Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et
du commerce international
Fascicule no 61 - Témoignages du 11 avril 2019
OTTAWA, le jeudi 11 avril 2019
Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd’hui, à 10 h 30 pour se pencher sur les relations étrangères et le commerce international (sujet : la sécurité dans les missions du Canada à l’étranger).
La sénatrice A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd’hui. Avant de commencer, je vais demander aux sénateurs de se présenter à tour de rôle, en commençant à ma gauche.
Le sénateur Boehm : Peter Boehm, Ontario.
La sénatrice Bovey : Patricia Bovey, Manitoba.
La sénatrice Coyle : Mary Coyle, Nouvelle-Écosse.
Le sénateur Greene : Steve Greene, Nouvelle-Écosse.
Le sénateur Dean : Tony Dean, Ontario.
La présidente : Je suis Raynell Andreychuk, de la Saskatchewan. Il y a des débats actuellement au Sénat. Je pense que d’autres sénateurs vont bientôt arriver. Néanmoins, nous voulions que votre témoignage figure dans le compte rendu afin d’avoir l’assurance que nous menions notre travail à terme.
Le comité est autorisé à examiner les enjeux qui peuvent survenir de temps à autre en matière de relations étrangères et de commerce international. En vertu de ce mandat, le comité a entendu des représentants du Bureau du vérificateur général et d’Affaires mondiales Canada en février sur les mesures de sécurité dans les missions du Canada à l’étranger. La séance a suscité bien des questions. Le comité a voulu poursuivre le dialogue, cette fois du point de vue des services consulaires et, en particulier, de la formation en sécurité offerte aux employés, tant sur une base régulière qu’en temps de crise.
Nous voulons également veiller à ce que, lorsque nous parlons de sécurité et de sûreté des missions, nous tenions compte de la sécurité et de la sûreté de notre personnel, qu’il soit recruté sur place ou non, et que nous n’examinions non pas seulement la sécurité physique, mais aussi la sécurité mentale et émotionnelle.
Pour mémoire, certains d’entre nous faisaient partie de la délégation qui s’est rendue à Addis-Abeba, en Éthiopie, lorsque l’avion s’est écrasé. Nous nous trouvions à l’ambassade au moment même où les membres du personnel sur place assumaient leurs fonctions consulaires et autres. Il nous est venu à l’esprit qu’il serait important d’examiner la sûreté et la sécurité sous cet angle. Je suis très heureuse que nous ayons choisi d’examiner cette question, et l’audience d’aujourd’hui fera partie de notre rapport.
Laissez-moi vous présenter deux représentants d’Affaires mondiales Canada : Mme Heather Jeffrey, sous-ministre adjointe, Service consulaire, Sécurité et gestion des urgences, et M. Reid Sirrs, directeur général, Sécurité et gestion des urgences.
Vous avez tous deux comparu devant le comité, alors vous connaissez déjà notre façon de faire. Vous allez commencer par nous présenter vos remarques liminaires, puis nous passerons aux questions. Bienvenue encore une fois à notre comité.
Heather Jeffrey, sous-ministre adjointe, Services consulaires, Sécurité et gestion des urgences, Affaires mondiales Canada : Merci et bonjour, madame la présidente, et mesdames et messieurs les sénateurs. Je vous remercie beaucoup de m’avoir invitée à comparaître de nouveau devant votre comité pour discuter plus en profondeur de la sécurité physique dans les missions à l’étranger et, plus particulièrement, pour élargir notre dialogue sur nos efforts soutenus en vue de constamment améliorer la formation en matière de sécurité et de gestion des urgences qui est destinée au personnel affecté à l’étranger.
De plus, je suis également heureuse d’avoir l’occasion d’aborder les éléments fondamentaux du suivi d’après-crise effectué par notre organisation et du soutien offert à nos intervenants, les employés dévoués de nos missions et leurs familles, que ce soit à l’étranger ou au sein de l’administration centrale. Ces intervenants sont nos répondants de premières lignes qui viennent en aide aux Canadiens et à leurs familles qui se trouvent dans des situations très difficiles et parfois traumatisantes.
Comme vous le savez, à la lumière de nos récentes conversations, le Canada compte des milliers d’employés qui travaillent à l’étranger. Certains sont recrutés sur place et d’autres au Canada, et leur travail consiste à servir les Canadiens et à promouvoir et protéger nos intérêts. Certains doivent travailler dans des régions où le niveau de risque est très élevé. Notre principale priorité est la sécurité et la sûreté de notre personnel, sous toutes ses formes. Nous devons donc être conscients des risques pour la sécurité personnelle ainsi que des risques pour la sécurité d’autrui, être prêts à utiliser des outils, des techniques et des tactiques pour éviter ces menaces dans la mesure du possible et réagir rapidement et efficacement aux incidents lorsqu’ils surviennent, et ce sont là des compétences essentielles pour que nous puissions accomplir notre mandat à l’étranger.
[Français]
Il y a un éventail de menaces. Les employés et les ambassades peuvent être la cible de diverses menaces. En plus des menaces dirigées à l’endroit de nos missions, nos employés, puisqu’ils habitent dans l’environnement local, sont aussi exposés aux menaces qui visent généralement des lieux de rassemblement publics, des centres commerciaux ou des transports publics. Par conséquent, ils doivent être en mesure de déceler des menaces potentielles et de répondre à des situations posant une menace élevée ou critique qui pourraient survenir alors qu’ils seront à l’étranger.
[Traduction]
Affaires mondiales Canada s’efforce d’offrir aux employés et à leurs conjoints et personnes à charge qui les accompagnent la formation appropriée nécessaire pour accroître leur niveau de sensibilisation, de compétences et de préparation afin qu’ils puissent s’acquitter de leurs tâches en toute sécurité. Cette formation comprend également la reconnaissance explicite des effets psychologiques des situations stressantes, la reconnaissance des signes et symptômes de traumatisme et la sensibilisation aux ressources et au soutien qui sont en place pour les aider.
[Français]
Notre objectif est d’adopter une approche rigoureuse et complète pour assurer la sécurité de notre réseau de missions et pour que nos employés qui travaillent à l’étranger puissent le faire en toute sécurité.
[Traduction]
Ainsi, nos cours de formation portent sur une vaste gamme de sujets, notamment l’introduction à la sécurité, les premiers soins, les menaces et l’autodéfense. Nous avons également des séminaires sur la sécurité personnelle, y compris la sensibilisation à la sécurité, ainsi que de la formation relative aux milieux hostiles, qui est offerte par le ministère de la Défense nationale, surtout dans les régions où des conflits armés et le terrorisme peuvent être présents. Cela s’accompagne d’un éventail de formations très spécialisées pour nos professionnels de la sécurité, ainsi que d’une série de cours de gestion des situations d’urgence, y compris des cours spécialement conçus pour les missions et les interventions en situation de crise.
La vérification de la sécurité matérielle effectuée en 2018 par le vérificateur général du Canada a mis en lumière le travail positif que nous avons accompli au cours des 10 dernières années en vue de renforcer la sécurité dans les missions, et elle a également permis de cerner les aspects qui devaient encore être améliorés.
L’une des recommandations découlant de la vérification a été la nécessité pour notre organisation de veiller à ce que les employés canadiens qui travaillent dans des endroits dangereux suivent avec succès la formation obligatoire en matière de sensibilisation à la sécurité. Le vérificateur recommandait également de mettre en place une formation obligatoire en matière de sécurité pour le personnel recruté sur place.
Je tiens à vous assurer qu’Affaires mondiales Canada reconnaît pleinement l’importance de cette formation obligatoire pour le personnel en poste à l’étranger, en particulier dans les missions où la menace est grave et élevée. En fait, le personnel du ministère reçoit une formation sur la sécurité depuis de nombreuses années déjà.
Toutefois, les ressources nécessaires pour veiller à ce que tout le personnel reçoive cette formation en temps voulu étaient limitées et, parallèlement, le nombre de missions désignées comme nécessitant une telle formation n’a cessé d’augmenter en raison de l’évolution du contexte mondial de la menace.
[Français]
Nous avons été ravis d’apprendre que l’enveloppe de financement concernant les devoirs de diligence, reçue en 2017, cible spécifiquement les besoins en formation pour une période de 10 ans. Nous sommes persuadés d’être maintenant en position de nous assurer que, à l’avenir, tous les membres du personnel et leur famille pourront recevoir cette formation en fonction de leurs besoins.
[Traduction]
Plus précisément, le nouveau financement a permis au ministère d’accroître considérablement sa capacité de formation. Par exemple, au cours du dernier exercice, le nombre de séminaires obligatoires sur la sécurité personnelle et le nombre de cours de formation sur le milieu hostile ont augmenté de 30 p. 100 et de 40 p. 100 respectivement, et ce, pour tenir compte de l’augmentation des besoins en formation sur la sécurité. Nous prévoyons d’être en conformité totale avec les exigences en matière de formation obligatoire d’ici l’automne.
L’année dernière, nous avons offert 14 semaines supplémentaires de formation aux spécialistes de la sécurité outre-mer, soit nos gestionnaires de programmes de sécurité à l’étranger, afin d’assurer un niveau élevé et commun d’expertise professionnelle à jour dans le domaine. Ces spécialistes sont responsables des séances d’information sur la sécurité de la mission dès l’arrivée des nouveaux employés, ainsi que du maintien des normes élevées et des protocoles de sécurité de la mission, y compris les protocoles de déplacement au sein de la mission.
De plus, un outil interne complet de suivi de la formation a été mis au point. Il contient maintenant les dossiers de formation obligatoire sur la sécurité pour les employés d’Affaires mondiales Canada et les employés d’autres ministères qui sont affectés à l’étranger et qui travaillent dans notre plateforme de missions.
À mesure que l’année 2019 progresse, nous faisons d’importants progrès en matière d’innovation pour améliorer l’efficacité de notre formation en mettant à l’essai la prestation de cours clés non seulement à l’administration centrale avant le déploiement de notre personnel, mais aussi sur le terrain, où ces cours peuvent être adaptés au contexte local et où nous pouvons minimiser l’incidence des absences sur les opérations des missions et des services consulaires. Cela est d’autant plus important puisque la mutation du personnel d’un pays à l’autre sans transiter par le Canada était l’une des raisons pour lesquelles nous avions auparavant de la difficulté à répondre aux exigences en matière de formation.
Notre personnel recruté sur place fait partie intégrante de nos missions, et il est également exposé aux risques du contexte local, mais de différentes façons. Puisqu’ils connaissent mieux leur environnement, les employés recrutés sur place comprennent mieux, dans bien des cas, comment réagir adéquatement à diverses situations qui peuvent survenir. Toutefois, nous reconnaissons qu’en raison de leur emploi et de leurs fonctions professionnelles, ils peuvent également être exposés à des risques supplémentaires particuliers.
[Français]
En réponse à la vérification, le ministère a réévalué la formation obligatoire en matière de sécurité qui est actuellement offerte à ce groupe et il crée de nouvelles formations afin de s’assurer que celles-ci continuent de répondre aux menaces et aux exigences des postes.
[Traduction]
J’en viens au suivi d’après-crise de notre organisation. Chaque crise nous permet de tirer des leçons et de nous améliorer pour les interventions futures. Dans cette optique, le ministère a mis en place un processus normalisé d’examen post-intervention pour nous aider à adopter, à titre de pratique exemplaire, les mesures qui fonctionnent bien pendant les interventions d’urgence, mais aussi pour nous aider à affiner nos méthodes de travail et à améliorer nos techniques qui laissent à désirer.
[Français]
Au sein d’Affaires mondiales Canada, l’établissement d’un cadre d’intervention en cas d’urgence efficace et résilient constitue un processus continu fondé sur les leçons tirées des situations d’urgence antérieures, afin d’orienter la planification des mesures d’urgence et les exercices réguliers et d’assurer la détection précoce des nouvelles urgences et de prévoir une intervention rapide.
[Traduction]
Par exemple, nos agents régionaux de gestion des urgences ont visité plus de 70 missions au cours du dernier exercice financier et ont effectué 73 exercices, ce qui a permis à 2 000 de nos employés de recevoir une formation individuelle plus personnelle sur les procédures de gestion des urgences et sur la façon de travailler en équipe lors des interventions.
Il est essentiel de reconnaître que, dans le cadre de ce processus, les situations d’urgence ont également une incidence très importante sur la santé mentale et le bien-être de notre personnel, qui sert les Canadiens de façon désintéressée, tout en les exposant, eux et leurs familles, dans bien des cas, aux mêmes situations de crise.
Dans les situations d’après-crise, les employés, à titre personnel, et les groupes dans les missions peuvent se prévaloir du Programme d’aide aux employés du ministère pour obtenir des services d’intervention d’urgence et des séances de débreffage sur les incidents critiques. Je tiens à ajouter que nos employés sont aussi souvent déployés pendant une crise, comme cela a été le cas récemment en Éthiopie. Lors de cette intervention, des conseillers se sont rendus dans des missions immédiatement après la nouvelle de ce tragique accident.
Le Programme d’aide aux employés offre également une formation particulière sur des questions comme la gestion du stress et la résilience, la préparation psychologique à l’adaptation culturelle et la gestion des conversations difficiles avec les Canadiens et les familles traumatisés.
En plus d’offrir une formation robuste à notre personnel déployé à l’étranger, des efforts renouvelés sont en cours pour renforcer la formation offerte à nos intervenants de l’administration centrale. Ce besoin a récemment été recensé lors de nos examens post-interventions. Par exemple, du côté des services consulaires, ce sont nos agents du traitement des cas à l’administration centrale qui s’occupent principalement des familles canadiennes ici au pays dont l’un des membres se trouve à l’étranger. Ces familles ressentent souvent une grande anxiété au sujet du bien-être de leurs êtres chers.
Le ministère offre notamment des séances de mentorat à l’administration centrale pour les membres de l’équipe d’intervention d’urgence. Ce faisant, le ministère s’assure que ces intervenants sont bien équipés pour appuyer leurs collègues sur le terrain. Les séances de formation offrent aux employés une occasion concrète de revoir leurs responsabilités et leurs rôles précis et de les mettre directement en pratique avec nos homologues dans l’ensemble du gouvernement au moyen d’exercices de simulation et d’autres formations se rapportant à des cas particuliers.
Du côté des services consulaires, nous offrons régulièrement des cours et des séances axés sur la santé mentale, le bien-être et les premiers soins en santé mentale à nos gestionnaires de cas consulaires. Ces cours sont offerts tant à l’administration centrale que dans les bureaux à l’étranger, ce qui nous permet de réunir les équipes consulaires dans une région donnée.
Pour terminer, je tiens à remercier les membres du comité pour l’attention qu’ils portent à cette question cruciale, en particulier pour votre préoccupation envers la sécurité et le bien-être de nos employés. Nous nous ferons un plaisir de répondre à vos questions au sujet des progrès réalisés en ce qui concerne la formation et pour gérer les effets que les difficultés auxquelles nous faisons face peuvent avoir sur la santé et le bien-être non seulement de nos employés, mais aussi de leurs familles. Merci.
La présidente : Merci, madame Jeffrey. Nous avons des sénateurs qui veulent poser des questions, et nous commencerons par la sénatrice Bovey.
La sénatrice Bovey : Merci d’être de retour. J’ai trouvé les séances très intéressantes. Bien que l’on ait tendance à se concentrer sur des enjeux particuliers, je trouve très enrichissant d'avoir en même temps une image plus générale de la situation. Je vous en remercie.
Je pense que faire en sorte que le personnel soit prêt à affronter les situations qui les attendent est vraiment important. Je suis ravie de voir le sérieux avec lequel vous entreprenez l’élaboration de formations supplémentaires.
Si vous me le permettez, j’ai quelques questions, qui seront peut-être très simplistes, et j’espère que vous m’en excuserez.
Je comprends que vous élargissiez la formation. Ai-je raison de dire que l’objectif est que le personnel suive la formation avant d’arriver à la mission, ou est-ce qu’une bonne partie de la formation se fait une fois qu’on arrive là-bas?
Mme Jeffrey : Dans une situation idéale, le personnel suivrait la formation avant de quitter le Canada. C’est notre objectif. Il y a un certain nombre de circonstances où cela peut ne pas être possible. Par exemple, lorsque les employés passent d’une mission à l’étranger à l’autre directement et ne sont peut-être pas en mesure de revenir immédiatement au Canada. Dans de tels cas, nous essayons soit de faire en sorte qu’ils passent par le Canada, soit que les cours soient offerts à leur mission au début de l’automne, pour que tous ceux qui ont changé de mission soient en mesure de les suivre en même temps. C’est grâce au programme de devoir de diligence que nous pouvons maintenant faire cela.
Un autre genre de situation qui peut se produire, c’est lorsqu’une mission change de catégorie. Certaines formations de plus haut niveau — la formation sur les milieux hostiles, par exemple, ou les séminaires sur la sécurité personnelle — ne sont exigées que dans des milieux où le crime ou la menace sont élevés. Il y a un grand nombre de missions qui en font l’objet, mais pas toutes.
Il est possible qu’une mission change de catégorie en cours d’année parce que la situation politique du pays change elle aussi. Dans ce cas, la formation doit être offerte à tous les employés sur le terrain. Nous essaierons maintenant de l’offrir sur place grâce à des fournisseurs locaux ou des formateurs de l’administration centrale qui se rendent à la mission. Cela offre un avantage supplémentaire, car nos formateurs peuvent offrir une formation spécialement adaptée au contexte de la menace de cette mission, plutôt que d’offrir la formation plus générale qui couvre toute la gamme de menaces envers toutes les missions.
La sénatrice Bovey : Si vous permettez, je vais vous poser des questions au sujet des familles. Je comprends que le personnel diplomatique passe d’une mission à l’autre. Je crois que la formation s’adresse également aux familles.
Qu’en est-il des enfants? Qu’en est-il des enfants qui changent de mission et qui vont à l’école? Je ne sais pas s’ils vont à des écoles internationales ou locales. Cela varie certainement d’une famille à l’autre et d’une mission à l’autre. Quel genre de formation est offerte aux enfants qui vont à l’école, ou après l’école? J’aimerais vraiment savoir ce que l’on fait pour les jeunes.
Mme Jeffrey : Je pense que je vais demander à mon collègue, Reid, de vous fournir les détails, mais nos familles sont expressément incluses dans ces formations obligatoires. Elles doivent vivre dans ces mêmes milieux. C’est très important qu’elles aient la même capacité de déceler les menaces et d’y répondre de façon appropriée.
Les jeunes sont inclus. Je crois que les enfants de plus de 12 ans participent aux formations. Les plus jeunes enfants ne reçoivent pas actuellement ce genre de formation, mais leur sécurité est l’une des choses qui est évaluée par nos gestionnaires du programme de sécurité dans les missions, la sécurité des écoles que fréquentent nos enfants. Toutes ces choses font expressément partie de l’évaluation de la sécurité de nos missions. C’est quelque chose de relativement nouveau. Je dirais que, il y a 30 ans, ce n’était pas quelque chose qui aurait été perçu comme faisant partie de la sécurité de la mission, mais c’est une dimension très importante pour nos familles.
Lors de beaucoup d’incidents, il ne s’agissait pas de menaces directes contre notre mission, mais de gens qui ont été pris dans des situations pendant qu’ils magasinaient en ville, qu’ils voyageaient, qu’ils faisaient les choses normales que font les familles. Conséquemment, il est très important que nos cours couvrent cela directement, qu’ils ne se concentrent pas seulement sur les attaques terroristes contre la mission. Il faut examiner toutes les menaces. Reid, pourriez-vous en dire plus à ce sujet?
Reid Sirrs, directeur général, Sécurité et gestion des urgences, agent de sécurité du ministère, Affaires mondiales Canada : Vous avez touché à tout. Merci beaucoup. Cela dépend vraiment des caractéristiques de chaque mission où se rendent les employés. Évidemment, nous ne voudrions pas donner à quelqu’un qui a moins de 12 ans l’ensemble de la formation sur les milieux hostiles, mais nous offrons d’autres types de formations plus adaptées à leur contexte.
La formation est offerte aux enfants plus âgés parce que ce sont généralement ceux qui sont les plus mobiles et libres de se déplacer dans les pays où ils habitent. Évidemment, nous devons nous assurer de nous en occuper.
Mme Jeffrey : Une des choses que nous examinons et évaluons constamment, c’est le profil des missions où il est permis, ou non permis, d’avoir des personnes à charge. Nous surveillons constamment la situation, et il est parfois difficile de décider quand les missions ne sont plus sûres pour les conjoints et personnes à charge. Ces décisions peuvent avoir des effets importants sur le fonctionnement des missions, mais c’est très important. Nous avons élaboré des critères et nous réévaluons continuellement la situation, suivant les changements de contexte, pour déterminer si la mission demeure un endroit approprié pour les personnes à charge.
Par exemple, en décembre dernier, nous avons retiré les enfants à charge de Port-au-Prince, en Haïti, à cause de la détérioration de la sécurité. Voilà le genre de décisions que nous prenons.
La sénatrice Bovey : Y a-t-il eu des cas de menaces envers les enfants du personnel d’une ambassade? Au cours de ma carrière dans ma ville natale, j’ai déjà reçu un appel un jour de policiers qui m'ont dit qu’ils envoyaient des agents supplémentaires au terrain de jeux de mes enfants en raison des menaces qu’on leur avait faites à cause du travail que je faisais. Puisque cela se produit ici au Canada, pour un emploi qui n’est pas si risqué, y a-t-il des menaces envers les enfants du personnel de nos ambassades? Sommes-nous au courant de telles situations?
Mme Jeffrey : Je ne suis pas au courant de tels cas. Bien sûr, j’imagine que c’est quelque chose qui serait toujours possible. Je ne suis pas au courant de tels cas au cours des dernières années.
La plupart des menaces que nous évaluons ne visent pas directement les écoles ou les enfants, mais ils seraient plutôt des cibles connexes à d’autres activités.
La sénatrice Bovey : Merci.
Le sénateur Boehm : Madame Jeffrey et monsieur Sirrs, merci d’être venus nous voir aujourd’hui. J’aime la franchise et l’ouverture dans vos réponses et votre exposé. J’aimerais également réitérer ce qu’a dit la présidente au début concernant l’excellent travail que tout le monde a fait à la suite du tragique écrasement d’avion de l’Ethiopian Airlines.
J’ai quelques questions. Certaines seraient peut-être mieux posées au deuxième tour. J’aimerais féliciter Affaires mondiales Canada pour les efforts supplémentaires qui ont été faits dans le domaine de la santé mentale en général et sur cet enjeu en particulier. Je sais que nous nous concentrons beaucoup sur les missions à l’étranger. Je sais d’expérience — en fait, madame Jeffrey, cela s’est passé lorsque j’étais dans votre poste il y a environ 12 ans — qu’un agent chargé de cas peut vraiment s’investir dans un dossier. Il s’agissait d’une prise d’otage, et, lorsque vous travaillez étroitement avec les familles, les nouvelles ne sont pas toujours bonnes. Nos employés et nos collègues doivent recevoir du soutien dans de telles situations.
Croyez-vous que suffisamment de ressources ont été affectées à cet enjeu? Je sais que vous en avez parlé, mais croyez-vous qu’un appui suffisant est donné aux gens qui ne peuvent jamais s’exprimer à cause de la Loi sur la protection des renseignements personnels et qui gèrent des dossiers très délicats?
J’ai une question complémentaire à vous poser. Il arrive qu’on travaille dans des missions dont on ne croit pas qu’elles seront dans un environnement dangereux. Pensons à nos collègues à Paris. Paris a été en état d’alerte pendant une longue période à la suite d’une attaque terroriste. J’étais en poste à Washington, par exemple, lors des attaques du 11 septembre. Nous n’aurions jamais cru — personne au monde n’aurait cru — qu’une telle chose se produirait, mais, quand elle se produit, il faut réagir.
Ces endroits ne semblent pas dangereux en fonction des critères, mais ceux qui y sont envoyés reçoivent-ils la même formation en matière de sécurité, ou doivent-ils attendre d’être sur place?
Mme Jeffrey : Ce sont des questions très importantes. Nous avons atteint un tournant il y a quelques années; depuis, la santé et le bien-être de nos employés font partie intégrante de notre réponse en matière de sécurité. Notre ministère a un service qui, par l’entremise du Programme d’aide aux employés, offre aux employés du soutien en cas de crise et du counselling. Nous travaillons en étroite collaboration avec ce service sur les enjeux consulaires et sécuritaires. Ce service existe pour le personnel.
La formation qui précède l’entrée en fonction et qui est dispensée à tout le personnel explique ce à quoi on doit être attentif et comment repérer, chez soi, ses collègues ou sa famille, les signes de stress; on décrit aussi les ressources disponibles. Ces ressources sont disponibles auprès du Centre de surveillance et d’intervention d’urgence qui est ouvert en tout temps. Nos employés peuvent s’adresser à des conseillers, mais il est toujours possible de faire plus. Nous examinons actuellement ce que nous pouvons faire pour adopter une approche pleinement intégrée, et ainsi, améliorer la formation.
J’ai moi-même assisté à la formation pour m’assurer de bien comprendre ce qu’on y enseigne et pour voir comment elle est dispensée. Nos collègues du ministère de la Défense nationale offrent une excellente formation sur le travail en milieu hostile puisqu’ils ont déjà eux-mêmes dispensé cette formation dans de telles situations. Nous travaillons en étroite collaboration avec eux pour offrir une plus vaste gamme de soutien en bien-être et en santé mentale et pour adapter la formation à un milieu non militaire. Les milieux militaires et civils sont bien différents. Ce cours a d’abord été dispensé dans des endroits comme Kaboul, mais il a évolué depuis. On exige la formation sur le travail en milieu hostile pour 37 missions à l’étranger, qui ne sont pas toutes comme Kaboul. Ces missions présentent des risques mais ne sont pas nécessairement militarisées. La formation a été élargie et adaptée à la situation du personnel civil d’Affaires mondiales et de leurs familles.
Vous avez raison de dire que ceux qui travaillent à des cas traumatisants et très médiatisés comme des enlèvements — parfois, pendant des années, car ce ne sont pas des cas qui se résolvent à court terme — sont très engagés dans ces situations, ce qui est très difficile. On leur offre une formation et des suivis particuliers et ciblés pendant toute la durée. De façon générale, je pense que nous sommes beaucoup mieux sensibilisés aux séquelles de ces traumatismes dans la fonction publique. On est conscient, y compris chez les employés concernés, de la nécessité d’avoir ce genre de soutien dans de tels cas. C’est maintenant intégré à notre travail. Cette aide est offerte régulièrement, pas seulement sur demande, mais aussi lors des contrôles périodiques. C’est ce que nous devons faire. Nous ne pouvons laisser aux employés le soin de venir nous parler des problèmes qu’ils éprouvent. Nous devons leur tendre la main et leur offrir notre aide de façon respectueuse afin qu’ils sachent qu’ils n’auront pas à faire toutes les démarches s’ils ont besoin d’aide.
Nous devons nous assurer de ne pas oublier les sources de stress quotidiennes, les cas qui ne font pas les manchettes, qui sont moins hautement médiatisés et qui semblent moins traumatisants. Les interactions répétées, les tragédies et traumatismes quotidiens dans les familles pèsent lourd sur le moral du personnel qui prend les appels chaque jour. Nous avons mis en place un programme de contrôle, de soutien et de formation presque mensuel pour détecter les problèmes dès qu’ils surgissent. Parfois, le travail ordinaire ne provoque pas de pic de stress, mais nous amène à conclure qu’une équipe de crise doit intervenir pour s’assurer que chacun peut composer avec son propre stress. On oublie parfois ceux qui s’occupent de la charge de travail quotidienne. Il est important qu’ils reçoivent aussi notre attention.
Le sénateur Boehm : Merci beaucoup.
La présidente : J’aimerais vous poser une question complémentaire. Donne-t-on de la formation sur la façon de s’occuper des familles en cas de désastre, qu’il s’agisse d’un événement comme l’écrasement de l’avion de l’Ethiopian Airlines ou d’un autre? Je pose la question parce que, comme sénatrice, je reçois souvent des courriels dans lesquels une famille traumatisée se plaint de n’avoir pas reçu de service. Vous apprenez que votre fils vient de mourir dans un accident de la route dans une île ou un pays étranger et vous vous plaignez du fait qu’on ne s’est pas préoccupé de vous, qu’on ne vous a pas offert le réconfort dont vous aviez besoin. On vous a seulement dit : « Vous avez droit à ceci et cela. Voici comment se passera le transport de la dépouille », par exemple. Je reçois des plaintes de ce genre.
Toutefois, il est vrai que je reçois aussi des messages me disant : « Nous n’aurions pas pu traverser cette épreuve sans l’aide du personnel de l’ambassade. Il a fait montre de compassion, de compréhension et de serviabilité. Il a dépassé nos attentes. » Y a-t-il une formation sur la gestion des urgences et des imprévus?
C’est pratiquement un cours de psychologie, car il faut composer avec les membres de la famille qui vont venir sur place et qui seront traumatisés. Comment faire cela, tout en comprenant et en respectant les limites des lois du pays où vous êtes? Cela fait-il partie de la formation?
Mme Jeffrey : Oui, cela fait expressément partie de la formation initiale et des cours de rappel périodique des agents consulaires. Le plus important dans leur travail, répondre avec empathie et sollicitude — même dans les cas où la nouvelle ou le message que vous transmettrez ne sera pas bien accueilli — est aussi le plus difficile. Chaque personne est différente et réagit à sa façon.
Nous devons aussi nous assurer qu’il y a un roulement chez nos employés qui traitent de ce genre de situation afin qu’ils restent résilients et capables de répondre avec compassion. En fonction des fluctuations du niveau de stress, nous réaffectons les employés afin qu’ils n’épuisent pas leur réserve de sympathie et de sollicitude. Ce sont des conversations très difficiles.
Il y a d’ailleurs un cours particulier sur les conversations difficiles. Il y a des façons de transmettre les mauvaises nouvelles. On ne peut les éviter, et ce sera probablement l’une des expériences les plus traumatisantes de la vie de ces personnes et de leurs familles. C’est particulièrement difficile quand on ne peut être présent, quand l’événement se produit à l’étranger, dans un pays où les lois ne vous permettent pas de faire tout ce que vous voudriez pour votre proche. C’est très difficile. Les employés ont une formation précise sur ce sujet, mais il faut aussi s’assurer qu’ils ont eux-mêmes du temps pour s’en remettre et pour se préparer à ces conversations.
La présidente : Dans le même ordre d’idées, la différence c’est que, de nos jours, la communication est instantanée où que l’on soit dans le monde. En tenez-vous compte? Celui qui n’est pas satisfait de sa conversation avec un agent consulaire peut, sur-le-champ, publier un gazouillis.
Mme Jeffrey : Oui, c’est une réalité des communications de notre époque. Cela peut être avantageux, en ce sens que nous pouvons aussi communiquer avec les Canadiens de bien des façons. Il est parfois difficile de les joindre par téléphone. Nous avons donc commencé à employer d’autres moyens. Nous communiquons par WhatsApp, par message texte ou par Messenger. Quel que soit le mode de communication que souhaitent utiliser les Canadiens, nous pouvons communiquer avec eux.
Les communications avec le public sont l’un des aspects des communications consulaires que nous voulons améliorer. Nous voulons nous assurer que les Canadiens disposent de toutes les informations dont ils ont besoin quand ils voyagent, afin qu’ils puissent prendre de bonnes décisions, et aussi en cas de crises, nous voulons leur garantir les toutes dernières informations par les moyens auxquels ils ont accès et là où ils sauront les trouver.
Nous avons commencé un travail très technique sur l’interface : peut-on naviguer facilement sur la page web? Peut-on naviguer facilement sur la page web sur un dispositif mobile? La navigation est-elle facile quand la largeur de bande est limitée?
Nous travaillons en étroite collaboration avec le Conseil du Trésor et l’équipe d’innovation pour voir comment les gens accèdent aux informations que nous publions. Nous estimons fournir de bonnes informations. Elles sont actualisées en tout temps par une équipe d’employés dévoués. Cependant, si les gens n’y ont pas accès, ce travail est vain. Nous nous concentrons donc sur l’amélioration des mécanismes de communication, notamment en réponse au rapport du vérificateur général et des services consulaires de l’an dernier. C’est un des aspects où nous concentrons nos efforts.
La sénatrice Coyle : Soyez à nouveau la bienvenue, madame Jeffrey. Bienvenue, monsieur Sirrs. Comme mes collègues l’ont dit, nous vous sommes très reconnaissants de votre travail. Nous savons qu’une carrière au Service extérieur est une carrière enrichissante, mais qui peut aussi parfois être très difficile.
J’aurais quelques questions connexes au sujet de la formation, dont vous avez beaucoup parlé dans votre exposé, et de la gestion des urgences. Je serais curieuse de savoir à quel point la formation sur le terrain prévue pour les employés gouvernementaux du Canada intègre les connaissances locales d’un milieu particulier. Évidemment, je sais que vous avez uniformisé les programmes de formation. Cela dit, intégrez-vous les connaissances locales dans vos formations? De plus, arrive-t-il au Canada de collaborer avec ses pairs, tels que les États-Unis, la Grande-Bretagne ou d’autres pays, dans ses missions pour élaborer et offrir de la formation?
Mme Jeffrey : Merci. Je vais répondre à la première partie de la question. Reid pourra peut-être parler des détails des missions.
Il est tout à fait essentiel d’avoir des connaissances locales et d’adapter les conseils que nous prodiguons aux différentes situations. Pour ce qui est des cours que nous offrons, parfois, nous offrons un cours provenant du siège social de manière ciblée lorsqu’un grand groupe de personnes se rend à un endroit précis. Cependant, la majeure partie des formations adaptées doivent se faire en mission, puisque c’est sur place que nous avons plus de ressources, les meilleures connaissances possibles, et que les gens peuvent voir dans quel milieu ils se trouvent et comment agir dans ce milieu.
Les personnes qui participent à une mission, que ce soit pour une courte visite ou pour une affectation, reçoivent à leur arrivée des séances d’information sur la sécurité qui sont adaptées à leur milieu. Avant leur départ, nos collègues de la sécurité et du renseignement peuvent également leur donner des séances d’information sur le type de menaces auquel ils doivent s’attendre sur place. Ce type de séance est adaptée au milieu particulier de la mission. Je crois que l’intervention en matière de sécurité se fait principalement lors des missions.
Reid, voulez-vous ajouter quelque chose?
M. Sirrs : Dans chaque mission, on tient un exercice de simulation adapté à l’endroit. Il y a des agents régionaux de gestion d’urgence qui parcourent le monde. Nous tenons des exercices dans environ 70 missions par année. Pendant ces exercices, tous les employés de la mission peuvent participer, quel que soit l’événement. Dans les Barbades, on simule un ouragan. En Afghanistan, on simule plutôt une attaque terroriste quelconque.
Ces exercices sont très utiles pour l’élaboration de notre plan de gestion des urgences. Ce plan est évolutif; nous le modifions constamment selon l’évolution de la situation dans chaque mission. Nous préparons aussi les employés d’une mission en fonction des changements qui surviennent. C’est un environnement d’apprentissage très sûr. On peut y faire des erreurs et apprendre comment on réagit dans certaines circonstances.
Nous tenons aussi des exercices conjoints. Nous échangeons régulièrement sur les enseignements que nous tirons de nos expériences avec des pays aux vues similaires aux nôtres. Il y a un programme d’échange permettant à des employés du Foreign & Commonwealth Office du Royaume-Uni de travailler au sein de notre bureau de gestion des urgences, et un de nos employés travaille à leurs bureaux à l’étranger — on discute des leçons apprises, des pratiques exemplaires, et on coordonne les différents exercices à l’étranger.
Mme Jeffrey : J’ajouterais que c’est l’un des domaines que nous examinons en matière d’innovation en formation. Nous avons parlé de la façon dont nous envisageons les offres régionales, afin de permettre à un plus grand nombre de personnes d’y accéder plus rapidement. Parfois, il nous arrive de collaborer avec le Royaume-Uni, surtout pour ce qui est de la formation des conducteurs de véhicules blindés et de la formation en milieu hostile. Nos employés ont participé à leurs cours, et vice versa. Nous envisageons de combiner certaines des formations offertes, puisque cela nous donnerait le nombre requis de personnes sur le terrain pour offrir des formations mieux adaptées à un plus grand groupe. C’est le même type de formation. Les Britanniques sont des partenaires clés pour le Canada et ont des vues similaires aux nôtres. Nous échangeons beaucoup de renseignements. Nous travaillons déjà de concert avec eux dans toutes sortes de domaines : évaluations des menaces, avis aux voyageurs, état de la sécurité dans nos missions et protocoles. Nos gestionnaires de programmes de sécurité à l’étranger ont un groupe de gestionnaires de la sécurité aux vues communes qui se consultent tous les jours sur la situation sur le terrain et sur ce que nous pensons devoir faire au sujet de notre situation. Nous souhaitons développer davantage cette autre dimension.
La sénatrice Coyle : J’aimerais poser une autre question, si je puis me permettre. Merci beaucoup. Votre mise en contexte est fort utile. Ma prochaine question porte toujours sur le concept de collaboration. Jusqu’à quel point pouvons-nous collaborer avec nos partenaires?
À une certaine époque, j’avais l’habitude de prendre l’avion pour faire des allers-retours à Kaboul, puisque je représentais un certain nombre d’organismes donateurs, incluant le Canada, au sein d’un conseil d’administration en Afghanistan. Je me souviens avoir été terrifiée la première fois que j’ai pris l’avion des Nations Unies à Dubaï pour me rendre à Kaboul. Une fois arrivée sur place, je n’ai obtenu aucune formation pour savoir quoi faire. Je savais comment m’habiller, mais pas tellement comment me comporter, quoi surveiller, quoi faire pour le transport et ce genre de choses. Je me suis débrouillée. Je me suis rendue à l’ambassade canadienne, bien sûr, et j’ai dit : « Dites-moi quoi faire. »
Je ne parle pas tant des gens qui vont et viennent, mais plutôt des Canadiens qui se trouvent dans les pays où il y a certains risques, des risques élevés de divers types, qui ne font pas nécessairement directement partie de notre mission, mais qui reçoivent peut-être du financement de la part d’Affaires mondiales Canada, par exemple, des citoyens canadiens qui se trouvent dans ces pays. Collaborez-vous avec certaines organisations, qu’il s’agisse d’entreprises privées ou d’ONG, pour des séances d’information sur la sécurité ou de la formation?
Existe-t-il de la collaboration au-delà du cadre de nos propres missions ou des missions d’autres gouvernements?
Mme Jeffrey : C’est très important, car ce sont souvent les organismes humanitaires et les ONG internationales qui couvrent le plus de terrain dans ces pays. Ces organismes se trouvent dans toutes les régions et dans les endroits les plus difficiles. Ils sont des partenaires clés pour l’élaboration et la prestation d’aide humanitaire.
Voilà un exemple très clair de la façon dont les gestionnaires de programmes de sécurité se consultent dans le cadre des missions dans des pays où certaines régions sont hostiles. Les gestionnaires des programmes de sécurité se consultent régulièrement.
Ces organismes, tels que le Comité international de la Croix-Rouge ou le Programme alimentaire mondial des Nations Unies, ont des services de sécurité hautement professionnels et sont très exposés aux menaces locales. Il existe des réseaux. Ces organismes procèdent à des vérifications radio quotidiennes, des consultations, comparent leurs notes sur certains incidents, se parlent des points de contrôle, et cetera. Cela nous donne une idée claire de la situation.
Reid, peut-être pourriez-vous parler des renseignements offerts aux Canadiens sur le terrain?
Nous émettons des avis aux voyageurs qui sont notre source d’information pour les Canadiens. Nous mettons ces avis à jour continuellement en réponse aux menaces, aux protestations, aux manifestations et aux nouveaux incidents sur des routes précises.
Nous avons également le service d’inscription des Canadiens à l’étranger, un registre volontaire où les Canadiens qui voyagent à l’étranger peuvent inscrire leurs coordonnées ainsi que leurs allées et venues, ce qui nous permet de leur transmettre des conseils. Grâce à ce système, nous pouvons leur envoyer des messages, afin qu’ils soient au courant des dernières nouvelles qui ne feraient peut-être pas partie des avis aux voyageurs généraux pour un pays, mais qui pourraient leur servir s’ils se trouvaient à Kaboul ce jour-là. Cela fait partie de notre travail.
M. Sirrs : Vous m’avez volé la vedette.
Mme Jeffrey : Il ne s’agit pas seulement d’organisations humanitaires ou de développement, mais aussi d’entreprises commerciales. Nos entreprises minières et extractives vont là où les affaires les mènent. Parfois, cela les mène dans des pays risqués.
Il est très important de collaborer et de se consulter du point de vue des affaires consulaires. Nous avons recours à un réseau de coordonnateurs d’urgence. Ces coordonnateurs nous aident volontairement, et ce sont des Canadiens qui résident depuis longtemps dans certains pays. Ils couvrent des régions particulières, afin que l’on puisse étendre notre rayon d’action. Ils apprennent à connaître les Canadiens qui se trouvent dans des régions précises de ces pays, et ils sont nos points de contact en cas de crise. Ces Canadiens nous ont été extrêmement utiles, par exemple, lorsqu’est venu le temps d’intervenir à la suite de l’ouragan en 2017, et lors de la crise en Haïti l’hiver dernier. Ils nous ont permis d’avoir accès directement à certains endroits où il nous aurait été impossible de nous rendre à ce moment-là.
La sénatrice Coyle : Merci beaucoup.
La sénatrice Busson : Tout d’abord, je tiens à m’excuser d’avoir manqué une partie de votre exposé. Je n’ai pas encore réussi à me trouver à deux endroits en même temps, mais j’y travaille.
Je crois que le sénateur Boehm et notre présidente m’ont devancée. Je voulais vous poser une question au sujet des personnes se trouvant dans des situations à haut risque et qui sont exposées à des menaces, versus celles qui font face à de faibles menaces sur une longue période de temps. Parfois, une simple menace sur une longue période de temps peut affecter autant la santé mentale des gens que les situations à haut risque qui sont gérées.
Je me demande s’il existe un type de séances de débreffage officielles ou de suivi pour ces personnes et leurs familles, lorsque celles-ci reviennent d’une mission ou d’un projet dans un pays où la menace pourrait même, dans certains cas, être faible. Leur offre-t-on une séance de débreffage? Discute-t-on avec elles, et cetera?
Mme Jeffrey : Oui, nous offrons des séances de débreffage et de counselling avant le départ pour une affectation et lors du retour au Canada. Pour être honnête, lorsque ces Canadiens reviennent au pays, ils sont stressés. Ils ne s’attendent pas à ce que ce soit aussi stressant que de déménager dans un nouveau pays. Le geste est somme toute le même. Votre famille quitte un milieu qui est devenu familier pour s’installer dans un autre milieu qui n’est peut-être plus aussi familier qu’il l’était au moment du départ il y a quatre ou cinq ans. Vous devez parfois vous refaire des réseaux de soutien si votre famille n’est pas d’Ottawa. Cette période peut être assez stressante.
Lors de nos déploiements prolongés en Afghanistan au cours de la dernière décennie, nous avons constaté qu’il est très important, non seulement pour les employés, mais aussi pour leurs gestionnaires, de savoir ce qu’il faut déceler et comment ce type de stress post-traumatique peut se refléter dans le comportement des gens et dans leur milieu de travail. Nous avons constaté que ce type de stress de faible intensité peut engendrer de l’irritabilité ou d’autres problèmes qui ne sont pas immédiatement reconnus comme étant le résultat du milieu auquel les gens ont été exposés, et ils n’auraient pas non plus repérer une telle chose dès le départ.
Nous avons dû faire beaucoup de sensibilisation et nous devons encore en faire. Il s’agit d’un processus continu. Les gestionnaires doivent suivre un cours sur la santé mentale et le bien-être. Cela nous permet de bien couvrir tous les angles. Nous offrons des cours aux employés, mais nous nous assurons également que leur entourage tienne compte de leurs besoins et de leur espace.
Nous nous assurons d’avoir des séances de débreffage ciblées pour les missions à très haut risque. Ces séances sont obligatoires. Vous n’avez pas le choix d’y assister. Vous n’avez pas à faire d’exposé, mais vous devez être prêt à avoir une discussion. On vous pose certaines questions et vous décidez de participer ou non.
Le tout se fait sur une base volontaire, mais nous offrons un peu plus de structure que pour les missions estimées non risquées. Nous désirons avoir une approche globale pour tout notre ministère. Cette approche ne concerne pas que certaines personnes en particulier. Nous changeons de poste régulièrement, alors, à un certain point de notre carrière, nous sommes exposés à ces milieux, ou nous rencontrons quelqu’un qui a été exposé à ces milieux, parfois sans le savoir. Il est très important pour nous de miser sur la sensibilisation générale au sujet de la santé mentale et du bien-être. Nous avons de nouvelles lignes directrices, et nous avons hâte de les mettre en pratique.
Je crois que nous devons être unis et que nous devons demeurer à l’affût constamment, pas seulement lors d’événements extrêmes tels qu’un écrasement d’avion ou un tremblement de terre, mais aussi dans notre vie quotidienne et dans les tâches les plus banales.
La sénatrice Busson : Je suis très heureuse de l’entendre. Merci beaucoup de votre réponse.
M. Sirrs : Comme Heather l’a dit, dans le cadre de certaines missions à risque élevé, par exemple, en Afghanistan et en Irak, lorsque les gens reviennent de missions, ils doivent prendre un congé de décompression obligatoire. À la fin de ce congé, ils doivent participer à une séance au cours de laquelle on leur demande comment ils se sentent.
Avant cela, ceux qui participent à ces missions reçoivent la visite de représentants du Programme d’aide aux employés. En Afghanistan, nous effectuons ces visites deux fois par an. Ce sont des gens de l’administration centrale qui viennent vérifier comment vont les choses. Ces renseignements, de même que tout signe préoccupant, sont transmis au chef de mission pour que l’on puisse s’assurer de venir en aide, du mieux que l’on peut, à ceux qui sont sur le terrain. Pour y parvenir, ils prennent bien sûr des congés de récupération et de relaxation, ce qui leur permet de quitter un environnement stressant pour un environnement propice à la décompression. Nous tentons de renforcer la résilience tout au long de leur affectation.
Le sénateur Ngo : Avant de poser ma question, j’aimerais revenir sur les questions de la sénatrice Bovey concernant les enfants du personnel à l’ambassade.
Dans les pays à haut risque, l’ambassade assure-t-elle le transport des enfants à l’école? Si oui, quel type de véhicule est utilisé? Avons-nous des voitures pare-balles à notre disposition?
Mme Jeffrey : Dans la plupart de nos missions les plus à risque, les personnes à charge ne sont pas autorisées, même en visite. Dans un lieu comme Kaboul, vous ne trouverez pas d’enfants.
Dans le cadre d’autres missions où la situation sécuritaire peut être plus changeante — on pourrait prendre, par exemple, le cas de Nairobi, où, après l’incident du centre commercial Westgate, nous n’avons pas eu d’enfants ou de personnes à charge pendant très longtemps. La situation s’est améliorée et il y a maintenant des personnes à charge et des enfants.
Dans le cadre de chaque mission, nous avons des véhicules blindés et assurons les transports dans le cadre des missions où cela représente un risque. Dans des situations extrêmes, nous les avons déjà utilisés pour transporter des enfants en toute sécurité, mais, de toute évidence, dans un environnement où il s’agirait d’une menace constante, nous évaluerions sérieusement s’il s’agit d’un environnement où l’on souhaite continuer à envoyer des personnes à charge.
Nous avons dû avoir recours à ce type de transport lorsque des événements inattendus se sont produits et que des enfants devaient être recueillis ou déplacés dans des véhicules blindés. Dans une situation où cela serait une préoccupation constante, il faudrait évaluer sérieusement le niveau de risque que représente notre mission, et s’il ne serait pas mieux de permettre aux gens de rentrer chez eux de façon plus permanente.
Le sénateur Ngo : Merci. J’aimerais prendre le cas réel du Venezuela. Le Canada a demandé au régime Maduro de céder le pouvoir, de quitter le pays. Nous avons toujours l’ambassade à Caracas.
Pouvez-vous faire le point sur la sécurité de notre personnel à l’ambassade?
Avons-nous du personnel de sécurité ou militaire canadien dans des missions à risque élevé, ou avons-nous recours à des services de sécurité locaux?
Mme Jeffrey : La réponse a deux volets. Pour des raisons évidentes, nous ne discuterons pas de mesures de sécurité précises concernant certaines ambassades. Dans tous les pays où nous sommes présents, nous avons recours à différents types de services de sécurité. À Kaboul, par exemple, nous avons les Forces armées canadiennes, et nous avons aussi des gardes locaux. Une combinaison semblable est employée à différents endroits.
Il est assez inhabituel, voire très rare, de bénéficier de la protection des Forces armées canadiennes dans nos missions. Souvent, dans de nombreuses missions, nous bénéficions des services de la police militaire. Il s’agit de professionnels formés par le ministère de la Défense nationale qui s’occupent de la gestion des gardes locaux ou des entrepreneurs en sécurité privés qui assurent la sécurité dans le cadre de ces missions, comme cela est souvent le cas.
La situation à Caracas est intéressante et constitue un exemple utile de la façon dont on évalue la sécurité, car il s’agit d’un contexte qui évolue très rapidement. Depuis des mois, nous nous réunissons quotidiennement pour évaluer la situation sécuritaire à Caracas, afin d’adapter constamment le statut de notre mission à la lumière de la situation sur le terrain. Nous devons toujours vérifier si les Canadiens sont ciblés expressément. Nous examinons le degré d’exposition de notre personnel ainsi que ses protocoles de déplacement.
Il existe de nombreuses façons d’ajuster le statut sécuritaire de notre mission. Lorsque nous estimons qu’une mission n’est plus sécuritaire et que les mesures d’atténuation que nous avons mises en place ne sont pas suffisantes, le personnel en est retiré.
Nous nous penchons sur un grand nombre de cas, en consultation avec nos gestionnaires de programmes de sécurité sur le terrain, dont la tâche consiste, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, à être au fait de la situation en matière de sécurité, à assurer la liaison avec leurs collègues et à coopérer avec des pays aux vues similaires aux nôtres sur les mesures de sécurité et les informations relatives aux menaces susceptibles d’évoluer.
À Caracas, notre mission est de beaucoup plus petite envergure qu’il y a cinq ans. Nous n’avons pas d’enfants là-bas. Nous évaluons constamment la situation, car nous offrons des services aux Canadiens. Nous tentons toujours de parvenir à un équilibre entre nos activités et les services que nous assurons sur le terrain.
Le sénateur Ngo : Considérons-nous le niveau de risque de notre ambassade comme moyen ou élevé?
M. Sirrs : Le niveau de risque dépend entièrement des circonstances. Je suis désolé d’être un peu vague; je vais tenter d’être plus précis dans mon suivi. S’il y a constamment des coupures d’électricité, d’eau et d’autres interruptions de services de base, le risque ou la vulnérabilité augmente. Nous effectuons un suivi quotidien de la situation à Caracas pour nous assurer de bien comprendre le risque global.
À l’heure actuelle, l’instabilité civile ne vise pas le Canada. Nous gérons la situation en conséquence. Cela ne veut pas dire que nous n’en tenons pas compte; nous nous assurons, de différentes façons, que les gens concernés connaissent la ville, qu’ils sont informés des déplacements dans celle-ci, qu’ils ont d’autres endroits où travailler, qu’ils ont accès à des systèmes de communications de secours, et cetera. L’évaluation évolue constamment selon les circonstances.
Au cours des dernières semaines, par exemple, nous avons constaté une augmentation significative de la fréquence des coupures de courant. Cela a des répercussions sur tout le reste, que ce soit l’approvisionnement de carburant à la pompe à essence ou le fait de savoir si les réfrigérateurs des épiceries fonctionnent pour vous permettre de vous procurer des produits frais. Nous dépendons de plus en plus des systèmes d’alimentation de secours pour répondre à nos besoins.
Comme je l’ai indiqué, lorsque nous atteignons certains seuils critiques, nous prenons les décisions qui s’imposent.
Mme Jeffrey : Nous avons mis en place un processus beaucoup plus structuré, ce qui nous est utile. Nous avons une approche rigoureuse pour examiner les éléments qui nous permettent de modifier le degré de risque de la mission selon différentes phases. Ces éléments ne nous dictent pas quoi faire, mais ils nous fournissent une sorte de liste de contrôle factuel très utile sur ce que nous devons surveiller dans l’environnement local et qui a des répercussions sur la sûreté et la sécurité. Nous passons en revue et mettons à jour cette liste de contrôle régulièrement — parfois même quotidiennement, dans un cas comme Caracas — afin de déterminer où nous en sommes par rapport à ces éléments déclencheurs et ce que nous devons envisager de faire pour atténuer les risques.
Ils englobent tous les types de menaces, qu’elles soient directes ou autre. Ils englobent toutes les menaces possibles dans chaque mission à l’étranger. Pour chaque pays en situation de crise, nous examinons les menaces et les manifestations afin de déterminer si elles compromettent notre accès à l’aéroport. Nous examinons l’approvisionnement en aliments, en eau et en carburant. Nous vérifions si des menaces nous visent directement ou si elles sont plus généralisées. Il y a toute une gamme d’éléments différents que nous devons évaluer dans l’environnement en question.
Nous faisons le suivi des tendances. Ce sont elles qui importent. Il est important que nous soyons en mesure de prévoir l’évolution des choses et de ne pas tenir uniquement compte de la situation en cours.
Ce processus d’examen fondé sur des éléments déclencheurs fait partie intégrante de notre évaluation et nous permet d’avoir la discussion concrète suivante : « Voilà où nous en étions il y a trois mois, et voici où nous en sommes maintenant. Par conséquent, il nous faut envisager de prendre des mesures supplémentaires. »
Les membres de notre personnel sont dévoués. Dans la plupart des cas, la dernière chose qu’ils veulent faire est de quitter leur poste. Ils estiment que leur travail est précieux et qu’ils rendent service aux Canadiens. De notre côté, nous devons avoir une vision très claire des données en matière de sécurité. De plus, étant donné qu’il s’agit d’une décision qui doit être prise, en fin de compte, sur le plan de la sécurité, nos collègues doivent être en mesure de comprendre l’environnement qui les entoure et faire preuve de vigilance. Ils constituent eux-mêmes notre meilleure défense en matière de sécurité. Leur vigilance et le sérieux dont ils font preuve pour ce qui est de la situation locale et des circonstances sont les éléments les plus importants qui éclairent notre démarche.
Ces genres de processus et de consultations très formalisés nous permettent d’entretenir ce dialogue. Cela leur permet de nous faire savoir ce qu’ils pensent de leur situation, comment ils se sentent par rapport à leur environnement, et cela nous donne l’occasion de réfléchir à ce que l’on peut entendre d’autres partenaires ou de ce que nous observons lorsque nous consultons l’équipe de l’administration centrale. Il s’agit d’une approche conjointe qui permet une évaluation beaucoup plus complète.
C’est aussi à ce chapitre que nous avons adopté récemment des modes d’évaluation semblables à ceux qui sont employés par d’autres ONG internationales comme les Nations Unies ou d’autres, qui sont aussi susceptibles d’effectuer ce type d’évaluation, ce qui nous permet de comparer nos modes d’évaluation à ceux de nos partenaires et proches alliés.
Le sénateur Ngo : Merci.
La présidente : Puis-je vous demander une précision? Disposez-vous d’un système d’alerte pour les missions qui se distinguent des avis aux voyageurs que d’autres Canadiens comme moi-même peuvent consulter sur Internet concernant la situation du pays où je compte me rendre? Cela est-il différent de ce que vous faites pour les missions? Ils peuvent être, dans une certaine mesure, liés entre eux.
Mme Jeffrey : Nos conseils aux voyageurs sont nos conseils les plus complets et notre opinion définitive sur l’état d’un pays. Notre politique veut que chaque fois que nous prenons connaissance de renseignements susceptibles d’avoir une incidence, non seulement sur la sécurité de notre personnel, mais aussi des voyageurs canadiens, il n’y ait pas deux poids deux mesures : ces conseils se retrouvent immédiatement dans les conseils que nous donnons aux voyageurs canadiens ainsi qu’à notre personnel. S’il s’agit d’éviter tout voyage au Soudan, comme c’est le cas actuellement, cette restriction s’applique à tous. Si la menace s’applique à un homme d’affaires canadien ou à un employé d’une ONG, nous l’appliquons à nos conseils de voyage de la même façon que nous le ferions pour notre personnel.
Cependant, certains aspects des opérations de sécurité relatifs à l’admission ne concernent que nous, nos diplomates, et nos missions. Ces éléments sont intégrés aux éléments déclencheurs. Par exemple, il peut s’agir de veiller à ce que nous ayons suffisamment de carburant pour faire fonctionner nos génératrices ou de tenir compte du fait que les diplomates de tel ou tel pays puissent constituer une cible particulière pour telle ou telle raison du fait de l’environnement politique local ou des mesures qui sont prises. Ces aspects ne s’appliquent qu’à nos missions.
Lorsqu’ils s’appliquent à tous, ils sont publics et font partie des conseils aux voyageurs que nous publions.
Le sénateur Boehm : J’ai deux autres questions. La première concerne l’indemnisation et la deuxième porte sur le fait de savoir si vous traitez avec les syndicats. Je me souviens de l’incident de Westgate et de la disparition tragique d’Annemarie Desloges, une excellente fonctionnaire canadienne à Nairobi. Elle n’était pas au travail lorsqu’elle est décédée. Madame Jeffrey, vous avez indiqué dans vos observations que les gens vivent, vont faire des courses, emmènent leurs enfants à l’école et s’adonnent à leurs loisirs.
Y a-t-il un bon dialogue en cours ou des procédures sont-elles en place sur la façon de traiter avec le BDPRH, le Bureau du dirigeant principal des ressources humaines relevant du Conseil du Trésor et les compagnies d’assurances?
Parallèlement, tenez-vous les agents négociateurs des syndicats des différents groupes professionnels — et il y en a plusieurs, bien sûr, concernés — au courant des situations qui pourraient se produire afin que vous puissiez avoir un dialogue? C’est ma première question.
Ma deuxième question en est une que j’ai posée lors de notre dernière séance à laquelle vous comparaissiez. Il s’agit de savoir si vous pourriez faire le point sur la situation à La Havane, plus particulièrement sur ce que l’on appelle le syndrome de La Havane, sur les personnes touchées, sur les employés du gouvernement et sur la situation actuelle. Je vous remercie.
Mme Jeffrey : Ces questions se posent lorsque vous êtes envoyé à l’étranger au nom du gouvernement et que votre environnement de travail est la mission dans laquelle vous vous trouvez tous les jours, mais que vous êtes également exposé à des menaces lorsque vous rentrez chez vous le soir. Nous ne sommes pas à l’abri des difficultés de la vie quotidienne dans ces pays. Il y a des accidents. Il y a la maladie. Ces aspects sont pris en charge par notre programme normal.
Je pense que notre agent des ressources humaines pourrait vous donner une réponse plus complète. C’est généralement la Commission de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents de travail de l’Ontario ou toute autre commission d’assurances qui décide si les accidents sont liés au travail ou non. Le ministère participe à ce dialogue et à la mise en œuvre des recommandations.
Dans certains cas, nos diplomates sont ciblés pour qui ils sont et ce qu’ils représentent. Dans ces cas-là, il est beaucoup plus facile de déterminer si l’accident est directement lié à ce qu’ils font ou s’il s’agit de quelque chose qui pourrait nous arriver ici, à Ottawa.
Ce sont des questions très délicates. Chaque cas exige un dialogue très particulier. Les décisions ne sont pas forcément aussi évidentes qu’elles le seraient dans des cas d’accident en milieu de travail qui se produiraient ici, en Ontario, et qui seraient de nature plus conventionnelle. Je sais que notre agent des ressources humaines, notre sous-ministre adjoint chargé des ressources humaines, passe beaucoup de temps à travailler avec les compagnies d’assurances, dans chaque cas, pour expliquer en détail les circonstances des événements et la façon particulière dont la rotation des membres du Service extérieur entre en ligne de compte afin de déterminer où cette limite est généralement établie.
Le travail avec les agents négociateurs et la consultation sont des activités que nous effectuons fréquemment. Nous avons récemment eu notre réunion semestrielle du Comité national de consultation patronale-syndicale, CNCPS, où nous avons rencontré tous les agents négociateurs. Nous avons discuté de la sécurité des missions et de l’obligation de diligence. Nous avons aussi discuté de la situation à Cuba. Pendant que nous consultons les employés, leurs agents négociateurs sont également invités à participer au processus, car nous pensons qu’une plus grande transparence et une discussion plus approfondie sont importantes à la compréhension de tous. Ils sont aussi nos alliés et nous aident à cerner les nouveaux problèmes que le personnel pourrait avoir dans des circonstances nouvelles qui pourraient nécessiter de modifier les politiques. Je trouve cette relation très constructive et utile.
Je pense que c’est un aspect important de notre consultation avec les employés et de notre capacité à répondre aux besoins qu’ils cernent. Ils ne sont pas statiques; ils changent constamment. Nous assistons à des situations que nous n’avons jamais vues auparavant et devons évaluer comment réagir. Ils constituent un élément important de cette réponse. Ils ont été très utiles.
La situation à La Havane est l’un des cas pour lesquels nous rencontrons tous les mois le personnel touché. Comme vous le savez, la GRC enquête actuellement sur les causes de ces incidents. Il s’agit d’une enquête conjointe avec la police nationale cubaine pour déterminer les causes de ces incidents et leurs répercussions très réelles sur la santé de notre personnel. Il s’agit d’une situation sans précédent, dans le cadre de laquelle des membres de notre personnel ont été blessés, et dont la cause n’est pas facilement identifiable, ni par nous ni par nos partenaires.
Nous avons mis en place diverses mesures d’atténuation par rapport aux différentes pistes d’enquête. Nous réévaluons constamment notre situation en matière de sécurité et les mesures qui sont prises sur le plan de la santé pour régler ce problème. Nous collaborons avec la Nova Scotia Health Authority pour mettre en place un projet de recherche mené par l’Université Dalhousie qui permet de donner à notre personnel des renseignements supplémentaires sur les effets de ces problèmes sur leur santé, et nous espérons également que ce projet pourrait éventuellement nous aider à obtenir des renseignements qui nous permettront de déterminer les causes des effets de ces incidents sur la santé, comme nous avons pu le constater.
Nous continuons d’entretenir un dialogue hebdomadaire, voire quotidien, avec les membres de notre personnel qui demeurent en mission à La Havane. Ils sont là de leur plein gré. Nous discutons quotidiennement de la nature de l’information dont nous disposons et des mesures d’atténuation en place. Nous collaborons très étroitement avec eux. Je pense que c’est une situation qui a nécessité l’expansion du réseau d’organismes gouvernementaux qui travaillent à une intervention. Étant donné la nature inconnue de la cause, nous collaborons étroitement avec un groupe de travail des différents ministères du gouvernement du Canada afin de mobiliser toutes leurs ressources et contribuer à l’enquête et à la prise de décisions concernant cette situation.
La sénatrice Bovey : Je comprends tout cela. J’admire le dévouement du personnel au ministère et ceux qui sont déployés à l’étranger.
Je comprends que, dans les régions à risque élevé, les familles n’y vont pas. Cela nuit-il à l’avancement de nos diplomates de carrière qui ont de jeunes familles et qui ne sont donc pas en mesure de participer à certaines missions? Cela nuit-il à l’avancement professionnel des diplomates eux-mêmes?
Mme Jeffrey : En tant que mère de trois enfants, je peux vous parler de ma propre expérience et vous dire ce que j’ai appris sur le service permutant. Il s’agit d’un éventail de réseaux incroyablement diversifiés. Il s’agit d’une carrière riche et variée, avec beaucoup de possibilités différentes, à différents moments. En tant qu’employeur, nous essayons d’être très sensibles aux besoins des familles. Il n’y a pas que des familles avec des enfants. Il y a parfois des familles qui s’occupent de parents vieillissants. Il y a des moments, dans la vie, où on est plus ou moins en mesure de partir en affectation, pour quelque raison personnelle ou familiale que ce soit.
Bien que nous ayons des engagements, la rotation est une condition de notre emploi. Nous devons être réalistes. Nous ne pouvons pas mettre les gens en danger, notamment les mineurs et les conjoints. Nous contrôlons étroitement nos activités dans ces situations. Cela ne représente qu’une minorité de nos affectations. Il existe un vaste éventail d’emplois stimulants très en vue et importants dans d’autres domaines.
Je n’ai pas trouvé que cela fait obstacle à l’avancement des gens. Je pense que c’est la capacité de faire preuve de souplesse au besoin qui est vraiment importante, pour ne pas empêcher qui que ce soit de pouvoir contribuer. Je pense que c’est quelque chose que nous devons continuellement évaluer.
La sénatrice Bovey : Merci.
La présidente : À ce sujet, d’après ce que j’ai vécu à mon époque, vous pouviez poser votre candidature à un poste, puis, bien entendu, vous deviez passer par le service du personnel, et ainsi de suite. Si je peux me permettre de vous donner mes impressions, je dirais que je n’en savais pas assez à ce sujet. Je pense que vous avez corrigé la chose depuis. Les gens savent désormais dans quoi ils s’embarquent et il y a aussi une véritable publicité sur les postes maintenant. Vous pouvez également faire vos propres recherches là-dessus, par exemple.
Il y avait des avantages à accéder à des postes à des échelons différents. Vous pouviez rentrer chez vous et amener votre famille, ce qui est un avantage supplémentaire, car vous pouviez aussi être séparés. Ce que j’ai découvert, c’est que c’était un meilleur mélange pour les couples, car auparavant, il y avait un ambassadeur masculin dont la conjointe l’accompagnait. Tout d’un coup, j’en vois un rester ici, un autre partir, et parfois ils sont ensemble. Ils font des choix de carrière différents.
Y a-t-il des moyens de se rapprocher? En d’autres mots, il y a plus d’avantages à vaincre la distance, puis les choix augmentent de cette façon. Nous sommes une société beaucoup plus mobile qu’autrefois et nous avons des moyens de nous rapprocher. J’ai parlé à certains et je leur ai demandé si leur famille les accompagnait et un homme m’a répondu par la négative, parce qu’il avait un enfant qui allait à l’école et que sa conjointe terminait un projet. Ils avaient fait ce choix. Je pense que notre culture et notre façon de penser se sont adaptées. Le ministère a-t-il accru ses moyens d’action pour répondre à cette nouvelle réalité? Suis-je assez claire?
Mme Jeffrey : Je crois que nous avons une plus grande souplesse pour appuyer les employés, tout en nous assurant que les objectifs opérationnels du gouvernement du Canada sont satisfaits, à savoir, offrir des services aux Canadiens dans les missions. Nous voulons les meilleures personnes en poste à l’étranger tout en respectant les contraintes des familles.
Les affectations à menace élevée où les familles n’ont pas le droit d’accompagner l’employé font en sorte que certains employés se récusent. Grâce à nos directives sur le service à l’étranger et notre indemnité de difficulté, nous pouvons offrir des incitatifs financiers supplémentaires pour inciter les gens à accepter des affectations dans des régions difficiles, afin de les compenser pour les sacrifices qu’ils font. Par exemple, lorsque vous devez vivre dans une enceinte sécurisée, parfois même dans un conteneur d’expédition, avec vos collègues, jour et nuit, tous les jours. Cela peut apporter son propre lot de stress.
Je pense que les directives sur le service à l’étranger, c’est-à-dire les directives gérées par le Conseil du Trésor et qui dictent les conditions et les remboursements accordés, par exemple, pour les déplacements de repos et de relaxation pour aller retrouver un conjoint ou une conjointe qui n’a pas pu vous accompagner, deviennent de plus en plus souples. Je pense que l’interprétation de ces directives est en constante évolution. Par exemple, elles sont très différentes maintenant qu’il y a 23 ans, lorsque je suis arrivée au ministère. Cela dit, il y a encore beaucoup de chemin à faire. Je crois que c’est quelque chose que la direction de notre ministère examine déjà. En fait, les directives viennent d’être renouvelées. Je pense qu’elles sont constamment réévaluées pour voir comment elles peuvent être adaptées afin d’appuyer les parents des deux sexes, leurs enfants, de façon à permettre aux employés d’apporter au mieux leur contribution. Le service à l’étranger que nous fournissons est particulièrement important.
Une grande partie de ce que nous faisons est d’essayer d’améliorer la souplesse de notre réponse aux situations changeantes. Reid avait mentionné l’exemple du congé de repos et de relaxation. C’était autrefois dans des endroits largement reconnus comme étant très dangereux, comme Kaboul, mais il y a d’autres situations qui ne le sont pas autant et où cela n’aurait pas fait partie officiellement de l’affectation. Cependant, nous constatons qu’en raison du niveau de stress ou de la détérioration des situations, cela doit faire partie de notre réponse pour nous assurer que les employés obtiennent un répit. Nous avons trouvé des moyens d’introduire ces mesures de soutien là où la situation a changé. Nous accordons beaucoup d’attention à cette souplesse et à la capacité d’agir plus rapidement, et nous devons en tenir compte dans nos interventions à l’avenir.
La présidente : Je vous remercie. Je pense que nous avons fait beaucoup de chemin. Nous en avons appris davantage sur le fonctionnement des affectations, les pressions exercées sur les employés et les problèmes auxquels votre ministère doit faire face quotidiennement. Nous vous remercions de ces renseignements supplémentaires. Nous espérons présenter un rapport qui sera déposé au Sénat afin que tous les sénateurs puissent mieux comprendre le fonctionnement des affaires étrangères à l’étranger, et ici, à Affaires mondiales à Ottawa. Merci d’être venus aujourd’hui.
(La séance est levée.)