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ARCT - Comité spécial

Arctique (spécial)

 

Délibérations du Comité sénatorial spécial sur l'Arctique

Fascicule no 8 - Témoignages du 30 avril 2018


OTTAWA, le lundi 30 avril 2018

Le Comité sénatorial spécial sur l’Arctique se réunit aujourd’hui, à 18 h 29, pour examiner les changements importants et rapides qui se produisent dans l’Arctique et les effets de ces changements sur les premiers habitants; et, à huis clos, pour étudier un projet d’ordre du jour (travaux futurs).

Le sénateur Dennis Glen Patterson (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour et bienvenue à cette séance du Comité sénatorial spécial sur l’Arctique.

Mon nom est Dennis Patterson et je représente le Nunavut au Sénat. J’ai également le privilège de présider ce comité. Je tiens à souhaiter la bienvenue à tous ceux qui sont ici dans la salle et à ceux qui nous regardent un peu partout au pays, que ce soit à la télévision ou en ligne. Je tiens à rappeler à ceux qui nous regardent que les audiences du comité sont ouvertes au public et accessibles en ligne à sencanada.ca.

Je demanderais maintenant aux membres du comité de se présenter en commençant par la vice-présidente.

La sénatrice Bovey : Pat Bovey, du Manitoba.

La sénatrice Pate : Kim Pate, de l’Ontario.

La sénatrice Coyle : Mary Coyle, de la Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Galvez : Rosa Galvez, du Québec.

Le sénateur Oh : Victor Oh, de l’Ontario.

Le président : Nous poursuivons aujourd’hui notre examen des questions relatives à l’Arctique. Je suis heureux d’accueillir par vidéoconférence M. Gary Stern, professeur, Université du Manitoba. Monsieur Stern, merci d’avoir accepté notre invitation. Je vous invite à nous présenter votre exposé.

Gary Stern, professeur, Université du Manitoba, à titre personnel : Bonjour et merci de m’avoir invité à comparaître devant le comité.

Je suis professeur à l’Université du Manitoba, au Centre for Earth Observation Science. Je sais que vous avez déjà rencontré un de mes collègues, le Dr David Barber. Nous travaillons en étroite collaboration et avons travaillé ensemble à plusieurs projets d’envergure, y compris l’Étude sur le chenal de séparation circumpolaire et ArcticNet. Je ne passerai pas en revue ces projets, car j’imagine qu’ils vous sont familiers.

J’ai été invité pour parler principalement de l’Arctique de l’Ouest. J’aborde la question du point de vue des contaminants. Je suis un scientifique qui se spécialise dans les contaminants, donc j’essaie de comprendre comment les contaminants, comme le mercure, les hydrocarbures et autres contaminants circulent dans l’écosystème de l’Arctique et l’impact des changements climatiques sur ces contaminants. Comme vous pourrez le remarquer sur mes diapositives, mon exposé portera principalement sur ces sujets, mais je serai heureux de répondre à toute autre question sur d’autres sujets, si je le peux.

La première diapositive explique en quoi consiste l’étude d’impact régionale intégrée, une étude dont David Barber vous a déjà parlé, si je ne m’abuse. Cette étude fait partie du programme ArcticNet et est l’un des résultats attendus. Il y a quatre régions différentes : l’Arctique de l’Ouest et le centre de l’Arctique, l’Arctique de l’Est, la région 3 de l’IRIS, dans la baie d’Hudson, ainsi que la région subarctique de l’Est. Mes études portent sur la région de l’Arctique de l’Ouest et le centre de l’Arctique.

L’idée derrière cette étude est de recueillir des données scientifiques et de les présenter de façon à ce que les décideurs politiques et comités, comme le vôtre, puissent les utiliser comme outil dans le cadre de leurs réunions, comme celle d’aujourd’hui. C’est la raison pour laquelle tout est écrit en langage très clair.

Vous verrez à la diapositive 3 que non seulement le rapport final a été publié en décembre 2016, mais que nous avons également publié des sommaires sélectionnés dans quatre langues inuites différentes, ainsi qu’une synthèse et des recommandations. Plutôt que d’obliger les gens à éplucher un document de 300 pages, nous avons tenté de faire une synthèse de l’information de façon à ce que les intervenants et les comités comme le vôtre puissent facilement consulter l’information et en tirer ce qu’ils jugent important.

J’ai ajouté l’information que l’on retrouve à la diapositive 4 pour vous montrer que l’étude IRIS ne se fait pas en silo. Ce ne sont pas que des scientifiques qui y participent; nous avons également une forte présence inuite. Nous avons des représentants de NTI, de l’IRC, du CIGG et de l’ITK. Différentes communautés y sont bien représentées. Par exemple, des conseillers inuits en recherche retournent dans les communautés pour discuter avec les membres des sujets qui sont abordés à la table.

À la diapositive 5, j’ai dressé la liste des réunions qui ont eu lieu. La première remonte à 2012. Il s’agit d’un processus de consultation intense. Comme je l’ai dit, le document final a été publié en décembre 2016. Au début, nous avons organisé un atelier d’envergure à Inuvik auquel ont été invités des gens d’Inuvialuit, de Kitikmeot et du Versant Nord du Yukon, ainsi que des scientifiques qui participaient à ces études. Les participants nous ont dit exactement ce qui les inquiète de la vie dans l’Arctique. Nous voulions nous assurer que les expériences scientifiques que nous menions cadraient leurs besoins. Le processus de consultation a été long et a très bien fonctionné. Les participants ont été impressionnés par le document final et avaient bon espoir qu’il serait utile pour un comité comme le vôtre.

Bien entendu, le principal problème dans l’Arctique, c’est le réchauffement. Nous savons déjà qu’une grande quantité de glace marine a disparu. À la diapositive 6, vous pouvez voir que depuis 1978, nous avons perdu par année 82 000 kilomètres carrés de glace marine. Pour mettre tout cela en perspective, c’est environ la taille du lac Supérieur. Les pertes ont été spectaculaires. Selon les modèles établis, si ces pertes se poursuivent, vers 2030, nous pourrions avoir un été sans glace dans l’Arctique.

On parle ici de la superficie de la glace marine. Il y a différents types de glace — la glace pluriannuelle et la glace de l’année. Le type de glace est important, car il a un impact sur le climat et l’écosystème. Vous pouvez voir, à la diapositive 7, que non seulement la superficie de la glace marine, mais que le type de glace change lui aussi. Nous avons perdu une quantité énorme de glace pluriannuelle, la glace qui continue de s’accumuler d’une année à l’autre. Nous n’avons plus que 15 p. 100 de la glace pluriannuelle comparativement à la superficie qu’elle couvrait au début des années 1990. Il s’agit d’une perte considérable.

Comme je l’ai souligné, je m’intéresse principalement aux contaminants. Un des principaux problèmes, c’est le mercure. Je crois qu’il en a également été question lors de votre discussion avec Dave Barber. Plusieurs choses ont un impact sur le cycle du mercure dans l’Arctique, tant au niveau de sa toxicité que de sa biodisponibilité. Il s’agit d’un processus complexe. La question est de comprendre l’impact de l’écosystème sur son état d’oxydation ou comment il se forme. Par exemple, soit il s’agit de mercure inorganique, soit il s’agit de méthylmercure. Le méthylmercure est une toxine et c’est ce type de mercure qui s’accumule dans les mammifères marins et les humains. Nous avons constaté que les changements climatiques ont un impact sur les taux de mercure que l’on retrouve chez les animaux et, par conséquent, chez les humains qui les consomment dans le cadre de leur alimentation traditionnelle.

À la diapositive 9, j’ai tenté de vous donner une idée du taux de concentration de mercure chez certains animaux, par exemple les phoques, les ours polaires et le bélouga, ainsi que chez les humains. Encore une fois, on parle ici de la région de l’Arctique de l’Ouest. Vous pouvez voir que les taux de concentration dans le cerveau des bélougas sont extrêmement élevés. Ils dépassent le seuil chimique. Ces résultats sont pour le cerveau, mais nous constatons également des taux élevés de concentration dans les tissus protéiques, par exemple le muktuk que les gens consomment. L’exposition des humains dépend de la façon dont ils font cuire l’animal. Par exemple, s’ils font sécher les muscles, les taux de concentration de mercure seront plus élevés en raison de la perte d’eau. Les taux de concentrations auxquels ils s’exposent sont très élevés. Il s’agit d’une source de grande préoccupation, surtout que l’on sait que depuis la Convention de Minamata sur le mercure, nous tentons de réduire les émissions atmosphériques, mais les taux de concentrations semblent augmenter dans le biote, à tout le moins, dans une certaine mesure. La raison est que nos océans et nos lacs ont un réservoir de mercure. Ce mercure se trouve sous une forme qui n’est pas biodisponible pour le moment. Par exemple, vous avez parlé de la fonte du pergélisol. Il est vrai que le pergélisol fond et libère beaucoup de mercure, mais, habituellement, celui-ci se trouve sous une forme qui ne s’accumule pas. Nous avons un énorme réservoir de mercure inorganique. Ce sont les changements climatiques qui le transforment en mercure biodisponible. Le plus inquiétant, c’est le processus biologique qui le transforme d’un mercure inorganique, généralement non toxique, en méthylmercure, une forme toxique.

Prenons comme exemple le béluga. L’exposition du béluga s’appuie sur un processus ascendant et descendant. Il s’agit essentiellement d’un réseau alimentaire. Le taux de mercure augmente à mesure que l’on monte dans le réseau trophique. Il y a la bioamplification et la bioaccumulation. Les poissons mangent le zooplancton et ils sont ensuite eux-mêmes mangés par les phoques, par exemple. Les taux de concentration augmentent jusqu’aux prédateurs au sommet de la chaîne, comme le béluga, qui se retrouve avec des taux de concentration très élevés.

Tout dépend également s’il s’agit d’une femelle ou d’un mâle, de son état reproducteur et de son alimentation. L’animal peut se nourrir dans des régions différentes ou avoir un réseau trophique plus large, ce qui l’expose à des taux de concentration plus élevés.

À la diapositive 11, vous pouvez voir où nous recueillons nos tissus dans l’Arctique de l’Ouest. Sur l’île Hendrickson, notamment, nous avons recueilli des tissus entre 1981 et 2017, donc 23 points dans le temps sur une période de 36 ans. Ce genre d’études est important, car la seule façon de voir si les changements climatiques ont un impact sur les taux de concentration, c’est d’effectuer un suivi à long terme. Ainsi, nous pouvons tracer un lien entre les changements au climat et le taux de mercure.

La surveillance se fait beaucoup à l’échelle communautaire. Tous les tissus utilisés ont été recueillis par les communautés. C’est ainsi que nous procédons depuis le début des années 1980. Par exemple, nous envoyons des trousses, et les chasseurs les transportent lors de leurs chasses traditionnelles, recueillent des échantillons, les placent dans des sacs proprement étiquetés et prennent les mesures morphométriques et biologiques de l’animal avant de congeler les échantillons et de nous les faire parvenir.

Les communautés et chasseurs nous ont fourni beaucoup d’information et de connaissances traditionnelles, car ils savent combien il y a de baleines, s’il y a plus de mâles que de femelles ou s’ils sont en retard comparativement aux années précédentes. Nous avons beaucoup appris de ces connaissances traditionnelles, pas seulement de la science occidentale.

Vous verrez, à la diapositive 12, certains des taux de concentration de mercure dans le foie et les muscles. Sur la gauche, par exemple, vous verrez que les taux de concentration de mercure atteignent près de 80 microgrammes par gramme. C’est extrêmement élevé.

La seule raison pour laquelle ces animaux, notamment le béluga, peuvent résister à de tels taux de concentration — ils en mourraient s’il s’agissait de méthylmercure —, c’est qu’ils ont l’incroyable capacité de déméthyler le mercure dans leur système et de le transformer en ce que l’on appelle le séléniure de mercure. Leur métabolisme leur permet de détoxifier le méthylmercure qu’ils consomment dans le cadre de leur alimentation traditionnelle.

Encore une fois, nous avons examiné différents groupes d’âge, de 16 à 35 ans et de 36 à 55 ans, simplement parce que leur alimentation et leur comportement sont différents. Vous remarquerez une légère augmentation au fil des ans chez les animaux du groupe de 16 à 35 ans, alors que chez les animaux plus âgés, le sommet a été atteint vers 2002 avant que les taux ne redescendent. Il y a plusieurs raisons pour expliquer cela. C’est complexe, mais si vous me posez la question, je serai heureux de vous expliquer ces raisons.

Les taux de concentration sont beaucoup moins élevés dans les muscles. On parle ici de 1 à 2 microgrammes par gramme. Le problème, c’est qu’il s’agit uniquement de méthylmercure. Les taux de concentration changent peu pour les animaux de 380 à 420 centimètres; ils baissent pour les animaux plus grands que 420 centimètres.

Les taux de concentration tournent autour de 1 à 2 microgrammes par gramme et concernent uniquement le méthylmercure, mais, il y n’a aucune ligne directrice sur la consommation, par exemple, ou sur la quantité de viande de béluga ou de phoque qui peut être consommée. Les lignes directrices canadiennes sur la consommation proposent 0,5 microgramme par gramme. Si les consommateurs de ces animaux font sécher le muscle, par exemple, ils s’exposent à des taux de concentration élevés de méthylmercure. Il s’agit d’une source de préoccupation, surtout en ce qui a trait aux femmes en âge de procréer.

Il y a un autre exemple dans la région du Sahtu, dans les Territoires du Nord-Ouest. Nous analysons ou surveillons la lotte dans la rivière Mackenzie, près des rapides Ramparts. Encore une fois, c’est la communauté qui se charge de cette surveillance. Chaque année, les membres de la communauté pêchent le poisson à une période précise de l’année, car il s’agit d’une source importante de leur alimentation. Ils aiment le foie de la lotte. En décembre ou en janvier, ils pêchent pour nous entre 20 et 40 poissons et nous les envoient aux fins d’analyse. Cet exercice dure depuis 1985.

Vous verrez, à la diapositive 13, que les taux de concentrations ont augmenté. Dans les muscles, les taux de concentrations ont presque doublé au cours de cette période. Ils sont plus élevés dans les muscles que dans le foie, mais les taux de concentration dans le foie, que vous voyez sur le côté gauche de la diapositive, ont également augmenté.

Pour le moment, les principaux taux de concentration se situent habituellement à moins de 0,5 microgramme par gramme, mais s’ils continuent d’augmenter, on prévoit qu’en 2030, les taux de concentration moyens pourraient être plus élevés que 0,5 microgramme par gramme. Il s’agit d’une grande source de préoccupations.

C’est un peu la situation en ce qui a trait au mercure.

Un autre de mes sujets d’étude est les hydrocarbures. Nous connaissons les problèmes associés aux pipelines et le potentiel associé à l’exploration des ressources dans l’Arctique. Comme vous pouvez le voir à la diapositive 14, il existe un très grand nombre de réserves de pétrole non découvertes au Canada. Nous savons qu’il y a eu interruption de l’exploration au pays. Vous verrez, à la diapositive 15, une lettre d’Imperial Oil affirmant que l’entreprise ne ferait aucune exploration au cours des 16 prochaines années. C’est une bonne nouvelle. Cela nous laisse un peu de temps pour tenter de comprendre et de régler les déversements potentiels associés à l’exploration.

Nous savons également que des travaux d’exploration sont en cours dans des pays comme la Russie, dans la péninsule du Yamal en Sibérie. Vous verrez, à la diapositive 16 que des travaux d’exploration sont en cours sur la rivière Ienisseï et autour de celle-ci, de la côte de la Sibérie à la mer Kara. Peut-être qu’il n’y a aucune exploration au Canada, mais il y a des travaux d’exploration en Russie. Nous savons que les États-Unis vendent légalement leurs baux d’exploitation de pétrole et de gaz dans la région de l’Alaska. Peut-être avons-nous réussi à nous isoler et à ne pas mener de travaux d’exploration au Canada, mais s’il y a un déversement, celui-ci aura des conséquences sur les eaux canadiennes.

Outre l’exploration, et je crois que David Barber vous en a déjà parlé, un des principaux problèmes avec la perte de la glace marine, c’est qu’elle ouvre les routes maritimes du Nord, ce qui entraîne une augmentation du trafic maritime. Comme vous pouvez le voir sur la diapositive 18, les navires empruntent le passage du Nord-Ouest, passe par le pôle et ressortent par le passage du Nord-Est. Comme je l’indique au point 4, on prévoit qu’à elle seule, l’exploration fera augmenter de 1 000 le nombre de navires qui traversent chaque année l’Arctique.

À la diapositive 19, vous voyez les voies de transport dans l’Arctique canadien. Comme vous pouvez le constater, beaucoup d’entre elles traversent des écosystèmes très fragiles. Un déversement lié au transport par bateau, à l’exploration ou à toute activité connexe serait absolument catastrophique.

Les croisières du Crystal Serenity sont un autre exemple de l’augmentation du trafic maritime. Vous en avez peut-être entendu parler. Je ne crois pas qu’il y aura des croisières cet été, mais au cours des deux dernières années, des navires de croisière ont traversé le passage du Nord-Ouest en compagnie de brise-glaces. Imaginez ce qui se passerait en cas d’accident lié à ces activités.

Nous avons ici un autre exemple avec les Chinois. Ce serait une véritable bénédiction pour eux, car ils pourraient réaliser d’importantes économies — de temps et de carburant — en traversant le passage du Nord-Ouest, soit 17 jours de transport et possiblement 500 tonnes de carburant. C’est très attrayant; la perte de la glace marine entraînera sans aucun doute l’augmentation du trafic maritime.

Nous savons tous ce qui s’est passé dans le golfe du Mexique; environ 4,9 milliards de barils de pétrole brut ont été déversés dans cet écosystème. J’espère que cela n’arrivera jamais au Canada.

Passons à la diapositive 24. L’accident s’est produit dans le Sud des États-Unis. En raison de la proximité avec la côte, les contre-mesures comme les estacades mécaniques et le brûlage in situ étaient facilement accessibles et ont pu être utilisées, mais comme vous pouvez l’imaginer, transporter des écrémages jusque dans l’Arctique serait impossible sur le plan logistique. Il est actuellement interdit d’avoir recours au brûlage in situ et aux agents dispersants au Canada. Actuellement, au Canada, nous n’avons aucune politique ou loi précisant quels agents dispersants et agents repousseurs peuvent être utilisés en cas de déversement ni dans quelles circonstances on peut y avoir recours. Cela vaut aussi pour le brûlage in situ.

Il y a des statistiques intéressantes à la diapositive 25. Vous constaterez que malgré la proximité du déversement dans le golfe du Mexique et la possibilité du recours à la récupération mécanique, seulement 4 p. 100 du pétrole a été éliminé par des méthodes mécaniques et seulement 6 p. 100 par brûlage in situ. Il se trouve qu’au fil du temps, une bonne partie du pétrole a été éliminée par biodégradation par les bactéries présentes dans le golfe du Mexique.

La question qui se pose est la suivante : qu’arriverait-il dans un tel cas dans l’Arctique? Dans le golfe du Mexique, les eaux sont beaucoup plus chaudes que dans l’Arctique. Comment pourrions-nous intervenir si un déversement de pétrole survenait dans des eaux plus froides, sur la glace, sous la glace ou même dans la glace?

J’ai entrepris, avec M. Casey Hubert, de l’Université de Calgary, un important projet appelé GENICE, un projet de Génome Canada financé à hauteur de 10,5 millions de dollars qui porte sur le potentiel de biorestauration naturelle dans l’Arctique. Les eaux et la glace marines de l’Arctique contiennent-elles des bactéries capables de dégrader le pétrole naturellement en cas de déversement? Pourrait-on également les utiliser pour créer des outils d’intervention dont nous aurions besoin afin de les fournir, par exemple, à la Garde côtière, qui a le mandat d’intervenir en cas d’accident?

Lors d’une rencontre avec eux, ils ont indiqué avoir besoin d’outils et d’informations sur les méthodes d’intervention. Nous voulons acquérir les connaissances nécessaires afin de confirmer que les eaux arctiques contiennent des bactéries dont on pourrait favoriser la croissance à l’aide de nutriments, par exemple, et qui pourraient être utilisées pour la dégradation du pétrole.

Les deux dernières diapositives sont un aperçu du projet. Notre objectif est d’offrir des outils et des renseignements aux utilisateurs finaux, c’est-à-dire les collectivités, diverses industries et les différents ordres de gouvernement — notamment les comités sénatoriaux comme celui-ci — afin qu’ils puissent intervenir en cas de déversement de pétrole dans l’Arctique.

Je vais arrêter ici.

Le président : Merci de cet exposé fascinant, monsieur Stern. Vous avez réussi à expliquer cela de façon claire et compréhensible. Je vous en remercie.

Nous passons maintenant aux questions des sénateurs.

La sénatrice Bovey : Merci, monsieur Stern. Je trouve le travail que vous faites avec vos collègues tout à fait fascinant et, à bien des égards, plutôt effrayant.

J’ai deux questions, si vous le permettez, dont l’une est de nature plus générale. En vous basant sur vos recherches et vos années d’expérience dans l’Arctique, et compte tenu de notre perspective sur l’évolution de l’Arctique et l’interrelation des enjeux que nous essayons de comprendre, quelle est votre principale préoccupation? Quelle serait votre plus importante recommandation pour le comité, en fonction de notre objectif de protéger l’Arctique, sa population, sa faune et sa pérennité?

M. Stern : Premièrement, beaucoup de problèmes liés aux contaminants découlent des changements climatiques. La première étape doit être de limiter nos émissions de gaz à effet de serre. J’ai mentionné, plus tôt, qu’on observe une grande accumulation de mercure dans l’océan Arctique et dans les lacs, mais sous une forme qui n’est pas biodisponible actuellement. Toutefois, le réchauffement climatique entraînera une transformation des systèmes, de sorte que cela deviendra de plus en plus biodisponible.

La première chose que nous devons essayer de faire, comme le tente le gouvernement du Canada, est de réduire nos émissions de gaz à effet de serre. Je suis très préoccupé par les collectivités de l’Arctique, qui sont confrontées à tant de problèmes différents. Il n’y a pas que le problème des contaminants. Il y a l’érosion côtière, l’évolution de l’état des glaces de mer et l’impossibilité pour les gens d’aller sur la banquise pour y pratiquer la chasse selon les méthodes traditionnelles, étant donné que le couvert de glace n’est plus sécuritaire et ne correspond plus au savoir traditionnel qui leur a été transmis. Je crois qu’ils abandonnent graduellement la chasse et par conséquent la consommation d’aliments traditionnels et qu’ils adoptent plutôt une mauvaise alimentation, notamment les aliments transformés. Leurs moyens de subsistance et leurs vies sont profondément bouleversés. Comme nous le savons, le réchauffement climatique est plus rapide dans l’Arctique que n’importe où ailleurs au monde.

L’objectif est donc d’essayer de s’adapter. Premièrement, nous aimerions prendre des mesures d’atténuation, et nous faisons de notre mieux à cet égard, mais beaucoup de mesures ne sont qu’une forme d’adaptation. Ces gens ont beaucoup de travail à faire. Ces changements extrêmement rapides exigent une adaptation tout aussi rapide. Cela me fait peur.

La sénatrice Bovey : Merci de la réponse. Cela constitue une bonne amorce pour ma prochaine question. Je trouve formidable de constater que vous avez invité les Inuits à participer à vos recherches, notamment par la récolte de tissus, et que vous intégrez le savoir inuit dans vos travaux.

Cela m’amène au merveilleux mot qu’est « éducation » et au sujet de l’accès à l’éducation. Pourriez-vous parler de la formation dont auraient besoin les gens avec lesquels vous travaillez? Obtiennent-ils la formation nécessaire? Selon vous, ces gens ont-ils accès à une formation adéquate leur permettant de gagner leur vie et de travailler?

M. Stern : Je pense que les jeunes sont la clé et, comme vous l’avez dit, la solution réside dans l’éducation. Ce que nous voulons, c’est qu’à l’avenir, la recherche soit le fait des Inuits et de la population nordique de façon à favoriser les rapprochements entre le savoir inuit et les connaissances scientifiques occidentales. Nous devons augmenter le nombre de jeunes dans les programmes de sciences, comme les programmes de maîtrise et les programmes de premier cycle offerts dans diverses universités, ou encore d’autres programmes d’études, comme ceux du Collège du Yukon, qui comprennent des formations sur le terrain. Nous offrons de nombreuses formations aux gens de la communauté et aux étudiants, notamment sur le navire de recherche NGCC Amundsen. Cela leur permet de participer et de voir les activités que nous menons.

Donc, il est absolument essentiel de former les jeunes, de les intégrer au système, de les amener à diriger les recherches et à favoriser le rapprochement du savoir traditionnel et de la science occidentale.

La sénatrice Bovey : Ces étudiants ont-ils accès aux programmes que vous offrez?

M. Stern : Oui, absolument. Nous les invitons à nos laboratoires. Nous consacrons parfois des semaines à les former, en fonction de diverses situations. Nous leur montrons toutes les étapes, du prélèvement d’un échantillon jusqu’à l’analyse des données, du moins pour ce qui est de mon secteur d’activité. Nous leur montrons beaucoup de choses. Évidemment, il n’est pas possible de le faire pour tout le monde, mais si nous formons ces gens, ils pourront transmettre les connaissances qu’ils auront acquises lorsqu’ils retourneront dans leur collectivité.

La sénatrice Galvez : Merci beaucoup, monsieur Stern. Votre travail est fascinant. J’ai beaucoup de questions, mais je vais essayer de les regrouper.

Vous avez parlé du mercure. J’aimerais qu’on puisse déterminer s’il est de source anthropique ou géologique. Vous avez aussi parlé des hydrocarbures. Nous savons que les risques sont cumulés chez les peuples autochtones, étant donné que les aliments qu’ils consomment et l’air qu’ils respirent sont contaminés.

Avez-vous fait une analyse des risques pour évaluer les dangers auxquels les peuples autochtones pourraient être exposés?

J’ai récemment discuté avec une personne qui travaille dans le Nord et, selon ce qu’elle m’a dit, on aurait trouvé des pesticides dans l’Arctique. On constate une accumulation de pesticides, d’hydrocarbures et de mercure dans le foie et dans la chair des animaux, et les Autochtones consomment ces aliments. Quel est le danger?

M. Stern : Je ne suis pas toxicologue. Mon travail est plutôt d’étudier les processus, les mécanismes d’accumulation, et les causes de l’accumulation. Cela dit, nous travaillons en étroite collaboration avec Santé Canada et avec les ministères de la Santé et des Services sociaux des Territoires du Nord-Ouest et du Nunavut. Nous leur transmettons fréquemment les données que nous collectons pour qu’ils puissent mettre à jour leurs avis publics sur la consommation des divers aliments.

On observe en effet une augmentation des concentrations de mercure dans le poisson, par exemple. Les concentrations tendent à être plus élevées chez les poissons de grande taille, étant donné qu’ils vivent plus longtemps et que l’accumulation se fait sur une plus longue période. Nous fournissons ces informations aux autorités. Nous recommandons que les gens consomment des poissons de plus petite taille, puisque les concentrations de mercure ne sont pas aussi élevées dans les poissons plus petits et plus jeunes que dans les poissons de grande taille. Je ne peux traiter de la question du point de vue de la toxicologie, mais je sais qu’un suivi rigoureux est fait. Nous travaillons en étroite collaboration avec eux afin de leur fournir les renseignements dont ils ont besoin pour prendre des décisions.

La sénatrice Galvez : Certains commentaires que nous avons reçus des territoires étaient critiques à l’égard des scientifiques et de leurs travaux de recherche dans le Nord. L’une des critiques était que les scientifiques sont sur le terrain pendant l’été, mais pas toute l’année. Ils craignent que les résultats fournis par les scientifiques ne soient que saisonniers et ne s’appliquent pas nécessairement sur une année entière.

Pourriez-vous faire un commentaire à ce sujet, s’il vous plaît?

M. Stern : Nous essayons de régler ce problème, et je vais prendre deux études comme exemple. Il y a l’Étude internationale du plateau continental arctique canadien, ou CASES, un important programme de recherche financé par le CRSNG au début des années 1990. L’autre est l’Étude sur le chenal de séparation circumpolaire réalisée dans le cadre de l’API. L’Amundsen a participé aux deux études. Dans les deux cas, les navires participants ont été déployés en mer de Beaufort pendant une année entière. L’idée était de collecter l’ensemble des données saisonnières, et non seulement les données pour l’été. C’est un aspect essentiel des activités de recherche dans les diverses collectivités. À titre d’exemple, je sais que certains de mes collègues se trouvent dans les îles Belcher pour prélever des échantillons sur la banquise. Il est difficile d’être sur le terrain en tout temps. Un de mes étudiants à la maîtrise, qui est davantage spécialisé dans les communications, a passé en un an un total de quatre mois à Sachs Harbour pour établir des liens et échanger avec les gens de la communauté afin de leur faire comprendre les enjeux liés à nos travaux. Je pense que c’est très important. Nous devons comprendre les variations saisonnières. Cette année, au début de juin, l’Amundsen se rendra dans la baie d’Hudson. En 2005 et 2010, les scientifiques sont allés pendant l’été, mais nous devons absolument nous y rendre plus tôt dans l’année, notamment pour observer la principale poussée saisonnière au printemps. Nous devons assurer le plus possible une présence tout au long de l’année afin de comprendre les variations saisonnières.

La sénatrice Galvez : Merci.

Le sénateur Oh : Merci, monsieur Stern. Je m’intéresse au passage du Nord-Ouest. Selon ce que vous avez indiqué, emprunter ce passage permet aux navires-cargo, notamment, d’écourter leurs déplacements de 17 jours et d’économiser 500 tonnes de carburant.

Quelle est la densité du trafic maritime actuellement? Le savons-nous? Pendant combien de mois la circulation est-elle autorisée dans le passage?

M. Stern : Eh bien, je n’ai pas de chiffres précis à vous donner à cet égard, mais je sais que le trafic maritime augmente au fil du temps, à mesure que la glace se retire. Ce ne sont pas seulement des navires-cargo. Comme je l’ai mentionné, il y a aussi des navires de l’industrie touristique, comme le Crystal Serenity. Je suis désolé, mais je n’ai pas de chiffres sous la main. Tout ce que je peux dire, c’est qu’il y a une augmentation importante, et que cela se poursuivra.

Le sénateur Oh : Avons-nous mis en place d’autres systèmes de navigation de façon à guider tous les navires-cargo et les navires de croisière dans les voies navigables?

M. Stern : Non. Le manque de brise-glace est selon moi l’un des problèmes auxquels le Canada doit remédier. Les navires-cargo ne navigueront pas dans l’Arctique l’hiver, c’est certain, mais beaucoup de passages sont même bloqués par l’accumulation de glace en plein été, selon les vents. Un navire ou un brise-glace de la Garde côtière pourrait souvent être nécessaire pour escorter un navire ou, à tout le moins, pour intervenir en cas d’incident. Actuellement, si je ne me trompe pas, le Canada a cinq brise-glace, tous construits au début des années 1970. La mise à niveau du NGCC Amundsen a coûté 40 millions de dollars. Ce sont de vieux navires. On a parlé de l’éventuelle construction du Diefenbaker, un brise-glace de classe polaire. Je sais que ce n’est pas pour demain, mais je pense que le Canada doit aller de l’avant dans ce dossier.

Le sénateur Oh : Merci.

La sénatrice Coyle : Merci beaucoup, monsieur Stern. Votre exposé nous donne matière à réflexion, et il est très important et complémentaire aux témoignages que nous avons entendus. Vous ne réfutez aucunement ce que nous avons entendu.

J’ai quelques questions. Elles ne sont pas reliées. Je ne suis pas certaine, étant donné que vous avez dit que vous n’êtes pas toxicologue, mais vous avez dit que l’accumulation de méthylmercure est une grande préoccupation, et plus particulièrement chez les femmes en âge de procréer. Je crois comprendre que c’est peut-être aussi problématique avec le lait maternel. Pourriez-vous nous parler plus particulièrement de la menace pour les femmes en âge de procréer? Pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet, si vous avez des renseignements sur le lait maternel, et nous parler des mesures qui sont prises?

M. Stern : Premièrement, le mercure serait davantage transféré par le sang ombilical. C’est un type de contaminant de type protéinique. Dans le cas du lait maternel, on parle de ce que l’on appelle des contaminants lipophiles, comme les BPC, les chlordanes et certains des nouveaux produits ignifuges bromés dont nous entendons parler. Ces composés, parce qu’ils sont lipophiles, s’accumulent dans les tissus adipeux des animaux. Lorsque des membres d’une collectivité consomment de la graisse de béluga, par exemple, qui est un aliment de base de leur alimentation, ils s’exposent à des concentrations plus élevées de ces contaminants. Bon nombre de ces anciens contaminants comme les BPC ont diminué avec le temps.

Nous sommes un peu préoccupés par la possibilité que des collectivités aient à s’établir à un autre endroit en raison du réchauffement climatique, et certaines collectivités l’ont déjà fait, mais il y a toutes sortes de nouveaux contaminants offerts en ligne que nous essayons de gérer. Certains d’entre eux, par exemple, sont des composés fluorés et des produits ignifuges bromés. Ils doivent être restreints. Certains le sont à l’heure actuelle, mais malheureusement, ces animaux ont accumulé ces contaminants dans leur organisme au cours de leur vie. La seule façon, autre que d’essayer de réduire les risques en rendant ces contaminants illégaux, est de veiller à ce que les femmes en âge de procréer ne consomment pas de graisse de béluga à un moment précis de leur vie.

Je répète que je ne suis pas toxicologue. Je ne veux pas parler en leur nom, mais c’est un problème.

La sénatrice Coyle : Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur ces nouvelles toxines?

M. Stern : Eh bien, les produits ignifuges bromés étaient, comme leur nom l’indique, utilisés dans de nombreux objets, notamment des sofas et des claviers d’ordinateur, pour empêcher la combustion. Le marché pour ce type de produits a changé avec le temps. On a essayé de remplacer les produits dont, lorsqu’on les brûle, les émanations s’élèvent dans l’atmosphère et se dirigent vers le Nord. On a essayé de réduire les types de composés qui ne se désintègrent pas avec le temps et qui se déplacent plus facilement dans l’air.

Ces produits ignifuges bromés ne sont plus un problème propre au Sud; ils sont utilisés dans les collectivités du Nord également, notamment lorsque les gens brûlent leurs déchets.

Ces contaminants sont une source de préoccupation. Nous essayons de réduire leurs émissions, mais nous devons examiner la question attentivement.

La sénatrice Coyle : Le déplacement de ces contaminants du Sud vers le Nord et le brûlage des déchets et d’autres objets sont également des facteurs dans l’Arctique.

M. Stern : Absolument.

La sénatrice Coyle : J’ai une autre question, qui ne se rapporte pas à ma dernière question, comme je l’ai dit.

Lorsque vous parliez des déversements de pétrole et des déversements de pétrole dans le Nord, avez-vous dit qu’il n’y a aucun règlement au Canada concernant la combustion sur place et l’application de dispersants?

M. Stern : Il n’y a aucune politique. Il est illégal d’utiliser des dispersants à l’heure actuelle. C’est l’un des éléments sur lesquels nous travaillons. En ce moment, à la lumière de nos discussions avec la Garde côtière, Transports Canada et Environnement et Changement climatique Canada, s’il y a un déversement, il n’y a aucune politique à laquelle nous pouvons nous référer et dire : « Vous avez utilisé ce type de dispersant ou d’agent agglutinant, et nous devons régler cette situation ».

Nous ne savons pas non plus, par exemple, comment ces différents dispersants fonctionneraient dans les eaux arctiques. Le Corexit a été utilisé comme dispersant dans le golfe du Mexique, mais fonctionnerait-il de la même manière dans les eaux arctiques beaucoup plus froides? Il faut vraiment faire ces recherches rapidement. C’est là où le projet GENICE que j’ai mentionné entre en ligne de compte, car il se penchera sur l’assainissement naturel... Quel est le potentiel que les bactéries existantes dégradent le pétrole en cas de déversement?

La sénatrice Coyle : Merci de cette précision.

Le président : À ce propos, monsieur Stern, j’aimerais vous demander si des mesures sont prévues dans le plan de protection des océans qui a récemment été annoncé. C’est un projet de 1,5 milliard de dollars. Savez-vous si ce nouveau financement aura des répercussions sur l’océan Arctique?

M. Stern : Je participe à l’une des études. Elle est menée par le ministère des Pêches et des Océans et par Ken Lee, qui est le scienfitique responsable de ce dossier. Ken communique avec nous. Nous rédigeons actuellement des propositions portant sur des enjeux très précis en lien avec des déversements de pétrole dans les eaux arctiques et dans les trois côtes également.

Je connais donc bien le dossier. Des sommes importantes seront mises à notre disposition dans un proche avenir pour que nous puissions mener les recherches qui s’imposent.

Le président : D’accord, merci.

La sénatrice Pate : Bienvenue, et merci beaucoup de votre exposé. La situation est pour le moins inquiétante.

Mary Simon a parlé du nouveau modèle de leadership partagé dans l’Arctique et a souligné la nécessité d’examiner le sujet des collectivités saines, plus particulièrement dans le cadre du plan de recherche récent élaboré par l’organisme Savoir polaire Canada. Je me demande si vous avez des recommandations de pratiques qui, à votre avis, ont été efficaces pour effectuer de nouveaux investissements dans des recherches afin d’améliorer le bien-être des collectivités, et j’aimerais savoir si vous avez fait appel aux aînés et au savoir traditionnel dans ces secteurs de la façon suggérée par Mary Simon.

M. Stern : Nous faisons de notre mieux pour inclure le savoir traditionnel dans toutes les recherches que nous menons. L’élément clé est l’autonomie. Il faut combiner la sensibilisation, les sciences occidentales et le savoir traditionnel pour lutter contre les changements climatiques et gérer l’industrialisation. Les gens doivent posséder les compétences nécessaires pour faire face à tout ce potentiel. Je pense que c’est l’orientation que nous devons prendre dans l’élaboration des initiatives.

La sénatrice Pate : Y a-t-il des pratiques qui ont été fructueuses ou que le comité devrait encourager, que ce soit celles que vous avez adoptées ou d’autres dont vous avez entendu parler?

M. Stern : Je peux vous parler de mon expérience personnelle. Il faut se rendre dans les collectivités et y passer du temps. Comme je l’ai mentionné, plusieurs de mes étudiants diplômés et moi avons passé beaucoup de temps à Inuvialuit, par exemple, à Tuktoyaktuk ou à Aklavik. Nous voulions nouer des relations et établir un lien de confiance pour que les membres des collectivités sachent qu’ils ont leur mot à dire dans ces types de programmes — par exemple, les études d’impact régional intégrées sont en cours d’élaboration, et lorsque de nouveaux programmes de recherche sont menés, nous devons nous assurer que des représentants des collectivités sont à la table pour discuter des données scientifiques. Je peux vous en parler plus en détail d’un point de vue de la recherche.

La sénatrice Pate : Merci. Monsieur Stern, vous avez mentionné les études d’impact régional intégrées dans les régions arctiques, qui sont réalisées sous les auspices d’ArcticNet, si je ne m’abuse. Quel est l’avenir de ces travaux?

M. Stern : ArcticNet vient de terminer sa période de 14 ans; le programme a pris fin le 31 mars. Je sais qu’il doit être renouvelé. Il a changé les règles pour les réseaux de centres d’excellence, les RCE. Les RCE financés dans le passé ne pouvaient pas présenter à nouveau une demande, mais je pense qu’on a pris conscience qu’ils devraient pouvoir le faire — et ce n’est pas seulement ArcticNet, il y a de nombreux RCE, dont certains à vocation médicale, qui sont très importants. Je pense qu’on a conclu que l’on ne devrait pas mettre fin à un programme seulement parce que la période de 14 ans est terminée. Ces programmes ont accumulé de grandes quantités de connaissances et doivent pouvoir continuer ce qu’ils ont commencé. Il est dommage de tout simplement mettre un terme à ces programmes.

Nous avons présenté une lettre d’intention, qui a été acceptée. Nous sommes en train de rédiger une proposition pour le prochain appel d’offres pour les RCE. Nous espérons qu’elle sera approuvée, ce qui signifierait qu’ArcticNet pourrait poursuivre ses activités pour les cinq prochaines années.

Le président : Merci. En ce qui concerne le projet du génome que vous avez mentionné — le potentiel de biorestauration —, pourriez-vous expliquer comment il a été financé?

M. Stern : Il a été financé par Génome Canada. Ce projet est dirigé par moi à l’Université du Manitoba et par Casey Hubert à l’Université de Calgary. Un appel d’offres a été lancé par Génome Canada dans le cadre duquel nous avons présenté une proposition. Le projet n’est pas seulement financé par Génome Canada; les provinces du Manitoba et de l’Alberta l’appuient également. Génome Canada a versé 3 millions de dollars au projet. Le gouvernement provincial du Manitoba a investi 1 million de dollars, la province de l’Alberta a investi 1 million de dollars, et je pense que la province de Québec a également versé 500 000 $.

Le président : Merci. Nous allons maintenant passer à la deuxième série de questions; il nous reste environ 10 minutes.

La sénatrice Galvez : Merci beaucoup de tous les renseignements très utiles que vous nous avez fournis.

Je sais que dans le Nord, les déchets solides constituent un problème de taille, car on n’élimine pas les déchets de façon traditionnelle par l’entremise de sites d’enfouissement ou de recyclage, si bien qu’il y a des décharges un peu partout. Avec les changements climatiques — le réchauffement climatique —, puisque vos travaux portent sur les contaminants, ces décharges sont-elles de nouvelles sources de contaminants, d’après vous? Les déchets se dégraderont ou les gens commenceront peut-être à brûler plus de déchets. Qu’en pensez-vous?

M. Stern : C’est une question difficile.

Nous pourrions faire cette affirmation, car les eaux sont en train de se réchauffer, et plus de bactéries et de résidus de la biorestauration des déchets pourraient faire leur chemin dans l’océan. Au final, on devrait procéder à un rétablissement. Il y a de nombreux éléments nutritifs, par exemple. Même si on se débarrasse des produits toxiques, lorsqu’on déverse des substances toxiques dans un lac ou un océan, le plan d’eau subira des changements. La productivité primaire du lac et du système change. C’est une situation que nous voyons dans le lac Winnipeg, par exemple, où de grandes quantités de nutriments provenant de l’agriculture sont déversées dans le lac. Les algues prolifèrent dans le lac. Ce pourrait être problématique.

La sénatrice Galvez : Avez-vous une idée de l’ampleur du problème et de la vitesse à laquelle cette situation pourrait devenir un réel problème?

M. Stern : C’est une question difficile, car toutes les différentes collectivités traitent leurs déchets différemment. Au final, la meilleure façon de gérer les déchets est de les valoriser avant qu’ils soient déversés dans les cours d’eau.

La sénatrice Bovey : Je veux revenir sur la question que le sénateur Patterson a posée sur les zones océaniques : le Sénat a reçu à la fin de la semaine dernière le projet de loi C-55 — et nous commencerons à en discuter cette semaine —, qui porte sur les zones de protection marines et sur l’objectif du Canada de rendre 10 p. 100 de nos zones océaniques des aires protégées d’ici 2020. Je pense que nous sommes à 7,7 p. 100.

Avez-vous pris part aux discussions pour définir les critères ou ces futures zones marine protégées?

M. Stern : Pas récemment. Toutefois, j’ai oeuvré au MPO avant de travailler à l’université, et mes fonctions s’articulaient beaucoup autour de l’Arctique de l’Ouest. Je pense qu’il est difficile de définir ces critères. J’étudiais généralement les bélugas, par exemple, car ils ne restent pas dans le delta du Mackenzie. Ils remontent vers l’Est, puis vers le Nord par le détroit de Béring. J’ai un problème avec les zones de protection marine. On ne peut pas restreindre la chasse et l’industrie, par exemple. Comment peut-on savoir si des zones sont protégées? En plus d’établir des zones de protection marine, on doit assurer une surveillance pour voir si cette protection a donné lieu à des changements ou à des diminutions.

La sénatrice Bovey : J’ai une brève question à poser : j’ai eu l’occasion l’autre jour de visiter les laboratoires et les aires d’entreposage au Musée de la nature, et j’ai jeté un oeil aux collections sur l’Arctique. C’était fascinant de voir un grand nombre de spécimens de la période préglaciaire de l’Arctique de l’Est et de l’Ouest. Je sais que les scientifiques du musée se rendent dans le Nord régulièrement et qu’ils planifient leur voyage cet été.

Ai-je raison de présumer que vos travaux recoupent ceux de ces scientifiques? Avez-vous mené des projets conjoints avec le Musée de la nature?

M. Stern : Absolument. L’un des bons côtés des programmes d’envergure comme ArcticNet, des navires comme l’Amundsen ou l’étude sur le chenal de séparation circumpolaire et d’autres études, c’est qu’ils sont très multidisciplinaires. À n’importe quel moment, vous pouvez avoir 40 scientifiques à bord d’un navire qui interagissent entre eux.

Il est impossible de comprendre un écosystème isolément. On ne peut pas simplement étudier les invertébrés benthiques, les bélugas ou l’accumulation sédimentaire sans comprendre les forçages atmosphériques, l’océanographie, les propriétés chimiques de l’eau ou la biologie. Ces écosystèmes sont compliqués et très multidisciplinaires. Nous travaillons et continuerons de travailler avec ces scientifiques et d’interagir avec eux. Je pense que c’est formidable, car il y a 16 ans de cela, je n’aurais probablement pas dit la même chose. Nous effectuons maintenant des recherches multidisciplinaires. J’ai donc collaboré avec eux.

La sénatrice Coyle : Merci beaucoup encore une fois, monsieur Stern. Ma question donne suite aux questions de mes collègues sur la participation d’un plus grand nombre d’intervenants autochtones dans les recherches scientifiques auxquelles de nombreuses personnes et vous participez. Le Canada investit massivement dans les recherches dans le Nord, et ces investissements sont tout à fait justifiés.

Je suis curieuse. Je sais que tout le monde a de bonnes intentions et que des progrès sont réalisés. La volonté est là. Ma question est la suivante : quels types de barrières y a-t-il, à mesure qu’un grand nombre de jeunes intègrent le marché du travail dans ces collectivités du Nord, et qui pourraient devenir de véritables partenaires dans le cadre de ces recherches et faire carrière dans ce secteur?

M. Stern : Je vois un immense potentiel. Je travaille avec de nombreux étudiants brillants et compétents. Dans le cadre de l’étude sur le chenal de séparation circumpolaire, je ne sais pas si vous avez entendu parler du programme Écoles à bord. Nous avions un programme international dans le cadre duquel nous accueillions des étudiants de partout dans le monde et au pays.

Nous avions également des écoles inuites où des élèves inuits de différentes régions de l’Arctique participaient aux recherches à bord du navire pendant 12 ou 14 jours. C’était tout à fait fascinant de les voir participer aux recherches. Je ne sais pas si vous connaissez le programme, mais je collabore directement avec les scientifiques, et j’ai reçu une formation et j’ai communiqué les résultats de recherche, par exemple, sur la façon de recueillir des échantillons de sédiments au fond de l’océan et d’effectuer certaines de ces analyses. Je pense que ces recherches ont été inspirantes pour un grand nombre de ces étudiants. Et cette inspiration est importante pour encourager ces jeunes, lorsqu’ils retournent chez eux, à poursuivre des études postsecondaires.

C’est quelque chose que j’ai toujours remarqué. Il est parfois difficile pour les étudiants du Nord d’être loin de leur famille pendant de longues périodes. Ils ont des liens très serrés avec leur famille. Dans certains cas, ils avaient du mal à s’adapter à leur long séjour loin de leur famille. Si nous pouvons régler ce problème d’une façon ou d’une autre, je pense que cela aurait d’importantes répercussions.

Le président : Pour terminer rapidement, monsieur Stern, j’aimerais revenir sur l’absence de politique au Canada pour gérer les déversements dans les eaux arctiques. Vous menez le programme GENICE, et vous avez dit que le MPO travaille à un projet pour gérer les déversements de pétrole dans les eaux arctiques. Ces initiatives combleront-elles cette absence de politique?

J’aimerais également connaître votre opinion concernant la question suivante : croyez-vous que nous devrions envisager de brûler ou de disperser le pétrole, comme c’est la pratique dans la majorité des pays?

M. Stern : Pour répondre à votre première question, le programme GENICE a été élaboré à partir d’un système d’approvisionnement axé sur l’utilisateur final. Depuis le début, nous travaillons étroitement avec nos utilisateurs finaux, nos partenaires, pour effectuer les recherches scientifiques dont ils ont besoin pour élaborer les politiques pouvant être utilisées en cas de déversement. Pour ce faire, nous avons tenu de nombreuses réunions. Par exemple, nous avons eu une réunion en avril dernier avec des membres de la Garde côtière canadienne où ils ont présenté leurs enjeux et où nous avons présenté nos données scientifiques. Nous avons passé la journée entière à trouver des idées et des façons de mener les travaux scienfiques qui pourront répondre aux questions auxquelles il faut trouver des réponses. Ils peuvent fournir aux collectivités les navires et les outils dont elles ont besoin en cas de déversement.

Nous avons réglé des questions avec Environnement et Changement climatique Canada, et nous avons réglé les aspects juridiques et économiques. Nous aurons bientôt une réunion où nous nous pencherons sur les intervenants de l’industrie du transport maritime. Nous discuterons avec eux de leurs besoins.

C’est un système d’approvisionnement axé sur les utilisateurs finaux. Il a pour but de répondre à ces questions. Si nous ne répondons pas aux questions, un projet comme le programme GENICE se soldera en échec, d’après moi. Mais ce ne sera pas le cas.

Le président : Qu’en est-il des dispersants et de la combustion? Avez-vous une opinion à ce sujet?

M. Stern : La meilleure façon de procéder, c’est si l’Arctique a la possibilité de corriger la situation de manière microbienne et naturelle. Dans certains cas, l’utilisation de dispersants est une bonne idée. On disperse les hydrocarbures et la bactérie les désintègre plus facilement. Reste à savoir si le dispersant que vous utilisez est toxique.

Dans le cas de la combustion sur place, lorsque vous brûlez de grandes quantités de pétrole, où vont les émissions? Ils s’élèvent dans l’atmosphère. Cela aura-t-il une incidence sur les collectivités avoisinantes, par exemple? Nous devons réaliser les études. Si vous avez un déversement au milieu de l’océan Arctique, je ne sais pas s’il serait utile d’ajouter des dispersants. Il y a tellement de questions différentes auxquelles il faut trouver une réponse.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Stern. Votre témoignage nous a été utile. Je vous remercie d’avoir été des nôtres ce soir.

Nous allons maintenant passer à huis clos.

(La séance se poursuit à huis clos.)

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