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ARCT - Comité spécial

Arctique (spécial)

 

Délibérations du Comité sénatorial spécial sur l'Arctique

Fascicule no 19 - Témoignages du 19 novembre 2018


OTTAWA, le lundi 19 novembre 2018

Le Comité sénatorial spécial sur l’Arctique se réunit aujourd’hui, à 18 h 29, pour examiner les changements importants et rapides qui se produisent dans l’Arctique et les effets de ces changements sur les premiers habitants.

Le sénateur Dennis Glen Patterson (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Je vous souhaite la bienvenue à la réunion du Comité sénatorial spécial sur l’Arctique. Je m’appelle Dennis Patterson et je représente le Nunavut au Sénat. J’ai le privilège d’être président du comité. Je vais demander aux sénateurs à la table de se présenter.

La sénatrice Bovey : Patricia Bovey, du Manitoba, vice-présidente du comité.

La sénatrice Dasko : Donna Dasko, de l’Ontario.

Le sénateur Neufeld : Richard Neufeld, de la Colombie-Britannique.

La sénatrice Coyle : Mary Coyle, de la Nouvelle-Écosse.

Le président : Ce soir, dans le cadre de notre étude sur les changements rapides et importants qui se produisent dans l’Arctique et les effets de ces changements sur les premiers habitants, nous poursuivons nos travaux sur la culture, la langue et les arts de l’Arctique en tant que vecteurs de la solidité des peuples et des collectivités.

Nous accueillons notre premier groupe de témoins, composé de Mme Belinda Webb, sous-ministre, ministère de la Culture, des Loisirs et du Tourisme, au gouvernement du Nunatsiavut, et M. Gary Baikie, directeur, parc national des Monts-Torngat, à Parcs Canada. Merci d’être avec nous.

Je dois dire que nous avons vraiment essayé de nous rendre à Nain à l’automne. C’est la deuxième fois que je siège à un comité du Sénat qui veut se rendre à Nain et qui est forcé de rebrousser chemin en raison du mauvais temps. Nous savons que c’est une situation avec laquelle les habitants du Nord doivent composer. Merci de vous être déplacés pour être parmi nous ce soir.

Nous allons d’abord écouter vos déclarations liminaires, puis nous passerons à la période des questions.

Gary Baikie, directeur, parc national des Monts-Torngat, Parcs Canada : Merci, mesdames et messieurs les sénateurs. Nous avons entendu votre avion survoler la piste où nous vous attendions.

Je vais d’abord vous donner quelques renseignements sur le parc national des Monts-Torngat, en commençant par sa situation géographique.

Le parc se trouve à l’extrémité nord de la péninsule d’Ungava au Labrador. Sa superficie est de 9 700 kilomètres carrés, et il est le 42e parc national du Canada. La collectivité la plus proche se nomme Kangiqsualujjuaq au Nunavik et se trouve à environ 70 kilomètres à l’ouest de la frontière entre le Québec et Terre-Neuve-et-Labrador. Puis il y a Nain, qui se trouve à environ 200 kilomètres au sud de la frontière sud du parc.

Le parc n’est pas accessible par la route. En fait, il n’y a pas de route à l’intérieur et autour du territoire du Nunatsiavut. Comme vous avez pu le constater, il est un peu difficile de se rendre à Nain, et il en va de même du parc. Il y a une piste pavée à Saglek, que l’exploitant du camp de base et nous utilisons pour amener les gens au parc. Elle se trouve sur l’ancien site du réseau DEW. C’est une piste d’atterrissage qui a été construite par les Américains. Elle est bien située pour nous, car c’est une façon pour les visiteurs de se rendre au parc.

L’autre façon de s’y rendre est par la mer, soit par bateaux loués ou, à partir du camp de base, par bateaux d’excursion, et il y a également quelques navires de croisière qui se rendent dans la région.

Notre siège administratif se trouve à Nain. Le parc, même s’il est administré à partir de Nain, traite avec les deux gouvernements provinciaux, celui du Québec et celui de Terre-Neuve-et-Labrador. Il y a aussi un gouvernement autochtone, le gouvernement du Nunatsiavut. Nous avons un partenariat avec la société Makivik — dont nous sommes aussi partie prenante —, qui représente les intérêts des Inuits du Nunavik.

Pour nous rendre à notre bureau de Kangiqsualujjuaq pour y tenir une réunion en soirée, il nous faut six jours, et cela coûte environ 9 000 $ par personne. Lorsque nous voulons tenir des consultations, établir des liens avec la communauté ou donner un coup de main à nos employés à Kangiqsualujjuaq, nous nolisons un avion — un avion à voilure fixe ou un hélicoptère —, car cela nous coûte beaucoup moins cher. Nous économisons quelques milliers de dollars et nous gagnons du temps.

Le parc a été créé avec le consentement des Inuits du Labrador. En 1970, des représentants de Parcs Canada avaient demandé aux Inuits du Labrador s’il serait possible de créer un parc dans le nord du Labrador. À l’époque, les Inuits avaient répondu que ce n’était pas pour eux une priorité et qu’il fallait d’abord s’occuper des revendications territoriales. Une fois qu’elles seront sur la bonne voie, avaient-ils dit, nous pourrons nous asseoir pour en discuter. Et c’est ce qui s’est produit. Le parc a été créé en 2005 en tant que réserve de parc national, avant de devenir un parc national à part entière en 2008, lorsqueles Inuits du Nunavik ont signé la revendication relative aux zones marines. En juillet 2008, il est devenu un parc à part entière.

Les Inuits ont deux ententes de revendications territoriales, l’une concerne les Inuits du Nunavik, et l’autre les Inuits du Nunatsiavut. De ces deux ententes ont découlé des ententes sur les répercussions et les avantages du parc, encore une fois avec les Inuits du Nunavik et les Inuits du Labrador. Les revendications territoriales portent sur les grands enjeux, tandis que les ententes sur les répercussions et les avantages portent sur les détails de notre relation opérationnelle et de notre travail avec les Inuits du Nunavik et les Inuits du Nunatsiavut.

Des ententes sur les répercussions et les avantages et sur les revendications territoriales est né le conseil de cogestion. Le parc est cogéré par les Inuits du Nunavik et les Inuits du Nunatsiavut. C’est le seul conseil de cogestion entièrement inuit au Canada. C’est une première. C’est encore ainsi aujourd’hui.

Les membres du conseil de cogestion sont nommés par la société Makivik ou par le Nunavik, par le Nunatsiavut et par Parcs Canada. Parcs Canada nomme deux personnes, la société Makivik nomme deux personnes et le gouvernement du Nunatsiavut nomme deux personnes. Un président indépendant est nommé par les trois parties, et la nomination est approuvée par le directeur général de Parcs Canada.

Les membres du conseil de cogestion ne représentent pas leur organisation. Ils veillent aux intérêts de la population. Même si le gouvernement du Nunatsiavut et la société Makivik nomment chacun deux personnes, ces personnes ne les représentent pas.

Le conseil de cogestion fait participer les peuples autochtones à la planification et à la gestion des parcs nationaux, sans limiter le pouvoir du ministre responsable de Parcs Canada, dans le but de respecter leurs droits et leurs systèmes de connaissances, et ce, en intégrant leur histoire et leur culture dans les pratiques de gestion. D’où la création du conseil de cogestion, un organisme constitué en personne morale, qui établit une structure et un mécanisme permettant à Parcs Canada et aux peuples autochtones de collaborer de façon régulière et significative comme partenaires. Je pense que c’est une bonne façon de bien gérer le parc, car le conseil de cogestion — c’est notre avis — donne lieu à un véritable partenariat.

Les membres du conseil de cogestion se rencontrent en personne deux fois par année, une fois au Nunavik ou au Nunatsiavut et l’autre fois dans le parc. La rencontre dans le parc se tient habituellement à la fin juillet ou au début août. Le conseil de cogestion peut ainsi prendre des décisions éclairées sur les problèmes de gestion du parc. Cela donne aussi l’occasion aux employés de Parcs Canada de venir sur place et d’apprendre à connaître le parc à travers la lorgnette du conseil de gestion.

Même si les membres du conseil de gestion ont le pouvoir de conseiller le ministre sur les questions de gestion, ils n’ont jamais eu besoin d’écrire au ministre pour lui demander des recommandations à ce sujet. Nous prenons très au sérieux le rôle du conseil de gestion dans notre parc. Ses recommandations et ses conseils sont mûrement réfléchis et bien fondés. Nous pouvons nous y fier et aller de l’avant.

Un autre élément intéressant au sujet du parc est qu’il a fallu trouver une façon d’y faire venir les visiteurs de façon sécuritaire et fonctionnelle en raison de son éloignement. En 2006, nous avons eu notre première vraie saison d’activités, et nous avons décidé de mettre à l’essai un camp de base dans le parc. Pendant la première semaine, le temps était magnifique, et c’était très agréable. Pendant la deuxième semaine, la pluie s’est mise à tomber sans arrêt et nous avons fini par dormir dans des flaques d’eau. Un des aînés inuits qui étaient avec nous nous a proposé d’examiner une option. Nous nous sommes rendus sur un bout de terrain au sud du parc, adjacent à la frontière sud, et nous avons décidé d’aller nous y installer. Les aînés savaient que même lorsqu’il pleuvait pendant des jours, l’eau ne s’accumulait pas à cet endroit. Nous avons suivi leur conseil.

Nous avons embauché des gardes inuits à l’affût des ours, car il y a beaucoup d’ours polaires et d’ours noirs dans la région. C’est le seul endroit sur la planète où des ours noirs de la toundra vivent dans des tanières au-delà de la limite des arbres. Ces gardes ne font pas que protéger les visiteurs mais veillent aussi à la sécurité de ours polaires et des ours noirs.

Nous embauchons aussi des Inuits pour faire la cuisine et s’occuper de l’entretien. Le parc et le camp de base sont devenus une façon pour nous de favoriser la participation, l’emploi et le développement économique des Inuits. C’est un des avantages économiques du parc, en plus de contribuer au renforcement des capacités et de favoriser le retour des Inuits sur leurs terres ancestrales.

Le camp de base n’est pas situé dans le parc à l’heure actuelle. Il se trouve sur les terres des Inuits du Labrador, propriété du gouvernement du Nunatsiavut et des Inuits du Labrador.

Le camp de base est demeuré un projet pilote pour nous pendant environ quatre ans, soit de 2006 à 2010. Chaque année, nous effectuions un sondage auprès des visiteurs et des Inuits qui s’y rendaient pour savoir comment ils avaient aimé leur expérience et ce qui pourrait être amélioré. Nous avons toujours suivi les conseils tant des visiteurs que des Inuits, et nous avons amélioré le camp de base chaque année. En 2010, le gouvernement du Nunatsiavut a pu dégager des fonds pour faire du camp de base une entreprise inuite. Il a été confié à la Société de développement des Inuits du Labrador, devenue plus ou moins par la suite le Nunatsiavut Group of Companies. Le Nunatsiavut Group of Companies l’a géré pendant quelques années. Nous en sommes devenus le locataire principal, de pair avec les chercheurs et les participants au programme pour les jeunes offert à ce moment.

Le camp de base est une façon sécuritaire pour les visiteurs de venir voir le parc. C’est une bonne façon pour eux de comprendre la culture inuite, car l’histoire qu’on raconte dans le parc est celle des Inuits. L’histoire des Inuits est notre grande priorité. Je tiens à souligner que le décor est spectaculaire. C’est l’histoire que nous voulons raconter. C’est l’histoire que les employés du camp de base racontent également.

Le camp de base est entouré d’une clôture électrique pour assurer la sécurité des visiteurs. On y compte aussi environ une dizaine de gardes à l’affût des ours ou des ours polaires qui s’occupent des visiteurs pendant leur séjour au camp de base.

On y trouve aussi des toilettes à chasse d’eau et des douches à l’eau chaude. Nous avons un hélicoptère sur le site dont les coûts sont partagés par Parcs Canada, les chercheurs, les visiteurs et l’exploitant du camp de base.

Le président : Monsieur Baikie, tout cela est fascinant, mais nous devons aussi entendre la déclaration de Mme Webb.

M. Baikie : Oui, désolé.

Le président : Pouvez-vous...

M. Baikie : ... conclure?

Le président : S’il vous plaît.

M. Baikie : Je vais vous parler des réalisations et des orientations futures.

Voici les réalisations : le parc est devenu une nouvelle destination, car le tourisme était nouveau dans le Nord du Labrador à l’époque. C’est la réconciliation en action. Parcs Canada a travaillé avec les Inuits pour concevoir des activités touristiques qui allaient mettre les visiteurs en contact avec le parc, une terre inuite. Des Inuits participent à toutes les activités pour raconter leur histoire au monde dans le respect de leur culture.

L’expérience est diversifiée, car les scientifiques, les touristes et les jeunes s’y côtoient. On veut renforcer les capacités et l’entreprenariat, comme en témoignent le camp de base et le développement économique.

Le conseil de cogestion soutient activement l’exploitation du camp de base en attendant le retour des Inuits sur leurs terres. Le parc national des Monts-Torngat s’est engagé, dans son plan de gestion 2018, à tenter de trouver des façons d’assurer la viabilité financière de l’exploitation du camp de base. Parcs Canada est maintenant le locataire principal, mais les allocations de fonds sont fixes, alors que les coûts d’exploitation du camp sont enhausse, en raison de son éloignement et en particulier en raison du coût du carburant, créant ainsi des défis financiers pour le camp.

Compte tenu des grandes difficultés financières liées à l’exploitation du camp de base, Parcs Canada a versé au gouvernement du Nunatsiavut, en 2017 et 2018, des fonds supplémentaires pour l’exploiter. Parcs Canada souhaite travailler avec le gouvernement du Nunatsiavut pour trouver des solutions à long terme, notamment en modifiant le fonctionnement du camp pour accroître son efficacité. Le gouvernement du Nunatsiavut cherche actuellement un nouvel exploitant pour les cinq prochaines années. Parcs Canada collaborera avec le gouvernement du Nunatsiavut pour mettre en place un modèle opérationnel viable. Merci.

Le président : Merci beaucoup.

Belinda Webb, sous-ministre, ministère de la Culture, des Loisirs et du Tourisme, gouvernement du Nunatsiavut : Merci de m’avoir invitée à prendre la parole aujourd’hui.

Je m’appelle Belinda Webb. Je suis sous-ministre au ministère de la Culture, des Loisirs et du Tourisme du gouvernement du Nunatsiavut. Je suis originaire de Nain et j’y suis de retour depuis l’automne 2015. Je suis très heureuse d’être ici aujourd’hui pour vous parler d’un de mes endroits préférés dans le monde, le parc national des Monts-Torngat et le camp de base.

Pour nous, le parc national des Monts-Torngat est la terre des Inuits. C’est le cadeau que les Inuits ont fait au Canada lors de la signature de l’entente sur les revendications territoriales. Le parc national des Monts-Torngat et le camp de base sont des lieux de rencontres où l’on peut cultiver les liens entre les visiteurs et les jeunes, entre les jeunes et les aînés, et entre les chercheurs et les porteurs de connaissances. Ce sont aussi des lieux où nous pouvons renforcer le lien qui nous unit à la terre et à l’eau, qui font partie de notre culture et de notre histoire.

Pouvoir se connecter à la terre et à l’eau là où nos ancêtres l’ont fait avant nous en sachant que cela fait partie de notre histoire et de notre culture n’a pas sa pareille. C’est très important pour nous. C’est l’ancrage de notre peuple. Il est difficile de trouver les mots pour exprimer ce que l’on ressent quand on se trouve au camp de base et dans le parc. C’est une expérience très spirituelle pour les Inuits.

Il est très important également que nos jeunes se rendent au camp de base pour que nos connaissances et nos traditions leur soient transmises, et que l’histoire de nos ancêtres sur ces terres se transmette de génération en génération. On veut rendre nos jeunes maîtres de leur destin. Le programme pour les jeunes que nous avions a toutefois dû être annulé lors des deux dernières années en raison de problèmes financiers et de viabilité.

Nous avions un excellent programme pour les jeunes. Il leur permettait de se retrouver dans un milieu structuré pour acquérir diverses compétences liées au leadership, de même qu’au savoir traditionnel et à la langue. On y accueillait des jeunes du Nunavik également. Les jeunes étaient ainsi en contact avec divers dialectes pour prendre conscience du dynamisme de leur langue et pouvoir mieux la connaître.

Nous avons obtenu du financement dans le cadre du programme des gardes pour continuer de préparer un programme pour les jeunes et l’offrir au camp de base, mais aussi partout sur le territoire du Nunatsiavut qui fait partie de l’entente.

Le parc national et le camp de base sont des points de rencontre entre le savoir traditionnel et la science. Les scientifiques peuvent se familiariser avec la faune et la flore au contact de nos aînés. Le savoir traditionnel nourrit le savoir scientifique, et c’est très important pour nous. Les chercheurs ont ainsi l’occasion de mieux connaître notre histoire et notre culture directement sur nos terres.

Notre peuple a vécu sur ce territoire bien avant mon époque et continue d’y vivre encore aujourd’hui. Il est important pour notre culture que l’information se transmette de génération en génération, ainsi que d’avoir l’occasion de le faire dans un environnement clos où nos jeunes et nos aînés peuvent se retrouver — nos gardes à l’affût des ours sont toujours de la région — afin de faire le transfert de connaissances.

Les chercheurs, quant à eux, peuvent être en contact avec des gens qui possèdent des connaissances traditionnelles et contemporaines. Ils y gagnent tout comme nous y gagnons. Le fruit de leurs recherches est toujours transmis au gouvernement du Nunatsiavut. Nous pouvons l’utiliser concrètement et la diffuser à la communauté. La communication est bien rodée.

Je sais que cela semble très simple, mais tout se déroule dans un milieu où l’air et l’eau sont purs et où la nature est à l’état sauvage. L’environnement est très important pour nous, tout comme cela l’était autrefois, pour chasser, pêcher et nous déplacer. Les enjeux environnementaux au parc national des Monts-Torngat et au camp de base revêtent beaucoup d’importance pour nous.

Pouvoir montrer un lieu aussi beau aux visiteurs et aux chercheurs et montrer à notre peuple où leurs ancêtres ont vécu nous rend très fiers de notre territoire et de notre histoire.

Comme M. Baikie l’a fait remarquer, l’exploitation du camp de base est fort onéreuse. À titre d’exemple, pour la saison de quatre semaines que nous avons connue cette année, les coûts se sont élevés à quelque 700 000 $. Normalement, les fraistotalisent environ 1 million de dollars. Parce que l’approvisionnement en carburant dans cette région entraîne des coûts supplémentaires, on le fait normalement venir par barge. Une brève saison coûtera habituellement 1 million de dollars environ.

Le parc national des Monts-Torngat accueille trois groupes : les visiteurs, les chercheurs et les bénéficiaires qui participent à notre programme jeunesse ou qui viennent travailler. Ce n’est pas une expérience qu’on tend à vivre à bien des endroits du monde. Les jeunes apprennent auprès de nos aînés comment nettoyer le poisson et le touriste peut voir de ses propres yeux comment le savoir est transmis. Les gens acquièrent également de l’expérience qu’ils ramènent avec eux. Ce camp permet d’éduquer les visiteurs et nos jeunes, qui n’ont pas souvent l’occasion d’explorer la nature, peut-être en raison des contraintes financières de leur famille. Nous avons une formidable occasion de communiquer directement notre histoire aux visiteurs par l’entremise de nos jeunes et de notre peuple.

Le président : En arrivez-vous à la conclusion, madame Webb?

Mme Webb : Oui.

Dans l’ensemble, grâce au partenariat avec Parcs Canada, nous pouvons permettre aux aînés, aux jeunes et aux interprètes culturels de transmettre notre savoir, nos histoires et notre culture traditionnels. Voilà qui offre aux jeunes une excellente occasion d’être dans un environnement d’encadrement où ils peuvent apprendre à connaître leur culture, leur savoir et leurs histoires traditionnels.

En faisant de cette région un parc national, on peut protéger un endroit si cher à nos cœurs. Ce parc nous permet de préserver notre mode de vie traditionnel et d’en transmettre l’histoire au fil des générations. Merci.

Le président : Merci beaucoup.

La sénatrice Bovey : Pourriez-vous nous en dire davantage au sujet de vos visiteurs? Il est formidable de transmettre les connaissances scientifiques et les traditions autochtones. Ce que vous faites avec les jeunes est extraordinaire, mais parlez-moi de vos visiteurs. D’où viennent-ils et combien d’entre eux accueillez-vous par année?

M. Baikie : Ils viennent généralement de la côte Est du Canada et des États-Unis. Certains nous arrivent d’aussi loin que l’Australie et le Japon. Nous recevons environ 500 à 650 visiteurs par année; ce chiffre inclut les croisiéristes.

La sénatrice Bovey : Quelle est la durée d’une saison?

M. Baikie : La durée varie, mais elle est habituellement de six semaines pendant l’été.

La sénatrice Bovey : Quels genres de programmes d’interprétation offrez-vous aux visiteurs?

M. Baikie : Nous proposons au camp de base un éventail d’activités auxquelles les visiteurs peuvent s’adonner. Ceux qui veulent visiter la région de manière indépendante effectuent habituellement des randonnées, sac au dos. Les activités offertes au camp de base portent sur la culture inuite. Nous proposons diverses visites culturelles, des randonnées et des parcours inuits traditionnels. Les activités se fondent habituellement sur la culture inuite.

La sénatrice Eaton : J’ai été étonnée quand vous avez dit que les dépassements de coût se sont élevés à 700 000 $ dans le parc l’an dernier. Ces 650 visiteurs ne vous paient-ils rien?

M. Baikie : Oui. Sur 650 visiteurs, de 200 à 300 sont des croisiéristes.

La sénatrice Eaton : Ils ne passent pas la nuit au camp? Ils ne restent que pour la journée?

M. Baikie : Oui. Les croisiéristes paient de 5 000 à 8 000 $ pour leur voyage dans le parc, alors qu’un visiteur habituel du camp de base versera environ 9 000 $ par semaine. Tout est inclus à partir de Goose Bay, au centre du Labrador.

La sénatrice Eaton : Y a-t-il des frais pour l’approvisionnement en denrées et en carburant?

M. Baikie : Oui. Nous tentons de réduire ces coûts, travaillant avec le gouvernement du Nunatsiavut pour élaborer un plan de durabilité. Le carburant doit être acheminé par barge. Le gouvernement du Nunatsiavut a donc installé des réservoirs à carburant. Nous cherchons maintenant à les faire remplir. Voilà qui ferait passer les coûts de 400 000 à quelque 200 000 $.

La sénatrice Eaton : C’est une économie substantielle. Revenons à la terre et au savoir traditionnel. Offrez-vous des aliments du terroir aux visiteurs?

M. Baikie : Oui, nous leur proposons des aliments et des plantes du terroir. Il s’agit de végétaux cultivés traditionnellement.

La sénatrice Eaton : Je pourrais poser des questions complémentaires, mais je pense que d’autres sénateurs souhaitent intervenir.

Le sénateur Oh : La plupart de mes questions ont été posées. Comment faites-vous la promotion du tourisme à l’échelle internationale?

M. Baikie : Nous le faisons par l’entremise de notre bureau principal à Ottawa et de son équipe de marketing. Je laisserai Belinda répondre pour le gouvernement du Nunatsiavut.

Mme Webb : Nous faisons de la publicité sur une page Facebook et un site web. Il s’agit toutefois d’un domaine dans lequel nous cherchons à collaborer avec Parcs Canada afin d’élaborer un meilleur plan de marketing.

Le sénateur Oh : Quand nous nous sommes rendus dans les Territoires du Nord-Ouest et à Whitehorse, les touristes asiatiques affluaient pour admirer les lumières et les aurores boréales aux termes d’une entente spéciale. Disposez-vous de moyens pour attirer les touristes asiatiques?

M. Baikie : C’est un nouveau domaine dont nous commençons à peine à parler. Nous travaillons à une stratégie de marketing avec le gouvernement du Nunatsiavut. Une fois que le contrat aura été accordé au nouvel exploitant, nous élaborerons une stratégie de marketing en trois volets à laquelle nous adhérerons tous et à laquelle nous travaillerons ensemble. Nous voulons notamment nous attaquer au marché asiatique.

Le président : Merci. Qui est le nouvel exploitant?

M. Baikie : Nous ne le savons pas encore. Nous sommes en train de le déterminer.

La sénatrice Galvez : Je remplace la sénatrice Bovey. L’endroit semble magnifique. Dites-moi, quand il y a des touristes et des navires de croisière, il y a aussi des déchets solides et eaux usées. Or, vous avez vanté la pureté de l’eau et du sol. Que faites-vous? Comment gérez-vous les déchets liquides et solides dans le Nord?

M. Baikie : Il n’y a pas d’eau salée dans le parc. Je sais que les navires de croisière ne sont pas autorisés à rejeter de déchets dans les eaux environnant le parc. En outre, dans le parc, sur la terre ferme, nous avons une politique en vertu de laquelle le camping et les activités ne doivent laisser aucune trace. Il faut donc repartir avec ce qu’on a amené, y compris les déchets humains, qui doivent être ramenés au camp de base pour être incinérés.

La sénatrice Coyle : Je vous remercie de votre exposé. J’ai deux ou trois questions. La première concerne précisément le parc et le camp de base. J’aimerais en savoir un peu plus sur les tendances et les chiffres. Comment les tendances évoluent-elles depuis votre ouverture? Les choses s’améliorent-elles ou empirent-elles au chapitre des finances ou du nombre de visiteurs? Je vous demanderais de nous donner un aperçu de la situation et de vos objectifs dans l’avenir.

Je me suis intéressée aux discussions sur les jeunes, en ce qui concerne particulièrement les jeunes Inuits et l’importance de la culture et de la langue. Je comprends que l’exploitation du camp de base soit très onéreuse. Au Nunatsiavut, existe-t-il d’autres endroits moins chers pour offrir ce genre de programmes aux jeunes?

M. Baikie : Pour répondre à votre première question, les tendances sont à la hausse, car nous commençons à comprendre notre marché et pouvons ainsi mieux cibler une certaine clientèle. Voilà pourquoi les tendances commencent à s’améliorer. En outre, la somme d’informations dont dispose le parc national des Monts-Torngat commence à augmenter. Nous effectuons du marketing par l’entremise du gouvernement du Nunatsiavut, de Destination Canada, de l’Association touristique autochtone du Canada et de Parcs Canada. La tendance s’améliore aussi quand il s’agit de faire connaître la région grâce à ces organisations.

Mme Webb : En ce qui concerne la question sur les jeunes, c’est exactement ce que nous cherchons à faire. À l’extérieur de nos trois communautés se trouvent des édifices que nous pouvons commencer à utiliser pour offrir des programmes en pleine nature aux jeunes. Nous leur proposons déjà une variété de programmes dans les communautés. Cependant, comme l’exploitation du camp de base est très onéreuse, nous cherchons à étendre nos activités à divers endroits où nous pouvons veiller à ce que les jeunes aient toujours l’occasion de parcourir les terres et de s’immerger davantage dans un programme de langue. C’est ce que nous envisageons de faire actuellement.

La sénatrice Coyle : Merci beaucoup.

M. Baikie : Si je peux me permettre d’ajouter quelque chose, je ferais remarquer que nous avons pour mandat de faire participer les jeunes aux activités des parcs. Nous cherchons aussi à voir comment nous pouvons mieux inciter les jeunes Inuits à venir au parc et comment nous pouvons les parrainer à cette fin.

La sénatrice Coyle : En ce qui concerne les jeunes, je pense que vous avez fait mention du programme de gardiens. Pourriez-vous nous en parler brièvement?

Mme Webb : Le financement de ce programme est assez nouveau pour mon ministère, mais nous avons pu obtenir 300 000 $ pour un programme en milieu naturel destiné aux jeunes, lequel fait notamment appel au camp de base. Nous discutons maintenant entre nous pour voir comment procéder. Nous avons pu présenter une demande au titre de ce programme afin d’obtenir du financement pour le programme jeunesse.

En outre, au fil des ans, nous avons pu recevoir des dons de diverses fondations, comme la Smiling Land Foundation et la W. Garfield Weston Foundation, particulièrement pour le programme jeunesse.

Le président : Le financement du programme de gardiens vient d’Environnement et Changement climatique Canada, n’est-ce pas?

Mme Webb : Oui.

Le président : Et il s’agit d’un programme national?

Mme Webb : Oui.

Le président : Merci.

La sénatrice Dasko : Je m’intéresse à la décision de créer le parc à cet endroit. Comment a-t-on pris cette décision? Est-ce en raison des arrangements sociaux uniques? Est-ce qu’un aspect particulier de la topographie doit être préservé? L’endroit offrait-il un environnement potentiel unique aux fins de recherches? Comment déterminez-vous l’endroit où vous établirez un parc? Comment avez-vous pris cette décision?

M. Baikie : Le parc a été créé en raison de l’écorégion. Il s’agit d’une région sans pareille au Canada; voilà pourquoi Parcs Canada souhaitait y établir un parc. C’est une représentation d’une région unique du pays au sein de l’aire géographique et de l’écosystème. Le ministère voulait établir un parc dans les monts Torngat.

La sénatrice Dasko : Merci.

La sénatrice Eaton : Obtenenez-vous beaucoup de collaboration? Vous avez parlé des communautés inuites, soulignant à quel point elles vont bien et collaborent avec vous. Devez-vous les mobiliser ou font-elles pleinement partie de vos activités? Autrement dit, dans quelle mesure avez-vous pu intégrer le savoir traditionnel dans les activités du parc?

M. Baikie : Tous nos employés sont autochtones. Nous sommes tous inuits.

La sénatrice Eaton : C’est un bon début.

M. Baikie : C’est pour commencer. Il s’agit du seul parc du Canada dont le personnel est entièrement autochtone. Nous prenons au sérieux et examinons attentivement tous les renseignements que nous recevons des anciens, voire des jeunes Inuits.

La sénatrice Eaton : Ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi vous devez concevoir des programmes pour enseigner aux jeunes comment pêcher. J’aurais pensé que les familles leur enseigneraient automatiquement la pêche ou la chasse au caribou. J’aurai cru que cela se faisait naturellement.

M. Baikie : C’est ainsi que le savoir se transmettait, mais ce n’est plus le cas pour des raisons financières. Les gens n’utilisent plus de chiens. Ils doivent acheter des motoneiges, au prix de 15 000 $.

La sénatrice Eaton : Ils ont pourtant utilisé des attelages de chiens pendant des siècles.

M. Baikie : En effet.

La sénatrice Eaton : Pourquoi ne renoueraient-ils pas avec cette pratique? Je ne veux pas poser de question stupide, mais comme il faut faire venir le carburant par citernes et que les motoneiges ont une durée de vie limitée, après quoi elles cessent de fonctionner, j’aurais pensé que d’un point de vue culturel, vous auriez peut-être voulu montrer aux jeunes comment mener un attelage de chiens.

M. Baikie : On n’enseigne plus comment chasser ou diriger un attelage de chiens.

La sénatrice Eaton : Le lien s’est rompu?

M. Baikie : Oui. Nous collaborons avec le gouvernement du Nunatsiavut dans le cadre de certains de ses programmes culturels, particulièrement dans le parc. Il vient de construire un nouveau centre culturel où des programmes culturels seront offerts. Je ne veux pas parler pour la sous-ministre ici, mais je suis assez certain qu’il veut voir comment il peut favoriser la réintégration ou la réappropriation de la culture.

La sénatrice Eaton : Avez-vous des liens avec les autres communautés inuites pour voir ce qu’elles savent?

Mme Webb : Oui. L’Inuit Tapariit Kanatami est notre organisation nationale. Nous sommes en rapport avec d’autres régions inuites pour savoir ce qu’elles font pour revitaliser la culture ou la langue.

La sénatrice Eaton : Le lien avec les chiens s’est rompu. En va-t-il de même du lien avec la pêche? Vous avez parlé de retourner sur l’eau. Avez-vous cessé de naviguer?

Mme Webb : Certaines familles vont encore sur l’eau. C’est une question de finances. Les gens n’ont plus autant de bateaux que par le passé. Bien des familles ne vont pas sur l’eau maintenant. Par conséquent, elles ne peuvent transmettre ce savoir aux jeunes, car elles n’ont pas l’occasion de naviguer.

Le président : Avez-vous une question complémentaire?

La sénatrice Eaton : N’avons-nous pas tous entendu dire qu’étant donné que le passage du Nord-Ouest n’est pas cartographié, nous devrions nous fier au savoir traditionnel et aux connaissances des Inuits sur l’eau? Merci.

Le président : Avez-vous une question complémentaire, sénateur Neufeld?

Le sénateur Neufeld : Ma question complémentaire concerne l’enseignement, une activité bénéfique. Toutefois, qu’en est-il de l’avenir? Qu’est-ce qui incite les gens à rester là s’il n’y a plus de chasse et de pêche? Je ne devrais pas dire que ces activités ont disparu, mais elles se sont considérablement raréfiées. Quel avenir attend ces jeunes? Où trouveront-ils de l’emploi? Quel est le plan?

Mme Webb : C’est vraiment une excellente question. Un grand nombre de jeunes se dirigent vers les métiers à cause de Voisey’s Bay. Le gouvernement du Nunatsiavut offre aussi de nombreux emplois. Ils peuvent aussi travailler pour les services de santé dans nos communautés. Les jeunes peuvent encore se trouver de l’emploi dans divers domaines. Nombreux sont ceux qui quittent la région pour aller à l’université et au collège et ne reviennent pas.

Je ne peux pas nécessairement vous dire s’il existe un plan à long terme. L’éducation n’est pas de mon ressort. Je peux toutefois assurer le suivi avec le sous-ministre de l’éducation et vous transmettre ensuite de l’information sur les plans d’avenir concernant les jeunes.

Le sénateur Neufeld : Merci.

Le président : Merci, madame Webb.

La sénatrice Bovey : Vous avez parlé de l’éducation et, plus tôt, de l’histoire des Autochtones. J’aimerais savoir comment vos programmes, particulièrement ceux qui s’adressent aux jeunes, s’inscrivent dans le programme d’enseignement. Les programmes portant sur l’histoire autochtone sont-ils offerts au-delà du parc? Sont-ils intégrés au programme d’enseignement de la région pour que l’on puisse transmettre l’information et le fruit de la recherche à un public plus vaste que les quelque 1 000 visiteurs qui viennent chaque année?

M. Baikie : C’est une bonne question. La recherche dans le parc est soutenue par les Inuits. Ce sont eux qui la dirigent, car ils en ont besoin. Vous avez posé une question sur l’éducation?

La sénatrice Bovey : Oui. Vous avez parlé de l’histoire autochtone.

M. Baikie : Oui.

La sénatrice Bovey : Je me demandais comment vous transmettez l’information à d’autres personnes que les visiteurs du parc.

M. Baikie : Oui.

La sénatrice Bovey : Comment transmettez-vous le fruit de tous les efforts que vous investissez et de l’excellent travail que vous réalisez à l’extérieur du parc pour le communiquer dans d’autres régions du Labrador, de Terre-Neuve, du Nunatsiavut et du Canada afin de diffuser ce savoir et cette culture?

M. Baikie : Dans le parc national des Monts-Torngat, Parcs Canada commence à peine à utiliser les médias sociaux afin de faire connaître les objectifs de la recherche et certaines découvertes et informations issues de la recherche à la population canadienne.

Nous tentons d’examiner des manières de faire connaître le parc dans le Sud, parce que ce n’est évidemment pas tout le monde qui viendra le visiter. Seules quelques personnes pourront explorer les monts Torngat. Pour diffuser l’information, il faudra utiliser la technologie pour faire connaître le parc dans le Sud. Il y aura aussi le nouveau centre Illusuak, à Nain. Il s’agit du nouveau centre culturel des Inuits du Labrador qui servira lui aussi de plateforme pour fournir de l’information sur la recherche et la manière dont les jeunes et les aînés y participent.

La sénatrice Bovey : Monsieur le président, vous m’avez rendue deux fois plus triste que nous n’ayons pu atterrir à Nain. C’était un parc magnifique à survoler. Nous l’avons survolé dans les deux directions, mais nous avons manqué de nombreux éléments du parc.

Le président : Nous devons nous rendre là-bas.

M. Baikie : Nous nous réjouirions si vous teniez l’une des séances de votre comité au camp de base des Torngats.

La sénatrice Coyle : Je m’intéresse à votre stratégie future. Vous êtes en train de déterminer le prochain groupe qui gérera le camp de base, et j’imagine qu’il s’occupera de la gestion, de la commercialisation et de la promotion d’une vision grandiose. Envisagez-vous d’avoir recours à un modèle fondé sur une clientèle plus exclusive et haut de gamme, à un modèle qui vise à attirer un plus grand nombre de personnes, ou à un mélange de ces deux modèles?

M. Baikie : Il s’agira d’un mélange des deux. C’est une question de compréhension du marché. Nous avons amélioré notre compréhension de la composition et de l’origine du marché. Nous pouvons donc cibler à la fois l’élite et le grand public.

Les occupants du camp de base deviennent comme une famille, si vous pouvez imaginer cela. Que vous soyez une célébrité ou une personne qui a économisé pendant trois ans pour visiter le parc, vous êtes traité de la même façon. Vous devenez un membre de la famille. Quels que soient les chapeaux que vous portez, ils tombent simplement.

Nous voulons commercialiser le parc auprès du grand public, des Inuits et de l’élite. Nous cherchons aussi à ramener les Inuits dans leur patrie, avec l’aide de l’exploitant, des entreprises et de Parcs Canada.

La sénatrice Coyle : Merci.

Le président : Je vous remercie infiniment de vos témoignages. Nous vous en sommes très reconnaissants.

C’est avec plaisir que je vous souhaite de nouveau la bienvenue à la deuxième partie de la séance du Comité spécial sur l’Arctique. Au cours de cette partie, je suis heureux d’accueillir la représentante de l’Inuit Art Foundation, Alysa Procida, directrice générale et éditrice. Nous recevons également un représentant de la West Baffin Eskimo Cooperative, à savoir William Huffman, directeur du marketing.

Je vous remercie beaucoup de vous être joints à nous. Je suis certain que nous aurons des questions à vous poser. Je vous inviterai chaque fois à faire votre déclaration préliminaire.

Alysa Procida, directrice générale et éditrice, Inuit Art Foundation : Je vous remercie beaucoup de votre accueil. C’est un véritable privilège d’être parmi vous aujourd’hui.

Comme le président l’a mentionné, je suis directrice générale de l’Inuit Art Foundation. Vous nous connaissez peut-être surtout par l’intermédiaire de notre magazine, l’Inuit Art Quarterly, qui se trouve juste ici — merci, sénatrice Bovey. Toutefois, notre organisation est beaucoup plus vaste que cela, et je me réjouis de vous fournir un peu de contexte à propos de nos activités et de certains des problèmes auxquels nous faisons face.

L’Inuit Art Foundation est le seul organisme national à représenter tous les artistes, quelle que soit leur discipline et quelle que soit la région ou la collectivité où ils travaillent dans l’ensemble de l’Inuit Nunangat ou dans le Sud du Canada. Notre mandat est élargi de plus en plus afin de nous permettre d’étudier les liens qui existent entre les artistes autochtones des régions circumpolaires. Notre organisation a été constituée en personne morale en juin 1987, en réalité à la suite de la dissolution du Conseil canadien des arts esquimaux, qui relevait d’Affaires autochtones et du Nord Canada. Je mentionne très brièvement que le conseil avait pour mandat de contribuer à promouvoir l’art inuit, à le commercialiser et à assurer sa qualité. Les Inuits avaient l’impression que ce mandat n’était plus approprié. Ils ont donc dissolu le conseil et, pendant la même période, ils ont constitué en personne morale la fondation, non pas pour remplacer le conseil, mais plutôt pour régler de nouveaux problèmes qui étaient survenus dans le domaine artistique inuit et qui touchaient principalement les artistes inuits.

Notre organisation est dirigée par des Inuits. Depuis 1994, notre conseil d’administration est composé entièrement de membres inuits ou d’une majorité de membres inuits. Les membres de notre haute direction doivent toujours être des Inuits. Nous nous efforçons d’avoir un effectif représentatif des diverses régions géographiques, mais aussi des diverses disciplines et compétences.

Outre la publication Inuit Art Quarterly, nous offrons une gamme de programmes de soutien parce que notre organisation est la seule à avoir une portée nationale. Par contre, nous ne sommes pas les mieux placés pour prendre les mesures que prennent les organisations régionales. Par exemple, nous ne pourrions jamais exercer les mêmes activités que Dorset Fine Arts, la West Baffin Eskimo Co-Operative, la Nunavut Arts and Crafts Association ou l’Institut Culturel Avataq. Nous offrons un système de soutien national afin de combler les lacunes systémiques que doivent affronter les artistes inuitsdes 51 collectivités de l’Inuit Nunangat et les artistes qui déménagent dans le Sud du Canada, une région qui contribue à une part de plus en plus importante du marché et des retombées économiques de l’art inuit.

Pour mettre les choses en perspective, je précise que l’art n’est pas uniquement une question de retombées économiques — c’est une question de culture, de revitalisation et de résilience —, mais l’Étude sur les retombées économiques de l’art inuit de 2017, qui a été publiée récemment par Affaires autochtones et du Nord Canada, estime qu’il y a environ 13 650 artistes inuits qui travaillent au Canada de nos jours. Cela représente à peu près 26 p. 100 des Inuits âgés de 15 ans et plus. C’est donc un nombre très important. Le marché de l’art engendre des recettes annuelles de 87,2 millions de dollars qui contribuent au PIB du Canada. Il s’agit là d’un vaste marché qu’il est essentiel d’appuyer.

Je vais maintenant vous donner brièvement une idée des programmes que nous offrons.

Le président : J’ai manqué ce chiffre.

Mme Procida : 87,2 millions de dollars par année.

Le président : Merci beaucoup.

Mme Procida : 13 650 artistes.

Le président : Merci.

Mme Procida : Cela représente environ 26 p. 100 de la population inuite âgée d’au moins 15 ans, ce qui est considérable.

Nous sommes surtout connus pour notre magazine, Inuit Art Quarterly. C’est le seul magazine de la planète qui est consacré aux artistes autochtones des régions circumpolaires. C’est aussi la seule publication au Canada et à l’étranger qui est connue pour sa couverture de l’art inuit. Bien que ce soit inhabituel pour des magazines imprimés, je suis heureuse de signaler que notre diffusion payée est plus élevée aujourd’hui qu’elle ne l’était il y a 31 ans, ce qui est un signe très encourageant pour la santé de l’art inuit et pour la puissance des publications imprimées, je dirais, si je coiffais brièvement un autre chapeau.

Nous nous employons à sensibiliser le public aux artistes inuits, à engendrer un discours critique au sujet de leurs œuvres et à appuyer les nouvelles voix des écrivains du domaine artistique. Nous avons démontré que nous nous engagions à appuyer les écrivains autochtones en particulier. Au cours des trois dernières années, le nombre d’écrivains autochtones dont les écrits sont publiés dans chaque numéro du magazine a augmenté de plus de 40 p. 100, ce qui est vraiment une réalisation remarquable. Comme vous le savez, bon nombre d’artistes du Nord n’ont pas acquis les compétences nécessaires pour écrire à propos de leurs œuvres, souvent en raison du faible niveau de scolarisation et de l’absence d’universités établies dans le Nord. Plus précisément, il n’y a aucune école d’arts dans le Nord. Le Nunavut Arctic College offre quelques programmes, mais ce n’est pas tout à fait la même chose. Nous avons pris un engagement, et je suis très fière de vous informer que, l’année dernière, pour la première fois dans notre histoire, notre publication a remporté un prix. Il a été vraiment gratifiant d’être témoin de cela.

Nous gérons également la base de données IAQ Profiles, qui contient des descriptions biographiques détaillées des artistes inuits. Cette base de données découle d’un ancien programme offert par le Centre d’art autochtone d’Affaires autochtones et du Nord Canada, dans le cadre duquel des biographies des artistes inuits étaient rédigées à titre de service. Malheureusement, ce programme a été annulé au milieu des années 1990.

L’élaboration d’un dossier de carrière et la rédaction de CV sont des compétences importantes pour tout artiste. Nous comblons cette lacune en aidant les artistes à rédiger leur biographie et à garder le contrôle de leurs œuvres. Ce qui est crucial, c’est le fait qu’IAQ Profiles est la première base de données biographique de ce genre qui n’ajoute pas les données d’un artiste sans avoir obtenu son consentement écrit et qui permet aux artistes de contrôler complètement ce qui est écrit à leur sujet.

De plus, ce qui importe réellement à propos de la base de données et des profils, c’est que les artistes du Nord ignorent souvent où leurs œuvres sont collectionnées, exposées ou critiquées dans le Sud. Nous bouclons cette boucle parce que nous avons investi dans un nombre assez important de ressources afin de nous assurer que les profils peuvent être consultés dans des milieux où la largeur de bande est faible. Je suis certaine que je n’ai pas besoin de vous dire que l’infrastructure qui fournit la largeur de bande dans le Nord n’est pas identique à celle qui existe dans le Sud du Canada. Cet accès est réellement prioritaire pour nous.

L’année dernière, nous avons également pris en charge la gestion de l’emblématique étiquette Igloo, que vous connaissez probablement bien.

Cette étiquette a été créée en 1958 par le gouvernement fédéral de manière à protéger les artistes inuits et le marché naissant de sculptures inuites contre de fausses œuvres coulées et moulées à l’étranger. C’était remarquablement prévoyant de la part du gouvernement, et c’est la seule marque de commerce de ce genre au pays qui protège les artistes autochtones.

Selon l’Étude sur les retombées économiques de l’art inuit, cet art apporte une contribution annuelle de 3,5 millions de dollars au PIB du Canada. De plus, 3,5 des 87,2 millions de dollars que rapporte ce marché sont attribuables à la vente de produitsportant l’étiquette Igloo. Les collectionneurs ont confiance en cette marque de commerce, qui contribue à protéger les artistes.

Nous menons en ce moment une vaste consultation des artistes de l’ensemble de l’Inuit Nunangat et du Sud ainsi que des autres intervenants afin de déterminer comment cette marque de commerce pourrait être adaptée et élargie pour s’appliquer aux œuvres qui sont créées de nos jours, comme des bijoux, des vêtements, d’éventuels spectacles ou des films. Cette discussion qui est en cours est très intéressante. Nous sommes très fiers de préserver l’héritage de cette marque de commerce de grande importance.

Nous offrons aussi des bourses et des programmes de prix de distinction. Depuis de nombreuses années, nous décernons le prix Virginia J. Watt, qui contribue à financer les études postsecondaires d’Inuits. Le plus récent lauréat du prix est Nancy Saunders, ou Niap, qui est originaire de Kuujjuaq. Elle a étudié à l’Université Concordia et a produit une magnifique œuvre artistique dans le cadre de ses travaux de cours. Le Musée des beaux-arts de Montréal vient d’acquérir cette œuvre.

Nous décernons aussi le prix commémoratif Kenojuak Ashevak tous les deux ans. Il nous permet de remettre jusqu’à 10 000 $ à un artiste afin qu’il puisse suivre la formation de son choix. L’an dernier, l’artiste de scène Laakkuluk Williamson Bathory, qui est originaire d’Iqaluit a été le premier récipiendaire de ce prix.

Ce sont des services de soutien auxquels les Inuits n’ont pas souvent accès ou pas suffisamment accès. Voilà aussi deux exemples de la façon dont des investissements ciblés peuvent avoir un effet bénéfique sur la carrière et l’avenir d’un artiste. Nous sommes fiers d’offrir ces services. Toutefois, nous faisons face à de nombreux défis dans le cadre de la prestation de ces services, dont des lacunes en matière d’infrastructure et de sensibilisation. J’ai très hâte de discuter de ces défis avec vous aujourd’hui.

Le président : Merci beaucoup. Monsieur Huffman.

William Huffman, directeur du marketing, West Baffin Eskimo Cooperative : Merci, monsieur le président, merci, chers membres du comité.

Comme cela a été mentionné, je m’appelle William Huffman. Aujourd’hui, je représente à la fois la West Baffin Eskimo Cooperative, en ma qualité de membre de son personnel, et le centre culturel Kenojuak, en ma qualité de membre de son comité consultatif.

La coopérative, qui est une vénérable institution de l’Arctique, célébrera un anniversaire marquant en 2019, soit son 60e anniversaire. En revanche, le centre culturel Kenojuak est un nouvel élément du paysage culturel du Nord, puisqu’il a été inauguré en septembre dernier.

Je vais vous donner un aperçu des deux organisations, puis je vous donnerai une idée de la façon dont elles travaillent ensemble et des prochaines mesures que nous prévoyons de prendre.

Qu’est-ce que la West Baffin Eskimo Cooperative? Cette organisation est la plus ancienne et la plus fructueuse coopérative de l’Arctique. Il y a un réseau qui couvre l’ensemble du Nord. Cette organisation a été créée en 1959 afin de fournir des ressources aux artistes inuits qui travaillent au sein de la collectivité. Voilà le caractère tout à fait unique et essentiel de la West Baffin Eskimo Cooperative. Son principe fondateur consistait à alimenter la création et à maintenir une plateforme de distribution pour les arts visuels inuits.

Depuis sa création, la coopérative est chargée de faciliter la création de l’emblématique art inuit de Cape Dorset. Il s’agissait à l’origine d’un programme du gouvernement fédéral conçu pour engendrer des retombées économiques dans la région. Entre les mains des membres de la collectivité de Cape Dorset, la coopérative a prospéré et a apporté une renommée internationale à ses artistes. La création et la vente de l’art inuit constituent l’industrie locale la plus importante et la plus rentable de la région, ce qui est remarquable étant donné que Cape Dorset est situé dans le territoire du Nunavut, à environ 2 091 kilomètres directement au nord de la salle où nous siégeons. Cette collectivité est enfouie profondément dans le Nord, et elle est très éloignée de tout. Pourtant, c’est vraisemblablement la communauté artistique la plus active du Canada.

Bien entendu, il est difficile de fonctionner comme nous le faisons. Nous connaissons tous la longue liste des problèmes qui existent dans la région arctique du Canada. Cependant, je vais mettre l’accent sur notre remarquable exemple de réussite.

D’un point de vue structurel, notre siège social se trouve à Cape Dorset, mais, depuis 1976, un bureau satellite exerce ses activités dans le centre-ville de Toronto, et c’est là que je travaille. L’une de mes fonctions consiste à faire le lien entre les activités du Nord et du Sud, ce qui signifie qu’en tout et pour tout, je passe environ trois mois à Cape Dorset chaque année. Ce degré de présence à Cape Dorset est important, étant donné qu’il me permet de comprendre les besoins et les difficultés uniques de la communauté artistique. Notre organisation appartient à la collectivité. Environ 90 p. 100 des 1 400 habitants de Cape Dorset sont des actionnaires de l’organisation. Ses profits sont répartis entre les membres de la collectivité sous forme de dividendes annuels.

Que fait la coopérative? Notre raison d’être est la production et la distribution de gravures, de sculptures et de dessins produits par les artistes de Cape Dorset. Dans le cadre de l’exploitation de notre studio de Cape Dorset, nous fournissons aux artistes du matériel, un espace de travail, un mentorat et des possibilités de perfectionnement professionnel. Nos installations, qui ont été récemment réaménagées dans le centre culturel Kenojuak, sont composées de studios ultramodernes, en particulier ceux qui sont réservés à la gravure. Leur qualité rivalise avec celle de n’importe quel studio de la planète. Il convient de noter que le programme de gravure est le plus ancien programme de ce genre au Canada.

Outre nos activités de création artistique, nous participons activement à la gestion des carrières de nos artistes, notamment en veillant au respect des droits d’auteur et des droits de reproduction au nom des artistes vivants ou de leurs légataires. Cela signifie que toute personne ou institution qui souhaite reproduire, intégralement ou en partie, une œuvre d’art produite par un artiste de Cape Dorset doit obtenir l’autorisation de la coopérative.

En soi, ce travail représente une énorme entreprise, compte tenu de la fréquence à laquelle les œuvres des artistes de Cape Dorset sont représentées dans des publications, des projets de publicité et le marchandisage à l’échelle mondiale.

Lorsque je ne suis pas en train de passer une partie de mes trois mois à Cape Dorset, je passe trois autres mois au total à voyager au pays et à l’étranger afin d’élargir le profil de l’art inuit de Cape Dorset, ainsi que ses marchés. Je voyage principalement aux États-Unis et en Europe de l’Ouest. Mes déplacements stratégiques comprendront bientôt l’Asie, étant donné que nous observons un potentiel de croissance dans cette région.

La raison pour laquelle je mets l’accent sur le national et l’international, c’est qu’à tout moment, vous pouvez découvrir le travail de nos artistes quelque part dans le monde.

Au Brooklyn Museum de New York, nous avons établi une présence permanente pour l’art de Cape Dorset. L’Armory Centre for the Arts de Pasadena, en Californie, accueille actuellement une exposition qui célèbre trois générations de créatrices. Elle prend fin en décembre. En janvier 2019, la prestigieuse Power Plant Contemporary Art Gallery de Toronto accueillera une exposition rétrospective sur la carrière de Shuvanai Ashoona. Également en janvier, nous présenterons un symposium sur l’histoire de l’art inuit de Cape Dorset à l’ambassade du Canada à Paris. Cette initiative marquera le début de la solide relation que nous venons de nouer avec l’entreprise de vêtements Canada Goose.

Il ne fait aucun doute que notre bureau travaille avec un éventail d’intervenants, dont des musées, des galeries d’art, des entreprises et des gouvernements, sans oublier les professionnels du monde de l’art, les mécènes et les amateurs d’art.

Dans le cadre du forum d’aujourd’hui, nous entretenons des relations soutenues avec la Banque du Canada, la Monnaie royale canadienne, Postes Canada, le Musée des beaux-arts du Canada, le Conseil des arts du Canada, Affaires autochtones et du Nord Canada et Affaires mondiales Canada, pour ne nommer que ceux-là.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que tout cela est compliqué et coûteux. Nous sommes une entreprise prospère et rentable. Sur le plan financier, nous représentons un avantage financier considérable pour la collectivité.

Au cours de l’exercice 2017-2018, nos artistes ont gagné collectivement plus de 1 million de dollars pour leur production artistique. Quand je dis « artistes », cela englobe tout le monde, des générations émergentes aux générations plus âgées.

Également en 2017-2018, la coopérative a versé plus de 400 000 $ en salaires pour tout ce qui concerne la production et la diffusion des arts visuels. L’an dernier, le programme de droits d’auteur que j’évoquais tout à l’heure a permis aux artistes de Cape Dorset ou à leur succession de recevoir plus de 109 000 $.

J’ose espérer que vous trouvez tout cela un tant soit peu imposant, et vous auriez raison de le penser. Nous sommes extrêmement fiers de l’ampleur et de la qualité de nos activités.

J’aimerais maintenant parler du centre culturel Kenojuak, qui, comme je l’ai mentionné, est le nouveau site de la West Baffin Eskimo Cooperative et de ses studios de beaux-arts. C’est aussi un lieu public d’exposition et de rassemblement communautaire où l’on peut enfin présenter et contempler l’art et l’histoire qui nourrissent et animent cette communauté depuis près de 60 ans.

La construction et l’exploitation du centre culturel Kenojuak ont été rendues possibles grâce à un partenariat novateur entre le hameau de Cape Dorset et la West Baffin Eskimo Cooperative. La campagne de financement organisée à cette fin a permis de recueillir 3 290 000 $ auprès de plus de 100 sociétés, fondations et philanthropes. Le gouvernement du Canada et le gouvernement du Nunavut ont fourni 8 des 11 millions de dollars visés par la campagne de financement dans son ensemble.

Ce centre est très important pour Cape Dorset. Il l’est aussi pour le Canada et pour l’Arctique canadien. Il y a tant de premières associées à la réalisation du centre culturel de Kenojuak. Par exemple, j’ai eu le privilège de cocréer la première installation qui y a été présentée. C’était la première fois qu’une exposition des œuvres de Kenojuak Ashevak était présentée à Cape Dorset, sa ville natale. Cette exposition sera présentée à d’autres endroits au Canada dans le cadre de la programmation du 60e anniversaire de la West Baffin Eskimo Cooperative. C’est la première fois qu’une exposition de cette envergure est organisée dans l’Arctique canadien et diffusée dans tout le pays.

Nous vivons une époque passionnante. Nous devrions tous nous réjouir de l’évolution de la situation à Cape Dorset et de la façon dont cette nouvelle infrastructure va ouvrir des portes et créer de nouvelles possibilités d’expression créatrice pour les Inuits.

Que nous réserve l’avenir? La réponse courte c’est que les possibilités qui s’offrent à nous sont vastes. Quel est le rapport avec la discussion d’aujourd’hui?

Cette activité à la fois récente et sans précédent est le fruit de la coopération, du leadership et d’une réflexion à très grande échelle. La West Baffin Eskimo Cooperative a toujours été un catalyseur, et elle continue de favoriser et de promouvoir l’art inuit tout en préservant la santé et le bien-être de ses intervenants communautaires. L’organisme a des ancrages solides et d’une importance névralgique à Cape Dorset et, en même temps, il contribue de façon importante au discours international sur les arts visuels. Notre compréhension approfondie de ce qui constitue des opérations efficaces dans le Nord est complétée par la connaissance poussée que nous avons de la communauté internationale.

Nous avons beaucoup à offrir pour la prospérité du Nord et pour positionner le Nord sur la scène internationale. Je sais que nous sommes un organisme régional. Or, bien que nos activités soient ostensiblement locales, nous avons les reconnaissances et la stratégie voulues pour nous engager bien au-delà des frontières municipales. Je pense que notre philosophie et notre structure pourraient être transposées à d’autres dynamiques et à d’autres communautés.

C’est en ces termes que je souhaite m’incruster dans la discussion d’aujourd’hui. Nous sommes ravis de l’occasion qui nous est donnée de participer à des forums comme celui-ci, et nous vous demandons de nous inclure plus régulièrement dans ces conversations. Au cours de nos six décennies d’existence, nous avons montré nos capacités et notre efficacité. Nous serions heureux de vous faire part de nos réflexions et de notre expérience, à vous ainsi qu’aux intervenants de tous les échelons du gouvernement fédéral.

L’Arctique est un endroit immense qui offre d’énormes possibilités. Qu’il s’agisse de façonner des idées ou de déployer des ressources, notre apport ne saurait arriver à un meilleur moment. Au nom de la West Baffin Eskimo Cooperative et du centre culturel Kenojuak, nous sommes prêts à prêter main-forte.

Monsieur le président, distingués membres du comité, je vous remercie.

Le président : Merci beaucoup à vous deux pour vos exposés. Nous allons maintenant passer aux questions.

La sénatrice Bovey : Merci à vous deux d’être venus. Ce n’est pas un secret : tout le monde qui siège au comité et toutes les personnes que j’interpelle savent à quel point je crois que les arts visuels ont été importants pour le Nord du Canada — et pas seulement pour le Nord, mais pour le pays dans son ensemble. Je crois que depuis de nombreuses décennies — et je déteste admettre que j’ai participé activement à cinq des six décennies au cours desquelles le prince a fait ses visites annuelles. Cela ne nous rajeunit pas.

Pendant de nombreuses années, je crois que c’est l’art inuit qui a fait la renommée du Canada à l’étranger. Ces dernières années, j’ai été préoccupée par le fait que cette renommée n’était peut-être pas aussi solide que je le croyais, puisqu’il a fallu procéder à la restructuration que l’on sait. Je pense que le magazine est fantastique. Vos profils sont incroyables. Je les communique à tous ceux qui veulent les recevoir de moi.

Je vais vous faire part d’une de mes préoccupations actuelles. J’espère que vous pourrez la dissiper. Compte tenu des changements apportés au financement du Conseil des arts du Canada, j’aimerais savoir ce que vous pensez du taux de succès de ces artistes canadiens d’origine inuite hautement acclamés qui vivent dans des collectivités où l’Internet et la fibre optique ne se rendent pas et qui ne peuvent donc pas télécharger les documents nécessaires pour présenter des demandes de subvention, du moins, pas dans leur forme actuelle.

Mon autre question est la suivante : les artistes inuits doivent-ils aussi avoir eu trois expositions individuelles dans les grandes galeries, les galeries publiques, avant d’être admissibles à certaines de ces subventions? Si oui, où exposent-ils? À Whitehorse? À Yellowknife? Je suis ravie du nouveau centre. Je suis ravie que le nouveau centre soit là. Le Musée des beaux-arts de Winnipeg, le Musée des beaux-arts du Canada... Il y en a peut-être cinq. Comment s’y prennent-ils?

Le président : Je pense que ces questions s’adressent à vous deux.

La sénatrice Bovey : Oui, elles s’adressent à vous deux. Allez-y comme vous le sentez.

Mme Procida : Je suis certaine que nous avons des expériences similaires.

Ce n’est un secret pour personne que l’accès aux bourses a toujours été difficile pour les artistes inuits, pour les raisons que vous avez mentionnées. Les problèmes relatifs aux infrastructures en sont une. Vous avez parlé du Conseil des arts du Canada. Le fait que l’organisme n’accepte principalement et exclusivement que des demandes en ligne a été problématique. J’ai essayé d’en télécharger une à Iqaluit. C’était vraiment à la toute dernière minute, mais j’y suis arrivée.

Cependant, je crois que les choses sont en train de changer. Le conseil a déployé des efforts concertés pour embaucher des agents de programme inuits, en particulier pour son nouveau programme « Créer, connaître et partager » qui, si je ne m’abuse, a des exigences différentes en matière d’accès au financement. Il a été utile pour la Fondation de l’art inuit d’avoir mis en place son nouveau modèle, et nous avons aidé d’autres artistes à présenter des demandes de bourse. Toutefois, il reste encore beaucoup à faire avant d’avoir un accès égal pour tous les programmes de bourses, qu’il s’agisse du Conseil des arts du Canada ou d’autres organismes.

L’une des recommandations fermes formulées par les gens du Nord est d’avoir des agents sur place, ce qui, je le sais, constituerait un défi pour n’importe quel organisme. C’est important. La langue est importante. Je pense aussi qu’il faut sensibiliser les gens et leur faire comprendre ce que sont les bourses, pourquoi elles sont utiles et importantes, et en quoi elles sont différentes des subventions. C’est une conversation à plus long terme, mais nous continuons de l’entretenir.

Le président : Aimeriez-vous ajouter quelque chose, monsieur Huffman?

M. Huffman : J’ai eu de longues conversations avec le Conseil des arts du Canada. Je suis un ancien employé de cet organisme et je connais certains des problèmes auxquels il doit faire face. J’ai aussi fait partie du Comité consultatif du Nord.

Il est presque impossible d’offrir des programmes dans le Nord de la même façon qu’ailleurs au pays. D’après mon expérience locale à Cape Dorset et en revenant sur l’historique de cet incroyable épicentre de la culture, je peux vous dire que le nombre d’artistes à avoir reçu une bourse du Conseil des arts est pratiquement nul.

La sénatrice Bovey : Me voilà fixée.

M. Huffman : Nous avons commencé à travailler avec le Conseil des arts du Canada. Nous avons commencé à travailler avec nos artistes. Je fais office de tampon. C’est moi qui prête main-forte pour la présentation des demandes. À Toronto, nous avons le luxe de pouvoir soumettre les demandes par Internet haute vitesse par l’entremise du portail.

L’élément clé de la discussion avec le Conseil des arts du Canada ressemble beaucoup à ce que vous venez de mentionner : il faut une présence locale. Il y a eu une entente bilatérale entre le Conseil des arts du Canada et le gouvernement du Nunavut, mais elle s’est considérablement détériorée. Je ne sais pas pourquoi. D’après mon expérience, ce n’est pas au territoire d’exécuter les programmes, mais bien aux régions.

Nous avons proposé la West Baffin Eskimo Cooperative comme cas type pour voir si nous pouvions offrir des programmes pour la communauté de Cape Dorset au nom du Conseil des arts du Canada. Nous voulons voir ce à quoi cela pourrait ressembler. Nous n’en sommes qu’au début. D’après nous, les échanges de ce type sont ceux qu’il nous faut pour faire fonctionner le système.

La sénatrice Bovey : Je vais suivre cela avec beaucoup d’intérêt. Je veux me rendre à Paris parce que certaines des plus importantes collections d’art inuit des débuts sont là — la culture thuléenne jusqu’à Cape Dorset, Baker Lake, Rankin Inlet. Avez-vous l’impression que le programme que vous allez présenter à Paris en janvier est en train de susciter un intérêt d’envergure?

M. Huffman : C’est intéressant. Je ne sais pas si vous le saviez — je viens de l’apprendre —, mais il y a un groupe d’étude inuktitut qui fait partie de l’ambassade du Canada à Paris. Il y a un groupe qui se réunit et qui a des conversations — je ne sais pas si c’est par téléphone haut-parleur ou par Skype, mais cela fonctionne — avec certains artistes du Nord. Ce sont des gens qui sont très bien informés. J’ai eu un entretien avec l’une des déléguées de ce comité, et certaines de ses réponses étaient en inuktitut.

Vous avez tout à fait raison, cette exposition suscite un intérêt sans précédent. L’ambassade a joué un rôle essentiel quant à l’établissement de liens entre toutes ces parties prenantes à Paris. Bien sûr, nous arrivons pile parce qu’on vient d’ouvrir le nouveau Centre culturel canadien. Je pense que nous sommes la deuxième plus grande initiative autochtone après Kent Monkman, qui a ouvert l’espace. Cela pourrait donner un grand coup. Bien entendu, derrière cela, il y a l’influence que Canada Goose exerce sur cette initiative en Europe. Canada Goose est un acteur important sur le marché parisien et le marché européen en général. Je crois que nous avons bien aligné les bons éléments pour faire un immense succès de cette programmation et pour ramener en quelque sorte l’art inuit dans cette communauté.

Mme Procida : Si vous me permettez d’ajouter ceci : je n’ai rien de particulier à dire à propos de cette initiative, sinon qu’elle nous rend très enthousiastes. Notre engagement à l’échelle internationale confirme également ce que vous dites au sujet de la sensibilisation internationale. Trente-trois pour cent de nos abonnés sont à l’extérieur du Canada. Un nombre important d’entre eux se trouvent aux États-Unis, mais aussi en Europe de l'Ouest, y compris en France, même si nous ne publions pas en français. Je pense qu’il y a déjà un auditoire, et des initiatives comme celle dont vous parlez sont essentielles pour maintenir cet intérêt et poursuivre cette sensibilisation. Nous sommes également très enthousiastes, comme vous pouvez l’imaginer, à l’idée qu’Isuma représente le Canada à la Biennale de Venise l’an prochain. Tout cela est très stimulant.

La sénatrice Bovey : Permettez-moi de poursuivre sur la question internationale. Qu’en est-il du Japon? Peut-être que je ne veux pas compter les années, mais il y a un bon bout de temps, sous une autre forme, nous avons fait une exposition qui jumelait des estampes inuites et les œuvres d’un graveur japonais. J’aimerais vraiment que vous nous parliez de la possibilité d’aller de l’avant et d’étendre cet impact. Je n’ai pas encore lu tout le rapport sur l’économie artistique inuite que nous avons publié aujourd’hui, mais ce que j’ai lu m’a beaucoup impressionnée. Quelles sont vos démarches en ce qui concerne les liens avec l’Asie? Parce qu’il y a une sensibilité symbiotique.

M. Huffman : En fait, comme vous le savez, le studio a été conçu selon un modèle japonais. Bien sûr, c’est tout à fait logique. Vous pouvez imaginer que l’esthétique et les techniques sont bien connues de la communauté créative japonaise, de la communauté asiatique en général.

La réponse à votre question est en deux parties. Pour commencer, j’aimerais vous donner plus d’informations. Nous n’en sommes qu’aux premières démarches. C’est un processus de reconstruction. Nous avions de nombreux liens avec l’Asie, des liens profonds, en particulier avec le Japon. Ces liens n’existent plus. Nous sommes 60 ans plus tard. Il y a eu un changement de génération. Beaucoup d’intervenants que nous connaissions ne sont plus actifs. Cela dit, lors de la dernière réunion à laquelle j’ai assisté, mon conseil d’administration m’a chargé de mettre au point une campagne pour ramener l’art inuit en Asie — le Japon étant l’une des régions cibles.

Le processus d’exploration me procure beaucoup d’enthousiasme. Comme je connais les liens que nous avions là-bas, le fait que nous décidions de cibler l’Asie en tant que région et que nous cherchions à y ramener l’art inuit, c’est un processus formidable.

La sénatrice Bovey : Monsieur le président, je crois que cela rejoint notre 6e volet.

Le président : Le volet international.

La sénatrice Bovey : L’Arctique sur la scène internationale. Je crains de vous avoir fait passer de la communauté arctique à la scène internationale. Je crois que les deux sont interreliés.

Le sénateur Oh : Merci à notre groupe d’experts. Vous avez mentionné qu’au cours de l’exercice 2017-2018, les artistes ont gagné collectivement plus de 1 million de dollars pour leurs créations. Combien cela fait-il par personne?

M. Huffman : Nous travaillons généralement avec une centaine d’artistes actifs; donc, si on divise 1 million de dollars par 100, on obtient...

Le sénateur Oh : C’est 100 000 $ par artiste.

M. Huffman : Voilà. Cela ne signifie pas que chacun d’entre eux reçoit 100 000 $; certains gagnent beaucoup plus que d’autres.

Le sénateur Oh : Les artistes plus connus et plus réputés toucheraient un montant plus élevé?

M. Huffman : Oui. Dans le monde de l’art contemporain, les artistes plus médiatisés et plus actifs valent plus cher. Cela se manifeste aussi dans la façon dont nous travaillons avec nos artistes. Certains de nos artistes sont beaucoup plus actifs que d’autres parce qu’ils enseignent ou parce qu’ils ont des enfants. Il y a toutes sortes de raisons qui expliquent pourquoi les artistes ne gagnent pas le même montant d’argent.

Le sénateur Oh : La plupart des œuvres d’art sont-elles vendues au Canada ou à l’étranger?

M. Huffman : Il existe un marché canadien très vigoureux pour ces œuvres. La plupart de nos galeries sont situées au Canada, comme en témoigne la répartition géographique des personnes avec qui nous collaborons. Les États-Unis et l’Europe de l’Ouest nous offrent également de plus en plus de possibilités.

Le sénateur Oh : Faites-vous de la promotion auprès des galeries d’art pour y exposer les œuvres d’artistes du Nord?

M. Huffman : Absolument. J’ai mentionné tout à l’heure que nous nous occupons d’orienter les carrières des artistes, en plus de gérer les studios à Cape Dorset et nos activités à Toronto. Je voyage beaucoup avec les artistes, souvent à des fins de perfectionnement professionnel. Nous offrons également des programmes de résidence, par exemple, en collaboration avec le musée de Brooklyn. Une fois par année, nous amenons des artistes à Brooklyn en vue d’un programme de résidence de deux semaines au musée. Les artistes assistent aux expositions de leurs œuvres pour apporter des précisions, entamer des discussions et interagir avec le public. Oui, nous faisons ce genre de travail.

Le sénateur Oh : Des observations?

Mme Procida : Oui. Ce qui se passe à Kinngait ou à Cape Dorset est le résultat d’un merveilleux programme qui existe depuis longtemps. Pour notre part, nous assumons un rôle très différent, car nous sommes non seulement une sorte d’organisme national, mais aussi un organisme de bienfaisance. Nous ne faisons pas la promotion des carrières d’artistes, comme le font les gens à Dorset Fine Arts.

Quand on pense à une économie et à un marché axés sur l’art inuit, il importe de reconnaître qu’il y a une foule d’expériences différentes. L’infrastructure qui est en place depuis 60 ans à Kinngait ou à Cape Dorset — une infrastructure très solide qui a été remarquablement bien maintenue — n’existe pas dans les 50 autres communautés de l’Inuit Nunangat. Les politiques en matière d’art, les structures de soutien et l’accès au matériel et à l’éducation varient d’une région à l’autre dans l’Inuit Nunangat. Notre rôle consiste à faire de notre mieux pour essayer de combler ces lacunes.

Un des meilleurs exemples récents a été la sensibilisation accrue de la population au travail des artistes du Nunatsiavut, d’où viennent Gary et Belinda. Les œuvres de ces artistes avaient été complètement exclues de l’histoire de l’art inuit pendant des décennies parce qu’ils n’étaient pas considérés comme des Inuits.

Nous n’avions pas le droit d’utiliser l’étiquette L’Igloo sur les œuvres des artistes du Nunatsiavut jusqu’au milieu des années 1990. Même aujourd’hui, ce programme est très inaccessible là-bas. Il s’agit donc d’une de nos priorités, car ces mesures de soutien ne sont pas réparties équitablement.

Par ailleurs, les artistes déménagent de plus en plus dans le Sud. Ils sont ainsi encore plus à l’écart des programmes de soutien qui pourraient être disponibles dans le Nord, ce qui est parfois une façon paradoxale d’aborder la question. Le Nord est considéré comme étant très éloigné.

En outre, nous nous intéressons beaucoup aux questions de savoir comment faire en sorte que les artistes aient les mêmes possibilités financières que celles dont ils bénéficient par l’entremise de la WBEC et de DFA. Comment pouvons-nous promouvoir les œuvres et les artistes sur la scène internationale? Tel est l’objectif de l’Inuit Art Quarterly et d’un certain nombre d’autres programmes que nous offrons, notamment la base de données IAQ Profiles et la marque de commerce. Celle-ci est reconnue à l’échelle internationale comme le symbole de l’authenticité de l’art inuit.

Il est fort probable d’en élargir la portée, particulièrement dans le monde circumpolaire. On pense souvent à l’axe nord-sud, et le « sud » peut vouloir dire bien des choses. Les gens souhaitent de plus en plus assister à des échanges intéressants entre les Inuits non seulement au Canada, au Groenland, en Alaska et en Russie, mais aussi avec les artistes lapons. Il s’agit là d’un terrain fertile qui mérite d’être exploré. Une partie de ce travail a été accomplie au fil des ans, mais il y a beaucoup plus de possibilités à exploiter.

Le sénateur Oh : Les œuvres d’art et les artistes de qualité ont besoin de promotion et de bonnes stratégies de marketing. Merci de votre excellent travail.

Mme Procida : Merci.

La sénatrice Galvez : Merci beaucoup de tout le travail que vous accomplissez.

Je voudrais faire suite à la question posée par le sénateur Oh au sujet du montant d’argent que reçoivent les artistes parce que cela ne donne que 10 000 $. Quelle sorte de vie les artistes mènent-ils dans le Nord, à Dorset Fine Arts? Que possèdent-ils? Une maison? Quels sont les produits de base? Ont-ils un atelier? En quoi la vente de leurs œuvres d’art permet-elle d’améliorer leur qualité de vie?

M. Huffman : Pour démêler la question, en ce qui concerne le droit à la propriété à Dorset, je rappelle que presque personne n’est propriétaire de sa maison à Cape Dorset. Il s’agit de terres territoriales; elles sont louées par le territoire. Il existe quelques exceptions.

Il y a beaucoup de subventions. Vous pouvez imaginer à quel point c’est coûteux. Vous avez visité le Nord, j’en suis sûr. C’est incroyable : quand je fais l’épicerie à Cape Dorset, je me retrouve avec une facture de plusieurs centaines de dollars pour des choses qui me coûteraient une fraction du prix dans le Sud.Les coûts sont excessivement élevés. Sans l’appui et les subventions du territoire, je ne pense pas que les artistes ou les résidants pourraient y vivre.

Encore une fois, lorsqu’on tient compte du montant de 1 million de dollars répartis entre environ 100 artistes, cela signifierait qu’un certain nombre d’artistes gagnent une somme d’argent considérable et qu’ils se dévouent presque entièrement à leur art, alors que d’autres ont d’autres vocations comme l’enseignement ou le travail dans la fonction publique, à l’échelle fédérale ou territoriale.

En ce qui a trait aux ressources nécessaires pour produire des œuvres, nous fournissons tout le matériel à nos artistes. On peut donc dire que les artistes n’assument aucune dépense liée au matériel pour produire leurs œuvres. Comme le sénateur Patterson le sait, nous offrons un espace studio extraordinaire au centre culturel de Cape Dorset. En fait, de nombreux artistes travaillent au studio. D’autres choisissent de travailler chez eux. Nous essayons de tenir compte de leurs préférences et de veiller à ce qu’il y ait amplement d’espace pour permettre aux artistes de produire des œuvres.

Sans vouloir parler de ces défis, il est assez ardu, à bien des égards, de vivre dans l’Arctique. Pour ma part, je m’y suis habitué. Ayant passé assez de temps là-bas, je me rends compte à quel point il est difficile d’être non seulement un artiste — c’est déjà tout un défi —, mais aussi un résidant du Nord.

Selon nous, grâce aux nombreux programmes que nous avons mis en œuvre, le centre culturel sert maintenant de plaque tournante pour ce que nous appelons la table ronde des services communautaires, dans le cadre de laquelle nous nous réunissons pour discuter des enjeux plus vastes et de la façon dont nous pouvons, en tant que coopérative réussie, prêter main-forte sur le plan des soins de santé, de la nutrition et des services familiaux. Tous ces facteurs touchent nos artistes. Dans une communauté de 1 400 personnes, beaucoup de gens participent soit à la création, soit à la distribution et à la présentation d’œuvres d’art.

Nous avons commencé à étudier comment favoriser le bien-être au sein de notre communauté et pour nos artistes. C’est une grande question qui comporte beaucoup d’éléments mouvants.

La sénatrice Galvez : Vouliez-vous ajouter quelque chose?

Mme Procida : Oui, je ne crois pas qu’il soit inhabituel, dans le monde de l’art en général, que les artistes occupent un autre emploi pour compléter leurs activités artistiques. Cela n’a pas toujours été le cas dans le Nord en raison des incitatifs économiques offerts pour y encourager le développement du marché de l’art.

Une des possibilités dont disposent ou dont profitent souvent les artistes qui ne vivent pas dans le Nord — possibilité dont sont privés les artistes du Nord —, c’est d’occuper d’autres fonctions dans le domaine des arts. Il existe une pénurie bien documentée d’administrateurs d’activités artistiques, d’écrivains et de conservateurs d’origine inuite. Leur nombre augmente, mais c’est là une de nos priorités parce qu’il y a diverses façons importantes de permettre aux artistes de subvenir à leurs besoins grâce à leurs œuvres d’art, tout en appuyant leur pratique artistique par d’autres moyens.

Par exemple, nous nous sommes récemment associés au projet Pilimmaksarniq à l’Université Concordia, dirigé par Heather Igloliorte et financé par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada. Il s’agit d’un projet de sept ans, auquel participent de nombreux partenaires dans le Nord et le Sud, en vue de déployer des efforts concertés pour bâtir une nouvelle génération d’écrivains, de conservateurs et d’administrateurs d’activités artistiques d’origine inuite. Ces gens travaillent de plus en plus dans le Nord. Je sais que le centre culturel Kenojuak est administré par Louisa Parr, et il s’agit d’une nouvelle initiative emballante dans la région. Il y a tellement de possibilités de croissance.

Gagner sa vie en tant qu’artiste est difficile, peu importe les circonstances, mais c’est particulièrement le cas dans le Nord. Nous cherchons globalement à déterminer comment nous pouvons aider les gens à poursuivre une carrière axée sur l’art, et ce, de différentes façons. Selon moi, il s’agit là d’une pièce importante du casse-tête dont on n’entend pas souvent parler dans le cadre des discussions sur le marché de l’art. Il y a une grande différence, même pour moi, lorsque je décris ce que c’est que de visiter le Nord ou d’y vivre pendant un certain temps ou ce que je vois quand je regarde une œuvre d’art inuite. À quel point cette description diffère-t-elle de celle d’une personne qui parle l’inuktitut? En quoi une exposition est-elle différente lorsqu’une personne a vécu une telle expérience? Je crois que c’est un aspect important que plusieurs personnes s’emploient à faire avancer.

Le président : Merci.

La sénatrice Coyle : Je vous remercie tous les deux du travail que vous faites. Nous avons eu droit ce soir à une conversation très importante. J’ai des questions pour vous deux. J’essaierai d’être brève. Je vais commencer par vous, monsieur Huffman.

En ce qui concerne l’établissement du centre culturel Kenojuak, je vois que vous avez réussi à obtenir des fonds privés, parallèlement à des fonds de contrepartie de la part du gouvernement afin de mettre sur pied le centre. Je suis curieuse de connaître les coûts d’exploitation du centre et la façon dont ils sont gérés. Je vous poserai ensuite deux ou trois autres questions sur votre coopérative.

M. Huffman : C’est une très bonne question, et la réponse sera compliquée. Nous comptons sur tous les ordres de gouvernement pour obtenir des fonds d’exploitation. À l’heure actuelle, nous collaborons avec CanNor pour voir à quoi ressemble un plan de deux ans afin de stabiliser l’organisation et de mettre en œuvre des programmes et des activités sur une période de deux ans, tout en offrant plus de possibilités de formation à la gestionnaire, comme Alysa l’a mentionné. Nous avons recruté une gestionnaire sur place pour s’occuper de l’installation, ce qui est extraordinaire. J’ai passé beaucoup de temps avec elle pour créer bon nombre des structures et élaborer le contenu du centre.

Je crois pouvoir répondre à votre question un peu plus lucidement d’ici la fin de l’exercice financier du gouvernement, une fois que je saurai de quoi il retourne. À ce stade-ci, j’ai l’impression que nous nous adresserons d’abord au secteur public et, à partir de là, nous renouerons le dialogue de façon dynamique avec tous nos bailleurs de fonds du secteur privé afin de réactiver leur soutien à l’égard des activités. Comme vous pouvez l’imaginer, à l’issue d’une campagne de financement, il y a une certaine période d’attente avant de reprendre nos démarches auprès de nos partenaires du secteur privé.

La sénatrice Coyle : N’attendez pas trop longtemps.

Le président : CanNor, l’Agence canadienne de développement économique du Nord, a un mandat qui semble correspondre à vos objectifs et qui appuie l’économie artistique.

M. Huffman : CanNor est un partenaire incroyablement généreux grâce à son financement, ses conseils et ses directives.

La sénatrice Coyle : Vous avez tous deux parlé des retombées économiques de votre travail et des arts dans l’Arctique, même si, dans bien des cas — comme vous l’avez mentionné, madame Procida —, les artistes, peu importe où ils habitent au Canada, doivent très souvent trouver, pour ainsi dire, un complément de revenu. C’est chose courante. Ils tirent leur revenu de diverses sources. L’objectif, en ce qui concerne votre travail à tous les deux, c’est d’essayer d’aider les gens à accroître la part de leur revenu qui provient de leur art.

Il y a un point qui m’intéresse : vous avez commencé, monsieur Huffman, à parler de la coopérative et de ses efforts pour examiner de façon plus générale les questions liées au bien-être au sein de la communauté. Je suis intégrée par la perspective des artistes. Avez-vous remarqué si les retombées économiques dont nous avons discuté ont eu des répercussions sociales sur les artistes, leur bien-être, leur vie familiale, ainsi que sur d’autres aspects?

M. Huffman : La réponse courte est oui. En fait, je travaille de très près sur cette question. C’est plutôt attribuable à l’ampleur des responsabilités de la coopérative et, à vrai dire, à la façon dont nous collaborons avec nos artistes. Oui, ils font de l’art, ce qui leur donne une occasion et un salaire.

Nos graveurs constituent un très bon exemple. Ils travaillent de neuf à cinq dans les studios, et c’est un salaire suffisant. Ils n’ont pas d’autre emploi. Ils ne font pas de petits boulots à temps partiel. Ils gagnent leur vie en créant des estampes.

Par contre, certains d’entre eux ont rencontré des difficultés dans leur vie. La coopérative... C’est surtout à moi que revient la responsabilité d’aider nos artistes à régler bon nombre de ces problèmes. Souvent, 25 p. 100 de mon travail concerne les arts et 75 p. 100, le bien-être social. Pour moi, il s’agit de colmater les brèches dans d’autres structures. C’est peut-être en raison des liens que nous entretenons avec nos artistes. Nous ne sommes pas une entité gouvernementale. Nous ne sommes pas situés à Ottawa ou à Iqaluit, mais à Cape Dorset. Lorsqu’une personne éprouve une difficulté, nous sommes en mesure de réagir très rapidement.

C’est une bien longue réponse, mais je crois que la responsabilité de la coopérative ne se limite pas à la distribution d’avantages économiques. Le fait que nous puissions exister et faire ce que nous faisons grâce à notre capacité de tirer des profits de la vente d’œuvres d’art signifie que nous pouvons également intervenir d’autres façons. Nous possédons les compétences nécessaires pour nous y retrouver dans les méandres du système d’aide sociale ou de services communautaires ou pour organiser des séances d’information sur les passeports ou remplacer des pièces d’identification ou encore, tout simplement, pour conseiller les artistes. Selon moi, il s’agit d’un autre avantage vraiment important que nous offrons.

La sénatrice Coyle : J’aurai une question complémentaire à vous poser tout à l’heure, si le temps le permet. Je sais qu’il y a eu des hauts et des bas. Vous y avez fait allusion. Je suis au courant de certains des soubresauts qui ont ponctué l’existence de la coopérative. Il n’en demeure pas moins que vous êtes probablement l’entité la plus efficace en la matière dans l’Arctique. Ai-je raison?

M. Huffman : C’est ce qu’on dit.

La sénatrice Coyle : J’ai visité Baker Lake à quelques reprises, quand les choses allaient bien, puis quand les choses allaient moins bien, et aujourd’hui, on dirait que la communauté est en train de remonter la pente. Elle a tellement de potentiel, comme nous l’avons entendu un peu plus tôt, elle compte tellement de gens engagés dans les arts...

M. Huffman : Effectivement.

La sénatrice Coyle : ... pour des raisons culturelles et des raisons économiques. C’est très bien.

Votre coopérative cherche-t-elle d’une manière ou d’une autre à aider les autres entités de l’Arctique soit à reproduire ce que vous faites soit à créer quelque chose qui serait mieux adapté à leur milieu pour appuyer les arts?

M. Huffman : C’est une très bonne question. Je suis venu à Ottawa, il y a quelques semaines, pour participer aux délibérations du Comité permanent du patrimoine canadien. C’est la question qu’on m’a posée. C’est une très bonne question. Nous y avons répondu. Il y a quelques années, nous avons créé le projet du patrimoine de Cape Dorset, qui est en fait un plan stratégique. Si vous pouvez vous représenter un peu la complexité de tout ce dont je vous ai parlé, vous pouvez imaginer à quel point il est difficile d’établir un plan stratégique qui inclut également quelque chose comme le bien-être des artistes.

Je pense que ce qui arrivera, quand nous aurons réussi à trouver le bon équilibre, c’est que nous pourrons prendre ce modèle et le présenter aux autres communautés qui pourraient vouloir essayer de reproduire ce que nous faisons.

Vous avez tout à fait raison : notre organisation est très spéciale. C’est une chose qui ne se voit nulle part ailleurs ailleurs dans le Nord. On me pose tout le temps la question : pourquoi croyez-vous que c’est ainsi ici, mais pas ailleurs? Il y a différentes façons de voir la chose. Je pense que c’est très lié à l’investissement très profond de la communauté dans la WBEC. Nous avons toujours eu un conseil d’administration à 100 p. 100 inuit. Le conseil d’administration rend des comptes à la communauté, et l’organisation appartient à la communauté. Il y a beaucoup de niveaux d’investissement.

Vous avez mentionné qu’il n’y avait pas de structure d’éducation en beaux-arts dans le Nord. C’est le mentorat qui nous garde en vie. C’est ce qui garde l’art de Cape Dorset en vie. Je pense qu’il y a quelque chose d’extrêmement profond dans la transmission des connaissances de ces artistes d’une génération à l’autre. C’est un mécanisme formidable.

La sénatrice Coyle : Vous semblerait-il possible, dans une certaine mesure, de reproduire ce modèle ailleurs?

M. Huffman : Je l’espère. C’est en train de devenir très politique. Je viens de Toronto, et Dorset a un complexe qui rappelle un peu celui de Toronto. Tout le monde dit : « Dorset reçoit toujours ceci ou cela et les gens appuient toujours Dorset », puis Dorset est bien connu. Il faut un peu gérer cette relation avec les autres communautés du Nord, mais comme je l’ai déjà mentionné, je pense que nous avons beaucoup à offrir. Je pense qu’une grande partie de notre philosophie est fondamentale là-dedans.

La sénatrice Coyle : Merci.

La sénatrice Dasko : J’ai trouvé vos exposés très intéressants. J’ai appris énormément de choses. J’aime l’analogie avec Toronto, bien sûr, et je pense que c’est très juste. Je suis bien contente de l’entendre.

Je suis fascinée par le fait que 26 p. 100 de la population inuite se compose d’artistes. Il n’y a aucun autre exemple de société dans le monde qui me vienne à l’esprit où c’est la même chose. C’est unique.

Le président : Allez-vous demander pourquoi?

La sénatrice Dasko : Eh bien, je vais poser quelques questions pour comprendre. Je m’excuse du préambule.

Le président : Moi, je me demande pourquoi, si vous avez une explication à nous donner.

Allez-y, sénatrice.

La sénatrice Dasko : Pourquoi y a-t-il une telle partie de la population qui se compose d’artistes? Les gens apprennent-ils à devenir artistes de sources traditionnelles? Vont-ils à l’école d’art? Apprennent-ils tout leur art de sources traditionnelles? Est-ce une affaire de famille? Y a-t-il des traditions familiales d’artistes de génération en génération? Est-ce la façon dont les choses évoluent? Y a-t-il autre chose?

Vous avez dit que certains artistes déménagent dans le Sud. Combien? Est-ce une grande proportion des artistes ou presque aucun?

Y a-t-il beaucoup de femmes artistes ou les arts sont-ils transmis d’homme en homme? C’est souvent le cas quand la transmission se fait de sources traditionnelles; il peut aussi y avoir des groupes dans la population qui se composent d’artistes et d’autres de non-artistes.

Je m’intéresse à la population d’artistes, si l’un d’entre vous peut répondre à ces questions.

Mme Procida : Je peux essayer de vous donner une idée de leur répartition et vous fournir un peu de contexte historique. Je pense que l’une des raisons pour lesquelles la population d’artistes si forte dans le Nord... Premièrement, je dois faire quelques précisions sur le total de 13 000 artistes. Sur le lot, environ 4 120 personnes sont des artistes à temps plein qui mènent une carrière professionnelle, un nombre qui demeure incroyable compte tenu de la taille de la population. Les autres travaillent seulement pour toucher un revenu d’appoint ou pour leur propre consommation. C’est pour leur usage personnel, leur usage familial, la vente, le troc ou pour générer des revenus d’appoint, comme nous l’avons déjà dit.

Je ne veux pas m’improviser ethnographe, mais, dans une perspective historique, les Inuits ont une longue tradition de production artistique. Le tatouage est une tradition graphique. Il y a aussi une tradition sculpturale selon laquelle ils fabriquent des choses pour les utiliser sur leurs terres. C’est très lié aux pratiques culturelles, mais c’est aussi lié à des réalités historiques. Dans les années 1940, le gouvernement voulait que les Inuits adoptent une économie salariale, et les Inuits ont été placés en établissements. Les arts faisaient partie des moyens étudiés.

Les coopératives et d’autres organisations ont été établies pour encourager les Inuits à produire des œuvres pour la vente dans le Sud. C’est assez intéressant, parce que ce sont des actes de colonialisme qui ont donné lieu à une résilience culturelle dans la population. La production artistique était et demeure un moyen pour les artistes de faire vivre leur culture en temps réel encore et encore. Cela a permis de préserver un ancrage important malgré les développements des transformations rapides des cinq ou six dernières décennies dans le Nord.

Pour répondre à votre question sur le genre, je dis souvent à la blague que si l’on faisait une rétrospective de l’histoire des sculpteurs canadiens depuis quelques centaines d’années, on verrait que la proportion des femmes artistes est plus élevée chez les Inuits que dans tout autre groupe ethnique ou social.

Les arts ne suivent pas nécessairement ce genre de tendance. Les arts textiles sont généralement dominés par les femmes, tout comme la joaillerie, mais même là, certains des joailliers les plus connus sont des hommes. Les disciplines sont aussi vastes qu’on puisse l’imaginer. Bien des gens déménagent dans le Sud pour aller à l’école. Ils ne sont pas si nombreux, mais c’est de plus en plus une option. Les gens choisiront souvent d’aller étudier à Concordia, au Nova Scotia College of Art and Design, à l’ÉADO, à l’Université de Winnipeg ou à l’Université Carleton. Ce sont les principaux établissements où l’on retrouve des populations relativement importantes d’Inuits urbains. On y trouve déjà une communauté établie. Ces artistes créent des œuvres conceptuelles intéressantes, des films, toutes sortes de choses.

L’une des choses que nous essayons de montrer par notre travail, c’est qu’il y a tellement d’expériences différentes qui teintent l’œuvre des artistes inuits. Ils apprennent souvent leur art de traditions familiales, mais parfois aussi par l’expérimentation, de manière autodidacte ou dans le cadre de leurs études. C’est très propre à chacun et à sa situation.

Il y a énormément d’art qui se produit. Je pense qu’il y en a même de plus en plus. L’étude à laquelle la sénatrice Bovey et moi avons fait allusion est la première à brosser un portrait détaillé de toutes les œuvres d’art de l’Inuit Nunangat dans le Sud, de même que sur le marché secondaire et des œuvres produites par les Inuits pour les Inuits. On pense rarement à ce segment du marché et de la production artistique, on en parle rarement, mais c’est une part énorme, de plus en plus grande, de la production artistique qui reste dans le Nord. Ce n’est d’ailleurs pas exclusif au Canada, c’est vrai dans tout le Nord circumpolaire. Par exemple, bien des joailliers à qui je parle, qui vendent leurs œuvres en ligne, en vendent de plus en plus à des artistes de l’Alaska ou à des gens du Groenland. Cela crée aussi d’autres obstacles, parce que les bijoux faits de peaux de phoque ne peuvent pas être exportés. Ces obstacles juridiques deviennent de nouveaux obstacles structurels pour les artistes qui voudraient élargir leurs horizons. Cela demeure un marché qui connaît une croissance très rapide, quand même. Je ne sais pas si cela répond à votre question.

La sénatrice Dasko : Oui. Merci.

Le président : Merci beaucoup.

La sénatrice Bovey : J’aborderai une question connexe. Je vous suis très reconnaissante de tout ce que vous venez de dire. Quand vous parlez des artistes inuits établis dans le Sud, il faut jeter un coup d’œil au travail d’Abraham Anghik Ruben, qui a créé sa propre école de gravure à Salt Spring Island et qui fait un travail incroyable. Notre président et moi avons eu le privilège de nous rendre en Finlande récemment pour participer aux réunions du Cercle arctique. Nous faisons partie de la délégation canadienne. Si les arts et la culture n’étaient pas le thème principal de cette série de rencontres, on a entendu parler haut et fort de l’importance de la langue et de la culture. Nous avons entendu un certain nombre de Lapons. Oui, nous parlons d’autres communautés inuites jusqu’à l’île Holman. Je me rappelle avoir vu une exposition de leurs œuvres en Norvège, il y a déjà de nombreuses années.

Prenons la perspective circumpolaire. Prenons la perspective des habitants du Nord, quelle que soit leur communauté d’appartenance. Quelles sont les recommandations que nous devrions faire ce soir pour favoriser des peuples et des communautés fortes dans l’Arctique? Évidemment, nous parlons là de l’Arctique dans un contexte mondial. Que devrions-nous recommander au gouvernement fédéral en vue de ce cadre pour l’Arctique?

M. Huffman : Pour moi, la réponse à cette question est simple. Je pense que nous avons besoin de solutions locales. Je ne pense pas que le territoire puisse... Comme vous le savez, il s’agit d’un très, très vaste territoire qui varie beaucoup d’une côte à l’autre. Je regarde la façon dont nous fonctionnons, notre efficacité quand nous pouvons nous concentrer sur la communauté, la communauté que je sers, à Cape Dorset.

Encore une fois, les discussions en sont encore à un stade très embryonnaire avec toutes sortes d’autres organismes : comment pouvons-nous mieux nous déployer? Comment pouvons-nous mieux utiliser nos liens avec les artistes et la communauté en général de Cape Dorset pour avoir accès à des ressources ou à des programmes pour la réalisation de projets? Je pense que les solutions doivent être locales. Je ne sais pas quelle forme cela peut prendre, structurellement, mais la réflexion doit partir de là, puis évoluer à partir de là.

Le président : Je crois que vous avez mentionné dans votre exposé — si vous me permettez cette intervention, sénatrice Bovey — que le Conseil des arts du Canada doit non seulement aplanir quelques-unes de ces barrières, mais il doit trouver un moyen d’assurer une présence locale des agents responsables des subventions. Pouvez-vous préciser un peu votre pensée?

M. Huffman : Cela fait l’objet de discussions, ce n’est pas une idée qui nous est propre. Par exemple, le Conseil des arts de l’Ontario a des représentants régionaux. Cela fait une grande différence quand il y a quelqu’un de la communauté ou de la région qui peut faire le lien, c’est rassurant. La personne doit être en mesure de comprendre que culturellement, les diverses régions de l’Ontario fonctionnent différemment les unes des autres, et je le dis souvent. Dans l’Arctique, c’est encore plus vrai.

Encore une fois, ces discussions avec le Conseil des arts du Canada, qui n’en sont toujours qu’au stade préliminaire, visent à déterminer comment on peut corriger un système qui ne fonctionne clairement pas et étudier ce qui fonctionne dans l’Arctique ou dans le Nord, pour adapter le système.

Il y a deux choses que je trouve très contradictoires : on prétend accorder la priorité au Nord, mais les programmes offerts n’accordent pas la priorité au Nord. Pour moi, c’est... Bien sûr, nous pouvons en discuter encore et encore, envoyer des délégations et y réfléchir en long et en large. Il y a déjà des structures en place qui fonctionnent. Pourquoi ne les mettrions-nous pas à profit, pourquoi ne leur donnerions-nous pas plus de moyens pour permettre à un plus grand nombre de projets de se réaliser?

La sénatrice Bovey : Vous avez parlé de l’exposition que vous avez organisée conjointement. Sera-t-elle présentée dans le Sud?

M. Huffman : Oui.

La sénatrice Bovey : Alors nous avons l’édifice du Musée des beaux-arts de Winnipeg, le Centre d’art indien et inuit, où des conservateurs inuits travaillent avec Darlene Coward Wight. Ils emmèneront des œuvres dans le Nord. Nous les rencontrerons la semaine prochaine.

M. Huffman : C’est bien.

La sénatrice Bovey : Cela permettra de créer des liens. De quoi avons-nous besoin pour rendre ce genre d’échange possible?

Mme Procida : Je pense qu’au fond nous avons surtout besoin de bâtiments adaptés et qu’il faut donner des moyens aux gens de l’Inuit Nunangat, leur donner de la confiance et de l’autonomie pour qu’ils puissent poursuivre leur carrière artistique. Cela peut prendre plusieurs formes. C’est un conseil assez général dans le cadre de votre examen.

Je vous recommanderais d’abord et avant tout la même chose que l’Inuit Tapiriit Kanatami sur les investissements en infrastructures. Nous travaillons en très étroite collaboration avec cette organisation. Je suis certaine que je n’ai pas besoin de vous expliquer à quel point il est difficile de travailler avec l’épouvantable manque d’infrastructures dans le Nord, si l’on compare la situation à celle du Sud. Il ne devrait pas être presque impossible pour nous de publier une entrevue avec une artiste de Kugaaruk simplement parce qu’elle vit à Kugaaruk et que nous ne pouvons pas la joindre par téléphone ni par Internet. Ce n’est pas nécessairement un problème facile à résoudre, mais c’est le genre de solution qui nous aiderait beaucoup.

Nous avons besoin d’infrastructure de télécommunications, de beaucoup d’investissements en infrastructure, dans le logement, le bien-être, comme Will l’a mentionné, puisque cela transparaît dans les arts. Les arts en sont une composante. Je ne sais pas si vous êtes en lien avec Qaggiavuut, soit la société du Centre des arts de la scène d’Iqaluit, qui est la principale organisation à représenter les artistes de la scène dans le Nord. Elle a mis au point des programmes multidimensionnels qui visent à renforcer les arts de la scène dans tout l’Inuit Nunangat, mais aussi le bien-être, la santé et la résilience culturelle. Un peu comme Dorset Fine Arts et la WBEC ont un modèle très efficace pour les arts visuels, d’autres modèles sont créés pour d’autres disciplines dans d’autres communautés.

Votre question sur les agents responsables des subventions est importante aussi. Il faut comprendre comment on peut concevoir et offrir efficacement ce genre de service. Je pense qu’il nous faut des solutions différentes pour les différentes régions et les différentes communautés, puisque chacune a sa propre histoire différente de production artistique.

Il y a beaucoup d’autres éléments aussi. Je pense que le Centre culturel Kenojuak est un lieu important pour présenter des œuvres. Il n’y a pas de musée consacré aux arts dans le Nord, et je pense que ce devrait être une priorité qui mérite réflexion. Il y a le Musée Nunatta à Iqaluit, mais la collection du gouvernement du Nunavut est conservée au Musée des beaux-arts de Winnipeg, où tout est numérisé, bien entretenu et exposé de diverses façons à l’échelle du territoire. Un grand musée complet... Il est un peu bizarre que je puisse voir plus d’œuvres d’art inuites à Toronto que dans une communauté de l’Inuit Nunangat, mais tout dépend des jours, parce qu’il y a tellement d’œuvres qui en sortent. Je pense qu’on pourrait faire diverses choses pour mieux appuyer l’exportation, aider les gens dans le processus, en apprendre davantage sur les affaires dans le domaine des arts. Je pense qu’il faudrait pour cela investir dans le projet de l’Université de l’Arctique.

Ce ne sont pas des solutions nouvelles. Je pense qu’il faut aussi reculer quant à l’interdiction de l’utilisation des produits du phoque et à la loi sur la protection des mammifères marins, autant que possible, pour aider les artistes qui travaillent à partir de produits de mammifères marins, des produits extrêmement importants pour le bien-être des Inuits, pour leur art et pour leurs activités de développement économique. Ce sont autant de pièces importantes du casse-tête.

La sénatrice Bovey : Ai-je tort ou raison en nommant ces enjeux sociaux? Je pense que l’une des histoires les plus tristes des quelques dernières années, au Canada, est celle d’Annie Pootoogook, qui est décédée ici, à Ottawa. Je suis contente que vous présentiez Revisiting Annie Pootoogook: The Spirit, the Self and Other Stories. J’allais vous poser une question sur l’éducation générale et le programme scolaire : nous arrive-t-il d’inclure des œuvres des artistes inuits au matériel pédagogique pour en faire un objet d’étude, comme on utilise comme matériel pédagogique les œuvres d’auteurs du Sud, parce qu’elles racontent en fait des histoires visuelles, plutôt qu’écrites.

Mme Procida : Oui, je pense que, comme nous l’avons toutes les deux mentionné, l’éducation en arts manque cruellement, particulièrement dans le Nord, bien que ce soit une partie si importante du travail des gens du Nord, une partie si importante de leur culture.

La sénatrice Bovey : Je crois que je m’arrêterai là, monsieur.

Le président : Merci. Vous avez mentionné les revenus tirés du droit d’auteur, à hauteur de plus de 100 000 $. C’est un domaine de compétence fédérale. Il y a une loi fédérale à cet égard.

Y a-t-il place à l’amélioration? Pouvez-vous nous dire brièvement tout de suite, ou nous répondre plus tard, si vous avez des conseils à nous donner à cet égard pour les artistes?

M. Huffman : En fait, les travaux du comité de la Chambre portaient justement sur le droit d’auteur et la rémunération des artistes dans ce contexte.

J’ai fait observer au comité que dans le Nord, nous sommes vraiment la seule organisation à faire ce que nous faisons. C’est un système très complexe. Nous avons un spécialiste qui se consacre à la gestion du droit d’auteur. J’ai fait remarquer qu’il y a une limite à la surveillance que nous pouvons exercer, donc encore faut-il, par exemple, qu’une personne soit assez honnête pour venir nous dire qu’elle souhaite utiliser Le Hibou enchanté sur un timbre et rémunérer l’artiste selon les normes en vigueur.

Il arrive aussi qu’on prenne les fautifs. Les gens ont l’impression que l’art inuit peut être reproduit sur un chandail ou dans un rapport annuel sans problème, qu’on peut l’utiliser comme s’il n’était pas frappé du droit d’auteur.

Selon moi, ce n’est pas tant que la Loi sur le droit d’auteur est défaillante, c’est qu’il faut fournir aux diverses communautés les outils nécessaires pour gérer leurs droits d’auteur. Nous recevons souvent des appels de membres d’autres communautés, de centres communautaires ou de gouvernements locaux qui nous demandent pourquoi nous ne gérons que les droits d’auteur de Cape Dorset. « Pouvez-vous vous occuper des nôtres aussi? » Bien sûr, nous sommes la West Baffin Eskimo Cooperative. Nous avons besoin de ce genre de service dans le Nord.

Mme Procida : Cela ne touche pas que le droit d’auteur. C’est la protection des artistes en général dont il est question, parce que je gère une marque de commerce et qu’on pense beaucoup à la loi sur les marques de commerce aussi. Les artistes me disent très souvent que, si l’étiquette L’Igloo est efficace pour combattre la contrefaçon, elle manque de mordant comparativement aux protections offertes aux artistes autochtones dans d’autres pays, comme aux États-Unis, où il y al’Indian Arts and Craft Act. Les protections juridiques des artistes inuits et des autres artistes autochtones fonctionnent. Il y a des modèles dans différents pays qu’il me semblerait judicieux d’envisager. Merci.

Le président : Merci beaucoup. Je vous remercie de vos témoignages.

Monsieur Huffman, vous avez rendu un hommage senti à la propriété inuite et à la participation des Inuits au développement de l’industrie des arts inuits. Ce sont des indicateurs très encourageants. Je pense qu’il convient de dire que c’est aussi grâce au travail de personnes comme James Houston, Terry Ryan et George Swinton. La liste est longue et elle comprend les personnes associées à la West Baffin Eskimo Coop, qui valorisent la propriété inuite et le leadership inuit. Je pense que nous en avons deux splendides exemples en nos témoins ce soir.

Je vous remercie infiniment, encore une fois.

(La séance est levée.)

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