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AEFA - Comité permanent

Affaires étrangères et commerce international

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et du commerce international

Fascicule no 44 - Témoignages du 26 avril 2018


OTTAWA, le jeudi 26 avril 2018

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd’hui à 10 h 30 pour étudier l’impact de la culture et des arts canadiens sur la politique étrangère et la diplomatie du Canada ainsi que leur utilisation dans ces domaines, et d’autres questions connexes.

La sénatrice A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Honorables sénateurs, la séance du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international est ouverte. Le comité a eu l’autorisation du Sénat d’étudier l’impact de la culture et des arts canadiens sur la politique étrangère et la diplomatie du Canada ainsi que leur utilisation dans ces domaines, et d’autres questions connexes.

Le comité est donc ravi de poursuivre son étude aujourd’hui et d’entendre la Coalition canadienne des arts. Je vous rappelle qu’un mémoire a été soumis au comité au début du mois de mars.

Avant de céder la parole à nos témoins et de les présenter, je demanderais aux sénateurs de se présenter.

[Français]

Le sénateur Dawson : Dennis Dawson, du Québec.

[Traduction]

La sénatrice Bovey : Patricia Bovey, du Manitoba.

[Français]

Le sénateur Cormier : René Cormier, du Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Massicotte : Paul Massicotte, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Oh : Victor Oh, de l’Ontario.

Le sénateur Tannas : Scott Tannas, de l’Alberta.

La présidente : Je m’appelle Raynell Andreychuk, de la Saskatchewan.

Comme je l’ai mentionné, nous accueillons aujourd’hui la Coalition canadienne des arts. Nous avons avec nous Frédéric Julien, coprésident de la Coalition canadienne des arts, et Renuka Bauri, membre de la Coalition canadienne des arts, Comité de direction nationale, et directrice aux communications et à la promotion des droits au Front des artistes canadiens. C’est un titre fantastique à mon avis.

Nous entendrons vos exposés, puis nous vous poserons des questions. Bienvenue au comité.

[Français]

Frédéric Julien, coprésident, Coalition canadienne des arts : Merci, madame la présidente, de m’avoir donné l’occasion de comparaître devant le comité au nom de la Coalition canadienne des arts.

Notre discours d’ouverture abordera deux thèmes liés à l’étude du comité. Dans un premier temps, nous parlerons des liens entre la diplomatie culturelle et les enjeux d’intérêt national et les valeurs sociales. Dans un deuxième temps, nous parlerons des cadres nationaux et internationaux qui favorisent ou limitent l’utilisation de la diplomatie culturelle. Nous avons retenu ces thèmes, car il nous apparaissait important de les porter à votre attention, puisque ce sont des points de vue complémentaires aux témoignages entendus jusqu’à présent dans le cadre de cette étude sur la diplomatie culturelle.

[Traduction]

Un des buts de la diplomatie est de faire avancer les dossiers nationaux communs. Par exemple, pendant plus de 15 ans, le Canada s’est servi de la diplomatie pour établir la protection de la diversité de l’expression culturelle comme activité humaine clé pour le Canada et les pays partenaires par le truchement de l’UNESCO.

De quels intérêts est-il question? Les questions d’intérêt national sont ainsi en raison de leur grande importance pour les citoyens du pays.

Nous aimerions donc attirer l’attention du comité sur le rôle que les artistes et les organisations artistiques peuvent jouer dans le contexte de la diplomatie culturelle pour faire avancer de telles questions.

Lorsque des artistes et des organisations artistiques participent à des missions commerciales, on peut s’attendre à certains résultats. Des résultats quantitatifs comme des tournées, des coproductions et d’autres échanges culturels sont attendus à titre de mesures traditionnelles de la réussite des missions commerciales.

Les résultats qualitatifs sous la forme d’échanges de connaissances, toutefois, ne sont souvent pas pris en compte. Pourtant, les échanges de connaissances se font naturellement à mesure que des relations individuelles sont établies grâce à la diplomatie culturelle. Ces échanges peuvent découler d’heureux hasards, mais ils peuvent aussi être le fruit d’efforts délibérés entourant des questions d’intérêt national comme la réconciliation entre les peuples autochtones et non autochtones.

Par exemple, l’année dernière, des missions commerciales en Australie avaient pour but intentionnel de réunir des artistes et des organisations artistiques engagés dans des processus de réconciliation. En plus de tournées internationales d’artistes autochtones, on a obtenu une sensibilisation accrue à la vision autochtone du monde et l’échange d’idées et de stratégies pour prendre des mesures favorables à la réconciliation.

Évidemment, les missions commerciales ne peuvent pas et ne devraient pas toujours être axées sur des efforts précis d’échanges de connaissances. Toutefois, lorsque des échanges de connaissances fondés sur les valeurs s’opèrent autour, par exemple, de la réconciliation, de la parité entre les sexes ou de mesures pour contrer le harcèlement, on est en droit d’espérer que ce soit reconnu comme une contribution très précieuse d’échanges culturels pour les affaires étrangères et la diplomatie du Canada.

J’aimerais maintenant parler des cadres qui soutiennent ou limitent la diplomatie culturelle. Le mois dernier, la Coalition canadienne des arts a soumis un mémoire sur la réciprocité et les cadres réglementaires qui touchent le commerce et la diplomatie culturelle. Ce mémoire examinait trois de ces cadres: la réglementation concernant les travailleurs étrangers, la fiscalité internationale et la propriété intellectuelle.

Bien que le Programme canadien des travailleurs étrangers temporaires ait fait l’objet de reportages négatifs dans les médias, le fait est que la réglementation canadienne en matière de travail est assez progressiste et a fait en sorte de faciliter les choses pour les entreprises artistiques canadiennes qui veulent inviter des artistes étrangers au Canada dans l’espoir d’obtenir une invitation à leur tour. Malheureusement, la réglementation des autres pays n’est pas toujours aussi accueillante que la nôtre.

Les nouvelles négociations commerciales entreprises par le Canada présentent des occasions d’enrayer ou de réduire les obstacles à la mobilité des artistes. Par exemple, dans la renégociation de l’entente de libre-échange nord-américain, les négociateurs du Canada ont exercé des pressions pour obtenir une plus grande mobilité transfrontalière pour les gens d’affaires en vertu du visa TN pour professionnels de l’ALENA ayant le statut non-immigrant. L’Association canadienne des organismes artistiques et la Coalition canadienne des arts ont demandé que les artistes de la scène soient ajoutés à la liste des professions visées par le visa TN.

Les renégociations tirant à leur fin, nous espérons que ce vœu sera exaucé. Nous espérons aussi que les considérations liées à la mobilité des artistes fassent partie intégrante des négociations commerciales à l’avenir.

La fiscalité internationale peut aussi constituer un obstacle administratif et financier considérable à la mobilité des artistes et peut nuire aux relations réciproques avec nos partenaires commerciaux étrangers. Nos conventions fiscales sont la source de ce problème. L’article 17 du Modèle de convention fiscale de l’OCDE crée un traitement fiscal particulier qui permet aux États d’imposer les artistes en fonction des pays où ils se produisent.

Par conséquent, les groupes et les compagnies artistiques étrangers qui se produisent au Canada voient l’impôt sur le revenu prélevé sur leurs honoraires. Ils doivent aussi prélever l’impôt sur les paiements effectués aux artistes. Ils doivent en outre remplir et soumettre une déclaration T4A, de même que produire une déclaration de revenus au Canada. On estime que les coûts de cette conformité au régime fiscal seraient au moins quatre fois plus élevés que les revenus recueillis par le gouvernement canadien.

Même s’il n’est pas facile de rouvrir des traités fiscaux, le gouvernement pourrait profiter des initiatives de diplomatie culturelle pour négocier des suspensions bilatérales volontaires de l’article 17, afin de le remplacer par des politiques administratives plus souples. Les modalités d’une telle suspension pourraient être reflétées dans des lettres d’accompagnement juridiquement contraignantes, comme celles qu’on a utilisées pour négocier l’Accord de Partenariat transpacifique global et progressiste.

Nous estimons que c’est une façon efficace de renforcer nos liens diplomatiques avec nos partenaires étrangers et de réduire les obstacles qui, autrement, saperaient nos efforts commerciaux.

La propriété intellectuelle est aussi une question liée au commerce et à la diplomatie, puisqu’un artiste n’a pas droit à des redevances dans un autre pays, à moins que les deux pays ne disposent du même régime de droit d’auteur et que leurs organisations de gestion collective n’aient conclu une entente de réciprocité.

Dans les arts visuels, le droit de revente de l’artiste est un mécanisme fondé sur le marché qui permet aux artistes des arts visuels de percevoir 5 p. 100 de redevances sur le prix de vente chaque fois que leurs œuvres sont revendues par l’intermédiaire d’une maison de vente aux enchères ou d’une galerie commerciale.

Le droit de revente de l’artiste existe dans 93 pays, notamment dans plusieurs pays partenaires commerciaux du Canada: le Royaume-Uni, l’Irlande, le Mexique, l’Australie et l’Inde. Le droit de revente de l’artiste a été légiféré et intégré à la loi européenne et l’Union européenne a demandé au Canada de le mettre en œuvre pendant les négociations de l’AECG, sans succès. Le Canada n’a toujours pas adopté le droit de revente de l’artiste.

Les artistes canadiens et les artistes autochtones en particulier ne profitent nullement des énormes bénéfices découlant de la revente de leurs œuvres sur le marché secondaire, au Canada ou ailleurs.

L’artiste inuite Kenojuak Ashevak a vendu son œuvre intitulée Enchanted Owl 24 $ en 1960. Cette même œuvre a ensuite été revendue 58 000 $. Mary Pratt a vu 36 de ses œuvres être vendues aux enchères entre 1996 et 2013. La redevance totale qu’elle aurait pu percevoir sur son droit de revente se serait élevée à 21 000 $.

La diplomatie culturelle suppose de permettre aux artistes et à leurs œuvres de traverser les frontières, mais ça ne se limite pas à cela uniquement. Cela implique également le respect des valeurs sociales, comme une juste rémunération, ainsi que la promotion des intérêts nationaux, dont la réconciliation et la protection de la diversité culturelle dans nos missions et négociations commerciales et autres initiatives de diplomatie culturelle.

Le sénateur Oh : Merci pour votre exposé. J’aimerais vous poser une question sur l’imposition des artistes se produisant à l’étranger.

Avec combien de pays le Canada a-t-il signé des traités fiscaux pour éviter la double-imposition? Existe-t-il d’importants marchés internationaux qui sont importants pour les artistes canadiens, mais qui n’ont pas signé de tels traités avec nous? Comment le gouvernement et votre association peuvent-ils aider en ce sens?

M. Julien : Je ne suis pas en mesure de vous donner le nombre exact de pays avec lesquels nous avons des traités fiscaux, mais nous en avons avec quasiment tous les pays du monde.

Ces traités ne sont pas les mêmes. Ils s’inspirent tous du Modèle de convention fiscale de l’OCDE, mais il y a des pays qui préfèrent différentes approches.

Par exemple, dans quelques pays européens, il existe des exclusions précises qui font en sorte que les artistes des deux pays peuvent se produire dans l’autre pays sans être imposés dans ce pays, s’ils ont reçu de l’aide du gouvernement pour des raisons de diplomatie culturelle ou d’échanges culturels.

Dans d’autres pays, en revanche, il y a certains niveaux d’exclusion. Avec les États-Unis, par exemple, il existe un seuil en dessous duquel les exigences sont plus faibles.

Il existe des façons de s’assurer que la fiscalité internationale ne nuise pas à la mobilité des artistes ni à nos efforts commerciaux et de diplomatie culturelle.

Lorsque nous disons qu’il serait possible de négocier la suspension volontaire de l’article 17, nous ne cherchons pas à l’abandonner complètement, mais nous souhaitons seulement explorer d’autres façons équitables d’aborder l’imposition lorsqu’il y a des taxes ou des impôts à payer et nous ne voulons pas imposer de fardeau excessif aux autres. Voilà ce que nous aimerions faire, soit au moyen de ces suspensions volontaires, soit directement, à l’avenir, au moyen de traités fiscaux.

Le sénateur Oh : J’ai une question supplémentaire. Je reçois toujours des demandes de dernière minute pour aider en cas de problèmes d’obtention de visa. Les artistes se préparent longtemps à l’avance pour se produire dans notre pays. À la dernière minute, la moitié du groupe ne peut pas venir, car les membres n’arrivent pas à avoir de visas de touriste. Qu’en pensez-vous?

M. Julien : Tous les pays n’exigent pas de visa. Un bon nombre d’entre eux sont dispensés de visas, mais il y a effectivement des cas où le processus d’obtention de visas peut poser problème. Bien sûr, les compagnies en tournée doivent s’atteler à l’obtention de leur visa très tôt.

Dans les arts de la scène en particulier, un des problèmes c’est qu’on ne connaît pas la composition du groupe jusqu’à quelques mois avant le spectacle. Les artistes principaux ont peut-être été embauchés longtemps avant cela, mais ceux qui tiennent les rôles secondaires sont parfois embauchés plus tard dans le processus.

Cela retarde le moment du dépôt de la demande de visas. Cela s’applique aux artistes étrangers qui viennent au Canada et aux artistes canadiens qui vont à l’étranger. Par exemple, aux États-Unis, le processus d’obtention de visas est très exigeant, coûteux et lent. Cela empêche souvent les artistes de franchir la frontière à temps.

[Français]

Le sénateur Cormier : Merci énormément de votre présentation très éclairante, qui met en relief des enjeux fondamentaux, notamment la double imposition et les droits de suite, en ce qui concerne la circulation des artistes et des œuvres. J’aimerais particulièrement vous entendre au sujet de l’impact que cela a sur les organisations artistiques canadiennes qui travaillent pour la circulation des artistes sur le plan organisationnel, des défis liés à la double imposition et, plus indirectement, des droits de suite. Pour avoir été dans le secteur culturel et avoir fait du travail d’accueil d’artistes, de coproduction ou de codiffusion avec des compagnies étrangères, il y a une série d’enjeux et de frais qui empêchent les compagnies de fonctionner. Pouvez-vous nous parler un peu de cette question et nous dire comment le gouvernement fédéral pourrait, peut-être, faciliter le travail des artistes en matière de diffusion?

M. Julien : En ce qui concerne le droit de suite, l’impact, actuellement, est nul puisque nos artistes canadiens n’y ont pas accès, étant donné que la législation n’existe pas au Canada. Donc, même si leur œuvre est vendue dans un pays où le droit de suite est institué, ces artistes ne peuvent toucher les redevances recueillies à ce moment-là.

Pour ce qui est de la fiscalité, l’impact est profond, puisque lorsqu’un artiste étranger vient au Canada et qu’il se lance dans le dédale administratif lié à la fiscalité, cela engendre des coûts en temps et en argent pour la compagnie, puisqu’il y a une retenue sur leur cachet. Très souvent, le réflexe est de tout simplement transférer ces coûts à l’organisme canadien qui accueille l’artiste étranger. Donc, au bout du compte, nos organismes, qui sont eux-mêmes soutenus par les impôts canadiens, doivent absorber une partie des coûts de cette entreprise destinés à créer des impôts canadiens. Vous comprenez qu’on est un peu dans un paradoxe. On tourne en rond.

Parmi les façons dont on peut travailler sur ces enjeux, bien entendu, j’ai parlé de l’aspect des conventions fiscales. On peut aussi travailler à l’interne, parce que notre régime fiscal est particulièrement lourd comparativement à ce qui existe à l’étranger. Des mesures très simples peuvent être envisagées, notamment exempter le dépôt qu’on verse à l’artiste étranger. Souvent, quand un artiste étranger vient au Canada, on doit lui verser un dépôt ne dépassant pas 50 p. 100 pour lui permettre d’engager les dépenses qui lui permettront de venir au Canada. Si seulement ce dépôt pouvait être exempté de l’exigence de la retenue d’impôt de 15 p. 100, ce serait déjà une amélioration significative pour nos diffuseurs canadiens qui doivent expliquer le processus. Si on peut écarter le dépôt, ça règle le problème. Le secteur des arts travaille actuellement avec l’Agence du revenu du Canada pour trouver des solutions sur le plan administratif. Le problème est que les mécanismes d’impôt sont fixés dans la Loi de l’impôt sur le revenu et dans nos conventions fiscales. La marge de manœuvre de l’Agence du revenu du Canada est très faible.

Le sénateur Cormier : J’ai une deuxième question concernant les droits de suite. Vous indiquez dans votre mémoire que la question des arts visuels est extrêmement importante. Il y a un enjeu à ce chapitre, mais qu’en est-il des arts de la scène, des œuvres littéraires et musicales? Quelle serait la solution pour régler la question des droits de suite?

M. Julien : Dans les autres disciplines, il existe d’autres droits : le droit d’auteur en musique, et en littérature, les droits voisins. Le Canada a déjà fait des démarches en ce qui concerne le droit d’auteur en musique pour en prolonger la durée et s’harmoniser avec ce qui se fait en Europe. Jusqu’à présent, à ma connaissance, ces mécanismes de gestion des droits fonctionnent bien. Les droits sont perçus au Canada, puis versés de nouveau à l’étranger, et vice versa, sans problème, par l’intermédiaire de la SOCAN et de la Ré:Sonne, ainsi que de plusieurs organismes de gestion collective.

Le sénateur Massicotte : Je vous remercie de votre présence ici ce matin. Je vais jouer à l’avocat du diable pour mieux comprendre vos arguments. Deux choses en particulier m’interpellent en ce qui concerne les ententes fiscales qu’on a conclues avec les autres pays. Je comprends bien votre désir, mais il y a quand même une norme internationale à laquelle vous faites référence. À ma connaissance, une retenue pour les services rendus, c’est standard. En d’autres mots, il y a tout de même une retenue si vous offrez des services aux États-Unis, et vous pouvez aller chercher une exemption, ce qui prend des mois. Ce qu’on veut, c’est être exempté complètement de cette procédure très standard et que les artistes soient traités différemment des gens d’affaires. Ai-je raison? Si c’est le cas, pourquoi avons-nous un traitement spécial comparativement aux transactions typiques commerciales?

M. Julien : La question est très pertinente et me permettra d’apporter un éclaircissement important. À l’heure actuelle, les artistes du spectacle tout comme les athlètes sont sujets à un traitement fiscal différent des autres entreprises. Les entreprises qui viennent faire affaire au Canada, dans la plupart de nos conventions fiscales, sont sujettes à ce qu’on appelle une « business profit exemption ». Ainsi, elles ne sont pas tenues de payer de l’impôt au Canada. De plus, le gouvernement a mis en place un mécanisme de certification des employeurs, qui permet à ces entreprises qui tombent dans cette catégorie d’avoir des mécanismes simplifiés pour la soumission de leur T4 chez leurs employés. Ils peuvent même exempter certains de leurs employés de cette exigence du T4.

Donc, il importe de comprendre que les entreprises, sans avoir de passe-droits, ont un traitement fiscal moins rigoureux que les artistes et les athlètes. Au cours des années 1960 et 1970, les pays membres de l’OCDE ont estimé qu’il était trop facile pour des artistes et des athlètes de déplacer leurs résidences dans un paradis fiscal pour échapper à la fiscalité. L’objectif était de trouver un moyen de contrer cela, ce qui est tout à fait louable. Dans le contexte d’aujourd’hui, il serait même souhaitable de l’élargir à certaines entreprises multinationales qui font du commerce électronique. Il reste qu’aujourd’hui le traitement est nettement plus rigoureux.

On ne s’attend pas à une suspension complète de l’article 17. Nous estimons que, lorsque des artistes d’envergure internationale viennent engranger des profits importants au Canada, il serait normal qu’une certaine partie de ces profits soit versée de nouveau au Canada. Par contre, il y a des cas où de petites compagnies de danse ou de petits groupes de musique du monde viennent au Canada faire une tournée pour des cachets totalisant 10 000 $ ou 12 000 $. La quasi-totalité de ces cachets sert à couvrir les frais de déplacement. Il ne leur reste pratiquement rien dans les poches et, ce qui reste, ils doivent le dépenser pour embaucher un avocat qui les aidera à négocier sur le plan fiscal. C’est dans ce genre de cas qu’on veut trouver des façons d’assouplir les exigences.

Le sénateur Massicotte : Si un particulier décide d’offrir ses services aux États-Unis — il est difficile d’offrir des services, car on est tellement préoccupé par les douanes — et qu’il se fait payer en dollars américains, il y a toujours une retenue. Un particulier ou une entreprise qui offre des services aux États-Unis est visé par une retenue sur tout montant qu’il reçoit. Ai-je raison?

M. Julien : Il existe des exigences similaires aux États-Unis. Le processus est différent là-bas. Il y a le processus des Central Withholding Agreements. Je vais éviter de trop m’avancer, mais je peux aller chercher davantage d’information à ce sujet et vous présenter des données comparatives des deux systèmes.

Le sénateur Massicotte : Oui, s’il vous plaît. J’aimerais savoir pourquoi il y a un traitement spécial du point de vue de la ristourne pour la revente d’œuvres d’art. Je ne connais pas cette application. Il se peut que d’autres pays se soient mis d’accord, mais toute autre vente d’une propriété, d’un intérêt ou d’un actif n’est pas visée par une éventuelle ristourne sans permanence. Pourquoi l’artiste, après indication de sa vente, n’exige-t-il pas 5 p. 100 de toute revente future négociable? Pourquoi le gouvernement imposerait-il cette commission sur les futures ventes alors que ça ne fait pas partie du contrat original de vente?

M. Julien : C’est une bonne question.

[Traduction]

Renuka, voulez-vous répondre à cette question?

Renuka Bauri, directrice aux communications et à la promotion des droits, Le Front des artistes canadiens : Si j’ai bien compris la question, vous demandez pourquoi il n’y a pas de contrat. Principalement, c’est parce que…

Le sénateur Massicotte : Je ne dis pas qu’il n’y a pas de contrat. Il pourrait y en avoir un.

Mme Bauri : Il pourrait y en avoir un.

Le sénateur Massicotte : Plutôt que demander aux législateurs d’imposer, admettons, une commission de 5 p.100...

Mme Bauri : Ce n’est pas vraiment une commission, toutefois.

Le sénateur Massicotte : Pourquoi exiger un tel paiement, qui va à l’encontre du contrat entre le vendeur de l’œuvre et son acheteur?

Pourquoi le gouvernement devrait-il imposer cela indirectement alors que ce ne sont pas les mêmes modalités au départ?

Mme Bauri : En général, cela aide nos artistes à créer davantage. Il faut davantage voir les choses comme une redevance, un peu comme ce qu’a indiqué M. Julien auparavant. Lorsque l’on diffuse et rediffuse l’œuvre de musiciens, ceux-ci obtiennent des redevances pour leur œuvre. C’est aussi le cas des auteurs.

Dans ces cas, les artistes visuels ne reçoivent aucune redevance, quelle qu’elle soit. Lorsque leur œuvre est revendue, cela a d’autres répercussions sur ce qu’ils peuvent créer.

Le sénateur Massicotte : Vous avez raison pour ce qui est des auteurs-compositeurs et autres. C’était là une des conditions de la vente de son œuvre. En d’autres termes, c’était clair dès le début.

Ce que je comprends, c’est qu’il s’agit là d’un acte de générosité. Autrement dit, à la lumière du fait qu’il n’y a pas de droit contractuel, vous souhaitez qu’on légifère afin d’imposer ce droit malgré le fait que les parties en ont convenu différemment au moment de la vente initiale de l’œuvre.

[Français]

M. Julien : J’aimerais apporter un élément de réponse complémentaire. En fait, pour quelle raison une œuvre d’art est-elle revendue à un prix supérieur? Parce que l’artiste, grâce à son travail créatif subséquent à la création de l’œuvre initiale, a rehaussé sa réputation. Du coup, toutes les œuvres créées précédemment gagnent de la valeur. Cette valeur au moment de la vente initiale n’existe pas encore.

Le sénateur Massicotte : Je n’ai aucune difficulté avec cet argument. Si c’est le cas, pourquoi l’artiste n’a-t-il pas exigé cette commission au départ? Fort probablement, la personne qui a acheté son œuvre savait que la réputation de l’artiste s’accroîtrait. Il s’agit simplement d’insérer les conditions dans le contrat initial. Pourquoi le gouvernement imposerait-il, après coup, des conditions commerciales qui n’étaient pas négociées au départ?

M. Julien : Peut-être qu’on peut se donner la peine de faire un peu plus de recherche en ce qui concerne les droits de suite. On pourra ainsi mieux expliquer pourquoi ils ont été formulés de cette façon.

[Traduction]

Le sénateur Tannas : J’ai une question supplémentaire. Si nous achetions une œuvre et qu’elle valait moins que le prix payé, proposez-vous que l’on devrait obtenir un remboursement de l’artiste? C’est insensé.

Mme Bauri : Non.

Le sénateur Tannas : Il faut que ce soit équitable, non? Dans les faits, si vous demandez au gouvernement de revenir sur un contrat, pourquoi ne serait-il pas juste de prévoir un remboursement également? Il y a un manque de prestige.

M. Julien : Si je ne m’abuse, les recettes provenant d’œuvres visuelles sont considérées comme des gains en capital. Si vous investissez dans une œuvre qui perd de sa valeur et que vous la revendez, vous pouvez obtenir un dédommagement pour votre perte en capital. Un processus existe déjà.

La présidente : J’aimerais poser une question complémentaire.

Avez-vous cherché à déterminer pourquoi certaines personnes achètent des œuvres d’art? Il y a des gens qui aiment les arts. Ils suivent une formation et se disent: « Cet artiste a de l’avenir, je vais donc investir dans cet artiste. » Ils achètent, achètent, et la valeur augmente. Ils contribuent à faire connaître l’artiste et à le rendre plus prestigieux.

Puis, il y a de nombreuses personnes qui ont au début très peu d’argent, et l’artiste a très peu d’argent. Il ne réussit pas à vendre ses œuvres et dit: « S’il vous plaît, donnez-moi 10 $ ». Vingt-cinq ans plus tard, son œuvre vaut quelques milliers de dollars.

Les raisons d’acheter et de vendre entrent également en jeu. Nous entendons parler des œuvres majeures, des œuvres trouvées dans le fond d’un placard, mais il y a bien des gens qui aident les artistes. Comment est-ce que nous en tenons compte?

Vous voudrez peut-être répondre à ma question, ou peut-être seulement y réfléchir. Je suis très curieuse. Je plaide l’ignorance; je ne connais pas assez bien cette mesure fiscale ni la manière dont elle est appliquée.

M. Julien : Voici ma première réaction. À mon avis, les gens achètent une œuvre d’art d’abord et avant tout pour sa valeur esthétique, pour le sentiment d’élévation spirituelle qu’ils ressentent lorsqu’ils la contemplent. Si, en plus, ils peuvent réaliser un gain financier, c’est formidable. Si, ensuite, quelqu’un commence à spéculer sur les œuvres pour réaliser des gains en capital, à mon avis, cette spéculation est basée sur la production créatrice de l’artiste ou sur sa propriété intellectuelle. Il serait raisonnable qu’une partie de ce bénéfice revienne à l’artiste.

Je suppose qu’on pourrait en discuter.

Mme Bauri : En outre, voici comment nous envisageons le processus pour le droit de revente d’un artiste: après la première vente, l’acheteur et le vendeur verseraient chacun 2,5 p. 100 à l’artiste. Nous pensons que cela pourrait s’appliquer aux œuvres d’art d’une valeur de 1 000 $ et plus.

Cela vous donne un peu de contexte, une idée de la façon dont le droit de revente fonctionnerait. M. Julien et vous avez bien expliqué les raisons pour lesquelles les gens achètent des œuvres d’art.

Ce n’est pas réellement une réponse, mais plutôt une observation.

La sénatrice Bovey : Je puis peut-être répondre à votre question en partie. Diverses études ont été réalisées au fil des ans sur les raisons qui poussent les gens à acheter des œuvres d’art et à les exposer.

Hier, j’ai reçu un rapport de Hill Strategies Research, un abonnement que je reçois, sur le sujet des avantages sociaux de la culture et des arts. Le Arts Research Monitor, volume 17, no 1, cite quatre grands rapports, dont certains sont réalisés par le gouvernement fédéral. Il se fait beaucoup de travaux à cet égard.

La présidente : En fait, je suis au courant de certains de ces rapports, mais comme nous faisons une étude et comme il importe d’avoir ces rapports au procès-verbal, j’aimerais qu’on les consigne et que le comité obtienne cette information officiellement. C’est exactement ce que j’espérais.

La sénatrice Bovey : Avant de poser mes questions, je confirme que je serais très heureuse de transmettre à la greffière du comité, le courriel d’hier citant ces quatre rapports.

Cela dit, je souhaite nous mener dans une autre direction. J’aimerais ajouter à ce qui a été dit jusqu’ici que nous devons être conscients du fait que la plus grande proportion de travailleurs canadiens qui vivent en deçà du seuil de pauvreté est nos artistes.

Nous ne parlons pas ici de beaucoup d’argent. Les droits de suite et de revente ne représentent pas énormément d’argent. Il faut se le rappeler.

J’ai deux questions à vous poser. D’abord, j’aimerais que vous me disiez tous les deux à quel point les expositions internationales sont importantes pour présenter les œuvres canadiennes. Je sais, par exemple, que l’UAE tient une exposition internationale en 2020. Le Canada n’a pas encore convenu d’y participer. Et pourtant, en rétrospective, on peut penser à la quantité d’expositions internationales vraiment importantes qui ont porté les œuvres canadiennes sur la scène internationale.

J’aimerais donc savoir tout d’abord quelle importance ont, à votre avis, ces expositions internationales, en sachant qu’elles sont différentes d’autres grandes expositions, peut-être, ou des représentations communes, peut-être pas tant.

M. Julien : De tout temps, les expositions internationales ont été très, très importantes pour leur contribution à la diplomatie culturelle et à l’avancement des arts, des sciences et de la culture en général.

Ces dernières années, nos stratégies commerciales et culturelles se sont plutôt concentrées sur les missions commerciales et les conférences qui rassemblent les professionnels de l’industrie, plutôt que des événements comme les expositions internationales.

La raison à cela, c’est que les acheteurs, ceux qui peuvent embaucher les artistes canadiens à l’étranger, ou acheter les œuvres d’artistes canadiens assistent à ces conférences du secteur.

L’intérêt, comme je le disais tout à l’heure, est donc décidément d’ordre commercial. De la même manière, dans la même mesure où ces expositions internationales ont joué un rôle déterminant dans l’avancement des arts, ces conférences et festivals peuvent contribuer à l’avancement de la pratique.

J’ai dit comment ces missions internationales en Australie ont aidé des organisations à progresser dans leur réflexion sur la réconciliation.

Si le comité me le permet, j’aimerais lire un extrait de rapports annuels que nous avons reçus de ces missions commerciales, pour vous donner une idée de la valeur tangible qu’elles représentent.

Un représentant d’un organisme participatif du Jeanne & Peter Lougheed Performing Arts Centre de l’Alberta a parlé d’une mission commerciale en Australie. Il disait que le voyage a constitué une occasion de renforcer notre réseau national et d’encourager les artistes internationaux qui ont pu passer quelques jours à travailler ensemble et à discuter des possibilités à venir.

Il a également dit qu’ils ont beaucoup discuté des défis auxquels les artistes autochtones font face. Cela a donné l’impression qu’un réel changement se produisait, avec des gestes et pas seulement des paroles. Ces discussions internationales ont été inestimables.

Un autre participant du Oakville Centre for the Performing Arts a dit que lors de la semaine passée à Brisbane, on a insisté sur le fait que les peuples autochtones du monde entier ont été gravement touchés par le colonialisme et ont souffert de manque d’empathie partout dans le monde. « J’ai littéralement pleuré tous les jours et j’ai réfléchi à ce que je pouvais faire pour être le plus inspirant possible. Je me suis engagé à fournir un canevas vide aux artistes pour qu’ils créent et non pas de la peinture à numéros. Plus important encore, je me suis engagé à écouter, à regarder et à apprendre. Cela a été bien évidemment une semaine très difficile émotivement parlant, mais également très gratifiante, puisque j’en ai appris davantage sur les artistes autochtones canadiens. »

La sénatrice Bovey : J’ai une question supplémentaire. Je me trompe peut-être dans les chiffres, mais je crois que l’engagement voulant que les arts fassent partie des manifestations sportives internationales se trouve aux articles 61 et 62 de l’accord de l’UNESCO.

Êtes-vous d’accord avec cet engagement? Selon mon expérience, lors des Jeux du Commonwealth à Victoria en 1994, il a été très important d’inviter des artistes aborigènes australiens, afin de les jumeler avec des artistes autochtones de la côte du Nord-Ouest. Le travail qu’ils ont accompli dans les studios de même que les ventes et les expositions qui en ont découlé ont été considérables. C’est un autre aspect de la question.

J’aimerais vous poser une autre question. Au Canada, il existe un programme d’indemnisation qui permet à nos musées d’art et autres musées de faire venir de grandes expositions internationales. En vertu de ce programme, si les frais d’assurance dépassent un certain montant, il y aura indemnisation. C’est un programme exceptionnel qui a permis de présenter des œuvres internationales aux Canadiens.

Savez-vous si d’autres pays ont des programmes d’indemnisation qui rendraient la venue de grandes expositions d’art canadien avantageuse? L’art canadien est désormais un peu plus connu, grâce à des expositions qui ont été organisées à Dulwich et à Paris.

Qu’en est-il des besoins d’autres pays? Ont-ils des programmes d’indemnisation pour favoriser la diffusion de l’art canadien haut de gamme?

M. Julien : C’est une bonne question, qui va au-delà de mes compétences. Je laisserais ma collègue répondre, qui pourrait avoir davantage de connaissances en la matière.

Mme Bauri : Pourriez-vous préciser la question?

La sénatrice Bovey : Le Canada a une loi sur l’indemnisation. Je ne me souviens pas si elle s’applique à trois ou cinq régions du pays, mais s’il existe une exposition itinérante, sur Chagall ou sur Picasso par exemple, les taux d’assurance sont beaucoup trop élevés pour ce que les établissements canadiens peuvent payer. Les établissements paient jusqu’à un certain montant, mais au-delà de ce montant, c’est le gouvernement canadien qui fournit une indemnisation.

Existe-t-il des programmes d’indemnisation régis par la loi dans d’autres pays, afin de favoriser la diffusion de l’art canadien? Je pense aux artistes qui sont connus à l’international, comme le Groupe des Sept, Riopelle, Borduas ou Mary Pratt. Sinon, devrions-nous entamer des discussions internationales à cet égard?

Le programme canadien a été créé pour que les Canadiens aient accès à l’art d’autres pays. Qu’en est-il de l’accès à l’art canadien à l’étranger?

Mme Bauri : Je vais devoir vérifier.

La sénatrice Bovey : Ce serait bien que vous vérifiiez.

Madame la présidente, je crois que c’est une question qui mérite notre attention, car elle rejoint certains des problèmes transfrontaliers auxquels nos artistes font face. Je pense surtout aux graveurs. Par exemple, certains ne comprennent pas le travail de Bill Reid et de Robert Davidson, qui sont des artistes importants dans le domaine. Bien des douaniers ne comprennent pas que leurs œuvres ne sont pas que de simples affiches ou du matériel publicitaire.

C’est relié à l’indemnisation et l’expédition transfrontalière des œuvres d’art. Il s’agit de problèmes graves sur lesquels nous devons nous pencher.

La présidente : Nous pourrions peut-être penser à d’autres témoins à entendre.

Vous parlez de grandes expositions. C’est aussi un problème pour les petits établissements qui voudraient exposer une ou deux œuvres d’art.

Si on pense aux expositions nationales bien sûr, on pense aux Riopelle, et cetera. Lors d’une exposition, nous avons mis l’accent sur un tableau parce que c’est tout ce que nous pouvions payer. Deux tableaux, cela aurait été encore mieux, mais deux fois plus cher. Ces pièces suscitent de l’enthousiasme et on peut y greffer d’autres œuvres, mais tout est une question de coûts.

La sénatrice Bovey : Les coûts d’assurance sont liés au droit de revente. On peut regrouper les choses, mais je pense que les diviser en ses différentes composantes rendrait la compréhension plus facile.

La présidente : Nous avons parlé d’impôt et de simplification de la réglementation, si on peut parler ainsi.

Deux choses : on veut certainement créer plus de retombées pour les artistes, puis on souhaite moins de réglementation. Des objectifs louables, mais il faut déterminer la manière de les atteindre.

Peut-être avez-vous quelque chose à ajouter sur ces deux points. Je pense qu’il serait important de faire comme d’autres pays aux vues semblables pour que nos capacités soient les mêmes.

J’aimerais vous entendre sur deux choses. D’abord, autrefois, l’art était visuel ou était de la danse, de la chanson ou des disques. Des tas de nouveautés ont vu le jour depuis sans que j’en connaisse l’existence: des jeux et autres créations technologiques.

Les gouvernements mettent beaucoup l’accent sur la chose, ce qui est très bien. Le gouvernement a annoncé que c’était bon pour l’économie et le commerce.

Est-ce l’orientation qu’il convient d’adopter ou devrions-nous continuer à promouvoir l’art pour sa valeur intrinsèque, plutôt qu’en tandem avec des initiatives commerciales?

M. Julien : Manifestement, je ne suis pas un spécialiste des jeux vidéo, donc je suis mal placé pour me prononcer. J’estime qu’il serait déplacé que je fasse des commentaires sur la valeur respective et comparative des jeux vidéo par rapport aux formes d’art traditionnel autochtone.

Nous avons été ravis de constater que les arts d’interprétation et arts visuels étaient inclus dans la stratégie créative du Canada, annoncée par la ministre du Patrimoine canadien à l’automne dernier.

Il existe effectivement une valeur commerciale. Des statistiques récemment parues le confirment; le Compte satellite sur la culture a publié un premier ensemble de chiffres pour les produits culturels. Du côté des arts d’interprétation seulement, soit un type traditionnel d’exportation artistique, le chiffre pour les échanges commerciaux était important. Je me ferai un plaisir de vous transmettre le chiffre exact, car je ne l’ai pas vraiment mémorisé.

Cela dit, il y a d’autres objectifs. Nos artistes peuvent se développer, quand ils ont l’occasion d’aller à l’étranger et de rencontrer d’autres artistes dans le même type de domaine. Au Canada, pays où un habitant sur cinq est né ailleurs, nombreux sont les artistes qui pratiquent des formes artistiques axées sur des cultures existant ailleurs dans le monde.

Pour ces artistes, avoir l’occasion de rencontrer des artistes pratiquant les mêmes arts, soit dans les pays d’origine, ou ici au Canada, est vraiment précieux. C’est quelque chose à garder à l’esprit lorsqu’on envisage des stratégies de diplomatie culturelle, outre l’aspect des échanges commerciaux.

En réponse à votre observation sur les demandes d’aide et de redevances, si le comité a pour objectif d’étudier la diplomatie culturelle, il faut l’envisager dans une perspective de réciprocité. L’important n’est pas simplement l’aide en soi, mais la réduction des barrières nuisant à la réciprocité et à l’harmonisation de la réglementation quand des différences considérables existent entre le Canada et nos partenaires commerciaux.

[Français]

Le sénateur Cormier : La question des arts et de la culture, en ce qui a trait à la diplomatie culturelle, est un vaste champ d’études. On parle de fiscalité, d’ententes internationales, de propriété intellectuelle, de réciprocité et de réduction des barrières. Il y a énormément d’enjeux. Certains enjeux sont spécifiques aux différentes disciplines artistiques.

On réfléchit en ce moment à la façon dont on pourrait formuler des recommandations au gouvernement sur le développement des principaux axes d’une stratégie de diplomatie culturelle, qui pourrait assurer la coordination. Avez-vous des idées à ce sujet? Nous savons que le Conseil des arts du Canada et Affaires mondiales Canada sont impliqués. Avez-vous une idée de la façon dont on pourrait assurer le développement d’une stratégie de diplomatie culturelle?

M. Julien : Merci de la question. Vous avez eu l’occasion d’entendre d’autres témoins vous parler de l’importance du rôle des attachés culturels. Déjà, le gouvernement a engagé des commissaires chargés du commerce dans nos missions à l’étranger et a choisi, dans le cadre de cet effort particulier, de recourir à des ressources locales plutôt que d’embaucher des Canadiens, qui ne connaissent pas le marché, et de les envoyer à l’étranger. Cette stratégie semble commencer à porter ses fruits. Bien sûr, les personnes embauchées à l’étranger connaissent leur marché local, ce qui est très précieux. Elles sont maintenant en processus d’acquisition de l’expertise du secteur des arts canadiens, ce qui est une autre composante essentielle.

Nous avons parlé des missions commerciales. Ces missions commerciales sont essentielles. Parfois, ce sont de vastes missions commerciales comme celle de la ministre du Patrimoine canadien en Chine. Parfois, ce sont des missions de plus petite envergure financées par le Conseil des arts du Canada ou par Patrimoine canadien. Dans tous les cas, on en tire des bienfaits.

Ces bienfaits ne sont pas toujours immédiats. Dans le domaine du spectacle, par exemple, la tournée ne se produit pas tout de suite, mais plutôt dans les années subséquentes. Il y a aussi des éléments qui demeurent au-delà de la tournée. Une fois la tournée terminée, les relations bâties avec des organismes artistiques à l’étranger ne tarissent pas. Elles demeurent et peuvent parfois donner lieu à d’autres échanges, telles les coproductions ou d’autres tournées. Les missions commerciales sont aussi importantes sur le plan du partage des connaissances et du renforcement. Lorsqu’on envoie une mission commerciale à l’étranger — que ce soit un diffuseur de spectacles ou un commissaire d’expositions —, on envoie un groupe de personnes qui, parfois, ne se connaissent pas beaucoup. C’est une occasion de renforcer nos circuits canadiens. On envoie des gens de partout au Canada, qui ont peu d’occasions de se rencontrer et pourront travailler ensemble et être plus efficaces dès leur retour au Canada.

Le sénateur Cormier : C’est une question un peu simpliste, mais qui devrait coordonner cela? Comme vous l’avez dit, les attachés culturels ont une connaissance de leur milieu, mais pas de connaissances canadiennes. Comment faire pour coordonner cela?

M. Julien : En ce qui concerne les attachés, ce serait une question à poser au ministère des Affaires mondiales. Quant aux missions commerciales et aux invitations à l’étranger, je tiens à vous assurer que le secteur des arts a une volonté de coordonner par lui-même ces efforts. Lorsque le gouvernement octroie des sommes à la création de missions commerciales, il n’a pas tout à fait la capacité de dicter comment l’argent sera dépensé. Il doit faire appel à des organismes qui vont ensuite aller de l’avant avec leurs propositions. Il est important d’assurer une certaine cohérence. Je tiens à vous confirmer que des discussions sont en cours en ce moment afin de permettre au secteur d’avoir une stratégie plus cohérente dans l’utilisation de ces ressources.

[Traduction]

La sénatrice Bovey : J’ai une autre question sur l’ALENA. Vous avez évidemment parlé de mobilité et j’aimerais en savoir plus.

L’ancienne version de l’ALENA, selon ma compréhension, prévoyait que les artistes en résidence aux États-Unis pendant une ou deux années étaient admissibles s’ils collaboraient avec un établissement universitaire. La réciprocité ne s’appliquait pas aux résidences dans d’autres types d’établissements en vertu de l’ALENA, cela n’était pas permis.

Est-ce que cela correspond à votre interprétation? S’agit-il d’un des problèmes que vous avez présentés dans le cadre des discussions de l’ALENA qui, comme vous le dites, tirent à leur fin?

M. Julien : Je crois que vous avez raison. Les artistes qui veulent entrer aux États-Unis n’ont habituellement pas besoin de visa parce qu’ils profitent techniquement d’une exception en vertu de l’ALENA, ils ont toutefois besoin d’une attestation confirmant qu’ils appartiennent à une certaine catégorie de détenteurs de visa. Au final, ils doivent présenter une demande de visa.

La sénatrice Bovey : Ils peuvent y entrer s’ils ne tirent pas de revenus de leur visite, mais c’est autre chose s’ils sont rémunérés pendant la résidence. En avez-vous parlé lors des dernières discussions?

M. Julien : Oui. Conformément à certains statuts, un artiste peut se rendre aux États-Unis avec un visa B-2 pour des rencontres d’affaires, tant qu’il n’est pas rémunéré. Sinon, il faut un visa O ou P pour lesquels il faut énumérer toutes les activités prévues, où, quand et avec qui. Une fois le visa obtenu, il est impossible d’apporter des changements, ce qui pose problème parce qu’une fois là-bas, de nouvelles possibilités se présentent et on est coincé. Voilà le cadre.

Nous avons proposé qu’en reconnaissant les artistes de scène comme des gens d’affaires, on leur permettrait de se présenter au point d’entrée et d’y montrer des documents confirmant leurs qualifications, leurs engagements contractuels et leur appartenance à un syndicat. Ils pourraient entrer avec un visa TN.

Voilà qui comporte certains risques parce qu’on se présenterait au point d’entrée sans être entièrement certain. Même si cette demande est acceptée, peut-être que par certitude certains organismes préféreraient s’en tenir à l’ancien système.

Il faudra voir si les négociations prennent fin. Avons-nous un nouvel accord? Cette modalité en fera-t-elle partie? Comment sera-t-elle mise en œuvre? Nous avons beaucoup réfléchi aux détails que supposerait une telle politique et au fonctionnement administratif, mais beaucoup reste à faire.

La présidente : Nous avons abordé de nombreux sujets et cela a été très utile. Nous avons besoin d’entendre plus de témoins, je crois. Nous allons tenter d’étudier la diplomatie culturelle plus en profondeur et sous tous les angles.

Pendant que nous poursuivons notre étude, si vous voulez attirer notre attention sur d’autres questions, ou si vous avez des réflexions au sujet d’Affaires mondiales ou des suggestions de contacts, de relations, de règles ou d’occasions à créer, n’hésitez pas à nous en faire part et nous allons assurément faire un suivi. Je sais que nous vous avons posé des questions destinées plutôt au ministère des Finances et à d’autres, mais nous avons l’intention de les leur poser.

Nous vous invitons à poursuivre le dialogue avec nous. Merci d’avoir été des nôtres aujourd’hui.

(La séance est levée.)

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