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CSSB - Comité spécial

Secteur de la bienfaisance (spécial)

 

Délibérations du Comité sénatorial spécial sur le
Secteur de la bienfaisance

Fascicule n° 7 - Témoignages du 24 septembre 2018


OTTAWA, le lundi 24 septembre 2018

Le Comité sénatorial spécial sur le secteur de la bienfaisance se réunit aujourd’hui, à 18 h 33, pour examiner l’impact des lois et politiques fédérales et provinciales gouvernant les organismes de bienfaisance, les organismes à but non lucratif, les fondations et autres groupes similaires, et pour examiner l’impact du secteur volontaire au Canada.

Le sénateur Terry M. Mercer (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Je vous souhaite la bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial spécial sur le secteur de la bienfaisance. Je suis le sénateur Terry Mercer, de la Nouvelle-Écosse, et j’aimerais pour commencer demander aux sénateurs de se présenter, en commençant par le vice-président du Comité de l’agriculture, qui se trouve ici ce soir.

[Français]

Le sénateur Maltais : Ghislain Maltais, du Québec.

La sénatrice Martin : Yonah Martin, de la Colombie-Britannique.

[Traduction]

La sénatrice Seidman : Bonsoir. Judith Seidman, de Montréal (Québec).

La sénatrice Omidvar : Ratna Omidvar, de l’Ontario.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Julie Miville-Dechêne, du Québec.

[Traduction]

Le président : Merci à tous.

Aujourd’hui, le comité poursuivra son étude afin d’examiner l’impact des lois et des politiques fédérales et provinciales gouvernant les organismes de bienfaisance, les organismes à but non lucratif, les fondations et autres groupes similaires, et pour examiner l’impact du secteur volontaire au Canada. On s’intéressera en particulier aux bénévoles dans les organismes de bienfaisance et sans but lucratif.

Nos témoins sont Mme Ray Madoff, professeure au Boston College; et Mme Teresa Marques, présidente-directrice générale de la Fondation Rideau Hall.

Merci d’avoir accepté notre invitation à comparaître. J’invite les témoins à faire leurs exposés. J’aimerais également leur rappeler, ainsi qu’à mes collègues, que les témoins disposent à cette fin de cinq à sept minutes, après quoi nous passerons à une séance de questions et réponses. Je vous demanderais d’être brefs dans vos questions et je demanderais aux témoins d’essayer de l’être également dans leurs réponses, afin que nous puissions couvrir le plus de questions possible.

Nous allons commencer par Mme Madoff.

Ray Madoff, professeure, École de droit, Boston College, à titre personnel : Bonsoir, mesdames et messieurs les sénateurs, et merci de m’avoir invitée à témoigner aujourd’hui. J’ai suivi les travaux du comité avec beaucoup d’intérêt et d’admiration et c’est un honneur pour moi d’être ici pour participer à cette entreprise.

Je m’appelle Ray Madoff et je comparais à titre personnel. Je suis professeure à la Boston College Law School aux États-Unis et cofondatrice et directrice du Forum on Philanthropy and the Public Good, un centre d’études et de recherche sans but lucratif qui se concentre sur les questions de philanthropie et de politique fiscale.

J’apporte une mise en garde des États-Unis, dans l’espoir que le Canada prendra des mesures pour se doter de règles visant à protéger les organismes de bienfaisance canadiens et leurs bénéficiaires, ainsi que les ressources gouvernementales contre les dépenses fiscales imprudentes.

Il y a beaucoup de similitudes entre nos pays. Tous deux cherchent à promouvoir un secteur de la bienfaisance solide et utilisent le régime fiscal pour encourager les dons de bienfaisance. Tous deux font face aux mêmes tendances, à savoir une diminution générale des dons de charité dans la population en général et une plus grande concentration des dons par les riches. Étant donné que les riches sont plus susceptibles de structurer leurs dons de façon avantageuse sur le plan fiscal, il est particulièrement important d’examiner régulièrement la réglementation fiscale pour s’assurer qu’elle encourage ce qui doit l’être.

Mes commentaires d’aujourd’hui porteront sur deux domaines où, à mon avis, il nous faut être particulièrement attentifs aux détails des mesures incitatives, c’est-à-dire les fonds orientés par les donateurs et l’application de l’allégement de l’impôt sur les gains en capital relatifs aux contributions d’actions de sociétés privées et de biens immobiliers. Je commencerai par parler des fonds orientés par les donateurs.

Les fonds orientés par les donateurs sont devenus une force dominante dans les dons de charité au Canada et aux États-Unis. La croissance a été particulièrement stupéfiante aux États-Unis, où Fidelity Charitable est de loin l’organisme de bienfaisance le plus populaire, surpassant de plus de 20 p. 100 tous les autres organismes de bienfaisance, et où six des dix organismes de bienfaisance qui recueillent le plus de fonds sont des commanditaires de fonds orientés par les donateurs.

La raison de la popularité de ces fonds est qu’ils procurent aux donateurs le double avantage d’un contrôle efficace et continu des fonds donnés combiné à des avantages fiscaux maximums. Les fonds orientés par les donateurs sont particulièrement avantageux du point de vue fiscal parce qu’ils facilitent les dons de biens ayant enregistré une plus-value, ce qui permet d’économiser à la fois l’impôt sur le revenu et l’impôt sur les gains en capital.

Il existe un décalage entre la structure juridique et le fonctionnement pratique des fonds orientés par les donateurs, d’où une certaine confusion parfois dans les explications que l’on en donne et même dans l’idée que l’on s’en fait. Juridiquement parlant, un transfert à un fonds orienté par un donateur est structuré de la même façon que tout transfert direct à un organisme de bienfaisance enregistré. Le donateur renonce légalement à tout contrôle sur les biens donnés, y compris à la capacité d’orienter les transferts de bienfaisance réalisés par le fonds. C’est ce qui permet au donateur d’obtenir des avantages fiscaux pour son transfert.

Malgré ces accords juridiques, la raison pour laquelle les gens créent des fonds orientés par les donateurs, c’est parce que l’organisme de bienfaisance, d’une manière non juridiquement contraignante, donne au donateur un contrôle efficace et continu sur les dons, et parfois l’investissement, des biens donnés. C’est pourquoi un journal canadien a décrit récemment les fonds orientés par les donateurs comme étant « semblables à la création de votre propre fondation privée, mais plus simples » et pourquoi d’autres personnes les décrivent comme des « comptes de chèques de bienfaisance ».

Les fonds orientés par les donateurs évoluent donc dans cette zone grise entre les fondations privées et des dons directs à des organismes de bienfaisance. Ils sont perçus comme des fondations privées pour les donateurs, mais ils ne sont pas assujettis aux règles de paiement, de divulgation et de surveillance qui s’appliquent par ailleurs aux fondations privées. Ils offrent les avantages fiscaux des dons directs aux organismes de bienfaisance, mais aucun organisme de bienfaisance n’a un véritable contrôle sur les fonds donnés, et le donateur n’est aucunement obligé et incité à faire des dons de bienfaisance à partir de son fonds orienté. Le fait qu’ils ne soient pas tenus de débourser les dons signifie qu’avec les fonds orientés par les donateurs l’octroi au donateur de l’avantage fiscal n’est plus subordonné à l’avantage reçu par l’organisme de bienfaisance.

Afin de protéger les organismes de bienfaisance à l’avenir, le Parlement devrait établir des règles visant à exiger ou à encourager la distribution aux organismes de bienfaisance des dons perçus par les fonds orientés par les donateurs. Cela pourrait se faire soit en imposant une échéance de versement raisonnable, 10 ans, par exemple, soit en retardant l’octroi d’une partie des avantages liés aux dons de bienfaisance jusqu’à ce que les fonds soient distribués à l’organisme de bienfaisance par le fonds orienté par le donateur. Par exemple, on pourrait accorder un allégement des gains en capital pour l’argent versé dans le fonds, mais reporter les autres avantages fiscaux jusqu’à ce que les fonds soient redistribués.

La deuxième question que j’aimerais aborder est la proposition d’étendre l’allégement de l’impôt sur les gains en capital aux contributions sous forme d’actions de sociétés privées et de biens immobiliers. Si je comprends bien, aux termes de la loi canadienne actuelle, cet avantage se limite aux actions cotées en bourse, mais les partisans de cette extension espèrent qu’elle apportera des ressources supplémentaires au secteur de la bienfaisance.

D’après ce que nous avons vu aux États-Unis, je soupçonne que ce sera le cas, non seulement parce que les propriétaires de biens immobiliers et les entreprises privées sont susceptibles de faire d’importants dons de bienfaisance, mais aussi parce qu’aux États-Unis, l’industrie des fonds orientés par les donateurs s’est concentrée sur ce genre d’actifs pour faire croître ses fonds. Si vous cherchez « actifs complexes » sur Google, vous trouverez de nombreuses histoires à ce sujet.

J’ai l’impression que si la loi canadienne accordait cette extension, les commanditaires canadiens de fonds orientés par les donateurs emboîteraient le pas, et on verrait une explosion semblable à la fois des fonds orientés par les donateurs et des contributions sous forme de biens immobiliers et d’actions de sociétés privées.

Cependant, si vous décidez d’adopter cette extension, j’exhorte le Parlement à tirer des leçons de nos erreurs, car même si cette règle a encouragé les dons de biens qui, autrement, ne seraient pas allés à un organisme de bienfaisance, elle a coûté très cher au gouvernement parce que, en vertu de la loi américaine, les avantages fiscaux auxquels ont droit les contribuables pour dons de bienfaisance sont fondés sur la valeur estimée de la propriété donnée au moment de la contribution. Étant donné que ces actifs n’ont pas de valeur marchande facilement identifiable et souvent pas de marché, tout le monde dépend des évaluateurs embauchés par les donateurs pour déterminer cette valeur et il est pratiquement impossible pour le gouvernement d’assurer une surveillance suffisante de leur travail.

Ce qui est encore plus troublant, c’est qu’aux États-Unis, les avantages fiscaux accordés aux donateurs sont basés sur la valeur au moment de la contribution, même si une partie importante de cette contribution peut aller aux frais de courtage et autres dépenses de conversion de la propriété en espèces. Selon le temps qu’il faut pour vendre la propriété et les coûts associés à la vente, les avantages fiscaux de la contribution pour le donateur peuvent largement l’emporter sur les avantages pour le public du don de bienfaisance.

Si le Canada choisit d’étendre cette disposition, je vous exhorte à ne pas vous fier à des évaluations, mais plutôt à fonder les avantages fiscaux sur le montant d’argent qui est finalement mis à la disposition de l’organisme de bienfaisance.

J’espère que mes commentaires vous aideront à adopter des règles qui feront en sorte que les dons de charité procurent le maximum d’avantages, non seulement aux donateurs, mais à l’ensemble de la société canadienne, et si vous le faites, vous ferez preuve d’un leadership précieux au-delà du Canada, aux États-Unis et au reste du monde.

J’ai hâte de répondre à vos questions.

Teresa Marques, présidente-directrice générale, Fondation Rideau Hall : Merci beaucoup de m’avoir invitée à participer à cet important dialogue sur l’impact du secteur bénévole et de la bienfaisance au Canada. Je suis présidente et première dirigeante de la Fondation Rideau Hall, un organisme de bienfaisance national indépendant et non partisan créé par le très honorable David Johnston en 2012. La fondation vise à faire du Canada un meilleur pays pour tous les Canadiens, et vise à renforcer la valeur de nos institutions publiques, y compris le Bureau du gouverneur général, comme source de cohésion sociale au Canada.

On continue d’axer nos efforts sur quatre grandes priorités pour le pays. La première est l’équité dans les possibilités d’apprentissage, ainsi que l’excellence de ces possibilités. La deuxième vise à favoriser la culture de l’innovation au Canada. La troisième concerne la promotion du leadership civique. Enfin, et c’est ce qui nous intéresse le plus aujourd’hui, notre quatrième priorité consiste à élargir le cercle des dons et du bénévolat en faisant du don une valeur canadienne fondamentale.

L’an dernier, on a commandé une série de rapports de recherche afin de fournir de nouvelles sources de données et une base de données plus approfondie pour aider ceux qui travaillent dans le secteur de la bienfaisance à travailler plus intelligemment. En avril, on a publié un rapport, en partenariat avec Imagine Canada, intitulé Trente ans de don au Canada : Les habitudes de dons des Canadiens. L’étude dresse la carte des dons de bienfaisance et des tendances des dons de 1985 à 2014, en s’appuyant sur les données déclarées à l’Agence du revenu du Canada et à Statistique Canada. Il s’agit, selon nous, de l’aperçu le plus détaillé et le plus complet de son genre, et je suis heureuse de vous faire part de quelques données qui pourraient vous intéresser.

Nous estimons que les particuliers canadiens ont donné environ 14,3 milliards de dollars en dons sans reçu à des organismes de bienfaisance enregistrés en 2014. Les dons déclarés ont augmenté de 150 p. 100 en termes réels depuis 1985.

Malgré ce chiffre, les taux de dons diminuent dans tous les groupes d’âge. Le déclin est particulièrement marqué chez les jeunes Canadiens. Le bassin de Canadiens âgés, dont le secteur dépend de la croissance des revenus, diminue également, ce qui signifie que les organismes de bienfaisance et les organismes sans but lucratif pourchassent un bassin toujours décroissant de donateurs riches et vieillissants. Les dons totaux ont continué d’augmenter uniquement parce que ceux qui donnent donnent plus.

Sur une note positive, les femmes représentent maintenant une plus grande partie du bassin de donateurs et une plus grande proportion de l’argent donné que dans les années 1980. De 1985 à 2014, la valeur absolue des dons déclarés par les femmes a plus ou moins triplé, passant de 1,1 milliard à 3,5 milliards de dollars.

Le rapport réfute également toute notion selon laquelle les néo-Canadiens sont moins généreux. En fait, le don annuel moyen des néo-Canadiens est de 672 $, comparativement à 509 $ pour les personnes nées au Canada.

Selon le rapport, les jeunes Canadiens sont fortement motivés par la compassion pour les personnes dans le besoin, l’engagement personnel envers une cause et le désir de contribuer à la collectivité. Cependant, ils sont plus susceptibles de dire qu’on ne leur demande pas de donner plus et de ne pas savoir où donner.

Même si Trente ans de don a entrepris une analyse sans précédent des données des déclarants et des enquêtes publiques, il reste encore beaucoup à apprendre en raison des limites des données. Nous croyons qu’en ce qui concerne les jeunes Canadiens en particulier, on sous-estime peut-être les dons qui sont faits et qui ne sont pas comptabilisés au moyen de reçus d’impôt pour dons de bienfaisance, et qu’il pourrait être nécessaire de mieux cerner la notion de don.

La prestation de services sociaux et l’aide aux gens ne relèvent plus uniquement du secteur de la bienfaisance. De plus en plus, les entreprises se présentent comme faisant du bien pour donner un sens à leur marque tout en élargissant leur clientèle. L’essor de l’entreprise sociale, avec un objectif social et commercial explicite, s’inscrit également dans ce qui était auparavant un espace occupé par le secteur de la bienfaisance, et les nouvelles plateformes en ligne comme GoFundMe font en sorte qu’il est beaucoup plus facile pour les gens de vivre une expérience enrichissante avec le sentiment d’impact immédiat et de connexion sans qu’un organisme de bienfaisance reçoive les fonds, sans reçu d’impôt et sans impact social quantifiable. Ces forces reflètent une nouvelle réalité qui, sans aucun doute, perturbe le secteur de la bienfaisance et nécessitera de nouvelles interventions stratégiques.

Il est clair pour nous qu’il faut innover davantage en ce qui concerne le mode de fonctionnement des organismes de bienfaisance, mais aussi la façon dont ils cherchent à atteindre de nouveaux donateurs et que des leçons peuvent être tirées d’autres secteurs et disciplines. À cette fin, la Fondation travaille actuellement à l’élaboration d’un prochain rapport de recherche en partenariat avec la Behavioural Insights Team, qui a été créée par Nudge Unit du Royaume-Uni, et avec la collaboration de la Société canadienne de la sclérose en plaques. Il aidera à expliquer comment et pourquoi les petites modifications apportées aux méthodes de collecte de fonds, fondées sur la science du comportement, peuvent faire une différence importante dans les habitudes de dons des Canadiens. À partir de ce travail, la PDG a établi un partenariat avec la Fondation des maladies du cœur pour entreprendre et évaluer une série d’essais visant à encourager le don.

Si l’on veut vraiment fonder nos décisions sur des données probantes, on doit s’assurer d’avoir de meilleures données. Ces recherches constituent selon nous un bon début et un début prometteur, mais l’ampleur du défi est telle qu’aucune organisation ne peut y arriver seule. On croit plutôt que tous ceux qui souhaitent favoriser une plus grande culture du don au Canada doivent travailler ensemble pour échanger des idées et établir des partenariats susceptibles de favoriser la recherche de solutions créatives face au changement.

Je crains également que nous n’ayons pas accordé suffisamment de valeur au rôle central de la confiance. Comme nous l’a appris le Baromètre de confiance annuel d’Edelman, la confiance envers nos gouvernements, les institutions publiques, les dirigeants élus et les médias, ainsi qu’envers les ONG et les dirigeants du secteur de la bienfaisance a diminué au Canada. Il faut une plus grande transparence pour gagner plus de confiance et fidéliser les donateurs à long terme.

En conclusion, des organismes de bienfaisance solides sont l’affaire de tout le monde. En l’absence de mesures efficaces pour augmenter les taux de dons, de nombreux organismes de bienfaisance et sans but lucratif seront incapables, avec le temps, de remplir leur mission. Toute diminution de la capacité du secteur de servir nous appauvrit tous. Toutefois, il convient de considérer la pression croissante qui s’exerce en faveur de l’innovation et de la collaboration entre les secteurs comme une évolution positive. Elle favorisera le changement, l’innovation et la résilience et il en sortira, espérons-le, un Canada meilleur, plus averti et plus bienveillant.

Le président : Merci à vous deux. Nous allons maintenant passer aux questions de mes collègues.

La sénatrice Omidvar : J’ai une série de questions pour Mme Madoff et Mme Marques. Je m’adresserai d’abord à Mme Madoff.

Madame Madoff, merci beaucoup d’avoir fait le long et ardu voyage depuis Boston. Nous avons eu de très mauvaises conditions météorologiques ici, ce qui a rendu les déplacements très difficiles. Soyez la bienvenue.

Je tiens à vous remercier de votre témoignage parce que, la semaine dernière, on a entendu de nombreux témoins qui demandaient au Sénat et à votre comité d’encourager davantage la philanthropie au moyen des fonds orientés par les donateurs, sous forme de dons de biens immobiliers, de dons de titres privés, et cetera. Vous nous avez donné une autre perspective.

En ce qui concerne les fonds fournis aux donateurs, l’Agence du revenu du Canada ne demande pas actuellement aux organismes de bienfaisance d’inscrire ou de divulguer leurs fonds orientés par les donateurs dans leur formulaire T3010 annuel. Faut-il obliger l’ARC à le faire? Faut-il exiger des organismes de bienfaisance qu’ils nous disent également, dans leur rapport annuel, quels sont les déboursés de chaque fonds, par opposition à un montant global, et comment les États-Unis s’y prennent-ils? C’est important. Voilà ma première série de questions.

Mme Madoff : C’est une question vraiment importante. Les États-Unis ne l’ont pas exigé avant 2006. C’était un problème parce qu’on avait constaté qu’il y avait beaucoup de possibilités d’abus. Il ne faut pas oublier qu’un fonds orienté par un donateur est un transfert à un organisme de bienfaisance, et ça a tout l’air d’un transfert pur et simple à l’organisme de bienfaisance. On a constaté que les gens faisaient des choses comme diriger les fonds qu’ils conseillaient aux donateurs vers l’université, mais qu’ils payaient en fait des frais de scolarité, et qu’il y avait moyen pour le donateur d’en tirer profiter. C’est pourquoi, en 2006, aux États-Unis, on a adopté une série de règles visant à la fois à réduire certains abus dans les fonds orientés par les donateurs et à permettre de suivre la croissance de ces fonds.

On a constaté que la croissance des fonds recommandés par les donateurs a été astronomique et bien supérieure à ce qu’on aurait pu imaginer. Les fonds orientés par les donateurs se retrouvaient non seulement dans les fondations communautaires et les fonds orientés par les donateurs commerciaux, mais aussi dans les organismes de bienfaisance traditionnels qui créaient leurs propres fonds orientés par les donateurs, parce qu’il y a une sorte de nivellement par le bas. Les fonds orientés par les donateurs sont tellement attrayants que tout le monde doit les offrir pour obtenir des fonds.

Pour avoir une idée du problème, il faudrait faire le suivi du fonds orienté par les donateurs. Il pourrait y avoir un suivi individuel des rapports, mais franchement, je pense qu’il est particulièrement important de réglementer le secteur. Si l’on estime que l’argent doit être déboursé, il faut rendre les débours obligatoires.

La sénatrice Omidvar : Dans le même ordre d’idées, pensez-vous que l’on devrait avoir au Canada un règlement qui impose un taux de déboursement de 3,5 p. 100, au moins?

Mme Madoff : Certainement pas, non. On devrait avoir une échéance fixe de 10 ans. Lorsque l’argent rentre, on nomme l’organisme de bienfaisance qui recevra les fonds dans 10 ans — un véritable organisme de bienfaisance qui les recevra directement. Le donateur a 10 ans pour décider où il veut donner l’argent, mais l’argent va à un organisme de bienfaisance. J’en ferais une condition de la déduction pour que le donateur ait un temps limité, mais pas plus.

La sénatrice Omidvar : Vous avez soulevé un point très intéressant au sujet des évaluations et des dons de biens immobiliers. On vit dans un pays de propriétaires de chalets et l’idée de faire don de son chalet à un organisme de bienfaisance pourrait être très populaire. Vous laissez entendre que la vérité ne dépendra pas du regard de l’évaluateur, mais de quelque chose d’autre. De quelle autre chose?

Mme Madoff : Je suggère que la déduction réelle soit liée au moment où la propriété est convertie en argent comptant. Il y a deux situations distinctes. La première, c’est lorsque les biens immobiliers sont utilisés pour une mission de bienfaisance. Si quelqu’un donne un immeuble qui est utilisé pour un refuge pour femmes battues, c’est très bien. Il n’y aura pas de conversion. Toutefois, aux États-Unis, la plupart de ces dons donnent lieu à un transfert d’actifs visant à procurer des avantages fiscaux. Ils sont donc vendus pour fournir des liquidités. Essentiellement, la déduction devrait être liée au montant mis à la disposition de l’organisme de bienfaisance. Cela pourrait se faire en accordant la déduction lorsque l’organisme de bienfaisance vend le bien, ou en l’accordant sur la base de l’évaluation, mais en taxant le produit de la vente s’il y a un écart entre le prix de vente et ce qui va à l’organisme de bienfaisance.

La sénatrice Omidvar : Avez-vous un point de vue sur le don de titres privés?

Mme Madoff : On pourrait avoir la même règle pour les titres privés également, mais ceux-ci posent un problème supplémentaire en ce sens que, souvent, ils ne sont pas négociables du tout, il n’y a pas de marché et les échéances sont à plusieurs années. Il faut faire attention. D’un autre côté, dans le monde dans lequel on vit aujourd’hui, c’est un atout très précieux que les gens soient prêts à donner aux organismes de bienfaisance. C’est dans leur intérêt. On pourrait assortir le don d’avantages fiscaux. Cela procurerait des liquidités. Encore une fois, je lierais l’avantage fiscal au montant versé à l’organisme de bienfaisance.

La sénatrice Omidvar : Madame Marques, je me tourne vers vous. J’ai beaucoup d’admiration pour votre fondation et le bon travail que vous faites.

Étant donné que le compte satellite, qui couvre les organismes de bienfaisance, les organismes sans but lucratif, le bénévolat a été suspendu en 2010, je crois, et que pendant X années, l’Enquête nationale auprès des ménages n’était pas obligatoire, seriez-vous d’accord pour dire qu’il y a des lacunes dans vos données? Vous dites que vous avez un nouveau projet de recherche. Comment allez-vous combler ces lacunes dans les données pour cette période justement de chamboulements technologiques et démographiques? Je me demande si on y parviendra un jour.

Mme Marques : C’est un excellent point. Quand on a commencé cette recherche pour mieux comprendre l’évolution des modèles de dons, on pensait bien trouver des réponses. On ne savait pas que les données étaient dans un tel état. On a travaillé avec Imagine Canada pour élaborer un cadre de recherche capable, autant que faire se peut, de fournir un tableau réaliste de l’évolution à long terme sur la base des tendances individuelles en matière de dons. Il est vrai que les données ne sont pas complètes.

Notre prochain projet de recherche porte moins sur les données réelles, sur la collaboration avec l’ARC que sur les moyens d’encourager les comportements de générosité. Donc, au lieu d’examiner les tendances historiques, on travaille avec des partenaires du gouvernement et du secteur de la bienfaisance pour ouvrir des portes et essayer d’encourager les dons au moyen d’une série d’essais randomisés. C’est un type de recherche très différent qui s’en vient.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Merci beaucoup de votre présence. Il s’agit d’un débat fort intéressant.

[Traduction]

Je vais vous poser une question directe, compte tenu du sujet. Le gouvernement fédéral devrait-il instaurer un crédit d’impôt pour motiver les Canadiens à faire du bénévolat? La Chambre des communes a été saisie d’un projet de loi dans ce sens. Il n’a pas été adopté. Pensez-vous que ce pourrait être une solution? Sinon, quelle autre voie devrait-on emprunter pour promouvoir le bénévolat au Canada?

Mme Marques : Ce serait certainement un élément précieux. Je ne suis pas sûre que ce soit la seule approche, mais tout ce qui pourrait déboucher sur une approche multisectorielle pour encourager le don, ainsi que le bénévolat — compris comme don de temps, de talent et de ressources — serait utile.

La sénatrice Miville-Dechêne : Serait-il possible qu’une fondation s’en occupe? Les gens disent que c’est compliqué quand on passe au crédit d’impôt.

Mme Marques : Oui. À notre avis, le secteur de la bienfaisance a de vastes capacités. Vous avez pu le constater au cours des délibérations, je suis sûre. La question des moyens mis à la disposition des organismes de bienfaisance pour vraiment encourager des types de dons et de bénévolat différents, plus novateurs, et les reconnaître comme tels, est vraiment très importante, je trouve. C’est très important pour le secteur.

La sénatrice Miville-Dechêne : Existe-t-il aux États-Unis une déduction fiscale pour le bénévolat?

Mme Madoff : Je ne pense pas qu’il y en ait.

La sénatrice Miville-Dechêne : Moi non plus.

Mme Madoff : Il peut y avoir quelque chose pour les dépenses de bénévolat, mais pour être honnête...

La sénatrice Miville-Dechêne : Et pensez-vous, en théorie, que c’est une idée qui tient la route?

Mme Madoff : Pas particulièrement, non. Il y a eu beaucoup d’études. On obtient parfois de moins bons résultats avec des mesures incitatives plutôt que sans. Je me demande si les gens seraient plus enclins à faire du bénévolat avec ou sans une incitation financière.

La sénatrice Martin : Merci de vos présentations.

Ma première question s’adresse à Mme Madoff. Il est intéressant d’entendre votre exposé aujourd’hui, après une semaine de témoignages sur les fonds orientés par les donateurs et l’élargissement de l’allégement fiscal sur les gains en capital. Je vous remercie des renseignements que vous nous avez fournis ce soir.

Les possibilités d’abus sont nombreuses, avez-vous dit. Quand on parle du secteur de la bienfaisance, ce n’est pas nécessairement ce à quoi on pense en premier lieu, mais, comme vous le dites, à moins que législateurs, gouvernements et entités ne prennent grand soin d’élaborer des règlements et des paramètres clairs, cela pourrait se produire. Vous avez donné certains exemples d’abus, mais je me demandais si vous pourriez en citer d’autres.

Mme Madoff : Ce qui rend particulièrement pernicieux les fonds orientés par les donateurs, c’est qu’ils opèrent, en fait, en marge de la loi. Légalement, cela ressemble à une chose, mais il y a aussi l’entente entre les parties et la loi ferme les yeux là-dessus et fait comme si elle n’existait pas. Ce flou dans lequel baigne tout le monde favorise les manigances, et tout peut arriver.

L’un des problèmes que l’on a aux États-Unis, par exemple, c’est de savoir qui contrôle l’investissement des fonds orientés par les donateurs. Vous savez peut-être ce qu’on raconte de la Silicon Valley Community Foundation. Il s’avère qu’elle avait quelque chose comme 16 milliards de dollars d’actifs, dont l’énorme partie était détenue en bitcoin. Cela ne devrait jamais se produire dans le cas d’un organisme de bienfaisance traditionnel parce que ces organismes sont tenus d’investir leurs actifs d’une manière conforme à la mission financière, mais lorsqu’on donne aux donateurs la capacité de gérer leurs actifs, ce qui est le cas aux États-Unis, non pas légalement mais fonctionnellement, on arrive à ce genre de choses. Il faut les brider parce qu’à l’heure actuelle, il y a beaucoup de gens qui profitent de ces fonds orientés par les donateurs, et ce ne sont pas nécessairement les organismes de bienfaisance et le gouvernement.

La sénatrice Martin : Rangeriez-vous le financement éventuel des partis politiques parmi les abus potentiels?

Mme Madoff : Aux États-Unis, les dons de charité ne peuvent pas être utilisés à des fins politiques.

La sénatrice Martin : Il n’y a donc aucune chance qu’il y ait une réaction en sens opposé?

Mme Madoff : Eh bien, notre président actuel fait pression pour que cette règle soit levée. Ce serait un énorme problème si cela se produisait. À l’heure actuelle, ce n’est pas un problème.

La sénatrice Martin : Merci.

Madame Marques, lorsque vous avez mentionné que les néo-Canadiens donnent davantage, j’étais curieux de savoir comment vous recueillez les données des néo-Canadiens qui n’ont pas l’anglais, ou même le français, comme langue maternelle. Vos données sont représentatives de ce groupe très diversifié de personnes?

Mme Marques : On estime que les données sont aussi exactes que possible compte tenu des limites des données disponibles. C’est Imagine Canada qui a commandité la recherche et c’est son équipe de recherche, en fait, qui a entrepris l’analyse des données, alors je serais heureuse de vous revenir avec des réflexions à ce sujet.

La sénatrice Martin : Oui, je serais curieuse. Pour ce qui est de certaines communautés ethniques, par exemple, j’ai vu que beaucoup de gens se méfient des dons en ligne. Je serais curieuse de savoir dans quelle mesure les données sont exactes et quels sont les obstacles qui empêchent ce segment de la population de donner.

Mme Marques : Je peux vous revenir là-dessus. On sait si peu de choses encore sur les dons en ligne. Les dons en ligne aux organismes de bienfaisance ne sont qu’une pièce du casse-tête lorsqu’on pense aux nouvelles sources ou aux plateformes en ligne de dons. J’ai donné l’exemple de GoFundMe, mais il s’agit de nouveaux intermédiaires très sophistiqués sur le plan technologique qui, d’une certaine façon, servent de première ligne à qui souhaite faire un don, entre guillemets, ou avoir ce sentiment d’impact personnel direct, et se préoccupe peu parfois, de savoir où va le financement.

La sénatrice Martin : Sur une note personnelle, l’ancien gouverneur général, David Johnston, était un visionnaire et un leader. Je suis très heureuse de savoir que vous comptez parmi ses héritiers.

Mme Marques : Merci. C’est un véritable honneur et un privilège de travailler avec lui si étroitement chaque jour. Il continue de participer activement à titre de président du conseil d’administration de la fondation. La Fondation Rideau Hall sert de plateforme aux gouverneurs généraux sortants appelés à présider le conseil d’administration pendant une période de cinq ans au cours de la période du mandat du gouverneur général suivant. Une partie de cela est inconnue, mais c’est la structure.

La sénatrice Martin : Merci.

La sénatrice Seidman : Je vous remercie tous les deux de vos présentations.

Madame Madoff, d’après ce que je comprends de vos propos, une contribution à un fonds orienté par les donateurs n’est pas nécessairement une contribution à un organisme de bienfaisance. Elle est versée sur un compte qui peut être distribué plus tard, mais ce n’est pas immédiat.

Mme Madoff : Un commanditaire d’un fonds orienté par les donateurs est une entité qui est reconnue comme un organisme de bienfaisance. Aux États-Unis, c’est un organisme de bienfaisance public. Ici, il peut s’agir de fondations publiques. L’organisation est légalement un organisme de bienfaisance. Fidelity Charitable est un organisme de bienfaisance. C’est pourquoi les donateurs obtiennent tous les avantages fiscaux lors de la remise de l’argent. C’est la même chose que s’ils donnaient à la Croix-Rouge.

La sénatrice Seidman : C’est un fournisseur, en un sens, parce que c’est une banque qui héberge votre argent comme une station de transit si l’on peut dire.

Mme Madoff : Fonctionnellement, oui. Le donateur peut se dire : « J’ai un compte de chèques de bienfaisance que je contrôle. Je peux décider quand faire les versements ». C’est ainsi qu’ils fonctionnent en pratique. Il y a là un décalage. Un accord légal est conclu pour accorder tous les avantages fiscaux dès le départ, mais il est entendu que le donateur conserve le contrôle continu des fonds.

La sénatrice Seidman : Quant à l’organisme qui héberge les fonds, il est incité à les garder aussi longtemps que possible.

Mme Madoff : Oui, il y est fortement incité parce qu’il prélève des frais de gestion pour ce faire. Il prend de nombreuses dispositions à cette fin. Par exemple, Fidelity Charitable dit : « Oh, non, nous encourageons les débours. » Toutefois, la règle chez eux est la suivante : si vous n’avez rien fait depuis sept ans, ils prétendent vous demander, mais je ne suis pas certaine qu’ils le fassent vraiment, de distribuer 50 $. Vous pourriez avoir un milliard de dollars dans votre compte, et ils vous demanderont de faire une distribution de 50 $. Autrement dit, ils ne font rien pour encourager les sorties d’argent.

Le plus gros problème aux États-Unis, c’est que le secteur des services financiers s’est intéressé aux fonds orientés par les donateurs parce qu’il s’est rendu compte qu’il obtient le service financier. Si vous êtes le conseiller financier personnel de quelqu’un, Fidelity Charitable vous paie des frais de gestion. Ils ont créé une armée de gens qui en font la promotion auprès de leurs clients. Parce que si vous donnez à la Croix-Rouge, vous ne toucherez pas de frais de gestion, mais si vous donnez à un fonds orienté par les donateurs, vous, le conseiller financier, obtenez des frais de gestion.

Il y a eu un cas aux États-Unis dont je me suis occupé où un conseiller financier a convaincu quelqu’un qui n’avait jamais fait le moindre don de bienfaisance de donner 100 millions de dollars à un fonds orienté par les donateurs. Ces gens avaient 90 ans et ils étaient très riches, et il y a eu une poursuite à ce sujet parce que le conseiller financier voulait avoir un contrôle permanent.

La sénatrice Seidman : Je crois comprendre qu’il n’y a pas beaucoup de transparence dans ces comptes, en ce sens que seuls les chiffres agrégés sont déclarés par opposition aux chiffres propres aux comptes.

Mme Madoff : Oui. C’est un problème. C’est un problème de rapports entre les comptes. Si transparence il y avait, j’ai l’impression que ce ne serait qu’une semi-transparence. Si l’on juge que les débours sont importants, il faut les rendre obligatoires.

La sénatrice Seidman : Dans un délai défini?

Mme Madoff : Dans un délai défini.

La sénatrice Seidman : Il est intéressant de voir comment l’industrie a pris de l’expansion au fil du temps. Le nombre de fonds orientés par les donateurs aux États-Unis a doublé de 2010 à 2015.

Mme Madoff : La croissance est extraordinaire. Au cours des six dernières années, les dons aux organismes de bienfaisance, y compris ceux aux fonds orientés par les donateurs ont augmenté de 36 p. 100. Les contributions de Fidelity Charitable ont augmenté de 400 p. 100. Ils siphonnent tous les dons de charité. C’est un énorme problème.

La sénatrice Seidman : J’ai sous les yeux un tableau, le Chronicle of Philanthropy, qui montre le taux de variation du fournisseur du fonds orienté par les donateurs pour l’année précédente, comparé à celui des autres organismes sans but lucratif, et ces derniers ont tous des résultats négatifs tandis que les premiers font un bond énorme.

Mme Madoff : C’est exact. On entend beaucoup de promoteurs dire que les fonds orientés par les donateurs versent beaucoup plus que les fonds de dotation, mais ce n’est pas le bon point de repère. Le critère de comparaison approprié, c’est le montant qui va directement aux organismes sans but lucratif parce que ce sont eux qui souffrent.

[Français]

Le sénateur Maltais : Si je comprends bien, madame Madoff, vous recueillez des dons et vous les redistribuez. C’est bien dans ce système que vous fonctionnez? Vous avez parlé de la perte de contrôle de vos bienfaiteurs. On a l’impression d’une perte de contrôle de leurs dons.

Madame Madoff, qu’en est-il sur le plan humain? Aux États-Unis, est-ce qu’il y a une vérification judiciaire ou policière qui se fait dans le recrutement des bénévoles? Comment cela fonctionne-t-il? Vous vous occupez de l’argent, mais vos donateurs doivent s’inquiéter de la façon dont les organismes recrutent des bénévoles. Est-ce que ces bénévoles font l’objet de vérifications judiciaires? Est-ce que l’organisme s’assure que ces personnes ont les compétences pour faire ce travail?

[Traduction]

Mme Madoff : En ce qui concerne les fonds orientés par les donateurs, même si le donateur renonce au contrôle légal de l’argent lorsqu’il fait sa contribution, le gestionnaire lui permet d’exercer un contrôle continu. En gros, on commercialise ces comptes comme des comptes chèques de bienfaisance. Le donateur transfère des biens, des actions ou des biens immobiliers et crée un compte, puis tout le monde agit comme s’il s’agissait de l’argent du donateur. Ils laissent le donateur décider comment l’investir et le distribuer aux organismes de bienfaisance. Le problème n’est pas l’absence de contrôle des donneurs; le problème, c’est plutôt le fait que l’on accorde beaucoup d’avantages fiscaux et que les organismes de bienfaisance ne reçoivent pas assez d’argent.

Vous avez également posé une question au sujet des bénévoles et des problèmes avec les mauvais organismes de bienfaisance, un autre problème énorme aux États-Unis qui n’est pas suffisamment réglementé. La Cour suprême a rendu une série de décisions disant qu’on ne peut exiger des solliciteurs de dons qu’ils déclarent qu’ils sont des escrocs, ce qui a lié les mains aux organismes de réglementation. C’est aussi un gros problème aux États-Unis.

[Français]

Le sénateur Maltais : Merci.

Madame Marques, bienvenue.

Mme Marques : Merci.

Le sénateur Maltais : Je vais retourner un peu dans le temps, lors de la catastrophe naturelle survenue en Haïti. Vous savez qu’il y a beaucoup de gens au Canada qui ont donné de l’argent, et le gouvernement a donné une somme correspondante. Beaucoup de donateurs ont été surpris de voir que, finalement, leur don n’avait pas fait grand-chose. Ce n’est la faute de personne. On comprend le contexte dans lequel Haïti était plongé à l’époque. De telles actions vont se reproduire.

Je me souviens que quelque temps après, il y a eu une catastrophe au Japon, un tremblement de terre, et il n’y avait aucun organisme connu qui pouvait recueillir les dons. J’ai envoyé un don à l’ambassade du Japon au Canada. J’ai l’impression que l’argent est allé au bon endroit. J’ai reçu une lettre de remerciement. Le gouvernement prenait en charge ces milliers de personnes, mais je trouvais injuste que ce soit les Japonais qui se retrouvent dans cette situation. On n’a pas fait de campagne publicitaire au Canada pour aider les Japonais. Pour Haïti, on a fait une grosse campagne publicitaire de Halifax à Victoria. Les Canadiens ont été très généreux, mais ils ont été aussi très déçus.

Je trouve — et ce n’est pas un blâme que je vous fais — que c’est l’ensemble de l’œuvre qui fait que les Canadiens, parfois, sont prudents avant de faire des dons de charité. N’y aurait-il pas moyen, à l’avenir, de changer cette perception?

Mme Marques : Je comprends la question.

[Traduction]

Je pense que ces situations vont toujours se présenter, en ce sens que lorsqu’il y a une urgence ou une crise urgente qui pousse les gens à donner, on a cet afflux massif, immédiat, urgent, de financement. C’est incroyable d’une part, mais inquiétant d’autre part, compte tenu de la capacité du secteur d’absorber et de répartir les fonds. On l’a vu à Fort McMurray et, plus récemment, à Humboldt. Cela va donc certainement continuer. Il est difficile de dire ce qui fait que certaines tragédies ou catastrophes mobilisent vraiment l’attention des Canadiens, mais je pense que, dans l’ensemble, cela témoigne du sentiment de générosité et du désir des Canadiens de donner immédiatement à leurs semblables qui sont dans le besoin.

[Français]

Le sénateur Maltais : Beaucoup de Canadiens se sont dirigés vers des fondations d’hôpitaux pour leur don. J’en suis un et je ne suis pas le seul au Québec ni au Canada. Pourquoi? Parce qu’on a l’impression que notre don fera avancer certaines choses sur le plan de la science et de la recherche, et pour le bien-être des personnes âgées qui vivent dans des foyers. Il y a certaines fondations qui s’occupent de cela.

Peut-être que cela passe inaperçu dans vos statistiques, mais bon nombre de personnes se tournent vers ces fondations parce qu’ils ont été un peu déçus — sans discréditer la Croix-Rouge — de l’échec humanitaire en Haïti. On ne s’est pas occupé des Japonais. Beaucoup de gens sont déçus. Est-ce qu’on pourra corriger cela avec le temps ou est-ce que ces gens font une bonne action en donnant aux fondations des hôpitaux ou aux centres pour personnes âgées? Qu’en pensez-vous?

[Traduction]

Mme Marques : C’est merveilleux, je dirais, que les Canadiens donnent quand ils se sentent poussés à donner, que ce soit pour les hôpitaux, les secours internationaux, l’éducation, les services sociaux ou les arts. Je ne dirais pas qu’il y a un sous-secteur particulier du secteur de la bienfaisance qui soit mieux équipé pour gérer ou traiter les dons. Ma propre expérience se situe dans le monde de la collecte de fonds pour les hôpitaux, et ce n’est probablement pas généralisé de dire que les grands établissements, les hôpitaux ou les universités en particulier, sont très bien équipés pour attirer de nouveaux dons, pour susciter des donateurs, pour investir dans des campagnes de publicité et des campagnes financières très ciblées afin d’encourager de nouveaux donateurs, mieux que d’autres composantes et sous-groupes du secteur ne sauraient le faire. Cette réalité me dit qu’il y a une grande inégalité, à certains égards, au sein du secteur de la bienfaisance, en ce qui a trait à la capacité d’encourager les dons et d’offrir des services.

[Français]

Le sénateur Maltais : Madame Marques, je ne sais pas si vous vivez dans une région ou dans un quartier où il y a beaucoup d’enfants. Je vis dans un quartier de Québec où il y a beaucoup d’enfants. Toutes les semaines, des enfants font du porte-à-porte pour demander une contribution pour le ballet, la musique, le hockey ou le soccer. Tous les sports y passent. On demande à tout le monde de faire preuve de charité. Ces enfants ne donnent pas de reçu. Ils n’en donnent pas. Les Canadiens en général donnent. Ils sont généreux. Je ne peux pas refuser d’aider une petite fille de sept ou huit ans ou de donner à des écoliers pour leur voyage de fin d’année. On est sensible à cela, et ce n’est comptabilisé nulle part.

Les gens de mon quartier sont généreux et ils ont donné à des organismes bénévoles. Cependant, tout cela n’est pas comptabilisé. Je suis certain que cela se produit aussi dans votre quartier. Est-ce qu’on doit continuer ainsi ou verser des dons uniquement aux organisations autorisées?

[Traduction]

Mme Marques : C’est une excellente remarque, qui ne fait que clarifier et illustrer le fait que la bienfaisance et les dons commencent le plus souvent chez nous, dans nos collectivités et dans notre quartier immédiat. Le fait d’avoir des enfants en particulier dans ce contexte, ce genre d’appels de porte-à-porte dans les quartiers, est une merveilleuse façon d’apprendre très tôt à donner et à faire du bénévolat. Je m’inquiète, en réalité, du fait que ces leçons ne sont peut-être pas enseignées et transmises de génération en génération, alors c’est réconfortant d’entendre cela.

Un commentaire que j’ai fait plus tôt, c’est que beaucoup de dons ne sont pas suivis par des reçus fiscaux. Je pense que nous n’en savons pas assez à ce sujet. Cela me dit aussi que je ne suis pas sûre que le reçu fiscal soit nécessairement la motivation de beaucoup de donateurs, surtout les plus jeunes. C’est une réalité dont nous devrions être conscients.

La sénatrice Seidman : Je n’ai pas profité de l’occasion pour vous poser une question, madame Marques. Je dois vous féliciter, vous et notre ancien gouverneur général, pour le bon travail que vous faites.

Mme Marques : Merci.

La sénatrice Seidman : Sur votre site web, sous la rubrique « Faites un don », il semble que vous étudiez la façon dont la science du comportement peut s’appliquer à l’acte de donner. Nul besoin d’expliquer la science qui sous-tend les comportements en matière de don, et vous avez établi un partenariat avec l’équipe de Behavioural Insights pour mener des travaux dans ce domaine. Ces travaux se poursuivent-ils ou avez-vous déjà des résultats? Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur la science qui sous-tend les comportements en matière de don? Parce que c’est fascinant.

Mme Marques : Merci beaucoup, et merci d’avoir pris le temps de visiter le site web.

Le projet et le partenariat avec l’équipe de Behavioural Insights ont été stimulés par un intérêt pour les sciences du comportement et une sorte de théorie incitative. De toute évidence, de nombreux organismes de bienfaisance procèdent déjà à des tests. Les tests ne sont pas nouveaux pour les organismes de bienfaisance qui vont essayer de nombreuses approches différentes pour favoriser les dons et évaluer les résultats de façon très méthodique. Toutefois, nous avons pensé qu’il pourrait être utile non seulement de mener une série de tests, de travailler avec la Société canadienne de la sclérose en plaques, qui a gracieusement ouvert ses portes et ses données pour que tous puissent en voir les résultats, mais aussi de demander aux organismes de bienfaisance à petite échelle de comprendre comment ils peuvent commencer à intégrer les principes des sciences du comportement, ce qui comprend l’utilisation de tests de contrôle aléatoires et l’évaluation rigoureuse des résultats. Nous avons donc travaillé avec la Société de la sclérose en plaques à une série de tests portant sur les dons résultant du porte-à-porte, les dons mensuels, les dons recueillis à la marche, la façon de devenir un donateur mensuel, mais ce ne sont pas nécessairement les résultats de ces tests qui ressortent, mais bien le processus. Le rapport qui en résulte est un document pratique, nous l’espérons, très accessible que les membres du secteur caritatif pourront utiliser au sein de leurs propres organisations.

Ce qui était très intéressant, au moment où nous décidions des organisations avec lesquelles nous devions travailler, c’est que l’équipe de Behavioural Insights a pris les devants. Ils sont issus de l’unité de soutien du Royaume-Uni et ont entamé un dialogue avec le Bureau du Conseil privé et ses experts en sciences du comportement, qui partageaient un intérêt pour la collaboration avec le secteur de la bienfaisance et qui ont ensuite entrepris une série de tests avec la Fondation des maladies du cœur du Canada.

Je dirais que c’est un secteur en plein essor. Le document sur lequel nous travaillons en est aux toutes dernières étapes de la production et devrait être disponible la semaine prochaine. Je vais vous en faire part. Je vous le ferai parvenir dès qu’il sera disponible.

Le président : Nous avons hâte de voir cela.

La sénatrice Omidvar : J’ai deux brèves questions. Je vais commencer par Mme Marques.

L’excellente question du sénateur Maltais sur les catastrophes m’a rappelé que j’avais une question que je voulais poser à quelqu’un, et vous êtes la meilleure personne pour y répondre. Le Canada verse un montant égal aux dons faits par les Canadiens pour intervenir en cas de catastrophe à l’étranger, jusqu’à concurrence d’un certain montant. Il y a eu des catastrophes dans notre pays, à Lac-Mégantic, à Fort Mac, à Humboldt et à Ottawa la semaine dernière. Pourquoi n’égalons-nous pas ces dons au pays de la même façon que nous le ferions pour encourager la générosité des Canadiens à l’étranger?

Mme Marques : C’est une excellente idée. Pour un collecteur de fonds, il n’y a pas de plus grand incitatif que l’offre d’un financement de contrepartie.

La sénatrice Omidvar : Vous seriez donc en faveur d’une certaine équité?

Mme Marques : J’en serais heureuse. J’accueillerais favorablement toute initiative qui inciterait davantage les Canadiens à donner, au pays comme à l’étranger.

La sénatrice Omidvar : Toujours en ce qui concerne les incitatifs, madame Madoff, je vais me concentrer sur le don de biens immobiliers et de titres privés simplement parce que nous avons encore frais à la mémoire ces témoignages. J’ai posé une question aux témoins la semaine dernière et, en toute justice, je vais vous poser la même question. Croyez-vous que le don de biens immobiliers et de titres privés va augmenter la part du gâteau philanthropique, ou va-t-il simplement remplacer les dollars que vous donneriez d’une façon et les remplacer par des dollars donnés d’une autre façon?

Mme Madoff : En fait, je pense qu’il augmentera le montant total. La raison en est qu’il y a beaucoup d’intérêts commerciaux privés qui deviennent publics. Dans le monde dans lequel nous vivons, il y a tellement de nouvelles entreprises. Quand les gens font de l’argent pour leur nouvelle entreprise, ils sont portés à faire de la philanthropie. Je pense que s’ils peuvent tirer des avantages fiscaux de ce type de transfert, ils le feront probablement.

La sénatrice Omidvar : Je vous remercie. Les autres n’ont pas été en mesure de répondre à cette question, alors j’apprécie votre point de vue.

J’ai un commentaire à faire. Vous avez parlé de la croissance des fonds spécialement affectés par le donateur aux États-Unis et des scandales entourant la Silicon Valley Community Foundation. Je dois ajouter que nos fondations communautaires au Canada ont traditionnellement été — et ne sont plus — les détenteurs du plus grand nombre de fonds spécialement affectés par le donateur. Nos fondations ont été supplantées par le secteur des entreprises. Nos fondations communautaires ont des politiques assez strictes en matière de décaissement. Je tiens à ce que notre auditoire sache qu’il n’y a pas de scandales entourant les fonds spécialement affectés par le donateur au Canada, mais c’est une tendance que vous avez soulignée et à laquelle nous devons faire attention, et je vous en remercie.

Mme Madoff : Je suis également consciente du fait que les fondations communautaires sont de plus en plus considérées comme des fonds de dotation, à mesure qu’elles sont passées des fondations communautaires au contexte commercial aux États-Unis. Ce n’est pas un problème de mauvais joueurs, mais plutôt une question de mauvais incitatifs. Si vous pensez que cet argent ne devrait pas être contrôlé par des donateurs, alors il ne devrait pas l’être, que ce soit dans une fondation communautaire ou dans un contexte commercial.

Le président : Mesdames Madoff et Marques, merci beaucoup. Vos interventions ont été très instructives. Vous avez suscité beaucoup de questions. Je vous rappelle ce que je dis à tous nos témoins. Si, au cours des échanges, vous constatez que nous avons oublié quelque chose ou que vous aimeriez ajouter quelque chose, n’hésitez pas à le faire par l’entremise du greffier et à lui faire parvenir l’information. Il nous la communiquera ensuite à tous.

Passons maintenant à notre prochain groupe de témoins. Par vidéoconférence depuis le Cap-Breton, en Nouvelle-Écosse — il est toujours bon de parler à des gens de chez nous —, nous accueillons Mme Catherine Leviten-Reid, professeure agrégée, Développement économique communautaire à l’Université du Cap-Breton; Mme Marilyne Fournier, directrice générale du Réseau de l’action bénévole du Québec; et par vidéoconférence, de New York, le cofondateur de WE Charity, M. Craig Kielburger.

Merci d’avoir accepté notre invitation. J’invite maintenant les témoins à présenter leur exposé. Je leur rappelle également que, conformément aux instructions qui leur ont été données précédemment, leurs exposés ne doivent pas dépasser de cinq à sept minutes. Après les exposés, mes collègues vous poseront des questions. Je demande aux sénateurs d’être brefs dans leurs questions et aux témoins d’en faire autant dans leurs réponses afin que nous puissions poser le plus de questions possible.

Catherine Leviten-Reid, professeure agrégée, Développement économique communautaire, Université du Cap-Breton, à titre personnel : Je suis désolée de vous décevoir, mais le fait est que je ne suis pas originaire du Cap-Breton. Je viens de la région de Guelph, en Ontario. Quoi qu’il en soit, me voilà.

La recherche que vous avez demandée ce soir porte sur les différentes façons de faire du bénévolat et sur ce que les gens pourraient en retirer. La recherche a été soutenue par une subvention du Conseil de recherches en sciences humaines, et il s’agissait d’une alliance de recherche universitaire communautaire qui appuyait la recherche sur le secteur coopératif. J’aimerais maintenant saluer mon coauteur, M. Robert Campbell.

Pour ceux d’entre vous qui ne connaissent peut-être pas le modèle coopératif, une coopérative est une sorte d’organisation qui est contrôlée démocratiquement par ses membres et qui observe un ensemble de principes internationaux, y compris la coopération entre les coopératives et le souci de la collectivité. Elles mettent en évidence le bénévolat puisque les membres participent à la gouvernance à titre d’administrateurs, et parfois les coopératives comptent aussi d’autres types de bénévoles. Un exemple est une coopérative préscolaire où les parents ou les tuteurs peuvent contribuer aux préparatifs du début de la journée.

J’ai analysé les données sur les coopératives d’habitation sans but lucratif. Ces coopératives ont des conseils d’administration composés de locataires. C’est une façon de faire du bénévolat dans ces coopératives d’habitation. Les locataires peuvent aussi faire du bénévolat d’autres façons. Ils peuvent planifier des activités pour les membres, rédiger des bulletins ou contribuer à l’entretien des lieux. Les données que j’ai analysées ont été recueillies par la SCHL il y a environ 16 ans.

Pour le document dont je vous parle en ce moment, nous avons posé deux questions de recherche. La première était la suivante : quels genres de compétences, de capacités et de relations les gens acquièrent-ils lorsqu’ils font du bénévolat dans une coopérative d’habitation, le cas échéant? Notre deuxième question était la suivante : est-ce que la participation sous différentes formes entraîne différents types d’avantages? Par exemple, la personne qui fait du bénévolat en tirera-t-elle plus d’avantages en siégeant au conseil d’administration, ou bien est-ce que ce que l’on fait à titre bénévole importe vraiment?

Les différents types de compétences et de capacités que nous avons examinés comprenaient le fait que les gens ont déclaré ou non qu’ils avaient acquis des compétences financières par suite de leur participation, qu’ils avaient acquis des compétences opérationnelles, de l’expérience organisationnelle, de meilleures compétences pour travailler avec les autres et qu’ils avaient davantage confiance en eux.

Dans le cadre de l’étude, l’avantage le plus courant signalé par les bénévoles concernait la possibilité de se faire des amis, et en fait, 60 p. 100 des participants l’ont mentionnée. La deuxième compétence en importance était le travail d’équipe, et environ 57 p. 100 des participants l’ont mentionnée. L’acquisition d’un savoir-faire plus technique, comme des compétences financières et opérationnelles, a été moins fréquente, et environ 20 p. 100 des participants ont mentionné ces résultats particuliers. Ces résultats concordent avec l’enquête de 2010 sur le don, le bénévolat et la participation, qui a révélé que le type d’avantage le plus courant déclaré par les bénévoles au Canada était le développement de compétences interpersonnelles.

Pour ce qui est de savoir si la nature du travail bénévole que vous faites a une incidence sur les avantages que vous en retirez, commençons par l’acquisition de compétences et la confiance en soi. Nous avons constaté que le fait de faire partie d’un conseil d’administration et d’organiser des activités sociales, plutôt que de ne pas accomplir ces tâches, augmentait les chances de déclarer que vous développez des compétences financières et opérationnelles, que vous avez acquis de l’expérience organisationnelle, que vous avez amélioré vos compétences en matière de travail d’équipe et que vous avez amélioré votre confiance en vous-même. Le fait d’aider à accomplir des tâches opérationnelles augmentait les chances de déclarer certains de ces résultats, mais pas tous.

Deuxièmement, le fait d’être membre d’un conseil d’administration a en général eu un effet plus marqué que les deux autres types de bénévolat. La probabilité de dire que vous avez développé des compétences financières était plus grande si vous étiez membre d’un conseil d’administration plutôt que de planifier des activités sociales ou de contribuer aux opérations. La participation à titre de membre d’un conseil d’administration a également accru les chances d’acquérir de la confiance en soi, d’améliorer ses compétences et de travailler avec les autres, et d’acquérir une expérience organisationnelle.

Pour ce qui est de savoir si les gens ont tissé des liens sociaux, nous avons constaté que le fait de siéger à un conseil d’administration et d’organiser des activités sociales augmentait les chances de déclarer que vous vous êtes fait des amis et que vous avez renforcé votre réseau de soutien personnel, mais dans ce cas, contribuer à l’organisation d’activités sociales a eu un effet plus important que de participer à la gouvernance.

En passant, comme avantage final, nous avons également examiné si les gens déclaraient avoir acquis la capacité d’influencer les décisions sur le logement dans lequel ils vivaient, et les trois façons de faire du bénévolat augmentaient les chances de déclarer ce résultat, mais c’est le fait de siéger au conseil d’administration qui a eu l’effet le plus fort.

Si vous me demandez quelles ont été les conclusions de cette étude, je vais répéter une phrase du document et dire que la recherche fournit plus de preuves que les gens apprennent, grandissent et se font des amis lorsqu’ils donnent de leur temps. Cela concorde avec les recherches effectuées dans le monde entier qui montrent généralement que les gens profitent du bénévolat en apprenant à connaître les gens et en acquérant des compétences civiques et professionnelles.

Ce n’est qu’un document, mais il fournit des preuves que le genre de tâches que vous accomplissez bénévolement a une incidence sur ce que vous en retirez. Si vous participez à la gouvernance, il y a plus de chances que vous développiez un éventail de compétences et plus de chances que vous ayez confiance en vous. Je pense également qu’il est important de souligner que ce n’est pas seulement en participant à la gouvernance que les gens peuvent tirer profit, sur les plans professionnel et personnel, du bénévolat, et que cela ne vise pas à déprécier les autres tâches. Vous pouvez contribuer à des activités sociales ou à d’autres tâches plus discrètes tout en apprenant de votre engagement.

Le président : Merci beaucoup. Nous vous sommes reconnaissants de votre témoignage.

Craig Kielburger, cofondateur, WE Charity : Monsieur le président, honorables membres du comité, permettez-moi d’abord de préciser que je suis fier d’être Canadien. Je me retrouve tout simplement à New York pour les réunions de l’Assemblée générale des Nations Unies.

C’est un privilège d’avoir l’occasion de vous faire part de certaines de mes expériences dans le secteur de l’entreprise sociale, de notre travail auprès des jeunes Canadiens et de la façon dont une nouvelle génération trouve de nouveaux moyens de créer des retombées sociales, notamment par l’entrepreneuriat social.

Nous appuyons avec enthousiasme les recommandations formulées dans le rapport présenté récemment par le Groupe directeur sur la co-création d’une Stratégie d’innovation sociale et de finance sociale, en partenariat avec le gouvernement du Canada, et nous croyons qu’elles contribueront activement à façonner le cadre des entreprises sociales et de l’innovation sociale futures au Canada.

Permettez-moi de vous parler de notre étude de cas sur l’entreprise sociale au Canada, de certains des défis et des leçons apprises.

Notre organisation compte deux divisions. La première division est Organisme UNIS, anciennement Free The Children, qui appuie et mobilise plus de quatre millions de jeunes et leurs familles dans l’apprentissage au service de l’enfance. À l’échelle mondiale, nous rejoignons environ un million de bénéficiaires grâce à des programmes de développement international.

La deuxième division est une entreprise sociale appelée ME to WE, qui crée des produits, des expériences et des services ayant pour mandat de soutenir financièrement Organisme UNIS. ME to WE a trouvé des façons novatrices d’intégrer l’objectif au profit, d’employer des populations marginalisées partout dans le monde et de redonner au secteur de la bienfaisance.

Au total, nous avons 650 employés à temps plein au Canada qui appuient la prestation des programmes en français et en anglais, et j’aimerais vous parler un peu de notre cheminement vers l’établissement d’une entreprise sociale au Canada.

En 2006, afin de trouver des revenus stables pour l’organisme de bienfaisance, nous avons cherché à établir une entreprise sociale. Notre premier défi était le fait qu’il n’y avait pas de définition juridique d’une entreprise sociale au Canada. Nous avons eu la chance de pouvoir compter sur le cabinet d’avocats Torys et Miller Thomson pour nous guider pro bono afin de créer un cadre juridique en matière de gouvernance. En guise de contexte, nous avons suivi ce processus pour créer un système de freins et de contrepoids qui comprenait la présentation de la structure juridique aux fins d’examen au tuteur public de l’Ontario, la participation à un examen plus approfondi au sein de son cabinet d’avocats de tierces parties qui comprenaient un juge de la Cour suprême à la retraite et un ex-premier ministre à la retraite. Nous avons pris ces mesures afin de nous assurer que l’entreprise sociale satisferait non seulement à toutes les exigences juridiques, mais aussi aux attentes du public. Le cabinet d’avocats a estimé que ce processus aurait représenté un investissement dans les six chiffres si nous n’avions pas reçu le soutien pro bono.

Notre deuxième défi était que nous ne pouvions pas trouver de véhicule d’investissement social au Canada. À cette fin, nous n’avons pas réussi à obtenir les fonds au Canada, mais nous avons pu démarrer grâce au soutien que nous avons reçu d’un Canadien détenant une entité américaine, un Canadien du nom de Jeff Skoll. Vous avez peut-être entendu parler de son travail de pionnier comme premier président d’eBay et cofondateur du Skoll Centre for Social Entrepreneurship de l’Université d’Oxford.

Je donne cet exemple simplement pour souligner les défis à relever pour qu’une entreprise sociale unique puisse s’établir et fonctionner au Canada.

Aujourd’hui, nous sommes fiers de notre impact : 1 500 femmes dans des pays en développement sont employées à temps plein par Me to We, et elles fabriquent des produits artisanaux pour les 5 000 bénévoles qui participent chaque année à nos voyages de service à l’échelle mondiale. Nous offrons de la formation en leadership et des programmes partout au Canada, y compris auprès des jeunes Autochtones.

En nous appuyant sur cet apprentissage, nous nous consacrons maintenant à l’établissement de ce que nous appelons le WE Social Entrepreneurship Centre, le premier au pays exclusivement consacré au soutien de l’incubation et de l’accélération des entreprises sociales. Le centre permettra à la prochaine génération d’entrepreneurs sociaux de tous les coins du pays d’avoir accès à des fonds de démarrage et à des programmes exceptionnels grâce à un programme de détachement de nos partenaires du milieu des affaires, du milieu universitaire et du secteur de la bienfaisance. Le programme sera gratuit à 100 p. 100, et 75 p. 100 des places seront offertes aux populations marginalisées afin de renforcer leur capacité de croissance et d’expansion.

Cependant, il y a beaucoup plus de Canadiens qui cherchent à faire une différence dans leur collectivité. Ayant connu certains des défis auxquels les entrepreneurs d’aujourd’hui sont encore confrontés, je vous offre humblement quelques recommandations pour refléter et souligner les autres recommandations formulées par le Groupe directeur sur la co-création d’une Stratégie d’innovation sociale et de finance sociale et le gouvernement du Canada.

Premièrement, il faut moderniser notre cadre stratégique et réglementaire afin de créer les conditions propices à l’innovation sociale, à la finance sociale et à l’épanouissement des objectifs sociaux. Comme les organismes sans but lucratif sont de plus en plus pressés de trouver de nouvelles sources de revenus pour devenir plus durables sans réduire leurs coûts, les modèles d’entreprise sociale offrent une solution novatrice. Le problème tient au fait que notre cadre législatif actuel classe les entreprises sociales en fonction de leur statut fiscal au lieu de tenir compte de la combinaison de facteurs qui font de ces entreprises ou entités une composante si précieuse d’un secteur social canadien sain, durable et pertinent. Pour que les organismes sans but lucratif puissent profiter pleinement de cette occasion, il faut leur donner une plus grande liberté pour établir une entreprise sociale. Une partie du problème vient du fait qu’il n’y a pas d’entente commune sur ce qu’implique une entreprise sociale et que les obstacles juridiques à son établissement peuvent être complexes. En normalisant et en modernisant le cadre réglementaire, le gouvernement fédéral peut et doit ouvrir la voie à la durabilité des organismes de bienfaisance qui profitent à tous les Canadiens.

Deuxièmement, il faut plus de capitaux et de financement pour faire croître le secteur des entreprises sociales. Les entreprises sociales se heurtent à des obstacles pour accéder aux possibilités de financement public et privé. Il existe actuellement des possibilités de financement à tous les ordres de gouvernement; toutefois, ces investissements sont en général fragmentés et ne sont souvent que ponctuels. Même si les entreprises peuvent se révéler rentables et durables, elles se heurtent souvent à des obstacles à surmonter par le biais d’opérations commerciales telles que l’obtention d’hypothèques pour des espaces d’exploitation. Permettez-nous humblement d’appuyer les recommandations, et en particulier la recommandation no 6, du Groupe directeur sur la co-création d’une Stratégie d’innovation sociale et de finance sociale, qui préconise la création d’un fonds de financement social pour accroître l’accès au capital.

En conclusion, en créant une loi moderne et tournée vers l’avenir, honorables sénateurs, vous aurez aidé à ouvrir la voie à tous les entrepreneurs sociaux. Le secteur social a dépensé une myriade de fonds et de subventions à tous les ordres de gouvernement, ce qui s’est révélé une aide remarquable et grandement nécessaire pour le secteur de l’entreprise sociale, mais ce n’est pas une solution durable aux problèmes collectifs à l’échelle du secteur.

Nous défendons humblement les intérêts de l’organisation, au nom des défenseurs de ces idées novatrices qui n’ont pas été en mesure d’obtenir un financement parce que leur mandat n’est pas uniquement axé sur le profit ou parce qu’ils n’ont pas le capital social initial ou parce que leurs idées ont été jugées trop risquées dans le secteur traditionnel des organismes à but lucratif, ni l’accès aux capitaux et aux structures juridiques parce qu’elles visent des populations marginalisées ou des objectifs sociaux ambitieux. Nous cherchons humblement un cadre qui permet aux entreprises sociales d’innover, de croître, de survivre et, surtout, de prospérer.

Merci, honorables sénateurs, de m’avoir écouté.

Le président : Merci, monsieur Kielburger. Nous vous sommes reconnaissants de votre témoignage.

[Français]

Je cède maintenant la parole à Mme Fournier.

Marilyne Fournier, directrice générale, Réseau de l’action bénévole du Québec : Merci de votre invitation. Nous sommes très honorés de pouvoir venir vous parler de bénévolat, mais surtout de l’impact de quelques lois ou règlements, à l’échelle provinciale ou fédérale, en ce qui a trait au domaine de l’action bénévole.

Le Réseau de l’action bénévole du Québec se compose de 26 membres. Nos membres sont des regroupements, des associations ou des fédérations qui ont une portée provinciale et qui regroupent plus de 6 000 organismes qui travaillent avec 1,2 million de bénévoles. Notre mission est de concerter les initiatives des acteurs impliqués dans l’action bénévole, de reconnaître et de valoriser l’action bénévole, et de participer au développement de l’action bénévole au Québec.

En ce sens, nous avons le mandat de jouer un rôle d’interlocuteur privilégié auprès du gouvernement du Québec pour toute question qui a trait à l’action bénévole. Nous nous sommes vu confier la Stratégie gouvernementale en action bénévole 2016-2022 sur le thème « L’action bénévole : un geste libre et engagé ». Dans le cadre de cette stratégie, nous avons pu réaliser deux sondages dont un portait sur la perception du bénévolat par les Québécois, qui malheureusement n’a pas encore été rendu public.

Toutefois, un sondage, dont nous avons publié les résultats, donnait une vue d’ensemble du bénévolat et des bénévoles au Québec, non seulement en matière de nombre, mais également sur le plan de la motivation et de l’impact sur l’entourage. Malheureusement, notre temps de présentation étant limité, je ne serai pas en mesure de vous partager beaucoup de statistiques qui sont ressorties de ce sondage. Toutefois, si vous avez un intérêt lors de la période des questions, je pourrai certainement vous en parler.

Pour aller dans le vif du sujet pour ce qui est des impacts des lois ou des règlements, nous allons porter à votre attention trois sujets. D’abord, l’obtention du statut d’organisme de bienfaisance. C’est un sujet que vous connaissez sûrement bien, ici au comité. Vous savez que le statut d’organisme de bienfaisance est très important pour les organisations qui veulent recueillir des dons. C’est aussi très important pour les bailleurs de fonds privés avant de faire un don à une organisation. Ce statut est quasi essentiel pour le développement des organismes bénévoles. Nous avons rencontré certaines problématiques à cet égard. Le délai peut être assez long, soit six mois avant que les dossiers fassent l’objet d’une analyse.

Dans un deuxième temps, nous avons remarqué qu’il y a beaucoup d’organismes de bienfaisance auxquels on a suggéré, soit avant ou après avoir fait la demande, de modifier les objets de leur incorporation et donc les lettres patentes, les règlements généraux, ceci afin d’être plus explicites sur la portée charitable de leurs activités. Évidemment, ces demandes de modification demandent de l’investissement en temps, en énergie et en argent pour les organismes, pour le personnel, mais aussi pour les bénévoles. On parle de divers frais : des frais juridiques, des frais pour faire modifier les lettres patentes, pour organiser une assemblée extraordinaire des membres. Tout cela n’est pas sans frais et le délai de 60 jours n’est pas nécessairement réaliste quand on reçoit une réponse et qu’on doit adapter certains de nos objets. En 60 jours, les organismes n’ont pas nécessairement toujours le temps de faire les démarches nécessaires pour arriver à modifier les objets de leur incorporation, notamment.

Par ailleurs, au Québec, il s’est passé quelque chose dernièrement avec le journal La Presse, que vous connaissez sûrement, et qui est devenu un OBNL. Au Réseau de l’action bénévole du Québec, nous avons deux membres communautaires chargés des médias. Ils sont préoccupés par le fait que La Presse puisse devenir un OBNL et que, avec un puissant lobby, puisse arriver à faire changer certaines règles d’attribution du statut d’organisme de bienfaisance et que, au final, un OBNL bien nanti comme La Presse qui débute avec une grande fondation soit considéré au même titre que les médias communautaires locaux bien ancrés dans leur communauté et qui doivent trouver des fonds pour continuer de fonctionner et d’offrir des services.

À cet égard, nous souhaiterions recommander que le processus d’attribution du statut d’organisme de bienfaisance puisse être revu afin de diminuer les délais. Par exemple, il pourrait y avoir une façon plus rapide pour les organismes qui sont déjà reconnus par leur gouvernement provincial comme étant un organisme qui contribue au bien commun et à l’amélioration des conditions de vie des collectivités.

Évidemment, nous souhaiterions que les demandes de modification aux objets des organismes soient évitées. C’est souvent en lien avec la question de la proportion maximum de 10 p. 100 d’activités politiques que les organismes vont devoir libeller ou revoir le fondement même de leur mission. Nous souhaiterions qu’une attention soit portée au fait que les activités politiques sont des moyens d’atteindre des fins charitables comme l’a exposé, en juillet dernier, le juge Ed Morgan, de la Cour supérieure de l’Ontario, en faveur de l’organisme Canada sans pauvreté.

Le deuxième sujet dont j’aimerais vous parler a été abordé rapidement lors de la première partie de la séance. Il s’agit de la vérification des antécédents judiciaires des bénévoles. Une question a été posée à ce sujet. La vérification des antécédents judiciaires des bénévoles est une des dix étapes de filtrage préconisées par Bénévoles Canada lorsque la tâche du bénévole le justifie.

Au Québec, le corps policier provincial, la Sûreté du Québec, est celui qui est présent dans toutes les régions du Québec et qui dessert la majeure partie de la population. En décembre 2015, une restructuration organisationnelle a fait en sorte que la Sûreté du Québec n’effectue plus de vérification d’antécédents judiciaires à des fins civiles. Cela veut dire que les organismes qui comptaient sur leurs postes de police locaux, s’ils sont de la Sûreté du Québec, ne peuvent plus compter sur la collaboration des corps policiers pour effectuer la vérification des antécédents judiciaires de leurs bénévoles. Ils doivent donc se tourner vers des entreprises privées, ce qui engendre des coûts que les organismes n’avaient pas à payer auparavant.

Par contre, la Sûreté du Québec continuera de faire la vérification des antécédents judiciaires pour les bénévoles qui travaillent auprès de personnes vulnérables. L’idée n’est pas seulement de cadrer dans la définition de personne vulnérable, l’organisme doit aussi attester un ensemble de facteurs qui fait en sorte que la personne est vulnérable au moment où elle reçoit les services des bénévoles. Ce n’est pas si évident de déterminer qui sont finalement les bénévoles qui travaillent vraiment avec des personnes vulnérables et qui peuvent donc faire l’objet d’ une vérification des antécédents judiciaires par la Sûreté du Québec.

La raison pour laquelle la Sûreté du Québec continue de faire ces vérifications des antécédents judiciaires des bénévoles qui travaillent auprès des personnes vulnérables, c’est qu’il y a seulement un corps de police qui peut vérifier les empêchements. Il y a, bien sûr, le casier judiciaire, mais il y a aussi tous les empêchements qui ne sortiront pas nécessairement lors de la vérification d’un casier judiciaire. C’est ce qu’on vérifie pour ce qui est des personnes vulnérables. Ici, on voit un illogisme, dans le sens où la Sûreté du Québec est le corps de police provinciale au Québec. Le gouvernement du Québec conclut des ententes avec des organisations qui travaillent avec des bénévoles, leur demande absolument de faire la vérification des antécédents judiciaires de leurs bénévoles. Toutefois, si ces tâches ne cadrent pas dans la définition du travail effectué auprès de personnes vulnérables de la Sûreté du Québec, elles ne peuvent pas être vérifiées par leur corps de police. Cela revient donc à engendrer des coûts pour vérifier les antécédents judiciaires des bénévoles, pour répondre à une exigence d’un programme gouvernemental, sans avoir de soutien financier pour effectuer ce filtrage. Évidemment, à ce moment-là, les sommes ne sont plus affectées aux services à la population. C’est un enjeu assez important au Québec pour ce qui est de l’action bénévole.

En ce sens-là, on aimerait bien qu’il y ait un service de vérification des antécédents judiciaires qui puisse être disponible soit à l’échelle provinciale ou fédérale pour l’ensemble des organisations qui travaillent avec des bénévoles. À défaut, pourquoi ne pas réfléchir à un fonds général sur le bénévolat où les organismes pourraient demander une certaine forme de remboursement pour les vérifications d’antécédents judiciaires qui auraient été faites.

Enfin, j’aimerais soulever un dernier point. Récemment, le gouvernement du Québec a entamé des procédures pour modifier la Loi sur la transparence et l’éthique en matière de lobbyisme pour y inclure l’ensemble des OBNL. Heureusement, cette modification a été abandonnée avec la fin de la séance parlementaire, mais pour nous elle aurait eu des conséquences assez importantes. Ce qu’on voit, c’est la perte de vue de la finalité des activités des OBNL; la finalité étant un intérêt collectif plutôt qu’un intérêt économique particulier. On voit aussi une lourdeur administrative pour la reddition de comptes des activités de lobbyisme effectuées par les organismes qui ne comptent souvent que sur des bénévoles pour réaliser leurs actions. Enfin, nous craignons que l’assimilation de bénévoles administrateurs au statut de lobbyistes officiels, leur attribuant les mêmes devoirs et responsabilités, puisse nuire au recrutement de nouveaux administrateurs pour siéger à différents conseils d’administration.

À ce sujet, nous rappelons l’observation de la commissaire au lobbying du Canada, Mme Nancy Bélanger, qui a statué dans une affaire qui concernait le Comité consultatif canadien sur les armes à feu que seules les personnes rémunérées pour leurs activités de représentation avec des fonctionnaires fédéraux sont considérées comme étant des lobbies. Nous recommandons aussi qu’une attention particulière soit accordée à toute démarche qui viserait à modifier des lois ou des règlements en lien avec des activités de lobbyistes. Cela permettrait d’éviter que les organismes communautaires, les organismes de bienfaisance, les regroupements, les fondations et les coalitions d’OBNL qui offrent des services à la population par l’entremise de bénévoles ne soient pas assujettis aux mêmes lois que les entreprises privées, individus ou autres OBNL en matière de lobbyisme.

Je vous remercie.

Le président : Madame Fournier, merci beaucoup.

[Traduction]

Merci aux trois témoins.

La sénatrice Omidvar : Des experts formidables. Merci pour le travail que vous faites tous.

Ma première question s’adresse à Mme Leviten-Reid. Vous avez parlé de l’effet d’entraînement du bénévolat sur les relations interpersonnelles et les amitiés. Votre recherche a-t-elle également porté sur les effets du bénévolat et des réseaux sociaux sur l’obtention d’un emploi?

Mme Leviten-Reid : Malheureusement, non. C’est une excellente question de recherche et ce serait un excellent projet de recherche.

La sénatrice Omidvar : Monsieur Kielburger, merci de votre travail sur l’entreprise sociale. Je sais que vous avez créé un certain nombre d’organisations. Votre présentation donne l’impression que le Canada est encore à l’âge des ténèbres ou à l’école primaire en matière d’entreprise sociale. Vous avez dû vous exiler aux États-Unis. Croyez-vous que d’autres pays nous devancent? Que pouvons-nous apprendre d’eux?

M. Kielburger : Je ne dirais certainement pas que nous sommes dans l’âge des ténèbres, et je vous prie de m’excuser si c’est ce que j’ai pu laisser entendre.

La sénatrice Omidvar : C’est ma façon de m’exprimer.

M. Kielburger : Je crois assurément que nous pouvons apprendre d’autres régions. Par exemple, le Royaume-Uni à lui seul m’a envoyé un millier d’entreprises sociales prospères.

Au Canada, les organismes de bienfaisance enregistrés ne peuvent s’engager que dans des entreprises liées à leur mission ou qui sont principalement dirigées par des bénévoles. Par exemple, un organisme de bienfaisance dont le mandat consiste à réduire la pauvreté peut exploiter un magasin de vêtements usagés, mais pas une usine de recyclage ni utiliser les profits de cette usine pour financer son travail. Les fondations privées au Canada ne peuvent pas mener à bien des activités essentielles.

L’Agence du revenu du Canada a récemment statué que les organismes sans but lucratif ne peuvent pas générer intentionnellement des revenus excédentaires et les conserver en vertu de la loi de l’impôt dans un cadre sans but lucratif. S’ils gagnent des revenus supérieurs à leurs coûts, ils ont droit à l’exonération fiscale seulement s’ils les gagnent accidentellement ou par hasard.

Le défi propre au secteur de la bienfaisance consiste à créer d’autres sources de revenus et/ou de pouvoir conserver les revenus générés par les activités qui rapportent des revenus afin que nous puissions constituer des réserves non attribuées, l’équivalent d’un capital, pour obtenir des prêts, par exemple, des banques afin de poursuivre notre mission.

Le secteur canadien de l’entreprise sociale est dynamique. Il y a des possibilités d’amélioration continue grâce à un cadre législatif pour évoluer et continuer d’appuyer ce cadre.

La sénatrice Omidvar : Merci.

Madame Fournier, comme mon français n’est certainement pas assez bon pour vous poser une question dans cette langue, je vais la poser en anglais. Quelle est la loi fédérale actuelle qui couvre le lobbying par les organismes de bienfaisance, les fédérations, et ainsi de suite? Sont-ils tenus de s’enregistrer comme lobbyistes à ce stade-ci? Certains d’entre eux pourraient bien être payés pour le faire, comme le YMCA, par exemple, qui a un siège social ici et un responsable des relations gouvernementales.

[Français]

Mme Fournier : Je ne crois pas. Malheureusement, je ne suis pas au fait de ce qui passe à l’échelon fédéral en ce qui concerne la Loi sur le lobbying. Je crois qu’au Canada, ce n’est pas le cas pour les organismes de bienfaisance qui travaillent avec des bénévoles. C’est une impression. Malheureusement, je ne sais pas pour ce qui est du Canada.

La sénatrice Miville-Dechêne : Merci à vous trois pour vos présentations. J’adresserai mes questions à Mme Marilyne Fournier. Vous avez parlé d’un fonds général sur le bénévolat, qui serait une idée pour le gouvernement fédéral. Je suis un peu intriguée par cette question des vérifications policières qui vous coûtent cher. Est-ce que le Québec est la seule province où la Sûreté du Québec ne fait pas ces vérifications auprès des organismes?

Mme Fournier : C’est une nouvelle directive qui existe depuis 2015. La directive s’adresse à tous les postes de police de la Sûreté du Québec.

La sénatrice Miville-Dechêne : Est-ce qu’ailleurs c’est différent?

Mme Fournier : À l’heure actuelle, il n’y a pas d’uniformité en matière de vérification des antécédents judiciaires des bénévoles au Canada. C’est ce qu’on a constaté, qu’il s’agisse de la personne ou de l’organisme à qui l’information est transmise, de ce qui est donné comme information et de ce qui a été divulgué ou non dans le dossier de la personne. C’est très disparate. À ma connaissance, la majorité des corps policiers provinciaux le font encore. Un comité national a été mis sur pied de concert avec différents représentants de corps policiers. On verra si les vérifications des antécédents judiciaires à des fins civiles seront encore faites ou non par des corps policiers provinciaux.

La sénatrice Miville-Dechêne : Je vous poserai une question plus générale sur les tendances au Québec. Au Canada, les bénévoles donnent moins d’heures en bénévolat qu’auparavant. Est-ce la même tendance au Québec? Est-ce que vous, en tant qu’organisme, vous pensez à des façons ou des solutions pour essayer de changer la tendance?

Mme Fournier : Nous avons réalisé un sondage en 2017 qui révélait que 38 p. 100 des Québécois font du bénévolat auprès d’organismes. C’est un peu plus élevé que les dernières données de Statistique Canada. On a l’impression que peut-être que le taux de bénévolat augmente légèrement. De quelle façon pourrait-on mieux soutenir ou inciter les gens à s’impliquer bénévolement? Il y a beaucoup de démystification à faire autour du bénévolat. Les gens ont l’impression que ça prend beaucoup de temps pour faire du bénévolat alors que la moyenne mensuelle d’heures données à un organisme au Québec est de 11 heures par mois. Ce n’est pas 11 heures par semaine. Il y a beaucoup de choses à démystifier.

Également, les organisations pourraient être mieux soutenues par leur gouvernement provincial et fédéral. On pourrait mieux former les travailleurs et les gens qui s’impliquent auprès des bénévoles afin d’assurer une meilleure rétention de ces derniers. Il faut tenir compte du recrutement de nouveaux bénévoles, mais il faut aussi savoir comment les garder intéressés et motivés à l’intérieur de nos organisations.

La sénatrice Miville-Dechêne : Alors, comment mieux les soutenir à l’échelon fédéral? On est ici à Ottawa. Que pourrait faire le gouvernement fédéral pour mieux soutenir le bénévolat?

Mme Fournier : On a parlé d’un fonds général où les organismes pourraient se voir rembourser la vérification des antécédents judiciaires. Pourquoi ce même fonds ne pourrait-il pas aussi servir aux organismes qui veulent pousser la formation de leurs intervenants auprès des bénévoles? Ils pourraient aussi se faire rembourser certains frais de formation à l’intention des superviseurs de bénévoles. Cela pourrait être aussi un exemple.

Comment mieux soutenir la promotion et la valorisation du bénévolat. Il y a Bénévoles Canada pour le Canada et le Réseau de l’action bénévole du Québec qui ont pour mission de valoriser et de faire connaître l’action bénévole. Un meilleur soutien financier à ces organismes pourrait favoriser une meilleure promotion et une meilleure valorisation de l’action bénévole.

La sénatrice Miville-Dechêne : Merci.

[Traduction]

La sénatrice Martin : Merci à tous nos témoins.

Monsieur Kielburger, comme j’aime beaucoup le travail que vous faites auprès de nos jeunes, je suis très heureux de vous entendre ce soir. J’ai tellement de questions sur l’entreprise sociale parce que je connais des gens qui font un si bon travail au Canada. Aux États-Unis, le gouvernement appuie-t-il l’entreprise sociale avec un tel fonds? Est-ce que cela existe?

M. Kielburger : Non, pas aux États-Unis à ma connaissance. Nous pouvons nous tourner vers l’Europe pour trouver de bien meilleurs exemples. Plusieurs pays européens ont des fonds qui ont été établis.

Essentiellement, il faut d’abord établir un cadre législatif, puis nous voyons habituellement les fonds qui suivent. Ce que je veux dire par là, c’est qu’il est structurellement très difficile pour les organismes sans but lucratif d’avoir accès à ces fonds. Il est structurellement difficile au Canada de bâtir une entreprise viable au sein d’une structure sans but lucratif en raison de la façon dont la loi est en place. Comme je l’ai mentionné, un organisme de bienfaisance ne peut pas générer des recettes intentionnelles en sus des fonds pour l’entité en soi. Pour établir le type de structure de financement que nous voyons au Royaume-Uni ou dans certaines régions d’Europe, il faut d’abord que la loi soit en place, puis les systèmes suivent.

Le Royaume-Uni a un modèle intéressant de partenariat public-privé. Big Change est une organisation à laquelle la famille Branson, Sir Richard Branson, a beaucoup participé. Cette organisation a travaillé activement à un certain nombre d’entreprises intéressantes au Royaume-Uni, par exemple, The Clink, une entité établie dans les prisons du Royaume-Uni. L’on a établi des restaurants où les détenus servent les repas dans des prisons à sécurité moyenne et faible. Le gouvernement a fourni une partie du capital de démarrage dans le cadre d’un fonds auquel on a eu accès. La mission consistait à réduire les taux de récidive tout en créant une source de revenus durable pour soutenir cette entité à mission sociale.

Les entités de ce genre qui existent actuellement au Canada seraient difficiles à exploiter sur le plan législatif, alors, l’on se demande si c’est l’œuf ou la poule; d’abord, la structure juridique doit venir et ensuite, les fonds seraient extrêmement bénéfiques dans ce pays.

La sénatrice Martin : Les lois peuvent souvent prendre beaucoup de temps à suivre. Cela dépend de la volonté du gouvernement en place et des législateurs concernés. Je suis heureux que vous ayez mentionné Richard Branson. C’est un homme d’affaires très prospère. Je m’interrogeais sur le rôle des entreprises canadiennes avant l’adoption de la loi, que nous pouvons adopter, mais aussi sur le rôle des entreprises canadiennes dans le soutien des entreprises sociales.

M. Kielburger : Tout à fait. Les entreprises canadiennes peuvent appuyer l’entreprise sociale dans le cadre de la structure actuelle, qui est souvent une entité à but lucratif distincte sur le plan juridique et qui appartient entièrement à un organisme sans but lucratif ou qui fait partie d’une structure hiérarchique. Par exemple, nous pouvons compter sur le soutien du Conseil canadien des affaires — nous lui sommes reconnaissants de son soutien de base, offert par les PDG de certaines des plus grandes sociétés du pays. Nous sommes reconnaissants de l’appui d’entités comme KPMG, qui est un chef de file au Canada, par l’entremise de son équipe d’innovation sociale. Ils ont participé activement pro bono au soutien des entreprises sociales au pays.

Il y a une occasion extraordinaire dans les domaines de l’approvisionnement, du détachement et du mentorat, ou dans le soutien structurel organisationnel que les entreprises canadiennes peuvent offrir. Lorsque des entités réussissent dans notre pays, c’est parce qu’elles ont réussi à établir ce genre de partenariats formidables et mutuellement avantageux. Dans le cas de notre entreprise sociale, nous offrons des services rémunérés à l’acte à un certain nombre des plus grandes entreprises du Canada, et elles offrent pro bono un soutien en nature qui appuie de façon exponentielle la croissance de notre organisation.

La sénatrice Martin : L’autre chose qui m’inquiète dans tout cela, c’est qu’en ce qui concerne le secteur de la bienfaisance, parmi les grands organismes et les particuliers qui lancent des entreprises sociales, il y a de grands groupes qui réussissent, mais aussi des petits groupes et entités communautaires qui ont vraiment besoin de ce renforcement. Dans le cas du Fonds d’innovation sociale, avez-vous des conseils ou des recommandations à faire pour que tout le monde, y compris les petits groupes, en bénéficie? Ce serait très concurrentiel. Vous avez beaucoup de succès dans ce que vous avez fait, mais nous avons entendu parler d’organismes de bienfaisance et d’organisations qui travaillent très fort et qui, même avec le financement des programmes en place, ont beaucoup de difficulté à avoir accès à ces fonds. Je ne sais pas si vous avez quelque chose à dire au sujet de l’accessibilité à tous.

M. Kielburger : Tout à fait. Je comprends l’essence de votre question. Je suis avec vous. Chaque année, des centaines de jeunes communiquent avec nous afin de réaliser leur rêve d’établir une entreprise sociale. Dans l’écosystème nécessaire, il y a le cadre législatif qui s’impose et il y a les fonds nécessaires, mais il y a aussi un rôle continu pour les organismes sans but lucratif comme le nôtre et d’autres afin de renforcer la capacité des particuliers de s’épanouir dans le domaine de l’entreprise sociale.

Voici un exemple concret : nous entreprenons un projet avec Shawn Atleo, l’ancien chef de l’APN, afin de renforcer la capacité qu’ont les communautés autochtones d’établir, pour produire de l’énergie dans les collectivités du Nord, des éoliennes qui génèrent des profits, qui protègent notre environnement et qui soutiennent la croissance économique générale en procurant une source d’énergie stable. C’est une initiative des communautés locales qui lui a été soumise. Ce n’était pas une simple difficulté d’accès au capital qui faisait obstacle, mais plutôt un problème de capacité humaine. L’offre humble que nous pouvons essayer de faire à ce sujet, encore une fois, est le centre que nous cherchons à établir, qui fournirait 75 p. 100 des espaces aux populations marginalisées pour leur offrir ce soutien.

Donc, si le gouvernement est disposé à fournir un soutien dans le cadre législatif et dans le cadre de l’accès au capital — et, soit dit en passant, si je peux me permettre de le dire humblement, entre ces deux demandes, le cadre législatif est beaucoup plus important —, mais si le gouvernement est prêt à s’occuper de ces deux aspects, il y a une exigence pour des groupes comme le nôtre, les universités, les associations autochtones et d’autres qui doivent aider à renforcer la capacité de veiller à ce que les populations historiquement marginalisées — les néo-Canadiens, les communautés autochtones, et ainsi de suite — aient un accès égal à ces possibilités et la capacité de réussir dans ce domaine.

Le secteur à but lucratif, comme nous le savons tous, n’a pas créé suffisamment de possibilités d’entrepreneuriat aux fins de la création d’emplois pour les populations marginalisées. C’est pourquoi il y a une occasion inespérée et inexploitée dans le milieu de l’entreprise sociale de créer des règles du jeu plus équitables.

[Français]

Le sénateur Maltais : Je remercie Mme Fournier d’être présente et de nous avoir fait parvenir son mémoire. J’ai eu le temps de le consulter. Il est très bien fait et très articulé. Vous êtes allée en profondeur.

Avant de commencer, j’aimerais me différencier des propos de notre témoin qui confond les chantiers d’économie sociale et le bénévolat. L’économie sociale est rémunérée et le bénévolat ne l’est pas. Je crois qu’il faut parfois « descendre sur le plancher des vaches », comme on dit chez nous, descendre de son piédestal de l’université et aller voir ce qui se passe au sein de la population. Pour avoir été député pendant de très nombreuses années, madame Fournier, j’ai souvent travaillé auprès des gens démunis, auprès d’organismes qui n’ont pas de revenus. Je n’ai pas vu, par exemple, la maison des femmes dans votre mémoire, mais vous y avez touché différemment. Je viens d’une région éloignée, la Côte-Nord, et vous, de l’Abitibi. Vous savez de quels problèmes je parle.

La Sûreté du Québec a refusé de faire enquête sur les antécédents judiciaires des bénévoles, ce qui n’est pas acceptable. Vous devriez, à cette étape-ci de la campagne électorale, interpeller les quatre candidats au poste de premier ministre.

Mme Fournier : La Fédération des centres d’action bénévole du Québec est très active pour faire des revendications auprès des différents chefs de parti. Cela dit, il faut savoir que le Réseau d’action bénévole travaille avec le ministère de la Sécurité publique pour définir ce qu’est du bénévolat auprès des personnes vulnérables. Il ne s’agit pas seulement de la caractéristique de la personne. La tâche doit, en elle-même, représenter une certaine vulnérabilité. Je vous disais plus tôt que le bénévolat est méconnu. Il l’est à différents niveaux. Il reste du travail à faire de ce côté.

Le sénateur Maltais : Avec tout ce qui se passe dans la société, il est normal que les personnes qui ont une autorité sur des personnes en difficulté soient « clean », comme on dit en bon québécois.

Mme Fournier : Nous sommes 6 000 organismes membres du Réseau de l’action bénévole du Québec à être d’accord avec vous, sénateur Maltais.

Le sénateur Maltais : Dans votre mémoire, madame Fournier, vous dites que les règles actuelles limitent la reconnaissance de plusieurs organismes du fait que leurs activités sont à saveur politique. Pouvez-vous préciser vos propos?

Mme Fournier : En fait, l’Agence du revenu du Canada, dans les critères d’attribution pour l’organisme de bienfaisance, exige un maximum de 10 p. 100 d’activités politiques exercées par les organismes. Donc, si on démontre que nous faisons des représentations pour plus de 10 p. 100 de notre temps et de nos ressources, on peut soit perdre notre statut d’organisme de bienfaisance ou ne pas se voir octroyer ce statut d’organisme de bienfaisance. Alors que pour nous, les activités politiques que nous faisons au niveau des organismes communautaires et des organismes bénévoles, ce n’est pas pour un intérêt pécuniaire ou particulier, c’est pour la collectivité. Nous étions très heureux du jugement rendu par le juge de l’Ontario pour Canada sans pauvreté qui statuait que, effectivement, les activités politiques doivent être considérées dans leur but ultime, soit l’amélioration des conditions de vie.

Le sénateur Maltais : J’aimerais revenir à votre sondage. Les gens qui font du bénévolat ont différentes raisons de le faire.

Mme Fournier : Oui.

Le sénateur Maltais : Vous en énumérez quelques-unes. Dans les petites communautés, dans les petites paroisses de 400 ou 500 personnes, il est plutôt difficile de recruter des bénévoles. Comme vous le savez, ce sont toujours les mêmes. Comment pouvez-vous attirer de nouvelles personnes, en particulier les jeunes? Les jeunes, s’ils sont bien encadrés, avec des objectifs précis, deviendront des bénévoles de qualité. Avez-vous un truc pour les attirer?

Mme Fournier : Je pourrais vous en parler pendant des heures. Les organismes doivent s’adapter aux nouvelles réalités du bénévolat. Que ce soit dans les petits ou dans les grands milieux, les bénévoles ne voudront plus s’engager pendant 15 heures par semaine. Il faut favoriser le bénévolat à la maison. Désormais, le bénévolat se fera surtout pour servir des causes et des intérêts. Ce n’est plus une question de déplacements. Il faut tenir compte de cet aspect avec l’arrivée des nouvelles technologies. Le but est de faire en sorte que les organismes puissent s’adapter aux nouvelles réalités du bénévolat.

On constate que les gens commencent à faire du bénévolat pour des raisons très intrinsèques, par pur plaisir, par intérêt pour une cause particulière, pour socialiser et pour développer un sentiment d’appartenance. Par la suite, quand on leur demande pourquoi ils veulent continuer à s’impliquer comme bénévole, ils répondent qu’ils veulent apporter leur contribution à leur communauté et mettre à profit leurs compétences.

Dans les régions éloignées, les gens s’impliquent d’abord et avant tout pour socialiser et pour créer un réseau, ce qui n’est pas le cas dans les grands centres. Le sondage réalisé au Québec a été décanté en 17 rapports pour chacune des régions administratives du Québec. Lorsqu’on regarde l’Abitibi, le Saguenay et la Côte-Nord, on constate que la socialisation arrive en premier lieu.

[Traduction]

La sénatrice Seidman : Merci à tous pour vos exposés.

J’aimerais poser une question plus générale sur les principes fondamentaux. Si je regarde le rapport de Statistique Canada de 2004 à 2013, qui est le plus récent que j’ai trouvé sur le bénévolat, il y a une distinction très nette, et nous savons tous qu’il y a une grande différence entre le bénévolat encadré et les activités informelles ou d’aide non encadrées. Il faut faire cette distinction et y réfléchir. Si vous regardez les activités d’aide directe ou le bénévolat non encadré, 82 p. 100 des Canadiens de 15 ans et plus disent aider directement les gens, même si le bénévolat encadré semble diminuer. Par exemple, les jeunes font plus souvent du bénévolat non encadré, et ils déclarent dans une mesure — 91 p. 100 d’entre eux indiquent qu’ils fournissent de l’aide directement.

Donc, si c’est le cas, et vous pourriez contester cela — et j’aimerais commencer par M. Kielburger, parce que vous vous intéressez beaucoup aux jeunes, et c’est une question importante pour les jeunes. Si le bénévolat non encadré est si courant, comment pourrions-nous en profiter? Comment pouvons-nous canaliser le fait que les gens s’engagent dans des activités informelles de prestation de soins? Comment pouvons-nous relier cela au secteur plus encadré et l’enrichir, puis aider les jeunes à contribuer et à avoir une attitude plus durable à l’égard du bénévolat? Je pense que c’est l’essentiel. S’il est si gratifiant à un jeune âge de faire du bénévolat, comment canalisez-vous cette activité et comment l’utilisez-vous pour amener les gens à faire du bénévolat toute leur vie? Désolée, c’est une longue question.

M. Kielburger : Je ferai de mon mieux pour répondre à cette question très réfléchie. J’aimerais répondre en deux parties, si vous me le permettez.

J’ai bien aimé votre question parce que je pense que les jeunes font face à un défi unique en matière de bénévolat encadré. Honnêtement, la plupart des organisations appliquent des restrictions fondées sur des préoccupations en matière de responsabilité ou d’autres facteurs qui limitent la capacité d’un jeune de faire du bénévolat. Pour ceux qui n’appliquent pas ces restrictions, les jeunes sont souvent traités comme des bénévoles de second ordre. On leur confie les menus travaux sans importance.

Pour répondre au cœur de votre question, la deuxième partie sur la façon de profiter de ce mouvement, permettez-moi de vous parler de quelque chose que nous avons fait aux États-Unis. Il s’agit du volet non social de notre travail où nous avons créé un partenariat avec le conseil des collèges aux États-Unis. Si vous ne connaissez pas le conseil des collèges aux États-Unis, c’est l’association nord-américaine de tous les collèges et universités. Ils administrent, par exemple, les cours d’admission dans les collèges américains et les cours d’équivalence.

Ils ont constaté que la meilleure façon de permettre aux étudiants d’atteindre leurs objectifs consistait à leur offrir un cadre de service, où ils suivaient le cours fondamental que chaque étudiant devait apprendre à l’école, ces cours d’équivalence — en fait, ils pouvaient choisir d’apprendre à l’école et ils ont choisi ces cours d’équivalence — et le cours était offert dans un cadre de service. L’informatique, par exemple, était enseignée en codant pour les organismes sans but lucratif. La biologie était enseignée en testant la qualité de l’eau dans la collectivité. L’espagnol était enseigné en travaillant avec un nouvel immigrant à remplir des formulaires gouvernementaux. Donc, la façon dont ils ont structuré le bénévolat consistait à tirer parti des écoles, des milliards de dollars qui sont dépensés dans l’infrastructure de l’enseignement et l’infrastructure matérielle — vous n’avez donc pas à payer ou à fournir des ressources supplémentaires pour cela — et ils ont tiré parti du programme scolaire en intégrant l’apprentissage axé sur les services afin que les étudiants atteignent leurs objectifs de base, mais de cette façon structurée.

Un des distingués sénateurs a posé une question au sujet des emplois. Ils ont constaté que cela était reconnu dans les relevés lorsque des étudiants faisaient une demande « magna cum laude » ou « summa cum laude », lorsqu’ils faisaient une demande dans des collèges ou des universités ou en milieu de travail, parce que c’était une désignation reconnue, vérifiée par les enseignants, que les étudiants avaient offert un certain niveau de services. Les étudiants ont besoin d’une récompense structurelle, avec des insignes et d’autres désignations en milieu de travail, pour souligner les services effectués.

En résumé, je pense que c’est une occasion très intéressante et, en toute humilité, je serais heureux d’échanger en tout temps à ce sujet parce que c’est une question qui me passionne personnellement.

Le président : Merci. Madame Leviten-Reid, avez-vous un commentaire?

Mme Leviten-Reid : Je peux répondre à cette question également?

Le président : Allez-y.

Mme Leviten-Reid : Merci. Je tiens à vous faire remarquer qu’avec les données de l’enquête sur le bénévolat, les dons et la participation, il y a plus de jeunes qui font du bénévolat que de personnes âgées. Vous êtes plus susceptible de faire du bénévolat si vous avez entre 15 et 19 ans, je crois. C’est simplement que les bénévoles plus âgés font plus d’heures que les plus jeunes.

Il y a aussi quelque chose de très convaincant dans ces données. Si vous regardez les raisons pour lesquelles les gens ne font pas de bénévolat, et je ne me souviens pas quand c’est ventilé par âge, mais environ 50 p. 100 des répondants disent qu’ils ne font pas de bénévolat parce qu’on ne leur demande pas. Comment pouvons-nous demander à plus de gens de faire du bénévolat?

Je tiens également à souligner qu’il y a un lien entre le fait de s’impliquer plus tôt dans la vie et le fait de continuer à faire du bénévolat quand on est plus âgé. Cette participation peut en fait être le genre d’apprentissage lié aux services qui a été mentionné précédemment. Il peut aussi s’agir du bénévolat obligatoire que doivent faire certains élèves du secondaire au Canada. Je sais que certaines personnes ne sont pas d’accord avec cette approche, mais même avec le bénévolat obligatoire, les preuves sont mitigées, mais cela ne dissuade pas nécessairement les gens de faire du bénévolat plus tard dans la vie.

[Français]

Mme Fournier : Si nous revenons à la question : qu’est-ce que le bénévolat? Le bénévolat informel nous interpelle beaucoup depuis les derniers mois parce que l’entraide et la solidarité sont des concepts assez vastes. Est-ce que tout geste que je pose gratuitement sans obligation devrait être considéré comme du bénévolat? C’est la grande question. Selon les statistiques, les jeunes s’impliquent beaucoup. Je vais reprendre l’exemple de ma collègue.

À partir du moment où il est obligatoire de faire une participation citoyenne ou une contribution communautaire pour obtenir un diplôme, nous ne sommes plus dans le volontariat. On perd un peu le sens du bénévolat. À long terme, il faut démontrer si ces obligations d’implication sociale feront en sorte que les gens ayant obtenu leur diplôme il y a 10 ou 15 ans ont plus tendance à faire du bénévolat. Au Québec, on n’a pas encore trouvé d’études à ce sujet. On voudrait bien, ici au Québec, se pencher là-dessus au cours des prochaines années.

Les derniers sondages menés au Québec auprès de 2 200 jeunes bénévoles révèlent que 88 p. 100 des jeunes de moins de 35 ans estiment que le bénévolat a augmenté leurs compétences; 55 p. 100 des jeunes de moins de 35 ans ont été mis en lien avec des employeurs potentiels grâce à leur bénévolat — 50 p. 100 des jeunes bénévoles, c’est beaucoup — et 38 p. 100 des jeunes de moins de 35 ans ont trouvé un emploi grâce à leur bénévolat. Donc, le bénévolat comme tremplin à l’emploi est une façon réelle d’attirer les jeunes et de remettre en perspective l’augmentation des compétences, le bénévolat et la possibilité de trouver un emploi, ce qui est très intéressant.

D’après notre dernier sondage, 47 p. 100 des bénévoles ont vu leurs parents faire du bénévolat. Donc, si on veut que nos jeunes en fassent autant, il faut montrer l’exemple. Pour vous donner un aperçu, 30 p. 100 des non-bénévoles ont dit avoir vu leurs parents s’impliquer comme bénévoles. C’est le concept « donner au suivant » qui refait surface quand on voit des proches s’impliquer bénévolement.

Le président : Merci beaucoup.

[Traduction]

La sénatrice Omidvar : Ma question sera brève. Elle s’adresse à M. Kielburger. Bonne chance à vous et à nous aux Nations Unies. Vous avez parlé très précisément de la mise en place d’un écosystème d’entreprise sociale. Vous avez plaidé avec vigueur en faveur d’un cadre réglementaire. Premièrement, je ne sais pas si vous avez lu l’étude du Sénat sur la finance sociale. Pourriez-vous nous parler d’autres aspects de l’écosystème. Qu’est-ce qu’il faut d’autre pour faire passer les leviers accidentels à des mesures ciblées et stratégiques, en dehors du cadre réglementaire?

M. Kielburger : Question réfléchie. Étant donné que nous avons tous consacré notre vie, bien que dans une période beaucoup plus courte, alors je le dis en toute humilité, à faire avancer des causes sociales, je m’en remets à vous, honorables sénateurs, qui êtes là.

La question plus générale de l’écosystème vient de l’idée du spectre. Nous avons besoin d’incubateurs et d’accélérateurs comme Mars ou CSI ou ce que nous cherchons à faire par l’intermédiaire du centre d’entrepreneuriat social. Il y a un besoin pour les acteurs eux-mêmes, les organismes sans but lucratif extraordinairement dévoués ou les jeunes passionnés qui cherchent à créer des emplois pour les populations vulnérables ou à favoriser l’inclusion financière, les produits technologiques, et ainsi de suite. Il faut que les organismes philanthropiques qui déploient des capitaux pour leurs fondations recherchent des investissements liés aux programmes qui leur permettent de le faire non pas au moyen de véhicules d’investissement traditionnels, mais en investissant dans des structures d’entreprise sociale. Le gouvernement doit établir un cadre législatif dans ce contexte.

En réponse à cette question plus générale, je pense qu’il ne manque pas de leadership extraordinairement réfléchi qui a été consacré à ce domaine. Comme vous l’avez mentionné, le Sénat a travaillé sur ce dossier. Je parle de l’un des nombreux rapports, le document d’information intitulé Groupe directeur sur la co-création d’une Stratégie d’innovation sociale et de finance sociale, qui a été publié la semaine dernière. Je ne crois pas qu’il y ait un manque de connaissances sur ce que nous devons faire. Je crois que nous avons maintenant une merveilleuse occasion devant nous, et je me réjouis que votre groupe montre la voie, et nous sommes honorés de jouer un petit rôle dans notre écosystème plus vaste.

Le président : Merci. Nous reconnaissons qu’il y a encore beaucoup de questions. Chers collègues, je pense que vous conviendrez que le groupe de témoins de ce soir a été excellent. Je tiens à remercier Mme Catherine Leviten-Reid, Mme Fournier et M. Kielburger de leur participation. Je vous encourage, si vous suivez nos activités au sein du comité, et si vous voyez quelque chose que nous avons manqué ou que vous aimeriez ajouter, à nous le signaler par l’entremise du greffier. Envoyez l’information au greffier et il nous la fera parvenir. Nous vous remercions tous d’être venus. Je vous remercie de votre présence.

Chers collègues, je demande aux membres du comité directeur de rester quelques instants pour examiner un point.

(La séance est levée.)

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