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AEFA - Comité permanent

Affaires étrangères et commerce international

 

LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le jeudi 14 décembre 2017

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd’hui, à 10 h 30, afin de poursuivre l'étude de l’impact de la culture et des arts canadiens sur la politique étrangère et la diplomatie du Canada ainsi que leur utilisation dans ces domaines, et d’autres questions connexes.

La sénatrice A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international reçoit aujourd’hui des témoins pour étudier, avec l’autorisation du Sénat, l’impact de la culture et des arts canadiens sur la politique étrangère et la diplomatie du Canada, ainsi que leur utilisation dans ces domaines, et d’autres questions connexes.

Nous accueillons donc M. Daryl Copeland, agrégé supérieur de recherche, Institut canadien des affaires mondiales et ancien diplomate; et M. Gaston Barban, qui est également un ancien diplomate canadien. M. Copeland est retardé par la circulation et devrait arriver sous peu. Nous avons donc décidé de commencer avec M. Barban. Nous entendrons le témoignage de M. Copeland par la suite, de manière à ne pas perdre de temps.

Je m’appelle Raynell Andreychuk et je suis présidente du comité. Je demande à mes collègues sénateurs de se présenter, en commençant par ma droite.

Le sénateur Oh : Sénateur Oh, Ontario.

[Français]

La sénatrice Saint-Germain : Sénatrice Saint-Germain, du Québec.

Le sénateur Cormier : Sénateur Cormier, du Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Massicotte : Paul Massicotte, du Québec.

[Traduction]

La sénatrice Cordy : Jane Cordy, de la Nouvelle-Écosse.

La présidente : Nous avons en mains vos biographies. Comme les sénateurs ont déjà pu prendre connaissance de votre contribution à la diplomatie canadienne au fil de toutes ces années de service, nous n’allons pas utiliser le temps du comité pour en faire lecture. Nous savons que vous êtes fort bien placés pour témoigner devant nous dans le cadre de notre étude sur la diplomatie culturelle et les responsabilités du gouvernement en la matière.

Merci, monsieur Barban, d’avoir accepté notre invitation. Vous avez maintenant la parole. Comme vous n’en êtes pas à votre première comparution, vous savez que les sénateurs voudront vous poser des questions par la suite. Merci de votre présence.

Gaston Barban, ancien diplomate canadien, à titre personnel : Merci beaucoup, madame la sénatrice. Bonjour à tous. Si je puis me permettre une remarque personnelle, je dois dire que je suis ravi de revoir la sénatrice Andreychuk. Nous avons tous les deux travaillé à l’Île Maurice et au Lesotho au sein de l’Association parlementaire Canada-Afrique, aux côtés du regretté Mauril Bélanger. En cette froide journée, il me fait vraiment chaud au cœur de vous revoir. Lors de notre dernière rencontre, la température était beaucoup plus clémente, n’est-ce pas?

C’est un honneur pour moi de me présenter devant vous aujourd’hui pour vous faire part de mes idées sur la diplomatie culturelle et la conduite des relations internationales du Canada. Comme vous avez pu le voir dans ma biographie, je m’appuie pour ce faire sur mon passé de cadre et de diplomate à Affaires mondiales Canada tant au pays qu’à l’étranger. Qui plus est, j’ai été un praticien de la diplomatie ouverte dont j’ai utilisé toute la panoplie d’outils et de techniques, de l’action sociale jusqu’aux activités artistiques et culturelles, en passant par les médias traditionnels et sociaux, les relations universitaires et les sports, tout ça dans le but de mettre en valeur l’image du Canada et de progresser dans le sens de nos objectifs internationaux. C’est à la lumière de cette expérience, et dans le contexte de la diplomatie ouverte, que je peux attester de la contribution significative de la culture et des arts canadiens à l’atteinte de nos objectifs internationaux en matière de commerce, de développement et de politique étrangère.

Bien que l’on n’en fasse pas toujours une priorité, la promotion de la culture et des arts canadiens à l’échelle internationale est au cœur de nos programmes fédéraux et provinciaux et de nos efforts diplomatiques depuis un bon moment déjà. Selon moi, ces programmes tirent leur origine de trois formes distinctes de motivation. Il y a d’abord l’opinion répandue -- et j’aime à penser que c’est l’opinion de la majorité -- voulant que la culture ait une valeur intrinsèque et que l’art soit en quelque sorte la récompense de l’art. On voit les arts et la culture et leur expression publique comme des facettes fondamentales de l’esprit humain et, au sens large, comme une représentation significative d’une société ou d’un pays. On considère, par extension, que la promotion internationale de la culture d’un pays est essentielle si l’on veut qu’il établisse son identité nationale et que ses citoyens puissent se situer dans le monde. C’est ce que j’appelle la motivation existentielle.

Deuxièmement, les arts et la culture sont des activités humaines qui génèrent de la richesse. D’autres vous diront mieux que moi combien de milliers de gens travaillent dans nos industries culturelles et à combien de milliards de dollars se chiffre leur production. Contentons-nous de souligner qu’il s’agit d’une contribution très significative et que, à l’instar de toutes les autres activités économiques que nous souhaitons voir prendre de l’expansion au Canada, les milieux culturel et artistique de même que les individus et les entreprises qui y évoluent méritent d’obtenir le soutien gouvernemental, via toute la gamme de mesures d’éducation et de formation, d’investissements opportuns sous forme de subventions, de prêts et d’incitatifs fiscaux, et d’aide pour l’accès aux marchés et à l’exportation. C’est la motivation économique.

La motivation diplomatique est la troisième que je souhaite mettre en évidence. Je parle ici de la manière dont les arts et la culture peuvent agir dans le sens de nos intérêts internationaux, principalement à titre d’outils de diplomatie ouverte. On utilise depuis un certain temps déjà le terme « diplomatie ouverte » qui est défini de différentes façons et étroitement relié à la notion de puissance discrète. À mon sens, la diplomatie ouverte s’entend des efforts de communication et de rayonnement déployés auprès de publics étrangers afin de projeter une image attrayante d’un pays et d’amener les gens à le voir d’un bon œil. Si ces efforts sont couronnés de succès, ils devraient idéalement préparer le terrain pour d’autres formes de relations internationales. Que l’objectif visé soit de défendre un point de vue stratégique, d’attirer des touristes ou des étudiants chez nous, ou de vendre nos biens et services, une diplomatie ouverte efficace peut améliorer nos chances de réussite.

C’est dans le vaste domaine de la diplomatie culturelle que l’on trouve une bonne partie des outils les plus efficaces en diplomatie ouverte. Ce domaine englobe tout l’éventail des activités culturelles, des arts de la scène -- musique, danse, théâtre -- jusqu’aux échanges muséaux, institutionnels et individuels, en passant par les arts visuels -- peinture, cinéma, photographie, vidéo, numérique -- et toutes les formes de concerts, performances, expositions, festivals et visionnements. Certains ajouteraient même les sports, la cuisine, la mode, l’architecture et le design, pour n’en nommer que quelques-uns.

Bien que toutes ces activités puissent être bénéfiques pour les artistes et les institutions en cause, en plus de générer des retombées économiques, elles sont surtout utiles à mon avis dans la mesure où les investissements dans la diplomatie culturelle contribuent à la promotion et à la protection des intérêts du Canada.

Je sais que la plupart des diplomates canadiens comprennent bien à quel point la promotion de la culture et des arts peut servir nos intérêts internationaux. De concert avec leurs équipes, et tout particulièrement avec les employés affectés localement à ces fonctions, ils excellent pour utiliser à bon escient le financement relativement modeste disponible à cette fin.

Qu’il s’agisse d’appuyer un projet visant à projeter une image positive de notre pays, d’établir des réseaux de contacts, d’avoir accès à des personnes importantes, de contribuer à la défense de nos politiques, de nos opinions ou de nos valeurs, la culture et les arts canadiens comptent parmi les outils précieux de notre trousse de diplomatie ouverte et jouent un rôle clé dans nos efforts diplomatiques.

Malgré une décennie de négligence, je peux vous assurer que lorsqu’une occasion se présente sur le terrain, on n’hésite pas à faire la promotion de la culture canadienne pour contribuer à l’atteinte de nos objectifs internationaux. Bien que les fonctions liées à la diplomatie ouverte et à la culture soient éparpillées entre différentes directions générales à l’administration centrale d’Affaires mondiales Canada, elles profitent d’une impulsion nouvelle grâce aux lettres de mandat du premier ministre et à l’injection de ressources financières par l’entremise de Patrimoine canadien. Mais si nous voulons assurer une meilleure promotion de la culture canadienne et confirmer que le Canada est bel et bien de retour, il faut en faire davantage.

En toute humilité, je propose que l’on indique clairement que la diplomatie culturelle est une priorité nationale dans le contexte de la diplomatie ouverte. Je propose également que, dans le cadre d’une plus vaste stratégie en matière de diplomatie ouverte, une stratégie internationale pour la promotion de la culture et des arts soit élaborée par Affaires mondiales Canada, Patrimoine canadien et les autres ministères, institutions et agences concernés, en consultation avec la communauté culturelle canadienne. Cette stratégie devrait permettre l’établissement d’un ensemble d’objectifs et d’un plan d’action de manière à mobiliser la communauté culturelle et artistique aux fins d’un effort mutuellement bénéfique visant à progresser vers l’atteinte des objectifs du Canada en matière de commerce international, de développement et de politique étrangère, via l’assignation à cette tâche de chefs de file gouvernementaux et l’octroi de ressources suffisantes pour sa réalisation.

En conclusion, je tiens à vous dire que j’ai la conviction que la promotion de la culture canadienne à l’échelle internationale est essentielle à notre identité nationale, contribue grandement à notre essor économique et est un outil indispensable pour la promotion de nos intérêts nationaux. Il faut que le gouvernement en fasse une priorité en assurant la coordination des efforts, la planification stratégique nécessaire et la mise en œuvre au moyen d’un leadership engagé et de ressources suffisantes.

La présidente : Merci, monsieur Barban.

Monsieur Copeland, vous arrivez juste au bon moment.

Daryl Copeland, agrégé supérieur de recherche, Institut canadien des affaires mondiales, à titre personnel : C’est le concept du juste à temps à son meilleur.

La présidente : Il semblerait que vous ayez été coincé dans la circulation ou aux prises avec un problème semblable.

M. Copeland : Quatre stationnements complets, mais n’insistons pas là-dessus. Puis-je me permettre de souligner que la dernière fois que je vous ai vue, vous étiez à Nairobi alors que je travaillais à Addis.

La présidente : Vous étiez en Éthiopie, et j’étais à Nairobi.

M. Copeland : C’est exact.

La présidente : Tout à fait. Il n’est pas nécessaire de leur dire à combien d’années cela remonte.

M. Copeland : Nous pourrions bien. Cela fait des décennies.

La présidente : Des décennies, vous avez raison. Je ne crois pas que c’est la présentation que vous souhaitiez, monsieur Copeland. Je vous ai en fait présenté avant votre arrivée. Comme nous voulons vous consacrer le maximum de temps, nous ne faisons pas lecture des biographies. Les sénateurs ont déjà pris connaissance de vos antécédents. Par souci d’efficience, nous avons d’abord donné la parole à M. Barban. Vous arrivez donc juste à temps pour votre exposé avant que nous passions aux questions des sénateurs. Vous avez maintenant la parole. Bienvenue au comité.

M. Copeland : Je vous remercie vivement de m’avoir si gentiment invité à venir vous faire part de mes réflexions sur cet important sujet.

En me penchant sur la question, j’en suis arrivé à une évaluation que l’on pourrait juger plutôt radicale, tout au moins dans le sens d’une analyse assez approfondie visant à remonter à la source de trois enjeux fondamentaux en cause dans le sujet qui nous intéresse. Un peu à l’image d’une note d’information, mon argumentation va s’articuler autour de trois volets, le contexte, le cœur et la conclusion.

J’aimerais d’abord poser trois questions qui m’apparaissent être parmi les plus fondamentales. Lorsque nous parlons de culture, de diplomatie et de science, qu’entend-on nous exactement? Et, le cas échéant, en quoi ces trois piliers de l’activité humaine sont-ils interreliés?

La culture est peut-être le plus englobant, mais aussi le plus vague, de ces trois concepts. Ce n’est pas pour autant une notion farfelue ou nébuleuse. En fait, on peut la définir ou la concevoir comme un ensemble de normes, de coutumes, de caractéristiques, de traditions, d’expressions artistiques et de comportements qui caractérisent un groupe humain. Elle est transmise via l’apprentissage social, une précision que j’estime primordiale.

La science, que l’on voit souvent comme un concept dense et impénétrable, est une méthode empirique, objective et basée sur les faits de création de connaissances qui, via des processus d’interrogation, d’essai et erreur et d’analyse rigoureuse, fournit des indications systématiques sur la nature des choses. Cette méthode s’appuie notamment sur l’énoncé de postulats, l’expérimentation, l’analyse de données et la théorisation.

La diplomatie, parfois décrite comme le deuxième plus vieux métier du monde et généralement très mal comprise, est en fait une approche de la gestion des relations internationales caractérisée par le dialogue, la négociation, les compromis, la résolution de problèmes et la recherche d’un équilibre complexe. Parmi ses outils, on note la puissance discrète, le pouvoir d’attraction, le plaidoyer, la persuasion et l’influence.

On parle généralement de « diplomatie ouverte » pour désigner l’utilisation de la culture et de la science, combinée à la sensibilisation, aux relations médiatiques et à l’action sociale, par les différents gouvernements pour défendre leurs intérêts, promouvoir leurs politiques et faire rayonner leurs valeurs.

Approfondissons les choses en examinant les interconnexions qui caractérisent et relient ces trois aspects essentiels, mais trop souvent mal compris, de la politique étrangère canadienne. Je vous ai présenté le contexte; je passe maintenant au cœur du sujet.

La diplomatie est une forme de communication politique internationale qui, via l’écoute active et les échanges bilatéraux significatifs, privilégie le dialogue au détriment de la querelle et favorise le règlement pacifique des différends. Ce faisant, la diplomatie préconise et réaffirme des valeurs comme la coopération, la non-violence, les accommodements et la paix comme éléments de culture. Soit dit en passant, peu de gens apprécient vraiment le contenu artistique de l’action diplomatique, à savoir la créativité, l’imagination, l’innovation et l’improvisation dont les diplomates doivent faire montre.

On se tourne vers la science, génératrice de connaissances permettant des applications pratiques, pour régler des problèmes de sous-développement et d’insécurité qui vont des changements climatiques et de la réduction de la biodiversité jusqu’à la gestion du patrimoine mondial, en passant par la santé publique. Ce faisant, la science préconise et réaffirme les valeurs d’ouverture, de transparence, de collaboration et de dissidence constructive comme éléments de culture.

La science et la diplomatie ont déjà occupé une place de choix au firmament de la politique étrangère canadienne, comme l’illustre sans équivoque une enquête sur la diplomatie et les relations internationales du Canada dans l’ère moderne, c’est-à-dire de Pierre Trudeau à Justin Trudeau. Les réalisations historiques de cette époque et leur héritage, dont je pourrai discuter plus à fond en répondant à vos questions, ont contribué à façonner les valeurs, l’identité culturelle et l’image de marque du Canada. Il suffit de penser aux concepts de négociation assistée, d’intermédiaire impartial, de maintien de la paix et de réflexion éclairée en politique internationale d’une façon plus générale.

La culture, la science et la diplomatie transcendent les frontières et servent de pont entre les nations, les groupes et les gens. Dans le contexte de la diplomatie ouverte, les relations culturelles internationales et l’expression artistique permettent de mieux se comprendre et d’établir de nouveaux réseaux et partenariats. Elles offrent conjointement un antidote à quelques-uns des maux qui viennent avec la mondialisation, et résolvent le paradoxe de la connectivité. Elles contribuent en outre à maintenir intact le tissu extrêmement délicat de notre civilisation.

En conclusion, la culture, la science et la diplomatie sont des instruments sous-évalués de l’art de gouverner et devraient de nouveau faire partie intégrante de la définition et de la composition de l’image et de la réputation contemporaines de notre pays. J’ose espérer que tout ce préambule vous convient, car ma prochaine phrase est « Et pourtant, et pourtant… » C’est maintenant le temps des contestations et des critiques.

Voici où le bât blesse. Au chapitre de la gouvernance et de l’administration publique, les responsabilités en matière de diplomatie ouverte, de culture, d’arts et de science sont fragmentées, atomisées, désintégrées et mal coordonnées. Je présume que mon collègue Gaston a déjà abordé la question, car c’est en plein dans son domaine d’expertise. Ces fonctions sont réparties entre Affaires mondiales Canada; Patrimoine canadien; Innovation, Sciences et Développement économique Canada; Environnement Canada; Ressources naturelles Canada; Parcs Canada; le Conseil canadien; les conseils subventionnaires et bien d’autres instances encore. Désormais insaisissable, voire invisible, ce point de convergence que nous recherchons tous est en fait disséminé aux quatre vents. Il n’y a pas de stratégie, pas de plan, pas de plaque tournante.

Je crois par ailleurs qu’il faut tenir compte des torts durables, mais en grande partie méconnus, résultant de la décennie de la grande noirceur. Ainsi, de 2006 à 2015, on a muselé les scientifiques et les diplomates; congédié des milliers de scientifiques fédéraux; procédé à des coupes sombres dans les programmes et les ressources; et, surtout, mis sur la touche et marginalisé l’ancien ministère des Affaires étrangères, lequel, dois-je ajouter en espérant que nous pourrons y revenir dans la période consacrée aux questions, demeure sous sa nouvelle appellation d’Affaires mondiales Canada un ministère à la dérive, chancelant et dans un état quasi catatonique, notamment en raison d’un manque criant de ressources.

Le 150e anniversaire du Canada a constitué une étape importante, surtout en raison de l’incapacité à profiter de l’occasion pour mettre en valeur la diplomatie, la culture et les arts de la scène au Canada. Mais peut-on vraiment s’attendre à quelque chose de mieux, comme la politique étrangère active et engagée que l’on a promise aux Canadiens et à laquelle ils s’attendent maintenant, d’une fonction publique aussi mal en point après avoir été malmenée de la sorte? C’est comme si on demandait à un ancien athlète qui a passé 10 ans sur une civière sous assistance respiratoire, et dont les muscles sont atrophiés et les réflexes émoussés, de se lever et de courir un marathon. C’est tout simplement impossible.

Il y a bien sûr toujours des difficultés qui se posent au chapitre des politiques publiques et de l’administration. Je peux en témoigner moi-même pour avoir passé 30 ans à essayer de les surmonter. On peut certes toujours espérer une amélioration de la performance et un avenir meilleur. Si les interrelations entre ces champs d’action disparates peuvent être bien comprises et définies, les possibilités deviennent en fait illimitées, car il y a un énorme potentiel.

En fin de compte, la culture, les arts, la diplomatie et la science devraient être perçus comme étant les caractéristiques distinctives de l’image de marque du Canada. Nous sommes le meilleur exemple qui soit d’une nation tournée vers le monde et l’innovation.

Quels pourraient être les cinq éléments à retenir pour vous? Premièrement, il faut faire de la culture, de la science et de la diplomatie des priorités en matière de politique internationale. Il convient également de bien les situer à l’intérieur d’un cadre intégré et coordonné, assorti d’une stratégie et d’un plan.

Deuxièmement, une reconstruction s’impose. On doit investir de nouveau dans la culture, la diplomatie et la science. Il y a un lien logique direct entre les résultats obtenus et les ressources déployées. Qui plus est, cette façon de faire est extrêmement rentable et génère de nombreuses retombées. Je dois vous avouer que j’étais plutôt sceptique lorsque je suis arrivé au gouvernement en 1981. Après plus d’une trentaine d’années de travail direct dans ce secteur, j’y crois maintenant fermement.

Troisièmement, la diplomatie publique, y compris les activités culturelles, artistiques et scientifiques qui s’y rattachent, est en lien direct avec la démocratisation, la transparence et l’ouverture. Il faut donc, par conséquent, s’adresser aux couches populaires, et pas seulement à l’élite. On doit concentrer les efforts sur la base, les étudiants et le grand public. Il faut que ce discours soit entendu sur toutes les tribunes. Il ne faut toutefois pas perdre de vue les hautes sphères : les leaders d’opinion, les organisations et les associations, et les influenceurs. Tout cela pour vous dire qu’il nous faut une approche vraiment exhaustive si l’on souhaite se servir de la culture comme instrument de politique étrangère.

Quatrièmement, le gouvernement a pris des engagements en faveur de la culture, des arts et de la science, mais a promis selon moi beaucoup trop de choses qu’il n’a pas été en mesure de réaliser, ce qui risque fort de miner considérablement sa crédibilité. À titre d’exemple, quelles actions sont menées par le Canada dans les faits, et non dans ses discours, pour contribuer à la réalisation des objectifs de développement durable des Nations Unies?

J’en arrive à mon cinquième et dernier élément. La prochaine élection fédérale aura lieu dans moins de deux ans; nous accueillerons le sommet du G7 et en assumerons la présidence l’an prochain; et nous avons annoncé notre candidature pour un siège au Conseil de sécurité des Nations Unies en prévision de la campagne qui se tiendra en 2020 et de l’élection prévue pour 2021. Je vous demande ce que nous avons exactement à offrir dans ce contexte. L’empereur a désespérément besoin de nouveaux habits plus présentables.

Sénateurs, vous avez maintenant l’occasion de transformer l’adversité en possibilité. Je vous rappelle qu’il faut toujours profiter du moment.

La présidente : Merci. Nous passons maintenant aux questions des sénateurs.

[Français]

Le sénateur Cormier : Merci beaucoup pour vos présentations. À la lecture de vos curriculum vitæ, on constate la diversité des pays avec lesquels vous avez travaillé. Certains sont plus complexes que d’autres sur le plan des relations internationales.

Comme contexte à ma question, je suis issu du secteur des arts et de la culture. J’ai abondamment travaillé à l'échelle internationale en Europe et en Afrique comme artiste. Les problématiques que vous avez cernées sont assez claires. Dans les moyens que vous avez identifiés parmi ceux-ci, on a entendu l’idée d’une stratégie. Il y a un témoin récemment qui nous a parlé de l’idée d’avoir une agence qui pourrait travailler à la question de la diplomatie.

Ma question touche trois dimensions : d’une part, du côté du gouvernement canadien, de quel type d’appareil avons-nous besoin — et vous avez énoncé certaines pistes — pour qu’il y ait une cohérence entre les différentes actions du gouvernement canadien en matière de diplomatie culturelle? Quels sont les liens entre Affaires mondiales Canada, Patrimoine canadien et Environnement Canada? De quel genre de structure avons-nous besoin? J’aimerais que vous approfondissiez cela.

D'autre part, la culture étant perçue, vous l’avez dit, de façon très différente selon où l’on se situe, comment une stratégie devrait-elle être adaptée aux réalités des pays visés par la diplomatie culturelle? Qu’on soit en Europe, en Afrique ou en Asie, la vision du rôle de la culture et les types de politique culturelle de ces pays sont fort différents les uns des autres. Comment tenir compte de cela dans une stratégie?

Enfin, comment tenir compte de la politique interne du Canada en matière de politique culturelle, c’est-à-dire la relation avec les provinces? Comment cette politique se déploie-t-elle à l’intérieur même du pays? Comment concilier cette idée d’avoir besoin d’un appareil, la relation avec les pays visés et la façon dont on fonctionne ici, à l’intérieur du pays?

[Traduction]

M. Barban : Ce sont trois excellentes questions auxquelles j’ai certes déjà réfléchi, comme d’autres l’ont fait également. Je dois d’abord préciser que je ne voudrais pas voir un bureau politique prendre les commandes de la culture au sein du gouvernement. Je ne crois pas qu’il soit nécessaire de centraliser ces pouvoirs entre les mains d’une agence au cœur même de notre administration. Je crois toutefois que le leadership pour la promotion de nos arts et de notre culture à l’échelle internationale devrait être confié à Affaires mondiales Canada, et plus précisément à des cadres supérieurs de ce ministère de telle sorte que ces questions soient effectivement prises en compte dans le contexte des objectifs et des efforts du ministère en matière d’affaires étrangères, de commerce et de développement. Le ministère devrait en outre être autorisé, et même être incité à travailler en étroite collaboration avec Patrimoine canadien, d’abord et avant tout, car c’est le ministère mandaté pour travailler auprès de la communauté culturelle canadienne. Mais Patrimoine canadien a également d’autres objectifs à atteindre, notamment dans le cadre général des industries culturelles. Affaires mondiales peut l’appuyer en ce sens, même si son mandat premier l’amène plutôt à s’intéresser à nos visées internationales.

Pour répondre à votre question, il faudrait confier ce mandat à Affaires mondiales en s’assurant que le ministère travaille en étroite collaboration avec Patrimoine canadien ainsi, bien évidemment, qu’avec tous les sous-groupes qui relèvent de Patrimoine canadien, comme les musées et le Conseil des arts du Canada. C’est par l’intermédiaire de Patrimoine canadien qu’il deviendra possible de rejoindre tous les intervenants de notre communauté culturelle.

Cela m’amène à votre troisième question concernant nos relations avec les gouvernements provinciaux, dont plusieurs ont des programmes actuellement en vigueur à ce niveau. Je vous dirais d’ailleurs que je me réjouissais dans mon rôle de diplomate de voir les provinces appuyer la communauté culturelle canadienne, car cela me donnait accès à une plus grande quantité d’activités culturelles à exploiter -- et le verbe n’est pas trop fort -- aux fins de la diplomatie canadienne.

Je laisserais à Patrimoine canadien le soin de gérer la majeure partie de ce dossier, mais la fonction de coordination doit relever d’Affaires mondiales, car il est ici question de promotion sur la scène internationale des arts et de la culture du Canada en vue d’atteindre les objectifs internationaux canadiens.

Votre deuxième commentaire portait sur la stratégie. Si nous étions dotés d’une stratégie de diplomatie ouverte appropriée, ce qui n’est pas le cas aux échelons supérieurs du ministère, il est clair qu’elle tiendrait compte des types de changements et de modifications nécessaires pour cibler des pays ayant, entre autres, des systèmes politiques, des contextes socioéconomiques, des langues et des cultures qui diffèrent grandement. Cela ferait donc partie intégrante de la stratégie sur la façon d’investir les efforts renouvelés dans la promotion des arts et de la culture du Canada dans le monde.

Alors oui, dotons-nous d’une stratégie. Intégrons-la au ministère des Affaires mondiales, bien que celui-ci ne puisse pas travailler en vase clos. Il doit collaborer avec d’autres organismes, principalement Patrimoine canadien. C’est ma première suggestion à ce sujet.

[Français]

M. Copeland : Merci, sénateur Cormier, pour vos questions très précises. J’aimerais souligner que je suis tout à fait d’accord avec les propos de M. Barban. J’aimerais vous répondre en anglais, si cela vous convient.

[Traduction]

Vos commentaires m’ont rappelé le moment où vous parliez de la meilleure façon pour nous d’adapter tout type de stratégie culturelle internationale aux conditions très diverses dans différentes parties du monde. Ma réponse pour vous est que nous pouvons utiliser à bien meilleur escient les personnes que nous avons sur place, dont le travail consiste à interpréter et à comprendre, non seulement les aspects politiques et économiques de leur pays hôte dans l’optique unique des valeurs, des politiques et des intérêts canadiens, mais en plus à en venir à beaucoup mieux comprendre l’importance de l’endroit.

Je pense à la pointe de Trudeau père vers 1970 qui s’était demandé pourquoi il avait besoin du ministère des Affaires extérieures quand il pouvait lire tout ce qu’il avait besoin de savoir dans le New York Times. Ce que vous ne pouvez pas tirer du New York Times, c’est cet aspect de l’optique canadienne, car les avis stratégiques de qualité seront lacunaires de bien des façons s’ils ne sont pas pris sous cet angle.

Je pense que la réponse à cette question est que si, dans le contexte de l’examen et de la redéfinition de notre façon d’utiliser la culture comme instrument de politique internationale, nous pouvions faire appel à cette expertise inhérente, mais nettement sous-utilisée, qui se trouve dans la centaine de missions et plus que nous avons à l’étranger en vue de dégager le type d’approche subtile, flexible et nuancée qu’on recherche, on pourrait permettre aux programmes culturels canadiens dans ces pays de rejoindre directement les populations.

Je suis tout à fait d’accord avec l’argument de Gaston sur la manière d’organiser l’administration publique et de formuler la stratégie -- vous l’aurez compris à mes remarques. La mesure dans laquelle la conception et la prestation de nos programmes culturels internationaux se sont désintégrées est épouvantable. Encore une fois, je ne m’attends pas à des types de solutions éclair. À Affaires étrangères, nous avons observé la décimation de notre programme international d’arts et la disparition de la division responsable des relations internationales dans le domaine de l’éducation. Il n’en reste pas grand-chose. Il est ici question de reconstruction très fondamentale qui ne se fera pas du jour au lendemain.

Le sénateur Oh : Merci, messieurs, de ces commentaires très instructifs.

Cette semaine, le Canada est l’invité d’honneur de l’édition 2017 du Festival international du documentaire de Guangzhou, en Chine, dans le cadre duquel 12 documentaires canadiens seront diffusés, dont Freelancer on the Front Lines, Soaring Highs and Brutal Lows et Angry Inuk, qui couvrent des sujets comme le multiculturalisme, la jeunesse, les questions environnementales et la réconciliation avec les Premières Nations. Êtes-vous au courant des initiatives comme celles-ci pour promouvoir les arts et la culture du Canada dans le monde? De plus, évalue-t-on leur efficacité et leur incidence?

M. Barban : Monsieur le sénateur, je ne suis plus diplomate et je ne suis pas au fait de cette initiative qui se déroule à Hong Kong, mais je peux vous dire que bien d’autres événements semblables ont eu lieu par le passé. C’était le cas lorsque je travaillais au sein du ministère. Nous en profitions pleinement, non seulement pour promouvoir la valeur intrinsèque des documentaires, comme dans l’exemple donné, mais pour analyser le thème de ces films afin de comprendre qui les présentait et s’il y avait des liens avec la société locale, c’est-à-dire avec des décideurs hauts placés ou des gens que nous voulions rencontrer ou avec lesquels nous voulions tisser des liens pour obtenir l’accès à un réseau ou construire le nôtre. Nous nous assurions qu’ils y participeraient. Nous utilisions pareil exemple de la promotion internationale des arts et de la culture -- un festival de documentaires dans le cas qui nous intéresse -- dans la mesure où nous pouvions le faire avec les ressources dont nous disposions sur le terrain. Je sais que d’autres ambassades canadiennes le faisaient comme elles pouvaient.

Bien entendu, la nature de notre travail suppose en partie que nous devions en mesurer les effets au bout du compte, qui sont toujours difficiles à mesurer, tant au plan quantitatif que qualitatif. Nous comptions le nombre de personnes qui participaient à ces activités et évaluions l’étendue de leur couverture médiatique. Au plan qualitatif, nous trouvions des données empiriques sur ce que les gens trouvaient et leur réaction à l’événement. Toujours au plan qualitatif, nous découvrions si, par un heureux hasard, une personne que nous avions toujours voulu connaître et avions fini par connaître avait assisté à un film en particulier et si elle avait un lien avec une autre personne que nous avions besoin de rencontrer au sein du gouvernement local. Il faut parfois s’en remettre au principe des degrés de séparation pour construire un réseau; c’est ainsi que les choses fonctionnent.

Je ne saurais trop insister sur l’importance des événements comme celui que vous venez de mentionner pour la façon dont nous menons nos activités diplomatiques. Ils ne font que renforcer l’importance de la diplomatie culturelle comme instrument de la diplomatie ouverte.

M. Copeland : J’ai mentionné, monsieur le sénateur, que lorsque l’on aborde cette question, il est important de garder à l’esprit que les publics cibles sont à la fois les gens du peuple et ceux des hautes sphères. Un des grands avantages des films est qu’ils plaisent pratiquement à tout le monde, contrairement au ballet, par exemple, ou aux concerts d’un orchestre symphonique, alors j’encourage fortement les films.

Vous serez peut-être intéressé d’apprendre qu’à l’époque, le ministère des Affaires étrangères d’alors était doté d’une cinémathèque imposante -- quand tous les films étaient sur pellicule -- et qu’il existait une division qui coordonnait l’envoi de films canadiens aux missions dans le monde entier, et que celles-ci organisaient des festivals de films canadiens. J’en ai fait quelques-uns. Ils remportaient toujours un franc succès et étaient très efficaces. Cette époque est maintenant révolue. Ne sous-estimons pas l’importance de la culture en général, mais prenons les films en particulier.

Je peux vous donner un exemple qui concerne une amie à moi. Au cœur des différends plutôt acrimonieux entre Cuba et les États-Unis avec la Helms-Burton Act et tout cela, une musicienne canadienne du nom de Jane Bunnett s’est rendue à Cuba en vacances. Elle a fait le tour de l’île, comme elle aime le faire, et constaté que, par suite de l’effondrement de la relation spéciale que Cuba entretenait avec ce qui était alors l’Union soviétique, tous ses instruments de musique, allant de ceux des petits orchestres municipaux à ceux des écoles secondaires publiques et des universités, instruments dont la plupart étaient confectionnés dans le bloc de l’Est, tombaient en morceaux et avaient désespérément besoin d’être réparés. Les instruments à cordes avaient besoin de cordes et de diapasons. Les instruments à vent avaient besoin de nouveaux embouchoirs et les cors, de nouvelles embouchures, et cetera. Les valves restaient coincées. Comme nous le savons, Cuba jouit d’un avantage comparatif lorsqu’il est question de musique. Alors Jane y est allée. Elle a fait le tour et a constaté que le pays était en crise. À son retour au Canada, elle a commencé à en parler à ses amis, dont certains travaillent dans l’industrie de la musique, d’autres vendent des instruments de musique et bon nombre enseignent la musique. Elle est retournée à Cuba environ un an plus tard avec une petite armée de Canadiens qui sont arrivés chargés de pièces de rechange et remplis de savoir-faire. Ils ont voyagé partout à Cuba pour restaurer ses réserves d’instruments de musique. Si vous souhaitez en savoir plus sur cette histoire, vous pourrez le faire en visionnant un documentaire fabuleux, réalisé par mon ami Bay Weyman, qui a pour titre Spirits of Havana.

Nous avons parlé de la façon dont la culture peut aider à reconstruire les relations d’une façon qui ne soit ni politique ni commerciale. Elle est plus profonde et touche quelque chose de plus fondamental et de très humain. Elle accroît la compréhension. Elle encourage la coopération. D’une manière ou d’une autre, elle finit par se retrouver dans des affaires de cœur que la politique et l’économie n’arrivent pas à pénétrer. En conséquence, les types de liens qui se nouent grâce à ces relations culturelles profondes tendent à perdurer, ce qui, je présume, explique pourquoi les relations entre le Canada et Cuba sont restées excellentes au fil de nombreuses années et malgré de nombreux problèmes.

Alors oui, les films, absolument. Ils sont grandement sous-estimés. Je suis ravi que nous le fassions en Chine parce que, à l’heure actuelle, il n’y a pas d’endroit où il importe plus de diffuser des documentaires canadiens.

[Français]

Le sénateur Massicotte : Merci de votre présence ce matin. C'est très apprécié.

Quand on se penche sur les raisons pour lesquelles tout cela est important, trois raisons sont toujours présentes, dont la raison économique. Toutefois, peut-être que la raison principale a trait à l’image projetée et à la nécessité de projeter une image plus exacte de notre pays à l’étranger. Il s’agit d’un exercice de relations publiques visant à changer l’impression qu’a le monde du Canada et de mieux faire connaître notre pays, pour ensuite accroître notre pouvoir de convaincre.

Selon mon expérience, c’est un peu comme la question des communications et des relations publiques. Selon les experts de l’industrie, en moyenne, 50 p. 100 des fonds sont gaspillés parce que ce n’est pas quelque chose de très logique ou de séquentiel. La difficulté, c’est qu’on ne sait pas quelle proportion du 50 p. 100 est gaspillée et on continue comme cela. Néanmoins, lorsqu’on décide de participer à une telle aventure, il faut toujours faire l’exercice de se demander quel en est l’objectif et il faut choisir le mieux possible l’audience ou la cible recherchée afin de maximiser notre impact. Autrement, comme dans toutes les organisations du monde entier, il n’y a jamais assez d’argent. Quand les experts donnent des objectifs tellement larges et que beaucoup d’argent peut être gaspillé, les gens se découragent et cela devient moins crédible.

Selon votre expérience, lorsque le gouvernement décide de dépenser une somme d’argent pour une cause en particulier, une analyse est-elle effectuée afin de cibler un groupe en particulier qui pourrait être plus influençable dans une communauté donnée, une société donnée ou un pays donné? Un effort est-il fait en vue d’établir une relation entre l’effort et le résultat ou est-il plus efficace d'acquiescer simplement à toutes les demandes?

Par exemple, depuis deux ans, l’Orchestre symphonique de Montréal voyage à travers le monde de façon importante. Il s’agit d’une institution très importante à Montréal qui, je crois, nous donne une bonne image. J’ai assisté à leurs prestations à quelques reprises et je me demande toujours si l’audience qui assiste à cette prestation est favorable au Canada. Cela nous aide-t-il à projeter une meilleure image? Quelle est votre expérience par rapport à ce calcul méthodique et déterminé à titre d’organisme gouvernemental?

[Traduction]

M. Barban : Lorsque vous employez des mots comme « cibles » ou « objectifs », vous faites allusion à une stratégie. Nous avons tous les deux dit qu’il manquait une stratégie globale au ministère des Affaires mondiales au chapitre de la diplomatie ouverte. C’est une lacune. Cela ne veut pas dire qu’au niveau opérationnel, lorsque des événements surviennent, par exemple lorsque l’Orchestre symphonique de Montréal arrive sur votre territoire, les gens n’y réfléchissent pas avec soin. Où qu’ils soient et dans quelque pays qu’ils soient, ils se disent : « Ils viennent et tiennent cet événement particulier à cet endroit précis. Nous pouvons inviter telle ou telle personne. Quelle est la meilleure façon pour nous d’organiser cet événement-là pour atteindre nos objectifs en tant qu’ambassade ou mission canadienne? » Alors ce type de raisonnement se fait au moment décisif où tout se concrétise.

Comme je l’ai expliqué à l’autre sénateur en ce qui concerne les documentaires, on s’efforce par la suite de mesurer l’incidence relative de cet événement en particulier. Ce n’est pas si facile à faire car, comme dans le cas de bien des choses gouvernementales, on peut mesurer les extrants. On peut compter le nombre de personnes présentes dans l’auditoire, le nombre de gazouillis qu’on a reçus concernant une prestation en particulier. Ce sont les résultats qui sont difficiles à mesurer; pas les extrants, mais bien les résultats. Autrement dit, est-ce que vos efforts vous ont vraiment aidé à arriver à vos fins? C’est l’objectif. Si l’objectif ultime était de promouvoir une image positive du Canada comme pays raffiné sur le plan culturel, comment sauriez-vous que cela a vraiment fonctionné?

Il faut accomplir beaucoup plus de travail, et c’est une pseudoscience très sophistiquée que celle d’essayer de déterminer les résultats exacts de la visite d’un grand orchestre symphonique comme celui-là dans un pays en particulier. Cela requiert plus de travail et un niveau plus élevé de sophistication sur le plan des paramètres de mesures, et nous ne l’employons pas. Nous n’avons pas les ressources humaines pour ce faire. Vous accueillez l’orchestre de l’extérieur. Le lendemain, une délégation commerciale arrive, et la même personne qui a travaillé à l’événement culturel doit organiser l’activité commerciale. En conséquence, les personnes sur le terrain sont débordées, mais elles font de leur mieux avec les ressources dont elles disposent et elles profitent de ces événements lorsqu’ils se produisent.

L’autre point est celui que Daryl Copeland a mentionné plus tôt concernant la nature d’événements particuliers. Il nous faut nous demander si l’Orchestre symphonique de Montréal a la même incidence à Bogota qu’à Berlin. J’ai mon idée là-dessus. Cependant, il vous faudrait être certains de l’endroit où vous envoyez ces groupes, qui coûtent très cher. Cela s’inscrit dans la stratégie culturelle qui, selon nous, demande mûre réflexion. Nous ne nous contentons pas de donner de l’argent à un orchestre symphonique en lui disant de partir en tournée. Nous devons bien y réfléchir, et je ne crois pas qu’on l’ait suffisamment fait.

[Français]

Le sénateur Massicotte : Je suis d’accord. Dans votre réponse, vous parlez de ce qui se produit quand l’Orchestre symphonique arrive à New York. Lorsqu’ils ont choisi l’Orchestre symphonique de Montréal, ils devaient avoir une stratégie en tête, en plus de l’exécution. Ils devaient avoir une stratégie au départ.

[Traduction]

M. Copeland : Je pense que l’ennui c’est que, en raison du manque d’organisation de notre loi sur ce point, le travail de réflexion et d’analyse soigneuses qu’on souhaiterait voir dans ce type de planification et de mise en œuvre ne se fait simplement pas.

Vous avez soulevé un point vraiment important; permettez-moi de vous donner un exemple concret. J’étais en Thaïlande au début des années 1980. Les Grands Ballets Canadiens partaient en tournée à Tokyo, Beijing, Séoul et Singapour, mais ils voulaient désespérément se rendre en Asie du Sud-Est. Le ministère a résisté, mais les gens de la compagnie de ballet avaient des amis en relation avec des politiciens, si bien qu’on nous a dit, en gros, d’organiser la visite. En tant que consul et agent des affaires culturelles, c’est à moi qu’il a incombé de le faire.

J’ai passé le plus clair de mon temps en Thaïlande à rendre visite à des Canadiens en prison pour des infractions liées à la drogue, à procéder à des évacuations médicales et à offrir des services aux nombreux scélérats attirés par le monde de vice qu’offre ce pays. Je ne dis pas que ce n’est pas un endroit extraordinaire. C’est un de mes pays préférés, mais…

Alors j’attends la visite du ballet, qui se présente avec ses 35 tonnes d’équipements qui doivent être dédouanées, et je suis seul à m’occuper de tout cela. Ils donnent trois spectacles au théâtre national. Je réussis à leur faire donner des ateliers dans deux ou trois écoles de ballet. C’est encore une question d’aller de l’élite à la masse pour essayer de rentabiliser le plus possible le voyage. Et le couple royal était présent, ce qui était fantastique, mais très axé sur l’élite.

Mes étudiants me demandent souvent ce que j’ai appris pendant mes 30 années comme diplomate. Je leur réponds que j’ai appris que la vie réservait beaucoup de surprises. J’ai appris que nous prétendons que l’objectivité, le mérite et la gestion du rendement sont vraiment importants alors que, en fin de compte, ce sont des choses comme la chance, le hasard et le moment opportun qui déterminent la réussite ou l’échec d’un événement.

Permettez-moi de continuer. Je donne une réception chez moi en l’honneur des membres du ballet, de leur personnel administratif et de leur directeur artistique à laquelle j’ai invité toutes mes relations culturelles locales. Tout le monde est réuni, on sert des mets thaïlandais exquis et de délicieuses boissons, et le temps passe. Bon nombre des invités officiels sont partis, mais bien des danseurs sont restés et, à un moment donné, une jeune femme me demande si j’ai de la musique sur laquelle on pouvait danser, ce à quoi je lui réponds que j’en ai beaucoup, alors elle me prie d’en faire jouer. Je mets donc un album de Tears for Fears, qui était très populaire à l’époque. Soudainement, mon salon est transformé en une masse de formes féminines ondulantes, ce que j’ai trouvé assez intéressant. Je ne les avais pas vues danser ainsi pendant leurs prestations.

Une demi-heure passe, et l’une d’entre elles me dit : « C’est génial, mais nous aimerions vraiment sortir danser. » Je lui réponds donc qu’il y a deux ou trois discothèques et que les grands hôtels chics ont des endroits où danser, alors nous pourrions aller là. Elles me répondent qu’elles ne veulent pas aller là, mais plutôt à un endroit un peu moins haut de gamme. Je leur explique alors qu’en Thaïlande, il y a des endroits hauts de gamme, mais si on veut quelque chose de bas de gamme, on trouvera quelque chose d’assez bas de gamme. Elles me disent qu’elles n’y voient pas d’inconvénient et qu’elles veulent y aller.

Je devais prendre une décision. Irai-je à Patpong, le quartier du divertissement de Bangkok, les drapeaux déployés, avec les quelques véhicules de l’ambassade à ma disposition, ou devrais-je dire que je suis désolé, mais que je ne veux absolument pas aller là, au risque de me retrouver avec beaucoup de gens très mécontents dans mon salon? J’ai l’habitude de dire que la diplomatie est moins une affaire d’aversion au risque et plus une question de tolérance au risque. J’ai toujours eu une forte préférence pour la tolérance au risque. J’ai donc dit : « Puisque c’est ce que vous voulez faire et que je suis un bon hôte, allons-y. » Nous sommes donc partis, les drapeaux déployés, pour nous rendre à Patpong.

Nous sommes allés dans un club appelé Kings Castle, car je savais qu’il y avait là une grande piste de danse. Cela n’a pas pris une minute pour que les ballerines se retrouvent sur la piste en train de danser. Quant aux danseurs thaïlandais, ils avaient un style plutôt stéréotypé et ennuyeux, pour être franc, et on y voyait beaucoup de choses qui n’ont rien à voir avec la danse. Eh bien, les danseuses des Grands Ballets Canadiens, qui avaient manifestement des années et des années de pratique en danse contemporaine, se sont retrouvées sur la piste de danse et ont tout simplement ébloui tous les gens présents. En quelques minutes à peine, les gens faisaient la file dans la rue, de longues files, parce qu’au centre-ville de Bangkok le bouche-à-oreille se répand aussi rapidement que les feux de broussailles en Californie. Bref, elles ont fait une tournée des bars, et d’une place à l’autre, la foule était de plus en plus nombreuse.

Cela n’a pas attiré des journalistes, mais la réputation du Canada en Thaïlande a été transformée du jour au lendemain grâce au bouche-à-oreille, aux chauffeurs de taxi, et cetera. Dans la mesure où elle était connue, l’image de marque du Canada -- jusque-là marginale, quelque peu imprécise et ordinaire -- est devenue tout à fait cool. C’était un avantage imprévu, mais cela a fait d’une visite que je ne voulais pas organiser et que je considérais comme potentiellement désastreuse un important succès de diplomatie publique. Ces choses ne fonctionnent pas toujours comme prévu, mais lorsque cela fonctionne, on peut obtenir un succès éclatant.

La présidente : Beaucoup de témoins ont utilisé l’expression « puissance discrète », et nous l’avons encore entendue aujourd’hui. Pour la plupart des Canadiens, la notion de « puissance discrète » renvoie au pouvoir militaire ou à la faiblesse. Vous avez utilisé l’expression « puissance discrète », mais vous avez aussi parlé de diplomatie publique, je crois. Est-il sage d’avoir recours à la puissance discrète dans la culture, ou est-ce préférable de l’utiliser dans le contexte de la diplomatie publique? Si nous rédigions ce rapport, nous pourrions nous concentrer sur la culture et éviter le débat entre le pouvoir militaire et la puissance discrète, un débat politique fréquent, et nous pourrions ainsi mieux nous concentrer sur les avantages culturels qu’il convient de souligner.

M. Copeland : Eh bien, oui. On parle de la distinction entre la puissance forte et la puissance discrète -- ou de la puissance intelligente, sous la secrétaire d’État Clinton --, et de l’idée de combiner les deux. Je n’aime pas beaucoup cette formulation non plus, sénatrice Andreychuk, en raison de l’utilisation du mot « puissance ». Le terme « discrète » ne me pose pas problème, tandis que « puissance » a une connotation de dominance de dépendance et renvoie en quelque sorte à une relation sous-jacente de gagnant-perdant.

Lorsque la notion de puissance entre dans l’équation, qu’il s’agisse de puissance discrète ou non, il convient alors d’exclure la culture. Personnellement, je préfère traiter de culture dans le contexte de la diplomatie publique. Je suis donc d’accord avec vous sur ce point, mais il n’en demeure pas moins que l’expression « puissance discrète » a son importance et qu’elle est difficile à éviter. On dit souvent que la diplomatie publique est fondée sur la puissance discrète. Nous ne sommes pas tenus de le concevoir ainsi, mais dans la littérature, par exemple, c’est un terme qui revient fréquemment.

Si vous me demandez mon avis, je dirais que même si vous ne pourriez probablement pas éviter toute référence à la puissance discrète; tout cela est une question de pouvoir d’attraction, de votre capacité d’arriver à vos fins par la persuasion et l’influence plutôt que par la force, les moyens financiers ou l’invasion. C’est une méthode plus douce, mais cela demeure une question de pouvoir, tandis que le recours général à la persuasion, à l’influence, à la promotion, à l’argumentation et à la culture n’est absolument pas centré sur la notion de pouvoir. C’est bien davantage une question de relations et de compréhension.

M. Barban : Je n’ai pas grand-chose à ajouter. Je dirais simplement que je conviens que la notion de puissance discrète peut devenir un piège sémantique. C’est toutefois quelque chose qui existe. Vous devez probablement en tenir compte, à tout le moins. Je dirais cependant que je me concentrerais sur le nom plutôt que sur l’adjectif. La culture est un instrument puissant; c’est un pouvoir. Elle ne devrait pas être considérée comme une chose sans importance. Il convient de garder cet aspect à l’esprit. Je comprends les difficultés d’ordre sémantique liées à la formulation, et je suis d’accord avec ce que mon collègue vient de dire.

M. Copeland : Je pense que la culture est une question d’influence plutôt qu’une question pouvoir.

La présidente : Pour revenir aux propos du sénateur Oh, un des aspects que nous n’avons pas encore abordés ou cernés concernant les films, c’est l’image de marque du Canada, dont nous avons parlé, et tous les avantages que nous avons. Nous avons également discuté de nos efforts pour faire connaître le Canada moderne d’aujourd’hui par l’intermédiaire de notre culture. Je crois que M. Copeland a indiqué que cela peut être fait de façon officielle ou non. Il s’agit de faire venir ces gens ici pour une raison et de leur montrer en même temps une autre facette du Canada. Nous avons discuté de toutes ces choses.

Le Canada est un pays aux nombreuses cultures et aux nombreuses régions. Nous avons évidemment les cultures autochtones, qui sont de plus en plus prépondérantes et de plus en plus connues. Comment pouvons-nous miser sur notre multiculturalisme? Est-ce là-dessus qu’il faut miser pour que les films chinois réalisés au Canada soient présentés à Hong Kong? Le Canada a de bons scénaristes et de bons acteurs qui choisissent d’aller à Bollywood. Comment peut-on maximiser cela? Ou voulons-nous diffuser ces films chinois ailleurs dans le monde, ou encore miser sur notre capacité et les éléments qui distinguent le tournage de films indiens au Canada par rapport à l’Inde, pour ensuite les diffuser ailleurs dans le monde? Autrement dit, comment peut-on diffuser la culture, mais pas seulement du pays d’où elle provient?

M. Copeland : Lorsque Gaston et moi travaillions ensemble -- je ne sais pas s’il a mentionné que nous avons travaillé ensemble au bureau des communications du ministère des Affaires étrangères de 1999 à 2001 --, il m’a chargé de la création d’un cadre de communication internationale, qui était en réalité une stratégie d’image de marque. Nous nous sommes concentrés sur ce qu’on appelait à l’époque les six « C » pour le Canada : « cosmopolite », qui se rapporte au point que vous avez soulevé sur la diversité; « compétitivité », soit notre réussite économique; « civil », pour la primauté du droit et toutes ces choses; « captivant », l’aspect lié au tourisme; « caring », en anglais, qui est notre empathie, notre filet de sécurité sociale et divers autres avantages; « créativité ». Ce n’est pas allé plus loin, parce que dans les années 1990, les gens du centre de l’échiquier politique n’étaient pas prêts au lancement d’une importante campagne de promotion de l’image de marque du Canada, ce qui était damage, mais nous avions toute la documentation.

Dans le même ordre d’idées, mais avant mon arrivée, Gaston avait élaboré une stratégie appelée Stratégie d’information internationale sur le Canada. Elle a été présentée au Cabinet, mais elle a été abandonnée à l’étape de l’examen des programmes en raison d’un manque de ressources. Cette stratégie était également une stratégie pangouvernementale, à l’échelle du pays, dont l’objectif correspondait à tous points à ce que vous avez proposé.

Ce que vous avez suggéré, sénatrice Andreychuk, est exactement ce que nous devons faire, mais que nous ne faisons pas. Quant à savoir si nous devrions faire une chose ou une autre, il n’y a pas vraiment de réponse à cela, étant donné que nous n’avons pas fait l’analyse nécessaire. Nous avions l’habitude de faire ce genre d’analyse, mais cela ne se fait plus. Je ne sais pas si nous avons perdu cette capacité pour toujours. C’est peut-être simplement une question de remettre la culture à l’avant-plan de notre politique étrangère.

Vous souvenez-vous du troisième pilier? Certains sénateurs ont démissionné parce que ce pilier a été tué dans l’œuf. Cela figurait dans un examen de la politique étrangère de 1995 et c’était connu, je crois, sous le nom de « Compétitivité et sécurité ».

Cela a été suivi, 10 ans plus tard, par l’examen de la politique internationale de M. Martin. C’était très intéressant, parce qu’au lieu d’en confier l’élaboration au personnel de planification des politiques du ministère des Affaires étrangères, la participation était beaucoup plus large, et comprenait des légendes des ministères du Commerce, de la Défense et de l’Immigration. On tendait vers une approche exhaustive, mais fait intéressant, cela n’incluait pas le ministère du Patrimoine canadien. La culture n’était pas un troisième pilier dans cet examen. Elle aurait pu l’être, mais ce n’était pas le cas.

Ce qu’il faut retenir, c’est qu’à moins qu’on demande à quelqu’un de commencer à s’attaquer à ces questions de façon radicale, comme je l’ai indiqué au début de mon exposé... Essayons d’aller au fond des choses, d’y réfléchir soigneusement et de déterminer s’il est plus pertinent d’envoyer en Amérique latine des films en espagnol tournés au Canada que d’envoyer des films en coréen ou en japonais tournés au Canada dans d’autres pays, comme le Japon, la Corée, la Chine, et cetera. Nous n’avons pas fait cette analyse. À moins de faire cette analyse, nous continuerons de tergiverser, comme on le fait actuellement, et nous n’irons nulle part.

M. Barban : En ce qui concerne la diversité et le caractère multiculturel de notre pays, qui est un avantage énorme, je pense que beaucoup de Canadiens pensent que le Canada est un pays unique en son genre, alors qu’en réalité, la plupart des pays que j’ai visités ont une grande diversité. Le dernier pays que j’ai visité est l’Afrique du Sud. On y utilise 11 langues officielles au Parlement. On ne serait pas porté à le penser de prime abord, mais c’est ainsi partout. Ce qui nous distingue, c’est la façon dont nous abordons notre diversité et les lois et les systèmes de gouvernance très progressistes, humanistes et tolérants que nous avons mis en place à cet égard. C’est essentiellement ce que nous devons promouvoir. S’il apparaît pertinent de miser sur nos groupes culturels et ethniques de cette façon, alors faisons-le, car il s’agit d’un de nos avantages.

Pour revenir au point soulevé par Daryl, nous n’avons pas réfléchi à la question. La diplomatie culturelle et la diplomatie publique ne figurent pas parmi nos priorités. Il faut en faire une priorité, créer des stratégies en conséquence et les mettre en œuvre.

M. Copeland : Permettez-moi d’ajouter quelque chose à ce sujet. M. Raymond Chan avait l’habitude de parler de l’avantage caché du Canada. C’est ainsi qu’il appelait notre diversité. Dans notre cadre de communication internationale, nous parlions de l’aspect cosmopolite, mais vous pouvez parler de multiculturalisme ou de quoi que ce soit d’autre. Le fait est que cet aspect est devenu un trait caractéristique du Canada contemporain, une caractéristique dont on se félicite et une réussite sur laquelle nous devrions miser davantage, à mon avis.

Gaston a indiqué que beaucoup de pays sont multiculturels. C’est vrai, mais lorsqu’on parle des superpuissances culturelles -- des pays qui sont des puissances discrètes ou des superpuissances, encore une fois --, il convient de raffiner légèrement l’analyse. Ce qui fait de la France le pays qu’elle est, c’est qu’elle est très française. Il en va de même pour l’Allemagne, l’Italie, la Grèce et l’Espagne. Le fait est que l’Europe est une superpuissance sur le plan culturel, et il en est ainsi en raison du lien direct qui existe, dans la plupart des cas, sur les plans de l’ethnicité, de la nationalité et de la langue. On parle de mets italiens, de chefs français, de montres suisses, n’est-ce pas?

Vous pouvez aussi regarder du côté des États-Unis, une autre superpuissance culturelle. Certes, les États-Unis ont une grande diversité, mais soyons réalistes : Hollywood et le secteur de la musique populaire en sont le moteur. L’industrie culturelle est plutôt centralisée; elle est un peu comme une machine, et elle est dominée par les grandes sociétés.

J’ai indiqué que le Canada est une nation tournée vers le monde, et je le crois vraiment. Je suis d’accord avec M. Chan : je pense que c’est notre avantage caché. À mon avis, c’est une chose sur laquelle nous n’avons pas misé et dont nous pourrions faire un bien meilleur usage.

Une des très nombreuses recommandations que j’ai faites au ministère des Affaires étrangères, qui a été totalement ignorée, était d’avoir des agents des services extérieurs dans les grandes villes canadiennes afin d’établir des liens directs avec les communautés de la diaspora. Établissons des liens avec les Chinois de Toronto et de Vancouver. Tissons des liens avec les gens de l’Asie du Sud. Communiquons avec les Haïtiens, si nous voulons obtenir des renseignements. Si nous avions eu de bonnes relations avec la plus importante communauté d’Haïtiens à l’extérieur d’Haïti, nous aurions pu, après le tremblement de terre de 2010, communiquer avec des intermédiaires établis à Montréal plutôt que de nous démener pour offrir de l’aide humanitaire. Nous aurions alors constaté que ces gens ont toujours réussi à faire parvenir du matériel en Haïti sans nécessairement passer par les ports, les aéroports et les mécanismes de dédouanement habituels, et cetera. Or, nous n’en sommes pas là.

Le multiculturalisme est notre avantage caché, et il est temps de miser là-dessus.

[Français]

Le sénateur Cormier : Vous me permettrez de faire un commentaire avant de poser ma question. La diplomatie culturelle est très importante. À vous entendre, on sent qu’au cœur des défis de la diplomatie culturelle, il y a les défis mêmes de définition de la façon dont notre identité culturelle s’incarne à l’intérieur même de notre pays. Si notre politique culturelle canadienne n’est pas suffisamment bien articulée, cela a une incidence sur notre action à l'échelle internationale en matière de diplomatie culturelle.

Quel est le message qu’on souhaite véhiculer? Avec qui désire-t-on entreprendre un dialogue? À qui veut-on parler? Est-ce qu’on parle en termes de diplomatie à une élite, au gouvernement, aux institutions, à la population? Qui visons-nous par une stratégie de diplomatie culturelle? Peut-être que ce sont toutes ces catégories.

On entend souvent parler des grandes institutions, entre autres, les Grands Ballets canadiens. En ce qui concerne les jeunes dames des Grands Ballets canadiens qui sont allées danser en Thaïlande, vous avez parlé du risque de la tolérance, et une autre dynamique s’est installée. Afin d’être clair et succinct, dans une stratégie de diplomatie culturelle, selon ce que vous avez raconté — parce que vous avez dit qu’il n’y a pas de plan à ce chapitre —, comment pourrait-il y avoir un plan pour aborder cette question? Dans le cadre d’une stratégie de diplomatie culturelle, pourrions-nous mener des actions précises pour favoriser cette zone de rencontre qui soutient la diplomatie, mais qui n'est pas liée aux grandes institutions ni aux missions d'envergure? Il existe de nombreux autres réseaux que les grands réseaux de l'industrie. Je me demande si le Canada, grâce à cette stratégie, peut en bénéficier davantage.

Ma sous-question, qui est un peu large et plus difficile, concerne tout le volet du monde numérique. L’univers du numérique — les médias sociaux, la communication transfrontalière — est-il un instrument de diplomatie et, le cas échéant, comment planifier une action coordonnée en matière de virage numérique pour faire de la diplomatie?

M. Barban : Il y a de nombreuses questions dans tout cela. Je vais commencer avec la dernière question.

[Traduction]

En ce qui concerne les réseaux sociaux, que certains appellent la diplomatie numérique, je crois savoir que le ministère des Affaires mondiales a au moins commencé à s’y intéresser et à s’y lancer, même s’il reste beaucoup à faire. Évidemment, cela est lié au fait que c’est tout nouveau et que cela commence à être à l’avant-scène.

Cela représente un potentiel considérable pour nos activités de diplomatie publique. Par exemple, les médias sociaux nous permettent d’établir des réseaux très rapidement. C’est aussi un des avantages de la diplomatie culturelle, comme je l’ai indiqué plus tôt. Je dis toujours à mon personnel qu’un diplomate n’est efficace que dans la mesure où il a réussi à établir un bon réseau. C’est essentiel. Les médias sociaux permettent de créer toutes sortes de réseaux, et ce, de façon novatrice. Les réseaux peuvent être plus importants, mais aussi très ciblés. Ils permettent en effet de cibler un public ou des groupes précis et offrent également la possibilité d’avoir une portée mondiale. À cela s’ajoute la nature interactive de cette technologie. Cela permet les échanges et non la simple diffusion de messages.

L’ensemble du secteur de la diplomatie se doit d’en tenir compte, étant donné son potentiel pour toute initiative d’envergure internationale. C’est une plateforme sur laquelle la diplomatie du XXIe siècle doit être fondée. C’est un enjeu de taille. Nous pourrions en parler toute la journée; c’est extrêmement intéressant.

Je pense que la culture a également un rôle à jouer. Daryl a parlé de transporter des films dans une valise diplomatique, et cetera. De nos jours, il suffit de les diffuser en continu. Nous devrons peut-être réfléchir à la façon de diffuser les produits culturels audiovisuels canadiens en ciblant un public précis. Eh bien, si vous avez un réseau, vous pourrez déterminer votre public cible et la plateforme à utiliser. Le potentiel est énorme.

On se concentre là-dessus, mais encore une fois, cela ne fait que commencer. Affaires mondiales Canada n’a pas mis cela en place depuis mon départ. À ma connaissance, cet aspect n’est pas une priorité aux plus hauts échelons. La mise en place d’une stratégie de diplomatie publique incluant un volet numérique qui serait menée en collaboration avec d’autres ministères -- notamment le ministère du Patrimoine canadien, pour l’aspect culturel --, n’est pas une priorité chez les cadres supérieurs.

Comme je l’ai mentionné dans ma réponse à l’autre sénateur, lorsque vous demandez, par exemple, quel est le message, quel est le public cible et quels sont les objectifs, eh bien, c’est censé être la fonction d’une stratégie. Elle est censée servir à déterminer vos messages et vos objectifs et les personnes que vous essayez d’interpeller avec ces messages en vue d’atteindre des objectifs précis. Je rappelle que c’est de la gestion à une échelle plus petite. Comme vous le savez, c’est fait au quotidien. Cependant, il n’y a aucune stratégie à plus grande échelle au ministère à ce sujet. Nous en sortirions tous gagnants. Il n’est pas nécessaire de le faire de manière très rigide et de dire que telle personne doit faire telle chose avec ce groupe précis telle journée, mais il faut que ce soit clairement énoncé.

Quels sont les cinq ou six éléments qui définissent l’image de marque du Canada? Je n’aime pas utiliser l’expression « image de marque », parce que beaucoup de gens ne la comprennent pas ou qu’à tout le moins une certaine confusion règne à ce sujet. Les personnes s’imaginent que cela concerne la conception d’un logo, par exemple. C’est beaucoup plus que cela, et nous devons établir les cinq ou six messages que nous voulons que tous nos diplomates gardent à l’esprit. Nous voulons que tous nos produits culturels correspondent aux messages et aux thèmes, peu importe ce qu’ils sont, dont nous voulons que nos diplomates fassent la promotion à l’étranger.

Ensuite, j’ai déjà vécu cet autre aspect. Que faire lorsqu’un guitariste de Moncton cogne à votre porte? Il se présente comme un troubadour et il vous demande si vous pouvez l’aider à organiser un concert. Vous n’avez pas d’argent pour cela. Pourquoi aiderions-nous ce guitariste plutôt que le chanteur country de Timmins? Que faites-vous? Tous ces artistes pourraient se pointer à votre porte, parce qu’ils pensent que l’ambassade canadienne est là pour vous aider à en faire la promotion.

Il arrive parfois que, par un heureux hasard, ce soit la Journée de la Francophonie la semaine prochaine et que vous lui disiez que vous pourriez avoir besoin de ses services. Je retourne ensuite à Ottawa et je demande à d’autres s’ils connaissent ce jeune homme, s’il a une certaine crédibilité, si je peux l’utiliser lors d’un événement ou si je peux lui demander de venir chez moi pour jouer de la musique acadienne à l’occasion de la Journée de la Francophonie. Bref, nous devons tout le temps composer avec ce problème.

Au risque de donner l’impression d’être élitiste, je préfère y mettre le paquet ou ne rien faire du tout. Si je dois utiliser beaucoup les ressources à ma disposition en tant que diplomate, je préfère y aller en grand. J’aime avoir le Cirque du Soleil en ville. J’aime les gros groupes. J’aime pouvoir utiliser l’ensemble de mon ambassade et avoir la meilleure expérience possible. J’aime tenir des semaines d’événements culturels.

Les Chinois en Afrique du Sud n’ont pas seulement consacré une semaine à la Chine. Ils ont consacré un an à la Chine en Afrique du Sud. Des activités étaient prévues toute l’année de janvier à décembre : des films, des conférences, des danseurs, des échanges, des universitaires, et cetera.

Le Canada ne le fait pas. Nous avons besoin d’une stratégie. Daryl a parlé du siège au Conseil de sécurité des Nations Unies et du G7. Nous devons penser à cette année. Quels sont les cinq ou six pays? Organiserons-nous des semaines d’activités et aiderons-nous au préalable l’ambassade? Nous pourrions informer l’ambassade que des gens viendront cette année et que nous lui donnerons de l’argent et des ressources pour organiser le tout. Actuellement, c’est de l’improvisation, et c’est souvent de petite envergure.

Je suis fier de mon ministère et des diplomates. Ils accomplissent un bon travail avec les ressources à leur disposition, mais ils en ont peu. Ils n’ont pas la capacité de le faire. Ils sont rouillés, comme l’a mentionné Daryl, parce que nous avons été inactifs en la matière, mais la base est encore là. J’espère que cela répond à votre question, sénateur.

Le sénateur Oh : Daryl, vous avez mentionné plus tôt qu’à une certaine époque le gouvernement canadien envoyait partout dans le monde une panoplie de films. Je me rappelle que mon père avait l’habitude d’emprunter des films à l’ambassade canadienne à Singapour et les regardait grâce à son projecteur de films 16 mm. Il invitait la communauté et toute la famille à venir regarder un documentaire canadien. C’est probablement la raison pour laquelle j’ai abouti ici.

M. Copeland : C’est ce qui permet de tisser des liens entre les gens. Il ne fait aucun doute que la culture est un outil sous-estimé de la politique internationale. Le Canada a un énorme avantage comparatif, mais cet avantage demeure non exploité. Si nous étions en mesure de mobiliser l’effort concerté nécessaire pour mettre la culture au premier plan de nos priorités sur la scène internationale, nous pourrions réaliser d’énormes gains.

Cependant, je rappelle qu’il faut analyser la situation. Il y a énormément de terrain à couvrir. À mon avis, d’ici à ce que nous considérions beaucoup plus sérieusement les possibilités d’utiliser la culture pour faire la promotion de nos valeurs et de nos politiques et défendre nos intérêts, je crois que ce ne sera que des paroles. Il n’a rien de mal à seulement parler. Toutefois, si vous n’y donnez pas suite, vous n’arriverez jamais à passer de l’endroit où vous vous trouvez maintenant à l’endroit où vous souhaitez vous rendre, et je crois que nous pouvons tous convenir que nous aimerions améliorer notre rendement, parce que notre rendement est loin d’être ce qu’il pourrait être.

La présidente : Aimeriez-vous ajouter quelque chose avant de conclure la réunion?

M. Barban : J’aimerais seulement implorer le comité d’examiner les propositions que j’ai formulées dans mon exposé quant à ce que nous devons faire; nous devrions commencer par accorder la priorité à la diplomatie culturelle. Merci, sénateurs.

La présidente : Monsieur Copeland, nous avons réussi à trouver certains de vos documents. Si vous pensez à quelque chose de précis que vous aimeriez nous envoyer, nous vous saurions gré de bien vouloir le faire. Nos recherchistes au comité sont efficaces.

Monsieur Barban, vous avez participé à une étude sur la diplomatie culturelle qui a récemment été commandée par Affaires mondiales. S’agit-il d’un document privé ou s’agit-il d’un document sur lequel nous pourrions mettre la main? Devrions-nous plutôt le demander au ministère ou pouvez-vous nous l’envoyer? Lorsque vous formulez des conseils, je sais qu’il arrive parfois que cela reste entre vous, et nous respectons cela. Cependant, si nous pouvions avoir accès au document, ce serait utile.

M. Barban : Je l’ai fait à titre de consultant privé. J’ai remis le tout au sous-ministre adjoint des Affaires publiques. Je suis certain que vous pouvez facilement y avoir accès. Le document examine la diplomatie publique au sein du ministère, et j’y formule des recommandations sur la voie à suivre.

La présidente : Devrions-nous donc communiquer avec le ministère?

M. Barban : Absolument. Je vous le recommande fortement. Cela se rapporte à ce dont il a été question aujourd’hui.

La présidente : S’il existe d’autres documents provenant de vos sources, nous vous saurions gré de nous les envoyer.

Vous nous avez permis d’élargir nos horizons et peut-être d’étendre la portée de notre étude. Nous sommes à l’étape de l’exploration en vue de déterminer la manière dont nous arriverons à gérer un sujet très vaste, tout en produisant quelque chose d’utile pour le gouvernement et les Canadiens.

J’ai trouvé intéressant que le sénateur Oh ait parlé d’un avantage. Le monde numérique n’a pas du tout été exploré, de même que la diplomatie numérique, et nous devons réfléchir à ces aspects. C’est peut-être là que nous devrions concentrer nos efforts. Nous devons soupeser tous les anciens piliers. Je ne suis pas certaine que nous utilisions encore cette expression de nos jours, mais il faut tenir compte des interrelations de notre présence à l’étranger.

Nous ferons relâche pour Noël et nous reviendrons après la période des Fêtes. Nous creuserons vraiment le sujet pour produire un rapport utile. Votre contribution aujourd’hui nous a aidés non seulement à sortir des sentiers battus, mais aussi à nous donner une idée de ce qui a été fait par le passé. Au nom du comité, je tiens à remercier les deux témoins de leur présence aujourd’hui.

J’offre mes meilleurs vœux du temps des Fêtes à mes collègues, aux témoins et à tout notre personnel. Je nous souhaite à tous de passer de joyeuses Fêtes, de bien nous reposer et de faire le plein d’énergie avant de revenir terminer notre étude.

(La séance est levée.)

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