Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et
du commerce international
Fascicule no 27 - Témoignages du 7 juin 2017
OTTAWA, le mercredi 7 juin 2017
Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd'hui, à 17 h 8, pour poursuivre son étude des relations étrangères et du commerce international en général (Sujet : Évolution récente en République bolivarienne du Venezuela).
La sénatrice A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Honorables sénateurs, le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd'hui. Il est autorisé à examiner les questions qui pourraient survenir occasionnellement en ce qui touche les relations étrangères et le commerce international en général. Dans le cadre de ce mandat, il entendra aujourd'hui un témoignage sur la situation au Venezuela.
En 2016, le comité a entendu des témoins décrire la situation politique et la crise économique croissante dans ce pays, et il a publié un rapport bref en juin 2016.
Le comité continue d'accueillir favorablement les occasions de se tenir au courant de l'évolution de la situation au Venezuela, des défis auxquels les Vénézuéliens sont confrontés et des conséquences pour la région.
Par conséquent, nous sommes ravis d'accueillir aujourd'hui M. Pablo Heidrich, professeur adjoint, Baccalauréat en études mondiales et internationales, Université Carleton.
Bienvenue, monsieur Heidrich. Je m'excuse de notre retard, car nous avons dû assister à une cérémonie de dévoilement du portrait d'un Président du Sénat. Nous vous savons gré de faire preuve d'indulgence à notre égard.
Bienvenue au comité. Je pense que vous comprenez notre façon de fonctionner. Vous prononcerez des remarques liminaires, et les sénateurs seront ensuite ravis de vous poser des questions. Merci de votre indulgence et merci surtout d'être venu nous faire profiter de votre expertise. La parole est à vous.
Pablo Heidrich, professeur adjoint, Baccalauréat en études mondiales et internationales, Université Carleton : Merci de m'avoir invité à témoigner devant le comité. Mes remarques liminaires porteront sur la situation économique au Venezuela et sur l'incidence qu'elle a sur la crise politique actuelle dans ce pays. Bien que je comprenne que pareille crise puisse être perçue comme étant plus que politique compte tenu des coûts sur les plans social et humain dont nous avons été témoins, à d'autres égards, elle donne un exemple plutôt classique d'une crise relative à un régime politique, comme on l'a observé au fil du temps dans d'autres nations d'Amérique latine et, en particulier, d'autres pays exportateurs de pétrole.
Le cas qui nous intéresse possède ses particularités comme tous les autres, mais n'oublions pas que la situation dont nous sommes témoins n'est pas extraordinaire.
Comme vous le savez tous, le Venezuela est, depuis plus d'un siècle, une nation exportatrice de pétrole. Cette ressource naturelle est graduellement devenue le principal et, à l'heure actuelle, quasiment le seul produit qu'il exporte dans le reste du monde. En outre, le revenu pétrolier très élevé au cours de la dernière décennie et demie en conjonction avec les réformes politico-économiques entreprises sous la gouverne d'Hugo Chávez ont fait en sorte que le Venezuela soit incapable de produire la plupart des biens manufacturés et de produits de base dont il a besoin pour fonctionner comme une société. À titre d'exemple, il importe actuellement 95 p. 100 de ses médicaments et 80 p. 100 de ses denrées alimentaires. Pareil niveau de dépendance externe est extrême. En fait, il n'est comparable qu'à certains émirats aussi très petits, mais riches en pétrole dans la région du Golfe.
En conséquence, l'histoire du Venezuela est devenue celle du prix du pétrole. Chávez a accédé au pouvoir en 1998, alors que le pétrole était à 8 $ le baril sur les marchés internationaux; lorsqu'il a fait face à un coup d'État en 2002, le prix du baril a monté à 25 $. Le prix de baril a fini par atteindre son sommet en 2008, pour se rendre à 147 $. Le Venezuela a accumulé près de 900 milliards de dollars de revenus d'exportations de pétrole entre 2000 et 2016, mais surtout entre 2007 et 2012.
Le coût moyen pour produire cette quantité de pétrole est d'environ 20 p. 100, si bien que le Venezuela a accumulé 700 milliards de dollars américains de profits bruts en 15 ans pour un pays de 30 millions d'habitants.
Ce revenu énorme a permis au chavisme de prendre de l'ampleur et de finir par créer un système de redistribution de la richesse pour réduire la pauvreté et les inégalités, mais aussi favoriser l'allégeance au régime. Pareilles politiques de redistribution des revenus du pétrole sont, en fait, bien connues dans les nations exportatrices de pétrole et bien étudiées au Moyen-Orient, en Asie centrale et en Amérique latine même. On parle typiquement de malédiction des ressources pour décrire cette tendance qu'ont les nations riches en ressources naturelles à s'en tirer beaucoup moins bien sur le plan du développement socioéconomique que celles qui en ont peu, à cause des erreurs qu'elles commettent dans leur gestion des bénéfices tirés des ressources. Pareilles erreurs deviennent plus visibles une fois que le prix des ressources, comme le prix du pétrole, diminue et le pays se retrouve avec aucune autre façon de subvenir à ses besoins sans grandes difficultés.
L'innovation du chavisme au Venezuela face à ces problèmes typiques des pays exportateurs de pétrole est un point crucial pour comprendre la situation du Venezuela aujourd'hui. Le chavisme a cherché à contrôler non seulement le côté demande de l'économie vénézuélienne en accordant des emplois, des subventions et des contrats aux relations politiques, comme c'était monnaie courante au Venezuela et dans la plupart des autres pays riches en pétrole, mais il a aussi cherché à contrôler de façon très radicale l'offre de biens et des services qui entraient dans l'économie. En contrôlant à la fois l'offre et la demande, le chavisme a exploité la domination pétrolière dans l'économie vénézuélienne pour atteindre l'objectif politique qu'il visait et qu'il a nommé « socialisme du XXIe siècle ».
Autrement dit, le chavisme a entrepris de déplacer graduellement les acteurs privés de l'économie pour faire en sorte qu'elle soit surtout gérée par l'État. Un certain nombre d'entreprises nationales et étrangères de haut niveau ont été expropriées et de nombreuses autres ont été évincées ou contraintes de fermer par des contrôles de plus en plus stricts des devises, des relations de travail et de l'accès au crédit. Contrairement à d'autres régimes bénéficiant de revenus pétroliers, ces « postes vacants » dans l'économie n'ont pas été couverts par les clients du régime ou les parents des personnes au pouvoir. Ils sont tout simplement restés vacants. Le besoin de se procurer ces biens a été comblé par une hausse des importations, dont la quantité, les fournisseurs et les importateurs sont dictés par l'État.
Le régime est entré en crise lorsque le prix du pétrole a chuté d'un prix moyen de 100 $ le baril de 2010 à 2014 au prix actuel d'à peine 50 $ le baril. Cela reproduit parfaitement l'évolution de l'économie vénézuélienne, qui diminue de 8 à 10 p. 100 par année depuis trois ans et accuse un taux d'inflation pouvant aller jusqu'à 800 p. 100 cette année. En gros, le Venezuela n'a plus d'argent parce que la valeur du pétrole a baissé, tout juste au moment où l'État venait d'assumer son rôle toujours plus important. Côté offre, cela signifie qu'il n'a pas suffisamment d'argent pour payer les importations alors qu'il venait de décider de contrôler toutes les importations et d'éliminer l'industrie locale pour la remplacer par des produits et services importés.
Les conséquences de cette situation sont véritablement monumentales pour le régime. Étant donné que le gouvernement importe, grosso modo, tout ce dont l'économie a besoin pour fonctionner et décide qui reçoit quoi et ce qui sera acheté et à quel prix, il fait face à une tâche extraordinairement complexe. Dans un État fonctionnel, cela requerrait d'énormes efforts de coordination et d'excellents renseignements sur l'économie. Cependant, l'État vénézuélien n'a ni l'un ni l'autre, et l'effondrement que vous observez en est le résultat, en plus du fait qu'il dispose maintenant peut-être du tiers de l'argent qu'il avait il y a quatre ans. En outre, la corruption a naturellement pris de l'essor, a fortiori avec un leader aussi dépourvu de charisme que Nicolás Maduro. Dans les faits, la corruption rend l'administration d'un État aussi coûteux et peu performant encore plus compliquée et inefficace.
Comme le système est devenu si complexe, coûteux et corrompu, et le financement a diminué, vous pouvez comprendre les manifestations sociopolitiques qui se sont intensifiées compte tenu des terribles conséquences de cette situation sur le bien-être de la population. D'autres témoins ont déjà parlé de la détérioration des règles et institutions démocratiques, alors je ne vais pas aborder la question. J'essaie simplement de vous donner un complément d'informations sur le plan économique pour vous aider à mieux comprendre la nature de cette crise.
À partir de maintenant, je suppose que le président Maduro se retranche, en gros, pour résister à l'opposition jusqu'à son dernier souffle puisqu'il sent qu'il n'a nulle part où aller. Il en est de même pour ses plus proches collaborateurs, dont les forces armées et une partie des principales institutions faisant auparavant partie du mouvement chaviste qui distribuent des biens aux personnes défavorisées et aux partisans et gèrent leur soutien au régime. Les forces armées, par exemple, sont actuellement responsables d'importer et de distribuer l'ensemble des denrées alimentaires et des médicaments dans le pays, et le système de distribution se fait dans des circuits entièrement contrôlés par le parti et les groupes communautaires qui y adhèrent. Autrement dit, il ne s'agit plus d'un gouvernement qui cherche à approvisionner la population en général pour aller chercher un appui populaire à grande échelle, mais plutôt d'un gouvernement qui travaille simplement à conserver l'allégeance du pourcentage minimal nécessaire pour rester au pouvoir. Pour toutes les personnes engagées auprès de Maduro, un avenir sans lui serait encore pire que la réalité actuelle; vous pouvez donc comprendre les niveaux de résistance au changement. Les personnes qui ne font pas partie de ces groupes ont, manifestement, une autre vision de l'avenir qui motive donc les manifestations que vous avez vues ou au sujet desquelles vous avez lu.
Au cours des prochaines semaines, le changement constitutionnel qui est sur le point de se produire n'est que la superstructure juridique de ce que j'ai déjà décrit. Il s'agit d'un régime qui cherche à garder le contrôle de revenus tirés du pétrole beaucoup moins importants qu'avant pour assurer sa permanence au gouvernement et son impunité croissante pour les crimes qu'il pourrait avoir commis à ce jour, d'abord sur le plan de la corruption économique et maintenant plutôt sur le plan de la politique ou des droits de la personne. C'est la réaction de l'opposition qu'il nous faut vraiment surveiller.
Le Venezuela a des antécédents de difficultés politiques de longue date, qui se traduisent souvent par des conflits violents. Pareille issue n'est pas imprévisible. J'ai une série de recommandations précises de mesures que le gouvernement du Canada pourrait prendre dans cette situation, mais je vais attendre à la période des questions pour en parler.
La présidente : Merci, monsieur Heidrich.
[Français]
La sénatrice Saint-Germain : Dans votre conclusion, vous nous annoncez que vous avez des pistes de recommandations pour nous. J'aimerais en entendre davantage sur ces pistes de solutions possibles.
[Traduction]
M. Heidrich : Ma principale recommandation est que, selon moi, le Canada devrait s'efforcer, de concert avec ses alliés, d'appuyer la mise en place d'un mécanisme humanitaire afin de faciliter l'approvisionnement du Venezuela en denrées alimentaires et en médicaments. À ce jour, le gouvernement vénézuélien maintient qu'il n'y a pas de crise humanitaire. Cependant, je pense que certaines choses pourraient se faire grâce à des mécanismes informels et à ce qu'il reste de la société civile au Venezuela. Il existe une diaspora robuste de Vénézuéliens au Canada, et ce pourrait être un point de départ, mais peut-être pas le seul.
Une autre chose qu'on pourrait faire serait d'appuyer les efforts multilatéraux déployés par l'OEA, l'Organisation des États américains, pour rétablir la primauté du droit, les principes démocratiques et le respect des droits de la personne au Venezuela.
Une autre recommandation serait d'essayer d'appuyer les mécanismes de médiation déjà mis en place par le Vatican et les États latino-américains grâce au concours d'UNASUR afin d'en rehausser l'efficacité.
J'ai une recommandation négative à formuler. Je suggère qu'on cesse de cibler l'élite politique vénézuélienne pour lui imposer des sanctions individuelles, comme l'ont fait, par exemple, les États-Unis, car j'ai récemment lu un article qui révélait que, des 14 personnes auxquelles des sanctions ont été imposées à ce jour, 13 ont reçu des promotions au sein du régime.
Étant donné que Maduro sent qu'il n'a pas de porte de sortie, il s'entoure de personnes qui sont dans la même situation, ce qui les font se retrancher dans des positions encore plus extrêmes. N'oubliez pas qu'il s'agit d'un État extrêmement bien armé. Vous ne voulez pas qu'il ait l'impression de ne pas avoir de porte de sortie. Vous voulez le contraire. Vous voulez qu'il voie une issue.
À titre de parlementaires, vous êtes les mieux placés pour le comprendre : certains parlementaires au Venezuela ont été persécutés, et le Parlement perd maintenant sa capacité de fonctionner comme un pouvoir indépendant. Je pense que le plus utile pour appuyer cette institution — qui est le seul endroit où l'opposition est clairement représentée — serait de travailler par l'intermédiaire des unions parlementaires internationales et des systèmes de coopération interparlementaires.
L'opposition devrait aussi avoir la possibilité de sentir qu'elle a une autre solution que la violence, sinon la situation s'envenimera de son côté à elle aussi.
La sénatrice Saint-Germain : Pouvez-vous nous en dire davantage concernant les réseaux informels de la société civile auxquels vous avez fait allusion? J'aimerais en savoir plus à ce sujet.
M. Heidrich : Bien sûr. Je crois comprendre qu'il existe des associations de la diaspora vénézuélienne. Le Venezuela comptait traditionnellement une diaspora relativement petite d'environ un quart de millions de personnes. À l'heure actuelle, le nombre de personnes ayant quitté le pays est habituellement estimé à 2,5 millions de personnes. Il y un aussi un nombre considérable de Vénézuéliens au Canada. Nombre d'entre eux n'ont pas de passeports vénézuéliens, qui sont difficiles à obtenir si vous voulez quitter le pays, mais des passeports de l'Italie, de l'Espagne ou du Portugal, car ce sont des descendants d'immigrants de ces pays. Ce pourrait être une possibilité.
L'autre option serait de passer par les organismes de la société civile qui se trouvent en Colombie et au Brésil, et qui offrent des liens au Venezuela.
La sénatrice Eaton : Vous parlez d'une porte de sortie. Y aurait-il moyen d'assurer un laissez-passer à Maduro — de même qu'à certains membres des forces armées — pour qu'il puisse quitter le pays et aller vivre, disons, en Suisse, au Ghana, en Colombie ou en Ouganda? Serait-ce une possibilité? L'ONU pourrait-il lui organiser un laissez-passer sécuritaire pour garantir qu'il ne sera pas traduit en justice pour crimes de guerre du moment qu'il quitte le Venezuela et y laisse ses comptes en banque? Ce serait négociable, évidemment, car j'ignore combien d'argent il pourrait avoir pris. Serait-ce une possibilité?
M. Heidrich : Oui, c'est une possibilité très réalisable. Un certain nombre de pays en Amérique latine s'empresseraient d'accueillir Maduro et de nombreux membres de son gouvernement, ainsi que des organismes associés au gouvernement depuis une décennie et demie, qui pourraient essentiellement partir en exil.
Le président de la Bolivie a récemment rendu visite à Maduro et l'a assuré du soutien de son gouvernement. Il y a d'autres gouvernements d'Amérique latine qui n'aiment peut-être pas Maduro, mais qui n'hésiteraient pas à l'accueillir, du moment que cela ferait en sorte qu'on puisse sortir de la crise.
La sénatrice Eaton : On doit lui montrer qu'il a une porte de sortie, que le monde l'accepterait?
M. Heidrich : Oui. Je ne dirais pas que les crimes qui ont été commis à ce jour représentent des crimes de guerre, mais il est clair qu'il y a eu des cas de violation des droits de la personne. Il serait difficile de les attribuer à Maduro à titre personnel.
La sénatrice Eaton : Je m'intéresse au rôle que joue Cuba pour appuyer le Venezuela. Je suppose que Cuba obtient autant de pétrole bon marché que possible du Venezuela. Que font les frères Castro pour le Venezuela? Lui envoient-ils des denrées alimentaires? Lui offrent-ils plutôt un soutien moral?
M. Heidrich : Je crois que Cuba lui a envoyé entre 20 000 et 30 000 médecins, infirmiers et travailleurs sociaux qui constituent une part importante de ce qu'on appelle les missions d'État vénézuéliennes. Il s'agit d'initiatives précises du gouvernement pour rehausser les indicateurs de santé et d'alphabétisation parmi les plus défavorisés du pays. C'est un système dont se sert Cuba pour payer le pétrole qu'il reçoit du Venezuela.
La sénatrice Eaton : Améliorent-ils vraiment les choses dans le pays ou seulement la situation des victimes?
M. Heidrich : Oui, ils améliorent les choses. Le pays est très grand, alors vous pourriez améliorer la santé dans certains secteurs de la population, alors que dans d'autres, les indicateurs pourraient être à la baisse. La ministre de la Santé du Cabinet de Maduro a récemment été congédiée pour avoir transmis au public des données sur la hausse de 30 p. 100 du taux de mortalité infantile en un an seulement, de 2015 à 2016.
La sénatrice Eaton : Évidemment que les personnes en provenance de Cuba appuieraient Maduro, n'est-ce pas?
M. Heidrich : Oui.
La sénatrice Eaton : Ou une fois qu'ils arrivent au Venezuela, elles font leurs propres choix politiques?
M. Heidrich : Non, l'État cubain a mis en place des systèmes pour garantir que ces personnes rentreront à Cuba.
La sénatrice Eaton : Elles retourneront à Cuba et appuieront Maduro?
M. Heidrich : Oui, elles appuient Maduro par l'intermédiaire du travail qu'elles font. Je dois dire que Cuba a déjà élaboré un système d'assurance au cas où Maduro serait incapable de se maintenir au pouvoir. Le pays négocie déjà avec la Chine pour obtenir des prêts qui couvriraient les besoins énergétiques cubains, et dans le budget cubain dont il est question pour 2017 et 2018, le gouvernement a déjà considéré qu'il recevrait beaucoup moins de pétrole du Venezuela. La façon dont cela fonctionne est que le Venezuela vend le pétrole brut à Cuba, qui le raffine, en utilise une partie et vend le reste à l'étranger au prix du marché.
La sénatrice Eaton : La Chine deviendrait donc la nouvelle banque de Cuba?
M. Heidrich : Oui. Elle fournirait également la technologie nécessaire pour la prospection pétrolière et gazière autour de l'île de Cuba.
Le sénateur Woo : Vous venez de décrire comment la Chine pourrait intervenir à Cuba et, bien entendu, c'est exactement son mode opératoire au Venezuela, à savoir l'octroi de prêts considérables en échange de pétrole. D'ailleurs, si le régime de Maduro se maintient à flot, c'est notamment grâce à la Chine.
Pouvez-vous nous parler un peu de l'aspect géopolitique pour expliquer pourquoi la Chine joue à ce jeu-là au Venezuela, un État si loin de l'Asie et clairement en déroute, qui n'a probablement pas la cote ailleurs en Amérique du Sud? Il n'est pas clair que la Chine marque ainsi des points politiques dans la région en général. D'après vous, qu'est-ce que la Chine cherche à obtenir dans ce jeu, et comment pourrait-elle ou non constituer une solution aux horribles difficultés que connaissent les Vénézuéliens?
M. Heidrich : La Chine est peut-être le seul acteur influent qui puisse, hypothétiquement parlant, amener le gouvernement Maduro à changer ses politiques ou à accepter, au bout du compte, de tenir des élections qui se font attendre depuis longtemps. Selon toute probabilité, le gouvernement actuel serait défait à l'issue de ces élections.
Toutefois, le gouvernement de la Chine collabore avec le Venezuela depuis déjà plus d'une décennie. La Chine a déjà prêté plus de 60 milliards de dollars américains au Venezuela. En contrepartie, le Venezuela s'est engagé à lui offrir environ le quart ou un peu moins — peut-être 20 p. 100 — de sa production pétrolière pour les 10 prochaines années afin de payer cette dette. Le prix du pétrole ayant diminué depuis l'octroi des prêts, le Venezuela doit produire plus de pétrole pour payer la Chine. C'est donc dire que la Chine a fait un très bon investissement.
La Chine participe déjà à l'exploration et à l'extraction du pétrole par l'intermédiaire d'une des sociétés d'État vénézuéliennes dans le cadre de coentreprises. Elle est aussi active dans l'exploration minérale, à l'instar de certaines entreprises canadiennes qui ont également reçu des invitations en ce sens.
Lorsqu'on examine le rendement de la Chine auprès d'autres pays qui sont très riches en pétrole, mais dont le régime est parfois instable, on constate que la Chine adopte une politique de non-intervention. Elle intervient certes, mais jamais directement, car la préservation de son image de partenaire commercial non interventionniste est très importante pour sa réputation.
Le sénateur Woo : Pouvons-nous pousser la réflexion un peu plus loin? La Chine ne veut pas pour autant s'associer à un régime défaillant et à des troubles sociaux de masse qui compromettront ses investissements et qui l'empêcheront de recevoir le pétrole qui lui est dû pour les 10 prochaines années. Par exemple, nous avons vu comment la Chine a résisté au changement au Myanmar. C'était un régime militaire oppressif et autoritaire, mais au final, la Chine a accepté de le changer tranquillement et tacitement. Le Myanmar se heurte encore à beaucoup de problèmes, mais il est passé d'un régime militaire à un gouvernement élu plus démocratique.
Quelles sont certaines des conditions qui pourraient inciter la Chine à devenir un joueur plus constructif, pour ainsi dire, au Venezuela? Avez-vous des idées?
M. Heidrich : Il faudrait que Maduro commette des erreurs, comme le fait d'exproprier certains des investissements effectués par les entreprises chinoises ou de permettre l'extorsion de gens d'affaires chinois qui sont établis au Venezuela. Ce genre de comportements pourrait déclencher une réaction plus déterminante de la part du gouvernement chinois. Toutefois, comme dans le cas du Myanmar, la Chine adopte de plus en plus une position qui consiste à dire : « Oui, nous avons été votre allié; oui, nous avons été un bon partenaire commercial, et tout le reste, mais non, nous ne vous prêterons plus d'argent. »
Maduro a déjà été à Beijing à deux reprises, et il est revenu les mains vides.
Le sénateur Woo : Intéressant.
M. Heidrich : Cela donne un avertissement clair aux gens qui sont en pourparlers avec la Chine. Quand la Chine dit non, cela signifie que c'est tout à fait hors de question.
Le sénateur Marwah : J'aimerais entendre vos observations ou réflexions sur les mesures que pourraient prendre certains des joueurs régionaux. Comme vous le savez, l'Organisation des États américains n'a pas dénoncé cette situation, mais elle a réclamé que le Venezuela change d'avis sur le rétablissement de l'ordre constitutionnel. Le Mercosur et l'Union des nations sud-américaines en ont fait de même. Ils ont tous agi. Y a-t-il lieu d'exercer plus de pressions sur les joueurs régionaux qui ont tout intérêt à maintenir la stabilité de l'un de leurs partenaires? Ils ont tous des investissements interrégionaux. Peut-on accroître la pression?
M. Heidrich : Certaines pressions ont déjà été exercées, mais en vain. Par exemple, prenons le cas de l'Organisation des États américains. Un vote allait être tenu récemment, mais cela n'a pas eu lieu parce qu'il n'y avait pas assez de voix favorables. Les pays des Caraïbes ont été le facteur décisif : ce sont eux qui ont fait pencher la balance ou qui ont maintenu une position semblable à celle du Venezuela. Les Bahamas et la Jamaïque étaient les deux votes cruciaux en faveur du Venezuela, et leur position est attribuable à une initiative vénézuélienne appelée PetroCaribe. En effet, le Venezuela fournit beaucoup de pétrole à des prix subventionnés non seulement à Cuba, mais aussi à de nombreux pays dans les Caraïbes et en Amérique centrale.
Le parti de l'opposition au Venezuela a commis une erreur en déclarant très clairement que s'il accède au pouvoir, tous ces programmes prendront fin. Les pays des Caraïbes en ont pris bonne note, et c'est pourquoi ils votent en conséquence au sein de l'Organisation des États américains, en bloquant une déclaration qui condamnerait résolument le Venezuela et qui l'exhorterait à déclencher des élections, faute de quoi il serait suspendu de l'organisation parce qu'il ne serait plus considéré comme une démocratie.
Pour ce qui est de l'Union des nations sud-américaines, on a surtout misé sur le maintien d'un dialogue ouvert entre l'opposition et le gouvernement. Donc, l'Union des nations sud-américaines n'a pas condamné le gouvernement vénézuélien parce que, le cas échéant, le gouvernement vénézuélien ne participerait plus aux réunions.
Dans le cas du Mercosur, le Venezuela a été suspendu, mais aucune autre mesure ne peut être prise, à part celle-là. Le Paraguay a subi le même sort lorsqu'il y a eu un coup d'État dans ce pays.
Le sénateur Marwah : Permettez-moi de poser une question complémentaire au sujet de l'infrastructure pétrolière au Venezuela. Comme vous le savez, il s'agit d'une situation précaire — c'est le moins qu'on puisse dire — et, en l'absence d'investissements ces 10 dernières années, cela empire de jour en jour. Est-ce une solution durable, ou s'agit-il d'une autre façon de faire pression si cela commence à s'écrouler, ou est-ce que d'autres pays refusent d'appuyer l'infrastructure? Ils ne peuvent pas le faire à l'échelle locale; tout cela vient de l'extérieur.
M. Heidrich : Le Venezuela comptait autrefois une société pétrolière d'État de calibre mondial. Lorsque Chávez a voulu changer les règles afin de rendre cette société pétrolière plus adaptée aux priorités de l'État, celle-ci a dirigé un coup d'État contre lui. Au bout du compte, c'est Chávez qui a gagné; il a alors congédié les dirigeants et la moitié du personnel pour les remplacer par ses acolytes. PDVSA, soit la société d'État qui existe aujourd'hui et qui produit de moins en moins de pétrole, est une entreprise qui a été défaite par Chávez. Encore aujourd'hui, les partisans du mouvement chaviste et, maintenant, le régime de Maduro ne font pas confiance à PDVSA.
Il est ironique qu'un gouvernement qui se qualifie de gauchiste en vienne à dépendre de plus en plus d'investisseurs étrangers pour maîtriser sa propre société pétrolière d'État parce qu'il ne lui fait pas confiance. Voilà pourquoi Maduro lance des invitations aux sociétés pétrolières de la Russie, de l'Iran, de la Chine, même de l'Italie et de la France, pour qu'elles participent à l'industrie pétrolière vénézuélienne.
La production pétrolière de PDVSA pourrait être à la baisse, mais Maduro a prouvé qu'il était tout à fait prêt à faire entrer des investissements étrangers.
La présidente : Pouvez-vous nous parler un peu plus des investissements? Je crois comprendre que Pirelli a plié bagage, faute de pouvoir obtenir les fournitures nécessaires. GM s'est également retirée. Le Venezuela dépendait, en grande partie, d'une base commerciale qui était composée, comme vous l'avez dit, d'immigrants portugais, et cetera. Ils venaient de Madère. C'étaient des entrepreneurs commerciaux, et tout le reste. La plupart d'entre eux sont en train de partir, d'où le problème d'ordre commercial.
Je m'intéresse aux investissements parce qu'il y en a eu beaucoup. Les fonds sont-ils en train de se tarir, ou entendons-nous parler uniquement de cas isolés d'entreprises qui ne peuvent plus mener leurs activités? Elles ne portent pas de jugement politique; elles prennent une décision économique.
M. Heidrich : Oui. La plupart des entreprises qui ont quitté le Venezuela l'ont fait même lorsque le prix du pétrole n'était pas aussi bas et avant que la crise prenne une telle ampleur. Elles s'en allaient parce que les contrôles accrus des devises les empêchaient d'envoyer leurs profits à l'étranger. Donc, au final, elles ont dû fermer leurs portes, car elles trouvaient qu'il n'était plus rentable de continuer à réinvestir dans un pays qui ne leur permettait pas d'utiliser leurs profits à l'étranger.
Le Venezuela a donc enregistré, pendant un certain temps, un bilan négatif de flux d'investissements directs étrangers. De nombreuses multinationales — GM et tout le reste — ont quitté le Venezuela. Elles ont essentiellement abandonné leurs investissements parce qu'elles ne sont pas en mesure de vendre leurs produits. Elles amortissent essentiellement la totalité des coûts.
Le cas du pétrole est différent, car les réserves pétrolières du Venezuela sont non seulement les deuxièmes ou troisièmes en importance dans le monde, mais elles représentent littéralement environ 10 p. 100 des réserves mondiales de pétrole. Aucune société pétrolière en pleine possession de ses moyens n'abandonnerait complètement le Venezuela. Ces entreprises essaieraient donc d'y revenir.
La présidente : Dans ce cas, pouvez-vous nous dire quelques mots sur les États-Unis? D'après les témoignages que nous avons entendus ici et comme nous avons pu le constater dans la presse, même si des sanctions ont été appliquées aux États-Unis, elles n'ont certainement pas empêché l'achat du pétrole et les investissements au Venezuela. Comment cela permet-il de soutenir Maduro?
M. Heidrich : Eh bien, c'est vital pour le régime de Maduro. Les États-Unis demeurent le principal consommateur du pétrole vénézuélien. Le Venezuela et les États-Unis entretiennent une relation symbiotique en matière de pétrole, et ce, depuis un siècle. Le pétrole vénézuélien est un pétrole lourd, quelque peu semblable aux sables bitumineux, et il ne peut être transformé qu'au Venezuela et dans un certain nombre de raffineries au Texas et en Chine. Personne d'autre n'a la capacité technique de transformer facilement ce pétrole. Les États-Unis placeraient donc ses propres entreprises dans une situation très difficile s'ils décidaient d'imposer un blocus au pétrole vénézuélien parce que cela ferait perdre beaucoup d'argent à plusieurs entreprises américaines qui se consacrent exclusivement à la transformation du pétrole lourd vénézuélien.
Par ailleurs, la décision d'imposer un blocus économique au pétrole du Venezuela pourrait aggraver cette terrible situation et la rendre absolument insoutenable puisqu'il n'y aurait pas d'argent qui entrerait au pays; le Venezuela est déjà très divisé et très violent. Il y a déjà des centaines de milliers de personnes qui traversent la frontière pour aller en Colombie et au Brésil. Advenant un blocus économique américain, nous pourrions être aux prises avec une situation semblable à celle de la Syrie, où des millions de personnes traversent la frontière.
La présidente : Vous avez dit que le pays est divisé. Vous avez également affirmé que l'opposition a commis des erreurs et qu'elle se trouve dans une situation différente. Si nous n'acceptons pas l'ultimatum des États-Unis pour cesser d'approvisionner le pays en pétrole, ce qui pourrait faire pression sur Maduro, ce serait aux dépens des Américains, qui seraient considérés comme la cause des conflits au Venezuela. Dans un tel contexte, où cela mènera-t- il? Y aura-t-il une guerre civile, comme le prétendent certains journalistes?
Autrement dit, si aucune mesure n'est prise dans l'immédiat, la situation ne fera-t-elle que se détériorer rapidement au détriment des gens, comme cela a été le cas dans le passé?
M. Heidrich : J'essaie de ne pas imaginer un tel scénario. Oui, cela pourrait mener à ce qu'on appelle un conflit de faible intensité, qui pourrait durer pendant un certain temps. Il y a un précédent vénézuélien à cet égard. Les années 1950 et le début des années 1960 ont marqué la fin d'une dictature au Venezuela. Les trois partis de centre-gauche et de centre-droite ont signé un accord, de sorte qu'ils puissent essentiellement se succéder au pouvoir et instaurer un régime démocratique. Toutefois, un segment de l'opinion politique avait été exclu, à savoir l'extrême gauche. Comme riposte, l'extrême gauche a décidé de devenir une force de guérilla. C'est ainsi que le Venezuela a été en proie à une guerre de guérilla au début des années 1960. Entre 20 000 et 30 000 personnes ont été tuées. C'était la conséquence de leur exclusion d'un pacte politique. Si un régime, comme celui de Maduro, décidait aujourd'hui de rester au pouvoir, sans se soucier des conséquences, le même genre d'incident pourrait se produire.
La présidente : Les gens ont-ils la mémoire assez longue pour se souvenir de ne pas emprunter cette voie? Après tout, il y a d'autres pays qui ont connu le même sort et qui disent « plus jamais », car ce n'est pas une solution pour leur peuple. Ou est-ce dû au fait que plusieurs décennies se sont écoulées depuis?
M. Heidrich : Je crois que la mémoire est un facteur, mais il faut aussi penser à des solutions de rechange. Si les gens de l'opposition estiment qu'il n'y a pas d'autres options, alors j'ignore ce qui peut se produire.
La sénatrice Eaton : Parlant de mauvaises influences, à quel point les FARC jouent-ils un rôle important au Venezuela?
M. Heidrich : En raison de la démobilisation actuelle des FARC, le nombre de leurs membres présents au Venezuela est en train de diminuer. De ce point de vue, c'est plutôt positif. Or, voici le point négatif éventuel : comme vous le savez sans doute à la lumière des conflits antérieurs en Amérique centrale, le processus de démobilisation pourrait entraîner un excédent d'armes à feu et d'armes légères dans les pays avoisinants.
La sénatrice Eaton : Étant donné que la Colombie a conclu un accord avec les FARC, est-ce qu'elle a fermé ses frontières avec le Venezuela?
M. Heidrich : Non.
La sénatrice Eaton : Donc, les membres des FARC ne s'enfuient pas au Venezuela pour y prendre refuge?
M. Heidrich : Certains d'entre eux se trouvent au Venezuela. Ils pourraient retourner en Colombie, selon les conditions particulières qui s'appliquent à chacun de ces groupes en vertu de l'accord de paix. Tous les secteurs des FARC ne sont pas traités de la même manière. Quoi qu'il en soit, le problème est de savoir ce qu'il advient des armes.
La présidente : Je voudrais poser une question complémentaire qui fait suite peut-être aux premières questions soulevées par la sénatrice Eaton sur la possibilité d'un refuge pour Maduro. Le Canada soutient très fermement le principe de la primauté du droit. La ministre des Affaires étrangères l'a d'ailleurs renforcé hier. Nous avons été d'ardents défenseurs de la Cour pénale internationale, de sorte qu'il n'y ait pas d'impunité; ce n'est peut-être pas suffisant pour contrer les crimes de guerre, mais nous avons toujours refusé d'appuyer les refuges, de payer des dictateurs, et cetera. Si telle était l'approche, le Canada serait aux prises avec un problème épineux. On réclamerait la paix et la démission de Maduro, mais la question qui se pose ensuite est celle de savoir si cela rend justice au peuple. Le Canada est donc souvent pris dans le débat qui consiste à dire qu'il n'y a pas de paix sans justice et pas de justice sans paix. C'est ce que nous avons constaté au Liberia, en Sierra Leone et à d'autres endroits. Je ne fais que donner des exemples.
Selon vous, quelle serait une position légitime pour le Canada dans pareilles situations? Comme vous le dites, des pourparlers sont en cours avec d'autres pays d'Amérique du Sud. Quelle devrait être la position du Canada?
M. Heidrich : Je crois qu'il faut faire une distinction entre, d'une part, les crimes qui pourraient résulter d'une mauvaise pratique sur le plan des politiques ou d'une corruption économique et, d'autre part, les crimes contre les droits de la personne. C'est un peu comme faire un pacte avec le diable. On doit toutefois évaluer les avantages qui pourraient en découler.
Il y a une autre complication dont je n'ai pas traité dans mon exposé, mais d'autres témoins vous en ont peut-être déjà parlé. Il s'agit de la participation accrue de certains segments du régime vénézuélien, et plus particulièrement des forces armées, au trafic de drogue. C'est très compliqué.
Le résultat est tout de même ironique : cela a pour effet de réduire la pression exercée sur la Colombie et de favoriser le processus de paix là-bas, car une grande quantité de drogues passent maintenant par le Venezuela, et une bonne partie de la logistique à cet égard s'est améliorée. C'est le cas surtout si vous avez à votre disposition la logistique de l'ensemble des forces armées vénézuéliennes. L'interaction entre le trafic de drogue et l'armée vient compliquer toute éventualité de règlement politique.
Le sénateur Gold : Dans un certain sens, mes questions ont déjà été posées.
Cela dit, vous avez décrit le degré de contrôle que l'État a exercé sur l'économie au fil des ans et vous avez proposé certaines pistes de solution quant à la façon dont la communauté internationale pourrait riposter — l'aide humanitaire étant l'une d'elles, ainsi que la pression exercée par la Chine. Sans vous demander de prédire l'avenir, est-il réaliste de penser que le régime que vous venez de décrire — un régime tellement dominé par l'État et tellement corrompu — pourrait acquérir suffisamment de pouvoir afin de résoudre la crise politique et humanitaire, ou est-ce trop tard à ce stade-ci? C'est un État en déroute du point de vue économique. L'opposition souhaite — du moins en partie, je crois — une certaine réforme des structures économiques et politiques. A-t-on franchi le point de non-retour?
M. Heidrich : Non, je ne l'espère pas.
Le sénateur Gold : Nous non plus, mais ce n'est pas ce que je demande.
M. Heidrich : C'est très difficile. Nous verrons, au cours des prochaines semaines, quelle sera la réaction de l'opposition et de la population en général pendant que le gouvernement Maduro s'affaire à mettre en place cette assemblée constitutionnelle pour essentiellement changer la structure du gouvernement et le transformer en un État à parti unique.
Je peux vous donner un exemple positif de ce que le gouvernement du Mexique a fait. Désireux de réduire la crise humanitaire au Venezuela, le gouvernement du Mexique a offert une aide alimentaire et médicale. Le gouvernement vénézuélien a refusé en disant : « Non, il n'y a pas de crise humanitaire. Nous n'avons pas besoin de votre aide. »
Alors, le gouvernement du Mexique a reformulé son offre en disant : « Que diriez-vous d'une solidarité mexicaine? » Nous allons présenter le tout comme un geste de solidarité du Mexique envers le peuple vénézuélien. Le gouvernement a répondu : « D'accord. » Toutefois, une fois l'aide rendue au Venezuela, le gouvernement a voulu tout contrôler au moyen de ses propres canaux, entre autres par l'entremise des forces armées ou du parti. Les Mexicains ont donc joué le jeu en livrant les marchandises parfois en retard, parfois en avance. De cette façon, une partie de l'aide allait aux groupes qui n'étaient pas contrôlés par le gouvernement. Malgré la situation de corruption extrême, ils ont donc réussi à fournir de l'aide aux gens qui n'évoluent pas dans ces cercles et qui ne sont pas sous la tutelle de l'État.
C'est une solution très compliquée, et l'aide du Mexique n'est pas d'une ampleur phénoménale, mais cela a inspiré d'autres pays d'Amérique latine à lui emboîter le pas. Le Brésil essaie de faire la même chose à la frontière, en partie, parce que le nord du pays a accueilli, en l'espace de quelques mois, 100 000 réfugiés en provenance du Venezuela. Selon toute vraisemblance, ce chiffre ira en augmentant.
La présidente : Monsieur Heidrich, nous avons terminé la période des questions. Vous avez couvert une vaste gamme de sujets. Je doute que nous ayons de quoi être optimistes, mais vous n'avez pas renoncé à la possibilité de trouver une solution. Nous tenons compte de toutes les options. Nous sommes conscients que l'influence du Canada au Venezuela n'est peut-être pas aussi importante que celle d'autres pays, mais nous pouvons sans doute nous en servir comme levier.
Merci de nous avoir expliqué en détail la situation dans cette région.
M. Heidrich : J'aimerais simplement ajouter deux petits points. Le premier concerne la formulation de recommandations stratégiques explicites de la part du Canada. Dans la position que le Canada adoptera à l'égard de ce problème au Venezuela, il faudrait rappeler publiquement et très clairement que seule une opposition pacifique méritera l'appui continu du Canada. Il faudra se montrer très ferme à cet égard. Nous ne tolérerons aucun acte de violence de la part de l'opposition, car autrement, ce jeu sera lourd de conséquences.
Le deuxième point, c'est que les entreprises minières ou pétrolières canadiennes devraient faire très attention avant de signer tout accord avec ce gouvernement, car le tout serait très biaisé. En effet, les offres seront de plus en plus alléchantes, mais quand les choses paraissent trop séduisantes, cela signifie que c'est trop beau pour être vrai. Vous ne devriez pas vous engager sur ce terrain parce que cela pourrait nuire grandement à la réputation du Canada ainsi qu'à celle de ces entreprises.
La présidente : Merci, monsieur Heidrich. Je tiens à répéter que les deux camps devraient chercher une solution pacifique. Je crois que telle a été la position de notre comité. Nous exhortons les deux côtés à éviter de recourir à la violence, que ce soit l'opposition ou le gouvernement, qui est plus à même d'agir ainsi. Au bout du compte, ce n'est pas dans l'intérêt du Venezuela.
Ce que nous souhaitons, c'est une solution pacifique à la crise au Venezuela. Parfois, nous nous sentons un peu découragés, car nous nous demandons comment faire pour apporter une contribution positive, sans aggraver davantage l'instabilité.
Si vous avez d'autres réflexions ou suggestions à faire sur le sujet, n'hésitez pas à communiquer avec la greffière. Autrement, nous vous remercions d'avoir abordé un si grand nombre de questions. Merci aussi d'avoir fait preuve de patience et de nous avoir attendus. Nous vous sommes très reconnaissants de vos observations.
Chers collègues, nous allons reprendre nos travaux demain en accueillant les fonctionnaires du ministère qui seront ici pour discuter de la situation au Venezuela.
(La séance est levée.)