqu'un dans l'ambassade ou le consulat qui s'occuperait expressément des visas d'étudiants?
M. Davidson : Je suppose que la première solution est de travailler de manière très efficace avec le ministère de l'Immigration pour cerner les goulots d'étranglement et tenter d'accélérer le processus.
C'est un marché très compétitif, et les délais de traitement des visas pour le Royaume-Uni, l'Australie et les États-Unis sont donc une chose que nous suivons de très près. Toute la commercialisation et toute la promotion de l'image de marque possibles ne servent à rien lorsqu'un étudiant doit attendre trop longtemps pour obtenir un visa. Nous devons assurer l'intégrité et la sécurité du processus, mais ces problèmes peuvent être réglés, et c'est une question de ressources. Nous préconisons qu'Immigration Canada reçoive plus de ressources pour accélérer le traitement des visas des étudiants.
Nous sommes également heureux que le ministre McCallum ait parlé, pas plus tard qu'en juin dernier, de se défaire des règles stupides qui font en sorte qu'il est plus difficile d'attirer des gens de talent. Nous parlons ici des étudiants, mais c'est la même chose pour les chercheurs de haut niveau, car lorsque nous mettons la main sur un chercheur et un innovateur de calibre mondial, nous devons veiller à ce que sa famille et lui puissent venir et s'installer rapidement au Canada.
L'autre chose que je dirais au sujet des délais de traitement des visas, c'est qu'il s'agit d'un service offert dans une économie compétitive à l'échelle mondiale. Par conséquent, en ayant des niveaux de service élevés, nous accueillerons plus d'étudiants et obtiendrons davantage notre juste part de gens de talent. Pour situer le contexte, je ne veux pas ressasser la même rengaine, mais lorsque j'ai comparu devant votre comité pour parler de l'Inde, j'ai attiré l'attention sur le fait qu'il y a un quart de million d'étudiants indiens chaque année qui seraient admissibles à Stanford ou au MIT et qui cherchent un endroit où étudier dans le monde. Le Canada peut être cet endroit, et dans le contexte de l'après-Brexit et de la situation au sud de notre frontière, nous avons l'occasion d'attirer ces gens de talent en ayant le meilleur traitement qui soit.
La sénatrice Cordy : Des sénateurs ont déjà abordé les questions que je voulais poser, mais pour ce qui est du recrutement, j'ai entendu parler d'une ambassade en Asie. On a dit que des Australiens se rendent en Asie pour recruter, que l'Australie a des gens sur place pour aider immédiatement les étudiants à immigrer et à obtenir un visa.
Pendant ce temps, au Canada — c'était il y a quelques années —, des étudiants canadiens ne savaient toujours pas à la fin août s'ils allaient obtenir ou non un visa. Ils ont dit qu'ils ne pouvaient plus attendre et sont allés ailleurs. Je pense donc qu'il serait utile de se défaire de ce que le ministre McCallum appelle les règles stupides, comme il se dit ouvert à le faire.
L'une des questions que je me pose et que la sénatrice Poirier et vous avez abordées plus tôt concerne la commercialisation des idées innovatrices. Les Canadiens sont très bons pour faire de la recherche, et les universités font un excellent travail. Certaines de nos universités sont des centres d'excellence, et je pense qu'il se passe beaucoup de choses en matière de recherche.
Toutefois, elles ont parfois de la difficulté à commercialiser leurs idées de produit, et elles se tournent donc vers les États-Unis.
Vous avez parlé plus tôt de la valeur financière que représentent souvent les États-Unis. Les universités, en particulier, y obtiennent souvent plus d'argent qu'au Canada. Mis à part l'augmentation du financement, y a-t-il autre chose que nous pourrions faire au Canada pour contribuer à la commercialisation au pays des idées qui viennent d'ici, plutôt que de les envoyer à un autre pays à cette fin?
M. Davidson : C'est une autre excellente question. D'entrée de jeu, je vais encore une fois parler de l'Australie. Mon homologue arrivera la semaine prochaine pour discuter avec des fonctionnaires à Ottawa des leçons apprises par l'Australie, tant pour faire venir des étudiants au pays que pour envoyer de jeunes Australiens à l'échelle de l'Asie.
L'Australie a une initiative très visionnaire pour augmenter considérablement le nombre d'étudiants australiens qui, par exemple, parlent mandarin et pour faire en sorte qu'ils acquièrent ce genre d'expérience dans leur jeunesse.
Pour répondre à votre question sur l'innovation, les universités du Canada mènent l'essentiel de leurs travaux de recherche au pays. On a contesté et critiqué l'ampleur de l'innovation ou de la commercialisation au pays. Je pense que le bilan est mieux que ce que certaines personnes laissent entendre. Nous devons en faire davantage pour parler de ces innovations. Je vais vous donner l'exemple de deux idées innovatrices qui ont très bien fonctionné et qui ont été reprises partout au pays.
La zone des médias numériques à l'Université Ryerson réunit des étudiants de premier cycle, des investisseurs en capital-risque, des avocats spécialisés en propriété intellectuelle et des professeurs pour aider les jeunes à mettre sur pied de nouvelles entreprises. La zone a permis de créer 3 000 emplois à Toronto ainsi que 25 ou 30 nouvelles entreprises. Cela ne s'arrête pas là. L'Université Ryerson s'est associée à l'Université Simon Fraser pour y créer une zone similaire. Une zone semblable de médias numériques a également été créée à Tel-Aviv et à Johannesburg. J'étais là lorsque la coentreprise avec la bourse de Mumbai a vu le jour. La zone de médias numériques de Mumbai est le lieu d'un afflux d'étudiants, d'investisseurs en capital-risque et d'avocats qui évoluent dans ces marchés, partagent des idées et des expériences, et commercialisent des idées brillantes. C'est quelque chose à voir. Ces idées évoluent à la vitesse des affaires. Il est très intéressant de signaler que cela se fait en étroite collaboration avec le secteur privé partout dans le monde.
La sénatrice Cordy : Ce sont de très bons exemples. Je suis heureuse que vous soyez ici aujourd'hui pour nous en parler.
La sénatrice Eaton : J'aimerais vous poser d'autres questions concernant les lois stupides sur l'immigration. D'après ce que j'ai compris, grâce au projet de loi C-24 et à la catégorie économique, la demande d'un chercheur brillant ferait l'objet d'un traitement accéléré s'il a un emploi. Ce qui me préoccupe, c'est l'arriéré des demandes des étudiants.
Devrait-on intégrer des éléments particuliers aux politiques ou aux lois sur l'immigration?
M. Davidson : Il faut parfois des lois, parfois des politiques; c'est aussi parfois simplement une question de ressources et de programmes.
La sénatrice Eaton : De quoi a-t-on besoin?
M. Davidson : D'une association de tout cela. En ce qui a trait aux programmes et aux ressources, le ministère a réussi à acquérir les compétences numériques nécessaires pour un traitement en temps réel selon divers fuseaux horaires, ce qui a une incidence sur les délais de traitement.
En ce qui a trait aux politiques, c'est une question d'orientation et d'ouverture sur le monde. Il faut reconnaître la valeur de ces étudiants pour le Canada, sur les plans économique, social et culturel.
Les enjeux sont parfois d'ordre pratique, comme ce qui se passe à la frontière. Certaines personnes se voient refuser l'entrée au pays.
La sénatrice Eaton : Je n'ai pas vos compétences. Nous pourrions corriger la situation, mais j'ai besoin de réponses précises. Si j'habite à Mumbai, que j'ai été admise à l'université Western et que je souhaite y étudier, je dois obtenir un visa pour venir au Canada. Est-ce que c'est à cette étape que les problèmes commencent? Qu'est-ce que je dois prouver? Que j'ai le soutien financier nécessaire? Quoi d'autre?
M. Davidson : Il faut respecter divers critères, notamment ceux du soutien financier, de la santé et de la sécurité. C'est faisable, mais il faut se demander comment on peut le faire plus rapidement. C'est une question de traitement des demandes.
La sénatrice Eaton : C'est donc une question de ressources.
M. Davidson : Oui, de ressources, tout à fait.
La sénatrice Eaton : En ce qui a trait aux lois, est-ce que des obstacles législatifs empêchent certaines personnes de venir étudier au pays?
M. Davidson : Pour les étudiants internationaux, nous espérons que les choses changeront rapidement et qu'on accordera une plus grande valeur au temps qu'ils ont passé au Canada lorsqu'on examinera leur demande de citoyenneté, parce qu'ils ont pris le risque de venir au Canada. C'est ici qu'ils ont investi, qu'ils ont étudié et qu'ils ont obtenu leur diplôme. Ils ont parfois une expérience canadienne en dehors du campus et nous voulons veiller à ce que lorsqu'ils font une demande de citoyenneté, ils puissent s'intégrer rapidement aux collectivités, surtout dans le Canada atlantique. Il faudrait accorder plus de points pour le temps passé dans une université canadienne, non seulement pour les étudiants internationaux qui sont déjà au pays, mais aussi lorsqu'on fait la promotion du Canada aux étudiants potentiels. On veut pouvoir leur dire que les portes du Canada sont ouvertes et que de nombreuses possibilités les attendent.
La sénatrice Eaton : Dans le projet de loi C-6, on veut réduire la période actuelle de quatre à six ans afin qu'elle passe de trois à cinq ans. Si je veux vraiment devenir citoyen canadien et que je viens au pays pour étudier, je ne vois pas cela comme un obstacle. Je comprends toutefois ce que vous voulez dire. Vous voulez que ce temps compte. Si je passe quatre ans à l'université, vous voulez que cela compte.
M. Davidson : Oui, qu'on y accorde une valeur.
Le président : Madame Blanchard, cette publication est très utile. Dans notre étude précédente, nous avons examiné les chaînes de valeur mondiales. C'est un domaine complexe. Vos exemples portaient tous sur le commerce des marchandises. Comment peut-on valoriser les services, qui sont intégrés de façon très différente? Avez-vous abordé ce sujet dans votre recherche?
Mme Blanchard : On peut mesurer le principe et la pratique. Vous avez tout à fait raison; les services sont beaucoup plus difficiles à mesurer. Dans la plupart des économies, y compris celles du Canada, des États-Unis et de la plupart des pays développés, les services contribuent grandement au PIB et à l'emploi. Donc, lorsqu'on n'arrive pas à mesurer adéquatement les services à titre de composante des produits — et je parle ici des produits au sens large, pas seulement les biens physiques, mais aussi les services, l'exportation et la production de services —, alors on oublie de nombreux éléments, qui doivent être pris en compte.
Donc, en principe, les services sont très importants. Les tableaux des intrants et des extrants et les liens sont essentiels pour comprendre les chaînes d'approvisionnement mondiales. Il est plus difficile de comprendre la composante de service des exportations. Quelle est la composante de service associée à la fabrication d'un produit physique comme un iPhone, un portable ou un ordinateur? On peut aussi se demander quelle est la composante de service des services juridiques. L'éducation est l'un des plus importants domaines d'exportation au Canada. Comment mesure-t-on l'exportation des services d'éducation canadiens, offerts aux citoyens de partout dans le monde?
Ces éléments sont très difficiles à mesurer. Je n'ai pas de conseil pratique sur la façon de le faire. Il faudrait fouiller les bureaux de statistique et demander aux experts de se pencher sur la question.
Si j'étais vous, j'en appellerais quelques-uns et je leur demanderais de venir vous dire pourquoi ils ont besoin d'un financement accru. Quels types de formulaires voudraient-ils que les sociétés remplissent? Quels sont leurs besoins en matière de services et d'exportation des services? Je crois que c'est d'une importance critique.
La présidente : Je constate que dans ce domaine, il est plus facile d'obtenir les chiffres concrets, mais lorsqu'on parle du commerce outremer ou du protectionnisme, cela devient un enjeu politique.
Croyez-vous que c'est parce que nous n'arrivons pas à démontrer notre valeur à titre de nation commerçante? Cela revient notamment à la façon de recueillir des statistiques.
Mme Blanchard : C'est une question très complexe. D'où vient la résistance à l'ouverture des frontières, à l'AECG et au PTP?
Je peux vous parler de la situation aux États-Unis, de ce que j'entends. Le Canada semble avoir une longueur d'avance sur nous à de nombreux égards. Les États-Unis penchent dangereusement vers l'antimondialisation et le protectionnisme accru.
Il faut notamment de meilleures données, y compris sur ce qui est plus difficile à mesurer, comme les services. Il est très facile de faire valoir aux candidats politiques et à la population que bien que les États-Unis affichent un déficit en ce qui a trait aux biens, ils ont d'énormes surplus en matière de services. Nous sommes un excellent exportateur de services.
Je ne crois toutefois pas qu'il s'agisse d'une simple question de statistiques et de la définition générale d'une nation productive ou d'une économie prospère. Je crois que la résistance à la mondialisation a trait au partage des gains du commerce. Ce n'est pas seulement une question de statistiques.
C'est beaucoup moins grave au Canada qu'aux États-Unis, mais chez nous, beaucoup de gens n'ont pas profité de la hausse du commerce au cours des 15 dernières années, et les statistiques ne feraient que le montrer. C'est en grande partie sur cela que se fonde la politique ici.
Le sénateur Ngo : Monsieur Davidson, nous savons que le tiers des étudiants internationaux viennent de la Chine. Une fois qu'ils ont obtenu leur diplôme d'un établissement postsecondaire canadien, est-ce qu'ils peuvent utiliser les compétences acquises ici en Chine?
S'ils préfèrent rester au Canada, est-ce qu'ils peuvent faire concurrence aux diplômés canadiens et à la main-d'œuvre canadienne?
M. Davidson : Au cours des dernières années, les missions canadiennes à l'étranger ont travaillé à créer des réseaux d'anciens étudiants au Canada. C'est très impressionnant de voir la qualité des étudiants, le calibre des emplois qu'ils occupent et leur passion pour le Canada. Ce sont des ressources exceptionnelles pour le Canada.
Le fait que les missions de Hong Kong et de Beijing aient créé un réseau d'anciens étudiants au Canada démontre la qualité de leur expérience lorsqu'ils retournent en Chine. Les liens qu'ils créent entre le Canada et la Chine sont très impressionnants.
En ce qui a trait aux capacités des étudiants internationaux qui choisissent de rester ici, ils acquièrent des compétences et des titres canadiens. Ils amènent aussi la famille, les ressources et de nouvelles possibilités pour les Canadiens. Puisque notre société et notre pays sont vieillissants, c'est une occasion pour nous d'attirer les meilleurs au Canada.
Pour reprendre une image du Canada atlantique, nous aimerions que les universités soient le Quai 21 du XXIe siècle.
Le sénateur Ngo : Est-ce qu'ils sont capables de faire concurrence aux diplômés canadiens?
M. Davidson : Oui, tout à fait.
La présidente : Nous avons entendu deux exposés très différents aujourd'hui, mais qui seront très utiles aux fins de notre analyse sur le commerce. Nous avons beaucoup entendu parler des chaînes d'approvisionnement. C'est un domaine en croissance, plus difficile. Madame Blanchard, votre analyse et votre recherche nous seront très utiles pour notre rapport. J'espère que vos commentaires y seront reflétés de façon positive.
Monsieur Davidson, comme d'habitude, vous êtes un grand défenseur des étudiants et de l'éducation canadienne; votre exposé d'aujourd'hui n'y fait pas exception.
Je vous assure que nous poursuivrons notre étude du commerce, et je crains que nous devions demander à nos deux témoins de revenir nous parler de sujets plus précis lorsque le comité sera chargé d'étudier ces mesures législatives.
Honorables sénateurs, nous allons maintenant entendre d'autres témoignages sur les accords commerciaux bilatéraux, régionaux et multilatéraux, et les perspectives pour le Canada.
En septembre dernier, Deloitte a publié un rapport intitulé L'avenir appartient aux plus audacieux — Le Canada a besoin de plus de courage.
Nous recevons les représentants de Deloitte. La publication de votre rapport arrive au bon moment, puisque nous étudions le commerce. Le comité directeur a jugé qu'il était très important de vous entendre avant que nous terminions notre étude.
Sous ce thème général, nous avons étudié les concepts du commerce, notamment le commerce bilatéral, régional et multilatéral, en vue de comprendre les accords, l'environnement et le milieu des affaires. Nous avons tenu compte de tout ce qui pouvait nous aider à comprendre la question du commerce au Canada. Votre rapport est donc opportun.
Nous recevons aujourd'hui Michel Brazeau, leader national du secteur public en matière de consultation. C'est tout un titre. Nous recevons aussi le vice-président de Deloitte Canada en matière de consultation, Duncan Sinclair. Selon ce que je comprends, vous vous partagerez l'exposé. Qui veut commencer?
Duncan Sinclair, vice-président, Deloitte Canada, Consultation, Deloitte : Je remercie tous les membres du comité de nous donner l'occasion de vous parler de notre dernier rapport.
J'aimerais tout d'abord dire qu'au cours des six dernières années, Deloitte — le plus grand cabinet de services professionnels au pays — a étudié les divers enjeux de l'économie canadienne et que nous avons préparé des rapports dans le but d'accroître le dialogue entre les entreprises canadiennes, les gouvernements et les universitaires sur les façons de faire avancer l'économie canadienne. Nous avons étudié les enjeux associés à la productivité et à la préparation aux perturbations émanant de la technologie, et dans toutes nos études, nous avons encouragé les Canadiens à relever les défis connexes pour faire avancer l'économie. Dans tous les cas, malgré l'excellence qui règne au pays, nous croyons qu'il y a place à l'amélioration dans bon nombre de secteurs et d'organisations de l'économie canadienne.
Tout au long de ces années d'études, nous avions le sentiment qu'il manquait quelque chose, qu'il fallait trouver une sorte de thème central pour tous nos travaux, et c'est ce qui nous a poussés à réaliser notre plus récente étude, sur le courage en affaires.
J'aimerais d'abord dire qu'il y a de nombreux grands exemples de courage au Canada; beaucoup de personnes courageuses qui sont à notre service non seulement dans le secteur public, mais aussi dans les domaines militaire et policier, et au quotidien dans de nombreux segments de la société. Notre rapport parle de la façon dont nous, les Canadiens, percevons le leadership des organisations et des entreprises du pays, et présente nos idées sur les façons de l'améliorer.
Michel, je vais vous laisser parler du format et de la présentation de l'étude, et de notre méthode de travail.
Michel Brazeau, leader national du secteur public, Consultation, Deloitte : Je vais tout de suite vous parler des résultats, parce que je crois que c'est la substance de notre étude.
Nous avons sondé 1 200 entreprises différentes. J'utilise le terme « entreprises » pour parler du secteur public et du secteur privé, qu'il s'agisse des sociétés cotées en bourse ou des sociétés privées. Le sondage visait à trouver ces organisations courageuses.
Or, nous avons réalisé que seulement 11 p. 100 des organisations participantes répondaient aux critères de courage que nous avions établis. Ce n'est pas une question de réussite ou d'échec. Je ne dis pas que 11 p. 100 des entreprises ont passé le test, mais que 11 p. 100 des entreprises répondaient à tous les critères que nous avions établis pour désigner les organisations courageuses. Parmi les entreprises sondées, 30 p. 100 correspondaient presque à cette définition, mais ne répondaient pas à tous les critères en fonction des cinq facteurs que nous avions établis.
Nous avons trouvé des facteurs et des résultats intéressants. Pourquoi nous intéressons-nous aux organisations courageuses? Parmi les organisations courageuses, 69 p. 100 ont connu une hausse de revenus, tandis que 46 p. 100 des organisations craintives — à défaut d'un terme plus approprié, et c'est celui que nous utilisons dans notre rapport — ont connu une telle hausse. Parmi les entreprises courageuses, 17 p. 100 ont connu une augmentation de l'effectif, tandis que ce taux était de 4 p. 100 parmi les organisations craintives; 67 p. 100 des organisations courageuses avaient fait des investissements accrus dans la recherche et le développement, tandis que ce taux était de 23 p. 100 parmi les organisations craintives. De plus, 49 p. 100 des organisations courageuses avaient présenté de nouveaux produits et services sur le marché au cours des cinq dernières années, comparativement à 26 p. 100 pour les organisations craintives.
Il faut donc se demander comment aider ces 30 p. 100 qui ne répondent pas aux critères que nous avons établis, mais qui y sont presque et qui ont beaucoup de potentiel. Nous n'avons pas décortiqué les données en fonction des divers segments du secteur privé et du secteur public. De façon générale, les organisations privées semblaient plus courageuses. Les institutions publiques ne s'en sortent pas aussi bien. Les ONG s'en sont très bien tirées. Pour être honnête, certaines des données recueillies nous mèneront vers d'autres études parce qu'elles ont donné lieu à plus de questions que de réponses.
M. Sinclair : Nous voulons voir un échange entre les dirigeants des diverses organisations et entreprises du pays sur ce qu'ils peuvent faire pour être plus courageux.
Nous avons articulé le tout autour du principe selon lequel il faut faire ce qui est juste, c'est-à-dire avoir le courage de dire : « Que dois-je faire pour favoriser le progrès de mon entreprise ou de mon organisation, en tenant compte du fait que des défis pourraient se dresser sur ma route à court terme, afin d'assurer sa réussite à long terme? » Nous considérons qu'il importe de prendre des risques calculés. Loin de nous l'idée de dire que les gens devraient faire des extravagances. Nous pensons toutefois qu'ils doivent examiner les risques auxquels ils s'exposent et appuyer leurs décisions sur une analyse rigoureuse. Le courage consiste à admettre qu'en dépit de l'incertitude et de l'appréhension, quand on cherche à déterminer ce qu'il convient de faire à long terme, on a le courage d'agir. Il faut pour cela être provocateur, remettre en question le statu quo fondamental et ce que l'on est, savoir ce que son organisation fait le mieux dans le monde et dans sa catégorie, et cibler son énergie et ses ressources afin de réussir.
Nous avons, au cours de notre recherche, découvert deux autres facteurs habilitants dont nous parlons dans notre rapport. Il faut notamment, du point de vue de la direction, commencer par soi-même. Les dirigeants de l'organisation doivent établir une culture fondée sur la croyance selon laquelle l'organisation a l'occasion d'aller de l'avant et de faire preuve d'une certaine audace que les gens sont prêts à récompenser. Il y a un besoin de ce que nous appelons « unir pour inclure », de ne plus limiter la réflexion à un groupe restreint, mais d'offrir à tous les employés l'occasion d'échanger des idées, de faire part de nouveaux points de vue et de remettre en question les pratiques de l'organisation afin de trouver une meilleure façon de faire à long terme.
Madame la présidente, nous vous remercions une fois de plus de nous avoir donné l'occasion de témoigner aujourd'hui afin de vous donner un aperçu de notre rapport. Nous répondrons à vos questions avec le plus grand plaisir.
La présidente : J'aimerais que tout soit clair pour les sénateurs. Votre recherche portait sur les entités canadiennes.
M. Sinclair : Oui.
La présidente : Et vous vous êtes intéressés à ces entités parce qu'elles doivent changer à l'interne, c'est-à-dire changer au Canada ou être davantage disposées à voir les avantages qui se présentent à l'étranger.
M. Sinclair : Il est certain que dans les travaux que nous avons réalisés au cours des six dernières années et dans un certain nombre de rapports de recherche que nous avons rédigés, nous considérons certainement qu'il importe que les entreprises canadiennes adoptent un point de vue international. Nous pensons que les résultats des recherches que nous avons menées au cours de cette période montrent que les industries qui font affaire à l'étranger et qui affrontent la concurrence internationale sur la scène nationale et mondiale ont, au fil du temps, édifié des entreprises bien plus fortes et bien plus dynamiques. Elles sont plus novatrices, investissent davantage dans la R-D et s'intéressent aux pratiques exemplaires afin de tirer un meilleur parti de leurs employés. Nous sommes convaincus que les organisations courageuses au Canada sont celles qui osent remettre les choses en question et faire de leur mieux sur tous les marchés, que ce soit au pays ou à l'étranger.
La présidente : Toujours dans la même veine, vous avez indiqué que vous avez étudié des organisations non gouvernementales, des organismes publics et d'autres entités. Selon ce que certains témoins nous ont affirmé, les entreprises de grande taille sont davantage portées vers les marchés internationaux et comprennent mieux leurs concurrents. Les petites et moyennes entreprises éprouvent toutefois des difficultés à modifier leurs pratiques, car elles commencent modestement et croissent petit à petit. Il leur est donc plus difficile de comprendre qu'elles doivent faire un bilan et changer, pour en être récompensées plus tard, si je puis m'exprimer en termes simples. Nous avons étudié ce que les gouvernements font pour aider les petites et moyennes entreprises. Vous êtes-vous penchés de quelconque façon sur cette question?
M. Sinclair : Les 1 200 dirigeants qui ont participé à notre analyse représentaient certainement des entreprises de toutes tailles. Comme Michel l'a indiqué, nous ne faisons pas de distinction entre les secteurs dans les résultats globaux présentés dans ce rapport. D'autres rapports, que nous avons préparés et présentés au gouvernement par le passé, traitent davantage de ces questions, dont le plus récent, intitulé Blueprint for Growth, a été présenté cet été. Je conviendrais avec vous qu'il faut trouver des moyens d'aider les petites et moyennes entreprises, qui constituent une part considérable de notre économie, à comprendre le grand nombre de mécanismes et de possibilités déjà présents dans l'écosystème, comme les occasions qu'offrent EDC et d'autres organisations, afin de leur permettre de prendre conscience qu'elles ont l'occasion de bénéficier d'un marché bien plus dynamique à l'étranger.
M. Brazeau : Si nous avons réalisé cette étude sur le courage, c'est en partie parce que nous faisons toujours référence à l'aversion au risque de la culture canadienne dans nos études. En fait, nous avons un indice où nous accordons une note de 47,4 au Canada et de 57,7 aux États-Unis. Comment expliquer l'écart, la différence au chapitre de l'aversion au risque qui touche les Canadiens? Dans cette étude, nous tentons en partie d'expliquer qu'il faut parler de courage au lieu d'aversion au risque. Il ne faut pas nécessairement se demander pourquoi il y a tant de petites et moyennes entreprises. Lorsque nous avons effectué nos études précédentes, nous avons constaté qu'il est difficile d'encourager les entrepreneurs à exporter. Les données montrent pourtant que les entreprises exportatrices sont plus productives, jouissent d'une meilleure croissance et courent un risque moins élevé. Leur taux de sortie est inférieur si elles ont déjà lancé leur premier appel public à l'épargne. Les données sont là pour tenter d'encourager les petites et moyennes entreprises à prendre de l'expansion. Cette étude vise notamment à découvrir l'élément manquant expliquant l'aversion au risque. Pouvons-nous décrire la situation autrement qu'en disant que nous sommes réfractaires au risque? Cela faisait partie des discussions visant à établir la définition de courage. Et si on définit ce qu'est le courage, il faut déterminer comment on peut l'accroître.
La sénatrice Poirier : Dans votre exposé, vous avez indiqué, si je vous ai bien compris, que 11 p. 100 des entreprises avaient satisfait à tous vos critères. Pouvez-vous m'expliquer comment vous avez déterminé les caractéristiques qui font qu'une entreprise est courageuse?
M. Sinclair : Nous avons réalisé considérablement de recherches primaires et secondaires sur le courage des entreprises lorsque nous avons entamé notre étude et nous sommes penchés sur les problèmes décelés au cours des recherches des cinq années précédentes. Nous nous sommes fondés sur ces renseignements pour dresser une liste de cinq comportements qui, croyions-nous, appuyaient notre définition de courage. Si les études antérieures exploraient divers éléments du courage, nous pensions qu'en intégrant ainsi ces comportements, nous prouverions, grâce aux résultats de notre étude, que ces pratiques constituaient la marque des entreprises solides et dynamiques qui connaissent le succès. Nous avons observé ces comportements chez elles, et nous avons jugé qu'ils correspondaient aux genres de comportements mis en exergue dans les recherches antérieures sur ce qui constitue le courage chez les entreprises. C'est ainsi que nous en sommes arrivés à notre définition.
La sénatrice Poirier : Ce pourcentage vous a-t-il étonné? Vous attendiez-vous à un résultat différent?
M. Sinclair : On peut interpréter ce pourcentage de diverses façons. On peut le faire en se disant que normalement, il y a des gens en haut, en bas et au milieu de l'échelle. Mais comment modifier leur classement? Pour ce qui est du fait que le pourcentage d'entreprises en haut de l'échelle est relativement faible, je pense que ce genre de résultat est en quelque sorte inévitable lorsqu'on examine un ensemble de données. Pour notre part, nous tendons certainement à porter davantage attention aux 30 p. 100 suivants qui, comme Michel l'a souligné, sont tout à fait sur la bonne voie et qui, selon nous, en accordant une attention constante à certains domaines peut-être lacunaires et en déployant des efforts continus pour corriger la situation, qu'il s'agisse du niveau de prise de risque ou de la capacité de révolutionner davantage leur modèle d'affaire dans leur industrie, auraient bien des occasions d'améliorer leur rendement et leurs comportements au fil du temps, si l'on se fie au rendement des 11 p. 100 que nous avons étudiés. Nous tendons donc à voir les choses dans ce contexte.
M. Brazeau : Je pense que ce qui nous a le plus étonnés, c'est le nombre d'organisations qui se sont dites courageuses. En effet, nous leur demandions de dire si elles étaient courageuses avant de répondre aux questions, et 44 p. 100 d'entre elles ont déclaré qu'elles l'étaient, alors qu'à peine 11 p. 100 ont réellement satisfait aux critères. Nous considérons cette donnée intéressante, car elle témoigne de la perception des organisations et de la différence entre leur définition de courage et les critères et les repères que nous avions établis. Le repère, si l'on veut, ou la définition de courage, c'est le fait d'être concurrentiel à l'échelle internationale. Les divers critères ne concernent pas le rendement d'une organisation par rapport à une entreprise voisine, mais correspondent à ce qu'il faut faire pour être courageux sur les cinq plans afin d'être concurrentiels sur la scène mondiale.
La sénatrice Poirier : Comment nous comparons-nous aux autres pays?
M. Sinclair : Cette étude portait sur les entreprises canadiennes. C'était là notre objectif; nous n'avons donc pas encore examiné les entreprises étrangères. Michel a fait remarquer que nous poursuivrons les recherches pour tenter d'appliquer ces critères dans d'autres pays. Il s'agit en quelque sorte de notre premier rapport portant vraiment sur le comportement des entreprises canadiennes.
La sénatrice Ataullahjan : Dans votre rapport, vous dressez un portrait sévère du milieu des affaires canadien et déplorez le grand nombre de dirigeants réfractaires au risque. Ce n'est pas la première fois que nous entendons de tels propos, puisque depuis que nous avons entrepris notre étude sur le commerce, nous continuons d'entendre parler de l'aversion des entreprises canadiennes à l'égard du risque. Avec tous les accords commerciaux que nous signons, est-ce que quelqu'un tire parti des nouveaux débouchés internationaux? Le gouvernement fédéral peut-il jouer un rôle afin d'encourager les entreprises à être plus courageuses?
M. Brazeau : La réponse est oui. Les trois parties peuvent jouer un rôle. Ici encore, il y a trois concepts. Tout d'abord, il existe de nombreux programmes. Lorsque nous avons fait un exposé devant un autre organisme gouvernemental, nous avons parlé des perturbations que la technologie provoque sur le marché. Nous avons abordé la question de la robotique qui existe maintenant. L'acquisition d'équipement robotique pour son entreprise est en fait assez facile. Pour 20 000 $, on peut doter son usine d'une capacité robotique autrefois inabordable. En 2000, on pouvait acheter une télévision au plasma pour ce prix. On peut acheter un robot pour son entreprise au prix qu'ont payé les acheteurs précoces pour acquérir une technologie domestique de haute-fidélité; pourquoi les entreprises n'en achètent-elles donc pas? Pourquoi, si des programmes existent, n'adoptent-elles pas cette technologie? Pourquoi ne profitent-elles pas de ces occasions? Nous cherchons à savoir quel comportement les en empêche.
Le secteur privé et les institutions gouvernementales, le milieu universitaire et le secteur privé ont un rôle à jouer à cet égard, car ils contribuent tous à l'établissement de la culture dans notre pays, y compris la culture d'aversion au risque. Je dis toujours qu'on peut examiner le secteur public et les institutions gouvernementales sous deux angles. Il faut d'abord se demander quelles politiques on peut adopter pour encourager chez les autres les comportements recherchés, puis déterminer quels sont les comportements des gouvernements qui favorisent le changement de culture que nous souhaitons sur le marché canadien.
Notre étude indique notamment que le courage commence par soi-même. Ici, le message était limpide, car c'est à la portée de tous. Les trois segments ont un rôle à jouer. Si les gouvernements se montrent courageux et moins réfractaires au risque dans le cadre d'une approche gérée et réfléchie afin de lancer le mouvement, réussissent-ils à changer la culture sur le marché? Si le milieu universitaire adopte une approche différente sur le plan de la gestion du risque, favorise-t-il le changement de culture qui s'impose sur le marché?
Dans tous les programmes du monde, nous constatons qu'il est possible d'apporter des changements pour stimuler l'investissement. Dans nos rapports précédents, nous avons traité de la disponibilité du capital sur notre marché. Nous pourrions prendre diverses mesures, mais c'est un peu un changement de culture qu'il faut apporter ici. Il faut donc mener par l'exemple.
Nous disons qu'il faut « commencer par vous-même ». Nous le répétons à chacun de nos exposés, car tout le monde se fie aux autres pour agir. Que pouvons-nous faire pour rendre les gens courageux? Selon nous, nous avons une part de responsabilité. Quand nous transmettons nos messages, nous disons que Deloitte prend sur lui d'agir et que c'est pour cette raison qu'il réalise cette étude. Nous cheminons vers notre objectif; voilà pourquoi nous faisons certains de ces travaux.
M. Sinclair : Nous sommes très clairs lors de nos déclarations publiques. Nous jugeons que nous faisons partie de la catégorie des organisations qui évoluent. Nous admettons qu'à titre d'entreprise, nous devons faire davantage nous aussi, et c'est pourquoi nous disons que nous considérons cette initiative comme une tentative de discuter avec les autres dirigeants d'organisation et d'entreprise de la manière dont nous pouvons tous, collectivement, faire mieux à cet égard. Nous faisons certainement partie du mouvement.
La sénatrice Cordy : J'aimerais clarifier quelques points. Avez-vous étudié des entreprises et des organisations?
M. Sinclair : Oui.
La sénatrice Cordy : Vous avez indiqué que le secteur privé et les ONG s'en tirent assez bien, mais qu'on ne peut en dire autant du gouvernement. Qu'avez-vous examiné au gouvernement?
M. Sinclair : Une fois de plus, toute cette étude visait à sonder les dirigeants de diverses organisations et entreprises du pays. Elle se fonde sur des entrevues et des analyses réalisées auprès de 1 200 personnes, dont des hauts fonctionnaires et des chefs d'entreprise privée, de société publique et d'organisation sans but lucratif.
Les personnes interrogées venaient de divers horizons. Comme Michel l'a précisé, même si nous n'avons pas effectué de ventilation entre les industries ou de comparaison régionale dans cette première analyse, nous avons extrait des données de haut niveau afin d'établir une comparaison entre le degré de courage des chefs d'entreprise privée et celui des dirigeants de société cotée en bourse. Michel a fait observer que nous avons décelé des différences.
Dans toutes les catégories de dirigeants que nous avons étudiées, c'est parmi les gens des organisations sans but lucratif que nous avons découvert le plus grand courage. Nous trouvons intéressant que les gens qui se sentent appelés à travailler dans ce secteur tendent peut-être à être aussi plus courageux et plus investis dans la mission à long terme des OSBL.
La sénatrice Cordy : Quelle était la taille des organisations? Vous êtes-vous intéressés aux petites et moyennes entreprises ou aux organisations de toutes tailles?
M. Sinclair : Les 1 200 dirigeants venaient tant de grandes sociétés que d'entreprises émergentes relativement jeunes connaissant une croissance rapide. Tout cela faisait partie de l'ensemble de données que nous avons examiné.
M. Brazeau : C'était donc des entreprises de toutes les régions du pays et de toutes les tailles.
La sénatrice Cordy : Je ne suis toujours pas sûre de comprendre vos observations négatives sur le gouvernement. Avez-vous étudié des entreprises, des organisations ou des organismes du gouvernement? Pourriez-vous nous donner des détails?
M. Brazeau : En fait, ces organisations ont été sondées à l'aveugle, et nous avons utilisé les services d'une tierce partie. Je pense qu'il s'agit d'institutions du secteur public. Donc encore une fois, il y avait tout un éventail d'institutions du secteur public.
Comme je le dis souvent, qu'est-ce que le secteur public? Ce sont des organisations non privées, qui ne sont pas de propriété privée, qui ne sont pas cotées en bourse. Les organisations qui restent sont des organisations du secteur public.
La sénatrice Cordy : Je comprends que le but de l'exercice, c'est de rendre les entreprises plus courageuses et de trouver un juste équilibre entre l'aversion du risque, la gestion du risque et la volonté de prendre des risques pour améliorer ses produits et en créer de nouveaux. Comment véhiculez-vous ce message? Parce que si on me disait que je dois être plus courageuse, j'en comprendrais qu'on me dit de ne pas gérer mes risques autant que je le voudrais pour mon entreprise.
M. Sinclair : Nous essayons d'entrer en contact avec les gens pour faire circuler l'information. Comme Michel l'a fait observer, nous sensibilisons des gens du secteur privé et d'organisations qui ont des comptes à rendre à la population. Nous voulons avoir des conversations avec les autres grands dirigeants et nous essayons de parler des résultats de notre travail. Nous essayons également de transmettre le message aux organismes de bienfaisance, et pour réagir à ce que vous avez dit, nous ne demandons à personne d'être extravagant. Nous invitons simplement les dirigeants, dans leur façon d'évaluer les choix et les occasions qui se présentent à leur organisation, à réfléchir aux possibilités à long terme par rapport aux risques à court terme, ainsi qu'à la meilleure façon dont ils peuvent vraiment offrir le meilleur de leur organisation. Nous les invitons à réfléchir aux perturbations futures et à la façon dont ils peuvent, comme dirigeants, amener les autres dirigeants de leur organisation ou de leur secteur à réfléchir ensemble aux façons de tirer le meilleur parti de ces perturbations, plutôt que de souffrir des conséquences.
C'est la nature de nos conversations, et comme Michel l'a dit, nous tissons des liens partout au pays avec les dirigeants des diverses organisations que nous tentons de sensibiliser.
La sénatrice Cordy : Ferez-vous un suivi dans deux, trois ou cinq ans pour déterminer si votre message a porté fruit, si ce projet a réussi?
M. Sinclair : Je pense que quand on se demande comment se positionner dans cette conversation, il faut se rappeler que notre pays, comme nous le savons tous, célébrera son 150e anniversaire le 1er juillet 2017. Nous avons un programme de recherche général intitulé « Le Canada à 175 ans », par lequel nous discutons de la situation que nous entrevoyons pour notre pays dans 25 ans. De quoi aura l'air le pays à ce moment-là, quelles sont les questions que nous devons nous poser et les choix que nous devons faire à titre de leaders nationaux, dans le monde des affaires comme dans les autres types d'organisations et d'entreprises, pour créer le genre d'avenir que nous souhaitons pour la génération qui nous suit?
Pour ce faire, comme pour d'autres projets que nous caressons, nous essayerons vraiment de stimuler la conversation sur ce que nous croyons devoir faire, collectivement, à titre de leaders au Canada, pour créer cet avenir meilleur.
M. Brazeau : Je pense que c'est important. Ce n'est pas le propre du secteur privé, cela concerne aussi le secteur public, parce que le courage se manifeste de différentes façons.
Nous avions une conversation dans une province sur les perturbations, et le président de l'assemblée soulignait à quel point il était important que leur centre d'innovation surpasse celui de telle autre province. Nous lui avons rétorqué qu'il se trompait de cible, parce que si nous voulons réussir dans le Canada de 175 ans, il ne faut pas que le centre d'innovation de telle province surpasse celui de telle autre province. Il faut que les centres d'innovation canadiens surpassent les centres d'innovation israéliens, chinois et mondiaux. Nous n'avons pas le bon angle d'approche.
Selon nous, cela tient en partie au courage, parce que nous nous employons à rivaliser les uns contre les autres plutôt que d'avoir la bonne conversation, qui consisterait à nous demander comment rivaliser contre le marché mondial. Nous prenons parfois des décisions d'investissement tout sauf optimales, parce que nous voulons faire plaisir à beaucoup de monde. C'est la façon de faire canadienne, alors que le courage serait plutôt de décider de miser plus sur moins de choses. Voilà ce qu'est l'audace. C'est pourquoi nous parlons de gérer les risques différemment. Une stratégie de gestion du risque consiste à donner un petit peu à tout le monde, pour que tout le monde soit content. Personne n'est fâché.
L'alternative est de dire : « Je vais investir par portefeuille, mais je prendrai la décision stratégique de ne pas investir à certains endroits », soit géographiquement ou dans certains segments de l'industrie. Il y a toutes sortes de façons de découper le pays, mais il faut avoir le courage de voir différemment, de façon stratégique, l'orientation que nous voulons donner à notre pays, les collaborations que nous voulons avoir avec le secteur privé et les universités.
Le sénateur Ngo : J'aimerais poursuivre dans la foulée des questions de ma collègue. Pourquoi les entreprises canadiennes hésitent-elles plus à prendre des risques que les entreprises d'autres pays? Estimez-vous que ce manque de courage empêche les entreprises canadiennes de prendre de l'expansion à l'échelle internationale? Quelles en sont les incidences sur la performance commerciale internationale du Canada?
M. Brazeau : C'est drôle, Duncan et moi parlions justement cet après-midi de ce qui définit le succès au Canada par rapport à ce qui définit le succès aux États-Unis. Nous avons tous les deux passé beaucoup de temps aux États-Unis, et cela semble beaucoup dépendre du rêve canadien. C'est une opinion. « J'ai une maison, un chalet, deux voitures et j'ai payé l'université de mon enfant. Je suis comblé. » Quel est le rêve américain?
« Je possède un yacht de 300 pieds, j'ai des résidences dans quatre pays et je possède une entreprise internationale. » C'est l'ampleur de nos aspirations qui est différente et qui transpire dans notre culture, mais ce sont là des généralisations. Nous le voyons dans les programmes que nous mettons de l'avant. Nous mettons beaucoup l'accent sur les petites et moyennes entreprises, mais beaucoup de propriétaires de petites ou moyennes entreprises souhaitent surtout que leur entreprise atteigne la taille nécessaire pour être achetée, puis vivre confortablement avec une maison, un chalet, deux voitures et ce qu'il faut pour payer l'université, plutôt que de créer une organisation internationale.
Les programmes que nous mettons en place visent à appuyer les petites et moyennes entreprises, qui ont beaucoup de valeur, mais voulons-nous favoriser la création de grandes entreprises internationales au Canada? Nos programmes et nos politiques vont-ils en ce sens ou nous arrêtons-nous quand une entreprise atteint une certaine taille?
Nous envoyons toutes sortes de messages. Certains sont culturels, d'autres passent par nos politiques, et c'est ce qui explique pourquoi nous avons moins peur du risque ou pourquoi nous sommes moins susceptibles d'exporter nos produits. Qu'est-ce qui rend le programme américain plus percutant? Nous mettons beaucoup l'accent sur les États-Unis, mais il y a beaucoup d'autres pays qui font preuve d'une grande créativité.
J'aime prendre l'exemple d'Israël, où les universités, le gouvernement et les entreprises privées sont tellement interreliés dans certaines de leurs stratégies pour bâtir leur secteur privé qu'il arrive qu'on ne sache plus vraiment qui est l'interlocuteur. Il est difficile de faire la distinction entre le secteur public, le secteur privé et l'université tellement certaines initiatives sont menées en symbiose.
Il n'y a aucune honte à être un moteur de croissance sur le marché. Il n'y a aucune honte à ce qu'un service public joue un rôle prépondérant. Il y a un livre intitulé The Entrepreneurial State. Si vous ne l'avez pas lu, il fait partie des cinq principaux ouvrages que je recommande. Il a été écrit par une professeure britannique, qui raconte l'histoire d'États qui se réclament eux-mêmes du secteur privé, où le secteur public ne joue aucun rôle, et quand on lit l'histoire de ces grandes réussites, qu'on regarde les investissements qui ont été faits, par qui et qui a joué quel rôle, c'est une lecture assez intéressante.
La sénatrice Eaton : Cette dernière partie est fascinante.
J'écoutais M. Davidson nous parler un peu plus tôt des universités canadiennes et nous dire qu'elles n'ont pas assez de ressources, qu'elles ne font pas ceci et cela, et je me suis mise à penser à toutes les universités américaines, à tout l'argent qu'elles amassent de sources privées pour faire tout ce qu'elles font, et jamais il n'a osé mentionner certaines des plus grandes universités canadiennes.
Ne venez-vous pas de terminer une campagne de financement de 2 milliards de dollars? Peut-être devraient-elles faire des levées de fonds si c'est important pour elles. C'est intéressant. Les entreprises canadiennes se fient-elles trop au gouvernement pour faire des choses à leur place?
Je regarde aussi nos institutions culturelles. Les plus grandes reçoivent beaucoup d'aide du gouvernement, et n'ont souvent pas les connaissances et l'expérience nécessaires pour trouver l'argent dont elles auraient besoin pour faire ce qu'elles veulent; seules les plus grandes le font, et seulement parce qu'elles sont désespérées.
Devrions-nous offrir plus d'incitatifs fiscaux? Le gouvernement devrait-il se retirer un peu? Qu'est-ce qui nous paralyse ainsi depuis quelque temps?
M. Sinclair : Vous soulevez un certain nombre de points très intéressants. Je vais essayer d'en décortiquer quelques-uns et peut-être réussirai-je à vous répondre avec mon collègue.
Je pense qu'il y a d'excellents exemples de personnes au sein des institutions postsecondaires canadiennes qui se penchent sur le genre de problème que vous soulevez. Prenons l'Institut Lazaridis, à l'Université Wilfrid Laurier, qui consacre beaucoup de temps à étudier comment une petite entreprise en démarrage a réussi à créer une concordance entre un produit et le marché de manière à créer une petite économie très dynamique en soi au Canada.
La sénatrice Eaton : M. Lazaridis y a investi son propre argent, qu'il a lui-même gagné.
M. Sinclair : C'est vrai, et je crois qu'il a également un partenariat avec le gouvernement de l'Ontario.
La sénatrice Eaton : C'était une initiative privée.
M. Sinclair : Je le reconnais absolument, mais pour reprendre l'exemple de Michel, qui parlait d'Israël, où toutes les parties unissent leurs forces, je pense qu'il faut nous rassembler pour essayer de créer quelque chose en collaboration dans cet écosystème.
Je pense qu'il serait également important de nous pencher sur l'éducation, et pas seulement au niveau postsecondaire. Quelle est la nature de l'éducation qu'on offre à nos jeunes? Je prends l'exemple de mon beau-fils, qui vit en Colombie-Britannique et est inscrit à un programme secondaire qui offre beaucoup d'enseignements par l'expérience et qui l'aide à réfléchir à l'entrepreneuriat de sa neuvième année.
Quand je pense à l'expérience qu'il s'attendra à vivre à l'université, elle est très différente de celle que je m'attendais à vivre quand je suis passé par notre merveilleux système scolaire. J'ai passé 12 ans de ma vie assis dans une salle de classe à écouter quelqu'un me donner de l'information devant le tableau, de l'information que j'ai apprise, que j'ai absorbée. J'ai passé des examens. Je suis ensuite allé à l'université, où j'étais assis dans une grande salle avec 500 personnes, à faire la même chose, avant de faire mon entrée dans le monde des affaires.
Je regarde les jeunes d'aujourd'hui, ils évoluent dans des milieux d'apprentissage très différents, ils se voient offrir des possibilités très différentes. Ils peuvent réfléchir à des idées et ont le temps et les ressources nécessaires pour essayer de bâtir des projets et des entreprises; on les amène à réfléchir à la façon dont ils peuvent contribuer à la société d'une façon très différente de ce que j'ai vécu à leur âge.
Ce sont toutes des choses très puissantes qui ont un effet. Pour revenir aux propos de Michel sur notre perception du système d'éducation et du secteur public en général, des affaires, il faut travailler ensemble. Les entrepreneurs ne devraient pas attendre que quelqu'un vienne les aider. Il y a des moyens à la portée de ceux qui ont le sens de l'entreprise et qui veulent réaliser des choses. Encore une fois, comme le disait Michel, nous devons nous demander si nous créons des incitatifs qui ont des conséquences involontaires.
Pour revenir à l'idée selon laquelle nous avons de fantastiques incitatifs fiscaux à la croissance pour les jeunes et les petites entreprises, si ces entreprises maintiennent une forte croissance, pourquoi ne continuerions-nous pas à leur accorder des incitatifs pour créer une entreprise encore plus grande et plus dynamique plutôt que de dire aux dirigeants, quand l'entreprise est encore relativement petite : « Désormais, il n'en tient qu'à vous. » Voilà le genre de questions difficiles que nous, Canadiens, devons nous poser.
M. Brazeau : Je pense qu'une partie de la difficulté tient au fait que nous formons une société qui n'aime pas le risque, ce qui fait que notre système politique a lui aussi une aversion au risque. Les gens n'ont aucun avantage à prendre des risques. Cela devient une véritable chaîne d'approvisionnement de l'aversion au risque.
Le témoin précédent parlait justement de chaîne d'approvisionnement. Une chaîne se construit, pour ainsi dire. Il y a des pays qui sont prêts à faire des paris plus stratégiques. Il ne s'agit pas nécessairement d'investir plus ou moins d'argent, il s'agit de se demander quoi faire avec l'argent. Mon ami travaille avec une organisation qu'il essaie d'aider à percer au Canada, une entreprise du nom d'iBIONICS, qui a été fondée par l'Australie. Le gouvernement australien a injecté 50 millions de dollars dans la création de cette nanotechnologie intéressante nommée iBIONICS, qui a bien du potentiel. Les Australiens ciblent le Canada en raison de ses compétences en technologie photonique et sans fil, une solution dont l'organisation fait l'essai au Canada pour redonner la vue à des personnes. Il m'a présenté le projet, que j'ai trouvé fascinant. C'est une micropuce insérée dans l'œil. Pour les personnes de mon âge et qui ont regardé L'homme de six millions et La femme bionique, ce n'est plus du cinéma.
C'est un grand classique. Des étrangers viennent au Canada parce que nous avons quelque chose dont ils ont besoin et ils nous demandent de les aider. Le gouvernement australien s'est dit disposé à continuer d'aider l'organisation, et nous l'accompagnons dans le système canadien. Le gouvernement australien a investi dans une entité canadienne avant le Canada lui-même. Pourquoi? Parce qu'il y a beaucoup de programmes dans le cadre desquels on peut soumettre une demande, mais il faut faire la queue, faire partie de tous ceux et celles qui présentent une demande pour obtenir des fonds limités, puis on vous accordera une petite partie de la cagnotte parce qu'il est très difficile pour les administrateurs d'un programme de décider de miser sur une chose en particulier. Si le Canada voulait créer une nouvelle entreprise avec cette technologie conjointe, qui consiste à redonner la vue, ce serait fantastique. La question qui se pose, c'est quel est le rôle du gouvernement? Il y a d'autres pays qui affirment vouloir jouer un rôle plus actif.
La sénatrice Eaton : Vous avez tous les deux passé beaucoup de temps aux États-Unis. L'État y joue-t-il un très grand rôle dans le monde des affaires ou non?
M. Brazeau : Si vous lisez The Entrepreneurial State, je crois qu'il commence par expliquer l'énorme succès d'Apple. Tout le monde dit d'Apple qu'elle est une société novatrice, qu'elle est une créatrice et qu'elle a changé notre façon de voir la technologie. Si l'on prend le iPhone, il y a l'écran. Les recherches qui ont mené à la création de la technologie de l'écran se sont faites aux frais du gouvernement.
Les puces ont été payées par le gouvernement. Les boîtiers ont été payés par le gouvernement, pour la plus grande partie par l'armée et les universités, à des fins militaires ou pour l'avancement de programmes spécialisés, selon leurs dires. Quoi qu'il en soit, c'est très intéressant parce que les États-Unis s'enorgueillissent du fait que le secteur privé, c'est le secteur privé.
La sénatrice Eaton : Donc Steve Jobs aurait pris ces diverses pièces dans un garage pour les assembler.
M. Brazeau : Oui. Il y a différentes fonctions dans la chaîne d'approvisionnement qui garantissent le succès. Les gouvernements jouent des rôles différents d'un État à l'autre et les jouent de manière différente; parfois avec beaucoup de créativité, parfois de façon beaucoup plus flagrante, mais c'est assez intéressant de voir comment les différents pays interviennent et quel est le rôle de l'État dans les succès du secteur privé.
La présidente : Je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation et à nos questions. J'espérais, en vous invitant ici, que vous nous fourniriez des réponses à la question de savoir pourquoi nous avons une telle aversion du risque. Je crains toutefois d'avoir encore plus de questions qu'avant.
Vous avez réussi à faire le lien entre les divers éléments, il y a quelque chose dans notre culture et notre façon de voir les organismes non gouvernementaux, les organismes à but non lucratif, quel que soit le nom qu'on leur donne, les entreprises et le gouvernement. Notre succès comme société et notre aptitude à être concurrentiels dans les nouvelles structures mondiales dépendent vraiment du rôle de tous ces acteurs.
Nous retenons de la discussion que chacun des secteurs voit les choses sous un angle différent. Je connais très bien le secteur des organismes à but non lucratif. Le risque vient du fait qu'ils se concentrent sur une cause en particulier. Ils peuvent expérimenter certaines choses, mais sont graduellement amenés à rendre des comptes et à assurer la sécurité. Ils doivent respecter les mêmes normes que le gouvernement. À un certain moment, on se disait que comme les organismes de bienfaisance se fondent sur le travail de bénévoles, il est compréhensible qu'ils échouent de temps en temps. Puis nous avons dit non, s'ils offrent un service, ils doivent respecter une certaine norme.
C'est la même chose pour les entreprises : elles peuvent essayer des choses.
Vous nous avez donné amplement de matière à réflexion sur notre culture et l'équilibre entre tous les acteurs au Canada. Je ne suis pas certaine que nous nous soyons rapprochés d'une réponse, mais nous avons sûrement encore plus de questions qu'avant. Nous avons bien hâte de lire votre prochain rapport, et j'espère que vos lumières nous aideront à creuser davantage les questions qui nous intéressent dans les politiques commerciales. Nous pourrions reformuler certaines de nos positions. Nous apprécions ce dialogue avec vous. C'est extrêmement utile.
Je vous remercie, messieurs, d'avoir comparu devant nous.
(La séance est levée.)