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ARCT - Comité spécial

Arctique (spécial)

 

Délibérations du Comité sénatorial spécial sur l'Arctique

Fascicule no 23 - Témoignages du 20 mars 2019


OTTAWA, le mercredi 20 mars 2019

Le Comité sénatorial spécial sur l’Arctique se réunit aujourd’hui à 11 h 32 pour examiner les changements importants et rapides qui se produisent dans l’Arctique et les effets de ces changements sur les premiers habitants.

Le sénateur Dennis Glen Patterson (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Je vous souhaite la bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial spécial sur l’Arctique.

Je suis Dennis Patterson, sénateur qui représente le Nunavut, et j’ai le privilège de présider ce comité. Puis-je demander aux sénateurs qui sont autour de la table de bien vouloir se présenter, à commencer par la vice-présidente, s’il vous plaît?

La sénatrice Bovey : Patricia Bovey, Manitoba.

La sénatrice Anderson : Margaret Dawn Anderson, Yellowknife, Territoires du Nord-Ouest.

La sénatrice Duncan : Pat Duncan, Yukon.

La sénatrice Coyle : Mary Coyle, Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Neufeld : Richard Neufeld, Colombie-Britannique.

Le sénateur Oh : Victor Oh, Ontario.

Le président : Je vous remercie, chers collègues. Pour notre étude sur les changements importants et rapides qui se produisent dans l’Arctique et les effets de ces changements sur les premiers habitants, nous recevons aujourd’hui, comme premier groupe de témoins, Coral Voss, directrice générale de l’Institut de recherche communautaire de l’Arctique, ainsi que Norma Kassi, cofondatrice et directrice de la collaboration autochtone à l’institut.

Si je ne me trompe pas, nous accueillons également parmi nous deux anciennes députées provinciales du Yukon aujourd’hui, soit la sénatrice Duncan et Mme Kassi.

Je vous remercie toutes deux de vous joindre à nous. Je vous invite maintenant à nous présenter votre exposé, après quoi nous tiendrons une période de questions.

Coral Voss, directrice générale, Institut de recherche communautaire de l’Arctique : Merci beaucoup, monsieur le président. Je salue les honorables sénateurs. Je souhaite remercier le comité de m’avoir invitée aujourd’hui à venir discuter avec vous de l’Arctique, une région que j’ai le très grand privilège d’appeler mon chez-moi.

Je suis directrice générale de l’Institut de recherche communautaire de l’Arctique, dont les bureaux se trouvent à Whitehorse, au Yukon. Je suis accompagnée de Norma Kassi, que je laisserai se présenter et prononcer notre déclaration maintenant.

Norma Kassi, cofondatrice et directrice de la collaboration autochtone, Institut de recherche communautaire de l’Arctique : Merci. Bonjour tout le monde. Je vous remercie beaucoup de nous fournir cette occasion, honorables sénateurs. J’aimerais aussi souligner la contribution de la ministre Carolyn Bennett, à qui nous devons la politique sur l’Arctique, ainsi que celle de mon amie Mary Simon, pour tout le travail qu’elle a fait sur cette politique.

Je m’appelle Gwahatlati, celle qui donne sa dernière tasse de thé. Je suis cofondatrice de l’institut, comme on l’a dit. Je suis également conseillère auprès de l’Indigenous Leadership Initiative et codirectrice du Réseau canadien des montagnes. Je vous toucherai quelques mots de chacune de ces initiatives auxquelles nous travaillons, parce qu’elles sont toutes très importantes pour le Cadre stratégique pour l’Arctique.

Nous avons créé l’Institut de recherche communautaire de l’Arctique en 2007 et avons alors analysé quelles étaient les priorités, au Yukon, pour la recherche communautaire en matière de santé. Les grandes priorités qui sont ressorties à l’époque étaient la santé et le bien-être des jeunes, les changements climatiques et les stratégies de lutte contre l’insécurité alimentaire. Depuis, nous recevons des conseils très judicieux de nos aînés autochtones des collectivités territoriales du Yukon, et leur plus grande préoccupation est de préparer les jeunes en vue des temps difficiles qui s’annoncent.

Nous sommes bien placés pour former nos jeunes, leur transmettre nos connaissances, les mobiliser et les éduquer en vue de tous les défis qui se dressent devant eux pour s’adapter aux changements climatiques, puis assurer notre sécurité alimentaire et notre approvisionnement en eau.

Depuis 2007, nous formons des jeunes du Nunatsiavut, du Yukon et des Territoires du Nord-Ouest. Nous en faisons des ambassadeurs, des ambassadeurs de la lutte contre les changements climatiques, et nous leur donnons des outils pour qu’ils puissent intervenir dans les collectivités. Nous leur donnons des outils de recherche, leur apprenons à faire de la recherche communautaire. Nous leur apprenons aussi à défendre leurs intérêts et leurs convictions quand ils retournent dans leur communauté.

Nous utilisons, dans notre enseignement, la roue de médecine, soit le mode d’enseignement autochtone dont les quatre quadrants sont la terre, l’air, le feu et l’eau, et nous les formons sur tout ce qui se passe dans ces quatre dimensions de notre Terre mère. Nous leur présentons le contexte mondial, puis le contexte national et enfin, les effets sur leurs collectivités dans une perspective mondiale.

Nous travaillons avec des scientifiques de renom de partout au Canada, qui viennent participer aux séances de formation pour leur présenter une perspective scientifique, comme nous utilisons la sagesse ancienne de nos aînés et le savoir traditionnel autochtone.

Nous leur enseignons aussi comment mener une évaluation communautaire. Nous en organisons avec eux, puis ce sont eux-mêmes qui font les évaluations. Ils vont dans leur communauté, où ils posent des questions très difficiles sur le déclin des espèces importantes pour l’alimentation et les stratégies alimentaires dont nous avons besoin pour l’avenir.

Je dois mentionner la ferme de la Première Nation de Carcross/Tagish, de même que la ferme Tr’ondëk, la ferme TH, qui sont très, très importantes pour l’avenir des stratégies alimentaires au Yukon.

Nous étudions également les espèces aquatiques et l’approvisionnement à long terme en eau potable. Nous demandons à nos jeunes d’analyser la situation de leur communauté dans ce contexte et de faire de la planification de la préservation.

Le feu est un autre élément fondamental dans nos enseignements, parce que la plupart de nos forêts, au Yukon, ont été ravagées par le typographe de l’épinette. Elles sont très, très sèches, et il semble que nous devions nous préparer à des feux de forêt. Nous enseignons aux jeunes à poser ce genre de questions difficiles aux membres de leur peuple : avons-nous un plan? Avons-nous un plan d’évacuation? Comment veillerons-nous à ce que les évacuations se fassent de manière culturellement sensible? Comment notre communauté adhérera-t-elle au programme Intelli-feu, entre autres?

Nous sommes aussi en train de concevoir un programme et des trousses d’outils qui pourront être partagés partout au Canada. Ils se fondent sur leur évaluation de leur communauté, donc nous les offrirons partout au Canada, comme le programme lui-même, qui est sous presse en ce moment.

Je sais que je dois me dépêcher, mais je souhaite saisir l’occasion de remercier Savoir polaire Canada, le ministère des Relations Couronne-Autochtones et des Affaires du Nord Canada, de même que la Fondation Trudeau, qui nous aident depuis 2017 à offrir ce genre de formation. À titre de conseillère auprès de l’Indigenous Leadership Initiative, je souhaite également remercier le gouvernement du Canada de toutes les occasions de collaboration qu’il nous offre dans le cadre de son programme pour créer les gardiens de la terre et de l’eau, dont on ne saurait trop souligner l’importance et qui sont tellement nécessaires au Canada pour protéger les terres visées par l’Objectif 2020 et les autres aires protégées autochtones.

Ces 25 millions de dollars serviront à financer un projet pilote destiné à augmenter le nombre de gardiens au Canada et à prévoir le genre de formation dont ils auront besoin. Ils sont nos yeux et nos oreilles sur le terrain pour protéger nos territoires. Nous voyons ce programme comme un outil puissant qui pourrait faire partie de la réconciliation avec le Canada. Nous avons besoin de nombreux gardiens des terres autochtones au pays.

Je dois également vous toucher quelques mots du Réseau canadien des montagnes et des recherches scientifiques auxquelles il collabore depuis deux ans. Nous avons soumis une demande aux RCE, en collaboration avec l’Université de l’Alberta, qui met l’accent sur le mariage entre la science et la recherche autochtone.

Nous ciblons aussi, dans notre demande, la connaissance et la mobilisation de la maternelle à la douzième année et nous mettons de l’avant trois modes de recherche. Le premier est celui de la recherche universitaire telle qu’on la connaît et se veut un incitatif aux collaborations avec les peuples autochtones. Le deuxième mode est celui du double regard, qui se veut lui aussi une collaboration entre les chercheurs des universités et les peuples autochtones, et nous sommes des pionniers à cet égard. Enfin, nous espérons que le troisième mode de recherche du Réseau canadien des montagnes soit celui de la recherche menée par les Autochtones des communautés eux-mêmes. Nous favorisons les recherches utiles pour les communautés, dont les résultats mèneront à l’action.

Je souhaite remercier la ministre de l’Environnement de son appui. Nous nous réjouissons à l’idée de travailler avec le Canada.

Il y a également la Réserver faunique nationale de l’Arctique. Je dois vous en parler un peu. Nos peuples sont frappés de plein fouet par les changements climatiques. Le rythme accéléré auquel ils les frappent est incroyable, mais l’enjeu le plus inquiétant est celui de nos caribous. Notre harde est la dernière et la plus grande qui reste sur la terre, et notre peuple s’en occupe depuis des milliers d’années. Il y a des restes humains de membres de mon peuple qui datent d’il y a 27 000 ans qui montrent que nous nous occupions déjà des caribous à cette époque. Il ne nous en reste qu’une harde.

Le gouvernement des États-Unis fonce tête baissée vers l’ouverture de cette réserve faunique nationale dans le Nord-Est de l’Alaska, et le Canada nous appuie depuis presque 30 ans dans notre volonté qu’il n’y ait pas de développement ni d’exploitation dans la Réserve faunique nationale de l’Arctique. Je tiens à répéter pour le compte rendu à quel point c’est important. Cela nuira à l’Arctique et ne fera qu’accélérer davantage les changements climatiques.

C’est le seul lieu sacré où la vie commence, où tous ces animaux mettent bas. Les ours polaires et les oiseaux du monde entier y séjournent, et la vie même de mon peuple est en péril. Je dois dire au Canada que nous devons absolument mettre un frein à tout cela par tous les moyens possibles.

Je vous remercie beaucoup de m’offrir cette tribune.

Le président : Merci beaucoup. Madame Voss, voulez-vous ajouter quelque chose?

Mme Voss : Oui, merci. Quand j’ai reçu cette invitation, j’ai eu du mal à déterminer ce que je voulais dire au comité. Comme Norma, j’ai tout de suite pensé que je voulais vous parler de cette jeunesse magnifique qui vit au Yukon, de ses peurs et de ses inquiétudes quant à l’avenir, mais aussi de sa force et de son espoir.

Nous venons tout juste, à l’IRCA, de terminer une deuxième série d’ateliers pour les champions communautaires autochtones des changements climatiques, au Yukon, dans le cadre de ce qu’on appelle le projet YIC4, une formation échelonnée sur deux ans. Norma en a parlé un peu, et elle se fonde sur la trousse d’outils qu’elle vous a montrée. J’en ai apporté quelques exemplaires supplémentaires, si le comité souhaite y jeter un coup d’œil.

Cette formation vise à ce que les jeunes retournent dans leur communauté pour y évaluer ce qu’ils peuvent faire. Pourrions-nous adopter l’énergie solaire? Pourrions-nous utiliser la biomasse? Comment pouvons-nous intégrer le programme Intelli-feu?

Dans le cadre de la dernière série d’ateliers que nous avons offerte, les jeunes ont rencontré des dirigeants de leurs communautés, de l’extérieur de leurs communautés, des scientifiques, des responsables du programme Intelli-feu et des pompiers qui interviennent pendant les feux de forêt au Yukon. Les experts leur ont également parlé de sécurité alimentaire, et les jeunes ont eu de nombreuses occasions de discuter entre eux et avec nous des changements climatiques.

De plus, ils devaient préparer une proposition à soumettre pour du financement, s’ils le souhaitaient, pour répondre à un besoin qu’ils avaient observé dans leur communauté. Je vous ai apporté quelques exemples des enjeux soulevés par les jeunes dans leurs propositions.

Les effets que les jeunes constatent dans leurs communautés varient beaucoup : il y a les changements visibles sur les terres, comme ceux dans les populations de plantes et d’espèces animales; il y a le climat et les étés plus secs qui causent plus de feux dévastateurs qu’avant et des hivers plus chauds, mais moins d’eau au printemps parce que nous avons moins de neige; il y a la raréfaction des ressources alimentaires attribuable à l’apparition de nouvelles espèces, à une perte d’habitat et à de graves déclins des populations, et dans certaines régions, certaines espèces sont carrément disparues; il y a aussi la perte d’habitat attribuable à l’instabilité des biomes et à la perte de biodiversité; il y a la fonte du pergélisol et son effet sur les bâtiments, la stabilité des routes et l’aspect physique des terres; enfin, il y a l’insécurité alimentaire et l’accès réduit à l’eau potable.

En revanche, grâce à l’espoir qu’ils nous apportent, ils entrevoient dans beaucoup de leurs propositions des mesures d’adaptation et des stratégies d’atténuation des effets. Pour l’intégration du programme Intelli-feu, ils parlent de former les jeunes et les autres membres de leur communauté non seulement aux techniques Intelli-feu, mais aussi à des choses simples comme à la préparation de boîtes de fournitures essentielles, au cas où les gens n’auraient que 15 minutes pour quitter avant qu’un feu ne frappe la collectivité. Il y a aussi l’énergie verte, qu’on parle du solaire, de l’éolien ou de la biomasse. Il y a les programmes de recyclage communautaires, les projets d’agriculture, pour l’aménagement de fermes ou de conteneurs hydroponiques. Ils proposent aussi des camps continentaux pour les enfants et les adolescents et des programmes de gardiens des terres.

Je voulais simplement vous parler un peu de nos jeunes et de ce qu’ils nous ont proposé pendant ces séances de formation. Je vous remercie de votre écoute.

Le président : Merci.

La sénatrice Bovey : Merci beaucoup. Ce que vous nous racontez ce matin est très impressionnant. C’est très pertinent et concret. J’apprécie toujours les initiatives concrètes qui tablent sur nos racines existantes. J’admire les formules collaboratives que vous avez mises de l’avant.

Comme vous le savez, nous examinons ce cadre sur l’Arctique, et vous savez très bien qu’on suit nos travaux dans les six domaines qui occupent le gouvernement.

D’après votre expérience et les leçons que vous en tirez, pouvez-vous répondre à deux questions? Que faites-vous pour tirer des leçons de vos apprentissages, qui sont très positifs, et les faire connaître au pays? Je vous vois vraiment comme des leaders des méthodes scientifiques et communautaires qui incluent les jeunes, le savoir autochtone et la science empirique.

Ma deuxième question est la suivante : que tenez-vous à voir dans notre rapport pour que vous puissiez pousser votre travail et votre leadership encore plus loin?

Mme Kassi : Je vous remercie, sénatrice. On nous a demandé de présenter nos travaux à divers endroits au Canada et même à quelques reprises à l’étranger ces dernières années. Nous présentons les résultats de notre formation pour les jeunes et nous sommes en train de préparer un programme, une trousse d’outils pour les collectivités, qu’elles pourront utiliser et partager au Canada.

Notre financement nous vient du Programme sur le changement climatique et l’adaptation du secteur de la santé. Il offre un webinaire et toutes sortes de communications en ce sens. Nous faisons tout ce que nous pouvons pour faire connaître nos travaux au Yukon. Partout au Canada, il y a des gens qui nous demandent de venir rencontrer les membres de leur communauté pour leur faire part de nos connaissances et faire tout ce que nous pouvons.

Ce qui nous aiderait surtout serait un appui continu du gouvernement du Canada, pour que nous puissions poursuivre le travail que nous essayons d’accomplir sur le terrain. Nous savons que les peuples autochtones du Canada sont des chefs de file de l’adaptation aux changements climatiques et de l’atténuation des effets dans bien des domaines, et pas seulement celui de l’énergie verte. Nous devons tabler sur ces succès.

Nous avons immédiatement besoin de stratégies pour assurer la sécurité alimentaire sur nos territoires, et ce devrait être un peu comme quand on jette un caillou dans l’eau, l’initiative doit venir de la communauté, puis s’étendre à tout le territoire.

Nous devons aussi former des pompiers. Hier, les jeunes réclamaient qu’on forme des pompiers, au moins 20 dans chaque nation. Il y a six nations présentes sur le territoire du Yukon. C’est le genre de mesure immédiate que les divers ordres de gouvernement doivent s’efforcer de prendre, ensemble.

Les changements climatiques restent confinés à la politique. Nous devons passer à l’action. Nous devons prendre des mesures concrètes, donc nous faisons de petits pas, mais pour les collectivités, ils sont grands. Ce sont des mesures très importantes que nous prenons. J’espère avoir réussi à répondre à votre question.

La sénatrice Bovey : Madame Voss, avez-vous quelque chose à ajouter?

Mme Voss : De quoi avons-nous besoin? Je pense qu’il serait excessivement utile de nous assurer d’un financement pour les initiatives destinées aux jeunes. Les jeunes nous ont fait toutes sortes de propositions. Nous pourrions toujours demander une subvention au CRSH, mais à qui un jeune de 20 ans qui n’est pas inscrit à l’université peut-il s’adresser? Il n’y a pas de financement hors du cadre des universités pour tous ces jeunes qui voudraient prendre le leadership et que nous formons pour donner vie à ce genre de projets, particulièrement en ce qui concerne les énergies vertes et la formation pratique pour les jeunes. Il faut trouver du financement pour ces projets, qui peuvent être très coûteux, surtout pour les petites communautés accessibles seulement en avion comme Old Crow. On veut pouvoir y faire venir des scientifiques, mais on veut aussi solliciter les aînés. Il faut donc faire venir des scientifiques à Old Crow par avion, puisque c’est la seule façon d’accéder au village. Il en coûte très cher à la communauté de mener ce genre de projet sur le terrain. Je pense qu’il faudrait aussi trouver des moyens d’offrir du financement hors du cadre universitaire habituel.

La sécurité alimentaire est vraiment un enjeu central aussi. Je sais qu’il y a quelques projets en cours au Yukon College, dont des projets de jardinage — je le sais, parce que je les utilise pour ma propre maison —, il y a des projets de construction de serres, des collaborations entre communautés pour la mise en place de vastes systèmes hydroponiques, parce que ce genre de système coûte un demi-million de dollars. Si nous avions accès à des fonds pour en payer une partie, alors deux ou trois communautés pourraient se mettre ensemble pour construire une grande serre hydroponique.

Je pense qu’il y aurait place à différentes formes de financement pour des projets concrets sur le terrain. J’espère que cela répond à votre question.

Le président : Le Programme sur le changement climatique et l’adaptation du secteur de la santé est financé par Services aux Autochtones Canada, si je ne me trompe pas. Je vais demander au page de faire circuler la trousse que vous avez mentionnée, madame Kassi, pour que nous puissions y jeter un coup d’œil pendant que nous vous posons des questions.

Le sénateur Oh : Je remercie les témoins de leurs présentations très détaillées.

Notre comité a eu le plaisir de voyager un peu l’an dernier. Nous avons traversé l’Arctique et y avons vu beaucoup de choses. Nous avons rencontré des gens de différentes communautés.

Voici ma question : quels seraient les plus grands défis auxquels l’IRCA est confronté?

J’ai aussi une autre question. Pendant notre voyage, l’une des plus grandes difficultés était probablement l’accès à Internet, à la large bande, à la fibre optique et toutes les communications avec le monde extérieur. Si vous voulez mener des recherches, vous devez pouvoir communiquer avec le monde extérieur. Comment faites-vous pour diffuser de l’information afin de stimuler l’économie tout en faisant tout cela?

Mme Voss : Je peux vous parler de la situation avec l’Internet — tout au moins en ce qui me concerne personnellement. Comme nous n’avons qu’un seul fournisseur à Whitehorse, le service est extrêmement cher. Je ne sais pas s’il existe une façon plus économique d’offrir ces services dans les différentes collectivités ou d’augmenter le nombre de fournisseurs de manière à exercer une pression à la baisse sur les prix.

Quant aux besoins de notre institut, je peux vous dire en ma qualité de directrice générale qu’il nous faudrait un financement de base permanent. Nous sommes une organisation sans but lucratif qui dépend des subventions qu’elle reçoit. Je passe donc la moitié de mon temps à préparer des demandes de subvention pour le financement de l’institut. Il faudrait que nous puissions présenter une demande de financement de base dans le cadre d’un programme quelconque de manière à nous assurer de toujours pouvoir aller de l’avant sans crainte de ne pas pouvoir obtenir la prochaine subvention disponible et de nous retrouver sans ressources pendant une période plus ou moins longue. La possibilité d’accès à du financement de base pourrait donc certes me faciliter la tâche dans mon rôle de directrice générale.

Mme Kassi : Comme le disait Coral, nous sommes un organisme sans but lucratif qui ne bénéficie pas d’un financement de base. Un tel financement nous permettrait vraiment d’aller de l’avant de telle sorte que d’autres communautés puissent avoir accès à notre gamme de programmes et d’outils. Les gens des Territoires du Nord-Ouest voudraient nous parler, et c’est la même chose pour les Autochtones du Nord de la Colombie-Britannique. Nous ne pouvons pas simplement sauter dans notre voiture pour nous rendre là-bas, parce que nous n’avons pas le financement nécessaire.

Nous avons aussi créé un outil de repérage sur notre site web. Si vous visitez le site www.aicbr.ca, vous verrez notre carte. En cliquant sur l’une des collectivités désignées, vous apprendrez ce qui s’y passe en matière de lutte contre le changement climatique, de formation ou d’autres interventions. Ce petit outil vous permet donc de savoir ce qui se fait dans les différentes communautés du Yukon.

Nous faisons de notre mieux pour communiquer le plus de renseignements possible. Il est toutefois bien certain que nos ressources sont limitées.

Le sénateur Oh : J’ai regardé ce matin à CBC une interview où l’on indiquait à quel point l’accès aux services à large bande pouvait être problématique dans le Nord. J’en ai fait moi-même l’expérience lorsque j’ai visité l’Arctique. J’ai acheté un foulard pour mon épouse, et il a fallu beaucoup de temps pour valider la transaction avec ma carte Visa.

Pour que la croissance économique soit possible, je crois que vous avez besoin de meilleurs services à large bande pour communiquer avec le monde extérieur.

Mme Voss : Je peux vous donner un bref exemple à ce sujet. Je viens d’acheter avec mon conjoint une propriété à environ 25 minutes de Whitehorse. Les coûts de connexion à l’Internet sont substantiels, sans compter que nous avons dû également faire installer un amplificateur auxiliaire pour que l’Internet devienne vraiment utilisable. Nous ne sommes pourtant qu’à 25 minutes à peine de la ville de Whitehorse. Je conviens donc avec vous que la situation est problématique s’il suffit de s’éloigner d’une vingtaine de minutes pour que les choses se compliquent à ce point.

La sénatrice Eaton : Je vous prie d’excuser mon retard, mais j’étais prise ailleurs.

À la lumière de ce que j’ai pu lire dans vos documents, c’est la question de la sécurité alimentaire qui m’interpelle. Notre comité en a fait l’expérience alors que nous n’avons pas pu nous rendre à Nain, ce qui nous a obligés à retourner à Kuujjuaq. Nous avons alors dû nous partager un seul et unique poulet. Nous avons ainsi constaté à quel point votre situation pouvait être précaire.

Des témoins du Labrador nous ont indiqué qu’ils devaient apprendre aux jeunes de la prochaine génération comment chasser avec des chiens. Autrement dit, une grande partie des connaissances autochtones sont en train de se perdre. Je me demandais si vos jeunes de la prochaine génération ont les connaissances et les compétences nécessaires pour assurer leur subsistance alimentaire par des moyens traditionnels. Si c’est bel et bien le cas, est-ce que les ressources seraient suffisantes pour satisfaire à vos besoins?

Mme Kassi : Le problème vient surtout du fait que les espèces à la base de notre régime alimentaire sont en déclin et de plus en plus difficiles d’accès. Il n’y a plus suffisamment de neige et de glace pour nous permettre de nous rendre dans nos zones de chasse traditionnelles en traîneau à chiens ou en motoneige, ou par quelque moyen de transport que ce soit. C’est un obstacle majeur pour nos communautés qui doivent ainsi composer avec toutes sortes de difficultés.

Comme vous le savez, l’insécurité alimentaire prend de l’ampleur au pays. Le coût des denrées est vraiment trop élevé. Notre communauté, Old Crow, est bénéficiaire du programme Nutrition Nord. Nous sommes d’ailleurs la seule au Yukon. Heureusement que nous avons nos caribous et qu’il y a toujours des orignaux en abondance dans notre région. Nous ne nous sommes jamais livrés à la commercialisation de nos aliments traditionnels.

Nous avons fait de notre mieux pour prendre bien soin de nos ressources aussi longtemps que nous le pouvions. C’est ce que nous avons toujours fait. Cependant, en raison des changements climatiques et de la mutation des habitats, nous n’avons pas vu de caribous dans mon village au cours des cinq dernières années. Ils ne passent plus par notre localité ou par les Territoires du Nord-Ouest.

La sénatrice Eaton : Est-ce que vous en faites l’élevage, ou bien...

Mme Kassi : Non, pas du tout. Ils vivent tous en liberté à l’état sauvage comme c’est le cas depuis des milliers d’années.

Ils mettent bas dans le Nord-Est de l’Alaska. Comme à chaque année, 40 000 veaux sont nés là-bas au mois de juin dernier. Ils entreprennent ensuite leur parcours migratoire en visitant tous nos villages. Nous sommes ainsi une douzaine de communautés à en tirer une partie de notre approvisionnement alimentaire. Ils retournent ensuite dans leurs aires de mise bas. C’est ce qu’ils sont en train de faire actuellement.

L’insécurité alimentaire est effectivement un problème important. Les gens de certaines communautés du Yukon nous ont invités à nous rendre sur place afin d’élaborer avec eux une stratégie en matière de sécurité alimentaire. Nous nous y rendons pour poser les bonnes questions aux aînés afin de tirer vraiment les choses au clair. Nous nous assoyons avec ces aînés qui sont parfois des octogénaires. Ils ont déjà connu des périodes de famine. Ils ont alors eu recours au partage et à d’autres méthodes ancestrales semblables. Nous repérons ces aînés et nous leur posons des questions très pointues. Comment vos gens vont-ils pouvoir survivre à l’avenir compte tenu de l’accélération des changements climatiques? Les choses vont évoluer et les ressources alimentaires vont diminuer. Les gens vont connaître la famine, comme c’est le cas ailleurs dans le monde. Nous leur posons toutes ces questions et ils élaborent une stratégie en fonction des réalités locales.

Il faut d’abord et avant tout préserver et protéger toutes les espèces encore existantes aussi longtemps que possible. Il faut aussi s’assurer d’avoir accès à de l’eau potable propre. Nous devons également faire un suivi continu de la santé de nos poissons qui sont contaminés par le mercure provenant de la fonte du pergélisol. Il faut que chaque communauté planifie son approvisionnement en ressources alimentaires traditionnelles.

Il y a aussi des communautés qui font des plans en matière de jardinage. Certaines ne se sont jamais livrées à cette activité auparavant; d’autres oui. Dans la partie sud du Yukon et dans la région de Dawson, nous avons des terres qui se prêtent particulièrement bien à la culture. On conçoit donc des jardins et on prépare les sols en conséquence.

Nous leur posons des questions très directes : vers quoi allez-vous vous tourner pour remplacer le caribou, l’orignal et le saumon? Ils nous disent qu’ils vont devoir apprendre des techniques d’élevage. Il y a un mouvement dans ce sens-là au Yukon.

La ferme de la Première Nation des Tr’ondëk vient d’obtenir un demi-million de dollars pour étendre ses activités agricoles, le tout assorti d’un financement de contrepartie. On va ainsi desservir le Yukon et les collectivités du Nord. Il y a aussi des fermes plus au Sud comme celle de la Première Nation de Carcross/Tagish. Ce sont des communautés qui se sont donné une stratégie en matière de sécurité alimentaire.

Au sein des Premières Nations du Yukon, et chez les jeunes tout particulièrement, on discute maintenant d’une stratégie alimentaire misant sur l’entraide entre l’ensemble des communautés et des nations autochtones du Yukon. C’est là où on en est rendu. Ne dit-on pas que les solutions doivent venir de nous? Ce n’est pas la première fois que nous vivons une situation semblable.

La sénatrice Eaton : Vous avez recours aux connaissances traditionnelles?

Mme Kassi : Oui, nous utilisons toutes nos connaissances traditionnelles. C’est ce que nous faisons quand nous nous rendons dans les différentes communautés. Nous rencontrons les aînés et ceux qui possèdent ces connaissances afin de pouvoir en tirer pleinement parti. Nous les intégrons à nos recommandations.

La sénatrice Eaton : Nous avons entendu lundi des témoignages fort intéressants quant à l’utilisation conjointe, pour l’évaluation de la qualité de l’eau, de la science pure et des connaissances traditionnelles relativement aux différentes espèces de poisson. C’était vraiment fascinant. Il est formidable que l’on puisse ainsi combiner les deux.

Mme Kassi : Oui.

La sénatrice Eaton : On peut aussi penser aux serres et à la culture hydroponique, une excellente idée à mon avis. Le gouvernement devrait appuyer cette démarche sans aucune hésitation. Je suppose que c’est la lumière qui manque dans votre région. Vous pourriez produire des légumes à l’année longue si vous aviez suffisamment d’électricité pour conserver de l’éclairage assez longtemps?

Mme Kassi : Oui. Dans ma communauté, c’est un peu difficile. Il fait jour 24 heures sur 24 pendant l’été.

La sénatrice Eaton : Je sais, et pas du tout pendant l’hiver.

Mme Kassi : Oui, nous avons beaucoup de lumière et d’ensoleillement. La température se réchauffe. C’est le sol qui nous fait défaut. Ma localité repose sur le pergélisol. Nous n’avons pas un sol propre à la culture comme c’est le cas à Burwash et dans la partie sud du Yukon. Il faudra ajouter du compost, de la terre et toutes sortes d’autres éléments.

La sénatrice Eaton : Avec la culture hydroponique, vous n’auriez pas besoin de terre.

Mme Kassi : Oui, on envisage également la culture hydroponique. Après tout, ce sont des légumes issus de cette culture que l’on nous sert jour après jour au restaurant. C’est assurément une avenue qui est considérée.

La sénatrice Eaton : Vous parliez de fonte du pergélisol et du mercure qui contamine les poissons.

Lors de notre visite dans le Nord, nous avons vu quelques exemples des techniques qui sont utilisées pour poser les fondations d’une maison sur le pergélisol. Différentes solutions établies à cette fin se retrouvent dans le code du bâtiment. Est-ce un problème auquel vous vous attaquez aussi, car il sera également difficile de construire une serre dans ces conditions?

Mme Kassi : Il ne fait aucun doute que notre pergélisol fond à vive allure. J’ai grandi et je vis dans la deuxième zone de terres humides la plus étendue en Amérique du Nord. Ces grands lacs sont en train de s’assécher. Il y a érosion des berges. Nous perdons nos poissons, nos rats musqués, nos castors, nos canards et toutes ces bêtes qui ne visitent plus ces endroits. Le pergélisol est en train de fondre et les infrastructures sont très...

La sénatrice Eaton : Pourquoi les lacs s’assèchent-ils?

Mme Kassi : Le pergélisol fond. Nous vivons sur une couche de végétation d’environ deux à trois pieds de hauteur en dessous de laquelle il y a de la glace. C’est cette glace qui est en train de fondre.

La sénatrice Eaton : Alors cela disparaît plus rapidement que...

Mme Kassi : Oui, la fonte est très rapide. Tout s’assèche donc de plus en plus dans nos terres humides, et la disparition de nos lacs nous fait perdre nos espèces animales.

Nous essayons de travailler en collaboration avec les scientifiques. C’est l’occasion ou jamais pour moi de mettre ces préoccupations de l’avant de telle sorte que nous puissions tous travailler de concert. Nous voulons participer à des travaux de recherche qui sont pertinents pour nos communautés. Nous ne pouvons plus nous contenter de la visite de chercheurs qui font simplement leur travail avant de rentrer chez eux.

La sénatrice Eaton : Il y a donc un lien avec votre culture?

Mme Kassi : Nos connaissances autochtones sont effectivement prises en compte.

La sénatrice Eaton : Cherchez-vous actuellement des moyens de construire sur le pergélisol?

Mme Kassi : Eh bien, il est plutôt difficile de construire sur le pergélisol dans l’état actuel des choses.

La sénatrice Eaton : N’y a-t-il pas un système de ressorts pour les fondations des maisons? Nous avons vu différentes choses.

Mme Kassi : Dans certaines communautés, on tente d’utiliser des pylônes pouvant être déplacés. Différentes solutions sont mises à l’essai. Il serait préférable de simplement renoncer à tous ces codes qui entraînent des coûts considérables. Il faut compter pas moins de 400 000 $ pour bâtir une maison avec peut-être deux ou trois chambres à coucher dans mon village. C’est extrêmement dispendieux.

Si nous pouvions seulement investir dans la construction d’une belle maison en rondins directement à même le sol de manière à ce qu’elle suive ses mouvements comme c’était le cas avant que tous ces codes n’apparaissent, ce serait très bien. Ces petites maisons sont tout à fait suffisantes pour répondre à nos besoins.

La sénatrice Eaton : Qui vous impose ces codes? D’où tirent-ils leur origine?

Mme Kassi : Je ne sais pas d’où ils viennent. Peut-être de la Société canadienne d’hypothèques et de logement. Ce sont les codes du bâtiment du Canada.

La sénatrice Eaton : Je vois. Vous voudriez donc que ces codes soient modifiés pour être adaptés à votre situation. Est-ce possible que cela se produise? Faites-vous des démarches en ce sens?

Mme Kassi : On peut dire que oui. Il se fait beaucoup de recherches au Canada concernant le pergélisol. C’est notamment le cas au Collège du Yukon. On s’intéresse beaucoup aux infrastructures et on collabore avec les différentes communautés pour trouver et mettre à l’essai les meilleures solutions possibles. La fonte est très rapide.

La sénatrice Eaton : C’est un problème, mais il y a aussi le fait que nous avons construit par le passé des logements qui n’étaient pas appropriés du point de vue culturel, sans compter tous les problèmes comme les vices de construction et les moisissures.

La sénatrice Coyle : Merci beaucoup, Mesdames Kassi et Voss. C’est un honneur de vous accueillir toutes les deux aujourd’hui. Ma collègue et moi-même sommes rentrées du Yukon samedi. Elle habite là-bas et je lui rendais visite pour la troisième fois. Vous avez un territoire absolument magnifique.

J’ai vraiment à cœur tout le travail que vous accomplissez en recherche communautaire, car je suis l’une des marraines du programme de formation des femmes autochtones en leadership communautaire de l’Institut Coady. Je vous remercie également de votre contribution à la promotion et au soutien de ce programme.

Au fil des ans, vous avez participé à un grand nombre de projets qui vous ont permis d’accumuler un bagage important de sagesse. Notre comité sénatorial a eu l’occasion d’entendre différents témoignages. Nous nous intéressons particulièrement à ce moment-ci à la combinaison du savoir traditionnel autochtone — ce que vous appelez la sagesse, madame Kassi — et des connaissances scientifiques. Nous examinons ce qui se fait du côté de la recherche.

Nous avons accueilli cette semaine un représentant de l’Université de l’Arctique. Il y a une préoccupation qui a commencé à faire son chemin, dans mon esprit tout au moins — et encore plus à la lumière des commentaires que vous nous avez faits aujourd’hui. Il s’agit du risque que la recherche se fasse isolément de toute activité de formation ou d’éducation.

Vous semblez plutôt envisager les choses dans l’optique d’un cycle prévoyant des intervalles pour l’intégration de différentes formes de contribution. Je pense notamment à votre travail de recherche communautaire qui fait intervenir les dépositaires des connaissances scientifiques pertinentes; à la formation que vous dispensez aux jeunes — une formation qui n’est pas ponctuelle, mais bien permanente; à votre travail auprès du système d’éducation; et à l’intégration des efforts de recherche, de formation, d’éducation et de renforcement des capacités à une démarche concrète d’intervention, ce qui est absolument essentiel.

Pourriez-vous nous en dire plus long à ce sujet? Ma façon de présenter les choses est sans doute moins claire que la vôtre ou peut-être simplement différente. Comment tous ces éléments s’articulent-ils de votre côté? Alors que nous nous efforçons non seulement de combiner connaissances traditionnelles et données scientifiques, mais aussi d’intégrer le tout à l’ensemble du processus de génération et de diffusion des connaissances, comment voyez-vous les choses et comment croyez-vous que nous devrions procéder dans le contexte d’une démarche comme le Cadre stratégique pour l’Arctique?

Mme Kassi : Je crois que nous nous retrouvons à une époque de notre Histoire et à un endroit sur notre planète où nous n’avons à toutes fins utiles pas de temps à perdre quant aux connaissances qu’il nous faut mobiliser au bénéfice des générations à venir. Nous faisons maintenant valoir que les Autochtones doivent faire leurs propres recherches. Nous devons planifier nous-mêmes l’avenir de nos communautés. Il est absolument essentiel que nous puisions à cette fin à même les connaissances autochtones. Il nous faut revitaliser nos langues, car elles sont les écrins de nos connaissances. Le moment est donc venu pour les peuples autochtones de prendre en charge les efforts de recherche en leur imprimant une orientation communautaire si l’on souhaite aller de l’avant dans la conjoncture planétaire actuelle.

Nous aimons bien faire appel à des scientifiques de différents domaines qui contribuent à notre canalisation des connaissances au niveau communautaire. Nous invitons ces scientifiques et nous travaillons en partenariat avec eux.

J’aurais une petite histoire à vous raconter à ce sujet. Nous avons élaboré une stratégie alimentaire pour la Première Nation Kluane. En même temps que nous posions aux gens de cette Première Nation ces questions difficiles dont je parlais tout à l’heure, nous avons formé des jeunes de la communauté pour qu’ils puissent participer aux efforts de recherche. Je me suis assurée qu’il y ait toujours quatre jeunes, deux garçons et deux filles, qui reçoivent cette formation.

Nous nous rendons dans la communauté pour poser nos questions, et on nous dit que le poisson n’a plus la même consistance. Il y a quelque chose qui ne va pas avec le poisson qui a maintenant un drôle de goût. On nous demande alors d’envoyer sur place un chercheur qui va travailler avec les gens de la communauté pour voir ce qui ne tourne pas rond. Il nous reste à trouver quelqu’un prêt à faire ce travail en collaboration.

Nous retournons sur place avec un scientifique qui travaille avec nous et la communauté à toutes les étapes. Les jeunes sont aussi bien présents. Ce sont eux qui vont récupérer auprès des pêcheurs le poisson nécessaire aux fins de cette recherche. Ils mettent toutes les prises sur la table et les dissèquent pendant que le scientifique leur indique les éléments les plus importants à prélever sur chaque spécimen aux fins de l’analyse.

Nous avons ensuite trouvé les fonds nécessaires pour que ces jeunes puissent se rendre à l’Université de Waterloo et à une autre université tout près avec laquelle nous collaborons. Ils se sont ainsi retrouvés directement dans le laboratoire à disséquer leurs propres spécimens de poisson en compagnie du chercheur. Il ne leur restait qu’à attendre les résultats de l’analyse.

Il a été déterminé que les niveaux de mercure dans les spécimens analysés étaient inférieurs à ce que l’on croyait au départ. Les jeunes étaient fous de joie de pouvoir annoncer cette bonne nouvelle à leur retour dans la communauté. C’est de cette manière que nous cherchons à former nos jeunes.

Je suppose que le moment est venu pour nous de conjuguer ainsi nos efforts en formant ce grand cercle dont nous parlions.

De nombreuses recherches scientifiques menées par le passé ont causé bien des torts à nos gens, tant et si bien que certains en sont même morts. Nous avons tiré des enseignements de cette expérience.

Nous devons aller de l’avant en travaillant tous ensemble. Nous avons besoin des jeunes. Nous avons besoin de la double perspective. Nous voulons que les jeunes non-Autochtones vivant au sein de nos communautés travaillent avec nous, car nous avons une connaissance profonde de nos terres et de nos ressources. Nous les connaissons depuis des milliers d’années. Nous avons de vastes connaissances à partager et nous pouvons travailler ensemble.

Nous espérons que l’on pourra aller de l’avant sans perdre de temps et sans gaspiller d’argent pour mener des recherches pertinentes pour la survie à long terme de notre peuple.

La sénatrice Coyle : Je vous remercie beaucoup. Il était très important que nous l’entendions. Vous avez parlé de l’urgence pour ce qui est des problèmes à cerner, et que les communautés ont cernés. Cela a été mené par les communautés et à la manière des communautés, si je vous comprends bien.

Avez-vous un lien avec le Collège du Yukon, qui deviendra l’Université du Yukon? Si c’est le cas, quel rôle devraient jouer cet établissement ou d’autres établissements d’enseignement et de recherche sur l’Arctique dans le travail auquel vous participez, à votre avis?

Mme Kassi : Eh bien, dans notre institut, dans notre petit organisme sans but lucratif, le conseil de représentants compte toujours un représentant du Collège du Yukon. Nous collaborons très étroitement avec cet établissement sur tous les plans, et avec le Réseau canadien des montagnes également.

C’est excitant. Le fait que le Collège du Yukon devienne une université est quelque chose de très stimulant pour le Nord et le Territoire du Yukon. Il faut que la recherche soit utile pour le Nord, et c’est à cet égard que les peuples autochtones collaborent très étroitement.

Il y a Tosh Southwick, une chercheuse autochtone du Yukon qui essaie de s’assurer que les peuples autochtones jouent un rôle important dans toute recherche effectuée au Yukon également.

Nous espérons que cela deviendra quelque chose de nouveau, quelque chose de stimulant et quelque chose qui permettra de résoudre certaines de ces questions pertinentes pour nos connaissances maintenant et dans l’avenir.

La sénatrice Anderson : Je vous remercie de votre exposé. Je veux parler du caribou. Dans la communauté des Inuvialuk, le caribou, ou tuktu, joue un rôle essentiel, et c’est la même chose pour les Inuits des Territoires du Nord-Ouest et du Nunavut. Je sais aussi que les Vuntut Gwitchin, dans la région d’Inuvik, participent activement à la protection de la Réserve faunique nationale de l’Arctique et du tuktu.

Pour nous également, le tuktu continue d’être un lien essentiel quant à ce que nous sommes en tant qu’Inuits, culturellement et traditionnellement, et il nous a permis de survivre en tant que peuple autochtone. Vous avez parlé du rôle essentiel que joue le tuktu et de son lien indéniable avec votre peuple, votre histoire, votre culture, votre avenir et votre survie.

À votre avis, quel soutien est nécessaire pour qu’il n’y ait pas de développement dans la Réserve faunique nationale de l’Arctique et pour sensibiliser les gens à cette question essentielle?

Mme Kassi : Cela fait 28 ans qu’en tant que Vuntut Gwitchin, nous nous battons contre l’administration américaine. Je suis très fière que notre peuple ait agi en chef de file sur cette question et a sensibilisé les gens à l’échelle internationale.

Comme vous le savez, dans nos deux nations, bon nombre de hardes de caribous sont en déclin dans les Territoires du Nord-Ouest et au Nunavut et ailleurs au Canada. Sur la scène internationale, nous avons débattu la question suffisamment pour obtenir un vaste appui à la protection de la Réserve faunique nationale de l’Arctique.

Toutefois, il faut qu’une discussion ait lieu entre les États. Il faut que le premier ministre du Canada discute ouvertement de la préservation de la réserve de l’Arctique. C’est la dernière région sur la terre où il y a autant de biodiversité et nous devons la protéger. Nous ne pouvons pas faire cela. Cela ne doit pas se produire.

S’il y a une véritable façon de protéger les aires de mise bas sacrées, alors nous devons aller de l’avant. Nous le devons. Nous devons les protéger. Il s’agit de la dernière harde de caribous et de la dernière zone aussi diversifiée sur le plan biologique sur cette planète, et c’est dans le nord-est de l’Alaska. Malheureusement, c’est aux États-Unis. Toutefois, nos caribous ne connaissent pas de frontières. Ils ont nourri notre peuple pendant des milliers d’années. Ils vont et viennent et nous devons les protéger.

Nous prions vraiment pour qu’il y ait un changement d’administration la prochaine fois — et je le dis clairement — de sorte que nous puissions faire avancer les choses et essayer de protéger la réserve.

Il y a déjà eu des empreintes sur la réserve de l’Arctique et ces endroits ont été endommagés. J’y suis allée et je l’ai vu. J’ai marché dans la Réserve faunique nationale de l’Arctique et j’ai vu les aires de mise bas sacrées et les animaux et les ours polaires et les oiseaux de toute espèce de partout dans le monde qui y viennent. Nous n’allons jamais au beau milieu des aires de mise bas; nous en faisons le tour. C’est un endroit vraiment sacré qui doit absolument être protégé. Quyanainni beaucoup de soulever la question.

La sénatrice Anderson : Vous avez parlé de la recherche menée par les Autochtones. Un grand nombre de recherches ont été menées dans le Nord. Nous y avons tous contribué, et parfois, on ne nous donne jamais de rétroaction ou il n’y a pas d’aspects éthiques régissant la recherche.

Pouvez-vous nous expliquer davantage ce que vous entendez par recherche menée par les Autochtones au Yukon et nous dire si elle est menée de concert avec des scientifiques, et également s’il y a un lien avec des comités de l’éthique?

Mme Kassi : Essentiellement, la communauté fait appel à nous. Conformément aux principes PCAP — propriété, contrôle, accès et possession — qui ont été convenus pour les peuples autochtones du Canada, nous n’allons pas dans une communauté à moins d’y être invités. Nous ne nous rendons pas sur leur territoire traditionnel à moins qu’on nous y invite. Cela inclut même les terres à l’extérieur de leur communauté.

Les membres de la communauté me demanderaient si nous pouvons travailler ensemble à telle chose. Ils s’adresseraient à notre institut et diraient, par exemple, qu’ils aimeraient élaborer une stratégie alimentaire ou faire une recherche sur leurs poissons.

Ensuite, nous allons dans la communauté et nous allons chercher les membres de la communauté qui ont les connaissances voulues. Pour tout ce qui découle de cette recherche qui nécessite des recherches scientifiques poussées, la communauté déterminera avec quels scientifiques au Canada elle veut travailler et qui a une bonne réputation au pays et ils collaboreront. Nous nous assurons que pendant le processus de recherche, on forme les jeunes et que ce sont eux qui font le travail.

Nous essayons de travailler dans le cadre de ce type de recherche, soit la recherche menée par la communauté. Les communautés en arrivent à leurs propres réponses. Elles connaissent leurs terres. C’est leur information. Nous ne faisons que la recueillir, ou nous les aidons à le faire, ou elles demandent elles-mêmes à des personnes de le faire. Pour l’essentiel, c’est pertinent et c’est quelque chose qu’elles veulent savoir. Elles présentent leurs propres réponses. Par conséquent, les capacités sont renforcées et elles peuvent s’appuyer sur ce qu’elles ont appris et mettre en œuvre les mesures nécessaires, au bout du compte.

La sénatrice Anderson : Quyanainni.

Mme Kassi : Quyanainni.

Le sénateur Neufeld : Je vous remercie beaucoup toutes les deux de votre présence. Puis-je vous demander dans quelle partie du Yukon vous vivez?

Mme Voss : J’habite à Whitehorse et je vais déménager à un endroit qui s’appelle Grizzly Valley, à 25 milles de Whitehorse.

Mme Kassi : J’ai deux pieds dans chaque communauté de ma communauté à Old Crow, et j’habite à Whitehorse.

Le sénateur Neufeld : D’accord. Vous avez dit que les Premières Nations de la Colombie-Britannique veulent collaborer avec vous et cela m’intéresse. Pouvez-vous me dire de quelles Premières Nations il s’agit et quels sont les obstacles à la collaboration avec les Premières Nations dans le Nord de la Colombie-Britannique. J’ai vécu à Fort Nelson pendant 20 ans. Je vis à Fort St. John. Je connais donc assez bien le Nord.

Mme Kassi : En bien, pour ce qui est de la formation des jeunes et des stratégies de sécurité alimentaire, nous collaborons avec Atlin, en Colombie-Britannique. C’est une petite communauté. Elle est située à seulement une heure de Whitehorse environ. De plus, il y a la Première Nation de Tahltan. Elle est à six heures, au Nord de la Colombie-Britannique. Il y a ensuite la Première Nation de Liard, qui se trouve juste de l’autre côté de la frontière britanno-colombienne, dans la région de Lower Post.

Nous essayons de collaborer avec elles le plus possible, et pour toute information que notre institut obtient, nous nous assurons que ces communautés sont au courant de nos résultats.

Le sénateur Neufeld : Communiquez-vous avec les Premières Nations du Traité no 8 du Nord de la Colombie-Britannique?

Mme Kassi : Eh bien, mon travail consiste à collaborer avec elles dans le réseau de recherche. C’est en quelque sorte difficile pour moi d’en parler, car le ministère n’a encore rien annoncé concernant le Réseau canadien des montagnes, et nous sommes ici cette semaine pour parler avec des gens. Je ne peux pas encore trop en parler, car rien n’a encore été annoncé.

Dans le secteur de la recherche, nous essayons de collaborer avec un plus grand nombre de peuples autochtones dans l’Ouest canadien.

Le sénateur Neufeld : D’accord. C’est bien.

Madame Voss, vous avez parlé du financement. Est-ce que le seul financement destiné aux Premières Nations du Yukon, c’est le financement fédéral, ou y a-t-il un financement territorial ou d’autres sources de financement?

Mme Voss : Parlez-vous des Premières Nations qui font de la recherche avec nous? La plupart des fonds proviennent du fédéral. J’essaie de penser à toutes nos subventions, mais la plus grande proportion provient du fédéral. Ai-je raison là-dessus? Je crois que presque tout le financement provient du gouvernement fédéral. Je crois qu’il y a de petits pots communs. J’ai des rencontres avec la Station de recherche du lac Kluane. Nous établissons des liens entre certaines des autres communautés de recherche pour évaluer également comment assurer du financement ailleurs. Je sais qu’il y a des possibilités; vous avez mentionné l’Université de l’Arctique, par exemple. Il me faudrait consulter mes dossiers, mais de façon générale, je crois que presque l’entièreté de notre financement provient du fédéral ou des universités.

J’ai participé à un projet mené par l’Université des Premières Nations, mais je crois que sauf erreur, les fonds provenaient des RCE. Je crois que la majeure partie du financement provient du fédéral.

Ce qui me préoccupe, c’est la flexibilité également.

Mme Kassi : Nous avons eu l’occasion d’avoir une subvention de l’Agence de santé publique du Canada pendant environ cinq ans. Nous avons accéléré les choses quant au travail et à la sensibilisation concernant la sécurité alimentaire et d’autres questions de santé. Nous avons eu accès au Programme sur le changement climatique et l’adaptation du secteur de la santé, au programme de préparation aux changements climatiques, à Savoir polaire Canada et, de plus, à la Fondation Trudeau.

Ces projets se termineront bientôt, soit le 31 mars, et l’institut travaille maintenant très fort à l’obtention d’une subvention, une subvention des IRSC. Nous travaillons à cette demande également à ce moment-ci.

Le sénateur Neufeld : Je sais qu’Atlin a eu du financement de fondations américaines. Voilà pourquoi je posais la question. Vos communautés reçoivent-elles des fonds étrangers?

Mme Voss : Nous avons reçu un financement très modeste de Honor The Earth, une subvention américaine. C’est une très petite subvention.

J’essaie de penser à certaines des autres. Ce sont toutes des fondations canadiennes. Je suis allée à des rencontres avec la Gordon Foundation également. Je suis certaine que c’est basé au Canada. Mais, non, pour les communautés, de façon générale, à ma connaissance — je suis arrivée à l’Institut il y a seulement un an —, depuis mon arrivée, c’est la seule. Depuis mon arrivée, il n’y a pas eu de financement important des États-Unis. Merci.

Mme Kassi : Cependant, nous travaillons dans le cadre de l’Indigenous Leadership Initiative pour le travail mené quant aux aires protégées autochtones au Canada et aux gardiens autochtones des terres et de l’eau. Nous collaborons avec des philanthropes, comme Pew Foundation, Canards Illimités et la campagne internationale pour la conservation de la forêt boréale. Ce sont les partenaires avec lesquels nous travaillons dans l’objectif de créer d’autres aires protégées au Canada. Ce sont également nos partenaires dans la création des gardiens autochtones pour ces aires protégées.

Concernant le financement direct, je n’ai encore rien entendu à cet égard pour le Yukon. Cependant, nous collaborons avec le Conseil Dena de Ross River, qui est sur un territoire non cédé. Ils ne sont pas dans un processus de revendication territoriale, de sorte qu’ils travaillent avec la région du Sahtu, dans les Territoires du Nord-Ouest dans le but d’unir leurs efforts, avec les Kaska et les Sahtu pour unir leurs efforts et créer une aire protégée autochtone. Je travaille avec eux en quelque sorte également. Nous travaillons dans cet objectif. Cela ne s’est pas encore produit, mais ils sont solidaires pour ces questions.

Le sénateur Neufeld : J’ai une autre question. Vous avez parlé des maisons en bois rond et des règles ou de la réglementation qui viennent d’Ottawa, j’imagine, que vous devez respecter sur vos terres.

Nous avons entendu beaucoup de choses au sujet du logement et du pergélisol et de ce genre de questions. J’ai trouvé intéressant que vous disiez que les maisons en bois rond, et beaucoup plus petites, devraient faire partie de cela selon vous. Est-ce une idée que vous avez proposée au gouvernement? Est-ce une chose au sujet de laquelle nous pouvons vous aider?

Ottawa, c’est très loin du Yukon, ou même d’où j’habite. Parfois, ils ont de bonnes connaissances, mais parfois il y a des choses qu’ils pensent pouvoir répandre dans tout le pays, mais les choses diffèrent d’un endroit à l’autre.

La question des maisons en bois rond et de leur dimension m’intéresse. Est-ce une chose que vous voulez vraiment promouvoir?

Mme Voss : Comme je l’ai dit, nous venons d’acheter une propriété et nous construirons une maison, et nous avons cinq ans pour le faire parce qu’il s’agit d’une terre du gouvernement.

Nous avons une exigence minimale — parce que nous voulions seulement construire une petite maison jusqu’à ce que nous prenions notre retraite. La petite maison doit mesurer 700 pieds carrés. C’est plutôt grand pour une petite maison. Nous songeons à une toute petite maison de 400 pieds carrés pour les fins de semaine jusqu’à notre retraite et nous construirons probablement par la suite. Même notre grande maison ne mesurera que 1 200 pieds carrés. Ce n’est donc pas grand.

Fixer des limites aussi élevées pose vraiment problème en ce sens que pour nous, il ne vaut pas la peine de construire une maison de 400 pieds carrés puis, deux ans plus tard, 1 000 pieds carrés.

Le sénateur Neufeld : Est-ce la réglementation territoriale?

Mme Voss : D’après ce que je comprends, c’est à l’échelon territorial, et je ne connais pas la réglementation fédérale à cet égard, mais l’une des choses que je me dis, c’est que si nous tentons d’encourager la construction de mini-maisons et de les rendre plus accessibles, nous devrons aussi, à un certain moment, adapter la réglementation en conséquence.

Et en ce qui concerne les maisons en bois rond, nous ne construisons pas une maison en bois rond, mais une maison à charpente en bois pour cette raison précise. Ce type de construction est plus flexible. Mais nous avons également demandé à un géologue de faire une évaluation du sol pour nous en assurer.

Mme Kassi : Merci d’avoir posé cette question, sénateur. Dans ma collectivité, on construit des maisons tape-à-l’œil en bois d’œuvre qui ont un revêtement de plastique. Elles doivent avoir un revêtement de plastique. Après trois ans, les moisissures noires s’installent dans ce matériau et la maison est contaminée. Personne ne peut l’habiter.

C’est à cause du changement climatique. Nous avons toutes sortes de systèmes météorologiques qui créent différents types de conditions météorologiques, des moisissures, et cetera, ce qui rend les fondations instables.

Oui, si j’avais un commentaire à formuler, je dirais que les Canadiens doivent trouver des méthodes de construction adaptées à notre pays, par exemple des maisons en bois rond qui peuvent respirer et qui ont assez de jeu pour s’ajuster aux conditions extérieures. Pour l’amour du ciel, une fenêtre coûte 3 000 $. C’est vraiment très cher pour une fenêtre d’environ quatre pieds par trois pieds. Le transport aérien de ce matériel dans nos collectivités est aussi très dispendieux.

J’ai grandi dans une petite maison en bois rond avec un toit en terre recouvert de gazon et une toilette extérieure, et j’adore vivre comme cela. J’habite maintenant dans une mini-maison de 512 pieds carrés que nous avons construite nous-mêmes en essayant d’éviter d’utiliser du plastique. Mais c’est ce qui se passe dans les collectivités. Tous ces codes qu’il faut respecter ne tiennent pas compte du changement climatique et ils ne sont pas efficaces sur le plan des coûts pour notre peuple.

Si nous pouvions construire nos propres maisons en bois rond selon nos propres plans et de la façon dont nous voulons procéder, et qu’on les laissait ensuite s’ajuster, je pense que tout irait beaucoup mieux.

Le président : Merci.

Sénatrice Bovey, nous avons un peu de retard sur l’horaire, mais je suis sûr que vous en tiendrez compte.

La sénatrice Bovey : Je trouve ce sujet très intéressant et il soulève de nombreux points délicats que nous avons abordés au cours des derniers mois. J’aimerais revenir sur le commentaire du sénateur Neufeld au sujet du fait qu’Ottawa est très loin du Yukon.

En gardant cela à l’esprit, si vous me le permettez, au lieu de poser une question, j’aimerais demander qu’on nous envoie certains documents. Comme la sénatrice Anderson, l’éthique des recherches menées par les Autochtones m’intéresse beaucoup, ainsi que l’éthique des recherches empiriques fondées sur la science qui sont menées conjointement avec les recherches autochtones.

Avez-vous des documents stratégiques ou des documents sur le processus que vous pourriez nous faire parvenir? Je trouve que c’est l’une des conversations les plus intéressantes que nous avons eues sur la relation entre le savoir autochtone et les connaissances scientifiques.

Par l’entremise de ma deuxième question, j’aimerais obtenir certains renseignements, si vous les avez. Vous avez parlé de la nécessité de mener des discussions d’État à État sur la préservation de la Réserve faunique nationale de l’Arctique. Avez-vous d’autres documents sur les présentations qui ont été faites à ce jour? Y a-t-il des enjeux que nous pouvons ajouter à notre rapport au sujet de la nécessité de mener des discussions d’État à État? En effet, la plupart de nos discussions ont eu lieu à l’intérieur du Canada, et je pense que vous avez visiblement soulevé un point extrêmement important.

Comme vous le dites, un autre comité a indiqué que les poissons ne comprennent pas la notion de frontière internationale, tout comme les caribous. Cet enjeu dépasse donc les frontières du Canada.

J’aimerais savoir si vous avez d’autres renseignements que vous pourriez faire parvenir à la greffière, afin que nous les ajoutions aux documents que nous utilisons pour rédiger notre rapport.

Mme Kassi : Je n’ai pas de renseignements généraux ici, mais en ce qui concerne l’aspect éthique des recherches, nous suivons certainement les principes de PCAP élaborés par l’Assemblée des Premières Nations il y a quelques années. Plus de 600 gouvernements autochtones ou Premières Nations du Canada ont adopté ces politiques.

Actuellement, nous élaborons également des politiques liées à la recherche et à la façon dont nous menons des recherches dirigées par des Autochtones. Cela concernera également le Réseau des montagnes canadiennes. Nous y travaillerons. Je veillerai certainement à ce que ces documents soient... nous devons aussi collaborer avec le gouvernement du Canada dans ce développement.

La sénatrice Bovey : Si vous pouviez faire cela, je vous en serais reconnaissante. Je comprends que les recherches menées par des universités doivent satisfaire à l’éthique et aux normes en matière de recherche du CRSH, mais j’aimerais savoir où ces normes se rejoignent ou s’il y a des parties qui ne correspondent pas. Je tiens à ce que nous ayons un portrait global tout en prenant connaissance des détails.

Donc, si vous pouviez nous faire parvenir cela...

Mme Kassi : C’est une très bonne question. Les gens de la communauté qui sont sur le terrain savent ce qu’ils veulent. Ils connaissent l’objet de leurs recherches. Les protocoles et les protocoles d’éthique qu’ils créeront seront fondés sur les protocoles de leur propre communauté. Pour le reste, je ne peux pas vous renseigner beaucoup plus au sujet du CRSH. Je ne connais pas bien cet organisme, mais je connais ses politiques...

La sénatrice Bovey : Nous avons entendu les commentaires du CRSH. Il n’y a donc pas de problème.

Mme Kassi : Oui, c’est vrai, vous avez leurs commentaires.

En ce qui concerne les documents sur la Réserve faunique nationale de l’Arctique, le ministère de l’Environnement du gouvernement du Yukon a de nombreux renseignements à ce sujet. La ministre Pauline Frost collabore grandement avec les États-Unis en vue de protéger cette région et le reste du Canada. Elle a également des documents sur ce sujet. Je vais communiquer avec elle et veiller à ce qu’elle vous transmette ces renseignements.

L’Alaska Wilderness League, à Washington D.C., détient une grande partie des renseignements qui sont nécessaires depuis des années. On recueille beaucoup de données là-bas. C’est donc une autre source de renseignements utiles.

La sénatrice Bovey : Merci. Je sais que mon temps est écoulé. Je vous remercie.

Le président : Nous vous remercions de nous avoir fourni ces renseignements. Nous vous remercions également de vos témoignages. Ils étaient manifestement très intéressants pour le comité.

Bienvenue à la deuxième partie de cette réunion du Comité sénatorial spécial sur l’Arctique.

Pour cette deuxième partie, je suis heureux d’accueillir, à titre personnel, Artur Wilczynski, qui est maintenant directeur général du Centre de la sécurité des télécommunications. Toutefois, aujourd’hui, vous comparaissez à titre d’ancien ambassadeur du Canada en Norvège. Nous vous remercions d’être ici. Nous avons hâte d’entendre votre témoignage. Nous vous poserons ensuite quelques questions.

[Français]

Artur Wilczynski, directeur général, Centre de la sécurité des télécommunications et ancien ambassadeur du Canada en Norvège, à titre personnel : Merci beaucoup, monsieur le président. C’est un grand honneur d’être ici, à nouveau, parmi vous. Je ferai ma présentation en anglais, mais je serai très heureux de répondre à vos questions dans les deux langues officielles.

[Traduction]

Honorables sénateurs, je suis très heureux de comparaître devant le Comité sénatorial spécial sur l’Arctique et de vous faire part de mon point de vue. Ensuite, c’est avec plaisir que je répondrai à vos questions à titre d’ancien ambassadeur du Canada en Norvège.

Tout d’abord, j’aimerais préciser que je viens du Sud et que j’ai immigré dans votre pays. C’est la raison pour laquelle je tiens à reconnaître le privilège qui m’est accordé de parler du Nord, de l’Arctique et de ses habitants. Lorsque j’étais ambassadeur du Canada en Norvège, mes fonctions consistaient surtout à parler de ces sujets. Mais j’étais toujours conscient que ma voix ne remplaçait pas — et ne pouvait pas remplacer — les nombreuses voix des habitants du Nord canadien.

Avant d’être nommé ambassadeur, j’étais allé une seule fois dans l’Arctique; c’était à Iqaluit, en 1997. Cette brève visite m’a offert une perspective limitée sur la vie dans le Nord. Je savais que ce n’était qu’un aperçu de la vie là-bas et que j’avais beaucoup à apprendre.

Avant mon départ, j’ai rencontré l’honorable Leona Aglukkaq, qui était à l’époque la ministre responsable de la présidence canadienne du Conseil de l’Arctique. C’était pour moi l’occasion d’entendre les priorités d’une citoyenne de l’Arctique, d’une ministre et d’une Autochtone. Lorsque j’étais ambassadeur, je trouvais qu’il était important d’écouter les voix de l’Arctique, qu’elles soient canadiennes ou norvégiennes, et d’apprendre ce qu’elles avaient à m’enseigner.

Le premier événement auquel j’ai participé après mon arrivée en Norvège a été une réunion du comité du Conseil de l’Arctique qui concernait la faune arctique. À cette réunion, j’ai eu l’occasion d’assister à une discussion sur les populations d’ours polaires et d’entendre des Inuits du Nunavut parler de leurs expériences et de l’importance d’accorder une grande place au savoir traditionnel dans l’élaboration des politiques et la recherche scientifique.

Le Centre international canadien pour l’Arctique — ou le CICA —, situé à l’ambassade d’Oslo, a énormément facilité ma participation à ces types de discussions. À mon avis, le CICA est un outil de politique publique essentiel qui permet aux missions de promouvoir les intérêts du Canada en matière de politique étrangère sur l’Arctique. C’est un excellent moyen de glaner des pratiques exemplaires de la région circumpolaire qui peuvent éclairer l’élaboration de la politique canadienne pour l’Arctique.

Une équipe de diplomates dévoués et le personnel local ont appuyé la participation du Canada au Conseil de l’Arctique et, par conséquent, chaque mission accréditée auprès d’un État membre du Conseil de l’Arctique. Selon moi, c’était un outil indispensable. La relation entre le CICA et la Direction des affaires autochtones et circumpolaires d’Affaires mondiales Canada était un autre élément important.

Comme la Norvège était le pays hôte du Secrétariat du Conseil de l’Arctique, l’expertise du CICA m’a aidé, à titre de nouvel ambassadeur, à gérer la complexité des enjeux liés à l’Arctique à l’échelle nationale et internationale.

À titre d’ambassadeur, je tenais à fonder les discussions politiques et diplomatiques sur les intérêts des habitants du Nord, ce qui revenait à adopter une approche en matière de politique étrangère de l’Arctique axée sur les habitants. Nous avons donc examiné des enjeux politiques, économiques et culturels en tenant compte de leurs effets sur la vie des habitants du Nord.

L’un des thèmes principaux était les changements rapides qui se produisent dans l’Arctique. En effet, le changement climatique a des répercussions sur tous les aspects de la vie dans le Nord. L’objectif principal de la mission était de comprendre les politiques de la Norvège, des limites que le pays impose aux émissions de gaz à effet de serre à la façon dont il gère sa grande industrie pétrolière et gazière, en passant par ses relations avec sa population autochtone samie. Afin d’avoir ces discussions avec les Norvégiens, il était important de leur expliquer les différences entre l’Arctique canadien et la Norvège.

L’un des membres de mon équipe d’Oslo, Bjorn Petter Hernes, avait préparé une présentation pour illustrer les différences entre la Norvège et le Canada. Tout d’abord, on voyait une carte du Canada. Ensuite, une image de la Norvège, à l’échelle et à la latitude appropriées, était superposée à celle du Canada. Mes collègues et interlocuteurs norvégiens avaient toujours la même réaction. Ils ne pouvaient pas s’empêcher de rire lorsqu’ils réalisaient à quel point la Norvège était un petit pays comparativement au Canada. En effet, pour vous donner une idée des échelles en jeu, la superficie de la Norvège couvre environ les deux tiers de celle de l’île de Baffin.

La superposition de ces images m’a permis de parler des différences fondamentales entre ces deux régions de l’Arctique. Même si elles sont très différentes sur le plan de l’économie, de la population et de l’environnement, les habitants de l’Arctique, dans ces deux pays, aiment tous profondément leur région et se sont forgé une identité enracinée dans le Nord.

Les trois comtés norvégiens qui sont situés les plus au nord ont une population d’environ un demi-million d’habitants, ce qui représente 10 p. 100 de la population du pays. Un peuple autochtone est dispersé à l’échelle de la Norvège : ce sont les Samis, qui représentent environ 50 000 personnes.

Le Nord de la Norvège tente d’attirer des travailleurs pour répondre à la demande, car la région connaît une pénurie de main-d’œuvre. La région offre l’accès à Internet haute vitesse. Je pouvais utiliser mon téléphone cellulaire n’importe où sur le territoire norvégien. Il y a des vols réguliers de Tromsø et Longyearbyen, sur Svalbard, à Oslo et d’autres villes scandinaves. La région attire de plus en plus de touristes. Les ports situés le long de la côte arctique de la Norvège sont ouverts à l’année et je pense que les températures hivernales feraient l’envie de tous les habitants d’Ottawa.

Ce sont des différences importantes entre nos régions arctiques et il est important d’en tenir compte lorsque nous parlons de politique étrangère, mais nos deux pays peuvent également tirer d’importantes leçons l’un de l’autre. Nous pouvons montrer les réalités de la vie dans le Nord. Nous pouvons souligner — et nous le faisons — les choses que nous faisons ensemble.

J’ai participé au Programme des leaders de demain de Frontières de l’Arctique à titre de mentor, c’est l’une des choses qui m’ont laissé une impression durable. Ce programme rassemble des jeunes de partout dans le monde pour créer une vision commune pour l’avenir de l’Arctique. C’était particulièrement intéressant de voir ensemble de jeunes scientifiques, climatologues et experts en matière de politiques, mais également de jeunes leaders autochtones du Canada.

C’était merveilleux de voir des jeunes femmes et des jeunes hommes du Nunavut, du Yukon, de la Saskatchewan et du Québec faire preuve de leadership. C’était très satisfaisant de voir que des jeunes leaders inuits et gwitch’in et d’autres Autochtones participaient à cette initiative. Ils ont partagé leur voix et leurs expériences uniques avec une audience internationale. Je crois que tout le monde a profité de leur présence. J’ai beaucoup appris de ces jeunes femmes et de ces jeunes hommes, et je sais que c’était la même chose pour nos hôtes norvégiens.

J’ai également eu l’honneur de diriger le premier Sommet des arts de l’Arctique organisé en Norvège. Il était important de réunir des voix d’organismes liés aux arts et aux politiques afin de parler des différentes expériences sur la façon de préserver et de promouvoir les voix et les expressions culturelles uniques des peuples de l’Arctique.

L’ambassade a dirigé des discussions sur les droits à l’égalité, en communiquant l’expérience du Canada avec la Commission de vérité et de réconciliation — un élément important pour favoriser une discussion semblable au sein des peuples samis de la Norvège.

Des étudiants inuits de Sivunikasvut ont visité la Norvège et ont rencontré de jeunes Samis. Ils ont également donné une prestation à la résidence officielle et au Parlement de Norvège.

Les Gerry Cans ont offert leur style unique de musique rock nordique lors des célébrations canadiennes de la fierté LGTB à Oslo. Jeremy Dutcher, gagnant d’un prix Juno, a également donné une prestation avec des amis pour la communauté samie. Il a aussi organisé un atelier sur les défis liés au fait d’être Autochtones et membre de la communauté LGBT.

L’ambassade du Canada en Norvège a abordé un vaste éventail d’enjeux, allant des discussions sur l’art et la culture à la valeur de la chasse aux phoques et des langues autochtones, en passant par la vérité et la réconciliation, les stations réceptrices par satellite et les technologies à large bande. L’ambassade a joué un rôle important pour mettre en valeur les expériences canadiennes, pour établir des liens entre les gens et les entreprises et pour promouvoir les intérêts des peuples de l’Arctique.

Je vous remercie beaucoup de m’avoir donné l’occasion de vous parler aujourd’hui. J’ai hâte de répondre à vos questions.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Wilczynski.

La sénatrice Bovey : Merci beaucoup. Vous avez dû vivre une expérience merveilleuse en Norvège. C’est un pays qui me plaît beaucoup.

En septembre dernier, le président du comité et moi avons eu le privilège de nous rendre en Finlande pour assister à la séance du Conseil de l’Arctique. Aussi, il y a environ 15 ans, j’ai eu l’occasion de me rendre à Tromsø pour le festival des arts visuels des Samis de l’île Holmen. C’était en 2004.

Pour remettre un peu d’ordre dans toutes ces idées, un des dossiers qui a été soulevé durant la séance du Conseil de l’Arctique est celui des langues autochtones. Évidemment, c’est une question que nous trouvons importante. J’aimerais que vous nous parliez plus en détail des leçons que vous avez apprises durant votre séjour là-bas. Mes questions portent sur deux sujets.

Je comprends que ce n’est pas aussi compliqué qu’au Canada, mais qu’avez-vous appris concernant l’enseignement et le rétablissement de la langue same, ou sur son enseignement à des populations qui ne la connaissaient peut-être pas?

Ensuite, vous avez travaillé avec le festival des arts. De mon côté, j’ai travaillé pendant plusieurs décennies avec les artistes visuels. D’après vous, quelles leçons pouvons-nous tirer du travail des artistes visuels dans le but de définir les enjeux sociaux communs ou uniques des deux pays? Je me fonde sur le principe que les arts visuels sont une langue internationale.

Pour faire un lien avec notre rapport, à mon sens, ces questions touchent le thème des collectivités saines. À titre d’ambassadeur du Canada en Norvège, quelles leçons avez-vous apprises en travaillant aux mêmes dossiers que ceux que nous sommes maintenant chargés d’examiner?

M. Wilczynski : Merci beaucoup, madame la sénatrice. En effet, ce fut un honneur pour moi de représenter le Canada là-bas. C’est un pays magnifique, et sa complexité m’a permis d’apprendre beaucoup de choses, particulièrement au sujet de la relation entre l’ensemble de la société norvégienne et les Samis.

Vous m’avez demandé ce que j’avais appris au sujet de l’enseignement de la langue same. J’ai appris que le défi était aussi grand, voire plus grand, en Norvège que dans des pays comme le Canada. En Norvège, la langue same est divisée en trois sous-groupes régionaux. Sur le plan culturel, les trois sous-groupes ont beaucoup en commun, mais il existe des dialectes distincts de la langue same, et les locuteurs des différents dialectes ne se comprennent pas nécessairement tous entre eux.

Un des outils que le gouvernement norvégien utilise pour promouvoir la langue same est le diffuseur public. La NRK offre des émissions de radio et des programmes en same. Elle encourage la production dans les diverses langues afin que la population y ait accès. Je le répète, c’est l’une des plus grandes difficultés éprouvées par les Samis de la Norvège.

En outre, la répartition des Samis sur un territoire qui traverse plusieurs frontières internationales ajoute à la complexité. La plus grande population se trouve en Norvège, mais ils habitent aussi la Finlande, la Suède et la Russie. La diversité des politiques en place sur ce territoire rend difficile la préservation de la langue et de la culture.

Un autre outil mis en place par le gouvernement norvégien est le Parlement sami. L’influence linguistique et culturelle est l’un des éléments principaux du mandat du Parlement sami. J’ai travaillé avec sa présidente, Mme Aili Keskitalo. Je devais comprendre les différents défis et tenter, autant que possible, de tisser des liens avec des collectivités semblables au Canada, tout en attirant l’attention, dans mes interactions publiques, sur les défis que nous avons en commun.

En ce qui touche votre deuxième question concernant les leçons que nous pouvons tirer du travail des artistes visuels relativement aux aspects communs et uniques, tout ce que je peux dire, c’est que les deux pays ont certainement un grand goût pour l’expression culturelle et l’interprétation culturelle visuelle.

Les films et d’autres types d’arts visuels favorisent la compréhension. Ils emploient un langage universel qui transcende les particularités. Je sais que les Norvégiens, surtout ceux du Nord, aiment raconter des histoires dans toute la région circumpolaire. Les échanges d’histoires sont très appréciés et, d’après moi, ils contribuent à la création de collectivités saines et d’un sentiment d’identité commune dans la région circumpolaire.

La sénatrice Bovey : Ce que vous dites concernant les films et les histoires est tout à fait juste.

Je voudrais juste ajouter que je pense que nous avons contribué à l’économie du Nord durant notre voyage là-bas parce que nous avons tous rapporté diverses formes d’arts visuels. Vous avez abordé le sujet des échanges culturels, et je vous en remercie.

M. Wilczynski : À mon avis, au point de vue des politiques et de la gouvernance, c’est aussi très utile pour les collectivités et les pays d’échanger sur leurs pratiques dans ce domaine. Des représentants du Nunavut et des Territoires-du-Nord-Ouest nous ont rendu visite pour avoir des discussions à ce sujet sous le rapport des politiques. C’est aussi pour cette raison que le Sommet des arts de l’Arctique, qui a réuni des représentants fédéraux et territoriaux pour parler des défis propres aux créateurs du Nord, était une expérience très profitable.

La sénatrice Bovey : Merci.

Le sénateur Oh : Merci pour les excellents renseignements. Vous connaissez très bien la Norvège. Quelles seraient vos recommandations pour le gouvernement canadien concernant les problèmes qui touchent l’Arctique — le pergélisol, la culture et tout le reste? Quelles seraient les trois recommandations principales que vous feriez au gouvernement canadien par rapport aux leçons que nous pouvons tirer? Notre financement est-il suffisant? Comparativement au Canada, la Norvège finance-t-elle davantage le Nord?

M. Wilczynski : C’est important de comprendre que le contexte est très différent. Les difficultés liées au développement économique et à l’accès aux services dans le Nord du Canada sont très différentes de celles éprouvées dans la région arctique de la Norvège, un très petit territoire généralement accessible par voie terrestre, maritime et aérienne.

D’après moi, ce qui pourrait être profitable, ce serait d’échanger sur les expériences afin d’acquérir une meilleure compréhension. Je ne peux pas déclarer, par exemple, que nous pourrions reproduire la politique de la Norvège en matière de transport, car 500 000 personnes habitant une région relativement restreinte n’ont pas les mêmes problèmes de transport que 150 000 personnes vivant sur un territoire de plus de 4 millions de kilomètres carrés. C’est très difficile de transposer les solutions d’un pays à l’autre.

Là où nous pouvons nous inspirer de la Norvège, c’est dans la façon dont les Norvégiens soutiennent les collectivités en place, de manière à les rendre créatives, dynamiques et saines. Ils considèrent l’ensemble des différents aspects de la vie dans le Nord et ils en tiennent compte dans leur affectation des fonds.

Chose intéressante, en Norvège, un des débats politiques porte sur le fait qu’on accorde trop d’attention au Nord. C’est le point de vue de certaines personnes du Sud.

Les discussions de ce genre comportent toujours une tension intéressante, mais je pense que nous avons des défis uniques qui reposent sur la spécificité des expériences vécues dans le Nord, en particulier par les peuples autochtones du Nord. Or, tant que nous continuons à discuter et à utiliser les outils à notre disposition, nous pouvons tirer les leçons que les collectivités mêmes trouvent les plus pertinentes.

Je suis désolé de ne pas pouvoir vous donner trois recommandations précises, mais les situations sont trop différentes pour que j’y arrive.

Le sénateur Oh : C’est bon à savoir. Merci.

Le président : Monsieur Wilczynski, vous devez connaître la politique de la Norvège pour l’Arctique. D’après vous, le Canada pourrait-il en tirer des leçons?

M. Wilczynski : Encore une fois, en tenant compte du fait que le point de départ est fondamentalement différent, je pense que nous pouvons tirer des leçons de l’approche structurée pour résoudre les problèmes de l’Arctique. L’intégration de l’ensemble des dossiers axés sur la création de collectivités saines, ainsi que sur le développement économique, la durabilité, les enjeux environnementaux, l’éducation et la haute technologie — c’est important d’intégrer le traitement de tous ces dossiers dans notre approche.

En bref, la réponse est oui, à mon avis, une approche structurée de ce genre est utile. En ma qualité de diplomate, je pense qu’il ne suffit pas de transmettre nos pratiques exemplaires aux autres pays; nous devons également tenter de tirer des leçons pour le Canada et la population canadienne. Je le répète, dans le contexte du Nord canadien, je pense que c’est au niveau des collectivités qu’il faut absolument tirer des leçons.

Les leçons tirées de Tromsø pourraient être applicables à Yellowknife, mais je ne sais pas quelles collectivités norvégiennes seraient comparables à Gjoa Haven ou à Pond Inlet sur le plan des expériences vécues, de la démographie, de l’isolement et des enjeux climatiques. Sans pareille comparaison, c’est difficile de tirer des leçons.

Le sénateur Oh : Je sais que les Norvégiens sont très avancés dans le domaine des projets d’exploration pétrolière.

M. Wilczynski : Oui.

Le sénateur Oh : Explorent-ils dans l’Arctique?

M. Wilczynski : Oui, ils ont des projets d’exploration dans l’Arctique. L’exploitation des ressources pétrolières et gazières dans la région arctique est un élément important de la politique économique de la Norvège. C’est un sujet de controverse. Dans certaines régions de la Norvège, par exemple autour des îles Lofoten, un moratoire a été imposé, mais il y a un débat actif sur les politiques publiques dans ce pays concernant les sous-régions. Cependant, ils effectuent des forages dans le Grand Nord.

La sénatrice Bovey : J’ai une carte devant moi. Personnellement, j’ai été très surprise d’apprendre, durant nos séances, à quel point les Russes et les Chinois semblent en savoir plus que nous au sujet de l’océan Arctique. Vous aurez remarqué que j’emploie maintenant le mot « semblent ».

L’autre jour, j’ai fait part à quelqu’un de mes préoccupations concernant la quantité de connaissances que nous avons sur la Russie, et la personne m’a répondu que bien sûr, nous sommes les voisins les plus éloignés de la Russie dans l’océan Arctique. Pouvez-vous nous parler brièvement des préoccupations internationales relatives à l’océan Arctique? Quels pays font quoi, et quelle incidence les activités menées par les autres dans l’océan Arctique ont-elles sur la vie des habitants de la région canadienne de l’Arctique?

M. Wilczynski : Madame la sénatrice, si vous le permettez, je vais fonder mes observations sur mon expérience d’ambassadeur du Canada en Norvège, car c’est à ce titre que je peux vous répondre.

La façon dont la Norvège travaille avec ses voisins est très intéressante et raffinée, si je peux le dire ainsi, particulièrement en ce qui concerne les questions relatives à l’océan Arctique. Elle est voisine de la Russie et elle partage une frontière terrestre avec elle. Elle doit tout gérer avec la Russie, que ce soit les pêches ou les questions transfrontalières, tout en étant un État membre de l’OTAN. Sa façon de gérer cette complexité est très raffinée.

Pendant de nombreuses années, la Norvège a eu des problèmes bilatéraux avec la Chine, problèmes qu’elle a tenté de régler. Dans le cadre du Conseil de l’Arctique, de nombreux pays travaillent ensemble, en particulier avec les États observateurs, car beaucoup de pays, comme la Chine et d’autres, s’intéressent à ce qui se passe dans le Nord.

Selon moi, il convient d’entretenir des relations diplomatiques et autres afin de comprendre les autres et de travailler en partenariat avec eux, s’il y a lieu, pour gérer cet écosystème fragile. On peut avoir une incidence sur l’Arctique sans se trouver dans l’Arctique. Il y a de nombreuses discussions pertinentes liées aux changements climatiques et aux mesures d’atténuation, car les activités de pays comme la Chine ont des répercussions, par exemple, sur les dépôts de carbone noir dans l’Arctique.

Oui, nous devons considérer l’Arctique du point de vue de la souveraineté nationale. Nous sommes un État littoral, et en notre qualité d’État littoral, nous avons des responsabilités et des droits. Or, nous ne devons pas oublier que de nombreux acteurs différents à l’échelle mondiale ont une incidence sur ce qui se passe dans le Nord. Tant que nous ne perdons pas de vue nos obligations juridiques internationales et celles des autres, je pense que nous pouvons adopter une approche favorable à la coexistence pacifique dans l’Arctique.

La sénatrice Bovey : Merci.

La sénatrice Coyle : Merci beaucoup, monsieur Wilczynski. Vous avez mentionné le Parlement sami. J’aimerais que vous nous parliez, d’abord de façon générale, de la manière dont le gouvernement de la Norvège interagit avec le peuple autochtone des Samis, des consultations qu’il mène auprès d’eux et de la relation qu’il entretient avec eux relativement à une grande variété de dossiers. Ensuite, plus précisément, comment le Parlement sami fonctionne-t-il? Enfin, pouvons-nous tirer des leçons de tout cela?

M. Wilczynski : Le Parlement sami a été créé... J’essaie de me rappeler exactement quand; c’était il y a de nombreuses années... Je pense que c’était en 1997. Sa création faisait partie d’un processus d’excuses pour tous les torts que les Samis ont subis pendant de nombreuses années à cause de la politique d’assimilation forcée de la Norvège.

La sénatrice Coyle : Il fait donc partie du processus de réconciliation.

M. Wilczynski : Il est établi dans le Nord, à Kautokeino, je crois — non, désolé, à Karasjok. Je me suis trompé de ville. Franchement, les allégeances politiques des représentants qui siègent au Parlement sami sont semblables à celles qu’on retrouve au Parlement national. Les gens qui se présentent appartiennent à des partis politiques similaires. Un représentant occupe un poste semblable à celui du Président, mais il a aussi d’autres responsabilités, comme celle de s’entretenir avec le gouvernement norvégien sur les dossiers en cours.

Une partie du débat porte sur la question de savoir si le mandat du Parlement sami reflète la gamme complète de dossiers qui intéressent les Samis.

Nombreux sont ceux qui croient que le mandat devrait aller plus loin que les dossiers dont les Samis sont responsables. Beaucoup de questions ont une incidence sur les Samis, par exemple, l’élevage des rennes. J’ai écouté le témoignage très émouvant de nos collègues de l’Institut de recherche communautaire de l’Arctique. On se pose des questions semblables, par exemple, sur la façon dont le gouvernement norvégien gère les troupeaux de rennes dans le Grand Nord et sur les répercussions de ses politiques sur les Samis.

Le parlement national prend aussi des décisions dans d’autres dossiers qui touchent les Samis, comme l’exploitation minière et le développement économique. Or, encore une fois, la relation est différente parce que même dans le Grand Nord de la Norvège, les Samis ne forment pas nécessairement la majorité de la population.

Comme je l’ai déjà dit, la population du Nord de la Norvège est de 500 000 habitants, et le nombre de Samis s’élève à environ 50 000. Même s’ils vivaient tous dans ces comtés, ce qui n’est pas le cas, ils représenteraient seulement environ 10 p. 100 de la population.

La relation des gens avec leur identité samie est très compliquée. C’est une des choses que j’ai apprises au sujet de la complexité de la société norvégienne. Pendant de nombreuses années, les gens ont caché leur identité autochtone ou leurs origines samies, et c’est seulement récemment que de plus en plus de gens ont commencé à reconnaître leurs racines samies.

J’ai entendu plusieurs histoires très émouvantes au sujet de familles dans lesquelles les frères et sœurs ne s’entendent pas sur leur identité autochtone. L’un se considère comme Autochtone, alors qu’un autre, non.

Une des histoires très émouvantes que j’ai entendues concernait un mari et une femme qui s’étaient caché mutuellement leur identité samie. C’est seulement plus tard dans leur vie qu’ils ont avoué et accepté leur identité.

Les séquelles des politiques d’assimilation forcée se font encore sentir. C’est pour cette raison qu’à titre d’ambassadeur du Canada, je trouvais important de faire connaître la Commission de vérité et de réconciliation, ainsi que de parler des appels à l’action.

Ce que j’ai trouvé intéressant lorsque j’ai parlé avec de nombreux Samis est qu’ils m’ont dit que, bien que la Norvège ait demandé des excuses et tenté une réconciliation — et qu’elle ait déployé des efforts importants à cet égard —, ils espéraient qu’on suivrait quand même le processus de vérité et de réconciliation pour qu’ils puissent raconter leur histoire et leur expérience, et parler des conséquences sur eux, leur famille et leur collectivité.

Tout cela pour dire que le contexte est différent; il est compliqué et multidimensionnel. Je pense que le Parlement sami est un outil intéressant, mais qu’il ne couvre pas entièrement la dynamique de la relation entre la population samie et le gouvernement de la Norvège.

La sénatrice Coyle : Comme vous l’avez dit, au Canada, nous pouvons apprendre des autres, tout comme les autres peuvent apprendre de nous et d’autres. Si je comprends bien, vous avez mentionné une sorte d’approche intégrée et structurée du développement de collectivités saines dans l’Arctique norvégien. Pensez-vous qu’il pourrait être utile pour le Canada de tirer des leçons de certains aspects de cette méthode, non pas de son résultat, mais de cette approche générale?

M. Wilczynski : Encore une fois, je pense en effet que l’approche locale, l’approche collectivité par collectivité, est particulièrement utile. Je ne suis pas sûr que l’intégralité de l’expérience de la Norvège s’applique au Canada, mais il est utile de trouver des collectivités de petite taille semblables, et de parler à la population samie et aux collectivités côtières. Dans ces collectivités de petite taille, on trouve des situations très particulières que nous devons garder à l’esprit, pour ce qui est des relations avec les Samis, mais aussi, de façon plus générale, avec les collectivités de petite taille.

Par exemple, en observant la Norvège, nous pouvons tirer beaucoup d’enseignements utiles sur les collectivités côtières, qui pourraient être applicables à des petites villes de la Colombie-Britannique ou de Terre-Neuve-et-Labrador, quant à la santé, à l’accès à Internet, à l’emploi, au secteur énergétique, à la relation entre les collectivités et les grandes entreprises, et à l’aquaculture. Toutes ces questions sont intégrées, mais sont mieux comprises, je pense, aux niveaux local et communautaire.

La sénatrice Coyle : Les énergies renouvelables. Nous connaissons tous quelque chose de la Norvège et de son secteur pétrolier et gazier, qui, comme nous le savons, est un moteur important pour ce pays. Les énergies renouvelables. Que fait la Norvège dans ce domaine?

M. Wilczynski : La Norvège est depuis longtemps à la fine pointe de ce domaine, tout simplement en raison de l’abondance de l’énergie hydroélectrique dans ce pays. La Norvège est, depuis de nombreuses années, une puissance hydroélectrique. Il s’agit de sa principale source d’énergie, et c’est une réelle chance pour eux. Au niveau national, ils produisent, honnêtement, très peu de gaz à effet de serre parce que les collectivités dépendent habituellement de l’hydroélectricité.

Ce que je trouve réellement intéressant est l’utilisation de véhicules électriques et d’autres types de nouvelles technologies, la disponibilité de ces technologies. Il n’est pas rare de voir des Tesla dans l’Arctique norvégien. L’accessibilité de ce type de borne de recharge n’est, encore une fois, pas rare dans le Nord, bien que cela soit moins fréquent que dans le Sud.

Encore une fois, le contexte historique relatif aux sources d’énergie est différent en Norvège.

La sénatrice Coyle : Merci.

Le président : Vous avez parlé des Samis et du Parlement, des excuses et des discussions relatives à la réconciliation qui étaient en cours lorsque vous étiez en Norvège. Il s’agit de questions qui occupent l’avant-scène au Canada. La réconciliation semble être l’une des priorités de notre gouvernement actuel, et l’on parle d’une relation de nation à nation.

Pourriez-vous décrire les différences relatives à l’approche à l’égard des peuples autochtones, en comparant celle du Canada à celle de la Norvège? Cette question est peut-être difficile.

M. Wilczynski : C’est une question difficile parce que de part et d’autre, la situation est éminemment complexe. Tout d’abord, encore une fois, historiquement, les Samis et les Scandinaves du Nord vivent dans un territoire partagé semblable depuis des centaines, sinon des milliers d’années. Leur développement et leurs relations sont le résultat d’une histoire européenne assez complexe et des caractéristiques spécifiques de ce lieu.

Encore une fois, une différence fondamentale est que les Samis sont un peuple unique, présent dans de nombreux territoires nationaux. Cette réalité particulière est différente pour de nombreuses Premières Nations et de nombreux peuples autochtones au Canada, même si ce n’est pas le cas de tous, car il existe, dans notre pays, des centaines de peuples des Premières Nations, inuits et métis, et leur relation avec l’État est ici constitutionnelle, légale, historique et fondée sur des traités et différents types d’obligations qui ne sont pas nécessairement les mêmes que ceux de la Norvège.

Encore une fois, je reviens à l’une des choses que j’ai dites plus tôt. À titre d’habitant du Sud et d’immigrant au Canada, je trouve en effet difficile de parler de la nature de la relation entre les peuples autochtones et les gouvernements parce que je bénéficie de privilèges et de pouvoirs. La façon dont je perçois et décris cette relation pourrait être fondamentalement différente de la perception d’un Sami en Norvège ou d’un Gwich’in dans le Nord du Canada.

J’espère que cela vous donne au moins une idée. J’ai essayé de répondre à votre question du mieux que je pouvais.

Le président : Merci. Vous avez mentionné le pétrole et le gaz, évidemment, et dit que même en Norvège, ce thème est controversé, bien que ce pays dispose d’un fonds de fiducie énorme qui est, j’imagine, très rassurant pour de nombreux Norvégiens.

Comme vous le savez, le Canada a mis en place un moratoire sur le pétrole et le gaz dans l’Arctique, et vous avez dit qu’il y en avait un à certains endroits en Norvège.

Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur la controverse relative à l’exploitation pétrolière et gazière? Quelles sont les préoccupations, et quels sont les avantages et les inconvénients? Pouvez-vous nous parler un peu du moratoire? Pourquoi a-t-il été appliqué et quelle est sa portée en Norvège?

Dans deux ans, nous allons devoir nous attaquer à l’examen de ce moratoire au Canada.

M. Wilczynski : Tout d’abord, en Norvège, je pense que l’opinion générale est que l’industrie pétrolière et gazière a joué un rôle fondamental dans l’obtention de la richesse et de la prospérité actuelle. Une discussion est en cours dans le milieu politique norvégien au sujet de la longueur de la période de transition qui sera nécessaire pour finir par abandonner cette industrie.

En attendant, je pense que la plupart des Norvégiens estiment que le pétrole et le gaz du plateau continental norvégien et dans l’Arctique sont extraits de la façon la plus responsable possible, et qu’ils continueront d’utiliser cette méthode dans l’avenir prévisible. Toutefois, je le répète, on discute actuellement de la façon de déterminer combien de temps il faudra pour effectuer cette transition.

Là encore, ce qui est intéressant est que le fonds de pension dont vous parlez a récemment fait l’objet d’une discussion dans les médias, car on envisage l’abandon de l’investissement de ces fonds dans le pétrole et le gaz. La seule raison pour laquelle je continue à suivre les actualités de la Norvège depuis mon retour est que cela m’intéresse.

Ceci n’est que mon observation personnelle, mais je pense qu’il est assez ironique que les revenus générés grâce à l’exploitation du pétrole et du gaz continuent d’être versés à un régime qui investit dans certains secteurs. Cela ne s’arrête pas. Mais il semblerait que le fonds de pension souhaite s’éloigner à l’avenir de l’investissement dans le pétrole et le gaz. Encore une fois, cela fait partie du discours politique en Norvège.

Pour ce qui est de la région où le moratoire a été appliqué, il s’agit d’une région appelée les îles Lofoten dans l’Arctique norvégien. C’est un archipel, formé des îles qui sont probablement les plus belles que j’aie visitées, au large de la côte ouest de la Norvège, aux trois quarts du pays en direction nord, juste au sud de Tromsø et au nord de Bodo, en Norvège. Il s’agit d’un archipel fantastique.

C’est une région importante où la morue est pêchée et où ces poissons viennent apparemment pondre leurs œufs, si bien que cette région particulière est sensible. En Norvège, la pêche à la morue demeure un moteur économique important. Pour ce qui est de la sensibilité environnementale de cette zone, les populations locales discutent activement de la question de savoir si les avantages de la réalisation de forages supplémentaires dans cette région particulièrement sensible en valent vraiment la peine étant donné les effets potentiels sur les stocks de morues et, encore une fois, sur cette zone d’une beauté spectaculaire, de plus en plus importante pour le tourisme.

Je le répète, ces questions font actuellement l’objet d’un débat politique, comme c’est le cas de toutes les questions en Norvège. Lorsque j’ai quitté ce pays, au cours des dernières élections, on discutait afin de déterminer si cela devait avoir lieu. Pour autant que je sache, les choses pourraient avoir changé. Je vous recommande de demander à ma bonne amie, Anne Kari Hansen Ovind, ambassadrice de la Norvège au Canada, si ce débat est toujours d’actualité. Mes souvenirs datent un peu, étant donné que je suis rentré depuis déjà près d’un an. Voilà ce que je sais sur ce débat, monsieur le sénateur.

Le président : Merci. Pour ce qui est de la controverse concernant le secteur pétrolier et gazier norvégien, notre gouvernement actuel a imposé un moratoire — dont l’idée venait en réalité de notre premier ministre dans le cadre d’une initiative avec le président Obama — au motif que le forage dans l’Arctique ne pouvait pas être réalisé de façon sûre.

Dans la controverse que vous avez mentionnée en Norvège, l’une des questions qui se posent est-elle le risque associé au forage pétrolier et gazier? Cela fait-il partie du débat en Norvège? Comme vous l’avez dit, on a beaucoup d’expérience en matière de forage dans l’Arctique. La population fait-elle généralement confiance aux pratiques et aux règlements, ou le risque fait-il partie de la controverse que vous avez mentionnée?

M. Wilczynski : Moins, si je me souviens bien. La raison est, encore une fois, environnementale parce que les eaux au large de la côte arctique de la Norvège sont différentes de celles de la côte arctique du Canada. Il n’y a pas de problème de glaces et d’icebergs. Les eaux, jusqu’à Tromsø, sont libres toute l’année.

Dans le cadre de leurs règlements, ils essaient de déterminer jusqu’à quelle distance des zones glacières vers le Sud ils sont autorisés à forer, ce qui est, honnêtement, très loin au Nord. La limite est très loin dans le cercle arctique. Ils n’ont pas le même type de difficultés environnementales, même si des problèmes se posent relativement à la distance, à l’eau froide et au givrage, parfois, en ce qui concerne les navires, mais ces difficultés ne ressemblent pas à celles qui pourraient se présenter, par exemple, dans notre océan Arctique.

Il existe des secteurs de collaboration possibles dans ce domaine. Des entreprises norvégiennes souhaitent tout particulièrement travailler avec des partenaires à Terre-Neuve-et-Labrador. Elles estiment que l’industrie extracôtière du Labrador est semblable à celle de la Norvège septentrionale et arctique. Des partenariats entre Memorial University et des entreprises à St. John’s et d’autres entreprises en Norvège examinent la façon de gérer les risques extracôtiers dans des conditions météorologiques difficiles, mais cela est différent si on ne l’examine que dans le contexte arctique.

Le président : Je ne vois pas d’autres questions, et nous n’avons d’ailleurs plus de temps. J’aimerais vous remercier énormément d’avoir pris le temps d’être parmi nous et de nous faire part de votre expérience, qui semble avoir été très bénéfique pour vous. Nous vous savons gré d’être venu nous en parler.

(La séance est levée.)

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