Délibérations du Comité sénatorial spécial sur le
Secteur de la bienfaisance
Fascicule n° 2 - Témoignages du 16 avril 2018
OTTAWA, le lundi 16 avril 2018
Le Comité sénatorial spécial du secteur de la bienfaisance se réunit aujourd’hui, à 18 h 30, pour examiner l’impact des lois et politiques fédérales et provinciales gouvernant les organismes de bienfaisance, les organismes à but non lucratif, les fondations et autres groupes similaires, et pour examiner l’impact du secteur volontaire au Canada, puis à huis clos, pour examiner un projet d’ordre du jour (travaux futurs).
Le sénateur Terry M. Mercer (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Soyez les bienvenus à cette première séance du Comité sénatorial spécial du secteur de la bienfaisance. Je suis le sénateur Terry Mercer, de la Nouvelle-Écosse, président du comité. Je demande à mes collègues de bien vouloir se présenter, en commençant par la vice-présidente.
La sénatrice Omidvar : Ratna Omidvar, de l’Ontario.
Le sénateur R. Black : Robert Black, de l’Ontario.
La sénatrice Raine : Nancy Greene Raine, de la Colombie-Britannique.
Le sénateur Duffy : Mike Duffy, de l’Île-du-Prince-Édouard.
Le président : Merci.
Aujourd’hui, le comité entamera l’examen de l’impact des lois et politiques fédérales et provinciales gouvernant les organismes de bienfaisance, les organismes à but non lucratif, les fondations et autres groupes similaires et l’impact du secteur volontaire au Canada.
Dans notre premier groupe de témoins, nous accueillons en personne Mme Susan Phillips, qui est professeure et directrice d’études au programme de maîtrise en philanthropie et en leadership de l’économie sociale à l’École d’administration et de politiques publiques de l’Université Carleton.
Par vidéoconférence, nous accueillons Mme Rachel Laforest, qui est professeure agrégée et directrice du programme de maîtrise en administration publique de l’École d’études sur les politiques publiques de l’Université Queen’s. Elle nous parle depuis Washington. De la même manière, nous accueillons M. Peter Elson, professeur auxiliaire adjoint à l’Université de Victoria et membre chercheur principal de l’Institute for Community Prosperity à l’Université Mount Royal de Calgary. Il nous parle depuis Victoria.
Merci d’avoir accepté notre invitation. Je vous rappelle que, conformément aux instructions que vous avez reçues d’avance, la durée de votre exposé ne doit pas dépasser sept minutes. Ensuite, nous entamerons une période de questions dans laquelle chaque sénateur disposera de cinq minutes pour poser ses questions avant que le président n’accorde la parole à un collègue.
Il y aura autant d’interventions que le temps le permettra. Que les sénateurs ne se sentent donc pas obligés de poser toutes leurs questions d’un coup. Le petit comité que nous sommes dispose de beaucoup de temps pour les questions.
Je demande à mes collègues de privilégier des questions brèves et précises et, aux témoins, des réponses du même acabit.
Susan Phillips, professeure et directrice d’études, programme de maîtrise en philanthropie et en leadership de l’économie sociale, École d’administration et de politiques publiques, Université Carleton, à titre personnel : Merci de votre invitation. J’étudie les organismes de bienfaisance au Canada et dans un dessein de comparaison depuis environ 30 ans. J’ai créé le seul programme de maîtrise en philanthropie et en leadership de l’économie sociale du pays et je suis directrice du principal journal international du domaine, ce qui signifie que je consacre beaucoup de temps à lire les meilleurs travaux de recherche.
Votre comité a l’occasion d’orienter la politique du secteur des organismes de bienfaisance. L’occasion semble revenir à peu près tous les 20 ans. En formulant votre démarche, il vous importe de réfléchir aux problèmes auxquels nous cherchons des solutions. Quels sont la situation, le contexte dans lesquels aboutiront ces solutions?
Je ferai valoir que le secteur de la bienfaisance subit des modifications au tréfonds de lui-même, et permettez-moi de les esquisser rapidement. Tout d’abord, la philanthropie dite concentrée, celle des dons et du bénévolat, privilégie un cadre plus restreint, de plus longue date, et elle compte davantage sur les donneurs riches, ceux qui pourraient donner davantage. Dans les quelques prochaines décennies, nous assisterons au plus important transfert transgénérationnel de richesses de l’histoire. Comment faire pour en diriger une partie vers le bien public?
Les changements démographiques sont importants. La génération du millénaire, le groupe le plus nombreux et le plus diversifié de l’histoire, est philanthrope, mais elle ne donne pas encore beaucoup en raison de la situation personnelle de ses membres. Il importe de reconnaître qu’ils diffèrent de leurs grands-parents baby-boomers en combinant militantisme, bénévolat et don et en n’étant pas fidèles à une marque ou à une organisation. Ceux qui sont dirigeants ou employés dans le secteur privilégient la rémunération et un travail valable.
Malgré la diversité culturelle de notre pays, nous en savons très peu sur les formes de don dans les communautés des minorités.
L’augmentation des revenus et l’égalité posent de nouvelles questions sur la responsabilité publique de la richesse privée. Au service de qui la philanthropie est-elle vraiment? Voilà une question qui devient très pertinente, en faisant pression pour une transparence et une légitimité plus grandes des organisations privées et des fonds de dotation nommés, destination des dons de charité dont la croissance est la plus rapide au Canada et aux États-Unis.
Il existe maintenant de nouveaux modèles d’entreprises et outils financiers pour les organismes de bienfaisance, qui agissent aussi de façon plus entrepreneuriale. Nous savons qu’il s’injecte de plus en plus rapidement de capitaux privés dans ce secteur grâce aux finances sociales, mais que la demande et l’acceptation de ces fonds ne sont pas encore à la mesure de cette offre, en partie parce que les organismes ne possèdent pas la capacité voulue d’absorption.
De nouveaux modèles de prestation des services s’offrent aux administrations publiques au moment où nous essayons de résoudre certains problèmes épineux par des orientations et des méthodes axées sur le système. Cela signifie que les gouvernements cherchent davantage d’innovation, pour coproduire ces solutions avec le concours des organismes de bienfaisance de qui ils attendent plus de collaboration.
Enfin, il y a le renouvellement du leadership. D’après une étude récente de l’Ontario Nonprofit Network, 40 p. 100 des directeurs généraux d’organismes sans but lucratif ont plus de 55 ans, et 60 p. 100 d’entre eux ont l’intention de quitter leur poste dans quelques années. La relève pose donc un problème de taille dans ce secteur.
En vue de votre travail, je ferai valoir que l’impact, tout comme l’innovation, la collaboration et la coproduction, est plus important que jamais, tandis que la gouvernance organisationnelle est plus complexe. De plus, l’autoréglementation du secteur est importante, tandis qu’un travail décent et le renouvellement des dirigeants doivent être pris en considération.
Alors, qu’en est-il, pour nous, des priorités de la réforme des politiques et de la réglementation?
Premièrement, quels types d’organismes considère-t-on comme de bienfaisance? Ce secteur et nos attentes à son endroit ont dépassé une vision historique de la charité, et notre démarche manque de plus en plus de légitimité publique, elle est difficile à comprendre et elle répond mal aux besoins de la société. Je dirais aussi que les pressions visant à instaurer la déclaration annuelle du bienfait d’intérêt public et des retombées, comme l’exige maintenant la loi au Royaume-Uni, sont susceptibles de croître.
Les règles en vigueur sur les « activités politiques » engendrent la confusion, tandis que les déclarations sont une fiction. Il faut clarifier la terminologie et les limites de l’activité politique. Actuellement, je ne prévois pas que cela change beaucoup le comportement des organismes de bienfaisance, parce qu’ils ne sont pas aussi engagés dans la politique et dans la défense des causes que le permettraient les règles en vigueur, mais les principes ont de l’importance, tout comme nos principes et notre approche démocratiques.
Alors que les organismes de bienfaisance adoptent des stratégies plus entrepreneuriales, il faut réévaluer la réglementation de l’activité commerciale, et votre comité pourrait émettre un avis précieux sur le traitement convenable à réserver à cette activité ainsi qu’aux finances sociales en coordination avec l’examen, par Emploi et Développement social Canada, des mesures réglementaires dans le cadre de la stratégie de ce ministère en matière d’innovation et de finances sociales.
Qu’est-ce qu’un organe « moderne » de réglementation dans ce secteur? Une réglementation efficace dépend des pouvoirs, de la crédibilité, de la transparence et des ressources de l’organe de réglementation. Est-ce que la Direction des organismes de bienfaisance de l’Agence du revenu du Canada est adaptée à son rôle d’organe moderne de réglementation? Est-ce que la méthode de réglementation concilie bien le travail facilité du secteur et l’atténuation des risques? Est-elle adaptée à l’existence d’un cabinet axé sur la gestion réglementaire?
Pendant des années, on a débattu des avantages et des inconvénients de divers modèles, mais je persiste à croire que nous avons besoin de les réexaminer.
Ensuite viennent les cadres de passation de marchés et de responsabilisation. Les organismes de bienfaisance fournissent des services publics indispensables, comme le prouve le fait que plus de 40 p. 100 des revenus de ce secteur proviennent de l’État. Pourtant, la majorité de ces marchés ne couvrent pas les coûts réels de la prestation de ces services, et il existe un interfinancement massif de la philanthropie privée pour combler les lacunes du financement public de ces marchés.
En 2006, le Groupe d’experts indépendant sur les programmes de subventions et de contributions a décrit les exigences en matière de responsabilisation comme un fatras de règles. Il a enjoint au gouvernement du Canada de les corriger, mais les progrès ont été limités.
De plus, comme le public a souvent l’impression, parfois fausse, que les organismes de bienfaisance devraient supporter des coûts administratifs très bas et comme, en général, les bailleurs de fonds ne sont pas disposés à les supporter, cela rend difficile à ces organismes la tâche d’investir dans les systèmes dont ils ont besoin pour innover, adopter un nouveau modèle d’entreprise et obtenir de meilleurs résultats. Une contribution importante de votre comité serait l’examen des régimes fédéraux de passation de marchés et des exigences connexes en matière de responsabilisation.
Que signifie « renforcé » et comment renforcer une culture de la philanthropie? Le Canada possède déjà un système généreux d’encouragements fiscaux, et des encouragements supplémentaires sont peu susceptibles d’augmenter les taux ou les montants des dons, l’exception étant peut-être de rendre comparables la fiscalité des dons d’actions de sociétés privés et celle des dons d’actions de sociétés publics. Un crédit d’impôt sur le bénévolat est peu susceptible d’obtenir l’effet désiré et il ouvrirait la porte aux abus.
D’après moi, nous devons privilégier ce qui encourage la philanthropie : prise de conscience des possibilités et des retombées; capacité d’assurer facilement la diligence requise par la transparence, l’influence des pairs, les normes sociales et le rôle des conseillers en philanthropie des donneurs riches.
Ensuite, il y a le renforcement de la gouvernance, le perfectionnement des compétences et un travail décent. Compte tenu des attentes plus élevées à l’égard de l’impact, de l’innovation et de la recherche de nouveaux modèles commerciaux, il faut impérativement combler les besoins d’une gouvernance efficace des conseils d’administration et ceux de compétences en leadership — comme le prouve le récent scandale à Oxfam International.
Je ne pense pas que les gouvernements puissent, de façon réaliste, réglementer la bonne gouvernance et le leadership; ils ne peuvent que les encourager et y consacrer des investissements. Le programme de normes d’Imagine Canada est l’un des systèmes de certification les plus rigoureux du monde, et on pourrait faire davantage pour l’intégrer dans une démarche de coréglementation. Le secteur propose un plan de travail convenable qui comporte notamment la rémunération du travail précaire, les avantages sociaux et les régimes de retraite, et votre comité pourrait encourager le travail du secteur en favorisant les discussions sur le travail décent.
Enfin, de meilleures données. La capacité du gouvernement et du secteur même de prendre des décisions fondées sur des données probantes dépend de données de qualité. Si nos données fiscales — celles du formulaire T3010 — sont parmi les plus transparentes et les plus exhaustives du monde, nous avons perdu de précieux renseignements sur les tendances des dons et du bénévolat quand nous avons mis fin aux enquêtes nationales, aux Comptes nationaux et au Conseil des ressources humaines. Pour prendre des décisions fondées sur des données probantes, nous devons améliorer le recueil et la communication de données dans le secteur de la bienfaisance, y compris améliorer la capacité de ces organismes de collecter et de mettre en commun les données sur leurs retombées.
En guise de conclusion, la période est enthousiasmante mais incertaine pour le secteur de la bienfaisance au Canada. La perception du secteur chez les gouvernements, les relations entre eux et lui et sa réglementation n’ont pas tellement changé depuis des décennies, ce qui ne facilite pas le genre d’innovation nécessaire. Le secteur est donc entravé dans ses capacités de réaliser son plein potentiel dans un contexte très transformé.
J’espère que le comité s’attaquera à certaines de ces questions fondamentales, pour nous éviter d’attendre pendant 20 ans un autre cycle de réformes. Merci.
Le président : Merci beaucoup, madame Phillips. Nous irons aux questions dans quelques moments.
Entendons Mme Laforest, de l’Université Queen’s, mais qui s’adresse à nous depuis Washington. Veuillez commencer.
[Français]
Rachel Laforest, professeure agrégée et directrice du programme de maîtrise en administration publique, École d’études sur lespolitiques publiques, Université Queen’s : Merci de m’avoir invitée à venir vous parler aujourd’hui. Je suis enthousiasmée à l’idée de vous parler un peu de mon expérience, car je viens de tenir de nombreuses entrevues avec des organisations dans six ou sept provinces.
[Traduction]
Je suis vraiment enthousiasmée d’apporter mon témoignage, parce que je viens d’entamer une tournée pancanadienne. J’ai réalisé 100 entrevues pour des organisations sans but lucratif de sept provinces, au cours des deux derniers mois, et j’aborderai rapidement l’impression que j’ai retirée d’une partie de ce travail de terrain. Avant de commencer, je tiens à faire deux observations.
La première est que le secteur du bénévolat, des associations sans but lucratif, des organismes de bienfaisance, varie beaucoup d’une province à l’autre. Ce n’est pas un secteur homogène. D’une province à l’autre, on entend un discours, un récit différents, et une dynamique politique différente se manifeste, ce qui façonne vraiment la nature du secteur. Il importe de vous rappeler, quand vous réfléchirez à une stratégie canadienne, que les réalités à l’échelon local et à celui des provinces, sont vraiment différentes.
Ensuite, la taille et le champ d’activité du secteur varient beaucoup, et la majorité des organismes ne sont pas des organismes de bienfaisance, y compris philanthropiques, mais des organismes sans but lucratif. On en compte 170 000 dans tout le Canada. Seulement 85 000 d’entre eux, du moins d’après leur dernier dénombrement, en 2004, sont des organismes de bienfaisance. Je tiens à attirer votre attention sur les autres organisations et sur certains des défis qu’elles affrontent sous un régime peut-être pas juridique ou réglementaire mais du fait de certaines politiques et de leurs retombées.
Je répondrai à vos questions, bien sûr, sur le régime fiscal et le système réglementaire. Je tiens à souligner la dynamique qui existe dans ces secteurs.
Le premier sujet est vraiment le financement des organisations sans but lucratif. Elles ont subi des coupes depuis la fin des années 1990. Graduellement, on s’est éloigné du financement des infrastructures de base pour privilégier le financement axé sur les projets. L’effet sur ces organisations a été considérable. Il leur était désormais beaucoup plus difficile de maintenir leurs opérations. Elles ont dû chercher de multiples sources nouvelles ou moyens nouveaux de financement. Chacun d’eux, bien sûr, est assorti d’exigences différentes pour la responsabilisation, la mesure du rendement, de sorte que les charges administratives de ces organisations ont vraiment des conséquences sur leur capacité de répondre à certaines de leurs attentes.
C’est important parce que la capacité de ces organisations est essentielle à la qualité des services fournis à l’échelle des provinces et à l’échelle fédérale, dans tout le Canada. C’est un facteur pour leur capacité d’embaucher de bons employés, de bien les rémunérer, de leur offrir des emplois stables, qui peut aussi influer considérablement sur leur capacité de concilier leurs différents rôles.
Dans leur prospection de différentes sources de financement, il devient difficile aux organisations de conserver leurs opérations de base, de se focaliser sur différents rôles comme la défense de certaines causes. Comme Susan Phillips l’a fait remarquer, nous leur demandons d’être de plus en plus innovantes, d’inventer des moyens, mais elles n’en ont pas vraiment les ressources ni les capacités.
Je pense que c’est l’un des problèmes de gouvernance les plus urgents et les plus importants pour les provinces et le gouvernement fédéral. Sur le terrain, actuellement, une véritable et importante transformation touche la gouvernance des systèmes de prestation de services sociaux. Toutes les provinces réorganisent leur système pour s’adapter aux besoins des régions, mettre les besoins des utilisateurs au centre de leurs préoccupations et faire participer ces joueurs à la conception de ces nouveaux systèmes de prestation. Cela exige de ces organisations qu’elles participent à l’établissement de ces liens avec les utilisateurs et les clients sur le terrain. Cela exige d’elles des connaissances et la participation à l’élaboration de la politique.
Nous avons aussi constaté, particulièrement à l’échelon fédéral, que les questions d’actualité en matière de politique, par exemple la réduction du sans-abrisme et de la pauvreté, sont vraiment complexes, qui exigent le vécu de personnes qui ont connu l’expérience dans le système et l’expérience des organisations sans but lucratif. Il importerait vraiment à votre comité d’examiner des façons d’augmenter les capacités du secteur des organisations sans but lucratif dans son ensemble et de stabiliser le financement pour permettre de relever certains des défis qui se posent à leurs capacités.
Deuxièmement, il y a les changements démographiques que Susan a mentionnés. Je pense qu’il est important d’examiner l’incidence des changements démographiques sur les éléments centraux. Il s’agit du petit groupe de personnes responsables qui sont très importantes. Elles font du bénévolat dans des organismes de bienfaisance, et les changements démographiques auront d’énormes répercussions.
Un petit nombre de donateurs sont responsables de la majorité des dons de bienfaisance, et c’est également vrai pour la majorité des heures de bénévolat. Lorsqu’on examine la situation, ces super bénévoles et donateurs sont habituellement des personnes âgées et des gens qui font du bénévolat dans divers organismes et qui réduisent lentement leur participation et leurs dons à mesure qu’ils avancent en âge. C’est en partie la raison pour laquelle on enregistre une diminution du nombre de donateurs. C’est en partie la raison pour laquelle on enregistre une diminution des heures de bénévolat. Je pense que nous devons réfléchir à la façon de mobiliser la prochaine génération. Nos jeunes seront des « lave-lève », pour ainsi dire. Ils ne s’engagent pas sur le plan civique de la même façon ou pour les mêmes raisons. Ils semblent préférer s’engager auprès d’organismes pour acquérir des expériences professionnelles, mais ils veulent aussi s’engager auprès d’organismes de façon non traditionnelle. Ils aiment s’engager de façons plus informelles par l’entremise des médias sociaux et des nouvelles technologies.
Pour ce qui est des dons, ils veulent verser des montants moins élevés à des organismes et ils veulent le faire pour une cause sociale différente. Ils ne veulent pas investir dans l’infrastructure. Tous ces facteurs auront une énorme incidence sur l’état de notre secteur.
Je vais m’arrêter ici pour le moment, mais je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.
Le président : Monsieur Laforest, merci beaucoup de votre exposé.
Nous allons maintenant entendre M. Peter Elson, qui comparaît par vidéoconférence de Victoria, en Colombie-Britannique.
Peter Elson, professeur auxiliaire adjoint, Université de Victoria, à titre personnel : Bonjour et merci de l’invitation à comparaître, mesdames et messieurs les sénateurs, et bonjour à vous, invités et collègues. J’aimerais tout d’abord dire que je m’adresse à vous avec respect et humilité à l’égard des gens qui parlent le lkwungen, sur les territoires traditionnels et non cédés desquels est construite l’Université de Victoria, et à l’égard des peuples songhees, xwsepsum — esquimaux — et WSÁNEC, qui continuent de s’occuper de ces terres.
Il y a trois points que je veux porter à votre attention. Le premier est le rôle des organismes de bienfaisance et à but non lucratif dans la société canadienne, le deuxième, comme Rachel et Susan l’ont souligné, est le financement et l’équilibre financier, et le troisième est la déclaration et la réglementation des organismes de bienfaisance et des organismes sans but lucratif.
Je pense qu’il sera très important, même si ce n’est peut-être pas une priorité pour vous, d’explorer le rôle historique qu’ont joué les organismes de bienfaisance et les organismes sans but lucratif. Il remonte au début des années 1600. Comme Susan l’a mentionné au début de la réunion, même si cette dynamique institutionnelle change de temps à autre, le rôle historique des organismes de bienfaisance et des organismes sans but lucratif dans la société canadienne est important. Je pense que fondamentalement, l’une des questions qu’il faut se poser est la suivante : quels sont les rôles et les attentes des organismes de bienfaisance et des organismes sans but lucratif dans un contexte contemporain dans la société canadienne?
Les attentes des organismes de bienfaisance et des organismes sans but lucratif ont énormément changé, mais les politiques ont souvent changé de façon furtive plutôt que de manière ouverte sans la participation complète du secteur des organismes sans but lucratif et des organismes de bienfaisance.
Il y a un certain nombre de rôles essentiels que le secteur collectif a joués dans la société. Il y a un rôle complémentaire. Il y a un rôle supplémentaire. De toute évidence, il y a un rôle expressif et un rôle de service. Comme Susan l’a mentionné, jusqu’à 85 p. 100 des organismes sans but lucratif et des organismes de bienfaisance au Canada offrent actuellement des services, mais cela n’a pas forcément toujours été le cas. Donc, je pense qu’il est important de s’interroger sur les attentes, car si nous nous attendons, par exemple, que les organismes de bienfaisance et les organismes sans but lucratif continuent de jouer un rôle de prestation de services au public, alors les questions fondamentales que Rachel et Susan ont soulevées concernant le travail décent et la rémunération deviennent extrêmement importantes.
Le deuxième secteur est le financement et l’équilibre financier. Depuis la première moitié des années 1990, le message que le gouvernement fédéral transmet aux organismes de bienfaisance et aux organismes sans but lucratif est « de se rendre sur les marchés ». L’examen du programme mené au milieu des années 1990 qui a fait passer de 50 à 75 p. 100 les limites de dons et qui a augmenté le pourcentage de dons que les entreprises et les particuliers peuvent verser aux organismes de bienfaisance faisait partie de ce message. Les organismes de bienfaisance ont réagi en conséquence. Il est vraiment important de mettre l’accent sur les particuliers fortunés dans le cadre de cette commercialisation des dons et sur les bénévoles qui deviennent actuellement un élément essentiel du secteur.
Il n’est pas surprenant, par exemple, que les compétences sur le marché que l’on perfectionne par la force des choses depuis le milieu des années 1990 sont maintenant mises en application dans le marché privé. Les organismes sans but lucratif ont un motif entrepreneurial qu’ils explorent en ce qui concerne les bénévoles et les donateurs, mais les mêmes compétences peuvent être appliquées dans le secteur privé. Il y a également des façons fondamentales où la capacité des organismes de bienfaisance et des organismes sans but lucratif de participer dans le secteur privé est grandement limitée, et ils ne le font pas nécessairement parce qu’ils veulent devenir des entrepreneurs privés — bien que les entreprises sociales représentent un volet grandissant du secteur sans but lucratif. C’est parce que ces entreprises utilisent toutes les compétences à leur disposition pour obtenir les ressources qu’il leur faut pour répondre aux besoins de la collectivité.
En l’absence de financement du gouvernement et avec la diminution ou la segmentation des dons, le secteur privé ou le marché privé devient un instrument viable. Je pense que c’est une question que nous devons examiner attentivement.
Susan et Rachel ont toutes les deux fait des remarques sur le travail décent. J’ai réalisé une étude il y a de cela plusieurs années sur l’inexistence des pensions dans le secteur sans but lucratif. C’est une partie de notre héritage dans les organismes sans but lucratif qui se livrent à des activités de bienfaisance, car même si les gens qui travaillent dans le secteur sont souvent hautement qualifiés, ils sont habituellement sous-payés. Même les cadres supérieurs peuvent travailler sans aucune prestation de retraite.
Donc, au moment de prendre leur retraite, la situation est inversée et les employés du secteur sans but lucratif deviennent ceux qui sont dans le besoin, même s’ils ont consacré toute leur carrière à aider les autres. Je pense que la question des pensions dans ce secteur doit être abordée dans le cadre de vos délibérations.
Ayant moi-même été un directeur exécutif pour un organisme de bienfaisance enregistré pendant 15 ans, je peux vous assurer que c’est une réalité. Les contrats prennent rarement, voire jamais, en considération le salaire et les avantages sociaux en contrepartie d’un travail décent. Je pense que c’est un point qu’il faut examiner attentivement.
Le troisième porte sur la déclaration de la réglementation des organismes de bienfaisance et des organismes sans but lucratif et sur l’ARC comme organisme de réglementation. Là encore, Susan en a parlé. Je pense que ces changements ont certainement été apportés au sein de l’ARC. Par ailleurs, je pense que l’ARC doit recevoir les outils dont elle a besoin pour faire participer le secteur de nouvelles façons. Je pense qu’en tant qu’organisme de réglementation fiscale, il peut y avoir des éléments liés à des activités politiques dont l’agence pourrait se départir d’une façon très viable.
Toute la question de la liberté d’expression et des activités politiques est importante pour le secteur. Lorsqu’on y pense, le secteur des organismes de bienfaisance est le seul secteur dans la société canadienne où la liberté d’expression est réprimée. Les sociétés et les particuliers n’ont aucune limite. Je pense que nous sommes rendus à un point où ces limites ne sont plus justifiées comme elles l’étaient initialement.
Je vais conclure en abordant la question de la classification des renseignements sur le marché du travail et l’importance que les organismes sans but lucratif puissent s’enregistrer au niveau provincial ou territorial, de même qu’au niveau fédéral. Ils peuvent se constituer en personne morale en tant qu’organismes sans but lucratif et s’enregistrer en tant qu’organismes de bienfaisance. Il est extrêmement difficile d’obtenir des renseignements sur le marché du travail pertinents en raison des caractéristiques des systèmes de données sur le marché du travail, tant au niveau provincial qu’au niveau fédéral.
Statistique Canada a fait de l’excellent travail à cet égard. Lorsqu’on examine des stratégies à long terme pour le marché du travail dans le secteur sans but lucratif, l’accès à des données pertinentes sur l’emploi et les salaires — même des données qui sont saisies — et la capacité de pouvoir relever ces données de manière appropriée et de cibler les organismes sans but lucratif sont des considérations importantes.
Je vous invite à me faire part de vos questions et de vos observations.
Le président : Merci beaucoup.
Avant que nous passions aux questions, je veux présenter la sénatrice Martin, qui s’est jointe à nous après que j’ai fait les présentations. Sénatrice Martin, de la Colombie-Britannique, bienvenue.
La sénatrice Omidvar : Merci à vous trois de vos exposés très concis et détaillés.
Comme vous le savez, c’est la première fois que le Sénat réalise une étude aussi approfondie des organismes de bienfaisance, et le fardeau de la tâche pèse sur nous tous, je pense. Nous avons un an. L’étude des organismes de bienfaisance, de leur portée et de leur taille est une tâche colossale. Il y a des organismes de bienfaisance religieux, éducatifs et internationaux; il y a des organismes de bienfaisance qui exercent leurs activités à l’extérieur du Canada et d’autres qui oeuvrent dans des régions de petite taille au Canada. Il est en fait un peu accablant de penser à l’ampleur, à la forme et à l’objectif de notre travail.
Je me demande si chacun de vous pourrait me fournir les quatre principales questions que le comité devrait poser afin de faire un excellent travail.
Mme Phillips : Ma première question serait la suivante : avons-nous un cadre de réglementation moderne pour les organismes de bienfaisance — je vais mettre de côté les organismes sans but lucratif et me concentrer sur les organismes de bienfaisance — qui favorise l’innovation et réduit les risques, tout en facilitant le travail du secteur?
La réglementation moderne est une question que nous posons à tous les secteurs. Qu’il s’agisse de technologies émergentes ou autres, nous devrions poser ce genre de questions. Je pense que dans ce domaine, nous réfléchissons trop à ce que les organismes de bienfaisance font et à la façon dont nous structurons la réglementation, si bien qu’il est difficile de répondre à cette question. Ma première question serait donc la suivante : qu’est-ce qu’un cadre de réglementation moderne?
Deuxièmement, les organismes de bienfaisance feront preuve d’esprit entrepreneurial. C’est ce qu’elles veulent. Nous ne devrions pas l’exiger, car ce ne serait pas approprié pour certains. Ils font preuve de beaucoup de créativité. Ils trouvent toutes sortes de façons d’accomplir leur mission et de financer leurs activités. Nous devons réfléchir à comment, d’une façon réaliste et moderne, nous pouvons favoriser une partie de ces activités entrepreneuriales dans un secteur qui est beaucoup plus hybride.
De plus, comment pouvons-nous aider le secteur à se préparer à tirer parti du financement social? Je me suis penchée sur la demande du financement social et, ce que nous savons, c’est que les organismes de bienfaisance n’ont souvent pas les compétences d’analyse et la capacité de gestion financière nécessaires, et les outils de financement ne sont pas appropriés pour ce qu’ils font. Il y a une importante question à poser à cet égard.
Mme Laforest : Oui.
Il y a certainement aussi la façon dont nous pouvons moderniser le secteur. Comment pouvons-nous aider le secteur à tirer parti de certains des nouveaux défis auxquels il sera confronté en ce qui concerne la démographie, plus particulièrement? Certains de ces changements auront une énorme incidence.
Je pense qu’il y a aussi la question entourant les tendances. Susan Phillips a signalé que nous n’avons pas les données. Nous examinons des données de 2004 pour comprendre certaines de ces tendances, et je pense que certains des changements démographiques auront une incidence considérable sur le secteur. Nous savions en 2004 que le secteur était fragile. La majorité des principaux bénévoles et donateurs ont des croyances religieuses et sont plus âgés, et ces deux tendances sont en baisse. Quels sont les faits et quelles sont les tendances qui peuvent nous aider à mieux comprendre ce que l’avenir nous réserve? Je pense que c’est une question importante.
Comment pouvons-nous être plus efficaces dans nos stratégies de financement pour pouvoir créer des capacités au sein du secteur et aider les intervenants à accomplir ce que nous leur demandons de faire, plus particulièrement en ce qui concerne la prestation de services, mais je pense davantage à la défense des intérêts? Il faut plus de consultations et une plus grande volonté de faire participer le secteur. Comment pouvons-nous être plus efficaces dans le cadre de nos stratégies de financement pour aider le secteur à renforcer ses capacités?
J’ai également une dernière question sur la façon dont nous pouvons aider le secteur à innover. Quelles sont les barrières à l’innovation? Comme Susan l’a mentionné, des programmes sont créés mais il n’y a pas de participation, car il n’y a tout simplement pas suffisamment de ressources dans le secteur pour tirer parti de ces innovations. Il n’y a pas suffisamment de marge de manoeuvre dans le système de financement pour permettre aux organismes d’expérimenter, d’innover et de prendre des risques. Comment pouvons-nous mieux innover et aider le secteur à innover?
M. Elson : Ma première question serait la suivante : quelle est la responsabilité du gouvernement en ce qui concerne le bien-être des organismes sans but lucratif et les organismes de bienfaisance au Canada? A-t-il la responsabilité de les soutenir, de les conseiller ou de leur laisser le champ libre?
Pour un grand nombre d’organismes bénévoles, outre les relations liées à la réglementation ou la reddition de comptes, de nombreux organismes de petite taille n’ont pas de liens continus avec le gouvernement, mais de toute évidence, comme je l’ai mentionné auparavant, ceux qui offrent des services entretiennent des relations avec le gouvernement. À quel point le gouvernement prend-il sérieusement ces relations, et dans quelle mesure les politiques, les programmes et les soutiens en place contribuent-ils au bien-être du secteur?
Ma question complémentaire serait la suivante : quel rôle les Canadiens s’attendent-ils que le secteur caritatif et sans but lucratif joue? Comme je l’ai déjà dit, les changements stratégiques surviennent souvent par osmose ou furtivement plutôt qu’ouvertement. Je pense que l’on apporterait une réelle contribution en posant la question suivante : quel est le rôle que doivent jouer les organismes sans but lucratif et les organismes de bienfaisance dans la société canadienne?
La sénatrice Raine : Merci beaucoup, à vous tous, d’être ici. Pour nous, qui avons mis sur pied ce comité — et merci beaucoup, monsieur le président, des efforts que vous avez déployés au fil des ans pour créer ce comité —, je pense que nous reconnaissons le travail que les organismes sans but lucratif et les organismes de bienfaisance font partout au pays. Nous voyons une possibilité de leur donner libre cours pour aller de l’avant avec plus de vigueur.
Je viens d’apprendre ces choses. J’aimerais demander à Susan Phillips, si vous ne voyez pas d’inconvénient, ce qu’elle entend exactement par fonds orientés par le donateur. Je ne connais pas bien le domaine. Vous pourriez peut-être définir cette notion pour moi rapidement.
J’ai également une question pour Mme Laforest. Quels sont les facteurs qui ont une incidence sur la stabilité de la dotation en personnel, et à quel point est-ce important? Dois-je comprendre que les donateurs privés ne veulent pas financer l’administration ou que le gouvernement ne finance pas l’administration, et que si on n’a pas une bonne administration, on n’a donc pas une bonne organisation? Pourriez-vous nous faire part de vos idées pour changer cette situation?
Ce sont mes deux questions.
Mme Phillips : Les fonds orientés par le donateur sont des comptes détenus par des particuliers ou des familles, habituellement dans une fondation communautaire ou une entité commerciale. La majorité des grandes banques ont une fondation distincte qui détiennent ces comptes. Elles sont comme une fondation, mais sans la complexité associée à leur création. Il est facile de les mettre sur pied. On peut probablement les créer avec 10 000 $.
L’exigence s’applique à la fondation dans son ensemble — par exemple, le plus gros organisme aux États-Unis est Fidelity Wealth. Il doit verser un taux fixe de 3,5 p. 100 de son financement intégral, mais cette exigence ne s’applique pas à un fonds individuel.
On critique le fait que certains fonds pourraient être inutilisés pendant des années. Dans certains cas, on pourrait dépenser des sommes beaucoup plus élevées que ce qui est nécessaire. Les donateurs pourraient également faire des dons de façon anonyme, si bien que vous pourriez faire un don à un organisme de bienfaisance sans qu’il en connaisse la provenance.
Un des arguments dans l’intérêt des donateurs fortunés, c’est qu’il n’y a pas une série d’organismes de bienfaisance à leurs trousses, étant donné qu’ils peuvent donner de façon anonyme.
L’année dernière aux États-Unis, les fonds orientés par le donateur ont dépassé les recettes de Centraide. Les gens investissent dans des fonds orientés par le donateur. Ils peuvent lancer une tradition familiale en invitant leurs proches à donner au fil du temps. Ils peuvent aussi décider ultérieurement ce qu’ils vont faire, sans devoir prendre ces décisions.
Pour ce qui est de la transparence, on parle de « babillard » des dons de bienfaisance. En revanche, leurs partisans diraient que ce sont des outils flexibles qui distribuent en moyenne plus d’argent par année que les fondations privées.
La sénatrice Raine : Mais il incombe au donateur de décider où ira l’argent.
Mme Phillips : C’est exact.
La sénatrice Raine : J’imagine que l’Agence du revenu du Canada, ou ARC, n’aime pas particulièrement cela puisqu’elle préfère contrôler l’argent, n’est-ce pas?
Mme Phillips : Eh bien, puisqu’il y a un reçu à des fins fiscales, l’argent devrait aller à des activités ou un organisme de bienfaisance, mais il n’y a aucun contrôle sur le choix de l’organisme, et il ne devrait probablement pas y en avoir non plus.
Le président : Une partie de la question de la sénatrice Raine s’adressait à Mme Laforest.
Mme Laforest : Je vous remercie de votre question.
La tendance la plus importante concernant le financement, et je parle surtout du financement gouvernemental, c’est que nous avons abandonné le financement de base destiné à soutenir l’infrastructure au profit d’un soutien des activités quotidiennes et d’un financement axé sur les projets. Ce financement est assez précis. Il est accompagné d’un calendrier, et les organisations ne sont pas autorisées à prendre une partie de ces ressources pour payer leurs activités quotidiennes fondamentales, comme le personnel et le loyer.
La situation est devenue très difficile pour les organisations, car, dès la fin d’un projet, elles doivent penser au projet suivant si elles veulent garder leurs employés. Il devient alors très difficile d’embaucher une personne à temps plein ou de façon permanente. Dans le secteur à but non lucratif, les organisations ont tendance à embaucher des gens d’un projet à l’autre sans aucune garantie, car elles ne savent pas si elles auront un autre projet.
Il y a aussi toutes les questions que Susan a soulevées au sujet du financement de l’infrastructure et des dons. Les gens qui font des dons veulent savoir que leur argent est investi dans une cause particulière plutôt que dans un bâtiment ou des salaires. Voilà qui crée des pressions sur les organisations et qui complique l’allocation de ressources pour certaines de ces activités quotidiennes fondamentales. Ces deux facteurs nuisent à l’embauche de gens vraiment compétents, compte tenu de la concurrence avec le secteur privé et le secteur public, et du fait que les organisations ne peuvent ni offrir des conditions de travail comparables ni s’engager pour une longue période.
Quelles idées permettraient de renverser la tendance? De nombreuses provinces sont revenues au financement triennal, qui garantit au moins des fonds pendant trois ans, plutôt qu’un financement annuel sans garantie pour lequel il faut présenter une nouvelle demande chaque année. Un tel financement donne au moins une certaine stabilité.
Il est possible de modifier les exigences du projet pour qu’au moins une partie de l’argent destiné au projet puisse être affecté aux activités de base et au maintien de l’organisation, au-delà d’une partie du financement.
Il faut au moins simplifier le processus de financement. À l’heure actuelle, les programmes de subventions et de contributions sont vraiment pénibles en raison du processus de demande, des exigences et des formulaires, et nécessitent un temps ou des ressources qui pourraient être consacrés aux activités fondamentales. Cette perte ne sera pas compensée par le financement des projets étant donné que, là encore, l’argent doit aller au projet en particulier plutôt que de couvrir une partie de ces coûts.
Un bon exemple est le gouvernement du Québec, qui a mis en place des fonds précis, distincts de tous fonds ministériels destinés à un projet, pour soutenir des activités essentielles comme la défense des intérêts. La province reconnaît ainsi l’importance de contribuer à l’élaboration des politiques. C’est ainsi que le Québec a réglé ces questions.
Voilà quelques options.
Le sénateur R. Black : Merci beaucoup. Il est très emballant de faire partie de ce comité. Je remercie les sénateurs d’avoir fait ce chemin en mai dernier. Quant aux témoins, je vous remercie de vos exposés.
Je viens du secteur caritatif à but non lucratif. J’ai été PDG et directeur général au cours des 18 dernières années, une fonction que j’occupais jusqu’à il y a trois semaines. C’est en raison de ma nomination au Sénat que je cause un problème de renouvellement du personnel dans ma petite organisation. Je m’en réjouis.
Je pense à l’incidence du travail des organismes de bienfaisance. Nos bailleurs de fonds — nous sommes financés par la province — en parlent de plus en plus ces dernières années. Lorsqu’une organisation obtient un financement pour une année ou un projet seulement, l’incidence ne se limite pas à six mois ou à un an. Au contraire, l’effet se fait parfois sentir pendant 10 ans, voire 20.
Ma question s’adresse aux trois témoins : comment pouvons-nous faire en sorte que les ressources soient consacrées à l’étude de l’incidence? C’est l’incidence qui va permettre la poursuite de programmes, grâce aux fonds que nous serons en mesure d’obtenir. Comment pouvons-nous y arriver si le financement est basé sur un projet et qu’une partie de l’exigence de financement consiste pourtant à démontrer cette incidence? Les gens ne comprennent tout simplement pas.
Mme Phillips : Je vais tenter de répondre puisque j’ai travaillé dans ce domaine.
Tout d’abord, tout dépend de la relation entre le bailleur de fonds et le financement, pour ce qui est des attentes réalistes relatives à l’échéancier, de même que de la collaboration visant à définir l’incidence dès le départ et à renforcer la capacité d’évaluation. Je pense que nous pourrions soutenir davantage les ressources ou l’expertise dans l’ensemble du secteur afin de renforcer la capacité d’évaluation.
Nous sommes allés beaucoup plus loin. Dans ce secteur, nous sommes allés beaucoup plus loin qu’une simple évaluation des projets par des organisations. Nous sommes sur le point de connaître une énorme vague d’investissements liés à l’incidence, c’est-à-dire de capitaux privés injectés en échange d’une incidence. Il s’agit vraiment ici d’un investissement à retombées sociales. Vous investissez dans un projet, ou dans l’incidence d’échanges sociaux pour lesquels nous avons toute une série de paramètres.
La pression que nous avons observée par le passé pour la démonstration de l’incidence est faible par rapport à ce qu’elle sera d’ici cinq ans. Nous sommes dans une vague de financiarisation du secteur, semblable à celle qui a touché le reste de notre économie il y a 15 ans. Il ne faut pas sous-estimer la capacité de vraiment se concentrer sur l’incidence. C’est le tsunami qui nous frappera sous diverses formes; nous devons renforcer cette capacité au niveau organisationnel et sectoriel, ainsi que dans les relations avec les bailleurs de fonds.
M. Elson : Je pense que la question de l’incidence peut être abordée sous trois angles : l’échelle, le but et la bureaucratie.
Pour ce qui est de l’échelle, nous avons tous parlé du fait qu’il existe au pays une grande variété de tailles et de formes d’organismes à but non lucratif et de bienfaisance. Ainsi, la notion de l’incidence doit comprendre une échelle, qu’il s’agisse de l’organisation, du voisinage, de la collectivité, de la province ou de la société.
Il est important d’évaluer l’ampleur de l’incidence que vous voulez mesurer. Les petites organisations — c’est arrivé concrètement à certains organismes de services sociaux — doivent remplir le même formulaire d’évaluation qu’un hôpital complexe ou un établissement semblable puisque les formulaires existent déjà. Il faut donc prendre en compte l’échelle des besoins dans le cadre de l’incidence.
Il y a aussi le véritable but. Souvent, l’incidence devient un mantra. Des recherches que je mène au sujet des organismes de bienfaisance abordent la question puisque ces organismes constituent un volet important du secteur caritatif. Ils posent justement cette question à propos de leur incidence. À vrai dire, quelle est la relation entre le but de l’incidence et ce que vous tentez d’accomplir?
Mon troisième point, comme je l’ai mentionné, se rapporte à la bureaucratie et au fait que l’ampleur et la portée réelles de l’incidence doivent être conformes à la nature du mécanisme de financement et à l’organisation elle-même. La bureaucratie pourrait fort bien empêcher une organisation d’intervenir parce qu’elle consacre trop d’énergie à une incidence irréaliste.
Mme Laforest : Je suis d’accord avec Peter et Susan. J’ajouterais que le secteur arrive plutôt bien à mesurer l’incidence. Des organisations d’envergure comme Centraide le font depuis longtemps. Certains organismes réclament une mesure de l’incidence. Je suis d’accord avec Susan : cet élément est là pour rester.
Ce que nous devons faire, c’est encourager et aider de petites organisations. En revanche, je doute qu’il soit réaliste de demander au secteur à but non lucratif d’indiquer son incidence après un an, si l’organisation s’attarde à la réduction de la pauvreté, alors que nous ne demandons même pas cela au gouvernement.
Je pense qu’il faut harmoniser les modèles de financement à certains plans stratégiques dans le but d’aider les organisations au cours des trois à cinq prochaines années. C’est ainsi que nous ferons bouger les choses et aurons des attentes beaucoup plus réalistes à mi-mandat ou mi-parcours, des objectifs modestes qui auront une incidence plus grande, au même titre que nous prévoyons une meilleure adéquation entre le gouvernement et le secteur public. Il faudrait réorganiser le financement des organismes pour qu’ils aient le temps d’avoir une incidence.
La sénatrice Martin : Je vous remercie du leadership dont vous faites preuve à ce sujet. À l’écoute de vos exposés, je trouve, moi aussi, qu’il y a amplement matière à réflexion, et que nous avons des idées fort importantes pour la suite de notre étude.
J’ai des questions à l’intention des trois témoins. Permettez-moi de commencer par Mme Phillips. Je tiens à m’excuser puisque j’ai raté une partie de votre présentation en raison de mon retard.
Tout d’abord, dans quelle mesure est-il important d’innover dans ce secteur, compte tenu de l’évolution de la société et de l’environnement mondial? Vous avez dit dans votre exposé que le secteur peut donner lieu ou donne lieu à des abus. Je veux vous demander de nous parler davantage des domaines que nous devrions examiner de plus près et de ce que nous pouvons recommander à l’avenir pour améliorer les politiques et les systèmes en place de façon générale. Pourriez-vous nous donner plus de détails sur les abus dont vous parliez?
Mme Phillips : J’ai fait la remarque sur les abus dans le contexte particulier d’un crédit d’impôt pour bénévolat, qui est difficile à gérer et peut donner lieu à des déclarations abusives. L’abus est probablement assez rare dans ce secteur, mais une telle situation peut être saisissante puisque le secteur dépend fortement de la confiance du public.
L’une des mesures très concrètes que nous devons prendre est de faciliter le partage d’information entre les provinces et la Direction des organismes de bienfaisance, qui est l’organisme de réglementation. Si une province ou l’ARC fait enquête sur une fraude, il devient difficile d’échanger l’information.
Qui plus est, je pense que nous devons améliorer la gouvernance organisationnelle, car la complexité avec laquelle les organismes de bienfaisance traitent exige une gouvernance beaucoup plus poussée. Comme je l’ai dit, je doute que les gouvernements puissent réglementer ce volet. Il faudrait un appareil énorme pour le faire. En revanche, le gouvernement peut certainement envisager des modèles de coréglementation, par exemple avec le Programme de normes de l’organisme Imagine Canada. Ainsi, si une organisation obtient la certification et démontre qu’elle a des systèmes adéquats, elle ouvre en quelque sorte la voie à une réglementation plus souple ou à une façon d’envisager l’atténuation des risques.
Bien qu’il soit important de prévenir les abus dans ce secteur, je doute que ce soit le principal enjeu et l’angle avec lequel vous devez aborder vos travaux. Je pense que favoriser le travail du secteur sera un gain beaucoup plus important pour le pays, tout en songeant à la façon de gérer le risque d’abus.
La sénatrice Martin : Je me souviens avoir entendu parler il y a une dizaine d’années de carrefours administratifs visant à partager certains coûts et à utiliser l’expertise d’une organisation pour aider, encadrer et soutenir d’autres groupes. Cette option a-t-elle été explorée au Canada? Ce carrefour était situé quelque part dans l’État de New York. J’avais rencontré quelqu’un qui m’avait parlé d’une personne travaillant dans ce carrefour, et toutes sortes d’organisations et d’organismes de bienfaisance mettaient en commun leurs ressources. Je me demande si c’est une formule que vous avez observée.
Mme Phillips : Bien sûr. Ces carrefours prennent différentes formes. Il s’agit de services partagés, de services spécialisés où les organismes de bienfaisance s’entendent pour partager le soutien administratif ou divers services communs. En fait, la création de services intégrés dans des carrefours communautaires locaux est une belle initiative du gouvernement de l’Ontario. Comme Rachel l’a indiqué, nous observons ce modèle de services intégrés partout au pays. Il y a des plateformes communes où des organisations autres que des organismes de bienfaisance peuvent utiliser la structure partagée avec d’autres entités. Il y a énormément de créativité et d’innovation dans ce secteur, et certains ont dépassé notre façon de penser, notre politique et la façon dont nous réglementons le secteur.
C’est en aidant à rattraper le temps perdu et en appuyant ce genre d’innovation que le comité peut changer considérablement les choses.
La sénatrice Martin : Pour ce qui est d’encourager le partage à des fins d’efficacité, le gouvernement provincial ou fédéral pourrait-il le faire afin de mobiliser le secteur, ou si cela se fait déjà dans le secteur?
Mme Phillips : Il y a déjà un peu de services partagés. Encore ici, cela nécessite une infrastructure qui permettra une prestation de services mieux intégrés, au moment de la coordination et de la fusion des systèmes pour faire toutes ces choses. D’autres pays ont réalisé de bonnes recherches sur le sujet.
Il faut souvent de nouvelles technologies et bases de données pour suivre le rythme de l’évolution des modèles de service. D’où vient cet argent? C’est ce que nous appelons des frais généraux, et, puisque nous n’aimons pas les financer, nous limitons la capacité des organisations à entreprendre ce genre de mise en commun et à se doter de nouveaux systèmes pour soutenir une telle intégration.
La sénatrice Martin : Je veux remercier tous les intervenants de leurs observations et de leurs bonnes idées. Pendant que j’écoutais M. Elson, je me disais que nous avions une fière tradition philanthropique et caritative au Canada, et de sensibilisation de la population aussi, je crois, ce qui nous rappelle que le Canada est un grand pays. Le gouvernement pourrait jouer un rôle afin d’expliquer ce qui se passe, ce qui rend selon moi le Canada beaucoup plus fort.
En ce qui concerne l’engagement des jeunes et les moyens novateurs d’aller de l’avant, j’ai rencontré des jeunes très passionnés qui voient le monde d’une manière très différente de la mienne simplement parce qu’il leur est accessible.
Il s’agit d’une très bonne organisation présente en ligne, et les jeunes ont trouvé une façon novatrice de recueillir des fonds pour leur organisme de bienfaisance. Je m’interroge, encore une fois, sur le fait que certains organismes de bienfaisance à but non lucratif se tournent vers le Web pour établir ces liens, et je me demande comment nous pourrions encourager cette pratique. Je suis curieuse de savoir si quelqu’un a des commentaires sur le rôle de la technologie dans la croissance et l’évolution possible du secteur.
Mme Laforest : Tout à fait. En réponse à votre question sur les nouvelles technologies, lorsque vous regardez ce qui se passe dans le secteur, vous constatez qu’il est possible de tirer parti de certaines nouvelles technologies. C’est difficile parce que, pour pouvoir accorder la priorité aux nouvelles technologies, il faut avoir un personnel de pointe et être en mesure de suivre le rythme des nouvelles plateformes. Or, beaucoup d’organisations ont d’anciennes plateformes.
J’ai réalisé une étude sur les nouvelles technologies numériques et leur adoption dans le secteur à but non lucratif, et j’ai été vraiment surprise des organisations qui pouvaient en tirer parti — comme vous le disiez, il existe d’excellents modèles, tels que le passage de l’individuel au collectif, par exemple, pour les jeunes en particulier. Les organisations qui sont actives sur les médias sociaux sont celles qui ont reçu un financement de base.
Ce sont les organismes en mesure d’aller au-delà de certaines limites des sources traditionnelles de financement, mais sans être capables de rassembler les fonds externes qui leur permettraient d’innover. La plupart des organismes à but non lucratif se servent encore d’anciennes plateformes. Il est difficile pour eux de suivre le rythme, de savoir ce qui est actuel, pertinent et le plus utile sans avoir quelqu’un d’affecter à cette tâche.
Vous avez demandé plus tôt s’il y a des organismes qui peuvent mettre en commun des pratiques. Des organismes très astucieux se consacrent à la mise en commun de nouvelles technologies numériques pour aider à accroître la capacité dans le secteur. Ce n’est que la participation qui est difficile quand on vit et travaille dans un environnement dans lequel on a une très petite marge de manœuvre pour relever ces nouveaux défis parce qu’on est enlisé dans le quotidien.
Je veux juste revenir à votre idée de sensibilisation du public, car je crois que c’est très important. S’il y a un conseil que j’aimerais donner à ce sujet, car nous avons des campagnes de bénévolat et de collecte de dons de charité, c’est de mener une campagne qui porte sur la valeur du secteur dans l’élaboration des politiques. Ces acteurs sont sur le terrain. Ils s’occupent des clients. Ils possèdent les connaissances et l’expertise nécessaires.
Depuis 15 ans, nous faisons vraiment face à une frilosité en matière de défense des intérêts de ces organismes. Je pense toutefois que la situation s’améliore. J’étais ravie de parler d’un bout à l’autre du Canada avec ces organismes qui sont consultés et mobilisés, et ce serait vraiment bien si cette campagne de sensibilisation du public reconnaissait la valeur du secteur pour ce qui est de l’élaboration de politiques.
Le président : Merci beaucoup.
M. Elson : Je veux revenir à ce que vous avez dit plus tôt au sujet des centres. Je crois que l’Angleterre et le Royaume-Uni sont en général de bons exemples d’endroits où on a renforcé la capacité du secteur en créant des centres régionaux de ressources sur des aspects précis. À titre d’exemple, nous avons parlé plus tôt de la question de la gouvernance et de l’importance d’accroître la capacité à cet égard. C’est le genre d’aspect qui peut être mis au point à l’aide d’un centre d’excellence en gouvernance dans le secteur de la charité ou un centre qui agit à titre d’intermédiaire entre, d’une part, les chercheurs ou les universités qui enrichissent les connaissances concernant la capacité en ce qui a trait à ces systèmes de gouvernance et ainsi de suite, et, d’autre part, le travail concret sur le terrain. Vous pourriez peut-être examiner l’idée d’un centre de ressources pour ces systèmes.
De mon point de vue, je pense que les jeunes se préoccupent moins que les autres du moyen utilisé pour changer le monde, si je peux dire. En effet, lorsqu’ils se mobilisent, ils se préoccupent moins de savoir si c’est un organisme de bienfaisance, un organisme à but lucratif ou non. Ce qu’ils veulent, c’est savoir si, dans les faits, ces organismes apportent le genre de contribution qu’ils veulent apporter, de la façon qui leur convient.
Pour les jeunes, la bienfaisance n’est qu’un seul des nombreux moyens possibles de faire du bon travail. S’ils peuvent créer une entreprise privée qui atteindra exactement le même objectif, c’est ce qu’ils feront. Ils ne disent pas que pour faire du bien, il faut créer un organisme de bienfaisance. Ils disent plutôt ce qu’ils veulent faire et ce qu’ils vont créer à cette fin, peu importe si c’est une coopérative de travailleurs ou un autre organisme.
Je crois aussi qu’il y a une marge de manœuvre qui s’explique par l’objectif plutôt que la forme. Je pense que les technologies appliquées en sont un très bon exemple, et elles commencent vraiment à prendre de l’expansion. Ils ont montré que cela fonctionne bien.
Le sénateur Duffy : Merci. Dans les excellents exposés que vous nous avez présentés ce soir, vous avez tous fait allusion au tsunami démographique qui approche, à la vague de personnes âgées, car les baby-boomers ont reçu l’héritage de leurs parents et c’est maintenant à leur tour de laisser le leur à la nouvelle génération de jeunes.
Au moment où aura lieu, comme l’a dit la professeure Phillips, le plus important transfert intergénérationnel de richesse de l’histoire, je vois, selon les observations que j’ai en main, qu’il y a moins de donateurs. Les gens nageront dans l’argent au cours des 15 ou 20 prochaines années, mais quelle réalité historique, culturelle ou éducative explique qu’il ne cherche pas à s’assurer qu’au moins une partie de cet argent sert à de bonnes causes, à des organismes de bienfaisance, à des organismes à but non lucratif et ainsi de suite.
Comment pouvons-nous sensibiliser ces jeunes si passionnés et déterminés à s’engager dans cette voie? L’argent sera là. L’enjeu, c’est qu’il soit utilisé aux endroits où il fera le plus de bien possible.
Mme Phillips : La recherche montre sans aucun doute les facteurs qui incitent les gens à se tourner vers la philanthropie. La socialisation précoce en est un.
Je suis très optimiste quant à la génération des milléniaux. Ils sont engagés, mais de différentes façons. Ces jeunes ne militent peut-être pas pour une maladie donnée comme l’ont fait leurs parents, mais c’est parce que leur approche est très différente.
Nous savons également que les donateurs ont gagné très jeunes leur argent en tant qu’entrepreneurs — surtout dans la haute technologie ou d’autres activités commerciales où ils ont fait fortune rapidement — aiment avoir un droit de regard beaucoup plus important. Ce sont des philanthropes actifs, ce qui signifie qu’ils décident de leurs propres répercussions, parfois même en écartant les organismes de bienfaisance pour apporter une contribution directe.
Nous devons beaucoup mieux comprendre ce qui se fait et examiner un éventail de moyens. Je ne crois pas qu’il y en ait un qui se démarque, mais nous ne devrions pas présumer que la jeune génération ne souhaite pas changer les choses. De bien des façons, ils sont beaucoup plus activistes que leurs grands-parents baby-boomers l’étaient.
Le sénateur Duffy : Un des témoins a dit que 85 p. 100 des organismes de bienfaisance et des organismes à but non lucratif œuvrent dans le domaine de la prestation de services. Je viens de l’Île-du-Prince-Édouard, et nous avons fait face à une crise de financement des efforts d’alphabétisation, qui étaient modestes, mais probants. Ce n’est qu’une intervention de dernière minute du premier ministre qui nous a permis de survivre encore quelques années. Je présume que cette situation se répète partout au pays, que des gens sont acculés au pied du mur, sans un sou et à la recherche d’une bouée de sauvetage parce qu’ils ne peuvent plus offrir de services.
Qu’est-ce qui est plus essentiel que la littératie? Comme le sait le président, dans les Maritimes, nous avons malheureusement un taux élevé d’analphabétisme, de personnes qui ne peuvent pas occuper un nouvel emploi à défaut de savoir lire. Nous avons à Charlottetown un groupe minuscule qui essaie d’aider ces personnes à apprendre à lire, et ils ont dû s’adresser in extremis au premier ministre pour sauver leur peau.
Il doit y avoir une meilleure façon de faire les choses. Ces personnes sont essentielles à notre société. Comment peuvent-ils obtenir un emploi s’ils ne savent pas lire, sans ces bénévoles qui leur donnent du temps et de l’énergie? C’est très décourageant.
Mme Laforest : Oui, c’est ce qu’on voit partout dans la province. Ce qui est regrettable, c’est que ces organismes qui disparaissent ont souvent un excellent bilan et existent depuis longtemps dans leur collectivité. Ce n’est pas nécessairement une question de rendement.
J’ai l’impression qu’à mesure que le gouvernement s’est délesté de la prestation de services, il n’a pas compris que le secteur sans but lucratif est un maillon de la chaîne d’approvisionnement. C’est comme si nous nous en étions défaits et que les organismes avaient pris la relève. La littératie n’est plus une priorité du gouvernement, qui se permet donc de faire des compressions dans le domaine.
Je pense que la situation change. Je crois qu’un nombre croissant de gouvernements, du moins d’après ce que j’ai observé cette année en parcourant le Canada, sont beaucoup plus sensibles à l’importance de ces organismes. Dans les collectivités du Canada, on mène beaucoup de consultations sur certaines de ces questions fondamentales complexes comme l’itinérance, la réduction de la pauvreté et les services de garde. On reconnaît davantage leur importance, et nous pouvons donc espérer que la situation changera.
Je veux revenir à votre question sur la situation démographique. Je n’ai pas de réponse facile à vous donner, mais je pense qu’il est important de reconnaître quand on observe les tendances concernant le bénévolat et les dons de charité qu’il y a un effet générationnel. Les gens n’ont pas tendance à faire plus de bénévolat en fonction de la période de leur cycle de vie, à la retraite.
Fait intéressant, les gens nés avant 1945 sont très généreux dans leur contribution à la sphère civile. Ils faisaient partie des bénévoles de base, des quelques personnes à qui l’on pouvait attribuer la majorité des heures de bénévolat. À mesure que leur nombre diminue, il n’est pas certain selon moi que les gens de la génération suivante, lorsqu’ils auront le même âge, se comporteront de la même façon. Je pense qu’il y a quelque chose de vraiment particulier à propos de la culture de cette génération.
Comme le disait Susan, nous sommes bien au fait des facteurs qui incitent les gens à faire des dons de charité. De toute évidence, il y a entre autres l’exposition précoce. Grâce au bénévolat obligatoire que nous avons maintenant à l’école secondaire, nous renforçons cette exposition précoce.
La religion, c’est-à-dire l’appartenance à une communauté religieuse, est un autre facteur. Cette partie de la population diminue également, ce qui aura vraisemblablement une incidence.
Comme l’ont dit Susan et Peter, la prochaine génération, nos milléniaux, s’intéresse surtout à la cause. Ils veulent voir du changement et sont très engagés, mais le format sera différent. Je pense qu’en général nous allons observer une diminution des dons de charité à cause des deux tendances à la baisse que je viens de signaler.
M. Elson : Je vais faire un rapprochement avec la situation démographique pour ensuite revenir aux propos du sénateur Duffy sur la littératie et la vulnérabilité des organismes.
Comme vient tout juste de le dire Rachel, le contexte dans lequel nous avons imaginé le bénévolat et son soutien, surtout après la Seconde Guerre mondiale, n’existe plus, pas plus que le concept d’État-providence fondé sur une famille à revenu unique, une famille nucléaire et ainsi de suite. Il n’existe plus. Le secteur caritatif et sans but lucratif et le bénévolat n’ont pas subi le même genre de changement radical, pour ainsi dire, mais on ne peut certainement pas en dire autant du contexte.
Nous ne pouvons pas nous permettre de penser avec nostalgie au bénévolat. Le bénévolat est souvent essentiel. Pour un enseignant, un médecin ou quelqu’un d’autre, ou si je veux être admis à un programme d’études supérieures ou quelque chose du genre, le nombre d’heures de bénévolat dans ma discipline est très important. C’est la carrière des gens qui les incitera à faire du bénévolat.
La segmentation du marché, si on peut dire, tant pour ce qui est du bénévolat que des dons, est une chose qui se produit actuellement dans le domaine, et on doit en tenir compte au moment de sensibiliser les gens et d’offrir un soutien.
Vous avez parfaitement raison de dire que la question de la littératie a évolué. C’est un très bon exemple de domaine dans lequel les services offerts, qui étaient des services publics de base, demeurent essentiels, mais sont tout de même financés indirectement. Le lien avec le secteur sans but lucratif n’est pas une chose sur laquelle nous devions nous prononcer auparavant, même si le Collège Frontier et d’autres établissements étaient à l’avant-garde de l’alphabétisation et continuent de l’être.
Nous estimons peut-être que les services de littératie sont essentiels, mais les gouvernements ne les financent pas en conséquence. Nous ne les voyons pas sur notre liste de priorités de financement, mais c’est ce que nous voulons.
Nous ne pouvons pas avoir le beurre et l’argent du beurre. Si vous voulez en faire des services importants offerts aux Canadiens, il faut alors les soutenir et les financer en conséquence.
Le président : Chers collègues, j’aimerais faire une pause. Au moment d’organiser notre séance, nous avons demandé à nos témoins d’être ici pour une heure. Il s’est maintenant écoulé 1 heure et 20 minutes.
Je ne veux pas abuser davantage de leur générosité au cas où ils auraient d’autres engagements. Des sénateurs veulent toutefois faire une deuxième série de questions. Si les témoins ont d’autres rendez-vous, je les prie de nous en informer, et nous leur dirons au revoir. Puisque cela ne semble pas être le cas, je me permets de dire que vous voulez faire une deuxième série de questions. Nous allons essayer. Soyons brefs. Nous allons commencer par la vice-présidente, la sénatrice Omidvar.
La sénatrice Omidvar : Merci, monsieur le président. Pour être brève, je ne vais poser qu’une seule question à une seule personne, ce qui permettra à mes collègues d’intervenir à leur tour.
Madame Phillips, j’ai remarqué dans votre mémoire que vous posez une question : « La Direction des organismes de bienfaisance de l’Agence du revenu du Canada est-elle bien adaptée à sa fonction de réglementation moderne? »
Je me reporterais au document de l’école de politiques publiques du Centre Mowat qui parle d’un environnement propice pour le secteur sans but lucratif et caritatif. L’ARC ne peut certainement pas être qualifié, tant s’en faut, d’environnement propice. C’est un organisme de réglementation, un exécuteur, et il sanctionne, selon le cas. D’autres pays, comme le Royaume-Uni, ont une commission des organismes de bienfaisance.
Comment devrions-nous essayer de répondre à la question que vous posez, pour déterminer qui devrait vraiment s’occuper du secteur, si ce n’est l’ARC?
Mme Phillips : Je pense que nous devrions aborder la question sous le même angle que les autres questions qui se trouvent dans la Directive du Cabinet sur la gestion de la réglementation. Que voulons-nous accomplir au moyen de la réglementation? Elle doit être adaptable, prévisible et coordonnée, dans ce cas-ci, entre les ministères et d’autres gouvernements. Elle doit se fonder sur des principes et sur le rendement. Elle doit engager un dialogue avec le secteur. Elle doit vraiment comprendre le secteur qui est réglementé ainsi et recourir beaucoup plus à la coréglementation pour vraiment innover.
Nous avons une structure dans laquelle le ministère des Finances établit la politique alors que la Direction des organismes de bienfaisance de l’ARC se charge de son application. Je crois que la mesure dans laquelle le ministère des Finances apporte vraiment une contribution au secteur est une question qui est largement en suspens, pour être diplomatique.
Plutôt que de dire que nous avons besoin d’un commissaire aux organismes de bienfaisance, je pense que nous devons nous demander ce que doit accomplir la réglementation moderne. Nous avons des contraintes constitutionnelles. Pouvons-nous intégrer au système existant cette approche en matière de réglementation? Si c’est impossible, quel changement devons-nous apporter?
Nous devons également faire preuve de prudence parce que les organismes de réglementation des organismes de bienfaisance à l’échelle internationale ont été grandement discrédités au cours des dernières années. Le budget de la commission des organismes de bienfaisance de l’Angleterre et du pays de Galles a d’ailleurs vu son budget amputé de 50 p. 100. Le comité parlementaire a demandé si la commission était adaptée aux besoins.
L’IRS est dorénavant chargé de la réglementation aux États-Unis, un pays qui est devenu hautement politisé et qui possède un système qui fait en sorte que les États se pressent de présenter leur propre règlement. Le système est plus embrouillé que jamais, et il y a un vide à l’échelle fédérale.
Je ne pense pas que nous devrions dire qu’un certain modèle est nécessairement meilleur qu’un autre. Nous devons définir nos besoins et notre compréhension de la réglementation, et commencer ensuite à songer aux structures et aux pratiques qui en découlent.
La sénatrice Raine : Ma question donne suite à ce que vous venez tout juste de dire. Ma façon d’aborder le sujet s’inspire quelque peu de mon expérience au sein du Comité des peuples autochtones, où nous avons étudié l’incidence des politiques du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien sur l’administration de la vie dans les réserves partout au Canada, qui doivent se justifier tous les ans et recommencer. Au moment même où achève l’année scolaire, elles doivent mettre à pied tous leurs enseignants à défaut d’avoir des fonds et de savoir si le financement sera renouvelé. Cela devient insensé.
Je conviens avec vous qu’il faut examiner attentivement le processus qu’il est logique d’adopter quand il s’agit de lancer un projet, d’en prouver la validité, puis de fournir et de maintenir un financement pluriannuel permanent. Le rôle du gouvernement fédéral pourrait consister à fournir cette base administrative stabilisatrice.
J’ai toutefois vu ce qu’il s’est passé dans un secteur quand on a adopté une telle formule : la bureaucratie gouvernementale et le nombre de rapports ont commencé à augmenter.
Il est crucial que ce secteur puisse demeurer simple et efficace, car je crois qu’il s’agit là de son point fort. Je me demande si vous pourriez nous indiquer si nous devrions nous pencher sur le rôle que le gouvernement fédéral peut jouer sur le plan du financement de base afin de stimuler la capacité de croissance du secteur. Qu’en pensez-vous?
Mme Phillips : Plutôt que de s’intéresser au financement de base, je pense que nous devons examiner les relations contractuelles, la stabilité du financement et les exigences en matière de reddition de comptes.
À mon avis, l’interfinancement constitue un des secrets bien gardés du secteur. J’ai réalisé une étude il y a quelques années sur une organisation de taille moyenne offrant des services dans le cadre d’un projet. Une fois les retards, la quantité de rapports à préparer et le roulement du personnel pris en compte, cette organisation devait trouver, selon la manière dont on calcule le tout, de 50 à 65 p. 100 de la valeur du projet, lequel totalisait environ 80 000 $. L’organisation devait réunir ce montant pour compenser les retards, tout en devant encore s’occuper de la question du personnel et d’autre chose. D’où vient cet argent? Il doit venir de dons privés, d’autres contrats ou d’une autre source.
En raison de la manière dont on gère les contrats à court terme et des exigences en matière de reddition de comptes, on se retrouve un peu avec un château de cartes, se fiant à des donateurs pour financer des services publics alors qu’ils ne se rendent pas compte que c’est ce qu’ils font.
La sénatrice Raine : Vous avez évoqué le financement de projet. Il me semble que, à ce chapitre, l’organisation devrait chercher à financer les projets à l’aide du secteur privé, et nous fournirions le financement administratif qui lui permettrait, dans la mesure où elle gérerait adéquatement les fonds, d’accomplir son travail en trouvant et en gérant le financement externe.
Mme Phillips : Je pense qu’il existe tout un éventail de modèles novateurs que vous pourriez étudier, en ce qui concerne notamment la manière dont on centralise les activités ou fournit des fonds aux autres organisations du secteur qui offrent certains services partagés dans le cadre d’une vaste gamme de modèles de financement. Nous tendons à nous en tenir à une base de projets en particulier.
Je ne pense pas que le secteur réclame plus d’argent. Il faut fournir des fonds équitables qui lui permettent de travailler plus efficacement.
Le président : Je veux m’assurer que nous donnons aux autres témoins, Mme Laforest et M. Elson, l’occasion d’intervenir. Est-ce que l’un d’entre vous a une observation à formuler concernant les questions de la sénatrice Raine?
Madame Laforest, vous pouvez prendre la parole.
Mme Laforest : Je ne ferais qu’appuyer les propos de Susan. Si le gouvernement fédéral commence à offrir du financement de base, ces fonds risquent d’être utilisés à des fins politiques en finançant certaines causes plutôt que d’autres, et cela évoluerait au fil du temps. Je préférerais que l’on modifie certaines des exigences et des attentes sur le plan du financement de base pour accorder à l’organisation une plus grande marge de manœuvre dans le cadre du projet. À mon avis, cela pourrait fonctionner si on agit de manière à appuyer l’organisation et à l’aider à renforcer sa capacité. Il ne faut pas nécessairement réinventer la roue.
Le président : Monsieur Elson, avez-vous quelque chose à ajouter?
M. Elson : Oui. J’évoquerai les provinces, car je pense que nous ne pouvons passer sous silence le rôle considérable que jouent les gouvernements provinciaux.
Sur le plan du financement proportionnel, ces gouvernements constituent certainement le plus important bailleur de fonds des organismes sans but lucratif et de leurs activités et services, principalement en raison de leur rôle dans les domaines de l’éducation, de la santé et des services sociaux.
Au Manitoba, par exemple, le gouvernement provincial met en œuvre un projet pilote depuis au moins trois ans dans le cadre duquel il centralise le financement et les activités de reddition de comptes d’une multitude d’organismes. Plutôt que de rendre des comptes à cinq ou six ministères, les organismes passent par un portail. Le gouvernement a délibérément agi ainsi pour réduire la paperasserie et faire en sorte qu’il ne soit plus nécessaire de fournir plusieurs fois les mêmes renseignements à divers ministères.
Un certain nombre de provinces s’intéressent à ce qui se passe au Manitoba. Nous avons publié à ce sujet une partie de profil dans un ouvrage révisé intitulé Funding Policies and the Non-Profit Sector in Western Canada, que j’ai publié il a un an. Il existe certainement des modèles à l’échelle provinciale, car c’est une situation à laquelle les gouvernements provinciaux sont certainement confrontés quotidiennement. C’est là un point important à prendre en compte.
Le sénateur R. Black : Si on poursuit dans la même veine, comment le comité sénatorial spécial peut-il avoir une incidence sur le travail ou le financement des provinces? Monsieur Elson, vous avez indiqué que la plus grande partie du financement des organismes de bienfaisance et des organismes à but non lucratif vient probablement des provinces. Comment notre comité peut-il alors avoir une influence sur le financement provincial?
M. Elson : Pour répondre directement à votre question, j’inviterais les gouvernements provinciaux à participer à la discussion que vous allez avoir : c’est aussi simple que cela. Ils doivent absolument jouer un rôle fondamental à cet égard. Que ce soit au cours de discussions ou en réaction à des notes d’information, ils posent exactement le même genre de questions que vous, et cela n’aidera pas le secteur si vous allez dans deux directions complètement différentes. À mon avis, il serait brillant d’inviter les provinces à participer aux discussions.
Mme Laforest : Je veux ajouter quelque chose, car je pense que même si le financement vient en grande partie des provinces, je considère que le gouvernement fédéral a un important rôle de dirigeant à jouer en envoyant un signal au sujet de certaines des attentes.
Pour répondre à certaines des questions que Peter a posées plus tôt, à savoir quels sont le rôle et la responsabilité du gouvernement, de quelle manière nous pouvons établir un système de financement efficace et en quoi ce système consisterait, je pense que, à partir du moment où le gouvernement fédéral commencera à mettre en œuvre quelque chose de plus stable et de plus efficace qui tient compte de l’importance des infrastructures et qui permet aux organisations de contribuer à l’élaboration des politiques, cette reconnaissance et ce signal feront sentir leur influence jusque sur les provinces. Selon moi, vous pouvez jouer un important rôle de dirigeant à cet égard.
Le sénateur Duffy : La question des activités de défense d’une cause a été brièvement abordée, puis contournée, et je pense qu’il s’agit d’une question importante qui nous attend dans le détour. Notre société politique est devenue plus divisée que jamais, pour diverses raisons que nous connaissons tous, qu’il s’agisse des fausses nouvelles ou d’autres facteurs. Madame Philips, à quel point est-il réaliste d’attendre qu’un gouvernement de quelque allégeance que ce soit se montre plus ouvert aux activités de défense d’une cause, compte tenu du climat politique qui est le nôtre aujourd’hui?
Mme Phillips : Cela rejoint la question dont Mme Laforest a traité. Au lieu de ne penser qu’à la défense d’une cause, on a besoin d’information. Les gouvernements ont besoin des renseignements dont les organismes de bienfaisance disposent parce qu’ils travaillent sur le terrain. Entre l’autorité ou le gouvernement qui fournit les fonds et ce qui se passe véritablement sur le terrain se trouve souvent une longue chaîne d’approvisionnement.
Souvent, ce qu’on appelle « défense d’une cause » est, en fait, de l’information. Parmi les pays développés, le Canada a un des régimes les plus restrictifs. Cela sème la confusion et la reddition de comptes est très parcellaire, car souvent, on ne comprend pas la différence entre la défense d’une cause et l’éducation. On ignore donc ce qui se passe.
Le sénateur Duffy : Simplement pour permettre aux téléspectateurs à la maison de comprendre le contexte, la défense d’une cause soulève un problème, car certains se plaignent que des organismes de bienfaisance utilisent l’argent des contribuables pour défendre un point de vue politique que d’autres ne partagent peut-être pas.
Mme Phillips : Si c’est le cas, alors les donateurs cesseront de leur verser des fonds. Je pense que les organismes de bienfaisance doivent faire partie du libre marché des idées, et une organisation ayant des vues contraires défendra une opinion différente. Je ne pense pas que nous devions craindre de ces activités autant que nous le faisons, car elles font partie de la vie démocratique.
Le président : Je dois raconter une brève histoire. À une époque, j’ai, bien entendu, participé à des activités de financement politique. Ma mère me disait alors d’arrêter de lui envoyer des lettres pour lui demander de l’argent, ce à quoi je lui rétorquais de cesser de m’envoyer de l’argent et j’arrêterais de lui envoyer des lettres. Après avoir réfléchi à la question, elle m’a demandé ce que je voulais : qu’elle arrête de m’envoyer des lettres ou qu’elle cesse de se plaindre.
Je lui ai répondu : « Continue d’envoyer de l’argent, maman. »
La sénatrice Raine : J’avais une autre question pour savoir où nous en sommes à propos des activités de défense d’une cause, des organismes de bienfaisance et du statut des groupes de défense à titre d’organismes de bienfaisance. Que pensez-vous du financement venant de l’étranger qui appuie des groupes de défense qui ne rendent peut-être pas de comptes ou ne font peut-être pas preuve de transparence? Quelle incidence ce financement a-t-il sur les activités de défense?
Je peux vous dire que je pense actuellement au pipeline de Kinder Morgan. On a qualifié de manifestation monstre les 500 personnes qui sont venues agiter des pancartes dans le centre de Vancouver, alors qu’un million et demi de personnes vivant aux abords du site ne sont pas venues manifester. Pourtant, les médias ont laissé entendre que tout le monde en Colombie-Britannique s’oppose au pipeline. Or, nombreux sont ceux qui, parmi les protestataires, ont reçu de l’argent de sources étrangères.
Je me demande comment nous pouvons agir à cet égard en prenant grand soin de respecter le droit de défendre une cause sans être influencé par des forces extérieures.
Mme Phillips : Comme il faut rendre des comptes sur…
La sénatrice Raine : Ce n’est pas un sujet épineux. Je pense que tout le monde est au courant de la situation. C’est une réalité.
Mme Phillips : Étant donné qu’il faut rendre des comptes sur les sources extérieures, nous avons l’information. Les sommes d’argent que les organismes de bienfaisance canadiens reçoivent de sources extérieures sont en fait très limitées. La plus grande partie des fonds sont destinés à des universités et à quelques autres organisations de conservation plutôt traditionnelles. Au chapitre des activités de défense, je pense qu’on sait nettement ce que le secteur et la plupart de ceux qui l’appuient veulent.
Il s’agit ici d’activités non partisanes. Il serait dangereux, comme nous l’avons appris des États-Unis, d’autoriser les interventions explicitement partisanes dans le cadre d’activités politiques. Nous parlons d’activités non partisanes. Les sommes venant de l’étranger sont en fait minimes, et les mesures que nous prenons font en sorte qu’un grand nombre d’organismes de bienfaisance choisissent de ne pas transmettre leur expertise et leur savoir ou de ne pas intervenir parce qu’ils craignent les règles actuelles.
La sénatrice Raine : Je vous donnerai un autre exemple dans le cadre duquel une organisation financée à partir de l’étranger est intervenue à titre d’organisme non partisan pour appuyer des politiciens lors des dernières élections. Elle a soutenu le parti qui semblait le plus susceptible de l’emporter. Elle a appuyé n’importe qui, sauf Harper. Nous étions très fiers ensuite d’affirmer qu’elle avait financé les élections dans un certain nombre de circonscriptions qui ont influencé le scrutin.
Nous ne devrions vraiment pas parler de cela ici, mais c’est un bon exemple qui montre comment il faut faire attention quand on déclare que les activités ne sont pas partisanes.
Le président : Je suis impatient de débattre de la question à la Chambre.
La sénatrice Raine : Nous l’avons déjà fait.
Le président : Je ne nous permettrai pas de…
Le sénateur Duffy : Comme c’est moi qui ai soulevé cette question délicate, je tiens à préciser que j’entendais en arriver à ce qui nous a préoccupés par le passé, c’est-à-dire mon impression que l’Agence du revenu du Canada se montre incroyablement difficile et fermée d’esprit dans la manière dont elle traite un grand nombre d’organismes sans but lucratif et d’organismes de bienfaisance, car certains craignent d’avoir des problèmes avec leurs maîtres politiques s’ils parlent pour les pauvres ou quelque chose comme cela.
Voilà qui me ramène au concept de ministère de service spécial qui a été proposé. Il s’agirait d’un ministère des organismes de bienfaisance, lequel prendrait la défense du secteur bénévole privé, préconiserait un traitement équitable et agirait à titre d’intermédiaire. Plutôt que de voir des milliers de petits groupes tenter de faire valoir leur cause pendant cinq minutes devant un bureaucrate au fonds de retraite bien garni, cet organe plus grand et plus prestigieux insisterait pour que ces groupes soient traités équitablement, sans qu’on ait l’impression qu’il s’agit d’une permission ou qu’il y a un parti pris.
Le président : Ici encore, je suis impatient de discuter de la question à la Chambre.
La sénatrice Martin : J’étais en train de me dire que nos lois ne sont pas parfaites et contiennent des échappatoires. Nous devrons discuter de ces questions à la Chambre, mais notre comité pourrait peut-être, dans une certaine mesure, étudier un peu le sujet.
Quand on a abordé les questions clés avec M. Elson, on s’est interrogé sur le rôle du gouvernement. J’ai pensé que ce rôle consiste à mobiliser les entreprises du Canada et à faire appel à leur responsabilité. Ce partenariat sera très important pour appuyer et renforcer les efforts déjà déployés. Je pense qu’il faut en faire davantage à cet égard. Si nous le pouvons, cela contribuerait à aider tout le monde.
C’est une idée qui m’est venue quand vous répondiez à la question de la sénatrice Raine au sujet du rôle clé du gouvernement. C’est plus une observation qu’une question.
La sénatrice Omidvar : J’ai énormément de questions. J’en trouverai simplement une qui permettra de clore cette discussion absolument fascinante.
Même si le Sénat commence à examiner en profondeur les organismes de bienfaisance pour la première fois, ce n’est pas la première fois que le gouvernement se penche sur la question. Je fais ici référence à l’Initiative sur le secteur bénévole et communautaire de 1991 et au groupe de travail sur les subventions et les contributions. Des millions de dollars ont été dépensés, dont 91 millions de dollars dans le cadre de l’Initiative sur le secteur bénévole et communautaire.
Quelqu’un peut-il me dire ce qui a découlé de ces démarches? Quelles recommandations ont été mises en œuvre et qu’est-ce que nous devrions ressusciter? Préféreriez-vous nous répondre par écrit?
Le président : Je pense que c’est une excellente question. Est-ce que certains de nos témoins ont quelque chose à répondre?
Mme Phillips : J’ai indiqué que ces occasions se présentent aux 20 ans. Je pensais au groupe de travail sur la responsabilisation du gouvernement, dont j’ai été directeur de recherche de 1997 à 1999 et dont Havi Echenberg était directeur de recherche adjoint. De quoi avons-nous discuté? Nous avons parlé de la nature de l’organisme de réglementation, de questions relatives à la mesure des résultats, du financement et de toutes les questions dont on discute actuellement.
Il s’est avéré très difficile d’apporter des changements. L’Initiative sur le secteur bénévole et communautaire a permis d’effectuer des changements qui ont été utiles, notamment parce qu’elle a permis à de hauts fonctionnaires et au secteur de collaborer, mais cela n’a pas été aussi loin qu’il le fallait.
La sénatrice Omidvar : Il n’est pas nécessaire de réinventer la roue? Nous pouvons revenir à la Bibliothèque du Parlement et à toutes ces choses. D’accord. Merci.
Le président : Est-ce que les témoins qui comparaissent par vidéoconférence souhaitent ajouter quelque chose? Si ce n’est pas le cas, c’est très bien. Ne vous sentez pas obligés d’intervenir.
Au nom du comité, je voudrais remercier sincèrement nos témoins d’avoir comparu ce soir. Je pense que je pourrais résumer la séance en disant que c’est un bon départ. Nous avons reçu les bons témoins pour stimuler la réflexion et la discussion. Vous nous avez présenté des idées intéressantes. Je vois deux ou trois recommandations possibles prendre forme. Il faudrait que nous nous entendions à ce sujet, bien entendu, mais nous avons maintenant matière à débat.
Chers collègues, nous allons maintenant suspendre la séance quelques instants afin de travailler un peu à huis clos. S’il convient au comité d’effectuer la prochaine partie de la séance à huis clos pour discuter de ses travaux futurs, nous prendrons auparavant une brève pause. Avec l’accord des sénateurs et des sénatrices, nous autoriserons le personnel à demeurer dans la pièce pour la partie de la séance qui se déroulera à huis clos.
(La séance se poursuit à huis clos.)