Délibérations du Comité sénatorial spécial sur l'Arctique
Fascicule no 22 - Témoignages du 18 mars 2019 (séance du matin)
OTTAWA, le lundi 18 mars 2019
Le Comité spécial sur l’Arctique se réunit aujourd’hui, à 10 h 30, pour examiner les changements importants et rapides qui se produisent dans l’Arctique et les effets de ces changements sur les premiers habitants.
Le sénateur Dennis Glen Patterson (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonjour à tous. Bienvenue à cette séance du Comité spécial sur l’Arctique. Je m’appelle Dennis Patterson, sénateur du Nunavut, et j’ai le privilège de présider ce comité. Je demanderais à mes collègues sénatrices de bien vouloir se présenter en commençant par notre vice-présidente.
La sénatrice Bovey : Patricia Bovey, Manitoba.
La sénatrice Eaton : Nicky Eaton, Ontario.
La sénatrice Anderson : Dawn Anderson, Territoires du Nord-Ouest.
La sénatrice Coyle : Mary Coyle, Nouvelle-Écosse.
Le président : Merci.
Nous poursuivons aujourd’hui notre examen des changements importants et rapides qui se produisent dans l’Arctique et des effets de ces changements sur les premiers habitants. Nous sommes heureux d’accueillir comme témoins ce matin deux représentants de la Kivalliq Inuit Association (KIA), M. Luis Manzo, directeur des terres; et Mme Brenda Osmond, administratrice des terres. Nous recevons également M. Neil Hutchinson, président et scientifique principal de Hutchinson Environmental Sciences, de même que M. Jörg Stetefeld, professeur de biochimie Niveau 1 CRC en biologie structurale et en biophysique à l’Université du Manitoba.
Merci à tous d’être des nôtres aujourd’hui. Nous allons maintenant entendre les observations préliminaires de M. Manzo après quoi nous passerons aux questions des sénatrices.
M. Luis G. Manzo, directeur des terres, Kivalliq Inuit Association : Merci, monsieur le président et merci aux membres du comité. C’est un plaisir d’être ici aujourd’hui. Comme je n’ai que sept minutes pour mon exposé, je vais peut-être sauter quelques diapos au besoin. Nous serons ravis de répondre à vos questions par la suite.
Je suis ingénieur certifié et agronome au Canada. Voilà maintenant 22 ans que j’occupe le même poste dans l’Arctique. Notre travail devrait pouvoir s’appuyer sur une grande quantité de données, mais toutes les recherches nécessaires n’ont pas encore été effectuées dans le Nord. Je vais d’ailleurs tenter de vous exposer les raisons qui expliquent cela.
Au fil des dernières années, nous avons mis sur pied un programme d’évaluation des effets cumulatifs que nous appelons Inuu’tuti, ce qui signifie « source de vie ». Comme son nom l’indique, ce programme permet de mesurer les effets cumulatifs à long terme de différents facteurs de stress présents actuellement dans le Nord. La mise en œuvre du programme s’est amorcée en 2012, mais c’est en 2014 que le programme de contrôle des effets cumulatifs a officiellement pris forme à l’occasion d’un atelier tenu à Baker Lake. Le tout s’est réalisé dans le contexte de l’ensemble des exigences et des politiques établies par le gouvernement fédéral pour l’accès au financement nécessaire à un programme de contrôle semblable.
Le nom du programme a été choisi par les résidants de Baker Lake en février 2016.
Nous avons réalisé des progrès considérables depuis. Nous voilà rendus en 2019 et nous pouvons enfin affirmer que ce programme de surveillance dont nous avons entrepris la conception en 2014 est prêt à aller de l’avant.
Le programme Inuu’tuti permet de travailler dans le sens des grands thèmes du Cadre stratégique pour l’Arctique du Canada, à savoir des communautés et des citoyens forts, l’intégration des connaissances scientifiques et autochtones, et la protection de l’environnement et la préservation de la biodiversité. Nous contribuons aussi à l’atteinte des objectifs établis dans ce même cadre stratégique : protéger la biodiversité de l’Arctique en prenant des décisions fondées sur la science; intégrer la recherche scientifique menée dans l’Arctique et les connaissances traditionnelles au processus décisionnel; bâtir une économie durable et des collectivités solides dans l’Arctique.
Il faut ajouter à cela toutes les politiques d’Inuit Tapiriit Kanatami et de Nunavut Tunngavik Incorporated de même que les règlements internes de la KIA.
Ce programme est donc géré à partir de Baker Lake. La surveillance porte sur les bassins versants des rivières Back, Quoich, Thelon, Baker Lake, Kazan et Dubawnt. Nous délimitons ainsi un vaste territoire pour la collecte de données. Les 10 dernières années nous ont uniquement permis de recueillir des données de base aux fins du travail d’analyse à venir.
Une grande partie de nos travaux s’effectuent dans le bassin du lac Baker. Toutes ces rivières que j’ai mentionnées se déversent dans ce bassin. Je tiens à souligner, monsieur le président, que le lac Baker sert à l’approvisionnement en eau potable de la communauté. Toutes les rivières en question alimentent directement ce bassin d’approvisionnement. C’est très important.
Parmi les facteurs de stress que nous avons relevés au fil de nos travaux des 10 dernières années, notons le réchauffement climatique, le relèvement post-glaciaire, la croissance rapide de la population, l’arrivée d’eau salée en provenance de la baie d’Hudson, et les projets d’exploitation minière actuels et à venir dans la région. Nous menons des recherches et des activités de surveillance relativement à tous ces éléments.
Les nombreux facteurs de stress touchant actuellement le bassin du lac Baker ne font pas l’objet d’une analyse appropriée. Le problème est notamment attribuable au fait que plusieurs entités distinctes recueillent de l’information sans qu’il y ait vraiment de coordination entre elles. La collecte d’information ne se fait pas dans tous les secteurs d’intérêt ou ne permet pas un suivi continu. Les données recueillies ne sont pas interprétées de façon uniforme et régulière. L’Inuit Qaujimajatuqangit, la connaissance traditionnelle inuite, n’est pas prise en compte. En conséquence, nous avons une compréhension insuffisante des conditions actuelles dans l’Arctique et nous disposons de très peu de repères pour analyser les changements à venir. En outre, nous n’alimentons pas adéquatement les processus d’évaluation environnementale et d’octroi de permis.
Il y a une solution à tous ces problèmes, et c’est Inuu’tuti, le Programme de surveillance des effets cumulatifs dans le bassin du lac Baker. Il nous a fallu 10 ans pour le mettre au point en coordination avec divers organismes et offices fédéraux au Nunavut.
Le secrétariat d’Inuu’tuti est dirigé par la Kivalliq Inuit Association à titre de programme communautaire avec l’appui du Secrétariat du Plan de surveillance générale du Nunavut, de l’Office des eaux du Nunavut et de Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada (RCAANC). Nous avons conclu des protocoles d’entente avec tous ces partenaires de même qu’avec la communauté de Baker Lake.
Comment allons-nous mettre en œuvre ce programme? Nous avons établi des partenariats techniques qui nous permettent de compter sur un groupe consultatif réunissant AREVA Resources, Agnico Eagle Mines Ltd., Affaires autochtones et du Nord Canada et Hutchinson Environmental Sciences Ltd.
Nous avons aussi des partenaires dans le secteur scientifique, soit Affaires autochtones et du Nord Canada, Environnement et Changement climatique Canada, Agnico Eagle Mines Ltd., le Système d’information sur la cryosphère canadienne, Hutchinson Environmental Sciences et l’Université du Manitoba.
Parmi nos partenaires dans la communauté, soulignons le hameau de Baker Lake, l’association locale des chasseurs et des trappeurs et différents groupes communautaires.
Au fil des ans, nous avons pu obtenir du financement auprès de différentes institutions dont Savoir polaire Canada et le Plan de surveillance générale du Nunavut qui a contribué directement à l’élaboration de ce programme. Nous avons aussi bénéficié de contributions en nature, gracieuseté de toutes les parties en cause.
Le programme est conçu en fonction d’une sélection de composantes valorisées de l’écosystème qui sont importantes pour la communauté, qui vont réagir concrètement aux différents facteurs de stress et qui peuvent alimenter une évaluation des effets cumulatifs à long terme. Nous avons donc conçu un programme permettant d’en mesurer l’évolution en répondant aux questions quoi, quand, où et comment. Tout cela est soumis à l’examen du groupe consultatif technique avant de donner lieu à des recommandations adressées au secrétariat.
Dans le cadre de notre programme de surveillance, nous effectuons donc des échantillonnages et des évaluations portant sur les composantes valorisées de l’écosystème que sont le climat et la météorologie, la santé des poissons, la qualité de l’eau, son débit et sa quantité, et les connaissances traditionnelles inuites.
Dans le cadre d’une étude de référence menée en 2014 et 2015 sur le bassin du lac Baker, nous avons recueilli toutes les données se conformant aux normes des sciences aquatiques pour la période de 1970 à 2014. Nous disposons ainsi d’une base de référence pour le Nord, et plus précisément pour le secteur de Baker Lake. Nous avons alors créé une base de données qui permet d’analyser et de traiter l’information de telle sorte que d’autres entités puissent s’en servir.
Parlons maintenant du renforcement des capacités. Nous avons mis sur pied au fil des 10 dernières années des programmes de formation qui ont été suivis en 2014 et 2015 par tout le personnel de la KIA ainsi que par des membres de la communauté. Nous avons aussi offert de la formation à des fonctionnaires de RCAANC. Nous avons en outre mis en place des mécanismes permanents d’examen et de contrôle et d’assurance de la qualité pour les données recueillies.
Nous avons étendu la portée du protocole d’entente portant sur le programme de surveillance. En 2004, nous avons conclu un protocole d’entente très rigoureux avec le bureau régional d’AADNC à Iqaluit, et nous en avons prolongé l’application jusqu’à aujourd’hui. Nous avons également des partenariats avec Environnement Canada, Ressources naturelles Canada et l’industrie ainsi que des accords de gestion et de partage des données avec Environnement Canada et le ministère des Pêches et des Océans. Nous venons tout juste de signer une autre entente avec le ministère des Pêches et Océans relativement aux zones de protection marine, et nous poursuivons notre collaboration à ce chapitre.
Nous avons fait rapport de tous ces résultats entre 2016 et 2018, soit à l’issue de One Voice, l’un des projets de recherche les plus avancés et les plus complexes à avoir été réalisés dans le secteur de Baker Lake et même dans toute la région de Kivalliq. Nous espérons que ce projet servira de modèle pour la collecte scientifique de données avec prise en compte de nos connaissances traditionnelles. Nous avons conçu une méthodologie à cette fin. Nous avons produit un rapport dont la valeur est maintenant reconnue par la communauté scientifique. Nous nous en sommes servi pour la collecte de données sur la qualité de l’eau, la quantité d’eau disponible et l’état des poissons, et nous allons l’utiliser à nouveau cette année pour la collecte de l’ADN environnemental aux fins de la biodiversité.
Nous avons mené une étude limnologique dans le bassin d’alimentation en eau potable du lac Baker. Aucune étude semblable n’a été publiée depuis 1964. Nous avons travaillé à la mise en place d’une base de données repère tout en nous penchant sur les préoccupations exprimées par la communauté, notamment quant au fait que l’eau a un goût de sel ou de poisson.
Ce document qui sert aussi maintenant de résumé scientifique a été produit en 2015, 2016 et 2017 en partenariat avec Hutchinson Environmental Sciences.
Nous faisons par ailleurs de la sensibilisation au niveau communautaire. Nous tenons chaque année quatre ateliers en plus de produire autant de bulletins d’information. Nous participons à des émissions à la radio locale. Nous visitons les écoles secondaires quatre fois par année. Nous avons en outre délégué des scientifiques travaillant en partenariat avec nous à la Conférence ArcticNet de 2015, à l’Atelier canadien sur l’écotoxicité de 2016, à la Conférence Arctic Change de 2017, au Symposium sur l’industrie minière du Nunavut de 2017, à l’équipe de rédaction du rapport Aqhaliat 2018 (deux documents produits), et au Symposium national sur l’eau de l’Assemblée des Premières Nations de 2019.
Quelles sont les prochaines étapes?
Inuu’tuti est un projet-pilote intéressant pour l’analyse des bassins versants au niveau régional au Nunavut. L’Office des eaux du Nunavut s’inspire d’ailleurs de l’approche mise de l’avant pour notre programme de surveillance dans l’élaboration de sa stratégie de gestion des eaux pour le territoire. Nous nous réjouissons de constater que l’office s’acquitte de son mandat en misant sur notre méthodologie et notre base de données.
Nous allons demander les fonds nécessaires pour assurer une pleine mise en œuvre d’Inuu’tuti au cours des trois prochaines années. Nous voudrions établir 25 points de contrôle avec échantillonnage trois fois par année pour mesurer la qualité de l’eau, la quantité d’eau disponible et son débit, sans compter de nombreux sites pour la collecte de l’ADN environnemental. On ajoutera aussi au mandat la santé des poissons en intégrant connaissances scientifiques et traditionnelles.
Nous avons mis en œuvre un mécanisme de collecte de l’ADN environnemental pour le contrôle de la diversité en partenariat avec l’Université du Manitoba. Nous collaborons avec cette université depuis deux ans. À un niveau différent, nous allons étendre ce projet à l’ensemble des bassins versants parce qu’il y a des économies à la clé pour le Nunavut. Des mesures semblables permettent de brosser un portrait d’ensemble assez fidèle de l’avenir de la biodiversité. Avec le soutien de l’Université du Manitoba et des nouveaux outils technologiques qu’elle a mise en œuvre au cours des deux dernières années, nous espérons pouvoir dresser un bilan détaillé de la biodiversité dans le Nord.
Nous allons continuer de produire des rapports annuels et de peaufiner notre programme One Voice. Nous allons accroître la participation des Nunavummiut et de la communauté de Baker Lake. Nous allons aussi travailler en partenariat avec RCAANC pour préparer une présentation au Conseil du Trésor en vue d’obtenir du financement à long terme.
Le contrôle de l’ADN environnemental permet d’évaluer la biodiversité, mais aussi d’établir différentes caractéristiques. Mes collègues pourront d’ailleurs vous en dire plus long à ce sujet en répondant à vos questions. La collecte de l’ADN environnemental de toutes les espèces vivant dans les lacs permet de déterminer ce qui les caractérise et d’analyser les répercussions de toutes les activités pouvant avoir cours dans le bassin versant. Il y a dans mon document une carte indiquant en rouge l’emplacement des sites d’échantillonnage d’ADN environnemental ainsi que les sites proposés pour l’échantillonnage à Baker Lake même.
Le projet Inuu’tuti va tout à fait dans le sens des grands thèmes du Cadre stratégique pour l’Arctique du Canada, à savoir des communautés et des citoyens forts, une intégration des connaissances scientifiques et autochtones, et la protection de l’environnement et la préservation de la biodiversité dans l’Arctique. Nous contribuons aussi à l’atteinte des objectifs établis dans ce même cadre stratégique : protéger la biodiversité de l’Arctique en prenant des décisions fondées sur la science; intégrer la recherche scientifique menée dans l’Arctique et les connaissances traditionnelles au processus décisionnel; bâtir une économie durable et des collectivités solides dans l’Arctique. Tout cela est tout à fait conforme au mandat de votre comité.
En résumé, le programme de surveillance Inuu’tuti s’articule autour des grands objectifs du Cadre stratégique pour l’Arctique en visant à faire en sorte que le processus décisionnel soit guidé par la connaissance et la compréhension des enjeux, que l’environnement soit protégé et que la biodiversité soit préservée, et que les écosystèmes de l’Arctique et du Nord canadien demeurent sains et résilients. Nous demandons aujourd’hui l’appui de votre comité pour notre demande de financement en vue d’une pleine mise en œuvre d’Inuu’tuti au cours des trois prochaines années. Nous voudrions également que vous parrainiez notre candidature pour le Prix Inspiration Arctique et que vous nous souteniez dans la soumission d’une présentation au Conseil du Trésor pour obtenir du financement à long terme.
Je termine ainsi mon exposé au comité. Merci beaucoup. Qujannamiik.
La sénatrice Bovey : Merci, monsieur Manzo. Je suis très impressionnée par les partenariats que vous avez pu établir. Les initiatives en cours sont d’autant plus encourageantes qu’elles m’apparaissent absolument nécessaires.
Quelques-unes de vos observations n’ont pas manqué de soulever chez moi beaucoup d’enthousiasme dans l’attente des prochaines étapes. Vous avez indiqué que l’on n’effectue pas actuellement une analyse appropriée des données que vous recueillez et que vous avez certaines inquiétudes quant à la coordination de cette analyse. Il va de soi que vos travaux se poursuivent. Je me réjouis beaucoup également à l’idée que l’on puisse intégrer ainsi données scientifiques et savoir traditionnel autochtone.
Vous avez également traité de la nécessité d’améliorer notre compréhension des conditions actuelles. Je considère vos efforts de sensibilisation communautaire tout aussi impressionnants que vos partenariats. J’aimerais savoir ce qu’il convient de faire selon vous pour améliorer notre compréhension des conditions actuelles quand on sait que celles-ci évoluent pour ainsi dire d’heure en heure.
J’aimerais également que vous puissiez nous en dire plus long au sujet de One Voice, un projet exemplaire d’après ce que j’ai pu apprendre jusqu’à maintenant. Merci.
M. Manzo : Merci pour cette question, madame la sénatrice. Je vais y répondre en partie avant de permettre à M. Hutchinson d’intervenir, si vous n’y voyez pas d’inconvénient.
La Kivalliq Inuit Association a commencé à recueillir des données sur la qualité de l’eau, la quantité d’eau disponible et son débit en 2002. En 2004 et en 2007, les organismes fédéraux nous ont demandé de procéder à une analyse pour déterminer les lacunes à combler pour pouvoir mettre en place des mesures d’assurance et de contrôle de la qualité à partir du site choisi pour l’échantillonnage.
Depuis 2014, Hutchinson Environmental Sciences effectue en sous-traitance pour notre compte les travaux d’analyse et de contrôle de la qualité du point de vue scientifique. Nous avons ainsi accumulé une quantité considérable de données. Nous avons par ailleurs des programmes permettant la réalisation d’activités très précises au titre desquelles on recueille également des données. Il n’existe malheureusement pas de lignes directrices ou d’exigences en la matière pour les programmes en question. Lorsque le financement est obtenu et que l’on commence à produire des rapports, il est impossible d’intégrer à notre base de données les informations qu’on y retrouve en l’absence des protocoles nécessaires pour les valider.
Je vais laisser la parole à M. Hutchinson et je continuerai par la suite.
Neil Hutchinson, scientifique principal, Hutchinson Environmental Sciences Ltd. : Je vous remercie, sénatrice Bovey. Vous avez d’abord demandé ce qu’il fallait faire pour mieux comprendre les conditions actuelles et leur évolution, comme vous l’avez souligné. En fait, non seulement dans la région du lac Baker, mais dans tout l’Arctique, il y a une série de programmes de surveillance à différentes fins ou parfois, sans autre but que d’observer les changements dans l’environnement. Il y a des sociétés minières qui font de la surveillance à l’aide de sondes EXO pour évaluer leur impact dans un secteur en particulier. Environnement Canada peut aussi surveiller les grandes rivières pour comprendre l’état de la situation.
Il n’y a toutefois pas de programme conçu pour répondre aux questions dès le début, comme « quelles sont les questions? », « quel est le but de la surveillance? ». Quand nous avons les réponses à ces questions, nous pouvons déterminer à quelle fréquence il faut prendre des mesures, quelles méthodes utiliser et établir toutes sortes de choses comme des limites de détection. C’est ce que nous appelons le projet d’exploration des données. Nous avons ainsi entrepris d’analyser toutes les données recueillies par l’Office des eaux du Nunavut depuis les années 1970. Beaucoup de ces données étaient utiles à l’époque, mais les limites de détection sont tellement meilleures aujourd’hui que nous sommes bien mieux outillés pour observer les changements. Nous comprenons mieux comment suivre les programmes, et l’accès au Nord est également facilité.
Ce qu’il faut faire pour mieux comprendre la situation, surtout quand les choses changent vite, c’est de déployer un programme qui nous permette de comprendre quels sont les facteurs de stress. Nous inquiétons-nous du changement climatique, du traitement des eaux usées, de l’exploitation minière ou de la présence de sel dans le lac Baker? Il faut ensuite concevoir des programmes sur mesure pour répondre à ces questions.
Du point de vue de la collectivité, les questions sont : l’eau est-elle bonne à boire et est-il sécuritaire de manger le poisson?
Ce sont là les questions importantes pour la collectivité. Nous pouvons concevoir un programme pour y répondre. Est-ce que j’ai réussi à répondre à la vôtre?
La sénatrice Bovey : Oui. Je pense que les gens de l’Université du Manitoba y répondent également.
Matthew McDougall, Center for Oil and Gas Research and Development, Université du Manitoba : Si vous me le permettez, je peux répondre à la question pour le projet One Voice. Ce projet a été mis en place grâce à un accès temporaire dont nous avons bénéficié au Nunavut. Il a commencé il y a longtemps, mais le processus d’approbation a commencé en 2004, pour la création d’une mine de charbon dans le Nord.
Nous avons terminé l’évaluation dans le cadre de ce projet en 2007. Pour ce faire, je suis allé voir les participants à d’autres activités qui devaient présenter de l’information sur le savoir traditionnel. C’est un document unique. La question que j’ai posée au promoteur à l’époque est exactement celle que vous venez de me poser : comment utilisez-vous ces connaissances pour choisir vos sites ou comment les utilisez-vous pour analyser les changements? Malheureusement, à l’époque, personne n’avait de méthodologie ni de modèle pour cela. Pour répondre à votre question, nous l’avons fait, nous avons rédigé un article scientifique avec l’aide de l’Université de l’Alberta et de M. Hutchinson, puis nous avons établi une liste de critères pour chaque composante du savoir traditionnel. Ils sont tous liés les uns aux autres, et quand on les analyse, on peut vraiment comprendre les besoins de la communauté, comme celui d’avoir accès à de l’eau potable pour préparer le thé. L’eau de ces lacs est-elle assez salubre pour qu’on puisse l’utiliser pour préparer du thé? On teste donc l’eau et le poisson au lac Baker. L’eau est-elle salée? Toutes ces choses sont analysées sous deux angles, dont les critères sont semblables, mais il y a des connaissances traditionnelles qui y sont associées. Grâce à ce programme, nous recueillons les données de base du projet One Voice, qui intègre le savoir traditionnel aux données scientifiques dont nous disposons déjà pour produire une analyse différente. Il pourra servir de modèle et de référence méthodologique plus tard.
Le président : Le projet One Voice vise à combiner le savoir traditionnel aux connaissances scientifiques?
M. McDougall : Exactement.
Jörg Stetefeld, professeur de biochimie Niveau 1 CRC en biologie structurale et biophysique, Université du Manitoba : Une équipe de professeurs de l’Université du Manitoba s’est lancée dans ce projet il y a un an ou deux. Je suis professeur de biochimie à l’université, et avec un de mes collègues, j’ai fondé en 2014 le Centre for Oil and Gas Research and Development, qui a mis au point de nouveaux outils très prometteurs pour évaluer la pollution de l’environnement. Au départ, nous travaillions avec les hydrocarbures aromatiques polycycliques qu’on trouve dans le pétrole et le gaz, mais une fois sur le terrain et à force d’échanges avec nos nombreux partenaires de l’industrie, nous nous sommes rendu compte que c’était loin de suffire.
Comme je suis moi-même biochimiste, que je sais ce que l’ADN peut nous apprendre et à quoi il ressemble, nous avons lancé un projet de métacodage à barres de l’ADN environnemental. Techniquement, c’est un peu arrivé par accident. On a trouvé un mammouth dans le Grand Nord. Nous faisions partie de l’équipe chargée des questions les plus complexes, et un article a été publié à ce sujet dans Nature Genetics. Nous nous sommes alors vite rendu compte de la puissance de cette technologie.
Vous avez peut-être remarqué que j’ai un accent allemand. Je vis au Canada, mais je viens de l’Europe, si bien que je vois souvent les choses sous un angle différent. Le pouvoir d’une université, c’est que nous pouvons former des gens. C’est la raison pour laquelle Brenda, Ashley et d’autres sont venus participer aux premiers ateliers que j’ai offerts dans mon laboratoire sur l’ADNe le mois dernier. Nous avons eu bien du plaisir. Nous leur avons appris à faire certaines choses dans le Nord, parce que nous voulions établir une relation dans laquelle leur savoir traditionnel serait mis à contribution. Ces personnes connaissent la réalité du Nord bien mieux que moi. Nous pouvons travailler en équipe, nous compléter pour comprendre des mécanismes d’un point de vue scientifique.
Le président : Qu’est-ce que l’ADNe vous permet-il de découvrir dans l’eau?
M. Stetefeld : Le « e » signifie « environnemental ». C’est une technique qui permet de détecter les sources de vie dans n’importe quel environnement. On peut par exemple prélever des échantillons dans des lacs, les analyser et en extraire l’ADN, les molécules, puis déterminer, grâce à la technologie du séquençage si l’on détecte, premièrement, l’absence ou la présence d’espèces. Mais là encore, nous commençons par demander aux personnes qui vivent là-bas de nous aider, de nous dire ce que nous devrions chercher. Parce qu’il n’y a pas que des poissons dans notre environnement, mais en ce moment, nous mettons l’accent sur le poisson. Nous prévoyons que la prochaine étape consistera à dépister des maladies ou d’autres choses dans les troupeaux de caribou. On peut faire la même chose avec n’importe quel organisme vivant. Il suffit de prélever de l’ADN pour programmer notre code génétique, et non seulement cela nous permettra-t-il de détecter la présence ou l’absence d’une maladie, par exemple, mais si nous commençons à dresser la cartographie des animaux, à les recenser, nous pourrons à terme étudier les changements qui s’observent chez eux.
Nous pourrions ainsi étudier les espèces envahissantes et les maladies. Cela nous ouvre beaucoup de portes. Pour moi, c’est fantastique, et j’en suis fier, parce que depuis deux ans, je suis Canadien aussi. L’ADNe est un concept canadien. Il a été créé dans les universités canadiennes, et le Canada et les États-Unis sont des chefs de file de la mise au point de technologies non invasives.
Le président : Nous n’avons pas besoin de pêcher les poissons dans les lacs pour découvrir ce qui s’y trouve.
M. Stetefeld : C’est notre espoir.
La sénatrice Eaton : Parlez-nous un peu plus de l’ADNe. Il nous renseigne sur ce qui se trouve dans l’eau. Est-ce qu’il nous donne un indice... Je suppose qu’on peut en déduire des chiffres et déterminer qu’il doit y avoir environ 1 000 saumons dans telle étendue d’eau, que l’analyse des données peut permettre d’en déduire des chiffres aussi?
M. Stetefeld : Oui, c’est l’objectif des chercheurs, et nous mettons ces techniques à l’essai. Je ne peux rien vous promettre pour l’instant, mais c’est exactement l’objectif : quantifier les espèces d’intérêt.
La sénatrice Eaton : J’ai l’impression, à vous écouter, que ce que vous commencez à faire ne se fait nulle part ailleurs au Canada. Je pense aux préoccupations environnementales entourant les pipelines, qui se fondent sur un genre de mélange du savoir traditionnel et de données scientifiques, ne croyez-vous pas? Est-ce là quelque chose de tout nouveau que de combiner le savoir traditionnel à la science?
M. Stetefeld : Non, la technologie de l’ADNe, ce type de métacodage à barres s’est déjà fait sur des sites miniers.
La sénatrice Eaton : Est-ce assez courant au Yukon, dans les Territoires du Nord-Ouest, au Nunavut et au Nunavik?
M. Stetefeld : Je pense que ce que Luis Manzo et Neil Hutchinson font est unique.
M. Hutchinson : Je pense que les programmes semblables à notre projet One Voice sont rares. Il y a beaucoup de personnes, qui examinent de beaucoup plus près qu’avant le savoir traditionnel autochtone en ce moment, mais nous essayons d’y apporter l’éclairage de la science occidentale.
La sénatrice Eaton : Pouvez-vous me donner un exemple de la façon dont vous mariez le savoir traditionnel à la science? C’est pas mal l’avenir, n’est-ce pas?
M. Hutchinson : Les scientifiques sont bons pour recueillir quantité de chiffres qui nous renseigneront sur les moyennes et les variations des conditions, mais ces chiffres ne valent que pour la période où nous avons fait des relevés sur le terrain. Le savoir traditionnel est utile pour comprendre les extrêmes ou comment les choses ont changé depuis l’époque où nous n’étions pas là pour prendre des mesures quantitatives. Il nous aide à déterminer où chercher, quoi chercher et quand le chercher.
Il y a des connaissances traditionnelles, une mémoire sur la taille des troupeaux de caribous, que nous pourrons peut-être quantifier à un moment donné grâce à l’ADN. Ce savoir nous aide aussi à comprendre comment les populations de poissons ont changé.
L’idée de cette étude nous est venue de 20 ans d’expérience des groupes d’évaluation environnementale, dans le Nord, à entendre les gens nous dire : « Nous en avons parlé avec les aînés, et selon nos connaissances traditionnelles, le caribou et le poisson sont importants. » Nous pensions déjà le savoir, pour être honnêtes, mais nous voulions creuser un peu plus et voir comment nous pouvions approfondir ces connaissances et les utiliser pour nous poser de meilleures questions et prendre cette perspective en compte dans nos décisions.
Les décisions qui découlent du processus d’évaluation environnementale et du processus d’octroi de permis d’utilisation des eaux reposent toujours à 90 p. 100 sur l’interprétation de données scientifiques occidentales, et ce n’est peut-être pas juste pour ceux qui vivent là et qui peuvent avoir un point de vue différent. Il reste encore beaucoup à faire. Comme pour ce qui est de l’ADN environnemental, nous faisons nos premiers pas avec cette approche, mais elle nous semble très prometteuse.
La sénatrice Eaton : Quand notre comité s’est rendu dans l’Arctique, l’automne dernier, nous avons passé une nuit aux mines d’Agnico Eagle, ce qui a été très intéressant.
Monsieur Manzo, je vois que cette société fait partie des partenaires dans plusieurs projets. Selon vous, est-ce une source importante pour l’avenir de l’exploitation des ressources, y a-t-il d’autres sociétés minières qui vous aident ou participent à votre étude ou y sont-elles plutôt réfractaires?
M. Manzo : Non, je vous dirais que quand on commence à étudier une mine, on continue de l’explorer et il y aura continuellement de nouvelles découvertes, particulièrement dans une fracture ou une ceinture géologique en plein essor.
Nous ne sommes pas contre cela. Nous essayons très fort d’utiliser nos principes novateurs avant que les opposants aux projets n’interviennent sur le plan économique. On peut ensuite prendre fortement position pour prendre des décisions : « Nous voulons que cette mine soit établie ici », ou nous n’en voulons peut-être pas.
En raison des principes sur lesquels repose le programme Inuu’tuti, c’est très important. Sans ces référents, je trouve que nous prenions des décisions, avant, sans données environnementales solides pour permettre ou non l’exploitation minière dans telle ou telle région, selon son degré de fragilité.
Par exemple, sur la faune, nous avons effectué une analyse de la densité. Pendant 10 années de recherche, j’ai personnellement fouillé le SIG pour en extraire les données de l’ESRI sur le conseil de gestion de la faune de la vallée, recueillies par les chasseurs et les trappeurs. Ils consignaient de l’information sur l’endroit où les gens chassaient le caribou pendant les quatre saisons de l’année.
J’ai effectué une analyse de la densité pour déterminer dans quelle région se concentrait la chasse, établir des comparaisons dans le temps et déterminer s’il y avait un déclin. Depuis des années, les Inuits chassent au même endroit. Nous savions que tout le monde chassait là, donc c’est une zone spéciale, parce que les Inuits continueront d’y chasser. Ils continueront d’y retourner.
C’est là où il faut faire une mise en garde environnementale. C’est une zone de chasse. Ils y vont tout le temps. Quand le promoteur le sait, il peut se doter de plans d’aménagement en conséquence et faire son travail de manière à ce que les Inuits puissent continuer de chasser. C’est véritablement l’intention d’une surveillance à long terme. C’est un objectif à long terme, et c’est la première fois qu’on met cette approche à l’essai.
Comme M. Hutchinson le disait très bien, nous sommes des pionniers avec cette recherche, dans le Nord, et nous espérons continuer en ce sens.
La sénatrice Coyle : Je vous remercie infiniment de votre témoignage et du travail que vous faites tous. C’est fascinant et absolument essentiel, de toute évidence.
Les innovations dont vous parlez, ce mariage entre les connaissances autochtones, le savoir des communautés et les connaissances scientifiques est très intéressant, tout comme votre travail novateur avec l’ADN environnemental. Je n’en avais encore jamais entendu parler, mais je suppose que nous n’avons vraiment pas fini d’en entendre parler.
Dans votre exposé, vous avez énuméré divers facteurs de stress sur ce bassin, qui est très vaste, si je comprends bien. Nous sommes allés à Baker Lake, nous sommes allés à la mine Meadowbank et nous avons survolé ce vaste territoire. Nous en avons une idée.
Vous avez mentionné un certain nombre de choses que j’aimerais approfondir. Vous avez notamment mentionné que la croissance de la population était un facteur de stress, puis vous avez également mentionné l’eau saline de la baie d’Hudson. Pourriez-vous nous en parler un peu plus? Les autres facteurs sont assez éloquents, mais je n’avais pas entendu parler de ces deux-là avant.
M. Manzo : La croissance rapide de la population est un facteur de stress parce qu’il y a à la fois une entreprise qui travaille à exploiter une mine et des gens qui déménagent à Baker Lake pour y occuper un emploi. Nous connaissons une croissance démographique très rapide. C’est un fait.
Nous avons un vaste territoire, c’est certain, assez grand pour abriter autant de personnes que nous le pourrons. Il y a ensuite l’exploitation de la mine. D’un strict point de vue géologique, il s’agit d’une ceinture très riche. On y fait très peu d’exploration compte tenu du pourcentage des indicateurs qu’on y trouve. Il nous faudra des années pour explorer la région.
Pour marier les deux types de connaissances en une seule et même voix, nous interrogeons beaucoup d’aînés, puis ciblons les endroits qui sont très importants pour eux. Il y a les endroits où ils s’approvisionnent en eau pour faire le thé : les lacs où ils recueillent de la glace pour préparer le thé et s’approvisionner en eau potable.
Ce sont des endroits importants et spéciaux pour eux. Ils y vont pour une raison.
Nous intégrons aussi la science à l’équation. C’est difficile de répondre à cela. Tout a commencé par la question : est-il sûr de boire l’eau? Quand j’ai étudié la chose lors d’une consultation, à Baker Lake, j’ai dû en vérifier les résultats à l’aide de la science pour vraiment répondre à la question. Nous ne pouvons pas vraiment répondre à cette question, parce qu’elle relève de la responsabilité du ministère de la Santé. Je me suis rendu compte plus tard, après trois années de recherches, que même le ministère de la Santé avait ses propres politiques sur les informations qui peuvent être diffusées.
Grâce à cette méthodologie, nous pouvons être sûrs que l’information est colligée. Jusqu’à maintenant, nous n’avons observé aucun indicateur d’une accumulation de contaminants dans l’eau.
M. Hutchinson : La croissance de la population, puisque nous savons tous que le Nunavut connaît la croissance démographique la plus rapide au pays, est telle que d’un point de vue environnemental, il y a aussi une augmentation du transport pour approvisionner les communautés comme celle de Baker Lake. On y transporte notamment des dizaines de millions de litres de diesel chaque année. Cela génère beaucoup d’émissions de carbone dans une région du monde particulièrement sensible. C’est un autre facteur de stress.
Le besoin d’aliments de qualité augmente aussi. La chasse risque donc de s’intensifier, tout comme la pêche, et on aura besoin de faire venir une plus grande quantité d’aliments de l’extérieur, parce que nous ne pensons pas pouvoir subvenir aux besoins de la population avec ce qu’on trouve là-bas. Luis a parlé du besoin d’eau potable de qualité, en quantité.
À l’autre bout du cycle, il y a aussi la question du traitement des eaux usées. Il y a un centre de traitement des eaux usées à Baker Lake, mais il a fallu améliorer les procédés. Ce genre d’information peut nous aider à déterminer sur quoi concentrer nos efforts de gestion.
La question de la salinité nous a été mentionnée lors de nos premières visites à Baker Lake. Les résidents nous disaient que lorsque certaines conditions de vents et de marées sont réunies à Chesterfield Inlet, l’eau du lac Baker goûte un peu le sel. Il faut se demander pourquoi et ce qui cause cela. Nous avons étudié la question et avons découvert qu’en 1964, quelqu’un avait dressé le profil de la teneur en chlore du lac Baker et avait observé des concentrations élevées d’eau salée dans le fond du bassin. Est-ce que ces eaux se sont retrouvées là quand les glaciers ont disparu et qu’il s’agit d’eau saline de la baie d’Hudson ou y a-t-il un afflux constant d’eau saline attribuable aux vents et aux marées qui y font remonter l’eau de Chesterfield Inlet? Nous y sommes allés une fois pendant l’hiver et deux fois pendant la saison sans glace. La situation change radicalement d’une saison à l’autre. Il n’y a pas toujours d’eau saline dans le lac Baker. Cela nous indique que le problème semble plutôt lié aux conditions météorologiques, aux vents et aux marées.
Si c’est lié aux changements climatiques, nous avons un problème de gestion. Si c’est ainsi depuis toujours et que cela reste occasionnel seulement, la communauté peut composer avec cela.
La sénatrice Coyle : C’est un travail très important. Cette base de données que vous avez rassemblée à partir de diverses sources et que vous actualisez vous donne au moins un point de comparaison, qui est tellement capital.
Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur son propriétaire, ses utilisateurs et ses actualisateurs?
M. Manzo : La base de données appartient à l’Association inuite du Kivalliq. Nous avons réalisé un projet avec M. Hutchinson et sa société de gestion des données — opération qui doit être confiée à des membres agréés de la profession; la compagnie doit être certifiée pour le contrôle de la qualité et figurer dans la liste des sociétés sous contrat avec l’administration fédérale. Voilà pourquoi M. Hutchinson travaille avec nous, pour saisir toutes les données que nous collectons. Actuellement, ces données sont uniquement accessibles à l’interne. L’association travaille à la construction d’un portail où elles seraient toutes accessibles.
Nous pouvons devoir changer de système ou de plateforme. Actuellement, c’est sur Access, que nous partageons avec l’administration fédérale, qui peut l’utiliser. Nous l’avons construite dans Access, sans connaître les protocoles en usage dans la famille fédérale. Voilà pourquoi je devais les garder. Nous y avons de l’espace de stockage, mais nous devons nous procurer des logiciels différents, que l’administration fédérale pourra utiliser.
Néanmoins, nous communiquons ces renseignements à tous les organismes fédéraux, qui nous rendent la pareille. Les choses en sont là, actuellement. Nous espérons recevoir du financement à la faveur de ce programme pour parachever la plateforme et publier tous les renseignements rassemblés ces 15 dernières années.
La sénatrice Anderson : Merci pour votre exposé. Vous y avez fait allusion au renforcement des capacités qui, dans la petite communauté du Nord d’où je viens, est un enjeu de taille. Est-ce que ce l’est aussi pour le programme Inuu’tuti? Je remarque que la formation qui concernait l’ADN était un exemple de ce renforcement. J’ai aussi remarqué, dans l’exposé sommaire de la conception de votre programme, l’absence de financement pour la formation en renforcement des capacités, particulièrement celle des jeunes.
M. Manzo : Oui. Vous avez raison. Nos programmes des 10 ou 15 dernières années visent à collecter des données sur l’eau, le caribou. L’un doit faire partie de l’autre, mais l’argent ne peut pas aller directement à la formation dans ce domaine. Pendant que nous nous y affairons, nous recevons une contribution — l’élément formation pour l’organisation d’un atelier. Le personnel d’abord. Quand il est entièrement formé, nous pouvons aller dans les communautés, les former. Dans les cas spécialisés dans l’ADN environnemental ou le prélèvement d’échantillons d’eau qui exige des préleveurs certifiés, nous profitons de programmes fédéraux déjà sur pied, comme ceux de formation de base au prélèvement d’échantillons d’eau.
Nous venons de signer avec l’Université du Manitoba un accord de collaboration à très haut niveau, dont l’un des éléments importants vise la formation structurée. Nous cherchons à obtenir notre propre baccalauréat, dans l’espoir de pouvoir soumettre une proposition à l’examen des organisations respectives.
Nous avons l’appui de l’Université du Manitoba, grâce à M. Stetefeld et aux doyens des facultés. Ils veulent commencer à concevoir ce programme qui sera surtout destiné aux personnes actuellement actives — 20 p. 100 d’entre elles peuvent cesser de travailler et retourner à l’école. Nous espérons que, à l’avenir, des établissements d’instruction du Nord pourront donner cette formation aux jeunes qui viennent de terminer leurs études.
C’est un programme complémentaire. C’est également un projet pilote. Nous n’en avons pas terminé la conception. Nous n’avons pas commencé les discussions avec l’Université du Manitoba. Nous savons que c’est la voie à suivre, parce que la plupart des postes fédéraux et des postes dans les administrations territoriales touchant l’environnement exigent le baccalauréat. C’est une condition presque obligatoire, parce que nous continuerons de mettre en œuvre l’accord sur les revendications territoriales. C’est ce que je peux dire sur la formation.
Nos débuts ont été modestes, de petits ateliers, et, maintenant, nous commençons à voir plus grand. Alors, comment pouvons-nous l’organiser et le présenter aux habitants du Nunavut?
La sénatrice Anderson : Dans votre rapport vous dites que vous avez demandé du financement. Qu’arrive-t-il si on vous le refuse ou s’il n’est pas suffisant?
M. Manzo : Bon. Très franchement, je m’en irai en emportant avec moi tout le travail des 15 dernières années. Nous surveillons un effet cumulatif dans l’habitat des poissons, par des prélèvements de poisson. Toutes ces questions d’environnement sont de ressort fédéral et territorial. Notre petite organisation veille aux droits des Inuits. Nous essayons de gérer cela en même temps qu’avec toutes les institutions.
Je ne vois pas comment les gouvernements, fédéral ou territorial, peuvent travailler sans nous. En même temps, je constate qu’on ne propose pas de programmes pour la collecte convenable des données.
Cela étant dit, les gouvernements nous ont aidés, ces 15 dernières années, avec un peu d’argent, par-ci par-là, à coup de 50 000 $ à 100 000 $ par année. Malheureusement, nous recevons cet argent la plupart du temps après la fin de l’été. Nous devons cogérer une partie de cet argent pour nous assurer de remplir les critères fédéraux de financement.
L’année dernière, en 2017-2018, les programmes de surveillance ont changé de cap, en s’orientant vers les changements climatiques et l’adaptation. C’est les mêmes montants, sous un nom différent, sauf au Nunavut — et c’était après la conférence de toutes les provinces et territoires pour le financement et les programmes de surveillance.
Les provinces ont décidé de ne plus faire de surveillance, parce qu’elles reçoivent suffisamment de renseignements des provinces. Elles privilégiaient donc l’adaptation au changement climatique. La décision, fédérale, s’est prise, sans tenir compte des territoires. En fait, le contraire, mais les territoires étaient minoritaires par rapport aux provinces.
En fin de compte, le changement climatique et l’adaptation sont devenus à l’ordre du jour. La surveillance a cessé. Dans le Nunavut, nous n’en faisons pas. Comment proposerons-nous l’adaptation? Nous ne pouvons même pas analyser les lacunes relativement à ce à quoi nous devons nous adapter. Notre programme cherchait à obtenir ces renseignements. Ensuite, nous pouvons y appliquer le financement relatif à l’adaptation.
Nous constatons une lacune dans le système de programmes, la limite imposée de 100 000 $, qui s’épuisent très rapidement quand tous les déplacements se font par hélicoptère jusqu’à une centaine d’emplacements, trois fois par année.
Le budget du programme en est un vrai — le prélèvement de certains échantillons dignes d’intérêt, particulièrement dans de petits secteurs, ce qui ne couvre pas vraiment tout le spectre des phénomènes à étudier dans l’environnement.
Le président : Merci. J’ai eu le privilège d’en discuter avec vous récemment, à la conférence de l’Association canadienne des prospecteurs et des entrepreneurs. Je comprends la grande importance de la surveillance, particulièrement celle de l’eau, pour le cautionnement des projets. Dans le Nunavut, le double cautionnement pose un problème pour les terres des Inuits et celles de la Couronne.
Pourriez-vous nous dire en quoi ce programme de surveillance est important pour le cautionnement à verser par les entrepreneurs pour protéger l’environnement contre les impacts de la mise en valeur? Quel est le lien?
M. Manzo : Merci, monsieur le président. Je vous sais gré de votre question, mais elle me prend un peu par surprise.
Remontons dans le temps. Nous avons signé un protocole d’entente avec le ministère des ressources en eau pour prélever en certains endroits des échantillons d’eau pour la détermination de paramètres de base, axés sur certains travaux de mise en valeur. Voilà comment nous avons lancé ce projet. Nous savions que de nouvelles mines seraient mises en valeur. L’un des aspects de l’exploitation minière que peut-être personne ne comprend est que son objectif n’est pas le roc. La plus grande valeur, en dollars, réside dans le mode de gestion de l’eau. Faute de bien gérer l’eau, il n’y a pas de mine. Point à la ligne. Il faut s’assurer de la bonne gestion de l’eau pour mettre la mine en valeur, parce que c’est la chose sûre à faire. C’est aussi simple que se protéger.
J’ai conclu un protocole d’entente avec Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada, avec qui je travaille depuis 2002. Il est encore en vigueur et les coûts sont partagés moitié-moitié entre l’Association inuite du Kivalliq et l’organisme fédéral. Nos homologues dans les autres régions ne font pas comme nous, parce qu’ils disent que c’est de ressort fédéral. Nous avons été proactifs dans la nécessité de collecter des données à cause de nos mines. Si nous ne protégeons pas les citoyens, nous ne faisons pas notre travail.
Nous avons conclu une entente de gestion des sûretés et appliqué le double cautionnement avec le ministère des Ressources naturelles du Canada, le promoteur, et l’Association inuite du Kivalliq, où se trouve la mine. Il y a eu beaucoup de discussions. Il m’a fallu 12 ans pour les faire aboutir. Je suis celui qui a proposé la première entente de gestion des sûretés, pour empêcher le surcautionnement. Trois situations peuvent se présenter. Le double cautionnement, par lequel l’État fédéral et le propriétaire foncier possèdent la totalité des sûretés, le surcautionnement quand l’État fédéral obtient un pourcentage des sûretés et le propriétaire foncier un autre pourcentage. Nous essayons d’éviter le dédoublement de ce cautionnement, bien sûr, en faveur des instituts inuits, pour les emplois les plus nécessaires dans le Nunavut. Nous avons signé avec Ressources naturelles Canada une entente de gestion des sûretés prévoyant qu’on ne cautionnerait pas en double la compagnie. Cette entente est fondamentale.
Comme l’entente se fonde sur des principes de précaution et sur l’évaluation des risques, nous y avons fait mettre « programme de surveillance ». Qu’est-ce que ça signifie? J’ai réalisé l’analyse des risques; quelles sont les responsabilités de l’association et de l’État fédéral d’après l’article 20 de l’accord sur les revendications territoriales? Dans l’article 20.2.2, on lit que l’eau doit traverser le terrain appartenant aux Inuits sans altération notable.
Pour moi, ç’a été une révélation. Cet article s’applique à l’État fédéral et au propriétaire foncier. Si l’eau qui provient d’une terre fédérale est contaminée, nous avons droit à une indemnisation et vice versa, auquel cas l’État fédéral peut se retourner contre nous. Ça englobe le cautionnement, parce que, en cas de pépin, on se sert du cautionnement si l’exploitation est faite par l’État et qu’on essaie d’atténuer l’impact causé par la contamination ou par l’omission.
Nous l’avons mis par écrit, dans l’espoir que nos partenaires avanceront l’argent pour la surveillance. Ces sûretés auront effectivement des répercussions. Je ne doute pas que nous puissions, un jour, appliquer le double cautionnement, simplement parce que nous n’avons pas les moyens de surveillance en place pour vérifier si l’industrie fait bien ce qu’elle dit faire. C’est une course contre la montre pour nous et pour les citoyens.
Voilà pourquoi nous avons consacré presque 15 ans à la recherche. Chaque fois que nous avons demandé du financement, on s’est fait demander un plan d’expérience scientifique et plus de recherche. Nous avons fini par recevoir l’estampille de tous les organismes, qui se sont dits d’accord, techniquement, avec ce plan d’expérience, mais nous ne sommes toujours pas financés. Nous ne recevons pas de financement de base fédéral, et le budget du programme n’augmente que de 1 000 $ par année. Les responsables de certains programmes ne font pas de demande pour ce type de projet.
Le président : Comme vous dites, les critères semblent être passés de la surveillance au changement climatique...
M. Manzo : Et à l’adaptation.
Le président : ... et à l’adaptation. Un plan général de surveillance est en vigueur dans le Nunavut.
M. Manzo : Oui.
Le président : Et de l’argent est réservé à ce genre de travail, de l’argent fédéral. Quel est son budget annuel?
Vous avez dit que l’appui n’était pas constant, qu’il était très fluctuant. Mais quel est le budget annuel et de quoi avez-vous besoin pour que ce programme important se poursuive?
M. Manzo : Deux fois nous avons reçu 100 000 $, dans deux exercices, puis entre 50 000 $ et 75 000 $. Ensuite, dernièrement, on a coupé les fonds généraux, temporaires et rendu le programme très pointu. On a besoin de l’élargir à d’autres régions, ce qui est parfaitement compréhensible.
Cette année, lorsque nous avons posé notre candidature pour l’ADN environnemental et un programme de surveillance, notre proposition n’a pas obtenu la priorité, faute de financement. C’est la réponse que nous avons reçue par courriel : il n’y avait pas assez d’argent pour continuer le financement.
Je veux savoir quel genre de budget a été établi. Nous l’ignorons. Mais, en fin de compte, d’après les Inuits, c’est un financement de base obligatoire. Le programme que nous avons élaboré avec Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada, l’industrie et d’autres partenaires, l’Office des eaux du Nunavut, exigeait un financement de base. Nous en sommes conscients. Pour ces trois années, nous demandons du financement.
Le président : C’est dans votre exposé, à la page 15.
M. Manzo : Le montant de 3 418 000 $ vaut pour les trois prochains exercices.
Le président : J’ai une dernière question avant de passer à la deuxième série. Vous vivez au Nunavut depuis quelques décennies. Votre région applique cette démarche fondée à la fois sur les connaissances traditionnelles et les connaissances scientifiques. Savez-vous si on la tente ailleurs aussi dans le Nunavut ou dans le Nord? Devrions-nous envisager ce modèle ailleurs?
M. Manzo : Nous espérons que d’autres régions et d’autres partenaires à nous profiteront des corrélations scientifiques que nous avons établies. C’est un excellent outil. Nous sommes la seule région à agir de la sorte. Ce n’est même pas en usage dans les programmes et les démarches de la famille fédérale. Elle fait de la consultation et prélève des données. Le lien, entre les deux, c’est la façon d’utiliser les données dans le programme.
Nous comblons le vide et nous essayons de former un tout cohérent. Tous ceux qui s’en serviront en profiteront, dans tous les programmes. Quand on élabore un programme, on peut, de fait, constater comment ça s’intègre.
Nous nous servons de cette méthode parce qu’elle nous est bénéfique à de nombreux points de vue, particulièrement pour les évaluations environnementales. Nous constatons qu’elle peut servir n’importe où. Ç’a été prouvé. Nous allons la tester cette année.
Je n’ai pas le pouvoir de conseiller au reste du monde d’utiliser le modèle. La recherche pour mettre au point une méthode n’a rien de facile. Il faut quatre années de travaux et embaucher des experts de l’extérieur du Nunavut qui viendront y rassembler les données pour élaborer ces méthodes. C’est une tâche difficile. Je ne vois pas d’autres régions créer le même outil. Nous concevons qu’elles puissent l’utiliser, mais, actuellement, cet outil n’est exigé que dans le Kivalliq. Actuellement, nous sommes la seule région à l’utiliser.
Le président : Merci.
La sénatrice Bovey : Je vous remercie pour tout. Je vais m’écarter un peu du sujet.
Docteur Hutchinson, vous avez dit, en réponse à une question de la sénatrice Coyle sur la population que les livraisons de combustible ont augmenté, et la liste n’en finit plus. Nous sommes tous très conscients, après notre voyage dans le Nord, en septembre dernier, quand des brise-glaces ont dû aller secourir un navire de croisière et un voilier, des problèmes de non-livraison d’approvisionnements dans certaines communautés du Nord. Est-ce que des communautés avec qui vous travaillez ont été privées, l’hiver dernier, de leurs approvisionnements annuels?
Ma deuxième question porte sur le combustible. Nous avons beaucoup entendu parler du combustible diésel. Vous avez parlé du carbone. Je voudrais savoir s’il se fait du travail parallèlement au vôtre, sur les éventuelles sources ou ressources en combustibles de l’avenir qui seront plus respectueuses de l’environnement. Se fait-il en parallèle de la recherche sur le sujet? Je suis consciente que je m’éloigne du sujet, mais, sans cette digression, je ne suis pas sûre que nous progresserions aujourd’hui.
M. Hutchinson : Merci, sénatrice Bovey. Pour répondre à votre première question, la seule collectivité avec laquelle j’ai travaillé l’année dernière était celle de Baker Lake et Rankin Inlet. Je ne suis pas au courant des retards associés à l’expédition.
En ce qui a trait aux retards associés au climat et à la consommation de carburant, je vais laisser Luis vous répondre. Ce que nous constatons — et ce que nous avons entendu de la part d’AEM —, ce sont les avantages associés à l’hydroélectricité provenant du Manitoba et de la côte de la baie d’Hudson pour les communautés nordiques. L’alimentation sans interruption peut être un enjeu en cas de conditions météorologiques extrêmes. Les sociétés minières ont fait valoir que certains projets pourraient devenir rentables alors qu’ils ne le sont actuellement pas avec le diesel et que chaque projet correspondait à environ 16 p. 100 des émissions de gaz à effet de serre du Nunavut. Je crois que l’hydroélectricité dans le Nord serait un atout.
Luis, vous pourriez peut-être nous parler de cette initiative.
M. Manzo : Oui, l’Association inuite du Kivalliq travaille avec le gouvernement du Nunavut, le gouvernement du Manitoba et NTI depuis le début. J’étais responsable du choix du tracé de la nouvelle route du Manitoba. C’est devenu un nouveau projet, que le gouvernement fédéral a financé il n’y a pas très longtemps. Une cérémonie a été tenue à Rankin Inlet en vue d’obtenir du financement pour recueillir les données de base et déterminer ce que sera le tracé pour les 50 kilomètres.
Nous sommes heureux que cette initiative en matière d’hydroélectricité et de fibre optique soit mise en œuvre. Nous sommes très encouragés de voir que les gens qui y travaillent réalisent des progrès, qui permettront de changer la situation dans l’Arctique, et dans la région de Kivalliq en particulier. L’hydroélectricité représente un changement important.
La sénatrice Bovey : Merci. C’est ce que je pensais, mais je croyais qu’il était bon de l’entendre aux fins du compte rendu, monsieur le président.
Le président : Oui et les membres du comité se souviendront que nous avons entendu les promoteurs à ce sujet.
La sénatrice Bovey : Oui, je crois qu’il est important de changer de cap et de réunir ces éléments importants.
La sénatrice Eaton : J’aimerais poursuivre sur la lancée de la sénatrice Bovey. Ce qui me décourage — parce que je m’intéresse beaucoup à ce qui se passe dans le Nord, puisqu’il s’agit de l’avenir du Canada —, c’est que tout semble compartimenté. On veut effectuer un contrôle environnemental, qui semble essentiel. Nous avons entendu une excellente présentation au sujet d’une ligne de fibre optique et hydroélectrique dans le Nord.
Au Comité sénatorial des finances, les représentants d’Innovation Canada disent qu’ils font ceci et cela, mais il ne semble pas... et nous savons que l’insécurité alimentaire est importante là-bas. Vous nous avez parlé, monsieur Hutchinson... vous nous avez parlé non seulement de l’insécurité alimentaire, mais aussi du besoin accru de diesel et de logements en raison de la croissance rapide de la population. Nous savons qu’il y a une pénurie de logements adéquats à Inuvik et au Nunavut.
Personne ne semble avoir de solution. Les associations inuites du Nord — qu’elles soient au Nunavut, à Inuvik ou ailleurs dans le Nord — doivent se réunir, préparer un plan et dire au gouvernement: « Voici ce dont nous avons besoin et voilà les délais à respecter. »
Dans un grand pays comme le Canada, tout semble être compartimenté. Vous faites des choses fascinantes à l’Université du Manitoba. Je suis certaine que quelqu’un à l’Université Laval en fait tout autant, mais personne ne se parle.
Avez-vous déjà parlé de vous réunir avec d’autres régions du Nord pour établir le plan que le gouvernement fédéral semble incapable de faire pour lui-même?
M. Manzo : Oui, vous avez raison. Dans mon domaine d’expertise, la surveillance, il faut faire deux choses très importantes dans le cadre de toutes les activités. La première consiste à terminer le plan d’aménagement du territoire... qui est en cours depuis de nombreuses années, afin d’avoir une idée des activités qui peuvent ou ne peuvent pas être réalisées dans certaines régions du Nord. La deuxième, en ce qui a trait à la surveillance de façon précise, c’est que l’autorité de gestion des eaux doit nous demander tous ces renseignements afin de préparer une politique pour nous orienter dans la façon de recueillir les renseignements.
La sénatrice Eaton : Parce que c’est bien de faire ce que vous faites dans le secteur de Baker Lake, mais qu’en est-il de Kuujjuaq ou d’Iqaluit? C’est tellement vaste, mais est-ce que l’information se rend dans les autres régions du Nord?
M. Manzo : Nous travaillons en collaboration avec RCAANC et avec Environnement et Changement climatique Canada. Nous travaillons aussi avec l’industrie. Tout le monde a cette information. Elle est difficile à mettre en œuvre parce qu’il faut du financement.
La sénatrice Eaton : Je sais.
M. Manzo : C’est la base. Lorsqu’on étudie une région et qu’on ne sait pas si sa conception fonctionnera, il faut faire plus de recherches pour déterminer si elle fonctionnera au Nunavut et quel sera le budget connexe. À mon avis, il s’agit d’un portefeuille fédéral. Il faut étudier minutieusement la façon dont on surveillera les eaux dans le Nord, déterminer la fréquence des contrôles et choisir les cours d’eau à surveiller. On ne peut pas seulement effectuer un contrôle sans bonne raison. Il faut faire comme les provinces : elles ont des lignes directrices et des cadres, et ont en place des stations hydrométriques.
Il est très difficile d’installer des stations hydrométriques dans le Nord. C’est difficile d’en obtenir une ou deux. Elles coûtent très cher à rouvrir.
Ce n’est pas le mandat des associations régionales, mais bien celui du gouvernement fédéral. Nous contribuons à la machine, tout simplement. Mais je crois qu’il s’agit de l’un des meilleurs programmes dans le Nord. Il n’y a rien de comparable.
La sénatrice Eaton : C’est ce que je dis. Ce serait bien si d’autres régions nordiques apprenaient à faire ce que vous faites, à associer les connaissances autochtones aux sciences exactes, et si la surveillance était faite partout. En d’autres termes, vous avez créé quelque chose et ce serait bien si cela pouvait se répandre partout dans le Nord.
M. Manzo : C’est ce que nous tentons de faire. Nous rencontrons les conseils et les AIR afin d’offrir des présentations aux collectivités. L’Office des eaux siège à notre comité. Il a un accès direct à tous nos renseignements. Il effectue ses propres mesures du bassin de stockage de l’eau.
C’est ce qui nous permet de dresser un portrait global de la situation en vue d’obtenir un financement du gouvernement fédéral, ce que nous n’arrivons pas à faire. Nous avons un modèle et un projet pilote émanant de 17 années de recherche.
Nous ne travaillons pas de façon compartimentée, comme vous le dites. Le gouvernement fédéral siège à ce comité depuis le début... à l’Office des eaux du Nunavut. Hutchinson Environmental Sciences aussi, tout comme nos collègues scientifiques d’EDM et de l’industrie.
C’est frustrant. Dans le secteur privé, on avance rapidement. Les budgets sont là. Nous avons de la difficulté à obtenir un financement d’un an. En l’absence d’un tel financement, nous devons travailler avec à peine 50 000 $ et nous tentons de recueillir les données. Il faut déterminer les éléments à surveiller en priorité avec ce montant d’argent.
C’est pourquoi nous sommes ici aujourd’hui... c’est pour que vous constatiez le travail qui est fait et pour le publiciser, parce que le travail que nous présentons au comité représente de nombreuses années de collecte de données.
Vous avez raison de dire que d’autres institutions ne présentent pas de projet dans la région ou ne veulent pas le faire, mais c’est un enjeu politique.
La sénatrice Eaton : Non, c’est une question de planification.
Le président : Nous allons nous arrêter là. Le comité relève du gouvernement fédéral. La sénatrice Eaton a posé une question que j’aimerais vous poser à nouveau en guise de conclusion. L’accord sur les revendications territoriales prévoit l’obligation — pour le gouvernement fédéral dans ce cas-ci — de surveiller l’environnement. L’article 20 prévoit des dispositions strictes relatives à l’eau.
Que doit recommander le comité au gouvernement fédéral afin de veiller à ce que cette obligation importante et ce modèle que vous avez élaboré pour tenir compte des connaissances autochtones soient respectés et mis en œuvre? Que devons-nous recommander? Quels changements doivent être apportés?
M. Manzo : Au cours des trois premières années, il faudrait un seul programme Inuu’tuti — pour veiller à ce que nous ayons les normes requises pour recueillir les données — jusqu’à ce que la famille fédérale puisse demander un financement de base et prendre la relève du programme. C’est ce qui doit se passer. Il faut accroître le financement du bureau d’Iqualuit, le bureau des ressources hydriques, pour qu’il puisse mettre en œuvre ce que nous avons conçu.
Nous continuerons de collaborer avec eux et avec l’industrie dans le cadre de cette transition. Les intervenants ont besoin d’un financement spécifique pour le projet; d’un financement intérimaire et d’un financement de base.
Le président : Très bien. Merci à vous, monsieur Manzo, ainsi qu’à vos collègues et partenaires, pour vos témoignages. Ils seront très utiles au comité.
(La séance est levée.)