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AEFA - Comité permanent

Affaires étrangères et commerce international

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et du commerce international

Fascicule no 40 - Témoignages du 1er mars 2018


OTTAWA, le jeudi 1er mars 2018

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd’hui, à 10 h 32, pour étudier l’impact de la culture et des arts canadiens sur la politique étrangère et la diplomatie du Canada ainsi que leur utilisation dans ces domaines, et d’autres questions connexes.

La sénatrice A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Honorables sénateurs, le Sénat a autorisé notre comité à étudier l’impact de la culture et des arts canadiens sur la politique étrangère et la diplomatie du Canada ainsi que leur utilisation dans ces domaines, et d’autres questions connexes.

Le comité est ravi d’accueillir aujourd’hui le secrétaire général de l’Institut pour les relations culturelles avec l’étranger, Ronald Grätz, qui témoignera de nouveau par vidéoconférence à partir de Berlin, en Allemagne. Monsieur Grätz, nous vous remercions de votre aide. Je crois comprendre qu’il y a encore quelques problèmes de son, mais nous allons quand même poursuivre et vous laisser terminer votre témoignage aujourd’hui.

Auparavant, je demanderais aux sénateurs de se présenter, en commençant à ma droite.

Le sénateur Greene : Stephen Greene, de la Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Ataullahjan : Salma Ataullahjan, de l’Ontario.

Le sénateur Housakos : Leo Housakos, du Québec.

[Français]

La sénatrice Saint-Germain : Raymonde Saint-Germain, du Québec.

Le sénateur Massicotte : Paul Massicotte, du Québec.

Le sénateur Cormier : René Cormier, du Nouveau-Brunswick.

[Traduction]

La sénatrice Cordy : Je suis Jane Cordy, de la Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Bovey : Pat Bovey, du Manitoba.

Le sénateur Dawson : Dennis Dawson, du Québec.

La présidente : Moi, je m’appelle Raynell Andreychuk, de la Saskatchewan, et je préside la séance.

Nous avons déjà eu le début de votre déclaration. Je rappelle aux sénateurs que votre biographie leur a été distribuée. Je ne prendrai donc pas le temps de vous présenter en détail : ils ont déjà reçu le document.

Monsieur Grätz, je vous laisse la parole sans plus tarder. Je crois que vous pouvez m’entendre. Nous vous souhaitons, encore une fois, la bienvenue au comité. Veuillez commencer votre déclaration. Une période de questions suivra.

Ronald Grätz, secrétaire général, Institut pour les relations culturelles avec l’étranger, Allemagne : Madame la présidente, mesdames et messieurs les honorables sénateurs, je vous remercie. J’aurai le plaisir et l’honneur de vous présenter les principes qui sous-tendent les relations culturelles de l’Allemagne et ses politiques en matière d’éducation, ainsi que les mécanismes et les expériences qui y sont associés, car je crois que nous avons réussi à nous organiser de manière assez exceptionnelle. Si vous me le permettez, j’aimerais reprendre la déclaration liminaire depuis le début. Elle ne dure que six minutes et permet de couvrir l’ensemble du sujet.

Commençons par un bref survol historique. Après la Seconde Guerre mondiale, l’un des principes les plus importants de la politique allemande a été établi : le gouvernement n’a aucun pouvoir direct sur la culture et l’éducation, ni sur le territoire allemand ni à l’étranger. Ce principe découle de la conviction que l’organisation du dialogue culturel doit se faire indépendamment de la politique, pour que celle-ci ne puisse pas l’instrumentaliser. Les politiques culturelles relèvent ainsi de la compétence des 16 États fédéraux de l’Allemagne, et les relations étrangères en matière de culture et d’éducation se font par l’entremise d’un grand nombre d’organismes intermédiaires, en collaboration avec le ministère fédéral des Affaires étrangères.

En plus de la politique diplomatique et sécuritaire et de la politique commerciale extérieure, les relations culturelles extérieures forment le troisième pilier des affaires étrangères. La déléguée à la culture et aux médias, l’autorité fédérale suprême, a son propre champ de compétence. Il ne s’agit pas d’un ministère. Elle a notamment pour rôle de promouvoir les institutions culturelles d’importance nationale et d’améliorer les conditions générales des arts et de la culture en Allemagne.

Pour ce qui est des organismes intermédiaires, comme le Goethe-Institut et l’institut que je représente, ce ne sont ni des sociétés d’État ni des organismes de la société civile, mais des associations à but non lucratif qui ont conclu un accord-cadre avec la République fédérale d’Allemagne, représentée par le ministère des affaires étrangères, qui définit leurs activités à l’étranger et leur financement. Les détails de l’accord-cadre sont définis dans les accords cibles que les deux parties concluent pour une période de trois à cinq ans. Et quand on parle d’approbation, on parle en fait de latitude totale : aucune directive ne peut être donnée. Les relations avec le ministère des affaires étrangères se fondent sur la confiance, l’esprit de collaboration et l’ouverture. Voilà pourquoi on dit que les instituts sont « indépendants ».

Cette structure a plusieurs conséquences. Les relations culturelles avec l’étranger ne sont pas interprétées comme la promotion de l’image de marque d’une nation ou du développement économique, et ce ne sont pas des mesures gouvernementales. Au cours d’un important discours sur son programme prononcé en 2014, l’ancien ministre des Affaires étrangères, M. Frank-Walter Steinmeier a indiqué que les relations culturelles ne concernaient pas la défense des intérêts nationaux, mais plutôt la responsabilité envers le monde. Il a déclaré que, dans ce contexte, nous ne parlions pas de l’État, mais de la société, que les relations culturelles sont fondées sur le principe du dialogue et de l’équivalence et qu’elles visent à promouvoir la confiance en l’Allemagne à l’échelle mondiale.

D’abord et avant tout, la création d’espaces ouverts est à l’avant-garde du dialogue et du discours, ainsi que du travail créatif et de la compréhension. Par conséquent, le travail des organismes intermédiaires n’est pas lié à la diplomatie culturelle, mais plutôt aux relations culturelles ou au dialogue culturel.

Une partie des expositions que nous organisons s’inscrivent dans le cadre d’un vaste programme auxiliaire qui sert de plateforme pour illustrer d’une manière critique son point de vue et celui des autres. Cela englobe la perception que les principaux acteurs des relations culturelles externes sont la société civile, les villes et les régions, et non le gouvernement. La notion de culture qui sous-tend cette approche aborde tous les secteurs de la vie sociale, de la religion au sport, des droits de la personne à la prévention des conflits, et du développement à l’art.

L’approche précédente en matière de relations culturelles qui repose sur le dialogue a évolué au cours des dernières années vers des formes plus coopératives et, surtout, vers la coproduction, c’est-à-dire la négociation conjointe d’enjeux artistiques et sociaux avec des acteurs appartenant à d’autres sociétés. Selon notre interprétation, le travail culturel international commence par défendre la liberté d’opinion, les sciences et les arts.

La promotion de l’allemand en tant que langue étrangère a été entendue récemment à tous les secteurs de l’éducation. L’élément central de cette stratégie est le réseau mondial de l’Institut Goethe dont la présence sur le terrain joue un rôle extrêmement important, ainsi que le vaste réseau d’écoles allemandes à l’étranger et d’écoles soi-disant partenaires qui offrent des leçons d’allemand. La coopération scientifique ou, disons, la diplomatie scientifique a également été renforcée.

Au total, l’Allemagne a consacré 1,767 milliard d’euros à sa politique étrangère en matière de culture et d’éducation en 2016, dont 861 millions d’euros provenaient du ministère des Affaires étrangères. L’expérience démontre que la réputation généralement bonne dont jouit l’Allemagne à l’étranger a été bâtie sur plusieurs générations et, si cette réputation devait être utilisée pour décrire notre pays, on dirait de lui que c’est un partenaire digne de confiance, juste et transparent qui est à la recherche d’une compréhension interculturelle.

Il est important de réaliser que des relations culturelles sont nouées lorsque des relations humaines sont établies. Cela signifie que les programmes d’échanges sont un important outil dans le contexte des relations culturelles avec l’étranger. À cet égard, il est essentiel de créer un accès à la culture et à l’éducation qui transcende les frontières politiques, géographiques, culturelles et sociales.

En raison des développements actuels, comme un réseautage intensifié des acteurs de la société civile et la migration, qui font disparaître les frontières, on fait de plus en plus fréquemment la promotion de la liaison entre la politique culturelle interne et la politique culturelle externe afin, notamment, d’exploiter les synergies qui existent entre les nombreux projets et initiatives entrepris par des acteurs culturels d’Allemagne.

Bien entendu, nous exerçons nos activités d’une manière stratégique dans des pays clés comme la Chine, la Russie, les États-Unis — ce que nous appelons l’« année de l’Allemagne aux États-Unis » est sur le point de commencer —, l’Afrique et, bien sûr, l’Europe. Nous collaborons avec un réseau mondial de spécialistes de la culture, d’institutions culturelles et de réseaux culturels pour relever des défis mondiaux, en nous y attaquant à titre d’alliance mondiale d’acteurs culturels.

En outre, nous élaborons des stratégies pour exercer nos activités dans des États autocratiques, nous développons systématiquement le domaine de la communication numérique — ou, disons, la diplomatie numérique —, et nous accompagnons toutes nos mesures, également sur le plan scientifique, non seulement pour réaliser des projets, mais aussi pour en tirer quelque chose. À cet égard, l’IFA est l’un des groupes de réflexion les plus influents du monde, et il est doté de la plus importante bibliothèque spécialisée dans le domaine des échanges culturels du monde entier. Elle est aussi spécialisée dans le domaine de l’éducation complémentaire sur les relations culturelles et sur des sujets liés aux politiques en matière d’éducation, qui vont de la diplomatie numérique à la compréhension de la Russie, par exemple.

Nous sommes très heureux d’offrir notre soutien au Canada pour le renforcement de ses relations culturelles internationales et le réalignement de sa politique étrangère en matière de culture, et de poursuivre les échanges à ce sujet dans le futur. Merci beaucoup.

La présidente : Merci, monsieur Grätz. Vous avez respecté le temps imparti et vous avez réussi à résumer la position officielle de l’Allemagne et le travail que vous faites d’une manière très étonnante. Je crois que votre approche est très différente de celle du Canada et qu’elle mérite vraiment d’être étudiée.

Le sénateur Oh : Merci de votre présentation. Pouvez-vous expliquer ce que le gouvernement allemand fait pour promouvoir votre culture dans le contexte des nouvelles technologies? Quels sont les défis auxquels vous êtes confrontés dans le cadre des initiatives internationales dans le monde mobile d’aujourd’hui?

M. Grätz : Je vais répéter pour être certain d’avoir bien compris. La première question concerne la promotion de la culture allemande? C’est bien cela?

La présidente : Peut-être que ce n’est pas clair. La question est de savoir comment vous vous servez de la promotion de la culture dans la société numérique d’aujourd’hui. C’était, je crois, le fond de la question. Est-ce que j’ai bien compris, sénateur Oh?

Le sénateur Oh : Oui.

La présidente : Merci.

M. Grätz : Eh bien, je crois que, qu’on parle de diplomatie numérique ou d’utilisation des réseaux sociaux, il s’agit de l’un des plus importants enjeux aujourd’hui.

Par exemple, nous devons d’abord comprendre que nous avons perdu de vue nos groupes cibles. Si vous utilisez Facebook, par exemple, tous les utilisateurs de la planète forment votre groupe cible et c’est à eux que s’adressent vos communications.

Ensuite, il faut réaliser que nos interlocuteurs ne sont pas que les décideurs de demain, les élites et les leaders d’opinion, mais tout le monde. Cela a radicalement changé notre stratégie. Nous avons créé notre institut, mais nous avons également une académie au sein de cet institut pour former les diplomates sur cette question. Nous prévoyons des campagnes dans les réseaux sociaux et la gestion de ces derniers. Pour nous, les réseaux sociaux sont des outils pour entretenir les relations internationales en matière de culture.

Nous tentons également d’influer sur l’établissement des enjeux au moyen des forums de distribution numérique, mais, à vrai dire, nous n’en sommes qu’aux balbutiements. Je ne suis pas convaincu que je devrais utiliser Twitter tous les jours. Peut-être. De plus, il faut que notre institut offre à tout le monde une orientation sur les médias sociaux. Il s’agit d’une question complexe et nous sommes en cours d’apprentissage. Nous voyons que cela pourrait devenir notre principal canal de communication.

Nous discutons également de la gestion du risque et des pratiques exemplaires sur les réseaux sociaux. Nous recueillons des données et en avons récemment publié — si vous voulez, je pourrai vous envoyer le lien. Elles se trouvent dans une étude de notre programme de recherche intitulée Digital Training Camp : Taking traditional diplomacy in the digital age. L’étude porte sur les pratiques exemplaires et examine les défis, les problèmes et les risques. L’analyse a permis de conclure, entre autres, que la présence numérique est aujourd’hui une question importante en politique étrangère.

J’espère que cela répond à votre question.

Le sénateur Oh : Oui. Merci.

La présidente : Monsieur Grätz, le document dont vous avez parlé nous serait extrêmement utile; nous apprécierions grandement si vous pouviez en remettre une copie à notre greffière, celle qui avait communiqué avec vous.

M. Grätz : Je transmettrai à votre bureau un lien vers plein de choses au sujet de la diplomatie numérique. De plus, je vous transmettrai des renseignements au sujet de la structure de la formation sur la diplomatie numérique que nous offrons, notamment aux diplomates allemands, parce qu’il s’agit d’un nouveau domaine pour tout le monde. Nous en avons beaucoup à apprendre.

La sénatrice Cordy : Il est toujours intéressant de voir comment les autres pays se servent de leur diplomatie — la diplomatie culturelle dans le cas qui nous occupe. Il y a vraiment toute une panoplie d’éléments qui sont couverts par ce concept.

Au cours de vos interventions, vous avez parlé d’obtenir un résultat lors des projets. Je me demande si, avant d’entreprendre un échange culturel, vous fixez des objectifs au préalable. Déterminez-vous lesquels seraient les plus profitables pour l’Allemagne et lesquels ne lui serviraient pas? Employez-vous une telle stratégie?

M. Grätz : Non, nous n’en avons pas. Le nouveau format que nous tentons de mettre en place en est un de coproduction.

Par exemple, notre institut organise des expositions d’art contemporain d’Allemagne. Le point le plus important est qu’il s’agit d’art contemporain d’Allemagne, pas d’art contemporain allemand. Nos expositions comportent également des œuvres d’artistes de Colombie, en Amérique du Sud, de Turquie et d’Iran, parce que ces artistes habitent en Allemagne. Donc, nous considérons qu’il s’agit d’art contemporain d’Allemagne. Ce n’est pas toujours le cas, mais c’est ce que nous visons maintenant.

Surtout, nous sommes passés du dialogue à la coopération et nous sommes maintenant à l’étape de la coproduction. Pour la prochaine exposition, nous avons invité des commissaires de partout sur la planète — d’Inde, de Chine, du Brésil et d’Afrique. Nous leur avons demandé : « Quel type d’art contemporain d’Allemagne pourrait vous intéresser? » Puis nous avons créé une exposition modulaire, comme toujours, que nous déplaçons jusque dans les pays des commissaires en question et que nous complétons en tenant compte du point de vue artistique local. Dans chaque pays, l’exposition est différente et comprend un point de vue local.

L’objectif est de révéler quels sont les intérêts et les enjeux communs. De quoi devrions-nous parler? Par exemple, la question de la liberté de nos jours. Nous avons l’impression que nous l’avons perdue, ou que nous en avons perdu le sens : qu’est-ce que la liberté? Prenez M. Erdogan, qui dit que tous les journalistes en Turquie sont libres. Alors nous cherchons à voir de quelle façon les artistes s’expriment au sujet de la liberté. C’est nouveau. Nous l’essayons. Chacune des expositions comprend également une partie éducative et un élément de discussion.

Vous avez parlé d’obtenir des résultats des projets. Les riches expériences vécues dans nos expositions et ce que l’institut y a appris font que les expositions ont évolué, comme nous, et nous devrions en tirer un apprentissage. Notre position en est donc une d’apprentissage plutôt que de promotion. Évidemment, il y a promotion indirectement, mais ce n’est pas l’objectif principal. Le but est véritablement de parler et de discuter d’égal à égal.

La sénatrice Cordy : Si je comprends bien, vous dites que vous tenez compte de toutes les sphères de la culture, de l’importance de la culture aux yeux du peuple allemand et de la représentation des gens qui vivent en Allemagne. Si je vous demandais comment vous décrivez la stratégie de diplomatie culturelle, je suppose que vous me répondriez ce que vous venez de déclarer, à savoir que c’est la promotion de la culture produite à l’intérieur et à l’extérieur du pays.

M. Grätz : Oui. La stratégie vise à établir une réputation, un lien de confiance en étant aussi ouverte que possible aux intérêts des autres et en laissant les autres influencer la politique culturelle étrangère du pays. C’est la vraie façon d’entamer un dialogue et de réfléchir en profondeur aux moyens de créer une plateforme d’échange, plutôt que de simplement envoyer une œuvre et d’obtenir le commentaire suivant : « Eh bien, c’est magnifique. »

La sénatrice Cordy : Merci.

La sénatrice Saint-Germain : Ma question était la même que celle de la sénatrice Cordy, mais j’en ai une autre. Elle porte sur l’indépendance. Je vous remercie de votre introduction parce que je suis persuadée que votre intervention apportera une grande valeur ajoutée aux travaux du comité. Vous avez mentionné d’entrée de jeu que l’indépendance, particulièrement à l’égard des organismes politiques et des gouvernements, est très importante pour vous. D’où provient votre financement? En ce qui a trait à la mesure de votre efficacité, quels critères retenez-vous lorsque vous tentez d’obtenir du financement pour votre institut?

M. Grätz : Mon institut est financé à 90 p. 100 par le bureau des affaires étrangères. Je ne suis pas tout à fait certain, mais je crois que le Goethe-Institut est financé à peu près à 60 ou 70 p. 100 par le bureau des affaires étrangères. Le reste provient notamment de cours de langue. Bien entendu, nous cherchons toujours du financement de la part d’autres ministères ou, notamment, de fondations ou de l’Union européenne.

C’est un peu difficile à expliquer. Nous ne sommes pas entièrement indépendants et nous ne sommes pas membres de la société civile, mais nous ne sommes pas non plus un organisme gouvernemental. Nous sommes entre les deux. Nous nous qualifions parfois de quasi-ONG. Bien sûr, l’institut n’est pas complètement indépendant. Notre objectif a toujours été de collaborer de près et de façon consciencieuse et honnête avec le bureau des affaires étrangères.

La seule chose, c’est que nous discutons également avec le bureau des affaires étrangères pour déterminer quels seraient le meilleur genre d’approche, les meilleurs médias et les enjeux en matière de relations culturelles étrangères parce que nous possédons l’expérience en la matière. Bien entendu, le bureau détient certains renseignements au sujet de ses ambassades, par exemple. De plus, nous collaborons de près avec le Goethe-Institut. Nous possédons aussi notre propre expérience. Il s’agit d’une expérience différente de celle des organismes de l’État, soit les ambassades, parce que nous sommes désintéressés. Personne n’est d’avis que nous avons des intérêts à défendre. Nous avons des responsabilités, mais nous n’avons aucun intérêt à défendre.

Bien sûr, nous n’essayons pas de vanter les mérites de l’Allemagne et de la culture allemande. Nous tentons de convaincre les gens qu’il vaut toujours mieux d’entretenir un dialogue et de discuter des choses ensemble.

La sénatrice Saint-Germain : J’aimerais en savoir davantage sur le financement de votre institut, notamment les fonds fournis à 90 p. 100 par le ministère des Affaires étrangères. Ici, nous recevons très souvent des commentaires d’artistes qui tentent d’obtenir du financement d’Affaires mondiales Canada ou d’autres ministères publics. Ces artistes nous disent que les critères régissant le financement des artistes sont extrêmement technocratiques et que, très souvent, ils sont assujettis à une relation officielle avec le ministère. Sur les 90 p. 100 des fonds — soit la majeure partie de votre financement — j’aimerais savoir si le ministère impose des critères contraignants que vous devez respecter et auxquels vous devez vous conformer ou si vous avez une marge de manœuvre qui vous permet de financer certaines initiatives ou d’essayer d’expérimenter dans certains domaines.

M. Grätz : Il y a deux aspects à prendre en considération. Le premier, c’est que chaque département de l’institut possède un conseil. Très souvent, ce n’est pas nous qui décidons. Ce sont les conseils qui décident. Par exemple, le département des arts a été fondé par des artistes, des commissaires et des directeurs provenant de musées, alors nous ne sommes pas les seuls à décider.

Le deuxième, c’est que nous essayons de présenter le point de vue de l’Allemagne au cours des expositions internationales. Si une exposition a lieu dans le monde, disons une biennale, et que le ministère déclare : « Aucune œuvre allemande n’y est présentée », nous tentons de trouver un artiste ou nous demandons au ministère quel artiste il souhaite y voir présenter une œuvre, puis nous appuyons la participation de cet artiste à la biennale. Parfois, les artistes viennent nous voir en déclarant : « Nous souhaitons présenter certaines de nos œuvres dans une galerie en Iran. » Dans ce cas, nous demandons au conseil si le travail des artistes est d’assez haute qualité pour être présenté dans cette galerie par l’Institut pour les relations culturelles avec l’étranger et, s’il est d’accord, nous appuyons les artistes.

La sénatrice Ataullahjan : Je suis intéressée par le programme de bourses que l’Institut pour les relations culturelles avec l’étranger offre aux jeunes professionnels et aux bénévoles de l’Allemagne et des États islamiques en vue de travailler ensemble dans un autre pays afin de mieux se comprendre mutuellement. Pouvez-vous en dire davantage au sujet de ce programme, à savoir quand il a été lancé et comment vous mesurez son succès? Simplement en regardant ce qui se passe dans le monde, je crois qu’il s’agit d’une idée incroyable de lancer un programme comme celui-là, qui permet à des gens de se rencontrer dans un pays neutre afin de favoriser la compréhension mutuelle.

M. Grätz : Le programme s’appelle Cross Culture et il a maintenant environ 10 ans. Au cours de ces 10 années, nous avons amené près de 1 000 jeunes professionnels dans d’autres pays, en commençant par le monde islamique. Maintenant, nous avons ce que nous appelons le « module » pour la Russie, le Bélarus et l’Ukraine. Nous aimerions maintenant inclure un certain nombre de personnes de la Turquie dans le programme — non pas parce qu’il s’agit d’un pays musulman, mais parce que la relation de l’Allemagne avec ce pays est complexe.

Il faut rapprocher les gens, tout simplement parce que le dialogue culturel sert à changer légèrement le point de vue de tout le monde. Il s’agit d’un travail individuel. L’expérience de chacun est différente. Dans le cadre de notre programme, un grand nombre de participants ont un choc culturel lorsqu’ils arrivent en Allemagne parce que le pays est très différent du leur. Tout d’abord, ils doivent séjourner avec nous une semaine, parfois deux, à Berlin ou à Stuttgart, pour s’acclimater et apprendre le fonctionnement de l’Allemagne, c’est-à-dire les différences entourant les valeurs, les points de vue et, de toute évidence, les femmes. C’est très différent. C’est le premier élément.

Les participants vivent une excellente expérience — ce n’est pas toujours le cas, mais pour 80 p. 100 d’entre eux, l’expérience est fantastique. Je vais vous donner un exemple intéressant. Une femme d’Abou Dhabi, je crois, est venue en Allemagne et elle a travaillé pendant environ cinq mois pour Kinder Kanal, une chaîne télévisée pour enfants. Ensuite, elle est retournée à Abou Dhabi où elle a créé, au sein de la société de radiodiffusion d’État, la même chaîne télévisée exclusivement pour enfants en se fondant sur le modèle allemand. À mon avis, il s’agit d’une merveilleuse histoire. C’est une belle histoire qui témoigne également de l’incidence de ce programme.

Ce qu’on sait des relations culturelles, c’est que bon nombre des répercussions se feront sentir uniquement après des générations. Il faut être patient pour constater les résultats des relations culturelles. Nous invitons environ 100 personnes en Allemagne chaque année, et il y a plus de 1 000 personnes qui présentent une demande pour participer au programme.

La sénatrice Ataullahjan : Afin de poursuivre dans la même veine, vous affirmez que certains des jeunes qui viennent en Allemagne vivent un choc culturel. Qu’en est-il des jeunes Allemands qui interagissent avec les participants? Quelle a été leur expérience?

M. Grätz : En fait, sur la centaine de personnes qui vont vivre au sein d’une autre culture et d’une autre société, environ 90 sont des personnes de pays islamiques qui viennent en Allemagne et 10 sont des Allemands qui vont dans un pays islamique. Malheureusement, il y a davantage de gens qui souhaitent venir en Allemagne qu’il y a d’Allemands qui souhaitent travailler pendant six mois dans un pays islamique. Les Allemands ne vivent pas le même choc que les autres. Peut-être qu’ils sont mieux informés ou qu’ils ont une image différente d’eux-mêmes. Je ne sais pas. Les Allemands ont plus de facilité à survive dans un pays islamique qu’en ont les autres en Allemagne.

La sénatrice Ataullahjan : Peut-être que la situation dans le monde islamique est meilleure que ce qu’on pense. Je ne sais pas. Merci.

M. Grätz : C’est peut-être le cas.

La présidente : Sénatrice Ataullahjan, votre question portait-elle sur l’interaction entre les étudiants qui vont en Allemagne et ceux qui ne font pas partie du programme, mais qui interagissent avec eux ou sur les étudiants qui vont dans les pays islamiques?

La sénatrice Ataullahjan : Je parlais des deux. Le témoin a mentionné que les étudiants provenant de pays islamiques vivaient un choc culturel, alors je voulais connaître l’autre côté de la médaille. Notamment, lorsque les étudiants allemands vont dans un pays islamique, quelle expérience vivent-ils? Après tout, ils vont dans un pays différent. On a répondu à ma réponse, alors je vous remercie.

Le sénateur Cormier : Merci de votre exposé, monsieur. Je viens du secteur des arts et de la culture. Je suis un musicien et un homme de théâtre et je dois admettre que je suis profondément impressionné par l’approche que vous avez adoptée. Je suis émerveillé de voir comment vous placez l’artiste au cœur de votre stratégie. Je suis stupéfait lorsque vous dites que ce n’est pas de l’art allemand, mais de l’art provenant de l’Allemagne. À mon avis, votre approche respecte le processus de création, les artistes et leur capacité à entamer un dialogue franc sur des questions comme la liberté. Selon moi, cela ressemble à une situation idéale. Quelles sont les difficultés auxquelles vous êtes confrontés en tant qu’institut dans le cadre de vos relations avec le gouvernement? On dirait que les artistes sont assez libres. Vous mentionnez qu’il n’y a pas de promotion de l’image de marque du pays et que les artistes ne sont pas instrumentalisés, si je puis dire. J’aimerais connaître les difficultés que vous éprouvez parce que cette situation semble idéale.

M. Grätz : Bien entendu, il y a des difficultés et il est évident que les choses ne se déroulent pas toujours de cette façon, mais nous travaillons d’arrache-pied pour assurer le succès de la stratégie.

Quelles sont les difficultés? De nos jours, les difficultés résident dans la façon de travailler avec les dictatures et d’établir un dialogue avec des pays comme ceux du monde arabe, par exemple, notamment ceux des États du Golfe. C’est vraiment difficile. Nous soutenons toujours que, si le dialogue politique est rompu, nous devons continuer. Nous devons maintenir une présence. En dépit de ce qui se passe, nous ne pouvons pas quitter ces pays. C’est l’une des difficultés parce que, dans ces pays, les choses ne fonctionnent pas de la même façon. L’État contrôle tout, alors on ne peut pas dialoguer librement avec les artistes. De nos jours, il s’agit de la principale difficulté à laquelle nous sommes confrontés.

Le sénateur Cormier : Je voulais le savoir parce que vous avez mentionné que l’institut est un organisme indépendant. Je pensais à des difficultés avec votre propre gouvernement. Il doit y avoir un solide lien de confiance entre l’institut et les dirigeants gouvernementaux.

M. Grätz : Non, il n’y a pas vraiment de difficultés. Frank-Walter Steinmeier, le ministre des Affaires étrangères précédent, et Sigmar Gabriel, le ministre des Affaires étrangères actuel, ont toujours affirmé ceci : « Écoutez, les relations et la diplomatie culturelles sont l’aspect le plus important de notre travail. » Ils appuient entièrement la culture. Ils s’y intéressent beaucoup. Lorsqu’ils se déplacent ailleurs dans le monde, ils invitent toujours des artistes pour les accompagner — et non seulement des journalistes et des gens de l’industrie. En effet, Frank-Walter Steinmeier invite toujours beaucoup de musiciens, d’écrivains, d’artistes et de peintres. En 2016, l’Allemagne a investi 1,6 milliard d’euros dans la politique culturelle. C’est beaucoup d’argent, et cela témoigne de l’importance de la politique culturelle en raison de notre histoire. Après la Deuxième Guerre mondiale, les Alliés — c’est-à-dire les États-Unis, la France, la Russie et le Royaume-Uni — nous ont donné la chance de redevenir un pays civilisé. Selon moi, ce qui a rétabli le lien de confiance entre l’Allemagne et le reste du monde, c’est la culture.

Le sénateur Cormier : Merci beaucoup, monsieur. C’était très inspirant.

Le sénateur Massicotte : Ma question porte sur le dernier point que vous avez abordé. Dans la première partie de votre exposé, vous avez clairement mentionné que tous ces efforts, toute cette diplomatie culturelle, ont un grand objectif : renforcer la confiance qu’on a à l’égard de l’Allemagne. D’aucuns diront que c’est le cas de tout le monde. Nous avons tous des priorités et des objectifs. Au Canada, la ministre a déclaré qu’on utilise la diplomatie culturelle en vue de donner une impression favorable du Canada afin que les gens soient libres de visiter le pays, qu’ils soient encouragés à le faire, qu’ils soient encouragés à faire affaire avec nous, et cetera. Vous avez utilisé le mot « confiance ». Je soupçonne qu’il a un lien avec votre histoire, d’ailleurs, vous venez tout juste d’y faire allusion. Pouvez-vous en dire davantage à ce sujet? Est-ce différent des autres pays ou est-ce propre à votre histoire?

M. Grätz : C’est à cause de notre histoire, bien entendu. Le message que nous souhaitons véhiculer est que nous nous intéressons à la culture de nos partenaires. Nous ne nous contentons pas seulement de dire : « Nous aimerions que vous vous intéressiez à notre culture, mais en attendant, disons que nous nous intéressons à la vôtre », pour ensuite trouver un moyen de nouer le dialogue, d’être un partenaire équitable et d’aider nos partenaires aussi, sur le long terme. Autrement dit, nous ne nouons pas des liens pour réaliser un seul projet; nous cherchons toujours à ajouter de nouvelles organisations locales à notre réseau dans l’optique de travailler ensemble pendant plusieurs années. Chaque projet mène donc potentiellement à d’autres projets. Il est important que nos partenaires sachent que le dialogue se poursuivra et qu’ils ont une influence sur notre travail. C’est ce que nous cherchons à accomplir dans notre travail. J’ignore si les choses se passent toujours comme ça, mais c’est le principe.

Le sénateur Massicotte : L’intention étant toujours d’inspirer confiance en l’Allemagne; c’est bien cela?

M. Grätz : Oui.

Le sénateur Massicotte : Merci.

M. Grätz : Pourrais-je développer un point que nous considérons très important? Le réseau du Goethe-Institut est si important. Il y a 160 tels instituts dans le monde. Au Canada, ils sont à Toronto et à Montréal. Il est tellement important d’avoir l’infrastructure nécessaire pour que les gens puissent venir voir et rencontrer des Allemands et proposer d’éventuels projets. Mes collègues du Goethe-Institut vont dire : « C’est intéressant. Travaillons ensemble sur un projet. C’est une bonne idée, je propose qu’on la réalise ensemble. »

Le sénateur Massicotte : Je m’écarte un peu du sujet, mais étant donné que vos instituts à Montréal et Toronto ont pour objectif de faciliter la rencontre avec des Allemands, et surtout d’inspirer confiance en l’Allemagne… Le Canada a beaucoup d’immigrants allemands, qui ont bien entendu été naturalisés. Est-ce que vous vous servez de ces ambassadeurs dans l’atteinte de votre objectif d’inspirer confiance en l’Allemagne?

M. Grätz : Nous travaillons actuellement avec les minorités allemandes de l’Europe de l’Est — notamment en Pologne et en Bulgarie, mais aussi en Russie — car nous pensons qu’elles sont bien placées pour jeter des ponts. Tout dépend. Je suis Brésilien, j’ai grandi dans la communauté allemande à São Paulo. C’est un pays où l’on constate un genre d’assimilation culturelle, tout comme au Canada et aux États-Unis, parce que tout le monde est un immigrant, de proche ou de loin. J’ai discuté avec le gouvernement des possibilités de travailler avec les communautés allemandes au Canada, aux États-Unis, au Brésil et en Argentine. C’est important. Ce sont nos ambassadeurs à l’étranger. Nous aurions intérêt à travailler avec eux davantage. Malheureusement, nous n’avons pas reçu le financement pour le faire — seulement pour travailler avec les minorités allemandes. Il s’agit de minorités officielles en Pologne, en Roumanie et ailleurs. Il y a beaucoup de potentiel ici.

La présidente : Nous approchons la fin de la période des questions; je serai d’ailleurs parmi les dernières à en poser.

Il y a un sujet dont on parle au Canada et que vous n’avez pas abordé, soit la commercialisation des activités culturelles et l’utilisation de nouvelles technologies. Le gouvernement estime qu’au-delà des occasions qu’il représente pour les artistes et tout ça, le milieu culturel a également une dimension économique et un impact sur la création d’emplois, et cetera. En quoi est-ce une considération en Allemagne? Est-ce même une considération?

M. Grätz : Nous commençons à en parler parce que nous avons compris que nous avions intérêt à mettre davantage l’accent sur la dimension économique de nos activités, et pour ce faire, nous devons travailler avec les industries créatives. En septembre, nous organisons une exposition de design allemand à la biennale du design de Londres. Nous cherchons à apprendre de nos interactions avec les industries créatives afin de savoir comment travailler ensemble et s’aider les uns les autres, mais nous n’en sommes qu’aux débuts. Ce n’est pas notre but premier. Il y a des rapprochements, mais notre but n’est pas de créer des emplois ou quoi que ce soit. La biennale de design de Londres sera l’occasion pour nous de faire la promotion de l’industrie créative allemande, surtout en matière de design. Nous commençons à nous intéresser à la question.

La présidente : Les groupes culturels en Allemagne ont-ils leurs propres moyens de financement? Je suppose que oui. Vous n’auriez pas trois maisons d’opéra à Berlin si ce n’était pas le cas. Où entrent-ils dans le processus? Ils obtiennent leur argent selon un système donné, autant au niveau du gouvernement fédéral que des gouvernements d’État, et puis vous avez aussi votre propre argent pour renforcer la confiance et la compréhension culturelle en général… Et vous travaillez autant dans votre pays qu’ailleurs. Si nous voulons connaître les sommes consacrées à la communauté culturelle en Allemagne, y a-t-il un endroit où nous pouvons trouver cette information?

M. Grätz : Je peux vous la trouver et vous l’envoyer. Je ne le sais pas exactement. La politique culturelle étrangère, ou plutôt nos relations culturelles étrangères, et la politique culturelle nationale sont entièrement distinctes, malheureusement. Elles relèvent de ministères différents. Le ministère des affaires étrangères est responsable de la politique culturelle étrangère et les États allemands financent cette infrastructure. Ils financent tout.

Nous avons quelque 153 orchestres en Allemagne — je parle d’orchestres complets, financés par les États, par les villes, par les Länder. Nous essayons d’apprendre de nos expériences. Il est important que les connaissances acquises à l’étranger soient communiquées en Allemagne. À cause de la migration et de beaucoup d’autres facteurs, nous avons comme vous une société interculturelle, ce que nous comprenons maintenant. Il est vraiment important que la politique culturelle nationale allemande se tourne davantage vers l’extérieur et s’inspire de ce qui se fait ailleurs.

Ce sont deux ministères distincts. Des discussions sont en cours avec le gouvernement en vue de créer, pour la première fois dans l’histoire de l’Allemagne depuis la Seconde Guerre mondiale, un ministère de la culture, mais ça n’a pas marché. Ils coopèrent parfois, mais ils se font également concurrence.

La présidente : Vous choisissez vos mots avec soin. Il y en a parmi nous qui se seraient exprimés plus énergiquement.

Il y a un autre sujet que j’aimerais aborder. Vous avez dit qu’il y a des dialogues dans votre domaine et que vous cherchez à déterminer qu’un projet a du mérite artistique avant d’entrer en partenariat. L’une des questions que je me pose souvent, c’est si nous voulons créer ces liens entre les arts et les affaires et si nous voulons montrer le visage du Canada dans le monde entier, choisissons-nous seulement les meilleurs des projets, ou bien faut-il également avoir des projets inhabituels et locaux? C’est une difficulté que nous avons au Canada, du moins dans les domaines que je connais. Est-il préférable de choisir une petite chorale d’une école qui fait quelque chose d’original et lui permettre d’avoir cette expérience, ou bien de privilégier nos fantastiques institutions nationales?

M. Grätz : C’est une bonne question. Les choses ont changé depuis quelques années, mais auparavant, nous visions les décisionnaires, les gens influents, les médias, les élites du pays. Il est important d’avoir un bon contact et de savoir qui façonne l’opinion et comment nous pourrions, comment dire, avoir une influence sur l’ordre du jour des discussions. Ce que nous ont appris les nouveaux partis d’extrême droite en Allemagne, en Europe et aux États-Unis, c’est l’importance, en plus de comprendre leurs besoins — je ne sais pas; je m’excuse, peut-être que ce n’est pas un sujet politiquement correct ces temps-ci — le Moyen-Orient n’est peut-être pas notre groupe cible, mais il faut que nous nous tournions vers de nouveaux groupes. Aussi, dans les nouveaux médias, quand on poste un message sur Facebook, cela génère de nombreuses réponses, ce qui aide nos groupes cibles. Peut-être même tout le monde. Il faut essayer de communiquer. Ils ont le droit d’avoir une réponse. Nous avons vu comment les partis d’extrême droite — je n’ai rien contre les conservateurs, mais en Allemagne, c’est vraiment un problème, et le parti d’extrême droite, l’AfD, a un certain point de vue de l’Allemagne et de la culture allemande, et il voudrait refermer le pays. À mon avis, c’est dangereux. Nous avons perdu un peu, ou peut-être que nos contacts avec ceux qui expriment ouvertement leurs arguments en faveur d’une certaine position nationale laissaient à désirer. Je pense donc que nous ne devrions pas seulement travailler avec les élites, mais aussi nous tourner vers d’autres cibles. Ce n’est pas facile. Nous n’avons aucun contact. Nous comprenons mal leur mode de pensée.

La présidente : Et pourtant, ce sont vos citoyens?

M. Grätz : Oui.

La présidente : L’autre question, c’est que la plupart de nos leaders ont une conception particulière de la culture. Les jeunes la définissent entièrement différemment; vous avez fait quelques références à Facebook. Même leurs produits, la façon dont ils s’expriment et les outils qu’ils utilisent sont entièrement différents. Je pense quand même que la culture continuera d’être définie comme avant, mais il faudra tenir compte de ces nouveaux secteurs; c’est la nature du spectacle, comme on dit.

Comment mesure-t-on la culture? Ce sera une des parties les plus compliquées de notre rapport — comment définir la diplomatie culturelle. Faut-il adopter une approche plus stricte? Vous avez parlé d’éducation et de culture. Souvent, ça englobe les sports aussi. Il y a beaucoup de définitions différentes. Définissez-vous la diplomatie culturelle, ou bien vous y prenez-vous comme avant, je pense — et je vais relire vos notes —, en vous concentrant sur les objectifs et les principes au lieu de vous attarder sur la définition?

M. Grätz : Personnellement, j’ai beaucoup de mal à définir la culture. Je pense que la culture a une influence sur tous les aspects de la vie, et donc, en ce qui nous concerne, le sport fait partie de la culture, la religion fait partie de la culture. Nous travaillons aussi avec le secteur du jeu. C’est une culture, ce n’est pas du jeu. C’est si difficile à définir que je préfère reformuler la question en disant que, de travailler dans le milieu de la culture, c’est créer des plateformes. Je vais vous donner un exemple tout simple illustrant ce qu’inclut la culture selon nous et comment nous planifions notre réponse.

Vous vous souvenez du scandale avec Charlie Hebdo à Paris ou bien des caricatures dans le Jyllands-Posten au Danemark et tout ce qui s’est passé. J’estime que le mouvement « Je suis Charlie » était très mal avisé. La culture, ou plutôt les acteurs culturels devraient reconnaître le conflit culturel entre la liberté d’opinion et les positions qu’une autre culture considère inadmissibles. Dans le cas de l’Allemagne, c’est de négliger l’holocauste. C’est inadmissible. L’holocauste a eu lieu, c’est donc inadmissible. Dans tous les autres pays du monde, on peut dire que ça n’a pas eu lieu. En fait, je pense que c’était le bon moment; il serait préférable de créer un dialogue pour comprendre comment — les musulmans. Nous ne comprenions pas. Tout revient à la liberté d’opinion, ou non. La réalité est beaucoup plus complexe, donc en matière de culture, peut-être que de créer un dialogue entend l’ouverture à différentes opinions, même dans des sujets délicats.

Nous œuvrons dans le domaine de la culture et du développement, ou de la culture et des changements climatiques, ou bien de la culture et des droits de la personne. Tout notre travail porte sur la culture, les valeurs, et la façon dont on pense, dont on se définit — sur l’identité. Donc, selon moi, le tout comprend la culture.

La présidente : Merci.

M. Grätz : Cela ne sert pas à créer une stratégie diplomatique culturelle, mais…

La présidente : Vous en avez fait un sujet encore plus complexe que celui dont nous avons discuté.

La sénatrice Bovey : Je comprends que notre temps s’achève, et je serais heureuse d’avoir l’occasion de prolonger cette conversation.

Je pense que le mot « identité » est vraiment important. Comme mon collègue le sénateur Cormier, je viens également du milieu artistique et culturel. Je viens du monde des arts visuels, et je suis très intriguée de vous entendre parler d’apprentissage, de confiance et d’ouverture.

J’aimerais d’abord vous offrir des remerciements et des félicitations. Je pense que le travail que vous avez effectué au Canada, ainsi que celui du Goethe-Institut, est très enrichissant et vraiment extraordinaire. Au cours des dernières années, il y a eu une exposition des trésors du musée de Berlin en tournée à Québec et à Winnipeg. On constate un intérêt croissant au Canada pour l’art des expressionnistes allemands, notamment pour certains qui sont moins connus.

Je pense que vous avez partagé non seulement vos trésors, mais aussi vos moments difficiles; en particulier, vous avez mentionné l’Holocauste. Cela ne fait pas si longtemps que ces trésors nazis ont été trouvés dans l’appartement à Munich; cette découverte est suivie de près sur l’écran radar au Canada. Dans mon entourage, il a été question de la façon de favoriser la compréhension, grâce à ces trésors, de ce que vous avez vécu pendant l’Holocauste, et de quelques autres questions mondiales.

Je tiens à vous remercier d’avoir élaboré ces plateformes. Ces conversations-là continueront, et il s’agit de conversations très importantes. Ce sera merveilleux d’accueillir la tournée de ces œuvres d’art récupérées au Canada, mais ce sera un sujet pour un autre jour.

Ma question porte sur les jeunes artistes canadiens. Je pense que vous savez fort bien que nombre d’artistes canadiens se rendent à Berlin et dans d’autres régions de l’Allemagne pour deux ans, quatre ans, et parfois même des dizaines d’années, car il y a là une liberté d’expression, et ils pensent qu’en apportant leur art en Allemagne, ils peuvent y prendre des risques avec leur travail qu’ils ne pourraient pas prendre au Canada, de crainte d’échouer. De plus, ils cherchent de nouveaux modes d’expression.

Ai-je raison de dire que le gouvernement allemand ou votre institut aide ces artistes à payer leurs frais de studio, en Europe et en Allemagne?

M. Grätz : Mon institut ne le fait pas ni le Goethe-Institut. Notre soutien n’est pas destiné aux artistes des pays étrangers qui habitent en Allemagne. Nous n’appuyons pas non plus les artistes allemands qui habitent en Allemagne. Par contre, s’il y a, par exemple, des artistes canadiens qui aimeraient participer à une exposition en Allemagne, il serait intéressant que nous les invitions afin d’avoir aussi une perspective canadienne en Allemagne.

De plus, disons qu’un conservateur ou un directeur de musée canadien aimerait venir en Allemagne, peut-être à Berlin pour discuter avec ses collègues berlinois d’une collaboration. Nous soutenons ce genre de choses. Nous pouvons financer cette initiative, certes, mais pas pour ceux qui habitent en Allemagne.

La sénatrice Bovey : Je pense qu’il s’agit d’une porte ouverte importante alors que nous parlons de dialogue culturel et d’échanges culturels dans toutes les disciplines. Comme je l’ai dit, je pense que ce que je retiendrai de notre échange aujourd’hui sera l’apprentissage continu, et le fait que vous faites cela pour apprendre, en plus de bâtir la confiance avec les autres pays.

Pour conclure, j’aimerais simplement dire que ce comité a appris récemment que le Canada a été invité à participer à la foire du livre de Francfort, en 2020. Je pense que les portes s’ouvrent, madame la présidente et, selon moi il s’agit de portes importantes. Au cours des apprentissages que vous faites, j’espère que nous pourrons aussi apprendre, et profiter de votre soutien pour aider le Canada à redéfinir notre diplomatie culturelle. J’aimerais affirmer, madame la présidente, que nous avons un mentor avec nous ce matin.

La présidente : Je pense que cela clôt bien notre séance. Certainement, nous avons accueilli d’autres témoins, et ceux-ci nous ont beaucoup aidés au Canada, mais nous avons voulu obtenir des témoignages de l’étranger. Nous vous sommes très reconnaissants d’avoir témoigné devant nous une deuxième fois. Cela a été très utile pour élargir les termes de ce que la diplomatie culturelle pourrait représenter comme dialogue, comme échange. Je pense que l’expérience de l’Allemagne dont vous nous avez parlé nous a permis de nous enrichir. Nous vous convoquerons probablement de nouveau au fur et à mesure que nous étoffons notre étude. Nous voulons nous assurer de traiter de l’avenir de la diplomatie au Canada, alors nous allons en étudier l’administration, mais également le contenu et les nouvelles visions pour le contenu canadien, auquel vous avez apparemment réfléchi et que vous préparez déjà. Je pense que nous avons pris un peu d’avance sur vous en ce qui a trait aux industries culturelles. Vous aimeriez peut-être donc étudier les exemples canadiens sur ce plan, mais nous avons certainement beaucoup appris sur le plan de la politique étrangère.

Merci d’avoir eu l’amabilité de témoigner une deuxième fois.

M. Grätz : Je vous remercie de votre intérêt.

La présidente : Honorables sénateurs, j’ai deux commentaires à faire. Nous avons reçu une réponse du gouvernement à notre rapport sur l’Argentine. La réponse nous a été transmise. Le comité directeur décidera si nous voulons un autre suivi de la réponse.

À notre retour, nous aborderons les aspects internationaux du projet de loi C-45. Je vous rappelle encore une fois de signaler si vous avez des témoins. Sinon, le comité directeur en a une liste, et il a préparé un ordre du jour. Nous commencerons par celui-ci, en gardant à l’esprit que nous avons jusqu’au 1er mai pour soumettre notre rapport, alors nous avons peu de temps. Nous espérons pouvoir regrouper les témoins, entamer la rédaction du rapport et en discuter. Je crois que la limite imposée à notre mandat était que nous ne pouvons pas apporter de modifications au rapport, mais je crois que nous pouvons en commenter les aspects positifs et négatifs, car je crois que c’est uniquement le Comité des affaires sociales qui proposera des modifications.

Je vous remercie.

(La séance est levée.)

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