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AEFA - Comité permanent

Affaires étrangères et commerce international

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et du commerce international

Fascicule no 37 - Témoignages du 31 janvier 2018


OTTAWA, le mercredi 31 janvier 2018

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd’hui à 16 h 30 pour étudier l’impact de la culture et des arts canadiens sur la politique étrangère et la diplomatie du Canada ainsi que leur utilisation dans ces domaines, et d’autres questions connexes.

La sénatrice A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Honorables sénateurs, aujourd’hui, nous étudions l’impact de la culture et des arts canadiens sur la politique étrangère et la diplomatie du Canada ainsi que leur utilisation dans ces domaines, et d’autres questions connexes. Avant de donner la parole à notre témoin, je demanderais aux sénateurs de se présenter, en commençant à ma droite.

Le sénateur Dawson : Dennis Dawson, du Québec.

Le sénateur Greene : Stephen Greene, de la Nouvelle-Écosse.

[Français]

Le sénateur Cormier : René Cormier, du Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Saint-Germain : Raymonde Saint-Germain, du Québec.

Le sénateur Massicotte : Paul Massicotte, Montréal.

[Traduction]

La sénatrice Cordy : Jane Cordy, de la Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Bovey : Sénatrice Bovey, du Manitoba.

La présidente : Je suis la sénatrice Andreychuk, de la Saskatchewan. Je suis également présidente du comité.

Aujourd’hui, nous sommes heureux d’accueillir M. Simon Brault, directeur et chef de la direction, Bureau du directeur, Conseil des arts du Canada.

J’aimerais formuler deux commentaires. Tout d’abord, nous devions nous réunir à huis clos, mais nous devrons attendre à demain. En effet, nous recevrons une mise à jour concernant le vote et pour cette raison, nous devrons terminer la réunion à 17 h 15. Nous devons donc être très efficaces. J’ai parlé à M. Brault, et il a été très compréhensif.

Je vous demanderais donc de livrer votre exposé. Encore une fois, je suis désolée de devoir réduire le temps imparti, car nous devrons peut-être communiquer avec vous et vous demander de comparaître à nouveau. Nous sommes privilégiés de vous accueillir aujourd’hui. Bienvenue au comité.

Simon Brault, directeur et chef de la direction, Bureau du directeur, Conseil des arts du Canada : Merci beaucoup. J’aimerais également vous remercier de l’invitation à comparaître. Je suggère de ne pas prendre les six minutes pour mon exposé. Je vais condenser mon exposé pour vous offrir la possibilité de me poser plus de questions et d’approfondir le sujet.

J’aimerais tout d’abord mentionner que les notions de diplomatie culturelle et de puissance douce font constamment l’objet d’un débat. De plus en plus, le Conseil croit que nous devrions réorienter la discussion et parler davantage des arts et de la culture dans le contexte de la diplomatie publique.

La raison pour laquelle nous faisons cette distinction, c’est que manifestement, au fil des années, certains pays — et je n’en mentionnerai aucun en particulier — sont devenus très efficaces en matière de puissance douce et ils investissent des millions de dollars, alors que d’autres soutiennent que la diplomatie culturelle est plus importante. Toutefois, dans ces deux cas, on a l’impression que les arts et la culture devraient être au service de la politique publique, du commerce ou de la propagande.

Je crois donc de plus en plus que lorsqu’un pays tente d’établir sa stratégie en matière de diplomatie publique, il existe de nombreux éléments, composantes et dimensions de cette diplomatie, et les arts et la culture devraient représenter l’une de ces dimensions, et ce, pour de nombreuses raisons.

L’une des raisons très importantes, c’est que les arts et la culture véhiculent des valeurs et des symboles et qu’ils ont la capacité de favoriser la confiance entre les gens. Les arts et la culture, au-delà de leur sens immédiat, ont également un énorme effet de halo sur de nombreux autres éléments, notamment le commerce et le partage des connaissances.

[Français]

Sur la question de la diplomatie publique et du rôle des arts et de la culture, il est important qu’on arrive, au Canada, à un modèle plus sophistiqué, qui suppose une coordination beaucoup plus poussée, au sein de l’État fédéral, entre les intervenants du domaine des arts et de la culture. Je pense notamment à Patrimoine Canadien, à Affaires mondiales, au Conseil des arts du Canada, à Téléfilm Canada et à l’ONF. Plusieurs institutions jouent un rôle important. Il est de plus en plus essentiel que l’on développe une connaissance commune entre partenaires potentiels pour être en mesure de saisir les occasions.

[Traduction]

Les artistes ou les organismes du secteur des arts n’ont pas toujours une proposition qui pourrait s’intégrer au contexte de la diplomatie publique, mais cela arrive souvent et de plus en plus. Selon moi, les artistes peuvent parfois transmettre des messages et du contenu que les politiciens ou les diplomates ne peuvent pas transmettre. J’aimerais vous donner un exemple avant de conclure mon exposé.

Il y a quelques mois, à Washington, l’Organisation des États américains a présenté une exposition préparée par le Conseil des arts du Canada qui s’intitulait Paysage marqué. C’était une exposition difficile qui présentait différents moments de l’histoire du Canada — notamment les pensionnats et de nombreux autres moments très difficiles de notre histoire.

Cette exposition a été présentée aux pays des Amériques. Comme nous le savons, un grand nombre de ces pays ont également leurs propres enjeux liés aux droits civils, aux droits de la personne, et cetera. C’était fantastique pour le Canada, car au lieu de sermonner tout le monde, comme d’habitude, sur son caractère extraordinaire, notre pays a eu la chance de participer à des débats sur des intérêts communs.

Les artistes ont abordé ces sujets d’une façon tellement stimulante que je suis certain que les gens de ces différents pays ont eu de nombreuses conversations beaucoup plus approfondies que la conversation politique et structurée qui aurait autrement eu lieu.

[Français]

Il y a énormément de pouvoir dans les arts et la culture pour faire avancer les objectifs de diplomatie culturelle. On devrait y investir davantage comme pays.

[Traduction]

Je serai heureux de répondre à vos questions. Merci.

La présidente : Excellent. Vous avez encadré ce que nous sommes censés faire et vous nous donnez l’occasion d’explorer la question du point de vue parlementaire. Je vous en suis très reconnaissante.

[Français]

Le sénateur Massicotte : Merci de vous joindre à nous cet après-midi. C’est très apprécié, surtout compte tenu de votre expérience et de vos compétences professionnelles. Nous allons profiter de votre jugement en la matière.

J’ai regardé l’information sur le conseil, qui décrit les critères et l’orientation au point de vue du soutien offert. Pourrait-on avoir une liste indiquant qui a reçu des fonds et combien? Cette information doit être publique.

M. Brault : C’est une très longue liste.

Le sénateur Massicotte : Disons ceux qui ont reçu plus de 1 million de dollars au cours des trois ou quatre dernières années.

M. Brault : C’est une courte liste. Le Conseil des arts du Canada attribue chaque année de l’aide ou des subventions à environ 16 000 artistes, groupes ou organisations. Cette aide prend la forme de subventions à des projets ou au fonctionnement. Elle peut également prendre la forme de paiements à des auteurs dont les livres sont offerts dans les bibliothèques publiques, ou prendre la forme de prix. L’aide se fait donc de différentes façons. Chaque année, et encore demain, on publie les détails des subventions que l’on verse.

Il est important de comprendre que le Conseil, au cours des dernières années, est passé d’une situation où il y avait 146 programmes à une situation où il n’y en a que 6. L’un de ces six programmes vise précisément à soutenir les artistes ou les meilleures compagnies artistiques canadiennes afin qu’ils soient plus présents sur la scène mondiale. Il existe un programme consacré à cet objectif. Le Conseil des arts du Canada est en train d’augmenter son financement sur la scène internationale de 10 à 20 millions de dollars d’ici 2021. Cette somme est à la fois dérisoire et considérable, selon la façon de voir les choses.

Le sénateur Massicotte : Puis-je avoir une liste de tous ceux qui ont reçu plus de 1 million de dollars depuis deux ou trois ans?

M. Brault : Très peu d’organismes reçoivent plus de 1 million de dollars du Conseil des arts du Canada, on parle peut-être de 20 organismes. Cette liste est facile à obtenir, on pourra vous la donner.

Le sénateur Massicotte : Vous parliez plus tôt d’occasions en nous donnant un exemple. Vous avez mentionné les six critères formels qui apparaissent sur votre site web. Toutefois, quels sont vos critères? Selon votre expérience, et d’après votre jugement, en quoi consiste une occasion intéressante? Quel est votre raisonnement?

M. Brault : Pour toute subvention du Conseil des arts du Canada, le critère déterminant, celui qui a le plus de poids, est toujours la qualité artistique et l’originalité de ce qui est proposé par les artistes. Il s’agit de faire évaluer les projets par d’autres artistes et des spécialistes afin de s’assurer que, lorsque nous accordons une subvention qui provient de l’argent public, nous le faisons pour soutenir un projet ou une organisation capable d’atteindre les plus hauts niveaux dans son domaine.

Ensuite, il y a d’autres critères qui sont beaucoup plus liés à la capacité de cette organisation de refléter la diversité du pays, d’interagir avec le public, enfin, des critères d’impact. De plus, il y a des critères en ce qui a trait à la faisabilité financière des projets qui nous sont soumis. Sur le plan international, le Conseil des arts soutient presque toujours des projets ou des compagnies qui ont déjà créé quelque chose qui est apprécié et qui a obtenu l’approbation des Canadiens, mais qui veulent présenter leur projet à l’échelle internationale. À ce moment-là, nous allons surtout examiner la solidité de la proposition, la qualité des partenaires à l’étranger, la qualité des festivals dans lesquels le projet sera présenté, et la capacité de permettre à la compagnie d’avancer son travail. Ce sont des critères liés davantage à l’impact et à la faisabilité de leur projet.

Pour chaque projet, il y a des critères assez différents, mais en général, le premier critère est la qualité et le mérite. Alors, nous comparons les projets et, ensuite, ce sont des critères liés à l’impact et à la faisabilité du projet.

La sénatrice Saint-Germain : Monsieur Brault, je dois vous dire que je suis très impressionnée par ce que vous avez fait à Culture Montréal, et je tiens à le souligner. Je suis très heureuse de vous retrouver ici.

M. Brault : Je vous remercie.

La sénatrice Saint-Germain : Ce que j’ai aimé de votre travail à Culture Montréal, c’est que vous avez réussi, concrètement, non pas à déterminer philosophiquement ce qu’on devrait faire, mais à déterminer comment on devrait agir. Vous avez fait une différence et vous avez été très innovateur, évidemment avec l’aide d’une équipe qui vous a soutenu. Ce comité a entendu des témoignages très intéressants, mais certains avaient tendance à suggérer que l’on revienne à des moyens, à des méthodes, à des expositions et à des maisons de la culture comme celles des années 1970, 1980 et 1990, qui étaient certes très intéressantes, mais dans le contexte actuel où il y a plusieurs possibilités et enjeux, notamment avec le développement des technologies et des nouveaux médias, l’intérêt d’innover est évident, ainsi que l’intérêt budgétaire et aussi l’intérêt en termes de créativité.

Quelles pourraient être de nouvelles façons de créer et d’innover sans rejeter ce qui a déjà été fait pour promouvoir le Canada et ses différentes régions à l’étranger au moyen des arts et de la culture?

M. Brault : C’est une très bonne question. Ce qui porte souvent à confusion, c’est que les gens disent que, parce qu’on évolue dans le milieu des arts, parce qu’on est créatif, on innove. Ce n’est pas toujours le cas. Beaucoup de gens font du théâtre comme les Grecs le faisaient il y a des milliers d’années, et à peu près de la même façon. Donc, ils créent toujours, mais n’innovent pas nécessairement dans la façon de faire du théâtre. Des gens comme Robert Lepage par exemple ont innové dans la façon de faire du théâtre. Ils n’ont pas été seulement créatifs. Ils ont été innovants.

Je crois que, présentement, le milieu des arts au Canada a un immense besoin d’innover, c’est-à-dire de continuer d’être créatif et de trouver d’autres modèles pour rejoindre des publics plus importants, de trouver d’autres modèles de collaboration et de coopération. Avec le numérique en particulier, on peut faire un parallèle avec ce qui se passe au Canada dans plusieurs villes dans le domaine de l’intelligence artificielle. Tous les chercheurs et les spécialistes en intelligence artificielle vous diront qu’on avance rapidement lorsque les connaissances sont partagées rapidement, lorsqu’il y a une collaboration et que l’on ne travaille pas en silos. Dans le milieu des arts et de la culture, il y a encore une grande obsession de la compétition dans les différents domaines culturels. Beaucoup d’organisations travaillent chacune dans leur coin, et je crois que l’heure est davantage à la consolidation et à la collaboration.

Pour encourager cette innovation, le Conseil des arts du Canada a créé un fonds très important d’investissements en faveur du numérique, mais c’est impossible d’y avoir accès si la proposition ne sert pas à plus d’une organisation. Au lieu de dire aux gens qu’on va les aider pour qu’ils deviennent plus compétitifs, on leur dit qu’on va les aider à condition que les solutions qu’ils trouvent soient immédiatement partagées avec les autres et que l’on travaille de façon de plus en plus ouverte.

Le Conseil des arts du Canada offre un soutien au fonctionnement au quotidien d’environ 1 200 organisations à travers le pays, et c’est beaucoup trop. Un jour, certaines de ces organisations devraient travailler ensemble et fusionner. Il y a beaucoup de travail à faire pour trouver de nouveaux modèles et de nouvelles façons de faire les choses. Je crois que la génération montante a des propositions et des façons de travailler très différentes des gens de ma génération, et il est important de les écouter. Lorsque le Conseil des arts a su que son budget allait être doublé en cinq ans, l’un des premiers engagements qu’il a pris a été de décider que 25 p. 100 de la nouvelle enveloppe serait versé à des récipiendaires qui recevaient une subvention du conseil pour la première fois, et ceci dans le but d’apporter du sang neuf et de l’innovation dans l’ensemble du système artistique. C’est en train de se produire. L’innovation est vraiment une immense préoccupation pour le Conseil des arts.

La sénatrice Saint-Germain : Je vous remercie.

[Traduction]

Le sénateur Oh : Merci, monsieur Brault.

En parlant de diplomatie culturelle, je suis récemment allé à Singapour, et j’ai rencontré notre haute-commissaire, Lynn McDonald. Nous avons discuté de diplomatie culturelle et elle m’a montré un beau livret sur tous les événements internationaux qui se déroulaient à Singapour dans le cadre du 150e anniversaire du Canada. La première page à l’intérieur du livret parlait de la danse autochtone, et elle m’a dit qu’il y avait au moins cinq événements du Canada. Ces événements ont été tellement populaires que les Singapouriens appelaient pour demander des billets pour y assister. Elle m’a dit que cela permettait d’informer davantage les gens sur le Canada et sur sa culture, son éducation, sa musique, et tout le reste. Elle a ajouté que vous aviez fait un excellent travail de collaboration avec les corps diplomatiques à l’étranger. Je tiens donc à vous féliciter, et j’espère que ce type d’événements se produira plus souvent.

M. Brault : Merci. Il y en aura d’autres. Je suis récemment allé en Malaisie, à Singapour et à Hong Kong. À titre de PDG du Conseil des arts du Canada, je fais partie du Comité consultatif international du Conseil de développement des arts de Hong Kong, et je me rends donc dans cette région au moins une fois par année. Je peux vous dire que cette partie du monde a un appétit gigantesque pour le contenu canadien. En fait, le Canada doit maintenant faire de bons choix et faire preuve de souplesse dans ses investissements. En effet, on est très curieux à l’égard des créations du Canada, non seulement en ce qui concerne les propositions artistiques, les spectacles et la musique, mais également en ce qui concerne notre approche en matière de politique culturelle et de financement et la façon dont nous traitons l’intersection entre le milieu numérique et les arts.

En ce moment, le Canada jouit d’une grande visibilité, et je crois que les Canadiens doivent profiter de cet élan et assurer une présence. Comme vous le savez, ces pays profitent actuellement d’une croissance très rapide et les productions et les propositions du Canada s’intégreraient dans de nombreux cadres culturels de ces pays.

En ce moment, à Hong Kong, on construit d’énormes districts culturels dotés de sept théâtres et on cherche du contenu. Je crois que nous pouvons fournir une grande partie de ce contenu si nous faisons notre travail correctement et si nous comprenons qu’il doit s’agir d’un échange authentique et véritable. La diplomatie culturelle peut accomplir cela. Je suis d’accord.

[Français]

Le sénateur Cormier : Bienvenue, monsieur Brault. Je vous félicite à mon tour pour le travail extraordinaire qui a cours en ce moment au Conseil des arts du Canada. On a parlé d’innovation, et je crois que vous faites preuve de beaucoup d’innovation en transformant cette institution pour la rendre plus pertinente que jamais. Je me permettrai de vous dire que vous incarnez en quelque sorte cette grande notion de la diplomatie culturelle, puisque vous êtes un ambassadeur à l’extérieur du pays. Vous démontrez par vos actions à quel point la culture est un moteur puissant pour favoriser la diplomatie publique.

Sans être trop spécifique, imaginons le scénario où on aurait une stratégie de diplomatie culturelle ou publique grâce aux arts et à la culture. De quelle manière le gouvernement devrait-il agir quant à l’encadrement des artistes qui feraient une action de diplomatie? De quoi le gouvernement devrait-il tenir compte et qu’est-ce que cela pourrait vouloir dire pour vos programmes, pour les discussions, pour les initiatives que vous mettez en place pour les artistes?

M. Brault : Excellente question. Je crois que l’élément le plus important pour réussir, c’est vraiment la capacité de voir venir les choses. Beaucoup d’artistes qui se produisent sur la scène internationale travaillent sur des projets ou des tournées sur un horizon de deux à dix ans. Robert Lepage sait à peu près où il sera dans huit ans. Des gens comme Robert Lepage travaillent sur de très longs calendriers, alors que les gouvernements ont tendance à travailler sur des calendriers assez courts. L’une des choses les plus importantes serait de savoir à l’avance quelle sera la part du gouvernement, d’Affaires mondiales et de Patrimoine canadien. Il est facile pour nous de savoir qu’il y a une biennale en art contemporain à Venise, parce qu’elle a lieu tous les deux ans depuis 100 ans.

Nous avons déjà commencé à le faire; il y a eu des rencontres entre le sous-ministre d’Affaires mondiales, le sous-ministre de Patrimoine canadien et moi. Nous commençons à coordonner nos calendriers et à voir venir les choses. Une fois qu’on voit venir — par exemple, la foire de Francfort, une foire à la fois commerciale, littéraire et culturelle très importante —, chacun peut faire telle ou telle partie du travail. Je pense que c’est surtout une question de coordination et de volonté politique.

Évidemment, au moment où on se parle, il faut aussi comprendre que la diplomatie publique joue un rôle différent selon le contexte. Dans certains pays, on a la possibilité d’établir une diplomatie publique. On peut même avoir une présence culturelle et artistique très importante. Cependant, les retombées économiques potentielles s’étendent sur un horizon de cinq à dix ans. Certains marchés sont plus matures, comme l’Europe, alors que d’autres sont en développement rapide, comme l’Asie et l’Amérique latine.

Nous devons donc avoir une connaissance de la géopolitique et de la situation économique des pays. Tout cela est possible grâce à une coordination à un plus haut niveau. Le Conseil des arts du Canada s’intéresse vivement à cet aspect. On croit pouvoir jouer un rôle important et on essaie de le faire à l’heure actuelle en proposant un cadre de collaboration entre Patrimoine canadien et Affaires mondiales Canada. Je dirais que cela avance. On est très loin si on se compare à certains pays, et très avancé si on se compare à d’autres pays. On est assez loin des pays qui ont investi énormément dans ce domaine. Je crois cependant que, depuis deux ans, on a fait du rattrapage.

La dernière chose que je dirais, c’est qu’il est très important d’avoir une coordination centrale à Ottawa. Il est aussi extrêmement important que les missions, les ambassades, les consulats du Canada à l’étranger soient équipés en ce qui a trait aux connaissances et aux moyens financiers nécessaires pour appuyer les gens sur le terrain. Vous savez, on peut bien décider quelque chose à Ottawa, c’est super, mais une fois que les artistes arrivent à Buenos Aires, il faut pouvoir les accueillir, les présenter. Certaines ambassades à travers le monde font très bien cela. Je ne me déplace jamais dans un pays étranger sans aller visiter nos ambassadeurs ou nos consuls. Chaque fois, je découvre qu’on peut faire 10 fois, 20 fois plus que ce qu’on fait déjà. Il suffit d’en parler et de mieux s’organiser.

Il y a énormément d’avenir, il y a énormément d’espace pour les arts et la culture au sein de la diplomatie publique, mais il nous faut davantage d’expertises, une meilleure coordination et des investissements plus ciblés. Ce n’est pas tant une question d’argent qu’une question de volonté et d’organisation professionnelle.

[Traduction]

La sénatrice Bovey : Monsieur Brault, je vous remercie chaleureusement d’être avec nous aujourd’hui. Je vous félicite de vos réalisations au sein du Conseil des arts du Canada et de vos réalisations antérieures, mais j’aimerais également vous remercier pour ce que vous faites sur la scène internationale. Et je suis d’accord qu’il est temps d’éliminer le cloisonnement.

J’espère que nous pourrons commencer à modifier notre langage et éviter de parler de subventions pour parler plutôt d’investissements, car après tout, les arts sont une industrie comme toutes les autres et il serait donc plus approprié de parler d’investissements dans un secteur qui offre un tel rendement positif.

Toutefois, en ce qui concerne la collaboration et le partage, vous avez dit en décembre dernier que vous aviez l’impression que le Canada avait un retard de 10 ans sur les autres pays en raison d’une partie de notre histoire récente. En juin dernier, dans le cadre du symposium L’art, le Canada et le monde du Musée des beaux-arts du Canada, vous avez dit que personne n’était mieux placé que les artistes pour exprimer, provoquer, critiquer et inspirer. Et nous savons que John Ralston Saul a souvent écrit sur ce sujet et qu’il a dit que le profil du Canada à l’étranger repose en grande partie sur sa culture.

Nous savons que les artistes sont d’avis que le travail international est extrêmement important pour leur carrière. J’aimerais donc maintenant changer de stratégie. À votre avis, que devrait-on retrouver dans le cadre ou la politique en matière de diplomatie culturelle du Canada, et pensez-vous que notre pays pourrait utiliser plus efficacement ses liens avec l’UNESCO, peut-être par l’entremise du travail effectué avec les réfugiés? Y a-t-il une façon par laquelle les arts, peut-être en utilisant votre expression « diplomatie douce », peuvent recréer des effets positifs dans ce contexte?

M. Brault : C’est une très bonne question. Merci.

Je crois que nous pourrions explorer différentes voies. Manifestement, il y a les voies plus traditionnelles, par exemple la participation aux grandes expositions du monde. Il existe, partout dans le monde, des plateformes sur lesquelles le Canada pourrait accroître sa présence et la rendre plus visible et plus percutante. Je pense que c’est important. C’est la raison pour laquelle je parlais de la notion de comprendre, sur le plan géopolitique, ce qui se passe dans différentes régions du monde. Dans différentes régions du monde, on tient des débats sur l’inclusion. C’est fascinant.

Les membres des délégations françaises, britanniques et allemandes que j’ai récemment reçus dans mon bureau s’intéressaient tous à la façon dont le Canada traite les enjeux liés aux droits de la personne et à l’inclusion. C’est donc un sujet très important dans un grand nombre de pays. Le Canada peut faire beaucoup de choses. Lorsqu’on discute de l’inclusion ou de la justice sociale, si on ne fait pas intervenir les points de vue des artistes et des travailleurs sociaux, on exclut une dimension. Quelque chose ne tourne pas rond.

Je crois que nous avons besoin de beaucoup plus d’imagination pour voir partout que les arts et la culture pourraient contribuer à faire progresser des programmes précis. Ces programmes ne sont pas seulement économiques, car ils visent également l’inclusion et la paix.

Vous avez raison. Les programmes de l’UNESCO et d’autres organismes internationaux offrent de nombreuses plateformes qui permettent au Canada d’améliorer sa présence. Le Canada doit exprimer clairement l’image qu’il souhaite projeter au reste du monde. À qui voulons-nous nous adresser en priorité? Une fois que nous avons déterminé cela clairement, nous devons inviter des représentants d’universités et d’organismes artistiques, et cetera, à participer à la discussion, afin de déterminer les différents moyens que nous pouvons utiliser pour mieux communiquer ce que nous voulons et créer cet espace de partage avec les autres nations.

La réputation du Canada à l’étranger n’est plus à faire, et c’est principalement grâce à ses artistes de renom. Je crois que nous pourrions miser beaucoup plus sur cette réalité que nous ne le faisons actuellement. Tous les ingrédients sont là. Il s’agit essentiellement pour le gouvernement d’ajuster ses priorités en conséquence.

La sénatrice Bovey : Vous avez dit que nos ambassades étrangères ou les ambassades canadiennes à l’étranger doivent être armées de ces connaissances. Nous sommes tournés vers l’avenir, mais il est tout à fait possible de fixer l’horizon tout en faisant un pas en arrière. La quasi-totalité, voire la totalité, de nos ambassades comptaient autrefois à leur bord des attachés culturels. Il n’en reste aujourd’hui que quelques-uns.

Pensez-vous que les attachés culturels sont la voie de l’avenir? Y a-t-il un moyen plus efficace de revoir nos ambassades pour qu’elles soient en mesure d’exploiter le plein potentiel qu’offrent les artistes et organismes artistiques qui sont nos messagers à l’étranger?

M. Brault : Je crois que l’approche doit être adaptée en fonction de la région. Dans certains pays, nos ambassades peuvent compter sur des intervenants locaux qui sont très doués pour faire la liaison entre les artistes canadiens et les artistes du coin. Évidemment, si on parle de Paris ou de Londres, c’est une autre histoire. Tout dépend du contexte. Je doute qu’avoir des attachés culturels partout soit la solution, puisque cela suppose une approche descendante et un lourd processus bureaucratique.

Nous avons fait référence à Singapour et à Hong Kong. Hong Kong offre un exemple intéressant. Même chose pour Singapour. Beaucoup de Canadiens travaillent et vivent là-bas. Il faudra des stratégies très différentes de celles utilisées au Chili, par exemple, pour attirer des artistes et assurer une présence là-bas. Je crois qu’il n’y a pas de solution universelle.

À discuter avec les ambassadeurs, je constate qu’ils sont nombreux à avoir une idée claire de ce qu’ils peuvent faire malgré des ressources limitées. La clé est de savoir vendre son projet à une grosse machine, c’est-à-dire Affaires mondiales. Il est possible de faire beaucoup sans nécessairement dépenser de grosses sommes ni appliquer une solution universelle. De petites interventions ciblées sont préférables à des investissements de masse et à des solutions uniques.

La sénatrice Cordy : Merci beaucoup, monsieur Brault. C’est très intéressant. Je sais que vous avez déclaré en juin de cette année que la diplomatie publique avait davantage besoin des artistes que l’inverse.

Des témoins nous ont donné d’excellents exemples illustrant comment la diplomatie publique pouvait être utilisée de manière efficace. Parfois, il ne s’agit même pas d’événements planifiés; ce sont les projets artistiques menés en parallèle dans certaines villes ou certains pays qui ont moussé la bonne réputation du Canada.

Avons-nous le leadership voulu au gouvernement, à Affaires mondiales ou Patrimoine canadien, pour promouvoir la diplomatie culturelle à l’étranger? Je sais que vous voulez éviter les approches descendantes, mais devrait-il y avoir une certaine influence au sein du gouvernement, en provenance de l’un ou l’autre des ministères ou encore des deux — quand plus d’un ministère est en charge, les choses peuvent toutefois s’embrouiller —, afin de promouvoir la diplomatie culturelle, qui est en fait susceptible de procurer des retombées économiques et sociaux au Canada et à nos artistes?

M. Brault : La volonté est là, c’est évident. On le voit notamment par la décision du Canada de doubler ses investissements dans le domaine des arts, une décision peu commune à l’échelle mondiale. Je pourrais passer le reste de mes jours à voyager dans le but unique d’expliquer les raisons ayant poussé notre gouvernement à investir deux fois plus dans le Conseil des arts du Canada. En effet, au cours des 20 dernières années, beaucoup de pays ont choisi de réorienter leurs investissements davantage vers les industries créatives, tout en maintenant une vision axée non pas sur la réalité post-industrielle, mais sur la réalité industrielle traditionnelle. Nombre de gouvernements reconnaissent que malgré l’avènement de l’intelligence artificielle et d’une multitude de machines, le contenu original demeure la clé du succès.

Les modèles mis de l’avant actuellement sont très complexes, car ils couvrent absolument tout, sauf la rémunération des artistes. C’est donc dire que tous les nouveaux modèles d’affaires sur Internet et ailleurs ne fonctionnent que si le contenu est essentiellement gratuit. Le contenu est ainsi généré par nous tous sur Facebook. Il est extrêmement important de faire valoir que la recherche-développement est une nécessité constante et qu’il faut maintenir une masse critique d’artistes et de créateurs.

Que le Canada ait pris ce virage vers les arts et la culture rapidement après l’arrivée du nouveau gouvernement, et que nous ayons un premier ministre qui cite régulièrement des artistes et qui parle de la culture, cela a réellement capté l’attention et touché l’imaginaire du monde entier.

Je crois que le Canada doit impérativement planifier sa façon de faire sur la scène internationale. On pourrait facilement se montrer critique face à la politique culturelle déficiente du Département d’État américain, mais les États-Unis sont très forts en ce qui a trait à la diplomatie culturelle. Ils ont des programmes ciblés qui leur assurent une présence partout dans le monde.

Je ne pense pas que le Canada soit rendu là, mais d’après les productions qui voient le jour ici, nous ne manquons certainement pas d’innovation ni de créativité. Il est réaliste de croire que d’ici quelques années, le Canada pourra se tailler une place de choix sur l’échiquier mondial grâce aux arts et à la culture. C’est ce que pourrait révéler un de vos rapports futurs. C’est absolument à notre portée.

La sénatrice Cordy : Vous avez dit que les États-Unis étaient excellents en fait de diplomatie culturelle. Y a-t-il d’autres pays qui pourraient nous servir d’exemples de ce côté?

C’est très bien que le gouvernement en place ait augmenté ses investissements et qu’il reconnaisse la valeur de la culture pour les Canadiens d’ici et les Canadiens à l’étranger.

M. Brault : J’ai récemment assisté à une conférence en Asie, à laquelle participaient 27 pays. Tous ces pays ont une stratégie pour accroître leur présence mondiale grâce à leur culture, comme la K-pop en Corée du Sud. Ils ont tous leur propre stratégie. Bien des nations, surtout celles en plein essor économique, réalisent qu’elles doivent assurer une certaine présence internationale afin de vendre leurs produits, et cette présence doit être soutenue par les arts et la culture.

Je crois qu’il y a une tendance en ce sens. La diplomatie culturelle et le pouvoir d’influence ont été pendant de nombreuses années l’apanage de quelques pays seulement. Aujourd’hui, les gouvernements s’y intéressent de plus en plus et cherchent à adopter des stratégies ciblées à cet effet. Nous pouvons tirer d’importantes leçons de l’expérience des autres et tâcher de ne pas répéter les mêmes erreurs, car il y en a eu; tout n’est pas rose. Mais nous pouvons certainement apprendre des autres pays.

C’est intéressant, parce que des pays qui appliquent et documentent de telles stratégies très systématiquement et depuis longtemps doivent aujourd’hui se réinventer. Je pense entre autres au Royaume-Uni, qui, à la lumière du Brexit, doit faire savoir au reste du monde qu’il reste ouvert aux échanges commerciaux. Le Royaume-Uni a dû se tourner vers la recherche et s’affaire à remanier ses politiques.

Nous suivons la situation, car nous pouvons en tirer des leçons. Alors, oui, nous pouvons apprendre de ce qui se fait ailleurs.

Le président : Le temps nous file entre les doigts, mais j’aimerais aborder deux points avec vous.

Nous avons reçu les représentants ministériels, de même que des témoins qui ont eu pour mandat d’aider Affaires mondiales Canada à déterminer comment dépenser les fonds alloués. Si mes données sont exactes, le ministère recevra 75 millions de dollars, comparativement à 40 millions pour 2017-2018. Cependant, nous n’avons pas eu un portrait clair de ce qui s’en vient. Nous avons entendu dire qu’un plan était en place. Il semble donc que les investissements se feront en fin de période plutôt qu’au début, pour 2020-2021.

Devrions-nous faire preuve de patience et élaborer un plan quinquennal, sachant que nous ne verrons pas de résultat avant cinq ans? Il semble que cela pose quelques difficultés et j’imagine qu’on s’interroge à l’interne sur la façon de procéder. Devrions-nous leur donner certaines directives concernant les politiques à mettre en place, et explorer ensuite une stratégie à long terme?

M. Brault : Il est important d’encadrer les politiques. Cependant, il faut garder à l’esprit qu’avec les arts et la culture, de même qu’avec la diplomatie publique ou culturelle, il est nécessaire d’avoir une vision à long terme. La diplomatie est là pour paver la voie à autre chose. C’est parfois dans un contexte pressant, comme c’est le cas pour nos négociations actuelles avec les États-Unis. Une bonne diplomatie culturelle est le fondement de négociations fructueuses. Ailleurs dans le monde, c’est un processus à long terme.

Il est primordial d’avoir un plan. Quant au Conseil des arts du Canada, même si sa contribution est plutôt modeste, il engagera 20 millions de dollars en vue d’assurer une présence à l’étranger. Et quand je parle de contribution modeste, c’est vraiment le cas. Pour vous donner une petite idée, le Royaume-Uni a investi récemment quelque 140 millions de livres sterling dans son programme intitulé GREAT, dont vous avez entendu parler dernièrement à Ottawa. Et c’est pour un programme seulement. Alors, 20 millions de dollars, c’est peu.

Nous avons tout de même décidé d’établir un plan pour dépenser ces 20 millions de dollars : déterminer les pays à cibler en priorité, tâcher de consolider certaines fonctions, recruter des artistes et veiller à ce qu’ils puissent coordonner leurs efforts.

Il est effectivement important de promouvoir une plus grande cohérence et une planification plus serrée relativement à la présence internationale du Canada. Comme vous le savez, il y a sans doute de très nombreuses discussions entre les différents ministères et les ambassades locales. Cela pourrait s’éterniser. Il est donc fondamental de reconnaître que le Canada a des intérêts partout dans le monde, et si nous voulons consolider ces intérêts, nous devons établir un plan explicite en matière d’arts et de culture et y vouer des sommes distinctes.

Le président : Merci, monsieur Brault. Vous avez entendu la sonnerie d’appel; cela signifie que nous devons conclure la séance. Vous êtes un expert des arts-affaires, entre autres, et cela a d’ailleurs été souligné. Il faut maintenant une bonne dose de créativité pour développer les choses qui n’entraient pas autrefois dans la catégorie des arts — tous les trucs qu’utilisent les jeunes, pas moi. Nous devons donc faire preuve nous aussi de créativité afin de mobiliser la nouvelle génération; il faut explorer de nouveaux outils, de nouvelles façon de mettre en lien les jeunes de l’Afrique, par exemple, et ceux d’ici. Ils sont au cœur de ces liaisons. Comment pouvons-nous les aider à le faire, et de façon positive, pour qu’en bénéficient également nos relations en matière de politique étrangère?

Vous voudrez sans y doute y réfléchir un peu. Je ne m’attends pas à une réponse aujourd’hui. Si vous pouviez nous faire part de vos commentaires à ce sujet, même si ce n’est qu’un paragraphe ou deux, nous vous en serions très reconnaissants.

M. Brault : Bien sûr.

Le président : Nous devons couper court à la réunion, alors merci de votre indulgence à notre égard.

(La séance est levée.)

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