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CSSB - Comité spécial

Secteur de la bienfaisance (spécial)

 

Délibérations du Comité sénatorial spécial sur le
Secteur de la bienfaisance

Fascicule n° 10 - Témoignages du 3 décembre 2018


OTTAWA, le lundi 3 décembre 2018

Le Comité sénatorial spécial sur le secteur de la bienfaisance se réunit aujourd’hui, à 16 h 12, afin d’examiner l’impact des lois et des politiques fédérales et provinciales gouvernant les organismes de bienfaisance, les organismes à but non lucratif, les fondations et d’autres groupes similaires, et afin d’examiner l’impact du secteur volontaire au Canada.

Le sénateur Terry M. Mercer (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Je vous souhaite la bienvenue à la séance du Comité sénatorial spécial sur le secteur de la bienfaisance. Je m’appelle Terry Mercer, et je suis sénateur de la Nouvelle-Écosse et président du comité.

J’aimerais d’abord demander aux sénateurs de se présenter, en commençant par la vice-présidente.

La sénatrice Omidvar : Ratna Omidvar, sénatrice de l’Ontario.

Le sénateur D. Black : Doug Black, sénateur de l’Alberta.

Le sénateur Duffy : Mike Duffy, sénateur de l’Île-du-Prince-Édouard.

Le président : Aujourd’hui, le comité poursuivra son étude visant à examiner l’impact des lois et des politiques fédérales et provinciales gouvernant les organismes de bienfaisance, les organismes à but non lucratif, les fondations et d’autres groupes similaires, et à examiner l’impact du secteur volontaire au Canada.

Au cours de la présente séance, nous mettrons l’accent sur les activités politiques et le militantisme liés aux organismes de bienfaisance et aux organisations sans but lucratif.

En ce qui concerne nos témoins, nous accueillons deux représentantes de Canada Sans Pauvreté, à savoir Mme Harriett McLachlan, directrice adjointe, et Mme Michèle Biss, coordonnatrice de l’éducation juridique et de la mobilisation communautaire. Nous recevons également des représentantes de l’Association du Barreau canadien, à savoir Mme Karen Cooper, membre des organismes de bienfaisance et à but non lucratif,, et Mme Gaylene Schellenberg, avocate, Législation et réforme du droit. Je vous remercie d’avoir accepté notre invitation.

J’inviterais maintenant les témoins à faire leurs exposés. Conformément à nos directives, je vous rappelle que vous disposez de cinq à sept minutes pour vos exposés. À la suite de ces exposés, les témoins répondront aux questions des sénateurs. Les questions et les réponses devraient être concises afin que nous puissions poser le plus grand nombre possible de questions.

Qui mènera la charge aujourd’hui? Madame McLachlan, veuillez commencer.

Harriett McLachlan, directrice adjointe, Canada Sans Pauvreté : Bonjour. Je vous remercie de l’occasion qui m’est donnée de m’adresser à votre comité. Je m’appelle Harriett McLachlan, et je suis directrice adjointe à Canada Sans Pauvreté (CSP). Je suis accompagnée aujourd’hui par la coordonnatrice de l’éducation juridique et de la mobilisation communautaire à CSP, Mme Michèle Biss.

CSP, anciennement connu sous le nom d’ONAP, est un organisme de bienfaisance non partisan et sans but lucratif qui vise à mettre un terme à la pauvreté au Canada. Depuis près de 50 ans, CSP défend les droits de la personne des gens qui vivent dans la pauvreté. Depuis sa fondation, il est gouverné par un conseil d’administration composé entièrement de gens qui ont fait l’expérience de la pauvreté. Votre comité devrait savoir que, même si je suis une professionnelle formée, j’ai vécu dans la pauvreté pendant près de 35 ans, dont 19 années en tant que chef de famille monoparentale.

CSP aborde la question de la pauvreté en soutenant qu’à titre de pays signataire des Objectifs de développement durable, du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et d’autres traités ou accords en matière de droits de la personne, le Canada est tenu de respecter les droits de la personne liés au logement, à l’alimentation, au travail, à la santé et à un niveau de vie adéquat, en vertu du droit international des droits de la personne.

Michèle Biss, coordonnatrice de l’éducation juridique et de la mobilisation communautaire, Canada Sans Pauvreté : En tant que membres du comité, vous êtes sans doute conscients qu’en juillet 2018, le juge Morgan de la Cour supérieure de justice de l’Ontario nous a donné raison dans l’affaire Canada Sans Pauvreté c. Procureur général du Canada qui conteste le paragraphe 149.1(6.2) de la Loi de l’impôt sur le revenu.

Dans le cadre de cette affaire, nous avons soutenu que les restrictions relatives aux activités politiques limitaient notre capacité de dialoguer avec nos membres et avec le public en vue de mener à bien notre objectif de bienfaisance, qui consiste à soulager la pauvreté. Nous avons fait valoir que les dispositions en question empêchaient les gens qui vivent dans la pauvreté de faire part de leurs expériences, de déterminer les causes de la pauvreté et de faire la promotion de recommandations en ce qui concerne les changements qui doivent être apportés aux lois, aux politiques et aux programmes afin d’atténuer la pauvreté.

Le juge Morgan a appuyé notre point de vue et a déclaré dans sa décision que, contrairement aux anciens modèles fondés sur des hospices et des soupes populaires, le travail que CSP accomplit en vue d’atténuer la pauvreté, en échangeant des idées, en provoquant des changements d’attitude et en nouant un dialogue au sujet des politiques publiques, est nécessaire pour atteindre son objectif.

Il a déterminé que le paragraphe 149.1(6.2) de la Loi de l’impôt sur le revenu constituait une violation de l’article 2b) de la Charte des droits et libertés, en vertu de la liberté d’expression, et qu’une telle disposition n’était pas raisonnablement justifiée au sein d’une société démocratique. Il a donc déclaré que les restrictions relatives aux activités politiques non partisanes étaient inopérantes et qu’il fallait dorénavant comprendre que les activités de bienfaisance englobaient des activités politiques non partisanes visant la réalisation d’un objectif de bienfaisance.

Comme nous l’avons indiqué dans le mémoire que nous avons présenté au Comité permanent des finances, nous appuyons les dispositions de la partie 1 du projet de loi C-86, étant donné qu’elles cadrent avec l’ordonnance du juge Morgan. Elles concordent aussi avec la recommandation 3 du Groupe de consultation sur les activités politiques des organismes de bienfaisance, ainsi qu’avec les observations finales formulées par le Comité des droits de l’homme des Nations Unies en 2015.

Un document d’information produit par le ministère des Finances explique que les nouvelles dispositions législatives permettront aux organismes de bienfaisance, comme CSP, de consacrer du temps et des ressources illimités à l’établissement de dialogues sur les politiques publiques et à l’élaboration de ces politiques en vue d’atteindre leur objectif en matière d’atténuation de la pauvreté.

Dans certains des témoignages entendus par votre comité et dans certains des discours publics portant sur cet enjeu, on a laissé entendre que la décision du juge Morgan permettrait à un grand nombre d’organisations politiques et d’organismes sans vocation politique de bienfaisance de s’enregistrer comme des organismes caritatifs. Or, rien n’est plus faux.

Nous insistons sur le fait que les changements apportés par le projet de loi C-86 et la décision du juge Morgan ne permettent en aucun cas à des groupes sans vocation de bienfaisance reconnue de réclamer le statut d’organisme de bienfaisance pour mener des activités politiques. Ces changements reconnaissent plutôt que la liberté d’expression et la participation à des dialogues sur les politiques publiques sont des éléments essentiels de la réalisation efficace d’objectifs de bienfaisance reconnus, comme l’atténuation de la pauvreté.

La décision du juge Morgan ne signifie pas que les entités qui n’ont qu’une seule fin politique non caritative — par exemple, comme on l’a soulevé, l’opposition au salaire minimum — pourraient être admissibles au statut d’organisme de bienfaisance.

Pour avoir droit au statut d’organisme de bienfaisance, les organismes doivent respecter les quatre volets caritatifs acceptés : le soulagement de la pauvreté, l’avancement de la religion, la promotion de l’éducation et une fin utile à la société que le droit considère comme ayant un caractère de bienfaisance.

Il est important de comprendre que CSP n’a jamais soutenu, et le juge Morgan n’a jamais statué, que la Charte exige que les gouvernements fournissent un statut d’organisme de bienfaisance pour que les organismes puissent exprimer toutes les opinions qu’ils souhaitent. Les gouvernements prennent constamment des décisions pour offrir des crédits fiscaux ou d’autres avantages à des activités expressives particulières qui sont réputées être dans l’intérêt public. CSP n’a jamais laissé entendre que la Charte empêche le gouvernement de faire cela. En fait, c’est tout à fait le contraire. Nous avons soutenu, et le juge Morgan en a convenu, que le gouvernement a le droit de décider les fins qui peuvent bénéficier du statut d’organisme de bienfaisance. Cependant, toutes les restrictions aux expressions publiques imposées par ces organismes, dont la fin a été acceptée comme étant caritative, doivent être justifiées. Le musellement du dialogue sur les politiques publiques sur des questions de pauvreté empêche des organismes de bienfaisance comme CSP d’atteindre leurs objectifs le plus efficacement possible.

Nous tenons aussi à signaler que, même si les changements apportés au projet de loi C-86 mettent essentiellement en œuvre l’ordonnance du juge Morgan, le gouvernement n’a pas encore dit avoir l’intention de retirer son appel de la décision dans l’affaireCanada Sans Pauvreté c. AG Canada et n’a pas reconnu que les restrictions au dialogue sur les politiques publiques des organismes de bienfaisance contreviennent à la Charte.

La décision du juge Morgan devrait être maintenue car elle reconnaît que la surveillance des communications et des discours des groupes membres comme notre organisme pour empêcher les gens qui vivent dans la pauvreté de recommander des changements nécessaires aux lois et aux politiques est tout simplement inacceptable dans une société libre et démocratique.

Mme McLachlan : J’aimerais prendre quelques instants pour demander au comité d’examiner ce que la question signifie pour des millions de personnes qui vivent dans la pauvreté au pays. Fondamentalement, cet enjeu nous force à considérer la question suivante : comment pouvons-nous atténuer la pauvreté au Canada? Pouvons-nous le faire exclusivement par l’entremise des services de première ligne, ce qui règle seulement les symptômes de la pauvreté? Ou devrions-nous aller plus loin et éliminer les obstacles pour nous attaquer aux causes profondes de la pauvreté et contribuer à créer des solutions fondées sur les droits de la personne?

Ce qui est essentiel à la décision du juge Morgan est la compréhension des restrictions imposées à la liberté d’expression, ce qui s’applique à toute la discrimination et à tous les préjugés entourant la pauvreté.

Nous avons entendu les opinions des membres de notre conseil d’administration, qui ont tous eu une expérience en lien avec la pauvreté, et les opinions de nombreux organismes et particuliers au pays. Cette décision, dans ce cas-ci, représente pour eux une proclamation historique de leurs luttes pour la dignité et l’inclusion. Bon nombre d’entre eux nous ont fait savoir que la reconnaissance de ce rôle important qu’assument les gens dans la pauvreté, la prise de décision et le refus de stigmatiser les activités de bienfaisance reflètent leurs expériences de la manière que peu de décisions juridiques le font.

Nous demandons à ce comité de ne pas oublier l’« effet intimidant » sur les organismes de bienfaisance dans le cadre des vérifications à grande échelle menées en 2012. En novembre 2011, Canada Sans Pauvreté était tenu de fournir à l’ARC les comptes rendus de ses réunions, les copies des échanges de courriels par le personnel, les bénévoles et les membres du conseil d’administration, toutes ses publications et toutes ses communications pendant une période de trois ans. Après son enquête, l’ARC a conclu que les membres et le personnel de CSP relevaient fréquemment des modifications devant être apportées aux lois ou aux politiques pour atténuer la pauvreté et promouvoir publiquement l’adoption d’une stratégie nationale de lutte contre la pauvreté. L’ARC a également relevé certaines activités de CSP liées à la promotion des droits de la personne et a créé un climat propice à la promotion de changements à apporter aux lois et aux politiques.

Ces activités incluaient les suivantes : premièrement, l’organisation d’un dîner où les gens qui vivent dans la pauvreté mangeaient un repas avec des parlementaires et d’autres décideurs et discutaient de leurs expériences avec la pauvreté et des moyens de lutter contre la pauvreté; deuxièmement, l’organisation de sommets où des gens vivant dans la pauvreté peuvent collaborer avec des experts des politiques sociales et des universitaires pour élaborer des recommandations pour lutter contre la pauvreté; troisièmement, un cours en ligne sur les obligations du Canada pour s’attaquer à la pauvreté en vertu des lois et des normes internationales, où les gens qui vivent dans la pauvreté pouvaient se joindre à une communauté d’apprenants pour discuter des sujets d’actualité.

Ces activités sont toutes considérées comme étant des activités politiques par l’ARC.

Notre organisme compte presque entièrement sur les dons. Nous ne pourrions fort probablement pas survivre si notre enregistrement d’organisme de bienfaisance était révoqué. Vous pouvez imaginer à quel point il était bouleversant pour nos membres et notre personnel de penser que leur voix critique dans la démocratie du Canada puisse être muselée seulement parce qu’ils avaient discuté publiquement d’idées à propos de ce que les gouvernements pourraient faire pour atténuer la pauvreté.

En fait, notre processus de vérification n’est pas officiellement terminé. À la suite de notre dernière correspondance avec l’ARC, sa décision de révoquer notre statut est en suspens, en attendant l’adoption du projet de loi C-86. Jusqu’à ce que ce projet de loi soit adopté, notre statut est à risque d’être révoqué.

Nous exhortons le comité à appuyer l’adoption du projet de loi C-86 pour affirmer l’importance cruciale de permettre aux organismes de bienfaisance comme le nôtre de participer à un dialogue sur les politiques publiques sans craindre de se faire harceler ou de perdre leur statut d’organisme de bienfaisance dans l’atteinte de notre objectif caritatif. Merci de votre temps.

Le président : Que Dieu nous préserve de rencontrer des gens pauvres. Que Dieu nous en préserve. Je suis désolé, il fallait que je fasse cette observation. Ça me choque au plus haut point.

Gaylene Schellenberg, avocate, Législation et réforme du droit, Association du Barreau canadien : Merci de l’invitation de présenter les points de vue de la Section du droit des organismes de bienfaisance et à but non lucratif de l’ABC au comité spécial sénatorial.

L’ABC est une association nationale qui représente plus de 36 000 juristes, étudiants en droit, notaires et professeurs de droit. Un important aspect de notre mandat consiste à améliorer le droit et l’administration de la justice. La section de l’ABC compte des membres de toutes les régions du Canada qui exercent le droit des organismes de bienfaisance et des organisations à but non lucratif dans des cabinets de toutes tailles, allant de grands cabinets à des juristes exerçant seuls.

Je suis accompagnée de Karen Cooper, membre de la section de l’ABC, qui présentera les enjeux importants et répondra à vos questions. Merci.

Karen Cooper, membre, Organismes de bienfaisance et à but non lucratif, Association du Barreau canadien : Merci de l’invitation à vous faire part des opinions de la Section du droit des organismes de bienfaisance et à but non lucratif de l’ABC sur la question de l’engagement politique des organismes de bienfaisance, à la lumière des travaux du comité sur le secteur caritatif et les modifications actuellement proposées à la Loi sur l’impôt sur le revenu pour permettre aux organismes de bienfaisance de participer davantage aux politiques publiques.

Je suis avocate dans le cabinet privé Drache Aptowitzer, qui se spécialise dans les organismes de bienfaisance et à but non lucratif. J’ai représenté de nombreux organismes qui ont fait l’objet de vérifications concernant leurs activités politiques. Je suis avocate fiscaliste de formation et j’ai aussi passé beaucoup de temps au ministère de la Justice et à l’ARC. J’ai travaillé de ce côté-là de la clôture. J’enseigne également un cour à la faculté de common law à l’Université d’Ottawa sur le droit des organismes de bienfaisance et à but non lucratif. J’ai la chance d’entendre chaque année les opinions des étudiants sur ces enjeux.

La section de l’ABC offre depuis longtemps ses points de vue sur l’élaboration des politiques et des lois qui touchent le secteur caritatif, y compris un mémoire à l’ARC sur les activités politiques qui remontent à 2002. On m’a rappelé qu’il y en a eu d’autres avant cela.

Plus récemment, nous avons écrit aux ministres du Revenu national et des Finances pour appuyer la participation du gouvernement par l’entremise de leurs lettres de mandat afin de passer en revue les règles qui gouvernent les activités politiques, tout en sachant que les organismes de bienfaisance contribuent grandement au débat public et aux politiques publiques. Nous avons également présenté un mémoire au groupe de consultation sur les activités politiques des organismes de bienfaisance, dans le cadre duquel nous appuyons le groupe de consultation, particulièrement à la quatrième recommandation.

Comme vous le savez sans doute, de nombreux membres de la direction de la section ont déjà comparu devant vous — Susan Manwaring, Terrance Carter, Cliff Goldfarb, Adam Aptowitzer, Robert Hayhoe, que vous entendrez après moi. Ce sont tous des membres de la direction de la section qui ont participé à l’élaboration des points de vue sur ces enjeux.

Le président : Vous auriez pu tenir une réunion de caucus par après.

Mme Cooper : Nous en avons souvent. Nous avons été inondés de courriels toute la fin de semaine.

Nous participons aux travaux de la section de l’ABC, car en tant qu’avocats qui conseillent les organismes de bienfaisance pour se conformer aux règles relatives à la défense des intérêts ou à la participation aux politiques publiques, nous avons vu l’application ou la non-application de ces règles dans la réalité sur une base régulière et continue.

Nous avons été témoins de l’effet intimidant de la participation aux politiques publiques qui a précédé les récentes réformes et avons reçu des appels de clients qui essaient de comprendre les propositions actuelles.

Dans notre lettre sur les ébauches de propositions législatives présentées avant le dépôt du projet de loi C-86, la section a clairement signifié son appui à l’approche globale des propositions, y compris l’abrogation de la limite de 10 p. 100 sur les activités politiques, la clarification selon laquelle un organisme de bienfaisance doit être constitué et exploité exclusivement à des fins de bienfaisance, si bien que le retrait du renvoi aux activités de bienfaisance est une bonne chose, à notre avis, et le maintien de l’interdiction des activités politiques partisanes. C’était également une bonne chose, selon nous.

Nous estimions que les propositions offriraient aux organismes de bienfaisance plus de liberté pour mener des activités politiques non partisanes, telles que la promotion des politiques publiques, et nous étions favorables à toutes ces mesures.

Nous avions quelques préoccupations concernant l’avant-projet de loi que le ministère des Finances a présenté initialement, et ces préoccupations persistent avec le dépôt du projet de loi C-86.

On maintient le renvoi suivant dans la définition d’œuvre de bienfaisance : « dont la totalité des ressources est consacrée à des activités de bienfaisance qu’elle mène elle-même. »

D’après mon expérience, c’est l’une des phrases les plus surutilisées et incomprises dans la loi concernant la réglementation des organismes de bienfaisance. Ce libellé a créé beaucoup d’incertitude dans le passé et perpétue de la confusion inutile concernant la distinction entre une fin et une activité qui afflige une grande partie des déclarations entourant les obligations relatives à la conformité des organismes de bienfaisance.

Si je pouvais avoir une liste de souhaits, l’expression « activité de bienfaisance » serait supprimée complètement. Je vais le répéter souvent, même si je suis une femme réaliste.

À notre avis, la définition d’un organisme de bienfaisance devrait refléter la définition de fondation de bienfaisance et ne faire aucun renvoi aux « activités de bienfaisance ».

Nous appuyons également l’interdiction raisonnable de mener des activités partisanes, mais estimons que le renvoi à l’appui indirect ou de l’opposition indirecte pose problème. Le projet de loi C-86 fait mention d’« activités directes ou indirectes de soutien ». Nous trouvons que le terme « indirectes » est problématique, car il perpétue en grande partie la subjectivité et l’incertitude qui ont créé des difficultés pour les organismes de bienfaisance dans le passé.

L’abrogation de la limite de 10 p. 100 des ressources pour les activités politiques, ce que nous appuyons, soulève la question de savoir s’il y a encore une limite sur les activités en matière de défense des intérêts et de politiques publiques d’un organisme de bienfaisance.

Nous avions des préoccupations, car en common law, l’ARC s’appuiera sur la définition en common law d’« accessoire » et déterminera arbitrairement le niveau d’activités relatives aux politiques publiques. C’est le niveau d’activités auxquelles nous pouvons participer.

À notre avis, le terme « accessoire » est vague, et il y a peu de jurisprudence issue des tribunaux canadiens qui concerne les activités politiques. La section estime que le concept d’activités secondaires élaboré par l’ARC dans le contexte de ses règles commerciales est un meilleur concept qui est plus rigoureusement défini.

C’est plus une question d’interprétation et d’application par l’ARC des changements proposés que du libellé précis de la loi modificative.

Nous avons également signalé dans notre mémoire initial présenté au comité que les règles canadiennes pour mener des activités au Canada ou ailleurs sont différentes de celles dans d’autres pays, tels que les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Australie. D’autres témoins qui ont comparu ont tenu des propos semblables. De façon générale, ces pays veillent à ce que les objectifs des organismes de bienfaisance soient favorisés.

Bien que les règles canadiennes mettent l’accent sur les activités des organismes de bienfaisance canadiens et d’autres exemples, les organismes de bienfaisance gèrent leurs propres activités, règles commerciales et règles relatives aux revenus gagnés, et cetera. Par conséquent, les organismes de bienfaisance canadiens doivent consacrer beaucoup de temps et de ressources sur la conformité plutôt que d’accomplir leur mission caritative, ce qui est moins efficace.

La modernisation et la clarification des règles canadiennes aideraient grandement les organismes de bienfaisance à se concentrer sur le bon travail qu’ils font plutôt que sur l’interprétation et l’application de règles trop complexes.

Merci encore une fois de m’avoir donné cette occasion. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.

Le président : Merci à vous tous de vos déclarations. Elles ont été très utiles. Nous allons maintenant passer aux questions.

La sénatrice Omidvar : Merci à vous tous d’être ici. Vos déclarations ont été des plus instructives.

Je pense que tous les témoins ont parlé de l’effet intimidant que la loi actuelle a eu sur le dialogue sur les politiques publiques, sur l’expression des opinions et sur la liberté d’expression. Si ce projet de loi est adopté, nous passerons de l’effet intimidant à la cacophonie, où toutes les parties du spectre politique feront entendre leurs points de vue.

Madame Biss, votre organisme fait la promotion d’une répartition plus équitable des impôts au profit des démunis. L’Institut Fraser — et je ne suis pas certaine de ce que j’avance, mais je pense que c’est le cas — fait la promotion d’une réduction des impôts.

Je veux demander à chacun de vous vos opinions sur le dynamisme de notre démocratie. Peut-elle résister à la transition d’un effet intimidant à une cacophonie? Je ne le sais pas. C’est à vous de me le dire.

Mme Biss : Je suggérerais de parler de l’effet intimidant en premier. Je vais laisser le soin à Mme McLachlan d’intervenir pour vous parler de notre expérience. Je pourrai ensuite aborder votre question.

Mme McLachlan : En ce qui concerne l’effet intimidant et ce que l’ARC s’attendait de nous, je travaille au sein de l’organisme depuis 2010, et lorsque les vérifications étaient en cours, j’étais la présidente du conseil. L’agence exigeait que l’on fournisse des copies complètes des itinéraires, des horaires, des documents présentés par les ateliers de CSP, des formulaires, des exposés, des lettres, des procès-verbaux des réunions, des courriels et des correspondances, dont bon nombre d’entre elles renfermaient des échanges personnels et privés entre des étudiants, des bénévoles, des membres du conseil d’administration et du personnel.

En tant que personne qui a vécu longtemps dans la pauvreté, j’estime que ce sont là des violations de nos droits à la liberté d’expression. C’était comme si nos efforts, notre travail, nos espoirs et nos aspirations pour apporter des changements positifs en vue d’éliminer la pauvreté s’apprêtaient à être étouffés. Cela aggravait les terribles préjugés de longue date, ce qui était tout à fait incompréhensible.

Cette situation est encore bien présente pour nous. C’est une épée de Damoclès au-dessus de nos têtes. Elle peut nous tomber sur la tête n’importe quand. Cet effet intimidant est bien présent et nous le ressentons.

Mme Biss : Pour revenir à la question de la cacophonie des voix, comme je l’ai mentionné dans notre mémoire, il est important de se rappeler que cela ne change pas quelle entité peut devenir un organisme de bienfaisance. Un organisme peut respecter ces quatre objectifs caritatifs.

Ce que cela change, c’est la capacité de nos organismes, souvent des organismes qui représentent les personnes marginalisées, de participer au discours sur les politiques publiques.

Je vais revenir sur la raison d’être des organismes de bienfaisance. Souvent, nous avons des organismes de bienfaisance dans le secteur à but non lucratif pour amplifier ces voix qui ne se font souvent pas entendre. C’est souvent les voix des personnes les plus marginalisées. Pour avoir une saine démocratie, il est important d’accorder de l’importance aux opinions des gens marginalisés.

Mme Cooper : En quelques mots, l’Association du Barreau canadien ne peut avoir de position sur la réponse à cette question.

En tant qu’avocate praticienne travaillant auprès des organismes de bienfaisance et à but non lucratif depuis plus de 20 ans, j’ai vécu l’effet intimidant. L’effet intimidant a précédé les vérifications.

Les organismes de bienfaisance dans leur ensemble sont très conservateurs — avec un petit c — dans leur approche pour conserver leur statut de bienfaisance, si bien que je ne crains pas la cacophonie. Ils protègent leur statut et respectent les règles de bonne foi dans toute la mesure du possible.

Le plus grand défi pour moi dans ma pratique consiste à expliquer, parfois, l’incompréhensible à quelqu’un qui veut respecter les règles. Je ne m’inquiète nullement d’une cacophonie.

Le sénateur Duffy : Merci beaucoup. Je suis stupéfait, et je pense que mes collègues le sont aussi, d’apprendre que l’intimidation est encore présente et que la vérification de 2011 n’est pas encore terminée. Je crois que la plupart des gens pensaient qu’après les élections de 2015, le cauchemar allait prendre fin. Vous me dites que ce n’est pas le cas?

Mme Cooper : Non.

Mme Biss : Non. Pour dire les choses simplement, non.

Comme Harriett ou moi l’avons probablement mentionné, la décision est en suspens en attendant l’adoption de la loi. Le fait que nous ayons invoqué la Charte a donné lieu à une multitude de procédures judiciaires. Dans l’état actuel des choses, l’ARC a indiqué qu’elle allait nous retirer notre statut, comme l’a mentionné Harriett. La décision est en suspens, essentiellement, jusqu’à ce que le reste ici soit décidé.

Dans notre cas, comme l’a mentionné Harriett, l’épée se trouve encore au-dessus de nos têtes.

Le sénateur Duffy : La ministre vous a-t-elle fait savoir pourquoi l’ordre n’a pas été donné au ministère de ne pas interjeter appel de la décision?

Mme Biss : Non.

Le sénateur Duffy : Avez-vous posé la question, ou est-ce incorrect d’un point de vue juridique?

Mme Biss : C’est difficile de le faire quand on est au beau milieu d’un litige. Nous n’avons rien entendu. Nous avons travaillé avec des parlementaires, de même qu’avec les autorités aux Nations Unies, pour attirer l’attention sur le problème.

Dans les observations finales du Comité des droits de la personne des Nations Unies, tout comme dans des communications du Rapporteur spécial chargé de la promotion et de la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression parues il y a quelques années, la réponse était claire. À ce jour, nous ne savons pas si l’appel sera maintenu.

Mme Cooper : Pour tout dire, l’ARC a clos les vérifications qui étaient en cours, mais il y en avait cinq...

Le sénateur Duffy : Y en avait-il plusieurs?

Mme Cooper : Les nombres vous ont déjà été présentés. Ils sont entre 20 et 30.

Le directeur général a émis un avis de révocation dans cinq cas. Les cinq ont fait appel dans le cadre du processus d’appel interne de l’ARC, et les cinq appels sont encore en cours. Personne n’a expliqué pourquoi. Il semble que ces cas ne seront pas réglés avant que la loi soit adoptée. Il n’y a aucune façon de savoir ce qu’il adviendra.

Le sénateur Duffy : Qu’en est-il des autres, à part ces cinq? Sont-ils simplement en suspens?

Mme Cooper : On a clos les autres vérifications. Il se peut qu’il y ait eu des ententes de conformité, car il y avait d’autres questions à régler dans les dossiers, ou qu’on leur ait envoyé des lettres de sensibilisation. Leurs dossiers ont simplement été clos, comme cela se fait dans le cours normal de toute vérification effectuée par l’ARC auprès d’un organisme de bienfaisance enregistré.

Le sénateur Duffy : Vous faites partie des cinq?

Mme Biss : C’est exact.

Le sénateur D. Black : Je vous remercie sincèrement d’être avec nous, et surtout, de l’important travail que vous avez choisi de faire. C’est un travail extrêmement important, et souvent méconnu. Je voulais que vous le sachiez au départ.

Je veux garder les choses aussi simples que possible. À titre d’info, je suis substitut au comité. Je n’ai pas eu la chance d’entendre les autres témoins, et je n’ai pas eu le temps de lire les comptes rendus précédents.

Si je comprends bien, à l’heure actuelle, si un organisme comme le vôtre participe à des activités que l’ARC considère comme des « activités politiques », vous perdez votre statut d’organisme de bienfaisance. Est-ce bien cela?

Mme Cooper : La règle actuelle prévoit une limite sécuritaire, c’est-à-dire que 10 p. 100 de nos ressources peuvent être consacrées à des activités politiques, à condition qu’elles ne soient pas partisanes. La loi permettrait de supprimer la limite imposée. Un organisme pourrait donc potentiellement participer à des activités politiques sans qu’il y ait de limite. Le débat porte sur ce qui suit : pourrait-on aller jusqu’à 100 p. 100? Si c’était le cas, on pourrait enfreindre les interdictions imposées aux organismes dans la common law d’agir à des fins politiques.

Mme Biss : Pour ajouter à ce que Mme Cooper vient de dire, et pour vous donner un peu de contexte, lorsque l’ARC a procédé à l’évaluation de nos activités, et cela faisait partie de la preuve divulguée dans notre affaire, elle a déterminé que 98,5 p. 100 de nos activités étaient de nature politique. Comme Harriett l’a déjà mentionné, cela comprenait des activités comme le fait d’avoir des parlementaires prendre part à un repas avec des gens qui vivent dans la pauvreté.

Le sénateur D. Black : Selon eux, au regard de la loi actuelle, cela est contraire à votre statut d’organisme de bienfaisance, et il y aurait donc un risque. Est-ce là ce que vous dites? Je veux simplement comprendre.

Mme Biss : Leur conclusion était que les activités politiques ne devaient pas dépasser 10 p. 100.

Le sénateur D. Black : Je pense que nous sommes sur la même longueur d’onde.

Le projet de loi C-86 vous rassure-t-il pour poursuivre vos activités? Je crois comprendre que vous proposez des amendements. Nous allons y venir, mais selon vous, si le projet de loi était adopté dans sa forme actuelle, est-ce que cela règle votre problème?

Mme Biss : Nous pensons que oui. Il est vraiment essentiel qu’on règle le problème dans la disposition même de la Loi de l’impôt sur le revenu, plutôt que dans le règlement.

Il est très important de souligner que nous discutons de cette situation, de cet article, mais que le juge Morgan a statué qu’il n’a aucune force exécutoire parce qu’il contrevient à la Charte et qu’il n’est pas justifié au regard de l’article premier. Nous discutons du sujet, mais selon la décision qui a été rendue dans cette affaire, il s’agit d’une violation de la Charte. Cet article de la loi ne devrait pas, techniquement, avoir force exécutoire. Il est essentiel d’en tenir compte.

Le sénateur D. Black : Si cela faisait partie intégrante de la loi, comme vous le suggérez, la décision serait validée, essentiellement, et il ne serait plus nécessaire de faire appel. Est-ce là votre point de vue?

Mme Biss : On souhaiterait que le gouvernement, à ce moment-là, ne fasse pas appel.

Toutefois, il est crucial que la décision ne soit pas prise de maintenir l’appel et aussi d’adopter le projet de loi C-86, parce qu’il est important qu’un juge ait statué qu’il s’agissait d’une violation de la Charte. L’article peut ainsi résister à l’épreuve du temps et ne pas être assujetti aux caprices politiques. On reconnaît, fondamentalement, qu’on viole ainsi le droit à la liberté d’expression, prévue dans la Charte, des gens qui vivent dans la pauvreté.

Le sénateur D. Black : J’ai bien compris. Si le projet de loi est adopté, le risque d’un appel demeure, mais ce risque est beaucoup réduit, si j’ose dire. Toutefois, il n’y a rien que nous puissions faire à ce sujet, n’est-ce pas? Est-ce là votre opinion?

Mme Biss : Au sujet de l’appel, le comité pourrait sans doute recommander que la ministre le laisse tomber.

Le sénateur D. Black : Très bien. C’est excellent.

Au sujet de vos amendements, selon vous, permettent-ils de mieux protéger les organismes de bienfaisance, ou est-ce simplement une bonne chose?

Mme Cooper : Nous, la section de l’Association du Barreau canadien, n’aurions pas fait les recommandations indiquées si nous n’avions pas eu le sentiment qu’elles étaient importantes.

Les précisions que nous demandons d’apporter et qui ont sans doute le plus d’incidence sur le manque de clarté est la mention du mot « indirect ». Si je peux me permettre d’utiliser un exemple qui revient souvent, disons que vous êtes un organisme de bienfaisance et que vous êtes au beau milieu d’une campagne. Vous avez une politique sur un sujet, n’importe lequel. Disons que vous êtes un organisme environnemental. Vous menez un programme de sensibilisation auprès de la population au sujet des véhicules électriques. Puis on entre en campagne électorale, et un parti indique dans sa plateforme qu’il accordera un crédit à l’achat d’un véhicule électrique.

Comme on parle de soutien indirect ou d’opposition à un parti politique, il y a un risque.

Votre site web ne fait nullement mention d’un parti politique, ou d’un candidat, ou de quoi que ce soit, mais comme vous avez une position similaire à ce qui se trouve dans la plateforme électorale d’un parti, le mot indirect risque de faire en sorte que vous soyez perçu comme appuyant un parti ou un candidat, ou comme vous y opposant.

Soit dit en passant, c’est une des recommandations que nous faisons qui a des répercussions concrètes sur les conseils que je donne au quotidien dans des situations réelles.

La suppression d’« activités de bienfaisance » plutôt qu’« à des fins de bienfaisance » est un vœu pieux. Les gens comprennent toujours mal la différence entre activités de bienfaisance et à des fins de bienfaisance.

C’est mon opinion personnelle sur les recommandations de ma propre section.

Le sénateur D. Black : Merci.

Le président : Ayant travaillé dans le secteur pendant plus de 40 ans, j’ai peine à imaginer une situation, dans tous les postes que j’ai occupés, où il n’a pas été question de ce qui est décrit dans « activité politique ». Dans la vraie vie, il faut interagir avec les politiciens, que ce soit à un palier de gouvernement ou à un autre. Il y a au moins trois paliers de gouvernement dans toutes les collectivités. Cela me dépasse.

Ma question, madame Biss, porte sur le travail que vous avez fait pour fournir des réponses aux questions de l’ARC. Vous avez cité divers éléments que l’ARC a demandé. Avez-vous déjà calculé ce que cela vous a coûté pour préparer l’information? Je sais que c’est un autre calcul, mais par curiosité, avez-vous déjà calculé ce qu’il vous en a coûté pour répondre à la demande de l’ARC?

Mme Biss : Le coût a été énorme. Le temps consacré à préparer la réponse, et que nous aurions pu consacrer à nos activités caritatives, est énorme.

Je vais céder la parole à Mme McLachlan pour vous en dire plus, car elle était présidente du conseil d’administration à l’époque.

Mme McLachlan : Nous sommes un tout petit organisme ayant deux employés à temps plein et deux à temps partiel, plus des bénévoles et des étudiants. À titre de présidente du conseil d’administration à l’époque, je travaillais et j’avais aussi ce poste bénévole, et il m’a fallu énormément de temps pour obtenir tous les courriels des membres du conseil pendant la période. Certains avaient quitté, d’autres étaient rendus ailleurs dans leur vie et d’autres encore avaient des problèmes de santé, et il était difficile pour eux de trouver les documents demandés. Il a fallu énormément de temps et d’énergie. J’ai travaillé en étroite collaboration avec le directeur général et les employés.

En termes de dollars, c’est difficile à évaluer. Nous consacrions notre temps à cela, et non à l’essentiel qui consiste à alléger la pauvreté et à faire avancer nos dossiers. Je ne sais pas ce que cela a coûté en termes de dollars, mais c’était énorme.

Le président : Ce serait intéressant de le savoir, mais ne faites pas les calculs, en raison du coût très important que cela représente.

Mme McLachlan : Nous n’avons pas le temps.

Le président : Je me demandais simplement si quelqu’un l’avait fait.

Le sénateur Duffy : J’aimerais poursuivre sur cette lancée, qui nous est très utile, merci.

J’ai deux points à soulever. Les baby-boomers partent à la retraite. J’ai l’impression, d’après ce que disent les démographes et les gens qui s’intéressent à la question, que de plus en plus de personnes âgées vont vivre dans la pauvreté, car nous n’avons pas bien planifié notre retraite et avons fermé les yeux sur ce qui se produit à la fin de notre vie professionnelle.

J’aimerais savoir si vous avez constaté cela dans votre travail, et si vous croyez que c’est ce qui se passe et que cela ira en empirant. Est-ce un autre sujet sur lequel vous essayez de sensibiliser les gens et les gouvernements? En d’autres mots, la pauvreté s’aggravera avant de s’améliorer en raison de la vague qui s’en vient. C’est ma question.

Mme McLachlan : C’est une question complexe, et il y a une grande variété de gens dans ce segment de la population. Je pense en particulier à un groupe de personnes au sein des organismes de bienfaisance qui travaillent sur le terrain, principalement des femmes, et qui gagnent un maigre salaire et n’ont pas d’avantages sociaux. Nous allons nous joindre à toute une génération de femmes âgées et pauvres, car beaucoup d’entre elles travaillent dans des organismes de bienfaisance communautaires pour accomplir un travail difficile et fastidieux.

Le sénateur Duffy : Certains nous ont dit qu’on devrait mettre en place un programme d’avantages sociaux. Je crois que les gens qui travaillent dans le secteur de la bienfaisance en Ontario ont un régime de retraite ou d’épargne-retraite. C’est simplement un exemple.

Mme McLachlan : J’adore les belles initiatives. J’aurais aimé qu’il en soit ainsi quand je travaillais comme professionnelle dans le secteur de la bienfaisance ou comme directrice d’un organisme de développement communautaire. J’arrivais à peine à joindre les deux bouts, et je n’avais aucune marge de manœuvre. J’ai perdu des dents parce que les besoins de mes enfants passaient avant les miens, achetant un poulet à prix réduit qui devait nous durer toute la semaine, faisant des choix impossibles entre payer l’hydro ou le loyer, et cohabitant avec des rats et de la moisissure. J’avais des collègues qui dormaient dans leur voiture, faute de pouvoir se payer un logement avec le salaire qu’ils gagnaient en travaillant pour un organisme de bienfaisance.

C’est fantastique de mettre en place des initiatives, mais ne nous y méprenons pas : il n’est pas réaliste de demander à des gens pauvres qui n’arrivent pas à se nourrir quotidiennement de mettre de l’argent dans un régime d’épargne-retraite.

La sénatrice Omidvar : Je vous remercie de nous parler de votre expérience. Je comprends ce que vous éprouvez au sujet de la vérification et, naturellement, je sympathise de tout cœur avec vous. J’ai dirigé un organisme privé pendant 15 ans, qui se vouait à réduire la pauvreté. Nous avons eu une vérification à trois reprises parce que nous voulions réduire la pauvreté. Après la troisième vérification, nous avons envoyé une facture à l’ARC, parce qu’il faut tout arrêter : on cesse notre travail parce qu’il faut commencer à fournir des tonnes de documents.

Le président : Combien cela vous a-t-il coûté?

La sénatrice Omidvar : Je ne m’en souviens pas, mais ce n’était pas peu.

J’aimerais maintenant que vous nous disiez ce que vous pensez de certaines opinions que nous avons entendues. Toutes ces opinions ont été émises par des membres du barreau qui sont venus témoigner.

Voici ce que nous avons entendu.

Le projet de loi n’aidera pas les petits organismes de bienfaisance, parce qu’ils s’occupent principalement d’offrir des services et non de défendre des droits.

Le projet de loi n’aidera que quelques grands organismes de bienfaisance et ne sera très utile qu’à quelques donateurs importants qui vont inonder le marché d’argent pour des activités de politique publique qui servent leur point de vue personnel, en utilisant un organisme de bienfaisance comme véhicule.

La décision a été prise à la hâte. Le gouvernement a fait volte-face. D’abord, il interjetait appel, puis il a adopté la loi. Nous ne savons pas maintenant ce qu’il advient de l’appel.

Le dernier point de vue est celui d’un avocat respecté, Adam Parachin, qui dit que le projet de loi pourrait permettre à des lobbyistes de faire du lobbying en prétendant être des organismes de bienfaisance enregistrés, puisque, après tout, des organismes de bienfaisance pourraient alors embaucher un lobbyiste.

Pourriez-vous nous dire ce que vous pensez de ces conclusions que nous avons entendues à quelques reprises.

Le président : Et nous n’avons que quelques minutes, s’il vous plaît.

Mme Cooper : La section de l’ABC ne peut vous fournir de point de vue sur ces commentaires, parce que nos avis reposent sur un consensus au sein de la section.

Mon avis personnel est non, cela ne servira pas seulement à aider quelques grands organismes de bienfaisance. Un organisme de bienfaisance qui veut faire valoir un point de vue ou défendre une cause doit se démener pour trouver une façon de faire entendre sa voix auprès de la population et des décideurs. Qu’il soit petit ou grand, un organisme de bienfaisance ne fait pas que simplement offrir des services, et cela n’existe pas de simplement fournir des services dans l’environnement réglementaire complexe actuel.

Une décision prise à la hâte? Pas du tout. La section de l’ABC s’est prononcée à maintes reprises sur l’interprétation et l’application des règles par l’ARC, sur les limites et sur les problèmes que soulèvent les règles. Le projet de loi est le fruit d’un vaste processus de consultations auquel ont participé les membres du panel. Le projet de loi n’a pas été rédigé à la hâte. Il est le fruit d’un vaste processus de consultations bien mené auprès de bon nombre de groupes.

À savoir si un lobbyiste pourra faire du lobbying en se faisant passer pour un organisme de bienfaisance enregistré, Mme Biss a soulevé le point important qu’il faut aussi répondre à toutes les autres exigences qui s’appliquent à un organisme de bienfaisance enregistré.

Il faut que les fins de l’organisme fassent partie de l’une des quatre catégories de bienfaisance et que les activités profitent à la population. L’ARC doit procéder à une analyse relativement complexe à cette fin. Je ne crois pas que cela soit possible.

La sénatrice Omidvar : En quoi pensez-vous que les audits de l’ARC vont changer?

Mme Cooper : Je ne suis pas certaine que les audits de l’ARC changeront nécessairement, sauf qu’ils n’accorderont plus la même importance aux activités politiques et à cette notion de même compter les ressources. J’ai des clients pour lesquels cette question absurde se pose.

Au cours d’une année, le président, qui est bénévole, a signé une lettre qui a été remise à un député. Qu’est-ce que cela vaut? Est-ce qu’il est question de 1 p. 100, de 0,099 p. 100? Quoi qu’il en soit, de bonne foi, les organismes font tout ce qui est en leur pouvoir pour se conformer et tourneront en rond inutilement pour essayer de dégager le bon nombre.

Mme Biss : Si vous me le permettez, sur la question de savoir si cette modification ne profite qu’aux grands organismes de bienfaisance, je peux parler au nom d’un petit organisme sur lequel ce projet de loi aura une incidence énorme. Nous avons reçu beaucoup de lettres de collègues d’autres petits organismes de bienfaisance qui nous ont remerciés du travail que nous accomplissons avec nos actions en justice et nous ont dit que cela leur était incroyablement essentiel.

Je peux vous dire que bien des petits organismes de bienfaisance, comme Mme Cooper l’a mentionné, comptent chaque chose qu’ils font et la mesure dans laquelle cela limite leurs capacités. C’est vraiment problématique de ne considérer que les petits organismes de bienfaisance ne sont que ceux qui offrent des services de première ligne. Il arrive souvent que ce soit ces petits organismes de bienfaisance, ces petites organisations, qui représentent certaines des personnes les plus marginalisées au Canada. Il peut s’agir d’un petit groupe et il est crucial qu’il soit en mesure de participer aux discussions sur les politiques publiques en plus d’offrir des services de première ligne.

Il est aussi primordial de garder à l’esprit les grands bailleurs de fonds. Il arrive souvent que pour qu’un petit organisme soit admissible à des subventions, il doive avoir le statut d’organisme de bienfaisance. Ce n’est pas seulement une question de pouvoir fournir des reçus pour dons de bienfaisance, ce qui est très important. C’est aussi une question d’accès aux subventions et à d’autres programmes. Le fait d’être un organisme de bienfaisance offre de nombreux autres avantages.

Je voulais aussi abonder dans le même sens que Karen; ce n’est pas une décision prise à la hâte. Je vais vous dire combien d’années de poursuites nous avons traversées dans le cadre de la contestation fondée sur la Charte qui a été reçue. Il a fallu attendre les recommandations du groupe, les conclusions du comité des droits de la personne, les communications transmises par le Rapporteur spécial sur la liberté d’expression et celles des défenseurs des droits de la personne. On travaillait au dossier depuis très longtemps. Je ne pense vraiment pas qu’il y ait lieu de dire que c’est une décision qui a été prise à la hâte.

La sénatrice Omidvar : Félicitations.

Le président : J’aimerais remercier le groupe de témoins. Je m’excuse; normalement, si nous dépassons le temps prévu pendant une réunion, cela ne pose pas problème, mais aujourd’hui, le Sénat siège à 18 heures. Nous sommes autorisés à siéger lorsque le Sénat ne siège pas. À 18 heures, nous devons cesser de siéger. Nous avons un autre groupe de témoins. Je veux m’assurer que nous avons suffisamment de temps pour lui. Je tiens à vous remercier tous les quatre. Vos interventions ont été très instructives.

Je pense que vous remarquerez peut-être que les gens autour de la table se montrent solidaires de votre cause. Je suis consterné que le gouvernement n’ait toujours pas arrêté la décision qu’il s’est engagé à prendre pour régler la situation.

Oui, il faut surveiller les organismes de bienfaisance. Oui, il faut s’assurer que les gens suivent les règles, mais s’il y a un organisme qui est nécessaire dans notre pays, c’est bien Canada Sans Pauvreté. Allez tout le monde; je m’adresse aux personnes qui nous regardent.

Merci à tous. Nous vous savons gré de vos efforts.

Chers collègues, nous allons maintenant entendre nos prochains témoins. Nous accueillons M. Robert Hayhoe. Nous entendrons le témoignage de la présidente de Fondations philanthropiques Canada, Mme Hilary Pearson.

Merci d’avoir accepté notre invitation à témoigner. Je sais que vous étiez tous les deux présents pendant les exposés précédents. Vous comprenez le processus. Vous avez entre cinq et sept minutes chacun pour prononcer vos remarques liminaires, ensuite nous passerons aux questions. Comme vous l’avez vu dans la dernière série, les questions et les réponses doivent être concises. Madame Pearson, vous avez la parole.

Hilary Pearson, présidente, Fondations philanthropiques Canada : Je vais essayer de parler rapidement, mais pas trop, parce que je sais que les interprètes doivent suivre. Ils ont une copie de mes points de discussion. J’espère qu’ils leur seront utiles. Je suis aussi consciente du temps limité dont vous disposez.

Merci de m’avoir invitée à témoigner à nouveau devant vous, puisque j’étais déjà venue en septembre. Aujourd’hui, je vous offre une perspective sur la question des activités et des fins des organismes de bienfaisance à la lumière des modifications actuellement proposées à la Loi de l’impôt sur le revenu pour permettre à ces organismes de participer davantage à l’élaboration des politiques publiques.

Comme le sénateur Mercer l’a dit, je suis la présidente de Fondations philanthropiques Canada, qui est un réseau de bailleurs de fonds de bienfaisance. Ces bailleurs de fonds appuient une vaste gamme et un grand nombre d’organismes de bienfaisance dans des domaines allant de l’environnement à la pauvreté, en passant par les arts, le développement international et bien d’autres. Certains de ces organismes mènent des activités de défense des droits dans le cadre de leur mandat.

Je suis ici pour discuter de modifications très importantes que propose le projet de loi C-86. Comme vous le savez, ces modifications retranchent les dispositions relatives aux activités prétendument politiques des organismes de bienfaisance. Elles font deux autres choses : elles maintiennent l’interdiction pour les organismes de bienfaisance d’offrir un soutien ou une opposition direct ou indirect à un parti ou un candidat politique; et elles clarifient que les organismes de bienfaisance, comme les fondations, doivent être constitués et gérés exclusivement à des fins de bienfaisance. Le dernier groupe vous a parlé de l’importance de s’attacher aux fins.

Les organismes de bienfaisance ont un rôle à jouer dans l’évolution des politiques publiques et des lois au Canada. Voilà pourquoi mon organisme participe à la discussion à ce sujet, en étroite collaboration avec des organisations d’autres secteurs, comme Imagine Canada, Fondations communautaires du Canada et l’Ontario Nonprofit Network. Nous croyons tous que les organismes de bienfaisance ont des faits, des commentaires et des idées uniques à apporter à l’évolution de la politique publique au pays. Nous croyons tous qu’ils doivent être encouragés à faire ces contributions.

Nous sommes vraiment ravis de voir que le gouvernement fédéral est d’accord avec notre position, position qui a été pleinement formulée par le Groupe de consultation sur les activités politiques des organismes de bienfaisance et qui a bénéficié du soutien des organismes qui ont participé aux consultations de 2016. On y a déjà fait allusion. La discussion entre le gouvernement fédéral et le secteur des organismes de bienfaisance a été longue et ouverte. Les modifications sont le résultat de bien des réflexions et des efforts. Elles n’ont pas été rédigées à la hâte — elles représentent des changements mûrement réfléchis et clairs.

Pourquoi ces modifications sont-elles si importantes? Pourquoi devraient-elles être mises en œuvre?

Premièrement, parce qu’elles modifient la loi applicable, qui définit le mandat et l’orientation de la Direction des organismes de bienfaisance à l’ARC. Une bonne partie de l’incertitude qu’ont connue les organismes de bienfaisance pour ce qui est de savoir si et comment elles pourraient participer aux travaux d’élaboration de politiques et de représentation est attribuable à l’utilisation de termes dans le libellé de la loi qui ont créé de la confusion et mené à une application par l’ARC qui soit restrictive et prohibitive et qui n’encourage pas les organismes de bienfaisance. En modifiant la loi, le ministre des Finances a donné des consignes claires aux organismes de réglementation. Nous espérons que cela réduira le manque d’uniformité de l’interprétation qu’en font les organismes de réglementation ou les vérificateurs.

Ensuite, les problèmes de définition qui ont fait en sorte qu’il soit si difficile pour tant d’organismes de bienfaisance, et en fait pour les décideurs et d’autres, d’essayer de comprendre ce débat, sont éliminés par le retrait de mots comme « politique » et « activités ». Le terme « politique » a été généralement mal interprété par les organismes de bienfaisance et d’autres, y compris les médias. L’erreur la plus commune a été de présumer que « politique » signifiait « partisan ».

En fait, « politique » a servi à décrire précisément un appel à l’action pour modifier une loi ou une politique de tout ordre de gouvernement. La façon dont un organisme de bienfaisance peut s’engager dans pareil travail n’a aucun lien avec des élections ou des activités politiques partisanes. Il peut s’agir, par exemple, de publier un exposé de position sur un changement de politique nécessaire ou encore de demander aux partisans et aux membres d’un organisme de bienfaisance de militer en faveur du changement de politique nécessaire, ce qui pourrait se traduire par un petit déjeuner avec les sénateurs.

Normalement, ce changement de politique est justifié par l’organisme de bienfaisance en fonction des faits, des données ou de l’expérience directe qu’il peut faire valoir dans le domaine dans lequel il œuvre. Canada Sans Pauvreté en a parlé. Qu’il s’agisse de travailler à protéger l’environnement, à changer les conditions de vie des Canadiens défavorisés ou à assurer la santé et le bien-être des Canadiens, les organismes de bienfaisance doivent présenter des arguments réfléchis et les fonder sur des faits.

Étant donné que le terme « politique » a généralement été mal interprété, il est nettement préférable que le ministre des Finances fasse un énoncé affirmatif pour clarifier que l’intention du gouvernement est de reconnaître que les organismes de bienfaisance peuvent continuer à mener leurs œuvres de bienfaisance en participant à l’élaboration des politiques publiques.

Une troisième raison qui explique l’importance de ces modifications est qu’elles insistent sur les fins plutôt que sur les activités. C’est, en fait, l’accent de la common law. Les organismes de bienfaisance qui relèvent de la common law sont définis par les fins auxquelles elles œuvrent et non leurs activités. Il est très important que la Loi de l’impôt sur le revenu reconnaisse que les fins de bienfaisance sont essentielles et que les organismes de bienfaisance doivent être constitués et gérés à des fins de bienfaisance.

Nous espérons que cette reconnaissance finira par s’étendre à d’autres dispositions de la loi et que la reconnaissance du statut de bienfaisance des organismes de bienfaisance, parce qu’ils œuvrent à des fins de bienfaisance reconnues permettra de changer la façon de traiter le revenu gagné. C’est une question centrale pour nombre de ces organismes. Si on peut leur permettre de mener des activités opérationnelles non connexes pour recueillir du financement pouvant servir à des fins de bienfaisance, ils seront en mesure de composer avec une énorme contrainte aujourd’hui, qui est celle de s’assurer d’obtenir suffisamment de financement durable pour poursuivre leurs activités.

Nous avons déclaré devant le comité que, selon nous, le système de réglementation fédéral actuel limite inutilement le déploiement des immobilisations et prévient l’établissement de partenariats efficaces au sein du secteur de bienfaisance et entre lui et les secteurs privé et public. L’accent trop marqué sur les activités plutôt que les fins des organismes de bienfaisance s’inscrit dans ces limites.

Pourquoi la Loi de l’impôt sur le revenu s’attache-t-elle aux activités plutôt que simplement aux fins? L’ARC surveille les organismes de bienfaisance et les oblige à faire rapport de différents types d’activités, dont certaines sont de bienfaisance, certaines sont de collecte de fonds, certaines sont administratives et d’autres, bien sûr, sont politiques. Vous avez déjà entendu dire à quel point cela peut être difficile pour ces organismes.

Comment prendre des décisions cohérentes et présenter des rapports clairs? Les tribunaux ont eux-mêmes souligné les confusions et les difficultés de se concentrer sur diverses activités plutôt que sur les objectifs. Nous espérons que les modifications actuelles marqueront une première étape pour encourager les organismes de bienfaisance à viser leurs objectifs de bienfaisance avec autant de souplesse et de productivité que possible. Nous conseillons vivement au comité de s’intéresser à la question plus vaste de la façon de moderniser la loi afin d’aider les organismes de bienfaisance à avancer d’une façon qui soit viable.

Merci du temps que vous m’avez accordé. Je me réjouis à la perspective de répondre à vos questions.

Le président : Monsieur Hayhoe, je n’ai pas terminé votre présentation. Robert Hayhoe travaille au cabinet de Miller Thomson LLP. Monsieur Hayhoe, la parole est à vous.

Robert Hayhoe, à titre personnel : Merci, sénateur Mercer. Merci, mesdames et messieurs les sénateurs et membres du comité, de m’avoir invité à témoigner devant vous aujourd’hui pour parler de la mesure dans laquelle les chevauchements entre les fins de bienfaisance et les activités politiques sont autorisés.

Je suis un associé en fiscalité au cabinet Miller Thomson. Ma pratique, de même que celle d’un certain nombre de mes collègues, se limite exclusivement aux organismes de bienfaisance et sans but lucratif. Nous ne faisons rien d’autre. Nous avons représenté dans un nombre considérable d’audits des organismes de bienfaisance enregistrés, franchement, de tous les horizons idéologiques, accusés par l’ARC d’avoir mené trop d’activités politiques. Dans bien des cas, l’ARC n’était pas vraiment justifiée de prendre cette position.

J’aimerais parler du fondement de common law qui sous-tend ces règles parce que je pense qu’il sera utile de bien comprendre les règles de common law sur lesquelles reposent les règles fiscales pour comprendre ce que les règles fiscales visent à faire. Selon moi, cela nous aidera aussi à apaiser les préoccupations selon lesquelles les modifications actuelles au projet de loi sont radicales et superflues.

Je ferai valoir que le projet de loi actuel n’est pas radical et qu’il ne représente pas une rupture avec la common law, mais plutôt un retour à elle causé par des erreurs que l’ARC et la Cour d’appel fédérale ont commises.

Jusqu’à 1985, la Loi de l’impôt sur le revenu ne couvrait aucunement les activités de bienfaisance et les activités politiques.

Selon la common law, les organismes de bienfaisance enregistrés sont tenus de n’œuvrer qu’à des fins de bienfaisance. J’estime que c’était en vue d’empêcher un organisme de bienfaisance d’avoir des objectifs politiques. Cette règle devait empêcher un organisme de bienfaisance de participer à des activités politiques partisanes.

Jusqu’à 1985, ni la common law ni la Loi de l’impôt sur le revenu n’a réussi à prévenir la défense des droits à des fins de bienfaisance. Qu’est-ce qui a changé? En 1985, la Cour d’appel fédérale — et je pense qu’il y a lieu de dire qu’elle était à l’époque, et qu’elle est toujours, mal adaptée pour trancher des appels concernant l’enregistrement des organismes de bienfaisance ou des appels en matière de révocation devant être examinés ab initio, du moins — a alors maintenu le refus à l’époque de Revenu Canada d’enregistrer un organisme du nom de Scarborough Community Legal Services. On a empêché cet organisme de s’enregistrer comme organisme de bienfaisance au motif qu’il menait trop d’activités politiques. Certains de ses membres ont participé à un rassemblement pour soulever la question des modifications à un programme de prestations aux familles. Ils avaient siégé à un comité municipal qui traitait certains règlements municipaux de Scarborough.

L’ARC était d’avis à l’époque que cela devait empêcher Scarborough Community Legal Services d’être un organisme de bienfaisance enregistré. La cour s’est penchée sur ce refus de l’enregistrer et a, selon moi, suggéré inutilement et à tort que bien qu’un organisme de bienfaisance puisse mener des activités politiques, il fallait qu’il s’agisse d’activités assez exceptionnelles et sporadiques auxquelles l’organisme participait momentanément.

Comme vous pourriez vous y attendre, cette décision a jeté la consternation sur le secteur de la bienfaisance. Le gouvernement de l’époque a répondu dans le budget de 1985 avec ce qu’il a décrit comme une « mesure d’allégement afin de préciser que les organismes de charité enregistrés peuvent entreprendre des activités politiques non partisanes qui sont accessoires à leurs activités de bienfaisance ». Cette mesure d’allégement qui a été promulguée en 1985 est celle à laquelle on fait allusion aux paragraphes 149.1(6.1) et (6.2) de la Loi de l’impôt sur le revenu, dispositions que l’on critique maintenant parce qu’elles sont trop restrictives.

Qu’est-ce qui a déraillé? Je suis d’avis que l’ARC a pris ce qui, pour le Parlement, se voulait être une disposition d’allégement conçue pour rétablir la common law et l’a interprétée comme une autre limite visant les activités politiques. Si la Cour d’appel fédérale et l’ARC n’avaient pas commis cette erreur, premièrement dans l’affaire Scarborough Community Legal Services et ensuite dans leur interprétation des modifications de 1985, nous nous retrouverions essentiellement dans une position plus ou moins semblable à celle qui a résulté de l’affaire Canada Sans Pauvretéet à celle qui résulte maintenant des modifications proposées en 2018.

Selon moi, les modifications de 1985 visaient essentiellement à offrir une protection aux organismes de bienfaisance. Si un organisme de bienfaisance consacrait généralement toutes ses ressources à des activités de bienfaisance et menait certaines activités politiques accessoires à ces fins et à ces activités de bienfaisance, il serait réputé consacrer ses ressources à des activités de bienfaisance. Il s’agissait d’une protection parce qu’elle empêchait l’organisme d’avoir à procéder à une analyse de common law en quelque sorte compliquée pour déterminer s’il consacrait toutes ses activités à des fins de bienfaisance.

Ce ne devait pas être la seule façon de mener des activités à des fins de bienfaisance. Ce devait être une mesure de protection pour renverser la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Scarborough Community Legal Services.

Malheureusement, ce n’est pas l’approche que l’ARC a privilégiée. L’agence a très rapidement interprété la nature d’allégement des modifications de 1985 — tant dans une circulaire d’information de 1987 portant sur la question que dans ce qu’elle pensait être un autre guide sur les mesures d’allégement publié en 2003 — comme une mesure qui limitait à 10 p. 100 les ressources que les organismes de bienfaisance pouvaient consacrer aux activités politiques.

J’estime que l’ARC a oublié le fait essentiel que la common law permettait à un organisme de mener plus d’activités politiques, oubli qu’ont aussi fait, honnêtement, la plupart des observateurs qui se sont penchés sur cette question.

Cela nous amène à l’organisme Canada Sans Pauvreté qui a contesté devant les tribunaux la position de l’Agence du revenu du Canada qui affirmait que l’organisme consacrait trop de ressources à des activités politiques. J’affirme clairement et sans équivoque que j’appuie cette contestation. Je ne veux pas du tout que vous ayez l’impression que je sous-entends que la manière dont l’Agence du revenu du Canada a agi dans le cas de Canada Sans Pauvreté était appropriée de quelque façon que ce soit. Lorsque l’organisme a contesté devant les tribunaux la position de l’Agence du revenu du Canada, Canada Sans Pauvreté est parti de l’hypothèse selon laquelle les modifications de 1985 étaient un code exhaustif en ce qui a trait aux activités politiques. Par ailleurs, le juge Morgan a aussi considéré les modifications de 1985 comme un code exhaustif lorsqu’il a conclu qu’il y avait une violation de la Charte.

Toutefois, si nous interprétons correctement la common law concernant les activités de défense des intérêts par des organismes de bienfaisance, j’affirme qu’il n’y a pas de violation de la Charte dans l'affaire Canada Sans Pauvreté. La violation de la Charte ne provient pas de la loi; elle provient d’une erreur d’interprétation de la loi et de son interaction avec la common law.

Par conséquent, je considère les modifications de 2018, soit le projet de loi qui explique notre témoignage ici aujourd’hui, comme une autre tentative du Parlement de remettre les pendules à l’heure et de rappeler à l’Agence du revenu du Canada et peut-être aussi à la Cour d’appel fédérale les activités politiques qui ont toujours été considérées comme des activités de bienfaisance dans la common law.

Qu’est-ce que les modifications de 2018 font et ne font pas? Elles éliminent les dispositions mal comprises sur les règles d’exonération provenant des modifications de 1985. Elles envoient le message clair qu’un organisme de bienfaisance enregistré, comme nous l’avons entendu plus tôt, doit continuer d’avoir des fins qui relèvent exclusivement de la bienfaisance. Elles envoient le message clair qu’un organisme de bienfaisance peut mener toute activité qui lui permet de réaliser ses objectifs, mis à part des activités politiques partisanes. À mon avis, c’est exactement ce que la common law permet et ce qu’elle permettait avant 1985.

Les modifications de 2018 confirment également que les activités de bienfaisance comprennent le dialogue sur les politiques publiques et leur élaboration si les activités sont encore une fois exercées en vue de contribuer à l’avancement de fins de bienfaisance. C’est également conforme à ce que prévoit la common law.

Les notes explicatives qu’a publiées le ministère des Finances concernant le projet de loi semblent laisser entendre qu’avec les modifications de 2018 un organisme de bienfaisance pourra consacrer toutes ses ressources à de telles activités. Ce sera possible dans des circonstances très limitées. Nous pourrions dire que cela ne correspond pas entièrement à ce que prévoit la common law, qui ne permettrait probablement pas à un organisme de bienfaisance de seulement s’adonner à des activités de défense des intérêts à long terme.

Pour être honnête, si le gouvernement fédéral souhaite permettre à un organisme d’avoir des fins de bienfaisance ou des fins apparemment de bienfaisance et de ne rien faire d’autre que des activités de défense des intérêts, ce qui lui donnerait une fin politique selon la définition traditionnelle, le Parlement doit créer une nouvelle catégorie qui n’inclut pas les organismes de bienfaisance. Le projet de loi ne propose pas la création d’une nouvelle catégorie. Donc, j’avance que notre interprétation des modifications de 2018 ne devrait pas être qu’elles donnent le droit à un organisme de bienfaisance de s’adonner seulement à des activités de défense des intérêts. Je crois que nous devrions accorder la même attention aux notes explicatives relatives aux modifications de 2018 prévues dans le projet de loi que nous accordons normalement aux notes explicatives en matière fiscale, c’est-à-dire aucune.

J’aimerais prendre un moment pour traiter du spectre qui a été brandi, selon ce que j’en comprends, à de nombreuses reprises par des témoins, soit le spectre de la décision dans l’affaire Citizens United aux États-Unis. Je crois comprendre que d’autres vous ont laissé entendre que les modifications de 2018, soit le projet de loi, feront en sorte que la décision de la Cour suprême des États-Unis dans l’affaire Citizens United sera ce qui prévaudra au Canada : nous aurions en gros des organismes de bienfaisance qui s’adonneraient à de la propagande électorale illimitée et quasi partisane.

Sans vouloir offenser ces personnes, rien ne permet de l’affirmer. Premièrement, l’affaire Citizens United concernait les droits à la liberté d’expression, et non le statut d’organisme de bienfaisance, d’un organisme américain qui n’était même pas un organisme de bienfaisance. C’était un organisme américain d’une tout autre catégorie. Deuxièmement, j’ai déjà mentionné que notre interprétation des modifications de 2018 ne devrait pas être qu’elles donnent le droit à un organisme de bienfaisance de s’adonner seulement à des activités de défense des intérêts à long terme. Enfin, comme c’était le cas dans l’affaire Citizens United, qui avait essentiellement trait à la limite de la liberté d’expression concernant la propagande électorale, l’endroit approprié pour traiter des limites de la liberté d’expression pour ce qui est purement de la propagande électorale des Canadiens de manière générale, qu’il s’agisse de particuliers, d’entreprises, d’organismes de bienfaisance ou d’autres organismes, c’est la Loi électorale; ce n’est pas la Loi de l’impôt sur le revenu.

En conclusion, si les modifications de 2018 sont adoptées, comme je vous encourage à le faire, cela précisera que la loi canadienne, à l’instar de la loi en Angleterre, au pays de Galles, en Australie et en Nouvelle-Zélande, prévoit qu’un organisme de bienfaisance peut participer à l’élaboration des politiques publiques seulement dans le cas où cela contribue à l’avancement de ses fins de bienfaisance.

Un organisme de bienfaisance canadien ne pourra toujours pas s’adonner à des activités politiques partisanes. Comme je l’ai mentionné plus tôt, une certaine incertitude planera à savoir si un organisme de bienfaisance canadien peut consacrer toutes ses ressources à des activités politiques, même si je crois que ce ne sera pas possible ou que cela ne devrait pas l’être.

Honorables sénateurs, je vous remercie encore une fois de m’avoir donné l’occasion de témoigner devant votre comité. Je répondrai avec plaisir à vos questions de concert avec l’autre témoin.

Le président : Merci à vous deux de vos commentaires.

La sénatrice Omidvar : Je remercie les deux témoins de leur présence ici, et je crois que c’est la deuxième ou la troisième fois pour Mme Pearson. Vous avez été généreuse de votre temps à notre endroit.

Mme Pearson : Je crois que c’est peut-être ma troisième fois, mais je n’en suis pas certaine.

La sénatrice Omidvar : J’aimerais revenir sur quelque chose que vous avez tous les deux dit. Vous avez parlé des incertitudes relativement au choix des mots. Nous avons vu, dans vos commentaires, monsieur Hayhoe, la façon dont l’objectif de la mesure législative a été interprété par l’Agence du revenu du Canada de manière extrêmement restrictive dans les modifications de 1985.

Croyez-vous que la confusion et l’incertitude concernant le choix des mots entreront encore une fois en ligne de compte en ce qui concerne la question de partisanerie « directe » et « indirecte »? Est-ce possible que l’Agence du revenu du Canada publie encore une fois des lignes directrices extrêmement restrictives qui auraient comme effet de semer encore une fois la confusion? Que pouvons-nous faire dans notre rapport et notre étude pour nous assurer que cela ne se produise pas?

Mme Pearson : Il est vrai que l’interprétation de l’Agence du revenu du Canada sera peut-être restrictive.

Le problème est notamment que la Direction des organismes de bienfaisance fait partie de l’Agence du revenu du Canada, et d’autres témoins vous l’ont mentionné. Lorsqu’un organisme de réglementation fait partie d’une agence qui cherche très fortement à protéger le fisc et à percevoir les sommes appropriées des citoyens canadiens, la mentalité aura tendance — et c’est évidemment un point de vue personnel — à aller du côté de la restriction et de la surveillance au lieu de l’encouragement et de la promotion de l’activité.

La commission de surveillance des organismes de bienfaisance au Royaume-Uni ne fait pas partie du ministère du Revenu. La démarche de cette commission par rapport à son travail est loin d’être parfaite. Dans l’ensemble, son attitude tend davantage à autoriser et à encourager des activités et à adopter une approche qui favorise la surveillance des organismes de bienfaisance que ce que nous voyons à l’Agence du revenu du Canada.

Le gouvernement a exprimé une orientation solide en vue d’encourager les organismes de bienfaisance à participer à l’élaboration des politiques publiques. Les organismes de bienfaisance entendent un message positif. J’espère que les employés de la Direction des organismes de bienfaisance à l’Agence du revenu du Canada entendent aussi un message positif.

Je crois qu’une autre annonce que le ministre a récemment faite dans l’énoncé économique de l’automne sera utile. Il a annoncé le rétablissement d’un comité consultatif permanent; ce comité sera dirigé par l’Agence du revenu du Canada et il sera composé d’intervenants du secteur des organismes de bienfaisance. Cette idée a été proposée en premier en 2005, et cela découlait du travail de la Table conjointe sur le cadre réglementaire, qui a été une réussite. Vous avez entendu Bob Wyatt de la Fondation Muttart. Il a été coprésident de cette table. Il s’agissait d’une initiative du gouvernement et du secteur pour régler un certain nombre de questions réglementaires et échanger au sujet des éléments qui créent de la confusion ou de l’incertitude concernant l’orientation stratégique. Ce comité a malheureusement été dissous par le gouvernement Harper, et il est maintenant en voie d’être rétabli. Ce sera un moyen utile de permettre au secteur et à ses représentants d’échanger régulièrement avec l’Agence du revenu du Canada pour lui rappeler l’importance d’encourager les organismes de bienfaisance à participer à l’élaboration des politiques publiques.

La sénatrice Omidvar : J’aimerais vous poser une question différente, monsieur Hayhoe, et vous pourrez répondre à la première, si le temps nous le permet. Notre président est juste, mais strict, comme il se doit de l’être.

Nous avons entendu comme exemple qu’en vertu de cette mesure législative un organisme de bienfaisance pourrait mener des recherches et faire de la sensibilisation et de l’éducation auprès du public sur des questions ayant trait à l’immigration, par exemple, et qu’il pourrait promouvoir dans ses activités des messages haineux à l’endroit des juifs et des musulmans. Nous avons été mis en garde contre cela. Il est proposé qu’une limite à 10 p. 100 n’est pas assez élevée et qu’une limite à 100 p. 100 l’est trop et que nous devrions peut-être établir la limite au milieu, soit à 50 p. 100. Qu’en pensez-vous?

M. Hayhoe : Je ne crois pas qu’il soit possible d’enregistrer un organisme de bienfaisance qui est en réalité un organisme qui propage des messages haineux à l’endroit des juifs et des musulmans. Ce serait contraire à l’ordre public. Par conséquent, cet organisme ne devrait pas être enregistré de toute façon, à moins qu’il mente. Ces règles n’ont pas été prévues pour être à l’épreuve des mensonges. Il ne serait pas possible d’enregistrer un tel organisme. Ces règles ne rendent pas plus possible l’enregistrement d’un tel organisme. Si cet organisme réussit malgré tout à s’enregistrer, l’Agence du revenu du Canada aurait les mêmes outils à sa disposition qu’actuellement; l’organisme pourrait faire l’objet d’une vérification, et l’agence arriverait à la conclusion que, même si l’organisme prétend être un organisme de bienfaisance à caractère éducatif qui se consacre à la recherche relative à l’immigration, il n’en est rien. Il s’agit vraiment d’un organisme fondamentalement antisémite qui n’aurait donc jamais dû être enregistré, et l’agence révoquerait à juste titre son enregistrement.

La sénatrice Omidvar : Merci.

M. Hayhoe : Sénateur Mercer, aimeriez-vous que je réponde à la première question?

Le président : Oui. Allez-y.

M. Hayhoe : Ce serait merveilleux d’avoir une commission de surveillance des organismes de bienfaisance, mais je souligne la difficulté que nous avons eue à obtenir un organisme national de réglementation des valeurs mobilières, alors que les enjeux sont élevés, et nous n’y arrivons toujours pas. Ce serait un énorme défi sur le plan constitutionnel de réussir à mettre sur pied une commission de surveillance des organismes de bienfaisance.

Ce serait plus simple de charger un tribunal de première instance d’examiner les questions entourant l’Agence du revenu du Canada et les organismes de bienfaisance. Cela permettrait de nous assurer que le droit évolue et que l’agence rend des comptes. Actuellement, c’est la Cour d’appel fédérale qui se penche sur l’enregistrement des organismes de bienfaisance et les révocations. Le droit administratif qui a évolué autour de ces appels laisse entendre que tout motif invoqué par l’Agence du revenu du Canada pour justifier une révocation suffit à appuyer la révocation. Cette situation a eu pour effet que l’agence fait valoir dans chaque vérification 25 motifs; il y en a un qui importe à l’agence, mais chaque motif est suffisant à lui seul pour confirmer la révocation de l’enregistrement de l’organisme. Cela signifie qu’il est impossible de conseiller de bonne foi à un client de dépenser de l’argent pour interjeter appel devant les tribunaux. Par conséquent, en ce qui concerne les questions relatives aux organismes de bienfaisance, l’agence ne rend de comptes à personne.

Le président : De nombreux intervenants nous ont suggéré de recommander le renvoi de ces dossiers à la Cour de l’impôt, ce qui permettrait d’atténuer ce problème et d’accélérer les choses.

En votre qualité d’avocat qui travaille chaque jour dans ce secteur, qu’en pensez-vous?

M. Hayhoe : J’y suis tout à fait favorable. Cependant, il est important que ce ne soit pas seulement les appels qui soient renvoyés en première instance à la Cour de l’impôt. Il faut aussi que le critère de droit administratif sous-jacent qu’applique la Cour de l’impôt soit différent. Le critère ne devrait pas être de déterminer s’il y a des motifs qui justifient la décision de l’agence de révoquer l’enregistrement. Le critère devrait être de déterminer si la révocation est maintenue ou s’il faut ordonner à l’Agence du revenu du Canada de rendre une nouvelle décision en s’appuyant sur des motifs valables.

L’effet de ces deux modifications permettrait au secteur des organismes de bienfaisance de demander des comptes à l’Agence du revenu du Canada, s’il y a lieu, d’une façon qui ne lui est pas possible actuellement de le faire.

Le président : J’aimerais revenir sur la question du précédent comité qui avait été créé et qui a été dissous par le précédent gouvernement.

À cette époque, j’étais actif dans le secteur. Je me souviens de l’enthousiasme des intervenants du secteur qui disaient qu’enfin le gouvernement nous écoutait. Selon une histoire qui m’a été racontée par l’un des membres du comité, les représentants de l’Agence du revenu du Canada posaient des questions simples à leur propre personnel. Ils ont demandé aux organismes de bienfaisance le montant que cela leur coûte et le temps qu’ils consacraient à communiquer l’information demandée par l’agence et à obtenir des réponses.

Les représentants de l’agence ont ensuite posé une question simple à leur personnel. Quelle utilisation faisons-nous de ces données? En passant en revue les données, les intervenants ont réalisé que l’agence n’utilisait pas du tout certaines données.

Je me suis toujours dit qu’il aurait peut-être été utile de nous tourner vers la Cour de l’impôt dans ce cas. Toutefois, je ne connais pas très bien la Cour de l’impôt. Il y a un manque flagrant de compréhension de ce que font les organismes de bienfaisance, de la manière dont ils le font, de leur fonctionnement, de leur financement et de la façon dont les Canadiens interagissent avec ces organismes. Le secteur des organismes de bienfaisance est énorme. Des millions de millions de Canadiens y participent. Des millions de millions de Canadiens font des dons aux organismes de bienfaisance. Je ne sais pas ce que l’Agence du revenu du Canada ne comprend pas, mais cela signifie que les Canadiens tiennent aux organismes de bienfaisance.

Faut-il faire de la sensibilisation auprès de l’Agence du revenu du Canada? Est-ce un problème du côté des dirigeants de l’Agence du revenu du Canada? Est-ce seulement un problème ayant trait aux mesures réglementaires?

Mme Pearson : C’est partiellement contextuel. Comme la Direction des organismes de bienfaisance fait partie de l’Agence du revenu du Canada, elle a peut-être de la difficulté à adopter une approche axée sur la promotion plutôt que la restriction.

Je crois que c’est le problème qui perdure. Je crois que l’établissement de ce comité sera une bonne chose. Je l’attends avec impatience.

M. Hayhoe : Mes commentaires ne se voulaient pas du tout une critique à l’endroit du personnel de l’Agence du revenu du Canada qui accomplit ses fonctions. Ces employés accomplissent ces tâches dans un contexte qui invite certains comportements. À mon avis, il faut que l’agence rende des comptes à un tribunal qui a réellement la capacité d’exercer cet examen au même titre que toutes les autres fonctions au sein du gouvernement sont assujetties à la surveillance des tribunaux qui ont réellement la capacité d’exercer cette surveillance.

Le président : Je suis le fils d’un fonctionnaire et le frère de plusieurs fonctionnaires. Je vais retourner à la maison. Je tiens à dire publiquement que je ne critique pas la fonction publique. Je critique les règles qui régissent le travail des fonctionnaires.

Le sénateur Duffy : Enfin, je voudrais poser une question sur la promotion du secteur de la bienfaisance dans cette ville.

On nous a présenté un certain nombre d’idées — notamment, celle de créer un poste de ministre chargé du secteur de la bienfaisance. J’avais presque oublié que l’honorable Walter McLean avait brièvement été ministre d’État et qu’il avait assumé certaines responsabilités liées au secteur de la bienfaisance, peut-être sous le gouvernement de Joe Clark. C’était il y a quelques années.

Quelqu’un d’autre m’a dit qu’il devrait y avoir un ministère ou un secrétariat, mais qu’une telle entité devrait fonctionner comme un OSS, un organisme de service spécial, qui interviendrait sur le terrain et qui chercherait activement à mobiliser et à encourager les Canadiens. Il y aurait donc plusieurs intervenants, et pas seulement un ministre. D’autres éminents Canadiens s’enrôleraient dans une sorte d’armée de bénévoles pour sensibiliser la nouvelle génération à l’importance du secteur de la bienfaisance et à la raison pour laquelle il faut s’impliquer et faire des dons.

D’après les données qu’on nous a fournies, le nombre de donateurs est en baisse. À mesure qu’ils prennent de l’âge, pour ainsi dire, qui viendra les remplacer? Bon nombre des nouveaux entrepreneurs fabuleusement riches n’ont pas la même expérience en matière de philanthropie que certains des autres entrepreneurs d’aujourd’hui.

Que pensez-vous de l’idée d’essayer de créer une sorte d’organisme, de poste ou d’entité au sein du gouvernement pour s’occuper de ce genre de mesure positive, au lieu de s’en remettre à l’ARC dont le travail consiste surtout à vérifier si toutes les règles ont été suivies à la lettre?

Mme Pearson : J’ai des sentiments mitigés à cet égard. Selon moi, il serait impossible d’avoir un seul ministre ou un seul ministère, et ce, pour un certain nombre de raisons. Cela tient, en partie, à une question d’ordre constitutionnel, car les organismes de bienfaisance relèvent des provinces en vertu de la Constitution. Le gouvernement fédéral s’en mêle uniquement par l’entremise de la Loi de l’impôt sur le revenu et du pouvoir d’imposition.

C’est pourquoi, bien entendu, le ministère des Finances et son ministre élaborent des politiques qui sont surveillées par l’Agence du revenu du Canada.

De façon plus générale, le gouvernement fédéral a intérêt à appuyer la croissance d’un secteur de la bienfaisance qui est viable et dynamique. Je suis tout à fait d’accord là-dessus. Il n’est pas normal que le gouvernement ait consacré autant de temps aux petites et moyennes entreprises, sans toutefois s’efforcer d’appuyer avec la même ardeur les organismes de petite et de moyenne taille qui sont aussi à vocation caritative ou sans but lucratif.

Le secteur présente donc des intérêts stratégiques, et les politiques à cet égard sont mises en œuvre par l’entremise de ce qui est aujourd’hui le ministère de l’Innovation — anciennement Industrie Canada —, plus précisément par l’entremise de sa division chargée des sociétés. Ce ministère est chargé d’appliquer la Loi canadienne sur les organisations à but non lucratif, qui régit la gouvernance et la composition des organismes de bienfaisance constitués en sociétés sous le régime fédéral. Il s’agit d’un dossier stratégique important, qui est bien dirigé. Il y a eu une évolution dans ce domaine grâce à l’adoption de cette loi.

Par ailleurs, Emploi et Développement social Canada compte un groupe chargé de la politique sociale qui se penche non seulement sur les organismes de bienfaisance offrant des services sociaux, mais aussi, de façon plus générale, les organismes dans le secteur de la bienfaisance qui contribuent à l’élaboration de politiques sociales.

Peut-on avoir un seul ministère? Je n’en suis pas sûre. Je ne pense pas que ce soit une bonne idée parce qu’on aurait alors tendance à présumer que le ministre assumerait cette responsabilité, et les autres ministères fédéraux ayant d’importants intérêts stratégiques liés au secteur de la bienfaisance — par exemple, les ministères du Patrimoine canadien, de l’Environnement, de la Justice, des Affaires autochtones, et j’en passe — pourraient supposer que cet autre ministère serait responsable de ce dossier. À mon avis, ce n’est pas une bonne idée.

En ce qui concerne les dons et la promotion de la culture du don au Canada, chose qui se fait de manière efficace par l’entremise de politiques fiscales ou de mesures incitatives qui encouragent les gens à faire des dons, il y a lieu de s’y prendre autrement que par la création d’un ministère, et encore faut-il que ce soit possible sur le plan constitutionnel. La Fondation Rideau Hall est un exemple d’organisme qui a été établi récemment pour faire justement cela, c’est-à-dire promouvoir une culture du don au Canada et aider les gens à mieux comprendre cette notion. La fondation a été créée par l’entremise de l’ancien gouverneur général. Je crois qu’il est tout à fait possible d’assurer la promotion des dons par ce moyen, au lieu d’envisager la création d’un ministère distinct.

Le sénateur Duffy : Merci beaucoup.

Le président : Merci. C’était excellent. Je tiens à faire un rappel à mes collègues qui voient en ce moment une lumière clignoter sur les murs : lorsque cette lumière cessera de clignoter, nous devrons mettre fin à la discussion.

La sénatrice Omidvar : Monsieur Hayhoe, j’aimerais revenir à votre argument selon lequel l’ARC a mal interprété les modifications de 1985 liées aux mesures d’allégement dans la Loi du revenu sur l’impôt. En fait, il s’agit d’une position qui nous a été présentée non pas de façon isolée, mais bien de façon générale par un certain nombre de témoins, qui sont d’avis que l’ARC semble avoir l’habitude d’interpréter les intentions différemment de ce qui était prévu au départ.

Pensez-vous que le comité consultatif permanent qui est maintenant rattaché à l’ARC peut, doit et va jouer un rôle dynamique pour veiller à ce que les interprétations de l’ARC et ses lignes directrices soient conformes à l’esprit du projet de loi?

M. Hayhoe : Voilà qui sera, à n’en point douter, d’une certaine utilité. Un comité semblable a déjà existé, mais nous avons eu affaire aux mêmes interprétations défavorables et inappropriées. À mon avis, cela ne suffit pas. Je crois que la solution la plus complète implique une véritable surveillance judiciaire.

La sénatrice Omidvar : D’accord. C’est donc par l’entremise de la Cour de l’impôt.

M. Hayhoe : La Cour de l’impôt est l’endroit approprié dans notre système judiciaire et, en cas de mauvaise décision de sa part, on peut s’adresser à la Cour d’appel fédérale. À la limite, la Cour de l’impôt aura l’occasion d’examiner la question dès le départ, au lieu de s’y prendre de façon inadéquate parce que c’est ce que prévoient les règles actuelles.

La sénatrice Omidvar : En conclusion, si je comprends bien ce que vous nous dites tous les deux, il s’agit d’une précision grandement nécessaire qui se fait attendre depuis longtemps et qui profitera à la société canadienne. Il pourrait y avoir certaines craintes du côté des organismes qui représentent des personnes marginalisées, mais ceux qui représentent la population générale fonctionneront comme ils le devraient.

Mme Pearson : Nous aimerions bien que ce soit le cas. Voilà qui est bien dit, sénatrice Omidvar. Je suis d’accord.

Le meilleur principe à appliquer, c’est vraiment celui du gros bon sens. Il est impossible de rédiger des lois pour chaque situation. Ce n’est ni tout noir, ni tout blanc. L’ARC et la Direction des organismes de bienfaisance doivent faire preuve de gros bon sens dans les situations qui pourraient s’avérer ambiguës et inspirer une plus grande confiance afin que le secteur ait l’impression d’avoir un moyen de s’entretenir avec les fonctionnaires de la Direction des organismes de bienfaisance et d’exprimer leurs points de vue sur ces questions.

Si nous avons un tel mécanisme et que nous pouvons établir un climat de confiance, maintenir une bonne communication, utiliser le gros bon sens et reconnaître que tout n’est pas noir ou blanc, alors je crois que la situation s’améliorera considérablement.

M. Hayhoe : Je n’ai rien d’autre à ajouter, si ce n’est de dire que je suis d’accord.

La sénatrice Omidvar : Merci.

Le président : Merci beaucoup à nos témoins. Nous avons eu droit à une discussion très instructive et très stimulante. Vous avez abordé beaucoup de sujets que nous voulions étudier et certaines questions que nous avons déjà examinées. D’ailleurs, vous avez soulevé quelques points qui nous avaient échappé parce que nous ne voyons pas tout; nous avons besoin de votre aide.

Je reviens à mes observations sur le comité et à l’idée de rétablir un comité chargé de surveiller ce dossier et d’engager des discussions au sein du secteur.

Si un comité est établi, je recommande qu’il soit de nature permanente, en ce sens qu’aucune entité gouvernementale, ayant une certaine autorité, ne pourrait fonctionner sans le comité. Ce dont le secteur a besoin, c’est d’une certaine permanence. Il faut une personne chargée de toujours surveiller ce dossier parce que les gouvernements changent. Il y a eu un changement de gouvernement et nous pensions que les politiques changeraient en conséquence, mais nous avons vu que, malgré tout, les politiques tombent dans l’oubli à certains égards. C’est un pensez-y bien.

J’aimerais vous rappeler, à tous les deux, que même si vous ne participerez pas aux discussions ultérieures, n’hésitez pas à communiquer avec nous par l’entremise de notre greffier si vous relevez des points qui nous ont échappé ou des choses que vous avez oublié de nous dire. Le greffier nous fera parvenir ces renseignements. Vos commentaires sont importants pour nous. À mesure que vous suivrez nos délibérations, n’hésitez pas non plus à ajouter des précisions aux sujets dont nous avons discuté ou à suggérer des choses que nous n’avons pas abordées.

Je vous remercie tous deux de nous avoir fait part de vos observations et de vos opinions.

Le président : Le Sénat siégera dans cinq minutes. Vous avez donc cinq minutes pour traverser la rue, si vous comptez vous y rendre.

(La séance est levée.)

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