Délibérations du Comité sénatorial spécial sur l'Arctique
Fascicule 4 - Témoignages du 19 mars 2018
OTTAWA, le lundi 19 mars 2018
Le Comité sénatorial spécial sur l’Arctique se réunit aujourd’hui, à 18 h 30, pour procéder à l’élection du président et du vice-président, et pour examiner les changements importants et rapides qui se produisent dans l’Arctique et les effets de ces changements sur les premiers habitants.
[Traduction]
Maxime Fortin, greffière du comité : Honorables sénateurs, à titre de greffière du comité, il me revient de présider à l’élection du président. Je suis prête à recevoir une motion à cette fin.
Le sénateur Oh : Je propose le sénateur Patterson.
Mme Fortin : Y a-t-il d’autres propositions?
La sénatrice Eaton : J’appuie la proposition.
Le sénateur Day : Je propose qu’on mette fin aux propositions.
Mme Fortin : L’honorable sénateur Oh propose que l’honorable sénateur Patterson assume la présidence du comité. Plaît-il aux honorables sénateurs d’adopter la motion?
Des voix : D’accord.
Mme Fortin : Je déclare la motion adoptée.
Sénateur Patterson, vous pouvez occuper le fauteuil.
Le sénateur Dennis Glen Patterson (président) occupe le fauteuil.
Le président : Merci, chers collègues. Je suis touché et honoré de votre confiance.
Compte tenu de mon élection à la présidence à la suite de la démission du sénateur Charlie Watt la semaine dernière, le poste de vice-président est maintenant vacant. Nous allons donc procéder à l’élection du vice-président. Êtes-vous d’accord?
Des voix : D’accord.
Le président : Je suis prêt à recevoir une proposition pour la vice-présidence.
La sénatrice Galvez : Je propose la sénatrice Bovey.
Le président : Merci, sénatrice Galvez.
La sénatrice Coyle : J’appuie la motion.
Le président : On propose la candidature de la sénatrice Bovey à la vice-présidence.
Le sénateur Neufeld : Je propose de mettre fin aux propositions.
Le président : Le sénateur Neufeld propose de mettre fin aux propositions. Êtes-vous d’accord?
Des voix : D’accord.
Le président : Félicitations, sénatrice Bovey. Je serai heureux de travailler avec vous.
La sénatrice Bovey : Merci, et je serai aussi heureuse de travailler avec vous.
Le président : Chers collègues, nous sommes maintenant prêts à entendre nos témoins. Avant de procéder, je demanderais aux sénateurs de se présenter.
Le sénateur Oh : Victor Oh, Ontario.
La sénatrice Galvez : Rosa Galvez, Québec.
Le sénateur Day : Joseph Day, Nouveau-Brunswick.
La sénatrice Coyle : Mary Coyle, Nouvelle-Écosse.
La sénatrice Eaton : Nicole Eaton, Ontario.
La sénatrice Bovey : Patricia Bovey, Manitoba.
Le sénateur Neufeld : Richard Neufeld, Colombie-Britannique.
Le président : Merci.
Chers collègues, en septembre dernier, le Sénat a créé ce comité spécial sur l’Arctique en lui confiant le mandat d’examiner les changements importants et rapides qui se produisent dans l’Arctique et les effets de ces changements sur les premiers habitants. Nous en sommes à notre troisième réunion, et elle vise à nous renseigner sur les grands enjeux dans l’Arctique.
Ce soir, j’ai le plaisir de souhaiter la bienvenue à David J. Scott, président-directeur général de Savoir polaire Canada. Merci d’être avec nous. Vous pouvez nous présenter votre déclaration liminaire, après quoi nous passerons à la période de questions.
David J. Scott, président-directeur général, Savoir polaire Canada : Bonsoir, mesdames et messieurs les sénateurs. Merci de me donner l’occasion de vous fournir un peu d’information.
J’ai l’honneur et le privilège d’être à la tête de Savoir polaire Canada, une micro-agence relativement nouvelle qui relève de la ministre Bennett et du ministère des Relations Couronne-Autochtones et des Affaires du Nord. Savoir polaire Canada s’est vu confier un mandat très précis dans la Loi sur la Station canadienne de recherche dans l’Extrême-Arctique qui a été adoptée en décembre 2014.
La loi prévoit que nous avons pour mission d’atteindre quatre grands objectifs, et je pense que vous serez d’accord avec moi pour dire qu’ils s’inscrivent en droite ligne avec ceux de votre comité, qui sont de comprendre les changements rapides qui se produisent dans l’Arctique et les effets de ces changements sur les Autochtones et les autres habitants.
La loi prévoit premièrement que nous devons approfondir les connaissances sur l’Arctique canadien en vue d’améliorer les perspectives économiques, la gérance environnementale et la qualité de vie des personnes qui y résident et de tous les autres Canadiens. Elle prévoit ensuite que nous devons promouvoir le développement et la diffusion des connaissances relatives aux autres régions circumpolaires, y compris l’Antarctique. Nous devons également renforcer le leadership du Canada relativement aux enjeux touchant l’Arctique, et enfin, nous devons établir un centre névralgique de recherche scientifique dans l’Arctique canadien, et on fait allusion ici à notre bureau principal, la Station canadienne de recherche dans l’Extrême-Arctique qui se trouve à Cambridge Bay, au Nunavut.
Nos principales contributions passent par nos activités en science et technologie et par la mobilisation du savoir, car nous devons veiller à ce que le savoir que nous créons, ou que d’autres créent, sur l’Arctique soit prêt à utiliser et qu’il soit mis à la disposition des habitants du Nord qui ont un rôle de décideurs à jouer, que ce soit aux niveaux communautaire, sous-régional, territorial, ou, bien sûr, national. Encore une fois, pour revenir à l’objet de votre étude, nous nous concentrons nous aussi sur les changements qui se produisent dans l’Arctique et sur leurs effets, et nous abordons la question sous l’angle de la création de savoir qui servira à prendre des décisions plus éclairées sur l’Arctique.
Nous travaillons également avec la communauté internationale. Un grand nombre de pays — certains sont des pays arctiques, mais la plupart ne sont pas des pays arctiques — veulent contribuer à la création de savoir sur l’Arctique afin de mieux comprendre les changements en cours, principalement le changement environnemental, mais aussi le changement économique et le changement social, qui progressent tous les trois rapidement dans l’Arctique.
Même si la réunion de ce soir ne porte pas sur le sujet, j’aimerais mentionner que nous avons aussi un mandat de gestion des connaissances sur l’Antarctique. Nous sommes l’une des quelques agences fédérales canadiennes qui ont ce mandat. C’est une question d’importance mondiale. Ce qui se passe dans l’Arctique et dans l’Antarctique n’a pas seulement des effets à ces endroits. Lorsque la fonte des glaciers provoque une hausse du niveau de la mer, c’est toute la planète qui en subit le contrecoup. Lorsque du temps chaud ou froid se produit hors saison, c’est souvent le résultat d’un phénomène polaire. La portée de ces phénomènes va bien au-delà de ces régions. Elle s’étend au reste de la planète, où la majorité de la population de la Terre se trouve. Leur portée est donc considérable.
Je vais vous dire quelques mots au sujet du campus de la SCREA. Il s’agit d’une importante infrastructure de recherche dont la construction devrait prendre fin d’ici quelques semaines. Les bureaux de notre organisation sont logés sur le campus depuis près de deux ans maintenant, dans les petits bâtiments, en attendant la fin de la construction du bâtiment principal, plus complexe, qui sera prêt dans quelques semaines.
À ce moment, nous serons beaucoup mieux équipés pour accueillir les membres de la communauté, les scientifiques locaux, la plupart inuits dans le cas de Cambridge Bay, et les visiteurs qui viennent d’autres régions au pays ou d’ailleurs dans le monde. Nous allons accueillir des gens de partout au Canada et dans le monde à Cambridge Bay pour travailler en collaboration avec les détenteurs de savoir autochtone afin d’acquérir les connaissances nécessaires pour comprendre les changements rapides qui se produisent dans l’Arctique.
La vision de notre organisation repose sur les déclarations du présent gouvernement qui souhaite voir le processus décisionnel s’appuyer sur de bonnes connaissances scientifiques; travailler de concert avec les provinces, les territoires et les nations autochtones pour créer le savoir nécessaire pour mieux gérer nos terres et nos océans; et, enfin, apporter un changement positif à la vie des Inuits partout au Canada et travailler de concert avec eux pour révéler l’incroyable potentiel du Nord.
Enfin, nous mettons de plus en plus l’accent sur l’importance du savoir traditionnel et local. À Cambridge Bay, où nous nous trouvons, il s’agit du savoir des Inuits. Nous profitons déjà du savoir ancestral de ces spécialistes des lieux qui vivent dans la région depuis des générations et qui ont gravé dans leurs mémoires des preuves de l’accélération de certains changements qui sont en cours. Nous cherchons donc continuellement des façons d’intégrer le savoir autochtone au type de savoir que j’ai acquis pendant mes nombreuses années à l’université.
La collectivité qui s’emploie à créer le savoir arctique est très diversifiée. Elle comprend, bien sûr, d’autres acteurs du gouvernement fédéral, les principaux ministères — Pêches et Océans, Environnement et Changement climatique, Ressources naturelles Canada, pour ne nommer que ceux-là — ainsi que des établissements universitaires tant au Canada qu’ailleurs dans le monde, des organismes de recherche nordiques qui sont basés dans les territoires et des organismes autochtones.
J’aimerais vous annoncer en particulier la publication vers la fin de la semaine de la stratégie nationale inuite sur la recherche de Inuit Tapiriit Kanatami. Sans dévoiler les secrets du document à paraître, je peux vous dire que cela nous aidera énormément à réorienter la création de savoir dans le Nord pour être plus respectueux et plus inclusif du savoir autochtone. Le savoir ainsi créé sera mieux adapté, car il sera mieux à même de répondre aux besoins changeants des habitants mêmes du Nord.
Pour ceux qui suivent les diapositives, nous sommes à la diapositive 6. On voit beaucoup de points sur la carte où se trouvent différentes infrastructures de recherche. Gardez à l’esprit toutefois qu’on ne voit qu’environ 75 p. 100 du pays sur la carte. On pourrait intégrer le Nouveau-Brunswick dans de nombreuses zones dans le Nord où il n’y a pas d’infrastructure de recherche, alors même si on voit beaucoup de points, il y a encore de nombreux endroits, sur terre et en mer, où on ne récolte pas régulièrement de données qui nous aideraient à calibrer les changements qui se produisent dans l’environnement.
Si on regarde, par exemple, sur le côté gauche de la carte, on voit le tracé presque au complet du fleuve Mackenzie. Beaucoup de points le long du fleuve sont des endroits où on mesure la température du pergélisol. Même si les points sont nombreux et qu’on recueille des données très utiles, on ne couvre qu’une petite partie du Nord. Nous avons de plus en plus besoin de recueillir de l’information et des données partout dans la région.
La diapositive 7 montre là où se trouvent certains projets que nous cofinançons. On voit donc que l’empreinte de notre organisation s’étend d’un océan à l’autre. Nous avons des projets au Nunatsiavut, dans l’Est, au Québec, dans la baie d’Hudson, au Manitoba, et dans les trois territoires, le Nunavut, les Territoires du Nord-Ouest et le Yukon. Donc, même si nous sommes basés à Cambridge Bay, au Nunavut, dans la partie centrale de l’Arctique, nous avons des projets d’un océan à l’autre.
Dans le cadre de notre programme quinquennal en cours en science et technologie, nous nous concentrons sur quatre domaines de recherche : les sources d’énergie de remplacement et renouvelable; les changements dans la biosphère, la partie vivante de notre planète; les changements dans la cryosphère, la partie gelée de notre planète : la banquise, le pergélisol, la neige; et, enfin, les changements dans l’infrastructure, surtout le logement. Nous avons un important forum sur le logement panterritorial qui se tiendra à la fin avril, au début de mai, à Yellowknife, et qui réunira des praticiens spécialisés du Nord et du Sud pour parler de design technique, de pertinence culturelle et des aspects financiers du logement. Le forum s’inspire en grande partie du rapport publié par le Sénat il y a deux ans et qui portait sur les principales lacunes à combler dans le logement pour les Inuits. Bon nombre de ces lacunes sont encore plus importantes quand on englobe tout l’Arctique canadien.
Sur la diapositive 8, on voit une vue du nord au sud des projets de recherche auxquels le Programme du plateau continental polaire, qui relève actuellement de Ressources naturelles Canada, fournit du soutien logistique. Encore une fois, on voit qu’on acquiert des nouvelles connaissances partout dans le Nord. Gardons à l’esprit encore une fois que la carte ne montre que les deux tiers environ de notre pays et qu’il y a relativement peu de points sur la carte. Il y a beaucoup de projets, mais les lacunes sont nombreuses, et on peut faire beaucoup plus pour créer le savoir dont nous avons besoin pour mieux gérer les changements rapides qui se produisent dans l’Arctique.
La diapositive 9 me rappelle de vous parler de notre rôle dans la promotion de la collaboration scientifique circumpolaire. Nous avons joué un rôle important, au nom du Canada, dans la négociation d’une nouvelle entente exécutoire appelée Accord sur le renforcement de la coopération scientifique internationale dans l’Arctique. C’est une création du Conseil de l’Arctique. Cet accord nous permettra d’accueillir des chercheurs internationaux dans l’Arctique canadien, en les aidant à concentrer leurs compétences techniques sur les questions que se posent les habitants de l’Arctique, et en veillant à ce qu’ils respectent les attentes réglementaires. Certaines entités nordiques exigent que les scientifiques obtiennent un permis avant d’entreprendre des recherches. Cet accord nous aidera à attirer de nouvelles ressources dans l’Arctique canadien, qui se concentreront sur les enjeux prioritaires pour le Canada, et les travaux seront réalisés en respectant nos règles et notre règlementation en tant que pays souverain. Parmi ces règles, mentionnons la consultation des habitants du Nord pour nous assurer que la recherche sera menée de façon adéquate et que les connaissances leur reviennent.
Pour gagner du temps, je vais sauter la diapositive 10, qui parle un peu de notre représentante spéciale auprès de la ministre, Mary Simon, et de son rapport sur les priorités de l’Arctique, et passer à la diapositive 11, en soulignant simplement au passage que ce nouveau modèle de leadership partagé dans l’Arctique dont parle et que prône Mme Simon est actuellement ce qui guide le travail de Savoir polaire Canada. On y souligne l’importance d’inclure le savoir autochtone et de se concentrer sur les priorités des habitants du Nord, en particulier les changements rapides qui sont en cours.
Passons maintenant à la diapositive 12, et je crois savoir que mon collègue, Stephen Van Dine, de Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord, est venu vous parler du Cadre stratégique pour l’Arctique, une initiative très importante, très ambitieuse, qui vise à coélaborer une nouvelle politique canadienne pour l’Arctique. C’est une initiative très ambitieuse, très inclusive, parce qu’on veut intégrer le point de vue des Autochtones et des habitants du Nord, et honnêtement, je la qualifierais aussi un peu d’expérimentale. En effet, le gouvernement fédéral n’est pas nécessairement un expert dans la coélaboration de politique, alors c’est une expérience très intéressante pour nous. Je pense que, en travaillant conjointement avec les habitants du Nord, nous allons créer une meilleure politique qui sera plus pertinente pour eux. Savoir polaire Canada joue un rôle direct au niveau fédéral dans de nombreux aspects du Cadre stratégique pour l’Arctique, notamment en coprésidant le groupe de travail sur la science arctique et le savoir autochtone, qui réunit les connaissances d’intervenants externes dans divers domaines scientifiques et le savoir autochtone afin que nous puissions mieux comprendre comment les acteurs fédéraux en science et technologie peuvent intervenir de la façon la plus constructive possible.
Le président : Êtes-vous sur le point de conclure?
M. Scott : Oui, sénateur. J’en suis à la dernière diapositive.
Enfin, nous voulons souligner que Savoir polaire s’associe aux habitants du Nord dans le cadre d’une nouvelle initiative pour nous aider à élaborer notre prochain plan quinquennal en science et technologie qui nous mènera de l’année 2020 à l’année 2025. Nous allons procéder aux consultations les plus vastes et les plus inclusives possible avec les habitants du Nord. En comprenant mieux leurs préoccupations et l’information dont ils ont besoin, cela nous aidera à préparer notre plan stratégique quinquennal au cours de la prochaine année et à le lancer en 2020. Encore une fois, l’objectif est de créer des connaissances qui servent d’abord les habitants du Nord et de veiller à ce qu’elles soient au service des décideurs et servent à améliorer la qualité de vie dans un Arctique qui change rapidement.
Merci.
Le président : Merci beaucoup.
La sénatrice Galvez : Merci beaucoup de cet intéressant exposé. Il se passe tant de choses dans l’Arctique.
Si c’est possible, j’aimerais que vous fassiez parvenir à la greffière des détails sur vos champs d’études, car il n’y avait pas de diapositive sur le sujet.
Quel est le budget de Savoir polaire? Combien de gens, ou de chercheurs canadiens, y travaillent? Est-ce que les fonds sont attribués en fonction des connaissances qu’on veut acquérir? Quel rôle joue l’industrie?
M. Scott : Merci, sénatrice, de vos questions. Avec la permission du président, je peux certainement vous faire parvenir des renseignements précis sur la répartition géographique de nos projets. Nous pouvons assurément produire l’information très rapidement.
Le président : Faites parvenir l’information à la greffière.
M. Scott : Nous allons assurer le suivi avec la greffière.
La sénatrice Galvez : Indiquez-nous seulement les sujets de recherche.
M. Scott : D’accord. Nous allons vous fournir les sujets de recherche, de même que l’endroit où les recherches sont menées.
La sénatrice Galvez : Merci.
M. Scott : Le budget de notre organisation est actuellement d’environ 20,1 millions de dollars par année. Et nous sommes très heureux que dans le dernier budget, on nous ait accordé un montant additionnel de 5,1 millions par année, à partir de 2019, pour assurer le fonctionnement de la Station canadienne de recherche dans l’Extrême-Arctique à Cambridge Bay. Ces nouveaux fonds ne serviront pas à créer de nouveaux programmes, mais à assurer le fonctionnement de la station de recherche après son ouverture. Nous pourrons ainsi maintenir le financement des programmes existants et continuer d’avancer.
À l’heure actuelle, nous avons reçu l’autorisation pour 58 postes équivalents à temps plein au sein de notre organisation. Pour l’instant, une quarantaine de ces postes sont situés à notre bureau principal à Cambridge Bay, au Nunavut, alors que le reste se trouve dans un plus petit bureau ici, dans la région de la capitale nationale.
Le personnel est très diversifié sur le plan des compétences techniques. Nous comptons une dizaine de professionnels de la recherche, qui viennent tous du Sud. Il y a actuellement huit Inuits qui travaillent avec nous à Cambridge Bay. Un certain nombre d’entre eux sont diplômés du programme de technologie environnementale du Collège de l’Arctique, qui permet à ces jeunes Inuits de mettre à contribution leurs habiletés existantes liées au milieu naturel et d’acquérir des compétences techniques additionnelles pour ensuite se joindre à notre organisation en occupant surtout des postes de premier échelon et, à partir de là, nous les aiderons à perfectionner leurs compétences techniques.
Nous employons également des diplômés du Collège de l’Arctique du Nunavut pour le soutien opérationnel dans nos divisions administratives générales. Nous embaucherons des Inuits pour le travail en laboratoire dans l’édifice principal, une fois que le tout sera en service. Il y aura donc des Inuits dans toutes nos catégories d’emploi, et nous continuerons de travailler avec eux à mesure qu’ils acquièrent de l’expérience supplémentaire en cours d’emploi.
Parmi nos employés inuits, c’est notre analyste principale des politiques qui occupe le rang le plus élevé. Elle a récemment terminé une maîtrise en politique publique à l’Université de l’Alaska Fairbanks. Elle vient de Gjoa Haven, au Nunavut. Elle est un vrai modèle à suivre et une source d’inspiration pour d’autres jeunes Inuits dans le Nord.
En ce qui concerne le rôle de l’industrie, nous sommes toujours ouverts à l’idée d’établir des partenariats avec le secteur privé. Un domaine très prometteur est celui de la compréhension des changements climatiques. Par exemple, dans l’industrie de l’extraction des ressources naturelles, les mines en exploitation et les projets d’exploration avancée seront tous assortis de programmes de surveillance environnementale rigoureuse en fonction de leurs emplacements. Même si ces données relèvent sans doute du domaine public, elles ne sont pas beaucoup utilisées par les chercheurs. Nous croyons que la collaboration avec l’industrie devrait nous permettre de mieux nous servir de ces données afin de combler certaines des lacunes fondamentales qui étaient représentées sur la carte parsemée de nombreux points, car malgré tout, il y a beaucoup de lacunes. Nous pouvons nous associer à l’industrie pour aider à créer les connaissances dont les habitants du Nord ont besoin pour gérer les changements à l’avenir.
La sénatrice Eaton : J’ai deux petites questions à vous poser, monsieur Scott. Merci, c’est très intéressant.
Parlant d’industrie, j’ai remarqué que parmi les priorités énoncées sur votre site web, il n’y a aucune mention des sources d’énergie traditionnelles, qui abondent pourtant dans le Nord. Sommes-nous en train de perdre de vue non seulement une source de viabilité pour l’économie du Nord, c’est-à-dire au chapitre des emplois, de la formation professionnelle, par exemple, mais aussi un enjeu de taille qui touchera la sécurité du Nord ou celle de notre pays? Manifestement, nos ressources naturelles sont dans la mire d’autres États. Quand des pays comme Singapour veulent obtenir le statut d’observateur, on sait qu’il se trame quelque chose. Or, vous ne mentionnez aucune source d’énergie traditionnelle. Cela ne fait-il pas partie de votre mandat?
M. Scott : Pouvez préciser ce que vous entendez par « sources d’énergie traditionnelles »?
La sénatrice Eaton : Le pétrole et le gaz.
M. Scott : Dans notre mandat actuel, nous mettons l’accent sur les énergies renouvelables et de remplacement pour réduire la dépendance à l’égard du diésel importé.
La sénatrice Eaton : Vous avez répondu à ma question. Cela ne vous intéresse pas. C’est très bien.
Vous avez parlé d’un forum sur le logement, sujet qui m’intéresse depuis longtemps. Je siège au Comité sénatorial des finances. Chaque année, des représentants du ministère des Affaires du Nord comparaissent devant nous et, quand je vois le montant prévu pour les logements des Autochtones, je pose toujours la question suivante, et les fonctionnaires s’y attendent chaque fois : les logements sont-ils construits selon un certain code du bâtiment? Ils répondent toujours : « Non, nous sommes navrés, mais par souci de respect, nous ne nous en mêlons pas; nous ne faisons qu’accorder les fonds. » Or, il se trouve que beaucoup d’enfants des Premières Nations contractent des virus et des maladies pulmonaires à cause de la moisissure. Les maisons sont en ruine, et leur cycle de vie n’est pas comparable à celui de nos habitations. Dans le cadre du forum sur le logement que vous allez organiser, travaillez-vous avec des Autochtones afin d’élaborer un code qui tiendra compte des caractéristiques géographiques de leur région? Est-ce là un des objectifs?
M. Scott : La réponse courte est oui, absolument, nous sollicitons l’avis des Autochtones. En collaboration avec le Conseil national de recherches, nous travaillons actuellement à réviser un code du bâtiment et à l’adapter aux conditions du Nord, sachant qu’elles sont très différentes de celles qui prévalent dans le reste du pays. Ce travail est en cours.
La sénatrice Eaton : Il y a Akwesasne, qui n’est pas dans le Nord, mais qui a ses propres problèmes, et il y a aussi le Nord, bien évidemment. Vous vous en occupez donc?
M. Scott : Oui. Encore une fois, le forum a pour but de rassembler des experts du Nord et du Sud dans trois domaines clés. Le premier concerne les aspects financiers. Autrement dit, pouvons-nous faire preuve de créativité? Y a-t-il différents moyens de financer les logements, au lieu de simplement transférer des fonds? C’est certes une façon d’y arriver, mais existe-t-il d’autres pistes de solution que nous pouvons étudier, notamment la copropriété et la location avec option d’achat, en ce qui concerne la création et la collaboration avec la Société canadienne d’hypothèques et de logement?
Les aspects culturels de la conception…
La sénatrice Eaton : Oui, parce que les gens du Nord ne vivent pas toujours comme les gens du Sud.
M. Scott : Précisément, oui. Il existe des options de conception souples qui sont beaucoup plus adaptées au mode de vie des habitants du Nord plutôt qu’à celui des banlieusards dans le Sud du Canada.
La sénatrice Eaton : Je suis tout à fait d’accord.
M. Scott : C’est un domaine d’intérêt important.
Le troisième élément porte sur les aspects technologiques, et cela comprend des choses comme les ventilateurs-récupérateurs de chaleur qui permettent de maintenir une meilleure qualité de l’air afin d’empêcher la prolifération de moisissures, mais qui fonctionnent quand même à moins 35 degrés Celsius, six mois par année.
Il s’agit donc de regrouper l’innovation, la technologie et l’efficacité énergétique, l’innovation et la conception, ainsi que l’innovation au regard des aspects financiers et de dialoguer avec les principaux décideurs du Nord pour que les nouveaux fonds, déjà annoncés ou à venir, soient mieux dépensés selon les modalités fixées par les gens du Nord.
La sénatrice Eaton : Je suis bien contente pour les gens du Nord. Merci.
Le président : Y aura-t-il un document à l’issue de la Conférence sur le logement dans le Nord et, le cas échéant, pourriez-vous le faire parvenir au comité?
M. Scott : Il y en aura un assurément. Notre produit livrable à court terme sera un rapport qui résumera les résultats de la réunion. Le tout débouchera sur les conclusions techniques tirées de la réunion, et nous avons également mis en place un plan pour mobiliser ces connaissances et les mettre à la disposition des principaux décideurs dans les cinq administrations du Nord — c’est-à-dire les trois territoires, plus le Nunavik et le Nunatsiavut — pour veiller à ce que les responsables qui prendront des décisions sur les fonds futurs et leur utilisation disposent des meilleures données possible et sachent remonter à leur source afin de pouvoir prendre des décisions plus éclairées.
La sénatrice Eaton : Vous avez parlé d’un document qui sera publié sous peu, sans pour autant en révéler les secrets. Pourrions-nous en obtenir une copie lorsque ce sera rendu public?
Le président : Les sciences pour les Inuits…
M. Scott : La Stratégie nationale inuite sur la recherche. L’organisme Inuit Tapiriit Kanatami a l’intention de la rendre publique ce jeudi, et nous pouvons certainement voir à ce que le comité, par l’entremise de la greffière…
Le président : Nous nous occuperons de distribuer le document.
La sénatrice Bovey : Merci, monsieur Scott. Je vous suis reconnaissante de votre présence parmi nous et du travail que vous accomplissez.
Ma question porte sur les réseaux de recherche. Je suppose qu’elle comporte deux parties. J’aimerais d’abord que vous nous parliez un peu des liens qui sont établis et de la recherche qui se fait à Cambridge Bay, au Centre d’études nordiques de Churchill et à l’Observatoire maritime de Churchill.
Deuxièmement, quelle sorte de liens avez-vous tissés avec l’institut polaire à Cambridge, en Angleterre? Comment reliez-vous la recherche avec celle menée par les universités circumpolaires?
M. Scott : En ce qui concerne le Centre d’études nordiques de Churchill et la toute nouvelle initiative dirigée par M. David Barber à l’Université du Manitoba, nous travaillons ensemble avec ces organisations. Il y a deux ans, nous avons accordé un financement considérable à la récente initiative de M. Barber dans la baie d’Hudson. Je crois que la contribution s’élevait à 2 millions de dollars pour accélérer la création d’infrastructures à Churchill.
La sénatrice Bovey : Et, bien entendu, la rupture du lien ferroviaire a ralenti ce projet, parce que les matériaux de construction ne pouvaient pas être acheminés sur place pour bâtir l’infrastructure l’été dernier.
M. Scott : Oui. C’est là un autre grand obstacle logistique inattendu.
Le Centre d’études nordiques de Churchill et cette nouvelle initiative sont d’excellents exemples de l’infrastructure de recherche déjà en place et des programmes de recherche qui sont dirigés par les universités canadiennes et auxquels nous sommes en mesure d’offrir un financement partiel pour essayer d’amplifier le travail effectué par ces établissements et ces chercheurs.
En ce qui a trait à l’institut polaire du Royaume-Uni, à Cambridge, la ville britannique qui porte le même nom que la nôtre, nous avons établi une relation très, je dirais, préliminaire à ce stade-ci. Notre principal partenaire au Royaume-Uni est le British Antarctic Survey, également situé à Cambridge.
Pour l’heure, nous profitons du fait que le British Antarctic Survey utilise, dans le cadre de son programme sur l’Antarctique, des avions Twin Otter de fabrication canadienne qui sont exploités par Kenn Borek Air, une société canadienne située à Calgary, et chaque saison après l’été antarctique, ces appareils sont retournés au Canada aux fins d’entretien à Calgary. Nous avons pris des dispositions pour que ces avions équipés d’instruments soient envoyés à Cambridge Bay pour littéralement le prix de l’avitaillement. Ainsi, au printemps dernier, nous avons effectué une vaste évaluation de la neige et de la glace à bord de ces avions pour calibrer nos mesures prises au sol avec leurs mesures aériennes afin d’extrapoler davantage à partir de zones plus étendues en utilisant nos observations au sol, les observations à haute résolution par aéronef et les observations par satellite en partenariat avec la NASA dans le cadre d’un programme appelé ABoVE, l’Arctic-Boreal Vulnerability Experiment.
Ce sont de bons exemples qui montrent comment nous travaillons en partenariat avec une autre organisation pour mettre à contribution des capacités dont nous ne disposons pas à Polaire ou parfois au Canada et tirer parti de leurs investissements dans le cadre de notre programme qui consiste à travailler dans l’Arctique canadien pour résoudre des problèmes qui comptent pour les gens du Nord. Les causes fondamentales de ces phénomènes revêtent aussi une importance pour la communauté scientifique internationale. En réglant des problèmes au Canada, qu’ils soient de nature pratique pour les habitants du Nord ou de nature théorique, nous pouvons publier ces travaux dans des publications à comité de lecture qui intéressent tous les chercheurs spécialistes des régions polaires.
Enfin, en ce qui concerne… Je crois que vous avez fait allusion à l’Université de l’Arctique, qui est une coalition…
La sénatrice Bovey : Non. Je parle des universités situées autour du cercle arctique à l’échelle internationale. Comme j’ai visité l’Université d’Akureyri il y a quelques années, j’ai été intriguée par ce qu’on faisait là-bas et, bien entendu, j’ai participé aux activités de l’Université du Manitoba. En somme, vous avez regroupé tout cela. Je pense simplement que le Canada a été très… Je ne veux pas utiliser le terme « laxiste ». Je suppose que c’est trop fort, mais je me demande si nous profitons pleinement des occasions et des liens.
M. Scott : Bon nombre de ces universités, y compris celles en Islande, sont membres de la coalition appelée l’Université de l’Arctique, un réseau virtuel d’universités qui sont basées en Arctique ou qui s’intéressent à l’Arctique. Ces universités offrent des programmes virtuels pour les étudiants de deuxième et troisième cycles, des cours d’été sur le terrain et tout le reste. Nous continuons de trouver des moyens de collaborer avec elles pour peut-être, je le répète, attirer des étudiants internationaux vers l’Arctique canadien afin de mettre à profit divers types de connaissances, ainsi que pour aider les étudiants canadiens à aller à l’étranger — idéalement, les étudiants du Nord — afin de leur permettre de découvrir d’autres perspectives externes.
La sénatrice Bovey : Pour en revenir à l’institut polaire à Cambridge, je sais qu’il y a une longue collaboration avec certains chercheurs canadiens. J’ignore où en sont les choses à l’heure actuelle. J’étais à Cambridge récemment et j’ai passé devant l’établissement, mais je n’ai pas eu le temps d’y entrer.
M. Scott : Il y a environ un an et demi, j’ai passé quelques jours à Cambridge, au Scott Polar Research Institute, avec lequel je n’ai pas nécessairement établi de liens. J’ai parlé avec quelques professeurs-chercheurs là-bas, et nous avons convenu de lancer, en quelque sorte, un programme d’échange d’étudiants. Nous pourrions même commencer à établir des projets au niveau de la maîtrise sur des sujets d’intérêt, encore une fois, pour les gens du Nord, et ce travail pourrait être réalisé par un étudiant en visite de Cambridge dans le cadre d’une thèse, auquel cas nous aurions également accès au professeur et à l’étudiant. Nous pouvons offrir, grâce à nos partenariats ou sur le campus même à Cambridge Bay, des possibilités de recherche qui constituent littéralement une expérience inoubliable pour un étudiant étranger, tout en lui permettant de nous aider à créer des connaissances qui comptent ici, chez nous.
La sénatrice Bovey : Et maintenant qu’un Canadien est vice-chancelier de l’Université de Cambridge, le tour est joué.
Le président : Monsieur Scott, seriez-vous en mesure de nous dire, maintenant ou plus tard, combien de fonds le Canada accorde au réseau de l’Université de l’Arctique?
M. Scott : Je n’ai pas les détails.
Le président : C’est pourquoi je vous invite à nous communiquer ces renseignements plus tard.
M. Scott : Oui. Pour le moment, cela se fait surtout par l’entremise d’autres universités plutôt que par l’intermédiaire du gouvernement fédéral. Je vais voir ce que je peux dénicher à ce sujet.
Le sénateur Neufeld : Merci, monsieur Scott, de votre présence et des renseignements fort intéressants que vous nous avez fournis.
Je me rappelle que la loi a été adoptée en décembre 2014. A-t-elle été modifiée depuis? Aidez-moi à comprendre. Il se passe parfois des choses ici sans qu’on s’en rende compte. La loi a-t-elle subi des modifications?
M. Scott : Après l’entrée en vigueur de la loi, un certain nombre d’incohérences techniques ont été repérées.
Le sénateur Neufeld : Ce n’était donc rien de majeur?
M. Scott : Rien de majeur, non. Et le ministère entreprend de corriger certaines d’entre elles. Il y a notamment une incohérence entre ce que nous proposons, c’est-à-dire la capacité de posséder ou de louer un bien immobilier, et ce que prévoit la Loi sur les immeubles fédéraux. Nous essayons tout simplement de rendre la loi un peu plus compatible avec les mesures législatives en vigueur.
Le sénateur Neufeld : D’accord. Vous avez également dit qu’il y a 58 équivalents temps plein, dont 40 à Cambridge Bay et 8 à Ottawa. Je crois que vous avez mentionné que votre effectif compte huit Inuits. Viennent-ils de Cambridge Bay ou d’autres collectivités de l’Arctique?
M. Scott : À l’heure actuelle, parmi les huit Inuits qui travaillent avec nous à Cambridge Bay, l’un vient de Gjoa Haven, un peu à l’est, mais toujours dans la même région, et les autres sont originaires de Cambridge Bay. Nous avons deux Inuits ici à Ottawa, dont l’un vient d’Iqaluit, et je dois vérifier auprès de mon collègue quant au lieu d’origine de la deuxième employée ici, mais elle ne vient pas de Cambridge Bay.
Le sénateur Neufeld : J’imagine que vous comptez encourager des gens du Yukon, des Territoires du Nord-Ouest, de toutes ces collectivités, à au moins venir faire un tour. Êtes-vous allé dans ces régions pour parler des occasions qui s’offrent?
M. Scott : Oui. Permettez-moi de commencer par dire que, à notre bureau principal à Cambridge Bay, au Nunavut, nous sommes assujettis à l’accord du Nunavut. L’article 23 de cet accord oblige les ministères fédéraux qui mènent des activités au Nunavut à s’efforcer d’employer un nombre représentatif d’Inuits au sein de la fonction publique fédérale. Voilà pourquoi, à notre bureau principal, nous accordons une attention toute particulière à l’embauche d’Inuits; c’est parce que notre bureau principal est situé au Nunavut et visé par l’accord en question.
Nous tenons à prendre de l’expansion, et notre loi nous encourage à avoir une présence dans le Nord, ailleurs qu’à Cambridge Bay. Nous comptons bien remplir cet objectif à mesure que notre organisation grandira et prendra de la maturité. D’ailleurs, nous avons récemment embauché une personne qui vit à Dawson, au Yukon, et qui a commencé il y a une semaine et demie à travailler comme analyste principale des politiques et spécialiste de la mobilisation. Nous avons donc déjà entamé des démarches en ce sens.
Le sénateur Neufeld : Souhaitez-vous que des Inuits aillent fréquenter des universités dans le Sud, ou d’autres universités dont la sénatrice Bovey a parlé, afin d’acquérir des connaissances, pas nécessairement pour rester là, mais pour ramener avec eux ce savoir? Est-ce que cela fait partie des résultats escomptés?
M. Scott : Oui, cela figure parmi nos objectifs de renforcement des capacités à long terme. Nous reconnaissons qu’il faudra beaucoup de temps avant qu’un nombre supplémentaire de gens du Nord finissent leurs études secondaires et postsecondaires.
Le sénateur Neufeld : C’est ce qui s’impose.
M. Scott : Absolument, et beaucoup d’habitants du Nord préfèrent avoir ces possibilités d’éducation plus près de chez eux. Le Collège de l’Arctique du Nunavut possède des campus dans chaque collectivité, mais l’apprentissage à distance est entravé par une connexion Internet relativement lente. Dans un proche avenir, nous offrirons une combinaison de possibilités d’apprentissage local et d’apprentissage à distance, ce qui sera une tâche compliquée jusqu’à ce que la vitesse d’Internet augmente au Nunavut, ainsi que des occasions d’apprentissage dans le Sud. Nous ferons un peu de tout cela.
Le sénateur Neufeld : Je pose souvent des questions sur l’adaptation au sein du Comité de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles. Le gouvernement fédéral vient de publier un rapport qui révèle que nous sommes loin de remplir nos engagements d’ici 2020, et encore moins d’ici 2030 ou 2050. Quand on regarde ce qui se passe dans le monde, on s’aperçoit que le Canada n’est pas le seul pays. La plupart des États n’arrivent pas à atteindre ces cibles.
Que pensez-vous de cette situation? J’ai lu certains des renseignements. Les températures ont augmenté de 3 degrés — certains disent 2 degrés et d’autres, 3 degrés. Je ne sais pas ce qu’il en est exactement, et je ne remets pas cela en question. D’après vous, que se passera-t-il réellement? Comment nous adaptons-nous? Comment aidons-nous les gens à s’adapter, dans de telles conditions, à ce qui est inévitable? Cela va se produire. J’espère bien que ce ne sera pas le cas, mais il n’y a rien qui me donne l’assurance que ces cibles seront atteintes. Et même si elles le sont, nous allons maintenir le tout à 2 degrés et, en ajoutant 3 degrés, cela fait 5. Qu’arrivera-t-il alors?
M. Scott : Je partage votre opinion, et cet aspect est pris en considération dans notre programmation; ainsi, une bonne partie de ce que nous faisons en matière de création du savoir et de mobilisation vise à aider les gens à s’adapter aux changements qui surviennent dans l’Arctique. Les mesures d’atténuation englobent des choses comme l’élaboration de politiques nationales ou internationales qui autorisent ou interdisent l’utilisation de certains produits ou qui précisent lesquels sont à privilégier plus que d’autres; de notre côté, nous cherchons surtout à comprendre les phénomènes et leurs effets sur l’environnement local — par exemple, la stabilité de la piste d’atterrissage en raison de la fonte d’éventuels coins de glace, nous empêchant ainsi d’utiliser notre seul lien avec le monde extérieur.
Comment pouvons-nous mieux nous adapter aux changements? Il s’agit, en partie, d’évaluer la rapidité des changements possibles afin que les décisions en matière d’investissement puissent être classées par ordre de priorité selon les zones géographiques qui risquent d’être les plus durement et les plus rapidement touchées. Pour comprendre les changements climatiques, nous déployons des efforts notamment pour être en mesure de mieux calibrer la façon dont les températures changent et, par ricochet, de comprendre les conditions particulières des diverses régions de l’Arctique — c’est-à-dire déterminer quelles régions sont les plus vulnérables, quelles répercussions peuvent être prévues et quelles mesures pourraient être prises à l’échelle communautaire, sachant qu’un grand nombre d’entre elles exigeront du financement. Toutefois, il s’agit de mieux comprendre quelles sont les régions les plus vulnérables, où se trouvent les vulnérabilités et quelles mesures d’atténuation pourraient s’imposer afin d’assurer l’adaptation et la viabilité de ces collectivités de la manière la plus rentable possible.
Le sénateur Neufeld : J’espère que ce genre de rapports sera publié sous peu.
M. Scott : Nous y travaillons, à l’instar d’autres organisations. Pour l’instant, le Conseil de l’Arctique et ses groupes de travail sont certains des intervenants les plus actifs pour ce qui est d’expliquer de façon synoptique à quoi pourraient ressembler les changements. Pour notre part, nous continuons de concentrer nos efforts sur la compréhension des causes de ces changements et, ensuite, en mobilisant ces connaissances, nous aidons les collectivités à comprendre les conséquences à l’échelle locale et les vulnérabilités auxquelles elles s’exposent.
Le sénateur Neufeld : Soit dit en passant, pour en revenir à Kenn Borek Air, j’habite à Fort St. John, à seulement 70 kilomètres de Dawson Creek. Le siège social de Kenn Borek Air est situé à Dawson Creek. C’est là que vivait le fondateur de l’entreprise et, d’ailleurs, sa famille y habite toujours. Il possède le plus grand nombre d’avions Twin Otters au monde, quelque part à Dawson Creek, et ces appareils étaient utilisés dans l’Arctique pendant de nombreuses années.
M. Scott : C’est également un important exploitant dans l’Antarctique. Ces avions et cette entreprise comptent certains des pilotes les plus compétents du monde.
Le sénateur Oh : Y avait-il une raison particulière pour avoir choisi Cambridge Bay comme emplacement du centre de recherche?
M. Scott : Je ne peux pas me prononcer sur le processus intégral, car le tout a commencé avant mon arrivée, sous l’égide du ministère. À ma connaissance, trois sites avaient été envisagés : Pond Inlet, à l’extrémité nord de l’île de Baffin; Resolute Bay, dans la région centrale de l’Extrême-Arctique; enfin, Cambridge Bay, un peu plus au sud et à l’ouest de Resolute. On a choisi Cambridge Bay, entre autres, parce qu’il y avait beaucoup de lacunes dans les données concernant la région et parce que la collectivité s’est montrée très ouverte à l’idée d’accueillir une importante infrastructure physique dans sa région. C’est tout ce que je sais au sujet du processus de sélection.
Le sénateur Oh : J’aimerais revenir sur un point. La sénatrice Eaton a parlé tout à l’heure de l’intérêt que manifeste tout à coup la communauté internationale. Singapour, la Chine et beaucoup de pays tropicaux s’intéressent à la recherche dans l’Arctique. C’est peut-être en raison du passage du Nord ou des minéraux, ou que sais-je encore. Pouvons-nous faire confiance à tous ces observateurs? Doivent-ils être membres du club du cercle de l’Arctique, ou est-ce qu’ils contribuent aux fonds de recherche ou peu importe?
M. Scott : Tout d’abord, je dirai peut-être un mot sur la souveraineté des ressources existantes. De toute évidence, dans la région côtière et la zone économique exclusive actuelle de 200 milles nautiques, où se trouvent la plupart des ressources d’hydrocarbures connues, je crois que personne ne remet en question la compétence du Canada à l’égard de ces ressources et de toute décision relative à leur exploitation, le cas échéant. À mon avis, nous avons tort de présumer que Singapour pourrait un jour se présenter avec un appareil de forage et commencer à extraire du pétrole. J’estime qu’il y a suffisamment de règlements fédéraux et de souveraineté reconnue pour nous permettre de contrôler l’exploitation de ces ressources dans l’Arctique.
Un autre facteur qui intéresse de nombreux pays observateurs, c’est le transport. Singapour est, selon moi, l’un des meilleurs exemples, tout comme la Chine, pour ce qui est de reconnaître l’importance des réseaux de distribution mondiaux pour leurs économies respectives; à la recherche constante de moyens pour accroître l’efficacité, ces pays reconnaissent le potentiel offert par le passage du Nord-Ouest du Canada, qu’ils considèrent comme un nouvel itinéraire qui diffère de certaines routes plus longues dont la taille est restreinte notamment par des écluses, comme le canal de Panama. Il y a donc un certain nombre de facteurs qui entrent en jeu.
Certains pays sont motivés à démontrer qu’ils peuvent faire ce que font les grands pays. En effet, les grands pays ont une présence dans l’Arctique et l’Antarctique, et certains petits pays, situés plus au sud, veulent leur emboîter le pas. L’exemple qui me vient à l’esprit, c’est celui de l’Inde. Ce pays joue un rôle important dans l’Antarctique et s’intéresse de plus en plus à adopter un programme axé sur l’Arctique. L’Inde possède un programme spatial. Elle compte d’ailleurs envoyer un homme sur la lune. Elle veut, elle aussi, travailler dans l’Arctique pour démontrer ses capacités techniques. Voilà ce qui motive certains de ces pays.
La sénatrice Coyle : Merci beaucoup, monsieur Scott. C’était un exposé très intéressant, et nous vous souhaitons bon succès dans le travail de Savoir polaire.
Tout d’abord, vous parlez de l’importance primordiale des questions que les résidants de l’Arctique se posent. Comme je n’ai pas votre expérience en la matière, je me demande si vous pourriez nous dire quelles sont les deux ou trois grandes questions que vous entendez constamment de la part des habitants de l’Arctique. Quelles questions vous posent-ils?
Ensuite, dans le même ordre d’idées, que demandent les femmes? Je suis curieuse d’en savoir plus à ce sujet. Vous avez mentionné le rapport de Mary Simon et, bien entendu, Mary était autrefois à la tête d’ITK lorsque je l’ai connue; vous avez aussi dit qu’un nouveau document sera publié cette semaine. Je me demande s’il y a un synchronisme entre les deux ou si vous prévoyez plutôt des différences.
M. Scott : Je vais vous donner quelques exemples des types de questions qu’on nous pose. En voici une : y a-t-il un danger à se déplacer sur la glace? D’après les données dont nous disposons, dans certains cas, les gens estiment que la glace est différente aujourd’hui, et ce, à différents moments de l’année. Il y a moins de certitude, et il arrive de plus en plus souvent que des motoneiges s’enfoncent sous la glace, qui n’est plus solide comme elle le paraît. Devant cette situation, nous appuyons, comme d’autres, une initiative appelée SmartICE, qui met à contribution les meilleures connaissances traditionnelles dont disposent les chasseurs qui se déplacent sur le territoire afin de les doter de gadgets de haute technologie qu’ils peuvent transporter derrière leur motoneige pour évaluer en temps réel l’épaisseur de la glace sur laquelle ils se déplacent. La glace paraît bonne en surface, mais à cause du réchauffement des eaux, elle s’érode à partir du dessous, ce qui peut devenir dangereux si on ne le sait pas. Peut-on se déplacer sans danger sur la glace de mer aujourd’hui? Voilà donc une des questions qui reviennent souvent, et nous pouvons aider à cet égard de différentes façons.
Une autre question porte, de façon générale, sur l’abondance des espèces fauniques. Il semble y avoir moins de caribous dans la région. Est-ce parce qu’on voit un plus grand nombre de loups pour une raison quelconque? C’est là une question dont nous avons récemment discuté avec les représentants de l’organisation de chasseurs et de trappeurs à Cambridge Bay. Ils souhaitent d’ailleurs lancer un projet de recherche à cet égard. Ils ont une hypothèse : nous pensons que le déclin des caribous et des bœufs musqués sur l’île Victoria est attribuable, en partie, à une augmentation de la population de loups. C’est ce que nous observons, de façon empirique, sur le terrain, mais nous ne prenons jamais la peine de les compter systématiquement, de les photographier, de les répertorier ou d’en faire un suivi au moyen d’un GPS. Y a-t-il lieu de travailler ensemble pour mieux comprendre l’état de la population de prédateurs, surtout des loups? Nous commençons donc à travailler avec les chasseurs et les trappeurs pour élaborer un plan de travail qui leur permettra de répondre à leur question pour amener les gens à comprendre le travail qu’ils accomplissent et à convenir que ce n’est pas seulement la chasse excessive qui est en cause, mais d’autres pressions qui n’étaient pas reconnues avant.
Un autre sujet est la sécurité alimentaire. L’omble chevalier vient dans la région à des moments différents et se rend à des endroits différents. Cela répond peut-être à votre troisième question, ou plutôt à la deuxième partie. Certains aînés, y compris des femmes, affirment que le poisson a maintenant un goût différent. Pourquoi? Pour le moment, je n’ai aucune idée de la façon dont nous pourrions aider à régler cette question, mais chose certaine, si le poisson se rend à des endroits différents lorsqu’il quitte le lac, sa nourriture change aussi en fonction de ce qui est disponible; c’est donc le genre de facteurs qui pourraient modifier le goût des aliments sur lesquels ces gens comptent depuis des millénaires.
Nous devons trouver des moyens d’écouter les questions qui sont posées et de combiner le savoir que possèdent ces gens — savoir qui nous fait défaut — avec des modes de connaissance comme la biologie moléculaire et la génétique au niveau moléculaire, qui ne sont pas encore disponibles dans le Nord, pour étudier le tout au fil du temps en vue de trouver certaines de ces réponses définitives qui leur permettront de prendre des décisions plus éclairées.
La sénatrice Coyle : Vous n’avez pas répondu à ma question sur les femmes et le rapport de Mary Simon.
M. Scott : En ce qui concerne le rapport de Mary Simon, je me contenterai de dire que nous le trouvons inspirant. Ce document nous donne des idées sur la façon de mieux faire notre travail. Le message le plus important à retenir, c’est qu’il faut écouter davantage les Autochtones du Nord, tenir compte de leurs questions et se laisser inspirer à travailler avec eux et à mettre à contribution, en tout respect, leur savoir pour aller de l’avant.
La sénatrice Coyle : Et qu’en est-il des femmes?
M. Scott : Je ne saurais vous le dire en ce moment. Je n’ai pas la ventilation de ces données. Je vois les questions cumulatives, mais pas la façon dont elles sont réparties.
La sénatrice Coyle : Mais vous ventilez…
M. Scott : C’est bien le cas. Dans le cadre du processus relatif au Cadre stratégique pour l’Arctique, nous recueillons une quantité énorme de commentaires, qui sont ensuite ventilés. Nous serons donc en mesure de répondre à cette question.
Le sénateur Day : J’aimerais vous renvoyer à la page 6 du document que vous nous avez remis. Il y est question de l’infrastructure de recherche de l’Arctique. On voit des points verts et rouges. Tous les points rouges représentent les infrastructures de recherche du gouvernement du Canada. C’est beaucoup, me semble-t-il. Je vous félicite pour les travaux en cours. Je n’aurais jamais imaginé qu’il y en avait tant. Je suis d’accord avec vous pour dire qu’il s’agit d’une immense zone géographique et qu’il existe de nombreuses lacunes à combler. Pourriez-vous nous parler de certains des points verts qui représentent des infrastructures de recherche n’appartenant pas au gouvernement du Canada? Vous avez évoqué tout à l’heure l’exploitation minière. Il s’agit d’une recherche qui est en cours. S’agit-il d’entreprises privées? Que se passe-t-il au juste?
M. Scott : Pour vous répondre brièvement, la plupart des points verts représentent des infrastructures non fédérales, mais cela peut aussi comprendre des organismes des gouvernements territoriaux ou des organismes universitaires. Par exemple, le Centre d’études nordiques de Churchill est illustré par le point vert dans le coin nord-est du Manitoba. Un certain nombre de points verts au Québec représentent les stations du Centre d’études nordiques de Laval et de McGill. Donc, en gros, les points verts désignent soit des organisations basées dans le Nord, soit les installations nordiques des universités du Sud.
Une bonne partie des points rouges sont un peu trompeurs. Ceux qui sont dans la vallée du Mackenzie sont des postes où l’on mesure les températures du pergélisol, mais aucun autre paramètre. Une partie de ceux que l’on voit dans la portion centrale du Nunavut, à l’ouest de la baie d’Hudson, désigne des postes où l’on mesure les débits d’eau, mais rien d’autre. Le Service hydrographique du Canada surveille le débit de nombreux cours d’eau canadiens, mais pas la température ou le pergélisol sur place. Ces données ne sont pas suffisamment agrégées. Cette carte donne une image très optimiste de la situation. Il y a beaucoup de régions où l’on ne mesure aucun paramètre physique. Par conséquent, en l’absence de données, il nous est impossible de faire des prédictions.
Le sénateur Day : Parmi ces points verts, y en a-t-il qui représentent des postes de recherche ou des établissements de pays étrangers dans le Nord canadien et l’Arctique?
M. Scott : Il y en a peut-être un ou deux.
Le sénateur Day : Cela indiquerait-il la présence d’une tendance à suivre l’activité antarctique de nombreux pays?
M. Scott : La tendance que nous voyons émerger avec les acteurs internationaux, c’est qu’ils veulent s’associer à des partenaires canadiens, qu’il s’agisse de collectivités ou d’universités canadiennes. L’Institut Alfred Wegener — qui est basé en Allemagne — est un intervenant de premier plan pour la recherche polaire, au nord comme au sud. Il vient tout juste de recevoir un financement européen pour travailler sur les questions de pergélisol dans la région de Beaufort-Delta. Comme certains de vos témoins subséquents vous le diront peut-être, l’institut a noué des liens dynamiques avec les chercheurs canadiens. Les chercheurs internationaux ont tendance à vouloir travailler avec les Canadiens. Si l’institut construit ici une infrastructure de propriété allemande, sachez que la collecte et l’analyse de données se feront avec la participation de Canadiens.
Le président : Je pense que M. Scott nous donnera des informations détaillées sur les projets de recherche que vous parrainez.
Pouvez-vous nous décrire ou nous soumettre la composition du conseil d’administration de Savoir polaire Canada et nous dire s’il y a des postes vacants?
M. Scott : Le conseil d’administration compte neuf postes. Le président du conseil est Richard Boudreault, un entrepreneur en technologie de Montréal.
La vice-présidente est Liseanne Forand, une haute fonctionnaire fédérale à la retraite. Elle a travaillé dans différents ministères, dont celui qui s’appelait à l’époque Affaires autochtones et du Nord Canada. Elle connaît bien le Nord. En fait, elle travaillait au ministère lors de la création du projet de Station de recherche de l’Extrême-Arctique.
Il y a sept autres postes ordinaires. Six d’entre eux sont pourvus et il y en a un qui est vacant.
Mme Janet King fait partie de notre conseil d’administration. Elle est la présidente actuelle de l’Agence canadienne de développement économique du Nord, mais ce n’est pas la raison pour laquelle elle fait partie de notre organisme. Sa nomination vient plutôt du fait que sa carrière l’a menée à acquérir une solide expérience au sujet du Nord.
Comme autre membre, nous avons Nancy Karetak-Lindell, qui est originaire d’Arviat, au Nunavut, et qui est l’ancienne présidente du Conseil circumpolaire inuit.
Ensuite, il y a Adamie Delisle-Alaku, de Kuujjuaq, au Nunavik — dans le Nord du Québec —, qui travaille avec la Société Makivik. Si je ne m’abuse, je crois qu’il est vice-président aux ressources naturelles.
Il y a aussi Gerald Anderson, qui est de descendance inuite et qui est originaire du Nunatsiavut, dans la région de Goose Bay, au Labrador. Il est le directeur actuel du Marine Institute de l’Université Memorial, à St. John’s.
Enfin, il y a Maribeth Murray, qui est titulaire d’un doctorat, et qui travaille pour l’Institut arctique de l’Amérique du Nord, à l’Université de Calgary. Ses spécialités sont les changements climatiques et la gestion des données.
Le président : Vous pourrez nous soumettre cette information plus tard. Est-ce que le poste vacant est pour une région particulière ou…
M. Scott : Aucun de ces postes n’est associé à une région particulière, mais nous sommes heureux de compter trois Inuits au sein du conseil d’administration actuel.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Scott. Nous serons heureux d’interagir avec vous pour la suite de nos travaux.
J’aimerais maintenant souhaiter la bienvenue à notre prochain groupe d’experts. Il s’agit de Louis Fortier, qui est professeur à l’Université Laval et membre du réseau de centres d’excellence du Canada ArcticNet, de Christopher Burn, qui est professeur émérite de géographie à l’Université Carleton, et de Joel Heath, qui est directeur général de la Société des eiders de l’Arctique. Nous avons une heure. En gardant vos exposés à cinq minutes, cela nous donnera du temps pour poser des questions. Merci.
Louis Fortier, professeur, Université Laval et ArticNet réseau de centres d’excellence du Canada, à titre personnel : Merci de cette invitation. Je suis le directeur scientifique du réseau de centres d’excellence du Canada ArcticNet, qui étudie depuis 14 ans tous les aspects des changements qui se produisent dans l’Arctique. Je suis aussi responsable du brise-glace de recherche Amundsen, qui est représenté sur vos billets de 50 $.
Comme vous l’avez probablement entendu dire — cela n’est certes pas un secret pour vous —, l’Arctique est en train de changer. Il ne fait pas que se réchauffer. Il est aussi en train de se moderniser et de s’industrialiser, ce qui est une suite logique ou une conséquence de ce réchauffement. Cette transformation de l’Arctique a déjà des répercussions climatiques, géopolitiques, économiques, environnementales et sociales majeures.
Bien entendu, cette transformation a une dimension humaine importante puisque le Canada compte 60 000 Inuits canadiens répartis dans 53 communautés côtières. D’autres nations sont également présentes dans le Nord. Ces gens qui peuplent le territoire depuis fort longtemps assistent à la transformation de leurs milieux marins et terrestres, à la détérioration de leur santé physique et mentale, à la déstabilisation de leurs infrastructures et à la mise en péril de leurs approvisionnements en nourriture et en eau douce. Ils sont préoccupés par la dévolution des pouvoirs. Bien sûr, ils voient des occasions d’ordre économique. Leur système d’éducation a besoin d’une mise à niveau. Enfin, ils constatent que la transformation de leur monde contient un élément de mondialisation.
C’est pour étudier toutes ces questions — ces questions qui sont vraiment fondamentales et stratégiques pour le Canada et d’autres pays — que le réseau de centres d’excellence ArcticNet a été créé, en 2003-2004. L’objectif était de mettre la recherche intersectorielle au service des prises de décisions concernant cet Arctique en mutation. La recherche intersectorielle est celle qui fait converger les sciences naturelles, les sciences de l’environnement, ainsi que les sciences sociales et les sciences de la santé.
Le réseau est très grand. Il compte 41 projets de recherche et 155 chercheurs principaux répartis dans 32 universités canadiennes. Le réseau regroupe entre autres 1 600 spécialistes des sciences, dont des gens du Nord, et 29 chaires de recherche. Nous entretenons actuellement d’importants liens de collaboration avec 14 pays.
Un aspect très important de la philosophie d’ArcticNet, c’est que nous avons intégré l’expertise inuite à tous les échelons de l’organisation, du conseil d’administration au travail sur le terrain.
Nous avons également développé des partenariats de recherche majeurs avec le secteur privé. Nous procédons aussi au déploiement d’instruments de recherche d’importance, comme l’Amundsen, mais aussi les stations du Centre d’études nordiques dont vient de parler mon collègue, David Scott.
Comme je l’ai dit, nous avons un programme de recherche central qui englobe les systèmes océaniques et les systèmes terrestres, la santé, l’éducation et l’adaptation des Inuits, la politique et le développement du Nord ainsi que le transfert des connaissances.
L’une des façons dont nous rassemblons toute cette recherche et toute cette science est ce que nous appelons le protocole d’études d’impact régionales intégrées. Il s’agit en fait d’un cadre. Nous avons divisé l’Arctique maritime — l’Inuit Nunangat — en quatre régions. Dans chacune de ces régions, nous avons consulté les communautés, les gouvernements, et cetera, afin de cerner les problèmes existants et de recenser les questions qui les intéressaient. Puis, nous avons fait des recherches afin de répondre à ces questions.
Nous avons recoupé toutes ces informations avec des projections sur ce que sera le climat dans 25, 50 ou 100 ans afin de dégager des recommandations sur la façon de s’adapter aux changements présents et à venir. Pour chacune des régions, nous avons préparé une évaluation en fonction des études d’impact régionales intégrées. Nous sommes présentement en train de moderniser ce processus afin de l’accélérer, ce qui nous permettra de répondre aux questions de plus en plus rapidement.
À propos des choses que nous étudions, la sénatrice Coyle a demandé de quoi les femmes se préoccupent. L’une des choses que les femmes voulaient savoir, c’est ce qui va arriver à la production de baies dans la toundra. Cette production occupe une place centrale dans l’économie domestique des femmes. Nous avons donc mis sur pied un projet afin d’évaluer ce qui va arriver aux bleuets et aux autres baies. Je pourrais aussi parler de l’eau potable dans les communautés, de la déstabilisation du pergélisol, de la couverture de glace de mer, du sort du caribou et de l’omble, et de la situation en matière de sécurité et d’insécurité alimentaire dans le Nord. C’est le type de questions auxquelles nous nous efforçons de répondre, en collaboration avec ces populations, en allant chercher et en intégrant leur savoir traditionnel — ce que je préfère appeler leur « savoir-faire nordique ».
À l’heure actuelle, nous pouvons voir que ce que nous appelons les services écosystémiques — les biens, les produits et les avantages tirés des différents écosystèmes — sont en perte de vitesse. Il est plus difficile qu’avant de se procurer la nourriture traditionnelle. Les pratiques de santé traditionnelles qui vont de pair avec la nourriture traditionnelle sont aussi sur le déclin. L’eau potable, le transport local, les relations sociales et les avantages culturels que procuraient les écosystèmes sont des choses qui sont menacées, et cela inquiète les gens.
Paradoxalement, les nouveaux services écosystémiques que crée la transformation de l’Arctique profitent surtout aux sociétés du Sud. Ce sont des choses comme le tourisme, la pêche commerciale, la navigation, l’hydroélectricité et l’accès aux ressources naturelles. Il y a une sorte de déséquilibre écologique par rapport aux populations locales, qui ne retirent pas autant de bénéfices qu’elles le pourraient de ces situations. C’est ce que nous voyons en ce moment.
ArcticNet est présentement dans un concours de renouvellement, c’est-à-dire que notre financement vient de prendre fin ce mois-ci. Nous voulons obtenir des fonds additionnels. L’objectif stratégique du réseau est de réunir ce que nous considérons comme les trois piliers de la recherche nordique canadienne. Au Canada, nous avons tendance à financer ou à appuyer un seul secteur à la fois, mais à l’heure actuelle, pour l’Arctique, nous devons appuyer la recherche universitaire, la recherche au sein des ministères que décrivait David Scott et ce nouveau troisième pilier qui est une capacité de recherche et de formation canadienne dans le Nord. Au lieu d’avoir une compétition de souque à la corde entre ces secteurs, nous devons unir nos forces et créer une synergie. C’est ce que nous devons faire pour nous assurer de présenter un programme national de recherche sur l’Arctique qui soit à la hauteur de nos responsabilités internationales à l’égard de cette région.
Nous voulons maintenir et développer plus avant nos partenariats avec les communautés nordiques, avec la recherche internationale et avec le secteur privé. Nous voulons améliorer l’accès à l’Arctique pour la recherche. Par exemple, nous avons besoin d’un nouveau brise-glace de recherche scientifique. L’Amundsen se fait vieux. Il est constamment en panne. C’est un bâtiment relativement modeste qui n’a pas été conçu pour la recherche scientifique. À l’heure actuelle, tous les pays sont en train de se doter d’un brise-glace de recherche. Nous devons faire partie de cette course. Nous devons être sur place et devenir des meneurs sur le terrain.
Nous espérons que le nouveau Cadre stratégique pour l’Arctique nous donnera les moyens d’atteindre ces objectifs. L’un de ces objectifs stratégiques consiste à accroître notre capacité de participer à de grands efforts multinationaux. Il y a beaucoup d’exemples. Entre autres, il y a celui dont vous souhaitiez entendre parler, mais dont les dirigeants n’ont pas pu se joindre à nous ce soir, le BBOS, le Baffin Bay Observatory System, qui est un programme multinational de très grande envergure. Dans l’état actuel des choses, nous ne disposons pas des capacités voulues pour participer de manière adéquate à ce projet.
Voilà où nous en sommes. Encore une fois, je vous remercie sincèrement de m’avoir donné cette occasion de vous expliquer la situation.
Le président : Merci, monsieur Fortier. Pouvez-vous nous remettre une copie de votre demande de renouvellement de financement? Croyez-vous que c’est quelque chose que vous pourriez communiquer au comité?
M. Fortier : J’aurais bien aimé pouvoir le faire ce soir, mais cette demande n’est pas encore rédigée. La lettre d’intention pour le renouvellement du financement d’ArcticNet a été acceptée. La demande pour notre réseau a été retenue en compagnie de 11 autres demandes pour des réseaux, mais seulement 3 de ces demandes sont pour des réseaux matures qui sont arrivés au bout de leur financement, leurs deux premiers cycles de sept ans. Nous sommes présentement en compétition avec deux autres réseaux pour une enveloppe d’environ 9 millions de dollars, ce qui n’est pas suffisant, bien sûr, mais ce ne l’est jamais. La proposition intégrale est demandée pour le 19 juillet. Habituellement, ce sont des documents très confidentiels, et nous allons devoir vérifier auprès du Programme des réseaux de centres d’excellence, mais je crois que nous pourrions vous remettre une copie de la lettre d’intention. Il s’agit d’un document qui brosse les grandes lignes de ce qui se retrouvera dans la proposition intégrale.
Le président : Merci beaucoup.
J’invite maintenant M. Christopher Burn, de l’Université Carleton, à prendre la parole.
Christopher Burn, professeur émérite de géographie, Université Carleton, à titre personnel : Merci, sénateur Patterson. La semaine dernière, j’ai présenté à titre de témoignage un court document accompagné de quelques diapositives. Je vais faire un résumé des sujets abordés dans ce document, puis je vais soumettre quatre recommandations à l’intention du comité. La présentation contient six diapositives, puis il y en a cinq autres après la diapositive d’introduction.
La deuxième diapositive fait état de la température de l’air dans le delta du Mackenzie depuis 1926. Ces données montrent qu’entre 1926 et 1970 le climat a été relativement stable, mais que, après cela, la température annuelle a augmenté de façon soutenue, tant et si bien qu’elle est maintenant à 3 degrés Celsius au-dessus de ce qu’elle était. L’année dernière, en 2017, la température a atteint son deuxième point le plus chaud depuis le début de ces enregistrements, soit 5 degrés au-dessus de ce qu’elle était de 1926 à 1970.
L’image suivante fait état des précipitations à Inuvik depuis 1958 — les données sont presque complètes. J’ai disposé les données par ordre décroissant. Vous pouvez voir que 9 des 16 années où les précipitations ont été les plus importantes ont eu lieu depuis 2002. Avant cela, il n’y avait pas eu de changement important dans le régime pluviométrique.
Pour le mémoire que j’ai présenté en 2003, nous avions mis sur pied un petit groupe de personnes pour faire des prédictions sur les changements climatiques qui allaient survenir dans la vallée du Mackenzie tout au long du cycle de vie anticipé du projet gazier du Mackenzie. Or, le changement climatique marqué qui a été enregistré depuis a égalé ou dépassé ces projections de 2003.
La prochaine diapositive montre une photo en couleur de la route Dempster prise en 2016 dans une zone de construction. Les documents gouvernementaux indiquent une augmentation importante des coûts des activités d’entretien liées au climat depuis 2005.
Le troisième graphique de la quatrième diapositive montre les coûts d’entretien de la portion yukonnaise de la route liés à la gestion de la neige, aux glissements de terrain et aux ravinements qui bloquent la route, ainsi qu’à l’exfiltration de l’eau souterraine à l’automne et à l’hiver, et à l’accumulation de glace qui en découle. Ces coûts ont augmenté chaque année et ils augmentent également lorsque des travaux de réhabilitation technique sont inclus dans les travaux d’entretien courant.
La dernière diapositive montre que ces coûts liés au climat se sont accrus de plus de 400 000 $ par année pour la section de la route Dempster qui se trouve au Yukon. En 2005, l’entretien lié au climat représentait environ 20 p. 100 du budget d’entretien. Aujourd’hui, c’est 45 p. 100 du budget d’entretien qui doit être consacré à ces activités.
Les recherches menées actuellement sur les effets des changements climatiques dans le Nord se font en grande partie dans les territoires traditionnels des Autochtones. Certains scientifiques reconnaissent explicitement le savoir et l’expérience de ces personnes qui habitent ces terres depuis fort longtemps. Le savoir autochtone et la science occidentale ont des caractéristiques semblables tout en étant distincts. Les distinctions sont importantes puisqu’elles modifient la participation aux processus décisionnels et qu’elles peuvent même l’améliorer.
Enfin, le transfert de la gouvernance et du règlement des revendications territoriales a entraîné la délégation d’un grand nombre de responsabilités de gestion des terres et des ressources renouvelables dans le Canada arctique aux organismes nordiques. Le vérificateur général a récemment exprimé des préoccupations quant à l’incapacité des territoires de gérer les problèmes qui découlent et devraient découler de l’évolution des changements climatiques. Dans l’intérêt national, les recherches scientifiques menées dans le Nord doivent aider les organismes à s’acquitter de leur mandat.
En outre, les recherches scientifiques internationales ont augmenté en flèche dans l’Arctique au cours de la dernière décennie, mais nous ne disposons pour le moment d’aucun mécanisme pour en tirer parti afin d’aider les organismes qui œuvrent dans le Nord.
Je soumets respectueusement quatre recommandations à votre attention. Nous recommandons d’abord que le gouvernement fédéral renforce la capacité des organismes du Nord de gérer et d’atténuer les effets des changements climatiques.
Le président : Pourriez-vous aider le comité? Vous faites ici référence aux recommandations qui figurent au point no 9 du document que vous nous avez présenté?
M. Burn : Oui.
Le président : Merci. Nous voulions simplement nous assurer de pouvoir vous suivre.
M. Burn : Il y a quatre recommandations. La première, comme le sénateur Patterson l’a indiqué, se trouve au point no 9 du document que je vous ai remis.
Nous recommandons d’abord que le gouvernement fédéral renforce la capacité des organismes du Nord de gérer et d’atténuer les effets des changements climatiques.
En outre, le gouvernement fédéral devrait parrainer une série d’ateliers dans le Nord en vue d’évaluer les partenariats en matière de développement des connaissances qu’il est possible d’établir entre le savoir autochtone et la science occidentale, et la capacité de ces connaissances d’appuyer la prise de décisions en une période de changements climatiques rapides.
De plus, le gouvernement fédéral devrait contribuer à la conception de mécanismes administratifs afin de veiller à ce que les recherches scientifiques menées dans le Nord aident les organismes du Nord à remplir leur mandat.
Enfin, il devrait prendre des mesures pour s’assurer que les initiatives scientifiques provenant de l’étranger aident les organismes du Nord à relever les défis auxquels ils se heurtent.
Je voudrais remercier les distingués sénateurs de leur attention et de leur invitation à comparaître.
Le président : Merci. Nous entendrons maintenant M. Heath.
Joel Heath, directeur général, Société des Eiders de l’Arctique : Merci. C’est un privilège que de témoigner devant vous.
Je vous ai remis un document avec un canard en couverture. La Société des Eiders de l’Arctique est le nom de notre organisme caritatif.
Veuillez excuser ma voix. Je reviens à peine d’une expédition dans le Nord et elle est un peu faible.
Notre organisme caritatif, de modeste envergure, compte six années d’existence, mais il s’appuie sur 18 années de travail à Sanikiluaq. L’eider est notre symbole, son duvet étant la plume la plus chaude du monde. C’est la technologie de la nature, l’innovation inuite; il s’agit donc d’une métaphore pour l’innovation inuite. Nous faisons bien plus qu’étudier les canards maintenant, mais je vais vous expliquer brièvement l’origine de notre symbole.
Notre travail s’effectue dans la région de la baie d’Hudson, une partie oubliée de l’Arctique. Jusqu’à tout récemment, elle était fortement sous-financée comparativement à d’autres régions de l’Arctique parce qu’elle ne se trouve pas dans le passage du Nord-Ouest, mais les répercussions y sont substantielles. Elle sera touchée par les initiatives du Plan Nord, du Cercle de feu, du pont de l’Arctique et de tous ces projets en préparation. En raison des chevauchements de compétences entre les diverses régions, dont je traiterai dans un instant, il faut assurer la coordination entre les régions. C’est une grande priorité. La région a aussi une importance historique considérable pour le Canada, étant une source immense d’eau douce. Elle recueille l’eau de plus de 40 p. 100 du pays et d’une partie des États-Unis, et assure une part notable de l’approvisionnement en eau douce de la planète. Je considère que c’est une région importante que nous devons étudier.
Notre organisme a commencé ses activités dans le sud-est, dans le milieu de la baie, sur les îles Belcher, dans la communauté de Sanikiluaq. Vous pouvez voir qu’il y a un pont de glace, une grande plateforme de glace. Même si nous nous trouvons au milieu de la baie, nous pouvons surveiller les divers régimes océanographiques à partir de cette plateforme. La banquise est entourée de lisières et il existe 20 claires-voies. La semaine dernière, nous avons, pour la première fois en 20 ans, effectué la traversée entre les îles Belcher, au Nunavut, et le territoire québécois en surveillant l’eau douce au milieu de la baie d’Hudson avec une équipe de cinq habitants d’une communauté. De tels programmes communautaires peuvent vraiment avoir une incidence majeure et permettre d’effectuer des mesures importantes.
N’ayant pas de caribou, la communauté utilisait les eiders pour se vêtir et se nourrir. Voilà ce qui est à l’origine de notre symbole. Des dizaines de milliers d’eiders restaient prisonniers des glaces et mouraient. C’est ce qui m’a incité à travailler là-bas. Un sondage effectué avec Environnement Canada a révélé en 2018 qu’un grand nombre d’eiders restaient prisonniers des glaces en raison de gels soudains. Ils peuvent voler. Il s’agit d’une sous-espèce sédentaire qui reste dans la région à l’année et qui passe l’hiver dans la glace. Les gens utilisent les eiders pour se vêtir et se nourrir tout au long de l’année.
Je me suis rendu dans la région quand j’étais doctorant. Je suis allé dans le Nord principalement dans un intérêt universitaire, je suppose. Je m’intéressais fortement au système. Les eiders se trouvent dans les claires-voies, qui forment une sorte d’oasis, sans décider de l’endroit où ils s’installent. Quand je suis allé dans la région, la communauté s’inquiétait des décès, mais, compte tenu du coût des études universitaires et étant donné que je tentais d’obtenir mon doctorat, je m’intéressais tant à l’obtention de mon doctorat qu’à la compréhension des concepts et des grandes questions écologiques, qui sont d’importance égale. Je suis donc installé dans une cache près des claires-voies, surveillant les eiders et la glace se former pendant des mois, en tentant de trouver des idées novatrices. Quand j’ai fini par obtenir mon doctorat, les habitants de la communauté se sont réjouis que j’aie tant appris, mais ils m’ont fait comprendre que j’étais encore à la maternelle sur le plan du savoir inuit et que j’avais encore beaucoup à apprendre.
J’ai vraiment pris la question à cœur. Ma formation est en écologie quantitative et en mathématique. J’ai considéré comme un défi le fait de chercher comment nous pourrions intégrer pleinement les observations autochtones et les données scientifiques que nous recueillons et inversement. Ces observations sont souvent considérées comme anecdotiques. Elles le sont peut-être dans certains cas, mais les Inuits sortent tous les jours pour effectuer des mesures; leurs constats s’appuient donc sur des données. Quand il est question de savoir traditionnel, il faut tenir compte du temps, des connaissances locales et du point de vue géographique. Comment établir un lien entre toutes ces informations? Le fait de rester dans la communauté et de réfléchir à la manière dont nous pouvons intégrer pleinement les approches autochtones et les recherches menées par les Inuits m’a en quelque sorte fait emprunter un cheminement professionnel légèrement différent.
L’Année polaire internationale a servi de catalyseur pour notre organisme, qui a reçu du financement pour produire le documentaire intitulé Au gré de la plume arctique. Cette initiative, qui a conféré tout un élan à notre organisme, a permis de lancer certains de nos programmes communautaires.
Depuis lors, nous avons commencé à instaurer un réseau de recherche communautaire. Sanikiluaq est très proactive. Elle a mis en œuvre un programme du nom de Voices from the Bay, qui a engendré une grande collaboration entre les communautés de la baie d’Hudson. Nous avons établi un réseau avec Inukjuak, Umiujaq et Kuujjuaraapik, au Nunavik, Chisasibi dans le Nord du Québec, et Sanikiluaq au Nunavut. Chaque communauté a un morceau du casse-tête qu’elle peut atteindre en motoneige en hiver ou en bateau. En réunissant tous les morceaux, nous pouvons avoir une vue d’ensemble de ce qu’il se passe et évaluer les impacts environnementaux cumulatifs des changements qui se produisent dans l’environnement par suite des projets hydroélectriques, des changements climatiques et des développements.
Notre approche consiste à travailler avec les communautés à titre d’organisme caritatif autochtone. Notre conseil d’administration compte des Inuits de Sanikiluaq. Même si nous rémunérons les chasseurs pour leur aide, nous considérons toujours que c’est nous qui travaillons pour la communauté, et non le contraire. Nous concevons des programmes d’enseignement adaptés à la culture, utilisant les données recueillies par les chercheurs de la communauté, afin d’enseigner les mathématiques et les sciences aux élèves du secondaire pour les inciter à devenir la prochaine génération de chercheurs dans le Nord. Nous apparions ces jeunes à des chasseurs qui parcourent les glaces pour assurer la surveillance et participer aux programmes, établissant ainsi un lien entre l’éducation et la recherche.
L’initiative d’envergure à laquelle nous travaillons dernièrement, pas localement, mais à grande échelle, c’est l’intendance. J’ai fait mention de la baie d’Hudson, laquelle touche le Québec, l’Ontario, le Manitoba et le Nunavut. Dans le coin sud-est, on voit sur la carte que les régions marines du Nunavut, du Nunavik et d’Eeyou se chevauchent, et ces régions ont conclu des ententes à cet égard. Il s’agit de la partie la plus complexe de l’Arctique sur le plan des compétences. En outre, de Sanikiluaq à l’agglomération voisine d’Umiujaq, le ministère fédéral change, car on passe de ce que les ministères des Pêches et des Océans et de l’Environnement considèrent comme la région du centre de l’Arctique à la province du Québec. Tous ces éléments réunis font qu’il est compliqué de faire quoi que ce soit dans la baie d’Hudson. Tout se fait au cas par cas. C’est une « tragédie des biens communs ». Nous nous efforçons de surmonter ces obstacles.
Nous avons formé le consortium de la baie d’Hudson récemment et avons organisé le premier sommet de la baie d’Hudson à Montréal il y a quelques semaines, forts d’un soutien substantiel du gouvernement fédéral. Savoir polaire Canada, Pêches et Océans Canada et Affaires indiennes et du Nord Canada ont joué un rôle de premier plan en contribuant à la concrétisation de cette initiative. Ce sont les communautés qui ont dirigé le projet depuis le départ. Pour la première fois, les 27 communautés inuites et cries de la baie d’Hudson et de la baie James se sont réunies pour mettre leurs priorités en commun, réfléchir à la manière dont elles pourraient travailler ensemble et voir le tableau d’ensemble d’un point de vue communautaire. C’était une démarche fort dynamique. Bien des communautés veulent effectuer différents genres de surveillance des glaces. Il importait donc de coordonner les activités.
Pour faire le lien entre tous les éléments, nous nous tournons aussi vers la technologie, concevant notamment une plateforme de cartographie en ligne et une application mobile appelée SIKU. L’an dernier, nous avons reçu des fonds de Google pour concrétiser ce projet, dont l’objectif consistait à étayer les données qui ont toujours été derrière les observations autochtones. Par exemple, un de nos aînés s’aventure sur la glace tous les jours. En chassant le phoque à la lisière de la banquise en hiver, il a remarqué que cet animal délaisse la morue polaire pour la crevette. Traditionnellement, on aurait considéré cette observation comme anecdotique, mais il a accumulé les données dans son esprit, les a analysées, en a touché mot à ses collègues dans la communauté et les a fait examiner par des pairs inuits pour confirmer ses observations. L’application SIKU s’apparente à Facebook, mais on peut utiliser des mots-clés pour les animaux et employer la terminologie inuktitute pour la banquise, ce qui permet aux gens d’utiliser leur propre système de classification afin d’étayer leurs observations. Peter peut maintenant photographier le contenu de l’estomac des phoques et constituer un ensemble de données montrant le changement d’alimentation des phoques. Cet outil permet d’établir un lien entre le savoir autochtone et la science. Voilà le genre d’outils auxquels nous travaillons ensemble. Cela appuie également les efforts du consortium de la baie d’Hudson.
Une part importante de nos priorités nous vient des communautés, mais Inuit Tapiriit Kanatami, l’organisation nationale, joue évidemment un rôle de premier plan. L’autodétermination des Inuits est primordiale et constitue le fondement d’un grand nombre de nos recommandations.
La dernière diapositive comprend quelques recommandations. Sur le plan du savoir autochtone, il faut mieux intégrer les points de vue communautaires à la recherche. Il ne suffit pas de parler aux habitants de l’endroit; il faut que les communautés prennent une part active aux recherches. En raison de ma formation universitaire, je pense qu’il faut financer la science pure, mais le financement doit également tenir compte des priorités des communautés. Initialement, je m’intéressais à l’aspect purement universitaire, mais il faut qu’il y ait une volonté de prendre en compte les outils et les priorités appliqués des communautés pour mobiliser leurs connaissances.
Pour ce qui est des centres de recherche, nous sommes enchantés d’apprendre que les réseaux prendront de l’expansion. En collaboration avec des communautés comme celle de Chisasibi, où les habitants tentent d’établir leur propre centre, et à Sanikiluaq, nous essayons également d’élargir le réseau. Il importe que ces centres appartiennent aux communautés pour que ces dernières, grâce à l’autodétermination, à la recherche et à la propriété intellectuelle, soient à la tête du processus. Le milieu universitaire peut aussi jouer un rôle. Je ne pense pas que toutes les stations doivent nécessairement appartenir aux communautés, mais quand ces dernières peuvent en être propriétaires, l’initiative n’en sera que plus fructueuse. À l’heure actuelle, le financement est principalement accordé en fonction des projets. Il faut assurer un financement durable pour que les communautés puissent engager un gestionnaire de station inuit local à temps plein afin de s’occuper du programme. On doit aller au-delà du financement fondé sur les projets.
Les dernières recommandations concernent les réseaux autochtones de collaboration. Cela a un rapport avec les efforts du consortium de la baie d’Hudson et les vastes réseaux d’universitaires. ArcticNet a été formidable en soutenant notre travail. L’établissement de liens entre les réseaux autochtones et les réseaux scientifiques comme le consortium de la baie d’Hudson a donné de bons résultats dans notre cas, car l’étude d’impact régional intégrée de la baie d’Hudson dont Louis a parlé a contribué à réunir toutes ces connaissances et le savoir autochtone. Ce genre de démarche se fait projet par projet, et il faut offrir un financement durable à ces initiatives également. Merci.
Le président : Merci beaucoup, messieurs. Comme il nous reste peu de temps, je vais me montrer quelque peu autoritaire et limiter les interventions à une question. Nous commencerons par la vice-présidente.
La sénatrice Bovey : Je m’intéresse beaucoup à votre programme SIKU et à l’entrevue que vous avez accordée à CBC, au Québec, en décembre dernier. Bien entendu, vous avez parlé du lien entre le savoir local et la science. Dans quelle mesure ce changement ou cette relation mutuelle entre le savoir local et les sciences pures a modifié les relations dans le Nord et avec les scientifiques qui y travaillent? Quels changements devraient s’opérer à l’avenir?
M. Heath : Je pense que la situation évolue encore. C’est la première année d’utilisation de l’application mobile. Des chasseurs d’Inukjuak et de Sanikiluaq ont transmis leurs données cet hiver, et je pense que les avantages se font encore attendre. Le simple fait que les mêmes données se retrouvent sur la même plateforme est fascinant. Les gens qui ont observé les phoques plonger ont remarqué qu’ils ne flottent pas comme avant en raison des couches d’eau douce. Ils ont pu faire ces observations grâce à l’application. Nous avons prélevé des échantillons de contaminants pour le Programme de lutte contre les contaminants dans le Nord et des échantillons d’eau dans le cadre du Programme de surveillance générale du Nunavut, dans la région marine du Nunavik. Même si cela n’était pas planifié, nous pouvons maintenant établir un lien entre ces observations et les données océanographiques pour que les scientifiques voient un phoque plonger et que nous puissions leur indiquer que la situation est attribuable à la condition de l’eau. Même maintenant, alors que cette initiative n’en est qu’à ses balbutiements, les liens se révèlent probants.
La sénatrice Bovey : C’est un résultat impressionnant en l’espace d’un an.
La sénatrice Eaton : Monsieur Fortier, votre exposé m’a frappée. Vous y avez parlé de l’alimentation et de la santé traditionnelles, de l’eau potable, des transports locaux et de la stabilité des infrastructures, dont M. Burn a également parlé, des avantages culturels et des liens sociaux. Que se passe-t-il quand vous êtes confrontés à ces défis de taille et que vous voyez arriver un navire de croisière comme le Crystal? Comment les habitants du Nord se sentent-ils? L’argent et les touristes doivent affluer, mais l’environnement est très fragile là-bas. Cela pourrait entraîner une terrible catastrophe.
M. Fortier : C’est un exemple intéressant.
J’étais à bord du Crystal Serenity pour la traversée du Nord-Ouest cet été. Le vin et la nourriture y étaient excellents. Je pense que les croisiéristes agissent de façon très professionnelle. Dans le cas du Crystal Serenity, par exemple, toutes les petites embarcations qui servent à amener les voyageurs à terre pour visiter les communautés ou les sites archéologiques sont manœuvrées par des habitants de l’endroit. Ces pilotes changent en cours de route. Les gens de la place collaborent donc beaucoup avec les croisiéristes et bénéficient ainsi d’une bonne source de revenus.
La sénatrice Eaton : C’est donc une bonne chose.
M. Fortier : C’est très bien organisé. J’ai demandé aux Inuits qui exploitent ces embarcations s’ils sont inquiets ou si, au contraire, ils apprécient ce travail, et ils m’ont répondu que c’était une bonne chose. Ils savent que cela va favoriser le développement du tourisme. Ils font des affaires avec une entreprise en qui ils ont confiance et avec laquelle ils aiment travailler, et cela rapporte des revenus à la collectivité.
De plus, du point de vue de l’écosystème, sachez que ces navires sont très propres. Ils sont tous autonomes. Dans le cas du Crystal Serenity, il est escorté par un brise-glace, qui est un navire britannique, le RRS Ernest Shackleton. Cette année, par exemple, la forte présence de glace dans le détroit de Bellot, qui est un détroit très étroit dans l’Arctique canadien, les a obligés à faire appel au brise-glace NGCC Des Groseilliers. C’est donc très bien planifié et organisé.
C’était la dernière fois qu’un bateau de croisière de la taille du Crystal Serenity s’engageait dans ce passage. À l’avenir, il sera remplacé par deux plus petits navires, qui poseront probablement moins de risques pour la sécurité.
Le sénateur Oh : Merci à nos témoins. Je crois que les gens les plus touchés là-bas sont les collectivités autochtones. Quelles politiques ou activités sont nécessaires pour accroître la participation des Autochtones à tous les aspects de la recherche dans l’Arctique?
Le président : Votre question s’adresse-t-elle à tous les témoins?
Le sénateur Oh : Oui.
M. Fortier : Je pourrais peut-être commencer. Comme nous l’avons vu dans le réseau ArcticNet, nous faisons de plus en plus participer les peuples autochtones du Nord au processus de recherche. Nous avons également formé plusieurs jeunes Inuits et nous avons tenté de stimuler leur intérêt pour les sciences, grâce à des programmes comme Écoles à bord, par exemple, qui amène les élèves du secondaire à bord de l’Amundsen. Nous veillons à ce que des Inuits prennent part à la majorité des projets que nous finançons.
Mais nous devons aller plus loin que ça. Il y a une volonté à ce stade. Les premiers ministres du Yukon, des Territoires du Nord-Ouest et du Nunavut ont rédigé un document, une politique claire, sur la nécessité d’accroître la recherche et la formation au niveau postsecondaire dans le Nord. C’est l’un des éléments que nous proposons dans notre demande de renouvellement, c’est-à-dire un moyen par lequel nous pouvons financer la recherche et la formation directement dans le Nord, sans nécessairement passer par une université, et qui pourrait en fait être un appel de propositions lancé par les territoires et les gouvernements inuits eux-mêmes. On s’oriente dans cette direction. Ce n’est pas facile. Les Inuits voudraient avoir un réseau universitaire réparti dans le Nord. Évidemment, il faudrait que ce soit petit, car il n’y a peut-être que 40 000 ou 45 000 Inuits dans le Nord. Nous collaborons avec eux à ce chapitre et nous travaillons à mettre à niveau leur système d’éducation.
M. Burn : Je voudrais faire remarquer que pour de nombreux scientifiques du Sud, nous avons une façon de gagner notre vie qui n’est peut-être pas directement associée à nos recherches scientifiques. Dans mon cas, j’enseigne à l’université. J’en retire mon salaire. Les recherches scientifiques qui sont financées par cet organisme fédéral ne paient pas mon salaire. L’université me verse un salaire pour mon enseignement et non pas pour mes recherches scientifiques. Mais si on veut que les gens fassent carrière en sciences, il faut qu’ils puissent gagner leur vie. Ils doivent pouvoir subvenir à leurs besoins. Autrement dit, il faut que cela fasse partie de leurs activités professionnelles. Cela dit, lorsque la recherche scientifique se fait à temps partiel ou de façon amatrice, les gens y consacrent peu de temps, car le reste du temps, ils doivent travailler. Cela exige donc des postes professionnels, des personnes qui feront des recherches scientifiques à tous les niveaux. C’est une exigence.
M. Heath : Je pense que les centres de recherche axée sur la collectivité dont j’ai parlé plus tôt sont un élément très important. Comme vous l’avez dit, s’il s’agit d’un travail à temps partiel ou saisonnier —, il y a des étudiants qui peuvent participer au Programme de technologie environnementale. Il y a d’ailleurs deux étudiants de Sanikiluaq en ce moment. Cependant, lorsqu’ils reviennent dans leurs collectivités — et c’est ce qu’ils souhaitent — il n’y a pas d’emplois à temps plein pour eux. Par conséquent, si on pouvait avoir un certain nombre de petites stations et un partage des ressources entre elles, ainsi que des postes à temps plein pour ces Inuits qui s’occupent de ces stations et qui font de la recherche, cela aiderait beaucoup.
Je pense que le nouveau Programme de surveillance du climat dans les collectivités autochtones d’AINC est un pas dans la bonne direction, parce qu’il facilite la réalisation de projets communautaires. Mais il n’en demeure pas moins que le financement est accordé en fonction des projets, d’où la nécessité d’avoir un financement durable pour pouvoir offrir des postes à long terme à ces étudiants.
Le sénateur Oh : Il est important qu’ils aient un poste à leur retour.
M. Heath : Absolument. Il y a aussi la question du transfert des connaissances. Au sein de l’Association des chasseurs et des trappeurs, il n’y a aucun processus en place pour la transmission du savoir aux jeunes étudiants. Par conséquent, en ayant ces stations et en les reliant aux organisations locales telles que l’Association des chasseurs et des trappeurs, on pourrait les aider à transmettre leurs connaissances.
La sénatrice Galvez : Merci beaucoup. Je trouve ces conversations très intéressantes, car lorsqu’on vit dans le Sud, on comprend difficilement tout ce qui se passe dans le Nord.
Lorsque je me suis rendue dans le Nord, le changement climatique m’a sauté aux yeux. Il n’y a pas de doute là-dessus. On le voit; on le sent. Mais dès qu’on revient dans le Sud, tout le monde en doute. On n’est pas certain si cela existe; on pense qu’on n’en est pas encore là. Toutefois, lorsqu’on va dans le Nord, c’est évident.
Comme vous pouvez le constater, bon nombre des décisions qui sont prises s’appuient sur des motifs politiques, c’est-à-dire qui exerce le plus de pressions, qui crie le plus fort, ainsi de suite. Le Nord s’ouvre à nous, et il y a une multitude de possibilités, que ce soit sur les plans de la recherche et de l’intégration du savoir traditionnel. Cependant, il y a des intérêts divergents. Il y a des gens qui disent : « Non, il y a des ressources naturelles. Allons exploiter le gaz et le pétrole .» Cela dit, la question que je vous pose est la suivante : étant donné que nous n’avons pas des millions de dollars à consacrer, quelle devrait être la priorité, selon vous? Où devrait-on affecter l’argent? À l’étude des répercussions sur les gens? À l’exploration de nouvelles ressources? À la diffusion ou au transfert des connaissances, de sorte que le Sud soit davantage sensibilisé à ces préoccupations? Je suis consciente que ma question est complexe.
Le président : Avez-vous bien compris la question?
M. Fortier : Oui. D’ailleurs, je considère que c’est une question fondamentale.
À quoi bon adapter le Nord si on ne fait rien pour atténuer les changements climatiques? Si on se retrouve avec un réchauffement de cinq, six, voire sept degrés, tout ce que nous faisons en ce moment dans le Nord sera totalement futile, car il n’y aura plus aucun moyen de s’adapter.
Ce que je dis souvent au public et aux scientifiques — et la dernière fois remonte à la conférence Arctic Change qui s’est tenue à Québec —, c’est que nous devons utiliser l’Arctique comme une preuve des changements climatiques, pour démontrer que les changements climatiques sont réels. Tout d’abord, le phénomène se fait à un rythme beaucoup plus rapide que ce que l’avaient prédit les modèles, ce qui signifie que le Sud sera touché plus rapidement et intensément que ce que l’on pensait.
Les scientifiques qui travaillent dans l’Arctique ont un double rôle à jouer. Nous devons non seulement essayer de nous adapter à cette transformation de l’Arctique, mais aussi utiliser cette transformation comme un indicateur que les changements climatiques sont une chose sérieuse et que nous devons adhérer pleinement à l’Accord de Paris, sans quoi nous serons bientôt aux prises avec de graves problèmes.
M. Burn : Sénatrice, comme vous l’avez dit, le train des changements climatiques a quitté la gare dans le Nord. C’est clair. Les données que je vous ai montrées l’illustrent très bien. Maintenant, que pouvons-nous y faire? Il y a des organismes dans les territoires du Nord dont le travail consiste à nous préparer à cela, à adapter le Code du bâtiment, à voir s’il y a différentes façons de concevoir les structures, les autoroutes et les ententes avec les municipalités, à se questionner sur la viabilité des autoroutes à l’avenir et à envisager la possibilité d’exploiter des dirigeables… Il faut adopter une façon de penser qui sorte des sentiers battus.
Pendant près de 150 ans, on assistera au dégel du pergélisol près de la surface, qui causera une instabilité du terrain et qui fera en sorte qu’il ne pourra plus supporter des constructions. Si on ne commence pas à penser ainsi — et il y a des gens dont le travail est de réfléchir à tout cela. Si on ne les appuie pas et qu’on se contente de réagir, lorsqu’un événement va se produire, on les blâmera en disant qu’ils auraient dû y penser avant.
Maintenant, ce qui est formidable avec la science, c’est qu’on peut anticiper et planifier. Toutefois — et vous y avez fait allusion —, cela exige qu’on y croie. Je ne parle pas ici de connaissances, mais plutôt de croyance en l’avenir. Il y a des gens qui contestent ce qui va arriver. Nous savons ce qui s’est produit par le passé, mais nous devons croire à ce qui va se produire dans le futur. C’est donc un problème fondamental auquel nous devons nous attaquer, et c’est pourquoi nous avons des politiciens.
Le sénateur Neufeld : Aidez-moi un petit peu ici : depuis combien de temps travaillez-vous sur ces quatre études d’impacts régionales intégrées, et comment les intégrez-vous au sein de Savoir polaire Canada? Comment parvenez-vous à collaborer et à unir vos efforts de sorte que vous ne fassiez pas quelque chose — et je ne crois pas que ce soit le cas, soit dit en passant — et qu’une autre organisation fasse autre chose, et qu’au bout du compte personne ne passe à l’action?
M. Fortier : Nous travaillons sur les études d’impacts depuis environ 12 ans. Deux d’entre elles sont publiées pour deux régions, et les deux autres seront publiées cette année. Nous nous efforçons d’accélérer le processus. Nous publions un grand livre et aussi un recueil. Tout est écrit en langage simple, de manière à ce que tout le monde comprenne. Le recueil est rédigé dans deux dialectes inuktituts, en français et en anglais. Ces ouvrages sont utiles, mais il s’agit de la façon traditionnelle de procéder et nous voulons accélérer les choses.
Dans la nouvelle version d’ArcticNet, si nous sommes financés, Savoir polaire Canada et d’autres organisations seront regroupées dans le cadre de cette étude. Elles y contribuent déjà. Nous allons renforcer cela et, surtout, nous allons collaborer pour nous assurer de ne pas faire la recherche en double, coordonner l’appel de propositions et la recherche qui est financée, et veiller à ce que tous les projets de recherche contribuent ensemble au cadre de cette étude. Si nous recevons des fonds à nouveau, nous allons accélérer le processus d’évaluation pour être en mesure de répondre aux questions plus rapidement. Nous allons le faire avec Savoir polaire Canada et d’autres groupes également.
Le sénateur Day : Pourriez-vous me rassurer sur ce point? Nous avons beaucoup parlé de développement et de recherche dans le Nord et de la façon dont les choses peuvent évoluer. Il y a beaucoup de recherches scientifiques fondamentales qui se font ailleurs dans le monde. Je songe notamment aux collectivités dans le Nord qui pourraient bénéficier de la production micro-hydroélectrique. Elles ont beaucoup de mal à avoir du diesel à certaines périodes de l’année. Par conséquent, si elles avaient de nouvelles possibilités en matière d’hydroélectricité, cela réglerait une grande partie du problème. Il y a beaucoup d’autres choses qui n’ont pas été conçues pour le Nord, mais qui pourraient être adaptées pour le Nord. Est-ce que ce type de travail se fait également?
Le président : Monsieur Burn, dans l’une de vos recommandations, vous avez parlé de la possibilité de s’inspirer des travaux de recherche effectués ailleurs dans le monde et de les adapter au Canada.
M. Burn : Tout à fait, monsieur le président. Il y a plusieurs endroits où l’on trouve ce qu’on appelle des activités à petite échelle. Les collectivités qui nous préoccupent dans le Nord du Canada sont de petite taille. La plupart d’entre elles comptent moins de 1 000 habitants. Par conséquent, une grande municipalité pourrait peut-être compter 25 000 ou 30 000 personnes, comme Whitehorse. C’est donc l’équivalent de Smith Falls. Ce n’est pas une grande ville.
Il y en a quelques-unes, mais cela dépend habituellement des personnes dans ces collectivités qui sont motivées à parcourir le monde sur Internet à la recherche d’une autre bonne idée. Ce n’est donc pas nécessairement quelque chose qui se fait de façon systématique.
Lorsque le Code du bâtiment sera renouvelé, comme on l’a dit tout à l’heure, il y aura des discussions sur la façon dont les codes du bâtiment seront adaptés selon les différentes régions du monde. Cependant, le problème fondamental demeure la fonte du pergélisol, alors on doit se tourner vers la Russie, l’Alaska ou peut-être même la Chine pour tirer profit de leur expérience. Il y a peu de pays circumpolaires qui ont le même environnement que nous, mais il y a des personnes qui sont motivées, et ces personnes proposeront des idées. N’empêche qu’il est difficile d’intégrer ces idées aux discussions générales.
Je pense que, si vous vous rendez à Whitehorse, à Yellowknife ou à Iqaluit, vous allez entendre des gens qui ont des idées, mais le problème, c’est qu’il est souvent difficile de faire valoir ces idées au sein de la bureaucratie pour qu’elles prennent forme. Les gens ne veulent pas encourir de risques. Ils ne dépenseront pas beaucoup d’argent sur un pari incertain. Ils veulent un pari sûr. Et pourtant, les changements que nous envisageons vont changer la donne; c’est très différent de ce que nous avons vécu jusqu’à maintenant.
Le président : Monsieur Burn, vous avez fait des études intéressantes sur la route de Dempster et la vallée du Mackenzie. À l’heure actuelle, il y a trois mines de diamant qui dépendent des routes de glace pour le transport. Pourriez-vous nous fournir des données sur les tendances des routes de glace dans les Territoires du Nord-Ouest, le raccourcissement de la saison et d’autres routes de glace au Canada que l’Université Carleton pourrait avoir étudié?
M. Burn : Il y a trois différents types de routes de glace. Le premier type serait ce qu’on appelle les ponts de glace. Le pont de glace est habituellement situé à l’endroit où, l’été, un traversier relie deux rives, comme à Dawson dans le fleuve Yukon. Le pont de glace est mis en place en hiver lorsque les conditions de glace le permettent. Il y a beaucoup d’informations au sujet du raccourcissement de cette saison et des difficultés auxquelles on fait face à l’automne relativement à l’établissement du pont de glace. Je pourrais vous fournir davantage de précisions là-dessus, car pour l’instant, je n’ai rien d’autre en tête.
Ensuite, il y a les plus longues routes de glace, comme celles qui mènent à la mine de diamant. Le problème, c’est ce qui se passe à l’extrémité sud de la route. Je pourrais vous obtenir davantage d’informations à ce sujet auprès de Nuna Logistics.
Enfin, il y a les routes de glace dans les provinces, particulièrement dans le Nord de l’Ontario et du Manitoba. Les organismes provinciaux devraient pouvoir vous fournir cette information. D’une certaine façon, ces routes de glace sont plus importantes que bien des routes ailleurs au pays, car elles constituent le seul accès pour ces collectivités. Il n’y a pas d’autre option, mis à part le transport aérien, qui est très dispendieux, alors que pour les collectivités du delta du Mackenzie, il y a une option de longue date, qui consiste à utiliser la rivière Mackenzie comme artère de transport.
Je vais vous transmettre de l’information sur ces trois options.
Le président : Merci.
Messieurs les témoins, je vous remercie beaucoup pour vos exposés. Ils étaient très instructifs. Nous serons ravis d’en apprendre davantage sur le sujet.
(La séance est levée.)