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AEFA - Comité permanent

Affaires étrangères et commerce international

 

LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le jeudi 19 octobre 2017

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd’hui, à 10 h 30, pour étudier les relations étrangères et le commerce international en général.

La sénatrice A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.

La présidente : Nous vous souhaitons la bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international. Nous sommes autorisés à examiner des questions qui pourraient survenir occasionnellement se rapportant aux relations étrangères et au commerce international en général.

En vertu de ce mandat, le comité a invité l’ambassadeur du Canada en Allemagne et envoyé spécial auprès de l’Union européenne et de l’Europe, l’honorable Stéphane Dion, C.P., à discuter des enjeux relevant de son mandat.

Le premier ministre Trudeau a annoncé sa nomination en mai dernier. L’honorable Stéphane Dion a présenté ses lettres de créance le 6 juin 2017 en sa qualité d’ambassadeur du Canada en Allemagne. Monsieur l’ambassadeur, m’entendez-vous bien?

L’honorable Stéphane Dion, C.P., ambassadeur du Canada en Allemagne et envoyé spécial auprès de l’Union européenne et de l’Europe, Affaires mondiales Canada : Très bien, madame la sénatrice. Merci beaucoup.

La présidente : Je vous remercie d’avoir accepté notre invitation. Nous sommes ravis de pouvoir vous avoir avec nous au moins par vidéoconférence.

M. Gary Pringle, directeur adjoint des relations avec l’Union européenne à Affaires mondiales Canada, est avec nous à Ottawa.

Je ne suis pas certaine, monsieur l’ambassadeur, s’il est ici pour vous aider ou pour vous surveiller, comme je le disais lorsque j’étais ambassadrice. Il semblait toujours y avoir quelqu’un du siège social qui regardait par-dessus mon épaule. Je voulais vous informer qu’il est derrière vous sur l’écran que je regarde.

Nous sommes très intéressés par votre rôle. Il ne s’agit pas d’un rôle qui nous est familier. C’est la première fois que nous avons un envoyé spécial auprès de l’Union européenne et de l’Europe qui doit également maintenir notre importante relation avec l’Allemagne en sa qualité d’ambassadeur.

Nous aimerions en apprendre davantage sur vos fonctions, vos responsabilités ainsi que sur la façon dont vous percevez votre contribution à la politique étrangère en cette période des plus intéressantes en Europe.

Monsieur l’ambassadeur, nous vous souhaitons la bienvenue à notre comité.

M. Dion : Je vous remercie infiniment, madame la présidente.

[Français]

Merci beaucoup au comité et à tous les sénateurs d’être présents pour m’entendre.

[Traduction]

Mesdames et messieurs les membres du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international, j’aimerais vous remercier de m’avoir invité à m’adresser à vous ce matin. J’aurais été ravi de me joindre à vous à Ottawa, mais ce n’était pas possible. Je crois savoir que vous êtes en train de déterminer le prochain grand sujet d’étude du comité. Si vous arrêtez votre choix sur l’Europe, je vous dirai que ce serait un bon sujet d’étude.

Gary Pringle, qui est en votre compagnie, madame la sénatrice, le directeur adjoint des relations avec l’Union européenne à Affaires mondiales Canada, est sans aucun doute présent pour m’assister et non pour me surveiller. Je peux vous assurer que le soutien que je reçois d’Affaires mondiales et de nos ambassadeurs en Europe est extraordinaire.

En tant qu’ambassadeur du Canada en Allemagne et envoyé spécial auprès de l’Union européenne et de l’Europe, j’attirerai naturellement votre attention sur les enjeux que nous avons en commun avec nos partenaires européens.

Depuis l’Accord économique et commercial global, l’AECG, et l’Accord de partenariat stratégique, l’APS, l’Europe est devenue, plus que jamais, un partenaire stratégique indispensable du Canada pour faire progresser nos objectifs communs et promouvoir les valeurs que nous partageons.

C’est pour cette raison que le premier ministre a choisi de nommer un diplomate d’expérience, en l’occurrence moi, au poste d’ambassadeur dans un des principaux pays européens et de lui donner le mandat de mieux synchroniser la diplomatie en ce qui a trait aux activités de toutes les missions canadiennes en Europe. J’ai été honoré d’être nommé pour tenir ce rôle bien particulier. C’est dans ce contexte que je suis ravi de vous faire part de mes réflexions sur le Canada et l’Europe.

[Français]

Si vous deviez décider de concentrer vos travaux parlementaires à venir sur les possibilités et les défis qui se présentent au Canada en tant que nation commerçante, par exemple, ce pourrait être un choix pour vous. N’oubliez pas que l’Union européenne n’est rien de moins que le second marché en importance au monde, avec plus de 500 millions de consommateurs et un produit intérieur brut de 21 000 milliards de dollars. Nous parlons ici du plus grand importateur mondial de produits aérospatiaux, de poissons et de fruits de mer, de produits pétroliers et gaziers, de services de télécommunications, d’informatique et de renseignement. On parle du deuxième importateur de produits automobiles, ainsi que d’instruments médicaux et de produits pharmaceutiques, et du deuxième acheteur de métaux et de minéraux canadiens.

L’AECG constitue pour nous une occasion en or de réussir dans ce marché immense. Avec l’application provisoire de cette entente commerciale le 21 septembre, 98 p. 100 des lignes tarifaires de l’Union européenne sont devenues libres de droits pour les produits canadiens. Les dépenses annuelles de l’Union européenne consacrées à l’infrastructure sont estimées à 400 milliards de dollars, soit plus que les États-Unis. Qui plus est, l’Union européenne a déjà affecté des centaines de milliards d’euros à des projets liés au transport, à l’énergie et aux infrastructures à large bande d’ici 2020.

En guise de domaine d’étude pour votre comité, il me semble que ce serait un bon choix. Vous pourriez déterminer comment faire pour que l’AECG devienne une réalité sur le terrain en maximisant les emplois et les investissements du Canada. En ayant un accord sur papier, on a réussi à enlever les barrières tarifaires. Il faut maintenant que nos entreprises investissent ce marché européen et le prennent à bras le corps. Il pourrait s’agir de déterminer comment mobiliser les entreprises canadiennes et notre économie dans son ensemble afin de tirer pleinement profit de ce vaste marché, qui est certainement riche, mais aussi diversifié, multilingue et compliqué par divers régimes de réglementation et différentes cultures organisationnelles et de consommation.

Mesdames et messieurs les sénateurs, vous avez étudié soigneusement le projet de loi C-30, la Loi de mise en œuvre de l’Accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne, avant la pause estivale. Vous seriez donc en très bonne position pour offrir des conseils éclairés au gouvernement.

Honorables sénateurs, vous souhaiteriez peut-être aussi étudier la mise en œuvre de cet accord au-delà de sa dimension économique. En effet, cet accord commercial est l’occasion de montrer à nos populations et au monde entier que le commerce et le progrès sociétal peuvent aller de pair. Il n’est pas nécessaire de choisir entre le commerce et le progrès. Il faut les mener ensemble. Un accord de libre-échange bien conçu peut se concilier avec la justice sociale, avec la viabilité de l’environnement, avec les droits du travail, la salubrité des aliments, et bien plus encore. L’accord qu’on a conclu avec l’Europe en est la preuve, on a l’occasion d’en faire la démonstration à la population canadienne et européenne et au monde entier.

D’autres aspects de notre collaboration avec l’Union européenne qui figurent dans l’Accord de partenariat stratégique que le Canada et l’Union européenne ont signé le 30 octobre 2016 pourraient constituer un autre sujet d’étude pour vous, car cet accord fournit un cadre pour les principaux éléments de notre collaboration bilatérale et multilatérale. On peut penser, notamment, aux thèmes de la paix et de la sécurité, de l’énergie propre et des changements climatiques, de la promotion des droits de la personne, du développement durable et de la science et de l’innovation.

Notre collaboration avec l’Europe facilitera la progression de nos intérêts mutuels et nous permettra de relever plus efficacement les défis mondiaux, lesquels ne connaissent, comme vous le savez, aucune frontière. Le fait est que le Canada et l’Europe relèveront mieux ensemble les défis auxquels ils font face. Quels sont ces défis? Nos poids démographiques respectifs diminuent dans le monde. Nos populations vieillissent et se diversifient. Faisons plus que jamais de notre diversité une force. L’égalité des sexes n’est pas encore atteinte. La mondialisation des marchés et l’automatisation laissent derrière elles des catégories entières de main-d’œuvre désemparée. Notre planète n’en peut plus de subir les pressions environnementales que notre mode de développement lui impose. Le monde fait face à des menaces croissantes à la sécurité. Alors, collaborons de plus près avec les Européens. Comparons nos meilleures pratiques afin de mieux atteindre la parité des sexes et l’autonomie des femmes. Trouvons ensemble les voies de la croissance inclusive et du développement durable. Renforçons notre défense commune, tout en engageant un dialogue franc et nécessaire avec notre voisin commun, la Russie.

[Traduction]

Honorables sénateurs, sachez que je vous offre tout mon soutien si vous choisissez de concentrer vos prochains travaux sur certains des aspects de notre coopération avec l’Europe que je vous ai décrits. Je travaille étroitement avec les diplomates professionnels et talentueux de nos missions, y compris notre excellent ambassadeur à Bruxelles, Dan Costello, ainsi que notre mission en Allemagne, pour appuyer et renforcer l’engagement du Canada auprès de décideurs et de dirigeants du secteur privé dans le but de soutenir les objectifs prioritaires du Canada, notamment, la mise en œuvre de l’AECG, ainsi que de l’APS, y compris les dispositions relatives à la sécurité internationale et à la paix; au développement international; à la démocratie et aux droits de la personne; à l’environnement et aux changements climatiques; à la science, la technologie et l’innovation; et à la coopération dans l’Arctique; et pour appuyer les efforts visant à régler les difficultés liées à l’application de normes démocratiques et institutionnelles communes dans l’ensemble de l’Europe, y compris dans l’ouest des Balkans.

Honorables sénateurs, je vous remercie à nouveau de m’avoir invité à m’adresser à vous aujourd’hui. J’espère que mon intervention vous aura été utile dans votre recherche d’un sujet d’étude. Je le répète, si vous choisissez un sujet qui concerne nos relations avec l’Europe, votre rapport aura une utilité des deux côtés de l’Atlantique, car il sera le reflet du second examen objectif caractéristique de notre chambre haute.

Je vous rappelle que je suis à votre service pour vous aider à cet égard. Merci.

La présidente : Merci, monsieur l’ambassadeur. Je tiens à clarifier un seul point : votre titre est celui d’« envoyé spécial auprès de l’Union européenne et de l’Europe ». La définition de l’Union européenne est bien claire, et vous avez mentionné que vous coordonnez les activités européennes. Or, dans votre mandat, est-ce que l’Europe inclut des pays qui ne sont pas membres de l’Union européenne à l’heure actuelle? Si tel est le cas, quels sont ces pays?

M. Dion : En effet, madame la sénatrice, c’est exact. Mon titre est celui d’« ambassadeur du Canada en l’Allemagne et envoyé spécial auprès de l’Union européenne et de l’Europe ». Le mot « Europe » est mentionné pour deux raisons. D’abord, même dans le contexte de l’expression « Union européenne », il est clair que mon mandat ne se limite pas aux compétences propres à l’Union européenne. Mon mandat touche tout ce qui concerne nos intérêts dans les pays membres de l’Union européenne.

De plus, le premier ministre veut également renforcer nos liens avec des pays européens qui ne sont pas membres de l’Union européenne. Il peut s’agir de la Norvège, de la Suisse ou des pays des Balkans. Certains pays européens ont un rôle à jouer dans l’Arctique. Le premier ministre tient à ce que je m’y attarde de très près. J’étais d’ailleurs au sommet de l’Arctique la semaine dernière. Donc, le titre mentionne l’Allemagne, l’Union européenne et l’Europe.

La présidente : Je ne m’étendrai pas davantage sur ceci. Votre définition est très intéressante, car elle comprend les intérêts européens, mais ceux-ci peuvent dépasser les frontières européennes. Je me questionne sur la limite de votre mandat, car d’un point de vue géographique, l’Europe a des intérêts partout dans le monde, de là mon intérêt pour les limites géographiques. Votre mandat en tant qu’envoyé spécial pourrait-il s’étendre, par exemple, à la Moldova?

M. Dion : Je travaillerai sur les questions qui ont une dimension européenne et qui sont liées aux intérêts canadiens.

La présidente : Je vous remercie, cette précision est utile.

Le sénateur Housakos : Bienvenue, monsieur l’ambassadeur. Je vous félicite de votre nomination.

Je tenterai de limiter mon préambule et de résumer mes interrogations en une seule question, puis nous verrons pour la suite.

Il est évident que l’Union européenne a eu des difficultés avec ses membres du nord et du sud. En raison du Brexit maintenant, des pressions financières vont s’exercer sur l’Union européenne.

Croyez-vous que l’Union européenne peut avoir un avenir viable sans une formule de péréquation semblable à celle que nous avons ici? Croyez-vous que l’Union européenne puisse survivre sans une union fiscale? Il y a évidemment une union monétaire et une union politique, mais, et ceci est mon point de vue et j’aimerais vous entendre à ce sujet, je vois difficilement comment il est possible que ce modèle fonctionne en l’absence d’une union fiscale. Voyez-vous dans le Brexit des occasions bilatérales pour le Canada qui n’auraient autrement pas existé?

M. Dion : Pouvez-vous répéter la deuxième question? J’étais absorbé par la première lorsque vous l’avez posée.

Le sénateur Housakos : Ma dernière question portait sur le Brexit. Est-ce qu’il favorisera des occasions bilatérales uniques ou nouvelles pour le Canada?

M. Dion : En ce qui a trait à la viabilité de l’Union européenne et aux répercussions du Brexit sur le Canada, je dirais d’abord que nous étions nombreux à croire que l’Union européenne était un succès extraordinaire. Or, ses membres ont commis une erreur en établissant une union monétaire sans avoir une main-d’œuvre solide, comme aux États-Unis, et la solidarité fiscale, comme nous l’avons au Canada, assurée par un gouvernement fédéral qui rend des comptes à un parlement élu par tous les Canadiens. Ces caractéristiques n’existent pas au sein de l’Union européenne. Il s’agit d’une demi-fédération, car il n’y a pas de pouvoir exécutif fédéral qui représente l’ensemble de la population. Ceci signifie que la mobilité de la main-d’œuvre est 10 fois moindre qu’aux États-Unis. Il n’y a pas non plus de programme de péréquation comme au Canada ou de programme d’assurance-emploi comme le nôtre. Ces programmes font en sorte que, si certaines régions du pays sont en difficulté, le reste du pays viendra à la rescousse. Il n’y a pas de programmes équivalents à ce niveau-là, c’est exact.

Pourtant, étonnamment peut-être, l’union a fonctionné. Elle a fonctionné bien mieux qu’un grand nombre d’entre nous le prévoyaient. Même la Banque centrale européenne a fait son travail en allant au secours de pays comme l’Irlande, l’Espagne et le Portugal. Néanmoins, vous avez raison. L’Union européenne devra déterminer jusqu’où elle est prête à aller en matière d’intégration, mais je pense que ce serait une erreur de croire que ce sera la fin de cette union si elle ne trouve pas un moyen d’améliorer l’intégration. Je crois que l’Union européenne est plus forte que bon nombre d’entre nous le croyaient. Bien entendu, il y aura un débat animé entre les tenants de la rigueur budgétaire et ceux de la solidarité sociale. C’est un débat que nous avons également au Canada. C’est un débat qui a lieu à la Chambre des communes et parmi vous au Sénat.

Je crois que l’Union européenne est en mesure de trouver des façons de résoudre ces tensions. Peut-être réussira-t-elle en étudiant le modèle canadien et en s’en inspirant, tout comme nous nous inspirons d’elle. C’est en partie mon rôle, et celui de la diplomatie canadienne en Europe, de nous assurer que les intérêts du Canada sont pris en considération dans ces débats.

Quant à la question du Brexit et du Canada, il y a trois éléments à considérer. D’abord, nous pouvons être reconnaissants que les gouvernements précédents au Canada aient pu négocier l’AECG avant le début des négociations du Brexit. L’AECG est assuré et nous continuerons nos efforts pour qu’il le demeure et qu’il soit exclu de ces négociations. Nos alliés au Royaume-Uni nous aident énormément en ce sens.

Deuxièmement, ce n’est qu’une fois ces négociations terminées que nous connaîtrons réellement la signification du Brexit; ce qui n’est pas encore le cas aujourd’hui. Nous trouverons un moyen, j’en suis certain, d’établir un lien fort avec le Royaume-Uni, car ce pays fait partie de notre histoire et est important pour nos intérêts futurs. Il n’est pas possible d’entreprendre les négociations dès maintenant, car le Royaume-Uni n’est toujours pas en mesure de négocier, en vertu des lois de l’Union européenne, et nous ne savons pas avec qui nous allons négocier tant que le Brexit ne sera pas réglé. Pour le moment, le Royaume-Uni est entièrement inclus dans l’AECG.

Finalement, si le Brexit implique que le Royaume-Uni quitte le marché unique et la réalité de l’Union européenne, nous devrons trouver une façon de convaincre nos entreprises de traiter plus directement avec la France, l’Allemagne, l’Italie, les Pays-Bas et la Pologne, car près de 40 p. 100 de nos échanges commerciaux avec l’Union européenne passent actuellement par le Royaume-Uni, qui est notre porte d’entrée de l’Union européenne puisque nous connaissons bien ce pays. Cette façon de faire ne sera peut-être plus possible dans deux ans; nous devons donc commencer dès maintenant à remporter des marchés directement dans des pays membres de l’Union européenne.

Le sénateur Marwah : Monsieur l’ambassadeur, je vous remercie de vous être joint à nous ce matin. Nous vous sommes reconnaissants.

Comme vous l’avez dit à juste titre, l’AECG est de toute évidence une étape positive en ce qui a trait au resserrement de nos relations avec l’Europe et je crois que tout le monde le reconnaît. Cependant, je souhaite obtenir votre point de vue sur ce que j’appellerais des situations délicates qui peuvent survenir en Europe lorsque nos intérêts divergent ou lorsqu’il existe un conflit ou un désaccord possible en ce qui a trait à la façon dont les difficultés sont abordées. Existe-t-il des dossiers dans lesquels il y aura une divergence d’intérêts?

M. Dion : Vous voulez dire des dossiers économiques?

Le sénateur Marwah : Non, je veux dire de façon générale, que ce soit les changements climatiques ou tout autre enjeu sur lequel, selon vous, nos intérêts divergent.

M. Dion : Ce serait difficile à trouver. Nos amis européens perçoivent le Canada comme étant le pays le plus européen à l’extérieur de l’Europe. Il est vrai qu’il y a de houleux débats au sein de l’Union européenne sur de nombreux dossiers. Le Canada sera alors plus près de certains pays que d’autres selon le dossier, mais nous sommes, comme on dit, des pays ayant des vues similaires. Nous croyons à la démocratie. Nous croyons que les droits de la personne sont des droits universels. Nous croyons aux marchés libres, mais également à une croissance inclusive, et non pas une croissance qui créera d’autres inégalités.

Il existe divers points de vue parmi nos amis européens sur la façon d’assurer une croissance inclusive et durable. Cependant, il existe divers points de vue au Canada, voire même parmi nous qui sommes réunis autour de cette table, et c’est une bonne chose. Nous sommes un pays pluraliste, comme c’est le cas des pays de l’Union européenne. Toutefois, nos visées sont les mêmes. D’une certaine façon, nous sommes très européens et les pays de l’Union européenne sont très canadiens.

Les Européens ont beaucoup d’admiration pour notre pays. Ils sont prêts à collaborer avec nous, mais ils ont tendance à nous oublier, à l’occasion, parce qu’ils se concentrent tellement sur leurs propres débats. Il s’agit d’une union complexe composée de 28 membres. Cela entraîne beaucoup de difficultés. L’Union européenne a également du mal à composer avec les États-Unis et se concentre énormément sur ses relations avec ce pays.

Il arrive à l’occasion que l’Union européenne oublie le Canada et cela n’est plus acceptable. Nous sommes un partenaire à part entière de l’Union européenne et des pays européens. Nous devons être à la table chaque fois que cela est nécessaire pour défendre nos propres intérêts et ceux de l’Union européenne, et on doit le dire, le répéter et ne pas le tenir pour acquis. Nous devons trouver une façon de collaborer avec l’Union européenne en Asie, en Afrique et partout dans le monde, ainsi qu’aux Nations Unies.

[Français]

Le sénateur Ngo : Bonjour et bienvenue, monsieur l’ambassadeur. Je voudrais vous poser une question concernant les réfugiés. La question des réfugiés est un enjeu important en Europe. Pensez-vous que le résultat des élections créera un revirement de la position générale de l’Allemagne en ce qui concerne l’intégration européenne des réfugiés? On sait que l’Allemagne a accueilli plus d’un million de réfugiés.

M. Dion : Ce que vous venez d’évoquer, c’est le deuxième sujet dont les Européens me parlent le plus souvent. Le premier sujet est le président Trump. Le deuxième sujet, c’est ce que fait le Canada pour être une société multiculturelle qui fonctionne bien et ce qu’il devra faire pour que cela continue à bien fonctionner, parce qu’on ne doit jamais tenir cela pour acquis. Ils ont cette préoccupation. L’Europe est très différente sur ce point de vue. Certains pays ont une tradition en matière d’immigration, alors que d’autres n’en ont pas. En Europe de l’Est, des pays sont devenus démocratiques dans les années 1990 après des années de totalitarisme. Ces pays n’ont pas d’expérience avec l’immigration, surtout l’immigration non chrétienne et non européenne. Ils sont très inquiets quand cela arrive.

L’autre chose, c’est que le Canada est entouré de trois océans et qu’il a comme voisin le pays le plus riche du monde, un immense pays, les États-Unis. Cela nous permet de limiter l’immigration irrégulière, de la choisir et de développer des politiques d’immigration. C’est beaucoup plus difficile en Europe où il y a une pression énorme en matière d’immigration irrégulière. Plus d’un million d’immigrants sont arrivés à la frontière allemande. Ce qui crée l’inquiétude, ce n’est pas seulement le nombre, c’est le sentiment que le gouvernement allemand est incapable de contrôler ce qui apparaît comme une avalanche. Quand le premier ministre du Canada, M. Trudeau, a dit aux Canadiens que le Canada allait accueillir 25 000 réfugiés syriens, les Canadiens les ont accueillis avec beaucoup de générosité. Cela nous honore, mais nous savons que ce ne sera pas 250 000 réfugiés. On sait qu’on pourra maîtriser la situation. Or, il n’y a pas cette garantie en Europe et, dans plusieurs cas, c’est ce qui rend les populations plus inquiètes et plus vulnérables aux appels populistes et parfois xénophobes. C’est le contexte dans lequel ils se trouvent.

En tant que Canadiens, n’allons pas leur faire la leçon et prétendre que nous sommes mieux qu’eux, parce que nous nous trouvons dans un contexte plus avantageux qu’eux. Cependant, nous devons leur dire que nous reconnaissons que leur contexte est différent du nôtre, mais que les politiques que nous avons mises en place ont sans doute leur mérite. Elles ont peut-être une certaine valeur et nous devons être prêts à partager notre expérience avec eux, notamment en ce qui concerne notre système de parrainage, notre approche multiculturelle et les efforts que déploient les sénateurs et les parlementaires élus partout dans leurs circonscriptions pour veiller à ce que les immigrants soient bien accueillis et que leurs communautés participent à l’effort national.

Je crois que nous pouvons avoir des échanges très fructueux avec nos amis européens et apprendre d’eux en même temps, tout en leur permettant d’envisager avec plus de confiance la possibilité de vivre dans des sociétés de plus en plus diversifiées. Ils n’ont pas le choix, à mon avis, parce que les populations vieillissent, l’âge moyen dépassera les 50 ans d’ici quelques décennies en Europe. Sans l’apport de l’immigration, le nombre de travailleurs diminuera très fortement par rapport au nombre de retraités. L’immigration bien conçue apparaît nécessaire pour l’Europe, et le Canada a prouvé que c’était possible. Il faut continuer dans cette voie et ne jamais tenir quoi que ce soit pour acquis. C’est pourquoi des échanges très intenses avec les Européens pourraient nous être utiles à nous aussi.

[Traduction]

Le sénateur Woo : Bonjour, monsieur l’ambassadeur. Au cours des dernières semaines, notre comité a réfléchi à de grands principes stratégiques. Vous avez mentionné que le Canada est perçu comme le pays le plus européen à l’extérieur de l’Europe.

On peut soutenir que le Canada et l’Europe, particulièrement l’Union européenne, je devrais dire, ne sont pas les derniers bastions, mais les plus grands champions aujourd’hui d’un ordre internationaliste libéral. Les plus grands défis à l’ordre internationaliste libéral, auquel bon nombre d’entre nous souscrivent, sont, d’un côté, les États-Unis, en raison de certaines pressions anti-immigration, et de l’autre côté, la Chine. Ce sont les deux superpuissances dans le monde aujourd’hui, et on ne prévoit aucun changement dans un avenir prévisible. J’ai volontairement omis la Russie, qui est dans une catégorie spéciale à part.

Ma question est la suivante : puisque vous proposez que le Canada et les États-Unis collaborent sur des enjeux mondiaux, voyez-vous une façon de coordonner les efforts plutôt que de procéder chacun de son côté? Vous nous avez fourni plusieurs bonnes suggestions sur le maintien de la paix, la démographie, l’immigration et ainsi de suite, mais que pouvons-nous faire pour défendre l’ordre internationaliste libéral qui a été profitable aux deux côtés de l’Atlantique pendant de nombreuses années? Quelles initiatives à long terme pouvons-nous mettre en place pour l’appuyer?

M. Dion : Merci beaucoup. Dans ma réponse, j’inclurai la Russie, la Chine et les États-Unis. D’une certaine façon, il est absolument injuste de mettre les États-Unis dans ce groupe, comme je le dis sans cesse à nos amis européens. Peu importe les préoccupations de l’Union européenne concernant la Maison-Blanche actuelle, nous devons absolument envisager les États-Unis comme un pays ayant des vues similaires aux nôtres. Notre premier ministre collabore étroitement avec les États-Unis et le président choisi par les Américains.

Les divergences concernant certaines orientations qui sont trop protectionnistes ou pas suffisamment écologistes ne doivent pas creuser un fossé entre nos deux pays. Au contraire, nous devrions, plus que jamais, collaborer davantage avec les États-Unis. C’est le point que je fais valoir sans cesse auprès de nos amis européens : regardez ce que nous faisons. Nous essayons. Ce n’est pas facile, mais nous essayons. Joignez-vous à nous. Ne croyez pas que vous pourrez vous isoler des États-Unis. C’est impossible. Nous pouvons être en désaccord avec le pouvoir exécutif, mais nous devons collaborer avec ce pays. Il a des vues similaires aux nôtres.

Bien entendu, la Chine et la Russie sont des pays différents. Les régimes politiques ne sont pas les mêmes, et comme vous le dites, il existe une grande différence entre la Russie et la Chine, mais nous devons être présents. Dans les deux cas, nous devons défendre nos intérêts vigoureusement. Nous devons être conscients du fait que nous sommes des concurrents. Le Canada est un concurrent pour les États-Unis et les pays européens, et les pays européens se font concurrence entre eux. La Chine excelle à utiliser cette concurrence pour renforcer sa position.

J’étais dans l’Arctique récemment, et il est évident que nous devons collaborer avec les pays de l’Arctique, parce que la Chine prend de plus en plus de place dans cette région. Comment élaborer notre stratégie pour protéger cet écosystème et collaborer avec les scientifiques chinois, qui sont très compétents, afin de s’assurer que la Chine sera un défenseur de l’Arctique, et non le contraire? Ce ne sera pas possible si le Canada ne travaille pas avec ses alliés.

C’est donc pour moi une raison de plus d’effectuer un rapprochement. Il en va de même pour la Russie. La politique officielle de l’OTAN repose sur la dissuasion et le dialogue. Certains pays européens entretiennent depuis longtemps des rapports avec la Russie. C’est une réalité qui remonte à des siècles. C’est donc une très bonne chose de rester en communication étroite avec ces pays afin d’élaborer notre propre capacité en vue de déterminer le travail à faire auprès de nos voisins russes et de participer aux efforts de dissuasion otaniens.

Mon message à nos amis européens est qu’il n’existe aucune façon de collaborer sans l’OTAN. Le fait que le président des États-Unis a dit qu’il pourrait se retirer de l’OTAN constitue une raison de plus de redoubler nos efforts, car l’OTAN a plus que jamais sa raison d’être. L’OTAN est une façon de parvenir à une décision collective et de se protéger contre une décision unilatérale qui pourrait nuire à tous les membres de l’OTAN. Ce n’est pas le moment pour l’Union européenne de songer à se constituer sa propre force de défense. L’Union européenne doit assurer une meilleure coopération entre ses pays en respectant l’OTAN.

Les pays européens membres de l’OTAN consacrent actuellement quatre fois plus d’argent à la défense que la Russie. La coordination entre ces pays est si faible qu’ils n’arrivent pas vraiment à montrer les sommes importantes investies.

Je comprends donc le président Trump qui maintient que nous devrions tous accorder 2 p. 100 du PIB à la défense, mais il reste que ce n’est pas simplement une question d’argent; il en va également de la capacité de collaborer et de coopérer davantage, y compris sur le plan militaire. C’est une réponse courte à votre question compliquée.

Le président : Pourrais-je poser une question supplémentaire?

Vous avez mentionné l’OTAN. Bien entendu, une partie du problème repose sur le fait que les Américains ont indiqué qu’ils paient 70 p. 100 des coûts de l’OTAN, et que les autres pays devraient contribuer pour 2 p. 100 de leur PIB.

Récemment, l’Europe a indiqué que, non seulement elle continuerait d’être membre de l’OTAN, mais qu’elle allait également élaborer sa propre stratégie de défense européenne. Cela pourrait inquiéter le Canada, parce que l’argent qui pourrait être consacré à l’OTAN servira alors à d’autres fins. S’agit-il d’une autre incarnation de l’Union de l’Europe occidentale, d’une Europe qui affirmait qu’elle assurerait sa propre défense? Il y a eu beaucoup de discussions et de nombreuses structures mais, au final, l’OTAN a été le groupe de défense qui a réellement aidé l’Europe.

Que savez-vous de cette nouvelle stratégie de défense de l’Europe? Quelles seront les répercussions pour le Canada et l’OTAN?

M. Dion : Je crois que nos alliés de l’Union européenne auraient dû tenter depuis longtemps déjà de coordonner davantage leurs efforts et d’avoir leur propre politique plus efficace. Comme je l’ai dit, ne serait-ce que sur le plan financier, l’Europe dépensait quatre fois plus que la Russie, ce qui devrait entraîner une meilleure capacité militaire que celle qui existe en ce moment.

Lorsque le moment est venu de résoudre le problème de la Libye, la France a insisté pour intervenir. Comme vous le savez, la Libye est très près de l’Europe, mais les Européens n’ont pas été en mesure d’intervenir seuls. Ils avaient besoin des États-Unis et ils avaient besoin du Canada. Vous voyez donc que, malgré l’argent investi, la capacité de l’Union européenne n’est pas la même que celle dont jouit l’Amérique du Nord grâce aux investissements consentis au NORAD. L’Union européenne aurait intérêt à se pencher sur la question et être plus efficace.

Je ne crois pas que cet examen sera effectué en parallèle à l’OTAN; il se fera dans le cadre juridique existant. C’est ce que maintient le Canada chaque fois que le débat refait surface à l’OTAN. Nous appuyons une coordination européenne qui respecterait toutefois la capacité de l’OTAN ou les objectifs de l’OTAN, car nos intérêts sont les mêmes. Au Canada, nous ne pouvons pas contester le fait que notre contribution est bien en dessous de 2 p. 100 du PIB; cependant, nous avons participé à chacune des missions de l’OTAN. Nous avons toujours été au rendez-vous. Ces missions de l’OTAN concernent la Méditerranée, l’Europe, le territoire européen. Elles ne font donc pas partie de notre secteur géographique. Nous participons à ces missions parce que nos intérêts sont les mêmes que ceux de nos alliés. J’ai la certitude que nous assurerons une meilleure coordination avec nos alliés européens et que ce sera avantageux pour le Canada.

La sénatrice Ataullahjan : Bonjour, monsieur l’ambassadeur. Engageons-nous un dialogue avec l’Allemagne et les pays de l’Union européenne sur des questions comme le conflit en Irak et la Syrie et la menace croissante du terrorisme? Ces pays sont près du conflit. Il serait donc intéressant de connaître leurs impressions.

M. Dion : Bien sûr. Je vous remercie beaucoup de cette question.

Oui, c’est une question très importante pour ces pays. Le chaos qui règne dans une région particulière est à l’origine des nombreuses difficultés dans ces pays et on espère que le Canada sera toujours présent afin de trouver le chemin de la paix.

En ce qui concerne l’Irak, vous avez pu constater que nous avons collaboré avec les Américains et les Européens pendant des années et nous voyons maintenant le groupe terroriste État islamique disparaître en Irak et en Syrie en tant que puissance territoriale. L’État islamique continuera d’être une menace idéologique pour l’Europe, le Canada et les États-Unis, pour tout le monde. Personne n’est immunisé contre cette idéologie terrible et sanguinaire. Nous avons toutefois uni nos efforts afin de nous assurer que l’État islamique disparaîtra en tant que puissance territoriale au cours des semaines, mois ou jours à venir dans certaines parties d’Irak et de la Syrie.

Que ferons-nous après? L’Irak risque de voir éclater une guerre intestine, ce qui n’est guère souhaitable. Par conséquent, les efforts diplomatiques du Canada, de l’Europe et des États-Unis convergent pour aider les diverses communautés à trouver une façon de favoriser la paix entre elles. Nous avons investi tellement d’argent dans ce pays, parce que nous croyons en sa capacité de devenir un pays fonctionnel un jour.

En ce qui concerne la Syrie, il reste encore du pain sur la planche, comme vous le savez, puisque le régime en place fait souffrir la population. Les efforts se poursuivront donc, et j’ai la conviction que l’Union européenne et d’autres pays européens se rangeront du même côté que le Canada et les États-Unis, à la recherche de la paix et de la sécurité.

En ce qui concerne l’Iran, un accord a été négocié. Le Canada croit en cet accord. Le président actuel des États-Unis a un point de vue différent et le Canada, l’Europe et d’autres intervenants aux États-Unis cherchent une façon de s’assurer que les bienfaits qui découlent de cet accord continueront à se faire ressentir dans le monde entier. Le premier ministre Trudeau et Mme Freeland, la ministre des Affaires étrangères, travaillent très fort à ce dossier.

Le sénateur Oh : Bonjour, monsieur l’ambassadeur. J’ai une question à vous poser. En tant qu’ancien ministre de l’Environnement, quelles seront vos stratégies en matière de coopération sur les questions environnementales avec l’Allemagne et l’Union européenne lorsque les États-Unis se retireront de l’Accord de Paris?

M. Dion : Merci, monsieur le sénateur. Je comprends que votre question est plus axée sur l’environnement et les changements climatiques. Au chapitre de l’environnement, il reste beaucoup à faire. Je me suis rendu dans l’Arctique. L’Arctique est l’un des écosystèmes les plus fragiles de la planète. La situation va en s’aggravant en raison des changements climatiques, et nous devons nous en occuper. Je pense que la crise liée à l’eau douce partout dans le monde pourrait être la pire menace du siècle pour l’humanité, et c’est un dossier sur laquelle nous devons agir avec l’Union européenne.

Ce matin, j’étais avec la ministre de l’Environnement de l’Allemagne, puisque la prochaine réunion des Nations Unies sur les changements climatiques se tiendra à Bonn. J’ai donc examiné avec elle ce que la ministre McKenna, notre ministre de l’Environnement, pourrait faire pour soutenir la stratégie que l’Allemagne et les îles Fidji proposeront à la 23e réunion de la Conférence des Parties. C’est très important. Bien sûr, il s’agit d’un exemple où nos intérêts se rapprochent de ceux de l’Union européenne, à savoir que nous souhaitons que les États-Unis adhèrent de nouveau à l’Accord de Paris. Nous insistons là-dessus et nous travaillons main dans la main avec l’Europe sur ce dossier. L’Accord de Paris n’est peut-être pas parfait, mais c’est celui dont nous disposons et la planète en a besoin.

Le sénateur Oh : Je vous remercie.

Le sénateur Ngo : J’aimerais parler de la situation politique actuelle en Allemagne. Nous savons que la chancelière Merkel vient de remporter son quatrième mandat en 2017, mais elle n’a pas obtenu de majorité. Elle doit former une coalition avec d’autres groupes. Pensez-vous qu’elle pourrait travailler avec l’extrême droite, et quelle serait la stabilité de cette éventuelle collaboration?

M. Dion : Merci, monsieur le sénateur.

Beaucoup de pays européens ont vu la montée en puissance de partis populistes de l’extrême droite ou de l’extrême gauche au cours de la dernière année. C’est une préoccupation pour le Canada. Nous voulons avoir à nos côtés des pays aux vues similaires, et non des pays qui deviennent extrémistes. Il est donc bon de voir qu’en France, c’est Emmanuel Macron qui a été élu président. Nous ne sommes pas intervenus dans cette élection, mais nous avons fait savoir, je pense, qu’en tant que pays, nous avions une préférence. La même chose s’est produite aux Pays-Bas. En Allemagne, les trois partis qui envisagent de faire partie du gouvernement de coalition — les conservateurs, les libéraux et les verts — sont tout à fait acceptables pour le Canada, et ce sont là de bonnes nouvelles.

Mme Merkel a indiqué clairement qu’elle respectait le vote de tous les Allemands, mais que l’extrême gauche et l’extrême droite ne seraient pas invités à faire partie du gouvernement de coalition. Elle ne négocie donc pas avec ces partis, ce qui est une bonne chose. Elle met l’accent sur la capacité à mettre en place un gouvernement fonctionnel façonné par les libéraux, les verts et les conservateurs, ce que nous, les Canadiens, pourrions envisager un jour, mais qui n’est jamais arrivé dans l’histoire du Canada.

L’Allemagne est à la recherche de cette capacité. Je dois dire que dans leurs länder , l’équivalent de nos provinces, cela s’est déjà fait, et parfois ce sont des socialistes, des libéraux et des conservateurs qui s’unissent. Ces types d’alliances ont déjà été observés au niveau des  länder , donc nous verrons bien. Cela prendra des semaines. Peut-être qu’ils n’auront pas mis en place un gouvernement à temps pour la fin de l’année. D’après ce que je comprends, les partis de la coalition présenteront un document de coalition de 90 pages décrivant chaque politique et ils devront ensuite en convaincre les membres des autres partis. Il est donc possible que l’Allemagne n’ait pas de gouvernement avant l’année prochaine. Ils ont un système différent du nôtre, mais qui est assez intéressant.

Le sénateur Ngo : En effet. Merci beaucoup, monsieur l’ambassadeur.

La présidente : Ils ont un système très différent, mais qui a fonctionné pour eux par le passé, et nous verrons si cela continuera à être le cas.

J’ai une question. Le sénateur Housakos vous a interrogé sur l’orientation éventuelle de l’Union européenne et sur la différence entre le Nord et le Sud. Plus subtiles encore sont les distinctions que l’on remarque à présent au sein de l’Union européenne entre les membres les plus récents de l’Union et les membres de longue date. Il y a des tensions et des attentes qui sont maintenant différentes en France et en Allemagne — on aurait pu dire le Royaume-Uni, s’il n’y avait pas eu le « Brexit » — et d’autres pays comme, par exemple, la Pologne. On ne s’entend plus sur les questions de puissance et de poids. Certains pensent que cela pourrait donner lieu à une Union européenne à deux vitesses. D’autres œuvrent pour que cela ne se produise pas.

En votre qualité d’envoyé spécial, que pouvez-vous nous dire sur ce qui se passe et se dit à ce sujet en Allemagne?

M. Dion : Madame la présidente, il s’agit là de discussions et de débats très animés. Ce n’est pas comme au Canada où le ciel est toujours bleu et où il n’y a jamais de tensions entre l’Est et l’Ouest du pays ou entre les régions anglophones et francophones. Ce paradis canadien n’existe pas en Europe. Nous avons des débats animés sur ces questions.

Je leur dis simplement : « Évitez d’en faire un drame. » C’est normal que vous connaissiez ces types de tensions, des tensions entre ceux qui disent : « Je veux une plus grande discipline budgétaire. Si les pays ont des déficits, nous ne devrions pas leur venir en aide. C’est à eux de régler le problème », et les pays qui disent : « Écoutez, je n’ai plus ma devise locale, j’ai donc besoin de votre soutien à cause de l’union monétaire. » Ce débat a lieu. Le président Macron a fait quelques propositions pour trouver une solution. Le chef du Parti libéral de l’Allemagne vient aujourd’hui de réagir aux propositions du président Macron. Vous verrez ce débat se poursuivre.

Quant à la vitesse à laquelle des solutions seront trouvées, à l’heure actuelle, certains pays font partie de l’union monétaire et d’autres non. Il y a des pays comme la Suisse qui participent au marché commun sans faire partie de l’Union européenne. La capacité à inventer des solutions est assez grande.

Dans la partie orientale du continent, particulièrement en Hongrie, en Slovaquie, en République tchèque et en Pologne, on voit effectivement des tensions. Ce sont de nouvelles démocraties. Elles doivent s’adapter. Elles n’ont aucune expérience de l’intégration des non-chrétiens, et on observe donc une certaine résistance. Il y a des tensions au sujet de la nécessité de protéger la liberté de la presse et l’indépendance de la magistrature, entre autres, mais l’Union européenne joue un rôle positif au sein de ces débats. C’est un point que je soulignerai toujours. Bruxelles n’est pas toujours très populaire dans ces pays, mais en fin de compte, son influence est positive.

Le Canada doit profiter de chaque occasion pour s’entretenir avec ces pays dans la partie orientale du continent, à condition de ne pas leur faire la morale et ne pas prétendre d’être meilleur qu’eux. Nous sommes la plus vieille démocratie du monde, en quelque sorte. Nous avons un gouvernement responsable depuis 1848. Nous n’avons jamais été occupés par un autre pays. Nous avons une expérience de l’immigration depuis le XIXe siècle. Le Canada ne peut être défini autrement que par l’immigration.

Avant de sermonner d’autres pays, nous devons comprendre leur situation et ensuite leur influence positive, parce qu’il y va de notre intérêt que tous ces pays deviennent de solides démocraties avec des économies bien portantes. Je suis impressionné par le fait que les pays de l’Europe de l’Est ont réduit leur écart quant au niveau de vie, du moins avec certains pays de l’Ouest. Si l’on compare le niveau de vie de la République tchèque et du Portugal, il y a eu une telle amélioration que le niveau de vie de deux pays est comparable.

La présidente : J’aurais aimé vous poser une autre question — mais je le ferai un autre jour — au sujet du fait que la montée de l’extrême droite venait de l’Allemagne de l’Est, et non de l’Allemagne de l’Ouest, si je comprends bien. Cela cause certaines difficultés en raison du rattrapage qui a été nécessaire lorsque les deux Allemagnes ont été réunies. D’après mes récentes lectures, il semblerait que le pays ait toujours besoin de s’unifier. Ce n’est pas chose faite. L’Ouest dit qu’il a payé trop pour l’Est et l’Est dit qu’il n’est pas au même niveau que l’Ouest. Alors il y a eu une migration vers l’Ouest, mais l’Est doit toujours être intégré à l’Ouest.

À la suite des élections en Allemagne, parle-t-on des nouvelles initiatives pour renforcer l’unité du pays?

M. Dion : Oui, mais là encore, je pense que nous devons les aider à avoir confiance en eux-mêmes. J’ai dit que l’Union européenne est l’une des plus grandes réussites de l’histoire de l’humanité. C’est le cas également pour la réunification de l’Allemagne. Quelle formidable réussite. Si vous allez dans certaines de ces villes, y compris celle où je me trouve aujourd’hui, à Berlin, et vous comparez leur situation au moment de la réunification et ce qu’elles sont devenues depuis lors, l’amélioration est incroyable.

Oui, il existe encore des tensions entre l’Est et l’Ouest. Vous avez entièrement raison de dire que l’AFD, l’Alternative pour l’Allemagne, le parti d’extrême droite, est plus populaire dans l’Est que dans l’Ouest, mais c’est un peu la même chose partout. J’entends par là que la vague xénophobe est plus forte dans les régions où les gens ont deux inquiétudes. Tout d’abord, l’économie, car les gens ont le sentiment que les jeunes ne restent pas, que les emplois ne sont pas les meilleurs, que l’avenir est incertain et que la croissance n’est pas pour eux, elle est pour les autres. C’est une première chose.

Il y a ensuite l’anxiété culturelle concernant l’identité, c’est-à-dire, les régions où il n’y a pas d’immigration, dont les habitants ont peur de ce qu’elles voient à la télévision à ce sujet. Les gens associent l’immigration à l’islamisme radical et au terrorisme et ils en ont peur. Les politiciens habiles et capables d’exploiter ces deux angoisses, l’économie et l’identité culturelle, peuvent soustraire beaucoup d’intentions de vote aux grands partis. C’est quelque chose que nous n’avons pas vu au Canada. Dieu merci, nos partis nationaux ne sont pas de cette couleur politique, mais cela pourrait arriver. Nous devons être très conscients de ce qui arrive en Europe et dans d’autres régions du monde pour voir comment nous pourrions soutenir les valeurs des démocraties libérales, les droits de la personne et la tolérance, l’égalité des sexes, la tolérance religieuse, et cetera.

[Français]

Le sénateur Gold : Au début, vous avez parlé des valeurs que nous partageons avec l’Europe et l’Union européenne, et mon collègue a posé la question en ce qui a trait à la démocratie. Nous avons beaucoup en commun avec l’Europe, comme société pluraliste diversifiée. Quel est le rôle de diplomatie culturelle que le Canada peut jouer ou doit jouer pour faire en sorte que ses intérêts et ceux de l’Europe se développent davantage?

[Traduction]

Quelles sont vos réflexions et intentions en ce qui a trait à la diplomatie culturelle pour faire avancer les intérêts du Canada en Europe?

[Français]

M. Dion : Merci beaucoup, sénateur. Je suis très heureux qu’on ne passe pas une heure entière sans parler de culture. Déjà, ma première réaction, c’est à quel point on l’oublie. Quand vous êtes à Berlin, il est impossible de l’oublier. C’est l’une des villes les plus vivantes au monde du point de vue culturel. C’est extraordinaire! Nous avons certainement beaucoup à apprendre, comme Canadiens, des politiques culturelles des Allemands.

Leur contexte est différent du nôtre. Ils ne se sentent pas menacés par la culture américaine. Ils n’ont pas besoin de créer des quotas pour s’assurer que ce sera de l’opéra allemand qui sera chanté ou du Mozart. Ils n’ont pas l’impression d’avoir besoin de se défendre contre d’autres types de musique. Ils sont très confiants et développent des politiques très affirmées. Nous avons beaucoup à apprendre de cela. Ils s’intéressent beaucoup à nos politiques culturelles et, en même temps, ils ne soulèveront pas facilement le sujet. Vous avez tout à fait raison de dire que nous devons le faire en amont. Nous avons des intérêts communs, que ce soit dans les forums multilatéraux ou dans nos propres débats.

Je lis les informations canadiennes et j’ai bien vu qu’il y a des débats très intéressants sur la fiscalité et la défense des droits d’auteur. On a le même débat en Europe, qui est porté notamment par la France. Le président Macron en fait une cause très importante. Comment cela peut-il se faire tout en protégeant à la fois les artistes et les créateurs et les consommateurs dans leur libre choix, les contribuables qui ne veulent pas payer inutilement pour des choses qu’ils n’aiment pas forcément? Comment tout cela peut-il se faire? C’est un débat européen, canadien et mondial. Le faire en vase clos sans jamais essayer de regarder ce qui se passe ailleurs serait une erreur.

En Europe, c’est un peu compliqué. Ce n’est pas l’Union européenne qui le fait, mais chaque État développe sa propre politique. Il y a toutefois une pression pour uniformiser leurs approches, avec le sentiment que, si un pays agit seul dans son coin, ce ne sera pas efficace dans le monde numérique dans lequel on se trouve aujourd’hui.

Vous avez tout à fait raison. Merci d’avoir soulevé ce point. Si jamais le Sénat veut se pencher sur une politique culturelle canadienne en s’inspirant de l’expérience européenne, ce serait très intéressant.

[Traduction]

La présidente : Monsieur l’ambassadeur, notre temps est écoulé. Nous avons abordé, du moins, un grand nombre de questions qui touchent le Canada et l’Union européenne.

Au nom du comité, je vous remercie d’avoir été des nôtres aujourd’hui. Nous vous souhaitons bonne chance dans vos fonctions en Europe, à titre personnel et en votre qualité d’ambassadeur du Canada. Merci.

(La séance est levée.)

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