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ARCT - Comité spécial

Arctique (spécial)

 

Délibérations du Comité sénatorial spécial sur l'Arctique

Fascicule no 20 - Témoignages du 4 février 2019


OTTAWA, le lundi 4 février 2019

Le Comité spécial sur l’Arctique se réunit aujourd’hui, à 13 heures, pour examiner les changements importants et rapides qui se produisent dans l’Arctique et les effets de ces changements sur les premiers habitants, et pour étudier, à huis clos, un projet d’ordre du jour (travaux futurs).

Le sénateur Dennis Glen Patterson (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Unnusakkut.

[Le président s’exprime en inuktitut.]

Bonjour et bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial spécial sur l’Arctique. Je m’appelle Dennis Patterson. Je suis le sénateur qui représente le Nunavut et je préside ce comité.

Je vais demander aux sénateurs qui sont autour de la table de se présenter, en commençant par ma gauche.

La sénatrice Coyle : Mary Coyle, Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Boyer : Yvonne Boyer, Ontario.

La sénatrice Dasko : Donna Dasko, Ontario.

La sénatrice Bovey : Patricia Bovey, Manitoba. Je suis vice-présidente du Comité.

Le président : Chers collègues et membres du public qui sont ici ou en train de nous regarder pour cette étude sur les changements importants et rapides survenant dans l’Arctique et sur les effets de ces changements sur les premiers habitants, je signale que nous allons d’abord conclure notre examen du volet culture, langue et arts de l’Arctique, volet considéré en tant que moyen de parvenir à des communautés et à des peuples forts.

Je suis heureux d’accueillir, tout d’abord, de l’Inuit Broadcasting Corporation, Bernadette Dean, présidente, et Debbie Brisebois, directrice générale. De Taqqut Productions, nous accueillons Neil Christopher, directeur et producteur, et Nadia Mike, productrice.

Nous avions espéré entendre aujourd’hui par vidéoconférence Alethea Arnaquq-Baril, directrice et productrice à Unikkaat Studios, mais un corbeau est passé entre nous et le satellite, à moins que ce ne soit autre chose, et nous n’avons pas pu obtenir une liaison vidéo d’assez bonne qualité. Je suis désolé, mais nous allons devoir trouver une autre façon d’entendre cette personne particulièrement talentueuse.

Avant de donner la parole aux témoins, je tiens à dire que Debbie Brisebois est une amie de longue date et qu’elle vient d’être louangée sur Facebook après avoir annoncé qu’elle prenait sa retraite de l’Inuit Broadcasting Corporation après 30 ans de service, si je ne m’abuse. J’ai moi-même écrit un hommage. Je tiens à vous remercier de vos longs états de service et de votre présence parmi nous aujourd’hui.

Sans plus tarder, passons à nos témoins, à commencer par ceux de l’IBC, s’il vous plaît.

Bernadette Dean, présidente, Inuit Broadcasting Corporation : Qujannamiik. Bonjour. C’est un grand honneur et un privilège pour moi de m’adresser à vous aujourd’hui.

Comme l’a dit votre président, je suis l’actuelle présidente de l’Inuit Broadcasting Corporation. Nous avons cinq membres au conseil et un vice-président. Nous sommes un conseil d’administration bénévole. Je suis accompagnée de Debbie, qui est notre merveilleuse directrice générale depuis les débuts de l’IBC.

Les changements importants et rapides font partie de l’histoire de l’IBC. Pour les membres d’une société de chasseurs-cueilleurs, la capacité de s’adapter et de réagir rapidement au changement est essentielle.

Depuis qu’existent les droits des Inuits au Canada, la protection du mode de vie, de la culture et de la langue des Inuits a toujours été à l’avant-plan. Quand la CBC/Radio-Canada a lancé son plan de couverture accélérée en 1975, elle a essentiellement permis aux collectivités canadiennes de plus de 500 habitants d’avoir accès à la télévision de la CBC/Radio-Canada.

Les dirigeants inuits de l’époque ont craint que cela ne constitue une menace pour notre langue sous l’effet des attitudes et des langues du Sud qui allaient pénétrer dans les salons des Inuits. Personnellement, j’en garde un vif souvenir, car c’est en 1978 qu’est arrivée la télévision, pour la toute première fois, dans le petit village de Coral Harbour, où j’ai grandi. Cela a changé notre collectivité presque du jour au lendemain. Les enfants ne jouaient plus dans la rue et ne descendaient plus les collines en glissant. Nous étions tous rivés à la télévision dans une langue que nous ne comprenions pas vraiment. Nous regardions des téléromans et des comédies de situation ou des sports dans une langue que nous comprenions à peine.

Je me souviens qu’avec mes parents qui ne parlaient pas ou ne comprenaient pas du tout l’anglais nous regardions « The National ». C’était effrayant de suivre ces informations avec toutes les tragédies et les conflits qu’on nous montrait aux quatre coins du monde, et nos parents nous demandaient de traduire pour eux. Avec la création de l’IBC et de différents programmes comme le projet Inuksuk à la fin des années 1970 et au début des années 1980, je me souviens de la joie et de l’excitation que ma mère a eues à voir des Inuits d’autres pays et des émissions dans une langue qu’elle comprenait.

De plus, au début des années 1990, je me souviens de l’excitation de mes enfants et de leur enchantement quand nous nous sommes retrouvés à bord du même avion que « Super Shamou », et de leur comportement exemplaire à cette occasion. Toutefois, l’IBC, ou Inuit Takunak Siluit, a connu de nombreux changements et défis en près de 40 ans d’existence. C’est en 1983 que le CRTC a accordé pour la première fois à ITC, organisme maintenant connu sous le nom d’Inuit Tapiriit Kanatami, une licence de radiodiffusion. Cela a été rendu possible grâce au financement d’un programme du gouvernement fédéral appelé Programme d’accès à la radiodiffusion pour les Autochtones dans le Nord, devenu depuis le volet Radiodiffusion autochtone dans le Nord, le RAN, du Programme des Autochtones.

Au fil des ans, nous avons vu apparaître TVNC, une chaîne pan-arctique, qui a fait le bonheur de nombreux aînés qui pouvaient regarder des émissions comme « Denen Da » et d’autres programmes d’autres régions de l’Inuit Nunangat. L’IBC n’a plus de licence de radiodiffusion, puisque toutes ses émissions ne sont pas diffusées par APTN. Au fil des ans, le financement de l’IBC a fluctué et diminué. Nous avons actuellement 25 employés permanents ou contractuels, pour un d’environ 2,6 millions de dollars dont 1,2 million de dollars proviennent du RAN. Nos autres sources de financement proviennent de l’Initiative des langues autochtones de Patrimoine canadien. Nous sommes en concurrence avec d’autres organisations autochtones pour ce financement. Le nombre de demandes présentées dans le cadre de ce programme a augmenté, contrairement à la dotation qui n’a jamais vraiment augmenté.

Nous recevons également des fonds du Programme des centres éducatifs et culturels des Premières Nations, sous l’égide d’AANC, et j’ignore l’acronyme actuel du ministère.

Le président : Comme tout le monde.

Mme Dean : Il y a aussi les fonds supplémentaires du ministère de la Culture et du Patrimoine du gouvernement du Nunavut pour des émissions précises que nous produisons.

Cinq de nos émissions sont actuellement diffusées par APTN, soit : « Nunavummi Mamarijavut », qui veut dire « ce qu’il y a de délicieux à manger au Nunavut »; « Uakallanga! », ou « Super impressionnant ». Il s’agit d’un spectacle novateur qui met en vedette des artistes ou des artisans qui sont impressionnants par leur art ou leurs talents. « Qanuq Isumavit » est la seule émission en direct que nous produisons, tous les mardis. Elle met l’accent sur l’actualité. Les gens appellent pour parler de différents sujets. L’une de nos émissions les plus populaires a récemment traité des soins ou de l’absence de soins aux aînés du Nunavut. Et nous avons aussi « Takuginai » et « Pituqait ». « Pituqait » concerne les archives et les anciennes façons de faire. Nous avons aussi deux émissions en ligne : « Takuginai » et « Pituqait ». On peut les visionner sur Isuma TV en tout temps.

Au fil des ans, nous avons remporté un grand succès en présentant des musiciens, mais, malgré cela, il faut reconnaître que nous ressentons encore les effets de la télévision de langue anglaise. En tant que grand-mère, j’ai été bouleversée de voir mes petits-enfants apprendre « Hola » dans une émission intitulée « Dora the Explorer ». Je suis ouverte aux autres langues, mais c’est une triste réalité à laquelle beaucoup d’entre nous sont confrontés dans notre société aujourd’hui.

La langue inuite, comme de nombreuses autres langues autochtones, est enracinée dans les traditions orales et les récits oraux. La transition vers le cinéma et la télévision s’est très bien faite parce qu’elle puise dans cette tradition orale. Je tiens à mentionner qu’un des plus grands cinéastes du Canada, Zacharias Kunuk, a commencé sa carrière à l’IBC.

Nous avons envoyé une copie papier de notre mémoire à votre greffier. On nous a dit que nous avions cinq minutes pour parler. Je préfère répondre aux questions. Si je ne peux pas y répondre, Debbie est ici pour m’aider. Merci de m’avoir écoutée.

Le président : Qujannamiik. Ce que vous disiez m’a rappelé bien des souvenirs, Bernadette. Merci.

De Taqqut Productions, M. Christopher et Mme Mike.

Neil Christopher, réalisateur et producteur, Taqqut Productions : C’est merveilleux d’avoir commencé par l’IBC qui a une longue histoire, qui a fait des choses révolutionnaires et qui a ouvert de nombreuses portes.

Notre entreprise est beaucoup plus jeune et nous avons une vocation commerciale. Nous faisons partie d’un groupe de trois sociétés sœurs. Vous avez invité Taqqut Productions.

Les propriétaires de Taqqut Productions ont formé trois sociétés sœurs qui travaillent de façon coordonnée.

Je vais d’abord vous expliquer Taqqut. Taqqut est une entreprise de production appartenant à des Inuits. Nous avons été constitués en société en 2012. Taqqut met l’accent sur l’éducation, les enfants, la télévision et les productions cinématographiques. Les trois propriétaires sont des éducateurs. Nous faisons des films dans une optique éducative.

Taqqut Productions n’a pas été formée parce que nous aspirions à devenir des cinéastes. Deux des propriétaires travaillaient au Programme de formation des enseignants du Nunavut. Nous nous étions rendu compte que la télévision et le cinéma sudistes, comme Bernadette l’a si bien dit, contribuaient à la perte de la langue et de la culture dans l’Arctique. Je dirais que la programmation pour enfants, à part Takuginai de l’IBC, est le domaine le moins ciblé de la production cinématographique et télévisuelle, mais c’est le plus important. C’est dans l’enfance que nous acquérons des compétences de base en lecture et calcul, que nous développons des ensembles de valeurs qui nous accompagneront tout au long de nos vies, ainsi que notre propre identité culturelle. Il est beaucoup plus difficile après coup d’essayer de récupérer la plupart de ces éléments. Nous mettons l’accent sur la petite enfance et sur les premières années parce que c’est un besoin que nous avons constaté autour de nous.

Comme nous n’étions pas des cinéastes, nous avons passé les premières années à faire des courts métrages, et nous nous intéressions à l’animation. Comme nous voulions faire des choses qui parleraient à la nouvelle génération de Nunavummiut, nous nous sommes demandé comment capter leur intérêt. Notre première incursion dans le cinéma a été l’animation de récits traditionnels, et nous avons travaillé avec des conteurs sur des histoires traditionnelles. Nous avons eu beaucoup de succès dès le départ. Je pense que vous avez une feuille qui montre un peu les prix récoltés par le groupe Taqqut. Nous avons commencé à recevoir des prix rapidement et à être reconnus.

Notre première initiative commerciale a consisté à produire avec APTN une émission de télévision préscolaire en inuktitut pour les jeunes enfants, appelée « Anaan’s Tent ». Je ne sais pas si vous en avez entendu parler; c’est un peu comme « Sesame Street ». Nous l’avons réalisée dans les deux langues et tout a été tourné séparément. Nous avons une émission d’immersion complète en inuktitut, et une émission en anglais, pour diffusion nationale, qui enseigne l’inuktitut à des enfants comme « Sesame Street » enseignait l’espagnol. C’est une émission éducative qui privilégie l’inuktitut, partant du principe que, partout au Canada, l’exposition à une langue seconde ne peut être que bénéfique. Pourquoi les enfants canadiens ne pourraient-ils pas tous apprendre un peu d’inuktitut? C’est une des langues du Canada dont nous devrions être fiers. C’est ainsi que nous avons procédé. Les émissions ne sont pas exactement les mêmes parce que celle en inuktitut n’enseigne pas l’anglais; c’est seulement l’inuktitut. Nadia Mike est l’une des productrices de l’émission. Je peux peut-être la laisser en parler.

Nadia Mike, productrice, Taqqut Productions : Je travaille à « Anaan’s Tent » et à Taqqut Productions depuis environ quatre ans. Produire était très nouveau pour moi, parce que je viens du milieu de l’enseignement. J’attache aussi beaucoup d’importance à l’intégration de différentes formes d’art afin que les enfants du Nunavut aient accès à la littérature, à la télévision et à des manuels scolaires en inuktitut.

C’est très difficile pour un parent qui se bat contre la télévision généraliste et qui ne peut proposer d’émissions de télévision en inuktitut à son enfant. « Anaana’s Tent » est une autre façon pour nos enfants d’apprendre l’inuktitut, surtout parce qu’il existe différents genres qui intéressent davantage les enfants. Il est crucial d’ouvrir les portes à plus d’émissions de télévision en inuktitut, surtout que la perte linguistique est de 1 p. 100 par an. « Anaana’s Tent » est nécessaire. De plus, il faut qu’il y ait plus de séries télévisées pour les jeunes enfants, mais la capacité est un autre problème, parce que nous avons besoin de personnes formées. Nous avons besoin d’un plus grand nombre de conteurs, mais je pense que le bassin est limité.

M. Christopher : Je pense que Nadia soulève un point important. Entre nous, l’IBC et Qanurli, le nombre de séries est très faible dans l’Arctique. Comme ils l’ont dit, l’IBC a probablement lancé énormément de carrières, et c’est grâce aux séries que les gens ont du travail. Cela nous aide à renforcer nos capacités. Quand vous avez tourné un long métrage ou un film ponctuel, ça s’arrête là. Ensuite, les gens retournent travailler au gouvernement. Ce n’est que grâce à des séries qu’on peut offrir des emplois durables. Je pense que c’est vraiment important. Je pense que les émissions pour enfants sont vraiment importantes. Mais comme Nadia l’a dit, nous étions tous des éducateurs au départ. Nous avons eu l’occasion de travailler sur des séries avec un horizon de plusieurs années, puis, au terme de notre deuxième saison, nous venions de bâtir quelque chose au sein de la communauté. Nous avons réalisé cette émission à notre façon, dans notre communauté, en partant du principe qu’il valait mieux travailler avec des gens ayant moins d’expérience, mais étant engagés, cela pour bâtir quelque chose en commun. Et cela a été très important. Nous sommes très fiers que « Anaana’s Tent » soit tourné sur place à Iqualuit. Pendant les deux premières saisons, nous avons dû vider le salon d’une maison, construire une tente et tourner en intérieur. Vous auriez ri en nous voyant faire, mais vous ne ririez plus en entendant les parents dire : « Quand les enfants voient votre émission le samedi matin, ils parlent davantage l’inuktitut à la maison. » C’est très important pour nous.

Nous avons commencé par la première compagnie sœur. Il s’agit d’Inhabit Media, qui a été constituée en société en 2006. Inhabit Media est unique en ce sens qu’elle est la première et la seule maison d’édition indépendante à être financée au titre des subventions globales du Conseil des arts du Canada dans l’Arctique. Nous sommes le seul éditeur commercial de l’Arctique. Il y en a bien un autre, mais c’est un éditeur universitaire, Arctic College, et je vous recommande de vous adresser à lui si cela vous intéresse. Il a fait un travail incroyable. Mais nous sommes le seul véritable éditeur commercial. Nous publions des livres principalement en inuktitut et en anglais. Nous publions aussi un peu en français et en inuinnaqtun, mais ça évolue. Nous avons publié plus de 300 titres dans nos 13 années d’existence. Tous les titres sauf un sont disponibles en inuktitut, tous les titres sauf peut-être un sont disponibles en anglais. Nous conservons des tirages de tous nos titres. Souvent, lorsque le gouvernement finance le tirage d’un livre, plus aucune réimpression n’est réalisée ensuite. Mais nous sommes un éditeur commercial et aucun tirage n’est épuisé.

Nous distribuons actuellement nos produits partout en Amérique du Nord, dans des entrepôts en Ontario et au Minnesota, aux États-Unis. Nous venons tout juste de lancer des ventes à l’exportation en Europe et nous avons un entrepôt au Royaume-Uni. Nous avons commencé à investir dans des ventes de droits à l’étranger, après nos 13 années d’exercice, et nous venons de vendre des droits en italien et en espagnol. Certains livres d’auteurs nuvummiuts sont désormais disponibles en Italie et en Espagne. Nous travaillons fort pour que les artistes du Nunavut profitent de nos ventes à l’international.

De plus, on m’a demandé de participer à la refonte de la politique sur les arts et l’artisanat au Nunavut. L’une des choses que j’ai constatées en regardant les gens qui représentent les sculpteurs, les artistes visuels ou les acteurs, c’est que l’édition est une industrie unique qui, à mon avis, mérite qu’on s’y intéresse. Les artistes conservent les droits d’auteur sur leurs œuvres. Les artistes touchent des redevances et reçoivent des rapports de redevances deux fois par an. L’éditeur et l’artiste concluent un partenariat et profitent tous deux du succès d’un livre. L’industrie de l’édition au Canada est un partenariat intéressant entre un programme de subventions publiques, une entreprise commerciale et un artiste. Le gouvernement énonce les priorités, les pratiques commerciales modernes et encourage l’investissement d’une entreprise privée pour promouvoir le travail d’un artiste et devenir plus autonome financièrement. De plus, le financement est assez stable et prévisible. Il n’est pas suffisant, mais il est prévisible et stable, ce qui permet une planification pluriannuelle. Quand je m’assois à la table avec des représentants d’autres industries, je me rends compte que nous sommes uniques parce que nous avons cela, mais aussi à la façon dont nous représentons les artistes. Les galeries ne sont pas réglementées ou subventionnées de la même façon, mais l’industrie de l’édition est très intéressante.

Nadia a aussi signé un livre qui a connu du succès. Je ne sais pas si elle veut en parler. Nous publions des livres d’auteurs et de Nunavummiuts ayant vécu des expériences au Nunavut afin de nous assurer que, dans les futurs livres pour enfants, les Nunavummiuts retrouveront des descriptions de leur vie, de leur culture et de leur territoire et qu’ils se rendent compte que c’est un privilège.

Et puis, nous voulons aussi gagner l’ensemble du Canada. Une bonne partie de la littérature canadienne destinée aux enfants est du folklore européen. Pourquoi apprenons-nous Pinnochio et Cendrillon? Pourquoi les histoires canadiennes que nous célébrons ne font-elles pas partie de la littérature pour enfants? Inhabit Media s’est battue pour cela. Contrairement à la tendance actuelle qui est de chercher à célébrer les auteurs autochtones, que nous applaudissons par ailleurs, nous nous sommes battus pour parvenir à l’inverse, soit pour que nos livres sortent de la section des études autochtones et se retrouvent dans la section des livres pour enfants ordinaires. Nous avons dit aux trois propriétaires que nous voulions que nos livres soient reconnus comme des livres canadiens pour enfants et non comme des livres d’études autochtones. Nous nous sommes battus pour cela.

Récemment, nous étions à la foire du livre de Francfort. Quel plaisir de voir que les livres du Nunavut pouvaient résister aux livres de partout dans le monde. Ils ne ressemblaient pas seulement à des livres sur l’Arctique, mais à des livres contribuant à la culture du monde. Nous sommes encore en train de négocier de nombreux droits étrangers pour nos auteurs grâce à cela. Voulez-vous dire quelque chose?

Mme Mike : Oui. J’ai rencontré Neil lorsque je suivais ma formation d’enseignante. Il était l’un de mes professeurs. L’un de mes cours portait sur la littérature et l’enseignement de la lecture et de l’écriture. Dans cette classe, je me souviens, comme vous l’avez dit, que tous les livres que l’on nous montrait pour enseigner aux enfants n’étaient pas des livres portant sur le nord. Comme vous l’avez dit, il s’agissait simplement de livres canadiens grand public comme Dr Seuss et d’autres du genre. J’ai pensé qu’il devrait y avoir plus de contenu en inuktitut, parce que si nous enseignons dans des écoles dans l’Arctique, surtout en tant qu’enseignants en inuktitut, nous devons avoir cette base.

Je ne savais pas qu’il avait une maison d’édition. Je lui ai dit : « Écoutez, nous avons besoin de plus de livres en inuktitut ». Et il m’a répondu : « Oui, nous devrions ». C’est alors que j’ai présenté mon premier livre. Il s’agissait d’un livre cartonné pour bébé en inuktitut. Depuis, j’ai publié trois livres. L’un d’entre eux a été transformé en une courte animation que j’ai écrite et réalisée.

M. Christopher : Vous avez publié quatre livres, pas trois.

Mme Mike : Nous en discuterons plus tard. C’est vraiment important pour moi, en tant qu’enseignante, mère, parent et passionnée des Inuits et de notre culture, ce sont des choses que nos enfants doivent voir dans nos écoles, sur nos étagères et dans nos magasins. Dans ma maison, j’essaie vraiment de créer une fondation et d’avoir des imprimés respectueux de l’environnement pour que mes enfants soient davantage immergés dans l’inuktitut et la culture. C’est tout ce que je peux faire. C’est bien peu.

M. Christopher : La troisième entreprise, la plus récente, est Inhabit Education. C’est une maison d’édition à vocation éducative qui est très différente des maisons d’édition commerciales. Grâce aux capacités que nous avons acquises avec Inhabit Media et à certains projets avec Taqqut Productions, le ministère de l’Éducation et le gouvernement du Nunavut nous ont demandé de collaborer avec eux à divers projets. Nous nous sommes rendu compte qu’il s’agissait d’un ensemble de compétences totalement différent.

Nous avons donc créé la première maison d’édition à vocation éducative du Nunavut. Nous avons mis à profit nos connaissances des réseaux de distribution et des pratiques rédactionnelles que nous avons acquises par l’intermédiaire d’Inhabit Media, et nous les avons appliquées pour créer des ressources répondant aux objectifs des programmes d’études. Le ministère voulait des ressources qui sont conçues au Nunavut pour les écoles du Nunavut et les élèves du Nunavut et qui montrent la réalité de ces élèves.

Nous avons fait des travaux d’intérêt général et de consultation pour le gouvernement, mais nous avons aussi créé deux collections éducatives, Nunavummi et Arvaaq. Vous avez reçu deux documents à ce sujet.

Le ministère de l’Éducation du Nunavut a créé ce que nous croyons être l’un des premiers, sinon le premier, vrais programmes de lecture comprenant différents niveaux de difficulté dans une langue autochtone au monde. Si ce n’est pas le premier, c’est probablement le plus important. J’ai parlé à des gens du Groenland, et ils m’ont dit que leur programme de lecture était simplement traduit du danois, tandis que le Nunavut a pris l’idée d’un programme de lecture avec différents niveaux de difficulté, mais a commencé par l’inuktitut, en embauchant des linguistes et des spécialistes de la langue pour créer des étapes progressives d’alphabétisation et pour monter un programme de lecture. C’est un énorme succès pour le Nunavut et pour le Canada.

D’après ce que j’en sais, ce programme est, comme je l’ai dit, unique. Il comprend plus d’un millier de livres en inuktitut et des outils pour appuyer les enseignants qui contribuent à contrer la perte de la langue et de la culture. Dans certains groupes de discussion que nous avons eus, des enseignants nous ont dit que les choses changent immédiatement avec ce programme de lecture. Nous commençons maintenant à collaborer avec le Nunavik et les Territoires du Nord-Ouest pour essayer de mettre en application ce que le Nunavut a appris, c’est-à-dire partager avec ses voisins. Ce sont les trois sociétés sœurs d’où est né Taqqut.

Le président : Voilà des exposés très pertinents. Merci beaucoup.

[Note de la rédaction : Le président s’exprime en inuktitut.]

Il nous reste un peu moins d’une heure. Nos sénateurs ont beaucoup de questions à poser à la suite de vos exposés. Pouvons-nous nous limiter à deux questions chacun pour que nous puissions entendre tout le monde?

La sénatrice Bovey : Je voulais vous remercier. C’est très impressionnant et très inspirant. Je pense que tous ont mille et une questions.

Je croyais bien connaître le travail que vous faites. Vous m’avez fait prendre conscience que, bien que je pensais être bien au courant du dossier, je n’y avais plongé que le bout de mon orteil, alors félicitations. Raviver les cultures perdues et les langues perdues, je sais que pour beaucoup, c’est pratiquement impossible, mais pour vous, c’est un rêve que vous avez réalisé, alors je vous en remercie.

Ma question est vraiment très générale. Avec tout le respect que je vous dois, c’est une question qui touche à tout ce dont vous avez parlé. Comme vous le savez, nous sommes chargés d’élaborer un cadre stratégique pour l’Arctique. Vous savez que la langue et la culture font partie des bases importantes que nous examinons.

Compte tenu de votre expérience, de vos réalisations, de vos défis et des défis que vous devrez relever, sur quoi nous recommanderiez-vous d’insister dans notre rapport, lequel sera évidemment remis à nos collègues sénateurs, puis à la Chambre des communes? Les pouvoirs de la Chambre des communes doivent répondre aux rapports du Sénat. Qu’aimeriez-vous que nous incluions pour que vous puissiez faire ce que vous avez à faire?

Quelles sont les prochaines étapes? Que devons-nous faire pour nous assurer que vous puissiez franchir ces prochaines étapes?

Le président : Posons la question à chacun des deux groupes de témoins, en commençant par IBC.

Mme Dean : Très bonne question. Je pensais que les 94 appels à l’action de la Commission de vérité et de réconciliation devaient vraiment être adoptés et mis en œuvre. Quatre des appels à l’action portent sur la langue. Vous trouverez les recommandations de la page 8 à la page 9 du document papier qu’IBC vous a fourni. Quelle était l’autre partie de votre question?

Le président : À ce sujet, je crois savoir que des exemplaires sont disponibles. Êtes-vous d’accord pour qu’ils soient distribués même s’ils ne sont pas traduits, sous réserve que cela soit fait plus tard? Le comité est-il d’accord?

La sénatrice Bovey : Oui.

Le président : Nous sommes en train de distribuer votre présentation, Bernadette. Vous avez parlé des recommandations à la page 9?

Mme Dean : À partir de la page 8, au bas de la page 8, il y a cinq recommandations; et à la page 5... non, à la page 9; désolée.

Le président : Pages 8 et 9?

Mme Dean : Oui.

Le président : D’accord. Merci.

Pouvons-nous passer à M. Christopher?

M. Christopher : C’est très intéressant parce que nous sommes très différents. Ils sont financés par l’État et nous sommes une initiative commerciale. Je pense qu’il sera intéressant pour vous de connaître les deux points de vue.

Pour ma part, comme je l’ai dit, j’aime beaucoup l’industrie de l’édition. J’aime la façon dont — et je crois qu’il vaut la peine de l’examiner — un programme de subventions publiques aide à orienter les pratiques et les priorités des entreprises. Les trois entreprises s’efforcent de ne plus avoir besoin du financement. Mais la façon dont l’édition fonctionne, c’est qu’il n’y a aucun désavantage au retrait du financement jusqu’à ce que l’entreprise atteigne une situation commerciale vraiment saine et, à ce moment, elle n’est plus admissible à ce financement. Je sais — Louise, Danny et Nadia le savent, et nous le savons tous — que l’obtention de financement d’une année à l’autre n’est pas une façon de vivre et de prendre de l’expansion. Nous sommes toujours à la recherche d’autres revenus. Nous essayons d’obtenir des fonds étrangers et de les ramener ici. Nous ne serions pas ici sans les programmes de subventions qui existent. Ils sont très efficaces.

Dans le domaine de l’édition, nous sommes très reconnaissants au Conseil des arts du Canada. Au Nunavut, nous sommes très reconnaissants d’avoir établi des partenariats avec des organismes inuits, qui ont accès à certains programmes de financement. Nous nous sentons très chanceux d’être au Canada, parce que lorsque je parle à d’autres collègues à l’étranger, ils n’ont pas accès à ce type d’investissement pour les aider à atténuer les risques. Le Canada et le Nunavut nous ont aidés à atténuer les risques pendant notre expansion.

Développement économique et Transports Nunavut ont payé une partie de la facture lorsque nous sommes allés à Francfort. Ils ne couvraient pas tous les coûts, mais nous avons dû investir nos profits dans cette initiative également. Je pense que c’est un très bon modèle.

Il se passe des choses intéressantes sur notre territoire. Nous voyons beaucoup de designers, de fabricants de vêtements et de bijoutiers. Ils diraient probablement la même chose. Ils ont probablement accès à un peu de fonds pour le démarrage d’entreprises là-bas, mais il s’agit de leur propre initiative et ils profitent sur le plan commercial de ce succès. Aakuluk Music, l’industrie de la musique qui se développe... Il est question encore ici des partenariats public-privé, et vous encouragez les entreprises, et nous espérons que nous n’aurons plus besoin du financement.

Au Nunavut, nous essayons toujours de profiter de l’argent des Américains, des Canadiens du Sud et des Européens pour pouvoir investir dans l’inuktitut. Nous n’essayons pas de faire de l’argent avec l’inuktitut; nous essayons de faire de l’argent avec le reste du monde qui s’intéresse au contenu et de prendre cet argent et de l’investir chez nous. C’est notre modèle de durabilité à long terme. Nous ne voulons pas être dépendants. Nous voulons reconnaître qu’on nous offre une possibilité et la saisir. Quelqu’un d’autre peut y avoir accès, et pourrait s’en servir comme tremplin.

La sénatrice Bovey : Je tiens à vous féliciter de ce que vous avez dit au sujet des séries. En tant que mère de deux filles et de deux beaux-fils, trois d’entre eux travaillent à la télévision britannique comme producteurs de séries. Je ne saurais trop insister sur l’importance de la formation et de l’avancement professionnel qui en découlent. Les mesures ponctuelles sont excellentes, mais elles ne suffisent pas. Je vous remercie de vos observations à ce sujet.

M. Christopher : Puis-je ajouter une chose à ce sujet? J’ai récemment eu une discussion semblable avec les gens de Nunavut Film, parce que selon le mode de fonctionnement actuel du programme de subventions au Nunavut, la saison suivante, vous obtenez moins de financement. D’une certaine façon, ce mode de fonctionnement encourage les producteurs du Nunavut à se tourner vers le sud, vers l’Ontario, où on n’essaie pas de les dissuader de faire une autre saison. On les encourage plutôt à le faire. Le PDG de Nunavut Film l’a reconnu. Comme vous l’avez dit, l’industrie cinématographique va s’appuyer sur des séries. Nous devons le reconnaître.

La sénatrice Bovey : Félicitations.

Le président : Avez-vous quelque chose à ajouter, madame Brisebois?

Debbie Brisebois, directrice générale, Inuit Broadcasting Corporation : Essentiellement, pour faire écho à ce que Neil a dit au sujet des séries et à ce que vous avez dit au sujet de leur importance, c’est ce que fait IBC depuis près de 40 ans. Je pense qu’il est extrêmement important d’avoir ces images prévisibles et fiables sur nos écrans et ces paroles dans nos oreilles.

De façon générale, pour répondre à votre question sur les recommandations, les recommandations que nous avons ici sont assez éloignées de notre situation concernant le programme Radiodiffusion autochtone dans le Nord, tellement il est devenu édulcoré. Lorsque vous parlez de la production de séries, nous en produisons cinq et notre budget est de 2,6 millions de dollars. Ce n’est rien, vraiment.

Neil a parlé de monter une tente dans une cuisine ou un salon. Cela m’a rappelé lorsque nous avons créé l’émission « Super Shamou ». Essentiellement, ils se sont rendus à Baker Lake et sont allés chercher tout le matériel au dépotoir... il a emprunté sa cape et ses bottes de caoutchouc à quelqu’un. C’est essentiellement de cette façon qu’a dû procéder IBC.

Encore une fois, nos recommandations sont assez précises, si vous voulez en discuter davantage. De façon plus générale, la législation sur les langues autochtones, dont nous venons d’entendre parler, pourrait être déposée cette semaine...

Le président : Une question rapide : IBC a-t-il été consulté au sujet de l’élaboration de la législation sur les langues autochtones?

Mme Brisebois : Oui, nous l’avons été. Ce fut une consultation très rapide. J’ai assisté à une séance ici, à Ottawa. Bernadette a assisté à une séance à Iqaluit. Il s’agissait d’une consultation très précipitée, si je puis dire, mais nous avons eu notre mot à dire et nous avons pu faire valoir certaines de nos préoccupations.

Le président : Je tiens à profiter de la prérogative du président, si vous me le permettez. Tout d’abord, je tiens à remercier IBC de son excellent exposé. Je me souviens de l’époque où la télévision est arrivée dans le Nord, dans ce qui est maintenant le Nunavut. Je me souviens de l’époque où, pendant plusieurs années, le hameau d’Igloolik a refusé que la télévision y fasse son entrée, et ils ont réussi et l’ont fait pour des raisons de préservation de la culture et de la langue. Je me souviens de l’époque où CBC/Radio-Canada réservait une demi-heure par semaine à des émissions en inuktitut dans le cadre du programme Nunavummiut, en collaboration avec l’Office national du film. Vous avez développé le programme Inukshuk, il est devenu TVNC. Maintenant, vous n’avez pas de licence de radiodiffusion et vous dépendez d’APTN, le Réseau de télévision des peuples autochtones, pour la diffusion d’émissions en inuktitut à la population très dispersée du Nunavut.

La question que je me pose est donc la suivante : comment sont les rapports avec APTN? Vous êtes une langue minoritaire au Canada, et combien d’heures par semaine avez-vous? Aimeriez-vous en avoir plus? Comment vont les choses avec le modèle actuel, maintenant que la télévision a évolué? Les Inuits ont été les pionniers dans le Nord. Maintenant, la télévision a évolué vers d’autres langues autochtones, ce qui est formidable. Mais comment se portent vos langues minoritaires par rapport à l’accès aux nôtres? Pouvez-vous nous en parler?

Mme Dean : Tout ce que je peux dire, c’est que l’arrivée d’APTN a été difficile. J’aime l’idée qu’APTN diffuse des émissions en langues autochtones partout au pays. Une partie du défi pour IBC, c’est que toutes nos émissions doivent avoir des sous-titres en anglais ou en français, en plus du travail de réalisation dans le cadre de la production. Nous entendons souvent des aînés et d’autres se plaindre qu’ils ne voient pas assez de contenu dans notre langue à l’heure actuelle. À l’époque, certains aînés comprenaient d’autres langues autochtones en raison de leur séjour au sanatorium antituberculeux. Ce fut difficile en raison des créneaux horaires.

Le président : Comment régler le problème?

Quelle est la solution s’il n’y a pas assez d’heures réservées?

Mme Dean : L’une des idées sur lesquelles nous travaillons depuis cinq, six, sept ans ou plus est d’avoir TV Nunavut. Je me souviens que cette idée a vu le jour lorsque feu Jose Amaujaq Kusugak était encore parmi nous. Il y a eu une réunion de l’industrie il y a quelques années lorsqu’il est devenu le premier président de la KIA, donc après ITK. L’idée de TV Nunavut était déjà née. Debbie pourra vous en parler davantage. Je suis également membre du conseil d’administration de ce projet. Nous n’avons pas eu de conférence téléphonique ni de réunion depuis plus d’un an.

On espère que TV Nunavut aura une vocation éducative et sera diffusé dans notre langue. Je sais, car j’ai parlé avec d’autres Inuits du Groenland et de l’Alaska, que l’Alaska aimerait beaucoup que APTN y diffuse ses émissions. On ne peut pas le faire, mais c’est peut-être une façon de protéger notre langue et notre culture.

À l’heure actuelle, tout ce que je peux dire, c’est que TV Nunavut est un rêve que nous souhaitons pouvoir réaliser. La situation actuelle est restrictive d’une certaine façon puisque nous avons l’obligation de diffuser par l’intermédiaire d’APTN.

Le président : Avez-vous quelque chose à ajouter, madame Brisebois?

Mme Brisebois : Oui. Comme Bernadette l’a mentionné plus tôt, nous produisons cinq séries. Il n’y a que deux de nos séries qui sont diffusées sur APTN, en plus de l’émission téléphonique qui est une exception. APTN a une règle selon laquelle une entreprise de production ne peut présenter que deux séries.

Nous voulons continuer, bien sûr, à produire « Takuginai » et « Pituqait ». Ce que nous faisons avec ces séries, c’est les diffuser sur isuma.ca.

Le président : C’est un cyberréseau qui fait de la diffusion en continu, n’est-ce pas? Est-ce une façon d’accroître la programmation en inuktitut au Nunavut?

Mme Brisebois : Je pense que c’est une façon d’aller de l’avant. Il y a des limites. La plupart d’entre nous connaissent sans doute les problèmes liés à la bande passante, au coût et à la fiabilité. Comme nous pouvons le voir, nous n’avons pas pu entendre Alethea par vidéoconférence aujourd’hui.

Ce n’est pas une mauvaise solution. Je ne pense pas que ce soit la solution absolue. Comme Bernadette l’a mentionné, TV Nunavut, IBC et d’autres producteurs indépendants au Nunavut travaillent ensemble depuis de nombreuses années et ont pris des mesures concrètes. Une étude de faisabilité technique a été réalisée. Il est tout à fait possible d’avoir un canal du Nunavut.

Le président : Pourriez-vous remettre cette étude au comité, par l’entremise du greffier, s’il vous plaît?

Mme Brisebois : Absolument. Ce qui nous freine, c’est que nous sommes un groupe de gens dispersés qui essaient de faire leur travail quotidien.

Le président : L’environnement.

Mme Brisebois : TV Nunavut n’a pas vraiment de ressources, et c’est l’une des recommandations que nous formulons ici au sujet de la distribution. C’est possible. C’est un rêve, mais il est à portée de main. Il n’est pas très loin. Il peut se réaliser avec quelques ressources seulement.

Le président : Merci beaucoup.

La sénatrice Coyle : Merci à tous pour vos exposés très instructifs et inspirants. J’ai une question pour chacun des groupes. Aux pionniers...

Le président : Ils sont tous les deux pionniers.

La sénatrice Coyle : Madame Dean et madame Brisebois, le travail auquel vous avez participé a vraiment été un travail de pionnier dans toute cette région, dans le monde dans lequel vivent les Inuits. Je suis très impressionnée par votre travail.

Nous avons rencontré Super Shamou à Baker Lake, puis à la mine d’or Meadowbank, et nous avons fait une bonne visite avec lui. J’ai vu les dessins de lui dans le terrain de jeu intérieur de Baker Lake, alors je connais très bien la tenue que vous décrivez.

L’une des choses sur lesquelles nous nous penchons et dont vous avez parlé, c’est la législation sur les langues autochtones qui va être déposée. Je siège également au comité des peuples autochtones, alors je suis doublement intéressée par ce que vous dites.

Ce que je comprends de ce que vous dites, c’est qu’il faut s’assurer de ne pas adopter une solution universelle. Est-ce un peu ce que vous dites dans votre recommandation, soit que les langues inuites devraient être traitées séparément et ne pas être regroupées avec toutes les autres langues autochtones? Je comprends ça.

Par contre, vous dites aussi que la loi doit être appuyée par l’action. Pourriez-vous nous parler un peu plus de ces deux aspects : du caractère distinct et de la façon de l’aborder, de traiter la langue inuite; et du genre de mesures dont vous parlez?

Mme Dean : Je vous remercie pour votre question. Notre situation linguistique me tient beaucoup à cœur. Quelle que soit la langue, nous tous, qu’il s’agisse de l’anglais, du français, de l’inuktitut, de l’espagnol ou d’une autre langue, apprenons la langue d’abord en l’entendant. C’est ainsi que j’ai appris mon inuktitut.

C’est une question très difficile que vous posez. L’inuktitut est une langue que nous ne voulons pas mettre dans le même panier que toutes les autres.

J’ai écrit beaucoup de propositions, ce qui m’a amenée à faire beaucoup de recherche et à devoir prouver aux bailleurs de fonds l’importance des Inuits et de l’éducation à leur sujet. L’une des choses que j’ai remarquées, une des statistiques de 2013, c’est que les Inuits représentaient 0,02 p. 100 de la population canadienne. Je dis souvent que nous sommes une très petite population, mais que nous sommes très célèbres parce que nous vivons dans l’Arctique.

J’ai vu de mes propres yeux comment la langue s’est perdue en une génération. Je peux dire, en mon nom et celui de mes enfants, que mes enfants comprennent l’inuktitut, mais chaque fois que nous arrivions dans une nouvelle communauté leur dialecte était souvent corrigé. C’est un peu douloureux, mais c’est la réalité.

Comment pouvons-nous renverser cette tendance? Je suis reconnaissante qu’il y ait des gens comme Neil Christopher, Nadia Mike et Taqqut. Je suis heureuse de voir de telles choses se produire. Il y a tout de même une tendance que nous devons inverser d’une façon ou d’une autre, et nous le pouvons grâce à la musique, au cinéma, à la télévision et à tout le reste. Mais il faut aussi changer les attitudes. Comment pouvons-nous changer ces attitudes?

L’une de ces attitudes est que, pendant longtemps, le message envoyé était que notre langue et notre façon de penser n’étaient pas assez bonnes. On nous a enfoncé l’anglais dans la gorge.

Soit dit en passant, je suis encore en train d’apprendre l’anglais.

Nous chantions « Mary had a Little Lamb » même si nous n’avions aucune idée de ce qu’était un agneau.

Je sais que nous fondons beaucoup d’espoir dans cette technologie. Cette technologie est très prometteuse, mais elle est en constante évolution. Il faut sans cesse mettre à niveau ses compétences pour le dernier logiciel, l’ordinateur le plus récent. Mais le dévouement, le changement d’attitude... et peu importe les statistiques que vous lisez sur la proportion de la langue parlée, si ce n’est plus la langue parlée à la maison ni au terrain de jeu, vous pouvez bien produire tous les livres que vous voulez. Mon espoir et mon rêve sont d’avoir une Dora l’exploratrice qui serait Inuite. Nous devons renverser la vapeur. Les Inuits ne peuvent y arriver seuls.

La sénatrice Coyle : Comme vous l’avez dit, et comme d’autres l’ont dit, la langue est un pilier important de la culture. Merci beaucoup de cette réponse, qui, je le sais, n’est pas facile.

Mme Mike : Ce que vous avez dit au sujet de vos enfants qui connaissent de nombreux dialectes différents, mais qui se font toujours corriger, en tant qu’enfants en pleine croissance, cela les freine et ils deviennent complexés et très intimidés et ne veulent plus parler l’inuktitut. Ce qu’ils ressentent je l’ai ressenti aussi, parce que j’ai déménagé souvent au Nunavut et dans les Territoires du Nord-Ouest. On vous enseigne à respecter vos aînés et les gens qui sont plus âgés. Lorsqu’ils vous disent : « Oh, vous devez le dire de cette façon et non de cette façon », parce qu’ils veulent que vous appreniez leur dialecte, ces remarques peuvent avoir des conséquences sur un enfant.

La sénatrice Coyle : Ces observations aident vraiment à compléter ce point. Le fait qu’il n’existe pas de solution universelle, même en inuktitut. Merci, madame Mike et monsieur Christopher, de vos exposés. Bien sûr, vous êtes aussi des pionniers. Je ne voulais pas dire que vous n’en étiez pas, car vous êtes certainement des pionniers de la nouvelle génération; ce dont nous avons besoin.

C’est merveilleux d’avoir des témoins qui représentent les gens qui sont encore à la fine pointe de la technologie, mais qui ont aussi été les pionniers dans ce domaine, ce qui est incroyable, et vous qui arrivez avec une nouvelle perspective, un point de vue différent du secteur public, celle de votre entreprise de production et de vos maisons d’édition.

C’est de la musique aux oreilles d’entendre toute l’innovation qui se fait. Nous entendons si souvent de moins bonnes nouvelles de l’Arctique et du Nunavut. Il y a de très bonnes nouvelles sur lesquelles nous devons nous appuyer. Dans notre rapport, nous nous penchons entre autres sur le cadre stratégique pour l’Arctique et tentons de formuler des recommandations et il est important d’appuyer ceux qui font déjà des choses novatrices et efficaces. C’est ce que nous entendons ici.

Ce travail sur le volet éducatif de la télévision et de l’édition m’emballe beaucoup. Mon petit-fils a commencé sa carrière dans le milieu scolaire à Baker Lake. J’ai été choquée de voir à quel point il y avait un manque total de ressources et vous êtes en train de les créer, tant sur le plan écrit que sur le plan télévisuel. Je suis très heureuse d’en savoir plus sur ces projets.

Je suis également enthousiasmée par leur portée internationale et le fait qu’il ne s’agisse pas seulement de la langue et de la culture inuites — qui doivent être la priorité —, mais aussi de l’intégration au Canada et ailleurs. Vous avez tout à fait raison. Je crois que vous avez dit, madame Dean, que les gens de l’Arctique canadien sont très bien connus dans le monde entier. Il y a une curiosité et un respect pour la résilience et les gens, ce dont nous parlons tous.

Ma question s’adresse à notre deuxième groupe. Vous nous avez parlé de votre travail, mais quelles sont vos grandes aspirations pour les trois entreprises? Quels sont vos projets pour l’avenir? Quelle incidence voulez-vous avoir sur la jeune génération des divers territoires inuits du Canada et d’ailleurs? Je veux connaître vos grands rêves.

Le président : Ce dont nous devons parler, en tant que comité sénatorial faisant des recommandations au gouvernement fédéral, c’est de la façon dont le gouvernement fédéral peut aider.

La sénatrice Coyle : Oui, et vous avez commencé par cette question, et c’était le point de départ de Pat également.

M. Christopher : Pour ce qui est de l’édition, nous voulons toujours plus d’argent, mais je suis heureux quand je vois où il va. Pour ce qui est du cinéma, IBC n’en reçoit pas assez, mais il n’y a pas un seul des dollars que nous recevons pour notre équipe qui soit garanti chaque année. Nous devons nous battre chaque année pour lancer des productions.

APTN a été sans aucun doute le meilleur partenaire pour nous. Lorsque nous présentons des choses à la CBC ou à qui que ce soit d’autre, personne d’autre ne respecte les sensibilités nordiques. Tout le monde veut que tout soit coupé très rapidement, mais cela ne correspond pas à la sensibilité du Nord. Nous avons une façon calme de raconter des histoires. Personne d’autre qu’APTN ne sera intéressé par la langue. Mais APTN doit offrir ses services à beaucoup de communautés autochtones.

Nadia et moi sommes allés leur parler récemment. Nous avons dit essentiellement que, pour survivre en tant qu’entreprise, nous avons besoin de deux séries présentées chaque année. Nous ne pouvons pas survivre avec une seule. Ils ont dit que c’était beaucoup demander. Nous avons dit que c’est ce dont nous avions besoin pour être viables. Nous travaillons de longues heures, beaucoup de ces heures sont non rémunérées, alors nous avons besoin de TV Nunavut. Même si nous avons une vision internationale, si nous ne créons pas de contenu pour notre propre communauté, personne d’autre ne le fera.

Notre programme d’édition, nous reconnaissons que c’est pour notre communauté. Nous allons répertorier quelques-uns des titres qui pourraient susciter de l’intérêt à l’étranger et les mettre de l’avant. Nous ne nous intéressons pas seulement à la réussite commerciale, mais aussi à la réussite des communautés. Nous bâtissons quelque chose pour l’avenir.

C’est la même chose pour le cinéma et la télévision. « Anaana’s Tent », « Sesame Street » en Inuktitut. Le marché n’est pas gigantesque pour ces émissions. Cela n’a pas d’importance. C’est ce que nous voulions faire pour une raison bien précise. Nous bâtissons quelque chose pour notre communauté.

Nous avons cinq ou six productions pour enfants qui en sont à différents stades de développement. L’une ressemble beaucoup à une « Dora » de l’Arctique, un dessin animé qui s’adresse au public. Nous avons conçu plusieurs applications. L’avantage avec nos trois sociétés sœurs, c’est que pour « Anaana’s Tent », nous pouvons ensuite octroyer une licence à la maison d’édition et produire des livres avec les mêmes personnages. Nous voulons les mêmes caractéristiques reconnaissables qu’en anglais.

Le président : Ce ne sont plus Dick et Jane.

M. Christopher : Ce ne sont pas Dick et Jane, exactement. Ukaliq et Kalla, si vous ne l’avez pas vu, un lapin et un lemming. Nous avons donc cela, avec Vinnie Karetak et Anguti Johnston. Nous voulons faire des choses pour notre chez nous. Ensuite si elles fonctionnent à l’extérieur, tant mieux. Si nous pouvons faire des profits, tant mieux.

Le président : Puis-je vous poser une question au sujet de la société d’État fédérale, la CBC/Radio-Canada? Quelles sont ses politiques? Vous avez dit qu’elles étaient difficiles à satisfaire, si j’ai bien compris.

M. Christopher : Je ne m’y intéresse plus. Ils nous ont dit d’emblée qu’ils ne s’intéressaient plus aux programmes éducatifs pour enfants.

La sénatrice Coyle : Ce n’est pas dans son mandat.

M. Christopher : Pour moi, il est ridicule qu’un radiodiffuseur public abandonne les enfants. Je ne peux pas l’accepter. J’ai été un ardent défenseur de CBC/Radio-Canada, mais maintenant je ne suis plus intéressé par la télévision de CBC/Radio-Canada, jusqu’à ce qu’elle change cet aspect.

Ils peuvent faire des productions. Ils n’ont pas les mêmes risques financiers que nous tous. S’ils n’investissent pas dans les enfants canadiens, qui va le faire? Je n’ai pas eu de réunions productives avec eux. C’est seulement APTN qui dira : « Dans notre communauté, nous voulons procéder de cette façon. C’est le rythme auquel nous voulons raconter l’histoire. » Nous avons dû nous battre et ils avaient la même chose. Ils voulaient des sous-titres en anglais. Malheureusement, Louise Flaherty, l’une des autres propriétaires, est maintenant dans une fiducie sans droit de regard parce qu’elle est sous-ministre de l’Éducation au Nunavut et ne peut pas être ici. Mais à ce moment-là, elle s’est assise et nous nous sommes battus. Nous avons dit : « Nous ne pouvons pas parler l’inuktitut et montrer le texte anglais. Ce n’est pas logique du point de vue éducatif. » APTN a fini par dire : « Vous avez raison. Cela fait du sens. »

Ils ont peut-être des idées qui ne cadrent pas avec les nôtres, mais ils nous ont écoutés. Ils n’ont pas assez d’argent pour produire suffisamment de productions pour nous, mais nous avons besoin de TV Nunavut et de quelqu’un qui peut accepter « 100 p. 100 de contenu inuktitut ». Le Nord doit décider pour le Nord; l’Arctique pour l’Arctique. C’est le message qu’il faut transmettre. S’il y a un programme comme celui de l’édition, vous investissez dans des entreprises qui suivent les bonnes pratiques commerciales, et la subvention est fondée sur le niveau de productivité et d’innovation et l’arrivée de nouveaux travailleurs dans l’industrie. J’adorerais cela. Mais pour l’instant, nous n’avons aucune stabilité du côté du cinéma. C’est vraiment difficile.

Le président : Nous avons des locuteurs de l’inuktitut au Nunatsiavut, au Nunavik, dans les Territoires du Nord-Ouest, en Inuvialuit et en Alaska. TV Nunavut pourrait-elle rejoindre un plus grand nombre de locuteurs inuktituts?

Mme Dean : Absolument. Toutes les langues de l’Alaska, du Nunavut, du Groenland et des Inuits ont les mêmes racines. En discutant avec d’autres Inuits de ces régions, on constate qu’ils souhaitent réellement mieux connaître d’autres cultures et d’autres façons de faire.

Récemment, il y a environ trois semaines, une jeune fille d’Iñupiat a mentionné sur Facebook et Twitter que, même si elle veut regarder « Qanuq Isumavit » en ligne ou « Takuginai », en vertu de certaines lois, elle ne peut pas y avoir accès en raison de problèmes de licences. Parce qu’elle est américaine, elle ne peut même pas y avoir accès en ligne.

Il y a tellement d’intérêt, et il y a eu des expériences semblables avec Iñupiat et les Groenlandais. Nous avons tous vécu les mêmes expériences ou des expériences semblables. Nous nous efforçons tous de raviver ou de retrouver notre langue. Peu importe ce que vous voyez en noir et blanc, à savoir que l’inuktitut est l’une des langues que l’on s’attend à voir survivre, je pense que ces études ne reflètent pas vraiment la réalité d’aujourd’hui. Il y a beaucoup d’intérêt chez les autres Inuits.

J’espère avoir répondu à votre question.

Le président : Oui. Merci beaucoup.

M. Christopher : Les plus gros achats en lot de nos livres viennent de l’Alaska. Il faut donc aller dans ce sens.

Le président : Très bien.

Chers collègues, il nous reste environ 10 minutes. Je vous demanderais d’en tenir compte.

La sénatrice Dasko : Merci à tous pour vos exposés. C’était vraiment intéressant et utile.

J’ai quelques questions. Tout d’abord, en ce qui concerne la télévision en général, il est bien connu, disons pour ceux d’entre nous qui vivent dans le Sud, les Américains, les Canadiens, les Européens et autres, que le nombre de téléspectateurs en général a diminué à mesure que la population passe à la diffusion en ligne et en continu, et ainsi de suite. La fragmentation de la télévision et le déclin du nombre de téléspectateurs sont en quelque sorte endémiques. C’est une tendance générale.

Est-ce le cas dans le Nord? Nous connaissons tous les problèmes liés à la large bande. La télévision est-elle encore un support utilisé? Est-ce que son importance se maintient en tant que support? Chose certaine, vous semblez considérer la télévision comme un moyen de distribution pour l’avenir dans certains aspects de votre travail. J’aimerais poser une question sur la télévision en général. Est-ce encore un support dominant dans le Nord? A-t-elle souffert des mêmes problèmes que nous avons vus dans le Sud? Je vous le demande à tous.

Mme Brisebois : Il semble que ce soit différent dans le Nord et dans le Sud. On continue de dépendre de la télévision et de la radio traditionnelles en partie à cause des problèmes de bande passante, de la fiabilité et du coût.

Si vous entrez dans une maison dans le Nord, c’est encore comme à l’époque — et je me sens vieille en disant cela — où la radio jouait toujours. Maintenant, s’il y a des émissions en inuktitut, tout le monde met la chaîne où se trouvent ces émissions.

La sénatrice Dasko : Ils ne sont donc pas tous sur leur ordinateur comme mes enfants?

Mme Brisebois : Non, absolument pas. Je pense que nous avons tous fait des tentatives pour créer des balados pour les enfants. Souvent, ils ne peuvent les écouter que lorsqu’ils voyagent dans le Sud, et c’est beaucoup plus facile.

Ce qui est intéressant, c’est qu’il n’y a pas de statistiques sur la télévision dans le Nord. APTN n’a pas de données sur les cotes d’écoute dans le Nord, parce que toutes les entreprises qui les mesurent ne le font pas dans le Nord, parce que la population est trop petite. Elles ne les mesurent pas non plus dans les réserves.

La sénatrice Dasko : Je ne suis pas du tout surprise d’entendre cela.

Mme Brisebois : Il n’y a pas de statistiques.

M. Christopher : Je pense exactement la même chose que Debbie. Ce n’est pas la même chose, mais nous observons un certain déclin dans le Nord. Ce n’est pas la même chose que dans le Sud. Nous investissons également dans du contenu pour des applications et nous commençons à investir à l’interne dans les séries web.

IBC a déjà commencé à le faire avant nous. Nous mettons du contenu en ligne et nous nous préparons. Nous n’attendons pas que le monde change, mais lorsque le monde changera et qu’Internet sera meilleur dans le Nord, il y aura tout ce contenu. Il y a aussi des Inuits qui ne vivent pas dans le Nord, et beaucoup d’entre eux ont accès à notre contenu tout le temps. Nous essayons le plus de stratégies possible.

La sénatrice Dasko : Pour essayer de vous tenir au courant de ce qui se passe et utiliser ce qui existe.

M. Christopher : Exactement.

Le président : Nous tenons cette réunion sur le territoire algonquin. Cette ville compte la deuxième population inuite en importance au Canada. Il n’y a pas de chiffres, mais il pourrait y avoir 3 000 Inuits à Ottawa.

La sénatrice Dasko : Monsieur Christopher, j’aimerais que vous apportiez des précisions sur quelque chose que vous avez dit plus tôt. Je veux m’assurer de bien comprendre ce que vous avez dit au sujet des subventions. Vous avez parlé des subventions de démarrage et de la façon dont elles disparaissent à mesure que l’entreprise prend de l’expansion et connaît plus de succès.

Demandez-vous que l’on continue de subventionner les entreprises prospères, ou préconisez-vous le maintien et la poursuite du modèle des entreprises en démarrage, puis de la diminution des subventions?

M. Christopher : Nous avons bénéficié de fonds de démarrage d’entreprise. Je ne m’attends pas à ce qu’on en reçoive indéfiniment. En tant qu’entreprise, nous devons apprendre à nous en passer et reconnaître les avantages dont nous avons profité au Canada. Mais dans le domaine de l’édition, si le Canada n’investissait pas dans le contenu canadien, nous ne l’aurions pas. C’est comme à la télévision.

Regardez le modèle canadien pour voir comment fonctionne le système d’octroi de tranches horaires. Essentiellement, notre entreprise a fait l’objet d’une vérification. Nous avons dû prendre certaines mesures pour y arriver. Il y a eu un fonds de fusion d’éditeurs, puis nous y sommes arrivés. Essentiellement, nos contrats et nos pratiques commerciales sont vérifiés, et il y aura des redevances et toutes ces choses formidables. Publions-nous de nouveaux auteurs? Comment sommes-nous représentés? Sommes-nous innovateurs? Cette subvention, il y a un certain montant et il y a une formule et les fonds sont répartis entre tous les collaborateurs au Canada au contenu canadien.

Après un certain temps, vous quittez ce programme. C’est quand même assez important. Il faut consolider l’entreprise. Cela prend un certain temps. J’aime bien la façon dont on fait l’édition parce qu’elle n’augmente que de 17 p. 100 et qu’elle ne diminuera que de 17 p. 100. On ne vous coupera pas l’herbe sous le pied l’année suivante. Même si vous avez une mauvaise année, vous enregistrerez une baisse, mais vous aurez l’occasion de vous en remettre.

Je pense que c’est un très bon modèle. Nous avons beaucoup de grands auteurs canadiens grâce à lui. Nous devrions peut-être examiner ce modèle pour les autres industries artistiques.

La sénatrice Dasko : Selon vous, pour quelles raisons la structure actuelle des subventions est-elle un très bon modèle?

M. Christopher : Nous ne serions certainement pas ici sans lui.

La sénatrice Dasko : Oui, c’est évident.

Le président : Nous devons conclure. Si vous me le permettez, je sais que la sénatrice Bovey a une question complémentaire à poser à ce sujet. Je vais même deviner ce qu’elle va demander.

La sénatrice Bovey : Je suis un livre ouvert. J’allais vous poser une question sur les auteurs, les artistes, les cinéastes, les designers, les écrivains et l’édition. Dans quelle mesure avez-vous accès aux nouveaux programmes du Conseil des arts du Canada?

Le président : Sénatrice Bovey, à partir de quand le Conseil des arts du Canada a-t-il remanié ses programmes?

La sénatrice Bovey : Le premier cycle de subventions a eu lieu l’automne dernier. Les premiers résultats sont sortis à ce moment-là. Tous les candidats avaient soumis leurs demandes en ligne. Je suppose que la section inuite n’existe plus. Je ne pose pas cette question dans un esprit négatif. Je vous demande simplement quel degré de succès le conseil a eu dans le Nord. Le Conseil des arts comparaît devant nous cet après-midi. Ses représentants savent que je pose cette question à tous les témoins et que j’ai tous les chiffres du conseil devant moi. C’est une première question, si vous voulez bien.

D’autre part, comme j’ai beaucoup travaillé dans le domaine de l’édition, je sais que la distribution de livres, d’ouvrages et de films a subi bien des soubresauts. Vous pourriez peut-être nous donner les deux réponses en une.

Le président : Nous allons vous demander de répondre assez brièvement à ces deux questions. Qui voudrait répondre à la première sur l’accès au Conseil des arts du Canada?

M. Christopher : Le monde de l’édition n’a pas de problème. Les autres secteurs se heurtent à des difficultés. Taqqut n’a pas été jugé admissible à certaines disciplines. Nous essayons de régler ce problème. Nous ne trouvons pas de personne-ressource qui puisse nous aider. Ce n’est vraiment pas facile.

Mme Mike : J’ai été obligée de présenter ma demande en ligne pour qu’elle soit validée, et il m’a fallu environ deux semaines pour le faire. Je n’ai toujours pas reçu de réponse.

M. Christopher : Cette transition a été ardue. Peut-être que nous n’y avons pas consacré assez de temps.

Le président : Vous êtes un candidat plus averti que bien d’autres.

M. Christopher : Il nous faudrait une personne-ressource que nous pourrions appeler pour dire que nous comprenons mal pourquoi le conseil refuse nos demandes. Nous voudrions des explications. Nous ne trouvons personne à qui parler.

Le président : Le Conseil des arts se concentrait-il sur les Inuits, auparavant?

La sénatrice Bovey : Il avait une section. Il l’a éliminée.

M. Christopher : Cela ne nous a pas aidés du tout. Les personnes que nous représentons n’ont rien reçu. Je ne parle pas du monde de l’édition, pour lequel tout va très bien.

Le président : Au nom du comité, je vous remercie beaucoup pour vos allocutions enrichissantes, utiles et passionnantes.

J’ai le plaisir d’accueillir de Qaggiavuut! la présidente, Mme Rhoda Ungalaq, et la directrice générale, Mme Ellen Hamilton. Ensuite, d’Artcirq, nous avons M. Guillaume Saladin, président, acrobate, cofondateur et codirecteur artistique et M. Jimmy Awa Qamukaq, vice-président, acrobate/clown et coordonnateur en chef à Igloolik.

Nous photocopions vos allocutions. Je voudrais d’abord passer la parole à Mme Reneltta Arluk, directrice artistique et fondatrice du Théâtre Akpik, qui nous parle par vidéoconférence de Banff, en Alberta. Je vous remercie tous de vous être joints à nous. Je vous invite à nous présenter vos allocutions liminaires. Nous avons fixé une plage horaire bien précise, et nous vous demanderons de la respecter pour que nous ayons ensuite le temps de vous poser des questions. Madame Arluk.

Reneltta Arluk, directrice artistique et fondatrice, Théâtre Akpik : Je suis originaire des Territoires du Nord-Ouest. Ma mère est denesuline et crie, de la région de Fort Chipewyan et de Fort Smith, et mon père est un Gwich’in inuvialuit de la région d’Inuvik Aklavik. Je suis ici pour représenter le Théâtre Akpik, dont je suis la fondatrice et la directrice artistique. Notre principal objectif est de créer des histoires, de faire du mentorat, de présenter et de produire des scénarios axés sur les Autochtones du Nord et destinés à des publics régionaux, nationaux et mondiaux.

Nous faisons tout cela afin d’ouvrir un espace où les Autochtones du Nord puissent s’exprimer et nous décrire leurs expériences à leur façon.

Je suis devenue artiste un peu plus tard dans ma carrière — je n’ai commencé qu’à 19 ou 20 ans — et, quand je suis revenue dans le Nord pour créer des œuvres artistiques, j’ai remarqué qu’il n’y avait pas d’endroit pour m’accueillir. Chaque communauté avait un centre sportif, mais aucune n’avait un lieu où les artistes puissent se réunir pour créer ou pour montrer leurs œuvres à la communauté. Le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest finance copieusement les sports, qui reçoivent aussi le soutien du système de loterie, mais dans notre territoire, les arts n’ont pas accès à ces fonds.

Les arts ont désespérément besoin de financement. Nous avons le Conseil des arts des T.N.-O. qui finance des artistes, mais le besoin est si énorme qu’il est incapable d’offrir un financement viable aux artistes de toutes les communautés.

Les arts sont très importants, parce qu’ils intègrent la langue et la culture. L’art est la voix même de la culture et de la langue. L’art a besoin que l’on habilite la culture et la langue pour créer son œuvre. Pour créer de l’art, il faut pouvoir y réagir. L’art a besoin d’un auditoire et il demande à la communauté de participer à son expression. Il intensifie le besoin de rallier la communauté et d’écouter chacun de ses membres.

Si l’on favorise la désunion des jeunes et des membres de ces petites communautés isolées, en leur construisant un centre où ils peuvent faire du sport, mais pas un centre où ils peuvent créer des œuvres d’art, on creuse un fossé au sein de la communauté. Qu’offre-t-on à ses membres qui ne sont pas dotés d’une âme sportive?

Du côté de mon père, du côté inuvialuit, mon arrière-grand-mère et mon arrière-grand-père étaient des joueurs de tambour et des danseurs passionnés. Ils ont enseigné cela à tous leurs enfants. Leurs enfants dansent et jouent encore du tambour. De plus, ils parlent encore leur langue.

Je pense à mon arrière-tante Lillian Elias. C’est l’une des dernières femmes qui parle notre langue dans notre communauté. Je sais que cela vient du fait que la langue était profondément ancrée dans le chant et la danse.

J’ai commencé à apprendre la langue en chantant des chansons, et c’est le fondement même de mon art.

En réfléchissant à l’Année internationale des langues autochtones, je pense à la force qu’a la langue en Alaska, je pense à la force qu’elle a au Nunavut et au Groenland, et je pense à la divergence de la langue de nos territoires. Alors je me demande pourquoi il en est ainsi. Je crois que cela est dû au fait que l’art ne reçoit pas beaucoup de soutien. Comment pouvons-nous enrichir notre culture et notre langue sans les relier à nos pratiques artistiques?

Pour y parvenir, il nous faut un soutien financier qui nous permette de créer des œuvres d’art qui touchent profondément nos communautés.

Ce soutien financier ne devrait pas profiter à un artiste en particulier. Il devrait ouvrir l’espace nécessaire pour créer les œuvres d’art et, ensuite, soutenir les progrès de cet artiste. Il faut se concentrer sur la direction des arts. Je vous parle du Centre des arts de Banff. Je suis la directrice des arts autochtones ici au centre de Banff. Il est crucial que nous dirigions nous-mêmes la création de nos œuvres afin de déterminer la manière de raconter chaque histoire du début à la fin.

À mon avis, dans le Nord, ce manque d’union artistique provient aussi du fait que l’on n’enseigne pas les arts dans les écoles. Alors je le répète, quand je me suis consacrée aux arts et que je suis revenue dans ma communauté, où personne ne m’avait enseigné le théâtre, le chant et la danse, même pas à l’école, quand j’ai essayé d’y sensibiliser la communauté et les jeunes — c’est l’objectif même du Théâtre Akpik —, je me suis retrouvée dans un monde où personne ne comprend les arts. Personne ne comprend à quel point il est crucial de s’exprimer par les arts.

L’art désire une voix qui sache se faire entendre. Cette voix, c’est celle d’une personne qui exprime ce qui est important pour elle. Cette voix exprime aussi ce qui est important pour la communauté, ce qu’elle possède, les impacts que subit son environnement. Tous ces sentiments sont entrelacés. Ils ont un effet puissant. Il nous faut aussi fournir du mentorat.

Les artistes se réunissent tout naturellement, mais malheureusement, ils ne retransmettent pas toujours leurs connaissances. Par exemple, un grand nombre de nos habiletés artistiques traditionnelles — ma mère est une couturière extraordinaire —, comme le théâtre, toutes ces habiletés évoluent à domicile. Ces connaissances perdurent d’une façon incroyable là où les gens se réunissent, mais ils se réunissent à des endroits qui ne leur permettent pas nécessairement de retransmettre ces habiletés à beaucoup de monde. Voilà pourquoi il est si important de tanner le cuir d’orignal dans un endroit public. Il faut que les gens le voient et comprennent le parcours de cette peau d’orignal à partir du domicile d’une personne jusqu’à la création d’œuvres d’art qui perdurent. Si nous ne retransmettons pas toutes ces connaissances, les gens ne comprennent pas pourquoi nous pratiquons ces arts. Je le répète, tout cela nécessite un espace où les gens se réunissent pour créer.

Le président : Si vous pouviez conclure, madame Arluk, nous vous en serions reconnaissants. Avez-vous une dernière observation? On vous posera probablement des questions.

Mme Arluk : Je vous remercie beaucoup de m’avoir invitée à vous parler de cela. Le Théâtre Akpik est un tout petit organisme, fondé en 2008. Je l’ai fondé pour offrir aux gens un lieu où transmettre ce qu’ils ont à raconter. Ce théâtre y a bien réussi. Je suis heureuse de pouvoir vous en parler.

Le président : Merci beaucoup.

Nous accueillons maintenant Rhoda Ungalaq et Ellen Hamilton, de Qaggiavuut!. Mesdames, à vous la parole.

Rhoda Ungalaq, présidente, Qaggiavuut! : Merci de m’avoir invitée à témoigner.

[Note de la rédaction : Le témoin s’exprime en inuktitut.]

Qaggiavuut! est un organisme à but non lucratif basé à Iqaluit. Ses fondateurs l’ont créé il y a 10 ans, convaincus de l’importance des histoires et des chansons. Qaggiavuut! développe le bien-être, la culture et la langue en soutenant les artistes de la scène inuits. Les artistes inuits établis et émergents s’épanouissent en se réunissant pour échanger des idées et des habiletés. Ils adorent collaborer, apprendre les uns des autres et créer de nouvelles œuvres. En collaboration avec les artistes qu’il a consultés, Qaggiavuut! a concrétisé sa vision et son rêve de construire Qaggiavuut!, un espace moderne où les artistes de la scène peuvent créer leurs œuvres. Quand les Inuits vivaient dans des camps sur les terres, ils construisaient de grands igloos magnifiques pour y inviter les gens des camps éloignés à se réunir. Les Inuits ont toujours pris le temps de célébrer la vie en chantant une chanson, en racontant une histoire et en se réunissant dans le Qaggiq. Ils savaient qu’ainsi, ils soutenaient leur culture et transmettaient leurs valeurs aux jeunes. Ils comprenaient l’importance des artistes de la scène.

Qaggiavuut! est le terme traditionnel que l’on utilise pour appeler les gens au Qaggiq. Il signifie : « Venez au Qaggiq que nous avons construit ensemble! ».

Ellen Hamilton, directrice générale, Qaggiavuut! : Nous nous efforçons de construire une version contemporaine du Qaggiq. Nous sommes un groupe d’artistes et de gens qui aiment beaucoup les artistes du Nunavut. Nous nous sommes réunis, car en mobilisant les artistes, nous avons compris clairement une chose : les artistes ne jouissent d’aucun espace. Dans les communautés isolées de l’Arctique canadien, il n’y a pas d’endroit où ils peuvent développer leurs idées et créer leurs histoires. Ils n’ont aucun endroit où se réunir pour rencontrer d’autres artistes, recevoir de la formation et développer leurs habiletés. Tous les artistes désirent développer leurs habiletés.

Notre organisme autochtone ne reçoit aucun financement de base. Chaque année, nous faisons de la collecte de fonds pour offrir nos programmes aux artistes de la scène. Ce sont nos clients. Nous les réunissons pour qu’ils créent de nouvelles œuvres afin de maintenir les traditions des arts de la scène inuits. Nous sommes souvent obligés de nous installer dans les locaux d’une soupe populaire, puis de déménager tout notre équipement dans un sous-sol d’église, parfois même la même journée avec le même groupe de gens. Nous discutons avec les artistes de ce que nous avons perdu pendant le colonialisme. Pendant cette période, nous avons surtout perdu des chansons et des histoires. Les aînés se taisaient; ils avaient peur de chanter leurs chansons et de raconter leurs histoires, parce que les missionnaires les accusaient de pratiquer le chamanisme. Nous avons ainsi rapidement perdu, même souvent en une seule génération, toute une collection de chansons et d’histoires et, avec elles, la langue, les valeurs, la spiritualité et l’histoire des Inuits.

Julia Ogina de Cambridge Bay, originaire d’Ulukhaktok, fait partie de notre conseil d’administration. Je l’ai connue pendant son adolescence alors que je vivais à Ulukhaktok. À cette époque dans cette communauté, personne ne dansait au son du tambour. Nous n’avions jamais vu cette danse. Cependant, Julia a pris la peine d’apprendre les chansons et les danses qui avaient presque disparu à Ulukhaktok à cause des pensionnats et du christianisme. Elle affirme maintenant qu’elle a repris tout ce qu’on avait volé à sa mère.

À Qaggiavuut!, nous nous hâtons de documenter les connaissances des gardiens du savoir. Nous formons les jeunes artistes en les réunissant avec les aînés pour qu’ils apprennent les chansons et les danses. Au cours de ces dernières années, nous avons documenté et filmé 100 chansons et histoires pour nous en saisir avant qu’elles ne disparaissent complètement.

L’année dernière, nous avons écrit une pièce de théâtre en langue inuite, intitulée Kiviuq Returns. Elle ne se fonde que sur quatre de ces histoires. L’une des aînées qui nous les ont racontées nous a dit qu’elle connaissait 200 histoires sur Kiviuq, mais qu’elle commençait à les oublier. Nous lui avons demandé de nous en raconter autant que possible. Un groupe de jeunes Inuits ont écrit une pièce de théâtre en inuktitut basée sur quatre de ces histoires. Nous l’avons produite dans 11 communautés du Nunavut. La troupe est restée à chaque endroit pendant une semaine pour enseigner les chansons aux enfants.

Cette année, nous avons présenté Kiviuq Returns au Tarragon Theater pendant un mois. Nous y avons donné huit représentations par semaine. Tous les soirs, la troupe a joué à guichet fermé et a reçu une ovation délirante. Personne dans l’Arctique ne pourra voir cette pièce avec l’éclairage et la sonorité de ce théâtre, parce que nous n’avons pas de centre de spectacle. Vous comprenez donc que même dans le Sud du Canada, les gens désirent entendre parler les langues autochtones.

La troupe qui s’est produite à Toronto à côté d’artistes professionnels de Toronto avait dû répéter à Iqaluit dans les locaux d’une soupe populaire. Les acteurs devaient déménager tout leur équipement après chaque répétition pour le ranger dans un conteneur maritime.

Mme Ungalaq : La semaine prochaine, un groupe de 12 musiciens inuits venant de toutes les régions de l’Arctique canadien iront présenter à Montréal des chansons accompagnées de tambours que leur ont enseignées des aînés gardiens du savoir. Nous avons conçu une appli numérique afin de les transmettre à la nouvelle génération. Ce spectacle, intitulé Arctic Song, sera présenté à des centaines de directeurs de festivals de musique venant du monde entier.

Ce groupe a répété pendant deux semaines en faisant la navette entre les locaux de la soupe populaire et le sous-sol de l’église, parfois pendant une même journée.

Mais surtout, ces musiciens de l’Arctique entameront une tournée du Nunavut en mars. Ils joueront dans de petites communautés qui n’ont jamais assisté à un spectacle professionnel et qui n’ont pas entendu le son des tambours inuits depuis des années. Nos jeunes musiciens enseignent les arts de la scène aux adolescents. Ils se produiront en spectacle avec les enfants devant toute la communauté. Les membres de la communauté pleureront d’émotion en entendant leurs enfants chanter en inuktitut des chansons qu’ils n’ont pas entendues depuis 50 ans.

Mme Hamilton : Je vais m’efforcer de conclure maintenant notre présentation. Au Qaggiq, voilà bien 10 ans que nous demandons un centre d’apprentissage de la culture inuite et un centre des arts de la scène pour nos artistes. Nous avons fait campagne, lancé des collectes de fonds, organisé, planifié. Plusieurs dirigeants culturels du Sud du Canada se sont joints à nos efforts, dont l’honorable Adrienne Clarkson, Karen Kain et Veronica Tennant. Certains des plus grands architectes des arts de la scène du Canada nous ont donné pro bono des dessins et des consultations. Nous avons un plan d’affaires. En un an, nous avons récolté 100 000 $ par de simples dons des Canadiens. Nous ne pouvons pas faire cela tout seuls. Il faut que le gouvernement fédéral s’allie à nous.

Il faut que nous enrichissions les arts de la scène des enfants et des adolescents de l’Arctique. Il faut que nous leur ramenions les héros des chansons et des histoires. Nous devons leur présenter une lueur d’espoir. Ils doivent voir autre chose dans leur vie que le sans-abrisme, le suicide, la prison et les solutions de fortune. Nous devons leur apporter de l’espoir. Nous sommes convaincus que nous y parviendrons avec l’aide des gouvernements, des organismes de bienfaisance, du secteur privé et de tous nos amis des arts de la scène. Nous sommes convaincus que nous réussirons à créer chez les enfants et les adolescents un sentiment d’appartenance. Les arts de la scène sont le meilleur moyen d’aider les enfants à conserver leur langue, à comprendre qui ils sont et à développer un sentiment d’appartenance. Merci beaucoup.

Le président : Merci à vous. J’ai maintenant le grand plaisir d’accueillir Guillaume Saladin et Jimmy Awa Qamukaq, qui vont nous présenter Artcirq. Toutes ces dernières années, j’ai eu le privilège d’assister à vos spectacles, qui sont absolument extraordinaires. Bienvenue.

Guillaume Saladin, président, acrobate, cofondateur et codirecteur artistique, Artcirq : Merci. J’ai énormément de choses à dire en cinq minutes. À toutes mes entrevues, on me donne cinq minutes pour essayer d’expliquer ce qu’est le Nord. Je crois que c’est la raison pour laquelle nous ne comprenons pas. Nous développons chacun de nos projets petit à petit au cours des années. C’est ainsi que nous réalisons nos objectifs.

Cette année, Artcirq fête ses 21 ans. Quand nous l’avons fondé, nous n’imaginions jamais que nous irions aussi loin. Notre groupe de 12 artistes, six du Nord et six du Sud, se réunissait pour un été à Igloolik. Les gars du Sud allaient montrer aux artistes locaux des techniques de cirque en préparant un spectacle, puis ce groupe allait transmettre toutes ces connaissances dans le reste du territoire. Les élèves allaient enseigner aux enseignants, les élèves allaient devenir enseignants. Nous avons ainsi créé une relation d’égalité et d’échange du savoir dans laquelle personne ne se sentait supérieur aux autres.

À mon avis, ce modèle convient très bien au Nord, parce qu’il permet à chacun de se sentir fier de soi. En regardant les autres, les gens ne se sentent ni inférieurs ni supérieurs.

Nous comptions faire cela pendant seulement deux mois en 1998, avant même que le Nunavut devienne un territoire. L’atmosphère était enrichissante et puissante. En retournant chacun chez soi, nous nous demandions quelle serait la prochaine étape. Nous nous sommes retrouvés ainsi chaque année. Au bout de cinq ans, la rencontre durait un mois et demi à deux mois pendant l’été. Pendant les vacances scolaires, j’allais sur les terres pour chasser et pour apprendre de mes aînés, puis je retournais dans la communauté pour enseigner les techniques du cirque.

Au bout d’un certain temps, j’ai commencé à me demander à quoi tout cela servait. Comme je ne restais qu’un mois et demi, les jeunes étaient heureux, mais quand je m’en allais, cela créait un vide, parce qu’il ne se passait plus rien. Je me suis alors dit que j’allais essayer de rester six mois. À cette époque, quand nous avons commencé, Jimmy avait 10 ans. Cheveux longs, profondément troublé, il dévalisait toutes les maisons pendant l’été parce que la lumière du jour brillait tout le temps. Les jeunes envahissaient les rues pendant la nuit, pendant que les adultes dormaient, et eux, ils dormaient pendant la journée.

Je me suis installé à Igloolik, dans une maison horrible. Il n’y avait pas de salle de bain et pas d’eau courante. Personne ne voulait de cette maison. Je me suis dit que j’essaierais de travailler pendant six mois avec les jeunes qui s’étaient dits prêts à passer à l’étape suivante. Pendant un an et demi, nous avons créé des spectacles complètement fous. Nous étions tous profondément engagés. J’ai la chair de poule en vous racontant cela.

Alors, on nous a invités à nous produire à Tombouctou, quand le festival s’y tenait encore. Nous y sommes allés, nous sommes revenus, puis nous avons entamé une tournée mondiale. Nous n’étions qu’un petit groupe de huit ou neuf artistes d’Igloolik. Un seul d’entre nous avait des enfants à cette époque, alors nous pouvions nous déplacer facilement. Je n’aurais jamais imaginé que nous irions jusque-là. En trois ans, nous sommes devenus des professionnels invités même par la Reine à nous produire dans son château. Toutes les ambassades du monde nous invitaient.

Le président : Vous avez donné un spectacle pour les ministres des Finances du G7 à Iqaluit. Je m’en souviens. Le spectacle était extraordinaire, et vous avez acquis une grande visibilité.

M. Saladin : Oui, les choses se sont mises à progresser très rapidement. Notre vie était belle et un peu folle, et nous étions entourés de personnes généreuses. Nous étions des ambassadeurs inuits. Nous apportions notre culture dans nos bagages pour la retransmettre au monde. Cependant, il était difficile de retourner chez nous, parce que notre monde n’avait pas changé. Nous étions les seuls à avoir changé grâce à ces voyages magnifiques. Nous étions également tristes de partir, parce que nous savions qu’au retour, il serait vraiment dur de nous retrouver dans cette réalité qui ne changeait pas.

Les gens ont commencé à nous demander pourquoi nous allions partout dans le monde au lieu d’essayer d’avoir une influence locale. Alors, nous nous sommes mis à refuser des invitations pour consacrer bénévolement des heures à créer un espace parce que, comme l’a souligné Ellen, il n’existe dans le Nord aucun centre dédié aux arts de la scène.

Nous avons demandé à notre village de nous donner la moitié de la vieille piste de curling que plus personne n’utilisait dans le centre sportif. Nous avons construit un mur bien isolé, et dans notre moitié de la piste, nous avons installé le chauffage et l’éclairage et nous avons produit un plan pour construire notre propre Black Box. Ce nom vient du Groenland. Les gens y ont construit un espace qu’ils ont appelé Black Box, et tous les artistes locaux peuvent s’y produire. Le micro est toujours ouvert. C’est un lieu de célébration formidable.

Quand nous l’avons visité, nous avons compris qu’il nous en fallait un aussi. Nous administrons maintenant cet espace depuis six ans. Nous donnons de la formation aux jeunes six jours par semaine. Nous avons invité plus de 125 artistes du Sud pour apprendre d’eux. Nous allons ensuite enseigner ces techniques dans le reste du territoire.

Jimmy Awa Qamukaq, vice-président, acrobate/clown et coordonnateur en chef d’Artcirq à Igloolik : Merci de m’avoir consacré de votre temps. Je suis gestionnaire au Black Box. Je vise avant toute chose à garder notre langue forte, pour qu’elle se maintienne à Amittuq.

Les traditions morales sont essentielles à la santé physique et émotionnelle du groupe. Nous enseignons aux jeunes à respecter les traditions morales. Nous devons aussi parfois corriger notre langue, parce que certaines expressions culturelles ont perdu leur sens. Nous avons maintenant l’impression d’être les derniers ambassadeurs à Amittuq.

Nous nous sentons privilégiés de pouvoir offrir nos talents artistiques de toutes les manières possibles.

Professionnellement, nous ne cessons d’apprendre, et nous sommes conscients d’avoir encore beaucoup à apprendre. Nous apprenons même en enseignant.

La situation est différente pour les adolescents. Le style de vie d’aujourd’hui n’est plus celui de mon enfance. Nous avons de la difficulté à nous comprendre parfois. Même pendant nos conversations, ils ont de la peine à nous comprendre, parce qu’ils ont perdu notre langue.

Nous leur disons toujours de ne pas s’inquiéter, parce qu’à l’avenir, cela n’aura plus d’importance. Je vous dirai honnêtement qu’à mon avis, il ne faut pas s’inquiéter. L’important, c’est qu’ils comprennent ce que je leur dis. Un jour, ces jeunes devront enseigner la langue à leurs enfants.

Nous enseignons à ces jeunes beaucoup plus que les arts de la scène. Il ne s’agit pas de simplement monter sur scène pour montrer ce que l’on sait faire. Nous voulons présenter nos antécédents, nous voulons que les gens sachent qui nous sommes. Jusqu’à présent, la plupart des adolescents ont exprimé eux-mêmes ces besoins.

J’ai longuement pensé à ce que j’allais vous dire. Je crois que j’ai à peu près tout dit. Je rêve depuis très longtemps de participer à une réunion comme celle d’aujourd’hui. Je me sens très honoré.

J’essaie de penser aux autres choses que je voulais vous dire. Honnêtement, il me faudrait deux jours entiers pour tout exprimer.

Je dois aussi enseigner à mes enfants. Ils aiment le cirque. Ils aiment Artcirq, ils aiment l’endroit où je travaille. Quand j’ai un peu de temps, je les invite à me rejoindre après l’école, par exemple. Nous offrons aussi un programme après l’école et en soirée.

En ce qui concerne le groupe d’âge, il nous est plus facile de nous concentrer sur les étapes de ce que nous voulons enseigner.

Nous voulons aussi conserver les jeux inuits. C’est très important, parce qu’à Qaggiq, nous nous rassemblons pour célébrer le retour du soleil. Pour nous, il est important de renforcer l’esprit sportif, car il souligne les différences culturelles. La compétition est importante, car elle resserre nos liens. Les sports protègent notre vie pendant la saison de la chasse. De plus, ils nous aident à comprendre que l’union fait la force et que nous devons nous aider les uns les autres.

Artcirq ne se contente pas d’exposer les traditions et le modernisme. Nos objectifs sont bien plus profonds que cela. Nous apprenons les uns des autres sur nos cultures et nous collaborons.

Quand des artistes d’autres pays viennent nous voir, je les avertis toujours de ne rien attendre d’autre que ce qu’ils ont devant eux. Je leur dis que s’ils ont des attentes, ils seront déçus, mais que nous prendrons bien soin d’eux.

Voici donc qui nous sommes. Nous devons veiller les uns sur les autres, parce que dans l’Arctique, il fait très froid. Dans le passé, tout le monde devait faire part de ses connaissances et partager la nourriture avec autrui, parce que les gens vivaient très loin les uns des autres. Ce lien doit rester fort.

Nous les jeunes artistes cherchons des moyens de renforcer ces qualités. Il nous faudra encore bien du temps pour le faire.

Le président : Très bien dit. Je vous remercie tous beaucoup.

Nous avons ici un excellent groupe d’experts sur un thème très clair. J’ai hâte d’entendre les sénateurs discuter avec nos témoins.

La sénatrice Bovey : Je vous remercie du fond du cœur. Je comprends très bien ce que vous nous dites. À mon avis, il est important de comprendre que la création d’un espace nécessite des fonds en capital différents de ceux qui soutiennent la production de votre art. Je vais vous poser des questions à ce sujet. Toutefois, avant cela, j’aimerais faire une dernière observation.

Vous avez dit que les arts créent une lueur d’espoir. J’aime beaucoup cette expression. Je tiens à souligner que les gens qui s’intéressent aux arts — non seulement en donnant des spectacles, mais en y assistant — vivent deux ans de plus, ils coûtent moins cher au système de santé et ils sortent de l’hôpital deux ou trois jours plus tôt que les autres à la suite d’une intervention chirurgicale non urgente.

Nous savons aussi à quel point il est crucial que les jeunes participent en groupe à des activités artistiques pour éviter de commettre des crimes et de se suicider.

Je tiens à souligner que ce que vous nous avez dit correspond aux résultats de cette recherche. Nous devrions adopter cette approche en rédigeant notre rapport.

J’ai une idée des fonds de présentation que vous avez tous reçus du Conseil des arts du Canada au cours de ces dernières années. Je ne sais pas ce qu’il en est de la subvention qui a suivi le remaniement du processus.

Pourriez-vous nous dire ce que vous pensez de l’accès au nouveau modèle de financement du Conseil des arts du Canada? Le trouvez-vous utile? Égalitaire? Fastidieux? J’aimerais que vous nous disiez où vous en êtes. Donnez-nous simplement une idée de votre situation.

J’ai lu plusieurs articles sur la demande d’un espace de production de spectacles et de création collective. Où en êtes-vous à cet égard? Je voudrais que vous me donniez des chiffres.

Le président : Nous entendrons la réponse sur l’accès au Conseil des arts du Canada de chacun des témoins, en commençant par Mme Arluk.

Mme Arluk : La situation du Théâtre Akpik ressemble beaucoup à ce que j’ai entendu dire au sujet de Qaggiavuut! et d’Artcirq. Tout dépend des projets. Nous ne sommes en réalité que deux tant que nous n’avons pas de projet, puis notre groupe passe à 10 ou 15 personnes.

Il n’existe pas de mécanisme de financement pérenne pour mon travail. Il est malheureusement très rare que j’obtienne des fonds du Conseil des arts des T.N.-O. Il suit une nouvelle stratégie. Je travaille comme consultante sur la façon de changer cela.

Dans le cas du Conseil des arts du Canada, j’ai obtenu sans problème du financement par projet. Je préfère ce modèle, en fait. J’ai reçu une subvention du programme Nouveau chapitre pour ma grande production de Pawâkan Macbeth. Je planifie encore les façons de dépenser cette importante somme d’argent. C’est une lourde responsabilité, alors je n’ai pas demandé de financement du programme Créer, connaître et partager.

J’hésite à le faire, je crois, parce que le nouveau modèle englobe trop de choses. Je me sens un peu dépassée. J’ai une vision très vaste, mais pas une vaste infrastructure. Je préfère demander de grosses sommes afin d’établir un budget, de l’équilibrer et d’agir. Cette vision très vaste est intimidante.

Je vais faire une demande. Je tiens à soutenir le fonctionnement du Théâtre Akpik, mais je ne présenterai ma demande qu’après avoir entièrement dépensé mon financement du Programme Nouveau chapitre.

Le président : Merci beaucoup. Passons à Qaggiavuut!. Nous vous posons en fait deux questions.

Mme Hamilton : Dans le cas du Conseil des arts du Canada, tout comme Reneltta, nous présentions une demande pour chaque projet. Kiviuq Returns en est un exemple. Nous avons expliqué que nous voulions créer la première pièce de théâtre complètement en inuktitut à partir de légendes racontées par des aînés qui dirigeront nos acteurs. Nous avons reçu une subvention pour ce projet, mais pour la même raison, il nous manque le financement de base qui nous permettrait de retenir tous les membres de notre équipe. Nous sommes à la mi-février. Nous allons probablement devoir licencier tous les employés de Qaggiavuut! jusqu’à ce que nous recevions une subvention pour un autre projet, ce qui nous permettra de rappeler l’équipe.

À Qaggiavuut!, nous tenons avant tout à former des directeurs artistiques. Nous voulons que nos jeunes artistes ou acteurs nous aident à diriger un spectacle de marionnettes ou qu’ils apprennent à effectuer la mise en scène de Kiviuq Returns. Il faut qu’ils puissent continuer à travailler dans ce domaine afin de devenir la prochaine génération de directeurs. C’est l’un des problèmes.

Le président : Où en est votre projet d’immobilisation? Que pouvons-nous faire pour vous aider?

Mme Hamilton : Je pensais que ce serait facile. Je pensais que personne ne jugerait notre projet sous un angle politique, mais oh, quelle surprise! Les gens du Nunavut nous critiquent plus que les autres en nous accusant de voler les fonds d’autres infrastructures plus nécessaires. Nous ne cessons d’expliquer qu’il s’agit d’un différent type de financement. Tous les territoires et les provinces de notre pays ont un espace consacré aux arts de la scène, sauf le Nunavut. Iqaluit est la seule capitale d’Amérique du Nord qui n’ait pas consacré d’espace pour les arts de la scène.

Nous le considérons comme un centre de rencontre. On ne porte pas de fourrure et de perles — oh oui, on peut porter de la fourrure —, on ne porte pas un collier de perles pour assister à un spectacle au centre de rencontre d’Iqaluit. On y va pour gratter une peau de phoque dans l’atrium. On y va pour chanter avec les enfants et pour leur raconter des histoires. On y va pour entendre parler notre langue.

Comme Reneltta nous l’a dit en parlant des patinoires de hockey, nous adorons les enfants, c’est merveilleux. À l’heure actuelle, nous les envoyons de l’autre côté du Nunavut, à Iqaluit, pour qu’ils participent à des rencontres, à des compétitions de badminton et à des matchs de hockey. Nous devrions faire la même chose dans le domaine des arts. Nous voulons réunir les enfants dans un centre où ils pourront côtoyer les meilleurs interprètes de chant guttural, les meilleurs danseurs au son du tambour et les meilleurs acrobates au monde. Nous voulons qu’ils développent ces talents avec des maîtres de leur communauté.

Tout cela est crucial, car le besoin est pressant. De nombreux jeunes de l’Arctique n’apprennent jamais rien, ne suivent même pas un an d’école, avec des enseignants de leur propre culture, avec un prof inuk qui parle leur langue. Les artistes sont inuits et ils parlent leur langue. L’une des meilleures solutions aux problèmes de l’éducation est d’engager plus d’artistes pour l’enseignement des enfants.

Maintenant, nous avons préparé une présentation pour le prochain budget du gouvernement fédéral, un mémoire prébudgétaire. Nous espérons attirer un partenaire important du secteur privé. Nos amis du Sud nous aident à le faire. Nous devons également convaincre notre gouvernement. Nous venons de changer de nom. Nous nous appelions Qaggiavuut!, centre d’apprentissage des arts de la scène et des cultures du Nunavut. Maintenant, nous nous appelons Qaggiq, centre inuit d’apprentissage des arts de la scène et des cultures, parce que nous désirons que notre centre soit national, qu’il rassemble tous les Inuits du pays. Il est illogique de tracer des frontières.

Le président : Permettez-moi de vous demander plus de détails. Dans votre mémoire prébudgétaire — et vous pourrez peut-être remettre votre réponse au comité par l’intermédiaire de la greffière —, nommez-vous une source de financement qui, selon vous, s’avérerait possible ou prometteuse pour votre projet d’immobilisations?

Mme Hamilton : Oui. Il s’agit de la stratégie Canada créatif du ministère du Patrimoine canadien.

La sénatrice Bovey : Il faudra un certain temps avant que cette stratégie donne de bons résultats.

Mme Hamilton : Oui. J’ai remarqué qu’un comité sénatorial a récemment recommandé que le gouvernement fédéral travaille directement avec les organismes autochtones dans le cas des infrastructures culturelles et des carrefours culturels. Je pense que c’est une excellente idée, parce que nos gouvernements ne sont pas nécessairement experts en arts, et nos fonctionnaires n’assistent pas nécessairement à nos spectacles. Ce sont eux qui créent des politiques qui considèrent une scène érigée dans le hall d’entrée d’un hôtel comme un carrefour des arts de la scène. Ils ne savent rien de la création artistique, mais je ne les en blâme pas.

Nous affirmons qu’un carrefour des arts de la scène est beaucoup plus que cela. C’est avant tout un campus où les artistes se réunissent pour apprendre, pour développer leurs compétences, pour créer, pour concevoir des œuvres provocatrices et parfois même pour critiquer le gouvernement.

Le président : Merci beaucoup.

M. Saladin : Il faut vraiment fournir un financement de base aux grands organismes artistiques du Nunavut. Les gens pourraient ainsi se définir eux-mêmes au lieu de se faire imposer une identité. Neil, les gens d’IBC, tous ces témoins nous ont dit la même chose. Ce matin, j’en discutais avec les gens d’Isuma à Montréal et à Igloolik, et ils me disaient cela eux aussi. Il nous faut du financement de base. Nous en avons besoin depuis 20 ans. Le gouvernement offre des programmes de formation, nous les suivons, mais que nous offre-t-on après? Rien. Ça n’a aucun sens.

Un grand nombre d’entre nous, à Artcirq, avons commencé par suivre de la formation en édition de texte et en composition de chansons. Pour conserver leur emploi, les gens devaient donner de la formation en tout, mais après cela, ils n’offraient plus rien. On devrait améliorer cette situation pour que nous nous sentions comme tout le monde, pour que nous puissions nous définir nous-mêmes. Il y a trois ans, le Conseil des arts du Canada nous a parlé de la politique à venir. Autour de la table se trouvaient les représentants de 18 organismes artistiques autochtones qui recevaient du financement de base. On nous a dit qu’au cours des quatre ou cinq années à venir, le budget allait doubler et qu’alors, on nous donnerait beaucoup d’argent.

Ces 10 dernières années, nous avons vraiment travaillé fort. Maintenant, nous ne pouvons pas en faire plus. Nous ne demanderons pas plus d’argent, parce que nous ne pouvons pas le faire. Nous sommes fatigués. Si vous voulez nous payer plus pour ce que nous faisons déjà, d’accord, mais ne nous demandez pas de faire encore plus de travail.

Il était intéressant d’essayer de comprendre ce qu’est un artiste. Dans le Nord, un artiste est un travailleur social. Nous traitons continuellement avec des gens, nous les soutenons à travers les hauts et les bas. Il faut déjà beaucoup d’énergie pour passer une journée avec une petite famille. En fin de journée, on ne peut pas aller enseigner à d’autres enfants de 18 à 21 heures. Dans notre petite communauté, personne n’utilise les espaces publics, parce que tout le monde est fatigué de vivre sa propre vie.

Nous devons rassurer nos artistes au bas de l’échelle, ceux qui y croient encore, qui travaillent dans nos groupes. Ils nous disent qu’ils nous font confiance, puis nous avons à gérer toutes ses émotions fortes et nous portons de multiples casquettes. Cela fait partie de notre vie. Mais ne nous demandez pas de faire plus pour que des organismes reçoivent un financement de base.

La sénatrice Bovey : Merci beaucoup. J’ai vécu cela en partie vis-à-vis du Nord, mais pas dans le Nord, alors je sais exactement de quoi vous parlez.

La sénatrice Coyle : Chaque fois que je vous entends parler, les questions se bousculent dans ma tête. Je vous remercie, tout d’abord, de votre travail important, mais aussi de votre présence parmi nous aujourd’hui, que vous soyez ici en personne ou par vidéoconférence.

Guillaume en a parlé un peu. Vous avez tous dit être des travailleurs sociaux ainsi que des artistes. Lorsque nous étions à la mine d’or Meadowbank, on nous a dit que la direction de la mine se considérait presque comme faisant un travail social. C’est une réalité de la région dans laquelle vous travaillez.

Nous en avons entendu parler, et je vous reçois cinq sur cinq sur la nécessité de financer des lieux de création et d’apprentissage, ainsi que sur le besoin de financement de base. Vous en avez assez que ce soit toujours la même chose, pourtant vous devez présenter une demande et dire : « Cette année, ils vont financer la formation dans ce domaine. D’accord. Nous allons nous faire passer pour cela. » N’est-ce pas?

Je sais; je viens moi-même du secteur sans but lucratif, alors je connais les règles du jeu.

Mais ce que vous demandez, je crois — vous tous —, c’est le respect de vos actions et des connaissances que vous avez acquises au fil des ans par vos activités. C’est ce que je comprends. J’aimerais que vous confirmiez.

J’aimerais aussi que quelqu’un nous parle des répercussions économiques, sanitaires et sociales de vos activités, si l’un d’entre vous veut bien évoquer ces autres aspects. Nous avons entendu parler de l’éducation et de la préservation de la langue, mais vous avez peut-être autre chose à ajouter. Parce que, bien sûr, vous plaidez votre cause. L’argent n’est pas illimité, alors pourquoi devrait-il être consacré à ce que vous demandez? Je pense que vous avez beaucoup de raisons à mettre en avant. Il serait bon que nous sachions quelles sont ces raisons.

Mme Ungalaq : Pour bâtir un carrefour culturel dans cette région qui en est absolument dépourvue; lancer une industrie inuite des arts de la scène; offrir un enseignement supérieur dans les domaines des arts et des techniques artistiques; créer une industrie du tourisme culturel durable et des emplois de grande valeur; renforcer les langues menacées. Alors même qu’ils vivent de la terre, dans l’environnement le plus rude au monde, quand chaque phoque manqué est une famine potentielle, les Inuits ont toujours pris le temps, dans leurs vies très remplies, de rassembler les gens pour célébrer la vie.

La sénatrice Coyle : Quelqu’un d’autre veut-il ajouter quelque chose?

M. Saladin : Mon père et ma mère sont anthropologues. Ils travaillent avec les Inuits depuis de nombreuses années.

Le président : Des anthropologues très respectés.

M. Saladin : Oui. Mon père me disait que chaque fois qu’il m’amenait à Igloolik quand j’étais enfant, il parcourait toujours le territoire avec telle ou telle famille.

Mme Ungalaq : Cette famille.

M. Saladin : Oui. Une fois, j’ai demandé à mon père pourquoi nous allions dans la nature, puisque ces familles vivaient à Igloolik; il suffirait de se rendre dans les maisons pour poser des questions. Il m’a dit que les Inuits ne disent pas la même chose en ville et sur le territoire où ils sont nés. Leur véritable maison se trouve dans la nature.

Cela m’est resté très présent à l’esprit. Chaque fois que je vois des gens, selon si je les rencontre en ville ou sur le terrain, ils sont très différents. Il semble que les gens du Sud ne connaissent que les Inuits qui vivent en ville. Ils ne voient pas la force et la fierté, ni ce qu’il faut faire et quand le faire. Ils voient des gens désorientés, un peu perdus, qui regardent des films américains et qui parlent de films américains. C’est ce qu’ils pensent des jeunes. Ces mêmes jeunes, quand vous allez à la chasse avec eux, vont vous sauver la vie. C’est très important.

Les réalités sont différentes. Il y a Iqaluit, la capitale, qui compte beaucoup d’entrepreneurs, d’entreprises et d’immigrants, des Pakistanais commencent à ouvrir des restaurants; et il y a les autres collectivités, qui sont fédéralisées. Il y a une ou deux entreprises en ville, au maximum. À part cela, c’est de l’argent qui vient du gouvernement fédéral. Les gens attendent toute leur vie parce que leur gouvernement va faire quelque chose pour eux. Parce qu’ils apprennent par l’observation et l’apprentissage, les gens attendent et rien ne se passe. C’est difficile, parce qu’on voit des jeunes, qui sont maintenant des adultes, qui répètent les mêmes erreurs et qui sont toujours désorientés. La ville devient de plus en plus grande.

Il y a beaucoup de défis. Je pense que les artistes peuvent constituer une voix, être des ambassadeurs et qu’ils peuvent donner un cap à d’autres jeunes en ville. C’est mon avis.

Mme Hamilton : J’ajouterais que les artistes sont par-dessus tout les agents du changement. C’est ce dont nous avons besoin. L’Arctique a besoin de changements, il doit aller de l’avant et on ne peut pas le maintenir dans le passé.

Je suis moi-même éducatrice. J’ai obtenu ma maîtrise en éducation des adultes dans la ville natale de la sénatrice. Je suis allée à Antigonish pour faire ma maîtrise parce que j’étais une jeune éducatrice à Igloolik au début des années 1980 et tout ce que je faisais était voué à l’échec. J’étais censé enseigner l’alphabétisation et tous les outils que l’on m’avait donnés ont été des échecs énormes. Certains élèves étaient toujours analphabètes après trois ans passés dans ce programme d’alphabétisation.

Juste pour le plaisir, nous avons créé un groupe de théâtre. Cela avait lieu le soir. Bon nombre des membres du groupe de théâtre étaient mes étudiants. Personne n’a été payé. Ensuite, la ville de Yellowknife a été mise au courant et nous a dit : « Venez jouer à Yellowknife. » Une fois que nous avions une représentation prévue, nous avons fait faire des costumes à toute la ville. Mon patron a dit : « Si vous allez à Yellowknife, vous devez en faire un programme d’alphabétisation. » J’ai répondu : « Oh, ne m’obligez pas à faire cela. » Il a dit : « Eh bien, testez-les. Il faut les tester. » J’ai fait passer le test d’alphabétisation normalisé à chacun et tous les acteurs avait dépassé le niveau de la septième année et étaient maintenant alphabétisés. Je ne leur avais rien enseigné. Voilà le pouvoir des arts de la scène. Comme éducatrice, je ne fais jamais rien — et j’ai travaillé dans les prisons — sans faire intervenir les arts de la scène, parce que cela rend tout plus efficace.

La sénatrice Coyle : Merci.

Mme Arluk : En ce qui concerne l’art, l’une des plus grandes idées fausses est que l’art serait frivole, accessoire ou non durable. Mais si vous regardez nos enseignements traditionnels, l’art a toujours joué son rôle. Si vous regardez l’ensemble de nos tenues d’hiver, si vous regardez comment nous interagissons les uns avec les autres, notre art a toujours fait partie de nos tenues; nous le portons. Cela n’a jamais été quelque chose de secondaire; il a toujours été partie intégrante de ce que nous sommes en tant que peuple sur cette planète.

Quand on y pense, c’est une question d’accessibilité. C’est une question de respect, absolument. Nous voulons tous être traités avec respect et être entendus. Mais si on ne nous donne pas les espaces permettant d’avoir cette accessibilité, cela ne se fera jamais. Il s’agit d’accessibilité et de comprendre que l’art est durable.

Prenons l’exemple de Faro, au Yukon. Faro était une ville minière. Lorsque l’exploitation minière a disparu, la ville s’est vidée de ses habitants et toutes les maisons étaient très bon marché. Qui les a achetées? Des artistes. Il y a maintenant toute une communauté d’artistes qui vivent à Faro et qui font de l’art. Ils ont revitalisé cette collectivité. À maintes reprises, les artistes ont revitalisé les quartiers, la collectivité et la culture. Si vous examinez les répercussions sur la santé, la société et l’économie, il y a toujours une corrélation.

L’art guérit aussi. Lorsque vous vous rendez dans les collectivités et que vous travaillez avec les jeunes — je me souviens de l’époque où nous étions à Hay River pour « Racontez votre histoire ». Trois jeunes filles étaient avec nous tout au long de notre séjour. À la fin, elles ont dit : « C’est formidable. Je n’ai pas été défoncée de toute la semaine. » Cela vous prend aux tripes et vous indique que c’est vraiment important. Elles n’étaient pas obligées de venir. Personne ne leur a dit de venir. Elles avaient envie de venir parce qu’elles étaient écoutées et qu’elles étaient ensemble, pour apprendre et grandir. C’est vital.

S’agissant de leaders, comme Ellen — vous êtes formidable — et des agents du changement, nous devons avoir l’occasion de montrer à nos communautés que nous sommes ces leaders. À l’heure actuelle, vous travaillez avec des artistes qui font du théâtre. Nous sommes comme une bande à part. J’ai beaucoup de succès dans le Sud, mais ma famille à Fort Smith a-t-elle vu mon travail? Non. Ma famille à Inuvik a-t-elle vu mon travail? Très peu, parce qu’il n’y a pas d’accessibilité pour pouvoir vraiment montrer notre travail à notre communauté. Comment pouvons-nous inspirer les gens et encourager ce développement si nous ne sommes même pas en mesure de montrer ce travail?

La sénatrice Coyle : Merci beaucoup.

Le président : Je tiens à remercier tous les témoins de leurs exposés convaincants, d’avoir pris le temps et la peine de se joindre à nous, par vidéo ou autrement. C’était très stimulant et très utile. Comme je l’ai dit, je pense que nous avons réuni un très bon groupe de témoins.

Vous ne l’aviez pas planifié, mais vous avez tous fait écho au même thème de façon convaincante. Cela nous sera utile dans nos recommandations sur la nouvelle politique du gouvernement fédéral pour l’Arctique.

Avant d’entendre un témoin de l’Institut culturel Avataq, je suis heureux de dire aux membres du Comité que nous avons reçu cet après-midi une sénatrice désignée qui sera la nouvelle sénatrice des Territoires du Nord-Ouest, Margaret Dawn Anderson, qui observe discrètement les audiences de notre comité. Elle ne sera assermentée que le 18 février. J’ai pris la liberté de lui dire que j’espère qu’elle siégera parmi nous au comité peu de temps après.

Nous vous remercions, future sénatrice Anderson, d’avoir passé du temps avec nous aujourd’hui et nous avons hâte de travailler avec vous officiellement.

M. Saladin : Il y a une chose que je pense depuis 15 ans et j’attendais d’avoir un jour l’occasion de le dire — c’est donc aujourd’hui —, tant de travailleurs du Sud viennent dans le Nord sans préparation. J’adorerais passer du temps avec un groupe de futurs enseignants, ou avec quiconque vient pour un an, deux ans ou cinq ans, pour leur donner quelques clés de compréhension issues de ma petite connaissance de la culture inuite parce que les gens répètent les mêmes erreurs. Ce ne sont pas des gens méchants ou mal intentionnés, c’est simplement qu’ils ne savent pas. Cela crée encore et encore la même séparation entre les Blancs et les Inuits dans les petites collectivités. Nous pourrions changer cela très facilement.

Si jamais quelqu’un a besoin de mon aide, je propose de partager mon expérience.

La sénatrice Bovey : Je suis d’accord avec vous à 1 000 p. 100. Il nous incombe à tous de sortir du cloisonnement dans lequel nous nous trouvons depuis 15, 20, 30, 35 ans et de commencer à échanger des expériences, des idées et des possibilités. C’est ce qui sous-tend mes questions au sujet de l’accessibilité afin que les artistes canadiens puissent faire ce que vous faites si bien. Merci.

Le président : Sur cette note très positive, merci beaucoup.

J’aimerais maintenant souhaiter la bienvenue à Rhoda Kokiapik, directrice exécutive de l’Institut culturel Avataq du Nunavik. Vous avez la parole.

Rhoda Kokiapik, directrice exécutive, Institut culturel Avataq : Je m’appelle Rhoda Kokiapik et je viens d’Inukjuak. C’est dans le Nord du Québec. Comme vous l’avez dit, je travaille pour Avataq. J’y travaille depuis 1998. Cela fait un certain temps que j’occupe la fonction de directrice exécutive.

Je vais faire de mon mieux pour représenter 13 000 Inuits du Nunavik, ou du Nord du Québec. Cinquante pour cent de la population est âgée de 25 ans et moins. Vous imaginez que c’est une population jeune. Comme je l’ai dit, je travaille pour Avataq. L’Institut culturel Avataq a été créé en 1980 par les aînés du Nunavik. À l’époque, ils ont pris la sage décision de charger le Nunavik de créer l’Institut culturel Avataq. Notre mandat est de promouvoir, de protéger et de préserver notre langue et notre culture au Nunavik, ou dans le Nord du Québec.

Près de 40 ans plus tard, nous avons recueilli et conservé une impressionnante collection d’archives. Dans notre centre d’archives, par exemple, nous avons environ 500 entrevues d’aînés qui contiennent des renseignements très riches sur l’histoire des Inuits. Nous avons également une collection d’environ 17 000 photos remontant à 1870. Pour vous donner une idée, nous avons une collection très intéressante et environ 1 200 dessins du regretté Thomassie Echalook, un aîné respecté. Il venait d’un camp près d’Inukjuak. Ce ne sont là que des exemples de ce que nous avons ou que nous conservons dans notre centre d’archives de Montréal.

Nous avons également une collection d’art qui nous a été transférée par le MAINC à la fin des années 1980. Nous sommes les gardiens de cette collection pour les Inuits du Nunavik. Cette incroyable collection comprend des sculptures, des dessins et des gravures. Ces pièces sont entreposées dans un espace climatisé à Montréal. J’espère qu’un jour on pourra les transférer au Nunavik. Nous ne les gardons pas au Nunavik, car nous n’avons pas d’installation pour les entreposer en toute sécurité.

Nous avons deux bureaux, un à Montréal et un à Inukjuak, avec 25 membres du personnel régis par cinq membres du conseil. Notre budget varie de 3 à 3,8 millions de dollars, selon les projets que nous réalisons, simplement pour vous donner une idée de la dimension de notre formidable Avataq. J’ai oublié de mentionner qu’Avataq est un organisme sans but lucratif.

Pour répondre à votre question, l’art, la culture et les langues peuvent-ils contribuer à la santé des collectivités ou quelque chose dans cette veine? Oui, tout simplement. Pour la culture et la langue, cela a déjà été prouvé, par mes ancêtres et leurs ancêtres qui ont vécu en santé, de façon répétée, en s’appuyant sur leur culture et leur langue, jusqu’à ce que cela soit interrompu ces dernières décennies. Oui, mes ancêtres ont déjà vécu cela, en santé.

Aujourd’hui, nous sommes bien davantage confrontés à d’autres sources extérieures que ne l’étaient nos ancêtres. Par exemple, nous avons Internet, la télévision et ainsi de suite. Je pense qu’il est un peu plus difficile d’avoir une base culturelle solide, à cause de ces distractions, sans compter que de tels efforts ont un prix parce que le Nunavik n’est pas accessible par la route. Nous ne sommes accessibles que par avion. Tout a un coût. Le Nord coûte cher.

Je dis cela parce que nous avons absolument besoin d’infrastructures au Nunavik pour que notre population puisse profiter de l’apprentissage, comme le mentionne le rapport que j’ai apporté. Ici, on dit qu’il faut un lieu d’apprentissage dans les communautés du Nunavik. Dans un monde parfait, c’est-à-dire avec un financement adéquat, nous créerions 15 centres culturels ou espaces d’apprentissage au Nunavik.

Bref, j’aimerais mentionner deux éléments d’infrastructure en particulier que nous aimerions voir soutenus. Le premier est notre bureau à Inukjuak. Ce n’est pas l’endroit le plus récent ou le plus idéal pour travailler, mais il faut une nouvelle infrastructure pour cela.

L’autre est Kuujjuaq. Il s’agit de la plus grande collectivité du Nunavik, du cœur des activités communautaires, si vous voulez. Il n’y a pas de centre de réadaptation adéquat. Nous en avons un à Inukjuak, mais nous prévoyons d’en construire un à Kuujjuaq. Ce centre de réadaptation nous a sollicités pour avoir un contexte culturel autour de la guérison et pour établir un lien avec la culture et la langue des personnes. Nous ne voulons pas que les gens soient simplement installés et qu’on leur dise « voilà, guérissez maintenant », et ce genre d’approche. Il est très encourageant pour eux de nous solliciter parce qu’ils veulent mettre sur pied un programme fondé sur la culture et la langue inuites. Je pense que c’est la clé pour avoir une meilleure base sur laquelle construire. J’espère que mes propos ont du sens.

Pour ce qui est de la langue, permettez-moi de vous présenter ce rapport, Illirijavut. Cela devrait être une bible. Peu après 2005, Avataq a décidé d’entreprendre une étude sur l’état de l’inuktitut au Nunavik. Cette étude a été menée par les Inuits pour les Inuits et cette enquête a été réalisée en trois ans et demi. Le point saillant de ce livre est la nécessité de créer une autorité linguistique en inuktitut, c’est indiqué au numéro 57. Je vais le citer. On dit que « la création d’une institution consacrée à l’inuktitut est considérée comme une nécessité absolue ».

C’est la constatation la plus mise en avant dans ce livre. Ce qui est intéressant, c’est que lors de l’enquête de trois ans et demi, les linguistes qui ont fait cette étude, ou qui ont fait le travail sur le terrain, se sont rendu compte que l’inuktitut est un bien national, un patrimoine qui mérite d’être préservé avec les plus grands efforts, en gardant à l’esprit que les trois langues des Premières Nations au Canada sont considérées comme ayant une chance de survivre. C’est très important.

Pour ce qui est des arts, je pense qu’il vaut la peine de créer une enveloppe de financement au sein du Conseil des arts du Canada parce que nous sommes mêlés à d’autres peuples des Premières Nations. Je le sais parce que j’étais membre du jury l’an dernier pour des demandes de financement provenant de partout au Canada. Je crois qu’une enveloppe distincte pour les artistes inuits serait très avantageuse pour les Inuits.

Mes cinq minutes sont-elles écoulées? J’ai terminé.

Le président : N’hésitez pas à conclure si vous le souhaitez, puis nous passerons aux questions des sénateurs.

Mme Kokiapik : D’accord.

Le président : Nous n’avons absolument pas terminé avec vous, alors si vous voulez conclure vos observations.

Mme Kokiapik : Ce sont là les trois principaux sujets que je voulais aborder aujourd’hui.

En ce qui concerne les arts, j’ai écouté les interventions des quatre témoins précédents. Je suis d’accord avec certains de leurs arguments sur les arts dans le Nord. Au Nunavik, certains artistes doivent se battre pour obtenir un soutien. Il est intéressant de rappeler que James Houston a commencé à acheter des sculptures dans ma communauté vers 1949. L’art n’a cessé d’évoluer depuis et aujourd’hui, oui, il doit être soutenu parce qu’il peut insuffler la fierté chez un artiste, qu’il soit jeune ou âgé. Les sculpteurs sur pierre à savon vieillissent et sont très peu nombreux. Il existe aujourd’hui une diversité de modes d’expression artistique.

Un médium qui pourrait vraiment être encouragé, c’est le théâtre, mais nous n’en sommes pas encore là. Nous avons lancé un projet; l’idée nous est venue durant l’enquête que nous avons menée dans le but de savoir où est utilisé l’inuktitut.

En cours de route, les responsables ont compris l’importance du théâtre pour aider les jeunes à préserver leur langue et leur culture. Nous devons investir davantage dans ce mode d’expression artistique.

Le président : Merci beaucoup. Avant de passer aux questions, j’aimerais revenir sur ce que vous avez dit.

En septembre dernier, les membres du comité se sont rendus à Kuujjuaq. Nous avons entendu parler du centre de guérison, je pense qu’il s’appelle Isuarsivik, et nous avons assisté à un exposé sur ce centre. J’aimerais préciser, aux fins du compte rendu, que depuis cette visite, la ministre Philpott a annoncé que le gouvernement fédéral investirait six millions de dollars dans cet établissement. Il semble que le projet ira de l’avant.

Vous nous avez dit que l’institut Avataq avait été invité à contribuer au choix du contenu culturel du programme. Je tenais à ce que cela soit consigné au compte rendu avant de céder la parole à notre vice-présidente.

La sénatrice Bovey : Je vous remercie d’être venue nous faire part de votre point de vue. C’est tellement agréable de vous revoir. Je vous félicite pour le travail que vous avez accompli durant toutes ces années. C’est un travail difficile et colossal. Vous avez mentionné James Houston, mais je pense que George Swinton et Jerry Twomey étaient là au même moment pour rassembler des œuvres anciennes, établir des liens entre les villes de Winnipeg, Montréal et Toronto et le Nord et promouvoir les réalisations artistiques.

Vous avez parlé de la vaste collection d’œuvres qui se trouve à Montréal, des documents d’archives, des photographies et de la collection d’œuvres d’art. Je sais que vous avez fait partie d’un jury du Conseil des arts du Canada l’an dernier. Vous ne serez pas étonnée que je vous demande comment a été accueilli le changement de programme. Je vous entends dire haut et fort qu’il devrait y avoir un fonds spécial pour les artistes inuits. Nous allons recevoir Simon Brault en fin d’après-midi et nous lui poserons la question.

Comment souhaitez-vous que ces documents d’archives, photographies et collections d’art soient utilisés? Je sais qu’ils sont entreposés à Montréal, mais cela ne veut pas dire que nous ne pouvons pas les utiliser. En donnant accès à ces œuvres, quel rôle souhaitez-vous leur donner? En plus d’un espace, que voulez-vous avoir concrètement? Pour vous donner cet espace, nous aimerions connaître le profil que vous souhaitez donner à ces collections.

Mme Kokiapik : La première chose, c’est l’espace. Comme vous l’avez dit, il est dommage que ces collections soient entreposées dans un édifice à environnement contrôlé de la rue Peel, à Montréal, pour la simple raison que nous ne pouvons pas les transférer faute d’avoir l’infrastructure appropriée dans le Nord. Nous faisons toutefois notre possible pour donner accès aux œuvres, notamment aux étudiants qui se rendent dans le Sud par affaire, puisque personne n’a les moyens d’aller les voir à Montréal. Nous essayons de rendre les œuvres accessibles. Nous offrons un accès sur notre site web, mais il n’est plus à jour.

La sénatrice Bovey : Les œuvres n’ont pas toutes été numérisées et mises en ligne?

Mme Kokiapik : Pas encore. Du moins pas la totalité.

La sénatrice Bovey : Avez-vous pu obtenir de l’argent pour en numériser une partie?

Mme Kokiapik : Oui, nous l’avons fait. Je ne sais pas où en est ce projet en ce moment, parce que je suis de retour au travail depuis lundi seulement, après une absence de six mois.

La sénatrice Bovey : Ce programme relève du ministère du Patrimoine canadien?

Mme Kokiapik : C’est exact.

La sénatrice Bovey : Le projet de numérisation?

Mme Kokiapik : Oui.

La sénatrice Bovey : Vous souhaitez obtenir un financement ponctuel pour votre projet. Les fonds pour les archives proviennent du ministère du Patrimoine canadien, par le biais du Conseil des arts du Canada, et pour l’immeuble, ils proviennent d’Infrastructure.

Mme Kokiapik : Nous recevons également un financement provincial.

Le président : Pouvez-vous nous parler de la collection d’œuvres d’art des ministères des Affaires autochtones et des Services aux Autochtones? Savez-vous qui paie la facture des systèmes de contrôle de la température et de l’humidité? J’imagine que leur entretien coûte assez cher. Savez-vous qui paie la facture et à combien elle s’élève? Pourriez-vous nous faire parvenir cette information?

Mme Kokiapik : Oui. C’est le ministère.

Le président : Le ministère au Québec?

Mme Kokiapik : Oui. Nous avons conclu un accord avec le ministère. Nous pouvons vous faire parvenir l’information.

Le président : Il serait intéressant que nous sachions combien coûte l’entreposage temporaire avant de faire des recommandations visant la construction d’un bâtiment permanent dans le Nord.

La sénatrice Bovey : Pouvons-nous avoir un exemplaire du rapport que vous nous avez montré?

Mme Kokiapik : Je peux vous laisser celui-ci.

La sénatrice Bovey : Merci.

Mme Kokiapik : Comme je l’ai dit, cette collection nous a été offerte en 1992, je pense, mais le rapport que j’ai vu date de la fin des années 1980. Les œuvres ont été données à Avataq. Elles sont entreposées ici dans de simples boîtes de carton. Nous les conservons ici depuis des années. Il y a sept ou huit ans, nous avons réussi à obtenir des fonds pour la location de cet édifice à atmosphère contrôlé. Au moins, les œuvres sont dans un endroit sécuritaire. Nous devons les rendre plus accessibles aux gens du Nunavik.

Le président : Je vous remercie.

La sénatrice Coyle : Merci beaucoup, madame Kokiapik. Nous vous sommes reconnaissants pour le travail que vous accomplissez et pour votre exposé. Il est absolument essentiel de rassembler et de préserver les œuvres patrimoniales et artistiques. Je salue votre travail à cet égard. La recherche que vous nous avez décrite sur la langue inuktitute revêt également une grande importance pour nous.

J’aimerais avoir plus de détails sur l’espace dont vous avez besoin et dont nous entendons souvent parler. Il s’agit d’un espace qui permettra non seulement de continuer à préserver la collection, mais qui incitera également les membres de la communauté à interagir avec les œuvres.

Lors de notre passage à Kuujjuaq, nous avons visité la société Makivik et d’autres endroits. Nous avons constaté l’existence d’un centre de recherche de pointe. C’est la preuve, du moins à mes yeux, qu’une ville comme Kuujjuaq peut accueillir un centre de recherche scientifique perfectionné. Pourquoi ne pourriez-vous pas avoir un environnement de pointe pour la préservation et l’exposition d’œuvres et favoriser ainsi l’interaction de la population avec votre collection d’art qui, nous l’espérons, continuera de s’enrichir, surtout au moment où vous cherchez à stimuler l’interaction artistique et culturelle grâce au nouveau centre de réadaptation qui se trouve exactement au même endroit?

Avez-vous établi un plan détaillé comportant une évaluation des coûts? Un plan décrivant non seulement l’espace physique, mais aussi l’avenir du centre que vous décrivez et qui pourrait avoir la même fonction que cet espace temporaire à Montréal, tout en jouant un rôle élargi, comme vous l’avez décrit?

Mme Kokiapik : Nous avons récemment essayé de construire une infrastructure à Inukjuaq parce qu’à mon avis, il est préférable de disséminer la collection.

La sénatrice Coyle : De la répartir, où que ce soit.

Mme Kokiapik : Oui, vers les grandes organisations et aussi pour créer des emplois, si cela est nécessaire. Je pense que tout ne doit pas être concentré à Kuujjuaq.

La sénatrice Coyle : Désolée, j’avais compris que c’était Kuujjuaq.

Mme Kokiapik : Cette personne parlait d’Iqaluit. Quoi qu’il en soit, c’est mon opinion à ce sujet.

L’an dernier, nous avons tenté de travailler en partenariat avec le bureau municipal ou les conseillers municipaux d’Inukjuak étant donné qu’Avataq est présent dans cette localité depuis 1980. Comme la ville a besoin d’un nouvel immeuble à bureaux, tout comme nous, nous avons essayé de nous regrouper.

Dans ce nouvel immeuble, nous espérions avoir un espace à atmosphère contrôlée pour notre collection archéologique. Nous essayons actuellement de déplacer Avataq vers le Nord. C’est un projet de longue haleine parce que nous avons besoin de financement. Cela requiert une planification minutieuse.

Nous avons essayé de répondre à ce besoin l’an dernier, mais sans succès. Nous examinons différents moyens d’y arriver.

La sénatrice Coyle : Merci beaucoup.

La sénatrice Boyer : Je vous remercie pour cet exposé. J’ai une question concernant les programmes sur la langue, le patrimoine et la culture, en particulier le programme linguistique dont vous avez parlé, ainsi que la santé des Inuits.

Pouvez-vous nous décrire les effets de votre travail sur la santé des Inuits ainsi que les bienfaits que vous avez constatés sur le plan de la santé. Comme vous faites ce travail depuis longtemps, vous avez probablement constaté les effets qu’il peut avoir sur la santé des gens.

Mme Kokiapik : Les effets de la langue inuktitute sur la santé?

La sénatrice Boyer : Oui, les bienfaits pour la santé lorsque les gens sont plongés dans leur langue. Quels sont les effets sur leur santé ainsi que sur les autres programmes?

Le président : Sur la santé et le bien-être.

Mme Kokiapik : Je pense que la culture et la langue vont de pair. Une langue et une culture fortes et saines renforcent les perspectives de vie des gens.

Le taux de suicide est élevé chez nous. C’est aussi une réalité. Le fait d’avoir une culture et une langue solides renforce le sentiment de fierté des gens, améliore leurs perspectives de santé et les encourage à demeurer actifs.

La sénatrice Boyer : Selon vous, il y a donc des effets très bénéfiques.

Mme Kokiapik : Oui, je le pense.

La sénatrice Boyer : Merci.

Le président : Nous sommes sur le point de conclure. Pour enchaîner sur les questions de la sénatrice Bovey, pourriez-vous nous parler de votre participation au jury du Conseil des arts du Canada. Quel était votre rôle et qu’est-ce qui vous a incitée à recommander la création d’une catégorie distincte pour les artistes inuits? J’aimerais que vous nous donniez plus de détails à ce sujet.

Mme Kokiapik : À l’échelon local, il y a des artistes d’expérience et des artistes émergents. Si vous ne le savez pas, certains artistes inuits n’ont pas l’habitude de remplir des demandes de financement qui exigent beaucoup d’information. C’est un travail fastidieux, si vous voulez. Je pense qu’il faudrait adopter une approche mieux adaptée aux Inuits pour les aider à remplir les demandes de financement...

Le président : Que souhaiteriez-vous voir?

Mme Kokiapik : Un art typiquement inuit.

Le président : Qu’en est-il de l’accès? Vous dites que les formulaires de demande sont difficiles ou compliqués à remplir. Je pense que cela concerne surtout les jeunes artistes dont vous avez parlé, ceux qui débutent leur carrière. Est-ce exact?

Mme Kokiapik : Les artistes émergents et les autres.

Le président : Comment pourrait-on procéder autrement?

Mme Kokiapik : Le territoire inuit comporte quatre régions : le Nunavut, le Nunavik et les autres. Si une grande organisation du Nunavik était responsable de la répartition des fonds, je pense que cela fonctionnerait.

À titre d’exemple, c’est exactement ce qu’on a fait dans le passé avec l’Initiative des langues autochtones, mais nous avons délaissé cette pratique parce que les exigences à remplir pour le financement étaient beaucoup trop complexes.

Le président : Si je comprends bien, vous recommanderiez qu’une organisation ou un organisme inuit représentatif soit responsable de la gestion d’une partie des subventions offertes aux artistes inuits de l’ensemble de l’Inuit Nunangat. Quelle organisation recommanderiez-vous pour faire ce travail?

Mme Kokiapik : Au Nunavik?

Le président : Pour l’ensemble de l’Inuit Nunangat.

Mme Kokiapik : L’ITK serait peut-être l’organisation idéale pour cela.

Le président : Ou un groupe spécial?

Mme Kokiapik : Oui.

La sénatrice Bovey : Je ne pense pas que ce pourrait être une organisation distincte, à en juger par la façon dont le Conseil des arts du Canada obtient son argent.

L’idée de confier à un cadre supérieur la responsabilité des affaires inuites pourrait être très intéressante, comme cela se fait pour les Premières Nations; de plus, pour aider les artistes émergents, il faudrait qu’il y ait des personnes comme Rhoda sur le jury pour déterminer qui obtiendra les fonds.

Vous êtes la seule Inuite à faire partie du jury, n’est-ce pas?

Mme Kokiapik : Oui.

La sénatrice Bovey : Je pense qu’il faut établir le programme et le jury. Cela pourrait donner les résultats que vous souhaitez, tout en maintenant le programme au niveau fédéral. Cela donnera un sentiment de fierté et une visibilité aux artistes subventionnés.

Certains artistes ont reçu des fonds. J’ai la liste des trois dernières années. Il n’y en a pas eu beaucoup, seulement quelques-uns.

Je pense que nous devons également tenir compte, comme l’ont signalé les témoins du groupe précédent, de l’absence de large bande et du genre d’images que les artistes doivent fournir. Cela pose un problème technique, sans parler de la rédaction. Ce sont de bonnes questions à poser au prochain groupe.

Le président : Oui. Si vous pouvez rester avec nous, nous entendrons des représentants du Conseil des arts du Canada. Je suis certain que cela vous intéresse.

J’aimerais vous remercier pour votre exposé qui s’appuie sur votre longue expérience. Il nous a été très utile. Nous serons heureux de consulter le livre que vous avez apporté.

Avant de conclure, chers collègues, le témoin précédent — je pense que c’était Mme Hamilton de Qaggiavuut! — a mentionné une recommandation formulée par un comité parlementaire. Grâce à l’aide de nos compétents recherchistes, nous avons retrouvé cette recommandation. J’ai pensé la lire afin de la consigner au compte rendu. Elle a été formulée par le Comité du patrimoine canadien.

Il s’agit de la recommandation 5 de son récent rapport :

Le Comité recommande que le ministère du Patrimoine canadien étudie les bienfaits des centres culturels par rapport à la préservation et la promotion des langues et des cultures autochtones.

C’est la principale recommandation. Il y a également des recommandations connexes.

Il s’agit d’un très récent rapport du comité. Nous essayerons de le distribuer. Je ne connais pas la date de sa publication, mais je tenais à le mentionner aux fins du compte rendu.

La sénatrice Coyle : Merci.

Le président : Je suis maintenant très heureux d’accueillir, du Conseil des arts du Canada, Simon Brault, directeur et chef de la direction, et Steven Loft, directeur.

J’aimerais présenter des excuses publiques. Nous vous avons fait attendre durant les turbulences et les votes tardifs qui ont perturbé les travaux du Sénat avant le congé de Noël. Je vous remercie de la patience dont vous avez fait preuve quand nous avons dû annuler la réunion à ce moment-là. Merci d’être ici aujourd’hui.

Nous entendrons également des représentants du Musée canadien de l’histoire, mais nous allons commencer tout de suite avec vous, messieurs. Vous pourrez ensuite répondre aux questions des sénateurs. Monsieur Brault, vous avez la parole.

Simon Brault, directeur et chef de la direction, Conseil des arts du Canada : Merci. Je vais essayer de m’en tenir aux cinq minutes qui me sont allouées.

Le président : Nous avons été assez souples à cet égard aujourd’hui.

M. Brault : J’avoue que c’est un défi. Merci, monsieur le président.

Je vous présente mon collègue Steven Loft qui se joint à nous aujourd’hui. Il est d’origine mohawk et juive et appartient à la bande Six Nations de Grand River. Il est directeur d’un programme que je mentionnerai souvent; il s’agit du programme Créer, connaître et partager : Arts et cultures des Premières Nations, des Inuits et des Métis. Au Conseil des arts du Canada, nous l’appelons tous simplement le programme CCP. Il a été mis en place en 2016 dans le cadre du nouveau modèle de financement du Conseil des arts du Canada, et il découle directement de la décision du conseil d’abandonner son optique eurocentrique en matière de financement des arts dans le Nord en faveur d’un programme tenant clairement compte des principes d’autodétermination et de souveraineté culturelle. Ce programme est entièrement administré par des employés d’origine autochtone et jouit d’une grande autonomie au sein du conseil.

Il vise également à favoriser le renouvellement de la relation entre le Conseil des arts du Canada et les artistes autochtones en leur offrant un soutien à leurs propres conditions et non en essayant de les convaincre de s’adapter aux nôtres.

Aujourd’hui, je vais surtout vous parler du travail que nous accomplissons, de nos objectifs et des mesures que nous prenons à l’endroit des artistes autochtones du Nord, tout en sachant très bien qu’il y a une population non autochtone dans le Nord. Nous allons toutefois mettre l’accent sur les artistes autochtones.

Il est important de dire que le Conseil des arts du Canada soutient les artistes, les groupes artistiques et les organisations à toutes les étapes du processus de création. Nous fournissons un soutien dans une optique très éloignée de l’aspect commercial ou du marché. Nous essayons vraiment de soutenir les arts et d’aider les artistes et les organisations à perfectionner leurs capacités de création et de favoriser la libre expression des Autochtones ou des Inuits. C’est une démarche différente de celle des autres instances qui financent des activités culturelles dans le Nord. Nous avons une optique tout à fait particulière.

C’est pourquoi nous accordons une grande importance, en ce moment, au renforcement de la capacité des instances culturelles dans le Nord, en particulier des organisations dirigées par des Autochtones. Même si ce programme a vu le jour il y a à peine deux ans, nous essayons de créer des partenariats à moyen et long termes que nous soutiendrons durant un certain nombre d’années. Nous savons pertinemment que le changement ne peut se produire du jour au lendemain.

L’accent est mis à la fois sur ce que nous appelons les pratiques contemporaines et les pratiques traditionnelles, ce qui se distingue de ce qui se fait dans le reste du Conseil des arts du Canada, ce dernier s’intéressant principalement aux œuvres contemporaines. Dans le contexte du soutien aux artistes autochtones, nous comprenons que nous ne pouvons pas faire de distinction entre le soutien de ce que nous pourrions qualifier généralement de transmission culturelle et le soutien de la pratique artistique. Il existe un continuum qui est vraiment important, et ne pas le valoriser serait une terrible erreur.

Nous avons pris l’engagement, dans le contexte du doublement du budget du Conseil des arts du Canada sur cinq ans, entre 2016 et 2021, de tripler notre investissement pour soutenir les arts autochtones au Canada. À ce jour, nous avons plus que doublé cet investissement depuis 2015-2016.

Pour ce qui est de la région de l’Arctique, nous tentons maintenant, de concert avec certaines organisations, de passer d’une aide prenant la forme de subventions de projet à un financement de base. Nous avons pris récemment une série de décisions concernant le financement de base. Je crois comprendre que même si certaines personnes qui ont témoigné aujourd’hui ne savent pas qu’elles obtiendront un financement de base, je peux l’annoncer maintenant, parce que les lettres ont été envoyées, mais qu’on leur a dit de ne rien révéler.

Le président : Il est à souhaiter qu’il sera reconnu que nous avons obtenu des résultats vraiment rapides.

M. Brault : Vous avez raison de le penser. Des organisations comme Qaggiavuut! et Artcirq reçoivent un financement de base. Elles l’apprendront ou elles le savent déjà. C’est très récent. Nous sommes fiers d’avoir pu le faire en un an et demi et que ce nouveau modèle de financement ait pu être adopté. Encore une fois, tout cela est assez nouveau. Il en va de même pour Nunavut Independent Television.

Le Conseil des arts du Canada investit également dans des organismes du Nord qui bénéficient d’un financement de base et les appuie, le leadership dans ces organismes étant partagé entre des directeurs artistiques inuits et non inuits. Lorsque nous imaginons la forme que prendront le travail et les investissements dans le Nord, nous nous rendons compte qu’il y a des lacunes à combler. Le Conseil des arts du Canada ne peut pas s’en occuper seul, mais ce sont des lacunes très importantes. Certaines d’entre elles sont liées à ce que nous pourrions appeler les infrastructures artistiques. Il est clair qu’il faut des installations, des endroits où le travail peut être fait, où les arts peuvent être enseignés et où le leadership peut s’épanouir.

Nous savons qu’il y a de nombreux enjeux liés au contexte pour ce qui est de l’accès au matériel de création. De toute évidence, il y a des facteurs environnementaux auxquels il faut faire face — les grandes distances et la connectivité Internet posent un problème à bien des égards. Il y a aussi la production de revenus, et le fait que nous nous rendons compte que le modèle en place favorise d’abord et avant tout les marchands et les intermédiaires plutôt que les artistes eux-mêmes. Il y a des inégalités systématiques et cette énorme et importante quête d’un leadership renouvelé — un leadership qui se développe au sein des artistes et des intervenants culturels inuits.

Pour ce qui est de combler ces lacunes, ce qui nous semble vraiment important, c’est qu’il est clair qu’il faut repenser la façon dont nous voyons le développement et où s’inscrivent les arts dans ce développement. Nous ne pensons pas que les arts sont la solution à tous les problèmes, mais nous croyons qu’il est difficile d’imaginer un véritable développement à long terme sans la contribution spécifique des arts.

Pour ce qui est de l’avenir, comme je l’ai dit, le développement des compétences et du leadership est vraiment important. Le soutien à l’égalité des sexes est également essentiel. Nous pensons que pour combler ces lacunes et faire progresser nos travaux, l’une des façons les plus sûres est de s’associer à d’autres organisations du Nord et du Sud. La sélection des partenaires avec lesquels nous collaborerons est pour nous une question cruciale maintenant, parce que nous nous rendons compte que si nous voulons être fidèles aux notions d’autodétermination et de souveraineté culturelle, nous devons avoir des partenaires qui sont en mesure de progresser et de livrer la marchandise. Il y a des changements quant aux partenaires avec lesquels nous pouvons travailler. Nous sommes fiers de dire que même si notre programme est très récent, nous avons réussi à établir des partenariats prometteurs, tant dans le Nord que dans le Sud.

Nous sommes très intéressés par l’aboutissement des travaux de votre comité. Nous comprenons que, parce que vous étudiez la vaste gamme d’enjeux, de possibilités et de défis dans le Nord, nous apprendrons beaucoup de choses. Vous pouvez compter sur nous pour essayer de comprendre, de décoder et d’analyser vos conclusions, afin de faire un meilleur travail.

Cela conclut mon exposé de cinq minutes. Merci.

Le président : Excellent. Merci beaucoup.

Nous allons maintenant accueillir, du Musée canadien de l’histoire, notre deuxième organisation dans ce groupe : Mme Karen Ryan, conservatrice, Nord du Canada; M. Matthew Betts, conservateur, Archéologie de l’Est; et M. Jean-Marc Blais, directeur général. Bienvenue. Nous aimerions vous entendre maintenant, et les sénateurs des deux groupes de témoins vous poseront des questions.

Madame Ryan.

Karen Ryan, conservatrice, Nord du Canada, Musée canadien de l’histoire : Merci, monsieur le président, et bon après-midi, honorables sénateurs. Je suis fière de représenter ici le Musée canadien de l’histoire. Nous reconnaissons l’importance de vos travaux et nous nous réjouissons de pouvoir contribuer à vos délibérations.

En ce qui concerne l’Arctique, notre mandat consiste à accroître la compréhension du public à l’égard de l’histoire humaine de la région et des cultures de ses peuples autochtones. Le musée s’acquitte de ce mandat depuis plus d’un siècle grâce à la recherche, aux bourses d’études et aux expositions publiques.

Nos recherches dans l’Arctique ont commencé par le travail anthropologique novateur de Diamond Jenness, longtemps associé au Musée national du Canada. M. Jenness a vécu trois ans dans le Nord à titre de scientifique au sein de l’Expédition canadienne dans l’Arctique. Deux de ces années ont été passées dans la région du golfe Coronation avec les Inuinnait, mieux connus dans le Sud sous le nom d’Inuits du cuivre.

M. Jenness a vécu comme le fils adoptif de l’une de ces familles, ce qui lui a permis d’apprendre et de mieux comprendre la langue et le mode de vie de sa nouvelle famille. Il a mené d’importantes fouilles archéologiques et a fait part de ses observations sur la subsistance et les activités sociales des Innuinnait dans de nombreuses publications populaires et scientifiques.

Au cours du siècle dernier, de nombreux autres spécialistes en muséologie ont suivi ses traces, permettant au musée de compiler, de préserver et de diffuser de riches connaissances sur l’Arctique et ses peuples. Il a également construit l’une des plus importantes collections d’artefacts de l’histoire humaine de la région. Une grande partie des connaissances de la préhistoire de l’Arctique se sont en fait développées au musée.

Cet héritage se reflète bien dans deux de nos deux plus grandes expositions, soit la salle des Premiers Peuples et la nouvelle salle de l’Histoire canadienne. Les deux permettent de découvrir des histoires fascinantes de liens anciens et durables avec la terre, de cultures qui ont été secouées par d’énormes changements et de collectivités résilientes et fières.

Aujourd’hui, l’Arctique demeure un axe important de nos recherches. Comme votre comité, nous reconnaissons que des changements profonds se produisent dans la région. Nous voulons travailler avec les habitants du Nord pour explorer ces changements et leurs répercussions, et nous voulons partager les connaissances qui en découlent avec les membres de la collectivité, ainsi qu’avec les Canadiens de partout au pays.

L’une des questions particulièrement urgentes concernant l’Arctique est le réchauffement de la planète et la fonte des glaces, qui accélèrent l’érosion le long du littoral du Nord, menaçant d’importants sites archéologiques et affectant de nombreuses façons différentes les populations de cette région.

Une grande partie des connaissances mondiales sur la préhistoire de l’Arctique est fondée sur des travaux archéologiques entrepris par notre musée. De l’information essentielle à une meilleure compréhension de la préhistoire de l’Arctique risque maintenant d’être emportée par les eaux. Des sites archéologiques plus récents sont également en péril.

Le président : Parlez moins vite, s’il vous plaît.

Mme Ryan : Je viens de Terre-Neuve, alors cela fait partie de notre façon de parler.

De l’information essentielle à une meilleure compréhension de la préhistoire de l’Arctique risque maintenant d’être emportée par les eaux. Des sites archéologiques plus récents sont également en péril. De nombreux sites inuits et européens des XVIIIe et XIXe siècles ont disparu en raison de l’érosion du littoral et de l’élévation du niveau de la mer.

Le Musée canadien de l’histoire travaille maintenant avec les collectivités autochtones et les archéologues de partout au Canada pour planifier une réponse coordonnée à cette grave menace pour le patrimoine de notre pays. Comme je l’ai mentionné plus tôt, le musée accorde une grande valeur à ses relations avec les populations du Nord et au travail que nous faisons ensemble pour faire connaître les histoires du Nord. Je vais vous donner deux exemples récents.

L’an dernier, notre musée a présenté « Périr dans les glaces », une exposition spéciale sur le sort de l’expédition Franklin en 1845. J’étais la conservatrice de l’exposition.

Au moment du montage de l’exposition, nous avons beaucoup compté sur des sources, des voix et des artefacts inuits, car les Inuits ont été les derniers à voir les navires de Franklin et leurs équipages. Ces rencontres que les récits oraux ont contribué à préserver ont mené à la découverte du HMS Erebus et du HMS Terror. Dans le cadre de ce travail, nous avons eu le privilège d’interviewer le regretté Louie Kamookak, réputé pour sa connaissance de la tradition orale inuite. Le musée a également travaillé en étroite collaboration avec l’Inuit Heritage Trust et le gouvernement du Nunavut pour raconter cette histoire.

Le deuxième exemple est celui de Nuvumiutaq, l’une des expositions les plus remarquables de la nouvelle salle de l’Histoire canadienne qui concerne un Inuk qui vivait et a été enterré près d’Arctic Bay, au Nunavut, il y a environ 800 ans.

Nous avons travaillé en étroite collaboration avec la collectivité d’Arctic Bay pour raconter l’histoire de cet homme et, ce faisant, reconstruire son apparence à partir d’analyse de ses restes physiques. Les membres de la collectivité ont donné son nom à Nuvumiutaq, fourni des photos historiques à titre de référence et recréé les vêtements qu’il portait, en utilisant des méthodes et du matériel traditionnels dans une large mesure.

Ce ne sont là que deux exemples d’histoires de la région que le musée a pu faire connaître grâce à une étroite collaboration avec les gens du Nord.

Le Musée canadien de l’histoire aimerait aussi mettre davantage en commun de ses expositions et artefacts avec les collectivités du Nord. Nous travaillons avec l’Inuit Heritage Trust pour élaborer une version bidimensionnelle de l’exposition Franklin pour le Nunavut, cette version n’incluant pas d’artefacts.

Les responsables du Musée se réjouissent à l’idée de partager ses riches collections avec les collectivités du Nord, une fois que les conditions seront réunies pour assurer un environnement propice pour l’exposition en toute sécurité de matières fragiles.

Notre musée est fier de sa longue tradition de collaboration avec les collectivités du Nord pour documenter, préserver et diffuser les connaissances sur la région et ses populations, passées et présentes. Le musée maintient son engagement à l’égard de ces travaux et du processus d’autonomisation et de développement communautaire dans l’Arctique, aujourd’hui et pour l’avenir.

Je vous remercie de votre attention et j’ai hâte de répondre à vos questions.

Le président : Merci beaucoup à vous tous.

La sénatrice Boyer : Merci. Ma question s’adresse au Conseil des arts du Canada. Je remarque que votre conseil se compose de 11 membres. Je me demande dans quelle mesure cette structure est représentative des priorités des Premières Nations, des Métis et des Inuits, ainsi que des priorités locales et communautaires. J’aimerais beaucoup que vous m’expliquiez cela.

Le président : Je souligne que vous n’êtes pas responsable de la nomination du conseil, monsieur Brault, mais vous pouvez nous éclairer, j’en suis sûr.

M. Brault : Vous avez raison. Le Conseil des arts n’a rien à dire au sujet de la composition de son conseil d’administration. C’est un tout nouveau processus, indépendant et transparent. C’est ainsi que l’on qualifie ce processus dans lequel n’importe qui peut poser sa candidature, chaque fois qu’un poste se libère au sein du conseil d’administration, y compris celui de chef de la direction, en fait. Mais nous avons eu de la chance parce que nous avons insisté pour avoir une représentation autochtone. Parmi les 11 membres actuels, il y a Jesse Wente, un dirigeant autochtone très réputé qui connaît bien notre domaine. Nous avons aussi un représentant des Territoires du Nord-Ouest, Ben Nind, qui siège au conseil. On peut au moins dire qu’il y a une présence et une compréhension au niveau du conseil. Le gouvernement a l’entière responsabilité de la composition du conseil d’administration. C’est lui qui nomme les membres. Nous insistons sans arrêt pour que la société canadienne soit bien représentée. Jusqu’à maintenant, nous avons eu des voix fortes au sein du conseil. Ces personnes sont bien informées, elles débattent et éclairent grandement les discussions.

La sénatrice Boyer : Merci.

La sénatrice Bovey : Merci à tous. Encore une fois, je suis désolée que nous ayons dû nous interrompre pour aller voter. Ne nous demandez pas si nous avons voté de la bonne façon. C’est sûr que oui.

Monsieur Brault, j’aimerais prendre une minute pour résumer certains des témoignages que nous avons entendus. Vous avez répondu à certaines des préoccupations. On nous a dit haut et fort qu’il fallait des subventions de base. Le fait que certaines de ces petites organisations du Nord obtiendront des subventions de base fera certainement avancer les choses.

Le président : C’est une excellente nouvelle.

La sénatrice Bovey : Merci. Nous avons également entendu parler du besoin très réel d’espaces pour apprendre, créer et exposer, comme ce qui existe au Musée de l’histoire. Ce que vous avez dit revient au même : vous devez ramener une exposition en trois dimensions à deux dimensions en raison de problèmes d’espace.

Comment pouvons-nous, en tant que société et en tant que pays, arriver à quelque chose alors que nos antécédents de financement de la culture semblent assez cloisonnés pour ce qui est du travail des Autochtones? Le Conseil des arts du Canada s’occupe des œuvres contemporaines et du programme d’aide aux musées. Patrimoine canadien s’occupe davantage des expositions historiques et itinérantes, et les fonds pour les infrastructures proviennent des programmes d’infrastructures. Comment le Conseil des arts du Canada peut-il adopter des mesures concrètes pour répondre à ce besoin vraiment réel dans le Nord, afin que les gens puissent, comme partout ailleurs, explorer leurs propres trésors et leurs propres histoires?

M. Brault : Dans le Nord, nous avons besoin à la fois de subventions de base et de subventions spéciales. Je vais donner un exemple. Nous avons récemment créé un programme important pour appuyer la transition numérique du secteur des arts au Canada. L’une des premières grandes subventions a été accordée dans le Nord. Grâce à cette subvention, on a pu faire des choses que même un organisme bénéficiant d’un financement de base ne pouvait pas faire. Cela aurait pu sembler hors de portée. Dans ce cas, il s’agissait de faire venir des aînés de différentes régions du Nord et d’enregistrer leurs chansons. Une application a été créée, qui est présentée cette semaine dans le cadre de Bal de Neige. Nous avons besoin de la souplesse des subventions destinées aux grands projets lorsque nous constatons que tout est réuni pour arriver à quelque chose qui serait impossible normalement.

Nous avons aussi besoin de subventions de base. La décision du Conseil des arts du Canada a été de créer des organismes bénéficiant d’un financement de base dirigés par des Inuits. Par le passé, nous accordions des subventions de base, mais à des organisations dont les dirigeants n’étaient pas inuits. Le raisonnement derrière cela était qu’une grande partie de la tâche consistait à produire des choses pour le Sud. Et nous nous sommes rendu compte que, oui, il y a un marché qui est important. Mais d’abord et avant tout, la raison pour laquelle, en tant que bailleur de fonds public, nous devrions appuyer les artistes de toutes les régions du Canada, c’est pour nous assurer que les gens peuvent s’exprimer et qu’ils peuvent réfléchir, créer et faire connaître leur travail à leurs concitoyens. La démarche ne devrait pas être dictée par les besoins d’un marché, surtout d’un marché situé à l’extérieur de la région.

Nous explorons cette possibilité. Tout cela est assez récent. Mais en moins de deux ans, nous avons fait d’énormes progrès. Cependant, nous voulons nous assurer de parler aussi avec d’autres bailleurs de fonds pour leur expliquer la nécessité de la formation, du leadership et de tout le reste.

Vous avez tout à fait raison, nos interventions sont vraiment cloisonnées, mais nous pensons qu’en tant que Conseil des arts, nous avons une responsabilité qui va bien au-delà de l’octroi de subventions. Nous devons amplifier les voix de ces artistes et parler à nos collègues du portefeuille.

Nous travaillons de plus en plus en collaboration. Nous avons collaboré avec le musée récemment, parce que nous avons exposé pour la première fois à Venise, à la très importante Biennale d’architecture. Il s’agissait de la première exposition regroupant 13 architectes autochtones dans le cadre d’un projet appelé Unceded. Honnêtement, il aurait été impossible pour le Conseil des arts du Canada de faire cavalier seul et de transférer ensuite l’exposition au Canada sans le soutien d’autres organismes du portefeuille, en l’occurrence, le musée.

Nous travaillons beaucoup en partenariat avec Radio-Canada/CBC. Il s’agit d’une tendance récente et je dois dire que le renouvellement du leadership dans de nombreuses institutions comme Téléfilm, Radio-Canada/CBC offre de nombreuses possibilités de partenariat et de collaboration, de nombreuses occasions de sortir de nos silos et de nous éloigner de nos programmes spécifiques pour nous attaquer au problème, mais au Conseil des arts du Canada, nous estimons que nous devons rester toujours fidèles à l’importance de développer la pratique et le leadership artistiques dans une perspective autochtone.

Steven Loft, directeur, Conseil des arts du Canada : Pour faire suite à cela, je vais vous situer le nouveau programme et vous expliquer sa raison d’être. Le programme repose sur deux choses : les droits des Autochtones, fondés sur les droits inhérents, les droits issus de traités et les droits énoncés dans la Déclaration des Nations Unies; et la responsabilité, c’est-à-dire la responsabilité du gouvernement fédéral et de l’État-nation envers les peuples autochtones, les premiers peuples de ce pays. Le programme Créer, connaître et partager a non seulement permis la création d’un mécanisme de financement, mais aussi le renouvellement d’une relation de nation à nation fondée sur ces deux notions.

C’est pourquoi ce programme va plus loin en incluant la notion de responsabilité. C’est pourquoi le programme Créer, connaître et partager se distingue grandement des autres programmes du Conseil des arts du Canada. L’une des différences est que nous reconnaissons que le gouvernement fédéral a l’obligation de respecter les droits issus de traités, les droits inhérents et les droits énoncés par les Nations Unies. Cela veut dire que nous avons fait partie du problème dans le passé. Nous avons été un obstacle, et c’est pourquoi, même s’il y a eu une résurgence incroyable de la culture autochtone sur ce territoire, les infrastructures demeurent un problème majeur. Nous reconnaissons que nous devons faire partie de cette solution, de bien des façons dont M. Brault a déjà parlé.

Un autre aspect est que le programme Créer, connaître et partager, contrairement aux autres programmes du conseil, n’est pas seulement contemporain. Il repose sur une vision beaucoup plus large de l’art et de la culture. Par ailleurs, nous avons nos programmes de subventions, mais nous avons aussi nos initiatives de partenariat. Cela nous permet d’être plus avant-gardistes pour répondre aux besoins réels des collectivités autochtones et de l’écosystème artistique et culturel autochtone.

C’est ainsi que nous nous engageons dans les types de partenariats que nous établissons et que nous espérons voir prendre de l’expansion. Il s’agit d’une façon proactive de travailler dans le cadre d’initiatives dirigées par les Autochtones, afin de combler réellement certaines des lacunes qui existent.

La sénatrice Bovey : Merci. Tout cela m’intéresse énormément, comme vous pouvez le comprendre, puisque j’ai travaillé avec vous pendant de nombreuses années.

Il y a d’autres choses que nous avons entendues et d’autres préoccupations, et peut-être que vous vous en êtes occupés et que le monde n’a tout simplement pas compris comment vous les avez abordées. L’un des grands problèmes en est un d’accès pour les artistes du Nord, et évidemment pour les artistes inuits, mais peut-être pas seulement pour eux, en raison de la large bande qui permet de télécharger 20 images et de la haute résolution dont vous avez besoin. Nous avons entendu dire que cela prend des jours. Je sais que le Conseil des arts du Canada n’est pas responsable des aspects techniques, mais que pouvez-vous faire pour régler ce problème et aider?

L’autre chose que nous avons entendue haut et fort, c’est que de nombreux artistes inuits ont dit très clairement que la rédaction de demandes de subvention et la promotion de leur art, de même que la compréhension du vocabulaire à la mode, quel qu’il soit, ne font pas partie de leur culture. Que pouvez-vous faire pour améliorer l’accès au programme?

M. Brault : Je dirais qu’il y a deux aspects à l’accès. L’un concerne la logistique. Par exemple, au conseil, oui, l’accès se fait par Internet, et nous savons que cela pose un problème dans de nombreuses régions, surtout dans le Nord. Par conséquent, nous avons maintenu les demandes sur papier, la méthode traditionnelle.

Pour ce qui est de la rédaction des demandes de subvention, nous savons aussi que chaque projet présenté au programme Créer, connaître et partager est évalué par un jury d’artistes autochtones. Sur cette question de culture — les attentes, la façon de juger, l’évaluation, le caractère réaliste —, les gens sont vraiment bien informés parce que, encore une fois, ils ne passent pas par le processus ordinaire du Conseil des arts du Canada. Il existe un processus spécial au conseil.

L’accès est aussi une question de relations et de réseaux personnels. C’est probablement encore plus important que tout ce que nous pouvons publier. C’est pourquoi nous faisons maintenant beaucoup plus de visites dans le Nord et nous avons des gens avec nous pour établir des partenariats qui sont censés être des partenariats à long terme. Nous nous rendons compte que, peu importe la qualité de notre discours ou nos intentions, nous sommes une organisation basée dans le Sud. Nous ne sommes pas dans le Nord. Nous devons le reconnaître et bâtir un réseau. Je dirais que l’une des grandes priorités à l’heure actuelle est de bâtir ce réseau. Il est important d’avoir du personnel d’origine inuite au sein du conseil, mais il est essentiel d’avoir des gens avec qui traiter et de créer ces réseaux.

Nous bâtissons cela et nous investissons en ce sens pour offrir un accès de plus en plus large, car au Conseil des arts du Canada, nous sommes axés sur la demande. Nous répondons aux demandes que nous recevons. Notre travail consiste à répondre aux demandes en sensibilisant les gens à ce que nous faisons.

L’un des grands engagements pris par le Conseil des arts du Canada lorsque nous avons appris que notre budget serait doublé — et il s’agit d’un engagement énorme —, c’est que 25 p. 100 de tout l’argent frais que nous recevons doit aller à ceux qui présentent une demande pour la première fois. Cela signifie, en dollars réels, environ 135 millions de dollars sur cinq ans. Au cours des deux prochaines années, 60 millions de dollars devront être accordés à des artistes ou à des organismes qui n’ont jamais reçu de subvention du conseil. Cela veut dire que nous avons un énorme incitatif au conseil pour rejoindre la population des artistes auxquels, normalement, le Conseil des arts du Canada n’a pas facilement accès. La plupart de nos activités de sensibilisation se déroulent à l’extérieur des centres-villes de Winnipeg, de Montréal ou de Toronto. Nous sommes partout parce que nous voulons les rejoindre et ne pas déroger à notre promesse. Nous avons de l’argent à dépenser et nous voulons qu’il le soit parce que nous savons que le secteur artistique ne pourra pas se renouveler si nous ne sommes pas en mesure d’accueillir beaucoup de nouveaux venus.

Pour nous, le succès consiste non seulement à trouver des solutions logistiques, mais aussi à être proactifs pour ce qui est de promouvoir l’accès. Il s’agit d’une priorité absolue pour le conseil, et nous allons faire beaucoup de sensibilisation au cours des deux prochaines années.

La sénatrice Bovey : Monsieur le président, nous devrions peut-être souligner cela au moment de rédiger notre rapport, étant donné que tant de questions ont été posées à ce sujet et compte tenu des priorités et des processus que le Conseil des arts du Canada est à mettre en place.

M. Loft : Pour ajouter à ce qu’a dit M. Brault, sur un plan plus pratique, l’une des nouveautés du programme Créer, connaître et partager est le volet particulier appelé « Activités à petite échelle », qui permet aux artistes d’obtenir des subventions plus petites et dont le processus de demande est simple.

Ce volet n’est pas axé sur des projets. Les artistes qui n’ont besoin que de matériel peuvent obtenir jusqu’à 3 000 $. C’est un très bon point d’accès. Le volet est tout nouveau et n’existe actuellement que dans le programme Créer, connaître et partager, mais le taux de participation est faible. Nous devons faire passer le mot.

Nous élaborons des stratégies de communication et de sensibilisation précises pour l’ensemble du conseil, mais aussi pour les collectivités autochtones et, comme l’a mentionné M. Brault, les collectivités du Nord.

La sénatrice Bovey : Excellent.

Le président : À cet égard, je peux peut-être poser une question. Les Inuits sont une très petite minorité au Canada. Cela signifie qu’ils ont des besoins uniques. Je sais qu’on s’en occupe. Cela signifie aussi qu’il est difficile de trouver des gens. J’en suis très conscient. Les bonnes personnes sont difficiles à trouver et à embaucher, et elles sont extrêmement recherchées. Il n’y a pas beaucoup d’experts inuits en administration des arts et en conservation. Je reconnais que ma description des qualifications que vous recherchez laisse à désirer.

Nous avons entendu des gens dire qu’ils aimeraient avoir accès à un membre du personnel inuit. Vous avez une division ou un service — excusez-moi, je me trompe de terme. Vous disposez d’une capacité dans le cadre du programme Créer, connaître et partager au Conseil des arts du Canada, et de beaucoup d’employés autochtones. Seriez-vous prêts à recruter des Inuits? Pouvez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet?

M. Loft : Vous avez tout à fait raison de dire qu’il faut vraiment investir dans le leadership culturel des collectivités autochtones et, plus particulièrement, inuites.

Nous recrutons activement. C’est très difficile, comme vous le mentionnez. Encore une fois, nous allons devoir changer certaines stratégies. La difficulté est attribuable à deux raisons principalement. Premièrement, nous avons un processus d’embauche très généralisé au Conseil des arts du Canada, qui relève du gouvernement. Ce n’est pas toujours la façon la plus engageante de communiquer avec les collectivités autochtones. Nous comprenons cela. Mon équipe et moi travaillons avec l’équipe des ressources humaines du conseil pour voir comment nous pouvons élaborer des stratégies pour mieux définir la façon dont nous cherchons les gens, mais aussi le travail lui-même, parce qu’il y a des besoins très particuliers dans les collectivités autochtones. Je pense qu’il faut le reconnaître. Cela doit être reconnu dans nos processus d’embauche, de maintien en poste et de recrutement. Nous y travaillons activement.

Encore une fois, il s’agit aussi d’une question de sensibilisation. Nous devons en faire plus et avoir de meilleures stratégies de communication, surtout avec les collectivités éloignées.

Troisièmement, nous devons vraiment faire partie de la solution pour amener plus d’Autochtones à assumer des rôles de leadership dans le domaine de la culture. Par exemple, nous travaillons en partenariat avec un grand projet financé par le Conseil de recherche en sciences humaines et dirigé par des Inuits, qui permettra d’élaborer des programmes de leadership culturel inuit. Nous collaborons également avec le Banff Centre pour ce qui est de son leadership en matière de culture et de la façon dont nous pouvons nous aider mutuellement à bâtir cette infrastructure.

Nous devons avoir une vue d’ensemble de la situation. Je suis d’accord parce que les institutions ne changent pas d’elles-mêmes; ce sont les gens qui les changent. C’est ce que nous avons constaté au Conseil des arts du Canada, où travaillent des Autochtones depuis plus de 20 ans, et où il est absolument nécessaire de recruter des Inuits.

Le président : Merci.

La sénatrice Coyle : Je vous remercie tous de vos exposés, de votre présence parmi nous aujourd’hui et de la patience dont vous avez fait preuve malgré notre rendez-vous manqué.

J’ai deux questions. La première s’adresse à nos amis du Conseil des arts. Je pense que la sénatrice Bovey a abordé la plupart des points importants, mais nous avons entendu à maintes reprises parler de la question de l’accès. Ce n’est pas seulement une question de bande passante. Je pense, comme l’a dit la sénatrice Bovey, qu’il s’agit aussi de niveaux de sophistication — c’est ce terme qu’utilisent certains — dans ce que l’on pourrait appeler la bureaucratie liée aux arts, faute d’un terme plus juste.

Nous avons entendu parler des problèmes d’accès, et ce, à maintes reprises. Cela ne se limite pas à une seule personne. Nous avons entendu parler des enjeux que vous avez abordés aujourd’hui au sujet du financement de base. C’est formidable d’apprendre que cela est imminent. En fait, cela est maintenant une réalité. C’est merveilleux. C’est une grande percée. Et nous avons aussi entendu parler d’espaces.

Nous avons aussi entendu parler de la capacité d’absorption de certaines organisations, qui sont encouragées à accepter plus d’argent parce que vous avez plus d’argent et que vous aimeriez investir davantage, mais qui dans certains cas s’inquiètent beaucoup de leur capacité d’absorption.

L’autre chose que je veux dire avant d’aller plus loin, c’est que je suis très impressionnée par la réflexion qui sous-tend le programme Créer, connaître et partager, en cette période où nous devons tous nous préoccuper de la réconciliation. Vous avez d’ailleurs mentionné la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Le Sénat est actuellement saisi d’un projet de loi à ce sujet. Certains d’entre nous en discuteront très bientôt.

En cette ère de réconciliation, je suis heureuse de voir la souplesse et les structures qui émergent ici. J’aimerais que vous deux ou l’un d’entre vous, peu importe qui est prêt à parler, abordiez la question des espaces, qui a été soulevée à maintes reprises. Je veux parler des espaces de création, d’enseignement, de partage et d’interprétation, selon le genre d’art dont il est question. J’aimerais avoir une réponse à cela.

Le président : Votre question s’adresse-t-elle au Conseil des arts du Canada et au...

La sénatrice Coyle : Non, seulement au Conseil des arts du Canada.

Le président : D’accord.

La sénatrice Coyle : J’ai une petite question pour eux également. Dans le processus dans lequel vous êtes engagé, qui est prometteur, comment allez-vous assurer le contrôle et l’évaluation, afin de continuer à vous adapter au fur et à mesure que vous progressez?

M. Brault : Premièrement, trois choses. Pour ce qui est des espaces, nous n’en sommes évidemment pas responsables. Il s’agit de l’argent des infrastructures. Vous pouvez être absolument assurée que nous accompagnons, rencontrons et aidons les gens avec qui nous travaillons dans le Nord, et que nous communiquons avec eux pour les aider à faire valoir leur point de vue. Il y a des limites à ce que je peux faire, comme vous le savez, en tant que chef de la direction du Conseil des arts du Canada, pour exercer des pressions sur le ministre.

Il est clair qu’il est impossible de maintenir un véritable centre artistique, peu importe l’endroit, sans espace et sans capacité. Quand je suis allé là-bas, la première chose que j’ai comprise, c’est que tout se passe dans la même pièce. Tout se passe au même endroit. Il y a là un besoin absolu. Je ne le conteste pas. Je suis tout à fait d’accord avec vous. Tout ce que nous pouvons faire pour défendre les intérêts, tout en respectant nos responsabilités, nous le ferons.

Pour ce qui est de l’accès, je trouve très positif d’entendre les gens dire qu’ils veulent un meilleur accès parce que le Conseil des arts du Canada n’est pas dans la situation où il était auparavant, alors qu’il n’avait pas d’argent. Nous étions sollicités de toutes parts. En fait, nous ne souhaitions pas favoriser l’accès parce que nous n’avions rien à offrir. Nous avons désormais de l’argent à offrir et une volonté de financer. Il est donc important de nous assurer de transposer le désir d’accès en véritables demandes au Conseil des arts du Canada.

À titre d’information — ce sont des chiffres très récents —, de l’année dernière à cette année, comme nous venons de terminer une série de subventions, nous avons 56 p. 100 de demandes qui ont été acceptées. En un an, il y a eu une progression. Nous pensons qu’il y a de la place pour la croissance; nous avons pris des engagements en ce sens et nous voulons que cela se fasse. Nous ne nous cachons pas. Nous voulons développer cet accès.

En ce qui concerne l’évaluation, ce qu’il est important de comprendre, c’est que nous voulons mesurer nos progrès avec une approche différente de celle utilisée pour tout le reste. Je me souviens que lorsque je suis arrivé au conseil, il y a quatre ans et demi, nous avons fait une évaluation avec un consultant de nos investissements auprès des artistes autochtones. La conclusion de cette étude était que nous devions adopter une optique autochtone, adopter d’autres valeurs, mettre en place un système d’évaluation qui tient vraiment compte des points de vue du monde autochtone, et nous éloigner des mesures strictes que nous utilisons ailleurs.

Pour nous, il est important d’évaluer, mais en même temps, il nous faut un cycle d’au moins cinq à dix ans avant de pouvoir tirer des conclusions. Nous pouvons faire des ajustements, mais nous voulons surtout investir tout cet argent, établir des partenariats et investir de façon soutenue dans des organisations artistiques prometteuses dans le Nord. Au bout du compte, nous évaluerons la situation, mais je pense que le moment est venu d’être proactifs et dynamiques pour rattraper le retard. Mais vous avez raison. S’il n’y a pas de décision en ce qui concerne l’ajout d’infrastructures, il sera difficile de maintenir le cap.

Plus nous appuierons des groupes comme Qaggiauvuut!, qui est maintenant à Toronto pour présenter son travail, dont la qualité a été soulignée dans le Globe and Mail, et plus les gens se rendront compte avec émerveillement que quelque chose de vraiment génial vient du Nord et que ces gens méritent des espaces pour continuer à créer. Nous pensons que la meilleure façon de prouver la nécessité de cette démarche est de montrer le travail qui est fait, et de le faire non pas dans la perspective de ce que le Sud attend du Nord, mais plutôt en se concentrant sur ce que ces personnes ont à dire sur elles-mêmes, ainsi que sur leur avenir et leur compréhension du monde. À l’heure actuelle, nous pensons que c’est ce que nous devons faire.

Nous ferons une évaluation, mais pour l’instant, nous sommes en train d’investir et de respecter notre engagement.

M. Loft : J’aimerais ajouter quelque chose. Cet engagement important que nous avons pris et qui a été énoncé dans notre plan stratégique comportait de nombreux éléments, mais dans le cas du programme Créer, connaître et partager, l’une des choses qui est différente, c’est que trois engagements clés ont été pris, à savoir que les Autochtones élaboreraient le programme pour les Autochtones, que ce programme serait mis en œuvre et administré, que la direction serait assurée par les peuples autochtones pour les peuples autochtones, et que le programme serait évalué en fonction des expériences vécues, de la perspective, des visions du monde et des valeurs des peuples autochtones.

Beaucoup de travail et de recherche ont été faits dernièrement. En fait, je viens de voir une excellente webémission d’Aotearoa où il est question d’évaluation du point de vue autochtone. C’était incroyable. Je pense que l’accès plus grand des Autochtones à la recherche et aux bourses d’études peut nous aider à déterminer l’efficacité de nos programmes pour les Autochtones et les non-Autochtones.

La sénatrice Coyle : Madame Ryan, j’ai une question. Je suis une de vos compatriotes du Canada atlantique, une Néo-Écossaise d’Antigonish et une grande admiratrice de votre musée, que j’adore.

Vous avez dit que nous voulons partager les connaissances acquises avec les membres de la communauté. Vous nous avez donné un exemple d’exposition bidimensionnelle, et vous avez parlé de certains des obstacles, en ce qui concerne l’infrastructure muséale traditionnelle qui est nécessaire. Nous avons visité la Station canadienne de recherche dans l’Extrême-Arctique, où l’on retrouve, soit dit en passant, des œuvres d’art magnifiques. Le Canada est en train de mettre au point diverses infrastructures incroyables à diverses fins dans l’Arctique canadien. Je crois qu’il faut tirer parti de ces investissements très importants, les partager, les réutiliser et y ajouter de la valeur. Je ne parle pas seulement de celui-là. Je sais qu’il existe des façons créatives, et vous les connaissez mieux que moi, de faire sortir ces types d’expositions de qualité muséale, une exposition n’étant pas nécessairement une chose statique. Je suis convaincue, et je suis certaine que vous l’êtes aussi, que ce que vous avez, ce que vous avez tiré et ce que vous continuez de tirer de l’expérience de l’Arctique, est d’une grande valeur pour les gens de l’Arctique. J’aimerais en savoir plus sur ce que vous prévoyez faire pour en faire profiter les membres de la collectivité eux-mêmes. J’ai vu beaucoup de partenariats s’établir, mais disparaître par la suite.

Mme Ryan : L’une des collaborations que nous avons avec Cambridge Bay se situe au centre de la ville même, à l’extérieur de la Station de recherche dans l’Extrême-Arctique. Il s’agit d’une exposition qui est là-bas depuis 10 ans et qui comprend des objets de la collection du musée — des bottes, des parkas, des tambours traditionnels et ce genre de choses. Nous sommes en train de préparer un nouveau prêt pour Cambridge Bay, à partir d’objets choisis par des gens de la Kitikmeot Heritage Society. Ils serviront à remplacer certains des objets qui se trouvent actuellement là-bas et qui doivent être ramenés pour des questions de conservation.

L’une des choses fascinantes, parce que les objets ont été entièrement choisis par la Kitikmeot Heritage Society — je n’ai participé d’aucune autre façon que par ma présence —, c’est qu’ils ne sont pas seulement choisis pour leur beauté ou pour des aspects pour lesquels nous faisons parfois des choix dans un musée du Sud, mais aussi à des fins d’apprentissage et d’enseignement. Le but est de raviver certaines des compétences qui ont disparu au cours des 100 dernières années. Un certain nombre d’objets qui retournent à Cambridge Bay ont été recueillis dans le cadre de l’Expédition canadienne dans l’Arctique. Il s’agit d’objets que les gens qui étaient là ont perçus comme offrant une occasion d’apprentissage pour les gens du Nord, ainsi que comme modèles pouvant servir à créer de nouveaux objets. Encore une fois, pour ce qui est des espaces pour étudier et produire, une partie du travail consistera à examiner les objets et à dire : « Oh, voici un kamik dont la méthode de fabrication est intéressante et qu’on n’avait jamais vue auparavant ». On a choisi ces objets précisément pour comprendre la façon dont ils ont été conçus et pour que les membres de la collectivité reprennent contact avec ce savoir.

De façon plus générale, je pense qu’un autre problème dans le Nord réside dans la largeur de bande. Parfois, nous réunissons des collections ou des expositions numériques comme autre moyen de rendre les collections du Sud plus accessibles aux gens du Nord. Cela devient plus problématique dans les régions éloignées parce qu’en raison de la lenteur de la bande passante, certaines des images dont vous avez besoin pour présenter l’objet prennent deux jours à télécharger. C’est un défi intéressant que nous devons relever en raison du manque d’installations d’exposition dans la plupart des régions du Nord. Même avec l’exposition 2-D sur l’expédition de Franklin, l’un des problèmes auxquels nous sommes confrontés actuellement est le transport. Si vous vous rendez à Rankin Inlet, à Cambridge Bay ou à Iqaluit à bord d’un avion à réaction, vous pouvez mettre beaucoup plus de choses dans l’avion, mais nous voulons que cette exposition se rende dans toutes les communautés du Nunavut, comme Grise Fiord et Kimmirut, dans l’un de ces petits avions Twin Otter. Nous essayons de mettre au point une solution qui convient à un avion, parce que cet avion transporte aussi du fret, de la nourriture et des gens.

C’est un défi, et le musée en tire certainement des leçons. J’espère que les habitants du Nunavut auront l’occasion d’en faire l’expérience.

La sénatrice Coyle : Merci.

Le président : Merci. Comme vous le savez, le Nunavut est, je crois, le seul territoire ou province qui n’a pas de centre du patrimoine ou de musée. Comme vous le savez peut-être, la Fiducie du patrimoine inuit et Nunavut Tunngavik ont lancé une initiative de collecte de fonds pour construire un centre du patrimoine au Nunavut. J’ai été heureux d’apprendre que Nunavut Tunngavik, l’organisme chargé des revendications territoriales ou son affilié régional, la Qikiqtani Inuit Association, qui met en œuvre l’accord sur les revendications territoriales des Inuits, a offert de prendre un engagement financier à l’égard de ce projet.

Avez-vous des commentaires à faire à ce sujet, à titre de musée canadien de longue date, et nous dire si cela devrait être ou non l’objectif à long terme? En plus de vos efforts de sensibilisation, cela devrait-il être l’objectif à long terme?

Comment un petit territoire comme le Nunavut peut-il obtenir de l’aide pour rapatrier certains de ses artefacts et avoir son propre musée du patrimoine? Comment cela s’est-il passé jusqu’ici au pays? Avez-vous des commentaires à faire sur cette initiative?

Mme Ryan : Je pense qu’il serait fantastique que le Nunavut ait son propre centre. C’est précisément mentionné dans l’accord sur les revendications territoriales. Ce serait une source de fierté pour tous les habitants du Nunavut. Bien des gens regrettent que les collections qui sont la propriété du gouvernement du Nunavut et des Nunavummiut ne se trouvent pas au Nunavut. Elles sont entreposées à Winnipeg, dans le cas des archives et du matériel d’art, ou la collection d’archéologie se trouve au Musée canadien de la nature. C’est un problème pour les gens qui voudraient bien être propriétaires de leur propre patrimoine. Il est difficile de parler de votre longue occupation des terres et de la façon dont vous avez réussi à vous adapter et à vous épanouir dans une région au climat vraiment rigoureux pour beaucoup d’autres personnes, quand ces collections ne sont pas accessibles aux principaux intéressés.

Avant Noël, je parlais du centre avec William Beveridge. Ils semblent avoir beaucoup d’espoir en ce moment. C’est fantastique qu’ils disposent d’un montant d’argent non négligeable du Nunavut, parce que cela illustre l’engagement des gens du Nunavut. Les gens du Nunavut sont confrontés à de nombreux problèmes, mais l’idée d’établir un centre culturel dans un musée où les gens pourront se réunir, prendre connaissance du patrimoine et de la longévité de l’occupation humaine dans la région et apprendre comment ces artefacts ont été fabriqués par leurs ancêtres, permettra de réunir un savoir qui a été perdu dans une certaine mesure. Avoir accès à des documents pour comprendre à quel point ils sont uniques et à quel point ils devraient être fiers me semble logique.

Le président : Je sais que cela ne relève pas de votre compétence, et nous comprenons qu’il en va de même avec le Conseil des arts du Canada, mais c’est un thème qui a été abordé par bon nombre de nos témoins. Pourquoi ces centres du patrimoine s’établissent-ils ailleurs? Comment cela peut-il se produire au Canada? Quel est votre conseil? Comment le Nunavut pourrait-il avoir son propre musée du patrimoine?

Mme Ryan : Je pense que c’est en faisant ce que les gens du Nunavut font déjà, c’est-à-dire affirmer clairement leurs besoins, dire combien cela est important pour eux, pour leur culture et leur patrimoine. Ces établissements ont été tenus à l’extérieur du Nord depuis trop longtemps, que ce soit au départ au Centre du patrimoine septentrional Prince-de-Galles, à Yellowknife, ou maintenant au Musée de la nature. C’est une question de fierté. Par exemple, dans le cadre de l’exposition sur l’expédition de Franklin, nous avons présenté un certain nombre d’objets inuits qui, pour beaucoup de gens dans le Sud, sont des objets intéressants simplement parce qu’ils représentent des réalités différentes. Pour les Inuits, il s’agit de leurs ancêtres; de leurs grands-parents. Il est extrêmement important de pouvoir observer cela et, si vous allez au musée, de tenir ces objets dans vos mains afin de bien comprendre l’ingéniosité et de prendre conscience des ressources qui y ont été consacrées.

Pour ce qui est de la façon dont les centres culturels sont établis sur d’autres territoires, j’imagine qu’il s’agissait d’une combinaison de financement territorial, privé et fédéral, ce que le Nunavut tente actuellement de réunir sous ces trois sources.

Le président : Merci. Nous avons le temps pour une question.

La sénatrice Bovey : Pour ce qui est du Musée de l’histoire, il y a quelques mois, j’ai eu le privilège de me trouver dans les aires d’entreposage du Musée de la nature à Gatineau. J’entendais parler de leurs programmes de stages pour les étudiants du Nord. Je vais souvent dans votre musée, mais je n’ai jamais pensé à vous demander si vous avez des étudiants du Nord qui font des stages semblables ici pour leur donner une idée de la richesse de leur culture.

Mme Ryan : Nous avons le programme de formation sur les pratiques muséales pour les Autochtones, qui accueille essentiellement des stagiaires de diverses communautés autochtones du pays. Ils viennent ici et acquièrent de l’expérience en matière d’expositions, de marketing et de recherche sur divers aspects du travail des musées. Un certain nombre de gens du Nord y ont participé.

Le président : Puis-je vous arrêter ici? Pourriez-vous, par l’entremise du greffier, nous donner des renseignements sur ce programme, le nombre de participants et leur provenance au fil des ans, s’il vous plaît?

La sénatrice Bovey : S’agit-il d’étudiants du secondaire ou de l’université?

Mme Ryan : Ce sont des étudiants d’âge universitaire. Nous avons eu toute une gamme de personnes. Habituellement, ils ont tous terminé leurs études secondaires.

La sénatrice Bovey : Dans certains des autres programmes que j’ai examinés, il y avait aussi des élèves du secondaire. Il me semble que si nous, comme société, pouvons trouver une façon d’encourager les élèves du secondaire qui ont une curiosité naturelle à ce sujet, cela pourrait les orienter vers ce qu’ils veulent étudier à l’université. J’ai eu l’occasion de rencontrer Diamond Jenness quand j’étais une jeune fille. Je n’ai pas besoin de vous dire la raison pour laquelle je me suis dirigée vers le domaine des musées.

Mme Ryan : C’est merveilleux de travailler sur nos collections et de lire son écriture à la main sur certaines de ses collections. Cela permet de concrétiser notre histoire dans l’Arctique.

Nous nous assurons également que le musée accueille des groupes d’étudiants. Chaque fois que des étudiants du Nord viennent au musée, que ce soit pour voir des expositions ou autre chose, nous nous assurons qu’ils reçoivent des visites spéciales de conservation qui mettent en évidence différents aspects de ce qui est accessible au public. Nous les amenons aussi dans les coulisses, ce qui suscite beaucoup d’enthousiasme chez tout le monde. Ils peuvent prendre connaissance de matériel d’archéologie, d’ethnologie et du matériel de Diamond Jenness.

Il est arrivé quelque chose de vraiment amusant. En septembre, un groupe est arrivé et je leur ai demandé : « Qui a entendu parler de Diamond Jenness? » Quelques personnes ont levé la main. Je travaillais sur le matériel de Diamond Jenness à l’époque. C’est un aspect formidable et immédiat de mon travail. Il est important pour moi en raison de son legs au musée, mais il est aussi important pour les gens de Cambridge Bay et de l’Arctique de l’Ouest en raison de ce qu’il représentait.

Voulez-vous parler d’Arctic Bay et des étudiants qui y sont venus?

Matthew Betts, conservateur, Archéologie de l’Est, Musée canadien de l’histoire : Nuvumiutaq a été la première reconstruction scientifique d’un Inuit qui vivait dans l’Arctique il y a 800 ans. Nous avons travaillé en étroite collaboration avec la communauté d’Arctic Bay. Nous avons été très honorés de voir des aînés et des étudiants venir pour la première fois, et l’expérience a été merveilleuse. Ils ont eu droit à une visite des coulisses. En voyant leurs ancêtres, de nombreux membres de la communauté ont pleuré et ont pu vivre ces expériences sans la présence des médias, ni de personne d’autre, et ils ont pu simplement prendre le temps d’en profiter pleinement. C’était un projet très spécial et nous collaborons encore avec Arctic Bay pour présenter cet ancêtre au public.

La sénatrice Bovey : Merci.

Le président : Merci beaucoup à vous tous pour cette séance très instructive et fort utile. C’était une bonne conclusion pour cet après-midi parce que vous avez abordé certaines des préoccupations exprimées par les témoins précédents de l’Arctique, alors je vous en remercie beaucoup.

Avant de lever la séance, chers collègues, nous accueillerons la ministre Bennett à 18 h 30 précises. Je vous demande à tous d’être ici pour l’exposé de la ministre.

Le président : Bienvenue à la cinquième partie de cette réunion du Comité spécial sur l’Arctique. Je m’appelle Dennis Patterson. J’ai le privilège de présider ce comité. Je représente le Nunavut au Sénat.

Madame la ministre, vous connaissez nos collègues, mais j’aimerais qu’ils se présentent, en commençant à ma gauche.

La sénatrice Coyle : Mary Coyle, Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Dasko : Donna Dasko, Ontario.

La sénatrice Bovey : Patricia Bovey, Manitoba.

Le président : Puis-je également dire que nous avons une nouvelle aspirante sénatrice, Dawn Anderson, de la région des Inuvialuit, qui nous fait l’honneur d’assister à notre réunion aujourd’hui. Elle n’a pas encore prêté serment, madame la ministre, mais nous sommes heureux qu’elle soit ici avec nous.

L’honorable Carolyn Bennett, C.P., députée, ministre des Relations Couronne-Autochtones, Affaires autochtones et du Nord Canada : Ne peut-elle pas descendre? Descendez plus près. Rapprochez-vous que je puisse voir votre visage. Vous pourrez me donner des conseils au sujet des Territoires du Nord-Ouest. Prenez ce petit fauteuil et déplacez-le pour que je puisse mieux vous voir.

Le président : Excellente idée. Ce soir, nous poursuivons notre étude sur les changements importants et rapides dans l’Arctique et les répercussions sur les premiers habitants. Pour ce segment, je suis heureux d’accueillir l’honorable Carolyn Bennett, C.P., députée, ministre des Relations Couronne-Autochtones. Elle est accompagnée ce soir de Diane Lafleur, sous-ministre déléguée, Relations Couronne-Autochtones, et de Daniel Watson, sous-ministre, Relations Couronne-Autochtones et Affaires autochtones et du Nord Canada.

Madame la ministre, je vous remercie d’être parmi nous. Vous vous souviendrez que nous avons eu une réunion tôt le matin il y a quelque temps, au moment où le comité commençait ses travaux. Nous avons parlé de mettre l’accent sur votre travail et celui de votre gouvernement relativement au cadre stratégique pour l’Arctique. Je ne surprendrai personne en disant que vous nous avez encouragés à le faire. Je suis ravi que nous puissions maintenant, beaucoup plus tard, vous entendre parler des progrès que vous avez réalisés relativement à cette importante priorité pour votre gouvernement, comme nous le savons.

Vous avez la parole. Comme vous le savez, nous aurons probablement des questions à vous poser par la suite.

Mme Bennett : Ullaakkut, sénateur Patterson et membres du comité.

Alors que nous sommes réunis ici, sur le territoire traditionnel du peuple algonquin, j’aimerais vous remercier de nous donner l’occasion de faire rapport de nos progrès dans la relation avec les peuples autochtones du Nord.

[Français]

J’aimerais vous remercier, monsieur le président, de même que les membres de votre comité, pour le travail important accompli dans le but de comprendre les besoins et les priorités des résidants du Nord.

[Traduction]

Nous sommes ici pour vous rassurer et pour dire au comité que le mandat que le ministre LeBlanc et moi partageons maintenant pour le Nord renforce la capacité de notre gouvernement de promouvoir les intérêts des habitants du Nord. Comme vous le savez, le ministre LeBlanc vous a fait part de ses regrets de ne pouvoir être présent et il est impatient de venir vous rencontrer à une date ultérieure.

Premièrement, nous tenons à préciser que le gouvernement a adopté une approche pangouvernementale pour veiller à ce que les questions relatives au Nord ne relèvent pas d’un seul ministre ou, maintenant, de deux ministres. Lors de la dernière réunion que nous avons tenue sur l’Arctique, 11 ministres étaient présents. Nous essayons vraiment de faire de cette approche une approche pangouvernementale, ce qui signifie que tous les ministres concernés travaillent avec nous pour répondre aux besoins des habitants du Nord.

Le changement de mon titre et de mon rôle, et je crois que nous avons dit la dernière fois que l’expression « relations Couronne-Autochtones » signifie que mon titre englobe maintenant la « Couronne », ce qui signifie que j’ai la responsabilité de veiller à ce que tous les ministères agissent de la bonne façon, non seulement en ce qui concerne la reconnaissance et la mise en œuvre des droits des peuples autochtones, mais aussi en ce qui concerne les appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation, que nous adoptons un certain nombre de mesures et, bien sûr, il y a aussi le nouveau comité du Cabinet sur la réconciliation, où nous travaillons tous ensemble et faisons rapport à l’ensemble du Cabinet.

C’est un véritable renforcement de mon engagement à l’égard de la reconnaissance et de la mise en œuvre des droits des Autochtones, mais dans ce dossier, en ce qui concerne le Nord, il s’agit en fait du renouvellement des relations entre les Inuits et la Couronne, de nation à nation et de gouvernement à gouvernement avec les Inuits, les Premières Nations et les Métis.

Pour ce faire, nous mettons en œuvre les traités et les ententes sur l’autonomie gouvernementale qui couvrent la majorité du territoire nordique et nous réglons les négociations en cours, y compris celles dans les Territoires du Nord-Ouest.

Comme précisé dans ma lettre de mandat, nous travaillons fort pour accélérer les progrès vers l’autodétermination à toutes les tables de négociation dans le Nord.

Comme vous le savez, le Canada a signé le 16 janvier une entente de principe sur l’autonomie gouvernementale qui jette les bases qui permettront aux Dénés et aux Métis du Sahtu de Norman Wells de prendre des décisions sur les questions qui les touchent aujourd’hui, demain et à l’avenir, et de veiller à ce que leurs droits soient préservés et protégés pour les générations à venir.

Nous faisons progresser les négociations avec les Dénés Akaitcho, l’Acho Dene Koe et la nation Métisse des Territoires du Nord-Ouest. De plus, des négociations sont en cours pour aborder les droits garantis par l’article 35 aux Dénés et Denesulines du Nunavut et des Territoires du Nord-Ouest.

Nous sommes engagés dans des négociations sur l’autonomie gouvernementale et l’autodétermination avec les Gwich’in, les Inuvialuit et les trois autres communautés visées par l’Entente sur la revendication territoriale des Dénés et Métis du Sahtu, soit Colville Lake, Fort Good Hope et Tulita. Cela témoigne de l’optimisme renouvelé à l’égard de la conclusion d’accords dans le Nord.

Puisqu’il est question des Gwich’in, certains craignaient, dans les ententes précédentes sur l’autonomie gouvernementale, qu’il y ait des cessions à n’en plus finir. Avec les Gwich’in, nous sommes à deux tables, l’une qui travaille sur l’autodétermination, mais l’autre qui vise à moderniser leur traité et à éliminer ces sections qui posent problème et qui ne font pas partie des ententes futures que nous allons signer.

[Français]

Nous veillons à ce que le gouvernement respecte les ententes de revendications territoriales et nous continuons de travailler ensemble afin d’assurer la reddition de comptes préconisée par la Land Claims Coalition, comme on en a discuté l’an dernier à l’Instance permanente des Nations Unies sur les questions autochtones.

[Traduction]

La Coalition pour les ententes sur les revendications territoriales, si j’ai bien compris, a envoyé sa première lettre en 2007. Je crois qu’elle en a envoyé une en 2014 et une autre en 2016. Elle a formulé des demandes très précises sur la mise en œuvre des traités et la reddition de comptes. Il est très important maintenant que nous donnions suite à ce qu’a été cette très importante coalition de nations autonomes.

Comme vous le savez, nous estimons que la relation avec les peuples autochtones va beaucoup plus loin que le simple fait de négocier et de mettre en œuvre des ententes. Nous voulons aussi reconnaître les politiques antérieures qui ont causé énormément de tort. Je pense que tous ceux d’entre nous qui étaient présents à la cérémonie spéciale à Arviat il y a quelques semaines ont été vraiment émus de rencontrer les survivants et d’entendre ces histoires horribles de ce qui s’est passé à cause de la réinstallation forcée du peuple Ahiarmiut.

Comme vous le savez sans doute, le mois prochain, le premier ministre se rendra au Nunavut pour présenter des excuses dans le cadre de l’initiative Nanilavut.

Nous travaillons maintenant avec la QIA pour faire avancer les autres recommandations fédérales de la Commission de vérité. Nous croyons que l’un des développements les plus importants a été l’approbation du nouveau cadre de collaboration en matière de politique fiscale pour les gouvernements autonomes.

Par le passé, lorsque nous étions au pouvoir, les organisations autonomes se plaignaient beaucoup de l’arrangement fiscal, disant qu’il ne leur suffisait pas d’avoir la capacité de gérer leurs propres gouvernements.

Cette politique a été élaborée au cours des deux dernières années en étroite collaboration avec les partenaires autochtones, et elle reconnaît que le financement fédéral doit mieux refléter les besoins en matière de dépenses des nations autonomes, y compris les populations qu’elles desservent. Cela comprend la langue et la culture. Cela comprend le genre de mesures dont les nations autochtones autonomes ont besoin — et dont elles ont la responsabilité. Par le passé, cela n’était pas inclus dans leurs ententes de financement, et c’était bien d’avoir du financement parallèle par projet, mais pas dans le cadre de l’entente de base.

Je ne sais pas s’il y en a qui ont déjà vu ce beau diagramme. Nous pouvons vous le présenter, monsieur le président. Il témoigne de la profondeur que nos partenaires ont décrite en ce qui concerne leurs responsabilités à titre de gouvernement. Je pense qu’il témoigne aussi du fait que nous, en négociant l’autodétermination, ne faisons que financer des administrations municipales. Cela englobe beaucoup plus que ce que devrait faire n’importe quelle administration municipale, et je pense que c’est la raison pour laquelle les nations autonomes constituent maintenant un modèle, et nous avons besoin qu’elles soient très satisfaites de leur entente de financement, pour que d’autres nations, partout au pays, veuillent se reconstituer comme nation et franchir les étapes difficiles qu’il faut pour passer à l’autodétermination. Elles doivent toutefois savoir que l’entente de financement sera équitable et leur permettra de gouverner et de s’occuper de leur peuple et de leurs terres.

Le processus en soi renforce également la relation du Canada avec les gouvernements autochtones, parce qu’il s’agissait très clairement d’une collaboration et d’un développement conjoints.

[Français]

Outre les progrès réalisés à l’égard de la conclusion et de la mise en œuvre de nos ententes, nous nous sommes efforcés de favoriser la prise de décisions en collaboration avec les Inuits par l’entremise du partenariat entre les Inuits et la Couronne qui a été établi par la Déclaration de l’Inuit Nunangat en février 2018. Depuis, les ministres fédéraux et les dirigeants inuits se sont réunis cinq fois à Ottawa, mais également à Iqaluit, Nain et Inuvik.

Ce printemps, une autre rencontre aura lieu, cette fois-ci à Kuujjuaq.

[Traduction]

Le Comité de partenariat entre les Inuits et la Couronne apporte, selon nous, un changement transformationnel dans la relation entre les Inuits et la Couronne.

Si vous me le permettez, monsieur le président, je vous rappelle cette première rencontre du premier ministre avec Perry Bellegarde, de l’Assemblée des Premières Nations, Clement Chartier et Natan Obed, où Natan a dit que c’est le gouvernement du Canada qui avait organisé ce programme, et qu’eux n’avaient pas eu leur mot à dire. Il faut que cela cesse.

Je pense que c’est la raison pour laquelle le processus du comité signifie qu’il s’agit d’une approche collaborative, même en ce qui concerne le programme, les priorités qui sont établies et l’espace stratégique que nous créons. Nous croyons qu’il change la façon dont le gouvernement fédéral et les Inuits établissent les priorités, la façon dont les politiques et les programmes sont conçus, la façon dont les efforts conjoints des Inuits et de la Couronne sont évalués, la franchise avec laquelle nous pouvons évaluer les progrès que nous réalisons ou non dans ces domaines.

Nous estimons, comme comité, avoir fait de bons progrès dans la prise de décisions et la prise de mesures dans les domaines prioritaires que nous avons élaborés conjointement et les priorités jugées fondamentales pour les Inuits, comme la mise en œuvre de l’accord sur les revendications territoriales, l’espace politique de l’Inuit Nunangat, les mesures de réconciliation, ainsi que le logement. Les travaux dans ces domaines complètent le cadre stratégique pour l’Arctique et le Nord en cours d’élaboration en collaboration avec les territoires, les provinces et les peuples autochtones du Nord.

Je sais, monsieur le président, que l’élaboration du cadre stratégique pour l’Arctique a été une priorité clé et un objectif central de votre comité. Nous pensons qu’il appuiera vraiment le travail d’élaboration des politiques de l’Inuit Nunangat.

Comme vous le savez maintenant, le ministre LeBlanc dirige l’élaboration conjointe du nouveau cadre stratégique pour l’Arctique et le Nord pour le Canada et il avait hâte de vous informer des progrès réalisés. Comme vous le savez aussi, la décision d’élaborer conjointement le cadre stratégique pour l’Arctique et le Nord avec les populations du Nord s’écarte du passé et reconnaît que les anciens modèles paternalistes ne fonctionnent pas, et qu’ils s’appliqueront encore moins à l’avenir.

Depuis des décennies, les gens du Sud essaient de gérer le Nord au moyen de politiques conçues à Ottawa. Comme la plupart d’entre vous le savent, le secrétaire parlementaire du ministre LeBlanc s’est récemment rendu dans le Nord pour rencontrer des partenaires et des intervenants clés au moment où nous travaillons à l’achèvement de la première version du cadre, qui fournira une orientation générale relativement aux priorités, aux activités et aux investissements du gouvernement du Canada dans l’Arctique jusqu’en 2030.

Le calendrier de mise en œuvre du nouveau cadre stratégique pour l’Arctique et le Nord sera déterminé en collaboration avec nos partenaires. Comme vous le savez, le ministre LeBlanc travaille également à l’amélioration de Nutrition Nord Canada, car la sécurité alimentaire constitue un enjeu continu.

L’on a annoncé en décembre que d’importantes améliorations avaient été apportées au programme Nutrition Nord. C’est grâce à ces améliorations que nous contribuons à réduire davantage le coût des aliments nutritifs périssables. Des travaux sont en cours pour rendre le programme plus transparent et plus pertinent sur le plan culturel pour les habitants du Nord et les Autochtones des communautés isolées. Je pense que, lors de mon premier voyage dans le Nord, l’accès aux aliments traditionnels et le soutien des pratiques ancestrales ont été très bien expliqués.

[Français]

Bien que nos portefeuilles portent de nouveaux noms et que nos rôles aient évolué, nous continuons tous les deux de faire avancer les priorités des résidants du Nord à travers nos dossiers respectifs.

[Traduction]

Je pense que nous avons tous bon espoir que cette division des rôles nous permettra d’atteindre nos objectifs communs, à savoir que les politiques qui touchent le Nord respecteront et refléteront les besoins des peuples distincts du Nord et de l’Arctique.

Je suis prête à répondre à vos questions. Merci. Mahsi cho. Qujannamiik. Nakurmiik.

Le président : Merci, madame la ministre. Je cède maintenant la parole à la vice-présidente, la sénatrice Bovey.

La sénatrice Bovey : Merci, madame la ministre. C’est très excitant de venir ici depuis quelques mois. Nous avons entendu beaucoup de gens qui suivent nos travaux en fonction des six sections du cadre stratégique pour l’Arctique. Je ne vais pas dire que nous en avons réalisé deux ou trois, parce que nous constatons que les choses s’emboîtent et s’entrelacent si bien que nous pourrions bien voir le proverbial lapin sortir du chapeau de temps à autre. Nous avons entendu des commentaires très intéressants. Par-dessus tout, je reprends deux choses que vous avez dites, à savoir la nécessité d’élaborer une politique du Nord dans le Nord, par le Nord et pour le Nord. C’est ce que nous essayons de refléter.

Madame la ministre, lorsque vous avez parlé des ententes et des fonds pour l’autonomie gouvernementale, vous avez mentionné que cela devrait inclure le financement de la langue et de la culture. Nous en sommes à la partie de notre étude où nous avons examiné la langue et la culture, et vous ne serez pas surprise que cette question vienne de moi.

L’une des grandes préoccupations qui ont été soulevées est le manque de places pour les communautés. Nous savons que 50 p. 100 de la population des communautés sont des artistes ou des artisans. Le manque d’espaces leur permettant d’apprendre, de créer, d’exposer et de présenter leurs arts de la scène — surtout aujourd’hui — est flagrant. Nous l’avons entendu lorsque nous sommes allés dans le Nord. Nous avons aussi entendu parler de l’interrelation entre les arts et la langue, et nous le savons aussi.

Ma question très simple est la suivante : après avoir travaillé dans le secteur pendant de nombreuses lunes, nous avons construit de très bons silos, n’est-ce pas? Tel ou tel fonds finance telle ou telle chose et celui-là finance telle ou telle chose. Comment allons-nous éliminer les silos de financement traditionnels pour les projets d’infrastructure afin que les artistes et les communautés du Nord — et nous savons à quel point cela se rattache au bien-être et à la bonne santé — puissent obtenir les fonds nécessaires pour ne pas être coincés à l’intérieur des cadres traditionnels quant à la façon dont les organisations du Sud obtiennent leurs fonds de fonctionnement, leurs fonds d’immobilisations et leurs fonds de projet? Comment pouvons-nous nous y prendre pour que cela soit intégré au financement, comme vous le dites, pour l’autonomie gouvernementale?

Mme Bennett : C’est une excellente question. D’après mon expérience, même les habitants du Nord n’en sont pas certains. Il n’y a pas de consensus clair sur la façon dont les arts visuels et les arts de la scène, les archives ou les foyers linguistiques sont interreliés. Comment pouvons-nous faire en sorte que la forme suive la fonction et financer l’infrastructure pour répondre aux besoins complexes de ce grand pays froid?

Je me souviens que lorsque les salles ont été aménagées à St. John’s, il y a eu un grand scandale parce que le musée, les archives et la galerie d’art se trouvaient tous dans un seul édifice, et le problème partait du fait qu’il était plus grand que la basilique. Il faut créer l’espace nécessaire pour tenir ce genre de dialogue, ce qui est le mieux pour une communauté. Je pense que ce que nous savons doit se faire de bas en haut, de communauté en communauté.

Comment sortir des silos? Je sais que même dans ma propre circonscription, Wychwood Barns offrait des espaces de travail pour les artistes et des studios pour d’autres artistes, mais il s’agissait d’espaces pour les arts de la scène. Nous avons pu obtenir un peu d’argent des Espaces culturels et un peu de Patrimoine canadien. Une fois qu’il y a une idée ou un consensus au sujet de ce dont nous avons besoin, comment pouvons-nous comprendre, dans toutes les administrations et dans tous les ministères, comment concrétiser cette vision pour cette communauté?

Comme vous le savez, dans le rapport de Mary Simons, l’idée d’une université canadienne de l’Arctique était importante. Comment vous assurez-vous également que des espaces sont prévus pour les activités universitaires qui protégeront la langue et la culture ou qui les feront progresser? Nous avons hâte de prendre connaissance du rapport du comité sur la façon dont vous vous y prenez pour échapper au cloisonnement.

Je me souviens d’avoir pensé à la situation de cet enfant autochtone handicapé qui touchait cinq ministères différents, et trois ou quatre administrations au pays. Si vous pouviez faire les choses comme il faut, vous pourriez tout faire comme il faut parce que nous sommes dans une sorte d’impasse entre les ministères et les administrations. Si vous commencez par la base, alors tout le monde devrait pouvoir dire : « Je peux vous aider à cet égard » ou « Je peux trouver quelqu’un qui vous aidera à cet égard ».

Je pense que votre comité sera très important, mais aussi la façon dont nous allons essayer de travailler à l’échelle du gouvernement et avec le nouveau ministre, le ministre Champagne, pour nous assurer que nous finançons l’infrastructure d’une façon qui comporte certaines exclusions ou qui permet aux communautés d’obtenir ce dont elles ont besoin.

La sénatrice Bovey : Mon autre question porte sur un domaine différent, un domaine qui touche probablement davantage votre base, l’une des grandes choses dont j’ai entendu parler récemment et sur laquelle j’ai travaillé un peu la semaine dernière avec Richard Stanwick, le médecin hygiéniste en chef de l’île de Vancouver, et je veux parler des soins axés sur les patients. Lorsque nous étions dans le Nord, nous avons beaucoup entendu parler des gens qui doivent être envoyés à l’extérieur de la communauté pour obtenir des soins médicaux. Est-ce que cet aspect, et les questions que vous examinez sous l’angle du financement et des programmes dans le Nord, entrent également sous la catégorie de l’autonomie gouvernementale?

Mme Bennett : Tout à fait, et je pense que le ministre Bains, même avec la proposition de Kivalliq pour l’hydroélectricité et le service à large bande dans cette région, qui faisait partie de la présentation de ce matin de la part de tous ces dirigeants qui sont venus nous parler de ce projet très important, concernait la santé et la façon de faire de la cybersanté d’une façon qui peut aider, qu’il s’agisse de santé mentale ou de la possibilité de ne pas avoir à envoyer les gens à l’extérieur s’ils continuent d’avoir des rendez-vous avec leur spécialiste ou s’ils font ces choses en ligne. Il s’agit d’une approche centrée sur le patient, et les patients ont le choix, s’ils veulent rester en contact avec le spécialiste en santé mentale à qui ils font maintenant confiance. Ils ne veulent pas toujours avoir affaire à quelqu’un de nouveau. Il sera extrêmement important pour nous d’améliorer la connectivité dans le Nord.

Je me souviens, comme ministre de la Santé publique, de l’époque où seulement 17 des communautés du Nunavut étaient branchées par vidéoconférence, mais c’était énorme. Cela signifie qu’un cardiologue pouvait entendre un rythme cardiaque irrégulier. Cela signifie que vous avez différentes façons de faire en sorte que le meilleur spécialiste qui soit puisse examiner une radiographie. Je pense que ce sera l’avenir et que tout le monde comprendra très clairement — y compris les enfants qui peuvent trouver leurs devoirs sur Google comme tout le monde — que c’est l’une de nos véritables priorités de nous assurer que personne ne prenne du retard.

La sénatrice Bovey : Merci.

Le président : Madame la ministre, j’ai été heureux de vous entendre parler du projet de fibre optique de Kivalliq Hydro. Notre comité les a entendus, et nous avons également entendu le témoignage au sujet du projet de route et de port de la baie Grays, que vous connaissez. Votre gouvernement va-t-il mettre l’accent sur le soutien des projets d’infrastructure dirigés par des Autochtones. Avez-vous des commentaires à ce sujet?

Mme Bennett : La proposition de Kivalliq qui nous a été présentée ce matin est très excitante, et le fait d’avoir tout le monde, de l’ITK à l’ANTI en passant par le premier ministre et David à Kivalliq, ainsi que l’entreprise qui est prête à la construire, est fantastique lorsqu’il y a ce genre de consensus, mais aussi ce genre d’innovation au sujet de la progression des capitaux propres, qui passeraient graduellement à 100 p. 100. L’exemple qu’ils nous ont donné ce matin était, bien sûr, celui de Watay Power, dans le nord-ouest de l’Ontario, et ces capitaux propres feront une différence.

Nous avons un peu d’expérience ici avec Ontario Power Corporation en ce qui concerne les capitaux propres autochtones. Il est intéressant d’entendre, même au sujet de l’intérêt que suscitent le projet TMX et le pipeline, que des gens viennent me voir pour me dire : « Ne serait-ce pas formidable si ce projet était financé par des Autochtones? »

Je pense que les gens veulent que tout cela se traduise par des possibilités économiques, mais aussi par des emplois. Nous avons aussi entendu ce matin que les Autochtones qui dirigent ces projets sont très vigilants pour s’assurer que les leurs obtiennent les emplois et les avantages.

Le président : Merci.

La sénatrice Dasko : Merci, madame la ministre, d’être venue nous parler aujourd’hui. Nous, au Sénat, passons actuellement beaucoup de temps à examiner le projet de loi C-69.

Le président : Ce projet de loi ne sera pas renvoyé à notre comité, sénatrice.

La sénatrice Dasko : Je sais, mais ma question à la ministre est la suivante : en quoi estimez-vous que le projet de loi C-69 transformera le Nord?

Le président : Je suis désolé, mais je dois intervenir. Je dois dire que cette question est peut-être irrecevable. Je ne pense même pas que le projet de loi s’applique à l’un ou l’autre des territoires parce que nous avons déjà des organismes de gestion conjointe et, heureusement — commentaires privés —, nous n’avons pas à nous préoccuper du projet de loi C-69 au nord du soixantième parallèle. Est-ce votre évaluation, madame la ministre?

Mme Bennett : Oui, mais c’est presque l’inverse, sénateur Patterson, comme nous en avons discuté à l’Instance permanente des Nations Unies l’an dernier, à certains égards, le Nord et les approches de gestion conjointe dans le Nord ont en fait éclairé le projet de loi C-69 parce que, encore une fois...

Le président : Plutôt que l’inverse.

Mme Bennett : ... la participation des Autochtones, le savoir autochtone au tout début d’un projet montrent pourquoi les gens ne devraient pas avoir peur parce que cela signifie que de bons projets sont approuvés, que de mauvais projets sont rejetés et que des projets médiocres sont renvoyés à la planche à dessin jusqu’à ce que les Autochtones soient à l’aise avec les emplois, la protection de l’environnement ou d’autres exigences de ce genre. À certains égards, les approches adoptées dans le Nord contribuent enfin à l’élaboration de meilleures politiques dans le Sud.

La sénatrice Dasko : Vous avez parlé de projets dirigés par des Autochtones à la toute fin de votre dernier commentaire. À titre de précision, dites-vous que le projet de loi C-69 ne s’applique à aucun de ces projets?

Mme Bennett : Non, encore une fois, le projet de loi C-69 insiste sur le fait que les peuples autochtones seront consultés dès l’idée d’un projet et que les connaissances autochtones seront jumelées aux connaissances scientifiques. C’est simplement bon pour tout le monde.

La sénatrice Dasko : Mais le reste du projet de loi ne s’applique pas?

Mme Bennett : Les régions visées par les revendications territoriales ont leur propre approche à l’égard des grands projets.

La sénatrice Dasko : D’accord.

Madame la ministre, vous avez aussi parlé de négociations sur une structure de gouvernance et de discussions de nation à nation. Au cours de ces discussions, a-t-on déjà tenu compte explicitement du rôle des femmes dans la gouvernance?

Mme Bennett : Quelle excellente question.

La sénatrice Dasko : Vous l’attendiez.

Mme Bennett : Nous en avons discuté à l’ONU. Je pense que même vendredi matin, à l’Association des femmes autochtones, où je crois que l’autonomisation des femmes devrait être un paramètre de la décolonisation. Les femmes ont joué un rôle très important dans les communautés autochtones avant que les immigrants arrivent et refusent de parler aux femmes et écrivent ensuite des lois comme la Loi sur les Indiens.

Plutôt que d’exiger que le conjoint s’installe dans la communauté de la femme où son père, ses oncles et ses frères s’assureraient que vous compreniez l’équilibre des forces, ils envoyaient les femmes loin de leur communauté où elles étaient moins en sécurité.

L’article fascinant de Mary Ebert intitulé « Victoria’s Secret: How to Make a Population of Prey » décrit bien ce qui s’est passé. Nous devons faire ce qu’il faut pour renverser la vapeur et veiller à ce que les freins et contrepoids qui ont toujours existé en ce qui concerne les aînés, les jeunes et les femmes fassent partie intégrante de la façon dont les communautés choisissent de se gouverner.

La sénatrice Dasko : Mais ils ne seraient pas explicites?

Mme Bennett : C’est intéressant, dans le cadre de partenariats, que nous puissions exprimer des opinions, mais en ma qualité de médecin, je sais que nous ne devons pas prescrire. L’autonomisation des femmes autochtones et le féminisme autochtone se rapprochent à mesure que les gens évaluent les diverses structures de gouvernance.

La sénatrice Dasko : Merci.

La sénatrice Coyle : J’aimerais revenir sur cette question. Qui siège au Comité de partenariat entre les Inuits et la Couronne? Y a-t-il des femmes?

Mme Bennett : À l’heure actuelle, Aluki Kotierk est présidente de NTI. Pour l’instant, les trois autres présidents du groupe des revendications territoriales sont des hommes. Les Pituqait sont à la table. Le Conseil national des jeunes Inuits a habituellement une femme comme présidente depuis que je suis là.

Le président : C’est le cas maintenant.

Mme Bennett : Et Ruth Kaviok, oui, c’est exact.

La sénatrice Coyle : J’étais simplement curieuse. J’ai beaucoup apprécié votre exposé et votre présence parmi nous. Nous sommes très enthousiastes à l’égard du Cadre stratégique pour l’Arctique. Nous voulons, à notre façon, jouer un rôle à cet égard. Nous nous demandons si nous sommes à l’unisson ou non avec l’élaboration de ce cadre. Ce n’est toujours pas tout à fait clair pour moi.

Notre comité a fait un voyage dans l’Arctique en septembre. Nous avons entendu parler exactement de ce que vous faites maintenant. Les gens ont dit qu’ils ne voulaient pas que ce cadre soit élaboré pour eux. Ils veulent être consultés et participer à son élaboration. Il ne s’agit pas simplement d’un joli petit processus de consultation. Ils veulent être à la table avec le Canada.

Je sais que vous avez indiqué que le ministre LeBlanc codirige maintenant cet effort. En son absence, seriez-vous en mesure de nous donner une idée de ce qui se passe et de ce qui doit se passer dans quel délai, parce qu’il est important que nous en ayons une idée. À votre avis, qu’est-ce que le Sénat va produire d’ici la fin de juin, si tout va bien, pour que nous suivions le rythme de ce processus?

Mme Bennett : Tout d’abord, sénatrice, je vous remercie. Nous évoluons comme gouvernements afin de comprendre que la consultation, dans sa conception antérieure, n’a pas vraiment fonctionné, quand on estimait qu’il suffisait de se promener, d’écouter les gens et de prendre ensuite une décision en coulisses — en espérant intégrer un peu de ce qui avait été entendu, mais ce n’était parfois pas aussi évident.

Nous avons évolué vers un mode de participation dans lequel les gens discutent ensemble de ce qui pourrait ou devrait fonctionner et de plusieurs choses. Les gens ont des idées, mais cette idée de développement conjoint est assez nouvelle. Dans l’Arctique, la gestion ou le développement conjoint est probablement plus évolué que n’importe où ailleurs. Mais l’idée de prendre des décisions ensemble — comme beaucoup de dirigeants autochtones le disent, c’est un mariage et non un divorce. C’est la façon de prendre des décisions dans une bonne relation. Il y a un peu de compromis à faire et personne n’obtient tout ce qu’il veut. En fait, il s’agit d’aller de l’avant d’une manière très respectueuse des besoins des partenaires.

En ce qui concerne le cadre stratégique pour l’Arctique et le Nord, nos partenaires du Yukon n’étaient pas à l’aise avec le fait de parler de l’Arctique. Nous parlons donc maintenant de l’Arctique et du Nord parce qu’ils n’étaient pas à l’aise avec l’Arctique seulement. Au bout du compte, il faut au moins faire la preuve de cette écoute assurée. Cela signifie qu’ils doivent constater des changements découlant de leur participation.

Nous faisons également la distinction entre les gouvernements territoriaux, les autres gouvernements et le secteur privé, d’une part, et les Inuits, les Métis et les Premières Nations, d’autre part. Je pense que tout le monde voulait avoir le sentiment d’avoir son mot à dire.

Je pense que le sénateur Patterson a présidé une excellente réunion avec certaines sociétés minières. Elles ont été très claires : si infrastructure il doit y avoir, il faut une formation correspondant aux aspirations et à l’infrastructure qui permettrait aux gens d’avoir des emplois et d’être formés pour les occuper. C’est bien ce dont les ministres du Nord ont parlé il y a quelques années, à savoir que cette activité économique doit avoir des retombées économiques dans le Nord. C’est seulement quand on écoute les gens du Nord qu’on se rend compte que la plupart de ces entreprises appartiennent à des gens du Sud, à Winnipeg. Qu’il s’agisse des Tundra Buggies ou des entreprises Zodiac, les gens du Nord veulent que l’avantage reste sur place.

Un jour, devant votre comité, j’ai montré les cartes de Zita Cobb sur l’île Fogo, au dos desquelles elle a inscrit la valeur économique de son hôtel, de son entreprise de pêche, de la fabrication d’objets d’art et de meubles, de tapis crochetés, et cetera. Nous avons besoin de mesures pour que les gens sachent que ce n’est pas de la poudre aux yeux et que tous les avantages vont en réalité vers le Sud. Nous apprenons au fur et à mesure. Nos partenaires se sont sentis à l’aise avec le processus. Mais chacun de ces domaines sera toujours un travail en cours, et cela devra devenir une habitude.

Nous avons quelques problèmes même avec le mot « cadre ». En fait, c’est simplement un échafaudage qui relie différentes choses, et ces différentes choses évoluent à des rythmes différents. Le principe primordial, c’est que les habitants du Nord doivent participer à l’élaboration de la politique nordique.

La sénatrice Coyle : À votre avis, quand cet échafaudage initial sera-t-il en place?

Mme Bennett : Je pense que ce sera décidé avec nos partenaires en fonction du moment où ils se sentiront à l’aise de le publier.

La sénatrice Coyle : Vous n’en avez pas une petite idée?

Mme Bennett : Nous espérons que ce sera avant juin.

La sénatrice Coyle : Vous avez parlé d’échafaudage, et c’est intéressant. L’une des choses qui me sont venues à l’esprit en écoutant les témoignages que nous avons entendus ici au comité, c’est que nous avons devant nous d’énormes possibilités et défis. Il faut donc prévoir un investissement transformationnel à tous égards, financier et autres, pour accompagner l’échafaudage que vous décrivez. Nous savons bien sûr que cela ne viendra pas de votre ministère. Comme vous le dites, il s’agit d’une question pangouvernementale. Pensez-vous que le gouvernement du Canada se prépare à quelque chose d’assez important en matière d’investissement accompagnant l’échafaudage qu’on est en train de dresser pour ce cadre?

Mme Bennett : Comme en tout, la forme suit la fonction. Pour l’instant, ce sera fondé sur la vision que les collectivités ont mise de l’avant. Mais je pense que les gens comprennent désormais l’importance du Nord, l’importance de l’infrastructure dans le Nord, l’importance de certaines des questions qui ont été soulevées ici et ailleurs en ce qui concerne le tourisme, les petits ports et Internet. Le logement est un problème énorme, et il y a des questions concrètes, comme la tuberculose. On ne peut pas régler le problème de la tuberculose sans régler celui du logement. Quand il y a 17 personnes dans une même maison, on ne peut pas éliminer la tuberculose. Je pense que c’est un exemple de question transversale. Ce n’est pas seulement une question de santé. C’est une question d’infrastructure. C’est une question de communication.

La sénatrice Coyle : Merci.

Le président : Madame la ministre, merci de ces commentaires. Vous avez lancé l’initiative du cadre stratégique, qui a été transmise à votre collègue du Cabinet. Nous avons donc hâte de collaborer avec lui. Je vais vous dire ce que nous vous avons dit à notre première rencontre à ce sujet. Nous espérons également que, avec les partenaires à qui vous avez parlé, nous pourrons contribuer à l’élaboration d’une politique complète et crédible, et nous sommes impatients de vous faire part de nos conclusions et des résultats de nos consultations. Je suis heureux d’entendre qu’il s’agit d’un processus dynamique qui peut évoluer et qui peut tenir compte de nos recommandations, lesquelles pourraient suivre la publication des premières ébauches en collaboration avec vos partenaires.

J’aimerais revenir sur certaines de vos remarques au sujet du travail que vous faites dans le Nord dans le cadre du programme des Relations Couronne-Autochtones. Vous avez parlé des Dénés de l’Akaitcho, de la bande Acho Dene Koe, des Métis des Territoires du Nord-Ouest, et ainsi de suite. Nous avons entendu certaines de ces personnes, dont des Dénés et des Chipewyans, au sujet des droits au Nunavut et dans les Territoires du Nord-Ouest, un dossier que vous connaissez bien. Nous avons également entendu des représentants des Gwich’in et de la Coalition pour les revendications territoriales, et il y a des préoccupations au sujet de la mise en œuvre des traités, des traités modernes, comme vous le savez.

Votre rapport nous informe qu’on a fait des progrès, et je suis heureux de l’entendre. Je ne m’y attends pas dans l’immédiat, mais pourriez-vous nous donner plus de détails au sujet des divers éléments sur lesquels vous travaillez dans le domaine que nous étudions tous et qui relèvent du cadre stratégique? Où en est-on? Quels progrès a-t-on faits? Quels sont les délais? Quels sont les problèmes qui nous attendent? Je rappelle que cela comprend les Inuvialuit et leurs efforts en matière d’autonomie gouvernementale. Je pense que notre sénatrice connaît très bien ce dossier. Voilà ce que je voudrais savoir.

Dans le cadre de notre étude sur le cadre stratégique, seriez-vous disposée, par l’entremise de vos fonctionnaires, à nous fournir plus de détails sur les progrès et l’état d’avancement de ces diverses négociations, que nous n’avons pas le temps d’aborder ici ce soir? Je pense qu’il serait très utile d’avoir un aperçu et plus de détails à ce sujet.

Mme Bennett : Absolument, monsieur le sénateur. Pour ce qui est des demandes de la Coalition sur les revendications territoriales...

Le président : Ils nous ont présenté un modèle.

Mme Bennett : Ils veulent qu’on modifie les dispositions de la Loi d’interprétation sur la non-dérogation. La forme suivant la fonction, nous aimerions beaucoup qu’il y ait des témoins. À l’occasion de la réunion de l’Instance permanente des Nations Unies, nous pourrions peut-être organiser un événement parallèle sur les organismes de surveillance de la mise en œuvre des traités, comme celui de la Nouvelle-Zélande. Comme vous le savez, il y a un comité de surveillance des sous-ministres sur la mise en œuvre des traités. Je pense que le sous-ministre Watson dirait que cela fonctionne de mieux en mieux parce que tous les sous-ministres se présentent. Il y a des problèmes dans tous les ministères concernant la mise en œuvre des traités qui doivent être appliqués et être envisagés à l’échelle du gouvernement. Ce que la Coalition pour les revendications territoriales et d’autres demandent — si cela ne fonctionne pas —, c’est un organisme indépendant qui rendrait compte des difficultés que connaît le Canada ou qui porte atteinte à l’honneur de la Couronne dans la mise en œuvre du traité signé.

La Coalition sur les revendications territoriales avait suggéré que cette question soit renvoyée au Bureau du vérificateur général. Franchement, il n’y a pas beaucoup d’appui à cette idée dans cette ville. C’est en grande partie parce que le vérificateur général serait alors en mesure de déterminer qui est en cause. On aimerait également que soit créée une commission autonome sur les traités ou une commission de mise en œuvre des traités, qui relèverait directement du Parlement. La mise en œuvre des traités et ce à quoi pourrait ressembler cette structure, en matière de mandat et tout le reste, par exemple si un partenaire n’est pas satisfait de la façon dont le traité est mis en œuvre, pourraient être des questions confiées à cet organisme indépendant. Les gens aimeraient par exemple avoir l’occasion, une fois par an, de parler au comité des sous-ministres de ce qui fonctionne et de ce qui ne fonctionne pas et de la façon dont nous nous y prenons.

Il y a aussi la question du règlement des différends, tel qu’il est décrit dans la Loi canadienne sur la santé. S’il pouvait y avoir un endroit où les différends, même entre les nations, pourraient être réglés sans avoir à recourir aux tribunaux. Ce que nous essayons surtout de faire, c’est de ne pas recourir aux tribunaux. Je pense que c’est ce que vous avez décrit à l’ONU l’an dernier, où, si un organisme de confiance prend une décision, les gens s’en accommodent plutôt que de la contester devant un tribunal. Nous sommes en train de déterminer ce que serait la prochaine étape du point de vue de la surveillance du respect de nos traités par le Canada.

Le président : C’est très intéressant.

Je crois que vous avez hoché la tête lorsque je vous ai demandé si vous pourriez nous fournir un rapport d’étape aussi détaillé.

Mme Bennett : Effectivement.

Le président : Nous sommes en train de terminer notre travail. Ce serait donc très opportun, et nous sommes heureux d’apprendre que vous progressez.

Au cours de nos déplacements — et vous en avez probablement déjà entendu parler —, nous avons constaté qu’on ne sait pas très bien quel ministre est responsable des divers aspects des portefeuilles ayant un impact sur l’Arctique, et je sais qu’il y avait des raisons à ces changements.

Mais je me demande si nous pourrions, maintenant ou plus tard, obtenir des précisions sur la façon dont le portefeuille a évolué et sur sa répartition entre vous et le ministre LeBlanc.

Je vais ajouter quelque chose. Le récent Budget supplémentaire des dépenses prévoit des fonds pour les services de soutien internes. Le ministère des Affaires indiennes et du Nord — je suppose que c’est toujours son titre officiel — demande 4,9 millions de dollars pour financer la transition vers le mandat élargi du ministère, et le ministère des Services aux Autochtones demande 31,7 millions de dollars pour accroître la capacité des services internes à la suite de la création du ministère et de la prise en charge des programmes liés à la santé des Premières Nations et des Inuits.

Pourriez-vous nous donner un peu plus de détails sur la façon dont ces coûts sont liés au partage des portefeuilles ministériels? Nous aimerions aussi avoir une petite idée de l’évolution de la situation. Y a-t-il un nouveau portefeuille d’Affaires intergouvernementales et du Nord et du Commerce intérieur qui reçoit également des crédits? Nous aimerions comprendre tout cela.

Mme Bennett : Je vais laisser Diane et Daniel vous parler de l’aspect financier. Comme vous le savez, une partie des services a été transférée à Santé Canada, la Direction générale de la santé des Premières Nations et des Inuits étant passée aux Services aux Autochtones. Nous allons vous expliquer ce qu’il est advenu du financement des programmes.

Ce que j’espère clarifier, c’est ma responsabilité à l’égard de la reconnaissance et de la mise en œuvre des droits des Autochtones. C’est mon travail. Le ministre LeBlanc a le portefeuille intergouvernemental, y compris les territoires et les provinces ayant un rapport avec le Nord, mais aussi la responsabilité des programmes et services qui touchent tous les habitants du Nord.

À certains égards, c’est un peu plus simple, parce que mes responsabilités sont assez claires à l’égard de nos partenaires des Premières Nations, des Inuits et des Métis, et la responsabilité du ministre LeBlanc concerne aussi la relation avec les gouvernements publics. C’est ainsi que cela fonctionne, tout comme les autres choses.

Pour ce qui est de l’argent, il n’y a pas eu d’argent supplémentaire pour le ministère parce qu’il appuie le ministre LeBlanc avec les fonds déjà prévus pour le ministère des Affaires du Nord. C’est à peu près tout.

Daniel Watson, sous-ministre, Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada : Au sujet de la question de la confusion, une des choses que nous pouvons dire très clairement est que les gens devraient continuer de s’adresser aux fonctionnaires. On a dit tout à l’heure que, s’ils avaient une question sur le logement, les revendications territoriales ou l’éducation, ils devraient parler aux mêmes personnes qu’avant. Nous nous engageons à faire en sorte que cela se fasse de façon harmonieuse et qu’on ne renvoie pas les gens d’une porte à l’autre. Nous espérons que cette partie sera très claire pour les gens sur le terrain s’ils continuent d’avoir affaire aux gens à qui ils avaient affaire auparavant.

Pour ce qui est du financement des services internes — comme les ressources humaines et la technologie de l’information —, nous sommes tenus de déclarer le montant que nous consacrons effectivement à ces choses. Ce que je peux vous dire ici au sujet de ce montant, qui indiquera comment nous allons répartir les fonds entre nous-mêmes et le programme pour le Nord et le Programme Couronne-Autochtones, c’est que les proportions seront soit les mêmes, soit légèrement inférieures à celles du passé. Il n’y aura pas d’augmentation du pourcentage des fonds que nous consacrons aux services internes.

C’est une question d’administration et de comptabilité que d’être très clairs et transparents quant à la façon dont nous allons dépenser ces fonds.

Le président : Pouvez-vous nous donner plus de détails?

M. Watson : Nous pouvons certainement vous donner plus de détails.

Le président : Y aura-t-il une loi traduisant les nouveaux mandats des ministères pendant que ce gouvernement est au pouvoir?

Diane Lafleur, sous-ministre déléguée, Relations Couronne-Autochtones, Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada : Je tiens à préciser que les crédits supplémentaires dont vous avez parlé sont liés à la création du nouveau ministère des Services aux Autochtones. Il s’agit de la création d’un tout nouvel organisme, et il y a donc un nouveau bureau de ministre et un nouveau bureau de sous-ministre.

Des ressources ont été transférées de Santé Canada. En réalité, on ne pouvait pas transférer toutes les ressources nécessaires à la Direction générale de la santé des Premières Nations et des Inuits sans nuire à ce qui restait à Santé Canada. On a toujours su qu’il y avait une petite lacune à combler en ce qui concerne, comme le sous-ministre l’a mentionné, le soutien des ressources humaines, le soutien du DPF, toutes ces fonctions ministérielles qui sont nécessaires au fonctionnement d’un nouveau ministère.

Ce sont là certaines des ressources que vous voyez ici, ainsi que certains coûts ponctuels liés à des choses comme la nécessité de transférer des licences de TI d’un ministère à l’autre et de s’assurer que tous ceux qui doivent l’être sont branchés à la technologie dont ils ont besoin et que les systèmes communiquent à mesure que les gens de deux ministères se rencontrent.

Pour ce qui est de la nomination du ministre LeBlanc, aucune ressource supplémentaire n’a été affectée aux Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord. Nous appuyons les deux ministres à même nos propres ressources.

Le président : Qu’en est-il du projet de loi?

Mme Bennett : Pour ce qui est des affaires intergouvernementales, le Bureau du Conseil privé est d’accord. Nous espérons effectivement que le projet de loi sera adopté bientôt.

Mme Lafleur : Le gouvernement a toujours l’intention de déposer un projet de loi pour créer le ministère des Relations Couronne-Autochtones et des Affaires du Nord et le ministère des Services aux Autochtones. Le moment choisi dépendra du programme parlementaire et du temps dont nous disposerons pour le faire.

Le président : Nous comprenons. Merci, madame la ministre. Et merci de mettre vos fonctionnaires à notre disposition si nous avons d’autres questions à leur poser.

La sénatrice Bovey : Merci, madame la ministre. Cela relève probablement d’un autre domaine, mais c’est une autre chose dont nous avons entendu parler. Vous et moi en avons entendu parler lors de la réunion du Conseil de l’Arctique. Je parle de la sécurité.

Quand nous étions dans le Nord, on nous a dit que seulement 1 p. 100 du littoral arctique du Canada a été cartographié, et pourtant il est devenu très évident pour nous que les Russes et les Chinois connaissent extrêmement bien nos fonds marins. Compte tenu de ce qui se passe à l’échelle mondiale, et c’est ce qui ressortira de notre dernière section, où ces grands enjeux s’inscrivent-ils dans la question de la sécurité du Nord? Nous parlons de transport maritime, qu’il s’agisse de navires de croisière, de bateaux à voile ou de transport de minerai de fer, quand on sait qu’il y a un navire nucléaire russe à proximité. Qu’en est-il de la santé, de l’avenir et du bien-être de 40 p. 100 de notre pays?

Mme Bennett : Je vous remercie de votre question. C’est la raison pour laquelle, pour la première fois, Affaires mondiales fait partie intégrante de cette politique. Ce n’est pas une politique intérieure. Cela inclut notre souveraineté dans l’Arctique et tout ce qui touche la sécurité.

Je me souviens que — en quelle année donc? Je crois que c’était en 2000 —, lorsque nous étions à Cambridge Bay ou à Gjoa Haven, et je crois que c’était la première fois que le passage du Nord-Ouest avait un peu dégelé, ce voilier était arrivé d’Irlande avec des violoneux sur le pont. Le Lands End — celui de Seattle? —, peu importe, est arrivé. Il n’y avait ni douanes ni sécurité. Il était choquant de voir que, tout à coup, il y avait des gens qui voulaient s’amarrer à un quai qui n’avait pas été construit pour cela.

Nous comprenons qu’il sera très important, notamment à la réunion du cercle arctique, de s’intéresser à la présentation russe, compte tenu de tout ce qui semble si proche quand on regarde la grande carte du sommet de la terre.

Je pense que c’est quelque chose dont nous devons nous préoccuper. Je pense à la politique chinoise du proche-Arctique — le Japon a été l’hôte de la réception d’ouverture. Je pense que ce qui serait intéressant, quand vous ferez cette section, c’est le point de vue alarmant de l’Arctique comme bien commun...

La sénatrice Bovey : Oui.

Mme Bennett : ... pour toutes les nations, comme pour les nations de l’Arctique et pour ceux qui y vivent. J’ai été choquée la première fois que j’ai entendu cela, mais ce serait important dans cette partie de votre étude.

La sénatrice Bovey : Je pense que la sonnette d’alarme a été tirée quand nous étions à certaines de ces tables au nom du Canada en septembre dernier.

Mme Bennett : Quand on pense à la réunion que nous avons eue sur l’Arctique, où 11 ministres, je crois, sont venus, du ministre Sajjan à ceux d’Affaires mondiales et de la Garde côtière, c’est en grande partie pour cette raison qu’il faut une approche pangouvernementale.

Le président : Madame la ministre, je vous remercie de votre temps. Vous pouvez vous retirer. Je crois comprendre que vos fonctionnaires sont prêts à rester au cas où il y aurait d’autres questions, et nous allons donc poursuivre cette séance. Merci.

Je suis heureux d’accueillir, de Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada, Wayne Walsh, directeur général, Direction générale des politiques stratégiques du Nord; Mark Hopkins, directeur général, Direction générale des ressources naturelles et de l’environnement, Affaires du Nord; Nancy Kearnan, directrice générale, Direction générale de la gouvernance du Nord; et Marla Israel, directrice générale, Politiques et coordination.

J’aimerais poursuivre la période de questions que nous avons commencée avec la ministre dans la partie précédente. Permettez-moi de commencer par poser une question soulevée au cours de la discussion avec la ministre ou à laquelle elle a fait allusion au sujet de la définition de l’Arctique ou de l’Arctique et du Nord aux fins du Cadre stratégique pour l’Arctique.

Pour les trois territoires, Churchill et l’Inuit Nunangat, qui comprendraient le Nunavik et le Nunatsiavut, cette définition reste-t-elle valable?

Wayne Walsh, directeur général, Direction générale des politiques stratégiques du Nord, Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada : Je tiens à vous remercier de votre question, monsieur le président. Elle nous préoccupe depuis le début du processus d’élaboration conjointe. En fait, l’une des principales conclusions du rapport de Mary Simons, qui concerne les frontières artificielles séparant le nord du soixantième parallèle et le sud du soixantième parallèle, a trait, à bien des égards, à certains des défis socioéconomiques auxquels nous sommes confrontés. Elle nous a donc incités, par le biais de certaines de ses recommandations, à être aussi inclusifs et ouverts que possible.

Nous n’avons pas encore de définition précise, mais je peux dire que nos partenaires comprennent le gouvernement du Yukon, les Premières Nations du Yukon, le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest, les Métis et Premières Nations des Territoires du Nord-Ouest, le Nunavut, le Nord-du-Québec, le Labrador et le Nord du Manitoba, Churchill compris.

Comme le ministre l’a expliqué, nous avons un peu élargi la définition — pas la définition, en fait, mais le titre pour inclure l’« Arctique » et le « Nord ». Il est certain que notre approche générale, non seulement dans la perspective du gouvernement fédéral, mais dans celle de tous nos partenaires, vise à pencher du côté de l’inclusion plutôt que de l’exclusion.

Je dirais que la définition de travail décrite dans le guide de discussion, que vous connaissez tous, je crois, tient toujours, à l’exception près que nous avons également eu des discussions avec la nation innue et le peuple du NunatuKavut au Labrador. Voilà l’objet de notre examen.

Le président : D’accord. Merci. Je vais poursuivre avec quelques questions, mais j’inviterai d’autres collègues à poser les leurs.

Le comité s’est rendu au Nunavik et au Nunavut, et nous avons beaucoup entendu parler de la mise à l’essai de solutions de rechange renouvelables au diesel, en fait, partout où nous sommes allés. Le plan du ministère pour 2018-2019 indique que 73 p. 100 des Inuits des collectivités du Nord dépendent du diesel, et 20 p. 100 de ces collectivités sont censées mettre en œuvre des projets visant à réduire l’utilisation du diesel d’ici la fin de 2018-2019. Je sais que le ministère des Relations Couronne-Autochtones a fourni des fonds pour financer des études de faisabilité et faciliter la participation communautaire depuis une dizaine d’années et que la technologie des énergies renouvelables est déjà utilisée dans les régions arctiques d’autres pays circumpolaires.

Pourriez-vous nous parler des progrès réalisés par le Canada pour rattraper son retard par rapport aux autres pays en ce qui a trait à la mise en place de sources d’énergie de remplacement durables dans l’Arctique?

Mark Hopkins, directeur général, Direction générale des ressources naturelles et de l’environnement, Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada : Oui. Il est plus facile de décrire le progrès en termes absolus que le progrès relatif par rapport aux autres pays.

Je connais moins bien les principaux pays de comparaison; l’Islande, par exemple, qui possède d’énormes ressources géothermiques, la Norvège, la Russie ou l’Alaska, qui s’en sortent bien — l’Alaska, évidemment, grâce à un large financement, a fait beaucoup de progrès dans l’exploitation d’énergies renouvelables.

Ce que vous avez décrit, monsieur le sénateur, au sujet du nombre de projets, comme vous vous en rendez probablement compte, peut aller de très petites études de faisabilité, d’investissements dans la capacité, à des installations de renouvellement à petite échelle, par exemple, des panneaux solaires de 5 ou 10 kilowatts sur des bâtiments communautaires et publics, bien qu’on commence à voir maintenant des investissements plus importants, évidemment.

Beaucoup de mines, comme Diavik et Raglan, ont été des chefs de file dans l’installation d’une capacité éolienne assez importante, de l’ordre de 1 ou 2 mégawatts.

À Inuvik, nous avons lancé un projet important qui permettra d’installer de 2 à 3 mégawatts d’énergie éolienne.

Dans la collectivité de Burwash Landing, à Destruction Bay, dans la Première Nation de Kluane, il y a également un projet d’établissement de tours éoliennes de 300 kilowatts. Il s’agira des premières tours éoliennes communautaires dans le Nord du Canada.

Il y a aussi une installation importante d’exploitation de l’énergie solaire qui est mise en place à Old Crow, pour un investissement de 5 millions de dollars qui vient en partie de nous et en partie du gouvernement du Yukon.

Le président : Ce sont des exemples très intéressants. Pourriez-vous nous fournir une liste complète des projets?

M. Hopkins : Oui, bien sûr.

Le président : Je ne voulais pas vous interrompre. Je pense que, dans le peu de temps dont nous disposons, ce serait très apprécié.

Je dois vous dire, voyez-vous, que nous sommes allés à Inuvik. Nous avons rencontré le maire sortant. Nous avons beaucoup entendu parler du problème du gaz naturel, de l’épuisement du gaz naturel.

Et puis, plus récemment, nous avons entendu parler de ce projet éolien. Je dois vous dire que j’ai eu des contacts avec l’association des municipalités des Territoires du Nord-Ouest et avec des membres du conseil d’Inuvik, et ils m’ont dit qu’ils n’ont en rien participé à ce projet éolien. Ce que je veux dire, c’est qu’ils n’y sont pas favorables, et il semblait que le projet venait d’Ottawa et que personne n’avait consulté la municipalité locale. C’est ce que m’ont dit des gens bien informés de la ville d’Inuvik.

Je me demande comment cela a pu arriver.

M. Hopkins : Pour que ce soit bien clair, j’ai parlé de cela à titre d’exemple d’un important projet éolien en cours. Ce n’est pas quelque chose que nous avons nous-mêmes financé. C’est très coûteux. C’est de l’ordre de 30 à 40 millions de dollars au total. À ma connaissance, il s’agit d’un projet financé en grande partie, mais pas entièrement, par des fonds d’infrastructure fournis au gouvernement territorial.

Le président : D’accord. Eh bien, laissons cela.

Y a-t-il d’autres questions?

La sénatrice Bovey : Comme vous pouvez le constater, nous sommes tous très engagés à cet égard et nous trouvons que tous les liens entre les éléments que nous examinons et que vous examinez sont vraiment intéressants.

Quand nous étions dans le Nord, comme la sénatrice Coyle l’a dit tout à l’heure, nous avons tous été très impressionnés par la station de recherche, la SCREA. Mais elle n’est pas encore ouverte. On nous dit régulièrement que la station est « en grande partie opérationnelle », mais, au moment de notre visite, les congélateurs n’étaient pas branchés. Juste avant Noël, j’ai assisté à un événement où les gens parlaient de commencer à faire de la recherche — eh bien, non, cela n’a pas encore vraiment commencé.

Où en est-on? Quelle est la situation? Est-elle sur le point d’être ouverte? Est-ce qu’on attend un ruban ou si des difficultés se cachent derrière le ruban?

M. Walsh : Je vous remercie de cette question. La station est en grande partie opérationnelle. Certains aspects sont encore considérés comme un chantier de construction. Il y a une liste de lacunes, ce qui est normal dans un projet de cette envergure. Nous travaillons avec les entrepreneurs.

Nous avons des travaux de génie civil à faire au cours de l’été. Ils ont été retardés en grande partie à cause des conditions météorologiques. Mais, dans l’ensemble, il s’agit de choses assez mineures qui permettront à Savoir polaire Canada d’assumer l’entière responsabilité de la station. Nous espérons obtenir un certificat d’achèvement complet à la fin de la saison de construction estivale, qui inclurait tous les travaux d’aménagement paysager et tout ce qui pourrait permettre à l’entrepreneur de s’acquitter de ses responsabilités.

Mais, entre-temps, à mesure que les différents services de la station deviennent opérationnels, POLAIRE poursuit son travail.

Pour ce qui est de la cérémonie d’ouverture ou de la cérémonie d’inauguration, nous travaillons avec les divers hauts fonctionnaires pour trouver une date qui convienne, et nous espérons que cela se fera dans les plus brefs délais.

La sénatrice Bovey : Y a-t-il des partenaires de recherche internationaux qui y font actuellement des recherches scientifiques? J’ai l’impression de recevoir des messages contradictoires à ce sujet, mais j’ai peut-être mal compris.

M. Walsh : Je ne peux pas parler du volet scientifique de POLAIRE. Ils sont responsables de la réalisation du mandat scientifique et de l’exploitation de la station. Ma direction générale est responsable de la construction, et c’est tout ce dont je peux vous parler. Je sais qu’il y a des scientifiques sur place, surtout des employés de Savoir polaire Canada, je crois.

La sénatrice Bovey : Je sais qu’il y a des scientifiques sur place. Ils sont également censés avoir un volet international assez important, et je me demandais où en est la situation à cet égard.

Qu’en est-il de l’autre centre d’analyse des déversements d’hydrocarbures, en cours de construction à Churchill? Participez-vous à ce projet?

M. Walsh : Je ne suis pas au courant, non.

La sénatrice Bovey : Merci.

La sénatrice Coyle : J’aimerais faire un commentaire à la suite de ce qu’a dit la sénatrice Bovey. Quand nous avons visité la Station de recherche du Canada dans l’Extrême-Arctique, à Cambridge Bay, en septembre, on nous a dit qu’on attendait cette date pour la cérémonie d’inauguration. C’était en septembre. Ils attendent donc toujours. Ils attendent que le ministre vienne, je suppose. D’accord. Ce n’est pas votre ministère.

J’ai quelques questions à poser. La première concerne les aires protégées. Je ne sais pas qui pourrait répondre à cette question, mais, dans son rapport, Mary Simon recommande la création d’aires protégées autochtones. Est-ce que quelqu’un ici peut parler du travail ou des consultations en lien avec cette désignation?

M. Walsh : Je vais en parler dans le contexte de nos engagements à l’égard du Cadre stratégique pour l’Arctique.

La sénatrice Coyle : D’accord, oui.

M. Walsh : Mais il y a des fonctionnaires d’Environnement Canada, du ministère des Pêches et de Parcs Canada qui font la promotion d’aires protégées autochtones. Je suis sûr que vous connaissez l’un des principaux piliers du Cadre stratégique pour l’Arctique, à savoir la protection des écosystèmes et de l’environnement.

L’un des principaux éléments du rapport de Mary Simon, dont elle a également parlé, est le développement d’une économie de conservation, et c’est donc très présent dans nos engagements.

Mais l’autre chose qui revient constamment — et je suis sûr que vous avez entendu les mêmes choses dans vos discussions — est que nous sommes passés de six thèmes à huit. Ainsi, les deux nouveaux thèmes qui ne faisaient pas partie du guide de discussion sont, d’une part, la réconciliation, qui a été proposée par nos partenaires autochtones, et, d’autre part, la sécurité et la défense.

La sénatrice Coyle : Quel était le dernier?

M. Walsh : La sécurité et la défense.

La sénatrice Coyle : D’accord.

M. Walsh : Pour souligner cet enjeu.

Quoi qu’il en soit, ce que nous entendons constamment, et ces thèmes, ce ne sont pas des questions isolées. Ce sont des questions transversales, et, donc, quand on veut promouvoir le développement économique, il faut non seulement examiner la protection de l’environnement, mais aussi les différentes possibilités qui découlent de la création d’aires protégées et de l’avancement des ERAI, par exemple.

Au sujet, plus précisément, du programme des Gardians, je dirais que la réaction a été en grande partie favorable sur le principe, mais ce que les gens du Nord nous ont signalé, c’est qu’il existe des revendications territoriales comportant des dispositions sur la façon dont les aires protégées sont créées dans les zones en question. Cela suppose un développement conjoint, une cogestion des aires protégées. Dans bien des cas, les habitants du Nord se sont trouvés à l’avant-garde ou ont revendiqué ce rôle. Beaucoup d’aires protégées créées depuis le règlement de beaucoup de revendications territoriales sont, selon eux, en fait, des aires protégées autochtones. Il s’agit donc de savoir comment nous pouvons intégrer certains de ces concepts et les appliquer concrètement.

La sénatrice Coyle : C’est déjà prévu dans l’accord sur les revendications territoriales.

M. Walsh : C’est exact, et dans les systèmes de cogestion dont nous avons parlé.

Le président : J’aimerais poser une question complémentaire à ce sujet, madame Coyle.

Monsieur Walsh, vous nous avez donné des renseignements fascinants au sujet du cadre stratégique, et nous savons que vous travaillez activement avec ceux dont la ministre a parlé comme étant vos partenaires. J’ai même entendu dire que des ébauches circulent.

J’aimerais vous demander, puisque vous nous avez donné un peu de détails, où en est ce dossier? Le comité aimerait prendre connaissance des ébauches éventuellement disponibles. Nous mettons la dernière main à notre rapport pour la législature en cours. Le gouvernement veut terminer son cadre durant cette législature. Comment pouvons-nous nous intégrer à ce processus à ce stade? Je ne pense pas que notre personnel compétent, qui a des yeux et des oreilles ici, était vraiment au courant que de nouveaux thèmes avaient été élaborés, par exemple. Nous avons étudié six thèmes, et vous venez de nous dire qu’il y en a maintenant huit, et ils semblent excellents.

Je me demande s’il serait possible de créer un lien avec notre comité, dont le travail a été encouragé par la ministre lorsque nous avons entrepris cette étude.

M. Walsh : Je peux vous dire que nous sommes en train de faire une vérification, ou ce que nous avons appelé un exercice de validation, dans le cadre duquel, avec la secrétaire parlementaire Yvonne Jones, nous avons voyagé et rendu visite à nos partenaires du Nord. Monsieur le sénateur, je pense que vous comprendrez que voyager dans le Nord en janvier est passionnant.

Nous avons communiqué à l’avance des exemplaires de l’ébauche à ces partenaires pour pouvoir valider ce que nous avons constaté et vu. Nous avons reçu beaucoup de commentaires et d’informations dans les domaines où ils aimeraient que nous apportions des améliorations et dans les domaines où nous pourrions nous concentrer sur différents thèmes, et cetera.

Nous sommes revenus la semaine dernière et nous sommes en train d’intégrer beaucoup de ces commentaires. Nous devrons préparer une nouvelle ébauche et la communiquer à nos partenaires pour voir si tout y est. À ce moment-là, je devrai vérifier auprès de mes hauts fonctionnaires et de mes partenaires pour leur demander s’ils sont prêts à communiquer ces renseignements au comité et à aller de l’avant.

Voilà où nous en sommes actuellement. Nous avons recueilli beaucoup d’information sur la validation. Nous sommes en train de l’absorber et d’essayer de mettre le document à jour. Je pense que la prochaine étape logique sera de partager ce que nous avons entendu ou de partager la nouvelle ébauche, en fonction de leurs commentaires, pour voir où nous en sommes.

La sénatrice Coyle : Il s’agit d’incorporer cela.

M. Walsh : Oui.

La sénatrice Coyle : Ce serait formidable.

Le président : Je vous remercie de transmettre le message. Cela nous aiderait dans nos délibérations internes. Nous comprenons que ce n’est toujours pas officiel et que ce n’est pas public, mais nous pourrions aussi tenir compte de ces directives, j’en suis sûr.

La sénatrice Coyle : Nous pourrions procéder en conséquence. Ce serait très utile. Cela a été utile d’apprendre ces choses ce soir.

Ma prochaine question portait sur le logement. Je suis curieuse de savoir où on en est. Si vous pouvez en parler, aussi bien en ce qui concerne ce que vous avez soumis à la validation que ce qui vous est revenu, où en est-on au sujet de l’énorme problème du logement dans l’Arctique?

M. Walsh : Ce que je peux vous dire, c’est que nous avons été encouragés, tant à l’interne que par nos partenaires, à vraiment examiner les objectifs de développement durable des Nations Unies et la façon dont nous définissons le cadre. Je peux dire que le cadre évolue davantage en fonction de ces approches qu’en fonction d’énoncés de politique spécifiques. À mesure qu’il évolue, il s’agit davantage d’un mode de planification stratégique que d’un énoncé de politique classique.

Dans ce contexte et compte tenu de l’évolution du cadre, nous avons les thèmes, que vous connaissez tous. La question qui se pose alors est la suivante : quels types d’activités ou d’initiatives entreprendre dans le cadre de ces thèmes pour progresser, pour garantir des collectivités sûres et durables, ou pour favoriser la diversification de l’économie, et cetera? Une infrastructure complète en est un élément.

Je pense que tous les partis reconnaissent que l’un des principaux objectifs d’une collectivité forte et durable est d’éradiquer l’itinérance. C’est l’une des choses que nous envisageons pour l’avenir. À mon avis, la clé pour atteindre l’objectif d’éradication de l’itinérance dans ce cas serait le genre d’initiatives auxquelles nous travaillons collectivement.

Si je devais utiliser un exemple actuel de quelque chose qui est dans la sphère du possible, je dirais que nous avons maintenant la Stratégie de logement pour les Inuits, à laquelle le gouvernement du Canada a collaboré avec ITK, à la suite de quoi le gouvernement du Canada a présenté, je crois, un plan d’investissement quinquennal pour mettre la stratégie en place.

Dans son témoignage d’aujourd’hui, la ministre Bennett a fait allusion au niveau de détail de ces initiatives qui fait qu’elles seront toujours d’actualité. Nous espérons que le cadre ou la structure de base permettra d’atteindre les objectifs établis, après quoi nous pourrons nous interroger sur les moyens d’élaborer ensemble ces activités ou ces initiatives pour parvenir à nos buts.

La sénatrice Coyle : Vous utiliserez le Programme 2030 et les ODD comme superstructure?

M. Walsh : Non. Nous nous en sommes inspirés.

La sénatrice Coyle : Je vois.

M. Walsh : Et nos partenaires ont inscrit dans une sorte de contexte nordique un concept ou une approche semblable.

La sénatrice Coyle : Excellent. Merci.

Le président : Y a-t-il d’autres questions?

La sénatrice Coyle : Pas tant que nous n’aurons pas vu cette ébauche.

Le président : Merci pour votre disponibilité et merci de nous aider à répondre aux questions que nous nous posons. Nous aurons plaisir à échanger de nouveau avec vous.

Sur ce, je vais clore la partie publique de la réunion. Chers collègues et membres du personnel, je vous demanderais de rester quelques minutes de plus pour une courte séance à huis clos.

(La séance se poursuit à huis clos.)

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