Délibérations du Comité sénatorial spécial sur l'Arctique
Fascicule no 14 - Témoignages du 1er octobre 2018
OTTAWA, lundi le 1er octobre 2018
Le Comité sénatorial spécial sur l’Arctique se réunit aujourd’hui, à 18 h 30, pour examiner les changements importants et rapides qui se produisent dans l’Arctique et les effets de ces changements sur les premiers habitants.
Le sénateur Dennis Glen Patterson (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonsoir, unnusakkut.
Bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial spécial sur l’Arctique. Je m’appelle Dennis Patterson et je représente le Nunavut. J’ai le privilège de présider ce comité. J’aimerais demander aux sénateurs de se présenter.
La sénatrice Bovey : Patricia Bovey, du Manitoba.
La sénatrice Boyer : Yvonne Boyer, de l’Ontario.
La sénatrice Boniface : Gwen Boniface, de l’Ontario.
La sénatrice Galvez : Rosa Galvez, du Québec.
Le président : Merci, chers collègues. Ce soir, dans le cadre de notre étude sur les changements importants et rapides qui se produisent dans l’Arctique et les effets de ces changements sur les premiers habitants, nous poursuivons nos travaux sur le thème du développement économique et l’infrastructure.
Pour notre premier groupe de témoins, nous accueillons par vidéoconférence Kelly Lendsay, président et chef de la direction d’Indigenous Works. Monsieur Lendsay, merci de vous joindre à nous. Je vous invite à faire votre déclaration préliminaire, suite à laquelle il y aura peut-être des questions.
Kelly Lendsay, président et chef des opérations, Indigenous Works : Je suis heureux de me joindre à vous depuis Saskatoon, en Saskatchewan. Je n’ai pas eu à prendre l’avion pour me rendre à Ottawa. C’est un plaisir de rencontrer tout le monde par vidéoconférence.
Monsieur le sénateur, j’aime votre veste en peau de phoque.
Le président : Merci.
M. Lendsay : Mesdames et messieurs les sénateurs, il y a deux choses que je voudrais porter à votre attention. J’essaye de situer cela dans le contexte de l’Arctique. Il y a un an et demi, nous avons mené la plus grande étude jamais réalisée sur la participation des Autochtones dans les entreprises. C’est important pour les gens de l’Inuit Nunangat. En ce qui a trait aux emplois, aux entreprises et aux investissements sociaux, j’ai appris au cours des 30 dernières années qu’il s’agit en réalité d’une question d’engagement.
Nos amis de Services aux Autochtones Canada ont fourni les fonds et nous avons entrepris la plus grande étude jamais réalisée sur la participation des Autochtones dans les entreprises. Nous avons étudié 511 entreprises moyennes et grandes.
Les principales constatations sont de trois ordres. Premièrement, 85 p. 100 des entreprises qui ont répondu n’avaient aucune stratégie ou pratique de participation des Autochtones. On leur a posé un certain nombre de questions sur la sensibilisation, les stratégies et la consultation; il y avait cinq domaines. Elles ont obtenu une note.
Le score moyen de l’indice, ce que nous appelons la « note de participation », est de 13 sur 100. Si vous regardez les entreprises du secteur des ressources, bon nombre d’entre elles ont obtenu un score de 80 ou 90. Si vous prenez tous les secteurs de l’économie — la vente au détail, l’accueil, la fabrication de pointe, le numérique, les TI et le transport —, la participation des Autochtones est inexistante.
La troisième constatation concernait la Commission de vérité et réconciliation. On a demandé aux entreprises si elles étaient au courant de l’appel à l’action lancé à destination des entreprises dans le cadre de la Commission de vérité et réconciliation. Seulement une entreprise sur quatre connaissait l’existence de la CVR.
Il y a un manque de participation. Si nous voulons vraiment avancer et appuyer les Autochtones, en l’occurrence les Inuits, la question de leur participation dans les sociétés se pose. Comment les entreprises interagissent-elles avec les collectivités et les sociétés de développement économique inuites?
Nous travaillons maintenant avec ITK, l’Inuit Tapiriit Kanatami, à ce projet de participation. Cela vient de commencer. Nous nous sommes rencontrés la semaine dernière. Cela fait un an que nous parlons du mandat et il est en cours de mise en œuvre. Il faudra que nous vous tenions au courant, chers sénateurs, des progrès réalisés. Pour l’essentiel, nous examinons la façon dont nous pouvons régler la question de la participation des Autochtones au sein des entreprises, mais, bien sûr, dans une optique adaptée aux Inuits en particulier.
Lorsque je parle des Inuits en particulier, je ne parle pas seulement des Inuits de l’Arctique. Je parle des Inuits qui vivent à Ottawa, à Winnipeg, les deux autres grands bassins de population en dehors de Nunangat. J’ai pensé que cela vous intéresserait. Je pense que cela aidera à créer des emplois, à stimuler les investissements commerciaux et sociaux. Cela permettra également d’aborder ce que nous appelons le « capital social ». Le capital social, c’est l’harmonie sociale; ce sont les liens entre les groupes. C’est une partie du travail que nous faisons actuellement.
Nous avons une certaine expérience en analyse comparative. Nous avons fait une analyse comparative du milieu de travail. On nous appelait autrefois le Conseil des ressources humaines autochtones. Nous étions le fruit d’une recommandation de la CRPA, la Commission royale sur les peuples autochtones. Tout cela a été accompli dans les milieux de travail.
Sénateur Patterson, vous serez heureux de savoir que je suis l’une des rares personnes à promouvoir les principes de l’Inuit Qaujimajatuqangit, l’IQ. Les Inuits ont créé sept principes qu’ils aimeraient voir intégrer au milieu de travail, au gouvernement et à l’éducation. Ces principes impliquent l’harmonie dans le travail avec les autres, le respect de l’environnement... Il y en a sept. Bien sûr, je ne peux pas parler en inuktitut, mais j’ai une diapositive PowerPoint dans laquelle je fais la promotion de ces principes.
Je porte cette question à votre attention parce que je pense qu’au lieu de considérer la participation des Autochtones comme un déficit ou sous l’angle du déficit, il y a certaines choses que les Inuits font, comme ces principes de l’IQ, qui pourraient en fait profiter non seulement à d’autres entreprises, mais aussi à d’autres groupes autochtones. Je pense que c’est un exemple de bon leadership, il est en cours et je l’ai appris en travaillant avec les Inuits.
J’ai une dernière histoire à raconter, puis nous passerons aux questions. J’étais à Iqaluit en 1999. Il s’agissait de la conversation sur le Nunavut. Bien sûr, c’était juste au moment de la création du Nunavut. Environ cinq ans plus tard, nous avons organisé un forum sur l’engagement des entreprises vis-à-vis de la collectivité au Nunavut. Il y avait un gars, Nester Albert. Je me suis toujours souvenu de lui parce qu’il a été le premier monteur de lignes inuit à travailler pour Nunavut Power, si cela porte encore ce nom aujourd’hui. Si vous comparez cela à ce qui se passe aujourd’hui, je pense que nous sommes sur le point d’accélérer les engagements des entreprises vis-à-vis des Autochtones et de véritablement stimuler une situation de l’emploi, de l’entreprise et une économie sociale qui profiteront aux gens partout dans l’Arctique.
Je vais arrêter ici. Je serai heureux de répondre aux questions, aux commentaires et de prendre part à la conversation.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Lendsay. Nous allons maintenant passer aux questions.
La sénatrice Bovey : Merci. Merci pour vos réflexions, vos constatations récentes et pour la façon dont vous y donnez suite. Cependant, je dois dire que je les trouve plutôt déprimants. Ce ne sont pas vos actions que je trouve déprimantes, mais plutôt vos constatations.
Pourquoi selon vous 85 p. 100 de ces entreprises n’avaient aucune stratégie de participation des Autochtones? Pourquoi pensez-vous que la note était si faible? Comment se fait-il que seulement une sur quatre connaissait la CVR? Ma première question est : pourquoi?
M. Lendsay : Je pense que c’est la bonne question. Très souvent, je pense que les gens sautent trop vite sur le mot « racisme ». Je ne pense pas que ce soit du racisme. J’appelle cela de l’ignorance innocente. C’est la première chose. Je pense qu’il y a un manque de connaissances sur les vrais problèmes. Tout le monde ici connaît les enjeux. Nous connaissons tous les acronymes comme CRPA. C’est la première chose, c’est vraiment un manque de connaissance.
Nous savons que les écoles et les universités n’en ont jamais parlé, mais cela change. En revanche, pour ce qui est des dirigeants des organisations et des entreprises canadiennes d’aujourd’hui, il y a un manque de connaissances.
Deuxièmement, je pense qu’il y a un peu de lassitude. Prenez les États-Unis; si vous allez à Detroit pour parler des problèmes afro-américains, il y a de la lassitude. Au Canada, je pense qu’il y a une certaine lassitude autour des questions autochtones. C’est que les Canadiens ne comprennent pas vraiment quels sont les problèmes. Ils considèrent que c’est une sorte de bruit de fond désagréable. Les gens disent qu’ils voient cela comme étant source de « désaccord », de « négativité ». Il y a une certaine circonspection, une résistance, les gens voient cela comme un risque.
D’une certaine façon, je paraphrase la raison pour laquelle vous posez la bonne question, me semble-t-il, parce que nous pensons qu’il faut une nouvelle approche pour tracer les contours de la participation des Autochtones au travail, pour dessiner le profil d’une nouvelle génération d’Autochtones qui veulent du travail, pour imaginer des sociétés, des collèges, des universités et des collectivités qui travaillent ensemble.
Si nous continuons à faire comme avant, rien ne changera, tout le monde lancera des exemples en guise de modèles. Connaissez-vous ces Minutes du patrimoine canadien qui sont diffusées à la télévision? Cela dure entre 30 secondes et 1 minute. Vous les regarderez. Un autre exemple est une bonne publicité pour Tim Hortons. Cela vous fait réfléchir.
Nous discutons avec trois grands ministères : le SAC, Services aux Autochtones Canada, Innovation, Sciences et Développement économique; et Emploi et Développement social Canada. Ce sont les trois gros mammouths d’Ottawa. Pour commencer, nous essayons de faire en sorte que ces trois mammouths sachent en premier lieu comment le gouvernement devrait collaborer. Le gouvernement a ses silos, l’industrie a ses silos et les Autochtones aussi. Nous avons des silos; nous sommes tout aussi fragmentés que les provinces et les territoires.
Nous devons créer des intersections entre les groupes. Je veux créer cette approche plus intégrée. Je veux trouver des moyens de toucher le secteur privé et les personnes désengagées. Je voudrais vous demander à tous de faire une chose à Ottawa. Tout d’abord, d’où venez-vous, madame? Où habitez-vous?
La sénatrice Bovey : Mes attaches sont à Winnipeg.
M. Lendsay : Winnipeg. Quand vous serez de retour à la maison...
La sénatrice Bovey : Un des grands centres inuits.
M. Lendsay : Oui, exactement. Lorsque vous serez de retour chez vous et que vous sortirez avec vos amis, demandez aux gens dans vos cercles s’ils ont une stratégie de participation des Autochtones — « Parlez-vous des enjeux autochtones? » En général, vous allez constater dans vos cercles élargis — si vous mettez 100 personnes dans une salle, la majorité des gens vont dire : « Eh bien, nous savons que c’est important, mais non, nous n’avons pas de stratégie. Nos dirigeants ne font rien à ce sujet. Nous savons que c’est important. » Ils sont sympathiques. Il y a de l’empathie. « Nous savons qu’il y en a beaucoup en prison. »
Nous devons être très honnêtes. Encore une fois, ils ne sont pas racistes; ils sont tout simplement ignorants. Ils aimeraient avoir des conseils. Il y a une possibilité, mais il faudra créer des partenariats et il faudra des courtiers pour faire ce travail. Cela ne se fera pas tout seul.
La sénatrice Bovey : Permettez-moi de passer à l’autre aspect de la question et de parler un instant des Inuits. Quel rôle l’éducation joue-t-elle? Est-ce qu’une partie de cette ignorance et de cette lassitude innocentes sont attribuables au fait que les Inuits de diverses régions du Nord ne viennent pas frapper à la porte des entreprises pour obtenir des emplois parce que notre système d’éducation dans le Nord n’a pas le même niveau que celui du Sud, ou qu’il est moins accessible? Cela fait-il partie de l’équation? La participation concerne les deux côtés de l’équation; vous avez besoin de l’hôte et vous avez besoin des participants.
M. Lendsay : C’est comme ça, n’est-ce pas?
La sénatrice Bovey : Oui.
M. Lendsay : Il faut les deux.
Prenons le Nord dans son ensemble, du Yukon jusqu’au Nunangat, en règle générale, le Canada peut apprendre beaucoup du Nord. Je trouve que l’approche et la volonté d’établir un partenariat sont beaucoup plus abouties dans le Nord. Cela va au-delà des ententes sur les répercussions et les avantages et ainsi de suite. Les gens savent qu’il faut trouver des façons de participer.
Vous avez tout à fait raison de dire qu’il y a un déficit en matière d’éducation et de compétences. Les entreprises qui sont sérieuses — et nous parlons ici des sociétés minières et des sociétés d’exploitation des ressources — doivent dans l’ensemble déployer des efforts.
Nous constatons que tous les sous-traitants — des centaines de sous-traitants — qui travaillent pour les grandes entreprises n’ont pas de plan de participation; ils n’ont pas à s’engager auprès des Autochtones. À mon avis, nous ratons une occasion de favoriser l’intégration verticale de la participation dans les entreprises jusqu’aux sous-traitants.
Ce n’est là qu’un exemple d’une politique et d’une stratégie selon lesquelles, si vous recevez des contrats fédéraux et ce genre de choses, une entreprise doit être plus proactive pour engager des sous-traitants et ne tenir compte que du nombre d’emplois, de stages et d’investissements qui pourraient en découler.
L’autre aspect de l’éducation, c’est qu’il n’y a pas toujours d’emplois et que les gens ne sont pas toujours prêts à travailler. À mon avis, il y a un décalage. Ce qu’il faut que les entreprises fassent — et encore une fois, cela peut très bien fonctionner avec les Inuits, surtout dans l’ensemble du Nunangat —, nous devons dire aux entreprises que si elles n’ont pas d’emploi à proposer aujourd’hui, nous voulons qu’elles investissent dans les mécanismes, la formation et l’éducation pour préparer les gens à ces emplois. De cette façon, il y a toujours un investissement, mais il est axé sur la sensibilisation aux carrières, le perfectionnement professionnel, un niveau de 12e année en calcul, en chimie, en compétences informatiques et ainsi de suite. Il faut harmoniser les études et les possibilités d’emploi.
La sénatrice Bovey : Merci. Je reviendrai peut-être plus tard avec une autre question.
La sénatrice Boyer : Bonjour, Kelly. Merci d’être venu. Il me semble que nous nous connaissions il y a longtemps.
M. Lendsay : Oui, c’est exact.
La sénatrice Boyer : J’ai une question au sujet des femmes. À la lumière des statistiques sombres que vous avez présentées, j’ai presque peur de poser des questions sur les femmes autochtones, en particulier les femmes inuites, et sur la rareté des femmes dans l’industrie minière. Selon vous, qu’est-ce qui pourrait permettre d’accroître le nombre de femmes autochtones, en particulier les femmes inuites, dans l’économie axée sur les ressources?
M. Lendsay : Je n’ai pas de données précises sur les Inuits. Nous découvrons que les femmes autochtones — donc pas seulement les Inuits, mais aussi les Métis, les Premières Nations et les Inuits — s’en tirent beaucoup mieux que les hommes dans le monde économique. Les femmes sont plus organisées, elles sont plus axées sur les objectifs et elles veulent faire quelque chose de leur vie. Si vous regardez le nombre de diplômés universitaires, vous verrez que ce sont en majorité des femmes.
Les plus vulnérables sont les garçons adolescents. Certaines des recherches publiées portent sur la vulnérabilité.
Pour revenir à ce que vous avez dit au sujet des femmes dans le secteur des ressources, qu’elles soient autochtones ou non, les trois grands enjeux sont les femmes dans le secteur des ressources, les femmes dans les conseils d’administration et les femmes dans la haute direction. Il y a eu des changements. Il y a de plus en plus de femmes qui se lancent dans le secteur des ressources, en particulier dans les métiers — il y a des femmes dans les métiers et maintenant des femmes autochtones. Nous avons assisté à un changement qui profite à toutes les femmes. Il y a eu une tendance consistant à dire qu’il y a une énorme pénurie de main-d’œuvre qualifiée et que la situation empirera. Les gens commencent à réfléchir et à attirer les femmes dans ces secteurs.
Les modèles — je crois que c’est seulement 13 p. 100 — dans le cas des sociétés, combien de sociétés d’exploitation des ressources ont des femmes à leur conseil d’administration? Il y en a très peu. Encore une fois, nous avons besoin de femmes au sein des conseils d’administration, elles vont faire avancer la cause des femmes, y compris, espérons-le, celle des femmes autochtones, pour inciter l’entreprise à s’engager plus activement à cet égard.
Troisièmement, il y a des entreprises appartenant à des femmes autochtones dans le secteur des ressources : une femme de Goose Bay, au Labrador; Nicole Bourque-Bouchier en Alberta. Teara Fraser vient d’ouvrir à Vancouver la première compagnie aérienne autochtone appartenant à une femme. Les femmes ont toujours été de bonnes entrepreneures et je pense qu’elles commencent à ouvrir des entreprises. Victoria Labillois, une Mi’kmaq de Listuguj, est présidente de Wejuseg Construction.
Nous commençons à voir des femmes autochtones prendre les devants dans ce domaine. Il reste encore du travail à faire.
La sénatrice Boyer : Vous avez parlé de conseils d’administration. Selon vous, comment pourriez-vous convaincre les conseils d’administration de restructurer leur composition afin d’accroître le nombre de femmes — une certaine parité hommes-femmes?
M. Lendsay : La bonne nouvelle, c’est que les groupes de sécurité qui supervisent les conseils servent à donner des conseils de conformité. En Europe, la Commission européenne, qui supervise les conseils, les a encouragés pendant des années. Enfin, elle a abandonné. Elle a exigé 30 p. 100; il faut atteindre 30 p. 100 de femmes sans quoi il y a des pénalités.
Quelle est la durée de ces encouragements, de cette forte persuasion et ainsi de suite? Le Canada a commencé à dire aux entreprises qu’elles doivent fixer des objectifs pour les femmes et leur expliquer ce qui a été fait pour les atteindre. S’ils ne le font pas, ils doivent s’en expliquer. Il s’agit de se conformer ou de s’expliquer. Nous devrions obtenir plus d’information, mais je pense que c’est la bonne voie à suivre.
Ce qu’il nous faut maintenant, ce sont des Autochtones au sein des conseils d’administration et des pressions plus fortes dans ce sens.
Il y en a de plus en plus. Il y a plus de gens qui bénéficient de la formation. Il y a l’ICD, l’Institut des administrateurs de sociétés. Nous devons suivre la formation pour être dans la salle du conseil d’administration.
La sénatrice Galvez : Merci beaucoup, monsieur Lendsay. J’ai tellement de questions. Je ne sais pas par où commencer.
Commençons par le fait que la perception du Nord évolue. Cela fait 37 ans que je travaille à l’évaluation des répercussions environnementales des projets miniers dans le nord du Canada, ainsi qu’en Amérique du Sud. Je sais que la perception est en train de changer.
Je me souviens de l’époque où nous ne voyions le Nord que comme un endroit où aller pour obtenir de bonnes ressources naturelles. Maintenant, enfin, on se rend compte qu’il y a des gens qui y vivent. Bien sûr, il y a des travailleurs qui arrivent par avion, mais il y a des gens qui y vivent et qui veulent participer au développement qui se fait dans le Nord. Je suis tout à fait d’accord avec vous quand vous dites que nous avons besoin d’éducation et de connaissance.
L’une des recommandations de la Commission de vérité et réconciliation était d’éduquer et de créer des universités et des programmes au sein des universités du Sud pour accueillir des étudiants du Nord. Je viens du Québec, et nous le faisons à l’Université Laval.
Les programmes qui semblent être très populaires s’adressent effectivement aux femmes : les soins infirmiers et le travail social. Nous ne semblons pas attirer les hommes pour des études qui relèvent davantage de l’ingénierie et de la technique. Ma première question est la suivante : comment pouvons-nous y arriver? Peuvent-ils être financés par des compagnies minières avec des bourses d’études et de perfectionnement pour qu’on puisse ensuite avoir une relation directe et vous fournir des professionnels?
Ma deuxième question est la suivante : bien sûr, l’industrie minière ne peut pas remplacer le gouvernement. J’ai vu en Amérique du Sud comment les compagnies minières remplacent le gouvernement et créent des hôpitaux et des écoles. J’aimerais aussi connaître votre opinion à ce sujet.
M. Lendsay : D’où vous vient ce bel accent?
La sénatrice Galvez : Du Pérou.
M. Lendsay : Ce qui est intéressant dans ce programme d’engagement, c’est que je suis allé trois fois en Australie. Je m’intéresse à l’engagement autochtone à l’échelle mondiale. Ces compagnies sont présentes dans de nombreux pays. Je pense que c’est l’occasion idéale pour le Canada de jouer un rôle de chef de file et de se demander ce que nous pouvons faire pour encourager l’engagement autochtone à l’échelle internationale, pour l’ensemble des peuples autochtones. Comme vous le savez, il est davantage question des droits de la personne dans des pays comme le Pérou, l’Argentine, le Chili et bien d’autres. C’est un sujet important que nous aborderons une autre fois.
En ce qui a trait à l’éducation, nous devons revoir certaines de nos attentes. Par exemple, nous continuons à parler des taux d’achèvement des études secondaires. Nous ne devrions pas en parler, nous devrions plutôt nous intéresser aux taux d’achèvement des études postsecondaires, que ce soit dans les écoles de métiers, les collèges de technologie ou les universités. Le marché n’est pas bon pour les titulaires d’un diplôme d’études secondaires.
Ce matin, je parlais avec des gens de la banque Vancity. Selon eux, il existe un marché pour les Autochtones, mais ils n’ont pas terminé leur 12e année. Ils se demandent s’ils devraient les accepter avec une 11e année seulement? Je leur ai déconseillé de le faire, parce que cela les mènerait droit à l’échec. S’ils commencent à travailler dans une banque après une 11e année, ils devront se perfectionner. Ils devront terminer leur secondaire, puis entreprendre des études postsecondaires, faute de quoi leur avancement professionnel sera limité.
De la même façon, nous devons encourager les parents, les enseignants et les employeurs à renforcer les attentes pour les Inuits et demander aux jeunes d’établir un plan de formation postsecondaire. Ils doivent avoir un plan d’études postsecondaires. Je parle de manière générale, que ce soit dans une école de métiers ou de technologie ou à l’université.
L’autochtonisation est plus rapide dans nos collèges et nos universités que dans le secteur privé. La plupart des collèges et universités ont un vice-président ou un doyen autochtone. L’Université de Winnipeg, l’Université de la Saskatchewan, l’Université du Cap-Breton, l’Université Simon Fraser, l’Université de la Colombie-Britannique, tous ces établissements accueillent un nombre sans précédent d’Autochtones, notamment 10 p. 100 à l’Université de la Saskatchewan.
Malgré les chiffres et les statistiques négatifs, la tendance est bien enclenchée. C’est la bonne nouvelle. Oui, il y a des problèmes d’incarcération ici, mais les taux d’éducation sont à la hausse. Les gens s’en rendent difficilement compte, parce ces nouvelles ne font pas beaucoup de bruit. Un jour, vous entendez parler des femmes assassinées et disparues et le lendemain, des emplois.
Ce qu’il faut faire, sur le front de l’éducation, c’est de relever les normes et les attentes. Nous sommes en mode rattrapage. Que faisons-nous pour aider les Autochtones à rattraper leur retard? Si nous voulons vraiment être un pays d’innovation, nous devrions nous demander ce que nous pouvons faire pour aider les Inuits à devenir des chefs de file en matière d’éducation, de la maternelle à la fin du secondaire. Ils sont engagés sur la bonne voie pour ce qui est de certains de ces principes. Comment se comparent les résultats scolaires de nos enfants avec ceux des autres pays?
J’aimerais que nous puissions nous comparer aux autres pays, sans éprouver de crainte ni de honte. Je pense que nous sommes solides. En tant que parents, nous devons stimuler nos enfants. Si un enfant n’est pas stimulé par un parent, il devra l’être par un enseignant ou un tuteur. Si personne ne le stimule, il aura besoin d’un employeur. En tant que parent, je suis plutôt pragmatique quand je vois cet écart en éducation, parce qu’il a tellement de choses que nous pouvons faire pour le combler.
La semaine dernière, j’étais à bord de l’avion vers Thunder Bay. Nous allions y faire une annonce importante avec la Chambre de commerce du Canada. Perrin Beatty et moi avons fait cette annonce. Dans l’avion, j’étais assis dans la rangée 5. Devant moi, une jeune fille occupait le siège près du hublot, elle était avec sa mère. Elle était plongée dans un livre de chimie. Elle faisait ses devoirs. Je ne l’ai pas quittée des yeux pendant qu’elle faisait ses devoirs. Une fois à destination, je lui ai demandé comment elle s’appelait et si elle était en train de lire un manuel de 12e année. « Non, m’a-t-elle répondu, je suis à l’université, en chimie. » Je lui ai donné ma carte d’affaires en lui disant : « Bravo! Crois-moi, les gens qui travaillent fort pour faire leurs devoirs réussissent très bien dans leur carrière. Fais-moi signe quand tu auras terminé et que tu seras à la recherche d’un emploi. »
Ce n’est pas grand-chose, n’est-ce pas? Les employeurs de tout le pays doivent poser des gestes similaires et récompenser les étudiants qui travaillent fort. Cela n’arrive pas assez souvent.
Comme je l’ai déjà dit, j’ai été le premier directeur d’un programme autochtone en gestion des affaires au Canada. En 1995, nous avons lancé le premier programme de gestion des affaires à l’école Edwards du Collège de commerce de l’Université de la Saskatchewan. Aujourd’hui, presque toutes les universités offrent un programme similaire ou une maîtrise en administration des affaires à l’intention des Autochtones. Il y en a partout. C’était il y a 24 ans. Je pense que la trajectoire va dans la bonne direction. Les établissements s’intéressent aux programmes pour les Premières Nations, les Métis et les Inuits. Nous devons simplement maintenir le cap.
Le président : Merci.
Le comité vient tout juste de faire une tournée des collectivités de l’Arctique. Pour renforcer vos propos, les parents et les étudiants nous ont eux-mêmes dit que l’éducation qu’ils recevaient était en deçà des normes requises pour entrer à l’université ou dans d’autres établissements. Nous avons entendu ce commentaire tout au long de notre récente visite.
La sénatrice Boniface : Merci de vous joindre à nous. Je vous ai écouté attentivement, en particulier ce que vous avez dit au sujet du secteur public. Les collèges et les universités ont avancé plus vite que le secteur privé.Comme j’ai fait ma carrière dans le secteur public, je suis toujours déçue de voir que le secteur privé ne prend aucune décision pour remplir sa part du contrat social que vous avez évoqué.
Je suppose que votre organisation a un rôle à jouer. J’aimerais savoir ce que vous conseilleriez à ces entreprises privées de faire pour contribuer au mieux-être de la collectivité. Elles ont un intérêt direct dans les résultats, au même titre que la collectivité.
J’aimerais connaître votre opinion à cet égard et savoir ce que peut faire votre organisation pour favoriser cela?
M. Lendsay : Je vais vous faire parvenir un exemplaire du résumé en six pages de notre rapport de recherche. Je pense que vous serez atterrée par les propos tenus par la compagnie qui s’est désengagée.
Par exemple, les chercheurs ont recueilli certains commentaires des entreprises. Celles-ci pensent que ce n’est pas leur responsabilité, mais celle du gouvernement. Elles déclinent toute responsabilité dans le piètre bilan socioéconomique et les conditions de vie des peuples autochtones. Elles disent qu’elles n’y ont jamais pensé, que leurs dirigeants n’y ont jamais réfléchi, qu’elles n’ont pas de politique, ni d’orientation et ni de modèle opérationnel à cet égard. Elles ont été très honnêtes dans leurs réponses.
Nous leur avons alors demandé ce qui pourrait les motiver.
Il y a quatre types d’entreprises. Celles qui sont désengagées, celles qui sont novices en matière d’engagement, celles qui créent des liens et celles qui sont engagées. Elles disent avoir besoin de ressources spécialisées, de meilleures connaissances, de systèmes et d’outils. Elles exigent cela, mais le problème, c’est qu’elles ne veulent pas payer pour ça. Elles ne voient pas pourquoi Starbucks, Tim Horton, Lowes ou la Baie d’Hudson — même notre plus ancienne compagnie au Canada, la Compagnie de la Baie d’Hudson. Nous n’avons aucun contact avec ces entreprises. Elles sont incapables de nous dire combien d’Autochtones travaillent à la Compagnie de la Baie d’Hudson ni où elles s’approvisionnent.
C’est le dernier de leurs soucis. Je pense que c’est au gouvernement de mettre en place une politique, pas à notre organisation ni aux petites organisations autochtones. Le gouvernement devra dire aux entreprises qui ne font pas partie du secteur des ressources : « Si vous voulez avoir des contrats avec le gouvernement provincial, territorial ou fédéral, vous devez vous doter d’une stratégie autochtone. »
Je pense qu’il faut investir dans des organisations comme la nôtre et d’autres pour que nous puissions faire ce travail au nom du gouvernement, parce que je doute que le secteur privé se réveille et en prenne l’initiative.
Je pense qu’il faut lancer une campagne de marketing. Il faut lancer une campagne dynamique de marketing et de promotion afin de changer le discours et de mobiliser les gens.
Il faut reconnaître que les gens ne connaissent pas la CVR. Ils ne réagissent pas. Comment pouvons-nous créer une stratégie stimulante inspirée de la CVR? Les gens associent le mot « réconciliation » à « culpabilité ». Comment changer cette perception et leur faire comprendre que la réconciliation est, en fait, une occasion d’amorcer une nouvelle relation. Oui, il y a le volet vérité, mais il y a aussi le volet réconciliation. Comment pouvons-nous encourager les entreprises à joindre le mouvement et les convaincre de mettre en œuvre les quatre recommandations formulées dans l’appel à l’action no 92?
Il est possible de faire quelque chose. Certaines mesures sont déjà en place. Nous avons fait parvenir une proposition aux trois gros ministères pour leur annoncer que nous avions une stratégie et un plan visant à accroître le taux d’engagement. Je suis une personne pragmatique. Ce taux était de 13 et je veux le doubler. Les ministères sont bien disposés. Nous avons eu des discussions créatives, mais cela fait un an que nous discutons. Je trouve que le gouvernement avance trop lentement. Nous avons des études et des rapports. Le problème, c’est que l’écart en matière d’éducation oscille entre 15 et 20 p. 100. Que devons-nous faire pour le diminuer?
Certaines mesures concrètes doivent être intégrées à des politiques. Je pense que nous devons soutenir un plus grand nombre d’organisations autochtones pour qu’elles puissent faire ce travail. Si nous continuons à miser sur des sociétés de développement économique autochtones, surtout dans l’Arctique, nous commencerons à combler ces écarts et à constituer un capital social.
Je vous remercie d’avoir parlé du capital social. Nous parlons tellement d’économie. Selon l’Organisation de coopération et de développement économiques, les pays ayant un capital social élevé — les liens entre les gens — obtiennent de meilleurs résultats sur le marché du travail. Nous ne pouvons pas seulement créer des économies; nous devons créer des économies et des partenariats sociaux et économiques.
J’aimerais vous dire une dernière chose au sujet des Autochtones et des sociétés de développement économique. J’ai étudié les 10 principales sociétés de développement économique autochtones. Je les appelle des sociétés d’État autochtones, parce qu’elles appartiennent à la collectivité. Entre 40 et 60 p. 100 des emplois créés par nos entreprises autochtones sont destinés à des Canadiens, à tous les Canadiens. Ce sont d’excellentes entreprises qui devraient remporter tous les prix de la diversité parce qu’elles créent des emplois — oui, pour leurs gens, mais aussi pour des non-Autochtones. C’est une histoire extraordinaire que nous voulons partager.
Mais il y a cet écart : en discutant avec Sheila et Hélène Laurendeau, sous-ministre à Services aux Autochtones Canada, j’ai appris que le ministère n’a jamais fait d’étude du marché du travail ou du profil économique des sociétés de développement économique autochtones du Canada. On n’a jamais étudié le marché du travail ni le profil économique. Si nous parlons à une compagnie comme Samsung ou une autre, nous ne pouvons pas leur donner de prospectus faisant état du nombre d’entreprises que nous possédons, du nombre d’employés que nous avons, de leurs codes professionnels, des marchés dans lesquels nous souhaiterions investir? Souhaitons-nous investir dans l’énergie propre ou le transport?
C’est l’un des éléments jugés importants par ces trois ministères, surtout par Services aux Autochtones Canada. Si nous voulons discuter sérieusement et efficacement avec le secteur privé, nous avons besoin d’avoir de meilleures données et des mesures de référence.
Je suis très emballé par ce volet du projet que nous espérons lancer cet automne et mettre en œuvre en 2019.
Le président : Monsieur Lendsay, accepteriez-vous de faire parvenir au comité une copie de votre proposition, s’il vous plaît?
M. Lendsay : Oui, avec grand plaisir.
La sénatrice Boniface : J’ai un commentaire à faire, mais je pense qu’il est important. Je pourrais revenir en arrière et entendre exactement les mêmes mots que vous entendez de la part des entreprises, et cela me fait penser à ce qu’on nous disait, à nous les femmes, dans les années 1980. Je pense que l’occasion que vous ratez ici, c’est que vous ne misez pas sur la population dans son ensemble. Je suppose que cela fait partie de votre argumentaire. Cela m’est trop familier. Je dois dire que je trouve cela tout aussi frustrant.
M. Lendsay : Vous soulevez le point le plus important de cette discussion. Allez dans les universités et jetez un coup d’œil sur les photos des élèves des années 1960, 1970, 1980 et 1990 exposées sur les murs. Ensuite, jetez un coup d’œil du côté du secteur privé. Vous allez y trouver les premières femmes devenues pharmaciennes, médecins et vice-présidentes. Elles ont toutes fini leurs études dans les années 1970 et 1980.
Ma mère était l’une d’elles. Elle est devenue infirmière en psychiatrie. Elle voulait avoir une carrière. Quand j’avais 11 ans, je me rappelle que les femmes de la communauté lui disaient qu’elle négligeait ses enfants au profit de sa carrière.
Vous connaissez l’histoire. Si vous regardez la trajectoire des femmes, elles ont franchi tous les plafonds et ouvert les portes de tous les secteurs. Se sont-elles arrêtées? Ont-elles atteint le sommet? Non. Il reste encore du travail à faire. L’indice Fortune 500 utilise une nouvelle expression, ce n’est pas le « plafond de verre », mais le « précipice de verre ». Je pense que seulement 3 p. 100 des entreprises classées à l’indice Fortune 500 sont dirigées par des femmes. Le précipice de verre signifie que si la société est prospère, la femme sera louangée; mais si la société se porte mal, la femme, la PDG, sera poussée vers le précipice et blâmée pour ce piètre rendement.
Il s’agit d’un phénomène nouveau qui en dit long sur le soutien offert aux femmes qui accèdent à ces postes.
Je parle souvent en public. Je fais exactement ce que vous avez fait; je parle du mouvement des femmes. Où étaient les femmes dans les années 1970 et 1980? Elles n’avaient aucun pouvoir économique et elles devaient demander la permission d’un cosignataire, leur mari, pour obtenir un prêt et ce genre de choses. En gros, on leur disait qu’elles pouvaient devenir infirmières, travailleuses sociales ou enseignantes. C’est par la suite que les carrières ont commencé à s’ouvrir.
Les Autochtones suivent exactement la même trajectoire que les femmes. Si nous accélérons la cadence, nous verrons bientôt des Autochtones occuper des postes dans l’économie, au même titre que les femmes. Toutefois, il faut accélérer la cadence. C’est une excellente comparaison. Merci de l’avoir portée à notre attention.
Le président : Monsieur Lendsay, vous nous avez donné un bon conseil ce soir. Je vous en remercie.
Je veux faire un dernier commentaire. Je pense que Natan Obed, président de l’ITK, serait d’accord.
ITK est un organisme de défense des droits dont le siège social est à Ottawa. Les gens qui exécutent des programmes sur le terrain, un travail que ITK fait très peu ou pas du tout, sont les instruments économiques des accords sur les revendications territoriales dans les diverses régions inuites, de Nunatsiavut, au Labrador, jusqu’à Inuvialuit, dans les Territoires du Nord-Ouest. Pourquoi ne pas trouver un moyen, dans le cadre du nouveau projet dont vous avez parlé, de travailler avec les Inuits qui ne font pas partie de l’ITK. Voilà ce que je vous recommanderais respectueusement de faire.
M. Lendsay : Nous allons donner suite à votre recommandation, monsieur. Je peux vous dire que l’ITK nous a dit la même chose; elle a également fait savoir que six sociétés de développement économique appartenant à des Inuits avaient formé un conseil. Je vais rencontrer Bill William à Edmonton, le 15 octobre, en compagnie de 15 représentants de SDE inuites.
Pour revenir à votre commentaire, ces gens savent qu’ils ne sont pas le mécanisme de prestation de services. Nous devons établir un lien sur le terrain avec ces gens. Natan connaît ce projet et je serais très heureux de partager ce rapport, avec la permission des Inuits, dès qu’il sera terminé. Nous allons vous revenir là-dessus. Il faudra environ un an et demi pour réaliser cette étude sur les partenariats d’engagement. Je le ferai avec plaisir.
Voulez-vous avoir le résumé de recherche de six pages ou la proposition dont j’ai parlé?
Le président : Les deux. Nous aimerions prendre connaissance du projet de recherche dont vous nous avez parlé. Je crois que vous avez déposé une proposition auprès des « trois gros éléphants », pour reprendre votre expression. Nous serions enchantés de l’examiner, si vous voulez bien nous l’envoyer.
M. Lendsay : Merci.
Le président : Sur ce, je vous remercie beaucoup. Chers collègues, je suis désolé, mais le temps est écoulé. Je vous remercie, monsieur Lendsay.
Je pense que M. Marshall est arrivé et qu’il est prêt à témoigner au nom de l’Association minière du Canada. Nous ne ferons pas de pause, si vous êtes d’accord, chers collègues.
La sénatrice Bovey : Puis-je faire un commentaire?
Le président : Je vous en prie.
La sénatrice Bovey : Vous avez associé les mots « réconciliation » et « culpabilité ». Je pense que c’est le mot que vous avez employé. Permettez-moi de vous féliciter pour votre « réconcili-action ».
M. Lendsay : Merci.
Le président : Ce mot gagne en popularité, madame la sénatrice Bovey.
La sénatrice Bovey : Nous allons le populariser.
Le président : Merci encore, monsieur Lendsay.
J’invite maintenant un témoin que le Sénat connaît bien, Brendan Marshall, vice-président, Affaires économiques et du Nord, de l’Association minière du Canada. Merci de vous joindre à nous, monsieur Marshall. Veuillez commencer. Vous entendrez les commentaires et les questions à la fin de votre allocution.
Brendan Marshall, vice- président, Affaires économiques et du Nord, Association minière du Canada : Merci beaucoup. Madame la sénatrice Bovey, avant de commencer, nous pensons qu’il faudrait dire « action sérieuse », et non « action absurde » pour parler de réconciliation économique autochtone. C’est simplement par souci de précision.
La sénatrice Bovey : D’accord.
M. Marshall : Je vous remercie de me donner l’occasion de témoigner et de participer à cet important débat. Ma carrière a débuté au Sénat, à l’époque où je travaillais pour le sénateur Kinsella, lorsqu’il était Président. J’apprécie énormément le travail que vous faites et qui est souvent mal compris par les Canadiens en général. Le Sénat est une institution essentielle. Je me réjouis d’être parmi vous aujourd’hui.
L’Association minière du Canada, l’AMC, est la voix nationale du secteur canadien des mines et du traitement des minéraux, et représente plus de 40 membres oeuvrant dans les secteurs de l’exploration minérale, l’exploitation minière, la fonte et de la fabrication d’un éventail de produits semi-finis.
Le secteur des mines est le principal moteur du secteur privé dans l’Arctique canadien; il emploie près de 8 500 personnes, ce qui représente un emploi sur six, ou 8 p. 100 de la population totale du territoire. Ces chiffres grimpent si on inclut les régions arctiques du Manitoba, du Québec et de Terre-Neuve-et-Labrador. En 2016, les contributions directes de l’industrie au PIB, au Yukon, dans les Territoires du Nord-Ouest et au Nunavut, étaient d’environ 13, 18 et 21 p. 100, respectivement. Depuis quelques années, les sociétés minières investissent ou se sont engagées à investir plus de 9 milliards de dollars dans la région.
L’AMC appuie l’objectif du gouvernement d’établir un nouveau cadre stratégique pour l’Arctique, une initiative qui comblera une lacune importante en matière de politiques au niveau fédéral. En sa qualité d’intervenant majeur des politiques gouvernementales dans l’Arctique, l’industrie peut être un puissant partenaire constructif aux fins de la réalisation des objectifs et des priorités de la politique sociale, économique et environnementale dans la région. Plus important encore, l’industrie se considère comme une plateforme dont les décideurs peuvent tirer parti pour atteindre ces objectifs.
Le Cadre stratégique pour l’Arctique arrive à un moment crucial. Il subsiste des processus nationaux, législatifs et réglementaires ayant des répercussions sur les permis et les coûts des projets, tandis que les défaillances récentes de la chaîne d’approvisionnement ont nui à la réputation du Canada à titre de partenaire commercial fiable. À l’échelle internationale, ces difficultés sont amplifiées par une relation commerciale de plus en plus imprévisible avec les États-Unis — même s’il y a maintenant une certaine clarté à ce sujet, ce qui est bien — dont la réforme fiscale générale a sensiblement amélioré la compétitivité de ce pays en matière d’investissement par rapport à celle du Canada.
L’impact de cette incertitude a été ressenti par l’industrie minière du Canada, où les investissements ont diminué de plus de 50 p. 100, soit plus de 70 milliards de dollars, depuis 2014. Cela s’est produit dans le contexte d’une forte reprise des prix de nombreux produits au cours des trois dernières années. Le gouvernement envisage de prendre des mesures pour endiguer les fuites croissantes d’investissements au Canada, mais comment l’Arctique s’inscrit-il dans ces initiatives et dans l’élaboration des politiques, de façon générale?
L’AMC a trois recommandations à vous soumettre.
La première consiste à faire du Cadre stratégique pour l’Arctique un centre d’information en matière de politiques. L’AMC recommande qu’il ait cette fonction, à l’image des chambres de compensation, qui servent habituellement d’intermédiaire entre les acheteurs et les vendeurs d’instruments financiers pour éclairer et faciliter le déroulement des opérations. Comme centre d’information en matière de politiques, le cadre viserait à éclairer l’élaboration des politiques générales du gouvernement du Canada afin d’assurer la reconnaissance des besoins et des réalités uniques de l’Arctique, d’éclairer les modifications des politiques ou des règlements propres à l’Arctique pour assurer la représentativité régionale, et de faciliter et de surveiller le déploiement des politiques en vue de favoriser l’atteinte de ces objectifs.
Le Cadre stratégique pour l’Arctique constitue l’occasion de moderniser l’ancienne approche « universelle » d’élaboration des politiques fédérales qui a trop souvent négligé l’Arctique ou l’a considéré trop tard dans le processus d’élaboration des politiques. Cette approche a causé des difficultés par le passé, particulièrement dans le domaine du développement des infrastructures, où l’Arctique est encore sous-construit de façon disproportionnée par rapport au reste du Canada et aux autres régions arctiques à l’échelle internationale.
La deuxième recommandation concerne le fait que l’augmentation des coûts est l’un des principaux facteurs qui influent sur les décisions d’investissement dans le secteur minier dans l’Arctique canadien. Les recherches menées par l’industrie dans le rapport intitulé Corriger les inégalités indiquent qu’il en coûte de deux à deux fois et demie plus pour construire la même mine de métaux de base ou de métaux précieux hors réseau dans le Nord que dans le Sud. Dans une mesure d’environ 70 p. 100, ces coûts supplémentaires sont directement liés au déficit d’infrastructure dans l’Arctique.
À ce jour, les décisions en matière d’infrastructure qui tiennent compte des défis et des possibilités dans le Nord par l’entremise de l’Initiative des corridors de commerce et de transport, l’ICCT, et du plan Investir dans le Canada ont été bien accueillies, même si les besoins sont beaucoup plus grands que les fonds alloués. L’AMC sait que les besoins exprimés par rapport aux fonds affectés au Nord, qui se chiffrent à 400 millions de dollars dans le cadre de l’ICCT, ont été dépassés plus de cinq fois. Il est également inquiétant de constater que la Banque de l’infrastructure du Canada ne reconnaît peut-être pas les réalités de l’Arctique, selon notre compréhension du fonctionnement proposé de cette institution, ce qui pourrait limiter son utilité comme moyen de donner suite aux priorités du Nord.
Favoriser un développement minier supplémentaire dans les régions éloignées et du Nord du Canada est inextricablement lié aux programmes gouvernementaux de réconciliation avec les Autochtones et de lutte contre les changements climatiques. Le déficit d’infrastructure dans l’Arctique constitue le principal obstacle au développement minier dans la région. Pour régler ce problème, le gouvernement doit immédiatement renouveler l’ICCT dans le budget de 2019, y compris l’affectation de 400 millions de dollars pour le Nord, et, comme solution à long terme, reconnaître les défis uniques des régions éloignées et du Nord par l’entremise d’un fonds consacré à l’Arctique dans la Banque de l’infrastructure du Canada ou, de préférence, établir un fonds autonome et unique d’investissement dans l’infrastructure de l’Arctique à l’image de celui de l’Alaska Industrial Development and Export Authority.
La dernière recommandation concerne la force des gens et des collectivités de l’Arctique. Il est bien documenté qu’il existe d’importantes lacunes dans les indicateurs de développement humain entre les Canadiens autochtones et non autochtones. Selon des données récentes, les territoires abritent la population autochtone la plus élevée par habitant de toute administration infranationale au Canada. Ainsi, plus que toute autre région du pays, renforcer les peuples et les collectivités de l’Arctique revient à faire progresser la réconciliation économique avec les Autochtones.
De plus, d’importantes recherches ont mis en évidence la primauté de la création d’emplois comme moteur de l’amélioration des indicateurs de la qualité de vie et du développement social.
Reconnaissant que l’industrie minière est le plus important employeur privé d’Autochtones canadiens dans l’Arctique canadien et pour réaliser des progrès significatifs vers la réconciliation économique avec les Autochtones dans l’Arctique, le cadre doit prévoir l’élaboration et la mise en œuvre d’une politique de développement macroéconomique régional audacieuse qui accorde la priorité au développement responsable des ressources et la création d’emplois comme principal moyen de faire progresser le développement social et de combler l’écart entre les indicateurs de la qualité de vie des Autochtones du Canada et de l’Arctique.
Il y a là une véritable occasion de créer un legs institutionnel positif en veillant à ce que les besoins et les réalités uniques des peuples de l’Arctique soient pris en considération par les autorités compétentes. Pour atteindre cet objectif, il faut miser sur les forces et les possibilités actuelles de la région.
Je vous remercie de votre attention. Je serai heureux de répondre à vos questions.
Le président : Merci beaucoup.
La sénatrice Bovey : Je vous sais gré de vos trois recommandations. J’ai des questions concernant deux d’entre elles.
En ce qui concerne l’infrastructure, lorsque vous parlez de renouveler les 400 millions de dollars dans le budget de 2019, dites-moi comment cela pourrait mieux fonctionner selon vous, compte tenu de ces budgets par habitant pour le Nord, par rapport aux résultats actuels, alors que l’écart est si grand. Quelle autre façon de créer ces budgets viables pour l’Arctique envisageriez-vous?
Le président : Devrions-nous nous arrêter là?
La sénatrice Bovey : Bien sûr.
M. Marshall : Si vous additionnez la population des territoires — et cela ne comprend pas les régions arctiques près du Nord, au sud du 60e parallèle —, il y a là une personne pour 33 kilomètres carrés.
La sénatrice Bovey : C’est exact.
M. Marshall : Si vous essayez de combler le déficit d’infrastructure le plus important et le plus disproportionné de toutes les régions du pays par habitant, vous n’aboutirez à rien. C’est un fait. Nous avons besoin de différents types de solutions pour résoudre un problème. C’est pourquoi, lorsque nous examinons l’infrastructure — et nous examinons également les considérations stratégiques de façon plus générale —, nous devons adopter une perspective régionale particulière pour évaluer et prendre des décisions sur les priorités d’investissement régionales et le rendement relatif raisonnable de ces investissements, et je parle aussi du gouvernement fédéral, et non seulement du secteur privé.
C’est l’une de nos préoccupations concernant la Banque de l’infrastructure du Canada. Si vous comparez un dollar investi dans le Nord dans une région éloignée à un dollar investi dans le Sud, vous constaterez sans équivoque, sur presque toutes les bases comparatives, un meilleur rendement du dollar investi dans le Sud. Si c’est la mesure par laquelle vous évaluez la valeur d’un dollar investi dans l’Arctique par rapport à un dollar investi dans le Sud, ces projets de l’Arctique seront toujours perdants.
C’est l’une de nos recommandations sur l’infrastructure. Nous avons besoin d’une institution qui comprend ces réalités uniques et les prend en considération. L’une des choses que nous avons faites dans plusieurs consultations antérieures, c’est de tenir compte des indicateurs de développement social. Lorsqu’on construit cette infrastructure et qu’on crée ce débouché économique, quel est l’avantage social corollaire? C’est difficile à mesurer, mais il faut en tenir compte. Autrement, si nous nous contentons d’examiner les rendements économiques purs en dollars et en cents, l’Arctique sera toujours défavorisé de façon disproportionnée par rapport aux projets concurrents.
Le président : Vous craignez que la Banque de l’infrastructure du Canada ne reflète pas les réalités du Nord. Vous avez recommandé cette allocation particulière pour les projets nordiques et éloignés au sein de la Banque de l’infrastructure du Canada. Que se passe-t-il à cet égard? Faites-vous des progrès? Y a-t-il un dialogue? Où en est-on?
M. Marshall : Nous avons eu plusieurs discussions. Il est probablement plus que temps de faire un suivi auprès des gens de la Banque de l’infrastructure du Canada. À ce stade-ci, nous maintenons la recommandation. Pour être honnête avec le comité, je ne sais pas dans quelle mesure cela va se produire, étant donné que le projet de loi a été adopté. Nous pensons que c’est quelque chose qui vaut la peine d’être fait dans le meilleur intérêt à long terme de la région et du pays. C’est pourquoi, sénateur Patterson, nous avons formulé une recommandation en deux volets à ce sujet. Je pense qu’il est important de faire des progrès à court terme au chapitre de l’ICCT. Si nous voulons vraiment exploiter et développer le potentiel et même combler l’écart entre les indicateurs de la qualité de vie dans l’Arctique et les possibilités économiques dans le Sud, nous avons besoin d’un effort concerté et régional.
Le président : Vous avez dit que les besoins exprimés par rapport aux 400 millions de dollars affectés à l’ICCT avaient été dépassés 5 fois. Savez-vous si cet argent a été dépensé judicieusement ou comment il a été dépensé?
M. Marshall : Bien sûr. Pour vous donner un peu de contexte, il y a eu deux séries de demandes pour ces 400 millions de dollars. La première fois, les demandes exprimées ont été cinq fois supérieures aux 400 millions de dollars attribués. Je pense que seulement 255 millions de dollars environ ont été attribués dans la première ronde. La deuxième ronde aura lieu cet automne. Certains de ces projets présenteront-ils une autre demande? C’est possible. Y aura-t-il de nouveaux projets? C’est aussi possible. Est-il possible que les demandes dépassent de plus de cinq fois les fonds attribués si de nouveaux projets sont soumis? Oui.
Pour ce qui est de la façon dont cet argent a été dépensé, nous pensons qu’il y a eu des investissements raisonnables. Nous pensons que le fonds a constitué un pas dans la bonne direction, mais qu’il n’était pas suffisamment capitalisé pour répondre à la demande dans l’Arctique. Par exemple, le projet de construction d’une route et d’un port à Grays Bay...
Le président : Nous entendrons les témoins de ce groupe ce soir.
M. Marshall : ... à lui seul, coûte plus cher que la totalité de ce fonds. Si l’on considère l’ampleur des projets d’édification de la nation dans l’Arctique, si l’on veut construire un tel projet dans chaque territoire pour commencer à développer cette région, on parle de 1 milliard de dollars ou plus. Donc, 400 millions de dollars pour l’ensemble de l’Arctique, c’est un bon début, et je pense que le gouvernement a pris la bonne décision en créant l’allocation pour le Nord, mais nous devons l’améliorer.
Le président : Merci beaucoup. Je suis désolé. Je vous ai interrompue, sénatrice Bovey.
La sénatrice Bovey : C’est tout pardonné. J’aimerais revenir à un commentaire que vous avez fait au sujet des bénéfices sociaux et de l’infrastructure. Nous avons tous entendu parler des problèmes de connectivité Internet et des crises dans le Nord. Là où il y a une connectivité, elle est lente et beaucoup ne l’ont pas. Parlez-moi de l’infrastructure, de la large bande et des bénéfices sociaux.
M. Marshall : L’une des choses que l’industrie peut comprendre en ce qui concerne la large bande et les capacités qui en découlent, c’est tout un spectre — sans jeu de mots — de possibilités d’innovation, d’efficacité et de gestion des sites qui ne sont tout simplement pas possibles avec une technologie désuète qui remonte à plus de 20 ans.
Si vous regardez les sites miniers modernes qui sont connectés au réseau, la technologie robotique, les capacités des drones et un certain nombre de technologies différentes peuvent être utilisées. Sans l’infrastructure de base nécessaire pour construire ce site, il y a une limite à ce qu’il est possible de faire pour améliorer l’efficacité du site.
Il y a plusieurs retombées à cet égard, non seulement sur le plan des émissions de gaz à effet de serre, mais aussi sur le plan de la sécurité, des communications et du développement économique. C’est ainsi que nous envisagerions la chose.
Sur le plan social, chaque fois que je me rends dans le Nord — et j’ai le privilège de le faire plusieurs fois par année —, je ressens temporairement la frustration de ne pas pouvoir communiquer avec mes proches par l’entremise de Facetime pour souhaiter une bonne nuit à mes enfants. Personnellement, je ne suis pas en mesure de travailler aussi efficacement que je le ferais autrement. Si cela devait être mon statut permanent dans ma vie de tous les jours, je conçois à quel point cela peut être limitatif. Du point de vue de l’entrepreneuriat et des affaires, l’amélioration de la connectivité et de la connexion au monde extérieur ouvre d’énormes possibilités.
La sénatrice Bovey : Est-ce que ce serait une de vos mesures?
M. Marshall : Pour l’infrastructure?
La sénatrice Bovey : Oui.
M. Marshall : C’est une mesure tout à fait essentielle. Des entreprises dans le Nord du Québec comme Glencore, par exemple, mènent des études de faisabilité pour étendre le réseau de fibre optique financé par le Plan Nord.
Ils financent ce réseau jusqu’à une collectivité en particulier, mais la collectivité voisine n’en profite pas. L’entreprise cherche à établir la connectivité entre cette collectivité et le site minier, puis à établir la connectivité avec les collectivités qui suivront afin d’élargir l’investissement public.
Lorsqu’il y a synergie entre l’industrie et les collectivités, vous constaterez que ces investissements progressent. Les distances rendent parfois les choses difficiles pour ce type d’infrastructure. Lorsque ces possibilités sont réelles, elles sont examinées, évaluées et mises de l’avant.
La sénatrice Boniface : J’aimerais que vous m’expliquiez davantage ce que vous entendez par « centre d’information en matière de politiques ». Pouvez-vous m’aider à comprendre un peu mieux?
M. Marshall : Avec plaisir. Je vais pour cela vous raconter une histoire. Le dossier des politiques pour le Nord est l’un de ceux dont je m’occupe à l’association. J’ai un autre portefeuille, celui des affaires économiques. Je m’occupe aussi actuellement des transports, de l’infrastructure en général, des changements climatiques et d’autres politiques.
Permettez-moi de vous donner un exemple au sujet des changements climatiques, un enjeu vraiment important pour le Canada. C’est une question très importante pour le Nord. C’est aussi une question qui résonne différemment dans le Nord, si vous tenez compte du déficit d’infrastructure et de la relation entre l’énergie, l’infrastructure et les émissions.
Par exemple, la première proposition concernant le réseau de distribution d’électricité visait une norme qui n’était réalisable qu’au moyen du raccordement à un réseau de distribution de gaz naturel. Elle entraînait 420 tonnes d’émissions par gigawattheure d’électricité produite.
Le président : Pour que les membres du comité sachent à quoi s’en tenir, il s’agit du système fondé sur les résultats pour calculer les émissions de gaz à effet de serre en vertu du régime de tarification du carbone.
M. Marshall : C’est exact. Lorsque j’ai lu cela pour la première fois, j’ai constaté que la personne qui a formulé cette proposition de politique ne sait absolument pas à quoi ressemble la vie en région éloignée et la vie dans le Nord. C’était un peu comme le commentaire qui a été fait plus tôt, un exemple d’ignorance crasse. À quoi servirait un centre d’information en matière de politiques? Un centre d’information sur cette question en particulier aurait permis à des gens qui ont une expertise et une meilleure compréhension sur le terrain des défis et des possibilités dans l’Arctique d’éclairer un projet de ce genre avant qu’il ne soit proposé.
Comment pouvons-nous créer cette optique pour que les réalités de l’Arctique puissent être prises en compte dans l’élaboration de politiques pancanadiennes plus vastes? L’approche universelle en matière d’élaboration de politiques a toujours échoué dans l’Arctique. Cela ne fonctionne pas pour l’Arctique. Cela n’a pas fonctionné sur le plan de l’infrastructure en ce qui concerne les changements climatiques. Nous faisons des progrès, parce que le bon sens l’emporte toujours quand vous faites preuve de persévérance. Cependant, c’est un exemple de la façon dont un centre d’information pourrait fonctionner à l’égard du problème auquel nous sommes actuellement confrontés, qui imposerait un fardeau disproportionné au Nord sur le plan des coûts.
La sénatrice Boniface : Avez-vous réfléchi à la question de savoir si — parce que je pense que vous avez raison; ce sont souvent les gens qui restent, mais il y a un élément communautaire qui est aussi important. S’agirait-il d’une fonction conjointe? Pourrait-il s’agir d’une entreprise conjointe de ce point de vue pour le centre d’information, ou seulement du côté minier?
M. Marshall : Je ne présuppose pas que l’industrie minière occuperait ce centre d’information. Pas dans mes rêves les plus fous. Je pense qu’il s’agirait d’une institution qui serait probablement un partenariat entre les gouvernements fédéral, territoriaux et autochtones. Nous pourrions y occuper un siège afin de pouvoir échanger des points de vue ou quelque chose du genre, mais ce serait l’occasion pour les responsables de l’élaboration des politiques d’éclairer ces résultats.
Je n’essaie pas de dire que nous avons besoin d’un autre niveau de processus. Il me semble qu’il y a une lacune. Nous nous retrouvons parfois dans des situations où, dans le cadre du processus d’élaboration des politiques, la surveillance arrive trop tard ou l’Arctique est une considération secondaire et où les résultats ne sont pas optimaux. Ce serait bien d’éviter cela.
Le président : Monsieur Marshall, si vous me permettez de faire un commentaire, les Inuits du Nunavut ont poursuivi le gouvernement du Canada pour ne pas avoir mis en œuvre les dispositions de l’accord sur les revendications territoriales, notamment en ce qui concerne l’emploi et la passation de marchés. Il s’agissait de deux questions importantes pour lesquelles il devait y avoir des préférences pour les Inuits en matière d’emploi et de contrats. La poursuite a été réglée pour plus de 500 millions de dollars. L’une des conditions du règlement était que le Canada adopte une approche pangouvernementale à l’égard de ces questions d’approvisionnement et d’emploi dans le Nord, plutôt que de les confier à un seul ministère. Dans ce cas, c’était Services aux Autochtones Canada. Je pense qu’il y a là un rapprochement à faire aux fins de l’élaboration de politiques à l’échelle du gouvernement, plutôt que par l’entremise d’un seul ministère. Je vous en remercie.
La sénatrice Galvez : Je vous remercie de votre exposé. Lorsque nous avons étudié le budget et la Banque de l’infrastructure du Canada, je me rappelle avoir réfléchi exactement à ce que vous disiez. Est-ce une bonne chose pour tout le monde, pour toutes les provinces et tous les territoires, particulièrement en ce qui concerne l’Arctique, qui est en train de changer énormément en raison des changements climatiques et pour d’autres raisons?
Disons que l’une des recommandations qui ressortent du comité est conforme à ce que vous proposez, c’est-à-dire qu’une optique préside à l’octroi du financement pour le Nord. Vous attendez-vous, si le gouvernement décide d’adopter une optique particulière pour le Nord, à ce que les projets dans le Nord respectent aussi des conditions particulières? À l’heure actuelle, dans mon esprit, j’ai un exemple, en ce qui concerne le type de développement nécessaire et souhaité par les gens du Nord.
M. Marshall : Laissez-moi m’assurer que je comprends bien votre question...
La sénatrice Galvez : Par exemple, par le passé, il pouvait s’écouler 30 ans entre le début et la fin de la période d’extraction dans une mine. Il pourrait aujourd’hui s’écouler entre 8 ou 10 ans, et le projet serait terminé. Ce n’est pas viable pour la population avoisinante. Les gens y resteront, en particulier les Autochtones. Que pouvons-nous faire pour les aider à survivre après la fermeture d’une mine?
M. Marshall : Il y a deux ou trois choses. La première est que la durée de vie d’une mine est habituellement calculée comme une durée de vie initiale. Bien qu’il y ait et qu’il puisse y avoir des gisements plus petits, l’ampleur de l’infrastructure requise pour construire une mine fait en sorte que ces gisements plus petits ne sont pas économiquement viables.
La durée de vie initiale d’une mine est habituellement de 10 ans. Certains districts miniers, comme Sudbury, sont en exploitation depuis plus de 100 ans. La mine Raglan vient d’être agrandie. Elle sera en activité pendant encore 20 ans, et ce site aura alors duré plus de 50 ans.
Si vous prenez l’exemple d’Agnico Eagle au Nunavut, la durée de vie initiale de la mine à Meadowbank était d’environ 10 ans. Il y a là un gisement satellite, et l’on construit une autre mine. La durée de vie d’une mine est éphémère, et elle touche généralement de grandes entreprises. C’est une distinction importante à faire.
Votre question est quand même très bonne. Je ne peux y répondre qu’en partie. Comme vous le savez, l’industrie minière est un secteur à but lucratif. Il n’y a pas d’exploitation sans bénéfices. Cela ne veut pas dire que les entreprises s’en fichent ou s’attendent à offrir un niveau de pratiques exemplaires, pendant qu’elles sont sur le terrain, qui incorpore le partage des bienfaits, de la formation et d’autres choses du genre, mais que se passe-t-il après la fermeture de la mine?
Il est clair que l’entreprise doit s’acquitter pleinement de ses responsabilités en matière de remise en état et de gestion environnementale.
L’autre chose, c’est que l’AMC a recommandé le partage des revenus tirés des ressources, qui est actuellement en place en Colombie-Britannique. Il s’agit d’une entente entre le gouvernement provincial et des bandes en particulier qui permet de partager directement avec ces communautés une plus grande partie des revenus générés par cette ressource. Cela s’ajoute aux avantages que les actions de la société procurent, alors qu’un niveau plus élevé de fonds peuvent être utilisés à long terme ou permettre de créer un fonds de dotation ou quoi que ce soit d’autre. Essentiellement, cela donne à la communauté une plus grande latitude au niveau du mandat.
En même temps, l’entreprise peut fournir des conseils. La communauté ne nous confie pas le mandat de déterminer ce qu’elle fera des avantages qu’elle obtiendra après le départ de l’entreprise. Nous pouvons toutefois lui fournir des conseils. Nous pouvons offrir des possibilités. Toutefois, comme avant l’arrivée d’une entreprise, les gouvernements ont un rôle assez important à jouer pour ce qui est d’offrir ces bénéfices sociaux et ces programmes. Une entreprise peut offrir des débouchés économiques qu’un gouvernement ne peut pas offrir. Comment peut-on transformer cela en un avantage plus durable? C’est une question complexe. Je n’ai pas de solution miracle. C’est une question difficile.
Le président : Monsieur Marshall, je vais peut-être vous donner un peu de contexte parce que j’ai fait une déclaration à ce sujet au Sénat. Je crains que, malgré les 180 milliards de dollars que le gouvernement fédéral actuel s’est engagé à consacrer au développement des infrastructures dans ce grand pays, l’argent ne finisse, comme vous l’avez dit dans votre exposé, par être investi dans des projets qui rapportent davantage dans le Sud, dans les régions urbaines, qui raccourciront les temps d’attente des navetteurs dans les grandes villes et qui négligeront les régions éloignées.
Vous avez dit dans votre exposé — ou je l’ai peut-être lu dans mes notes d’information — que votre association appuyait des projets d’infrastructure dans l’Arctique, plus précisément le projet de construction d’une route et d’un port à Grays Bay. Nous entendrons les représentants du consortium immédiatement après vous ce soir.
En ce qui concerne le prolongement et la modernisation des lignes électriques Keno au Yukon et le corridor d’accès de la province géologique des Esclaves dans les Territoires du Nord-Ouest, pourriez-vous nous dire comment ces projets se concrétisent dans le processus décisionnel en cours? Comment évoluent-ils?
M. Marshall : Si j’ai bien compris, le financement du corridor d’accès à la province géologique des Esclaves et de la construction d’une route et d’un port à Grays Bay ont été rejetés par l’ICCT. Je ne sais pas si cela a surpris qui que ce soit, étant donné que l’ampleur de ces projets dépassait la valeur totale de ce fonds.
Comment ces projets progressent-ils actuellement? Je pense que c’est l’une de ces situations où, quand on a, comme nous, beaucoup de choix et de possibilités, et qu’une porte se referme, on peut passer à une autre. Si quelque chose que vous espérez ne se réalise pas, vous avez la souplesse nécessaire pour rajuster le tir ou vous adapter ou aller dans une autre direction. Ce n’est pas le cas pour certaines des communautés touchées par ces projets. C’est leur seul projet; c’est leur porte d’accès et leur seule possibilité. C’est le cas de la Kitikmeot Inuit Association en ce qui concerne la construction d’une route et d’un port à Grays Bay.
Le président : Vous dites que les sources privées de capitaux ne sont pas aussi facilement accessibles dans les régions éloignées. Est-ce bien là votre position?
M. Marshall : Je ne crois pas que ces projets seront réalisés à moins qu’il y ait une volonté politique de les appuyer. Je pense que cette volonté politique ne veut pas dire que le gouvernement doit payer à 100 p. 100 pour ces projets. Je pense qu’il peut y avoir un juste milieu. Il faut qu’il y ait un désir de les construire.
Vous avez demandé où en étaient ces projets. Je pense que les promoteurs de ces projets avancent parce qu’ils savent qu’il s’agit d’une occasion à long terme. Je ne pense pas que le rejet actuel va les amener à jeter l’éponge.
Quant à savoir si le financement sera inscrit dans le budget de 2019, je ne retiens pas mon souffle.
Le président : C’est pour cela que vous recommandez qu’il soit renouvelé.
M. Marshall : Je pense que c’est nécessaire. Je pense que nous devons continuellement faire des progrès quant aux options qui s’offrent à nous. Surtout dans l’Arctique, ce n’est pas comme s’il y avait des dizaines et des dizaines de possibilités de ce genre. Ce n’est pas comme si nous avions beaucoup de projets en attente et que nous avions de la difficulté à les choisir. Ou bien nous voulons construire quelque chose et nous engager à créer ce corridor national et à le gérer comme il se doit et voir les avantages qui en découlent, ou bien nous ne le faisons pas.
Le président : Que rapportera au Canada l’investissement dans ces projets? Vous avez parlé de trois grands projets. Qu’est-ce que les contribuables canadiens tireront de ces investissements?
M. Marshall : Eh bien, il y a différentes façons de voir les choses. Si nous parlons seulement de dollars et de cents et que vous voulez parler d’un rendement à long terme, plus de 90 p. 100 du budget de fonctionnement du Nunavut provient des revenus fiscaux du gouvernement fédéral. Un investissement ponctuel dans ce projet coûte très cher. Tous en conviennent. Si l’on compare la dépendance à perpétuité à un niveau de vie inférieur au niveau de vie moyen au Canada, et que cette dépendance subsiste, on peut considérer cet investissement ponctuel comme un moyen de réduire la dépendance à l’égard du gouvernement fédéral, de créer un niveau de dépendance plus élevé, de susciter des investissements canadiens ou étrangers pour générer ou catalyser ce genre de possibilités d’investissement, et l’on se donne alors une chance de réussir.
Il n’y a pas de situation sans risque. Nous pouvons tous convenir que le statu quo n’est probablement pas très viable non plus. Lorsque nous examinons les possibilités qui s’offrent à nous, nous devons modifier le profil de risque que nous sommes prêts à accepter, parce que la région l’exige. Nous ne pouvons pas imposer notre perspective à cette région et nous attendre à ce qu’elle change. Cela ne va pas tout à coup coûter moins cher de faire des affaires là-bas, et les coûts par habitant ne baisseront pas du jour au lendemain. Nous devons changer notre façon d’aborder la région.
Le président : Vous dites que l’investissement dans l’infrastructure pour créer une exploitation ordonnée des ressources naturelles réduira la dépendance aux subventions et aux transferts et accroîtra l’autonomie.
M. Marshall : Je pense que oui. Je pense que c’est ce qui se produira. Est-ce une solution parfaite? Non. L’industrie minière est-elle la solution miracle pour le Nord? Non. Mais cela donne un choix aux gens. Pour certaines de ces personnes, c’est un choix qu’elles n’ont pas en ce moment. S’attend-on à ce que chaque Inuit ou Autochtone des Territoires du Nord-Ouest travaille dans une mine? Non. Mais ils vont peut-être suivre une formation, travailler dans une mine et faire autre chose. Ils vont peut-être lancer une entreprise et approvisionner cette mine. Peut-être deviendront-ils des entrepreneurs. Peut-être feront-ils quelque chose et deviendront-ils un modèle pour leur famille parce que personne dans leur famille n’a jamais eu de certificat de qualification. L’on peut voir cette mise en œuvre progressive des avantages qu’un projet peut créer.
Ce n’est pas pour tout le monde. Je n’essaie pas de dire que l’exploitation minière est pour tout le monde. C’est un avantage et une occasion pour le Nord, surtout parce que, malheureusement, il n’y a pas beaucoup d’autres possibilités. C’est un projet unique au Canada dans cette région.
Le président : Monsieur Marshall, merci beaucoup de votre exposé et de votre présence parmi nous. Nous vous en sommes reconnaissants.
M. Marshall : Je vous en prie.
Le président : Chers collègues, pour cette dernière partie de notre réunion, j’ai le plaisir d’accueillir Charlie Lyall, vice-président du développement économique de la Kitikmeot Inuit Association, dont le siège se trouve à Cambridge Bay, au Nunavut, et que certains d’entre nous viennent de visiter; Paul Emingak, directeur général, Kitikmeot Inuit Association; et, de la Nunavut Resources Corporation, Scott Northey, chef des opérations; et, enfin, Patrick Duxbury, conseiller et soutien aux opérations.
Nous avons hâte d’entendre votre déclaration préliminaire. Il semble que ce groupe fonctionne comme prévu parce que le témoin précédent a parlé de votre projet. Je crois qu’il a dit que nous devrions demander aux promoteurs comment se déroule le projet. Nous avons une occasion en or de le faire ici. Merci et allez-y.
Charlie Lyall, vice-président du développement économique, Kitikmeot Inuit Association : Merci, sénateur Patterson. Bonsoir, et merci d’avoir pris le temps de venir à Cambridge Bay pour nous rencontrer en septembre et de nous rencontrer à nouveau ce soir.
Je suis désolé de vous avoir manqué quand vous êtes venu dans notre région. J’étais chez moi, à Taloyoak, et il coûte très cher de se rendre à Cambridge Bay. Pour me rendre à Cambridge Bay, il aurait fallu que je quitte Taloyoak une journée, que je descende jusqu’à Yellowknife et que je remonte jusqu’à Cambridge Bay. Il n’est pas facile de parcourir 250 milles.
Je m’appelle Charlie Lyall. Je suis vice-président du développement économique à la Kitikmeot Inuit Association. Notre président, Stanley Anablak, vous prie de l’excuser, tout comme Charlie Evalik, que vous avez rencontré à Cambridge. Il anime actuellement un atelier sur le caribou avec des détenteurs du savoir inuit à Kugluktuk.
Nous sommes la KIA. Je suis ici pour vous parler du rôle de la KIA dans l’exécution d’une importante occasion, à savoir le projet de construction d’une route et d’un port à Grays Bay. Dans cet exposé, nous vous présenterons la Kitikmeot Inuit Association et nous vous expliquerons comment nous en sommes venus à diriger l’élaboration du projet de construction d’une route et d’un port à Grays Bay. Il est très important de souligner qu’il s’agit d’un projet dirigé par les Inuits.
Nous expliquerons pourquoi la KIA se fait la championne de ce projet et les avantages qu’il devrait générer pour le Nunavut et le Canada. Nous nous pencherons également sur les progrès réalisés dans le processus de développement, sur les prochaines étapes et sur le soutien dont nous avons besoin pour y parvenir.
Pour commencer, il est important de signaler que la KIA a confié à sa filiale en propriété exclusive, la Nunavut Resources Corporation, ou NRC, l’exécution de ses responsabilités à titre de promoteur de ce projet, et que Scott et Patrick sont ici au nom de la NRC. Je siège au conseil d’administration de la NRC à titre de représentant de la KIA.
Paul Emingak, directeur général, Kitikmeot Inuit Association : Bonsoir, sénatrices et sénateurs. Je m’appelle Paul Emingak, et je suis directeur général de la Kitikmeot Inuit Association. J’habite à Cambridge Bay, au Nunavut. Environ 1 700 personnes vivent à Cambridge Bay, et c’est là que se trouve l’administration centrale de la Kitikmeot Inuit Association.
La Kitikmeot Inuit Association est une organisation inuite désignée en vertu de l’Accord du Nunavut. Elle existe depuis longtemps avec les deux autres associations inuites régionales, soit la Kivalliq Inuit Association et la Qikiqtani Inuit Association. La KIA représente plus de 6 000 bénéficiaires inuits de l’Accord du Nunavut. Vous pouvez voir en bleu sur votre carte que les Inuits de Kitikmeot vivent dans cinq communautés, soit Cambridge Bay, Kugluktuk, Gjoa Haven, Kugaaruk et Taloyoak.
Notre mandat consiste à gérer les terres afin de protéger et de promouvoir un état de bien-être équilibré pour les bénéficiaires inuits de Kitikmeot. Cette quête d’un équilibre est une caractéristique cruciale de la vision de la KIA et elle est énoncée en toutes lettres dans l’Accord du Nunavut. Cet équilibre est à la base de nos efforts dans le cadre du projet de construction d’une route et d’un port à Grays Bay.
Comme vous le savez, la KIA est directement responsable de la gestion des droits de surface associés aux terres appartenant aux Inuits. Dans notre région, cela représente plus de 106 000 kilomètres carrés. Ces terres ont été choisies lors de la négociation de notre entente sur les revendications territoriales. Certaines terres ont été choisies en fonction de leur valeur sociale et culturelle. Toutes nos terres sont assorties de droits miniers choisis en fonction du potentiel géologique connu.
Ces terres assorties de droits miniers devaient permettre aux Inuits de devenir autonomes. Nous, dans la région de Kitikmeot, avons un vif intérêt économique à ce que ces terres comportant des droits miniers soient à tout le moins explorées et idéalement exploitées. Toutes ces activités généreront des loyers, des emplois, des débouchés, ainsi que des mines et des projets de développement, ce qui se traduira par une compensation supplémentaire pour nous sous la forme d’une entente sur les répercussions et les avantages pour les Inuits, de paiements et de redevances par l’entremise de la fiducie Nunavut Tunngavik. Le projet de construction d’une route et d’un port à Grays Bay a un rôle important à jouer pour stimuler cette activité.
M. Lyall : Voici les fondements de notre projet : vous pouvez voir où il est censé être situé dans l’Ouest du Nunavut. Le projet comprend un port à Grays Bay et une route de gravier toutes saisons de 230 kilomètres qui s’étend vers le sud jusqu’au site minier de Jericho.
Le site minier de Jericho est relié à la route d’hiver dans les Territoires du Nord-Ouest, puis au réseau routier national au nord de Yellowknife. Ce sera la première et la seule connexion terrestre entre le Nunavut et le reste du Canada.
Le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest envisage de construire sa propre route praticable en tout temps pour remplacer la route d’hiver pour les mêmes raisons que nous, c’est-à-dire l’accès en toute saison à son intérieur pour stimuler l’activité d’exploration.
Les deux routes doivent faire partie d’un corridor de commerce de l’énergie verte qui s’étendra de Yellowknife au golfe Coronation dans le passage du Nord-Ouest. L’on espère profiter des possibilités de production d’hydroélectricité dans les Territoires du Nord-Ouest pour écologiser l’industrie minière dans cette région. Diavik a amorcé le processus avec le développement de son parc éolien.
Nous construisons une route principale. Les responsables de l’exploitation minière seront chargés de construire leurs propres routes secondaires, même si j’estime que nous pouvons contribuer au processus de développement et de financement.
Vous voyez un dessin de conception du site portuaire et de certaines des autres infrastructures qui se trouveraient près du port. La conception vise à permettre à de nombreuses parties d’utiliser l’infrastructure. Parmi les utilisateurs potentiels, mentionnons l’industrie minière, les exploitants touristiques, la Garde côtière canadienne, les Forces armées canadiennes, les entreprises régionales et les membres de la collectivité.
Le port de Grays Bay sera le seul port en eau profonde du passage du Nord-Ouest qui serait relié au réseau routier national. L’installation permettra de tenir compte de l’augmentation du trafic dans le passage du Nord-Ouest afin de gérer le trafic croissant et l’exposition aux opérations de recherche et de sauvetage, aux déversements en mer ou d’affirmer notre souveraineté sur nos eaux. C’est le seul port du Centre de l’Arctique, et il compte une piste d’atterrissage qui pourrait être prolongée au-delà de sa longueur de 5 800 pieds et asphaltée. Le port en eau profonde le plus proche se trouve à Nanisivik, à plus de 1 300 kilomètres par avion et à près de 2 000 kilomètres par l’eau. Le port pourrait servir de base pour le réapprovisionnement et le redéploiement de la nouvelle classe de croiseurs de déglaçage dont les patrouilles commenceront en 2020 dans les eaux arctiques.
Le port est également bien placé pour constituer une plaque tournante du réapprovisionnement des projets d’exploration. Les marchandises pourraient être expédiées par barge à destination ou en provenance du port une fois que les eaux seront ouvertes en juillet.
Scott Northey, chef des opérations, Nunavut Resources Corporation : Le coût total du produit, y compris les imprévus, est d’un peu plus de 550 millions de dollars. Le coût estimatif du port est de 110 millions de dollars. La route devrait coûter un peu moins de 370 millions de dollars. Ces sommes peuvent paraître élevées, mais dans le contexte des autres projets, elles ne le sont pas.
Une partie de la construction devrait être financée par des tiers au moyen d’emprunts et remboursée par le biais de droits de péage et de droits d’utilisation des ports. Cela fait partie du concept de partenariat dont Brendan a parlé dans l’exposé précédent.
À l’heure actuelle, nous estimons que le flux de revenus ne permettrait de financer que le quart ou le tiers des coûts de construction. C’est là où se situent les lacunes dans le Nord. Pour les combler, et pour veiller à ce que ce premier et seul lien terrestre avec le Nunavut fonctionne, nous aurons besoin d’un soutien important du gouvernement fédéral. Notre objectif à court terme est d’obtenir du financement pour que ce projet soit prêt à démarrer au cours des trois prochaines années.
M. Lyall : À notre avis, les principales caractéristiques du projet sont les suivantes. Premièrement, il crée un lien entre la route du Canada et le passage du Nord-Ouest. Deuxièmement, nous devons nous pencher sur l’ouverture du passage du Nord-Ouest tout en tenant compte de la saison écourtée d’activités sur les routes en hiver dans les Territoires du Nord-Ouest. Troisièmement, nous devons réduire le coût élevé de la vie et accroître la sécurité alimentaire dans notre région, où le chômage est élevé et où les possibilités sont très rares.
Ce projet a le potentiel de faire tout cela. Il contribue aussi à concrétiser la vision des négociateurs inuits en ce qui a trait à l’accord sur les revendications territoriales. Comme je l’ai dit plus tôt, les négociateurs ont choisi des terres ayant des droits tréfonciers en raison de leur potentiel minier et de redevances. Ces redevances favoriseraient l’autosuffisance économique. Cependant, le développement de nombreuses mines au Nunavut ne peut se faire qu’avec une infrastructure qui offre un accès à moindre coût aux terres appartenant aux Inuits et situées à l’intérieur.
J’aimerais maintenant parler du potentiel minier. Ce projet d’infrastructure ouvrira d’énormes possibilités minières dans la partie nord de la province géologique des Esclaves. Cette région est comparable à la province géologique de l’Abitibi, dans le nord de l’Ontario et du Québec, qui a généré beaucoup de richesse pour le Canada au cours des 100 dernières années. Il y a de nombreux gisements connus de minerai le long du corridor ou à proximité, y compris le gisement de zinc de classe mondiale de la MMG, le projet Izok Lake. Sans accès routier, ces mines peuvent coûter plus de deux fois plus qu’une mine semblable en Ontario. Il est important pour nous que ces terres appartenant aux Inuits soient aménagées, mais de façon responsable.
M. Northey : Dans le cadre de notre processus, nous avons engagé des experts pour nous aider à préparer l’analyse de rentabilisation. L’un d’eux était un dénommé Graham Clinton, un résidant du Nord qui dirige Impact Economics et qui est un expert en analyse économique. Il utilise les modèles d’entrées et de sorties de Statistique Canada. Les extrants découlent de la façon dont les modèles génèrent leurs rendements.
L’objectif de ces modèles est de calculer la stimulation économique locale, régionale et nationale pour les nouveaux intrants. Notre projet serait l’exemple parfait d’un nouvel intrant.
Graham avait pour mandat de déterminer les avantages supplémentaires qui pourraient découler uniquement de la construction et de l’exploitation du port. Au départ, cette analyse n’a pas tenu compte du potentiel de stimulation supplémentaire découlant de l’augmentation de l’activité d’exploration minière. Nous lui avons demandé de le faire dans le cadre d’une étude ultérieure, dont nous allons parler.
Abstraction faite de la stimulation de l’exploration minière, les résultats sont très encourageants. Le projet lui-même créerait des emplois, des occasions d’affaires et contribuerait au PIB pendant les périodes de construction et d’exploitation dans notre région, notre territoire et partout au pays.
M. Lyall : Le développement minier ne se limite pas aux redevances; il s’agit d’emplois, d’emplois à long terme. De nombreux bénéficiaires ne peuvent emprunter de l’argent parce que les seuls emplois disponibles, hormis ceux au gouvernement, sont saisonniers.
M. Northey : L’étude ultérieure de Graham a démontré que le projet stimulera l’emploi. Il créera 250 emplois équivalents temps plein pour chacune des quatre années de construction, et de 10 à 20 emplois par année d’exploitation.
Pour ce qui est des autres initiatives, MMG estime que son projet, y compris notre route et notre port et toutes les autres activités qui touchent leur mine, générera plus de 38 000 années-personnes d’emploi.
D’autres sociétés minières commencent à accumuler des propriétés le long du corridor en prévision d’un accès à moindre coût. Ils possèdent ces propriétés et ont besoin d’un accès plus abordable pour que leurs projets soient viables sur le plan économique. Graham a calculé que pour chaque million de dollars consacré aux activités d’exploration, 5,2 emplois directs équivalents temps plein sont créés.
En faisant indirectement référence au projet de mine de la MMG — il s’agit d’un chiffre important à noter — Graham a calculé que les recettes fiscales provenant de cette mine à elle seule seraient nettement supérieures aux coûts de l’infrastructure, tout en générant plus de 7,5 milliards de dollars de produit intérieur brut au cours de sa durée de vie économique de 11 ans. Les recettes fiscales dépasseront 650 millions de dollars, alors que le coût de notre projet est de 550 millions de dollars.
M. Lyall : Tout nouveau projet aurait d’immenses retombées pour nous sous forme de loyers, de paiements et de redevances aux termes de l’Entente sur les répercussions et les avantages pour les Inuits. Toutes ces sommes sont versées dans notre Fiducie Kitikmeot pour appuyer nos initiatives sociales et culturelles.
La création d’un droit de passage offre également la possibilité d’améliorer d’autres infrastructures comme les télécommunications et l’électricité. Nous avons déjà parlé du grand potentiel hydroélectrique dans les Territoires du Nord-Ouest qui pourraient alimenter une exploitation minière future. L’accès à un réseau terrestre de télécommunications sortira notre région de l’âge de pierre en améliorant la qualité de nos services Internet.
J’ose croire que la piètre qualité des services Internet à Cambridge aura scandalisé certains d’entre vous. Pour vous, cela aura été temporaire, mais pour nous, c’est la réalité.
Ce projet changera la donne pour notre région.
Cette année, deux exemples éloquents témoignent du risque associé à l’absence d’un accès terrestre et de services de soutien maritime à proximité. Le transport maritime vers notre région accuse un sérieux retard. Ce convoi annuel provient de Montréal ou de Hay River. Celui de Montréal a été en retard; il vient de terminer le déchargement des marchandises et est retourné à Montréal. Il accusait plus d’un mois de retard. Il est peu probable que le convoi de Hay River atteigne notre région. On m’a dit aujourd’hui qu’il n’allait pas se rendre à Kugluktuk ou à Cambridge Bay.
Le président : La glace entrave le dernier navire, ce qui explique son retard?
M. Lyall : Oui. Cela nuit énormément à l’industrie privée de la région.
La sénatrice Bovey : Excusez-moi, s’agit-il de Cambridge Bay?
M. Lyall : Cambridge Bay et Kugluktuk.
L’échouement du navire Akademik Ioffe dans notre région nous a rappelé à quel point nous sommes mal préparés pour ce genre de situation. Le premier service de recherche et de sauvetage à les rejoindre — un avion Hercules sept heures après l’appel de détresse — sept heures. Au cours de cette période, un navire jumeau est arrivé et a réussi à récupérer les passagers. Cette fois-ci, la chance a vraiment joué en notre faveur : il n’y a eu ni décès ni déversement dangereux. Nous devons être mieux équipés et mieux préparés, surtout si la circulation augmente dans le passage du Nord-Ouest.
M. Northey : La diapositive suivante s’intitule « S’aligner sur les objectifs du Canada ». Nous avons examiné les lettres de mandats ministériels du gouvernement quant à certains des éléments qui doivent être mis en œuvre. Nous avons conclu que le projet répondait à un certain nombre d’objectifs énoncés dans les lettres de mandat d’un large éventail de ministères. Paradoxalement, les objectifs ministériels ont été confirmés par les gens lors des multiples rencontres que nous avons eues avec les ministres, leur personnel et certains autres fonctionnaires.
Au fond, ce projet semble cocher plusieurs des cases dans le programme du gouvernement. C’est l’une des choses que nous continuons de faire parce que nous pensons les avoir aidés à atteindre leurs objectifs.
La diapositive suivante illustre notre calendrier. Comme je l’ai dit plus tôt, nous espérons passer les deux ou trois prochaines années à préparer le projet. Nous sommes optimistes, à ce stade, de disposer du financement nécessaire et de commencer la construction. Nous pensons que, compte tenu de l’environnement rigoureux, il faudra de trois à quatre ans pour terminer les travaux. Nous commencerons aux deux extrémités du parcours pour nous rencontrer à mi-chemin. Nous espérons être opérationnels d’ici 2025.
Pour ce qui est de l’état général du projet, il ne s’agit pas d’un processus utopique, comme l’illustre la diapositive suivante. Nous tirons avantage d’un investissement de plus de 35 millions de dollars par la MMG dans la conception et l’accumulation de données environnementales. Notre échéancier est réaliste.
Le gouvernement du Nunavut s’est retiré du projet et cela est malheureux, mais non fatal. Nous travaillons avec lui pour nous assurer que ses décisions futures seront fondées sur des faits et la vérité. Nous faisons des progrès à cet égard.
Nous avons complété le tiers de notre évaluation environnementale. Nous avons dû la suspendre jusqu’à ce que nous ayons les fonds nécessaires, ce qui représente environ 6 millions de dollars. Le désengagement du gouvernement du Nunavut nous a privés de cette principale source de financement.
Nous continuons de chercher à collaborer avec notre propre communauté et d’autres groupes autochtones des Territoires du Nord-Ouest. Ces efforts ont été bien accueillis jusqu’à maintenant.
Sachez aussi que nous travaillons sur ce projet depuis plus de six ans. Nos avons fait beaucoup d’efforts à Ottawa et nous avons dû nous déplacer de notre région — mes collègues en particulier — tous les trimestres, pour faire un aller-retour de deux jours dans le but de raconter et expliquer notre histoire. À ce jour, nous nous sommes concentrés principalement sur le personnel politique au sein des cabinets des ministres, lui offrant des mises à jour au fil des problèmes qui surgissent et lorsqu’une discussion des processus devient nécessaire.
Nous avons fait des représentations auprès d’un large éventail de ministères et d’organismes. Nous savons ce que nous devons faire. Nous avons dû nous adapter en fonction des programmes offerts. Nous croyons savoir comment obtenir les fonds nécessaires pour démarrer le projet, mais nous n’avons toujours pas les appuis qui nous permettraient de le mettre en chantier.
Notre plus grand défi est l’absence de programmes pour financer des projets d’édification de la nation. Tout le monde aime l’expression « projets d’édification de la nation ». Il s’agit de projets nécessaires pour ouvrir de nouveaux secteurs de développement économique; il est peu probable qu’ils génèrent des retombées purement économiques assez rapidement pour justifier les investissements du secteur privé, mais ils peuvent générer beaucoup d’avantages pour l’ensemble du Canada.
Notre projet donnera lieu à l’exploitation d’une nouvelle mine, la mine Izok Lake de la MMG. Celle-ci générera des recettes fiscales pendant sa durée de vie de 11 ans qui dépasseront le coût du projet.
La nouvelle Banque de l’infrastructure du Canada est la source de capital évidente pour financer les projets d’édification nationale, mais elle se concentre uniquement sur les mégaprojets qui réduisent la congestion dans le réseau de transport existant. Ce n’est clairement pas ce que nous proposons de faire avec notre projet.
À l’heure actuelle, la banque ne considère pas les avantages pour le Canada comme faisant partie des critères de rendement pour les projets. Ces avantages exclus comprennent les recettes fiscales et les redevances, la réduction du soutien social en raison de nouveaux emplois, une plus grande sécurité alimentaire, ce qui entraîne une baisse des coûts de santé et du coût de la vie dans les régions et une augmentation du revenu disponible pour acheter des aliments plus nutritifs.
Nous espérons que d’ici à ce que nous soyons prêts à démarrer, un programme sera mis à notre disposition pour les projets de ce genre, ou que le mandat de la Banque sera modifié pour tenir compte des avantages globaux pour le Canada, et pas seulement pour les investisseurs institutionnels.
Il est également important de noter que, en plus de l’absence d’un programme de financement des projets d’édification de la nation, il n’existe aucun programme spécifique pour appuyer et faire avancer les projets couteux que proposent les promoteurs autochtones.
Nous sommes chanceux que notre projet soit un corridor commercial qui nous donne accès au Fonds national des corridors commerciaux. Cependant, les projets d’électricité, d’énergie, de télécommunications et de pipelines, pour n’en nommer que quelques-uns, ne sont pas admissibles au financement du FNCC. Il n’y a aucun financement pour les groupes autochtones qui cherchent à faire avancer ce genre de projets. De notre côté, nous devrons voir si la KIA pourra présenter directement une demande de financement auprès du FNCC et si elle sera prise en considération comme il se doit malgré le fait que le gouvernement du Nunavut se soit retiré de nos activités promotionnelles.
Il y a aussi une incohérence dans l’approche globale du financement des groupes autochtones, surtout en ce qui a trait aux processus d’évaluation environnementale. De nombreux programmes sont en place pour financer les groupes autochtones désireux d’intervenir dans les processus d’évaluation environnementale, mais il n’y a rien pour les groupes autochtones sur le plan de la promotion des projets.
CanNor, l’agence fédérale de développement économique pour le Nord, a une politique générale de ne pas financer les évaluations environnementales. C’est principalement parce que toutes les activités qu’on lui a demandé de financer sont des interventions. Nous lui avons dit que les promoteurs devraient être traités différemment. Jusqu’à présent, les représentants de cette agence ont été incapables de comprendre ce concept. L’évaluation environnementale est un élément important de tout projet d’infrastructure visant le développement économique. En excluant le financement des évaluations environnementales des promoteurs, CanNor a placé un obstacle important au développement par les Inuits de l’infrastructure essentielle du Nord .
Comme nous l’avons dit plus tôt, le processus qui nous permettra de démarrer ce projet coûtera environ 29 millions de dollars. Nous cherchons à obtenir 75 p. 100 de ce montant du Fonds national des corridors commerciaux, ce qui représente un peu moins de 22 millions de dollars. Nous avons un certain nombre d’autres avenues que nous avons l’intention de poursuivre pour les 25 p. 100 restants, y compris des programmes du gouvernement fédéral.
Les gens du FNCC nous ont assurés que le cumul pouvait atteindre 100 p. 100 du coût. C’est une perspective encourageante. Ils nous ont également assurés que notre demande est conforme au mandat du programme et que l’absence du gouvernement du Nunavut ne sera pas perçue comme préjudiciable, ce qui est également une bonne chose. À tous égards, nous ferons de notre mieux et nous attendrons le résultat final de leur évaluation.
Notre budget semble élevé en raison du travail qui doit être fait pour mettre au point la conception. Encore une fois, il s’agit du coût des activités dans le Nord. Plus particulièrement, nous devons exécuter un programme de forage aux sites de ponts proposés pour confirmer la géologie des lieux. Nous pensons qu’il y a du roc. Nous espérons qu’il y a du roc. Sinon, nous avons de plus gros problèmes.
Comme vous pouvez l’imaginer, les appareils de forage hélicoïdaux dans cette région éloignée ne sont pas bon marché. Le coût de notre programme de forage devrait être de 10 millions de dollars seulement. Comme je l’ai dit, notre évaluation environnementale coûtera environ 6 millions de dollars. Le reste est nécessaire pour mobiliser nos collectivités, les Premières Nations des Territoires du Nord-Ouest et les groupes d’utilisateurs possibles afin de renforcer le financement par des tiers que le projet peut accommoder, tout en réduisant le besoin de financement du gouvernement fédéral pour la construction.
M. Lyall : Enfin, merci beaucoup de votre temps.
Le président : Vous avez couvert beaucoup de points. Merci beaucoup.
Est-ce que les derniers points soulevés par M. Northey seraient vos principales recommandations au gouvernement fédéral, à savoir que CanNor ne finance pas les évaluations environnementales, que cette politique devrait changer et que les promoteurs autochtones de grands projets devraient être admissibles à ces programmes?
M. Northey : Oui. Je pense que l’autre recommandation serait de trouver, d’une façon ou d’une autre, un programme pour financer des projets d’édification de la nation. C’est ce qui compte le plus.
Le président : Comme le Canadien Pacifique et la route Transcanadienne.
M. Northey : Oui, et le pipeline transcanadien.
La sénatrice Bovey : Je suis peut-être un peu confus. Avez-vous présenté une demande au premier tour pour les 400 millions de dollars?
M. Northey : Nous avons présenté une demande et elle a été rejetée. Nous avons demandé le plein montant du coût du soutien. C’était plus de 400 millions de dollars.
La sénatrice Bovey : Vous a-t-on dit pourquoi votre demande a été rejetée? Est-ce parce que vous demandiez un certain montant, ou parce que vous...
M. Northey : Un ensemble de facteurs est entré en jeu. De toute évidence, la demande était exorbitante. Nous nous attendions à ce qu’ils nous donnent des conseils, qu’ils nous disent qu’ils examineraient notre demande si nous en réduisions le montant. Toutefois, au fond, nous avons été perçus comme faisant partie d’un vaste appel de projets. Je crois qu’ils ont dit que plus de 70 projets avaient été soumis, ce qui représente une demande de plus de 60 milliards de dollars auprès d’un programme de 2 milliards de dollars. Compte tenu de tous ces projets prêts à démarrer dans le Sud, ils n’ont pas pu aller de l’avant avec notre demande. Nous avons établi de bonnes relations avec eux. Ils ont dit que notre demande lors du prochain appel de projets, qui est censé porter uniquement sur des initiatives territoriales, serait beaucoup plus légitime.
La sénatrice Bovey : Pour que je puisse enfin comprendre, vous allez revenir soumettre une proposition lorsqu’il s’agira de projets prêts à démarrer, pour voir où cela vous mènera et aller de l’avant?
M. Northey : Oui.
La sénatrice Bovey : Merci.
Le sénateur Oh : Nous revenons tout juste du Nord. Vous avez toutes les ressources du sous-sol, mais il est très coûteux de les commercialiser en raison de l’infrastructure. Avez-vous un associé investisseur, outre la MMG? Que faire pour attirer des investisseurs étrangers, étant donné que les coûts initiaux sont si élevés?
M. Northey : La plupart des coûts initiaux étant élevés, il faut tout transporter par avion ou construire notre propre infrastructure.
Nous espérons qu’en construisant l’infrastructure pour eux et en leur imposant des frais d’utilisation, le coût partagé par plusieurs utilisateurs diminuera le coût relatif à chacune des opportunités.
Nous en sommes au stade où, si nous construisons l’infrastructure, il sera beaucoup plus facile d’aller en Asie, en Australie et en Europe et de dire, nous savons que le minerai est là, qu’il a été foré, mais pas suffisamment pour justifier sa viabilité économique. Nous vous offrons un accès, nous appuyons l’industrie minière, vous avez déjà l’appui du groupe autochtone pour ce qui est de la promotion de l’exploration minière. Nous espérons que les gens diront : « Cela semble être une occasion intéressante. » Il y a la géologie et l’accès à faible coût. C’est très bien. Voilà le raisonnement.
Le sénateur Oh : Je me disais qu’ils assumeraient le risque d’investir parce qu’ils connaissent le marché. Ils savent où vendre les produits. Pour d’autres, le marché mondial d’aujourd’hui est difficile. Merci.
La sénatrice Boyer : Merci beaucoup de cet exposé et merci d’être venus jusqu’ici pour nous parler.
Le président : Bravo!
La sénatrice Boyer : Pendant que vous parliez — et je vois l’ampleur de ce projet —, je réfléchissais au fait qu’il est difficile d’accéder aux soins de santé dans le Nord. Quels seraient les avantages de ce projet sur le plan d’un meilleur accès aux soins de santé? Y a-t-il eu une analyse à ce sujet? Cela aurait un impact financier et social énorme.
M. Northey : Pourquoi ne parlez-vous pas de votre expérience avec les soins de santé, les allers-retours en avion?
M. Lyall : Nous n’avons pas vraiment étudié son impact sur les soins de santé. Le projet ne peut qu’améliorer les services que nous avons. Tout le monde sait que le taux de suicide est élevé. C’est en grande partie dû au manque d’emplois et au manque de moyens financiers. La santé mentale est un énorme problème. J’espère pouvoir offrir aux gens des possibilités d’emploi intéressantes. Cela fera une grande différence sur le plan de la santé à cet égard.
La sénatrice Boyer : Merci.
M. Emingak : De plus, les recettes fiscales générées par le gouvernement du Nunavut aideraient énormément à améliorer les centres de santé et la télésanté. Dans la plupart des cas, il n’existe aucun transport routier au Nunavut pour parer aux situations d’urgence. Une évacuation médicale aérienne est nécessaire pour transporter les personnes à Ottawa, Edmonton ou Winnipeg. Le gouvernement du Nunavut percevrait des impôts pour financer ces services.
Le président : Monsieur Lyall, je sais que vous participez depuis de nombreuses années au développement de corridors de transport dans votre région, dans la province géologique des Esclaves qui est riche en minéraux. Des travaux ont été effectués sur la route de Bathurst Inlet, qui a été redirigée vers la côte de l’Arctique au port en eau profonde de Grays Bay.
Pourriez-vous nous parler de la route vers le sud? Vous avez parlé d’une saison des routes d’hiver raccourcie dans les Territoires du Nord-Ouest. Pourriez-vous nous expliquer ce que sont les routes d’hiver dans les Territoires du Nord-Ouest, qui elles desservent et comment votre projet pourrait faire face aux changements climatiques? Veuillez nous expliquer cela plus en détail.
M. Lyall : La saison des routes d’hiver est de plus en plus courte chaque année en raison des changements climatiques.
Le président : Où vont ces routes?
M. Lyall : De Yellowknife jusqu’à Lupin. Je ne me souviens pas du kilométrage, mais il est de plus en plus court.
Le réchauffement raccourcit la saison.
Le président : Qui est desservi par cette route?
M. Lyall : La route d’hiver approvisionne toutes les mines le long de son parcours. Diavik, Ekati...
Le président : Et Gahcho Kue. Il y a trois mines de diamants, je crois.
M. Lyall : Oui. On y transporte de tout, du carburant à l’équipement lourd en passant par la nourriture. Tout le matériel nécessaire à l’exploitation des mines.
Le président : Comment votre projet réduirait-il le risque que les changements climatiques fassent fondre la partie sud de la route?
M. Lyall : Je pense que nous pourrions transporter des marchandises en provenance de l’Ouest par voie maritime. Lorsqu’elles arriveraient, on pourrait les transporter sur ce couloir beaucoup plus rapidement et plus efficacement qu’à l’heure actuelle.
Le président : Du nord au sud plutôt que du sud au nord?
M. Lyall : Oui. Cela a toujours été mon rêve.
La sénatrice Galvez : Merci beaucoup pour ce projet très intéressant. Vous avez raison, je pense qu’il s’agit d’un projet d’édification nationale. Même si je crois que son coût est sous-estimé en raison de son ampleur et de sa complexité.
M. Northey : Nous allons en parler.
La sénatrice Galvez : Oui. Pourquoi le Nunavut s’est-il retiré du projet? Et pourquoi ne faites-vous pas des demandes auprès des autres territoires? Est-ce que les Territoires du Nord-Ouest pourraient contribuer à ce projet?
M. Northey : Nous avons des discussions intenses avec le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest. Il y a deux défis. Premièrement, ce gouvernement n’a pas encore mobilisé ses groupes autochtones dans la mesure souhaitée. Il lui sera difficile de s’associer à un groupe autochtone pour la construction de ce corridor.
Deuxièmement, il ne veut pas faire ombrage au gouvernement du Nunavut en s’associant publiquement au groupe autochtone du Nunavut. Dans les coulisses, nous travaillons en étroite collaboration avec lui et nous essayons d’élaborer des stratégies et une vision communes pour ce corridor entre Yellowknife et Coronation Gulf. Les discussions sont très intenses. Voilà pourquoi. Vous pouvez vous occuper du premier défi, la politique du Nunavut étant votre patelin.
M. Lyall : On me dit que je suis trop direct pour la politique du Nunavut. Il y a eu beaucoup de malentendus. Ses représentants n’ont pas tout compris. Honnêtement, on ne leur a pas dit toute la vérité. Il y a eu beaucoup de désinformation; par conséquent, ils ont retiré leur appui.
Le président : Je crois comprendre que vous préparez un exposé sur ce projet pour le caucus de l’Assemblée législative du Nunavut en novembre, n’est-ce pas?
M. Lyall : Oui, le 26 octobre, nous rencontrerons tout le caucus du Nunavut.
Le président : Je vous remercie, comme la sénatrice Boyer l’a si bien dit, du long voyage que vous avez fait jusqu’ici. Votre exposé était excellent et très opportun. Qujannamiik.
(La séance est levée.)