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AGFO - Comité permanent

Agriculture et forêts

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule no 22 - Témoignages du 9 février 2017


OTTAWA, le jeudi 9 février 2017

Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui, à 8 h 1, pour étudier l'acquisition des terres agricoles au Canada et ses retombées potentielles sur le secteur agricole.

Le sénateur Ghislain Maltais (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Je suis le sénateur Maltais. Je suis le président du comité. Pour commencer, je demanderais aux sénateurs de se présenter. Nous allons commencer par le vice-président.

Le sénateur Mercer : Sénateur Terry Mercer, de la Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Gold : Sénateur Marc Gold, du Québec.

[Français]

La sénatrice Tardif : Claudette Tardif, de l'Alberta.

[Traduction]

La sénatrice Beyak : Sénatrice Lynn Beyak, de l'Ontario. Bienvenue.

Le sénateur Bernard : Sénateur Bernard, de la Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Plett : Don Plett, du Manitoba.

Le sénateur Oh : Victor Oh, de l'Ontario.

[Français]

La sénatrice Gagné : Raymonde Gagné, du Manitoba.

Le sénateur Pratte : André Pratte, du Québec.

Le sénateur Dagenais : Jean-Guy Dagenais, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Ogilvie : Kelvin Ogilvie, de la Nouvelle-Écosse.

Le président : Merci, mesdames et messieurs.

[Français]

Aujourd'hui, le comité poursuit son étude sur l'acquisition des terres au Canada et ses retombées potentielles sur le secteur agricole.

Nous accueillons ce matin, de Canards Illimités Canada, James W. Brennan, directeur des relations gouvernementales, Scott Stephens, directeur des opérations régionales (région des Prairies), et Mark Gloutney, directeur des opérations régionales (région de l'Est).

[Traduction]

Bienvenue, messieurs. Monsieur Brennan, vous avez une déclaration à présenter avant de passer aux questions des sénateurs?

James W. Brennan, directeur des relations gouvernementales, Canards Illimités Canada : Oui. Bonjour, monsieur le président, et bonjour aux membres du comité. Merci d'avoir invité Canard Illimités Canada à participer à votre étude sur l'acquisition des terres agricoles au Canada. Nous sommes ravis d'être ici parmi vous ce matin. Je suis le directeur des relations gouvernementales de Canards Illimités Canada, dont le siège social est établi ici, à Ottawa. Je suis accompagné aujourd'hui de Scott Stevens et Mark Gloutney, les directeurs des opérations régionales de la région des Prairies et de la région de l'Est du Canada respectivement.

Comme vous le savez peut-être, Canards Illimités Canada est un organisme de bienfaisance enregistré en vertu de la loi fédérale qui a été fondé en 1938. Depuis, nous avons créé des partenariats avec des milliers de propriétaires fonciers, entreprises, gouvernements et autres ONG partenaires pour conserver les milieux humides du Canada et les habitats connexes au bénéfice des oiseaux aquatiques et les habitants de l'Amérique du Nord et la santé de notre environnement. Nous sommes une organisation scientifique qui utilise divers outils, y compris des projets de conservation des habitats réalisés directement sur le terrain, des recherches scientifiques, des activités de sensibilisation et des activités liées aux politiques publiques pour promouvoir les objectifs de notre mission.

Je tiens à préciser aux membres du comité que de nombreuses terres humides et de nombreux milieux secs qui possèdent un caractère unique et une valeur écologique sont situés sur les terres agricoles habitées du Sud du pays. Selon le dernier recensement de 2011 de Statistique Canada, près d'un tiers, soit 19,6 millions d'hectares, du territoire agricole canadien constitue des habitats fauniques importants. Cela inclut les prairies utilisées comme pâturages, les zones boisées et les milieux humides.

Les biens et services issus des écosystèmes qu'on appelle aussi BSE, qui sont produits par de tels habitats sont essentiels à la survie de milliers d'espèces végétales et animales, y compris de nombreuses espèces menacées ou en voie de disparition. Par ricochet, ces habitats sont aussi importants à la productivité et la résilience du secteur agricole canadien et au bien-être général de notre pays. Par exemple, la pollinisation des cultures, la santé des sols, l'approvisionnement en eau propre et la répression naturelle des ravageurs font partie des BSE qui soutiennent la production d'aliments, aident les agriculteurs à s'adapter aux changements climatiques et météorologiques et aux autres stress environnementaux pouvant avoir une incidence sur la sécurité alimentaire. Les terres humides et les habitats environnants offrent aussi des services essentiels, y compris la purification de l'air et de l'eau, l'atténuation des inondations et des sécheresses, ainsi que le captage et le stockage du carbone.

Comme je l'ai mentionné, Canards Illimités Canada crée et maintient de solides partenariats avec des agriculteurs et le milieu agricole en général depuis près de huit décennies. En fait, les partenariats avec des propriétaires terriens et des producteurs agricoles individuels sont au cœur de nos efforts de conservation. Ce sont eux qui nous permettent d'avoir le plus gros impact sur le paysage du Sud du Canada.

Grâce à l'engagement environnemental de 18 000 propriétaires terriens individuels et de nos autres partenaires, Canards Illimités Canada a été en mesure de conserver près de 6,4 millions d'acres d'habitat jusqu'à présent à l'échelle nationale.

Cependant, malgré nos efforts combinés, la perte de terre humide et d'autres habitats au Canada continue d'augmenter à un rythme alarmant. Depuis l'arrivée des colons européens, on estime qu'environ 70 p. 100 des terres humides du Canada ont disparu ou ont subi une dégradation dans les régions habitées du pays. À l'heure actuelle, nous continuons à perdre plus de 29 000 acres de terre humide chaque année. Les conséquences de cette perte écologique sont lourdes, et on constate qu'elles ont des ramifications à long terme non seulement sur les finances et la résilience climatique du Canada, mais aussi sur la croissance et la compétitivité du secteur agricole et la confiance publique sous- jacente sur laquelle il s'appuie. Les producteurs agricoles sont déjà confrontés à un certain nombre de défis environnementaux qui influent sur leurs résultats, y compris les inondations fréquentes et l'érosion des sols. Ces répercussions seront accentuées par les changements climatiques.

Un des principaux moteurs expliquant cette perte et le fait que les terres humides et les BSE qu'elles fournissent sont systématiquement sous-évalués. La plupart des provinces canadiennes, à l'exception des Maritimes, ne possèdent pas de politique complète en matière de protection des terres humides. De plus, les mesures incitatives actuelles permettant d'encourager les activités de restauration et de conservation des habitats sont insuffisantes. Par conséquent, la plupart des initiatives et des efforts privés de conservation des terres continuent de se faire sur une base strictement volontaire.

Je vais maintenant laisser mon collègue, Scott Stevens, terminer la présentation de notre exposé.

Scott Stephens, directeur des opérations régionales (région des Prairies), Canards Illimités Canada : Canards Illimités Canada reconnaît que les forces du marché poussent les propriétaires de terres rurales et les producteurs agricoles à accroître le nombre d'acres cultivées aux dépens des efforts de conservation ou de restauration des habitats en terre humide. Nous reconnaissons aussi les diverses pressions économiques exercées sur les producteurs en raison de l'augmentation de la valeur des terres, de la fluctuation des prix des produits de base et de l'augmentation de la demande alimentaire à l'échelle internationale. Ironiquement, bon nombre de ces mêmes forces influent aussi sur notre capacité de conserver les habitats sur les terres privées. À la lumière de cette réalité économique, nous avons élaboré un certain nombre de programmes d'incitation à la conservation qui nous aident à atteindre nos objectifs en matière d'acres conservées tout en fournissant un avantage financier aux producteurs.

Le comité sera intéressé de savoir que les programmes de conservation de Canards Illimités Canada ne concernent aucunement l'achat de terres agricoles. En fait, l'acquisition et la détention de terres agricoles sont, de loin, la méthode de conservation des habitats la plus dispendieuse. En tant qu'organisation de bienfaisance sans but lucratif, nous préférons réaliser des activités de conservation volontaires qui nous aident à maximiser nos efforts de conservation avec des ressources minimales. C'est la raison pour laquelle les partenariats avec des propriétaires terriens et des producteurs individuels sont aussi importants à notre travail et notre réussite.

Je vais vous donner deux ou trois exemples de nos programmes de conservation. Nous offrons des programmes de partage des frais avec les producteurs voulant convertir leurs terres cultivées actuelles en terres servant à la culture fourragère. Dans d'autres situations, nous fournissons des paiements incitatifs aux producteurs qui veulent restaurer des bassins de terre humide qui ont été drainés afin d'en refaire des milieux humides naturels efficaces.

Nous travaillons aussi en collaboration avec des producteurs dont les terres possèdent des caractéristiques naturelles importantes et qui, pour diverses raisons, sont seulement intéressés à vendre leurs terres. Dans ces cas, nous misons habituellement sur notre programme de conservation des terres renouvelables. Dans le cadre de ce programme, nous achetons des terres d'une personne disposée à nous les vendre à une valeur qui est fondée sur de multiples évaluations. Nous rétablissons ensuite toutes les zones naturelles perdues ou dégradées sur la terre acquise, puis mettons la propriété en vente sur le marché une fois les habitats restaurés. Ces habitats sont protégés par une servitude de conservation perpétuelle associée à ces terres. Sur le reste de la propriété, les acheteurs subséquents peuvent réaliser des activités agricoles et mettre en valeur la propriété en fonction de leur besoin économique et conformément à ce que permet la municipalité.

Même si notre programme de conservation des terres renouvelables est offert partout au Canada, il a surtout été populaire et efficace dans la région des Prairies, où nous avons acheté 29 000 acres de terre au cours des trois dernières années et en avons revendu 15 000 à des acheteurs privés. Les autres acres achetées sont soit actuellement en vente, soit actuellement restaurées en vue de leur vente future.

L'achat récent des terres Tamino situées dans le marais Tantramar, près de Sackville, au Nouveau-Brunswick, est un autre exemple de notre collaboration avec le milieu agricole. Ces terres de 1 000 acres ont été acquises par des investisseurs immobiliers étrangers il y a des décennies de ça et on n'y faisait aucune production agricole depuis les années 1970. Canards Illimités Canada a acheté ces terres afin d'en restaurer les terres humides perdues, tout en reconnaissant le potentiel agricole de certaines parties de la propriété. En travaillant avec le milieu agricole local, nous avons cerné 240 acres destinées à la vente ou à la location aux agriculteurs locaux, une situation gagnant-gagnant, tant du point de vue de la conservation que de celui de l'agriculture.

Je tiens à souligner au comité que l'augmentation de la valeur des terres agricoles rend les activités de conservation de l'habitat sur les terres privées de plus en plus difficile. En effet, les mesures incitatives financières que nous offrons dans le cadre de nos divers programmes de conservation doivent, au minimum, être équivalentes à la valeur tirée de l'utilisation des terres. Sans cet avantage, il devient peu attrayant ou non rentable pour un producteur d'entreprendre toute forme d'activité de conservation ou de restauration de l'habitat. Par conséquent, l'augmentation de la valeur des terres agricoles exige le recours à des mesures incitatives financières beaucoup plus généreuses pour la conservation, ce que CIC et d'autres organisations de conservation ont de plus en plus de difficulté à offrir.

Par exemple, en 2014, le club de chasse St. Luke's sur le lac St. Clair, en Ontario, a été mis en vente. Le prix d'inscription pour les 512 acres d'importants habitats humides côtiers s'élevait à 3,9 millions de dollars, une valeur fondée uniquement sur son potentiel agricole. Puisque le prix était plus de trois fois supérieur à la valeur des habitats des milieux humides côtiers des Grands Lacs comparables, ni CIC ni toute autre organisation de conservation n'ont eu les moyens d'acheter cette propriété pour ainsi éviter les risques de conversion de l'habitat.

Les pressions liées au développement et la croissance des milieux urbains ont aussi un impact sur la valeur des terres et la conservation de l'habitat. Les agriculteurs qui possèdent des terres agricoles près des grands centres urbains sont plus susceptibles de vendre leurs propriétés et de tirer profit des prix élevés. Lorsque cela se produit, tout habitat résiduel est habituellement converti en zone de lotissement résidentiel ou industriel, tout comme les terres agricoles.

Comme vous pouvez le voir, les prix qui montent en flèche et la perte des terres agricoles ont non seulement un impact négatif sur le secteur agricole du Canada, mais aussi de graves conséquences pour notre pays dans son ensemble, puisque cela se traduit par la perte des services essentiels liés à l'écosystème mentionnés précédemment.

Nous croyons que l'élaboration du prochain cadre stratégique en matière d'agriculture constitue une excellente occasion de revoir de quelle façon le Canada évalue et gouverne son secteur agricole et en assure la croissance. Avec les bons outils et les bons cadres stratégiques, nous pouvons et devons accorder une valeur économique significative aux biens et services issus des écosystèmes en zone agricole.

La vision à laquelle nous devrions aspirer en tant que pays, c'en est une où les agriculteurs et les propriétaires fonciers ruraux qui ont déjà adopté une méthode de gestion des terres durable d'un point de vue environnemental sont rémunérés parce qu'ils assurent la prestation de services essentiels issus de l'écosystème aux Canadiens. De cette façon, nous protégerons les habitats essentiels dans le paysage agricole global où ils sont situés.

Pour terminer, le gouvernement devrait soutenir les initiatives, les pratiques et les nouvelles technologies de l'industrie qui aident à améliorer la production agricole sur les terres actuelles. De telles innovations restent essentielles à la capacité du Canada de promouvoir un secteur agricole compétitif et durable d'un point de vue environnemental tout en conservant les caractéristiques naturelles très chères aux Canadiens.

Merci, monsieur le président. Nous serons heureux de répondre à vos questions.

Le président : Merci beaucoup, messieurs.

[Français]

Avant de passer à la période des questions, j'aimerais vous présenter un nouveau sénateur, le sénateur Gold, de la Colombie-Britannique. Le sénateur Gold représentera les sénateurs indépendants au sein du Sous-comité de la procédure de notre comité. Bienvenue et merci, sénateur Gold.

[Traduction]

Le sénateur Mercer : Bonjour, messieurs. Merci d'être là.

Je crois que nous connaissons tous Canards Illimités Canada et le bon travail que vous faites. J'ai deux ou trois questions à vous poser. Je ne cherche pas la controverse, mais j'essaie de bien comprendre. Dans votre déclaration finale, monsieur Stephens, vous avez dit que le gouvernement devrait soutenir les initiatives, les pratiques et les nouvelles technologies de l'industrie qui aident à améliorer la production agricole sur les terres actuelles. Approuvez- vous par là les OGM?

M. Stephens : Oui. Nous avons examiné les données scientifiques au sujet des cultures génétiquement modifiées et ces technologies, et nous croyons qu'elles fournissent une façon utile d'accroître la production et de fournir à la société les aliments dont elle a besoin dans le monde entier, tout en assurant, dans les autres parties du paysage, les caractéristiques importantes dont nous avons parlé et qui offrent ces autres services à la société, comme le contrôle des inondations, le stockage du carbone et ce genre de choses. Oui, nous approuvons les technologies associées aux cultures génétiquement modifiées qui permettent d'accroître la production.

Le sénateur Mercer : Merci. Nous ne recevons pas beaucoup de personnes, ici, qui le font. Je voulais que cela figure dans le compte rendu.

La coexistence des terres humides et des terres arables est une occasion unique à saisir pour nous au Canada en raison de notre taille. Cependant, d'ici 2050, il y aura plus de 9 millions de personnes sur la planète, et il faudra être prêt à les nourrir si nous ne voulons pas d'agitation civile, de guerre et de toutes ces choses, non pas en raison d'une idéologie ni en raison de la religion, mais en raison de la faim. Rien ne motive les gens davantage qu'un estomac qui gargouille.

De quelle façon pouvons-nous gérer cette situation? J'appuie vraiment ce que vous faites, mais de quelle façon pouvons-nous gérer tout cela? Nous sommes l'un des seuls pays au monde qui puisse produire plus de terres arables ou consacrer plus de terres à l'agriculture; nous sommes donc une partie de la réponse au problème. De quelle façon pouvons-nous y arriver tout en préservant nos terres humides et notre nature?

M. Stephens : Je vais essayer de répondre. Mes collègues auront peut-être aussi des points de vue utiles à formuler.

Ce que nous tentons de trouver pour surmonter le défi auquel nous sommes confrontés, c'est un juste équilibre en utilisant la terre pour fournir l'ensemble des services dont nous avons besoin. Dans les provinces des Prairies, où je travaille le plus souvent et où j'essaie de réfléchir à ces défis, il y a déjà des signes indiquant que nous avons mis certaines de ces terres dans une position où elles ne sont plus durables. Nous avons constaté la fréquence accrue des inondations dans toutes ces régions à mesure où nous avons perdu certaines de ces terres humides. Nous avons réalisé beaucoup de travaux scientifiques pour déterminer les causes de cette situation, et nous avons constaté que, lorsque nous perdons les terres humides, nous perdons la capacité d'atténuer les inondations. Certaines données scientifiques donnent à penser que les terres humides que nous avons déjà perdues ont entraîné une augmentation des pointes d'inondation pouvant aller jusqu'à 30 p. 100.

Selon moi, le défi consiste à répondre aux besoins alimentaires que vous avez décrits, qui augmentent manifestement, tout en maintenant les autres composantes du paysage qui fournissent d'autres services importants.

Nous sommes tous d'accord : les changements climatiques sont un défi que nous tentons de relever. La situation impose un stress aux systèmes agricoles et à tous les systèmes économiques en place sur le territoire. Les terres humides permettent de stocker du carbone. Lorsque nous drainons ces terres, il y a d'importantes émissions de carbone qui contribuent à accentuer le problème.

Il faut trouver un juste équilibre, et, selon moi, la façon la meilleure et la plus efficace d'y arriver est probablement de déterminer de quelle façon accroître ces gains de productivité constatés sur les terres déjà exploitées. Dans d'autres zones où l'on retrouve ces caractéristiques naturelles, ce sont peut-être les autres services offerts qui priment.

M. Brennan : L'un des autres facteurs dont il faut tenir compte, c'est que les forces du marché actuel exigent non pas uniquement une production accrue, mais une production plus durable en même temps. Par exemple, l'Europe élabore des normes en vertu desquelles l'acquisition de cultures pour la production de biocarburant est conditionnelle au fait de ne pas consacrer plus de terres cultivées à cette production. Le marché demande peut-être une productivité accrue, mais il demande que ce soit fait d'une façon plus durable, et nous en revenons donc au point soulevé par Scott il y a un moment au sujet des OGM et de la biotechnologie.

Au Canada, nous regardons les choix qui s'offrent à nous. Nous réfléchissons à la façon de gérer nos bassins hydrologiques et à la façon de gérer notre eau potable. Dans des endroits comme le Manitoba, où il y a d'importants ruissellements d'origine agricole et une charge élevée d'éléments nutritifs dans les plus importants plans d'eau, nous devons réfléchir à la façon de gérer l'ensemble des bassins hydrologiques. Il y a évidemment d'autres facteurs qui entrent en ligne de compte en plus de la production alimentaire.

Le sénateur Mercer : Merci. Avant de terminer, je tiens à souligner que, si jamais nous trouvons quelqu'un qui est prêt à prendre cela au sérieux — le fait d'être prêt à nourrir plus de 9 milliards de personnes d'ici 2050 et d'essayer de trouver une façon d'y arriver — j'espère qu'il n'oubliera pas de faire participer des organisations comme Canards Illimités, parce que c'est important de ne pas avoir ce genre de discussion de façon isolée et de ne pas chercher nécessairement une solution rapide. Nous avons une culture et un pays à conserver aussi.

Le sénateur Plett : Le sénateur Mercer a déjà posé ma première question, et vous y avez répondu. C'était la suivante. De quelle façon pouvons-nous nourrir 9 milliards de personnes si nous éliminons des terres agricoles? Tout comme le sénateur Mercer, je soutiens vos efforts et ce que vous tentez de faire, mais, de toute évidence, avec le temps, le besoin de manger l'emportera sur le besoin de conserver les terres agricoles. C'est une réalité toute simple que nous devons accepter. Il faut trouver un juste équilibre, d'une façon ou d'une autre.

J'ai deux ou trois brèves questions, monsieur Stephens. Au point 31 de votre mémoire, vous parlez d'une servitude de conservation perpétuelle associée à un titre foncier. Pouvez-vous nous fournir de plus amples explications à ce sujet? Cela signifie-t-il que je ne peux pas cultiver de céréales sur ces terres si jamais j'achète la propriété? Pouvez-vous s'il vous plaît m'expliquer en quoi consiste exactement cette servitude perpétuelle?

M. Stephens : Voici comment fonctionne cette servitude perpétuelle : sur les propriétés que nous achetons, nous imposons une servitude sur les zones naturelles qui ont la plus grande valeur en raison des autres avantages qu'elles fournissent, et cette servitude est associée au titre de propriété. Lorsque la propriété change de mains, la servitude a pour effet de limiter les activités qu'on peut réaliser sur les zones visées.

L'autre caractéristique digne de mention, ici, c'est que lorsque nous imposons une servitude sur une propriété, puis que nous vendons la propriété, il y a actuellement une réduction du prix de revente qui s'élève à environ 30 p. 100. Nous tentons ainsi d'associer une valeur à la perte d'utilisation associée à la servitude. Lorsque nous revendons la propriété à un intérêt privé, la réduction des utilisations possibles est reflétée dans la valeur payée pour la propriété.

Le sénateur Plett : Bon nombre d'entre nous — et cela m'a à l'occasion causé des ennuis, et je ne suis pas le seul — ont tendance à demander pardon plutôt que de demander la permission. Si je suis propriétaire d'une terre et que je commence à éliminer des cultures fourragères afin de cultiver la terre, qu'est-ce qui arrivera plus tard? Je comprends ce que vous faites. Si on impose une servitude pour des services comme l'hydroélectricité, le téléphone ou le gaz, les responsables viendront creuser pour passer leur câble — parce que la servitude le leur permet — et s'il y a quelque chose dans leur chemin, évidemment, ils le déplaceront. Si les cultures fourragères ont été enlevées et remplacées par une culture de blé, qu'est-ce qui arrive?

M. Stephens : Il y a un très grand nombre d'acres qui font l'objet de servitudes. Nous interagissons avec les propriétaires terriens. Nous sommes habituellement informés lorsque la terre est vendue à un nouveau producteur. Nous essayons alors d'aller le rencontrer pour parler avec lui et lui expliquer en quoi consiste la servitude et de quelle façon elle fonctionne. Puisqu'elle est associée au titre foncier, c'est quelque chose qui devrait avoir été abordé dans le cadre du processus d'achat, c'est quelque chose qui devrait avoir été reconnu et compris, mais nous essayons de maintenir une relation avec les personnes à qui appartiennent les propriétés sur lesquelles il y a des servitudes.

S'il y a une violation de la structure de la servitude, nous allons rencontrer le producteur et essayer de régler le problème avec lui. Nous ne nous sommes jamais retrouvés devant les tribunaux ou en arbitrage en raison de violations de servitude. Nous avons toujours été capables de régler les problèmes directement avec les producteurs.

Le sénateur Plett : Il n'y a pas d'agriculteur qui vous attend avec des fusils de chasse?

M. Stephens : Non, jusqu'à présent, nous n'avons jamais eu de tels problèmes.

Le sénateur Plett : Parlant de fusils de chasse, vous avez parlé de la propriété du club de chasse. Je soutiens sans réserve ce type d'enjeu parce que, j'imagine, la propriété là-bas dont vous parlez sera probablement utilisée pour construire d'immenses propriétés résidentielles. Ce n'est peut-être pas le cas, mais c'est ce que j'imagine que les gens feraient dans ce type de zone, et je vous accorderais très certainement mon soutien. Nous n'avons peut-être pas besoin de grands manoirs près du lac, parce que ces terres sont là simplement pour le plaisir et une utilisation privée.

Nous avons rencontré des agriculteurs. Ils sont troublés par le fait que Canards Illimités achète des terres agricoles. Est-ce que Canards Illimités fait des profits lorsque l'organisme vend des propriétés? Les vendez-vous à perte? Selon moi, ce n'est assurément pas rentable d'acheter des terres agricoles pour en faire un endroit où on ne peut pas cultiver des céréales, pour ensuite les revendre. Ce ne doit pas être une pratique très rentable.

M. Stephens : Je peux répondre à cette question. Si vous me le permettez, je vais vous fournir un peu de renseignements sur le processus que nous utilisons lorsque nous achetons une propriété.

Le sénateur Plett : S'il vous plaît.

M. Stephens : La politique de notre conseil exige que nous obtenions des évaluations de la juste valeur marchande de la propriété. Le prix que nous pouvons payer pour les propriétés est limité en fonction de ces évaluations. Nous ne pouvons pas payer le montant que nous voulons; nous sommes limités par la valeur évaluée de la propriété.

Le sénateur Plett : Le prix doit être plus élevé lorsque vous achetez la terre que lorsque vous la revendez.

M. Stephens : C'est exact. Comme je l'ai dit, habituellement, lorsque nous achetons ces zones et que nous rétablissons certaines de ces valeurs naturelles, la réduction de valeurs de ces zones protégées est d'environ 30 p. 100. Nous réussissons à nous faire rembourser la valeur de la servitude grâce à certaines de nos autres sources de financement. Ces sources de financement nous payent pour protéger ces services issus de l'écosystème et ces autres valeurs, et nous utilisons donc ces paiements pour couvrir la perte.

Pour répondre à votre question, oui, dans la plupart des cas, la valeur de revente d'une propriété s'élève à environ 70 p. 100 de ce que nous avons payé pour l'acquérir.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Vous avez parlé plus tôt de l'étalement urbain, mais je crois que les promoteurs immobiliers ont l'obligation de conserver des zones protégées dans les nouveaux lotissements. Quelle est la proportion des activités que vous menez dans notre province?

Mark Gloutney, directeur des opérations régionales (région de l'Est), Canards Illimités Canada : Le financement au Québec représente environ 5 p. 100 de nos activités dans tout le pays. Nos activités portent principalement sur la restauration des milieux au bord du fleuve Saint-Laurent. Le lac Saint-Pierre est un endroit où nous travaillons beaucoup. Nous acquérons peu de terres agricoles au Québec, parce qu'elles sont réglementées par la Commission de protection du territoire agricole (CPTAQ). Nous n'avons pas le droit d'acquérir des terres agricoles, parce que nous sommes des non-résidents.

Il arrive que nous fassions l'acquisition de milieux humides sur le bord du fleuve qui sont considérés comme des zones agricoles. Dans ce cas, nous présentons une soumission à la CPTAQ dans laquelle nous indiquons les terres que nous souhaitons acquérir. La CPTAQ examine ensuite notre soumission. Parfois, on nous donne l'autorisation, parfois non. Les acquisitions visent surtout des zones non cultivables. Lorsque nous faisons l'acquisition d'une zone côtière, il arrive qu'une bande riveraine puisse être cultivée. À ce moment-là, nous travaillons avec des producteurs locaux pour déterminer ce que nous pouvons faire avec ces bandes.

Le sénateur Dagenais : Y a-t-il des provinces où vous avez plus de difficulté à faire progresser vos productions? Vous dites que ce n'est pas évident au Québec avec le gouvernement provincial. Y a-t-il d'autres provinces où c'est plus difficile de faire progresser vos productions?

M. Gloutney : Cela dépend de la région où nous travaillons. En Nouvelle-Écosse, lorsque nous faisons l'acquisition de zones côtières, il y a l'Agricultural Marshland Conservation Commission et ses organismes. Nous travaillons de concert avec ces derniers. Ils ont pour mission de protéger les activités agricoles menées dans les zones côtières où il y a beaucoup de digues. Dans ce genre de situation, nous travaillons étroitement avec les organismes de protection des marais. Canards Illimités Canada ne fait pas l'acquisition de zones à forte production agricole. Ce sont des zones à faible production. Par exemple, nous avons fait l'acquisition de 1 000 acres dans les marais de Tantramar, où seulement 240 acres avaient un potentiel agricole. Alors, nous les avons utilisés pour la production.

[Traduction]

La sénatrice Tardif : Merci de nous avoir présenté un exposé très intéressant. Vous avez piqué ma curiosité en parlant de votre programme de conservation des terres renouvelables. Le programme s'applique-t-il aussi aux terres utilisées pour le développement industriel? Je sais que vous travaillez en collaboration avec d'importants partenaires, comme Enbridge et Trans-Canada. De quelle façon le programme s'applique-t-il aux terres utilisées pour le développement industriel?

M. Stephens : Nous demandez-vous si nous achetons des terres pouvant être destinées à une utilisation industrielle?

La sénatrice Tardif : C'est exact.

M. Stephens : Nous ne l'avons pas fait. Habituellement, nos partenariats avec certaines sociétés comme Enbridge et tous les autres types de personnes avec lesquels nous créons des partenariats concernent la restauration ou le financement des travaux de restauration dans des terres naturelles, mais nous n'avons pas acheté des terres destinées précisément au développement industriel. Ce genre d'activités échappe à notre mandat, qui consiste à nous occuper des terres naturelles.

La sénatrice Tardif : Vous avez mentionné que ces intervenants vous aident sur le plan financier. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet, s'il vous plaît?

M. Stephens : Lorsque nous achetons des terres, il y a des coûts associés à la restauration des terres humides, la restauration des pâturages et ce genre de choses. Dans beaucoup de situations, des sociétés ont communiqué avec nous parce qu'elles cherchent des occasions d'aider à contrebalancer certaines des répercussions qu'elles ont dans d'autres endroits en participant aux activités de restauration ou en aidant à restaurer certains de ces biens et services environnementaux. Ces entités nous fournissent alors du financement. Nous trouvons les zones naturelles appropriées où réaliser certains travaux de restauration, et nous utilisons leur financement pour le faire.

La sénatrice Tardif : C'est les 30 p. 100 dont vous avez parlé en répondant aux questions du sénateur Plett, sur la différence?

M. Stephens : Oui. Les fonds peuvent être utilisés pour compenser la valeur de la servitude ou payer les coûts de restauration. Nous devons aussi payer nos employés qui vont sur le terrain pour travailler avec les producteurs et les entrepreneurs locaux pour réaliser les travaux de restauration. Donc, tous ces autres coûts sont couverts par nos diverses sources de financement.

La sénatrice Tardif : En ce qui concerne votre travail avec d'autres organisations scientifiques, vous avez mentionné être une organisation scientifique qui utilise divers outils. De quelle façon tirez-vous profit des travaux que vous réalisez avec d'autres organisations scientifiques?

M. Stephens : Nous mettons beaucoup l'accent à la fois sur notre expertise scientifique et sur nos travaux de conservation. Un certain nombre de choses liées à nos activités scientifiques peuvent présenter un certain intérêt.

Nous donnons des bourses de recherche à des étudiants qui poursuivent des études de maîtrise ou de doctorat et qui effectuent des recherches sur les zones naturelles et leurs avantages. Ce sont des bourses que nous offrons chaque année. Nous travaillons en collaboration avec des professeurs d'établissements universitaires partout au Canada pour coparrainer des étudiants qui recueillent ensuite des renseignements et réalisent des études sur les travaux de restauration et d'autres travaux que nous faisons sur le terrain.

Ce qui est peut-être le plus pertinent lorsqu'on pense à cette mise à profit, c'est que, habituellement, lorsque nous obtenons du financement, quelle que soit la source, nous utilisons normalement ces fonds comme levier et obtenons du financement de contrepartie d'autres sources. Si nous recevons un dollar d'une société, par exemple, nous obtiendrons un financement de contrepartie égal d'organismes gouvernementaux. À l'échelle internationale, il y a des fonds qui nous viennent des États-Unis, notre voisin du Sud. Dans tous les cas, il faut obtenir des fonds de contrepartie pour offrir une valeur accrue à tous nos partenaires qui nous fournissent ces fonds.

La sénatrice Tardif : Merci.

M. Gloutney : J'aimerais simplement ajouter quelque chose. Nous possédons notre propre équipe scientifique, à Winnipeg, l'Institut de recherche sur les terres humides et la sauvagine. Ces gens travaillent pour nous, mais ils travaillent aussi auprès de l'industrie et des producteurs agricoles pour aider à comprendre les nombreux aspects différents des travaux que nous faisons, qu'il soit question des conséquences des gains et services écologiques ou des conséquences de différents types d'activités sur le paysage. Nos intérêts sont assez variés, et nous ratissons assez large.

M. Brennan : Il va aussi sans dire que, depuis de nombreuses décennies, nous travaillons avec le Service canadien de la faune — les scientifiques, là-bas — et aussi avec les scientifiques du Fish and Wildlife Service des États-Unis.

Le sénateur Oh : Pour commencer, merci d'être là. Je tiens à souligner l'excellent travail que fait CIC. Je suis entré en contact pour la première fois avec CIC en 1982 ou 1983 par l'intermédiaire de l'artiste de la faune et conservationniste Robert Bateman, qui m'a fait connaître les timbres et les peintures de Canards Illimités. Vous faites de l'excellent travail depuis de nombreuses années.

Avez-vous une idée du nombre d'acres de milieux humides ou de terres de conservation que détient CIC à l'échelle du Canada?

M. Brennan : Parlez-vous uniquement des terres qui nous appartiennent ou simplement de celles où nous avons des accords de conservation en place?

Le sénateur Oh : Les deux, partout où vous intervenez. On parle de combien d'acres?

M. Brennan : Pour ce qui est des intérêts directs et ce que j'appellerais les « acres sur lesquels nous avons une influence », les endroits où nous avons travaillé de pair avec les gouvernements pour protéger de vastes étendues de terre, on parle d'environ 6,5 millions, ce que j'ai mentionné dans mon exposé. Pour ce qui est des terres qui nous appartiennent directement, nous détenons environ 405 000 acres de terre sur le territoire agricole total d'environ 60 millions d'hectares, au Canada.

Le sénateur Oh : Lorsque vous communiquez avec un agriculteur ou que vous faites l'acquisition de terres pour les restaurer, y a-t-il un genre de formule que vous devez maintenir pour pouvoir continuer? Lorsque la terre est vendue, y a-t-il un partage des profits ou peu importe ce que vous intégrez dans vos accords?

M. Stephens : Habituellement, lorsque nous achetons la propriété, nous nous fions à l'évaluation et nous versons aux producteurs la juste valeur marchande. Puis, nous utilisons nos sources de financement pour effectuer les travaux de restauration. Nous sommes indemnisés pour la valeur de la servitude, c'est-à-dire la réduction du prix. Ensuite, lorsque nous remettons la terre sur le marché, des producteurs individuels font des offres ou déterminent ce que la terre vaut, vu les restrictions imposées. Dans le passé, nous avons revendu les terres à environ 70 p. 100 de leur valeur originale.

C'est ce que la plupart des producteurs qui veulent acheter nos terres sont prêts à payer. C'est ce qui se passe au moment de l'achat.

Chaque fois que nous travaillons en collaboration avec un propriétaire terrien ou un producteur qui veut conserver sa terre lorsque nous ne faisons qu'être à leurs côtés pour les aider grâce à nos programmes et notre expertise à procéder aux travaux de restauration ou à faire ces genres de chose, oui, nous versons un paiement qui est fondé sur la valeur de location qu'il pourrait obtenir si la terre était consacrée à l'agriculture ou un pourcentage de la juste valeur marchande de la terre. C'est le fondement de la plupart de nos paiements incitatifs.

Le sénateur Oh : Par conséquent, en plus d'acheter et de vendre des terres et de les restaurer, vous en augmentez la valeur. D'où vient votre financement? Qui vous soutient? De quelle façon collectez-vous des fonds?

M. Brennan : Nous obtenons des fonds d'une diversité de sources. La source que vous connaissez probablement le mieux, c'est nos activités de collecte de fonds communautaire. Nous organisons environ 500 soupers de financement partout au Canada dans chaque province et chaque territoire. Nous avons aussi un programme de généreux bienfaiteurs dans le cadre duquel nous acceptons les dons de personnes qui soutiennent l'organisation. Nous recevons aussi du financement du gouvernement canadien, des gouvernements provinciaux et de certaines municipalités aussi, qui font des travaux de restauration, peu importe où.

Nous recevons aussi des fonds par l'intermédiaire du Plan nord-américain de gestion de la sauvagine, un accord trinational entre le Canada, les États-Unis et le Mexique. La sauvagine est considérée comme une ressource continentale, et les habitats dont ces animaux dépendent sont essentiels à la stabilité et la santé de ces ressources. Des fonds sont aussi recueillis par notre organisation sœur aux États-Unis, auxquels s'ajoutent les recettes de la vente des permis de pêche et de chasse aux États-Unis. Le gouvernement fédéral américain fournit des fonds de contrepartie aux revenus de vente et crée un fonds commun auquel nous avons accès afin de réaliser certains travaux de restauration au Canada.

Environ 70 p. 100 des oiseaux aquatiques de l'Amérique du Nord naissent et grandissent au Canada. C'est donc important, du point de vue de la gestion continentale, de gérer tout le cycle de vie et le cycle migratoire des oiseaux.

Le sénateur Plett : Je veux poursuivre rapidement sur la lancée de la dernière question du sénateur Oh et de votre réponse un peu évasive. Je crois que cela relève du domaine public, et j'aimerais savoir qui sont vos cinq principaux donateurs, à part les organisations gouvernementales. Il pourrait s'agir d'organisations — et je vais n'en nommer qu'une, mais je n'ai aucune idée de qui il s'agit — comme la Fondation David Suzuki. Qui sont vos cinq principaux donateurs?

M. Brennan : Je vais devoir vous revenir là-dessus. Je n'ai pas l'information à portée de main, à moins que mes collègues l'aient.

M. Stephens : À ma connaissance, nous ne recevons pas de fonds de la Fondation David Suzuki.

Le sénateur Plett : Je l'ai seulement utilisée en guise d'exemple. Je trouve étrange que vous ne connaissiez pas vos cinq principaux donateurs.

M. Brennan : Nous avons tendance à obtenir beaucoup de petits dons, monsieur le sénateur. Il est rare que nous recevions de gros dons importants. Les fonds ont plutôt tendance à venir des citoyens.

Habituellement, pour ce qui est du processus d'acquisition de terres, nous bénéficierons de l'engagement ciblé et précis d'importants bailleurs de fonds. Par exemple, dans le Sud de l'Alberta... Scott voudra peut-être vous parler du Buffalo Hills Conservation Ranch. Dans ce cas-là, nous avons bénéficié d'un important partenariat avec une société pétrolière et gazière.

M. Stephens : Dans le Sud de l'Alberta, il y avait un ranch en vente qui possédait d'importantes valeurs en ce qui a trait à l'habitat, et il avait été utilisé pour la production bovine. Le propriétaire voulait quitter le domaine de la production bovine et, par conséquent, grâce à un partenariat, nous avons pu acheter le ranch. D'importants fonds fédéraux étaient disponibles par l'intermédiaire du Service canadien de la faune et d'Environnement Canada. Ils étaient nos partenaires. Nous avons obtenu certains fonds de contrepartie des États-Unis, et Shell a aussi été un partenaire important dans cette initiative. L'organisation voulait compenser volontairement certaines des répercussions de ses efforts de production dans les régions plus au nord de l'Alberta, et elle voulait donc...

[Français]

Le président : Il reste 15 minutes, et 5 sénateurs ont demandé la parole. Je vais vous demander de raccourcir vos questions et vos réponses.

[Traduction]

Le sénateur Plett : Je vous demande d'envoyer votre liste de vos cinq principaux donateurs au greffier.

M. Brennan : Bien sûr.

Le sénateur Plett : Merci.

Le sénateur Woo : Je tiens à remercier les témoins de nous avoir présenté leur exposé. Ma question est concise et elle concerne la notion de biens et services issus de l'environnement et celle de savoir s'il y a une méthode que vous pouvez utiliser pour mesurer ou quantifier les BSE et — si je peux m'exprimer ainsi — classer en ordre d'importance relative les différentes zones humides qui offrent des BSE supérieurs et qui exigent une attention plus prioritaire.

M. Stephens : C'est une très bonne question. Mark a parlé de notre groupe scientifique, qui consacre aussi beaucoup de temps pour quantifier ces biens et services écologiques. Au cours des 10 dernières années, nous nous sommes efforcés de quantifier les biens et services écologiques comme le nombre de nutriments éliminés par les terres humides, le stockage du carbone et la quantité d'eau emmagasinée du point de vue des inondations. Ce sont des choses que nous avons quantifiées. Nous savons, par acre, pour chaque acre de terre humide que nous pouvons restaurer, quels sont les avantages en ce qui a trait au carbone, aux nutriments et à ce genre de choses. Nous pouvons ensuite examiner des étendues de terre individuelles et les classer au sein d'un bassin hydrologique.

Nous créons cette information en travaillant en collaboration avec des partenaires universitaires. En fait, cette semaine, un groupe de partenaires de partout au pays se rencontrent pour parler des biens et services écologiques, ici, en ville. Et ils se demandent aussi de quelle façon on peut les classer et faire ce genre de choses. Ce sont des renseignements qui sont accessibles. Je suis sûr que nous continuerons à en savoir plus et serons en mesure de mieux quantifier cela à l'avenir, mais certains renseignements sont déjà accessibles.

[Français]

La sénatrice Gagné : Merci pour votre présentation, que j'ai trouvée très intéressante et enrichissante. Bravo pour le travail que vous faites!

[Traduction]

J'aimerais revenir au programme de conservation des terres renouvelables. Pouvez-vous nous dire le pourcentage de terres agricoles acquises par votre organisation qui retourne entre les mains du producteur, et faites-vous le suivi de ce qui se produit après la vente des terres?

M. Stephens : Je dois dire une chose : historiquement, notre modèle consistait à acheter la terre, à la conserver pour toujours et à en assurer la gestion. Nous avons reconnu qu'il y avait un certain nombre de défis associés à cette méthode. Pour commencer, il est coûteux de maintenir ces terres, et nous nous sommes rapidement rendu compte que nous n'arrivions pas à avoir un impact sur des acres à l'échelle du pays de façon à avoir une incidence réelle sur la biodiversité et les biens et services écologiques dont nous avons parlé, et nous avons donc changé notre fusil d'épaule, et notre politique générale actuelle, c'est que, sauf s'il y a une exigence liée au financement ou d'autres exigences, toutes les terres que nous achetons seront remises en état et revendues. C'est ce que nous faisons depuis environ trois ans.

Les propriétés que nous achetons sont revendues à des intérêts privés. Parfois, nous aurons des partenaires de financement — peut-être des gouvernements provinciaux — qui nous demandent de conserver la terre ou de nous assurer que quelqu'un d'autre la conserve afin que le public puisse y avoir accès et ce genre de chose. Cependant, s'il n'y a pas de telles restrictions, toutes les terres sont revendues à des intérêts privés. Les chiffres que nous vous avons fournis dans notre déclaration décrivent là où nous en sommes rendus dans le cadre de ce processus. Il faut habituellement deux ou trois ans pour procéder aux travaux de restauration de façon à ce que les terres soient prêtes à être revendues, mais toutes les terres visées par notre programme de terres renouvelables seront au bout du compte revendues à des intérêts privés.

La sénatrice Gagné : Les terres retournent au milieu agricole?

M. Stephens : Oui, c'est le cas. Même les terres que nous possédons et conservons sont louées à des producteurs locaux à des fins de fourrage et de pâturage. La production agricole se poursuit sur ces terres.

La sénatrice Gagné : J'ai une autre question à vous poser au sujet de votre programme de dons. Je remarque sur votre site web que vous acceptez les dons de terres.

M. Stephens : C'est effectivement le cas.

La sénatrice Gagné : Ce programme a-t-il du succès?

M. Stephens : Nous avons constaté un certain intérêt à cet égard à l'échelle du pays. Il y a des propriétaires terriens dont les valeurs sont similaires aux nôtres et ils considèrent cela comme un héritage. Ils veulent que leur terre soit protégée et qu'elle reste dans un état naturel.

Lorsque ces personnes communiquent avec nous, nous devons nous assurer que leur terre respecte nos domaines de priorité et possède d'importantes valeurs en matière de biodiversité qui nous intéressent. Nous n'acceptons pas les propositions de tous ceux qui viennent nous voir, mais si les terres correspondent à notre mandat, nous acceptons les offres. Très souvent, ces donateurs nous demandent de conserver les terres pour toujours et de ne pas les revendre, parce qu'ils veulent que les valeurs soient protégées et que les terres soient accessibles au public. C'est relativement à petite échelle. Deux ou trois centaines d'acres peuvent nous être données tous les deux ans. Ce n'est pas un gros programme.

Le sénateur Gold : Votre dernière réponse a probablement rendu ma question moins pertinente, mais elle concerne la loi des conséquences involontaires. Le travail que vous faites est fondamentalement important et j'y adhère complètement.

Pouvez-vous formuler des commentaires sur le scénario hypothétique suivant, même si ce n'est pas une situation qui se produit souvent : un propriétaire terrien possède une terre en zone agricole, et il y a des terres humides dessus. Si le propriétaire veut faire modifier le zonage en vue d'un important lotissement résidentiel aux abords d'une grande ville, il communiquera avec vous pour vous donner la zone où se trouvent les terres humides, et il obtiendra par le fait même un allègement fiscal ou un crédit d'impôt, puis il ira voir la municipalité ou l'autorité régionale et proposera son idée de développement, qui exige toujours des espaces verts ou des zones tampons. Les terres humides deviennent cet espace vert ou cette zone tampon, et la terre agricole est alors plus susceptible — parce que ce n'est jamais facile — d'être rezonée. Et la terre agricole est remplacée par des condos, des immeubles de bureaux et des parcs industriels. Nous avons conservé les terres humides, mais vous avez peut-être, par inadvertance et de façon non intentionnelle, participé à la transformation de terres agricoles en zone bétonnée. Êtes-vous préoccupé par un tel scénario? Est-ce un scénario réaliste ou est-ce que je m'en fais trop?

M. Stephens : Je dirais que, si l'intention, c'est de transformer les terres en un lotissement, nous accorderions habituellement moins de valeur liée à la biodiversité à ces terres humides.

Cependant, nous avons un groupe qui travaille contre honoraires et fournit des services écologiques et de restauration en milieu urbain. Ce n'est pas au cœur de notre mandat, mais les membres de cette équipe fournissent ce genre de services à ces promoteurs afin que les bassins qui recueillent les eaux de ruissellement soient aménagés de façon écologique et exigent moins d'entretien. Nous participons dans de tels cas, mais, habituellement, nous ne protégerions pas des eaux humides s'il y avait un lotissement immobilier, simplement parce que, en raison du lotissement et de toutes les activités, la valeur liée à la biodiversité serait inférieure. Ce n'est pas le genre de situation à laquelle nous voudrions participer, en tout cas, je ne crois pas.

M. Gloutney : Nous partageons votre préoccupation. Je crois que c'est aussi simple que cela. L'impact sur les terres autour des villes est considérable, et cela influe sur l'ensemble des terres. Des maisons poussent là où des plantes poussaient avant. Il faut réfléchir à tout ce que cela signifie et à la façon dont nous réagirons en tant que société à cette nouvelle pression sur le paysage. De quelle façon pouvons-nous trouver et définir un juste équilibre approprié pour le développement urbain et l'expansion et la croissance économique, tout en reconnaissant que l'expansion est en cours dans certaines des terres qui ont le plus de valeur au Canada.

M. Brennan : Ce sont des questions que l'on pose partout au pays, mais particulièrement dans l'Est où la ceinture verte passe par le Sud de l'Ontario là où elle devait border le développement qui a eu lieu dans la RGT. Au cours des 10 à 15 dernières années, nous avons constaté que les lotissements se sont poursuivis de l'autre côté de la ceinture verte. Dans certaines zones où, précédemment, nous avons réalisé beaucoup de travaux, des zones qui étaient des priorités pour nous, nous constatons de plus en plus le genre de choses dont vous avez parlé. C'est donc de toute évidence un problème.

Le sénateur Pratte : Afin d'aborder directement le sujet de notre étude... vous travaillez sur le terrain depuis très longtemps. Selon vous, quels sont les principaux facteurs expliquant l'augmentation de la valeur des terres agricoles et des terres humides associées à ces terres agricoles et la perte de terres agricoles au cours des récentes années, surtout en raison de l'augmentation des prix? Je ne doute pas de vos intentions, mais certains témoins ont déclaré que vous faites partie du problème, comme vous le savez. Donc, faites-vous partie du problème? Cependant, pour commencer, j'aimerais que vous nous parliez des principaux facteurs expliquant l'augmentation des prix.

M. Brennan : Je crois que c'est une très bonne question. Tout dépend des activités actuelles sur le marché. Il y a 10 ou 15 ans, c'était les investisseurs étrangers qui venaient présenter des offres pour acheter nos terres agricoles. Les terres agricoles sont extrêmement onéreuses en Europe, par exemple, et il y avait pas mal d'intérêt. Au départ, j'œuvrais dans le secteur de l'immobilier. Les investisseurs étrangers voulaient vraiment acheter des terres agricoles et, par conséquent, il y avait plus de demandes dans le marché.

Pour ce qui est des autres facteurs, les prix des produits de base sont à des niveaux record, et ce, depuis un certain temps. Cela exerce une pression sur les terres. Pour ce qui est des répercussions associées à la conservation, nous avons une incidence sur environ 0,3 p. 100 des terres agricoles du Canada. Nous possédons environ 0,3 p. 100 des terres agricoles canadiennes. Je crois que ces chiffres parlent d'eux-mêmes.

Le sénateur Pratte : Pourriez-vous avoir une incidence locale?

M. Brennan : Bien sûr. Il y a une valeur extrêmement élevée liée à la sauvagine — c'est là où nous voulons cibler nos efforts —, il ne fait aucun doute que nous pourrions avoir un impact dans de petites zones, mais, dans l'ensemble, je crois qu'il serait juste de dire que nous n'avons pas un impact important, c'est l'évidence même.

M. Stephens : En ce qui concerne les prix, j'aimerais préciser que je ne crois pas que nous ayons un impact sur les prix. En moyenne, nous regardons le nombre de propriétés vendues publiquement pour lesquelles nous présentons une offre. Nous remportons le processus dans environ 30 p. 100 des cas. C'est souvent lorsque les producteurs viennent nous voir et veulent nous vendre directement la terre. Lorsque nous participons à un processus non sollicité, notre offre est acceptée environ 9 p. 100 du temps. C'est en raison de nos politiques. Nous devons fonder nos prix sur la valeur de l'évaluation. Les évaluations sont toujours un peu inférieures au prix courant. Cette idée selon laquelle nous faisons monter les prix est fausse. Ça ne semble pas possible vu le nombre de terres que nous achetons et la façon dont nous procédons.

Le sénateur Pratte : Merci.

[Français]

Le président : Si vous me le permettez, sénateur Mercer, j'aurais une petite question à poser à notre groupe. Je vous rassure, messieurs, je ne suis pas un chasseur de canard. Cependant, je suis un pêcheur de saumon. Vous acquiescez d'un signe de tête, mais vous êtes certainement au courant du fait que les rivières à saumon de l'Est du Canada n'apprécient pas nécessairement certaines de vos espèces de canards qui, malheureusement, se nourrissent des tacons. Les pisciculteurs font des efforts extraordinaires pour repeupler les rivières à saumon. Leur constat, c'est que ce ne sont pas les pêcheurs qui déciment les rivières à saumon, mais bien vos canards.

Cela dit, quel genre de relation entretenez-vous avec les associations de protection du saumon de l'Atlantique?

M. Gloutney : Ce n'est pas la première fois qu'on nous pose cette question.

Le président : Je n'en doute pas.

M. Gloutney : Vous avez raison. Malheureusement, les canards sont piscivores, ils aiment le poisson. Plusieurs études en ce qui a trait à la diète des canards confirment qu'ils mangent de temps en temps du saumon. Cependant, cela ne constitue pas la part la plus importante de leur nourriture, dans le sens qu'ils ne mangent pas seulement du saumon et de la truite; ils mangent surtout de tout petits poissons.

Nous collaborons avec la Fédération du saumon atlantique, parce que nous croyons qu'il est important de protéger les milieux humides et les saumons. Nous misons sur la conservation de l'habitat pour maintenir la qualité des rivières.

Le président : Heureusement, les aigles américains rétablissent les faits et causes, c'est-à-dire qu'ils mangent vos canards de temps en temps.

M. Gloutney : Exactement.

[Traduction]

Le sénateur Mercer : Messieurs, j'ai passé une bonne partie de ma carrière en tant que responsable des campagnes de financement pour certaines des plus importantes organisations de bienfaisance du Canada, et c'est encore une question liée à la collecte de fonds que je vais vous poser, mais je m'intéresse davantage au marché. Le marché de la collecte de fonds a toujours été bondé, et, dans le domaine de la conservation, il n'y a, en fait, que deux joueurs majeurs au pays. Est-ce que vous travaillez de pair avec l'autre organisation lorsque vous voyez une situation que vous ne pouvez pas gérer, mais dont elle pourrait s'occuper, et vice-versa?

M. Brennan : Absolument. Je crois que ce que vous dites s'appliquait peut-être plus il y a 10 ou 15 ans. Il y a de nombreux intervenants dans le domaine de la conservation actuellement. Nous travaillons en collaboration sur un certain nombre de fronts avec l'ensemble des grands intervenants dans le domaine au Canada par l'intermédiaire de nos travaux au sein de la Coalition du budget vert. Nous avons travaillé en collaboration avec de nombreux intervenants qui, historiquement, ont participé aux travaux du Comité consultatif sur la chasse et la pêche. Ce sont les plus importantes organisations de conservation du Canada et, dans certains cas, d'Amérique du Nord.

Nous avons une relation synergique positive avec eux. Leurs mission et objectifs sont différents des nôtres. Nous mettons beaucoup plus l'accent sur les travaux de conservation des terres humides, et ils ont tendance à s'occuper d'autres domaines. Certains autres intervenants mettent beaucoup l'accent sur l'acquisition de terres. Notre modèle consiste davantage à travailler auprès des propriétaires terriens partenaires individuels et, comme Scott l'a souligné, à limiter l'incidence de nos acquisitions pour des motifs économiques. Cependant, du point de vue stratégique, nous travaillons beaucoup en collaboration sur ce front.

Le sénateur Mercer : Et les répercussions fiscales pour la municipalité, c'est que la terre que vous achetez soit retirée du rôle d'imposition?

M. Brennan : Non, nous obtenons une réduction. Nous obtenons un taux d'imposition préférentiel pour des raisons de conservation et liées à l'environnement.

Le sénateur Ogilvie : Je tiens à formuler un commentaire très positif au sujet de Canards Illimités. Je viens de la Nouvelle-Écosse. Je connais très bien un certain nombre de vos activités en Nouvelle-Écosse et au Nouveau-Brunswick et l'incroyable travail que vous avez fait pour récupérer des zones humides dans des zones développées de Kentville et en Nouvelle-Écosse en général. Il y avait une importante zone au milieu de la ville où il ne se passait rien, et c'est maintenant l'un des sites les plus populaires où faire une promenade, se rendre en famille et ainsi de suite. C'est en plein milieu de la ville.

Dans les zones agricoles, il y avait des bourbiers qu'on avait tout simplement abandonnés et qui étaient inappropriés pour la migration des poissons et ce genre de choses. Vous réalisez des activités de restauration partout dans les marais Tantramar et ailleurs et à l'échelle de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick. Je crois que vous faites du travail exceptionnel dans ces domaines, du travail qui est extrêmement bénéfique non seulement pour les habitats naturels, mais pour nous, les citoyens. Merci.

M. Stephens : Merci.

M. Gloutney : Merci. 4 000 personnes ont participé à l'exposition de citrouilles dans le Miners Marsh, à Kentville.

Le sénateur Ogilvie : C'est un exemple.

Le sénateur Plett : Je serai bref. Je veux formuler un bref commentaire. Le sénateur Maltais a mentionné le fait que les canards ne sont pas toujours les amis des poissons. Je reste près des bureaux de la Monnaie royale canadienne, à Winnipeg, directement dans la trajectoire de vol des canards, et il y a donc d'autres raisons pour lesquelles certaines personnes n'aiment pas nécessairement les canards. Ce n'est pas la raison de ce qu'ils mangent, mais pour d'autres raisons.

Ma question est la suivante : selon Statistique Canada, près du tiers des 19,6 millions d'hectares de terres agricoles du Canada constituent des habitats importants pour la faune. Si nous devions prendre tous les habitats fauniques pouvant être utilisés à des fins agricoles... et, de toute évidence, ce n'est pas tout. Le sénateur Ogilvie a parlé des marais et de ce genre de choses. On peut les utiliser à cette fin, mais on ne peut pas les utiliser à des fins d'agriculture... combien de terres agricoles de plus y aurait-il si on éliminait tous les fourrages pouvant servir à des fins agricoles? Si vous n'avez pas la réponse, pouvez-vous essayer de nous en fournir une plus tard?

M. Stephens : Oui.

Le sénateur Plett : Ce serait parfait de le faire par l'intermédiaire du greffier. Merci beaucoup.

M. Brennan : Je crois que nous devons avoir une discussion à ce sujet. Je n'ai pas de réponse à brûle-pourpoint.

Le sénateur Plett : C'est parfait. Nous aimerions connaître l'ampleur du problème. Les agriculteurs disent que vous en utilisez trop, et vous dites que vous n'en utilisez pas assez, alors nous aimerions avoir le nombre. Merci.

[Français]

Le président : Vous pourrez faire parvenir les renseignements à notre greffier lorsque vous les aurez.

M. Brennan : Certainement.

[Traduction]

La sénatrice Beyak : Je tiens moi aussi, comme le sénateur Ogilvie, à vous remercier de tout ce que vous avez fait dans le nord-ouest de l'Ontario aussi. Notre circonscription longe la frontière du Manitoba, du Minnesota et de l'Ontario. Vous êtes un peu des dieux là-bas. Je vous remercie donc beaucoup.

Le sénateur Plett : Vous avez de très belles peintures dans tous les hôtels.

[Français]

Le président : Je vous remercie, messieurs, de vos témoignages très instructifs. Nous souhaitons qu'à l'avenir les canards s'entendent mieux avec les saumons.

Pour la prochaine partie de notre réunion, nous recevons M. Wally Johnston, vice-président du développement des affaires de Bonnefield Financial Inc., et par vidéoconférence, M. Tom Eisenhauer, président et chef de la direction.

[Traduction]

Bienvenue, messieurs. Monsieur Johnston, vous avez la parole.

Wally Johnston, vice-président, Développement des affaires, Bonnefield Financial Inc. : Au nom de Bonnefield Financial, merci de nous recevoir. Sur l'écran, vous voyez M. Tom Eisenhauer, président de Bonnefield Financial; c'est lui qui fera la déclaration préliminaire.

Tom Eisenhauer, président et chef de la direction, Bonnefield Financial Inc. : Mesdames et messieurs, je vous remercie. C'est un honneur de comparaître aujourd'hui devant vous. Je m'appelle Tom Eisenhauer et je suis PDG de Bonnefield Financial. Je suis désolé de ne pouvoir comparaître en personne ce matin. Toutefois, comme vous le savez, mon ami et collègue Wally Johnston est avec vous. Wally représente la cinquième génération d'une famille d'agriculteurs de la vallée de l'Outaouais. Il est en outre vice-président du développement commercial chez Bonnefield.

Wally et moi, ainsi que nos partenaires de Bonnefield, avons fondé notre entreprise en 2009 par suite d'un sentiment de frustration. Dans les années 2000, l'une de nos sociétés sœurs, Manderley Turf Products, la plus importante productrice de pelouse en plaque du Canada, se trouvait dans une situation connue de nombre d'agriculteurs canadiens. Nous devions réduire notre endettement et trouver d'autres capitaux pour prospérer. Nous avons donc essayé de conclure un accord de cession-bail, à l'instar de nombreuses entreprises non agricoles. Autrement dit, nous voulions trouver un investisseur prêt à acheter une partie de nos terres, puis à nous les louer aux termes d'un bail sûr à long terme, de sorte que nous puissions utiliser les produits de la vente pour réduire notre endettement et financer la croissance de Manderley.

Comme vous le savez probablement, ce genre d'accord financier est monnaie courante dans des secteurs comme l'immobilier commercial, l'industrie hôtelière, la fabrication et les compagnies aériennes; même les banques canadiennes utilisent parfois la cession-bail pour financer leurs activités. Cependant, à notre grande surprise et frustration, aucun investisseur canadien n'était alors disposé ou en mesure de fournir un financement de cession-bail pour des terres agricoles. C'est pourquoi nous avons fondé Bonnefield en 2009.

Depuis lors, nous avons recueilli plus de 400 millions de dollars exclusivement auprès de particuliers canadiens et de fonds de pension canadiens. Nous avons utilisé ces capitaux pour organiser des transactions de vente et de cession-bail avec des familles agricoles canadiennes de la Colombie-Britannique, de l'Alberta, de la Saskatchewan, du Manitoba, de l'Ontario, du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse.

À ce jour, nous avons aidé plus de 75 familles d'agriculteurs canadiennes à réduire leur endettement ou à transférer leur entreprise agricole d'une génération à l'autre. Nous avons aidé de jeunes agriculteurs à prendre de l'expansion sans trop recourir à l'endettement; nous leur avons assuré un accès sûr à long terme aux terres agricoles qu'ils avaient déjà louées à d'autres personnes à court terme et sans garantie.

Au cours de ce processus, nous avons, jusqu'à présent, protégé plus de 80 000 acres d'excellentes terres agricoles au Canada et fait en sorte qu'elles demeurent indéfiniment des terres agricoles et qu'elles soient surveillées, entretenues et exploitées de manière durable et responsable sur le plan écologique. Bref, nous avons élaboré un modèle commercial qui utilise des capitaux de particuliers et de pensionnés canadiens pour soutenir les familles agricoles canadiennes et protéger les terres agricoles du Canada.

La principale raison de notre présence ici, c'est pour vous demander de promouvoir des règlements responsables et fondés sur des données probantes visant à protéger nos terres agricoles, tout en veillant à ce que les agriculteurs aient amplement accès aux capitaux, y compris au capital institutionnel, dont ils ont besoin pour exploiter leur entreprise de manière rentable.

Je voudrais maintenant aborder cinq points essentiels dont nous aimerions que le comité sénatorial tienne compte dans son étude.

Premier point : ce sont les agriculteurs, et non les investisseurs, qui fixent le prix des terres agricoles au Canada. Ce point a été soulevé par des témoins précédents qui ont comparu devant votre comité, notamment, par J.P. Gervais, économiste en chef de Financement agricole Canada. M. Gervais nous avait fait remarquer que la plupart des transactions de terres agricoles au Canada se font entre agriculteurs, et que le petit nombre d'achats effectués par des investisseurs au Canada est insuffisant pour faire baisser les prix des terres agricoles.

Voici d'autres données probantes à l'appui de ce constat. Vous voyez sur la diapositive 2 du document que nous vous avons fourni que, d'après les données du recensement agricole de Statistique Canada, la valeur totale des terres agricoles au Canada s'élève à environ 400 milliards de dollars. Selon les estimations internes de Bonnefield, fondées sur la cartographie actuelle des terres plutôt que sur les résultats de l'enquête, cette valeur serait peut-être même beaucoup plus élevée et pourrait atteindre jusqu'à 590 milliards de dollars. En comparaison, le montant total investi par des investisseurs institutionnels et fortunés dans les terres agricoles au Canada au cours des 10 dernières années ne s'élèverait qu'à environ 1 milliard de dollars.

On peut en déduire que moins de 0,25 p. 100 des terres agricoles canadiennes seraient détenues par des investisseurs. Il n'est tout simplement pas crédible d'affirmer que les achats de terres agricoles par des investisseurs, qui selon nous ne représenteraient que de 0,5 à 1 p. 100 de l'ensemble des transactions de terres agricoles d'une année donnée, pourraient influer sur les prix dans un marché pouvant s'élever à un demi-billion de dollars.

Je voudrais également réitérer un point soulevé devant votre comité par Michael Hoffort, PDG de Financement agricole Canada, qui disait que les producteurs agricoles sont parfois prêts à payer des prix beaucoup plus élevés que les investisseurs, surtout si une parcelle de terre devient disponible à proximité de leur entreprise agricole ou si elle répond à leurs besoins. Un investisseur rationnel, d'autre part, doit être prêt à ne pas payer plus pour une parcelle de terre agricole que la valeur capitalisée de la rente durable provenant de ces terres. Ainsi, contrairement à l'opinion populaire, les investisseurs, en particulier les investisseurs institutionnels, peuvent servir à modérer la hausse des prix des terres agricoles sur certains marchés.

Deuxième point : les récentes hausses de prix des terres agricoles au Canada résultent, à quelques rares exceptions près, de la hausse des bénéfices agricoles et sont proportionnelles à l'augmentation des profits.

La diapositive 3 du document que nous vous avons fourni compare la variation du prix moyen par acre des terres agricoles du Canada, la ligne grise, avec les recettes des cultures par acre, la ligne verte. Vous voyez que le revenu agricole a augmenté de façon spectaculaire au cours des quatre dernières décennies, en particulier ces 10 dernières années. Entre 2005 et 2015, le revenu agricole canadien a plus que doublé, passant de 6,8 milliards à 15 milliards de dollars. Vous voyez également que le prix des terres agricoles a augmenté en parallèle avec les revenus agricoles. En effet, les prix des terres agricoles demeurent aussi abordables aujourd'hui, par rapport au revenu, qu'il y a 10 ans.

Tout comme M. Hoffort de Financement agricole Canada l'avait affirmé devant votre comité, nous croyons que la valeur élevée des terres témoigne de la santé financière du secteur agricole et ne représente ni un avertissement, ni une menace pour la rentabilité des exploitations agricoles.

Troisième point : l'exploitation agricole est une activité fortement capitalistique, et les agriculteurs canadiens ont besoin d'accéder à un vaste éventail de sources de capitaux — y compris à des investisseurs institutionnels — pour financer leurs entreprises et demeurer concurrentiels sur le plan international

Au Canada, le secteur de l'agriculture est principalement constitué d'entreprises dirigées par des familles agricoles, petites et grandes. Certaines de ces familles dirigent des entreprises de très grande taille, très complexes, mais, contrairement à la croyance populaire, le secteur ne compte que très peu, voire aucun, conglomérat d'entreprises exploitant des fermes au Canada. Les familles agricoles canadiennes se retrouvent néanmoins en concurrence avec des conglomérats étrangers bien capitalisés et produisant à faible coût, lorsqu'elles vont vendre leurs produits sur les marchés mondiaux, de même que sur les marchés canadiens, où elles entrent en concurrence avec les importations à bas prix.

Pour devenir et demeurer concurrentielles, les familles agricoles canadiennes ont besoin de produire à plus grande échelle, d'accroître leur efficience et d'accéder au capital. Néanmoins, la principale lacune entraînant un désavantage concurrentiel important pour les agriculteurs canadiens est sans conteste le manque d'accès à un large éventail de capitaux auprès d'investisseurs. D'ailleurs, nos partenaires agricoles ne cessent de s'en plaindre. Ils ont besoin d'abord et avant tout d'un accès aux capitaux.

Comme d'autres témoins vous l'ont dit, ce problème est particulièrement criant pour les jeunes agriculteurs. Nous entendons souvent dire qu'il n'y a pas assez de jeunes agriculteurs au Canada. Permettez-moi de ne pas être d'accord. Je pense que de nombreux jeunes aimeraient être agriculteurs, mais qu'ils ne veulent pas d'une exploitation à petite échelle, constamment sous-financée, lourdement endettée et financièrement précaire. Il ne faut pas oublier que, pour optimiser sa récolte, un cultivateur de canola, de blé ou de lentilles de l'Ouest canadien doit avoir accès à au moins 3 000 acres de terres agricoles, voire davantage. Dans l'Est canadien, un jeune cultivateur de maïs et de soja a probablement besoin de 1 000 acres ou plus pour optimiser l'utilisation de toute une panoplie d'équipements agricoles modernes

Souvent, le capital requis pour créer et exploiter une entreprise agricole rentable est tout simplement hors de la portée de nombreux jeunes agriculteurs. C'est pourquoi les jeunes agriculteurs quittent souvent leurs fermes pour se trouver un emploi ailleurs, abandonnant les petites villes aux personnes âgées et privant nos collectivités agricoles de jeunes gens d'affaires dynamiques

C'est la raison pour laquelle nous demandons instamment au comité sénatorial de promouvoir une réglementation en matière de propriété des terres agricoles qui tout à la fois consacrerait les terres agricoles à l'agriculture et encouragerait de nouvelles sources diversifiées de capitaux à investir dans le secteur, en particulier les capitaux institutionnels qui permettent aux entreprises de s'agrandir et de produire à une échelle assez grande pour combler cette grave lacune d'un grand secteur.

Le Canada accuse un important retard sur des pays comme les États-Unis, l'Australie et la plupart des pays d'Amérique du Sud et d'Europe, quant à la profondeur et à la gamme des véhicules de financement offerts aux agriculteurs. Financement agricole Canada et les banques à charte font un travail remarquable en matière de prêts aux agriculteurs canadiens, mais les entreprises de cession-bail comme Bonnefield jouent également un rôle important en fournissant une solution de remplacement à l'endettement. Le secteur a également besoin de souscripteurs privés, de fournisseurs de prêts subordonnés, de sociétés de flux de rentrées, d'entreprises de location de matériel, de coopératives et d'autres investisseurs novateurs. Bref, les agriculteurs devraient avoir le même accès au capital d'investissement que les autres industries canadiennes.

Mon quatrième point est de loin le plus important : la plus grande menace pour les terres agricoles du Canada réside non pas dans l'identité de leurs propriétaires, mais dans l'urbanisation, le rezonage et la conversion de terres agricoles aux fins du développement immobilier, de l'exploitation de carrières et des usages industriels. En effet, notre plus importante transaction à ce jour a été l'achat, en 2013, de vastes terres agricoles, principalement de catégorie 1, situées dans le comté de Dufferin, en Ontario, à un fonds de couverture des États-Unis qui voulait les convertir pour en faire la plus grande carrière de granulats en Amérique du Nord. Je suis fier d'annoncer que, trois ans après cet achat, qui s'est fait, je le souligne, à l'aide de capitaux institutionnels, les terres sont maintenant durablement exploitées par six familles agricoles de la région. Quelque 30 bâtiments agricoles et 24 maisons, pour la plupart vacants et dans divers états de démolition et d'abandon, ont été réparés et vendus et sont maintenant occupés par des familles qui contribuent à l'assiette fiscale de la région dans une collectivité locale dynamique et en pleine croissance.

Nous sommes fiers de soutenir et de travailler avec des groupes locaux tels que Food & Water First et la North Dufferin Agricultural and Community Taskforce, qui sont des exemples de groupes communautaires locaux ouverts à l'investissement institutionnel comme moyen de protéger et d'améliorer leurs collectivités agricoles locales, et qui offrent un modèle fantastique des bonnes façons de faire à d'autres collectivités agricoles canadiennes, lesquelles font face aux mêmes menaces à leurs ressources en terres agricoles et en eau.

Selon Statistique Canada, 2,4 millions d'acres — soit près de 3 p. 100 des terres arables du Canada — ont été perdues entre 2001 et 2011 seulement, principalement en raison de l'urbanisation. Pensez-y un instant. Cette donnée statistique stupéfiante éclipse toutes les autres menaces qui pèsent sur les terres agricoles du Canada.

Notons cependant que les investisseurs institutionnels et étrangers ne sont pas les seuls à menacer de convertir et de réaménager les terres agricoles. Il existe un vieil adage selon lequel les agriculteurs sont pauvres en flux de trésorerie, mais riches en actifs. Comme David Connell, de l'Université du Nord de la Colombie-Britannique, l'a mentionné à votre comité, en novembre, les agriculteurs — en particulier ceux qui ont décidé de prendre leur retraite ou qui vivent en marge des centres urbains — ont parfois la tentation perverse de tenter de modifier le zonage de leurs terres afin de les vendre à des promoteurs. Un financement de cession-bail comme celui offert par Bonnefield contribuerait à résoudre ce problème. Grâce à une cession-bail, une famille agricole a la possibilité d'accéder à une partie de la valeur nette de ses terres, sans avoir à les vendre à un promoteur.

Il est cependant remarquablement simple de préserver et de protéger nos terres agricoles contre les menaces très réelles de l'urbanisation et du rezonage. Il suffit d'ajouter un simple règlement. Il n'est pas non plus nécessaire de modifier les régimes de propriété des terres agricoles. Les comités sénatoriaux n'ont pas à examiner en profondeur les politiques agricoles. Il suffit d'appliquer les règlements de zonage en vigueur dans chaque municipalité, et ce, dans toutes les régions agricoles du Canada.

Nous croyons que le changement de zonage des terres agricoles de haute qualité pour un usage non agricole devrait être expressément interdit partout au Canada. Les demandes de modification du zonage de terres agricoles ne devraient pas être du ressort de fonctionnaires non élus, comme c'est le cas de la CAMO en Ontario, ou d'élus municipaux qui favorisent souvent le changement de zonage comme moyen d'augmenter leur assiette fiscale. Nous recommandons l'interdiction des demandes de modification de zonage pour les terres agricoles de haute qualité, sauf si elles sont autorisées par des représentants gouvernementaux élus aux plus hauts échelons et, le cas échéant, uniquement dans des circonstances exceptionnelles jugées d'intérêt national.

Mon dernier point sera bref. La propriété étrangère de terres agricoles n'est pas un problème répandu au Canada. Comme d'autres témoins l'ont dit à maintes reprises à votre comité, il n'existe pas de données fiables sur la propriété étrangère des terres agricoles dans notre pays, et nous devons commencer à recueillir et à surveiller ce genre de données. Cela dit, du peu que l'on sait, il semble que le taux de propriété étrangère soit faible dans la plupart des régions agricoles du Canada.

Nous avons inclus dans vos documents un article de Brady Deaton fils, sur une enquête menée par l'Université de Guelph, qui estime à environ 1 p. 100 le pourcentage des terres agricoles appartenant à des non-Canadiens en Ontario, où la propriété étrangère n'est pas limitée. L'expérience de Bonnefield abonde dans le même sens. Au cours des six dernières années, nous avons examiné de près des centaines, voire des milliers de transactions de terres agricoles effectuées par nous-mêmes et par d'autres entités. Mais une poignée d'entre elles seulement concernaient un acheteur non canadien. En général, l'acheteur était un étranger qui déménageait au Canada pour devenir agriculteur.

Nous déplorons les achats isolés de terres agricoles par des non-Canadiens dans des endroits comme la vallée du bas-Fraser en Colombie-Britannique, où des terres agricoles ont été retirées de la production et où les propriétaires bénéficient d'allégements fiscaux destinés aux agriculteurs sérieux. Cependant, malgré ces exemples, nous sommes d'avis que ce problème n'est pas répandu dans l'ensemble du secteur agricole canadien et qu'il serait facilement réglé par l'application de règlements locaux sur le zonage et les impôts.

Selon nous, la question la plus importante et pertinente à poser est la suivante : la nationalité des propriétaires de terres agricoles est-elle vraiment importante au Canada? Contrairement à d'autres ressources naturelles comme le pétrole, l'eau et les minéraux, les terres agricoles ne peuvent être ni exportées ni extraites du pays. Si un agriculteur obtient de meilleures conditions auprès d'investisseurs non canadiens qu'auprès d'investisseurs canadiens, pourquoi ne pourrait-il pas accéder à des capitaux étrangers comme tout autre propriétaire d'entreprise canadienne?

J'accorde plus d'importance à la nationalité de ceux qui cultivent les terres agricoles qu'à celle de ceux qui les possèdent. Nous croyons que des agriculteurs canadiens devraient cultiver les terres agricoles au Canada. Nous joignons d'ailleurs le geste à la parole, car la totalité des capitaux de Bonnefield a servi à soutenir les familles agricoles canadiennes.

Nous respectons les décisions de provinces comme la Saskatchewan et le Manitoba visant à restreindre la propriété des terres agricoles aux Canadiens et aux résidents permanents. Cependant, nous considérons que ces règlements, quoique bien intentionnés, ne sont pas fondés sur des faits et manquent de vision; en effet, par inadvertance, ils restreignent le flux de capitaux vers les agriculteurs, les rendant ainsi moins concurrentiels. Ils forcent les agriculteurs de ces provinces à dépendre davantage de l'endettement qu'autrement, comme le révèlent les statistiques sur la situation financière dans le secteur agricole. Ils réduisent la valeur de leurs terres agricoles à des prix inférieurs à leur valeur dans un marché libre et ouvert, faisant ainsi fondre la richesse et le pécule de nombreuses familles agricoles.

Si l'on croit vraiment en la nécessité de protéger les terres agricoles contre la propriété étrangère — que nous ne considérons pas comme un problème —, il existe de bien meilleures façons de réglementer le secteur que de restreindre le flux de capitaux. Pourquoi ne pas suivre l'exemple d'autres secteurs d'activités que les Canadiens ont jugés vulnérables à l'échelle nationale, comme notre industrie de la radiodiffusion et notre secteur bancaire? Dans ces cas, nous avons élaboré des règlements en matière de propriété afin de maintenir un contrôle majoritairement canadien de ces secteurs, sans restreindre indûment l'investissement en capital des institutions et des non-Canadiens. On pourrait notamment s'inspirer du précédent établi en Alberta, où le gouvernement a adopté un règlement exigeant que les terres agricoles appartiennent dans une proportion d'au moins 51 p. 100 à des Canadiens (incluant des institutions canadiennes) et, surtout, qu'elles soient cultivées par des agriculteurs canadiens.

En conclusion, nous recommandons que votre comité sénatorial fasse la promotion d'une réglementation responsable fondée sur des faits en matière de propriété des terres agricoles au Canada, qui protège les terres agricoles contre les graves menaces de l'urbanisation et du rezonage. Cependant, tout en plaidant pour une réglementation responsable, nous demandons également à votre comité d'envisager des mesures ne privant pas les agriculteurs canadiens de l'accès à des capitaux dont ils ont cruellement besoin — y compris le capital institutionnel — afin de rivaliser avec leurs concurrents mondiaux dans un secteur d'activité hautement capitalistique.

Nous vous remercions de votre temps et de votre attention. Wally et moi-même serons heureux de répondre à vos questions.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Eisenhauer.

[Français]

Il nous reste 30 minutes et nous sommes 13 sénateurs. Nous devrons donc nous discipliner afin que tous puissent poser des questions. Nous devrons nous limiter à des questions d'une minute et à des réponses de deux minutes. Sinon, je devrai vous interrompre.

Vous avez touché un point très sensible de nos travaux, et je suis certain que tous les sénateurs ont des questions à vous poser.

[Traduction]

Le sénateur Mercer : Merci, messieurs, de vous être présentés ici. Nous apprécions le temps que vous nous consacrez.

Une des questions de fond est la suivante : vous avez décrit un nouveau style d'investissement en agriculture, et c'est intéressant; j'aimerais savoir si Bonnefield est rentable?

M. Eisenhauer : Nous sommes rentables aujourd'hui. L'une des meilleures façons d'attirer les investisseurs pour qu'ils continuent à soutenir les agriculteurs canadiens, c'est de faire en sorte que ce soit rentable. Les investisseurs, selon mon expérience, ne donnent pas du capital à des fins de charité. Le rendement que nous obtenons pour les agriculteurs serait équivalent, disons, à long terme, au rendement des obligations à faible risque du gouvernement. Il ne s'agit pas du rendement élevé que procure le capital de risque. Le rendement que nous mettons en valeur et dont nous faisons la promotion, c'est un rendement modeste, mais stable, un peu comme le rendement des obligations.

Le sénateur Mercer : Est-ce que vos investissements sont aussi importants que les grands investissements que l'on voit dans le secteur, où le risque serait plus élevé?

M. Eisenhauer : La tendance est plutôt à un très faible risque. Ce serait analogue, disons, au secteur de l'immobilier commercial. Nous n'exploitons pas les entreprises agricoles que nous achetons. Comme je l'ai dit, nous aidons les familles d'agriculteurs du Canada à exploiter leurs terres et nous les aidons à financer leurs activités grâce à la cession- bail que nous leur offrons. Nous devenons propriétaires des terres, mais ce sont quand même les mêmes familles d'agriculteurs qui les exploitent.

Le sénateur Mercer : Ma dernière question est la suivante : dans le secteur de l'agriculture du Canada, la planification de la relève est un enjeu important. Qu'en est-il de l'agriculteur qui a pris une cession-bail, qui vous loue une terre, et qui veut prendre sa retraite? Normalement, j'aimerais la transférer à mon fils, qui veut devenir agriculteur. Comment est-ce que cela fonctionne?

M. Eisenhauer : Je crois que, en fait, Wally Johnston, qui se trouve avec vous à Ottawa, serait mieux placé pour répondre à cette question; il consacre beaucoup de son temps à cet enjeu.

M. Johnston : Merci de poser la question. Nous avons tendance à voir notre proposition de valeur, la cession-bail, comme n'excluant pas le financement de la dette aux fins de la retraite de sa mère et de son père. Il est certain que papa et maman ont besoin d'argent pour prendre leur retraite et qu'ils ont besoin de montants suffisants pour vivre, au quotidien.

Le fait est que, au Canada, de nombreuses familles d'agriculteurs ne sont pas particulièrement à l'aise, pour des raisons qui leur appartiennent, avec l'idée de s'endetter davantage, ce qui nuira à leur bilan, sur les marchés. Nous estimons que notre modèle de cession-bail permettra, bien sûr, de donner à maman et à papa de l'argent pour qu'ils puissent prendre leur retraite, et ils auront ensuite la possibilité de miser sur les exemptions pour gains en capital, de faire d'autres investissements, et ils ont le choix. C'est une solution de rechange au financement par emprunt qui permet de donner à maman et à papa de l'argent en vue de leur retraite. Puis notre relation à long terme avec la génération suivante fournit cet accès sûr à long terme aux terres agricoles qu'ils exploitent. La différence, bien sûr, c'est qu'ils ne sont pas propriétaires du titre foncier, mais ils ont bel et bien un accès sûr à long terme et peuvent poursuivre leurs activités agricoles.

Au bout du compte, nous avons constaté que les familles d'agriculteurs qui décident d'utiliser notre modèle pour assurer la transition intergénérationnelle estiment que cette capacité de conserver du capital pour la génération suivante augmente énormément les chances de réussite de cette génération.

Nous considérons que nous sommes une solution de rechange, pas une solution exclusive.

Le sénateur Plett : Merci, monsieur Eisenhauer, c'était un excellent exposé. Les gouvernements doivent aujourd'hui protéger les terres agricoles, ils doivent protéger les milieux humides, ils doivent créer des villes et ils doivent prévoir nourrir 9 milliards de personnes d'ici 2050. À mon avis, il leur sera impossible de faire tout cela. D'une manière ou d'une autre, nous allons devoir laisser de côté un de ces objectifs.

J'ai deux questions. Vous dites que vous achetez une terre agricole puis que vous la louez à l'ancien propriétaire; mais il y a des conditions, ou des garanties, pour que ces terres restent indéfiniment consacrées à l'agriculture. Comment garantissez-vous que ces terres seront indéfiniment consacrées à l'agriculture?

M. Eisenhauer : Notre modèle, s'il fonctionne... il existe toujours un risque, cela ne fait aucun doute. C'est en fait l'un des attraits du recours au capital institutionnel, dont la durée est très longue. Les terres seront conservées. Les investisseurs viennent, puis s'en vont, mais les terres seront toujours conservées en tant que terres agricoles et exploitées ainsi indéfiniment.

Le sénateur Plett : Ce n'est pas fait à cause des lois.

M. Eisenhauer : Non, non. Cela fait partie du modèle d'affaires. Est-ce que ce modèle d'affaires risque de changer? Bien sûr, mais il est certain que ces affaires supposent des investissements à long terme en capitaux pour faire en sorte que les terres resteront toujours des terres agricoles, comme nous l'avons dit.

Le sénateur Plett : Et les agriculteurs ne pourraient pas louer leurs terres non plus, si un investisseur leur disait que leur investissement serait plus rentable s'ils les vendaient pour y faire construire des condominiums. Cela pourrait arriver. Néanmoins, merci.

En ce qui concerne votre quatrième point, le bout de terrain que vous avez acheté dans le comté de Dufferin, est-ce que l'entreprise en question a acheté une autre carrière ou est-ce qu'il y a une carrière de moins dans le comté de Dufferin?

M. Eisenhauer : L'entreprise n'a pas investi dans une autre carrière, à ma connaissance, mais il est certain que plusieurs autres carrières sont exploitées dans cette région. Je veux que ce soit clair, nous n'avons reçu aucune plainte touchant l'exploitation d'une carrière. Nous avons reçu des plaintes concernant l'exploitation d'une carrière sur des terres agricoles de catégorie 1. Il y a bien d'autres endroits où exploiter des carrières, sur des terres agricoles plus pauvres ou sur d'autres terres qui ne sont pas aussi rares et précieuses pour la production d'aliments de qualité supérieure, au Canada. N'oubliez pas que les terres agricoles de catégorie 1 représentent moins de 5 p. 100 de toutes les terres arables du Canada. Elles sont la crème de la crème. Comme le dit le vieil adage : « On n'en fait plus de ces terres- là, mais on ne fait rien pour les protéger. » Malheureusement, la plus grande partie des terres agricoles de catégorie 1, au Canada, se trouve à une heure de route de la région du Grand Toronto, et c'est pourquoi la pression en vue du développement urbain ou des usages industriels, comme les carrières, est si forte.

Le sénateur Plett : Je suis tout à fait d'accord avec vous, monsieur; merci de cet excellent exposé et de cet excellent modèle d'affaires.

Le sénateur Oh : Monsieur Eisenhauer, j'ai trouvé votre exposé très informatif. Vous avez mentionné entre autres points que la principale menace, en ce qui concerne les terres agricoles canadiennes, n'est pas liée à la personne qui en est propriétaire. Les principales menaces sont l'urbanisation et la modification du zonage, la conversion des terres agricoles à des fins immobilières, et cetera. Voulez-vous dire que la propriété étrangère des terres agricoles n'est pas un problème tant que les propriétaires étrangers les exploitent en tant que terres agricoles?

M. Eisenhauer : Soit ils l'exploitent à des fins agricoles, soit ils s'en occupent d'une manière responsable et respectueuse de l'environnement. Comme je l'ai dit dans ma déclaration préliminaire, nous n'avons pas de données probantes selon lesquelles la propriété étrangère est un problème au Canada. Encore une fois, il n'existe pas de bonnes données qui laisseront entendre que c'est le cas ou non, mais les données probantes qu'on a portent à croire que la propriété étrangère n'est pas un problème important au Canada.

Pour ce qui est de la propriété étrangère, de la propriété d'institutions, de la propriété individuelle et de la propriété des exploitations agricoles, ce que nous devons faire est de protéger les terres agricoles de qualité au pays contre les menaces que j'ai mentionnées. Ça n'a pas vraiment d'importance à mes yeux qui possède la terre tant que le propriétaire s'en occupe selon le même ensemble de pratiques responsables qui sont des pratiques exemplaires, je crois, touchant l'utilisation de terres agricoles où que ce soit. Ce serait là mon point de vue personnel.

Le sénateur Pratte : Messieurs Eisenhauer et Johnston, vous mentionnez dans votre mémoire que le Canada tire nettement de l'arrière par rapport à de nombreux pays en ce qui concerne la profondeur et la gamme des véhicules de financement accessibles aux agriculteurs. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet?

M. Eisenhauer : Certainement.

Je crois que cela pourrait presque être une chose culturelle au Canada. Nous avons tendance à avoir un système bancaire très concentré, ce qui a été une excellente chose pour nous à certains moments. Nous avons une communauté d'investisseurs institutionnels très concentrée, encore une fois, qui peut être un signe de force, mais ce n'est pas nécessairement un signe d'innovation. Il y a beaucoup d'investisseurs. Certainement, quant à l'investissement d'institutions, il y a moins, beaucoup moins d'investissements, non pas seulement dans les terres agricoles, mais dans l'agriculture en général, au Canada qu'il y en a dans pratiquement toutes les autres communautés importantes ou pays exportateurs importants au monde.

Nous sommes la plus grande entreprise de cession-bail qui s'occupe de la vente de terres agricoles au Canada, et notre taille n'est que de 400 millions, ce qui est bien peu dans un marché d'environ 600 milliards de dollars. Aux États- Unis, il y aurait beaucoup de Bonnefield qui géreraient plusieurs milliards de dollars. Il existe des fournisseurs de prêts subordonnés, et il y a des souscripteurs privés qui sont très actifs en agriculture. Nous n'en avons que quelques-uns ici au Canada. On retrouve plusieurs sociétés de flux de rentrées; je n'en connais qu'une au Canada.

Cela tient partiellement à la taille de nos marchés financiers, qui ne sont pas aussi importants qu'ailleurs, et peut-être c'est quelque chose que le comité pourrait examiner. Il peut s'agir d'une chose culturelle, alors qu'au Canada nous voyons traditionnellement les politiques agricoles principalement comme des politiques sociales; de leur côté, nombre de nos concurrents internationaux traitent les politiques agricoles comme des politiques économiques et un moteur de croissance pour leur économie.

Nous constatons certainement ce changement au Canada. Vous n'avez qu'à faire le tour de certaines de ces installations familiales agricoles progressistes que nous voyons tous les jours pour constater à quel point le secteur agricole au Canada devient organisé, mais en ce qui concerne l'ampleur et la portée des sources de capitaux accessibles aux agriculteurs canadiens, c'est très loin de ce à quoi peuvent avoir accès leurs concurrents internationaux.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Ma question s'adresse à M. Eisenhauer. Selon votre expérience, quelles seraient vos projections quant à l'augmentation de la valeur des terres agricoles au cours des 10 prochaines années, et dans quelles régions devrait-il y avoir la plus forte augmentation du nombre de terres agricoles?

[Traduction]

M. Eisenhauer : En répondant à cette question, j'examinerai des données récoltées au cours d'une période de plus de 60 ans au Canada. Au cours de cette période, la valeur des terres agricoles a augmenté, en moyenne, de 7 p. 100 par année. Quelle en est la raison? Qu'est-ce que cela cache? Clairement, comme je l'ai dit au cours de mon exposé, c'est lié aux revenus agricoles. Qu'est-ce qui a fait augmenter ces revenus agricoles? Ce sont les augmentations des rendements de culture, qui ont augmenté, au cours des 60 dernières années, d'environ 2 ou 3 p. 100 par année. C'est l'efficacité agricole accrue au moyen de meilleures méthodologies, de meilleurs équipements et d'une meilleure génétique des semences. C'est une autre tranche de 2 à 3 p. 100 d'augmentation. Il y a aussi probablement eu l'inflation générale de 2 à 3 p. 100, pour atteindre 7 p. 100.

Je suis assez convaincu que, dans l'avenir, les prix des terres agricoles continueront d'augmenter au rythme du taux de croissance du revenu agricole au Canada, à moins d'un énorme imprévu. Si vous regardez l'histoire, cela a été le cas, et rien ne permet de penser que cela ne se produira pas dans l'avenir.

Pour répondre à la deuxième partie de votre question concernant les régions qui devraient connaître la plus forte augmentation du nombre de terres agricoles, c'est probablement celles où les terres enregistreront les plus grandes augmentations de rendement de culture et réaliseront les plus grands gains en efficacité. Ce sera les terres agricoles de classe 1 et les meilleures terres agricoles. Il s'agira des terres qui peuvent être davantage marginales, mais où des investissements dans des choses comme le drainage au moyen de tuyaux ou l'irrigation ou d'autres améliorations de l'efficacité procureront des gains de productivité dans les actifs en terres agricoles sous-jacents.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Lorsque vient le temps d'acquérir des terres agricoles, j'imagine qu'une certaine compétition s'installe entre les acheteurs ou les vendeurs. J'aimerais que vous nous parliez de la réaction des vendeurs et de la compétition qui existe dans le cadre de l'achat de terres agricoles. J'ai l'impression qu'il y a de la compétitivité entre les vendeurs, et ma question est la suivante : quelle est la réaction des vendeurs dans ce monde de compétition?

[Traduction]

M. Eisenhauer : Eh bien, si vous vendez vos terres et quittez le secteur de l'agriculture, une concurrence accrue est meilleure pour vous parce que le prix sera plus élevé. N'oubliez pas que le modèle opérationnel de Bonnefield consiste à travailler avec les familles agricoles locales habituellement pour procéder à une cession-bail, ou le type de transaction qu'on ne réalise pas. La solution de rechange à une transaction avec Bonnefield peut être de vendre la terre agricole et de se retirer du secteur, auquel cas vous voulez obtenir le prix le plus élevé.

Dans le cadre des transactions que nous réalisons, la concurrence est très rare parce que peu de gens font ce que nous faisons. Dans une transaction type touchant une terre agricole de 500 acres à vendre dans le Sud de la Saskatchewan, il y a habituellement une concurrence intense, et il ne fait aucun doute que, en ce qui concerne les bonnes terres agricoles, une concurrence intense s'exerce entre les agriculteurs qui cherchent ces bonnes terres. Il y a le vieux dicton qui dit que les agriculteurs payent pour des bonnes terres agricoles une seule fois et pour de mauvaises terres agricoles chaque année en raison de pertes d'efficacité et de toutes sortes de problèmes. De toute évidence, les agriculteurs cherchent toujours les meilleures terres.

La sénatrice Tardif : Merci de votre exposé très informatif. Quel est votre engagement envers les collectivités dans lesquelles vous investissez, et comment voyez-vous la responsabilité sociale dans votre plan opérationnel?

M. Eisenhauer : Eh bien, merci de me poser la question. En élaborant le modèle opérationnel dont j'ai parlé dans notre exposé, nous avons constaté une heureuse coïncidence où les objectifs d'investissement que nous tentions d'atteindre se mariaient parfaitement avec les bons principes environnementaux, sociaux et de gouvernance.

Nous sommes un signataire des principes de l'investissement responsable des Nations Unies. Je crois que nous sommes le premier investisseur agricole au Canada à le faire. Mais ce n'est pas une question d'accréditation parce que nous croyons vraiment que l'optimisation de la valeur de la terre agricole tient à l'optimisation de sa productivité. Afin d'optimiser la productivité, vous devez être très prudents et surveiller de près les pratiques durables en place sur cette terre chaque année.

Tous les ans, les agriculteurs nous fournissent toutes les données liées à leurs activités et à la façon dont ces activités peuvent avoir un impact sur cette terre, à la gestion des cours d'eau, aux pratiques de travail du sol et d'épandage d'engrais, vraiment tout. Nous surveillons cela très attentivement chaque année. Nous discutons avec l'agriculteur et disons : « Écoutez, pouvons-nous améliorer un peu cet aspect ou changer les pratiques à cet égard? Peut-être que si nous le faisons de cette façon, nous pouvons régler un problème futur. » C'est une situation qui profite à tout le monde parce que les agriculteurs en tirent avantage en raison de meilleurs rendements et d'une exploitation plus rentable. Nous, en tant que propriétaires et gestionnaires de cette terre, en bénéficions parce que nous essayons de protéger et d'améliorer la capacité de production sous-jacente de ce sol. C'est à l'échelon du sol.

À l'échelon de la collectivité, l'exemple de la transaction de Dufferin que j'ai donné en est un très bon. Ce n'était pas très évident pour nous lorsque nous avons lancé notre entreprise, mais une des choses que nous avons apprises est que vous devez être un bon voisin. Un des plus grands obstacles que nous devons surmonter quand vient le temps de traiter avec des familles et des collectivités agricoles est que nous venons d'Ottawa et de Toronto et qu'on ne nous connaît pas. Alors nous essayons de faire tout ce que nous pouvons pour aider à soutenir la collectivité locale et nous le faisons d'un certain nombre de manières en nous assurant d'être vus dans la collectivité et de faire connaître nos intentions. Nous ne faisons jamais passer nos intérêts en premier, si nous le pouvons. Ce sont ceux de l'agriculteur et de la famille agricole locale que nous tentons de soutenir, et si nous pouvons trouver des façons d'aider la collectivité locale, nous le faisons.

La sénatrice Beyak : Ma question allait dans le même sens que celle de la sénatrice Tardif concernant la collectivité locale. Dans ma circonscription, il y a des agriculteurs, des pêcheurs, des minéraux et des ressources naturelles — c'est une région populaire du Canada avec de petites villes —, mais les habitants connaissent très bien ce qui se passe à l'échelle internationale concernant la production alimentaire. Les sénateurs Mercer et Plett ont parlé des pénuries alimentaires et des 9 milliards de personnes, mais les agriculteurs ordinaires de ma circonscription me disent que, de 1961 à 2013, même si la population mondiale a doublé, nous produisons maintenant deux fois plus de nourriture et en gaspillons le tiers et que les principales raisons pour lesquelles les gens meurent de faim sont d'ordre politique. Pouvez- vous parler de l'aspect de la production?

M. Eisenhauer : Tout d'abord, vos observations sont exactes. Je suis né en 1961, alors pendant la plus grande partie de ma vie — et je suppose que c'est la même chose pour nombre des sénateurs — les prix des cultures chutaient considérablement en raison de la révolution verte au cours de laquelle on a vu les rendements de cultures augmenter en flèche partout dans le monde au moyen d'une meilleure génétique des semences et de meilleurs engrais et équipements. Ces éléments font en sorte qu'on produit plus de nourriture dont la planète elle-même a besoin pour nourrir ses habitants. L'équation de l'offre et de la demande a changé au début des années 2000 alors que, pour la première fois, dans cette période, la planète a en réalité fait face à des défis systémiques liés au fait de faire pousser assez de nourriture.

Si vous regardez des graphiques de prix des cultures du début des années 2000, nous avons constaté des augmentations, parfois marquées, mais constantes des prix des cultures, qui est une fonction de deux choses principales : les 9 milliards de personnes dont nous entendons tous parler, mais aussi le changement des goûts des pays émergents, particulièrement de la Chine et de l'Asie et d'ailleurs, qui passent d'une nutrition à base de plantes à une nutrition davantage axée sur les protéines animales. Les protéines animales requièrent une plus grande quantité de céréales. Les chiffres dont j'ai entendu parler pour le porc, par exemple, sont qu'on a besoin de cinq calories de céréales pour produire une calorie de porc. Quant au bœuf, la proportion est de un pour sept. En même temps, il y a eu l'importante croissance de la demande de la population, de même que les énormes demandes croissantes liées aux changements de nutrition partout dans le monde.

C'est à cet égard que les agriculteurs canadiens ont fait un travail remarquable afin d'approvisionner ce marché mondial, particulièrement avec les lentilles de l'Ouest du Canada. On note un certain nombre de réussites, de cas où le Canada est intervenu pour répondre à la demande mondiale, et nous avons, pour les 20 prochaines années, un point de vue très optimiste en ce qui concerne l'agriculture canadienne. Il y aura des difficultés. L'agriculture est un domaine difficile, mais, dans l'ensemble, nous prédisons un avenir brillant pour les agriculteurs canadiens s'ils peuvent avoir accès aux capitaux appropriés dont ils ont besoin pour financer leurs entreprises.

M. Johnston : Selon moi, au début des années 1980, lorsque mon beau-père était agriculteur de céréales ici dans la vallée de l'Outaouais, si les agriculteurs étaient en mesure de générer deux tonnes ou deux tonnes et demie de maïs par acre, c'était une année très réussie. En une période relativement courte, grâce en grande partie à la génétique des semences, mais aussi au talent et aux compétences de nos exploitants agricoles canadiens, la même acre de terre pouvant générer deux tonnes de maïs au début des années 1980 peut maintenant produire de 4,5 à 5 tonnes de maïs. Si les agriculteurs n'atteignent pas ces chiffres, ils estiment que c'est une mauvaise année. Les compétences, le talent et les capacités de nos exploitants agricoles canadiens contribuent grandement à appuyer le message de Tom.

Le sénateur Woo : Merci de votre exposé. Vous avez expliqué de façon très convaincante que nous devrions moins nous intéresser à la couleur de l'argent qui est investi qu'au fait que les fermes soient utilisées aux fins prévues. Et pourtant, votre fonds n'est composé que d'investisseurs du Canada. Avez-vous un intérêt à recueillir du financement de l'étranger? C'est la première partie de ma question. En second lieu, pouvez-vous me dire si des investisseurs institutionnels internationaux sont intéressés à investir dans des terres agricoles au Canada, qu'il s'agisse de fonds souverains, de caisses de retraite et ainsi de suite?

M. Eisenhauer : Je suis heureux d'en parler. C'est un sujet qui, en toute franchise, nous a beaucoup tourmentés et continue de le faire depuis que nous avons fondé notre entreprise il y a presque 10 ans.

Un des défis auxquels nous avons dû faire face pour réunir assez de capitaux afin de soutenir les familles agricoles canadiennes que nous avons été en mesure d'appuyer est que les investisseurs étrangers connaissent bien mieux les possibilités qu'offre le secteur agricole et que la Chine, les États-Unis et d'autres pays sont au fait des défis qui les attendent.

Une grande partie de ce que nous avons fait au cours de la dernière décennie a consisté à essayer d'informer non pas seulement les investisseurs canadiens particuliers, mais également les investisseurs institutionnels canadiens concernant l'immense défi que le monde devra relever relativement à une production de nourriture suffisante pour la planète et les avantages incroyables que nous avons, ici au Canada, pour combler ce vide. Il nous semble que ce soit une possibilité exceptionnelle. J'ai parlé plus tôt de la prudence des institutions canadiennes, et elles ne précipitent pas les choses. Il nous a fallu beaucoup de temps pour les convaincre de se rallier à nous.

En ce qui concerne le fait de savoir si nous avions un intérêt à mobiliser des capitaux de non-Canadiens, on nous a approchés plus souvent que je peux le dire. Il va probablement sans dire que si nous avions accepté l'argent de non- Canadiens, notre taille serait considérablement plus grande aujourd'hui. Cela ne fait aucun doute.

Le sénateur Woo : Alors, pourquoi ne pas l'avoir fait?

M. Eisenhauer : Pourquoi ne l'avons-nous pas fait jusqu'à maintenant? Pour deux raisons. Nous sommes attentifs aux sensibilités canadiennes que le comité sénatorial examine. Nous ne voulons pas aller dans les petites villes du Canada et irriter les gens. Nous nous drapons dans l'unifolié dans une certaine mesure au détriment de notre croissance. Franchement, c'est probablement la raison principale.

Une des questions que les familles agricoles canadiennes nous posent souvent est la suivante : d'où vient l'argent? Nous pensons que c'est une qualité de dire qu'il vient de citoyens et de retraités canadiens. Nous aimerions beaucoup que les institutions canadiennes participent de manière importante aux mesures de soutien destinées aux familles agricoles canadiennes dans l'avenir, mais c'est une question ouverte qui nous tracasse tous les jours.

Le sénateur Gold : Merci de votre exposé. Il était très intéressant. Clairement, vous étiez très bien préparé pour votre comparution d'aujourd'hui. Vous avez lu les transcriptions des témoins antérieurs qui étaient ici avant vous et vous avez étudié les questions que les membres du comité sénatorial vous ont posées.

J'ai une question à deux volets : qu'est-ce qui vous inquiète le plus ou que souhaiteriez-vous ne pas voir dans notre rapport final? Et quelles recommandations positives aimeriez-vous voir figurer dans notre rapport si vous deviez les rédiger?

M. Eisenhauer : Donnez-moi le stylo.

Comme je l'ai dit plus tôt, nous préférons travailler discrètement avec les familles agricoles canadiennes plutôt que de comparaître devant des comités sénatoriaux au moyen de liens web. Nous comprenons la raison, mais nous sommes inquiets du niveau d'émotivité qu'on retrouve souvent dans les discussions sur l'agriculture, particulièrement sur les terres agricoles au Canada. C'est pourquoi j'ai utilisé ce matin avec vous à de nombreuses reprises les mots « fondé sur des données probantes ». Il n'y a pas beaucoup de place pour des améliorations des règles agricoles et des règles sur la propriété au pays, mais nous sommes préoccupés par ce que nous avons vu en Saskatchewan, au Manitoba et ailleurs. Mais nous le comprenons. Nous comprenons les sensibilités auxquelles les politiciens de ces provinces réagissent, mais vous devez faire attention à ce qu'un règlement fondé sur des bonnes intentions n'ait pas d'effet pervers, ce qui a clairement été le cas dans ces provinces. Nous pouvons montrer, au moyen de données concrètes, la façon dont les règles de propriété de terres agricoles en Saskatchewan en particulier ont augmenté la dépendance des agriculteurs envers le financement par emprunts, ont plafonné la valeur nette des agriculteurs en abaissant la valeur des terres, et cetera.

Le type de capitaux que nous offrons ne convient pas à tous. Il ne convient pas à chaque agriculteur canadien, et il n'est pas censé le faire, mais pourquoi voudriez-vous restreindre l'accès à des capitaux institutionnels d'un jeune agriculteur progressiste canadien uniquement pour que nous puissions pousser un soupir de soulagement à la pensée que de méchantes institutions ne possèdent pas de terres agricoles au Canada? Je crois que nous devons faire très attention pour trouver un équilibre entre les sensibilités très réelles des petites villes du Canada et la réalité économique d'une entreprise hautement capitalistique.

C'est une longue façon détournée de dire qu'il faut faire attention aux recommandations qui ont des conséquences économiques néfastes si bien intentionnées soient-elles. Je dois admettre que M. Johnston est un agriculteur de cinquième génération. Je ne suis dans le domaine que depuis les 10 dernières années. J'ai une formation en finances, mais j'ai grandi dans une petite collectivité de pêcheurs en Nouvelle-Écosse. Croyez-moi, je connais les conséquences d'un règlement fondé sur de bonnes intentions, mais sur une mauvaise information et la façon dont il a dévasté les collectivités de pêcheurs en Nouvelle-Écosse. Nous devons trouver un équilibre entre la responsabilité écologique et la protection de nos terres agricoles et les réalités financières qui consistent à fournir des capitaux afin que notre secteur agricole demeure concurrentiel dans l'avenir.

Le président : Merci beaucoup.

[Français]

Vous savez, on pourrait comparer notre rapport à cette pièce de un dollar : il y a deux côtés. Il y aura certainement des éléments positifs qui seront tirés de vos témoignages, et nous vous en remercions infiniment. Vos témoignages nous ont été utiles. Vous trouverez dans notre rapport certains éléments fondamentaux que vous avez mentionnés. Il faudra cependant accepter que ce même rapport fasse valoir un autre point de vue.

Sur ce, nous vous souhaitons une meilleure santé lors de votre prochain témoignage. Monsieur Johnston, je vous remercie également d'avoir été des nôtres.

(La séance est levée.)

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