Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et
du commerce international
Fascicule no 50 - Témoignages du 3 octobre 2018
OTTAWA, le mercredi 3 octobre 2018
Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd’hui, à 16 h 17, pour poursuivre son étude sur l’impact de la culture et des arts canadiens sur la politique étrangère et la diplomatie du Canada ainsi que leur utilisation dans ces domaines, et d’autres questions connexes.
La sénatrice A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Honorables sénateurs, cette séance du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international est ouverte. Je vais maintenant vous demander de vous présenter à tour de rôle.
La sénatrice Bovey : Patricia Bovey, Manitoba.
Le sénateur Ngo : Thanh Hai Ngo, Ontario
Le sénateur Oh : Victor Oh, Ontario.
La sénatrice Ataullahjan : Sénatrice Ataullahjan, Ontario.
La présidente : Je suis Raynell Andreychuk, sénatrice de la Saskatchewan.
Certains sénateurs ont dû participer à d’autres séances et se joindront à nous en cours de route. Je sais aussi que deux témoins devront nous quitter avant l’heure prévue, et nous allons en tenir compte.
D’abord et avant tout, je veux souligner que le Sénat a autorisé le comité à étudier l’impact de la culture et des arts canadiens sur la politique étrangère et la diplomatie du Canada ainsi que leur utilisation dans ces domaines, et d’autres questions connexes. Le comité se réjouit donc de pouvoir continuer cette étude conformément au mandat qui lui a été confié.
Nous accueillons, par vidéoconférence depuis Montréal, Mme Phyllis Lambert, directrice fondatrice émérite du Centre Canadien d’Architecture. Nous recevons ici même M. Gideon Arthurs, directeur général de l’École nationale de théâtre du Canada, et M. Howard Jang, vice-président, Arts et leadership, Centre des arts de Banff, qui est heureusement arrivé à Ottawa avant la tempête de neige qui frappe Calgary. Nous sommes heureux de vous accueillir.
Les sénateurs ont déjà reçu vos biographies et toute la documentation pertinente. Nous procédons de cette manière pour que les sénateurs arrivent bien préparés à nos séances afin de pouvoir optimiser leurs interventions. Nos témoins peuvent ainsi nous en dire le plus possible.
Je vais maintenant vous céder la parole dans l’ordre où vous avez été présentés. C’est donc à vous de débuter, madame Lambert. Je vous souhaite la bienvenue.
Phyllis Lambert, directrice fondatrice émérite, Centre Canadien d’Architecture : Honorables sénateurs, merci de m’avoir invitée à vous parler aujourd’hui d’un sujet que je connais extrêmement bien, à savoir l’impact de la culture et des arts canadiens sur la politique étrangère de notre pays et l’utilisation que l’on peut en faire.
En 1979, j’ai fondé le Centre Canadien d’Architecture pour en faire une plateforme de créativité et de débats. Une telle institution devient encore plus essentielle à une époque de rupture et de changements fondamentaux comme celle que nous vivons aujourd’hui avec la crise environnementale, de l’exploitation des ressources jusqu’aux changements climatiques; les iniquités croissantes qui se reflètent dans les conditions de vie; et les répercussions des transformations technologiques sur les conditions de travail.
Le Centre Canadien d’Architecture, désormais une institution internationale de grande influence, articule ses interventions autour d’un principe fondamental : l’architecture devient un sujet d’intérêt public lorsqu’on la considère dans une perspective élargie s’inscrivant dans le discours historique, théorique et critique.
À partir de notre centre principal à Montréal, mais aussi par l’entremise de nos activités externes à l’échelle planétaire et virtuelle en ligne, nous appuyons et réalisons des travaux de recherche, des expositions, des publications et toute une gamme de programmes publics guidés par une curiosité pour la manière dont l’architecture donne forme à la vie contemporaine et propose de la transformer. Nous invitons des architectes, des photographes, des étudiants, des penseurs et le grand public à accéder à notre vaste collection pour qu’ils approfondissent notre connaissance du passé et insufflent une pertinence nouvelle à la pensée architecturale, compte tenu des grands enjeux qui se dessinent aujourd’hui pour notre discipline et notre société.
Comme bien d’autres intervenants sur la scène artistique canadienne, nous sommes des diplomates de la culture agissant comme ambassadeurs internationaux, mais aussi comme hôtes pour les penseurs et les praticiens des différentes disciplines intellectuelles et artistiques à l’échelle planétaire.
J’aimerais maintenant vous soumettre une approche que j’estime appropriée pour d’autres institutions culturelles et qui, si elle était adoptée par notre gouvernement, permettrait au Canada d’exercer une influence marquée sur la scène culturelle internationale. Trois changements radicaux d’orientation sont nécessaires. Il faut passer premièrement des exportations aux échanges; deuxièmement, des gouvernements aux institutions; et troisièmement, de l’argent aux gens.
Parlons d’abord de l’accent à mettre sur les échanges, plutôt que sur les exportations. La diplomatie culturelle n’est pas une voie à sens unique. Elle est fondée sur la mise en valeur des idées, un élément essentiel pour tout échange de connaissances et de contenu culturel. De préférence au flux unidirectionnel que l’on a toujours connu avec les exportations culturelles, les échanges bidirectionnels sous forme de discussions et de débats alimentent une production culturelle de plus grande qualité.
Ces échanges peuvent prendre différentes formes à l’échelle nationale et internationale : conférences, expositions, concerts, marathons de programmation, pièces de théâtre, festivals, création de jeux en groupe, et cetera. Il faut noter que la nature des tribunes utilisées pour les échanges culturels est en constante évolution.
Nous ne pouvons plus nous contenter d’expédier nos artefacts culturels en attendant qu’un public international s’y intéresse. Pour demeurer pertinents sur la scène culturelle, nous devons exporter nos idées et en recevoir d’autres en retour. Ces échanges sont au cœur de la production culturelle. Sans cela, nous risquons de nous retrouver isolés et sans intérêt pour les principaux acteurs sur la scène culturelle internationale.
Pour que ces échanges soient couronnés de succès, il faudra désormais miser davantage sur les institutions que sur les gouvernements. Il s’agira de mettre en valeur et de consolider les synergies entre les différentes institutions culturelles, tant au Canada qu’à l’étranger. J’y reviendrai d’ailleurs tout à l’heure.
Ce changement d’orientation nous donnera accès à de nouvelles possibilités de collaboration. Comme je l’indiquais précédemment, les échanges d’idées nous amènent plus loin que le simple déploiement d’artefacts dans des emplacements de choix. Ils suscitent plutôt un dialogue constructif au sein de nouveaux espaces de pertinence culturelle.
Les événements internationaux devraient en fait servir de moteurs de production culturelle et de puissants outils diplomatiques qui pourraient et devraient intégrer de nombreuses activités de promotion via les programmes des ambassades canadiennes. Cependant, comme le Canada n’a jamais été très actif dans la gestion et le financement d’expositions internationales, comme la Biennale de l’architecture de Venise, notre pays se retrouve nettement défavorisé. Étant donné que de nombreuses nouvelles biennales et triennales sont organisées un peu partout sur la planète, il faudrait mettre en place un mécanisme nous permettant de déterminer pour lesquelles il convient d’offrir un soutien adéquat.
En faisant basculer notre attention de l’argent vers les gens, nous pourrions élargir les horizons culturels de notre pays de façon vraiment convaincante. Ne vous méprenez pas. Je ne suis pas en train de dire que l’argent n’est pas important ou même nécessaire dans ce projet d’échanges culturels. L’argent est tout à fait primordial. Malheureusement, le soutien autrefois disponible a été supprimé ou minimisé dans des secteurs comme les centres culturels rattachés à nos ambassades et des mesures comme le Programme d’aide à la tournée des arts de la scène.
Il y a une chose que nous ne devons jamais oublier. Lorsqu’il est question de diplomatie culturelle, les personnes représentent la véritable force motrice.
Dans le cadre de ce processus d’échanges, nous devons ouvrir encore davantage nos portes aux participants étrangers. Cependant, des restrictions sévères imposées quant aux visas et les droits de plus en plus élevés à payer ont grandement limité les échanges de la sorte, plutôt que de faciliter la circulation de ces agents culturels qui permettent de tisser des liens au sein de la communauté internationale des penseurs et des producteurs. Lorsque ces obstacles à la participation sont aplanis ou entièrement supprimés, et lorsque les programmes d’échanges culturels sont reconduits année après année, ces liens deviennent extrêmement forts. J’ai pu directement constater toute la richesse de ces échanges grâce à notre centre de recherche et à notre collaboration de tous les instants avec d’autres institutions de par le monde qui partagent notre vision.
Les jeunes esprits brillants qui viennent travailler chez nous et y reviennent souvent pour produire de nouvelles connaissances contribuent grandement au capital culturel du Canada, tout en étant également mieux aptes à favoriser l’émergence de leur propre culture.
En terminant, je veux simplement vous rappeler que j’ai la ferme conviction que ce changement d’orientation des exportations vers les échanges, des gouvernements vers les institutions et de l’argent vers les gens ne pourra que consolider la place de l’industrie culturelle canadienne comme élément clé de notre prospérité économique.
Je vous remercie d’avoir bien voulu prêter une oreille attentive à mes propos. Je serai ravie de répondre à toutes les questions que mon exposé aura, j’ose l’espérer, suscitées.
La présidente : Merci beaucoup. Vous avez traité d’un large éventail d’aspects. J’y vois certes des éléments susceptibles de se retrouver dans notre rapport.
Notre prochain témoin sera M. Gideon Arthurs. Vous avez la parole.
[Français]
Gideon Arthurs, directeur général, École nationale de théâtre du Canada : Merci, madame la présidente, de m’avoir invité à discuter de ce sujet d’une importance cruciale.
[Traduction]
Je me réjouis de constater que notre Sénat prend tout le temps nécessaire pour bien examiner les enjeux liés à la diplomatie culturelle et à nos exportations dans ce contexte.
L’École nationale de théâtre du Canada est la principale organisation de notre pays se consacrant à la formation théâtrale. Nous offrons une formation intensément rigoureuse aux jeunes intervenants du milieu théâtral dans les deux langues officielles. Au cours des deux dernières années, nous avons élargi la gamme de nos programmes qui touchent désormais plus de 8 000 personnes, comparativement à 160 auparavant. C’est notamment le résultat de notre Festival de théâtre de l’école nationale de théâtre, autrefois connu sous le nom de Festival de théâtre Sears.
[Français]
L’École nationale de théâtre du Canada a été fondée en 1960 pour servir une communauté des arts de la scène qui n’avait pas encore trouvé son identité propre. Nos artistes partaient pour Londres ou se formaient à Paris et revenaient pour reproduire le théâtre européen au Canada. Six décennies plus tard, nous n’avons plus besoin de débattre de la légitimité du théâtre canadien et québécois. Aujourd’hui, ce secteur jouit d’une reconnaissance internationale.
[Traduction]
Je le mentionne non seulement pour mettre en lumière l’évolution de notre secteur, mais aussi pour montrer à quel point c’est un juste retour des choses, par rapport à un passé pas si lointain, que nous soyons en train de discuter en 2018 de la façon dont ce secteur singulièrement canadien en plein épanouissement peut travailler dans le sens des intérêts et des objectifs de notre pays à l’échelle internationale.
[Français]
Puisque mes collègues vous auront déjà présenté de nombreux argumentaires en tant que diffuseurs ou producteurs, je concentrerai mes commentaires sur le rôle des établissements de formation dans cette conversation.
[Traduction]
J’espère notamment vous offrir un aperçu très clair de la chaîne de production à mettre en place pour créer des œuvres de calibre international dans le domaine des arts de la scène.
Avant tout, je me permets de vous entretenir brièvement de la nécessité d’intégrer nos arts et notre culture aux efforts que nous déployons à l’étranger. Je vous prie à l’avance de m’excuser si je m’emporte un peu, mais c’est un sujet qui me tient vraiment à cœur.
[Français]
Je crois que, fondamentalement, le rôle des arts est de rassembler les gens. En faisant l’expérience de quelque chose ensemble, nous nous permettons de penser et de ressentir collectivement, ce qui contribue à construire une communauté, à provoquer un débat et des échanges sains, et à catalyser la créativité de tous les participants.
[Traduction]
L’art suscite l’empathie et évolue dans un espace frontière bien particulier. Nous savons bien que ce que nous y voyons n’est pas réel — ce couple sur scène qui se dispute chaque soir depuis la première, cette ballerine qui n’est pas vraiment un cygne — mais nous nous laissons imprégner par le réalisme des sentiments évoqués via ces performances artistiques en nous autorisant à être assez émotifs pour verser une larme sur le sort de cet enfant qui a perdu sa mère ou espérer contre toute logique qu’Orphée ne se retournera pas cette fois-ci.
Toute cette philosophie de haut vol pour vous dire que nous vivons aujourd’hui une époque bien spéciale qui souffre à mes yeux d’abord et avant tout d’un déficit d’empathie. Malgré tous les moyens de communication à notre disposition, nous avons, je ne sais trop comment, perdu notre capacité à nous comprendre les uns les autres, à reconnaître que nous avons davantage de choses en commun que le contraire. Peut-être aurions-nous besoin de nous retrouver plus souvent dans une salle sombre en compagnie d’étrangers pour partager avec eux les mêmes sentiments. L’art est notre véhicule pour comprendre l’autre, trouver des points communs plutôt que des différences, et en arriver à une entente, ce qui m’apparaît comme une démarche tout à fait diplomatique, et comme un rôle qui convient parfaitement au Canada dans une conjoncture internationale où l’on cherche de plus en plus à semer la discorde en étant incapable de toute compréhension mutuelle.
[Français]
En fait, cela ressemble à une forme de diplomatie très canadienne, à une manifestation de la pluralité de ce pays, de notre ouverture aux nouveaux arrivants, et de notre relation grandissante avec nos Premières Nations. Notre tissu social est construit sur l’empathie. On pourrait même dire que l’empathie est notre plus grande ressource naturelle. Le cas échéant, ne devrions-nous pas parler d’un pipeline pour l’aider à atteindre de nouveaux marchés?
[Traduction]
Ce n’est toutefois pas avec des réflexions semblables que nous pourrons démontrer la pertinence de miser sur nos exportations culturelles pour favoriser nos efforts diplomatiques. La justification devient beaucoup plus évidente lorsqu’on a une bonne compréhension des chiffres en cause.
[Français]
Les industries culturelles contribuent pour 54 milliards de dollars par année à notre économie et représentent 3 p. 100 de notre PIB. Elles apportent aussi une valeur ajoutée plus importante que les industries de l’agriculture, de la foresterie, des pêcheries et de la chasse mises ensemble.
[Traduction]
Pas moins de 650 000 personnes, soit 3,5 p. 100 des Canadiens au travail, occupent un emploi dans les industries culturelles. Je pourrais aussi vous citer des statistiques que vous connaissez sans doute très bien. Toutes sortes d’études ont mis en lumière les retombées économiques favorables de notre secteur culturel pour notre économie nationale, avec des effets indirects incroyables pour les restaurants, les revenus de stationnement, la valeur des biens immobiliers, la sécurité des voisinages, et bien d’autres éléments encore. Les investissements rapportent plus que dans bien d’autres secteurs commerciaux. Étant donné la taille et l’impact de notre industrie, il nous faut absolument mettre en œuvre une stratégie détaillée et cohérente pour lui permettre d’exploiter tous les nouveaux débouchés qui s’offrent.
[Français]
De toute évidence, l’École nationale de théâtre du Canada n’est ni un organisme de tournées ni un producteur. Nous n’exportons pas de productions, mais nous avons récemment noué de nouvelles relations avec le Conservatoire de Paris, l’École du Nord, à Lille, et l’Escuela de Arte Teatral, à Mexico. Notre capacité à créer plus de relations internationales avec l’école n’est limitée que par notre capacité budgétaire.
Cela dit, nos institutions de formation jouent un rôle encore plus important que la création de partenariats avec des écoles situées au-delà de nos frontières; elles sont en fait le premier maillon d’une chaîne de production qui ajoute de la valeur aux produits culturels. Nous devons former des artistes, investir dans leur développement, créer les conditions propices à l’innovation, puis leur fournir les plateformes nécessaires afin d’atteindre de nouveaux marchés.
[Traduction]
À l’instar de toutes les autres industries, le secteur culturel est soumis aux forces de la concurrence. Pour que nos œuvres puissent soutenir la concurrence à l’échelle internationale, nous devons investir tout au long de la chaîne de production. S’il était question aujourd’hui d’athlétisme, nous pourrions parler d’un programme comme À nous le podium, qui reconnaît l’importance d’investir tôt dans notre quête de l’or olympique. Si nous discutions du sort des différents secteurs commerciaux, on s’entendrait rapidement sur le fait que les experts doivent suivre une formation et que les conditions nécessaires doivent être mises en place pour satisfaire aux besoins de l’industrie. Il en va de même pour la culture. Les récents investissements importants dans le Conseil des arts du Canada ont contribué en partie à consolider la capacité concurrentielle de nos industries culturelles, mais l’appui du conseil vise expressément les maillons centraux de la chaîne, à savoir les étapes de création et de conception au sein du processus. De part et d’autre de ces éléments, on retrouve la formation et la présentation.
[Français]
La formation et la présentation, appuyées respectivement par le Fonds du Canada pour la formation dans le secteur des arts et le Fonds du Canada pour la présentation des arts de Patrimoine canadien, se situent de part et d’autre de cette étape. Ces fonds n’ont pas augmenté depuis 2009 et totalisent moins de 65 millions de dollars pour soutenir l’ensemble de la formation et de la présentation artistiques. Ils ont impérativement besoin d’un réinvestissement pour pouvoir répondre aux besoins du secteur. Sans cet investissement, il y a un goulot d’étranglement au centre du processus, le travail étant créé par des artistes qui manquent de formation et qui n’ont pas la possibilité de présenter leur travail au-delà d’un contexte très local.
[Traduction]
En fait, en l’absence d’investissements additionnels, les œuvres canadiennes ne sauront pas se tailler une place dans un contexte international où les meilleurs artistes mondiaux voient leur travail être appuyé par des politiques culturelles très intégrées et bénéficiant d’un soutien senti de l’État. Si nous voulons que nos artistes puissent bien représenter les intérêts de notre nation en faisant étalage des valeurs canadiennes et que de nouveaux marchés puissent s’ouvrir à une industrie de cette importance, il faut leur donner accès à ces mêmes possibilités dont bénéficient leurs pairs internationaux. Je félicite donc votre comité de son initiative en espérant que vous pourrez vous pencher sur les moyens à prendre pour consentir les investissements requis tout au long de la chaîne de production de telle sorte que ces exportations typiquement canadiennes puissent soutenir la concurrence aussi bien que vous le souhaiteriez. Je vous remercie.
La présidente : Merci, monsieur Arthurs.
Howard Jang, vice-président, Arts et leadership, Centre des arts de Banff : Merci de me donner l’occasion de contribuer à votre étude sur l’impact de la culture et des arts canadiens sur la politique étrangère et la diplomatie du Canada ainsi que leur utilisation dans ces domaines. Je m’appelle Howard Jang, et je suis vice-président responsable des arts et du leadership au Centre des arts de Banff.
Voilà une trentaine d’années que je dirige de grandes organisations artistiques dans les domaines du théâtre, de la musique et du ballet à Vancouver, Winnipeg et New York. De 2012 à 2016, j’ai fait partie du conseil d’administration du Conseil des arts du Canada et représenté celui-ci au sein du comité exécutif de la Commission canadienne pour l’UNESCO.
Le Centre des arts de Banff est la plus importante institution postsecondaire au Canada à offrir une formation multidisciplinaire dans le domaine des arts et du leadership. Notre splendide campus de 42 acres accueille près de 4 000 artistes et leaders en plein cœur du parc national de Banff. Fondé en 1933 à titre d’école de théâtre, le Centre des arts de Banff a été l’hôte de plus de 75 000 artistes au cours des 85 dernières années. Ces artistes viennent chez nous en provenance de toutes les régions du Canada et du reste de la planète. Parmi les plus célèbres de nos anciens enseignants et élèves, notons Oscar Peterson, Margaret Atwood, W. O. Mitchell, Yann Martel, Broken Social Scene, Arcade Fire, Séan McCann, Tanya Tagaq, Crystal Pite, et je pourrais continuer encore longtemps.
Les artistes viennent à Banff...
La présidente : Monsieur Jang, puis-je vous demander de ralentir un peu pour aider nos interprètes dans leur travail? Nous ne voudrions pas rater un seul mot de ce que vous avez à nous dire.
M. Jang : Les artistes viennent à notre centre pour apprendre et perfectionner leur art de même que pour créer de nouvelles œuvres qui sont rendues accessibles non seulement dans l’ensemble du Canada, mais un peu partout dans le monde.
Parmi les artistes que nous accueillons, 25 p. 100 ont une carrière internationale. Plusieurs nous arrivent des États-Unis pour étudier auprès de nos enseignants canadiens et américains. Nous pouvons actuellement compter sur les services de Susan Orlean du New Yorker qui enseigne la littérature à Banff. Vijay Iyer, l’un des plus grands musiciens et compositeurs de jazz au monde, enseigne également chez nous et dirige notre programme de jazz et de musique créative.
Notre campus est apprécié par les étudiants de toutes les régions du globe. Nous avons en outre mis sur pied pendant les années 1970 un festival qui remporte un succès incroyable. Il s’agit du Festival du livre et du film de montagne de Banff qui présentera encore cette année, soit du 27 octobre au 4 novembre prochains, quelque 88 films d’aventure tournés en montagne dans différentes régions du monde. Ce festival de renommée internationale attire chaque année plus de 20 000 visiteurs.
Chose plus remarquable encore, ce même festival met annuellement en vitrine du contenu qui est ensuite exporté dans 550 emplacements répartis dans 40 pays du monde, y compris des endroits aussi éloignés que l’Antarctique, l’Argentine, l’Australie, le Bangladesh, le Brésil, la Chine, le Danemark, l’Angleterre, la Finlande, la France, l’Allemagne, l’Islande, l’Inde, le Japon, le Liban, le Mexique, les Pays-Bas, l’Afrique du Sud, la Suisse, Taïwan, le Venezuela et le Pays de Galles.
Le modèle d’affaires pour l’exportation de ce produit culturel extraordinaire a fait ses preuves. Voilà maintenant des décennies que le Centre des arts de Banff produit ainsi du contenu destiné aux marchés internationaux.
Les films primés lors du festival fournissent au centre un contenu qu’il peut rendre accessible aux acheteurs du reste du monde. Nous offrons généralement un forfait incluant un représentant de Banff pour animer une soirée de présentation, voire plusieurs dans certains cas. Il arrive en effet que le contenu de notre festival soit présenté au fil de cinq soirées à certains endroits.
Les cinéastes reçoivent les redevances et le crédit qu’il leur revient pendant que le Centre des arts de Banff et l’image de marque canadienne y gagnent une reconnaissance internationale. Tout le monde en bénéficie donc. Grâce à ce modèle d’affaires, notre centre perçoit des revenus servant au financement de ses activités tout en favorisant l’exportation des œuvres de différents réalisateurs ayant participé au festival. C’est ainsi que Banff et le Canada sont reconnus sur la scène internationale de par leur association avec ce contenu cinématographique de grande qualité. Nous avons pu constater que c’est uniquement en raison du festival que certains publics internationaux connaissent l’existence de Banff en Alberta.
Nous sommes l’un des principaux exportateurs de culture au Canada par le truchement de nos programmes d’enseignement et de résidence et grâce à cet extraordinaire outil de rayonnement international que représente la Tournée mondiale du festival du livre et du film de montagne de Banff.
Pourquoi la diplomatie publique et la diplomatie culturelle revêtent-elles une importance aussi grande? Parce qu’elles nous permettent de raconter ce qu’est le Canada aussi bien au pays qu’à l’étranger et de faire rayonner nos valeurs de tolérance, d’ouverture et de diversité. En raison de la place unique que nous occupons dans le paysage culturel canadien, le Centre des arts de Banff peut mettre à profit l’attrait de son campus et de ses installations de congrès pour réunir des chefs de file mondiaux du secteur culturel afin d’examiner les différents enjeux qui confrontent notre pays et la communauté internationale en la matière.
En cette ère numérique où nous sommes submergés par les médias sociaux, nous nous demandons tous comment faire entendre nos voix distinctes et mettre en valeur notre diversité culturelle. Il est question de souveraineté culturelle à l’ère numérique sur les tribunes artistiques au Canada aussi bien qu’ailleurs dans le monde. Nous serions ravis que des spécialistes étrangers puissent venir au Centre des arts de Banff pour mener des recherches à ce sujet, publier et diffuser leurs résultats à grande échelle, et chercher ensemble des réponses à quelques-unes des plus importantes questions que nous nous posons actuellement.
Le Centre des arts de Banff envisage donc la possibilité de tabler davantage sur la recherche appliquée, les sommets et les groupes de réflexion pour mieux guider l’exploration, la création et la communication des politiques artistiques et culturelles de notre pays, ce qui bénéficiera à notre industrie créative et assurera sa pertinence à titre d’employeur. Le Canada pourrait ainsi se retrouver plus fort encore grâce à la vitalité de ses différentes cultures, les Canadiens étant davantage connectés grâce à la créativité et mieux habilités grâce à l’entrepreneuriat créatif.
Nous voulons être les chefs de file au Canada en matière de recherche sur les politiques artistiques et culturelles, et nous estimons avoir un rôle unique à jouer en matière de diplomatie culturelle canadienne, notamment pour l’exportation de produits culturels, en offrant une tribune pour que des experts du monde entier puissent débattre de ces enjeux complexes liés à la culture, et un endroit au Canada où les artistes étrangers peuvent venir apprendre, créer et se produire en côtoyant leurs collègues canadiens, ce qui est bien sûr tout à fait favorable à une compréhension mutuelle sur la scène mondiale.
Je vous remercie, et je serai ravi de répondre à toutes vos questions.
La présidente : Merci. Nous avons eu droit à trois exposés qui avaient chacun leurs particularités.
La sénatrice Bovey : Merci à tous nos témoins.
Madame Lambert, je suis très heureuse de vous revoir.
Comme nous le savons tous, nous vivons à une époque où règne ce que l’on a appelé l’économie du savoir. La propriété créative et intellectuelle occupe une grande place au sein de cette économie du savoir. C’est d’ailleurs dans ce contexte que je souhaiterais explorer un thème qui est ressorti de chacun de vos exposés, à savoir celui de l’innovation.
Madame Lambert, vous nous avez parlé de façon très convaincante de la nécessité d’un dialogue international, un objectif que vous avez certes atteint avec le Centre Canadien d’Architecture, et c’est un peu la même chose avec la formation et le travail que vous effectuez pour le théâtre, monsieur Arthurs, et celui accompli par le Centre des arts de Banff depuis sa création, monsieur Jang.
J’aimerais que nous essayions d’aller un peu plus au fond des choses. L’innovation est devenue un mot à la mode au sein de la société canadienne. Nous parlons d’innovation scientifique et d’innovation sous toutes ces formes, mais j’aimerais que nous envisagions l’innovation dans l’optique du dialogue créatif, des expositions et des échanges d’expressions artistiques. Pouvez-vous tous les trois nous en dire un peu plus long sur le rôle que le Canada devrait jouer selon vous sur la scène internationale?
Mme Lambert : Eh bien, dans nos expositions et dans nos programmes, nous sommes là pour poser des questions. Nous ne sommes pas là pour dicter aux gens ce qu’ils doivent penser. Nous avons organisé d’énormes expositions sur ce qu’on peut faire avec la ville, sur les voyages dans l’espace et les limites de vitesse; ces expositions parlent de la technologie et de l’organisation de notre société. Nous avons aussi des expositions sur l’architecture et les voyages, qui présentent des idées sur les immeubles et les façons de bâtir et de réorganiser notre environnement. Nous avons également mené de très nombreuses expériences liées à l’accès et à l’interprétation des « Born Digital Archives », initialement par l’entremise d’une série de trois expositions intitulées « Archéologie du numérique ».
Manifestement, nous avons les documents qui appuient cela. De nombreuses personnes de différents pays participent à ces initiatives.
Nous avons un programme très intéressant que nous appelons CCA c/o, par exemple, avec le Portugal. Nous avons la collection de l’un de leurs grands architectes, Álvaro Siza, qui a reçu le prix d’architecture Pritzker. Nous avons établi une relation avec Serralves, à Porto et avec le Gulbenkian, à Lisbonne. Nous avons organisé des expositions. Nous collaborons pour faire du catalogage et établir des liens.
Nous avons également été en mesure d’envoyer nos expositions au Portugal, et même à la Biennale de Venise. Nous avons collaboré avec le Portugal dans le cadre d’une exposition d’architecture intitulée « Where Siza Meets Rossi ». Ce sont des activités interpersonnelles. Nous formons les gens et les esprits. C’est ce que j’essaie d’établir. Manifestement, nous organisons des conférences et des débats, mais il s’agit de trouver la façon d’y arriver et de diffuser des idées essentielles à un plus grand nombre de gens et de les convaincre de l’importance de notre environnement et de notre monde construit.
M. Arthurs : Je crois que c’est une question essentielle, et je tenterai de vous donner quelques exemples concrets, mais il est important de fournir un peu de contexte. Nous parlons de l’économie du savoir. Nous parlons également de l’économie créative, une économie qui a besoin de gens qui peuvent raconter des histoires. Nous savons tous maintenant que les entreprises cherchent de nouvelles façons d’atteindre des publics et des clients potentiels, et qu’elles font appel aux intervenants des milieux créatifs pour tenter de raconter ces histoires.
Au Canada, nous vivons actuellement une sorte de blocage. En effet, il semble y avoir une séparation entre le secteur culturel en tant que secteur artistique et ce que nous appelons les industries culturelles, comme si la radiodiffusion pouvait exister sans contenu et comme si une annonce percutante pouvait exister sans cinéaste.
J’aimerais vous donner un exemple de la façon dont le secteur artistique et les investissements que nous effectuons dans ce secteur mènent à cette économie et comment elle a acquis une renommée internationale. Je suis à l’École nationale de théâtre située à Montréal. Montréal est reconnue mondialement pour ses exportations culturelles, surtout dans le secteur du contenu numérique telles la représentation cartographique sur écran et les productions en direct. En ce moment, c’est le centre de la création de jeux vidéo en Amérique du Nord.
L’École nationale de théâtre du Canada avait un partenariat avec Ubisoft dans lequel l’entreprise formait des acteurs de l’école pour jouer devant un écran vert et la technologie de capture des mouvements, afin qu’ils soient prêts à jouer des personnages dans des jeux vidéo. Ces jeux vidéo sont utilisés partout dans le monde et représentent une industrie qui vaut plusieurs milliards de dollars.
Dans le cadre de ce projet, on avait besoin de jeunes acteurs qui savaient comment pleurer sur commande, car les caméras sont tellement à la fine pointe de la technologie maintenant qu’il fallait capturer cette émotion. Ce n’est plus seulement le domaine des monstres et des gens qui font des sauts arrière. C’est l’aventure humaine qui mène les industries culturelles. Je crois qu’il faut rétablir un lien entre le secteur culturel et ces soi-disant industries, afin de mener cette conversation sur l’innovation.
M. Jang : Merci, sénatrice Bovey, de votre question. Notre secteur se penche depuis longtemps sur la question de l’innovation. Nous croyons fortement qu’il s’agit d’une discussion sur un processus. En effet, c’est grâce au processus créatif que nous apprenons les nouvelles façons de résoudre un problème. Le processus artistique fait partie des façons par lesquelles nous commençons à traiter les enjeux sociétaux, c’est-à-dire par de nouvelles façons de penser et d’établir des liens avec nos communautés. Ce que nous apprenons grâce aux travaux de nos artistes, surtout dans le Centre des arts de Banff, mais également d’un bout à l’autre du pays, c’est que si nous combinons la notion d’exploration et celle de curiosité, nous obtenons l’innovation. Nous avons l’occasion de collaborer — et ce sont trois mots que les trois témoins ont utilisés aujourd’hui — dans des domaines de réflexion essentiels, car la collaboration est devenue un élément fondamental de nos interactions avec nos communautés. Cette collaboration ne se fait pas nécessairement toujours avec d’autres artistes, car il s’agit de collaborer avec d’autres communautés et des possibilités de travailler avec les organismes d’en face, c’est-à-dire les autres organismes à but non lucratif qui sont aux prises avec des enjeux.
J’ai eu le plaisir de travailler au campus du centre-ville de l’Université Simon Fraser, c’est-à-dire au pavillon Woodward’s, dans le quartier Downtown Eastside de Vancouver. L’expérience de travailler dans une institution en plein cœur de l’un des quartiers les plus en difficulté de notre pays, et d’observer comment nous avons travaillé, collaboré et innové dans les façons de penser et de comprendre les techniques de travail et de construction de collectivités plus saines et essentielles, représente la différence entre le domaine des STIM et le domaine des STIAM.
Autrefois, nous disions que les arts et la culture étaient au centre de nos communautés. Maintenant, nous disons que les arts et la culture vont de pair avec nos communautés, c’est-à-dire qu’elles sont au cœur de partenariats avec d’autres éléments de nos communautés qui nous sont essentiels. Les innovations sont maintenant produites dans des domaines de pratique pertinents sur le plan social. Ce que nous trouvons intéressant, c’est que nous observons des percées dans la société et des collectivités plus saines.
La sénatrice Bovey : Madame Lambert, vous avez parlé du travail que vous avez accompli avec le Portugal. Je connais un grand nombre des collaborations internationales que vous avez dirigées et auxquelles vous avez participé. Vous avez également dit que l’architecture définit nos villes et nos espaces de vie. Vous pourriez peut-être faire le lien entre cette notion et les commentaires de Howard Jang au sujet de la collaboration avec les organismes d’en face pour mettre cela sur la scène internationale, c’est-à-dire définir les valeurs canadiennes, mais en utilisant ces collaborations et innovations internationales pour améliorer le monde.
Mme Lambert : Il s’agit de la formation de la pensée. C’est un processus lié aux idées et à leur développement. Comme je l’ai mentionné plus tôt, cela repose surtout sur les rencontres individuelles, entre deux personnes. Je ne crois pas qu’on puisse réussir à produire quelque chose lorsque cela devient une production de masse. Je crois que c’est la meilleure réponse que je peux vous donner.
La sénatrice Bovey : Merci.
Le sénateur Oh : J’aimerais remercier les témoins. Aujourd’hui, nous avons la chance d’accueillir trois extraordinaires créateurs culturels et activateurs de la diplomatie culturelle. Vous faites un excellent travail.
J’aimerais revenir sur une question posée plus tôt, c’est-à-dire dans quelle mesure et de quelles façons vos secteurs intègrent-ils la nouvelle technologie et les médias numériques, afin de les propulser sur la scène internationale?
M. Jang : Je serais heureux de répondre à cette question, mais serait-il préférable que nous répondions dans le même ordre, madame la présidente?
La présidente : Nous continuerons d’utiliser le même ordre.
Le sénateur Oh : Alors le premier témoin peut répondre.
La présidente : Madame Lambert, si vous avez quelque chose à ajouter, allez-y.
Mme Lambert : J’ai certainement beaucoup de choses à ajouter.
La présidente : Merci.
Mme Lambert : De nombreux musées construisent de nouveaux édifices. Nous sommes un centre de recherche doublé d’un musée. Notre deuxième édifice, c’est notre site web. Nous avons mené des expériences sur notre site web. C’est réellement un endroit pour apprendre et où nous demandons aux gens de lire. Manifestement, nous offrons l’accès à nos collections, mais nous avons fait des expériences. Étant donné que nous avons un petit édifice, notre site web est un outil fantastique, car il nous permet d’entrer en communication avec les autres.
Ensuite, manifestement, je crois que nous sommes réellement un chef de file mondial dans l’utilisation d’Internet, de l’ordinateur et des médias numériques pour faire comprendre la création et perfectionner son utilisation dans la conception informatique. Il ne s’agit pas d’utiliser l’ordinateur pour produire ou reproduire des dessins — c’est utile, mais c’est plus que cela. Il s’agit de la conception formidable effectuée à l’intérieur de l’ordinateur et des façons d’étendre cette pratique. Comme je l’ai dit, nous avons organisé trois grandes expositions sur ce sujet et une collection fondée sur les travaux préliminaires. Ce serait perdu si nous n’avions pas établi les liens appropriés et si nous n’avions pas mis cela au point, et ce n’était pas facile du tout.
Ce sont les domaines dans lesquels nous utilisons l’informatique. Nous participons également à la gestion de l’ensemble du CCA et collaborons avec d’autres secteurs. Nous connectons nos ordinateurs et nos systèmes numériques sur notre territoire, afin qu’ils travaillent ensemble. Ce ne sont pas des éléments séparés, car nous travaillons horizontalement dans tous les domaines.
M. Arthurs : J’aimerais vous donner quelques exemples concrets de la façon dont nous travaillons directement avec les nouvelles technologies, mais tout d’abord, j’aimerais prendre quelques secondes pour insister sur le fait qu’au centre de la technologie efficace, il y a le contenu créé par les humains. Il reste encore beaucoup de choses à définir dans la nouvelle technologie, par exemple la différence entre servir la technologie et servir les intérêts des communautés par l’entremise de la technologie. Dans une autre audience au Sénat — c’est-à-dire lors de ma prochaine comparution —, je vais défendre l’importance des arts en direct pour tout le monde.
Les technologies sont grandement intégrées dans le processus créatif de quelques secteurs importants. Pour revenir à la notion de la conception des technologies, cette conception suit souvent le même processus que celui d’une création collective dans le milieu théâtral ou dans une autre forme d’art. On commence avec une idée, on en fait rapidement un prototype, on le lance sur le marché et on fait des essais.
Dans notre école — et nous parlons d’étudiants très jeunes —, tous les étudiants de nos programmes de production, de conception de la production et des arts technologiques sont embauchés avant d’obtenir leur diplôme, car ils sont très à l’aise avec les nouvelles technologies. En effet, ils maîtrisent la cartographie par ordinateur, un domaine très populaire actuellement dans le milieu des arts de la scène, car la vidéo est intégrée aux mouvements humains et aux décors. Nous explorons des approches plus écologiques pour la conception des productions artistiques, et nous avons même présenté quelques propositions qui visent à utiliser la réalité augmentée dans la conception des décors, car elle permet de montrer des choses sur la scène sans avoir à les construire. Ce sont tous des domaines qui soulèvent un grand intérêt actuellement dans le monde du théâtre, mais encore une fois, cela revient au moment où les membres du public reçoivent cette information et ressentent quelque chose.
M. Jang : Ces jours-ci, la technologie fait probablement partie de la réflexion stratégique de tous les intervenants de notre communauté.
Lorsque je pense aux liens de la technologie avec notre industrie, je vois deux volets. Le premier est lié au processus créatif, comme Gideon l’a dit. Une analyse des représentations actuelles révélera qu’il y a moins de décors physiques sur la scène, où l’on voit beaucoup plus de technologies. Cela revient à une question très importante à laquelle nos communautés tentent toujours de répondre, c’est-à-dire comment pouvons-nous établir des relations plus approfondies et plus intrinsèques avec nos communautés?
Actuellement, nous tentons de comprendre comment la technologie peut nous aider à approfondir ces relations. Nos artistes et nos créateurs explorent de nouvelles façons intéressantes d’y arriver, que ce soit par l’entremise de la réalité augmentée ou d’une autre technique, mais la technologie n’est pas l’objectif en soi. En effet, l’objectif est de créer une meilleure histoire, une histoire plus approfondie qui nous permet de créer des liens avec le public.
J’ai mentionné qu’il y avait deux façons différentes d’aborder le sujet. L’autre façon est liée à la plateforme, à la façon dont nous communiquons par l’entremise de la technologie et à la mesure dans laquelle cela a changé.
Oui, autrefois, l’objectif était de remplir tous les sièges. C’était la mesure de la réussite des représentations en direct. Maintenant, il s’agit de savoir combien d’yeux peuvent voir la production. Nous parlons de diffusion en direct et des façons d’atteindre une communauté mondiale. C’est une façon d’y arriver.
L’élément qui relie ces deux processus créatifs et la communication est une notion que nous appelons la « découvrabilité ». C’est la possibilité de découvrir par l’entremise de la technologie et d’approfondir notre expérience en découvrant ce qui se passe et en prolongeant l’expérience.
Nous sommes seulement en train d’apprendre ce qu’est la découvrabilité pour nous aujourd’hui. Nous apprenons que le spectacle ne se termine pas à 22 heures, à la chute du rideau. En effet, nous créons ensuite des souvenirs. Et aujourd’hui, la technologie nous aide à créer des souvenirs plus pénétrants qui dépassent non seulement nos théâtres ou nos salles de concert, mais aussi nos frontières.
Le sénateur Oh : Monsieur Arthurs, quels sont les programmes fédéraux les plus efficaces pour le secteur artistique lorsqu’il s’agit de renforcer la culture canadienne pour l’École nationale de théâtre du Canada?
M. Arthurs : C’est une excellente question. Je dirais que l’argent que le gouvernement actuel a récemment investi dans le Conseil des arts du Canada aide énormément nos diplômés. C’est ce qui fait vivre une collectivité culturelle. Toutefois, nous croyons que tout ce qui leur permet d’atteindre de nouveaux publics est un investissement nécessaire, car cela a un impact important. La création et le développement forment donc une partie de cela, mais il y a également le Fonds du Canada pour la présentation des arts, qui est d’une importance capitale pour notre communauté.
Manifestement, pour nous personnellement et pour notre institution, le Fonds du Canada pour la présentation des arts est extrêmement important, mais pour nos diplômés, c’est certainement la partie de la présentation.
La sénatrice Ataullahjan : Je vous remercie de vos exposés.
La majorité des témoins qui ont comparu devant notre comité ont insisté sur l’importance de la diplomatie culturelle. Pour nous, cela signifie qu’il faut favoriser la compréhension mutuelle entre les pays, faire la promotion de la marque canadienne et encourager les échanges de produits culturels.
À votre avis, la diplomatie culturelle atteint-elle ces objectifs ou est-elle sous-estimée ou exagérée?
Mme Lambert : La diplomatie culturelle est extrêmement importante pour la représentation. J’ai parlé des ambassades, par exemple. Lorsque les ambassades participent à la présentation et à la diffusion des œuvres, cela aide énormément.
Par exemple, Paris a un excellent programme de présentation des arts en général, et ce programme a été extrêmement important. En effet, il a créé un environnement dans lequel de nombreux groupes de Montréal sont entièrement liés à ces programmes.
De plus, lorsque le président du Portugal est venu au Canada pour discuter avec le premier ministre Trudeau, par exemple, il est venu spécialement au CCA, car il est reconnaissant du lien que nous avons.
Ces interactions sont extrêmement importantes. Par exemple, j’ai parlé du Programme d’aide à la tournée des arts de la scène. Je connais quelqu’un qui donne des représentations dans divers endroits en France, ce qui est formidable, mais le soutien de ce projet a été éliminé. C’était un énorme secteur, mais 175 organisations ont été abandonnées en 2008. Elles généraient 15 millions de dollars en revenu. Ces artistes sont des ambassadeurs. Ce sont des gens qui établissent des liens avec d’autres gens. Cela revient toujours à la présentation au niveau personnel et, manifestement, cela amène de nombreuses personnes.
M. Arthurs : Je dirais qu’en général la diplomatie culturelle est sous-estimée au Canada. J’aimerais souligner notre plus grande réussite, c’est-à-dire les stratégies d’exportation culturelle de la province de Québec. Nous pourrions facilement parler de toutes les marques, par exemple Cirque du Soleil, Les 7 Doigts, Robert Lepage; toutes des marques qui sont reconnues sur la scène internationale et qui contribuent énormément à faire connaître le Québec au reste du monde.
Howard n’est peut-être pas d’accord avec moi, mais dans le contexte culturel, lorsqu’on parle de la présence culturelle, la marque du Québec est plus solide que celle du Canada. Effectivement, Howard n’est pas d’accord avec moi. Ailleurs dans le monde, on reconnaît pleinement le rôle du Québec et ses valeurs grâce aux artistes que le Québec parvient à mettre en contact avec d’autres artistes internationaux.
Je pourrais faire valoir qu’il existe, dans le reste du Canada, un potentiel et des talents extraordinaires pour créer une marque culturelle qui serait reconnue à l’échelle mondiale. Je crois réellement qu’il s’agit d’avoir accès aux marchés et d’appuyer la chaîne de création à toutes les étapes.
M. Jang : Je suis d’accord avec vous, parce que nos connaissances et notre longue histoire dans le secteur nous permettent de comprendre l’importance des investissements précoces et l’investissement historique du Québec dans ses industries culturelles.
Nous reconnaissons la valeur de cela. Nous pouvons vous nommer 100 organismes qui parlent de l’incidence de la diplomatie culturelle.
Pensons à l’orchestre du Centre national des Arts qui a fait une tournée en Chine. C’était un événement important, et c’était bien plus qu’une présence de l’autre côté de l’océan. C’était l’occasion d’entreprendre une relation essentielle avec la Chine.
Nous pourrions continuer de parler du rôle de Betroffenheit, une production de danse incroyable créée à Banff, mais de façon plus importante, elle a été acclamée à l’échelle internationale et a gagné le prix Olivier à Londres, en plus d’autres prix Europe et partout dans le monde.
Ce qui me fascine à propos de la culture, c’est son incidence sur le tourisme.
J’ai aussi eu une expérience intéressante. Je faisais partie de l’organisation des Olympiades culturelles de Vancouver en 2010 et j’ai été témoin des possibilités de collaboration à l’échelle internationale, et des événements culturels connexes.
J’ai beaucoup parlé du Festival du livre et du film de montagne du Centre des arts de Banff, auquel participent 40 pays, de son incidence considérable sur le renforcement de la marque, sur le développement économique et sur la position du Centre sur la scène internationale.
La sénatrice Ataullahjan : Monsieur Jang, ma question a trait au centre des arts de Banff. Est-ce que vous utilisez les médias sociaux pour en faire la promotion?
M. Jang : Je dirais que l’ensemble du secteur s’est éloigné de ce que nous appelons les médias grand public pour la presque totalité de la promotion et de nos liens.
Le blogage est essentiel pour nous. On invite les membres de la communauté aux spectacles, mais d’autres viennent aussi des agences de médias sociaux. Donc oui, tout à fait.
La sénatrice Ataullahjan : Monsieur Arthurs, vous venez de dire une chose très intéressante. Je crois qu’il serait difficile pour nous d’être en désaccord avec vous : la marque du Québec est plus forte que celle du Canada.
Que fait le Québec différemment? Quelles leçons les provinces pourraient-elles tirer du Québec?
M. Arthurs : Cela revient à l’investissement de base. Il faut investir tout au long du processus. Je crois que c’est ainsi pour toutes les formes d’art. Je peux vous parler des arts de la scène. Nous croyons vivement en l’importance pour les jeunes d’avoir accès à l’art. À partir de là, ils auront la possibilité de participer à des classes préparatoires et à d’autres axées sur le plaisir de jouer, et il y a des établissements bien financés qui préparent les artistes à leur carrière. Il importe d’investir dans leur perfectionnement dès leur sortie de l’école; c’est essentiel.
Je n’ai jamais fait partie d’un écosystème artistique qui aidait autant la scène émergente. Il y a des centres d’arts visuels gérés par les artistes; diverses maisons de la culture, qui font partie intégrante des communautés de l’île de Montréal, par exemple. Il y a des infrastructures incroyables qui appuient les artistes émergents.
On finance aussi les tournées. Le Québec appuie ses industries, parce qu’il comprend que ces investissements sont très rentables.
Le Québec a aussi un système hybride, qui n’existe pas ailleurs au Canada. Le travail artistique est associé à des possibilités commerciales. Les collectifs comme Les 7 doigts comptent deux volets. D’abord, une fondation pour le travail communautaire. Ensuite, par exemple, le collectif a réalisé la chorégraphie de la cérémonie d’ouverture des jeux de Sotchi, ce qui représente un contrat très lucratif et qui est appuyé par un écosystème très riche et complexe, qui s’intègre à une politique culturelle appuyée par l’État.
La présidente : Nous nous centrons sur le rôle du gouvernement, mais de plus en plus, au fil de mes voyages dans divers pays, je constate que le secteur des affaires comprend qu’il est responsable d’appuyer la culture et que les entreprises font le lien entre les deux secteurs.
Les gouvernements doivent tenir compte des régions, des groupes d’intérêt, etc. Il semble que les entreprises font un choix d’affaires. Dans quelle mesure nos lois découragent ou encouragent-elles les entreprises à s’intéresser au secteur culturel? Je viens de la Saskatchewan et nous avons le centre Remai, dont nous sommes très fiers. Le projet a été lancé par les gens du milieu des affaires, et a bénéficié de l’aide de tous les ordres de gouvernement : municipal, provincial et fédéral.
Est-ce que, dans le cadre de son étude, le comité pourrait aborder le sujet des lois, de la responsabilité des communautés ou de la responsabilité des entreprises? Y a-t-il quelque chose qui pourrait nous être utile?
Mme Lambert : Je ne crois pas qu’il s’agisse nécessairement d’une question juridique. Je ne suis pas au courant de cela. Je ne peux répondre à ce volet de votre question, mais je sais que, lorsqu’elles songent à investir — et je n’aime pas l’idée de faire un don, je préfère parler d’investissement — dans un projet culturel ou architectural, dans le logement social, etc., les entreprises cherchent l’investissement qui rapportera le plus. Par exemple, l’orchestre symphonique compte sur des milliers de donateurs. Ils aiment cela.
Or, de nombreuses petites organisations, qui ne jouissent pas de la même popularité, ont une incidence culturelle importante sur l’apprentissage. Je crois que c’est un problème lorsque seuls les chiffres comptent.
La présidente : Nous avons perdu la vidéo. M. Arthurs pourrait peut-être nous répondre.
Mme Lambert : Je ne vous entends pas.
La présidente : Je crois que nous avons un problème avec la vidéo. Est-ce que vous m’entendez?
Mme Lambert : Oui.
La présidente : Vouliez-vous ajouter quelque chose? La vidéo a été interrompue à votre toute dernière phrase. Si vous n’avez rien à ajouter, je vais passer la parole aux autres témoins.
Mme Lambert : Je crois que vous avez entendu ma dernière phrase.
La présidente : Oui.
Mme Lambert : Ce sera tout, donc.
M. Arthurs : C’est une excellente question. J’aurais tendance à être d’accord avec vous : il n’y a pas d’obstacle juridique. L’investissement disproportionné par le secteur privé dans les grandes entreprises plutôt que dans les petites entreprises représente évidemment un enjeu, mais c’est un problème à l’interne, dans notre secteur, et nous devons faire mieux.
Je peux vous dire que dans le cadre de nos efforts de collecte de fonds avec le secteur privé — qui se sont avérés un grand succès —, nous sommes perçus à titre d’organe permettant aux entreprises d’exprimer leur humanité et leur engagement à l’égard de leur communauté. Comme je l’ai dit plus tôt, nous avons récemment pris en main le Festival de théâtre Sears, qui se tient dans 450 écoles secondaires du Canada, et nous espérons annoncer la semaine prochaine un commanditaire national qui souhaite assurer sa présence dans toutes ces communautés, dans l’un des contextes culturels les plus aimés qui soient.
Cette relation est très importante. Nous ne voyons rien qui empêche la participation de ces joueurs.
M. Jang : Comme je l’ai constaté au cours de ma carrière, l’approche des gens d’affaires à l’égard de la philanthropie a beaucoup changé. À une certaine époque, on tenait un discours philanthrope et on parlait de la philanthropie d’entreprise; de l’appui qui était offert de ce point de vue.
La perspective a beaucoup changé, non pas pour des raisons fiscales ou juridiques, mais bien pour des raisons d’affaires. Les entreprises se préoccupent du marché et de pouvoir associer leur marque à un organisme à but non lucratif. Les discussions se centraient moins sur les reçus à des fins fiscales et plus sur la possibilité de se mettre en valeur par l’entremise de leur soutien.
Les choses changent. La notion de responsabilité sociale des entreprises gagne de plus en plus en importance, tant pour des raisons commerciales que pour des raisons communautaires. Sur le plan des affaires, c’est une question d’engagement auprès des employés et de recrutement. Il est question de redonner à la communauté. C’est essentiel pour les entreprises.
J’ai siégé huit ans au conseil de la fondation communautaire de TELUS et j’ai constaté à quel point il était important pour l’entreprise d’appuyer les communautés.
Nous constatons un important changement. Les sociétés accordent beaucoup plus d’importance à leur rôle dans la communauté.
La présidente : Monsieur Jang, à titre de suivi, nous parlons de diplomatie culturelle et d’internationalisme; de politique étrangère. Vous avez dit que la responsabilité d’entreprise était beaucoup plus ancrée dans la communauté. Comment cela se reflète-t-il dans les entreprises et sur le plan international?
M. Jang : C’est l’harmonisation des approches et des valeurs. On voit les tournées internationales de prestations culturelles qui sont commanditées par des entreprises qui font des affaires dans ces pays. Ces relations sont très fréquentes, par exemple avec un grand cabinet comptable.
La présidente : La séance tire à sa fin. Si vous vouliez ajouter quelque chose, c’est le bon moment.
Madame Lambert?
Mme Lambert : Oui, j’aimerais ajouter quelque chose. J’aimerais dire que la participation internationale à la culture est extraordinaire. Le CCA, notre centre d’études, a vu le jour en 1997 et nous avons reçu la visite de 145 chercheurs depuis; nous avons reçu 800 étudiants au prédoctorat et à la maîtrise. Ces gens viennent de partout dans le monde pour nos divers programmes.
J’insiste une fois de plus sur l’importance d’une communication immédiate et en personne. Nous ne sommes pas un secteur de masse, mais notre contribution est énorme. Nous sommes des ambassadeurs culturels, au sein d’une réelle diplomatie. C’est ce que je voulais ajouter.
M. Arthurs : Je n’ai rien à ajouter. Merci.
M. Jang : J’aimerais dire que nous passons beaucoup de temps à parler des avantages économiques, ce qui est essentiel. Je comprends cela.
Les avantages intrinsèques et la compréhension de notre rôle à l’égard de la culture et de la santé des communautés sont au cœur de notre travail.
La présidente : Au nom du comité, je remercie tous les témoins de leur participation. Vous avez grandement contribué à notre étude et nous avez montré de nouvelles dimensions. Je suis certaine que vos propos seront reflétés dans notre rapport. Si vous avez autre chose à ajouter, veuillez communiquer avec notre greffière. Nous vous remercions beaucoup de votre présence et surtout de vos idées et recommandations au sujet de notre étude.
(La séance est levée.)