Délibérations du Comité sénatorial spécial sur l'Arctique
Fascicule no 26 - Témoignages du 8 avril 2019 (séance de l'après-midi)
OTTAWA, le lundi 8 avril 2019
Le Comité sénatorial spécial spécial sur l’Arctique se réunit aujourd’hui à 13 h 1 pour examiner les changements importants et rapides dans l’Arctique et les effets de ces changements sur les premiers habitants.
La sénatrice Patricia Bovey (vice-présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La vice-présidente : Bonjour. Je m’appelle Patricia Bovey. Je suis sénatrice du Manitoba et je suis vice-présidente du Comité sénatorial spécial sur l’Arctique. Je remplace aujourd’hui le sénateur Patterson, président, qui est malheureusement absent. J’aimerais demander à ma collègue de se présenter.
La sénatrice Anderson : Margaret Dawn Anderson, sénatrice des Territoires du Nord-Ouest.
La vice-présidente : Certains des membres de notre comité voyagent avec d’autres comités du Sénat aujourd’hui. Nous estimions tous qu’il était quand même important de poursuivre notre étude sur les changements importants et rapides qui se produisent dans l’Arctique et leurs effets sur ses premiers habitants.
Nous recevons notre premier groupe de témoins cet après-midi, de 13 heures à 14 heures, et je suis heureuse d’accueillir Ken Coates, professeur et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en innovation régionale, École de politique publique de l’Université de la Saskatchewan; et Jessica Shadian, directrice générale et fondatrice d’Arctic 360.
Je vous remercie tous les deux d’être parmi nous aujourd’hui, malgré le temps pluvieux, qui ressemble à une journée d’hiver, que nous avons ici à Ottawa.
Monsieur Coates, pourquoi ne commençons-nous pas par votre déclaration préliminaire, après quoi nous passerons à Mme Shadian, puis aux questions?
Sachez que nous approchons de la fin de nos témoignages dans le cadre de ce comité. Nous soumettrons notre rapport avant la fin de la présente session parlementaire. Les questions que nous vous poserons seront de portée générale. Nous souhaitons que vous fournissiez un complément d’information en plus de votre témoignage.
Ken Coates, professeur et chaire de recherche du Canada en innovation régionale, École de politique publique, Université de la Saskatchewan, à titre personnel : Merci beaucoup. Il y a effectivement beaucoup de trous à combler, d’après ce que je comprends, et j’imagine que c’est aussi votre perception. Il s’agit d’un domaine complexe.
Permettez-moi d’abord de vous remercier de nous avoir invités. Je suis ravi de m’adresser à vous aujourd’hui. J’ai pris connaissance des documents d’information destinés à ce comité, ainsi que du travail que vous avez entrepris de faire sur l’évolution rapide de l’Arctique et les effets que cela a sur les peuples autochtones.
Vous avez dressé une liste impressionnante de défis, dont de nombreux échappent aux explications et aux solutions faciles.
Aujourd’hui même, la Garde côtière a signalé qu’elle n’était pas en mesure de s’acquitter de ses nouvelles fonctions dans le Nord, et nous allons faire face à de graves problèmes dans un avenir pas trop lointain. Les coûts qu’entraîne la solution des problèmes sont bien supérieurs à ce que le Canada est prêt à payer. Nous devons être honnêtes à ce sujet et chercher de nouvelles sources de financement. Nous devons nous demander combien les Canadiens investissent vraiment dans l’Arctique. Je pense que nous sommes investis aux niveaux social, symbolique, voire spirituel. Sur le plan pratique, pas tellement. Chaque année, il y a beaucoup plus de gens qui vont en Floride qu’à Whitehorse ou au Nunavut. Nous ne prenons pas le genre d’engagement national que nous devrions avoir à l’égard de cette région.
Nous n’avons pas fait les investissements de base. Mon père s’est rendu au Yukon en 1964 pour travailler sur la route de Dempster, qui a fini d’être construite et a été ouverte l’an dernier. Il a fallu de 1964 à 2018 pour construire une route relativement courte. Et on ne parle que d’une route. Il y a beaucoup d’endroits où il n’y a pas de routes et peu d’infrastructures, surtout en ce qui concerne Internet. Nous en reparlerons dans quelques instants.
Je suis historien de formation. Il convient de souligner, comme vous le constaterez en regardant le passé, que l’intérêt des Canadiens pour l’Arctique fluctue. Il est ravivé à certains moments — lorsque les Russes brandissent leurs épées dans le Grand Nord, nous nous y intéressons pendant un certain temps, et lorsqu’ils baissent la garde, nous avons aussi tendance à faire de même. Il faut garder cela à l’esprit.
Nous devons également reconnaître — et je crois que votre comité le fait — qu’il y a beaucoup plus de choses à accomplir que ce que les gens croient et reconnaissent régulièrement. Le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest est l’une des entités publiques les plus innovatrices en Amérique du Nord, peut-être même dans le monde, et il accomplit des choses extraordinaires en travaillant avec les communautés autochtones et en collaborant. Les organisations autochtones elles-mêmes, l’Inuvialuit Regional Council, le Nunavut proprement dit, font des choses remarquables, et les transitions qui se sont produites ont été assez marquées.
La vice-présidente : Excusez-moi, monsieur Coates. Puis-je vous demander de parler un peu plus lentement pour que les interprètes puissent vous suivre?
M. Coates : Toutes mes excuses. J’avais été averti, mais j’ai oublié.
À l’échelle mondiale, l’Arctique est un modèle de mobilisation des Autochtones. Nous avons fait plus dans le Nord que presque n’importe où ailleurs. Cette mobilisation existe à plusieurs niveaux, qu’il s’agisse de l’engagement des Autochtones envers les Autochtones, qui est le fait de groupes autochtones canadiens, ou encore des relations entre Autochtones et gouvernements, qui ont donné lieu au Conseil de l’Arctique. La coopération est inégale dans l’Arctique, et ce conseil, dont les gens parlent à juste titre en termes très positifs, a connu un succès limité jusqu’à maintenant. Il tente d’accomplir quelque chose malgré son mandat limité. Nous voyons aussi des États non arctiques qui manifestent un plus grand intérêt, la Chine, le Japon, l’Inde, la Corée du Sud, l’Union européenne, qui s’immiscent dans un territoire que nous pensions être l’Arctique et le territoire circumpolaire.
En ce qui concerne les affaires de l’Arctique, notre leadership bat de l’aile. Le Canada a joué un rôle de premier plan pendant longtemps. Si vous regardez ce qui se passe maintenant, ce sont la Norvège et la Scandinavie qui semblent prendre le pas. L’Europe du Nord joue un rôle plus important qu’auparavant dans les affaires arctiques.
Nous avons une bonne collaboration sur le plan conceptuel. Une vaste collaboration universitaire et de bons partenariats émergent. Là où le bât blesse, c’est du côté de la collaboration des entreprises. Très peu de choses ont été faites dans ce domaine, et c’est malheureux.
Du côté canadien, nous avons beaucoup de respect pour les droits des Autochtones. D’énormes transformations sont en cours. Sur le plan pratique, il y a des lacunes importantes à tous les niveaux, du logement à l’approvisionnement en eau, en passant par la sécurité alimentaire, par exemple. Le volet des droits semble bien se porter, mais au-delà de ce volet, les applications pratiques ne fonctionnent pas aussi bien.
En Scandinavie, on accorde moins d’importance aux droits des Autochtones. Ils n’ont pas complètement disparu, mais ils sont moins bien établis. Le pays a obtenu d’excellents résultats sur le plan socio-économique. La situation semble meilleure sur le plan de l’éducation, de la santé, des relations sociales, de la langue et de la culture que dans de nombreuses régions du Nord canadien.
Je voulais terminer en parlant des défis que présente l’innovation. Je décris cela comme la lutte de l’Arctique pour se tailler une place au XXIe siècle. Si vous regardez l’Arctique canadien à l’heure actuelle, vous constaterez que l’économie du Nord est en fait une économie du XXe siècle, une économie des années 1970 et 1980 qui dépend de l’énergie, des ressources minérales et de ce genre de choses.
Nous sommes à une époque où le monde change incroyablement vite. Vous parlez du fait que l’Arctique est en train de changer. Les nouvelles technologies révolutionnent le monde à un rythme incroyable; la numérisation de masse, la robotique, qui a des effets au quotidien, les technologies autonomes, les voitures, les camions, les bulldozers et les autres machines du genre, les capteurs, les drones, les mégadonnées. Au Canada, l’innovation qui se produit dans l’Arctique est minime, au point presque de ne pas être pertinente, non pas parce que nous n’avons pas de gens qui s’en soucient. Il y a beaucoup de gens que cela préoccupe. Des efforts importants sont déployés individuellement. Mais en tant que pays, nous ne faisons rien pour devenir un chef de file mondial. Le Canada devrait être un chef de file mondial en matière d’innovation dans le Nord. Nous devrions être un chef de file mondial en matière d’innovation dans l’Arctique. Pour l’instant, ce n’est pas le cas. Notre capacité d’innovation est de nature urbaine et méridionale. Elle s’exerce surtout dans les grandes villes. Il existe tout de même quelques endroits, comme Saskatoon, qui se démarquent pour ce qui est de leur espace d’innovation.
L’intérêt scientifique pour l’Arctique est largement axé sur les sciences naturelles pour de bonnes raisons : les changements climatiques, la gestion de la faune, ce genre de choses.
La réalité, c’est que les infrastructures dans le Nord sont vraiment déficientes pour faire face à l’innovation. Dans de nombreuses régions du Nord, les services Internet laissent grandement à désirer. De nombreuses collectivités n’ont pas un accès sûr à l’électricité. J’étais à Yellowknife il y a quelque temps et on m’a dit qu’il y avait eu 50 pannes de courant cet hiver. La plupart d’entre elles ont été de courte durée, mais le courant a quand même été coupé 50 fois.
Nous avons aussi de graves problèmes au chapitre de la préparation humaine, peu importe si nous avons les capacités intellectuelles, de même que les capacités en TI et celles des gens de métier, pour faire face à l’économie de l’innovation.
Soyons clairs : la technologie n’est pas une panacée. Je ne serais pas à l’aise si vous partiez d’ici en pensant que les solutions seront technologiques. La technologie est source de perturbation. Il est possible que le monde du travail change radicalement. Beaucoup d’emplois que les communautés autochtones du Nord tiennent pour acquis seront perdus, parce que des camions autonomes vont prendre le contrôle des mines, par exemple. Il est possible d’exploiter des mines à distance, comme on le fait en Australie. Les gens qui exploitent la mine pourraient être à Toronto, pas du tout dans le Nord.
Nous l’avons déjà vu dans le cas du commerce électronique. Nous faisons une étude en Saskatchewan qui montre que le commerce électronique nuit sérieusement et systématiquement aux entreprises locales. Nous devons trouver des solutions aux problèmes.
Nous avons un énorme problème de logement dans l’Arctique canadien. Des milliers et des milliers de maisons sont nécessaires. Nous devrions être un chef de file mondial pour ce qui est de déterminer si les maisons imprimées en 3D, qui existent déjà, peuvent être utilisées dans l’Arctique. Je n’en suis pas certain, mais nous devrions déterminer si cela peut se faire et être viable à long terme. En passant, une maison d’une superficie de 1 200 pieds carrés imprimée en 3D peut coûter environ 40 000 $ à construire, et peut être construite en 24 à 48 heures. Il s’agit de coûts très différents des coûts actuels.
Est-ce que cela fonctionnera dans le Nord? Nous ne le savons pas, mais nous devrions essayer.
Pour ce qui est des soins de santé, nous avons de nouvelles technologies qui permettent la surveillance numérique des personnes et les interventions chirurgicales à distance. Certains des développements qui se font dans les Forces armées américaines pourraient constituer des solutions que nous pourrions utiliser partout dans l’Arctique. La préparation aux situations d’urgence au combat pourrait être utile dans le Grand Nord.
En ce qui concerne la sécurité alimentaire, nous avons la capacité de construire de petites usines alimentaires, à l’échelle de la maison privée. Nous n’examinons pas ces questions de façon suffisamment approfondie. Il faut aussi essayer de comprendre ce que les premiers habitants du Nord veulent en ce qui a trait à ces technologies. Ce n’est pas parce qu’une technologie existe qu’il faut l’appliquer. Les technologies peuvent compromettre beaucoup d’activités traditionnelles. Elles peuvent changer des vies de bien des façons.
À mon avis, la collaboration circumpolaire en matière d’innovation technologique est essentielle, mais ce n’est qu’avec l’engagement de la communauté circumpolaire qu’il sera possible de créer des économies d’échelle. Les territoires du Nord comptent moins de 2 millions d’habitants, même si vous incluez toutes les régions septentrionales des provinces. Il faut une population beaucoup plus importante pour réaliser des économies d’échelle, afin d’assurer la viabilité de la technologie et de faire de cette dernière une solution efficace. Vous devez également encourager la collaboration des entreprises, qui font beaucoup dans le nord de la Scandinavie. Les Scandinaves collaborent étroitement avec les Russes, mais pas encore avec les Canadiens.
Nous pourrions faire beaucoup plus pour appuyer la collaboration entre les gouvernements, les entreprises et le milieu universitaire, qui représentent le fondement de l’innovation moderne.
Vous avez mentionné que vous approchiez de la fin de votre étude. Je sais que vous connaissez maintenant très bien les défis et les complexités qu’ils posent dans l’Arctique canadien. Ils sont très réels et très graves. Les premiers habitants en paient le prix chaque année, alors que nous tardons à résoudre les problèmes. Chaque année, nous tardons à résoudre les problèmes d’Internet, de routes, d’électricité, notamment.
Bien franchement, quelle est notre situation? Nous ne sommes pas bien préparés; l’Arctique n’est pas bien préparé pour tirer parti des possibilités du XXIe siècle. Nous devons faire beaucoup plus.
Ce qui m’inquiète le plus, c’est que le Canada est essentiellement en train de devenir une économie urbaine. Plus de 100 p. 100 des emplois créés au Canada l’an dernier l’ont été dans les cinq plus grandes villes du pays. Le reste du pays a connu une réduction nette du nombre total d’emplois. Nous allons dans une direction qui nous éloigne de la solution des problèmes de l’Arctique, simplement à cause du poids de nos structures et de nos processus économiques.
Vous connaissez les problèmes. De toute évidence, vous connaissez aussi les solutions; nous savons ce qu’il faut faire. Je ne pense toutefois pas que nous ayons encore la volonté nationale de le faire. J’espère que nous pourrons la trouver. Merci.
La vice-présidente : Merci beaucoup, monsieur Coates.
Madame Shadian, vous avez la parole.
Jessica Shadian, directrice générale et fondatrice, Arctic 360 : Merci de m’avoir invitée. J’ai l’impression que mon témoignage s’imbrique bien dans celui de Ken.
Je vais prendre une seconde pour parler d’Arctic 360. Notre mission est de sensibiliser les institutions financières de Bay Street et du monde entier à l’égard du Nord, en vue d’attirer des capitaux pour les investissements dans les infrastructures essentielles, c’est-à-dire que nous nous concentrons sur la collaboration avec les diverses institutions financières, le gouvernement fédéral, les gouvernements territoriaux et les organisations autochtones — surtout les sociétés de développement — en vue de trouver une façon de pouvoir créer de meilleurs partenariats public-privé qui fonctionnent pour le Nord et qui incluent des capitaux autochtones.
Je vais parler d’une lacune importante qui subsiste en ce qui concerne ce que nous devons faire dans le Nord.
L’ensemble du conseil d’administration d’Arctic 360 vit ou travaille dans le Nord, et près de la moitié de ses membres sont des Autochtones.
Ce que je veux dire se résume essentiellement à une phrase : le Canada a besoin d’un nouveau discours au sujet du Nord. Je pense que ce discours doit illustrer beaucoup mieux que maintenant les réalités politiques mondiales émergentes. Essentiellement, nous avons besoin de notre propre stratégie pour le Nord, calquée sur celle de la route de la soie polaire et, franchement, le Canada a besoin de sa propre nouvelle route de la soie. Autrement, d’autres pays et institutions continueront de définir pour eux-mêmes le rôle de l’Arctique dans le monde et, par conséquent, celui du Nord canadien.
Bien qu’il y en ait d’autres qui ont été abordés tout au long des délibérations de ce comité, je vais parler de trois discours dominants pour l’Arctique, qui sont pertinents dans le contexte de mon intervention aujourd’hui. Le premier concerne l’avenir de l’ensemble de l’Arctique, le deuxième est celui de la solution de fortune, et le troisième est celui de la boule à neige.
Par la suite, je vais vous parler de ce dont nous avons besoin, à mon avis, et c’est le discours de l’économie émergente de l’Arctique nord-américain.
Le discours concernant l’avenir de l’ensemble de l’Arctique est celui de l’Asie. Le chercheur Samir Saran soutient que certaines régions autrefois périphériques de l’orbite occidentale sont en train de devenir des plaques tournantes mondiales à part entière. Selon lui, la région indo-pacifique, l’Eurasie et l’Arctique sont trois régions précises qui sont en train de reconfigurer nos cartes mentales et physiques du monde.
En ce qui concerne l’Arctique, l’intérêt de la Chine pour cette région est au cœur de la thèse de ce chercheur, notamment la stratégie de la route de la soie polaire de ce pays. Lorsqu’a été publié le guide de 365 pages sur le passage du Nord-Ouest, le porte-parole de l’époque déclarait — et je pense que cela résume bien la situation — qu’une fois que la route serait couramment utilisée, elle transformerait le transport maritime à l’échelle mondiale et aurait une influence profonde sur le commerce international, l’économie mondiale, le flux de capitaux et l’exploitation des ressources.
C’est là essentiellement l’essence du discours sur l’avenir de l’ensemble de l’Arctique. Je serai heureuse d’en parler davantage si vous avez des questions.
Le deuxième discours est celui de la solution de fortune, et je pense que c’est celui que la plupart des Canadiens connaissent le mieux. C’est la solution de fortune utilisée pour cacher le désespoir. En ce qui concerne le Nord, Bay Street et le secteur de la technologie, par exemple, ne se demandent pas si l’Arctique représente une bonne occasion d’investissement. Ils n’ont même jamais envisagé cette possibilité. La plupart des Canadiens considèrent le Nord uniquement comme un aspect des obligations sociales du gouvernement fédéral, autrement dit, une source de dépenses, plutôt qu’un secteur géopolitique important ou une occasion économique pour l’ensemble du Canada.
Ainsi, ce sont un sentiment de désespoir, des schémas cycliques de pauvreté, un sentiment d’éloignement, et cetera, qui prévalent dans le Nord. Le sentiment sous-jacent en est presque un de défaite, mais à cause du contexte historique, nous avons l’obligation de toujours continuer à aider, et c’est là qu’intervient la solution de fortune économique. Honnêtement, je pense que le budget de l’Agence canadienne de développement économique du Nord en est un bon exemple.
Le troisième discours est celui de la boule à neige, un discours de convenance pour la communauté mondiale des investisseurs. Il commence avec l’idée que l’Arctique est le baromètre des changements climatiques à l’échelle mondiale, le canari dans la mine de charbon, une vaste étendue de toundra gelée avec des ours polaires prisonniers des icebergs qui fondent. L’Arctique devient alors un épouvantail très pratique. La nouvelle déclaration de Barclays sur le climat et l’énergie, par exemple, le montre bien. Cette nouvelle stratégie parle d’accroître les investissements dans les projets à faibles émissions de carbone. Pourtant, elle reconnaît également que le pétrole et le gaz seront la principale source d’énergie pour les décennies à venir, et que la dépendance à l’égard du gaz en tant que combustible de transition devrait augmenter. Ainsi, à court terme, les investissements qui seront faits refléteront cette réalité. Après tout, les citoyens ont besoin d’énergie abordable pour faire rouler leur voiture, chauffer leur maison, exploiter leur entreprise et faire croître leur économie.
Dans la stratégie, il est ensuite question plus spécifiquement de l’Arctique et de deux domaines en particulier : le charbon et l’Arctique. Lorsqu’il est question de l’Arctique, il est question de sa fragilité. Essentiellement, la diligence raisonnable qui est exercée pour l’Arctique fera en sorte qu’il sera pratiquement impossible pour le secteur bancaire d’investir dans des projets pétroliers et gaziers.
La vice-présidente : Veuillez ralentir, s’il vous plaît.
Mme Shadian : D’accord. Je suis désolée.
Bien que l’énergie abordable soit essentielle au fonctionnement des économies et au mode de vie des citoyens du monde entier, les changements climatiques dans l’Arctique l’emportent essentiellement sur les besoins ou les préoccupations des citoyens qui y vivent.
La question de savoir si le Canada devrait faire l’exploitation extracôtière du gaz dans l’Arctique est complètement déplacée. Nous savons tous que l’Arctique fond à cause des émissions de CO2 qui proviennent de l’extérieur de l’Arctique, et il ne suffira pas de transformer la région en boule à neige pour y faire disparaître les changements climatiques ou en empêcher la fonte, mais cela pourrait donner l’impression que Barclays est une bonne entreprise citoyenne.
Les dirigeants du Nord appellent maintenant cela une forme d’écocolonialisme, mais, au bout du compte, les institutions financières qui font des investissements prennent leurs décisions sur la base des discours dominants et des tendances croissantes. Dans l’espace des investisseurs institutionnels, la tendance est de montrer qu’on met l’accent sur l’importance des changements climatiques. Mettre l’Arctique dans une boule à neige est une façon très pratique et peu coûteuse de montrer cet engagement. Je dirais que c’est parce qu’il n’y a pas à Bay Street de tendance dominante à dire que c’est dans l’Arctique que devrait être investi l’argent.
Cela m’amène à mon dernier discours, celui qui reconnaît que l’Arctique nord-américain — l’Alaska, le Nord du Canada et tout le Groenland — est la nouvelle économie émergente la plus sûre. La plupart des Canadiens ne connaissent pas le potentiel économique du Nord, qu’il s’agisse de ses ressources, de sa population croissante ou de son important littoral, avec un nouvel océan bleu tout neuf pour remodeler le commerce maritime mondial. Le Nord offre également des possibilités sans précédent pour les infrastructures intelligentes du XXIe siècle, qui devraient être à l’avant-plan et au centre d’initiatives comme les supergrappes mondiales de l’économie océanique et des technologies numériques du gouvernement, qui visent à aider le Canada à atteindre son objectif de devenir un chef de file en matière d’intelligence artificielle.
L’ironie, c’est que les fonds de pension canadiens augmentent leurs investissements en Chine, ce qui stimule la concurrence en matière d’investissements qui vient de là-bas. Par ses investissements, la Chine confirme qu’il existe déjà une nouvelle économie émergente au sommet de la planète. La Chine est la seule à faire la promotion de ce que le gouvernement fédéral devrait vraiment faire valoir auprès des caisses de retraite canadiennes, c’est-à-dire qu’il y a d’importantes possibilités d’investissement dans le Nord au Canada.
Je terminerai en formulant quelques brèves recommandations que nous pourrons approfondir au moment des questions et réponses. Premièrement, le Canada a besoin d’une vision audacieuse pour le Nord. Le Nord est la plus récente économie émergente au monde et la clé de la force future du Canada dans les affaires mondiales. La vision du Canada doit comprendre un plan détaillé pour le passage du Nord-Ouest. Je serai heureuse de répondre à vos questions au sujet d’un atelier récent que nous avons coparrainé avec la Garde côtière et Transports Canada à ce sujet.
Deuxièmement, nous avons besoin d’une feuille de route pour les investissements dans le Nord. Cela comprend le recours à la Banque de l’infrastructure du Canada pour établir un plan stratégique et pour investir activement. Ce n’est pas ce qui se fait actuellement. Les responsables disent que cela ne fait pas partie de leur mandat.
Troisièmement, les investissements dans le Nord devraient non seulement être éclairés et stimulés par des innovations dans les technologies de transport intelligent, l’intelligence artificielle, et ainsi de suite, mais ils devraient aussi contribuer à stimuler ces innovations. Je serai heureuse de parler aussi de certains projets qui se font déjà dans ce domaine dans l’Arctique nordique.
Quatrièmement, le Canada devrait prendre l’initiative de présenter l’idée d’une banque de l’infrastructure de l’Arctique au Conseil de l’Arctique. Il y a beaucoup de capitaux à investir. J’ai eu des conversations avec Affaires mondiales Canada, où on est fatigué que la Chine investisse sans entraves. Une banque de l’infrastructure pourrait faire en sorte que les investissements qui ne viennent pas d’un État lié à l’Arctique soient guidés par un cadre institutionnel et des conditions. Merci.
La vice-présidente : Je vous remercie tous les deux de vos exposés. Nous avons beaucoup de matière à réflexion.
La sénatrice Anderson : Monsieur Coates, vous avez mentionné que le Canada accorde plus d’importance aux droits ancestraux et aux droits issus de traités modernes qu’aux résultats socioéconomiques. Vous avez parlé brièvement des lacunes en matière de logement, d’eau et de sécurité alimentaire. Je suis une inuvialuite; je viens de Tuktoyaktuk. Je pose la question parce que j’ai grandi dans le Nord, et je me demande si ces pressions viennent du fait que les peuples autochtones sont aux prises avec ces problèmes, sans que le gouvernement fédéral réagisse et sans que des solutions soient proposées. Les peuples autochtones utilisent leurs droits inhérents pour tenter d’avoir accès à l’autodétermination, afin de régler les problèmes de longue date auxquels nous sommes confrontés.
M. Coates : En un mot, vous avez raison. J’ai grandi au Yukon, alors j’ai suivi le même genre de parcours. J’ai pu observer des communautés autochtones vivre dans la misère, dans bien des cas très près de communautés non autochtones pour qui tout allait très bien. On peut parler de toute la question de savoir pourquoi les peuples autochtones ont consacré tant de temps et d’efforts à se battre pour leurs droits. Le but n’était pas d’obtenir des droits, mais ces droits étaient nécessaires pour atteindre leur but. L’objectif était essentiellement l’autonomie, comme vous l’avez décrite, l’indépendance financière, comme vous l’avez décrite, et la capacité de faire les investissements nécessaires pour leurs propres collectivités.
Au cours des 15 dernières années, nous avons connu d’énormes succès. Les collectivités s’en tirent beaucoup mieux, et cela est assez généralisé. À Behchokò, par exemple, dans les Territoires du Nord-Ouest, il y a des douzaines d’étudiants, de jeunes, d’une petite collectivité dotée d’un excellent système d’éducation, qui vont à l’université et au collège. Ils n’ont pas utilisé leurs droits pour dire : « Nous les avons obtenus, alors célébrons », mais pour faire quelque chose de concret, ce dont ils avaient réellement besoin. Je crois fermement que c’est le transfert des responsabilités au Yukon et aux Territoires du Nord-Ouest et la création du Nunavut qui ont permis de vraiment changer des choses dans le Nord. Tout a commencé là. Il s’agit de l’autonomisation des communautés autochtones, afin qu’elles soient en contrôle et qu’elles prennent leurs propres décisions. Et plus ça va, plus elles prennent de bonnes décisions.
J’ai aussi parlé des aspects positifs. La meilleure nouvelle, c’est celle de la croissance des entreprises autochtones, qui prend toute une ampleur. Cela revient à ce dont Jessica parlait; les peuples autochtones là-bas veulent construire leurs propres routes et leurs propres réseaux électriques. Ils veulent investir dans de nouveaux systèmes énergétiques intelligents.
Les droits autochtones sont le point de départ. La différence en ce qui a trait à la Scandinavie est très simple. Les pays scandinaves ont pris l’engagement que, peu importe où vivent les gens, ils auront le même niveau de services publics. C’est la seule différence. Cela ne se limite pas aux populations autochtones. Dans l’île la plus éloignée de Norvège, des services Internet à haute vitesse sont disponibles. Au Canada, nous refusons de concrétiser l’engagement le plus évident. Nous le faisons pour les non-Autochtones, mais pas pour les Autochtones.
Mme Shadian : Puis-je ajouter quelque chose? Je vais revenir un peu en arrière. La Norvège et les pays scandinaves ont un système d’État beaucoup plus centralisé. Il est difficile de comparer les deux. Comme Ken le disait, tous les Samis ont pour ainsi dire le niveau de vie le plus élevé au monde parce qu’il est semblable à celui des Danois, des Suédois, des Finlandais, et cetera. Le cas du Groenland est différent, alors je ne devrais pas dire le Danemark. Les Samis ont moins de droits à l’autodétermination. Ils souhaitent obtenir davantage de droits au chapitre de leur culture et de leurs activités de subsistance, par exemple, l’élevage des rennes. Il s’agit d’une question intéressante.
Je ne suis pas une experte. Je vais dire ce que je pense, puis je parlerai du travail que je fais. L’ère des revendications territoriales a eu pour effet de pousser beaucoup d’Autochtones à devenir avocats. Il y a maintenant une foule d’Autochtones dans le Nord qui sont bien instruits et qui ont des diplômes en droit, mais peu d’entre eux ont des MBA et une formation en finances. J’ai travaillé avec plusieurs institutions financières à Toronto pour mettre sur pied un stage professionnel dans le Nord destiné aux personnes en milieu ou en fin de carrière qui travaillent pour des sociétés de développement ou dans le domaine des finances au niveau territorial ou municipal. Le stage leur donne l’occasion de passer du temps dans différents types d’institutions financières, qu’il s’agisse de services d’experts-conseils, de services bancaires, de prêteurs alternatifs ou d’organismes comme Moodys —, DBRS en fait. Ces personnes ont la possibilité d’acquérir un ensemble de compétences, mais aussi de créer des partenariats avec des institutions financières et des gens du secteur financier, des sociétés de développement, etc., qui veulent investir leurs capitaux dans ces projets.
Les institutions financières ont beaucoup à apprendre. Le Nord doit aussi apprendre ce dont il a besoin pour préparer ses analyses de rentabilisation et établir des partenariats solides, qui sont vraiment importants à long terme, surtout pour les infrastructures.
La sénatrice Anderson : Vous avez parlé du rôle du Canada dans la définition des discours pour l’Arctique. En tant qu’Autochtone vivant dans une petite collectivité du Nord et pour les peuples autochtones en général, je pense que le discours est souvent défini pour nous. C’est un problème, à mon avis. Je pense que c’est aussi un problème pour la plupart des Autochtones. Quel rôle voyez-vous pour les peuples autochtones dans la définition de leurs propres discours?
Mme Shadian : Nous travaillons à l’analyse des investissements dans les infrastructures.
Quand je dis « nous », je parle de tous les partenaires que j’ai dans le Nord. Que ce soit dans les Territoires du Nord-Ouest et au Nunavut et un peu au Nunatsiavut, nous travaillons ensemble à définir ce discours. L’analyse des investissements dans les infrastructures vise à créer une feuille de route pour les investissements. Pour avoir une stratégie en matière d’investissements, il faut évidemment être guidé par une sorte de discours général.
Ce que je dis, c’est que si le gouvernement fédéral doit, au bout du compte, être un partenaire important dans ce genre de projets... s’il veut promouvoir à l’étranger le potentiel du Nord, il doit avoir un discours et cela doit se faire en collaboration avec d’autres. C’est la prérogative du gouvernement fédéral.
Le discours que nous définissons est quelque chose de collectif, et je collabore depuis des années avec beaucoup de ces intervenants. Il s’agit essentiellement des chefs, des sociétés de développement et des gouvernements territoriaux et provinciaux. Au bout du compte, il y a beaucoup de synergie. Pour cela, il faut essentiellement que tout le monde soit au diapason relativement à ce qui doit être fait. Une bonne partie du discours... ce n’est pas mon discours. Il est le fruit de ce que j’ai recueilli et produit au fil des ans avec des collègues avec qui j’ai travaillé.
M. Coates : Si vous me permettez d’intervenir rapidement, j’aimerais mentionner que j’ai deux avantages : d’abord, je suis vieux, ensuite, je suis historien. Ces questions doivent être examinées d’un point de vue historique.
Nous devons trouver des jeunes et leur dire... je suis d’accord avec ce que vous avez dit, que le monde a vraiment changé. Pensez à 1973, lorsque le processus de revendications territoriales a commencé au Canada. Cela a pris naissance au Yukon. À l’époque, la réaction des non-Autochtones était horrible. Ils étaient vraiment mécontents que les Autochtones ne soient pas reconnaissants pour les pensionnats, les réserves et les agents des affaires indiennes. Est-ce que les gens pensent ainsi maintenant? Plus du tout.
Les organisations autochtones d’aujourd’hui sont confiantes. Il y a des gens incroyablement puissants. À l’extérieur de la Scandinavie, c’est probablement au Yukon et dans les Territoires du Nord-Ouest que l’on retrouve les meilleures relations entre les Autochtones et les non-Autochtones. Les partenariats sont réels maintenant. Ils sont fondés sur l’amitié, la collaboration et ce genre de choses. Vous comprenez que cela est le fait des collectivités. Autrefois, ce sont des gens qui venaient d’Ottawa, qui demeuraient là pendant trois ans, qui étaient à l’origine du discours. Maintenant, ce sont les communautés autochtones et leurs partenaires à long terme dans le Nord.
Ils se servent de leurs droits en matière de ressources, en particulier de leur obligation de consulter et d’accommoder, pour contrôler le secteur des ressources et déterminer les projets qui seront mis en œuvre et ceux qui ne le seront pas.
Nous voyons cela émerger dans une large mesure. Il est absolument fabuleux de voir la confiance revenir dans les communautés autochtones, ainsi que chez les jeunes, qui n’acceptent plus n’importe quoi. Le problème — et ce n’est pas leur problème —, c’est que nous n’avons pas de vision pour l’Arctique ou le Nord. Le Yukon, les Territoires du Nord-Ouest et le Nunavut ne se parlent pas autant qu’ils le devraient. Presque tous les débats autour du Nord, y compris celui-ci, laissent de côté la majeure partie de la population du Nord du Canada. Il est beaucoup question de certaines parties du nord du Québec et du Labrador, mais pas du nord de la Saskatchewan.
Les trois régions les plus pauvres du Canada sont le nord du Manitoba — pas les régions inuites, mais l’ensemble du nord du Manitoba, le nord de la Saskatchewan et le nord de l’Ontario. Ils sont confrontés à des défis énormes et à des différences importantes. Il faut faire en sorte que tous ces gens partagent une vision commune de ce que pourrait être le Nord. À l’heure actuelle, les gens vont à Yellowknife et constatent comment c’est différent. Ils vont à Inuvik et voient comment les choses sont différentes. Le discours émane des gens eux-mêmes.
La vice-présidente : Permettez-moi de revenir un instant sur la question des investissements.
Qui définit les objectifs d’investissement, le Nord ou le Sud? Le Sud avec le Nord ou le Nord avec ou sans le Sud?
Mme Shadian : Je dirais que c’est le Nord qui fait valoir qu’il a besoin d’infrastructures. Ce sont eux qui parlent des routes, de refaire une piste d’aéroport existante ou d’en créer de nouvelles, ou encore d’avoir des infrastructures, et cela constitue le début des échanges qui mènent à tout le reste. Il faut de l’énergie abordable. Je pense que les services Internet à large bande font également partie des infrastructures essentielles.
Je pense que l’impulsion vient du Nord parce qu’ils savent qu’ils ne peuvent pas avoir... les économies stagnent, et ce n’est pas seulement attribuable à l’exploitation minière et aux ressources courantes. J’ai assisté à une conférence du Conference Board du Canada, je crois, qui portait sur la réconciliation économique, mais quelqu’un a parlé de logement social et a mentionné l’absence de rue principale où n’importe qui peut s’installer. Les logements sociaux ne permettent pas la création d’entreprises. Si vous vivez dans un logement social, vous ne pouvez pas lancer votre entreprise dans votre logement.
Il n’y a pas d’endroit où commercialiser leurs produits, et même si vous avez une petite entreprise en démarrage, il faut que la communauté internationale puisse voir ce que vous essayez d’offrir, mais il faut aussi que les produits nécessaires pour y arriver soient accessibles.
La vice-présidente : Je vais vous amener à un autre niveau, si vous me le permettez.
Je comprends qu’il faut définir les besoins en matière d’infrastructures. J’aimerais revenir à ce que vous avez dit au sujet des fonds de pension. Prenons les fonds communs de placement et les divers objectifs de placement. Qui définit le rôle que le Nord devrait jouer en matière de développement du point de vue des fonds de pension?
Mme Shadian : Probablement personne, parce qu’il n’y a maintenant, je crois, qu’un fonds de pension — celui des enseignants, je pense — qui participe peut-être au projet d’électricité du Manitoba, dans la région de Kivalliq. À part cela, il n’y a pas encore un seul fonds de pension qui investit dans le Nord. J’ai trouvé un champion, quelqu’un qui prend le Nord au sérieux et qui croit à la réconciliation économique. C’est un ancien PDG de l’une des plus grandes caisses de retraite de taille moyenne, et il croit absolument que nous devons faire quelque chose à ce niveau. Nous devons trouver des façons d’investir dans le Nord.
Il en est aux premières étapes de la recherche de ce à quoi cela pourrait ressembler, et il tente de réunir suffisamment de capitaux pour pouvoir créer des choses dans le Nord, peut-être même un fonds de pension pour les Autochtones, mais à ce stade, il se contente de réfléchir et d’en apprendre davantage à ce sujet, parce que cela est très important et intéressant pour lui.
Je pense que ce sur quoi ils se concentreraient... lui et un de ses collègues ont rencontré beaucoup de gens qui font partie de notre conseil et avec qui nous travaillons. Ce sont eux qui ont défini pour eux ce qui est important en matière d’infrastructures.
Mais à quoi faut-il accorder la priorité? C’est là que l’analyse des investissements entre en jeu. Parce que pour eux, certaines choses sont nécessaires avant même que quoi que ce soit puisse être entrepris. C’est ce que nous faisons; nous établissons des partenariats à long terme avec le Nord. Je pense que cela aidera à définir les projets à envisager.
Ils ont aussi le sentiment qu’il est nécessaire d’avoir l’assurance que le gouvernement fédéral veut aussi être leur partenaire à long terme. Pour l’instant, ils n’ont pas cette assurance.
De plus, cette analyse des investissements montre aussi que beaucoup de ces projets sont trop petits pour le genre d’investissements qu’ils font habituellement. Toutefois, cette question ne se pose pas quand on réunit le tout et que l’on considère peut-être qu’il s’agit d’un seul grand projet. Si nous pouvons obtenir cette analyse, que nous essayons maintenant de faire financer, nous aurons la possibilité de déterminer comment regrouper les choses et comment constituer une réserve de projets. Il y a là quelque chose qui va au-delà du simple...
J’étais avec quelqu’un du Nunatsiavut à la récente réunion de la Garde côtière, et cet ancien PDG était là aussi. Cette personne du Nunatsiavut disait : « Nous avons vraiment besoin de réparer nos pistes existantes et nos aéroports. » Il lui a répondu : « Oui. Ne nous limitons pas à une piste d’atterrissage, mais regroupons-en plusieurs pour faire de ce projet quelque chose d’intéressant pour nous. »
Je pense que cela va prendre la forme de négociations et de discussions qui en sont à leurs toutes premières étapes, et qui n’ont pas encore véritablement commencé.
M. Coates : Je pense que nous sommes en plein devant un tsunami de changement. Vous en avez probablement vu des signes. Traditionnellement, la tendance dans le Nord est d’attendre qu’Ottawa se sente coupable et construise quelque chose, une route, un terrain d’aviation, quelque chose comme cela. Ottawa s’est toujours senti un peu coupable, mais pas trop parce que c’était loin. Les gens d’Ottawa ne sont pas montés souvent chez nous et ils ont fait bien peu.
Le nouveau modèle consiste essentiellement à faire les choses nous-mêmes; les gens du Nord, que ce soient les gouvernements territoriaux — en tout cas, c’est la mentalité du Nunavut —, les Territoires du Nord-Ouest et le Yukon sont très semblables.
Pour cela, nous tenons compte également des organismes autochtones. Nous avons des groupes autochtones qui ont des capitaux et qui ont accès aux capitaux pour la première fois. Ainsi, le gouvernement fédéral vient d’annoncer qu’il va rembourser 100 millions de dollars aux communautés autochtones pour le coût de la négociation des traités modernes. C’est beaucoup d’argent. C’est 100 millions de dollars pour les seules Premières Nations du Yukon. En fait, c’est encore plus pour les Territoires du Nord-Ouest.
Il y a maintenant 100 millions de dollars sur lesquels on ne comptait pas à Whitehorse, où l’annonce a été faite. « Très bien, dit-on, voici notre occasion d’investissement à long terme. Nous avons de l’argent sur lequel nous ne comptions pas et que nous n’avions pas prévu au budget. L’argent arrive. Que pouvons-nous faire à long terme? »
Nous voyons aussi émerger des alliances autochtones, dont vous avez peut-être déjà entendu parler. Dans la First Nations Major Projects Coalition, les collectivités étaient essentiellement toutes trop petites. Toute seule, votre collectivité ne peut se lancer dans un projet de 50 millions de dollars. Elle est trop petite pour cela.
Si 10 collectivités se regroupaient et que l’une d’entre elles en avait besoin localement et que l’autre y voyait une occasion d’investissement, alors c’est maintenant possible, surtout lorsqu’on associe les activités commerciales et de construction et les activités d’ingénierie à des entreprises autochtones individuelles.
Vous commencez à voir un véritable changement de mentalité. Ce n’est pas une critique envers Ottawa, qui est un endroit magnifique à visiter, mais cette mentalité est encore essentiellement la résultante de ce que les grandes sociétés veulent faire, que ce soit l’ouverture de telle ou telle mine, ou l’endroit où nous allons réaliser tel ou tel projet, et ainsi de suite.
Cela a vraiment beaucoup déformé l’infrastructure dans le Nord canadien. Nous avons des routes qui vont dans la mauvaise direction, des collectivités autochtones sans eau potable, à 50 milles d’une collectivité minière de non-Autochtones qui a accès à une eau d’excellente qualité. Ce genre d’absurdité est très fréquent.
Maintenant, cela cesse. Nous avons une planification coordonnée, mais elle est menée par les organisations autochtones, qui jouent un rôle immense dans la refonte du programme.
Le Nunavut, en particulier, travaille beaucoup en ce sens, et c’est excitant à voir.
La vice-présidente : En septembre dernier, le chemin de fer qui mène à Churchill a été acheté par les nations autochtones et toutes les collectivités qu’il traverse avec les milieux d’affaires et avec des investissements commerciaux et publics. Est-ce là un de ces exemples? Je crois me rappeler que le maire Spence, de Churchill, a bien déclaré que c’est un nouveau départ. Je pense qu’il a bien raison.
M. Coates : Nous allons voir cela beaucoup plus, en partie à cause des règlements de revendications territoriales, des règlements de revendications particulières, du partage du produit des ressources. Une nouvelle mine au Nunavut, par exemple, la mine de Baffinland, rapportera 2 milliards de dollars à la Corporation de développement du Nunavut. Avec cela, on peut aller emprunter à la banque les 300 millions de dollars qu’il faut pour lancer un projet. Ce n’était même pas sur la table il y a 20 ans.
Ce n’était même pas imaginable. Il va en découler certains changements vraiment intéressants, parce que, lorsque c’est le Nord qui dicte le programme pour ces projets d’infrastructure, il en étudie tous les aspects; un projet n’est pas uniquement un chemin de fer, c’est un chemin de fer relié à une route, c’est une route reliée à la fibre optique, c’est la fibre optique qui ouvre de nouveaux débouchés forestiers. Ces multiples avenues sont explorées.
Le contrôle local change la dynamique. Sommes-nous là? Un tout petit peu. Voyez le Yukon faire beaucoup de choses du genre. Le sud des Territoires du Nord-Ouest a déjà des projets de cette nature. Nous allons en voir davantage.
La vice-présidente : J’ai été intriguée par vos perspectives des maisons imprimées en 3D et des nouvelles technologies. Parlons de la crise aiguë dans le logement, des conditions de vie inconcevables pour de nombreux Canadiens, qui sont pourtant le lot de nos collègues du Nord.
Les codes du bâtiment posent-ils problème? Ces dernières décennies, avons-nous appliqué les codes du bâtiment du Sud dans le climat et les conditions météorologiques du Nord? À Ottawa, aujourd’hui, la pluie est presque verglaçante et le transport scolaire est annulé. Ce n’est pas la même chose.
Montons plus au nord. Qui devrait en faire le développement pour les régions nordiques de notre pays? Les maisons imprimées en 3D fonctionnent-elles?
M. Coates : Qui devrait s’occuper des codes? Les codes doivent être adaptés au climat de la région géographique. Ils doivent refléter l’endroit où l’on se trouve.
L’autre point concerne les matériaux de construction. La création d’un vrai bon code du bâtiment en bois pour le Nunavut va être un problème. Il y aura beaucoup de bois à transporter sur de longues distances. Le Nord devrait les définir pour ses habitants.
Les maisons imprimées en 3D feront-elles l’affaire? Nous savons qu’elles peuvent être construites. Nous savons qu’il y en a plein les banlieues en Chine. On construit des immeubles d’appartements et de bureaux à Abou Dhabi. C’est une solution à court terme pour le logement d’urgence dans le monde développé de l’Inde, du Nigeria et d’endroits comme cela.
Il y a un problème au Nunavut, parce qu’il n’y a pas assez de sable. De nos jours, la plupart des maisons sont construites en béton. Il y a beaucoup de pierres, mais pas beaucoup de sable. Mais dans d’autres coins du Nord, cela pourrait faire l’affaire.
Nous avons fait un rapport sur les maisons en 3D. Je suis heureux de vous dire que cela pourrait marcher. Mais je sais que nous n’essayons pas assez fort d’en faire la preuve. Nous devrions être les chefs de file mondiaux en innovation dans l’Arctique. D’où viendra le prochain Bombardier ou la prochaine motoneige? Nous avons très bien réussi à innover dans l’Arctique pendant longtemps, mais plus tellement. Nous sommes des récepteurs de la technologie plutôt que des innovateurs.
Je pense que la maison imprimée en 3D fonctionnera dans certains coins du Nord. J’aimerais bien que nous fassions des tests sur ce genre de technologie. Si l’on s’amène là-bas pour en construire mille du jour au lendemain et que cela ne fonctionne pas, cela aura été une grave erreur. Mais nous pouvons les construire, les tester. On en a fait certaines en Ukraine et en Russie, qui partagent notre climat. Voyons donc ce qu’il en est. Telle serait ma réponse.
La vice-présidente : Pourriez-vous envoyer le rapport à la greffière?
M. Coates : Absolument. J’en serais ravi.
La vice-présidente : Dans une direction légèrement différente, je m’intéresse à d’autres types de collaborations. Comment pouvons-nous favoriser le développement des entreprises entre les nations de l’Arctique? Comment pouvons-nous exploiter ces possibilités de collaboration avec l’Alaska? Ma question s’adresse à vous deux.
Une des sources de cette question... J’ai eu une conversation il y a environ une semaine avec un universitaire canadien qui travaille aux États-Unis et qui a beaucoup travaillé avec la NASA sur la scène internationale. Il a soulevé certaines de ces questions. Je ne suis pas tout à fait sûre de quoi nous parlions alors. Nous avions une discussion philosophique très intéressante. Que pouvons-nous faire, technologiquement et commercialement parlant, qui équivaudrait peut-être à ce qu’a fait Einstein — parler des racines historiques — jadis? Sommes-nous confrontés à l’un de ces changements de paradigme de la recherche sociétale où nous devons vraiment changer les questions pour trouver les solutions qu’il nous faudra à long terme? Je ne sais pas trop si ma question a du sens.
M. Coates : C’est une excellente question.
La vice-présidente : Vous voyez où nous pourrions devoir aller. Nous n’avons que quelques minutes.
M. Coates : Voilà de magnifiques questions. Vous êtes absolument pour un changement de paradigme, je pense. Nous ne pouvons pas changer le climat, mais nous faisons avec. L’urbanisation massive est hors de question. Nous voulons un Canada de sept ou huit économies, le reste du pays étant pour les vacances.
Ou voulons-nous plutôt un pays qui soit effectivement occupé et soutenu pour les peuples autochtones? Il nous faut un changement radical. Nous devons mettre la technologie à notre service, pas nous mettre au service de la technologie. Peut-être devrions-nous accepter les camions robotisés et les véhicules automatisés dans l’extraction minière. Nous devrions contrôler ce genre de choses pour protéger les emplois dans le Nord. D’autres pays le font. Il y a une réflexion minutieuse à faire là-dessus.
Vous avez posé une question sur la collaboration commerciale. Il faut commencer par reconnaître toutes les différences entre ces endroits. L’Alaska a un milieu d’affaires très différent, dominé par des habitants du littoral, qui ne vivent pas vraiment dans les régions arctiques, et dominé également par l’armée américaine, ce qui leur donne une assise énorme dans l’économie de l’Alaska. Même les Alaskiens n’en parlent pas. Ils n’auraient pour ainsi dire pas d’économie sans l’armée américaine. Comparons cela au Canada. Nous avons vu l’économie canadienne, avec les Forces armées canadiennes à Yellowknife. C’est un endroit minuscule comparativement au côté alaskien.
Normalement, c’est très différent. Si l’on va parler aux gens d’affaires norvégiens, on voit qu’ils parlent essentiellement de l’économie bleue. De l’économie des océans. Nous avons un petit peu de cela. Le Nunatsiavut a plus de pêche dans l’Est. Il n’y a pas beaucoup de chevauchement dans leurs ateliers de travail.
Notre partenaire naturel, croyez-le ou non, c’est la Russie. La Russie a une situation très semblable, mais elle est un négociateur difficile. Les entreprises canadiennes qui ont voulu collaborer avec la Russie ont souvent trébuché au fil des ans.
La solution n’est pas facile ni évidente, mais voici la réponse canadienne : pourquoi ne pas commencer à collaborer avec les Canadiens?
Nous avons beaucoup de potentiel ici, du Labrador au Yukon, et du nord de la Colombie-Britannique au Nunavut. Pourquoi ne nous attachons pas vraiment à la recherche de solutions nordiques qui fonctionnent dans tout le Nord canadien, à amener les gens d’affaires canadiens à considérer un partage de l’économie? Le reste du monde viendra frapper à notre porte si jamais nous parvenons à bien faire les choses.
Mme Shadian : Je dirais que les possibilités sont immenses. De fait, il y a de l’intérêt, et les Inupiat en Alaska, les Inuits au Canada et les Inuits du Groenland font déjà des efforts. Il y a un désir de tout, du transport aérien aux vols directs, en passant par les efforts pour trouver des moyens de collaborer davantage pour les affaires.
Cela pourrait se faire par les Inuits mêmes, ou du moins dans ce contexte, s’ils prenaient la chose au sérieux et cherchaient des moyens d’apporter leur contribution et de renforcer l’initiative.
Cela pourrait se faire dans la pêche. Sauf erreur, il y a une discussion sur la façon dont le poisson du Groenland pourrait aller davantage au Nunavut ou dans le Nord canadien. Il y a peut-être des possibilités de coalition de ce côté-là pour développer les affaires en vue d’exporter la pêche ensemble.
Il y a une foule de possibilités. Selon moi, les gens du Nord veulent cette possibilité, et ils cherchent à établir ces liens. Ils l’ont, en réalité, surtout avec le Groenland.
Nous travaillons beaucoup avec l’Alaska, parce que nous avons un partenariat avec le Wilson Center. Beaucoup de monde en Alaska, de façon générale, mais aussi beaucoup de sociétés autochtones alaskiennes.
Nous avons amplement l’occasion de développer ce sur quoi nous travaillons. Nous pourrions développer cela davantage et avoir plus d’ateliers, de conférences, de ces genres de choses qui rassemblent les populations.
Lors de notre récente réunion avec la Garde côtière, j’ai rappelé que les États-Unis travaillent à un projet de loi pour la création d’une société. Depuis cinq ou six ans, plusieurs personnes ont avancé l’idée d’une voie maritime du Saint-Laurent dans l’Arctique. Les Canadiens ont beaucoup de mal à en parler, parce qu’ils croient que le passage du Nord-Ouest est canadien et craignent que toute collaboration affaiblisse leur souveraineté. Mais, selon moi, les possibilités de collaboration sont réelles. Je ne pense pas que l’idée d’une voie maritime dans l’Arctique soit si terrible, en fait.
Dans la voie maritime du Saint-Laurent, il y a beaucoup de choses qui sont séparées, mais il en est né une immense possibilité de collaboration. C’est là qu’il est possible d’avoir des gardes côtières renforcées. Les Inupiat du North Slope Borough assument aussi une bonne part des activités de la garde côtière.
Nous essayons maintenant de mettre en place les dispositions dans ces collectivités. C’est un moyen de les unir plus solidement. On voudrait aussi créer un système tarifaire qui pourrait aider à produire des capitaux pour construire l’infrastructure nécessaire. Le partage des brise-glaces et la mise en place d’un service de partage de brise-glaces suscitent beaucoup d’intérêt.
J’estime que l’idée d’une voie maritime de l’Arctique ouvre d’immenses possibilités de collaboration. Je tenais à cet atelier parce que les Alaskiens en parlent depuis très longtemps et qu’ils ont déjà leurs propres mécanismes internes et savent ce qu’ils veulent en tirer et comment ils veulent que les choses se passent.
Le Canada n’a pas eu ces genres de conversations. Si l’occasion se présente de s’asseoir à une table avec les États-Unis et l’Alaska, je pense qu’il faudra une forme d’entente écrite au sujet de ce que les Canadiens veulent et espèrent en retirer.
C’est très important. C’est à prendre au sérieux, parce qu’ils ont dit qu’ils voudraient travailler avec le Canada, mais qu’ils accepteraient d’autres partenaires internationaux et, essentiellement, d’autres États de l’Arctique. Il y a bien des chances que, si le Canada n’est pas là, la conversation se fera avec la Finlande et les autres nations de l’Arctique qui ne pensent pas que le passage du Nord-Ouest est canadien.
Au niveau des affaires et de la collaboration, il y a beaucoup à faire.
La vice-présidente : Faisons un pas de plus. Quelles leçons pouvons-nous tirer, selon vous, des stratégies économiques du Nord et de l’Arctique russe, au sujet de ce que nous devrions nous occuper tout de suite, ou hier, ou même demain?
Mme Shadian : Nous avons absolument besoin d’une stratégie pour l’ensemble du Nord, mais aussi pour le passage du Nord-Ouest.
La Russie a fait diverses études de faisabilité. Tout ce qu’elle fait maintenant découle de la stratégie qu’elle s’est donnée. C’est pourquoi elle fait ces investissements et elle sait combien. Elle a instauré ce système tarifaire pour les services de brise-glaces d’escorte pour générer d’autres capitaux. Tout a été planifié de façon très stratégique.
Nous devrions nous inspirer de ce qu’elle a fait en songeant qu’il nous faut une stratégie à nous, notre propre stratégie financière, pour le passage du Nord-Ouest.
Les pays nordiques ont produit un rapport sur les investissements, mais à des niveaux très différents. Une bonne part de leur travail s’articule sur le renforcement des entreprises. Ils sont déjà là, et les affaires sont ici dans l’Arctique nord-américain. Alors, ils raffinent leur stratégie.
Ils ont déjà l’Internet et de la bande passante haute vitesse. Ils ne s’obstinent pas à dire : « Eh bien, nous devons nous départir d’une génératrice diesel avant d’engager cette conversation. »
Ce qu’ils ont fait est formidable et très important. Je ne sais pas ce que nous pouvons en tirer, à part le fait que nous devrions avoir la même chose, c’est certain. Je suppose que nous parlons de différentes platitudes, en quelque sorte.
La vice-présidente : Conviendriez-vous que ce n’est pas tant une question de définir les stratégies que de produire un plan d’innovation pour les accompagner?
M. Coates : Parfaitement d’accord. Il faut être très prudent à propos de l’innovation, comme je l’ai déjà dit. L’innovation tue beaucoup d’emplois. Elle peut en créer de nouveaux, mais elle en tue beaucoup. Si nous ne sommes pas vigilants dans le Nord, nous verrons disparaître bien des choses que nous tenons pour acquises.
Nous devrions avoir un plan très systémique pour mettre les nouvelles technologies à profit dans le Nord en prenant soin de très bien répondre aux intérêts du Nord. La Scandinavie le fait bien mieux que nous. Elle a ces conversations au préalable.
Une partie de la réalité, Jessica l’a dit, est que le Nord canadien est radicalement différent de ces autres endroits. Nous n’avons pas l’économie planifiée de la Russie, qui peut violer impunément les règles et les règlements environnementaux. Nous n’avons pas la capacité d’intervention militaire des Américains, dont j’ai déjà parlé. Nous n’avons pas l’État-providence de la Scandinavie. Nous devons définir un plan qui fonctionne au Canada.
Je termine sur une note plutôt triste : la chose à se rappeler au sujet du développement économique, c’est que le Nord déçoit presque toujours ses promoteurs. Rappelez-vous, les premiers plans pour les sables bitumineux dans le nord de l’Alberta ont en fait été mis au point dans les années 1880 lors de la découverte des sables bitumineux, qu’on ignorait comment exploiter.
À Tuktoyaktuk, il y a un exemple éloquent de préjudice infligé aux promoteurs. C’est un bon exemple d’une situation où l’ingérence des environnementalistes du Sud a essentiellement miné le gazoduc de la vallée du Mackenzie et détruit l’avenir économique de toute une série de collectivités qui comptaient là-dessus pour dégager des capitaux d’investissement et créer des emplois pour l’avenir.
Le Nord doit avoir la maîtrise de son programme. Nous n’avons pas besoin des gens du Sud pour dire au Nord quoi faire. Nous devons savoir que le Nord est constamment surestimé. Un plan progressif pratique et réaliste est absolument essentiel.
La vice-présidente : Cela dit, notre temps est rapidement écoulé. Je tiens à vous remercier tous les deux de cette discussion très stimulante et de certaines idées très intéressantes, et j’attends avec impatience notre rapport, qui pourrait poser beaucoup de questions que nous pourrons ensuite intégrer à tout cela. Nous savons tous que si l’Arctique représente 40 p. 100 du territoire canadien, pour bon nombre d’entre nous, il représente aussi l’avenir.
Je vous remercie beaucoup tous les deux.
Nous allons maintenant passer au deuxième groupe de la réunion de cet après-midi du Comité sénatorial spécial sur l’Arctique. Je suis très heureuse d’accueillir, par vidéoconférence depuis Iqaluit, Stephen Williamson Bathory, conseiller exécutif de la Qikiqtani Inuit Association. Merci de vous joindre à nous aujourd’hui. Je sais que vous avez voyagé et que vous avez une semaine très occupée. Nous vous sommes très reconnaissants.
Je vais vous demander de faire votre déclaration préliminaire, après quoi nous passerons aux questions. Vous avez la parole.
Stephen Williamson Bathory, conseiller exécutif, Qikiqtani Inuit Association : Merci beaucoup. Oui, je me joins à vous depuis Iqaluit aujourd’hui. Malheureusement, les horaires de voyage étant ce qu’ils sont, je n’ai pas pu me joindre à vous en personne. Je suis très heureux de communiquer avec vous de cette façon.
Avant d’aller plus loin, je veux simplement m’assurer... un simple oui ou non de la part de la présidente ferait l’affaire : est-ce que vous m’entendez bien?
La vice-présidente : Oui, nous vous entendons. Nous entendez-vous?
M. Williamson Bathory : Oui, avec un léger retard. Je vais parler lentement, au cas où ce serait pareil de votre côté.
La vice-présidente : Merci.
M. Williamson Bathory : Pour commencer, j’ai fourni plus tôt ce matin les notes d’allocution dont je me servirai dans ma déclaration d’ouverture, ainsi qu’une série de documents de référence qui pourraient être utiles à notre discussion. Je vois la présidente en feuilleter un à l’instant.
Je suis conseiller exécutif auprès de la Qikiqtani Inuit Association, la QIA. J’ai pensé commencer aujourd’hui en vous donnant un bref aperçu du rôle de la QIA et du travail qu’elle accomplit. La QIA est ce qu’on appelle une organisation inuite désignée, une organisation inuite désignée, OID, en vertu de l’Accord sur les revendications territoriales du Nunavut. Nous sommes régis par un conseil d’administration qui compte des représentants élus dans 13 localités différentes. Notre représentation géographique va de Sanikiluaq, les îles Belcher dans la baie d’Hudson, jusqu’à Grise Fiord, la localité la plus septentrionale du Canada.
Je crois savoir que lors de réunions précédentes — j’ai parcouru le procès-verbal pour me préparer —, vous avez entendu le témoignage de la Kivalliq Inuit Association. Je crois que c’est M. Luis Manzo qui présentait l’exposé. Il s’agit d’une autre organisation inuite désignée, essentiellement une organisation sœur de la nôtre. Nous relevons de Nunavut Tunngavik Incorporated.
Les points que je vais porter à votre attention aujourd’hui doivent être considérés comme faisant suite à ceux qui ont déjà été soulevés par Mme Sandra Inutiq. Elle a comparu devant le comité sénatorial lors de l’étude du Cadre stratégique pour l’Arctique, le 1er avril. Certains des documents que vous avez en main parlent de ce cadre stratégique, ainsi que de certaines représentations récentes de la QIA au sujet du projet de loi C-55 modifiant la Loi sur les océans.
En écoutant les quelques derniers témoins, j’ai pu entendre Jessica Shadian et M. Coates parler longuement des innovations dont ils ont connaissance et du potentiel de l’innovation dirigée par les gens du Nord. Pour nous qui sommes une organisation inuite désignée, la façon dont nous abordons notre méthode de travail et la vision qui nous guide est vraiment définie dans les paragraphes d’ouverture de l’accord du Nunavut. Plus précisément, j’attire votre attention sur le quatrième attendu. Je vais le lire avec soin pour vous, ligne par ligne, juste pour vous exposer les principes qui nous guident. Vous comprendrez mieux dans quel cadre nous travaillons.
Le quatrième attendu se lit :
ET ATTENDU QUE les parties ont négocié le présent accord sur des revendications territoriales dont les objectifs sont les suivants :
déterminer de façon claire et certaine les droits de propriété, d’utilisation et d’exploitation des terres et des ressources, ainsi que le droit des Inuits de participer à la prise de décisions concernant l’utilisation, l’exploitation, la gestion et la conservation des terres, des eaux et des ressources, notamment au large des côtes;
reconnaître aux Inuits des droits d’exploitation des ressources fauniques et le droit de participer à la prise de décisions en cette matière;
verser aux Inuits des indemnités pécuniaires et leur fournir des moyens de tirer parti des possibilités économiques;
favoriser l’autonomie et le bien-être culturel et social des Inuits;
Très brièvement, je peux vous faire un résumé succinct et concret de ce que ces mots veulent dire dans notre pratique actuelle. Vous venez d’assister, je pense, à une discussion éclairante sur l’espace que des organisations inuites comme la nôtre cherchent à occuper, où nous trouvons une abondance de possibilités. Nous apprenons à décider comment saisir ces occasions d’une manière conforme aux passages que je viens de vous lire.
Je vais vous donner un peu de contexte historique. Un des dossiers que j’ai remis est un simple résumé de deux pages. C’est un aperçu très sommaire de ce que la QIA cherche à réaliser prochainement dans le cadre d’un projet appelé la Qikiqtani Truth Commission. Cette commission a été créée il y a une dizaine d’années dans le but de documenter les changements sociaux qui sont survenus entre les années 1950 et 1975 dans les collectivités que nous représentons. Nous en sommes au dernier stade d’une collaboration avec le gouvernement fédéral en vue d’excuses officielles pour ces activités coloniales, ainsi que du financement de programmes sociaux de guérison, d’éducation et de revitalisation culturelle dans l’ensemble de notre région.
Pour notre président actuel, M. PJ Akeeagok, tous ces efforts sont essentiels pour dévoiler au grand jour les vérités du passé afin que les Inuits soient mieux à même de saisir les occasions de l’avenir. C’est un thème très clair et très fort qui imprègne tout notre travail.
Comme exemple de nos partenariats avec le gouvernement fédéral, au cours de la dernière décennie, avec le concours d’Archives Canada, nous avons eu accès à un projet historique intitulé Inuit Land Use and Occupancy Project. Pour ceux qui ne le savent pas, cette étude représente un des efforts les plus importants et les plus complets pour documenter l’utilisation des terres par les Autochtones dans le monde entier. On s’en est servi pour définir et choisir les modes d’utilisation des terres chez les Inuits et délimiter le territoire visé par le règlement des revendications territoriales du Nunavut. Ce que nous avons fait depuis, c’est fouiller dans les archives nationales, numériser tout le matériel et alimenter une très imposante base de données des connaissances traditionnelles, Inuit Qaujimajatuqangit ou IQ, comme nous l’appelons. Nous recourons activement à cette base de données dans tous les projets que nous menons.
Parmi les documents que vous avez devant vous, j’attire votre attention sur l’aire marine nationale de conservation Tallurutiup Imanga. Je pense que vous avez une carte devant vous. La QIA s’en est servie pour justifier les zones exploitées selon la culture traditionnelle et les points chauds biologiques, et elle a pu, en faisant appel au savoir ancestral, presque doubler la taille de l’aire marine par rapport à la proposition initiale du gouvernement fédéral. Nous venons juste d’entendre parler de la voie maritime du passage du Nord-Ouest; c’est un thème que je peux reprendre pour continuer d’illustrer les intérêts de la région dans la suite de nos discussions.
Un autre document que vous avez résumé, l’application des connaissances inuites dans le contexte d’une série d’audiences que vient de tenir la Commission du Nunavut chargée de l’examen des répercussions. La Commission du Nunavut chargée de l’examen des répercussions, la CNER, menait une évaluation environnementale stratégique sur le potentiel d’exploitation pétrolière et gazière, un processus par lequel nous avons recueilli et appliqué des connaissances inuites traditionnelles. Vous verrez les recommandations que nous avons formulées il y a quelques semaines.
En ce qui concerne l’exploitation des ressources, la QIA s’intéresse de près au projet Mary River, dont on vient de parler, qui est une mine de fer située au nord de l’île de Baffin, à proximité de Pond Inlet. On parle ici d’un gisement de minerai de fer de catégorie 1, dont le minerai est expédié sans traitement préalable, et c’est un des plus riches au monde. Les terres et le sous-sol appartiennent aux Inuits et la QIA a négocié à leur sujet une Entente sur les répercussions et les avantages pour les Inuits, une ERAI, un bail de production commerciale, un accord de concession de carrière et un accord d’indemnisation relative à l’eau. L’ERAI de Mary River était la première au Nunavut à contenir un accord sur les redevances minières. Nous avons négocié une redevance nette calculée à la sortie de la fonderie pour la production de ce minerai de fer.
Si le projet Mary River atteint son plein déploiement, ce serait non seulement la plus grande exploitation minière au Nunavut, mais aussi une des plus grandes mines au Canada. Il fait actuellement l’objet d’une évaluation environnementale appelée proposition de phase 2. Pour examiner la demande, des réunions techniques se déroulent pendant trois jours cette semaine à Iqaluit, sous la direction de la Commission du Nunavut chargée de l’examen des répercussions. Pour mettre les choses en contexte, puisque la mine se trouve sur des terres appartenant aux Inuits, la QIA négocie elle aussi et détient environ 100 millions de dollars en garantie financière au cas où la mine passerait en phase d’abandon.
À l’heure actuelle, les Inuits de la région occupent environ 20 p. 100 du total des emplois. Pour favoriser la participation des Inuits au projet, au cours des deux dernières années, la QIA a reçu 9 millions de dollars du Fonds pour les compétences et les partenariats administré par EDSC Canada. Nous avons utilisé ce financement comme levier pour obtenir jusqu’à 20 millions de dollars pour un programme complet de formation de quatre ans.
En ce qui concerne la défense des droits des Inuits dans l’arène juridique, en 2010, la QIA a réussi à obtenir une injonction de la Cour de justice du Nunavut pour faire cesser des essais sismiques dans la baie de Baffin et le détroit de Lancaster. Le promoteur de ce projet était le gouvernement fédéral à l’époque. Plus près de nous, en 2017, la QIA a eu gain de cause dans le premier arbitrage privé d’une ERAI, un litige au sujet de 7 millions de dollars de redevances impayées du projet Mary River. Dans chacun de ces cas, la QIA montre la voie à suivre pour qui veut décrire et prescrire des processus de collaboration avec nos partenaires commerciaux et avec le gouvernement fédéral.
Enfin, au bas de la page 2, si vous suivez mes notes d’allocution, même si la QIA est structurée comme un organisme à but non lucratif, nous avons pu acquérir et accumuler des ressources considérables pour aider à la planification à long terme de nouvelles sources de revenus. La QIA a mis sur pied un fonds de legs qui encaisse des recettes destinées à des programmes sociaux. Elle dépense annuellement 4 p. 100 du capital de ce fonds. Comme elle a accumulé à ce jour 50 millions de dollars en l’espace de quatre ans, cela donne 2 millions de dollars par année pour des programmes directs destinés à perpétuité aux Inuits. L’évaluation préliminaire de son système de gestion des recettes par rapport aux pratiques exemplaires que prescrit le Natural Resource Governance Institute permet de penser que la QIA est un chef de file en gestion des recettes tirées des ressources naturelles. Ses programmes répondent à des besoins qui ne relèvent pas directement du mandat du gouvernement, notamment les garderies et le développement de la petite enfance, les compétences culturelles et les programmes d’autonomisation. Nous affectons des ressources à des programmes qui soutiennent le gagne-pain des Inuits.
Dans l’immédiat, et j’en ai parlé à la présidente la semaine dernière, la QIA est impatiente de présenter sa vision d’une économie de conservation en mettant la dernière main à une entente sur les répercussions et les avantages pour les Inuits de l’aire marine nationale de conservation Tallurutiup Imanga. Notre négociatrice en chef, Sandra Inutiq, vous en a parlé le 1er avril à propos du cadre stratégique pour l’Arctique.
L’issue de tous ces efforts menés par la QIA revêt une importance internationale tant en termes de création d’un modèle de gouvernance et d’intendance inuites qu’en termes de contribution nette des Inuits aux objectifs internationaux d’Aichi, soit la création d’une aire de conservation gérée par les Autochtones.
Bien que la QIA soit fière de ses réalisations, les indicateurs sociaux continuent de décrire les dures réalités d’une société toujours aux prises avec les effets paralysants du colonialisme, des horizons économiques limités, la négligence des droits issus des revendications territoriales, le manque d’infrastructures essentielles et le sous-financement chronique du gouvernement territorial. Il est trop facile de voir le Nunavut comme un endroit aux chances limitées de réussite. À l’inverse, à force de patience et de collaboration avec des organisations comme la nôtre, nous commençons à acquérir les compétences, l’expérience et les ressources nécessaires pour offrir des solutions bien de chez nous. Ce qu’il faut pour mettre en œuvre l’accord du Nunavut, c’est un désir constant de travailler à partir de propositions inuites pour déboucher sur des solutions inuites conformes à l’esprit de l’accord.
Je vais vous donner deux exemples précis de mesures qui pourraient à court terme améliorer la mise en œuvre de l’accord du Nunavut.
Pour les projets d’envergure comme le projet minier Mary River de Baffinland, il faudrait consacrer plus de temps et d’attention à l’évaluation des répercussions socioéconomiques, en particulier la garantie d’avantages nets pour les Inuits et le Nunavut dans son ensemble. On réunirait ainsi les conditions nécessaires pour mettre en balance les avantages traditionnels, comme les emplois, la formation et les contrats, et les occasions perdues en raison des limites du marché au Nunavut. En d’autres termes, il n’y a que tant d’Inuits qui peuvent travailler dans une mine, mais une fois que le minerai est parti, les avantages s’en vont aussi. Il faut revoir le modèle classique d’évaluation et de garantie des avantages.
Un deuxième exemple : il y a de fortes disparités entre les organisations inuites de revendications territoriales et les gouvernements territoriaux en ce qui concerne la gestion des ressources, surtout dans les zones marines. Je représente des gens de la mer, qui vivent presque tous dans des villages côtiers, et je sais qu’une meilleure définition des régimes de gestion ajouterait un élément de certitude dont toutes les parties ont grand besoin.
Au cours de la dernière année, nous avons songé sérieusement à la possibilité de réunir une table pangouvernementale, un concept introduit dans le monde inuit par Mary Simon, dans son rapport spécial à la ministre Bennett voilà plusieurs années. Dans les méandres des discussions pour obtenir notre entente sur les répercussions et les avantages de l’AMNC Tallurutiup Imanga, une chose que nous avons apprise est que le gouvernement fédéral doit souhaiter une évolution de ses pratiques et de ses rapports avec les Inuits, en particulier un engagement à produire des résultats concrets plutôt qu’une volonté intrinsèque de se conformer à des processus administratifs dépassés. La QIA est impatiente de travailler avec le gouvernement fédéral dans ces domaines.
Voilà qui conclut ma déclaration préliminaire. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions et de vous suivre dans toute forme de discussion que vous voudrez bien amener. Merci.
La vice-présidente : Je vous remercie de votre exposé.
La sénatrice Anderson : Akana. Vous venez de parler du besoin pour le gouvernement fédéral de revoir des processus, des politiques et des directives dépassés. Avez-vous en tête des politiques ou des processus précis lorsque vous parlez de ce besoin?
M. Williamson Bathory : Je peux vous donner quelques exemples directs, en partant de notre travail avec le bureau de la ministre McKenna et l’AMNC Tallurutiup Imanga. Dès le départ, lorsque nous avons abordé ce projet, nous savions que nous nous engagions dans une voie très ambitieuse pour créer cette aire marine de conservation. L’échéancier qu’on nous a fourni une fois que nous avons dit oui était d’environ deux ans, ce qui est assez rapide. En général, ce genre de travail exigerait au moins cinq ans.
Ce sur quoi nous avons insisté auprès de la ministre, et sur quoi nous avons pu travailler avec son personnel et ses hauts fonctionnaires, c’était que nous tenions à nous assurer dès le départ qu’il y aurait des avantages directs pour les Inuits. De par notre expérience des parcs et des aires protégées, nous savons qu’il s’écoule un temps assez long entre le moment où une ERAI est négociée et celui où les avantages se matérialisent par l’exécution d’un contrat. Nous avons convenu de lancer un programme pilote dans la collectivité d’Arctic Bay. Il s’agit d’un programme de « gardiens », pour employer un terme qui vous soit plus familier — nous disons Uattijiit en inuktut —, un programme pour nous assurer, pendant que nous sommes en train de négocier, que si on veut vraiment créer l’aire de conservation, les Inuits n’ont pas besoin d’attendre plus longtemps pour prendre une part effective au projet. Les leçons apprises par l’application sur le terrain peuvent alimenter et éclairer la table de négociation plutôt que l’inverse. Voilà un exemple immédiat.
Un deuxième exemple qui me vient très rapidement concerne notre organisation mère, Nunavut Tunngavik, ses accords de financement, une fois qu’une entente est en place, comme une ERAI, et l’utilité des subventions par rapport aux ententes de contribution. De très grandes différences dans l’administration annuelle requise pour d’abord accéder à du financement, puis le recevoir et ensuite en faire rapport amènent les parties à se concentrer sur l’exécution de l’accord plutôt que sur l’aspect administratif. Ce sont deux exemples simples que je pourrais vous donner.
La sénatrice Anderson : J’avais une autre question concernant le financement du gouvernement territorial. Les mots que vous avez employés, je crois, sont « le sous-financement chronique du gouvernement territorial ». Pouvez-vous nous indiquer des secteurs précis qui vous apparaissent sous-financés?
M. Williamson Bathory : J’aimerais attirer votre attention sur un document que j’ai présenté et qui s’intitule A New Approach to Economic Development In Nunavut. Je vois que vous l’avez devant vous. Je vais revenir à une discussion entendue plus tôt, simplement pour travailler avec ce que le comité a déjà entendu.
La question de l’infrastructure. En tant qu’organisation inuite qui commence à acquérir des ressources et qui est chargée de négocier les ententes concernant ces aires marines de conservation, nous cherchons à rapidement nous associer à notre gouvernement territorial dès que des possibilités se présentent à la table. Ce que nous avons appris, c’est que notre gouvernement n’a pas vraiment d’autre vision que celle de répondre aux besoins immédiats d’infrastructures essentielles. La raison pour laquelle j’attire votre attention sur ce document, c’est que nous avons introduit un concept d’infrastructure économique et un concept d’infrastructure de récolte par lesquels nous essayons de rompre avec la tradition voulant que les fonds d’infrastructure ne servent qu’à répondre aux besoins les plus criants. Dans notre région, cela veut dire qu’il faut se tourner vers quelque chose comme le Fonds national des corridors commerciaux qui, si vous lisez à propos de son activité des dernières années et de son objet, semble ouvrir toutes sortes de possibilités économiques pour le Nord. Dans notre région, on s’en sert pour remplacer le balisage lumineux des pistes d’atterrissage et pour améliorer les pistes d’atterrissage en gravier. C’est le moins qu’on puisse faire pour simplement assurer le bon fonctionnement des collectivités.
Nous avons eu du succès dans nos négociations avec le gouvernement fédéral. Nous espérons les conclure et apporter des formes d’infrastructure maritime propices à l’économie et à la récolte, en somme à des économies qui existent déjà dans les collectivités, mais qui demeurent complètement informelles : pratiques de partage des aliments, chasse et pêche dans les milieux locaux, distribution des prises au marché local et incitation à ces activités.
La sénatrice Anderson : Quyanainni.
La vice-présidente : Merci pour tout cela. En consultant la documentation que vous nous avez fournie, je voudrais reprendre le quatrième objectif du préambule de l’accord que les parties ont négocié sur les revendications territoriales, à savoir « favoriser l’autonomie et le bien-être culturel et social des Inuit ».
Pouvez-vous me dire où en est ce dossier?
M. Williamson Bathory : Pour ce qui est du travail de la QIA, je pense qu’en rétrospective, si nous remontions à il y a 10 ans pour ensuite faire des projections pour la décennie qui s’est écoulée, nous verrions ce dossier d’un tout autre œil. Il y a 10 ans, la QIA a donné le coup d’envoi à la Qikiqtani Truth Commission face à l’indignation du public à l’égard de toute la souffrance et la douleur que les pratiques coloniales ont infligées aux nôtres et dont les effets se font encore sentir. Pour peu que vous cherchiez à vous renseigner, vous aurez vent d’expériences très douloureuses de réinstallation, d’abattage de chiens, de politiques coloniales qui ont transformé la société inuite du jour au lendemain.
Comme j’ai essayé de montrer avec mes exemples, ces 10 dernières années, les Inuits et la QIA formaient une petite organisation. Nous représentons 15 000 personnes et 13 collectivités. Nous sommes l’une des quatre organisations inuites dites désignées. Nous sommes obligés de faire plus que notre part chaque jour pour nous assurer que les intentions de la déclaration suivent leur cours et que les Inuits peuvent prendre leurs propres décisions.
Un autre exemple que je peux vous donner, c’est que cette semaine, notre organisme de développement économique, notre filiale, la Qikiqtaaluk Corporation, a déposé une demande d’aménagement d’un port d’eau profonde à Qikiqtarjuaq pour favoriser la croissance de la pêche côtière dans la baie de Baffin et veiller à ce que les quotas détenus par les Inuits puissent être transformés au Nunavut et non au Groenland, de sorte que les emplois et les retombées économiques aboutissent chez nous plutôt qu’à l’étranger. Plus précisément, avec la Qikiqtani Truth Commission, nous exerçons des pressions auprès des ministres Bennett, O’Regan et LeBlanc pour obtenir des excuses officielles ainsi qu’un engagement à long terme à fournir du financement pour les programmes sociaux. Cet argent serait versé directement dans le fonds d’infrastructure de la QIA, dans le but d’accroître notre capacité d’offrir les programmes sociaux que notre conseil d’administration décide de financer à titre permanent.
Notre établissement met également beaucoup l’accent sur le développement et l’éducation de la petite enfance, en insistant sur la garde d’enfants, la préservation de l’inuktitut et les programmes d’études en cette langue. Ce sont tous là des exemples qui, à notre avis, répondent de façon tangible à ce dernier point du préambule de l’accord et de la déclaration. C’est ce que fait notre organisation aujourd’hui.
La vice-présidente : L’une des questions dont nous avons beaucoup entendu parler au cours de nos séances cette dernière année, mais surtout aujourd’hui, c’est l’inégalité au niveau de l’éducation. Nous en avons entendu parler ce matin en comparant les peuples du Nord à ceux du Sud sur la scène internationale. Nous en avons certainement entendu parler lorsque nous sommes allés dans le Nord.
Je me demande si vous pouvez me dire où se situe la question de l’éducation dans le travail que vous faites et si vous constatez une amélioration des chances et des progrès?
M. Williamson Bathory : C’est une très bonne question. Je suis le premier à admettre que parmi les organisations inuites, Nunavut Tunngavik travaille très activement dans ce domaine. Elle est la première à défendre les intérêts des Inuits dans ce domaine. Quant aux travaux de la QIA, je peux répondre avec plus de précision.
Depuis l’installation de gens de l’extérieur, il y a plusieurs années, nous avons droit à un règlement important parce que l’accord sur le Nunavut n’avait pas été respecté. Deux montants ont été mis de côté, dont l’un pour créer une société d’éducation et de formation gérée par NTI, le gouvernement du Canada et le gouvernement du Nunavut. Il y a donc beaucoup de projets et de mouvement dans ce domaine.
Malheureusement, je ne suis pas la personne la mieux placée pour en parler. Ce que je peux vous dire, c’est que l’entente accordait aux Inuits le pouvoir discrétionnaire d’utiliser une partie des fonds comme ils l’entendaient.
Ce que nous venons tout juste de présenter à la réunion du conseil d’administration de Nunavut Tunngavik Incorporated, c’est la création de ce que nous appelons un fonds de développement inuit. Les sommes qui y seront versées seront consacrées aux demandes présentées par les organisations inuites pour créer des retombées économiques au Nunavut. C’est une forme de prêt sans intérêt ou à faible taux d’intérêt, si vous voulez, qui permettra aux organisations inuites de proposer des projets de développement.
En ce qui concerne notre organisation, nous travaillons en partenariat à la mise sur pied d’un programme de garderie. Il y a plusieurs mois, nous avons organisé un atelier pour tous les responsables des garderies de notre région afin de commencer à simplifier l’élaboration et la prestation des programmes d’enseignement.
Enfin, dans le cadre du Fonds pour les compétences et les partenariats, il y a une tentative de fusion et de mise à l’essai des capacités du secteur minier, et nous constatons que des programmes d’apprentissage très concrets, qui travaillent avec de petits groupes dans un milieu qui permet l’enseignement en inuktitut et l’apprentissage sur le tas, sont en train de donner d’excellents résultats — au Nunavut.
Nous avons un plan en place avec Baffinland pour créer une installation de formation à Pond Inlet afin que les conducteurs de machinerie lourde, par exemple, n’aient pas à se rendre à Morrisburg. Ils peuvent résider au Nunavut, ce qui réduit les fuites économiques.
J’espère que cela répond en partie à votre question.
La vice-présidente : Comme vous l’avez dit, nous nous sommes rencontrés l’autre jour, vous et moi. Nous avons rencontré votre président. Je pense que nous avons eu une discussion aussi poussée qu’intéressante sur diverses questions.
Au cours de cet entretien, vous avez parlé de 10 ans de négociation et de collaboration avec le gouvernement fédéral et du fait que — corrigez-moi si je me trompe — oui, il y a eu des hauts et des bas, mais je crois que vous étiez d’avis que les discussions et les négociations avaient été positives et que vous aviez fait du chemin.
Je me demande si vous avez quelque chose à ajouter à ce sujet.
M. Williamson Bathory : Oui. Dans le contexte de notre relation avec le gouvernement fédéral, comme je l’ai souligné dans mes remarques liminaires, il y a eu un moment où nous avons déposé une injonction et obtenu gain de cause. Une partie du gouvernement fédéral cherchait à mener des études sismiques. Dans la même région géographique, un autre ministère cherchait à créer une aire de conservation.
Nous en sommes maintenant au point où, pour nous, tout a commencé avec le rapport de Mary Simon à la ministre Bennett, ce qui a sensibilisé les gens à une approche pangouvernementale qui a mené depuis à la création du Comité de partenariat entre les Inuits et la Couronne et à la possibilité pour les Inuits d’utiliser cette table de concertation sous la direction du président de l’ITK, Natan Obed, coprésidée par le premier ministre, pour présenter des propositions dirigées par les Inuits afin de chercher à collaborer avec le gouvernement fédéral et à accroître l’unité entre les régions inuites.
Je pense que la dernière fois où nous nous sommes rencontrés dans votre bureau, nous avons dit que si nous parvenions à faire mieux dans l’une des régions, sur un sujet précis, cela devrait offrir de meilleures plateformes aux autres organisations inuites également. C’est ainsi que nous avons abordé notre travail et le dialogue à la table du Comité de partenariat entre les Inuits et la Couronne.
La vice-présidente : Pour parler de faire mieux, comme vous le disiez l’autre jour, vous avez dit cet après-midi que 20 p. 100 des emplois créés dans le cadre du projet de Mary River étaient occupés par des Inuits. À partir de cela, du succès que vous avez eu et de vos objectifs, quelles recommandations avez-vous à faire à notre Comité spécial sur l’Arctique pour nous aider à formuler les nôtres au gouvernement fédéral sur le Cadre stratégique pour l’Arctique? Quelles recommandations avez-vous pour que la formation axée sur les compétences réponde vraiment aux besoins des Inuits?
M. Williamson Bathory : C’est une excellente question. Je vous en suis très reconnaissant.
Comme vous le verrez, dans notre document qui propose une nouvelle approche au développement économique au Nunavut, il y a toute une rubrique sur le financement à long terme, un financement qui ne change pas en raison d’une politique partisane ou de l’intérêt de tiers pour l’exploration, l’exploitation et la promotion commerciale de leurs affaires.
Plus précisément, dans le contexte de Mary River, les 9 millions de dollars que nous avons reçus du Fonds pour les compétences et les partenariats ont une fenêtre de financement de quatre ans. Une fois que ces 9 millions seront épuisés, nous ne pourrons compter que sur nos propres contributions et sur ce que nous pourrons négocier dans le cadre de notre entente sur les avantages.
Nous savons que le niveau d’activité actuel ne peut être maintenu sans ce type de soutien gouvernemental. L’objectif du Fonds pour les compétences et les partenariats consistait littéralement à transformer une statistique de 100 employés inuits à temps plein en 200, c’est-à-dire, doubler la main-d’œuvre inuite.
La raison pour laquelle c’est si important, c’est que les effets multiplicateurs de l’emploi et de l’éducation ont beaucoup de poids dans le Nord. Il y a une corrélation directe entre une seule personne qui soutient non pas une famille de cinq comme il est plus ou moins traditionnel dans le Sud, mais, littéralement, une très grande famille élargie, et c’est pourquoi, dans le cadre des négociations sur l’aire marine nationale de conservation Tallurutiup Imanga, nous nous sommes tellement concentrés sur l’évaluation du montant résiduel des dépenses dans le cadre de ce programme d’avantages qui demeurera au Nunavut et aboutira dans des ménages.
Le critère que nous avons établi pour mesurer le succès de cette aire de conservation est très simple, mais il est défini comme étant le fait que nous voulons nous assurer que tous les Inuits des cinq collectivités touchées ont accès à des aliments traditionnels frais, récoltés localement. Une portion par jour par personne. Ensuite, grâce à notre proposition de développement économique, vous pouvez analyser ce qu’il faudra en ressources financières, en politiques et en partenariats pour obtenir ces résultats.
D’un côté, il est littéralement question de mettre de la nourriture sur la table, de la nourriture provenant du Nunavut. De l’autre, vous parlez de la façon d’optimiser et de soutenir l’industrie de l’exploitation des ressources. Dans les deux cas, si vous passez de 100 à 200 employés, ou d’une portion de nourriture par personne, nous pensons avoir un modèle pour construire ces solutions. L’essentiel est un financement soutenu qui ne dépend pas de politiques partisanes et qui permet une évolution. Les Inuits auront toujours de nouvelles idées, mais ils veulent que celles-ci ne soient pas le fruit de leur dépendance, et qu’elles leur appartiennent en propre.
La vice-présidente : J’ai deux questions à ce sujet. Ce sont des questions différentes.
Vous parlez de financement durable à long terme. Je vais revenir à mes nombreuses années de travail dans le domaine des arts. C’est exactement le genre de chose que nous recherchions, un financement soutenu pour que les organisations puissent continuer de fonctionner. Bien entendu, il y a le financement ponctuel des projets, qui est un type de financement, et il y a le financement continu qui en est un autre.
Les gouvernements, bien sûr, doivent s’en sortir avec chaque exercice financier, et les fonds qu’ils peuvent promettre pour le ou les exercices suivants sont limités. C’est tout à fait compréhensible.
Que faut-il mettre en place pour le financement? Pour les gouvernements, un financement de quatre ans est un financement à long terme; pour les bénéficiaires, ce n’est peut-être pas le cas. Que faut-il pour que ce financement sur quatre ans puisse vraiment se renouveler? À quel moment dans un cycle de quatre ans devez-vous avoir des discussions pour éviter tout écart avant de commencer le cycle suivant? Est-ce la troisième année? La quatrième, est-ce trop tard? Quand doit-on avoir cette discussion?
M. Williamson Bathory : Je vais revenir aux deux exemples avec lesquels nous travaillons. Je vais passer à la page 3 de ma déclaration préliminaire, au troisième paragraphe avant la fin. J’ai souligné les domaines où nous pourrions mieux nous y prendre collectivement pour évaluer les répercussions socioéconomiques associées aux grands projets.
On pourrait opter pour un modèle dans lequel un projet qui reçoit une recommandation positive quitte les mains de la Commission du Nunavut chargée de l’examen des répercussions et arrive sur le bureau d’Affaires du Nord — en l’occurrence, au bureau du ministre LeBlanc — pour un examen final avant l’approbation.
Je pense que c’est à ce moment-là que l’on pourrait envisager le type d’investissements qui seraient propices au développement socioéconomique. Dans notre cas, le projet du Fonds pour les compétences et les partenariats fera l’objet d’un rapport sur la demande pour la phase 2, probablement en novembre de cette année, selon le calendrier. C’est à ce moment-là que les parties ont examiné une proposition et que le gouvernement fédéral prend des mesures pour l’approuver ou la modifier et pour établir les conditions pour l’octroi d’un certificat. Le projet fera ensuite l’objet d’un suivi annuel.
Il existe déjà un instrument qui permet d’établir un lien entre la surveillance socioéconomique et les possibilités de financement. À l’heure actuelle, ces deux éléments ne sont pas liés. Par exemple, le gouvernement fédéral pourrait disposer d’un fonds défini — disons 10 millions de dollars au Nunavut — pour des projets d’envergure approuvés et en plein fonctionnement. On pourrait envisager une répartition plus stable de ces fonds. Si un nouveau projet était présenté, vous vous demanderiez s’il y a lieu d’injecter de nouveaux fonds pour stimuler l’économie. Dans le cadre du processus d’évaluation mené par la Commission du Nunavut chargée de l’examen des répercussions, où ces fonds seraient-ils les mieux placés? Je pense qu’il y a des mécanismes à notre disposition.
La vice-présidente : Vous allez suivre ces mécanismes?
M. Williamson Bathory : D’ici vendredi, si vous m’encouragez à le faire.
La vice-présidente : Permettez-moi de m’écarter un peu du sujet. Plusieurs personnes qui ont comparu devant ce comité ont parlé de l’économie de la chasse. Pouvez-vous nous parler un peu de son importance pour l’économie globale du Nunavut? Comment pouvons-nous améliorer le soutien à l’économie de la chasse? Que pensez-vous de la contribution de l’économie de la chasse à la culture d’autonomie des Inuits?
M. Williamson Bathory : Je dirais d’abord et avant tout que c’était l’objectif de l’exposé sur le Cadre stratégique pour l’Arctique que Mme Sandra Inutiq a présenté au comité le 1er avril. Je me ferai un plaisir d’y revenir. C’est un travail de groupe sur lequel nous collaborons depuis plusieurs années. Je suis heureux de constater qu’on commence à s’y intéresser.
Un autre document qui traite de cette question s’intitule « QIA’s Response to Stronger Together : An Arctic and Northern Policy Framework for Canada ». Dans ce document, plusieurs pages donnent des réponses très claires et concises à vos questions.
Pour ne pas me perdre dans tous ces papiers, je vais passer à la page 13. Il y a aussi des parties antérieures qui illustrent la question.
Nous sommes ici aujourd’hui et je suis employé par QI en raison de la force et de la résilience des pratiques de récolte inuites. Bien que certaines collectivités que nous représentons aient été créées par le gouvernement canadien, leur emplacement géographique coïncide en grande partie avec des terres utilisées et occupées par les Inuits depuis très longtemps. J’ai mentionné plus tôt le projet avec les Archives nationales. Nous voyons dans la vie quotidienne au Nunavut une soif très claire de soutenir une économie axée sur ce que les Inuits font le mieux, c’est-à-dire occuper leur terre natale, subvenir aux besoins de leur famille et être des surveillants actifs de l’environnement.
Dans le cadre de nos négociations sur l’aire de conservation Tallurutiup Imanga, nous avons fait évoluer le concept du gardien, qui est né en Colombie-Britannique, en y incluant un rôle pour les récolteurs actifs, faisant de la chasse une occupation rémunérée à temps plein.
J’ai vu certaines des notes que Sandra Inutiq a présentées le jour même. Océans Nord a également présenté son point de vue sur les familles qui réussissent le mieux sur le plan socioéconomique dans les collectivités. Ce sont ces familles qui chassent et qui pêchent, qui transmettent leurs compétences linguistiques et leurs traditions en vivant sur la terre. Malheureusement, le coût de ces activités peut être assez astronomique. Il faut un salaire stable et beaucoup d’ingéniosité locale.
L’un des moyens que nous avons proposés — toujours à la page 13 — est l’investissement dans l’infrastructure maritime. Nous demandons des améliorations aux ports. À l’heure actuelle, une seule collectivité du Nunavut a un port pour petits bateaux. C’est absolument insuffisant pour un peuple de gens de mer et une administration maritime.
Nous travaillons également au développement de ce que nous appelons une infrastructure à usages multiples, c’est-à-dire des installations qui ont des garages, des bureaux, de l’équipement et des fournitures pour permettre à la collectivité de s’auto-suffire, le tout devant être relié aux installations de transformation des aliments et aux bureaux du personnel. Nous cherchons également à créer des possibilités de formation mobile pour encourager la transmission du savoir entre les aînés et les jeunes.
En principe, l’économie de la chasse se résume à une portion de nourriture traditionnelle par personne et par jour. Pour y arriver, il faut beaucoup d’organisation pour ce qui, à l’heure actuelle, ne se fait que de façon informelle. Ce sont les Inuits eux-mêmes qui financent ces activités à même les salaires qu’ils peuvent gagner en faisant d’autres métiers. Nous savons que c’est étroitement lié aux compétences des hommes et des femmes, mais plus particulièrement à la capacité des jeunes hommes d’apprendre et de devenir des professionnels.
Le président de notre institution a grandi à Grise Fiord. Il aspirait à devenir chauffeur de camion de vidange parce que c’était l’un des emplois possibles qu’il voyait. Sa famille dirigeait une entreprise de guides très prospère. Ils avaient une équipe de chiens à nourrir tous les jours. Ils emmenaient des gens chasser les ours polaires. Il n’a jamais pensé que c’était une profession en soi.
Si nous réussissons à faire reconnaître la récolte comme un métier, nous consacrons quelque chose qui a déjà un élan culturel. Nous n’avons pas à attendre que quelqu’un à Ottawa décide de lancer un programme. Ce programme va s’enclencher et va se réaliser tout seul.
La vice-présidente : Comme il n’y a pas d’autres questions, je tiens à vous remercier de votre témoignage, du temps que vous nous avez consacré et des réponses que vous nous avez données.
Sur ce, la séance est levée. Merci beaucoup.
(La séance est levée.)