Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et
du commerce international
Fascicule no 28 - Témoignages du 15 juin 2017
OTTAWA, le jeudi 15 juin 2017
Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd'hui, à 10 h 33, pour étudier les relations étrangères et le commerce international en général.
La sénatrice A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Honorables sénateurs, le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international a terminé récemment son étude sur le potentiel de renforcement de la coopération avec le Mexique. Pour remplir ce mandat, des membres du comité se sont rendus au Mexique afin d'accomplir une mission d'information et ont rencontré plusieurs sénateurs mexicains, y compris notre prochain témoin.
Nous avons le plaisir d'accueillir au Canada la sénatrice Gabriela Cuevas Barron, présidente de la Commission sénatoriale sur les affaires étrangères, Sénat mexicain; et l'ambassadeur désigné du Mexique au Canada, Son Excellence Dionisio Pérez Jácome Friscione.
Nous recevons aussi... Vous pourriez peut-être vous présenter vous-même. J'ai du mal à lire à cette distance.
Fernando González Saiffe, conseiller, ambassade du Mexique au Canada : Bonjour. Je m'appelle Fernando González Saiffe, conseiller aux affaires politiques, à l'ambassade du Mexique à Ottawa.
La présidente : Merci.
Un excellent groupe comparaît devant nous. Nous nous réunissons aujourd'hui dans le cadre de notre ordre de renvoi général afin de poursuivre notre discussion sur les relations bilatérales et de vous entendre parler des plus récents développements survenus depuis que nous avons visité votre comité en mars dernier.
Au Mexique, de nombreuses questions ont été soulevées à propos de notre relation bilatérale et de notre relation trilatérale avec notre voisin mutuel. Nous nous réjouissons d'avoir l'occasion d'accueillir ici, au Canada, la sénatrice Gabriela Cuevas Barron qui a eu la gentillesse d'accepter de comparaître devant nous.
Nous avons eu des problèmes à assurer l'interprétation en espagnol. Je crois comprendre que ces problèmes ont été résolus il y a seulement quelques minutes. Je vais demander à la greffière de décrire les capacités dont nous disposons maintenant.
Marie-Eve Belzile, greffière du comité : Nos interprètes peuvent traduire de l'espagnol vers le français ou l'anglais, mais pas dans l'autre direction.
Vous pouvez choisir de parler en anglais ou en espagnol.
La présidente : C'est une traduction à sens unique. Si vous parlez en anglais ou en espagnol, vos propos pourront être traduits, mais nous ne serons pas en mesure de faire l'inverse.
Nous sommes de bons voisins. Nous nous accommodons l'un l'autre. Par conséquent, nous trouverons une façon de nous débrouiller.
Soyez la bienvenue à la séance du comité. Vous avez la parole pour faire votre déclaration préliminaire.
Gabriela Cuevas Barron, sénatrice et présidente de la Commission sénatoriale sur les affaires étrangères, Sénat mexicain : Je vous remercie infiniment de nous recevoir ici. Je suis heureuse d'être au Canada, l'un de nos plus importants partenaires. Il me serait peut-être plus facile de faire mon exposé en espagnol, mais je ferai de mon mieux pour le donner en anglais.
En ce moment, au Mexique, nous vivons dans un contexte incertain, comme celui auquel vous faites probablement face. Cette situation est nouvelle pour nous.
Nous entretenons une longue union depuis 22 ans. Nous nous connaissons bien, du moins, c'est ce que nous pensions. Nous estimions que tout fonctionnait d'une bonne façon, que le commerce suffisait à maintenir une solide relation avec notre plus important partenaire. Nous pensions que notre dialogue politique se déroulait très bien. Nous nous imaginions également que les échanges d'étudiants seraient suffisants pour créer une compréhension mutuelle.
Puis le nouveau président des États-Unis est monté sur la scène, et le discours a soudainement changé. La rectitude politique a changé. La façon dont les Américains percevaient le Mexique et les Mexicains a également changé. Je crois que le Canada a commencé à ressentir cela aussi.
Lorsque vous dépendez aussi radicalement de partenaires, toute mesure ou tout changement aura une incidence sur votre monnaie d'échange quotidienne; par exemple, les investissements, les emplois. Les deux dernières années ont été très difficiles pour le Mexique.
Dans ce contexte d'incertitude, nous comprenons que nous devons changer à de nombreux égards. Premièrement, tout comme dans une union, vous ne pouvez pas tenir pour acquise votre relation. Vous ne pouvez pas présumer que 22 années de collaboration suffisent à garantir un avenir solide.
Le Mexique possède le plus important réseau de consulats des États-Unis, mais cela ne suffit pas à protéger nos citoyens là-bas. Onze millions de Mexicains vivent aux États-Unis. Même si nous possédons 50 consulats, cela ne suffit pas.
Nous avons également appris que nous ne pouvons nous contenter d'entretenir des relations étroites avec les politiciens; nous devons être près de l'opinion publique et, pour commencer, de la diplomatie publique.
J'entends par là que nous devons ouvrir des portes différentes et avoir accès à des options différentes pour nos relations bilatérales. Bien entendu, il y a l'organe exécutif, mais il faut aussi que la diplomatie parlementaire soit plus soutenue, fréquente et conduite de façons différentes, parce que nous avons également oublié cette facette.
Nous avons besoin d'universités, de différents centres d'enquête et de différents exemples de réussite de la part des nombreux Mexicains qui vivent aux États-Unis. Voilà la situation bilatérale du Mexique et des États-Unis.
L'autre enjeu qui nous préoccupe — et c'en est un qui concerne vraiment notre croissance et nos décisions à moyen et à long terme —, c'est la façon dont le Mexique diversifiera ses activités dans différents secteurs.
Du point de vue de la politique, des affaires étrangères, du commerce et des investissements, le Canada est un choix sensé. Nous travaillons ensemble depuis la conclusion du premier gigantesque accord de libre-échange. Toutefois, lorsque vous examinez la quantité d'échanges commerciaux et d'investissements que nous effectuons en ce moment, vous constatez que nous pourrions en faire beaucoup plus.
Nous évoluons, et nous comprenons maintenant notre situation. Nous sommes heureux de constater que nous n'avons plus besoin d'un visa pour venir ici. Une visite au Canada était vraiment compliquée. Je suis reconnaissante, madame la présidente, que bon nombre des gens ici présents se sont prononcés en faveur du Mexique afin d'éliminer les nombreuses formalités administratives requises pour visiter ce magnifique pays. Toutefois, nous devons en faire davantage non seulement du point de vue de l'économie, mais aussi du point de vue du dialogue politique.
Je suis vraiment étonnée que nous ayons attendu aussi longtemps pour venir ici et nous visiter mutuellement. Je suis sénatrice depuis cinq ans, et c'est ma première visite officielle au Canada. Nous ne pouvons pas tenir le Canada pour acquis. Nous ne pouvons pas commettre cette erreur. Nous devons envisager l'avenir que nous pouvons créer.
Je crois que M. Trump a fait une chose correctement. Il a polarisé le monde et la région à un point tel que le Mexique et le Canada sont maintenant plus proches que jamais. Je pense que c'est le seul bon côté de la présidence de M. Trump.
Nous allons maintenant amorcer une période très complexe pour le Mexique et le Canada, c'est-à-dire la réouverture de l'ALENA. À quoi pouvons-nous nous attendre? Que ferons-nous? Quelle stratégie devrions-nous adopter? Je pense que nous devrions concevoir le genre d'Amérique du Nord que nous souhaitons bâtir en élaborant la stratégie requise, avec ou sans les États-Unis d'abord.
Pourquoi devrions-nous envisager de le faire avec ou sans les États-Unis? Les Américains mettront en œuvre leur propre stratégie. M. Trump ne cherchera pas comment rehausser l'Amérique du Nord. Au cours de ses discours et de sa campagne, il a déclaré que seuls les États-Unis devraient être rehaussés. Je ne crois pas que ce soit acceptable. Notre région dispose de tout ce dont elle a besoin pour être la région la plus importante et la plus puissante de la planète. Nous disposons de suffisamment d'énergie pour alimenter toutes les industries et pour répondre à la demande de notre région en entier. Notre population est très productive et intelligente. Nous occupons également un emplacement important dans la géographie du monde. Nous sommes en mesure d'exporter et de vendre nos produits partout.
Je crois que ce qui compte le plus, c'est que notre région est pacifique. Bien entendu, le Mexique fait face à de nombreuses difficultés liées à la violence et aux bandes criminelles, mais notre région est pacifique. Nous possédons tout ce qu'il faut pour croître, pour élaborer de nouvelles normes et pour développer une industrie de l'innovation qui est en mesure de changer la réalité du monde entier, maintenant que de nombreux endroits ne prospèrent pas suffisamment.
Nous devons également déterminer comment améliorer les conditions de notre population. Voilà la véritable occasion qu'offre la réouverture de l'ALENA. Oui, nous pouvons améliorer la conception de l'Amérique du Nord, mais nous devons également observer des améliorations à l'échelle locale. Normalement, nous considérons que les affaires étrangères servent uniquement à parler des pays et des bonnes relations entre eux. Je crois que la véritable réussite des affaires étrangères consiste à tenir davantage compte de la façon dont elles touchent les gens que nous représentons ou de la façon dont ces gens en tirent avantage.
Si nous parvenons à créer un ALENA supérieur qui relève les nouveaux défis du monde tout en remédiant aux inégalités et qui met en œuvre une politique commerciale plus inclusive ouvrant les portes aux petites et moyennes entreprises, je crois que nous pourrons changer beaucoup de choses. Nous avons beaucoup appris pendant ces 22 années de mise en œuvre de l'ALENA. De plus, au cours des cinq années pendant lesquelles nous avons participé aux négociations du PTP, nous avons découvert beaucoup de choses les uns sur les autres.
Nous savons quelle carte nous souhaitons jouer et ce qui importe à chacun de nous, mais nous devons également déterminer quel avenir nous souhaitons bâtir. Ces instruments ambitieux doivent nous inciter à concevoir de nouveaux accords pour l'Amérique du Nord et pour le monde entier. Cela représente un défi, mais, compte tenu de notre croissance et de notre histoire des 22 dernières années en matière d'accords, peut-être est-ce le bon moment de nous perfectionner de nouveau et de montrer au monde entier qu'en Amérique du Nord, nous négocions aussi de bons accords, en dépit des conditions et des complications politiques.
J'estime que le Canada et le Mexique ont tous deux cette responsabilité. Nous avons besoin d'exploiter des mines de charbon. Nous devons également être en paix, car un grand nombre de gazouillis et de moments d'incertitude surgiront quotidiennement. Et nous devons envisager l'idée de transformer une politique relative aux médias en politique de l'État ou même en politique numérique. Une politique de l'État sera appliquée. Il se peut qu'elle ne soit pas appliquée immédiatement, mais ces quelques mois passés avec l'administration Trump montrent que la réalité de la situation en dit long. De nombreux membres du Congrès et du Sénat américains souhaitent assurer un avenir prometteur à notre région.
Je suis certaine que nous pouvons y arriver, mais nous devons défendre nos intérêts. Le discours ne peut pas provenir uniquement de l'organe exécutif. Les demandes et les normes doivent être élaborées et approuvées par les parlementaires, et tous les différents secteurs doivent intervenir sans relâche.
Je vous remercie infiniment de m'avoir accueillie ici.
La présidente : Je vous remercie de votre déclaration préliminaire.
J'ai négligé de signaler que nous avons déposé un rapport de suivi portant sur notre visite. Cette occasion de vous exprimer devant un auditoire canadien vous rappellera que nous cherchons des moyens de continuer à élargir la relation entre nos deux pays.
Vos observations ont suscité un grand nombre de questions de la part des sénateurs. J'ai donc une longue liste d'intervenants. J'espère pouvoir accommoder tout le monde. Je suis sûre que vous êtes disposée à répondre aux questions.
Le sénateur Dawson : Le choix du moment est toujours important. Pour vous donner un exemple de l'importance que revêt votre visite d'aujourd'hui, je vous signale que vous avez été précédée hier par notre ambassadeur à Washington et qu'après votre départ, nous entendrons notre ambassadeur à l'ONU. Vous faites partie d'un genre de ménage à trois comptant deux autres personnages importants. Vous avez employé l'analogie d'une union. Notre relation avec les États-Unis et le Mexique est un ménage à trois qui, en règle générale, a très bien fonctionné pendant les 22 dernières années.
Je tentais de trouver l'équivalent espagnol de « gazouillis ». Je l'ai cherché, et il est indiqué que c'est gorjeo. En anglais, on utilise le mot twitter. Les gazouillis influeront, au cours de la prochaine année, sur vos élections et sur la façon dont les Mexicains réagissent au manque de coopération entre l'organe exécutif des États-Unis et celui du Mexique, mais pas nécessairement entre tous les gens. Quelle influence pensez-vous que cette participation externe aura sur vos élections?
Mme Cuevas Barron : Je pense que nous ferons face au même phénomène que nous avons observé au cours des élections américaines. Les États-Unis constitueront un enjeu de taille dans la campagne mexicaine. Je crois que tous les candidats doivent préparer une déclaration à propos de la façon dont, selon eux, les relations avec les États-Unis et les Américains devraient se dérouler.
Bien entendu, les paroles que Donald Trump a prononcées au cours de sa campagne n'ont pas été bien reçues. L'année dernière, une partie de baseball et une partie de soccer se sont déroulées sur un terrain de Mexico, et les événements ont vraiment été couronnés de succès; les gens ont vraiment fait preuve de respect. En revanche, la semaine dernière, une partie de soccer a eu lieu, et les participants n'ont pas montré le même respect envers le drapeau américain.
Au Mexique, nous avons toujours eu l'impression d'être un peu fâchés, je crois, contre les États-Unis. Il y a 150 ans, les Américains ont pris possession de la moitié de notre territoire.
Puis ils ont eu l'impression que les migrants mexicains causaient beaucoup de problèmes. Ensuite, le président des États-Unis a qualifié les Mexicains de violeurs et de criminels.
Je pense que le respect que nous éprouvions dans le passé ne sera plus le même. Au cours des prochaines élections, nous assisterons à de nombreux débats sur la forme que les relations entre le Mexique et les États-Unis devraient prendre. Ces débats pourraient devenir polarisés parce que les deux principaux partis qui font maintenant partie du scrutin appartiennent à la droite et la gauche. Il n'y a aucun parti centriste. Je crois que cela causera un énorme problème, mais je ne suis pas certaine de l'incidence que cela aura sur les élections. J'espère que les Américains ne seront pas tentés d'intervenir dans les élections mexicaines, car cela pourrait créer un grave problème.
Le sénateur Dawson : J'aurai le plaisir de dîner avec la sénatrice. Par conséquent, je poserai mes questions plus tard.
La présidente : Cela nous aidera.
La sénatrice Ataullahjan : Bienvenue au Canada. Nous nous sommes rencontrés à de nombreuses reprises au cours des discussions bilatérales avec le Mexique qui se sont déroulées dans le cadre de l'UIP.
Je souhaite revenir sur le fait que le Mexique traverse des périodes d'incertitude. Pourriez-vous m'en dire davantage sur la façon dont vous vous adaptez en ces temps incertains?
De plus, quelles sont certaines des priorités du Mexique qui coïncident avec les intérêts régionaux et internationaux du Canada, et comment pouvons-nous améliorer notre relation?
Mme Cuevas Barron : Merci beaucoup. Je suis heureuse de vous revoir ici.
Je pense que tous les pays du monde doivent s'adapter à l'incertitude. Dans le passé, nos relations avec les États- Unis étaient très prévisibles au chapitre des affaires étrangères. Nous jouissions d'une grande stabilité, car l'ancien président souhaitait dialoguer avec différents acteurs, même avec ceux avec lesquels les États-Unis n'entretenaient pas de relation à ce moment-là. Toutefois, l'incertitude est devenue la règle quotidienne. Ce n'est pas comme si nous vivions une seule journée d'incertitude. Les choses sont ainsi pour nous depuis près de deux ans.
La valeur de notre devise a changé radicalement au cours des deux dernières années. D'un point de vue financier, nos marchés commencent à tenir compte de ces incertitudes en ajoutant de nouvelles variables à l'équation. Je pense que cela surviendra également dans divers secteurs de la politique et des affaires étrangères.
Si vous avez observé la visite des pays arabes et autres effectuée par Donald Trump, vous avez pu constater qu'il y avait aussi une certaine incertitude à cet égard étant donné que, désormais, aucun président ne tente d'entamer un dialogue ou d'obtenir un accord. Le président a un programme différent. C'est leur décision, et nous n'y pouvons rien, sinon de comprendre leur décision et de rendre l'incertitude tolérable. Je crois que l'incertitude continuera de régner pendant un certain temps — au moins pendant quatre ans, à mon avis.
En ce qui concerne nos priorités, je crois que nous en partageons plusieurs. Bien entendu, il y a celles qui sont toujours présentes, à savoir le commerce et l'éducation. Cependant, je pense que nous devons maintenant défendre les institutions et les accords multilatéraux. Par exemple, il y a le changement climatique, qui revêt depuis longtemps une grande importance pour le Canada et le Mexique. Il y a aussi le programme humanitaire. Vous accueillez maintenant un grand nombre de réfugiés. Nous commençons à faire la même chose. Nous venons de modifier notre constitution afin de faciliter ce processus. Il y a aussi des problèmes liés à la migration.
Je crois que nous devons aussi répondre aux besoins en matière d'innovation et de productivité et trouver des façons d'améliorer les conditions, bilatéralement, avec ou sans les États-Unis. À cela s'ajoutent évidemment la création de l'espace nord-américain et la question de l'intégration de l'Amérique du Nord, mais que se passera-t-il si les États-Unis n'y voient aucun intérêt? Allons-nous demeurer assis à ne rien faire?
Je ne crois pas. Nous devons promouvoir notre programme bilatéral, nous attaquer aux divers enjeux auxquels nous sommes confrontés, et bien sûr promouvoir le commerce et les investissements. Nous devons favoriser leur croissance dans ces secteurs, mais des changements sont aussi requis, par exemple, pour les enjeux liés aux étudiants, à l'éducation, à la science, à la technologie et à l'innovation. Il y a les changements climatiques, la migration. Je pense qu'actuellement, nous devons également défendre nos accords bilatéraux. Ce sera le principal défi avec l'administration Trump.
Le sénateur Woo : Bienvenue et merci de votre témoignage.
Je me demande si vous avez eu l'occasion de lire le discours prononcé par la ministre des Affaires étrangères à la Chambre des communes il y a environ 10 jours. Je comprendrais que vous ne l'ayez pas fait, car il vient d'être publié. Si vous l'avez lu, j'aimerais poursuivre sur le sujet et vous poser une question.
Mme Cuevas Barron : Je ne l'ai pas lu.
Le sénateur Woo : Dans ce cas, je ne poserai pas la question, mais je vous recommande de le lire. J'aimerais savoir ce que vous en pensez. J'ai demandé à des diplomates d'autres pays de me dire comment ce discours a été reçu, et j'aimerais aussi avoir le point de vue mexicain à ce sujet.
Permettez-moi de poser une question dans un autre ordre d'idées. Nous avons en commun, outre notre voisin, deux océans. Je pense en particulier à l'océan Pacifique. Dans une dynamique mondiale en évolution — et cet aspect se reflétait dans le discours de la ministre des Affaires étrangères —, le Canada et beaucoup d'autres pays examinent les façons de se diversifier, mais pas seulement sur le plan économique; cela touche aussi les relations, les ententes, les accords commerciaux et divers arrangements institutionnels. Sans parler d'un éloignement, je dirais plutôt qu'il faut aller au-delà de l'Amérique du Nord, au-delà des États-Unis. On pense évidemment à la région de l'Asie-Pacifique, en particulier l'Asie de l'Est.
J'aimerais avoir vos observations sur les relations entre le Mexique et l'Asie et leur évolution possible. En quoi cadrent-elles avec la politique étrangère et la stratégie commerciale du Mexique?
Enfin, le Mexique et le Canada peuvent-ils collaborer à certains égards pour renforcer les relations entre l'Amérique du Nord et l'Asie de façon positive, avec ou sans les États-Unis?
Mme Cuevas Barron : Je vais certainement écouter ce discours. Merci beaucoup.
L'un des principaux objectifs du PTP est certes d'accroître les occasions sur le marché de l'Asie-Pacifique. Je pense que nous devons évidemment rouvrir les négociations du PTP — c'est mon opinion personnelle; la question ne fait pas consensus au Mexique — et que nous devons déterminer la nature des relations que nous souhaitons entretenir avec la Chine. C'était l'un des problèmes du PTP.
Même ceux qui ont conçu le PTP ont indiqué qu'il ne visait aucunement à contrer la Chine. Nous devons être conscients que la Chine est là. Donald Trump n'en était pas conscient. Il pensait que tout allait changer si les États- Unis commençaient à s'opposer au libre-échange, mais soudainement, dès le lendemain, la Chine a commencé à parler de libre-échange et des façons d'accroître les débouchés. Donc, nous devons comprendre que la Chine est un incontournable. Ce n'est pas une évidence dont personne ne veut parler. On parle de la Chine, ici.
Permettez-moi de parler de la situation du Mexique. Si vous regardez notre balance commerciale avec la Chine, vous constaterez qu'elle est déficitaire, de l'ordre de 12 pour 1, même dans le secteur du tourisme. La Chine a 10 fois la population du Mexique, mais elle attire 10 fois plus de touristes mexicains que nous accueillons de touristes chinois. Nous faisons manifestement fausse route quelque part.
Si vous discutez avec les gens d'affaires du Mexique, vous constaterez qu'ils ne souhaitent pas un accord de libre- échange ou un accord quelconque avec la Chine. Quoi qu'il en soit, voilà ce qu'il en est de notre balance commerciale, même dans le secteur du tourisme.
Nous devons établir des règles relatives au commerce et aux investissements. Nous ne devrions avoir aucune crainte à cet égard. Nous avons des problèmes, mais nous ne trouvons pas de solutions.
Je pense que ce serait une erreur de mettre en œuvre le PTP sans tenir compte de la situation en Chine. Je ne dis pas que la Chine devrait faire partie du PTP, mais il faut tenir compte de sa présence. Nous n'aurons pas de bons résultats si nous en faisons abstraction.
Un des enjeux consiste à déterminer le type de relation que nous voulons établir avec la Chine. Souhaitons-nous que la Chine investisse? Doit-on renforcer le commerce? Quel type de règles devons-nous adopter? J'estime que des règles sont nécessaires, car les produits chinois sont omniprésents.
Deuxièmement, il convient évidemment de renforcer nos liens avec la région de l'Asie-Pacifique, mais ce ne sera pas suffisant. Il faut tenir compte de l'Inde, qui est aussi un marché considérable, dont l'important secteur de l'innovation conçoit de nouveaux produits et avance de nouvelles idées tous les jours.
Donc, je crois que nous devons certainement nous tourner vers la région du Pacifique, mais nous pourrions également proposer ou établir une stratégie commune. À titre d'exemple, le Mexique ne compte que huit ambassades en Afrique. Beaucoup de pays africains sont en croissance, mais nous n'y sommes pas présents.
Il en va de même dans beaucoup de régions; il y a de nouveaux acteurs, mais nous n'en étions pas conscients parce que nous nous contentions de notre cher ALENA.
Donc, il convient certainement d'ouvrir l'ALENA et d'en faire un accord formidable, mais il faut aussi chercher de nouveaux marchés, de nouveaux débouchés. Évidemment, cela pourrait être plus facile si le Canada et le Mexique travaillaient ensemble plutôt que chacun de leur côté. Si les États-Unis veulent participer, ils sont les bienvenus. Toutefois, je ne crois pas que ce soit le cas. Ils voulaient un accord distinct avec l'Union européenne, tout comme le Canada, d'ailleurs. Personnellement, je crois qu'au lieu d'accords distincts du Canada, du Mexique et des États-Unis avec l'Union européenne, il aurait été préférable d'avoir un accord entre l'Amérique du Nord et l'Union européenne, soit un accord entre deux marchés intégrés. Cela dit, proposons quelque chose; cherchons des occasions différentes.
À titre d'exemple, nous avons l'Alliance du Pacifique; le Canada est un important observateur. Nous avons donc la possibilité de mettre en commun nos expériences concernant des marchés ou des accords qui ont donné de bons résultats. Si nous parvenions à bâtir quelque chose ensemble, vous auriez l'appui du Sénat mexicain.
Le sénateur Woo : Pour conclure, je pense, à la lumière des propos qu'elle a tenus, que la sénatrice trouvera le discours de notre ministre des Affaires étrangères fort intéressant.
Mme Cuevas Barron : Je vais tâcher de le trouver.
Le sénateur Marwah : Madame la sénatrice, monsieur l'ambassadeur, soyez les bienvenus.
On porte manifestement une grande attention à l'Amérique du Nord et aux trois pays qui la composent, le Mexique, les États-Unis et le Canada. Toutefois, nous avons aussi une excellente occasion de renforcer le corridor nord-sud qui englobe l'Amérique du Sud. Lorsque nous serons rendus là, le Mexique pourra manifestement jouer un rôle considérable dans la mise en place de ce corridor nord-sud. J'aimerais avoir vos observations concernant les possibilités et les défis que cela représente. Il n'est pas nécessaire d'aller aussi loin qu'en Chine alors qu'il y a des possibilités immenses au sud de pays.
Mme Cuevas Barron : C'est un débouché différent; la taille du marché n'est pas la même. Pour nous, c'est plus facile, évidemment. Le Mexique joue un rôle prépondérant dans l'ensemble des pays d'Amérique latine et des Caraïbes. Cela ne se limite pas au commerce. Nous avons aussi une étroite collaboration avec ces pays pour ce qui est des catastrophes naturelles, de l'éducation et des sports.
Si vous considérez l'Alliance du Pacifique comme un accord... C'est assez étonnant, car la part du commerce n'est que de 30 p. 100. Cela concerne l'ensemble des biens et services, le capital et tout le reste, mais cela ne représente que 30 p. 100. Les 70 p. 100 restants sont liés à la coopération.
L'idée de l'Alliance du Pacifique était de créer un mécanisme distinct qui visait essentiellement à bâtir un avenir meilleur pour les quatre pays qui sont à l'origine de l'alliance, soit le Chili, le Pérou, la Colombie et le Mexique. Cela a pris plus de temps que prévu, mais nous avons de bons résultats. Nous enregistrons de bons progrès quant à l'intégration des marchés des capitaux, par exemple, ainsi que pour les enjeux liés à la migration, la coopération et la sécurité.
Je crois que l'Alliance du Pacifique est un mécanisme formidable. Il convient toutefois d'être réalistes quant à la situation politique en Amérique du Sud et même quant à la situation humanitaire en Amérique centrale.
Je crois que beaucoup de gouvernements font parfois des erreurs, car ils se concentrent davantage sur le commerce que sur la recherche de solutions différentes visant la mise en place d'un programme intégré avec un autre pays. Par exemple, nous avons un accord de libre-échange avec l'Amérique centrale, mais nous sommes aussi axés sur les enjeux humanitaires qu'on observe dans ce qu'on appelle le triangle du nord de l'Amérique centrale — le Guatemala, le Honduras et El Salvador. Il y a beaucoup de violence. Beaucoup de personnes sont déplacées, pas seulement en raison de la violence, mais aussi en raison des changements climatiques. On observe aussi beaucoup de problèmes chez les personnes déplacées.
Il y a également, en Amérique du Sud, l'enjeu complexe du Venezuela, un enjeu qui, sur le plan idéologique, polarise l'ensemble de la région. Vous verrez sans doute un vif débat à ce sujet à la prochaine réunion, qui aura lieu lundi, mardi et mercredi prochains, à Cancún. Je crois que la question du Venezuela donnera lieu à un débat fort important et polarisé.
Je crois que c'est la position du Mexique, de mon gouvernement. Nous devons être plus axés sur ce qui nous unit que sur ce qui nous divise. À mon avis, la question du Venezuela est celle qui nous divise réellement.
Nous devons aussi profiter des occasions qui se présentent sans égard au contexte politique. À titre d'exemple, le Mexique a actuellement une occasion formidable avec le Brésil. Nous avons pour la première fois l'occasion de conclure un accord commercial avec le Brésil; ce ne sera pas un accord de libre-échange, mais presque. À mon avis, cela permettra d'établir un nouvel ordre du jour pour la région, malgré la grande réticence des gens d'affaires de deux pays à l'égard de cet accord. En effet, si le Mexique et le Brésil peuvent conclure un accord, cela signifie que les deux plus importants pays de la région contribueront à réorienter l'avenir.
Nous ne parviendrons peut-être pas à établir, à court terme, un ordre du jour exhaustif avec l'Amérique centrale et l'Amérique du Sud, mais je pense que les conditions auront beaucoup évolué dans deux ou trois ans. Nous pourrons alors commencer à travailler à l'élaboration d'un accord élargi avec l'ensemble des pays d'Amérique latine.
L'idée est, bien sûr, que le Mexique peut servir de porte d'entrée et de passerelle pour l'accès aux marchés de l'Amérique centrale et de l'Amérique du Sud. On y produit beaucoup d'aliments et de métaux et beaucoup d'autres produits. Je pense que la région a besoin que le Mexique joue un important rôle de chef de file pour aplanir les différends qui divisent les pays depuis les 15 dernières années.
Le sénateur Marwah : Merci. Je suis heureux de l'entendre, car je pense que plus vous renforcerez vos relations avec les pays au sud du Mexique, mieux ce sera pour le Canada.
Mme Cuevas Barron : Merci.
La sénatrice Cordy : Merci beaucoup d'être ici. C'est très intéressant. Nos pays sont deux des trois partenaires de l'ALENA; on y observe un malaise ou des préoccupations quant à l'avenir et à la tournure que prendront les discussions avec l'administration américaine.
En général, la population mexicaine est-elle préoccupée par la relation avec les États-Unis? C'est votre pays voisin, bien sûr. Nous sommes au Nord, et vous au Sud. Les Mexicains sont-ils préoccupés par l'avenir de l'ALENA et par la relation avec les États-Unis, compte tenu de la nouvelle administration?
Mme Cuevas Barron : Oui, beaucoup. Je vais vous donner une statistique : un Mexicain sur trois a un proche ou un ami établi aux États-Unis. Mon grand-père habite à Los Angeles, par exemple. Donc, comme moi, 30 p. 100 des Mexicains ont de la famille ou des amis aux États-Unis. Il va sans dire qu'ils sont préoccupés, et ces préoccupations ne sont pas uniquement liées au Mexique; elles touchent aussi l'aspect humain. Ils s'inquiètent de ce qui pourrait arriver à leurs proches ou à leurs amis dans le contexte de la nouvelle politique de migration de Donald Trump.
On peut toutefois le mesurer d'une autre façon. J'ai parlé des réactions lors du match de soccer, par exemple. Les Mexicains sont touchés directement.
En outre, les nouveaux cas de détention faits par les services frontaliers des États-Unis ont une incidence négative sur l'opinion publique mexicaine. Les mesures de protection contre les criminels ne posent pas problème, bien sûr, mais les États-Unis viennent d'expulser une femme qui habitait aux États-Unis depuis 22 ans. Ses deux fils sont Américains et elle n'a jamais commis de crime. Elle se rendait chaque année au bureau du Service des douanes et de la protection des frontières des États-Unis de sa collectivité pour obtenir un permis de séjour; lorsqu'elle s'y est présentée pour demander un nouveau permis, elle a été emprisonnée.
Les histoires de ce genre démontrent à quel point la situation se dégrade sur le plan humain. Les statistiques ou les nouvelles concernant les industries sont loin d'améliorer la perception ou de susciter l'enthousiasme du public à l'égard des politiques américaines.
Nous avons récemment tenu des discussions sur le sucre, une industrie importante au Mexique; les choses ne se sont pas bien passées. Nous sommes évidemment au courant de ce qui se passe au Canada. Cela ne nous motive pas à entreprendre cette renégociation, mais nous devrons tout de même le faire.
J'estime que nous pourrons améliorer ce que nous avons déjà si nous agissons de façon réfléchie, selon une perspective utile. Cela vaut aussi du point de vue sociétal. On trouve de part et d'autre de la frontière beaucoup de collectivités qui portent le même nom. Par exemple, Nogales, dans l'État de Sonora, a le même nom qu'une collectivité américaine. Les collectivités de Juárez et d'El Paso ont une réalité indissociable. C'est pratiquement la même communauté. Ce qui les distingue, c'est le mur qui les sépare.
Ce problème ne fera qu'empirer, car les États-Unis ont indiqué qu'ils entreprendraient, en mars ou en avril prochain, la mise en œuvre de l'idée brillante de Donald Trump. Ce mur n'a été d'aucune utilité pendant toutes ces années. Je ne sais pas pourquoi ils considèrent que ce sera une bonne idée.
Cela a des conséquences désastreuses, évidemment, notamment sur le plan financier. Lorsqu'on regarde le PIB combiné des États du Sud des États-Unis et des États du Nord du Mexique, cela représente la quatrième économie mondiale. Cela démontre l'ampleur des difficultés que pourrait entraîner la construction d'un mur entre ces deux économies importantes.
Voilà pourquoi j'ai indiqué que cet enjeu sera au centre de la campagne et du discours public l'an prochain. Les Mexicains entendent le président les qualifier de violeurs et de criminels, ce qui leur va droit au cœur, cela va de soi.
La sénatrice Cordy : Vous êtes venue au Canada pour discuter avec notre comité. Y a-t-il eu des discussions en tête à tête entre des membres du gouvernement mexicain et des membres du Congrès américain ou des sénateurs américains? Avez-vous reçu des appuis? Je pense aux sénateurs Cruz et Rubio, qui ont des liens avec le Mexique. Avez-vous reçu un appui de leur part, ou de la part d'autres membres de la Chambre des représentants ou du Sénat?
Mme Cuevas Barron : Je ne crois pas qu'avoir un nom de famille espagnol signifie que vous avez un bon programme concernant l'Amérique latine. En ce qui concerne en particulier M. Ted Cruz, il n'est pas pro-Mexique.
Nous avons en effet un bon dialogue même avec des personnes comme le sénateur Cruz, et nous avons trouvé de très bons amis parmi ces gens. Certaines inquiétudes planent évidemment. Je crois que c'est normal compte tenu de la relation complexe et dynamique que nous avons à la frontière. Je crois que vous avez également une situation complexe à certains égards avec les États-Unis, mais nous sentons une grande solidarité même parmi les sénateurs républicains.
Je me suis rendue à Washington en février et j'ai visité divers États. J'ai discuté avec des gouverneurs, des maires et des autorités locales et fédérales. Nous avons également rencontré le président et un membre haut placé du Comité des affaires étrangères. Ils ont vraiment prêté une oreille attentive à nos commentaires au sujet de l'idée du mur.
Nous sommes également inquiets au sujet de l'idée des versements d'impôt, et ce n'est pas seulement quelque chose qui touche un pays; cela touche directement cinq millions de Mexicains. Les autorités ont aussi vraiment prêté une oreille attentive à ce que nous avions à dire à ce sujet.
Lors de cette visite, j'ai remis des brochures aux divers sénateurs qui présentent les avantages de l'ALENA pour leur État respectif et qui expliquent que le commerce et les investissements augmentent chaque année depuis 22 ans. Les sénateurs en étaient très surpris. Ce rapport a permis de leur ouvrir les yeux, parce que les chiffres disent que nous devons demeurer solidaires — le Canada, les États-Unis et le Mexique —, mais je crois qu'un tel lobbying est nécessaire. Je crois que le Canada peut également montrer aux élus américains comment l'ALENA est utile pour les divers États et les Américains qu'ils représentent.
Nous pourrions mettre sur pied une délégation mixte de Canadiens et de Mexicains qui se rendrait aux États-Unis. Au lieu d'avoir des rencontres interparlementaires bilatérales, nous pourrions demander une rencontre intergouvernementale trilatérale et parler non seulement d'échanges commerciaux et d'investissements, mais aussi de migration. Parlons d'éducation. Parlons de la drogue, parce qu'il y a beaucoup de désinformation. Aux États-Unis, les gens croient que les surdoses sont causées par de la drogue provenant du Mexique; sans grande surprise, ce n'est pas le cas.
Toutefois, nous pouvons entamer un dialogue différent. Si vous le voulez, nous pouvons proposer de tenir une rencontre trilatérale pour discuter de l'avenir de notre région du point de vue des parlementaires.
La présidente : Vous avez dit que des élections auront bientôt lieu dans votre pays et que les partis politiques sont de la gauche ou de la droite. Il semble que les partis ne soient pas du centre. Y a-t-il des similarités entre les approches que préconisent les divers partis à l'égard de l'ALENA? L'approche à ce sujet fera-t-elle l'objet d'un débat, à savoir que chaque parti aura sa propre opinion?
Je vous pose cette question parce que, si tous les partis au Mexique adoptent la même approche, nous pourrions le faire, étant donné que nous entamerons ces discussions très bientôt avec les États-Unis. Si les partis préconisent des approches différentes, nous devons en tenir compte.
Y a-t-il eu des discussions entre les partis? Préconisez-vous la même approche à l'égard des négociations de l'ALENA ou y a-t-il des différences marquées entre les partis?
Mme Cuevas Barron : Vous me posez là une question difficile, madame la présidente. Le Mexique a commencé il y a environ 30 ans à s'intéresser au libre-échange et aux enjeux mondiaux. Nous avons depuis eu deux partis au pouvoir au Mexique : le PRI et le PAN. Je suis membre du PAN. Ces deux partis ont un point de vue très clair au sujet du libre- échange et du rôle que le Mexique devrait jouer sur la scène internationale. Nos gouvernements l'ont démontré.
Nous avons vu une grande continuité dans les accords. Par exemple, un gouvernement PAN a commencé les négociations concernant le PTP et l'Alliance du Pacifique, et le gouvernement PRI a conclu les négociations et a approuvé les deux accords. Bref, la position du PRI et du PAN est claire; les deux sont vraiment favorables à de tels accords.
Toutefois, pour ce qui est du candidat de la gauche, qui est maintenant le candidat le plus en vue, je ne suis pas certaine de sa position par rapport aux États-Unis. Il a fait très attention de ne pas faire de déclarations concernant Donald Trump, et c'est surprenant venant de la part d'une personne de l'extrême gauche.
En ce qui a trait au libre-échange, je ne suis pas vraiment certaine du contenu, mais il s'y oppose en quelque sorte. Ce candidat parle toujours de protectionnisme. Il est un peu notre Donald Trump de la gauche, mais son point de vue et sa façon d'agir sont semblables. Il est très doué avec les médias et très populaire dans certains pans de la population; il affirme que le Mexique a tort d'adopter cette stratégie, mais il n'explique jamais ce qu'il veut dire.
Ce qui m'inquiète notamment au sujet de ce candidat, c'est qu'il ne pense pas que la politique étrangère est importante pour un pays. Il dit toujours que la meilleure politique étrangère est une politique intérieure. Il ne prend peut-être aucune décision et pense que ce n'est pas important. Il ne fait aucun voyage d'affaires dans un autre pays. Je n'en sais trop rien. Par contre, je sais que le PRI et le PAN ont des programmes clairs. Je ne suis pas certaine du programme de la gauche concernant les accords commerciaux.
Il était question d'incertitude. Je crois que nous vivrons dans l'incertitude durant la prochaine année, jusqu'en juin.
La présidente : Sénatrice Cuevas Barron, merci d'être venue témoigner devant le comité et de nous avoir fait part de vos points de vue. Comme vous venez de le dire, nous devrons certainement non seulement surveiller les faits et gestes du Congrès et du gouvernement Trump aux États-Unis, mais aussi examiner vraiment très attentivement ce qui se passera au Mexique, compte tenu des élections à venir.
C'est une période fort intéressante et fort incertaine, mais de nouvelles initiatives et de nouvelles possibilités peuvent naître de cette situation. Je crois que nous avons de solides relations bilatérales. Nous l'avons souligné dans nos rapports, mais nous savons également que nous pouvons en faire énormément plus à divers égards de manière bilatérale ou trilatérale. Je crois qu'il nous incombe à tous les deux de trouver des manières novatrices de contribuer à donner un avenir meilleur et prospère aux citoyens et aux enfants de nos deux pays.
Nous avons hâte de collaborer avec le nouvel ambassadeur dès que les formalités administratives seront réglées. Il ne fait aucun doute que d'autres occasions se présenteront à nous et que nous devons davantage nous appuyer sur cette relation parlementaire.
Au nom du comité, je tiens à vous remercier et à remercier également les autres sénateurs que nous avons rencontrés au Mexique. Nous vous sommes reconnaissants d'avoir eu l'occasion de discuter avec vous aujourd'hui. Veuillez transmettre nos salutations au Sénat mexicain.
Honorables sénateurs, pour la deuxième heure, nous accueillons l'ambassadeur Blanchard. Je vais le présenter dans un instant.
Le comité est autorisé à examiner des enjeux qui surviennent de temps à autre concernant de manière générale les relations étrangères et le commerce international. Conformément à ce mandat, le comité a invité M. Marc-André Blanchard, ambassadeur et représentant permanent du Canada auprès des Nations Unies, à venir discuter des enjeux ayant trait à son mandat et aux questions touchant l'ONU en général.
L'ambassadeur Blanchard a présenté ses lettres de créance au secrétaire général de l'ONU Ban Ki-moon en avril 2016 et est depuis notre représentant permanent.
Monsieur, merci d'avoir accepté notre invitation. Comme je vous l'ai mentionné, la fin de session est extrêmement chargée, mais nous tenions à faire témoigner notre ambassadeur devant le comité. Nous sommes donc très heureux de vous compter parmi nous aujourd'hui. C'est important pour nous d'être au courant des questions touchant l'ONU, en particulier compte tenu du nouveau secrétaire général et des nombreux autres enjeux aux Nations Unies qui viennent miner l'ordre mondial.
Nous vous souhaitons la bienvenue au comité. Vous êtes accompagné de Mme Wendy Drukier, directrice générale des organisations internationales à Affaires mondiales Canada. Bienvenue également au comité.
Si vous avez un exposé, la parole est à vous.
Marc-André Blanchard, représentant permanent du Canada aux Nations Unies : Merci, madame la présidente. Veuillez m'interrompre si je prends trop de temps. Mon exposé prendra plus que les cinq minutes que vous accordez normalement aux témoins. J'ai un exposé de 7 à 10 minutes, mais je vais essayer d'être le plus bref possible.
Merci de l'invitation. C'est un privilège d'être ici et de vous rencontrer.
C'est un immense privilège d'être votre ambassadeur aux Nations Unies en particulier à un moment où le Canada renoue avec ses engagements internationaux et avec l'arrivée et la nomination d'un nouveau secrétaire général des Nations Unies et les nombreuses réformes à venir. C'est un privilège d'y contribuer.
Quels sont nos défis? Les défis mondiaux que nous devons relever sont immenses : l'adaptation aux changements climatiques et l'atténuation de leurs conséquences; les conflits insolubles comme la guerre en Syrie; la plus importante crise migratoire de l'histoire; les difficultés de la classe moyenne; la hausse des besoins en matière de maintien de la paix et des nouvelles menaces; la montée de l'extrémisme violent; l'écart toujours croissant entre les besoins humanitaires et notre capacité d'y répondre; et j'en passe.
Lorsque nous regardons ces défis, une chose est claire; aucun pays ne peut les régler seul ou même de manière bilatérale. Tous ces défis appellent à une intervention multilatérale renforcée.
Je n'ai pas besoin de vous dire que ce n'est pas le multiculturalisme de la belle époque. Le monde est de plus en plus multipolaire. Les engagements internationaux ne sont pas nécessairement prévisibles, et il peut être extrêmement difficile de réaliser des progrès.
Les grandes puissances comme la Russie, les États-Unis et la Chine voient toutes différemment l'ONU. Il n'y a aucune perception uniforme de l'ONU et de son rôle. Pour aller de l'avant, nous devons de plus en plus trouver des coalitions de pays aux vues similaires au cas par cas selon l'enjeu. Pour réaliser des progrès et mettre sur pied des coalitions, nous devons faire preuve d'innovation et tenir compte de la diversité des États membres.
L'ONU a d'innombrables réalisations à son actif, dont bon nombre sont passées inaperçues. La pauvreté a été réduite; un plus grand nombre de personnes ont accès à l'aide humanitaire; moins de personnes meurent des suites de maladies évitables; dans bien des pays, les femmes ont un accès accru à des soins de santé pour les mères et les enfants; la capacité de l'ONU d'intervenir à la suite de catastrophes naturelles n'a jamais été aussi grande.
Cependant, il s'agit évidemment d'un organisme imparfait. À l'instar de toute autre institution de grande envergure, nous devons modifier certaines pratiques non efficientes, arrêter de travailler en vase clos et améliorer certains éléments.
J'avoue que des réformes sont nécessaires dans diverses sphères de l'ONU, mais il ne faut pas oublier que nous avons laissé l'ONU se débrouiller avec certains des pires problèmes que l'humanité ait connus. Il ne faut pas non plus oublier que ce sont les États membres en grande partie qui prennent les décisions à l'ONU.
En dépit de ces défis, il y a des possibilités. Premièrement, commençons par le secrétaire général. Depuis le 1er janvier, nous avons un nouveau secrétaire général; António Guterres est la bonne personne pour le poste. C'est un leader fort. Sa vice-secrétaire générale, Amina Mohammed, qui était jusqu'à tout récemment ministre de l'Environnement du Nigeria et qui était aussi récemment de passage à Ottawa, est également la bonne personne pour occuper ce poste à ce moment-ci. Nous ne pourrions pas espérer une meilleure personne qu'elle au poste de vice- secrétaire générale.
Le nouveau mandat est encore récent, mais nous pouvons louer l'engagement du secrétaire général à faire preuve de transparence et à mettre en œuvre des réformes au sein de l'organisation en ce qui a trait à la paix et à la sécurité, au développement durable et à la gestion. Il en va de même de son engagement à atteindre la parité hommes-femmes parmi les hauts gradés de l'ONU.
Il nous incombe maintenant de nous assurer que les dirigeants de l'ONU respectent ces engagements, et nous devons soutenir M. Guterres et Mme Mohammed en ce sens. En fin de compte, ces réformes dépendront de la volonté collective des États membres.
La deuxième possibilité que je vois, c'est que nous avons un plan : le Programme 2030. Si vous ne retenez qu'une chose de mon exposé aujourd'hui, j'espère que ce sera notre discussion sur le Programme 2030.
Il y a deux ans, le monde a négocié un programme d'une grande portée visant à sortir des millions de gens de la pauvreté d'ici 2030. Nous ne devons pas sous-estimer cet exploit.
Cela s'appelle le Programme 2030. Il s'agit d'un plan stratégique pour le monde qui a été élaboré et adopté à l'ONU par les 193 États membres. Ce plan inclut 17 objectifs de développement durable mesurables à atteindre d'ici 2030. C'est une première dans l'histoire.
C'est l'une des plus importantes réalisations multilatérales depuis de nombreuses années. Avec l'Accord de Paris qui a été conclu la même année, ce sont deux instruments importants.
Si nous réussissons à atteindre ces objectifs, des millions de personnes dans le monde se joindront à la classe moyenne et auront accès à de meilleurs emplois. Les filles iront à l'école et ne seront plus mariées de force; nous outillerons les femmes; cela créera de véritables débouchés.
Le monde sera plus sécuritaire. Le plan est d'éloigner le monde du précipice de la non-viabilité.
Troisièmement, nous collaborons à l'établissement d'un pacte mondial sur les réfugiés et l'immigration. Pour ce qui est du pacte sur l'immigration, nous sommes ravis que la Canadienne Louise Arbour soit à la barre de cette initiative. Je ne pourrais pas penser à une personne plus apte et plus motivée que Mme Arbour pour relever ce défi important à un moment critique.
Quatrièmement, les gens au sein de l'ONU comprennent de plus en plus que la paix, la sécurité et le développement économique durable sont intrinsèquement liés. C'est au cœur du programme du nouveau secrétaire général qui mettra l'accent sur la prévention et le développement durable. Ce sont des mots, mais il s'agit d'une révolution au sein de l'ONU. Cela signifiera qu'il faudra réformer l'organisation et son fonctionnement.
Comment abordons-nous notre engagement? Pour un pays comme le Canada, le multiculturalisme fait partie de notre ADN. Au plus profond de nous-mêmes, nous comprenons que nous devons établir des partenariats pour faire avancer des enjeux. Comme la ministre Freeland l'a récemment affirmé :
[...] à titre de puissance moyenne voisine de la seule superpuissance du monde, le Canada est extrêmement intéressé par un ordre international fondé sur des règles. Un ordre où la force ne triomphe pas par défaut. Un ordre où les pays les plus puissants sont limités dans leur façon de traiter les pays plus petits, au moyen de normes respectées, appliquées et imposées à l'échelle internationale.
J'aimerais vous donner quelques exemples de cet engagement. Premièrement, en ce qui concerne le financement des objectifs de développement durable, le Programme 2030 dont je viens de parler est une initiative fascinante. Si vous me demandez ce qui est le dernier cri dans les affaires internationales ces temps-ci, c'est ce programme. Cela concerne la manière dont nous investirons des milliards ou des billions de dollars dans le développement durable et la façon dont nous stimulerons encore plus les investissements dans les marchés émergents. Comment arriverons-nous à investir davantage dans le développement durable? Comment réussirons-nous à harmoniser davantage nos marchés financiers avec le développement durable?
C'est un défi phénoménal; c'est énorme. Il y a urgence d'agir, et le Canada est un chef de file en la matière. Je suis ravi d'en faire partie.
Voici ce que nous faisons. Ensemble — cela fait partie du partenariat et de la façon dont le Canada fonctionne à l'ONU —, nous avons uni nos forces avec l'ambassadeur de la Jamaïque. Nous sommes à la tête d'un groupe d'amis en vue de financer les objectifs de développement durable. Plus de 55 pays se sont joints à nous et collaborent avec nous. C'est une nouveauté à l'ONU, parce que ce groupe d'amis est composé non seulement d'ambassadeurs et de pays, mais aussi de gens du milieu des affaires et des finances. Cela nous permet de discuter de ces enjeux cruciaux.
Lorsqu'on va en Afrique et qu'on parle aux chefs des pays en développement, l'un des premiers sujets qu'ils abordent, c'est le développement économique. Ils parlent aussi des façons dont le Canada peut les aider à accroître le commerce et les possibilités pour les jeunes.
Je vous rappelle qu'en Afrique, 70 p. 100 de la population de presque tous les pays est âgée de moins de 30 ans. La moitié de ces gens sont sans emploi. Selon certains sondages réalisés par la Fondation Aga Khan, 50 p. 100 des personnes sans emploi sont susceptibles de prendre part à toutes sortes d'activités criminelles, notamment le terrorisme. La population de l'Afrique doublera d'ici 2050... Imaginez cela.
En même temps, le président de la Banque mondiale nous dit que les deux tiers des emplois actuels dans les pays en développement disparaîtront au cours des 15 prochaines années.
Une véritable tempête frappera et c'est une menace réelle pour la sécurité. Si nous ne faisons pas les choses comme il le faut, ce sera un énorme problème pour tous les habitants de la planète.
Il y a cela, et il y a l'égalité entre les sexes, qui est d'ailleurs l'une des pierres angulaires du Programme 2030, comme vous l'avez entendu la semaine dernière. La Politique d'aide internationale féministe du Canada renforcera le leadership du Canada en vue de la mise en œuvre de ce programme. L'avancement de l'égalité entre les sexes et la promotion de l'égalité des droits pour les femmes et les filles constituent le moyen le plus efficace de réduire la pauvreté.
[Français]
Le deuxième exemple que je voudrais vous donner, c'est la Syrie. Le Canada y a joué un rôle clé à l'ONU en décembre dernier. Il y avait une impasse au Conseil de sécurité. À ce moment-là, six vetos ont été imposés par la Russie. Le problème se pose lorsqu'une des parties, qui est partie au conflit, est aussi membre du Conseil de sécurité et a un droit de veto. Cela crée beaucoup d'impasses. C'est le cas de la Syrie, malheureusement.
Le Canada a agi différemment. D'ailleurs, nous avons vu l'impasse au Conseil de sécurité lié à notre crédibilité sur la question des réfugiés. En effet, notre premier ministre a fait preuve de leadership, car des milliers de Canadiens ont accueilli 40 000 réfugiés syriens au cours des 18 derniers mois. Cette impasse s'explique aussi en raison de l'image donnée par le premier ministre qui souhaite la bienvenue aux réfugiés à l'aéroport Pearson alors que d'autres leaders dans le monde ont eu des réactions totalement contraires. Le leadership canadien sur cette question est devenu instantané, ainsi que notre crédibilité.
C'est ce qui nous a permis de rallier le monde et d'envoyer un message très fort à 122 pays. Près des deux tiers de l'assemblée générale ont fait confiance au Canada pour montrer la voie vers cette résolution en faveur de la Syrie afin d'ouvrir un accès sans obstacle à l'aide humanitaire aux Syriens qui en avaient besoin. Oui, c'était trop peu, trop tard pour plusieurs millions de Syriens — si on veut être cynique —, mais à ce moment-là, c'était important. Selon les observateurs, c'est grâce à cette résolution des Nations Unies que le Conseil de sécurité a pu s'entendre sur une résolution de cessez-le-feu. C'est aussi le Canada qui a ouvert la voie vers une résolution du Liechtenstein et du Qatar sur l'imputabilité pour les crimes graves contre l'humanité perpétrés en Syrie, ce qui, nous l'espérons, permettra d'amener les coupables devant les tribunaux. Voilà des exemples de l'engagement du Canada à l'ONU. Je termine ainsi mon exposé, et je suis disposé à répondre à vos questions.
J'aurais aimé parler du rôle d'Haïti et du Conseil de sécurité, mais je présume que vous aurez des questions à ce sujet. Je vous remercie.
[Traduction]
La présidente : Merci beaucoup. Comme vous l'avez dit, nous allons couvrir de nombreux sujets. Vous devrez probablement revenir, parce que nous ne pourrons pas tout voir en une heure seulement.
M. Blanchard : Ce sera avec grand plaisir.
La présidente : La liste des intervenants est longue; je veux m'assurer que tous les sénateurs puissent poser leurs questions.
J'ai l'impression de présider un comité de l'ONU; qu'on essaie d'aborder trop de sujets en même temps et de donner à tous la chance de parler. Je vais faire de mon mieux.
Le sénateur Dawson : Je me suis déjà excusé auprès de l'ambassadeur parce que je reçois Mme Cuevas au restaurant du Parlement. Elle m'y attend déjà; je serai donc bref.
Je vais vous donner mon opinion au sujet des ODD. Je prononcerai un discours mardi prochain, monsieur l'ambassadeur, et je vais vous le transmettre afin de vous expliquer mon opinion à ce sujet. Je suis tout à fait d'accord avec vous quant à leur importance. Je crois que la sénatrice Ataullahjan abordera ce sujet également.
Vous n'avez pas parlé de la campagne du Conseil de sécurité de l'ONU. La dernière fois que nous nous sommes vus, je vous ai dit que certains parlementaires siégeaient...
[Français]
— à l'Union interparlementaire, l'APF, l'Association parlementaire du Commonwealth, et ce sont des outils que l'ambassadeur du Canada aux Nations Unies peut utiliser pour appuyer la candidature du Canada. Pour bon nombre d'associations parlementaires, la différence entre le Parlement et le gouvernement est très mince.
Que peut-on faire, monsieur Blanchard, dans le cadre de votre campagne pour aider à ramener le Canada au Conseil de sécurité des Nations Unies?
M. Blanchard : Merci, sénateur Dawson, de votre question. Ce que je souhaite, à titre d'ambassadeur à l'ONU, comme sherpa et responsable de la campagne désignée par le premier ministre, c'est que tout le pays soit derrière le Canada dans le cadre de cette campagne. Selon moi, c'est le moment où nous devrions tous nous rallier derrière notre drapeau et le porter bien haut. Tout le monde a une contribution à apporter. Je dis toujours que, pour gagner l'élection et la confiance des deux tiers du monde au Conseil de sécurité, le principe est simple.
[Traduction]
Je dis toujours que la campagne semble porter sur l'unicité du Canada. C'est d'ailleurs ce qu'a dit le premier ministre lors de sa visite à l'ONU en septembre dernier. Son message était clair : le Canada est uni et il peut vous aider.
Vous savez quoi? Si l'on se fie à sa réputation et à sa marque dans le monde, le Canada peut vraiment changer les choses.
Je vais vous raconter une histoire. J'ai rencontré le dirigeant de l'ONU en Afrique en août dernier, avec le ministre de la Défense. Il nous a dit : « Je me réjouis énormément du retour du Canada parmi nous. Cela nous redonne de l'espoir. » Je lui ai demandé pourquoi et il m'a répondu : « Parce que le Canada est un pays de confiance. » Je lui ai dit : « Mais de nombreux pays sont dignes de confiance. » Il m'a dit : « Non. Ce qui est différent avec le Canada, c'est que non seulement vous êtes dignes de confiance, mais vous pouvez aussi faire ce que d'autres pays ne peuvent pas faire grâce à vos amis, à votre histoire, à votre leadership actuel, à vos valeurs et à vos ressources, et grâce à votre société, à votre bilinguisme et à votre diversité. »
Nous avons besoin de tout cela pour faire nos preuves devant le reste du monde au cours des trois prochaines années et pour gagner sa confiance afin d'avoir une place à l'une des plus importantes tables multilatérales du monde.
En tant que parlementaires, vous pouvez établir des relations avec les membres des autres parlements et d'autres organismes législatifs. Toutes les parties du gouvernement sont importantes : l'organe judiciaire, l'organe exécutif et l'organe législatif.
J'ai rencontré des juges il y a deux semaines. Je leur ai dit que leur contribution au développement de la primauté du droit dans les marchés émergents était essentielle en vue d'investir davantage dans ces marchés. En fait, la primauté du droit est l'une des meilleures choses que le Canada puisse exporter.
Nous avons besoin de ce genre de choses pour faire preuve de créativité dans notre approche. Je me réjouis de votre contribution. Nous pouvons vous faciliter les choses en vous transmettant des renseignements sur les relations que nous entretenons avec certains des pays que vous visiterez à titre de représentants du Canada. N'oubliez pas qu'en tant que représentants du Canada, vous faites partie de la campagne et vous contribuez à montrer notre savoir-faire au reste du monde. C'est une contribution très importante.
Le sénateur Oh : Nous vous souhaitons la bienvenue, monsieur l'ambassadeur.
Lors du Forum de la Ceinture et de la Route pour la coopération internationale, qui s'est tenu à Beijing le 14 mai 2017, le président de l'Assemblée générale de l'ONU, Peter Thomson, a fait valoir que pour mettre en œuvre le Programme 2030 de l'ONU, il faudrait établir des partenariats internationaux comme cette initiative ambitieuse de la Ceinture et de la Route.
Les États-Unis ont aussi mis sur pied un groupe de travail de la Ceinture et de la Route. Quel devrait être le rôle du Canada à cet égard?
M. Blanchard : Je vous remercie de poser une question aussi importante.
Le projet « Une ceinture, une route » sera l'un des plus importants projets d'infrastructure et de développement qui soit. Aujourd'hui, on ne peut plus parler des 50 prochaines années comme on le faisait avant, parce qu'on ne sait jamais ce qui arrivera. Il s'agit toutefois de l'un des plus importants projets de développement du monde, et il faut que le Canada y participe.
En ce qui a trait à la conférence à laquelle vous faites référence, notre ambassadeur et l'une de nos secrétaires parlementaires y ont participé à titre de représentants du Canada au niveau supérieur. C'est pour cela que le Canada s'est joint à la banque de l'infrastructure mise sur pied par la Chine pour appuyer cette initiative... je me trompe peut- être, parce qu'il y en a deux et je ne sais pas de laquelle il s'agit. Nous jouons un rôle actif à cet égard, selon ce que je comprends.
En ce qui a trait à l'ONU, j'ai rencontré Peter Thomson hier. Pour vous donner une idée du travail que nous réalisons pour les partenariats et pour le financement des ODD — et je ne parle pas de la Chine —, pendant deux jours, nous avons discuté avec des représentants du Bangladesh, du Kenya, de la Jamaïque, du Benin et d'un cinquième pays. Nous avons invité des gens du secteur privé, des banques mondiales et des banques multilatérales de développement et nous avons travaillé ensemble pour tenter de débloquer des partenariats et d'en créer de nouveaux. Il faut penser à de nouveaux partenariats et à de nouvelles coalitions, et faire preuve d'innovation.
Si vous me demandiez quelle est la chose qui m'a le plus frappé depuis mon arrivée à l'ONU, je dirais que c'est ce besoin de bâtir des coalitions, comme le Canada le faisait par le passé. Il faut faire les choses différemment dans diverses régions du monde. Nous devons bâtir des coalitions avec des partenaires très diversifiés. C'est très important.
L'initiative de la Ceinture et de la Route à laquelle vous faites référence fait partie de cela.
La sénatrice Eaton : Monsieur Blanchard, vous êtes d'un optimisme remarquable. Malheureusement, je vois quelques obstacles à l'horizon, dont un auquel vous avez fait référence : le droit de veto des nations. Le Conseil de sécurité pourrait convenir d'une chose par consensus, mais si une nation utilise son droit de veto, vous aurez fait ce travail pour rien.
Le deuxième obstacle qui me vient en tête, c'est le manque de mordant des Nations Unies dans certaines situations, comme ce qui se passe en Syrie : la migration de masse des Africains qui tentent de se rendre en Europe, de trouver de la nourriture et une certaine sécurité.
J'ai grandi dans les années 1950 et 1960. Lorsque les Nations Unies se réunissaient, le monde prenait cela au sérieux. Ce qui me dérange au plus haut point — et je suis peut-être naïve —, c'est la présence de pays comme l'Arabie saoudite et la Libye au Conseil des droits de l'homme des Nations Unies. Mais ce n'est rien de nouveau.
Quel est le président actuel du Conseil des droits de l'homme des Nations Unies?
M. Blanchard : Permettez-moi de vous parler du droit de veto des nations, madame la sénatrice, et du manque d'autorité des Nations Unies dans les situations dont vous avez parlé.
Je peux vous parler du Conseil des droits de l'homme. Bien sûr, le Canada est un ardent défenseur des droits de la personne. Le Canada est perçu à titre de modèle à cet égard. Vous jugez l'ONU, qui n'est pas parfaite; parlons des réfugiés.
La sénatrice Eaton : J'aimerais que vous répondiez à ma question d'abord. Qui préside le Conseil des droits de l'homme?
M. Blanchard : Je ne le sais pas. Je sais que nous ne faisons pas partie du Conseil des droits de l'homme pour le moment. L'ambassadeur du Canada à Genève coordonne notre participation; cela ne se fait pas à partir de New York. Je suis désolé; je ne sais pas qui est le président du Conseil.
Vous faites valoir de bons points. Parlons du pouvoir de rassemblement.
Le pouvoir de rassemblement de l'ONU est exceptionnel. Je crois que l'ONU gagne en pertinence. Pourquoi? Parce qu'aucune autre tribune n'est aussi inclusive que celle des Nations Unies. Oui, il est parfois plus difficile d'arriver à une entente, parce qu'il y a une grande diversité parmi les participants. Il s'agit toutefois de la seule tribune où 193 pays se réunissent pour essayer de créer un monde meilleur.
Comme l'a fait valoir le deuxième secrétaire général, Dag Hammarskjöld, l'ONU n'a pas été créée pour nous amener au paradis; elle a été créée pour que nous n'allions pas en enfer après la Seconde Guerre mondiale, ou quelque chose du genre.
Non, ce n'est pas parfait, madame la sénatrice. Toutefois, nous sommes confrontés à l'une des plus importantes crises de réfugiés de l'histoire de l'humanité et aux plus graves problèmes de sécurité que nous ayons connus depuis longtemps. L'ONU a été fondée par les États membres. Elle a été fondée pour accroître la sécurité à un moment où les conflits se vivaient entre les États. Aujourd'hui, il y a les conflits entre États, mais aussi les conflits au sein des États, et toutes sortes d'organisations terroristes se mêlent de la partie.
La sénatrice Eaton : Je sais tout cela.
M. Blanchard : Mais cela rend les choses difficiles pour l'ONU.
La sénatrice Eaton : Je sais.
M. Blanchard : Ce n'est pas parce que l'ONU ne joue pas son rôle ou parce que sa contribution n'est pas importante. Ce soir, nous allons tous rentrer nous coucher, mais sachez que 125 soldats et militaires travaillent dans 16 ou 17 conflits partout dans le monde, sous la direction de l'ONU. Ils font un travail que personne d'autre ne voudrait faire. Personne ne veut prendre part à ces opérations.
En ce qui a trait au droit de veto de certaines nations, c'est ainsi que l'institution a été bâtie. À l'heure actuelle, le Canada appuie la France, qui demande à ce que le droit de veto ne puisse s'appliquer dans le cas des crimes contre l'humanité. Est-ce que nous allons réussir? C'est difficile à dire pour le moment. Toutefois, nous tentons de réformer l'institution, pour l'améliorer.
Il n'y a pas de bonne analogie à faire, et j'espère que vous ne jugerez pas que la mienne est simpliste et réductrice; ce n'est pas du tout le cas. Je fais cette analogie lorsque je donne des conférences au Canada, dans les écoles et les universités. Je dis qu'il y a une limite à blâmer le Centre Air Canada de Toronto ou le Centre Bell de Montréal pour la défaite des Maple Leafs ou des Canadiens. Au bout du compte, les États membres sont comme les joueurs d'une équipe qui font le jeu et il leur revient à eux de s'entendre et d'agir.
C'est difficile, mais y a-t-il une autre solution? La réponse, c'est non. Si l'on abolissait l'ONU aujourd'hui, on la créerait à nouveau demain, parce que nous ne pouvons pas aborder ces enjeux de façon bilatérale; les pays ne peuvent pas régler seuls les problèmes.
Je travaille à l'ONU depuis un an et je suis très impressionné de son pouvoir de rassemblement.
Je suis aussi très impressionné par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. Il gère 23 millions de réfugiés à l'heure actuelle, avec des ressources assez limitées. Le système est surchargé, mais il arrive à faire beaucoup de bien. Imaginez ce qui se passerait s'il n'était pas en place et s'il n'était pas bien géré.
C'est pourquoi j'ai encore de l'espoir. J'ai de l'espoir parce que le Canada peut changer les choses et peut rendre notre monde meilleur. C'est pourquoi nous proposons notre candidature au Conseil de la sécurité : pour améliorer les Nations Unies et pour apporter une contribution importante dans le monde. Le Canada a une grande expertise, des ressources et un savoir-faire; il peut contribuer à répondre aux besoins du monde et à faire face aux défis auxquels nous sommes confrontés. Il s'agit d'une grande occasion pour les Canadiens et pour la classe moyenne.
La sénatrice Eaton : Je suis bien contente que ce soit vous, et pas moi, qui travaillez là. Je me souviens être allée à l'ONU avec la Présidente pendant l'été, à titre d'invitées. On nous a expliqué ce qu'étaient les opérations de maintien de la paix et à quel point elles étaient complexes. Comme je l'ai dit, je suis heureuse de vous voir là, avec votre optimisme, mais je crois que la situation est un vrai gâchis.
M. Blanchard : Lorsque vous viendrez à l'ONU, dites-le-moi; nous pourrons nous rencontrer.
La sénatrice Eaton : Merci beaucoup.
Le sénateur Woo : Merci, monsieur l'ambassadeur, de défendre avec ardeur les Nations Unies.
Dans votre discours préliminaire, vous avez dit que nous vivions dans un monde multipolaire. L'une des caractéristiques du monde multipolaire, c'est que les nouveaux pôles, les puissances émergentes, ne sont pas très satisfaits du statu quo. Ils ne sont pas satisfaits du monde tel que nous le connaissons, qui a été créé après la guerre... par les gagnants, bien sûr, et par les puissances occidentales dominantes de l'époque.
J'aimerais connaître votre opinion au sujet des puissances émergentes, de la Chine en particulier, mais je pense aussi à l'Inde, au Brésil, au Nigeria et peut-être à l'Indonésie. À votre avis, quel rôle jouent-elles dans le système? Je ne dis pas que c'est une mauvaise chose, mais comment tentent-elles de forger le système de manière à refléter leurs intérêts d'une façon qui rééquilibre les règles du jeu, à leur avis, afin qu'elles aient plus de chances de réussir? Je ne me range pas de leur côté; j'exprime tout simplement ce que je vois dans le monde aujourd'hui.
Quelle est votre opinion à ce sujet? Je sais que c'est une grande question.
M. Blanchard : C'est une grande question, mais elle est fascinante.
Le sénateur Woo : Je devrais dire qu'il s'agit là d'un thème implicite du récent discours de la ministre Freeland. Elle ne le dit pas explicitement, mais elle admet essentiellement que Trump constitue une petite partie de l'équation et est, de bien des manières, une réaction aux changements qui s'opèrent dans le monde.
Le point le plus important, bien entendu, c'est l'ascension des puissances émergentes et le fait que ces dernières ne sont pas entièrement satisfaites du statu quo. Ces puissances veulent recréer et refaçonner le monde comme elles l'entendent, et les Nations Unies constituent un endroit où elles peuvent le faire. J'aimerais entendre votre avis à ce sujet.
M. Blanchard : C'est une question fascinante, car la multipolarité du monde m'a étonné quand je suis arrivé aux Nations Unies. Voilà pourquoi je pense que le Canada a de nombreuses occasions d'agir dans ce contexte. C'est la raison pour laquelle j'ai indiqué que lorsque nous formons des coalitions, nous devons assurer la diversité des partenaires et faire preuve d'innovation, maintenant et dans l'avenir.
Les pays comme la Chine, l'Indonésie et le Nigeria, et un grand nombre de pays de petite taille jouent un rôle très important au sein des Nations Unies. Pensez seulement à Singapour, par exemple. Je pourrais vous donner une longue liste de pays.
La Chine est intéressante. Elle occupe de plus en plus de place aux Nations Unies et dans les débats, et elle intervient beaucoup plus qu'elle ne l'a jamais fait, souhaitant s'associer à d'autres pays. Nous observons ce comportement sur les plans du maintien de la paix et dans de nombreux domaines de développement. La Chine veut également nouer des liens avec nous pour discuter des pratiques exemplaires et même agir ensemble dans des pays tiers.
Dans le groupe que je préside, la Chine participe au financement des Objectifs de développement durable. J'ai été étonné que ce pays fasse autant référence au rôle du secteur privé lorsqu'elle a parlé du financement du développement à l'Assemblée générale.
Par contre, elle fait montre d'une grande rigidité au chapitre de la réforme de l'organisation. Selon moi, la Chine constitue un des principaux obstacles à la réforme du Conseil de sécurité parce qu'elle fait partie du P5. Les autres pays membres du P5 ne sont pas tellement favorables à une réforme non plus. Ils ne sont pas seuls dans leur camp, mais ce sont probablement ceux qui se montrent les plus rigides à cet égard.
Cela ne répond pas entièrement à votre question, mais c'est ce que j'observe aux Nations Unies.
Ces dernières s'intéressent beaucoup à l'Afrique, un continent encore considéré par certains pays membres de l'OCDE comme étant en crise. Si on travaille aux Nations Unies, on peut penser que tout le continent est en crise parce qu'on entend parler du Mali, de la République centrafricaine, du Congo et d'autres pays, mais on y trouve aussi des occasions de développement phénoménales.
J'étais aux Nations Unies il y a 25 ans à titre d'étudiant et de stagiaire, et je peux vous dire que la qualité des représentants de l'Afrique était tout autre. Quand j'ai rencontré des membres du gouvernement, j'ai constaté que la situation avait complètement changé depuis 25 ans.
Nous devons donc travailler davantage en partenariat avec les gouvernements africains pour intervenir. Il nous faut réfléchir à la manière dont nous nous y prendrons, car ces gouvernements ont certaines pratiques que nous n'approuvons absolument pas et qui ne cadrent pas avec nos valeurs.
Pour ma part, quand je me réveille le matin, je m'interroge toujours sur le rôle du Canada dans le monde. Je viens du secteur privé, et je m'interroge. Je suis convaincu que quand le Canada est plus pertinent dans le monde, cela offre davantage d'occasions à notre population au pays et à l'étranger. Notre pertinence dans le monde est cruciale. Si nous ne formons pas de coalitions dans le nouveau monde multipolaire que vous évoquez, nous pourrions rapidement perdre notre pertinence.
C'est quelque chose que nous devons continuer de travailler et d'améliorer. Je considère que nous avons accompli des choses phénoménales à cet égard au cours des 18 derniers mois afin de former des coalitions et d'agir, mais nous devons continuer dans cette voie.
Il est intéressant de constater comment les pays auxquels nous avons parlé voient certains pays de l'« Occident » traditionnel, dont ils remettent en question la pertinence dans le débat et dans le monde.
Il est fort intéressant d'entendre leur avis, dont j'ai parfois un aperçu lors de nos échanges. Le Canada doit réfléchir à cela à moyen et à long terme.
Cette question et cette discussion sont fascinantes.
Le sénateur Marwah : Bienvenue, monsieur Blanchard.
Je veux traiter de certains points que vous et le sénateur Woo avez abordés. Il a été beaucoup question du fait que certains éléments des Nations Unies ne fonctionnent pas bien ou nécessitent une réforme, un fait auquel vous avez fait référence à plusieurs reprises. Cela inclut les menaces de réduction de financement que les États-Unis ont formulées parce que ces fonds ne leur permettent pas de renforcer leur influence.
Pouvez-vous nous dire si la réforme suscite un intérêt réel et nous expliquer quels en sont les éléments? Quelles en sont les priorités : le Conseil de sécurité, le droit de veto? Quels sont les éléments de la réforme auxquels on s'intéresse vraiment? J'espère qu'il ne s'agit pas de simples questions administratives qui ont peu d'importance quant aux questions de fond. À quels éléments s'intéresse-t-on sérieusement au chapitre de la réforme?
M. Blanchard : On envisage sérieusement une réforme du Conseil de sécurité, dont il est continuellement question. C'est très important, et ce serait formidable si nous pouvions obtenir des résultats à cet égard. Cette réforme pourrait prendre encore un peu de temps, par contre. Pour moi, toutefois, l'élément le plus important est la manière dont les Nations Unies travaillent sur place. C'est l'élément le plus important de la réforme.
Contrairement à ce que la prémisse de votre question laisse entendre, ce n'est pas une réforme purement administrative. Je vais vous donner un exemple. Vous venez d'une très grande organisation, l'une des plus importantes du pays : la Banque Scotia. Dans une organisation de cette taille, si bonne soit-elle, il existe des compartiments que l'on tente toujours de mieux coordonner.
Le sénateur Marwah : J'espère que non.
M. Blanchard : Dans ma petite organisation de 1 500 employés, je considérais qu'il y en avait quand j'étais gestionnaire.
Les Nations Unies sont une immense organisation compartimentée où les organismes luttent pour obtenir du financement. Il arrive que les incitatifs soient inadéquats et donnent le mauvais résultat sur place.
Ce sera difficile de réformer une organisation de la taille des Nations Unies, mais nous devons nous assurer qu'elles peuvent fonctionner comme une seule entité sur place. Ce n'est pas une question quand un conflit surgit, mais ce ne sont pas que les opérations militaires qui comptent. Ce qui aurait pu compter beaucoup, c'est la prévention et la recherche de la cause fondamentale du conflit, puis l'opération militaire et la consolidation de la paix.
Je peux vous donner un exemple. La consolidation de la paix est très importante. Une fois qu'on a résolu le conflit, on n'a rien accompli si on ne consolide pas la paix et qu'on ne reste pas sur place tant que la paix n'a pas été établie.
Je vous donnerai un exemple personnel. J'en ai deux, et c'est la raison pour laquelle je voulais vous parler de ces pays : la Sierra Leone et Haïti. En qualité d'ambassadeur du Canada, je préside la Commission de consolidation de la paix des Nations Unies sur la Sierra Leone. Que faisons-nous dans ce dossier? Nous défendons les intérêts de ce pays au sein du système des Nations Unies pour veiller à ce qu'il reçoive un soutien adéquat. Ce pays a été déchiré par une guerre civile pendant 10 ans. De plus, son économie reposait sur le minerai de fer, et nous savons tous ce qu'il est advenu du prix de ce minerai. Ce pays a également été touché par l'épidémie d'Ebola qui a fait des milliers de victimes. Voilà qui en fait un État fragile.
Il s'agit d'une réussite pour les Nations Unies. Dommage que la sénatrice Eaton ne soit pas ici. C'est une véritable réussite pour les Nations Unies, car le pays a mené deux élections jusqu'à présent et est en train de se rebâtir.
Je m'y suis rendu l'été dernier. J'ai réuni les 18 organismes des Nations Unies présents sur place et j'ai immédiatement pu constater qu'ils ne se parlaient pas. Ils accomplissaient leur travail chacun de leur côté, sans communiquer et sans coordonner leurs activités comme ils devraient le faire.
Nous devons donc conférer plus de pouvoir au coordonnateur en poste dans chaque pays où les Nations Unies sont une forte présence afin qu'il ait son mot à dire sur les talents que les organismes font venir au pays pour accomplir le travail qu'il doit coordonner.
Pour vous dire la vérité, il se produit en quelque sorte une révolution dans le monde des Nations Unies actuellement. Il est difficile de faire travailler le Canada comme une seule entité; il est également ardu de faire travailler les Nations Unies comme une seule entité pour obtenir des résultats. C'est un défi, mais il faut le relever, car nous devons cesser de nous dire : « Il y a une crise », pour ensuite la gérer. Non. Les Nations Unies doivent être pertinentes afin de gérer la prévention et la crise, puis la consolidation de la paix ou la reconstruction du pays par la suite.
Cela nécessite une vision intégrée. C'est la vision qui a été proposée. Cela semble simple, mais il s'agit d'un changement substantiel de mentalité. Cette vision a été fortement préconisée par le nouveau secrétaire général, mais elle sera difficile à mettre en œuvre.
Dans l'exemple que j'ai donné sur Haïti, je me suis rendu dans ce pays pour présider le Groupe consultatif ad hoc du Conseil économique et social sur Haïti, qui a prodigué des conseils sur le développement futur du pays. Une mission des Nations Unies s'y trouvait depuis 14 ans et avait accompli un travail considérable sur les plans de la sécurité et de l'aide humanitaire. Haïti a été touché par 87 catastrophes naturelles, et un séisme lui a fait perdre 20 p. 100 de son PIB. Les Nations Unies y étaient pour apporter de l'aide au chapitre de la sécurité, compte tenu de la fragilité du pays, ainsi que de l'aide humanitaire. Les Nations Unies veulent maintenant mener davantage une mission de développement. Elles lanceront d'ailleurs en octobre une nouvelle mission visant à renforcer la primauté du droit et les institutions pour favoriser le développement économique en Haïti.
J'ai été à Haïti, mais la coordination prendra beaucoup de temps, car je pense que 22 organismes des Nations Unies se trouvent sur place. Je peux vous dire qu'il faudra du temps pour passer d'un objectif de sécurité et d'aide humanitaire à une mentalité de développement. Cela requiert des talents et des organismes différents.
Voilà ce que nous devons mieux faire au sein des Nations Unies. Une bonne partie des activités des Nations Unies s'effectuent sur place. La vraie vie des Nations Unies réside dans ses activités. Or, vous observez la situation d'un point de vue politique.
La résolution du Conseil de sécurité a-t-elle du mordant? Quel est le processus? Oui, cette résolution est cruciale au chapitre de la sécurité, mais les Nations Unies agissent sur trois plans : le développement, les droits de la personne et du gouvernement, et la sécurité. Pour assurer l'établissement d'un monde meilleur, nous devons travailler sur ces trois plans en même temps. Le Conseil de sécurité met beaucoup l'accent sur la sécurité, mais nous devons nous occuper également des deux autres volets avec beaucoup d'intensité et de résilience.
Voilà la réforme qui s'impose. Nous travaillons à la réforme institutionnelle à laquelle vous faites référence, à la réforme du Conseil de sécurité et à la réforme opérationnelle. Je ferais toutefois remarquer avec le plus grand respect que c'est cette dernière qui est essentielle.
Le sénateur Marwah : Je dois convenir avec vous que les Nations Unies se préoccupent principalement des problèmes qui se posent sur place. Cela me rappelle qu'on dit que l'échec est très rarement attribuable à une mauvaise stratégie, mais découle invariablement d'une mauvaise exécution sur place, comme vous l'expliquiez.
Permettez-moi d'aller un peu plus loin. Je suis enchanté que les Nations Unies effectuent une réforme, que je tends à approuver. Sur le plan de la réforme du Conseil de sécurité, toutefois, quelle orientation cette initiative emprunte-t-elle? Qu'entendons-nous par « réforme »?
M. Blanchard : Je vais en parler, mais je veux faire une remarque relativement à votre dernière question. C'est la raison pour laquelle je mets tant l'accent sur le financement du Programme de développement durable à l'horizon 2030. Je crois, en effet, que si les Nations Unies ne sont pas pertinentes dans le cadre de cette discussion et ne peuvent assurer la mise en œuvre de ce programme, elle court à l'échec et aura un problème de crédibilité. Voilà pourquoi je considère que nous devons mettre l'accent sur ce point.
C'est toutefois un petit changement. Imaginez : certains pays s'opposent à la présence d'États non membres à la table. Il faut donc apporter un changement à cet égard. C'est pourquoi nous préconisons une représentation accrue des Autochtones.
[Français]
La représentation autochtone est importante lorsqu'une question touche les Premières Nations au sein des organes de l'ONU.
[Traduction]
La présence des Autochtones dans l'examen des questions qui les touchent s'inscrit dans les réformes institutionnelles. Nous observons une résistance sur le plan du financement de la part des États dont j'ai parlé, lesquels ne veulent pas que le secteur privé soit trop près. Ils utilisent le même argument contre la représentation des Autochtones. Voilà pourquoi la réforme institutionnelle s'impose.
Quand il est question de la réforme du Conseil de sécurité au sens strict, sénateur Marwah, doit-on y ajouter de nouveaux membres pour y assurer une meilleure représentation? Le conseil compte 5 membres permanents ayant un droit de veto et 10 membres élus pour deux ans représentant cinq ou six régions à tour de rôle. Au P5, constitué de la France, du Royaume-Uni, de la Russie, de la Chine et des États-Unis, s'ajoutent 10 autres membres.
Quand il est question de réforme, un groupe d'États, dont l'Inde, le Brésil, le Japon et l'Allemagne, font valoir qu'ils devraient être membres permanents du Conseil de sécurité et avoir un droit de veto. Pour leur part, certains États africains considèrent que l'Afrique devrait y compter un ou deux représentants permanents. Certains en veulent un, d'autres deux.
À quelles conditions ces membres sont-ils assujettis? Sont-ils permanents ou non? Fait-on passer le nombre de membres de 15 à 25, comme certains le proposent, ou à 24? J'ai vu deux scénarios. Confère-t-on des mandats plus courts ou plus longs aux nouveaux membres? Ajoute-t-on des membres permanents? Qu'en est-il du droit de veto? L'accorde-t-on aux nouveaux membres ou l'élimine-t-on? Voilà le scénario au chapitre du droit de veto.
Ce sont là les principaux paramètres dont il est question dans le cadre de la réforme du Conseil de sécurité.
La présidente : Monsieur l'ambassadeur, la semaine a été difficile, et le sujet est trop complexe pour en faire le tour en une heure. Nous avons amorcé un dialogue, mais il reste encore beaucoup à dire et à faire.
Je n'ai pas posé de question. Comme vous pouvez le constater, entre les questions et les réponses, tout le temps dont nous disposions s'est écoulé.
J'ai examiné votre curriculum vitae. Fait intéressant, je pense que j'ai été engagée par les Nations Unies avant votre naissance, si je puis dire. C'est un fait.
La réforme du Conseil de sécurité et les problèmes de coordination entre les organismes n'ont rien de nouveau. Cela pose un problème au sein des Nations Unies depuis un certain temps, compte tenu de l'absence d'une volonté politique pour apporter des changements.
J'espère que nous pourrons maintenant apporter quelques changements grâce à votre présence là-bas. Je doute que tous les problèmes qu'éprouvent les Nations Unies se résolvent rapidement, mais on poursuit les efforts en ce sens. Le Canada a joué un rôle par le passé, et nous sommes convaincus qu'il continuera d'en jouer un.
La force des Nations Unies réside dans ses organismes, mais leur manque de coordination constitue son point faible. On le disait il y a 40 ans et on l'affirme encore maintenant. J'observe des progrès et des reculs, et il semble que ce soit ainsi que les choses se passent.
Je suis heureuse que vous ayez mentionné la Sierra Leone et j'espère que nous pourrons avoir une conversation à ce sujet. Je m'intéresse également à ce pays depuis longtemps et j'ai constaté qu'il est aux prises avec ses propres problèmes particuliers.
C'est un dilemme : puisque chaque crise et chaque pays ne peut servir de modèle pour la crise suivante. Le problème vient en partie de là.
Si l'attention se concentre sur le Conseil de sécurité et l'Assemblée générale, alors elle est au bon endroit, car en l'absence de volonté politique ou de consensus entre les États, il ne se passera pas grand-chose.
Voilà le problème auquel nous sommes confrontés : comment édifier un ordre auquel tout le monde adhère?
Je vous souhaite donc bonne chance dans ce domaine extrêmement complexe. Je ne peux imaginer de dossier, sous quelque forme que ce soit, qui puisse être plus complexe que celui-ci.
Nous vous remercions d'avoir pris le temps de comparaître. J'espère que vous accepterez notre invitation à revenir traiter de questions plus précises pour que nous puissions étudier le dossier un peu plus en profondeur.
Merci d'avoir témoigné.
(La séance est levée.)