Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et
du commerce international
Fascicule no 65 - Témoignages du 29 mai 2019
OTTAWA, le mercredi 29 mai 2019
Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international, auquel a été renvoyé le projet de loi C-82, Loi mettant en œuvre une convention multilatérale pour la mise en œuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices, se réunit aujourd’hui, à 16 h 15, pour étudier le projet de loi.
Le sénateur Paul J. Massicotte (vice-président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le vice-président : Je suis le sénateur Paul Massicotte, vice-président de ce comité. Bienvenue.
[Français]
Nous nous réunissons aujourd’hui pour débuter notre étude du projet de loi C-82, Loi mettant en œuvre une convention multilatérale pour la mise en œuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices. C’est avec plaisir que nous accueillons au comité nos premiers experts.
[Traduction]
Je suis heureux de souhaiter la bienvenue aux membres du comité. Nous accueillons Mme Stephanie Smith, directrice principale, Conventions fiscales, Division de la législation de l’impôt de la Direction de la politique de l’impôt, M. Trevor McGowan, directeur général, Division de la législation de l’impôt de la Direction de la politique de l’impôt, qui représentent tous deux le ministère des Finances Canada. Nous accueillons également Mme Alexandra MacLean, directrice générale, Direction du secteur international des grandes entreprises de la Direction générale du secteur international, des grandes entreprises et des enquêtes de l’Agence du revenu du Canada.
Sans plus attendre, je vais demander aux sénateurs de se présenter.
[Français]
Le sénateur Dawson : Dennis Dawson, du Québec.
La sénatrice Saint-Germain : Raymonde Saint-Germain, du Québec.
[Traduction]
La sénatrice Bovey : Patricia Bovey, Manitoba.
La sénatrice Coyle : Mary Coyle, Nouvelle-Écosse.
Le sénateur Ngo : Thanh Hai Ngo, Ontario.
Le sénateur Boehm : Peter Boehm, Ontario.
Le sénateur Greene : Stephen Greene, Nouvelle-Écosse.
[Français]
Le vice-président : Je rappelle aux sénateurs et aux témoins que leurs remarques et leurs questions doivent être précises et concises afin de nous permettre de couvrir le plus de sujets possible pendant le temps qui nous est imparti. Je vous rappelle également qu’un vote est prévu à la Chambre du Sénat à 17 h 30; par conséquent, nous allons suspendre la séance du comité pour aller voter. Le Sénat s’ajournera après le vote. Je demande aux sénateurs de revenir rapidement dans la salle de comité, afin que nous puissions poursuivre notre étude avec un deuxième groupe de témoins.
[Traduction]
Je voudrais remercier les témoins d’être venus aujourd’hui. Nous avons hâte d’entendre vos exposés.
Monsieur McGowan, vous avez la parole.
Trevor McGowan, directeur général, Division de la législation de l’impôt, Direction de la politique de l’impôt, ministère des Finances Canada : Nous sommes heureux d’avoir l’occasion de parler du projet de loi C-82, Loi mettant en œuvre une convention multilatérale pour la mise en œuvre de mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices.
Cette convention est généralement appelée « instrument multilatéral », ou IM. Les dispositions de fond de l’instrument multilatéral sont fondées sur les résultats du projet pour combattre l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices de l’OCDE et du G20, ou projet BEPS, et du rapport final sur la mesure 6 du BEPS, visant à empêcher l’octroi des avantages prévus des conventions fiscales lorsque les circonstances sont inappropriées, et le rapport final sur la mesure 14 du BEPS, visant à accroître l’efficacité des mécanismes de règlement des différends.
Le projet pour combattre l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices de l’OCDE et du G20 a été lancé en 2013, dans le but d’élaborer une approche coordonnée pour répondre aux préoccupations liées à l’érosion de la base d’imposition et au transfert des bénéfices. Actuellement, outre les pays de l’OCDE et du G20, plus de 120 États participent à ce projet; ils forment ce qu’on appelle le cadre inclusif du projet BEPS.
Le projet BEPS est un terme utilisé pour décrire les stratégies de planification fiscale abusives, mais néanmoins légales, qui exploitent les lacunes et les inadéquations des règles fiscales en vue de transférer des revenus de façon artificielle vers des pays où les taux d’imposition sont faibles ou nuls. Face à de telles stratégies, il faut une réponse internationale coordonnée. L’instrument multilatéral est un élément important de cette réponse internationale coordonnée.
Plus de 100 États ont participé aux négociations qui ont mené à l’adoption de l’instrument multilatéral et, jusqu’ici, 88 États sont signataires. Les documents écrits mentionnent 87 États, mais un autre vient de signer.
Le projet de loi C-82 ferait en sorte que l’instrument multilatéral entre en vigueur au Canada, et permettrait au Canada de rapidement modifier l’application de nombreuses conventions fiscales bilatérales afin d’y inclure les contre-mesures du BEPS sans avoir à engager des négociations bilatérales distinctes.
L’instrument multilatéral est un grand pas en avant dans le renforcement de l’intégrité et de l’équité de la fiscalité internationale. Plus précisément, l’instrument multilatéral permettrait au Canada de s’attaquer au problème de l’utilisation abusive des conventions, conformément aux normes minimales établies par le projet BEPS de l’OCDE et du G20. Il suppose l’adoption d’un nouveau préambule pour les conventions, indiquant que l’objectif d’une convention fiscale n’est pas de créer des possibilités d’évitement fiscal. Il suppose également l’adoption d’un critère des objets principaux, qui est une règle importante anti-abus pour faire face à l’utilisation abusive des conventions.
De plus, l’instrument multilatéral permettrait au Canada d’intégrer dans ses conventions fiscales des dispositions relatives au règlement des litiges fiscaux, conformément aux normes minimales, et d’adopter un processus d’arbitrage obligatoire et contraignant avec nombre de ses partenaires clés des conventions.
L’arbitrage obligatoire contraignant est un mécanisme qui oblige les parties à une convention fiscale à soumettre des affaires non résolues à une commission d’arbitrage, qui est un décideur indépendant et impartial. La décision prise par la commission d’arbitrage est contraignante pour les parties et règle l’affaire.
Cela conclut ma déclaration préliminaire. Mes collègues et moi serons heureux de répondre à toutes les questions que les membres du comité pourraient avoir.
Le vice-président : Madame MacLean, avez-vous des commentaires à faire?
Alexandra MacLean, directrice générale, Direction du secteur international et des grandes entreprises, Direction générale du secteur international, des grandes entreprises et des enquêtes, Agence du revenu du Canada : Pas vraiment. Je me présente de nouveau, je suis directrice générale de la Direction du secteur international et des grandes entreprises, responsables des audits du secteur international des grandes entreprises, à l’ARC.
Je suis ici pour répondre aux questions que vous pourriez avoir sur les aspects de l’administration fiscale liés à l’instrument multilatéral. Merci.
[Français]
La sénatrice Saint-Germain : Merci de votre brève présentation. Je vais écouter les instructions du vice-président, et ma question sera courte. C’est seulement une question de précision, parce que j’ai lu le projet de loi et que je souscris à ses objectifs et à la plupart des articles.
Ma question porte sur la partie II, soit les dispositifs hybrides. Le paragraphe 5 de l’article 3 est lié au paragraphe 1 de l’article 3, qui a trait au revenu d’un résident d’une juridiction contractante, mais uniquement dans la mesure où ce revenu est traité, aux fins de l’imposition par cette juridiction contractante, comme le revenu d’un résident de ladite juridiction contractante. Au paragraphe 5 de l’article 3, donc, on dit qu’une partie peut se réserver certains droits qui me semblent être des droits cumulatifs, et les exclusions vont jusqu’à l’alinéa g). Il y a sept formes d’exclusions. Pouvez-vous me rappeler l’objectif de ces exclusions? Leur portée me semble très large. Donc, par rapport à d’autres conventions similaires, pouvez-vous m’indiquer si ces exclusions sont très souvent utilisées et si elles s’appliquent à plusieurs entités, notamment à des entités canadiennes? Je parle donc de la partie II, au paragraphe 1 de l’article 3, en faisant un lien avec le paragraphe 5 de l’article 3, qui dit ce qui suit : « Une Partie peut se réserver le droit [...] ». Il y a une liste de sept exclusions.
[Traduction]
Stephanie Smith, directrice principale, Conventions fiscales, Division de la législation de l’impôt, Direction de la politique de l’impôt, ministère des Finances Canada : Merci de poser la question. Si j’ai bien compris, la question porte sur l’article 3, entités transparentes.
La sénatrice Saint-Germain : Oui, l’article 3.
Mme Smith : Bien des réserves ont été exprimées au sujet de cet article.
La sénatrice Saint-Germain : Oui, il y en a sept.
Mme Smith : D’abord, j’aimerais préciser qu’à l’heure actuelle le Canada n’a pas l’intention d’adopter cet article.
Le Canada a exprimé des réserves sur cet article. Cela a été rendu public au moment du dépôt du projet de loi C-82, au printemps ou au début de l’été dernier. Ces réserves indiquaient quels articles le Canada avait l’intention de retenir. C’est un article que nous n’avons pas l’intention de retenir pour le moment.
Le fonctionnement des conventions multilatérales permet au Canada d’adopter cette disposition à une date ultérieure. Dans la mesure où il y avait une correspondance avec un autre partenaire, il serait inclus dans nos conventions fiscales, compte tenu des réserves qui pourraient être faites par d’autres parties. Généralement, ces réserves limitent la portée de la disposition ou limitent la disposition dans son ensemble.
Il y a un article sur les dispositifs hybrides, dans la convention fiscale Canada-États-Unis. Cette disposition a été précisément adaptée à notre situation bilatérale avec les États-Unis. Selon nous, il s’agit de la juridiction dans laquelle nous trouvons le plus d’entités transparentes. Jusqu’ici, c’est une disposition qui pourrait être négociée de manière bilatérale, ou plus ciblée, afin de mieux prévoir les entités particulières de chaque juridiction qu’une convention multilatérale pourrait donner.
La sénatrice Saint-Germain : Merci de cette précision.
Le sénateur Boehm : Merci d’être venu, monsieur McGowan. Vous êtes l’un de nos visiteurs les plus assidus; c’est bon de vous revoir.
J’aimerais mettre l’accent sur la règle du critère des objets principaux. Je sais que les avis diffèrent dans le milieu juridique du moins, quant à son ambiguïté. Le Canada adopte-t-il la règle du critère des objets principaux pour l’utilisation abusive des conventions comme mesure provisoire? Pour quelle raison n’adoptons-nous pas immédiatement la limitation pour régler le problème de l’utilisation abusive des conventions?
J’aimerais approfondir un peu la question.
Mme Smith : Oui, le Canada a proposé d’adopter la règle du critère des objets principaux. L’article portant sur la règle du critère des objets principaux est l’une des dispositions obligatoires de la convention. En ce qui concerne les dispositions obligatoires, il faut effectivement faire un choix entre la règle du critère des objets principaux ou une réserve disant : « Je préférerais négocier bilatéralement une règle détaillée de limitation des avantages. »
Pourquoi le Canada a-t-il choisi la règle du critère des objets principaux? Il y a deux ou trois raisons. Premièrement, nous croyons que c’est une bonne règle qui sera efficace pour combattre l’utilisation abusive de nos conventions fiscales. C’est une règle semblable à la disposition générale anti-évitement, qui figure déjà dans la Loi de l’impôt sur le revenu, et donc l’application rassure énormément les contribuables canadiens. C’est une règle subjective, car elle concerne le critère des objets principaux.
La deuxième raison pour laquelle nous adoptons la règle du critère des objets principaux, plutôt que de demander immédiatement la négociation bilatérale de dispositions détaillées de limitation des avantages, c’est que, en signant la convention, la seule chose que l’on pourrait obtenir aujourd’hui ou dans un avenir proche, c’est la règle du critère des objets principaux.
La raison principale pour laquelle cette convention multilatérale existe, c’est pour éviter la nécessité de négocier de manière bilatérale notre réseau de 93 conventions fiscales, qui seront bientôt 94. Il nous a fallu attendre très longtemps; nous avons donc décidé d’adopter la règle du critère des objets principaux. Elle a été adoptée par chacun des autres signataires de la convention, c’est-à-dire, depuis hier après-midi, par 88 autres signataires.
Une déclaration devait être faite au moment de la ratification, comme lors de la signature. C’est précisé dans la convention, et il est indiqué que le Canada adopte, lorsque c’est approprié, le critère des objets principaux, à titre provisoire, sous réserve de la négociation d’une règle détaillée de limitation des avantages.
Peut-être que les gens ont attaché plus d’importance au terme « provisoire » que ce que les rédacteurs de la convention ne l’auraient souhaité. Nous nous attendons à voir, du moins à moyen terme, la règle du critère des objets principaux dans notre convention avec la possibilité de négocier une règle détaillée de la limitation des avantages, quand nous avons un partenaire intéressé de l’autre côté.
Le sénateur Boehm : Cela s’appliquerait-il si nous renégocions des accords déjà existants?
Mme Smith : Si nous renégocions des accords existants en nous basant sur l’engagement que le Canada a pris, nous chercherions à nous assurer qu’il y ait une règle anti-abus dans les conventions. Nous discuterions avec l’autre partie pour savoir s’il est plus approprié d’adopter une règle du critère des objets principaux ou une règle détaillée de limitation des avantages, dans une situation bilatérale.
La sénatrice Coyle : Merci d’être venue. Je suis curieuse. Nous savons qu’il y a actuellement 88 signataires de la convention. J’aimerais en savoir davantage sur les pays qui pourraient être considérés comme des paradis fiscaux.
Parmi ces 88 pays, y en a-t-il qui pourraient entrer dans la catégorie des paradis fiscaux? Je poserai ensuite une autre question.
Mme Smith : J’ai toujours détesté mettre un pays sur la liste des paradis fiscaux, pour la simple raison qu’il n’existe aucune définition précise de ce qu’est un paradis fiscal.
Le vice-président : Les îles Caïmans figurent-elles sur cette liste?
Mme Smith : Les Bahamas et les îles Caïmans n’ont pas signé cet accord. De façon générale, c’est parce qu’ils n’ont pas de convention sur la double imposition. Il ne serait pas pertinent qu’ils le signent. Le Luxembourg et la Barbade sont deux pays signataires. Beaucoup de gens penseraient que ces deux pays sont de véritables paradis fiscaux, mais ils n’ont tout simplement pas de convention de double imposition.
Cette convention vise à contrer l’utilisation abusive d’une convention de double imposition. Il n’y a aucune répercussion quand il n’y a pas de convention de double imposition.
La sénatrice Coyle : Je pense qu’il est important de diffuser cette information.
J’ai une autre question à propos d’un sujet abordé à l’étape de la deuxième lecture au Sénat. Peut-être que la question s’adresse à la représentante de l’ARC, mais je ne suis pas sûre. Une question a été posée au sujet du mécanisme actuel de mise en œuvre et d’exécution.
Nous adoptons une autre loi. Nous tentons de boucher d’autres trous. L’idée est de saisir toutes les recettes fiscales qu’on doit au Canada. Pourriez-vous nous parler de l’aspect de la mise en œuvre?
Mme MacLean : L’Agence du revenu du Canada dispose d’un certain nombre d’outils pour détecter l’évitement fiscal abusif et l’évasion fiscale. Nous exigeons en particulier des rapports assez détaillés sur les transactions transfrontalières. Nous utilisons un certain nombre de formulaires qui nous permettent d’examiner ces transactions et de poser plus de questions concernant leur nature. J’en ai apporté quelques-uns.
Nous pensons que nos outils actuels seront utiles. Tout récemment, le Canada a mis en œuvre des déclarations pays par pays pour les entités multinationales qui ont des revenus de plus de 750 millions d’euros. Grâce à cet instrument, qui est mis en œuvre au Canada et dans de nombreux autres pays du cadre inclusif, nous recevons des informations de haut niveau sur toutes les juridictions dans lesquelles une multinationale exerce des activités, ainsi que sur toutes les entités juridiques faisant partie du groupe d’entreprises.
En associant cela avec nos outils de rapport, nous verrons mieux les transactions qui se font entre tel et tel pays.
Le vice-président : J’aimerais vous donner un aperçu général. Pendant des années, nous avons parlé du fait que nous n’arrivons pas vraiment au Canada à gérer le fardeau administratif exagéré des déclarations de revenus. Nous avons souvent dit que nous n’avions pas su appliquer les définitions internationales aux personnes ayant une double résidence.
Nous nous sommes fiés à l’OCDE. Nous discutons avec l’OCDE depuis cinq à sept ans. En tant que pays, nous devons établir les règles de base pour pouvoir déterminer qui sont les personnes qui ont une résidence principale, et ainsi de suite.
Nous avons de grandes attentes concernant les discussions que nous avons avec l’OCDE, et nous avons enfin un format normalisé qui, nous l’espérons, s’appliquera à de nombreux pays. Il nous semble que nous faisons des progrès sur ce que beaucoup considèrent comme une piètre performance en ce qui concerne la perception de ces fonds.
Néanmoins, quand l’occasion se présente, que fait le Canada? Il applique les exigences minimales. De toutes les options que nous avons en vertu de cette convention, nous faisons le minimum. Nous faisons très peu, et nous n’adoptons même pas beaucoup de mesures. Si nous les adoptons, nous ne pourrons pas faire marche arrière; nous disons alors : « Attendons un peu. »
Vu sous cet angle, je suis au regret de dire que ce n’est pas très enthousiasmant. Nous n’utilisons pas tous les outils dont nous disposons pour régler ce problème majeur dans notre pays.
Pourriez-vous faire un commentaire à ce sujet? Pourquoi ai-je tort?
Mme Smith : Je vais commencer par parler des dispositions que le Canada a adoptées ou qu’il propose d’adopter maintenant. L’intention initiale, au moment de la signature, était d’adopter les dispositions minimales et celle de l’arbitrage obligatoire et contraignant tout en sachant qu’il faudrait mener une étude plus approfondie pour déterminer si l’instrument multilatéral est l’instrument approprié pour mettre à jour nos conventions bilatérales au regard de ces dispositions particulières ou s’il y avait des problèmes qu’une telle disposition conventionnelle réglerait.
Au moment où le projet de loi a été déposé au Parlement, le gouvernement a publié un communiqué indiquant que quatre autres dispositions seraient adoptées. Nous avons adopté plus que le minimum. Nous avons adopté le minimum, plus cinq dispositions supplémentaires. Nous sommes très proches de ce que la majorité des pays du G20 et d’autres grands pays ont adopté. Nous respectons vraiment la norme à cet égard.
Nous continuerons également d'assurer une surveillance prospective. Si de nouveaux problèmes ou de nouvelles questions surviennent, nous avons la possibilité d’adopter des dispositions à une date ultérieure. Certaines des dispositions peuvent être incluses et envisagées de façon bilatérale avec nos partenaires de convention.
Le vice-président : Quelles sont les dispositions que nous n’avons pas adoptées, et pourquoi ne l’avons-nous pas fait?
Mme Smith : Nous n’avons pas adopté la règle sur les entités transparentes dont nous avons parlé plus tôt. Cette disposition préoccupait le Canada. Le Canada a exprimé une réserve concernant le Modèle de Convention fiscale de l’OCDE.
On craint que l’application de cette règle s’étende aux entités transparentes en matière de fiscalité jusque dans des tiers pays. Nous craignions qu’il y ait certains abus si nous tenons compte des entités dans des tiers pays, non pas seulement dans les deux États contractants.
Il y a également le risque lié aux entités hybrides. Le plus grand risque concerne les États-Unis. Nous avons déjà avec les États-Unis une disposition qui est très adaptée et qui fonctionne assez bien. L’idée était que cette disposition serait mieux adaptée pour les deux pays. Cette disposition n’a pas été adoptée pour le moment.
Nous n’avons pas proposé l’adoption de la règle visant les établissements stables situés dans des juridictions tierces.
Le vice-président : Qu’est-ce que cela signifie? Quelle est la situation?
Mme Smith : Dans certains cas, il pourrait y avoir des entreprises qui sont installées au Canada et qui exercent leurs activités dans un autre pays. Ensuite, cet établissement stable fait un paiement à un autre tiers pays avec lequel le Canada a conclu une convention fiscale.
Certains pays, en vertu de leurs lois, ne reconnaissent pas les établissements stables et ne tiennent pas compte des paiements qui proviennent de ces établissements stables. Ce n’est pas le cas en droit canadien. De manière générale, nous n’avons pas de problème avec les établissements stables de ces tiers États. Selon nous, il était préférable de régler ce problème de manière bilatérale. Nous avions un partenaire de convention qui, en raison de son droit interne, était confronté à un problème avec ces entités des tiers pays.
Nous n’avons pas adopté la clause de dérogation qui nous donnerait le droit de prélever des impôts auprès de nos propres résidents. De manière générale, il s’agit d’intégrer une chose qui est généralement comprise de toute manière. La grande majorité des conventions auxquelles le Canada est partie comprennent déjà un type de clause de dérogation. Cela ne nous a jamais posé de problème, étant donné qu’il n’y a eu aucune restriction de notre capacité à exiger des impôts de nos résidents, malgré que nous ayons une convention fiscale en place.
Nous n’avons pas retenu les dispositions concernant les établissements stables, car ce ne sont pas tous les pays qui les ont adoptées, et nous n’aurions pas su assurer l’uniformité. Nous ne les aurions pas retenues pour toutes nos conventions, en raison des choix des partenaires de convention.
Il est difficile d’intégrer les dispositions relatives aux établissements stables au moyen d’un instrument multilatéral, en raison de la grande diversité des articles et des dispositions touchant les établissements stables figurant dans les conventions fiscales en vigueur.
Cela a mené à une certaine incertitude quant à la façon dont notre convention serait mise à jour. On ne savait pas si les pays qui ont choisi d’appliquer les dispositions liées aux établissements stables seraient les pays les plus avantageux pour le Canada. La décision qui a été prise à l’époque voulait qu’il serait plus utile de les négocier de manière bilatérale, au cas par cas.
En ce qui concerne les autres dispositions, elles ont été adoptées.
Le sénateur Ngo : J’ai la liste sous les yeux, mais je ne vois pas les États-Unis. Pourriez-vous nous dire pourquoi les États-Unis ne sont pas partie à l’accord?
Étant donné que le Mexique figure sur la liste des pays, et dans le contexte de l’AEUMC, quels types de répercussions pourrait-il y avoir sur le nouvel ALENA?
Mme Smith : Dans l’ensemble, je ne pense pas que le nouvel ALENA, à savoir l’Accord Canada — tats-Unis — Mexique, aura une quelconque répercussion sur nos conventions fiscales ou sur les instruments multilatéraux. De manière générale, tous nos accords commerciaux sont assujettis aux conventions fiscales pour les questions visées par ces conventions fiscales; il n’y a donc habituellement aucune interaction entre les deux accords.
Il est exact de dire que les États-Unis n’ont pas signé cet accord alors que le Mexique l’a fait. Par conséquent, l’application de la convention entre le Canada et les États-Unis ne sera pas modifiée par l’instrument multilatéral. Toutefois, si les États-Unis n’ont pas signé cet accord, c’est en grande partie parce que le principal avantage de cette convention est d’intégrer une règle anti-abus dans les conventions fiscales bilatérales. Pendant un certain temps, les États-Unis ont eu une politique qui comprenait une règle anti-abus bilatérale dans leurs conventions fiscales.
Ils ont adopté la règle détaillée de limitation des avantages, qui je crois, figure dans toutes leurs conventions fiscales négociées, sauf deux. Ils sont en train de les mettre à jour. Par conséquent, la plupart de leurs conventions comprennent déjà beaucoup de ces articles et dispositions relatives aux normes minimales, y compris la Convention fiscale Canada-États-Unis.
Je ne pense pas que le fait que les États-Unis n’aient pas signé cet accord constitue une occasion ou un risque pour le Canada, étant donné l’état de notre convention et de celui des conventions des États-Unis, qui comportent déjà ces dispositions anti-abus.
La sénatrice Bovey : Je vous remercie d’avoir précisé les dispositions que le Canada n’a pas accepté d’adopter.
Y a-t-il des pays qui ont accepté toutes les dispositions? Si oui, lesquels?
Mme Smith : Oui, quelques pays ont accepté toutes les dispositions. Je n’ai pas cette information avec moi aujourd’hui, mais je pourrais vous la communiquer.
La sénatrice Bovey : Monsieur le président, je leur serais reconnaissante de nous faire un suivi sur cette question.
Avez-vous connaissance d’autres pays qui envisagent d’adhérer à la convention?
Mme Smith : Oui. Le site web de l’OCDE indique que six pays ont exprimé leur intention de signer la convention. Il y a l’Algérie, l’Eswatini, le Kenya, le Liban, Oman et la Thaïlande.
La sénatrice Coyle : Permettez-moi de clarifier le point du sénateur Ngo. J’aimerais m’assurer que j’ai bien compris votre réponse concernant les États-Unis. Je poserai ensuite une autre question.
D’après ce que j’ai compris, les États-Unis n’ont pas signé l’accord sur l’instrument multilatéral et n’ont aucune intention de le faire, car ils ont déjà intégré la plupart des dispositions majeures de l’instrument multilatéral dans leurs conventions fiscales bilatérales en vigueur. Par conséquent, ce serait un exercice redondant pour eux. C’est exact?
Mme Smith : Oui, c’est exact.
La sénatrice Coyle : N’oubliez pas que je ne suis pas fiscaliste, mais j’ai besoin de comprendre.
Pour faire suite à la question posée par la sénatrice Bovey, vous avez mentionné que la plupart des partenaires du G20, qui ont signé la convention, ont accepté environ le même nombre d’articles que nous. S’agit-il des mêmes articles ou du même nombre d’articles? Avons-nous cette information? Y a-t-il des écarts à ce chapitre?
Mme Smith : Ce serait généraliser que de dire qu’il s’agit du même nombre d’articles. Les pays du G20 n’ont pas exactement tous retenu les mêmes articles.
La sénatrice Coyle : Y a-t-il autre chose que nous devrions savoir à ce sujet? Pourquoi certains pays du G20 ont-ils signé certains articles et pas les autres, alors que nous en avons choisi d’autres?
Mme Smith : Je ne sais pas s’il n’y a qu’une seule raison pour laquelle les pays choisissent certaines dispositions et pas les autres.
Pour certains, c’était pour une raison stratégique; d’autres, pensaient que les négociations bilatérales seraient la meilleure manière de mettre à jour la convention fiscale. Certains autres pays du G20, ne voulaient pas de l’arbitrage obligatoire et contraignant.
Ces pays n’auraient pas adopté l’arbitrage obligatoire et contraignant. C’est l’une des principales différences, mais il y a également d’autres différences au sein des pays du G20.
Parmi les pays du G20, les États-Unis sont également un grand pays qui n’a pas signé. Le Brésil est un autre pays du G20 et un partenaire important qui n’a pas signé. Toutefois, comme il a été annoncé l’automne dernier, le ministère des Finances a entamé des négociations bilatérales avec le Brésil, en novembre. L’intention était que la mise à jour de la convention fiscale comprendrait des mesures et, au moins, les normes minimales qui figurent dans le projet BEPS.
Le vice-président : Simplement pour revenir sur l’OCDE, nous en avons attendu beaucoup, pendant de nombreuses années. Nous pensions que ce serait un élément clé pour ce qui est de resserrer les définitions et être certains qu’il n’y ait pas de double imposition et d’évitement fiscal en même temps.
À quoi nous attendons-nous aujourd’hui puisque de nombreux pays comme les États-Unis n’ont pas signé et que des pays comme le Canada n’ont pas retenu toutes les options? Espérons-nous que cela augmentera considérablement nos chances de percevoir les impôts des personnes qui dérogent à leurs responsabilités fiscales?
Mme Smith : Mme MacLean voudra peut-être faire un commentaire après moi.
Les États-Unis et le Brésil n’ont pas signé cet accord. Rien n’indique qu’ils n’appuient pas entièrement le travail du groupe BEPS ou qu’ils n’ont pas l’intention d’au moins mettre en œuvre les normes minimales. Le Canada n’a pas immédiatement adopté toutes les dispositions. Ce n’est pas parce qu’il n’a pas fermement cru au projet ou à son résultat.
L’intégration du critère des objets principaux dans toutes nos conventions fiscales, en plus du préambule explicite qui sera maintenant inclus dans toutes nos conventions, par l’instrument multilatéral, signifie explicitement que, même si les conventions fiscales visent à éviter la double imposition, elles ne visent pas à créer des possibilités de non-imposition. Les parties n’ont pas l’intention que la convention soit utilisée de manière abusive.
Ces déclarations importantes aideront nos tribunaux à interpréter les règles au moment d’examiner les affaires qui leur sont soumises. Je suis optimiste et je crois que c’est la bonne direction.
Le vice-président : Madame MacLean, êtes-vous d’accord avec cela?
Mme MacLean : Je suis assez d’accord. Moi aussi, je suis optimiste. Il n’y a pas de solutions miracles au problème de la planification fiscale abusive. Pour les gouvernements et les entreprises multinationales en particulier, il y a énormément d’argent en jeu. Nous pouvons nous attendre à des tentatives pour contourner presque n’importe quel nouvel outil ou instrument de politique législative.
Nous pouvons tirer des leçons de l’expérience du gouvernement à l’égard de la disposition générale anti-évitement, étant donné que l’approche du critère des objets principaux est très similaire. Il y avait énormément d’incertitudes — ou du moins, un grand sentiment d’incertitude — à l’époque où la disposition générale anti-évitement a été adoptée, il y a 30 ans. Le gouvernement a très bien réussi à appliquer cette disposition, et cela a véritablement fait changer les choses. Il est plus difficile aujourd’hui de faire de la planification fiscale abusive, au Canada, que dans les années 1980.
Puisque le critère des objets principaux fera inévitablement l’objet de contestations devant les tribunaux, tout dépendra en grande partie de leur interprétation de ce critère.
Le vice-président : Selon vous, les efforts de l’OCDE seront-ils suffisants, ou allons-nous devoir attendre une autre dizaine d’années avant que les pays puissent conclure une convention fonctionnelle en matière d’imposition?
Mme MacLean : Pour l’instant, nous avons un outil très efficace qui représente un très bon point de départ. Je vais laisser mes collègues en dire plus long sur l’aspect stratégique.
M. McGowan : Comme cela a déjà été dit, il s’agit d’un pas important dans la bonne direction en ce qui concerne la coopération fiscale internationale et l’actualisation de nos règles fiscales internationales. Comme Mme Smith l’a dit, la règle du critère des objets principaux et l’énonciation explicite de la politique, dans le préambule de nos conventions fiscales couvertes, n’ont rien d’anodin. On s’attend à ce qu’elles aident à prévenir l’évitement fiscal international abusif.
Dans ma déclaration préliminaire, j’ai mentionné que cela s’inscrivait dans le projet de l’OCDE et du G20 sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices, le projet BEPS. D’autres mesures sont également prévues au-delà de ce projet. Comme Mme MacLean l’a dit, nous avons mis en œuvre deux mesures résultant du projet BEPS, soit la déclaration pays par pays et la norme commune de déclaration. Nous avons aussi déployé énormément d’efforts en ce qui concerne le prix de transfert.
Même si les dispositions du projet BEPS de l’OCDE ne peuvent pas viser chacun des aspects de la planification fiscale internationale abusive, de l’érosion de la base d’imposition et du transfert de bénéfices, nous croyons toujours, comme au début, qu’il s’agit d’un énorme pas vers l’avant. C’est un élément important.
Nous avons cerné certaines des limites plus tôt en répondant aux questions sur la planification aux îles Caïmans ou dans d’autres pays qui n’ont pas conclu de convention fiscale avec le Canada. Pour être honnête, un instrument qui modifie l’application des conventions fiscales n’aura pas véritablement d’incidence dans les pays qui n’ont pas conclu de conventions fiscales.
Le gouvernement actuel ainsi que les gouvernements précédents ont toujours essayé d’améliorer les règles de la Loi de l’impôt sur le revenu afin de combattre les opérations d’évitement fiscal abusives dès qu’elles surviennent. Il y en a eu un certain nombre au cours des dernières années. Je ne veux pas trop m’attarder là-dessus; disons seulement que nous déployons des efforts — un important pas dans la bonne direction — pour les combattre.
Le vice-président : Merci à vous trois d’être venus témoigner cet après-midi et de nous aider. Pour nous, ce sujet est très complexe, mais vous nous avez permis de comprendre assez bien ce qui se passe.
Pour la deuxième partie de la séance, nous accueillons M. Arthur Cockfield, professeur à la faculté de droit de l’Université Queen’s. Il y aura un vote dans 20 minutes. Nous reprendrons ensuite.
Merci beaucoup d’être parmi nous, monsieur Cockfield. Vous avez la parole.
Arthur Cockfield, professeur, faculté de droit, Université Queen’s, à titre personnel : C’est un honneur et un privilège d’être ici aujourd’hui. Quand j’ai préparé pour vous mon document d’information, je ne savais pas que des représentants de l’Agence du revenu du Canada et du ministère des Finances allaient témoigner avant moi. Il y a dans le document certains renseignements que vous venez tout juste d’entendre. Je vais donc sauter ces parties.
Depuis la crise financière mondiale de 2008, de nombreux gouvernements se préoccupent des diverses pertes de revenus et pertes financières entraînées par l’évitement fiscal international abusif.
Comme vous vous en rappellerez sûrement, la crise, le ralentissement économique et les pertes de revenus ultérieures ont conduit le Portugal, l’Italie, l’Islande, la Grèce et l’Espagne au bord de la faillite. Les gouvernements ont donc décidé de coopérer afin d’élaborer des outils plus efficaces pour protéger leurs revenus. C’est pourquoi l’OCDE et le G20 ont lancé en 2013 un projet sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices, dit projet BEPS.
Même si nous nous intéressons surtout aujourd’hui à l’action 15, à la lumière des témoignages précédents, je crois que certains d’entre vous préféreraient ne pas se limiter à l’instrument multilatéral, terme que j’utilise pour désigner la Convention multilatérale pour la mise en œuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices.
Le Canada a pris la sage décision de participer au projet BEPS. Il a accepté d’appliquer intégralement trois des quatre normes minimales prévues. En ce qui concerne l’action 5, la lutte contre les pratiques fiscales dommageables, le Canada a seulement accepté d’échanger des renseignements concernant les décisions fiscales visant le secteur privé. Nous ne satisfaisons donc pas entièrement à cette norme minimale. Le Canada a cependant accepté de signer la convention multilatérale, d’où notre présence ici aujourd’hui.
Il est intéressant de savoir, si on s’intéresse au droit fiscal international, que le régime fiscal international moderne a vu le jour après la Première Guerre mondiale, surtout grâce aux efforts de la Société des Nations. Je crois que vous le savez déjà, mais la mondialisation a fait qu’il y a maintenant plus de 4 000 conventions fiscales bilatérales dans le monde. Habituellement, dans le domaine du commerce international, les pays ne concluent pas de conventions multilatérales, comme les conventions de l’Organisation mondiale du commerce; ils préfèrent, pour préserver leur souveraineté fiscale, conclure une multitude de conventions bilatérales. Le Canada a conclu plus de conventions que pratiquement n’importe quel autre pays au monde. Nous avons plus de 70 conventions bilatérales.
Le remplacement d’innombrables conventions bilatérales — un accord Canada-États-Unis, un accord Canada-Mexique, et cetera — par une convention multilatérale représente un pas de géant vers l’avant. C’est aussi une initiative intéressante du point de vue théorique.
Je suis prêt à répondre à toutes vos questions.
Le vice-président : Nous discutons des objectifs de cette convention avec l’OCDE depuis de nombreuses années. Tout le monde était d’avis que nous devions établir une définition commune des régions et de la rentabilité.
Quelle est la définition d’« érosion », et comment pouvons-nous l’éviter? Nous avons laissé les entreprises multinationales appliquer les règles du jeu à leur avantage. Nous étions tous d’accord : nous avions besoin d’une convention mondiale s’appuyant sur des bases communes.
Voilà où nous en sommes. Est-ce vraiment une réalisation importante? Est-ce que cela va mettre fin aux différends et aux débats sur les définitions qui durent depuis des années maintenant? Va-t-on enfin pouvoir commencer à lutter contre l’érosion, la double imposition et l’évitement fiscal?
M. Cockfield : Je doute que tout soit terminé. Quand le processus de réforme a été entamé en 2013, l’OCDE avait déclaré, entre autres choses, dans certains documents d’information qu’elle avait produits, que c’était la refonte la plus importante du régime fiscal international depuis les 100 dernières années, depuis les efforts de la Société des Nations dans les années 1920.
À mon humble avis, il s’agit davantage d’une modification apportée progressivement au régime. Il y a effectivement des mesures qui contribueront à réduire la planification fiscale internationale abusive, mais dans une grande mesure, nous avons encore du pain sur la planche.
Le vice-président : Il n’y a pas de véritable changement.
M. Cockfield : Non, effectivement. C’est en partie attribuable au fait que le Canada est un pays démocratique et que la Loi de l’impôt sur le revenu comprend un certain nombre de dispositions qui encouragent les entreprises multinationales canadiennes à faire de la planification fiscale abusive. À moins de modifier les lois canadiennes, je doute que la situation pourra réellement s’améliorer.
Le vice-président : Voilà qui est décevant. Donc, la solution serait de modifier la Loi de l’impôt sur le revenu. De quelle façon?
M. Cockfield : Je vais vous donner un exemple : les entreprises multinationales canadiennes mettent sur pied des structures transfrontalières communes. Ce sont des structures de financement qui favorisent le cumul des déductions. Je ne vais pas entrer dans le détail, parce que c’est une horreur sur le plan technique.
Essentiellement, cela veut dire que vous créez une société dans un paradis fiscal comme les îles Caïmans. Ensuite, vous prêtez de l’argent à cette société, disons 100 millions de dollars. Vous avez alors droit à une double déduction d’intérêt : la première, au Canada, entraîne l’érosion de la base fiscale, et la deuxième, dans un pays comme les États-Unis, entraîne une réduction des bénéfices imposables dans cet autre pays lourdement imposé.
Ce genre de mécanisme est autorisé en vertu de l’article 95 de la Loi de l’impôt sur le revenu depuis les années 1970. Les entreprises multinationales canadiennes adorent cela, parce que c’est un moyen pour elles de réduire l’ensemble de leurs obligations fiscales.
Le vice-président : Et pourquoi autorisons-nous cela? D’après ce que vous dites, cela n’a pas beaucoup de sens.
M. Cockfield : Je dis parfois que notre politique fiscale internationale est schizophrène. D’un côté, nous sommes ici aujourd’hui parce que nous voulons protéger l’assiette d’imposition canadienne. Nous voulons nous assurer que les revenus suffisent à payer les biens et les services que demandent les Canadiens. D’un autre côté, nous sommes en faveur du projet BEPS, de l’instrument multilatéral et du reste.
De l’autre côté de la médaille, nous nous soucions de notre compétitivité fiscale sur la scène mondiale. Nous voulons offrir à nos entreprises un régime fiscal concurrentiel afin qu’elles puissent concurrencer les entreprises étrangères. Les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Espagne et l’Italie — pratiquement tous les pays — offrent des allégements fiscaux à leurs propres multinationales. En théorie, nous acceptons ces règles du jeu afin que nos multinationales puissent prospérer.
En général, les universitaires se méfient de l’argument vantant la compétitivité, puisqu’il ne nous dit pas grand-chose sur les politiques fiscales. On pourrait dire que, essentiellement, le cumul des déductions est l’équivalent d’un impôt négatif. On subventionne les entreprises, mais techniquement, au bout du compte, on réduit le coût du capital. On fait en sorte que cela coûte moins cher aux entreprises de réunir des capitaux d’emprunt et des capitaux propres.
Voilà comment on justifie ce régime. Il y a toujours cette tension : nous voulons que nos entreprises aient accès aux marchés mondiaux, qu’elles prospèrent et qu’elles avantagent les Canadiens, mais nous ne voulons pas non plus qu’elles échappent à l’impôt.
Le vice-président : Comment interprétez-vous la décision du Canada de faire à peine plus que le strict minimum?
M. Cockfield : Je n’ai pas vraiment été surpris. Comme les témoins précédents nous l’ont dit, les États-Unis ont simplement refusé de signer. C’était une option possible.
Incidemment, je siège présentement au Comité consultatif sur l’observation à l’étranger, le CCOE. J’ai été nommé par la ministre du Revenu national afin de travailler sur ces dossiers. L’Agence du revenu du Canada et le ministère des Finances sont habituellement très prudents dans leurs initiatives. Je dirais que c’est la bonne chose à faire, puisque nous ne voulons pas déstabiliser nos entreprises multinationales.
Le risque, si nous adoptons toutes sortes de nouvelles règles, c’est qu’il sera très onéreux pour nos entreprises et pour nos contribuables de s’y conformer. Les entreprises ne pourront pas être aussi compétitives. Elles seront réticentes à vendre des services ou des produits sur Internet dans le monde entier.
La sénatrice Coyle : À ce propos, en ce qui concerne le dernier point du document que vous nous avez envoyé à l’avance, vous dites que l’instrument multilatéral n’aura qu’un effet limité au Canada, en pratique, du moins les premiers temps. Vous dites aussi que l’instrument prendra de l’importance dans la mesure où le Canada décide d’adopter d’autres mesures du projet BEPS, au-delà de l’instrument multilatéral. Je ne suis pas certaine de ce que vous entendez par d’autres mesures du projet BEPS. Pouvez-vous m’éclairer?
Comme vous l’avez dit, le gouvernement a choisi d’adopter une approche prudente, et l’instrument multilatéral nous permettra de prendre des mesures globales progressives en réaction aux problèmes qui nous occupent. Toutefois, est-ce une approche prudente, ou simplement une mauvaise approche?
M. Cockfield : J’ai mené des études sur le sujet, et je suis en faveur des mesures progressives. Je dirais donc que c’est une bonne approche. D’autres chercheurs canadiens, comme Brian Arnold et Richard Bird, qui ont une plus longue carrière que la mienne, disent la même chose depuis longtemps.
Je le redis : si nous allons trop loin, cela va déstabiliser les entreprises et rendre l’environnement moins propice aux investissements à cause des incertitudes. Cela va probablement nuire au Canada. Depuis l’histoire des Panama Papers et d’autres événements récents, je crois que les Canadiens se soucient pour la première fois de leur histoire du régime fiscal international. Nous allons devoir réfléchir longuement et sérieusement aux modifications concrètes que l’on pourrait apporter au régime.
La sénatrice Coyle : Merci.
La sénatrice Bovey : Je suis une novice dans ce domaine.
Comment peut-il y avoir une norme internationale alors que très peu de pays, il me semble, ont accepté toutes les mesures et qu’il n’y a pas d’uniformité dans les mesures que les autres pays ont choisi d’accepter? Comment peut-il y avoir une norme?
M. Cockfield : Comme je le disais, les pays veulent préserver leur souveraineté fiscale. Dans cet aspect du commerce en particulier, le Canada et bon nombre d’autres pays, en particulier les États-Unis au cours des dernières décennies, sont extrêmement réticents à l’idée d’être liés par une convention multilatérale quelconque qui limiterait leurs options en matière de politique fiscale. C’est pourquoi les réponses des divers pays du monde sont si différentes.
Tant que les choses ne changeront pas, sur le plan politique, je doute fortement que des changements importants soient possibles. Je veux présenter les choses d’une autre façon : après la crise financière de 2008, il y a eu une suite de fuites de données sur les paradis fiscaux qui se sont avérés encore plus importants que ce qui a été révélé dans les Panama Papers. Très récemment, il y a eu les Paradise Papers, en 2017, et une fuite de 13 millions d’autres documents. Cela a amené le gouvernement à sortir de son inertie et à prendre des mesures très intéressantes, notamment celle dont il est question aujourd’hui.
Il y a la norme commune de déclaration, qui prévoit que le Canada échange automatiquement avec tous les pays participants des données en lots sur les contribuables. C’est ce qu’on appelle la déclaration pays par pays. Pour la première fois de notre histoire, les grandes entreprises multinationales qui valent plus de 750 millions d’euros devront rendre compte de l’ensemble de leurs bénéfices au Canada. Nous pourrons voir dans quelle mesure leur argent va dans des paradis fiscaux, par exemple.
Étrangement, ce n’est pas nécessairement une transformation profonde. C’est une approche progressive, mais c’est certainement le plus grand pas en avant que j’ai vu de ma carrière. Ces trois mesures, c’est-à-dire l’instrument multilatéral, la norme commune de déclaration et la déclaration pays par pays, sont de nature administrative, ce qui veut dire que les pays n’auront pas à annoncer à leurs citoyens qu’ils viennent de restreindre leur marge de manœuvre en matière de politique fiscale.
Curieusement, il est plutôt simple de conclure ce genre d’ententes. Ce qui est difficile, c’est de s’entendre sur un barème d’imposition commun. Comme nous l’avons vu par le passé, les initiatives proposant des changements majeurs mènent à une levée de boucliers de nos entreprises internationales. Elles font beaucoup de bruit dès qu’elles croient qu’une réforme risque de nuire à leurs intérêts.
La sénatrice Bovey : Pourrais-je poser une question complémentaire? Compte tenu des changements et de la nature administrative de ces trois normes minimales, à quelles répercussions pouvons-nous nous attendre, selon vous?
M. Cockfield : C’est très difficile à dire. Actuellement, à l’échelle mondiale, nous savons que la Barbade, qui a longtemps été notre premier paradis fiscal — même si elle préfère le terme « centre financier international » —, n’attire plus autant les investisseurs. La Barbade est maintenant le deuxième pays de choix pour les investissements directs sortants. Pour la première fois, le Luxembourg s’est classé au premier rang cette année.
C’est un fait intéressant, étant donné que l’Union européenne a inscrit certains pays sur sa liste noire. Je reviens justement d’un congrès co-organisé par l’Université des Indes occidentales, l’Université Queen’s et l’Organisation des États américains, qui s’est tenu à la Barbade. J’ai entendu certains commentaires voulant que l’Union européenne, entre autres, avait sanctionné seulement 17 pays qui, par un curieux hasard, se sont avérés être des pays des Caraïbes à revenu faible ou intermédiaire dirigés par des Noirs.
Pour plusieurs d’entre nous, le régime fiscal international est assimilable à une lutte de pouvoir. En surface, on dirait que l’Union européenne et d’autres entités ont décidé de réagir. Cependant, dans les faits, ce qu’elles font, c’est qu’elles enfoncent — d’une manière sans contredit injuste — les pays concurrents dans une région qui attire bon nombre de nos concitoyens.
De plus en plus de fonds sont envoyés vers des paradis fiscaux européens comme le Luxembourg, qui a d’ailleurs été au cœur du scandale LuxLeaks, en 2013. C’est un peu ironique : il y a six ans seulement, on parlait de ce pays dans les journaux à cause d’une des plus grandes fuites de données sur les paradis fiscaux. Essentiellement, personne n’affirmait que le Luxembourg faisait quoi que ce soit d’illégal. Le pays avait adopté un régime fiscal pour les entreprises privées, et les contribuables en tiraient parti.
Cela n’a rien d’illégal, même si c’est plutôt douteux. Maintenant, grâce aux mesures prises par l’Union européenne, le Luxembourg est plus riche que jamais. C’est le genre de choses qui amènent une personne à voir d’un œil cynique les initiatives lancées au fil du temps.
Le vice-président : Il vous reste une minute.
Le sénateur Boehm : Je reviens à un commentaire que le président a fait plus tôt. Dans mon ancienne vie, j’ai participé à des négociations à propos des communiqués du G8 et du G7 pour M. Harper, puis pour M. Trudeau. Nous avons discuté en long et en large d’évasion fiscale, d’évitement fiscal, de l’érosion de la base d’imposition et du transfert de bénéfices. Beaucoup des discussions se sont poursuivies dans le cadre du G20, avec des allers-retours, mais c’est le G7 qui, semble-t-il, a instauré cette tendance à la transformation prudente et progressive. Je crois que c’est ce que vous avez dit.
Existe-t-il un catalyseur qui nous permettrait d’aller plus loin? Je pense aux pays qui ont des régimes similaires, comme les pays du G7. Faudra-t-il une autre crise de la dette souveraine, comme en 2008 et 2009 avec la faillite de Lehman Brothers et la crise financière qui a suivi, ou a-t-on plutôt besoin d’une révélation choc, comme les Panama Papers, les Paradise Papers ou quelque chose d’autre? J’ai l’impression que les intervenants et les contribuables sont de plus en plus préoccupés. Selon vous, de quoi aurions-nous besoin?
M. Cockfield : Je n’en suis pas tout à fait certain. Les événements que vous avez mentionnés ont fait beaucoup de bruit. Certaines personnes ont même remis en question la légitimité du régime des démocraties libérales.
Vous avez tout à fait raison. Comme chercheur, je crains que notre incapacité à prouver que les entreprises multinationales paient leur juste part et le fait que les personnes les plus fortunées et les gangsters profitent des paradis fiscaux à l’étranger, ce qui est illégal, ne démoralisent que les Canadiens ordinaires et que ceux-ci seront moins susceptibles de se conformer aux règles à l’avenir. C’est ce qu’on appelle le problème du civisme fiscal.
J’ai de la difficulté à m’imaginer une situation aussi urgente que la crise financière de 2008 ou les énormes fuites de données sans précédent sur les paradis fiscaux. Mon travail, en 2012 et ensuite, consistait à analyser ces fuites. Je travaillais pour CBC à cette époque. Plus d’une révélation choquante a été faite grâce au plus important projet de collaboration mondiale entre journalistes de l’histoire. Plus de 700 journalistes et de 80 organismes partenaires aux quatre coins du monde y travaillent encore. Je ne me rappelle aucune autre affaire qui ait autant attiré l’attention des médias ou mis autant de pression sur les gouvernements. Si la situation budgétaire des pays membres de l’OCDE et des pays du G20 continue, pour une raison ou pour une autre, de se détériorer, alors peut-être qu’ils devront, au bout du compte, prendre des mesures d’envergure.
Le vice-président : Merci beaucoup, monsieur Cockfield, d’être parmi nous cet après-midi. Votre témoignage a été très informatif. Il nous sera très utile.
Je vais demander aux sénateurs et aux sénatrices de revenir rapidement après le vote, parce que nous entendrons d’autres témoins par téléconférence pour la deuxième partie de la séance. Merci beaucoup.
(La séance est suspendue.)
(La séance reprend.)
Le vice-président : Mesdames et messieurs les sénateurs, nous poursuivons la deuxième partie de la séance. Je suis heureux d’accueillir, par vidéoconférence depuis l’Alberta, les représentants de Bennett Jones s.r.l. : Me Jared Mackey, associé, Me Greg Johnson, associé, et Me Darcy Moch, associé.
[Français]
Bienvenue à nos témoins. Étant donné que la réunion est écourtée en raison du vote qui a eu lieu plus tôt au Sénat, je demanderais aux sénateurs et aux témoins d’avoir des questions et des réponses précises et concises, afin de couvrir le plus de sujets possible pendant le temps qui nous est imparti. Sans plus tarder, je cède la parole aux représentants de Bennett Jones s.r.l.
[Traduction]
Vous avez la parole.
Jared Mackey, associé, Fiscalité, Bennett Jones s.r.l. : Merci de nous avoir invités à témoigner à propos du projet de loi C-82. Nous sommes tous les trois avocats. Nous travaillons pour le cabinet d’avocats Bennett Jones, situé à Calgary, en Alberta. Nous fournissons des services juridiques à des entreprises multinationales et à des fonds de capital-investissement à propos de leurs activités et de leurs investissements au Canada. Nous offrons des services à toutes sortes de clients, mais la majeure partie de nos activités portent sur les investissements dans le secteur pétrolier, gazier et énergétique du Canada.
En notre qualité d’avocats, nous n’avons pas pris position quant à l’adoption du projet de loi C-82. Nous ne sommes pas venus ici pour soutenir ou contester, d’un point de vue stratégique global, ce projet de loi. Notre rôle, aujourd’hui, comme nous l’entendons, est de fournir au comité de l’information sur les répercussions que le projet de loi C-82 pourrait avoir sur les décisions d’investissements de nos clients dans l’industrie énergétique canadienne et sur les incertitudes qu’il pourrait créer pour les investisseurs actuels et futurs dans le secteur énergétique du Canada.
Les investissements de capitaux dans le secteur énergétique du Canada, de toute évidence, sont de loin inférieurs à ceux des autres pays, en particulier les États-Unis. De nombreux projets au Canada dans ce secteur n’ont tout simplement pas les fonds nécessaires pour aller de l’avant. À l’opposé, les États-Unis attirent de plus en plus d’investissements dans le secteur énergétique, et les Américains en récoltent les avantages économiques. Cette tendance tient en partie au fait que les États-Unis réduisent et rationalisent présentement leur réglementation, en plus de procéder à une refonte de leur régime fiscal afin d’encourager la compétitivité. Le Canada, lui, fait l’inverse. S’il n’y a pas de changement stratégique, nous nous attendons à ce que cette tendance se maintienne et que la fuite des capitaux étrangers du secteur énergétique canadien se poursuive.
Le régime fiscal est un facteur clé pour évaluer la rentabilité d’un investissement. Jusqu’ici, les investisseurs étrangers pouvaient structurer leurs investissements au Canada afin qu’ils soient avantageux sur le plan fiscal. Cela encourageait l’intérêt initial et favorisait les contributions continues dans le secteur énergétique et dans l’économie du Canada. Les structures étaient approuvées par les tribunaux canadiens, et elles ont assuré à l’industrie un approvisionnement continu de capitaux étrangers. Le Canada est ainsi demeuré compétitif sur la scène mondiale.
Nous sommes certains que l’adoption du projet de loi C-82 et la mise en œuvre de l’instrument multilatéral décourageront un certain nombre de nos clients, qui vont alors rechercher des occasions d’investissement plus rentables à l’extérieur du Canada. Nous avons déjà constaté qu’un certain nombre de nos clients étrangers se sont départis de leurs actions dans le secteur énergétique du Canada afin d’investir ailleurs. Les incertitudes fiscales ont des répercussions fondamentales sur les décisions importantes des investisseurs.
Pour parler du projet de loi C-82 plus particulièrement, certaines questions demeurent quant à la façon dont l’instrument multilatéral sera appliqué, autant en théorie qu’en pratique. De toutes les mesures prévues dans l’instrument multilatéral, les plus importantes sont le préambule énoncé à la mesure 6 ainsi que la disposition générale anti-évitement — que l’on appelle la règle du critère des objets principaux — prévue à la mesure 7. Ces deux mesures ont été adoptées par l’ensemble des signataires de l’instrument multilatéral. Ces dispositions ont été rédigées en termes généraux, ce qui veut dire qu’une analyse de la formulation vague, y compris de l’objet et de l’objet principal, sera nécessaire. Ce genre de formulation vague a déjà créé d’innombrables incertitudes quant à l’interprétation des lois fiscales canadiennes.
Nos clients s’attendent à ce que nous leur fournissions des conseils sur la portée et l’application de ces règles en fonction de leurs circonstances particulières. Cependant, étant donné la façon dont les règles sont formulées, il y a énormément de zones grises quant à leur mode d’application, en particulier pour ce qui touche à l’investissement en capital et aux organismes de placement collectif. D’ailleurs, les documents d’information de l’OCDE sont aussi ambigus et sujets à l’interprétation. Si le projet de loi C-82 est adopté, le ministère des Finances devra absolument fournir des directives supplémentaires sur ces aspects de l’instrument multilatéral.
En outre, si le projet de loi C-82 est adopté, une disposition transitoire convenable sera également nécessaire. Bon nombre d’investisseurs touchés par ce projet de loi ont déjà établi des relations et des structures et fait des investissements en se fondant sur les lois actuelles. Il est important de tenir compte de cela et d’offrir un processus de transition raisonnable. Il peut être complexe et coûteux de restructurer les relations d’affaires existantes et les structures internes des entreprises. Cela comprend souvent des engagements et des obligations sans lien de dépendance. Après avoir consulté d’autres conventions bilatérales similaires conclues par le Canada, nous recommandons au comité d’envisager des mesures de protection, comme celles du jour de l’évaluation — une sorte de rajustement de la valeur pour les actifs évalués —, afin de protéger les gains accumulés avant l’entrée en vigueur de l’instrument multilatéral.
Pour terminer, nous voulons insister sur le fait que les investissements de capitaux étrangers dans le secteur énergétique sont imposés beaucoup plus lourdement que les investissements faits dans les autres secteurs au Canada. Un investisseur étranger peut investir dans une entreprise canadienne du secteur de l’automobile, des services ou des technologies de l’information puis vendre ses parts sans être imposé personnellement au Canada sur ses gains en capital. Il n’existe aucune exemption similaire pour les investisseurs étrangers dans le secteur énergétique.
D’une part, le régime fiscal canadien encourage les investissements dans ces secteurs, et d’autre part, il décourage de façon disproportionnée les investissements dans le secteur canadien de l’énergie alors que nous avons désespérément besoin de ces investissements actuellement. Malgré le bien-fondé de l’instrument multilatéral, nous croyons qu’il est plus logique, d’un point de vue stratégique, d’élargir la portée des exemptions existant dans les lois fiscales canadiennes afin d’offrir davantage d’occasions pour les investisseurs étrangers dans le secteur énergétique du Canada. Ces nouvelles exemptions s’appliqueraient non pas aux investissements passifs, mais aux investissements en capital qui contribuent directement à l’exploitation des entreprises canadiennes.
Voilà qui met fin à notre déclaration préliminaire. Nous sommes maintenant prêts à répondre à toutes les questions du comité.
Le vice-président : Quelqu’un parmi vous souhaite-t-il ajouter autre chose?
Darcy Moch, associé, Fiscalité, Bennett Jones s.r.l. : Non. Je vais répondre aux questions.
Le vice-président : Pour commencer, laissez-moi résumer ce que j’ai compris de votre exposé. Vous faites deux demandes. Premièrement, vous demandez d’ajouter un droit acquis ou d’exclure les gains en capital existants ou les bénéfices existants de la réforme du régime fiscal. Parallèlement, vous demandez une exemption pour l’industrie canadienne des ressources, ce qui veut dire que l’instrument multilatéral ne s’appliquera pas à cette industrie, puisque cette industrie serait, autrement et évidemment, plus lourdement imposée.
Ai-je bien cerné vos deux demandes?
M. Moch : Je dirais que nous demandons trois choses : premièrement, qu’il n’y ait aucun rajustement à la hausse pour les bénéfices existants. Prenons l’exemple d’un investisseur qui a fait un investissement il y a 10 ans en suivant les règles de la convention de l’époque. S’il se départit de cet actif après l’entrée en vigueur de l’instrument multilatéral, il devrait payer de l’impôt. Voilà le premier point. Il faudrait donc établir certaines mesures de protection en prévision du rajustement de la valeur ou du jour de l’évaluation.
Deuxièmement, comme Me Mackey l’a mentionné, les investisseurs peuvent investir dans tous les secteurs du Canada et acheter des actions dans n’importe quelle entreprise canadienne, et ils sont seulement imposés si plus de la moitié de la valeur est associée à un avoir minier canadien, à un avoir immobilier canadien ou à un avoir forestier. Tout autre investissement fait au Canada n’est tout simplement pas imposé. C’était la règle.
Par le passé, les bénéfices canadiens étaient imposés, mais il y a un certain nombre d’années, les règles ont été élargies ou plutôt assouplies afin que les investisseurs étrangers puissent investir sans être imposés dans tous les secteurs, à l’exception du secteur des ressources, du secteur de l’immobilier et du secteur forestier.
En pratique, l’instrument multilatéral interdit les investissements structurés étrangers au Canada qui sont faits par l’intermédiaire des pays signataires de la convention. Dans de nombreux cas, on peut remettre en question le bien-fondé des investissements faits par l’intermédiaire de pays signataires. Pour dire les choses simplement, il n’y aura peut-être plus d’investissement en premier lieu, une fois que l’instrument multilatéral entrera en vigueur. L’instrument multilatéral nous empêche d’utiliser des conventions. En elles-mêmes, les conventions permettaient seulement une exemption si l’entreprise exploitée au Canada était active. Dans l’ensemble, cela encourageait le secteur énergétique et les investissements. Voilà pour le deuxième point.
Troisièmement, les règles énoncées dans l’instrument multilatéral sont très générales. Dans les dossiers sur lesquels nous travaillons, les entreprises multinationales ne sont pas certaines de pouvoir continuer de tirer parti des conventions. Elles peuvent être passablement convaincues, mais il y a de l’incertitude, et cela peut jouer dans les décisions d’investissement.
Le vice-président : J’ai une question à vous poser. D’un point de vue stratégique, selon vous, quels étaient les objectifs du gouvernement du Canada quand il a décidé d’imposer les bénéfices dans le secteur des ressources naturelles et de l’immobilier, et pas dans les autres? Pourquoi a-t-il prévu établir cette exemption?
M. Moch : Honnêtement, c’est une bonne question. Avant, on imposait tous les bénéfices de n’importe quelle entreprise canadienne. Si vous aviez des actions dans une société canadienne privée, alors vous deviez payer de l’impôt sur les bénéfices. Il y avait aussi, à cette époque, une disposition parallèle. Il faudrait aller consulter le hansard pour déterminer pourquoi le gouvernement a créé ces dispositions.
Donc, si vous investissiez dans une entreprise publique, vous étiez seulement imposé si vous déteniez plus de 25 p. 100 des actions et que c’était une entreprise du secteur des ressources naturelles, une entreprise du secteur de l’immobilier ou du secteur forestier.
Quand on a élargi les règles pour éliminer l’impôt sur les bénéfices, on a préservé l’exemption pour le secteur immobilier, ou plutôt, il n’y avait pas d’exemption prévue pour le secteur immobilier, parce que les entreprises publiques de ce secteur étaient déjà imposées. C’est la seule explication qui me vient à l’esprit.
Greg Johnson, associé, Fiscalité, Bennett Jones s.r.l. : J’ajouterais que la plupart des conventions conclues par le Canada, à l’exception de certaines conventions qui sont visées par l’instrument multilatéral, comme celles conclues avec le Luxembourg, les Pays-Bas, la Suisse et d’autres pays, donnent toujours au Canada le droit d’imposer les bénéfices découlant d’actions, pour autant que plus de la moitié de la valeur de ces actions soit associée à une entreprise immobilière située au Canada. Il y a eu des modifications en 2010 ou aux alentours qui avaient pour but d’harmoniser la réglementation en vigueur au Canada avec une partie — mais pas l’ensemble — des conventions existantes.
Comme Me Moch l’a mentionné, il existe plusieurs conventions dont nos clients tirent parti pour investir. Nous savons que certains de nos clients du domaine de l’investissement en capital ont besoin d’investir par l’intermédiaire d’une entité qui peut protéger leurs investissements de l’impôt. Cette entité travaille pour des investisseurs des quatre coins du monde. Ces investisseurs doivent habituellement faire leur investissement par l’intermédiaire d’une entité qui se trouve généralement au Luxembourg ou aux Pays-Bas. C’est surtout cela que vise l’instrument multilatéral.
Pour revenir à votre question, certaines modifications avaient simplement pour but d’harmoniser les lois canadiennes avec l’orientation prédominante — selon le ministère des Finances — des conventions conclues entre le Canada et d’autres pays.
Le vice-président : Donc, en résumé, malgré la tentative de 2010 d’imposer les bénéfices dans le secteur immobilier, dans le secteur des ressources naturelles et dans le secteur forestier, vous avez été en mesure de trouver une structure, comme cette entité au Luxembourg, qui permettait à vos clients de ne pas être imposés.
Ai-je bien compris?
M. Johnson : Si vous avez investi dans une entreprise minière ou de ressources naturelles ou au Canada, il serait juste de dire que les conventions en place avec le Luxembourg et les Pays-Bas prévoyaient une exemption pour les bénéfices réalisés au Canada. Les investisseurs étaient peut-être imposés dans leur pays d’origine, mais ils n’étaient pas imposés au Canada.
Les exemptions ont été examinées par les tribunaux, qui ont conclu qu’elles s’appliquaient et que ce genre de manœuvre était approprié. En 2013, le ministère des Finances a proposé une ébauche de règle nationale anti-chalandage fiscal, ce qui est aussi prévu dans l’instrument multilatéral.
Lorsque des affaires mettant en cause des conventions ont été portées devant les tribunaux, les contribuables ont la plupart du temps obtenu gain de cause sur le ministère des Finances ou l’Agence du revenu du Canada. Nous croyons que le ministère des Finances compte utiliser l’instrument multilatéral pour mettre un terme à cela. Me Moch a aussi mentionné la portée trop générale de l’objet principal, ainsi que de l’objet et de l’esprit de l’instrument. Il devient très difficile de déterminer si une transaction est permise ou non, et c’est d’ailleurs ce que nos clients nous demandent.
Le vice-président : À cause des incertitudes et de la définition vague ou plutôt du fait que ces deux éléments n’ont encore jamais été appliqués, vous dites que les investisseurs vont être imposés davantage sur leurs capitaux, et que le Canada va perdre les investissements en conséquence.
Ai-je bien résumé les raisons pour lesquelles vous croyez que nous devrions apporter ces modifications?
M. Moch : C’est vraiment l’essentiel de ce que nous disons. Nous ne voulons pas prendre position, d’un point de vue stratégique, sur le chalandage. En ce qui concerne le Canada, beaucoup d’investissements dans le secteur des ressources dépendent des structures en place. Premièrement, si vous êtes un fonds de capital-investissement, vous ne pouvez pas, comme Me Johnson l’a dit, investir par l’intermédiaire d’un partenariat, parce que dans ce cas-là, des centaines, sinon des milliers d’investisseurs qui participent au fonds de capital-investissement auraient à produire une déclaration de revenus au Canada.
Ce serait impossible pour un fonds d’investir simplement au Canada par l’intermédiaire d’un partenariat. Il doit avoir une entreprise en place. Avec des investisseurs partout dans le monde, pourquoi est-ce que cette entreprise devrait être aux États-Unis, par exemple, simplement parce qu’il y a six personnes à New York qui s’occupent de la gestion? Non, cela n’a aucun sens.
Il y a beaucoup d’investisseurs aux États-Unis, mais il y en a aussi beaucoup à l’étranger. Ils avaient besoin d’une entreprise et d’une structure, alors ils ont établi une réalité économique dans les pays où les conventions leur fournissaient des avantages.
Si ce n’était de cela, ils n’auraient pas investi. Auraient-ils investi dans le Canada s’ils étaient imposés? Dans la plupart des cas, non. Ce sont les investissements et l’argent dépensé dans la mise en valeur des propriétés qui nous intéresse.
Avec les anciennes règles, beaucoup d’investisseurs pouvaient structurer leurs investissements en sachant qu’ils ne seraient pas imposés. C’était compliqué et c’était onéreux, mais, avec l’entrée en vigueur de l’instrument multilatéral, même si certains investisseurs seront en mesure d’investir, étant donné la réalité économique et les autres règles, la plupart tourneront simplement les talons, refusant de payer ce coût additionnel au moment de se retirer. Lorsque viendra le temps de prendre une décision d’investissement, ils prendront cela en considération et peut-être changeront d’idée.
Nous savons qu’il y a déjà beaucoup d’investisseurs qui songent à faire des investissements, et le coût fiscal pèse souvent lourdement dans la balance. C’est un grave problème, étant donné que nous avons grandement besoin de ces investissements en ce moment.
La sénatrice Bovey : J’aimerais passer à un autre sujet, si vous me le permettez. Je vous remercie de vos commentaires.
De nombreux signataires de la convention ont accepté de mettre en œuvre une partie seulement des mesures, et ce ne sont pas toujours les mêmes mesures. D’après ce que nous ont dit les témoins précédents — et vous-mêmes —, il y a des différences entre les secteurs et les pays.
Y aura-t-il — ou pourrait-il y avoir — une norme internationale? Est-ce que cela a même de l’importance? J’aimerais connaître votre opinion à ce sujet.
M. Moch : Dans la mesure où les entreprises peuvent décider de se retirer des diverses dispositions de l’instrument multilatéral, on ne peut pas vraiment parler d’une norme internationale, puisque les résultats seront différents. Je crois que vous continuerez de voir des écarts et des lacunes, puisque les dispositions ne seront pas appliquées uniformément dans l’ensemble des conventions. On ne peut pas dire que c’est multilatéral.
Je dirais plutôt que c’est bilatéral, dans certains cas. Il y a encore des pays qui vont appliquer des règles différentes.
M. Johnson : J’ajouterais aussi que certains pays interprètent différemment les divers protocoles. Je vais utiliser le critère des objets principaux comme exemple. Même si les pays s’entendent pour l’inclure dans leur processus d’adoption, il demeure qu’ils peuvent interpréter différemment le critère des objets principaux.
Au Canada, l’article 7 de l’instrument multilatéral mentionne l’un des objets principaux. Nos tribunaux trancheraient en disant que, si votre but est de faire du chalandage, alors l’instrument multilatéral s’applique, et vous ne pourrez pas tirer parti des avantages de la convention. Ce ne sera peut-être pas le cas dans d’autres pays, qui auraient interprété cela différemment.
Nous voulons aussi souligner le fait que pour certains pays, l’objet et l’esprit sont surtout pris en considération en fonction de la réalité économique, alors qu’au Canada la lutte contre l’évitement fiscal a plus d’importance dans l’analyse. Comme Me Moch l’a mentionné, il y a des différences quant aux articles que les pays décident d’adopter, à la façon dont ils sont mis en œuvre, et à l’interprétation que chaque pays en fait. Cela fait donc que chaque article peut être différent en fonction du pays.
La sénatrice Coyle : Merci beaucoup. Votre exposé était très intéressant. Il y a deux ou trois choses que j’aimerais vérifier, puis j’aurai une question à poser.
Le Canada a déjà signé l’instrument multilatéral. Cependant, votre principale préoccupation est que l’adoption de ce projet de loi, qui mettra en œuvre l’instrument multilatéral, découragera les investisseurs et les investisseurs potentiels du secteur des ressources naturelles au Canada et que la majorité peut-être de ces investisseurs décideront en conséquence, d’investir dans d’autres pays, ou peut-être pas du tout. Ai-je bien compris?
M. Johnson : C’est exact.
La sénatrice Coyle : Vous êtes d’avis que cela a un effet dissuasif sur l’investissement dans le secteur des ressources naturelles au Canada, et c’est vous qui avez conseillé ces entreprises.
Maître Mackey, j’aimerais savoir ce que vous avez dit exactement dans votre exposé. Je pense que je vous ai entendu mentionner, à la fin de votre exposé, le bien-fondé de l’IM. Pourriez-vous nous dire ce que vous entendez comme bien-fondé de l’IM et quel est le poids de ce bien-fondé par rapport à ce dont vous êtes en train de parler?
M. Mackey : Bien sûr. L’IM comporte probablement un certain nombre d’avantages. À mon avis, le principal, c’est son efficacité. Il serait inefficace pour le Canada de modifier 88 — ou peu importe le nombre — conventions fiscales bilatérales partout dans le monde. L’IM est un processus bien plus efficace que de modifier toutes les conventions fiscales du Canada. Si le Canada devait modifier toutes ses conventions fiscales, cela pourrait prendre une décennie, voire plus. Je n’irais pas jusqu’à dire le nombre de temps que cela pourrait prendre, mais cela pourrait être long.
Est-ce que quelqu’un d’autre souhaite émettre un commentaire par rapport aux avantages?
M. Johnson : Je suis d’accord. L’avantage de l’IM, c’est sa facilité d’application, puisqu’il s’agit d’un seul document. Il y a un processus à suivre : chaque pays doit l’appliquer à l’échelle locale et avertir ensuite l’OCDE de sa mise en œuvre, puis il y a une certaine période pour son entrée en vigueur. Il s’agit d’un instrument assez attrayant, compte tenu de l’ampleur de son application, ce qui constitue son bien-fondé.
Nous sommes ici pour parler du problème que nous constatons. Certaines des dispositions ont des répercussions disproportionnées sur certaines industries au Canada au moment il y a un besoin accru de capital.
Il y a certains problèmes en ce qui a trait à l’IM. Est-il nécessaire d’avoir une règle générale, par exemple, un critère des objets principaux sur la plupart des conventions fiscales du Canada? Quelles seraient les répercussions sur les industries minières, forestière et immobilière? Avec cette mesure, les investisseurs hésiteraient à investir dans ces industries.
La sénatrice Coyle : Avez-vous abordé ces préoccupations avec les fonctionnaires du gouvernement canadien? Si oui, quelles sont les réponses que vous avez obtenues?
M. Moch : Nous ne sommes pas lobbyistes, nous ne sommes donc pas enregistrés et n’avons pas parlé avec le ministère des Finances au nom de nos clients en tant que lobbyistes.
Je faisais partie de ce qui s’appelait le comité mixte. Du point de vue de l’Association du Barreau canadien, j’étais président de ce comité. Je l’ai coprésidé avec un CPA. L’imposition des gains en capital a toujours été au cœur des préoccupations.
À mon avis, si je pouvais parler de l’investissement en général, je dirais que les gains en capital font partie d’un processus très peu efficace. Si vous prenez l’argent et que vous le dépensez, dans ce cas, vous devriez être imposé; cependant, nous devrions avoir en place des dispositions plus générales qui vous permettent de remplacer cet investissement et de ne pas payer d’impôt sur les gains en capital.
Ce genre de commentaires ont été faits de façon régulière. Avons-nous soulevé ce point en particulier avec le ministère des Finances en ce qui concerne l’IM? Non.
M. Johnson : Je ne l’ai pas fait non plus.
Le vice-président : De vos trois demandes, la première concernait le renforcement ou, en d’autres mots, le gel des gains en capital existants. Il s’agit essentiellement d’un traitement comme ceux qui ont été faits par le passé.
Laissez-moi vous poser une question bête. Étant donné le risque qu'ils soient à l'avenir imposés sur les gains en capital, entre autres, vous dites que les gens iront ailleurs. S’ils obtiennent un rajustement de la valeur sur les gains existants, est-ce que cela arrivera à faire changer l’avis des gens ou des entreprises sur le fait de rester ou non dans le secteur des ressources canadiennes?
Si je devais deviner votre réponse, je dirais que cela ne changera pas, parce que lorsque des entreprises prennent des décisions de cette ampleur, elles examinent les coûts futurs, et non ceux du passé. Le passé, c’est le passé. Il ne reviendra pas. Par conséquent, le Canada ne gagnerait rien en permettant le rajustement de la valeur, parce que l’entreprise s’en irait de toute façon si le coût du capital n’est pas concurrentiel.
Pourriez-vous faire des commentaires à ce sujet, s’il vous plaît?
M. Johnson : Il s’agit d’une question d’équité. Il y a des sociétés qui investissent des centaines de millions de dollars au Canada et qui s’attendent à un certain résultat fiscal en vertu de la loi actuelle. Lorsque vous modifiez la loi et que vous n’offrez pas de droits acquis, vous modifiez l’économie au beau milieu du cycle d’achat, de détention et de vente.
Il n’est pas nécessairement question des répercussions sur l’avenir. Je crois que ces décisions d’investissement seront prises en fonction de nombreux facteurs variés, notamment la réglementation, l’impôt, les possibilités d’investissement et l’équipe de gestion. Il s’agit en gros d’une question d’équité générale. Vous vous attendiez à certaines règles du jeu lorsque vous avez investi, et ces dernières devraient être maintenues plutôt qu’être modifiées au beau milieu du processus.
M. Moch : Dans le cadre de cette décision, supposons que nous ayons eu une déduction pour un rajustement de la valeur et que les gains actuels jusqu’à concurrence de la valeur actuelle ne sont pas imposés. Si je comprends bien votre question, les investisseurs ne partiraient-ils pas quand même si nous faisions cela?
Le fait est que des millions de dollars sont investis dans un projet pour lequel il n’y a pas d’acheteur. À l’heure actuelle, dans le secteur de l’énergie, ce serait le pire moment pour procéder à une vente dans bon nombre de cas. Ce n’est pas comme si, dans la mesure où nous autorisons ce rajustement de la valeur, ils allaient partir de toute façon et nous perdions ce futur investissement.
Comme Greg Johnson l’a dit, à l’heure actuelle, il s’agit réellement d’avoir investi et d’avoir pris une décision d’affaires. À son avis, le Canada a changé les règles du jeu à mi-chemin et il se peut que ces investisseurs ne reviennent pas.
Ce n’est pas comme s’ils allaient partir de toute façon s’il y a un rajustement de la valeur, parce qu’ils n’ont pas à partir. S’ils partent, ils verront encore plus les choses d’un œil moins favorable, parce que nous avons changé les règles au beau milieu de leur investissement. Nous n’avons pas été justes, et nous souhaitons maintenant mettre en place un impôt sur les gains. Ils doivent faire face à deux situations inéquitables.
Le sénateur Boehm : Merci beaucoup de votre exposé et de vos réponses éclairées à nos questions.
J’aimerais avoir votre point de vue sur l’arbitrage obligatoire et contraignant, plus particulièrement sur le mécanisme d’arbitrage prévu par l’IM. Nous avons entendu une variété de points de vue; certains pensent qu’il s’agit d’un mécanisme totalement opaque, d’autres, qu’il s’agit d’un mécanisme très efficace. J’aimerais connaître votre point de vue.
M. Moch : Nous n’avons pas d’opinion ferme à ce sujet. Dans nombre de nos traités bilatéraux, nous avons en place une autorité compétente. Je peux vous dire, d’après mon expérience personnelle, que le fait de tenter de régler quelque chose par l’entremise d’une autorité compétente est difficile, voire impossible.
Je m’attends à ce que la même chose se produise avec l’arbitrage contraignant. Il s’agit d’un mécanisme, mais tout bien considéré, vous devez compter sur le système judiciaire canadien. Si deux pays arrivent à des conclusions différentes, il est préférable d’avoir en place un certain processus de résolution que de ne pas en avoir du tout. La question de savoir si le processus de l’IM sera efficace au bout du compte ou s’il y a d’autres façons de procéder se prête à la discussion.
Le vice-président : Merci beaucoup d’avoir été parmi nous. Il s’agit évidemment d’un sujet important non seulement pour vous, mais pour notre pays en ce qui a trait à la concurrence dans le monde pour le capital. Nous vous remercions chaleureusement des précisions que vous nous avez apportées à ce sujet. Merci beaucoup.
(La séance est levée.)