Délibérations du Comité sénatorial spécial sur le
Secteur de la bienfaisance
Fascicule n° 11 - Témoignages du 25 février 2019
OTTAWA, le lundi 25 février 2019
Le Comité sénatorial spécial sur le secteur de la bienfaisance se réunit aujourd’hui, à 12 h 2, pour examiner l’impact des lois et politiques fédérales et provinciales gouvernant les organismes de bienfaisance, les organismes à but non lucratif, les fondations et autres groupes similaires, et pour examiner l’impact du secteur volontaire au Canada.
Le sénateur Terry M. Mercer (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial spécial sur le secteur de la bienfaisance. Je suis le sénateur Terry Mercer, de la Nouvelle-Écosse, et le président du comité. J’aimerais d’abord demander aux sénatrices de se présenter, les deux coprésidentes.
La sénatrice Martin : Yonah Martin, de la Colombie-Britannique. Bienvenue.
La sénatrice Omidvar : Sénatrice Ratna Omidvar, de Toronto, en Ontario. Bienvenue également.
Le président : Merci. Aujourd’hui, le comité va poursuivre son étude afin d’examiner l’impact des lois et politiques fédérales et provinciales gouvernant les organismes de bienfaisance, les organismes à but non lucratif, les fondations et autres groupes similaires, et pour examiner l’impact du secteur volontaire au Canada.
Avant d’entendre les témoins, j’aimerais savoir si nous sommes d’accord pour autoriser la prise de photographies durant la réunion d’aujourd’hui. C’est d’accord?
Des voix : D’accord.
Le président : Merci.
Pour notre premier groupe de témoins aujourd’hui, nous recevons M. Arthur Chan, fondateur et président de la D2D Destiny Foundation; M. Mustafa Alio, cofondateur et directeur du développement, de Jumpstart - Refugee Talent; Mme Arlene MacDonald, directrice générale, du Community Sector Council of Nova Scotia; et M. Chris Pot, directeur des programmes, du Hidden Acres Mennonite Camp and Retreat Centre.
Merci d’avoir accepté notre invitation à comparaître. J’aimerais inviter les témoins à présenter leur exposé. Je rappelle à tout le monde que vous avez de cinq à sept minutes pour votre exposé. Puis, durant la période de questions, nos sénateurs seront brefs et succincts, et nous aimerions que vous gardiez vos réponses brèves et succinctes, de manière à pouvoir entendre le plus grand nombre de questions possible.
Commençons par M. Chan, s’il vous plaît.
Arthur Chan, fondateur et président, D2D Destiny Foundation : Merci, monsieur le président, mesdames et messieurs, de me recevoir ici aujourd’hui. C’est un véritable honneur d’avoir l’occasion de prendre la parole.
J’aimerais d’abord vous raconter une partie de mon histoire personnelle. La philosophie de la responsabilité sociale et du bénévolat a été enchâssée dans ma compréhension des affaires et de la collectivité dans laquelle j’ai grandi. Mes antécédents médicaux m’ont inspiré à entreprendre mon cheminement philanthropique. À partir de l’âge de trois ans, j’ai passé quatre ans au BC Children’s Hospital en tant que patient luttant contre la leucémie.
En 2010, mes amis et moi avons fondé le Young Ambassador Program, dans le but que des jeunes puissent en inspirer d’autres à vivre une vie utile et enrichissante. Depuis ses débuts modestes, notre équipe s’est agrandie, passant de huit membres fondateurs à plus de 100 membres dévoués, travaillant tous vers l’atteinte d’un but commun. L’an dernier, nous avons surpassé notre objectif de financement, soit 1 million de dollars.
En 2014, nos fondateurs et moi avons voulu étendre notre rayonnement, et nous avons financé un organisme à but non lucratif qui s’appelle D2D Destiny Foundation. Cet organisme est convaincu que tout le monde peut oser rêver et que chaque rêve naît d’une idée.
L’élément essentiel de notre Young Ambassador Program et de la D2D Destiny Foundation, c’est que nous sommes bien plus qu’une équipe. Nous avons grandi comme une famille très soudée avec une forte chimie d’équipe.
Un fort sentiment de continuité est inscrit dans notre programme. En 2017, nous avons agrandi notre famille et fondé le programme Little Angels, dans le cadre duquel des élèves du primaire suivent les traces de leurs frères et sœurs aînés. Je crois que la partie la plus gratifiante de mon aventure, c’est de voir chacun de nos membres se joindre à nous à un très jeune âge et devenir tous à leur façon des leaders.
L’élément le plus spécial de notre D2D Destiny Foundation est notre boutique philanthropique en ligne, où nous combinons l’amour universel de la mode, la force dominante du commerce électronique et le soutien de donateurs généreux. Le concept de notre boutique en ligne sensibilise une nouvelle génération à la philanthropie et suscite sa participation, d’une façon convaincante et accessible à tous. Grâce à notre soutien en ligne, nous vendons des marchandises haute couture de deuxième main, et 80 p. 100 des recettes sont remises à un organisme de bienfaisance désigné que nous appuyons. Outre notre plateforme philanthropique électronique, nous utilisons notre boutique électronique pour promouvoir l’entrepreneuriat social, en offrant aux jeunes une plateforme pour vendre leurs marchandises tout en appuyant une bonne cause dans la collectivité.
Une autre façon de mobiliser nos membres, c’est au moyen de l’idée de la « gratitude face à l’aptitude », où nous reconnaissons les talents de nos membres et utilisons leurs compétences pour apporter une contribution à la collectivité. Je crois fermement que c’est une énorme priorité d’instiller chez les jeunes un esprit philanthropique. Le transfert de la richesse des générations des baby-boomers vers les milléniaux va inciter les jeunes générations à entreprendre des activités philanthropiques, et nous espérons que le gouvernement pourra encourager et promouvoir la notion de philanthropie, d’entrepreneuriat et d’entreprise sociale chez les jeunes, en fournissant à de nouvelles organisations plus de financement et de soutien.
Le rêve de notre équipe est de devenir l’Amazon du secteur de la bienfaisance. Un esprit avec une vision est un rêve avec une mission. Il faut oser rêver d’un monde meilleur.
Au nom des membres de mon équipe, merci énormément de nous avoir donné l’occasion de raconter notre histoire.
Mustafa Alio, cofondateur et directeur du développement, Jumpstart - Refugee Talent : Mesdames et messieurs, permettez-moi d’abord d’exprimer ma gratitude pour cette occasion de raconter mon expérience en tant que membre de Jumpstart. Jumpstart est une organisation dirigée par des réfugiés qui a créé un modèle de bénévolat unique afin d’enrichir et de soutenir l’autonomisation économique, le travail et la défense des intérêts des réfugiés, ici, au Canada, et à l’étranger.
Au cours de la dernière année, Jumpstart a été reconnu pour son travail, ayant servi, à ce jour, plus de 700 réfugiés, obtenu plus de 180 possibilités d’emploi gratifiantes et ayant lancé plus de six projets. Parmi ces projets, on compte le seul programme de mentorat national, qui servira 2 300 réfugiés au cours des deux prochaines années et demie, en partenariat avec LinkedIn; un programme d’études en anglais langue seconde qui a amassé plus de 740 000 $ en bourses pour les réfugiés au Canada; ainsi que le programme Refugee Economic Pathways, exécuté en partenariat avec Talent Beyond Boundaries, pour contribuer à ses efforts de création d’une voie de réinstallation supplémentaire pour les réfugiés dans le cadre du volet économique.
Même si on dirait que je fais la promotion de l’organisation, ce n’est pas du tout mon intention. Je souhaite plutôt remercier et reconnaître l’équipe de bénévoles de Jumpstart, qui produit plus de 60 p. 100 de nos résultats et de nos réussites. Si on analyse le rôle important joué par des gens ordinaires — les suspects inhabituels — au sein du programme de parrainage privé pour composer avec l’afflux de réfugiés syriens, Jumpstart a créé un modèle miroir où chaque bénévole joue un rôle essentiel dans le renforcement des capacités, l’établissement de stratégies, la planification et les décisions de l’organisation.
Aujourd’hui, Jumpstart compte un collectif de 17 bénévoles qui nous fournissent, au total, plus de 90 heures chaque semaine.
Je suis très heureux de pouvoir me présenter devant vous aujourd’hui afin d’exprimer, aux fins du compte rendu, ma gratitude immense pour nos équipes de bénévoles sans qui Jumpstart ne pourrait littéralement pas exister ni continuer son travail.
Merci, Diala, Melissa, Hani, Rami, Mustafa, Maha, Faris, Shellina, Ariana, Marissa, Sahir, Malaj, Hadija, Saida, Rabia, Nadia et Beyan : nous ne pourrions y arriver sans vous.
Par ailleurs, si on recherche « statistiques sur le bénévolat au Canada » dans Google, la première chose que l’on voit, c’est que, en 2010, le Canada a été chanceux d’obtenir 2,7 milliards d’heures de bénévolat de la part de plus de 13 millions de Canadiens, ce qui correspond à 1,1 million d’emplois à temps plein. Toutefois, cela dit, les répercussions de ce bénévolat sont-elles aussi roses que ces chiffres? Les expériences de bénévolat des organisations sont-elles aussi positives que celles chez Jumpstart? Le modèle de bénévolat de Jumpstart fonctionne-t-il au meilleur de sa capacité ou à pleine capacité, sans qu’il y ait matière à amélioration? Malheureusement, la réponse courte est non.
Malgré ces statistiques incroyables sur les heures de bénévolat fournies par les Canadiens, Bénévoles Canada a eu vent de nouveaux enjeux qui l’ont poussé à mener une recherche intitulée « Combler les lacunes ». Des bénévoles et des organismes ont soulevé de nouveaux enjeux associés à des lacunes croissantes entre ce que les bénévoles recherchent et les possibilités offertes par les organismes.
De plus, durant mes interactions l’an dernier avec de nombreux jeunes Canadiens, j’ai bien remarqué l’écart croissant entre la confiance des jeunes envers le gouvernement et le secteur à but non lucratif, ce qui entraîne une diminution énorme de leur intention de faire quelque travail de bénévolat que ce soit. Même si cet écart en matière de confiance est attribuable à plusieurs facteurs, on peut reconnaître que l’un des principaux facteurs est l’absence de sensibilisation parmi les jeunes quant au type de travail que les organismes à but non lucratif et les organismes de bienfaisance font. Un autre facteur principal que l’on remarque facilement, c’est la capacité limitée des secteurs de faire connaître leur travail et d’établir des canaux de communication entre les jeunes.
J’ai toujours été fermement convaincu que le fait de signaler un problème sans proposer de solutions ou de recommandations n’a pour conséquence que de créer un autre problème, donc j’aimerais offrir quelques recommandations. En plus des 40 heures de bénévolat obligatoires que l’on exige des jeunes pour qu’ils obtiennent leur diplôme à la fin de l’année scolaire, le gouvernement devrait créer et financer des efforts de mobilisation des jeunes dans les écoles et les universités. On devrait encourager et soutenir les organismes à but non lucratif et les organismes de bienfaisance afin qu’ils visitent des écoles et des universités et parlent de leur travail et de leur défense des intérêts, afin de communiquer avec les élèves et de discuter de possibilités de bénévolat.
Les gouvernements devraient envisager de fournir des ressources pour soutenir les capacités des organisations de gérer et d’exploiter les sources de bénévolat de façon plus efficace. Éliminer les règles et les politiques qui forcent les jeunes à faire du bénévolat, et trouver plutôt des moyens novateurs pour encourager les jeunes à devenir des bénévoles.
Je n’ai pas de meilleure façon de terminer mon exposé que de décrire le programme Hack Your Future, qui exerce ses activités grâce au travail de bénévoles. Il s’agit d’un programme de six mois visant à former des réfugiés qui n’ont aucune expérience de codage, en vue de les préparer au marché du travail. Dans le cadre de ce programme, nous avons été en mesure d’obtenir une salle de formation auprès de l’Université Ryerson, de tenir une séance d’information sur le codage pour 46 réfugiés et d’obtenir pour 11 postulants demandeurs du statut de réfugié une formation et un mentorat dispensés par neuf codeurs très professionnels. Certains de ces codeurs sont des chefs d’équipe principaux dans des sociétés multinationales au Canada.
Au cours du dernier mois, sept de ces 11 demandeurs du statut de réfugié ont terminé ce programme. À ce jour, trois diplômés ont commencé à exercer un emploi à temps plein en tant que développeurs débutants. Deux d’entre eux sont de jeunes femmes qui ne détenaient aucune expérience de codage avant de se joindre au programme.
Même si le financement d’un tel projet pilote pourrait coûter 50 000 $ ou plus, l’équipe de bénévoles de Jumpstart a été en mesure de le faire en six mois, avec un budget de moins de 150 $. Si les organismes au Canada se voyaient offrir ces ressources et cette capacité afin d’utiliser davantage les ressources inexploitées de bénévoles, les résultats seraient incroyables. Merci.
Le président : Merci, monsieur Alio.
Madame MacDonald?
Arlene MacDonald, directrice générale, Community Sector Council of Nova Scotia : Merci, mesdames et messieurs, de m’avoir invitée à comparaître ici aujourd’hui. Je viens du Community Sector Council of Nova Scotia, formée il y a cinq ans à peine, pour répondre à l’arrivée du gouvernement dans notre secteur afin de travailler sur une législation et des questions stratégiques auprès de plus de 6 200 organismes. Nous avons découvert que ce travail est très difficile, vu le nombre d’organismes. Le Community Sector Council of Nova Scotia a été formé dans le but d’assurer la transition, pour que le gouvernement puisse travailler et communiquer avec le secteur communautaire.
Le mandat du Community Sector Council est de renforcer les capacités dans les secteurs à but non lucratif et à vocation sociale, et nous le faisons par trois moyens : d’abord, nous travaillons avec des organismes pour renforcer leur capacité d’accomplir leurs missions. Nous offrons de la formation et du soutien, par exemple, au sujet de l’évaluation des répercussions et des mesures, de sorte que le secteur puisse rendre compte de son bon travail. Ensuite, nous agissons aussi comme défenseur du marché du travail. Nous appuyons les organismes en agissant comme leur employeur : les plus de 6 200 organismes emploient plus de 36 000 personnes juste dans notre province. Cela en fait l’un des plus grands employeurs de la Nouvelle-Écosse. De plus, nous aidons à renforcer leur capacité de travailler avec d’autres secteurs sur les enjeux complexes auxquels nous faisons tous face dans l’ensemble du Canada, particulièrement dans les régions rurales. En Nouvelle-Écosse, nous observons un fort exode de nos jeunes, qui quittent nos collectivités rurales pour se rendre dans des collectivités urbaines, à l’intérieur et à l’extérieur de notre province, et jusqu’en Alberta, en Ontario, et parfois, à Terre-Neuve.
On m’a demandé de prendre la parole aujourd’hui afin d’étudier notre travail sous l’angle des jeunes et de parler du bénévolat chez les jeunes. Au Canada, ce sont 66 p. 100 des jeunes âgés de 15 à 19 ans qui font du bénévolat. En Nouvelle-Écosse, je suis fière de dire que ce chiffre s’élève à 72 p. 100, soit le plus haut au pays.
Les possibilités que notre secteur fournit à ces jeunes bénévoles sont difficiles à mesurer. Il y a une absence de données au Canada au sujet des répercussions du secteur à but non lucratif. Nous avons demandé au gouvernement de fournir à Statistique Canada un mandat, les ressources et le budget pour mesurer les répercussions de notre secteur dans l’ensemble du Canada. La dernière fois qu’on a donné à Statistique Canada le mandat d’effectuer ce type de collecte de données, c’était en 2003.
Juste en décembre dernier, Statistique Canada a achevé un rapport satellite unique sur les répercussions du secteur. Malheureusement, les données sont limitées, car le ministère n’a pu que recueillir des données auprès d’organismes de bienfaisance enregistrés. Toutefois, bon nombre des organismes qui travaillent dans l’ensemble du Canada ne sont pas des organismes de bienfaisance enregistrés. Notre conseil sectoriel en est un exemple : nous ne sommes pas un organisme de bienfaisance enregistré. Par exemple, je ne rends aucun compte sur le nombre d’employés que je possède. Quand il est difficile de trouver de l’information sur le marché du travail dans notre secteur, il est aussi très difficile pour les jeunes de considérer notre secteur comme une destination d’emploi ou de profiter des occasions qui existent. Notre secteur emploie un grand nombre de personnes. Environ 8 p. 100 de la contribution au PIB du Canada provient du secteur à but non lucratif. C’est difficile pour nous de faire comprendre aux jeunes les possibilités qui existent sans la présence d’une collecte de données appropriée. Une de nos recommandations, c’est que le comité encourage et soutienne le gouvernement afin qu’il donne à Statistique Canada le mandat de continuer de recueillir des données sur notre secteur.
Nous aimerions aussi attirer votre attention sur l’engagement que le gouvernement canadien a pris à l’égard des objectifs de développement durable — les ODD — à l’instar de nombreux autres pays associés aux Nations Unies. Notre secteur est très bien placé pour soutenir le Canada dans l’atteinte des objectifs de développement durable. Il travaille actuellement sur bon nombre de ces objectifs, et il continuera de le faire. Nous nous penchons déjà dans nos collectivités sur les enjeux de la pauvreté, du logement, de l’environnement et de l’eau — toutes ces choses qui font partie des objectifs de développement durable s’inscrivent également dans le mandat et les missions de notre secteur.
Le gouvernement canadien a effectué quelques consultations auprès des jeunes concernant l’élaboration de politiques touchant les jeunes et le suivi du bénévolat chez les jeunes, par rapport aux objectifs de développement durable. Nous encourageons le comité à appuyer l’élaboration d’une politique touchant les jeunes pour le Canada et Statistique Canada à mesurer les répercussions de notre secteur et des bénévoles, y compris nos jeunes bénévoles, sur les objectifs de développement durable et à faire le suivi de nos progrès à ce jour — tant comme secteur que comme pays — quant à la réalisation des objectifs de développement durable.
Entre autres difficultés, notre secteur doit mesurer les répercussions de son travail, en plus des répercussions collectives de notre secteur et d’autres secteurs dans notre province et notre pays. Nous devons aussi pouvoir cerner les lacunes dans les efforts déployés par le Canada pour atteindre les objectifs de développement durable.
Il est essentiel de soutenir des organismes qui travaillent avec des jeunes, emploient des jeunes et leur fournissent des possibilités. Notre secteur est bien placé pour attirer et retenir des jeunes dans des collectivités rurales, où la rétention des jeunes est essentielle à la durabilité des régions rurales. Si nous n’appuyons pas notre secteur pour qu’il puisse employer et soutenir des jeunes, nous faisons face à la possibilité d’une crise liée à l’exode. Je ne peux insister assez sur l’importance de tout cela dans l’Est du Canada, où notre secteur est parfois le seul employeur dans de petites collectivités rurales.
Notre secteur est souvent la première occasion pour les jeunes de demander des bourses et de s’inscrire dans des universités, en faisant du bénévolat et en renforçant leurs compétences. Il se révèle souvent être la première destination d’emploi pour les jeunes, grâce à des programmes d’emploi d’été et de stage. Ces services doivent se maintenir. Notre gouvernement doit être soutenu, pour pouvoir continuer ce qu’il fait maintenant et amplifier les investissements qu’il apporte à notre secteur, pour que nous puissions continuer de soutenir les jeunes dans leurs activités bénévoles et leur emploi.
Je demande au Sénat de réfléchir à la façon dont le gouvernement travaille actuellement avec notre secteur et à la façon de renforcer les travaux du gouvernement dans notre secteur.
Merci beaucoup de m’avoir donné cette occasion aujourd’hui.
Le président : Merci, madame MacDonald.
Chris Pot, directeur des programmes, Hidden Acres Mennonite Camp and Retreat Centre : Merci de me permettre de venir vous parler aujourd’hui. Je m’appelle Chris Pot et je suis directeur des programmes au Hidden Acres Mennonite Camp and Retreat Centre, situé dans le Sud-Ouest de l’Ontario.
Chez Hidden Acres, nous servons des familles, des églises, des écoles et des organisations communautaires dans un contexte naturel et bien entretenu, qui permet une diversité d’usages par ces groupes. Nous exploitons les programmes de camp d’été depuis 1962 pour des enfants et des jeunes âgés de 8 à 15 ans, y compris ceux ayant des besoins particuliers, des mères célibataires à faible revenu et leurs enfants, de jeunes adultes présentant des besoins particuliers, des personnes handicapées, des aînés et d’autres encore. Nous offrons également des classes en plein air durant toute l’année, du renforcement communautaire et des possibilités de développement du leadership. En moyenne, plus de 9 000 personnes visitent notre camp chaque année.
Nous vous remercions d’explorer ce domaine important et de vous attaquer aux difficultés auxquelles nous faisons face, quant à la façon de mobiliser la prochaine génération à donner de son temps et de ses ressources dans le but de solidifier, de soutenir et d’enrichir les collectivités.
En jetant un coup d’œil à la liste des gens qui racontent leur histoire à mes côtés aujourd’hui, et dans le cadre de réunions passées et de réunions futures, je me suis demandé pourquoi diable nous sommes à cette table. Qu’avons-nous à offrir? Nous sommes un petit camp de 22 acres dont l’influence est relativement limitée par rapport à d’autres organisations. Je me suis dit que, sûrement, d’autres personnes étaient beaucoup plus qualifiées que nous pour venir raconter leur histoire. Toutefois, je suis heureux que vous ayez choisi d’inclure des petits organismes locaux à but non lucratif et de nous entendre parler de nos expériences, donc merci.
Nous vous remercions d’accueillir à la table des organisations confessionnelles, reconnaissant le bien qu’elles font dans la société. Parfois, on a l’impression qu’on ne prend pas le temps de comprendre les nombreuses formes d’action que les communautés confessionnelles mettent en oeuvr et au sein de la société et qui ne sont pas axées sur le prosélytisme. Les nombreuses mesures destinées à la réduction de la pauvreté et à la fourniture d’options positives au sein des collectivités locales sont des résultats suffisants dans les effets positifs qu’ont ressentis les personnes ou les groupes servis.
Un des aspects clés qui sont une source de difficultés de plus en plus grandes pour nous en ce qui touche les jeunes de notre organisation, c’est le recrutement des employés de notre équipe pour les camps d’été. Nous embauchons environ 45 jeunes de 17 à 25 ans. Ces employés sont de jeunes adultes qui reconnaissent la valeur de la création d’un espace sécuritaire pour les enfants et les jeunes, afin qu’ils puissent cheminer vers l’indépendance par rapport à leurs parents et acquérir des compétences et des traits de caractère reconnus comme étant essentiels pour devenir des adultes qui contribuent à nos collectivités.
Nous avons établi avec ces jeunes une relation fondée sur la confiance qui, de pair avec leur désir de servir et de changer des choses, est ce qui les motive à travailler au camp.
Un de nos objectifs en tant que camp, c’est de maintenir nos coûts à un niveau aussi abordable que possible, de sorte que tout campeur qui souhaite venir au camp puisse le faire, peu importe la situation financière de sa famille. Un des facteurs qui nous aident à accomplir cela, c’est le recrutement de personnel très qualifié qui est prêt à travailler du dimanche après-midi jusqu’au vendredi après-midi, semaine après semaine, en échange du gîte et du couvert, en plus d’un très faible salaire hebdomadaire qui correspond à un montant bien inférieur au salaire minimum. C’est de plus en plus difficile à faire, car les jeunes qui ont l’âge de fréquenter l’école secondaire et postsecondaire font face à des pressions croissantes pour répondre aux réalités des études postsecondaires.
L’été dernier, je parlais avec une de nos employés de sa décision de ne pas revenir travailler au camp. Elle a dit que l’argent était la raison principale. C’est quelqu’un qui a campé à Hidden Acres depuis ses 8 ans, qui a un fort intérêt dans le travail que nous faisons, un désir de revenir, qui se destine à un programme universitaire où le type d’expérience que le camp fournit serait considéré comme extrêmement utile. Toutefois, ses obligations financières l’empêchent d’y prendre part. C’est devenu une histoire de plus en plus courante. Comment nous attaquons-nous à cet enjeu sans augmenter nos coûts et verser le salaire minimum à nos employés, et donc rendre le programme inaccessible à des familles?
Une des choses qui nous ont aidés, c’est de pouvoir recevoir du soutien par l’intermédiaire du programme Emplois d’été Canada. Cependant, il est de plus en plus difficile de nous acquitter des formalités administratives associées à la demande de financement. Nous encouragerions le comité et le gouvernement à songer à changer les exigences pour les camps d’été d’organismes de bienfaisance à but non lucratif et d’autres organisations semblables à nous, celles qui nous obligent à verser le salaire minimum pour une semaine de 40 heures de travail. Cela permettrait de reconnaître que des organismes comme le nôtre n’arrivent pas si facilement à le faire et ne sont pas tenus de payer le salaire minimum.
J’encouragerais également le gouvernement à songer à mettre en œuvre un programme de crédits pour les étudiants faisant des études postsecondaires qui choisissent de faire du bénévolat auprès d’organismes de bienfaisance à but non lucratif. Je ne juge pas nécessaire d’en faire une exigence pour la diplomation, comme c’est le cas au niveau secondaire en Ontario. Toutefois, cela servirait de mesure incitative et de reconnaissance pour le temps qu’ils ont consacré à ces organismes.
Il y a deux niveaux de crédit, un pour les élèves qui ont un emploi rémunéré, mais qui font aussi du bénévolat auprès d’organismes de bienfaisance, et un autre pour les élèves qui choisissent de travailler dans un endroit comme un camp d’été à but non lucratif ou un autre organisme de bienfaisance qui ne peut rémunérer ses employés au même titre qu’un employeur fournissant un emploi à temps plein qui verse un salaire minimum ou plus. Ce serait différent des programmes de stage ou d’alternance travail-études, qui fournissent déjà des crédits pour les postes retenus.
La prochaine génération de jeunes désire fortement donner à leurs collectivités et aux organismes de bienfaisance à l’intérieur de leurs collectivités. Je les entends souvent dire qu’ils aimeraient venir travailler pour nous, mais les réalités financières de la vie font souvent en sorte qu’il est très difficile, voire impossible, pour certains d’entre eux de le faire.
Je crois qu’un accès facilité à des programmes gouvernementaux pour des organismes de bienfaisance à but non lucratif comme nous qui aident à embaucher de bons jeunes de qualité et la fourniture d’un soutien financier supérieur à ce que nous pourrions offrir nous-mêmes, ainsi que des crédits postsecondaires pour le temps consacré à des organismes de bienfaisance, offrirait deux avenues qui pourraient faire pencher la balance en faveur de certains jeunes et suffire à les motiver à se joindre à nous.
Le président : J’aimerais vous remercier tous les quatre de vos bons exposés. Je sais que ceux-ci susciteront un certain nombre de questions de la part de mes collègues.
Madame MacDonald, vous avez parlé de l’effet de l’emploi dans le secteur d’une petite province comme la Nouvelle-Écosse, qui compte moins de 1 million de personnes. Vous avez raison de dire que, dans quelques petites collectivités, le secteur de la bienfaisance pourrait être le plus grand employeur. La province a-t-elle joué un quelconque rôle pour mesurer ce programme? Votre programme est en vigueur maintenant, et ce, depuis quelques années. Est-il possible de dessiner un portrait du fonctionnement, d’une collectivité à l’autre, en Nouvelle-Écosse?
Mme MacDonald : La réponse courte, c’est non. Nous travaillons en étroite collaboration avec le gouvernement provincial. Par le passé, nous avons toujours considéré, je crois, que les gouvernements travaillent avec le secteur privé pour favoriser la richesse et l’investissement, puis, de façon connexe, définissent le mieux-être social à l’aune du bien-être économique. Notre secteur contribue largement, pas seulement au mieux-être social, mais aussi au bien-être économique. Malheureusement, d’une province à l’autre, nous avons en place très peu de mécanismes pour le mesurer, et nous travaillons donc avec plusieurs ministères du gouvernement provincial sur le plan de la mobilisation, qui est une nouvelle façon pour notre secteur de collaborer avec le gouvernement. Généralement, notre relation avec le gouvernement est de nature réglementaire; il nous finance, nous lui rendons des comptes, et il n’y a pas de collaboration stratégique entre ces secteurs. Nous essayons donc de découvrir, sénateur Mercer, ce que notre secteur apporte, collectivité par collectivité, dans toute la province, mais c’est principalement nous, en tant que conseil sectoriel, qui démêlons tout cela, pas nécessairement le gouvernement.
Une des recommandations que nous faisons à notre gouvernement provincial et au gouvernement canadien, c’est qu’ils créent au sein du gouvernement un foyer pour le secteur à but non lucratif, pour que nous puissions ensemble examiner la santé, la vitalité et l’avenir de notre secteur, particulièrement dans les collectivités rurales.
Le président : J’ai l’impression qu’une partie du travail fait dans le secteur crée dans la collectivité des services qui n’existaient pas auparavant. Je reviens à l’époque où j’étais directeur général de la Fondation du rein, en Nouvelle-Écosse. La collectivité de Springhill n’avait aucun service de dialyse. Il y en avait quelques-uns dans la collectivité voisine d’Amherst, mais aucun à Springhill, et étant donné la population vieillissante à Springhill, le nombre de patients était assez élevé.
L’établissement d’un chapitre de la Fondation du rein s’est révélé le catalyseur nécessaire pour amener le gouvernement à établir une unité satellite d’hémodialyse pour les patients en insuffisance rénale chronique dans cette collectivité. C’était il y a plus de 25 ans. J’ai pris la parole lors du 25e anniversaire du chapitre il y a quelques années, et c’était le fruit du travail de bénévoles. Aujourd’hui, tel que le service est actuellement offert dans la collectivité, le gouvernement n’a pas l’audace de fusionner le programme des deux collectivités en un seul, car on considère qu’il est très utile.
Essayez-vous de mesurer ces choses tout comme le volet des ressources humaines? Ce sont les services que vous fournissez dans certaines collectivités. Je ne donne que cet exemple, mais il en existe des dizaines.
Mme MacDonald : Oui. Nous souhaitons assurément mesurer non seulement l’impact sur le marché du travail et les répercussions économiques, mais aussi les répercussions sociales. Une des difficultés de notre secteur, c’est la capacité de faire des choses qui s’éloignent de la réalisation de la mission. Donc, par exemple, c’est facile d’amener un donateur à investir dans l’achat d’une paire d’espadrilles à 25 $ pour un enfant, mais ce donateur s’attend à ce que l’enfant reçoive une paire d’espadrilles à 25 $.
On investit très peu dans la capacité de notre secteur, par exemple, pour qu’il puisse embaucher quelqu’un pour découvrir quel enfant a besoin de ces espadrilles, mesurer les répercussions une fois que cet enfant les a reçues. Cet enfant est-il soudainement capable de participer à un sport qui n’était pas à sa portée auparavant? Nous ne mesurons pas ces choses très efficacement dans notre secteur et nous pourrions les mesurer une organisation à la fois, donc je suis sûre que la Fondation du rein est à même de mesurer directement les répercussions de ses services sur ses membres. Malheureusement, la Fondation du rein ne travaille probablement pas en étroite collaboration avec la Société canadienne du cancer ou la Fondation canadienne de la santé des femmes ou d’autres fondations de façon à produire, collectivement, des rapports sur les répercussions de leurs services de santé offerts aux clients ou aux résidants de la Nouvelle-Écosse ou de toute autre province. Une certaine capacité doit être investie dans le secteur, pour que nous puissions faire des choses, comme prendre une pause de notre travail pour mesurer les répercussions connexes.
Le président : C’est exact. On remarque certainement les répercussions de tous les efforts déployés lorsqu’on retire ces services.
Mme MacDonald : Tout à fait.
Le président : C’est important de les mesurer au fur et à mesure, pour ne pas arriver à un stade où un service qui est devenu important pour une collectivité est retiré.
La sénatrice Omidvar : Merci à vous tous d’être venus jusqu’à Ottawa, qui est glacial. Je vous en remercie et je vous remercie de votre témoignage.
Monsieur Pot, votre témoignage a suscité chez moi une réaction personnelle. Mes deux filles ont toutes deux travaillé dans des camps d’été. Je sais, comme en témoigne leur réussite aujourd’hui, que ce sont les compétences en leadership qu’elles ont acquises dans ces camps et les possibilités connexes qui leur ont vraiment donné l’élan nécessaire, donc je vous remercie du travail que vous faites.
Vous êtes tous associés à des jeunes dans le secteur du bénévolat. J’aimerais d’abord poser des questions à un niveau plutôt global. Les données probantes que nous avons entendues plus tôt sur le bénévolat et les dons donnent à penser que les jeunes sont mobilisés et qu’ils sont intéressés, mais leurs moyens pour l’exprimer diffèrent. Ils ne souhaitent pas tant s’attacher à un établissement, mais s’intéressent beaucoup plus à une paire d’espadrilles à 25 $ que quelqu’un pourra obtenir.
Comment réussissez-vous à continuer de mobiliser vos bénévoles? Quel devrait être le rôle du gouvernement fédéral pour générer de plus grandes possibilités de bénévolat dans ce contexte, où il existe un certain degré d’inconstance?
M. Alio : Une des choses intéressantes avec les bénévoles de Jumpstart, c’est que la plupart d’entre eux travaillent avec nous depuis plus de deux ans, depuis les débuts de l’organisation. Je pense que, comme vous l’avez dit, sénatrice Omidvar, une des raisons pour lesquelles ils s’intéressent à ces 25 $, c’est qu’ils voient les répercussions. Quand des jeunes font quelque chose et voient les répercussions de leur travail, ils s’intéressent. Je crois que la mentalité de nombreux organismes en ce moment, c’est que vous venez faire du travail administratif — voici le travail que nous avons à vous confier —, mais il n’y a aucune façon de signaler aux bénévoles les répercussions et les résultats de ce qu’ils ont fait.
Chez Jumpstart, les bénévoles ont le même droit de vote que celui que je détiens en tant que cofondateur et directeur. Nous sommes très prudents au moment d’embaucher des bénévoles. Nous nous assoyons avec eux pendant de longues heures. Lorsque nous les faisons entrer dans la famille, ils deviennent des artisans du changement, et nous demandons à tous les bénévoles de nous envoyer, à la fin du mois, un rapport sur ce qu’ils ont fait. Puis, nous transmettons ce rapport à tout le monde, pour que tous puissent voir exactement ce qui est fait et quels sont les résultats. Donc, maintenant, les bénévoles ne sont pas vraiment des bénévoles; ils sont autant de membres de l’organisation; ils planifient les choses et travaillent avec nous.
Je crois qu’on a aussi mentionné une chose au sujet de la logique du citoyen universel. Je crois que les jeunes en ce moment sont attirés par cela, à bien des égards. Nous faisons partie d’un réseau international qui s’appelle le Réseau pour la voix des réfugiés à Genève, afin d’amener des réfugiés à élaborer des politiques avec les États membres. À une occasion, j’avais besoin d’un bénévole pour faire ce travail, qui est du travail international. En moins de un jour, j’ai trouvé plus de 10 bénévoles, juste parce que le travail peut avoir des répercussions internationales.
C’étaient là quelques idées sur la façon dont nous les retenons.
La sénatrice Omidvar : C’est très intéressant. Merci.
Ma prochaine question s’adresse à M. Chan, de la D2D Destiny Foundation. Je remarque que vous vous êtes enregistré comme organisme à but non lucratif, et non pas comme organisme de bienfaisance. Pourriez-vous nous expliquer la raison pour laquelle vous avez fait ce choix?
M. Chan : La principale raison pour laquelle nous sommes enregistrés comme organisme à but non lucratif, c’est que, pour obtenir le statut d’organisme de bienfaisance, nous devons remettre des reçus fiscaux. Un élément majeur qui est ressorti, c’est que nous ne voulions pas être responsables de remettre des reçus pour déductions fiscales à nos donateurs. En tant qu’organisme à but non lucratif, nous appuyons toujours des organismes différents; mais en même temps, les reçus pour déductions fiscales sont remis par nos bénéficiaires.
La sénatrice Omidvar : Je vois. Vous avez dit que vous détenez une boutique en ligne qui ressemble à Amazon. Votre statut d’organisme à but non lucratif rehausse-t-il votre capacité de générer des revenus pour votre mission ou la limite-il? Il y a des règles et des règlements au sujet de l’utilisation des fonds et de la façon dont vous en générez, et cetera. Pourriez-vous décortiquer tout cela un peu pour nous?
M. Chan : Je crois que cela ne nous limite pas nécessairement, parce que, pour notre organisme à but non lucratif et notre boutique en ligne, tous les articles nous sont donnés, donc nous n’engageons aucun coût. Par exemple, si nous recevons un sac à main et le vendons 100 $, 80 p. 100 seront donnés à un bénéficiaire que nous soutenons, et 20 p. 100 seront retenus, en raison des frais administratifs de notre organisme à but non lucratif.
La sénatrice Omidvar : Merci. Je vais peut-être devoir revenir à vous avec d’autres questions.
Je suis curieuse, madame MacDonald : vous avez parlé de sociofinancement et d’innovation sociale. Vous savez que le gouvernement fédéral a établi — dans une certaine mesure, à l’invitation du Sénat — un fonds de 755 millions de dollars. Il s’agirait d’un fonds national qui a des tentacules régionaux.
En ce moment, compte tenu des renseignements que vous disposez, songez-vous à exploiter ce fonds? De quel type de capacité votre collectivité aurait-elle besoin pour intervenir et faire partie de ce nouvel écosystème que nous essayons de créer?
Mme MacDonald : Oui, la stratégie représente une initiative emballante pour notre secteur. Nous avons animé des conversations au sujet de l’innovation sociale et d’une stratégie sur le sociofinancement, en essayant, dans un premier temps, d’amener notre secteur à prendre conscience de son existence, et dans un deuxième temps, de découvrir auprès de notre secteur quelle capacité il peut mobiliser.
Par exemple, une des recommandations du comité porte sur la collecte de données, qui est difficile, même pour Statistique Canada. Nous avons rencontré des représentants de Statistique Canada en octobre, et ils nous ont dit que c’est difficile pour eux de recueillir des renseignements et des données qui n’existent pas. Pour que notre secteur soit à même de participer — même cette recommandation simple de la stratégie —, il doit détenir la formation et la capacité nécessaires pour savoir comment mesurer ses répercussions. Beaucoup de recommandations figurent dans la stratégie.
Par rapport à la question que vous avez posée à mon collègue au sujet du registre, la Nouvelle-Écosse est une des rares provinces qui ont la capacité hybride d’enregistrer des sociétés d’investissement dans les collectivités, ce qui permet l’existence d’entreprises à vocation sociale dans la province.
Une partie de la stratégie et de la raison justifiant les recommandations contenues dans cette stratégie concerne l’innovation de l’entreprise sociale et le fait que les organismes à but non lucratif ne peuvent pas continuer de compter sur le gouvernement pour leur financement de base. C’est difficile de dépendre des bénévoles et des donateurs, tandis que nous essayons de réagir à des enjeux socioéconomiques de plus en plus complexes. Cela nécessite un certain niveau de professionnalisme. Pour nous, la participation à cette stratégie se résume à la capacité et à la sensibilisation.
La sénatrice Martin : Merci, monsieur le président. Vos questions s’alignaient sur certaines des questions que je voulais aussi poser, donc je vais peut-être poursuivre dans cette veine.
Tout d’abord, un grand merci pour vos exposés. J’ai trouvé génial d’entendre parler du type de mobilisation réussie des jeunes qui se produit, de comprendre aussi les difficultés connexes.
Ma première question s’adresse à Arthur Chan. Je connais votre organisation et je suis très impressionnée par votre mobilisation incroyable auprès des jeunes. Vous avez parlé de Little Angels, les élèves du primaire que vous mobilisez très tôt.
Nous avons entendu M. Alio dire que les bénévoles font partie du processus décisionnel, et ils sont donc très mobilisés — en fait, même au plus haut degré de participation internationale. Je peux voir à quel point cela est très motivant pour de jeunes bénévoles.
Vous n’avez pas eu l’occasion de répondre à cette question, mais j’aimerais entendre parler de votre mobilisation des plus jeunes de nos citoyens. De plus, vous avez comme grand objectif de créer cette sorte d’Amazon des organismes de bienfaisance. Cependant, y a-t-il un plan stratégique? Savez-vous quelle voie vous devez suivre? Le cas échéant, le gouvernement a-t-il un rôle à jouer pour soutenir ce noble objectif qui est le vôtre?
M. Chan : Je vais d’abord aborder la question de la mobilisation. Je crois qu’il y a une chose que nous faisons très bien dans notre organisation : la création d’un sentiment de communauté et de famille. Je parle souvent à nos membres. Notre groupe est composé d’élèves du primaire jusqu’à la première ou deuxième année de l’université. Lorsque je discute avec nos membres du secondaire, c’est assez drôle. Je leur demande : qu’est-ce qui vous a motivés à vous joindre à nous pour faire du bénévolat et redonner à la collectivité? Ils nous donnent une vraie réponse et nous disent : « C’est ma mère et mon père qui m’y ont forcé au début ». C’est la vérité. C’est ce que je les entends tous dire, mais ils se joignent à nous à un très jeune âge. La plupart d’entre eux sont en 6e ou 7e année, et ils resteront auprès de nous jusqu’à l’obtention de leur diplôme.
Durant cette période, nous établissons un lien étroit avec chaque membre. La plupart d’entre eux ont des frères et des sœurs, et ils échangent donc aussi avec eux. Des élèves du primaire, du secondaire et de niveau universitaire font partie de nos membres. Nous créons un sentiment de communauté avec toute l’équipe. C’est bien plus que juste une organisation, avec des membres d’équipe et des partenaires. Nous travaillons en étroite collaboration avec eux. Nous donnons à chaque membre la possibilité d’utiliser ses talents pour recueillir des fonds. C’est l’idée que j’ai mentionnée de la « gratitude face à l’aptitude », c’est-à-dire que nous reconnaissons les compétences de chacun de nos membres et les utilisons pour recueillir des fonds.
Par exemple, un de nos membres joue très bien du piano, et ce, depuis qu’il est tout jeune. Comme il aime jouer de cet instrument, nous avons organisé un concert de bienfaisance et de charité avec lui l’an dernier, en nous servant de ses talents pour redonner à la collectivité et contribuer à changer les choses.
Pour ce qui est de la deuxième question, sur un plan stratégique pour faire croître notre boutique en ligne, je ne peux pas pleinement y répondre en ce moment. Toutefois, c’est un grand objectif pour notre équipe. C’est assurément un rêve que nous voulons réaliser dans l’avenir. Nous sommes novateurs et nous incorporons l’idée d’avoir un esprit d’entreprise à l’égard de cette boutique en ligne. Il n’y a pas de limites, et je crois toujours que la philanthropie n’en a pas. Tant et aussi longtemps que vous avez une croyance, vous pouvez accomplir n’importe quoi.
La sénatrice Martin : Merci.
Monsieur Alio, vous avez parlé du besoin d’avoir un modèle de bénévolat efficace. Je crois que l’une des forces d’une étude du comité, c’est de cerner les pratiques exemplaires et nous assurer que d’autres prennent la pleine mesure de l’efficacité de certaines organisations. Vous avez parlé de votre mobilisation réussie. Y a-t-il autre chose concernant votre modèle de bénévolat que vous n’avez pas eu l’occasion d’approfondir qui pourrait être communiqué à d’autres?
M. Alio : L’autre chose, c’est de créer plus de services, une des choses que nos bénévoles comprennent. Si vous allez sur notre site web, vous verrez un de nos programmes, par exemple, Construction Connection. Si vous voulez le rejoindre, l’adresse de courriel est construction@rcjp.ca. Pour chaque programme, nous avons une adresse courriel. Plus de 80 p. 100 de ces courriels sont gérés par des bénévoles. C’est le programme dont ils sont responsables. Chacun va créer ces types de cercles. Vous faites du bénévolat pour ce rôle précis dans ce service, puis, peut-être que deux ou trois membres de cette équipe vont créer le service de soutien, travailler ensemble et se suivre les uns les autres, d’une certaine façon. Ils se répartissent les tâches entre eux.
Ces types de services n’existent que depuis six mois environ. Ils ont permis d’améliorer le travail de nos bénévoles et de faciliter l’inscription des bénévoles. C’est une courbe d’apprentissage continue pour nous de continuer à travailler avec des bénévoles pendant plus de deux ans. Je n’avais jamais imaginé cela.
Je crois fermement que nous devons gérer l’organisme à but non lucratif à la manière d’une entreprise. Nombre de gens sont mécontents lorsqu’ils entendent ceci : « gérer les organismes à but non lucratif à la manière d’une entreprise ». C’est une des raisons pour lesquelles nous avons réussi jusqu’à maintenant. En même temps, le gouvernement doit comprendre que les organismes à but non lucratif doivent être gérés comme une entreprise. Ils comprendront ensuite que le financement — par exemple, le travail sur les médias sociaux de cet organisme, ses chaînes de communications, le renforcement des capacités... et qu’il n’est pas question de réduire la capacité de l’organisme en consacrant 15 p. 100 du financement aux frais généraux. S’ils comprenaient que c’est une entreprise, ils seraient en fait ouverts à financer une plus grande partie des activités ou des conséquences sociales. Nous avons créé quelque chose qui s’appelle le rendement social de l’investissement, à titre d’organisme à but non lucratif créé par les bénévoles. C’était l’idée d’un bénévole. Pour chaque dollar investi dans l’organisation, nous redonnons 7,50 $ au Canada en contributions fiscales et en épargnes. Ce chiffre a grandement contribué à changer les choses pour nous, et pour que les bénévoles comprennent ce que l’on fait.
La sénatrice Martin : Merci.
La sénatrice Omidvar : Je vais poursuivre sur la même lancée. Vous nous avez donné tous les quatre quelques points intéressants à retenir. Afin de vous assurer que les jeunes font du bénévolat, vous avez besoin d’une appartenance, d’une voix, d’une structure et d’une bonne gestion.
J’ai remarqué que nous avons parlé de possibilités de bénévolat, où l’on a surtout des contacts très personnalisés, de façon individuelle. Vous en avez parlé, messieurs Chan, Alio et Pot. Il me semble que les expériences les plus précieuses sont celles qui ont lieu dans la localité.
Monsieur Pot, vous avez présenté une proposition pour la création de mesures incitatives afin qu’un plus grand nombre de jeunes se portent bénévoles dans votre camp, par exemple. Vos deux propositions relèvent en fait de la compétence provinciale; les lois sur le travail et les crédits universitaires, et cetera. Que demanderiez-vous au gouvernement fédéral de faire dans son rôle de promotion d’une stratégie de bénévolat nationale, si l’on suppose que le bénévolat est surtout local?
M. Pot : Je reconnais qu’il pourrait se révéler ardu pour le gouvernement d’avoir une influence sur ma deuxième recommandation, les crédits universitaires. Il y a des programmes en place. Cette recommandation est ressortie d’une conversation avec le père d’une élève actuellement en âge de fréquenter l’université, qui croyait que cela pourrait aider à amener sa fille à redonner.
Corrigez-moi si j’ai tort : le programme Emplois d’été Canada est-il de ressort fédéral?
La sénatrice Omidvar : C’est un programme fédéral, mais le salaire minimum est de compétence provinciale. Vous faites allusion à la demande où vous devez vous engager à verser le salaire minimum?
M. Pot : Oui. C’est très difficile pour nous de le faire dans le cadre de notre structure actuelle, car nous ne sommes pas tenues de payer le salaire minimum. Si nous voulons le faire, nos employés travaillent pendant quelques semaines, ou une partie de leur temps, et font du bénévolat une autre partie de leur temps. Ils font donc du bénévolat, mais cela complique les choses. S’il y avait une façon de reconnaître les organismes à but non lucratif et les organismes de bienfaisance, tout en gardant à l’esprit que certains de ceux-ci ne soutiennent pas financièrement leurs bénévoles ou leurs employés — dans mon cas, je les appelle employés, mais essentiellement, ce sont des bénévoles — cela faciliterait beaucoup les choses, s’il y avait un moyen de prévoir dans le programme Emplois d’été Canada une exemption permettant de ne pas verser de salaire minimum.
La sénatrice Omidvar : Nous n’avons jamais entendu cette recommandation auparavant. Nous allons certainement l’étudier, mais je m’interroge sur les résultats imprévus d’une telle proposition. C’est un terrain glissant. Les normes touchant le salaire minimum existent pour une bonne raison, afin que les gens ne soient pas exploités. Vous êtes probablement au courant de la question des stages, où des jeunes sont forcés de faire du bénévolat pour obtenir un emploi. Cela s’appelle un stage dans certains cas. C’est un terrain glissant. Je suis sûre que vous le reconnaîtrez. Y en a-t-il d’autres qui souhaitent dire quelque chose?
Mme MacDonald : C’est difficile dans notre secteur de concurrencer d’autres secteurs pour retenir nos jeunes, en raison des faibles salaires. C’est presque comme si on s’attendait à ce que notre secteur fasse son travail avec de la main-d’œuvre non rémunérée. C’est un terrain très glissant que de continuer dans cet état d’esprit selon lequel le mieux-être social dans notre collectivité devrait dépendre des bénévoles qui font ce travail. C’est presque une obligation pour le gouvernement de travailler avec notre secteur sur certaines de ces questions nationales.
Vous avez posé une question au sujet des stratégies de bénévolat lorsque le bénévolat est local. Comment le soutenons-nous à l’échelle nationale? Par exemple, Bénévoles Canada a soutenu dans chaque province la mise sur pied d’un site web. En Nouvelle-Écosse, Volunteer Nova Scotia est un portail en ligne pour les jeunes qui recherchent des possibilités de bénévolat. Dans chaque province, ce portail est associé à Bénévoles Canada à l’échelle nationale. Est-il bien soutenu? C’est une initiative de durée unique. Comme la plupart des initiatives produites dans le secteur à but non lucratif, cela dépend du financement du projet. Il y a une date de fin, ce qui impose des attentes selon lesquelles notre secteur ne peut pas nécessairement continuer après la fin du projet.
Il y a des questions nationales différentes qui pourraient profiter d’un gouvernement fédéral chargé de travailler avec notre secteur, sur des questions comme la façon de soutenir et d’augmenter le bénévolat à l’échelle nationale au moyen de programmes, de taxation, de choses du genre, ainsi que d’examiner la sous-rémunération propre à notre secteur, les pensions, par exemple. Il y a toutes sortes de choses qui font en sorte qu’il est difficile pour notre secteur de retenir les bénévoles.
La sénatrice Omidvar : À votre avis, où un tel ministère serait-il situé au gouvernement?
Mme MacDonald : C’est quelque chose que l’on doit créer; il pourrait même s’agir d’un secrétariat pour le secteur à but non lucratif ou à vocation sociale. En ce moment, par exemple, il y a un chevauchement entre certaines des lettres de mandat envoyées aux différents ministres, qui impose des responsabilités à plusieurs ministères et complique vraiment la participation de notre secteur. Qui est le responsable? Qui mesure les répercussions de certaines de ces stratégies? La stratégie en matière d’innovation sociale est un bon exemple; les services à l’enfance et à la famille, le développement social, cela sollicite la participation et la responsabilité de plusieurs ministères à l’égard de cette stratégie. En tant que secteur, où vais-je si j’ai une idée, une possibilité ou si je veux en savoir davantage ou rendre des comptes à ce sujet?
Le président : Il y a de nombreuses années, j’étais directeur général de l’Association canadienne du diabète à Toronto. Un programme auquel nous participions avec le gouvernement fédéral a aidé à financer le salaire d’un certain nombre de personnes que nous embauchions de façon contractuelle. Cela nous a offert le luxe de pouvoir embaucher quelques personnes. Nous versions au moins le salaire minimum, si ce n’est un peu plus. L’Association canadienne du diabète a contribué aux salaires, mais le gouvernement fédéral aussi.
Au final, la partie intéressante, c’est que nous avons embauché cinq personnes, et quatre d’entre elles ont fini par obtenir un emploi à temps plein dans le secteur, pas nécessairement auprès de l’Association canadienne du diabète, mais au sein du secteur, en raison de l’expérience de travail qu’elles avaient reçue là-bas.
La sénatrice Martin : J’avais une question qui a déjà été posée. Je suis curieuse au sujet des statistiques selon lesquelles, en Nouvelle-Écosse, vous avez le plus grand taux de participation des jeunes. Qu’est-ce qui explique ce succès?
Mme MacDonald : Lorsque nous voyageons dans le pays, nous entendons dire à quel point nous sommes aimables et gentils.
Je crois que cela fait partie de notre norme sociétale sur la côte Est, peut-être. Nous entendons l’expression : « le désespoir est la mère de l’innovation ». Nous nous trouvons dans une région économiquement faible du pays, et les gens s’entraident. J’ai déjà utilisé cet exemple : nous demeurons l’une de ces provinces où une caisse de bière et un seau de poulet frit Kentucky peuvent contribuer à faire construire le toit d’un centre communautaire. Je crois que c’est un mode de vie pour nous, et nos jeunes y participent. Pour nous, notre crainte, c’est de perdre nos jeunes, et leur nombre devrait diminuer.
Le président : J’aimerais vous remercier tous les quatre d’être ici. Comme je l’ai dit après vos exposés, des exposés de qualité, comme vous pouvez le voir, suscitent pas mal de questions, et vous nous avez fourni quelques bonnes idées. Nous vous en remercions.
Passons maintenant au prochain témoin.
Nous sommes ravis aujourd’hui de recevoir comme témoin le très honorable David L. Johnston, président, Fondation Rideau Hall, ancien gouverneur général et président de la Fondation Rideau Hall, une personne éminemment active dans la communauté philanthropique, tant dans son rôle de gouverneur général que de celui de président d’université. Les présidents d’université, par le fait même qu’ils deviennent présidents d’université, sont forcés de devenir actifs dans le secteur philanthropique, et M. Johnston a fait un excellent travail.
Je suis ravi de vous recevoir, monsieur. Je vous en prie, la parole est à vous.
Le très honorable David L. Johnston, président, Fondation Rideau Hall : Merci beaucoup, monsieur le président et chers sénateurs. Je suis ravi d’être ici avec vous aujourd’hui et je me réjouis de vous voir. Sénateur Duncan, c’est merveilleux de vous revoir. Je suis accompagné de Jill Clark, à ma droite. Si je dis quoi que ce soit de sensé aujourd’hui, c’est grâce à Jill, qui est gestionnaire des communications pour la Fondation Rideau Hall, et pour tout le reste, c’est ma responsabilité. Nayaelah Siddiqui se joint également à nous. Elle ne restera qu’un jour parmi nous en tant que stagiaire de quatrième année en développement et commerce international, à l’Université d’Ottawa, et c’est une entrepreneure formidable. C’est une expérience fantastique.
[Français]
Permettez-moi de dire deux choses en commençant. Premièrement, j’aimerais vous remercier de me donner l’occasion de discuter avec vous de sujets très importants comme la philanthropie et le bénévolat. Deuxièmement, je tiens à vous féliciter pour votre travail, qui est très important pour notre pays et pour l’avenir de notre pays, et tout particulièrement pour les prochaines générations. Il est très important que nous ayons l’attention de la deuxième Chambre du Parlement, le Sénat, parce que vous avez une vision à plus long terme des valeurs de notre pays. Félicitations encore pour vos efforts et votre travail sur ce sujet très important pour le Canada.
[Traduction]
J’aimerais d’abord formuler quelques remarques préliminaires, puis nous pourrons participer à une conversation où les vraies idées commencent à avancer.
J’ai eu l’énorme privilège, tout comme ma femme, de servir de gouverneur général du Canada de 2010 à 2017. J’ai toujours adoré notre pays et pensé que le Canada est un bon pays. Je crois que l’une des expériences que nous avons tirées de cette période, c’est de découvrir que ce pays est encore meilleur que ce que nous croyions, mais il reste encore beaucoup de choses à faire, et vous faites partie de ce travail aujourd’hui.
Lors de mon entrée en fonction, mon discours s’intitulait « Une nation avertie et bienveillante : l’appel du devoir » et il renfermait trois piliers.
Le premier était la famille et les enfants. Nous avons cinq filles et 14 petits-enfants, donc la famille est assez importante pour nous.
Le deuxième est l’apprentissage et l’innovation. Toute ma vie, j’ai été enseignant, et mis à part les expériences que l’on vit dans notre famille, ce que nous enseignent nos enseignants, nos mentors, nos guides, nos instructeurs, et cetera, sont les influences les plus marquantes de la vie.
Le troisième était la philanthropie et le bénévolat. C’est la partie de la bienveillance dans la nation avertie et bienveillante. C’est important d’être bienveillant de manière intelligente.
Une des premières choses que nous avons faites en nous installant a été de former un comité consultatif sur la philanthropie et le bénévolat, qui serait chargé de nous conseiller sur la manière de promouvoir ce pilier particulier. À partir d’un certain nombre d’initiatives, nous avons eu l’idée d’établir une fondation afin d’amplifier la portée et les pouvoirs ainsi que les responsabilités et les possibilités de collaboration et de concertation de la fonction de gouverneur général. La Fondation Rideau Hall a vu le jour environ deux ans après le début de notre mandat.
Vous avez déjà entendu le témoignage de Teresa Marques, la formidableprésidente-directrice générale formidable de la Fondation Rideau Hall, et je ne vais pas revenir sur son exposé, mais je vais vous dire quelque chose que nous voulions faire avec la fondation.
Permettez-moi simplement de dire que cette initiative de la fonction de gouverneur général est entièrement conforme à la façon dont ce poste fonctionne depuis 1867. Très tôt, particulièrement avec Lord et Lady Dufferin, à partir de 1871, la notion de mécène d’organisations vouées à la philanthropie et au bénévolat a été au premier rang de la charge de gouverneur général. Cela s’est manifesté de bien des façons au fil des ans, mais toutes ces manifestations supposaient un Canada plus bienveillant, intelligent au sujet de la bienveillance et préoccupé par l’autre dans les collectivités avoisinantes. Donc, lorsque nous avons mis sur pied la fondation, il nous a semblé tout naturel de nous inspirer de ces traditions et de tenter de leur donner plus d’ampleur. Le travail de la fondation est ancré dans l’esprit de la philanthropie, du bénévolat, du don et de la confiance.
Quand Sharon et moi avons occupé cette fonction, nous étions mécènes d’environ 175 organismes différents, un très grand nombre. Quel est le bon nombre? Je ne sais pas s’il y en a un. Nous avons voulu, du moins avec quelques-uns d’entre eux, faire davantage que porter le titre de mécène. Nous avons découvert que la fondation, comme agente externe d’un réseau de collaboration, était une façon d’apporter une contribution un peu plus utile à ces organismes et à d’autres autour d’eux.
Juste pour vous donner un ou deux exemples, une des expériences qui m’ont touché, je crois, le plus profondément durant mes sept années en fonction, a trait à la médaille que nous appelons Médaille du souverain pour les bénévoles. Il y a une histoire derrière cela. Teresa en a raconté une partie lorsqu’elle était ici. Quand Roméo LeBlanc était gouverneur général il y a environ 25 ans, comme il venait d’un petit village acadien, il connaissait la modestie. Il était enseignant, car vous pouviez obtenir un diplôme d’enseignement un an après vos études secondaires, enseigner, devenir journaliste, député et, enfin, gouverneur général. Il n’a jamais oublié son village natal et l’importance de l’esprit du bénévolat qui a fait de ce village un meilleur endroit pour tous ses habitants. J’ose dire que cela lui a permis de devenir une personne ayant reçu une éducation et ayant pu apporter une contribution au Canada.
Il a dit que le gouverneur général pouvait décerner 50 ou 60 distinctions différentes, comme responsable de la reconnaissance pour actions méritoires des Canadiens, mais que nous ne reconnaissons pas les héros méconnus, les gens qui — chaque jour, chaque semaine, chaque année — aident simplement d’autres personnes dans la collectivité parce que c’est la bonne chose à faire, ne recherchent jamais l’attention ni les célébrations : ils sont plutôt à l’affût de la bonne chose à faire. Le Canada a donc lancé le Prix pour l’entraide.
Il roulait rondement, et on en décernait 30 ou 40 par année lorsqu’il était gouverneur général, puis il a été victime de compressions budgétaires. Très tôt, nous avons vu que c’était quelque chose que nous devrions rétablir, et par l’entremise de la fondation, nous avons amassé 5 millions de dollars pour mettre ce prix à l’abri des compressions budgétaires. Le bureau avait perdu environ 20 p. 100 de dollars réels au cours des 15 ans environ qui ont précédé mon arrivée, puis nous avons continué sur cette lancée. Il n’a pas reçu d’augmentations liées à l’inflation; son budget gardait sa valeur nominale chaque année. Cela représentait une réduction de 2 p. 100 par année, environ, de son pouvoir d’achat.
Nous voulions mettre ce prix et d’autres à l’abri des compressions budgétaires, et nous en avons donc fait une richesse particulière de la Fondation Rideau Hall. Ma dernière année en fonction, nous avons remis 1 000 de ces prix dans des collectivités de partout au pays. De toutes les cérémonies auxquelles j’ai participé, je crois n’avoir rien vu de plus touchant. Il pouvait y avoir 30 ou 40 personnes dans le bureau du maire ou dans une salle communautaire, et elles disaient : « Pourquoi suis-je ici? Il y a tellement d’autres personnes qui devraient être ici, selon moi. »
Si vous voulez mesurer la santé des collectivités de partout au pays, mesurez la participation de bénévoles par habitant. Si elle existe, la collectivité est saine; et sinon, la collectivité ne l’est pas. Si la participation diminue, la collectivité est en train de devenir malsaine; et si elle augmente, elle devient saine. Les auteurs qui ont écrit sur le capital social, comme Robert Putnam et d’autres, vont étudier cet effort de bénévolat comme moyen de mesurer le bien-être global d’une collectivité.
Donc, la Médaille du souverain pour les bénévoles est devenue un genre de porte-étendard de ce que nous voulions faire pour célébrer le bénévolat — non pas récompenser les gens qui reçoivent les médailles, mais braquer les projecteurs sur eux dans leur collectivité et dire que ça compte.
[Français]
Il s’agissait aussi d’encourager les autres. Par exemple, les personnes qui ont reçu les médailles nous permettent de montrer qu’il est possible pour tout le monde d’emboîter le pas.
[Traduction]
Un autre prix que nous avons lancé est le Prix du gouverneur général pour l’innovation, qui en est maintenant à sa quatrième année. Encore une fois, nous avons amassé une somme d’argent, environ 10 millions de dollars, grâce à la fondation, afin d’établir ce prix autonome. Il tenait compte non seulement de l’innovation des technologies et des entreprises, mais aussi de l’innovation sociale, y compris du bénévolat. Le Canada est une innovation sociale. C’est une société qui repose sur la prémisse selon laquelle la diversité peut vraiment fonctionner pour nous, et non pas contre nous, et que l’inclusivité est une vertu fondamentale. Vous voyez un très grand nombre d’exemples d’innovations sociales qui poursuivent ce but.
Nous avons également mené des études continues sur le don, la confiance et l’empathie. Lorsqu’elle était ici, Teresa a parlé de certaines de nos études sur le don. Si nous avons plus de temps durant la période de questions et de réponses, je dirai certaines choses à ce sujet. Nous avons écrit plusieurs livres, dont quatre au cours des quatre ou cinq dernières années, qui tiennent en partie compte de ma période en tant que gouverneur général — en fait, ce sont six, car deux d’entre eux ont été traduits en français. Le dernier, Trust, que nous vous laisserons, paraîtra sous peu en français.
La raison pour laquelle nous avons écrit ces livres, c’était pour encourager les Canadiens à réfléchir à ces valeurs fondamentales. Dans le livre où il est question de la confiance, nous voyons cette valeur comme un principe fondamental d’une société intelligente et bienveillante. Encore une fois, vous pouvez mesurer la santé de la société par le degré de confiance qui y règne.
Si vous voulez mesurer ces genres de choses — et je crois que, dans les travaux de votre comité, vous voudrez le faire selon vos propres mesures, puis établir des mesures dans l’avenir pour que nous puissions déterminer comment nous nous portons au chapitre du bénévolat et de la philanthropie.
À certains égards, je dirais, nous nous portons assez bien. Par exemple, le Canada arrive au troisième rang, après les États-Unis et la Nouvelle-Zélande, au chapitre des contributions de bienfaisance philanthropiques par habitant, selon les déclarations de revenus. C’est assez bon, mais nous pourrions faire mieux. Si vous examinez l’étude dont Teresa a parlé, 30 ans de don au Canada, que nous avons effectuée au moyen des déclarations de revenus conjointement avec Imagine Canada, elle donne à penser que nous disposons d’une bonne base, mais le vieillissement des bénévoles et des donateurs est un problème qui prend des proportions alarmantes. Nous devons faire davantage pour inciter la prochaine générationet les nouveaux Canadiens à participer à l’effort.
J’aimerais également suggérer plusieurs autres mesures. Les Nations Unies ont maintenant ce qu’elles appellent un indice de bonheur. Un des trois rédacteurs de cet indice est John Helliwell, un économiste canadien remarquable de l’Université de la Colombie-Britannique. C’est typique de John : c’est le travail de sa vie de participer à l’indice du bonheur. Je prédis qu’on décernera un prix Nobel d’économie et que John sera un des récipiendaires, parce qu’on comprendra de plus en plus à quel point le bonheur est important comme qualité qui sera recherchée par des sociétés du monde. Toutefois, ce n’est pas le bonheur comme expérience centrée sur soi; c’est le bonheur comme caractéristique d’une société qui est fondée sur des choses fondamentales comme la confiance.
Une des choses que l’on évalue dans l’indice de bonheur, c’est, si vous éprouvez des difficultés dans votre collectivité, il existe un moyen d’aller chercher de l’aide. Ai-je confiance en mes voisins pour me donner un coup de main? S’agit-il d’une collectivité où nous donnons un coup de main à des gens, et pas juste un coup de pouce financier? C’est le genre de choses que l’on mesure.
Une autre mesure est l’Indice canadien du mieux-être, qui, je suis fier de le dire, est maintenant hébergé à l’Université de Waterloo, où j’ai passé 12 très heureuses années. Il va au-delà du PIB et de l’Indice de développement humain des Nations Unies pour mesurer la santé des collectivités à grande échelle; et l’esprit du bénévolat, l’esprit de la bienveillance, en font partie intégrante.
Pour terminer mon exposé, j’aimerais dire que la culture du don et du bénévolat est une valeur fondamentale au Canada. Nous sommes un pays de « constructeurs de granges ». Notre dernier domicile, avant de déménager à Rideau Hall en 2010, était à Waterloo, sur une ferme. Il se situait à 10 minutes de voiture et à 30 minutes de vélo de l’université où je travaillais. Nous étions entourés par nos voisins mennonites, des gens qui se déplacent en voiture à cheval, et c’étaient des constructeurs de granges.
J’ai dans mon bureau le tableau d’une cérémonie de construction de grange mennonite, où un nouvel arrivant entre dans la collectivité. Ils sont tous réunis, n’ayant jamais rencontré ce nouvel arrivant auparavant, pour construire la grange. Si une grange a brûlé, ils sont là pour éteindre l’incendie. C’est une collectivité ayant un corps de pompiers auxiliaires. Lorsque l’incendie est éteint, le lendemain, ils viennent nettoyer les cendres; et la fin de semaine suivante, ou deux ou trois après, ils viennent reconstruire la grange. C’est ce que font les voisins pour aider leurs voisins. Lorsque nous avons quitté Waterloo, nous avons établi le prix Barnraiser pour reconnaître la personne dans notre collectivité qui illustre le mieux l’esprit d'entraide.
Cela fait partie du Canada et remonte au premier établissement communautaire de Champlain, Port Royal, en 1607 ou en 1608, qui n’aurait pas survécu au premier hiver si la tribu indienne locale n’avait pas fourni de la viande fraîche et du thé fait à partir de conifères — qui, nous le découvrons maintenant, contenaient de la vitamine C, qui prévenait le scorbut; autrement, la collectivité aurait été décimée. Bien sûr, Champlain était un promoteur formidable. Je vous recommande le livre Le rêve de Champlain de David Fischer, qui vous donnera un portrait de cette personne aux antipodes du conquérant dont j’ai entendu parler dans mes cours d’histoire anglaise. Champlain était une personne du XXIe siècle qui croyait en des collectivités intelligentes et bienveillantes, et il a parti le bal, le festival pour célébrer cette notion qui consiste à partager ce qui nous a été donné.
La culture du don et du bénévolat est une valeur canadienne fondamentale. Il est très important, dans le monde difficile d’aujourd’hui, où la confiance est érodée, que le Canada soit un pays prospère et que nous travaillions tous dans nos propres collectivités et régions du pays afin de le rendre prospère, intelligent et bienveillant.
Je vais m’arrêter ici.
[Français]
Je serai très heureux de répondre à vos questions en français et en anglais. Merci.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Johnston.
[Traduction]
Vous venez de me rappeler, en tant que Néo-Écossais, l’Ordre de Bon Temps qui est apparu à Annapolis Royal à cette époque-là. C’est une société honoraire dont parlent toujours aux visiteurs les Néo-Écossais. J’espère que, durant votre mandat de gouverneur général, on vous a décerné l’Ordre de Bon Temps. Si ce n’est pas le cas, cela devrait être rectifié.
La sénatrice Omidvar : Merci, Excellence, d’être avec nous aujourd’hui. Nous vous en sommes très reconnaissants. Vous connaissez notre pays d’une manière à laquelle je ne peux prétendre, donc nous voulons nous assurer de tirer le plus possible de vos connaissances du pays.
Nous recevons plus tard au cours de l’après-midi des groupes de témoins qui viendront s’exprimer sur une question vraiment fondamentale, et je me demande si vous pourriez leur répondre. Voici une proposition qui doit être abordée plus tard aujourd’hui, selon laquelle, afin d’augmenter le bénévolat au Canada, nous devons envisager de créer des mesures incitatives, y compris une certaine forme de rémunération pour les coûts engagés par les bénévoles qui conduisent jusqu’à l’hôpital pour y faire du bénévolat, où les frais de stationnement sont très élevés, par exemple. Nous avons entendu dire cela à quelques occasions. Il est probable que nous entendrons une demande de rémunération et de mesures incitatives pour les bénévoles.
Croyez-vous que cela nuit à l’esprit et à la motivation du bénévolat, lorsque nous commençons à prendre des mesures d’accommodement, à adopter des crédits fiscaux, des coupons et des bons, et cetera?
M. Johnston : C’est une question complexe. Selon mon instinct initial, je dirais : « Certainement », car c’est une valeur ajoutée, c’est très important pour le pays. Nous devrions mesurer cela et le reconnaître. La difficulté, c’est le fait de savoir si vous le reconnaissez en accordant une indemnité.
Je soupçonne que, si vous sondiez 1 000 bénévoles, vous en trouveriez probablement une petite majorité qui dirait que c’est une bonne idée. Une minorité considérable dirait : « Non, je le fais dans l’esprit de donner, et c’est pourquoi je le fais, et je ne le ferais plus si j’étais rémunéré ». C’est partagé. On doit probablement examiner cela en détail. Y a-t-il des segments différents de bénévoles où ça changerait quelque chose? C’est une réponse futile et superficielle à une question très complexe.
En guise de comparaison, vous et moi nous nous intéressons beaucoup à la prochaine génération et nous souhaitons encourager le bénévolat. La meilleure initiative jeunesse que j’aie vue est celle de Marc et Craig Kielburger, soit ME to WE et les WE Days, et cetera. Si vous n’êtes pas allés à un WE Day, faites-vous une faveur et allez au Centre Air Canada à Toronto et au Centre Canadian Tire à Ottawa, où 20 000 jeunes âgés de 11 à 17 ans ont mérité le droit d’être là en raison de leurs activités de bénévolat. C’est extraordinaire de voir à quel point cette initiative a encouragé des jeunes à faire du bénévolat, simplement en raison de l’expérience que cela procure.
Il y a une certaine compensation. En Ontario, il y a cette obligation, comme dans plusieurs autres provinces, selon laquelle vous devez faire 40 heures de bénévolat avant d’obtenir votre certificat d’études secondaires. Quand on a présenté cela pour la première fois, les gens disaient : « Ce n’est pas du bénévolat. C’est ce que vous devez faire pour obtenir votre diplôme. Cela va à l’encontre du but recherché. »
Je crois fermement à cette façon de faire. De nombreuses personnes découvrent le bénévolat grâce à leur propre famille, mais ce n’est pas le cas pour un très grand nombre de jeunes. Il s’agit de leur première expérience de bénévolat. Devinez ce qui leur arrive? Ils changent le moi pour le nous, la première personne du singulier pour la première personne du pluriel, et ils découvrent la joie associée au bénévolat et l’importance de la collectivité. C’est une récompense qui fonctionne très bien.
J’ai parlé des Kielburger, car lorsque ce projet a été lancé pour la première fois, un très grand nombre d’enseignants ont dit ceci : « Voilà! Encore une fois, quelques personnes ont une brillante idée de ce que nous devrions enseigner, et nous devons passer du temps, de 16 à 18 heures, à promener les chiens dans les organismes locaux de protection des animaux avec les bénévoles. Et quoi encore? »
Craig, Marc et les membres de leur équipe ont dit : « Nous nous occuperons des placements de bénévoles; nous allons veiller à ce qu’ils travaillent auprès d’enseignants, pour nous assurer qu’ils sont appropriés et que cette expérience est appropriée et fait partie des responsabilités continues des enseignants ». Cela a très bien fonctionné.
Je vous donne un autre exemple : Common Good a proposé de fournir des régimes de retraite à des bénévoles, à temps plein ou partiel, d’un organisme de bienfaisance. Essentiellement, la moitié des gens possèdent un travail à temps plein, et l’autre moitié, un travail à temps partiel ou des initiatives ou des contrats particuliers. Presque personne n’a de régime de retraite. C’est une situation à laquelle nous voulons remédier, je crois. On propose de constituer un fonds financé par le gouvernement fédéral, avec les secteurs de la fondation, qui s’unissent pour établir des régimes de retraite à l’intention de ces personnes, afin que ces professionnels se consacrent pleinement à leur carrière. J’y accorderais beaucoup d’attention.
En ce qui concerne la rémunération des bénévoles, c’est une réponse longue, mais c’est une question très complexe à laquelle je ne peux fournir de commentaire réfléchi à ce moment-ci.
La sénatrice Omidvar : Merci.
M. Johnston : J’aimerais vous féliciter de votre travail en faveur des bénévoles et des réfugiés. Vous, et d’autres, avez été une inspiration pour nous à Rideau Hall, quand, au deuxième jour de l’assermentation du ministre McCallum au ministère de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, j’ai dit : « Comment pouvons-nous vous aider? » Il a répondu : « Je ne suis pas sûr, mais c’est un gros problème, les réfugiés syriens ». J’ai dit : « La fonction de gouverneur général comprend un pouvoir de concertation. Serait-il utile de rassembler des bénévoles et des chefs de différentes organisations qui jouent précisément un rôle dans le parrainage de réfugiés par le secteur privé? » C’est un phénomène canadien unique étudié partout dans le monde et admiré, comme vous le savez. Nous pourrions voir, comment, collectivement, nous pouvons tous améliorer les choses. Nous avons eu une journée fantastique à Rideau Hall, et de nombreuses leçons ont été tirées.
Nous nous sommes rendus dans plusieurs collectivités pour fournir des mesures d’adaptation et célébrer la façon dont ces collectivités s’étaient réunies. L’une d’entre elles était Oakville. Il y avait 500 personnes dans un auditorium, principalement des gens qui faisaient partie du programme de parrainage des réfugiés syriens par le secteur privé, et de nombreuses familles. C’était une soirée fort joyeuse : elle s’est ouverte sur une bénédiction, donnée par un prêtre catholique, un membre du clergé protestant, un imam de la mosquée et un rabbin de la synagogue.
Le symbole était fort : c’était fascinant de constater que ces quatre traditions religieuses étaient représentées là. Toutefois, ce que vous ignorez probablement, c’est que les quatre congrégations se sont unies pour parrainer plusieurs familles de réfugiés. Elles n’ont pas chacune fait un chèque de 30 000 $, mais elles se sont plutôt mises toutes les quatre ensemble. Les anglicans se sont occupés des emplois; les protestants sont très bons dans ce domaine. Les catholiques ont recherché des logements, la synagogue s’est penchée sur l’apprentissage, et les juifs ont un don pour l’apprentissage et l’importance de l’éducation. Bien sûr, la mosquée s’est occupée de la traduction, et cetera. Quel symbole, dans notre pays, le Canada : que ces traditions religieuses soient réunies dans cet esprit de bénévolat. Pour moi, c’est un exemple remarquable du caractère unique du Canada et de l’importance que tous les Canadiens comprennent cet esprit d'entraide.
La sénatrice Omidvar : Continuez à partir de là.
Le président : Poursuivez.
M. Johnston : Il me manque la passion.
La sénatrice Martin : Nous pourrions tous nous asseoir ici et vous écouter bien plus longtemps que le temps qui nous est imparti. Merci de nous donner cette perspective et de nous montrer ce qui fait du Canada un pays si magnifique. En tant que Canadienne d’origine ethnique, « constructeur de granges » n’est pas un terme que j’ai entendu durant mon enfance, mais en coréen, il y a un terme qui s’appelle pumasi. C’est ce concept d’un village qui se rassemble et qui répartit les tâches.
Vous avez parlé plusieurs fois de la construction de granges, votre Excellence. C’est ce que les bénévoles au Canada font, mais je me demande si on a le prochain livre sur la façon de faire revivre ce concept. Je sais que nous savons tous ce que cela veut dire, mais j’ai l’impression que la prochaine génération ne connaît pas aussi bien ce terme que nous.
M. Johnston : Vous devriez vous garder de m’encourager. Notre prochain livre à paraître porte sur le don et l’empathie, car c’est une valeur importante et fondamentale. Ça en dit long sur le bénévolat, tout comme le livre, The Idea of Canada: Letters to a Nation. Nous vous en laisserons un exemplaire.
La raison pour laquelle nous avons écrit ce livre, Trust: Twenty Ways to Build a Better Country, c’est que notre pays est excellent, mais je m’inquiète au sujet de la complaisance. Nous considérons que nos valeurs vont de soi, tout comme notre position bénie dans le monde. Nous vivons dans un monde qui a besoin d’un Canada prospère, mais nous ne devons pas nous montrer arrogants pour autant.
En raison de cette préoccupation au sujet de l’érosion de la confiance envers nos institutions publiques, qui m’envahissait, je suis devenu obsédé par la question, particulièrement quand j’ai vu le monde du point de vue de la fonction du gouverneur général. Quand j’ai pris conscience de l’importance de la confiance, comme ciment qui maintient la société ensemble, comme lubrifiant qui permet aux choses de rouler sans friction, j’ai commencé à voir que vous instaurez la confiance dans les institutions publiques de votre pays grâce à la confiance envers vos collectivités et vos associations locales, vos entreprises et vos quartiers, et cetera.
Puis, je me suis aussi rendu compte que vous établissez cette confiance en étant vous-même une personne digne de confiance. Donc, le livre commence par sept ou huit leçons sur la façon dont nous devenons des personnes dignes de confiance. Ensuite, on découvre sept ou huit habitudes sur la façon d’établir des institutions, des entreprises, des associations dignes de confiance et, enfin, la façon d’établir un pays digne de confiance.
Parallèlement à la notion de confiance, il y a celle du don; c’est la notion qui consiste à passer de la première personne du singulier à la première personne du pluriel. Ce sera le sujet de notre prochain livre, qui essaie de cerner les caractéristiques canadiennes fondamentales et raconte les histoires permettant d’illustrer ce qui fonctionne bien, et dans quelle mesure, et ce qui ne fonctionne pas. Nous le racontons au moyen d’histoires parce que, en vieillissant, je me rends compte que, à bien des égards, tout est local. Tout commence par ce que nous faisons localement, puis nous continuons à partir de là.
Il y a environ 30 ans, mère Teresa est venue à Montréal à l’occasion d’un déjeuner de prière. Juste avant le déjeuner, environ 50 des bénévoles se sont réunis auprès d’elle, et elle a brièvement pris la parole. Un de nos amis a dit : « Mère Teresa, nous sommes très touchés par ce que vous faites. Que devrions-nous faire dans notre propre vie? » J’étais président d’université depuis 27 ans — ça faisait environ 10 ans à ce moment-là — et je me disais qu’elle répondrait : « Faites un gros chèque, envoyez-le à mon organisme de bienfaisance à Calcutta, et j’en ferai bon usage ». Plutôt, elle a dit : « Regardez dans votre propre quartier, dans votre propre famille. Je vous garantis qu’il y a là quelqu’un qui a besoin de votre amour et de vos soins ». Cette notion qui consiste à commencer localement est très importante.
Dès le début, après 2010, nous avons visité chaque capitale des provinces et des territoires. Une des premières visites nous a amenés à Calgary, où Naheed Nenshi venait juste de devenir maire; nous avons noué une amitié fantastique avec Naheed. Au début de nos conversations, il a dit que, lorsqu’il était devenu maire de Calgary, il avait formé un comité consultatif chargé de se demander : « Quelle est la chose que nous pouvons faire en tant que ville, conseil municipal, pour faire de Calgary un meilleur lieu pour tous? » Les membres du comité ont délibéré pendant un certain temps et sont arrivés avec une idée, qu’il a, dans un premier temps, rejetée comme étant un peu mièvre. L’idée, c’était de lancer un programme pour poser la question suivante : « Quelles sont les trois choses que vous pouvez faire ce mois-ci pour faire de Calgary un meilleur endroit? » Il a dit qu’on l’avait harcelé et qu’il avait enfin accepté, à reculons, de l’adopter. Finalement, elle s’était répandue comme une traînée de poudre. Pour le 150e anniversaire du Canada, Calgary a proposé cette idée comme défi pour le Canada : Faites trois choses pour rendre votre collectivité meilleure.
Le maire Nenshi nous a raconté sa visite à une classe de 1re année pour parler aux enfants au sujet de Calgary. Il a mentionné les « trois choses à faire », et ils ont dit oui, ils étaient au courant. Il a demandé à un petit bonhomme ce qu’il avait fait. « Eh bien, j’ai fait trois choses ce mois-ci. J’ai organisé un effort de nettoyage avec mes amis samedi, en route vers l’école. Nous l’avons vraiment nettoyée, et c’était bien. Puis, un nouvel enfant est venu dans notre classe, et l’enseignant a dit que nous devions essayer de faciliter les choses pour lui, donc je l’ai ramené à la maison, et il s’est lié d’amitié avec mes amis et était très content. Aussi, j’ai promis de cesser de frapper mon petit frère, mais celui-ci dit que je n’ai pas très bien réussi, donc, monsieur, il faudrait bien que j’en fasse une des trois choses pour le mois prochain. »
C’est une longue réponse pour expliquer à quel point l’esprit du don est essentiel si vous voulez créer une société intelligente et bienveillante. Oui, notre prochain livre portera probablement là-dessus.
La sénatrice Martin : Fantastique. Vous avez parlé de mère Teresa et de certains des meilleurs exemples que vous avez vus dans le monde en tant qu’ancien gouverneur général. Vous avez mentionné que le Canada arrive au troisième rang, après les États-Unis et la Nouvelle-Zélande. Je m’attendais à ce que vous disiez les États-Unis, le Royaume-Uni et ensuite le Canada. Y a-t-il des choses très efficaces que vous avez vues en Nouvelle-Zélande, aux États-Unis ou au Royaume-Uni, où que ce soit, que vous pourriez recommander à notre comité pour notre pays?
M. Johnston : Chaque pays est différent. J’ai une grande admiration pour les États-Unis, où j’ai fait quatre ans de mes études. J’imagine que toute notre famille a profité, d’une façon ou d’une autre, d’excellents établissements d’enseignement américains. Un des grands triomphes des États-Unis, c’est son système d’enseignement supérieur dans la recherche. Une des choses qui l’expliquent, c’est simplement une très grande richesse. Il y a un mauvais côté; je m’inquiète beaucoup de la hausse des inégalités sur le plan des richesses dans cette société. De plus, son système fiscal est différent; il y a des droits de succession, soit 50 p. 100 de votre succession. On vous incite donc à redonner votre propre succession avant que l’oncle Sam l’obtienne. Si vous regardez particulièrement dans mon domaine des grands établissements d’enseignement, ils ont été fondés sur la philanthropie et, dans une certaine mesure, le bénévolat, et c’est une grande réalisation.
La Nouvelle-Zélande est une société beaucoup plus prospère que ce que nous croyons. Nous l’imaginons comme un genre de société rurale et agricole, mais elle s’est montrée très entrepreneuriale en ajoutant de la valeur à ses produits agricoles. Les Néo-Zélandais sont, je crois, des constructeurs de granges par nature.
Le Royaume-Uni m’inquiète. Mon épouse et moi avons passé notre première année de mariage là-bas. Grâce à une bourse d’études, j’ai étudié deux ans en Grande-Bretagne. J’en suis venu à avoir une admiration profonde pour la société; en ce moment, elle traverse une période très difficile. Certaines des valeurs dont nous parlons font l’objet d’une intense remise en question au Royaume-Uni en ce moment.
Les sociétés nordiques sont celles, à mon avis, que nous devrions examiner attentivement. Juste pour m’écarter un peu de notre forme de gouvernement, une des choses que l’on fait en tant que gouverneur général, c’est aider les Canadiens à comprendre notre forme passablement unique de gouvernement. C’est mixte. Nous avons le système parlementaire de Westminster, mais, à compter de 1981-1982, avec notre nouvelle Constitution, nous avons greffé un droit civil, un système présidentiel de Charte des droits et libertés de la personne interprété par un tribunal qui empiétait sur la souveraineté du Parlement, qui a été l’emblème du Royaume-Uni. Cela nous donne une situation quelque peu unique sur le plan de la gouvernance.
Les gens disent souvent : N’avons-nous pas atteint le stade où notre monarque ne devrait plus être non-résidente, la Reine du Royaume-Uni? Je réponds que nous avons une histoire constitutionnelle longue de 1 000 ans qui nous a donné notre forme de gouvernement. Elle a évolué. Elle n’a jamais été amenée par une révolution, mais notre système de gouvernement a connu une évolution. La fonction du Sénat a évolué au fil des ans. En 1931, en vertu du Statut de Westminster, nous avons obtenu la responsabilité de nos affaires étrangères. Nous ne l’avions pas avant ce moment. Il y a donc des évolutions.
Je reviens à votre question, madame la sénatrice Martin. Si vous voulez juger les pays du monde dont les citoyens et d’autres à l’extérieur diraient qu’ils ont une bonne forme de gouvernement — peut-être pas la meilleure, mais c’est convenable — vous devriez probablement énumérer la Suède, la Norvège, la Finlande, le Royaume-Uni — n’en déplaise aux tenants du Brexit — les Pays-Bas, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et le Canada.
Qu’est-ce qui est unique par rapport à ces pays? Ce sont toutes des monarchies constitutionnelles avec des démocraties parlementaires florissantes. Certains diraient : une monarchie constitutionnelle, est-ce que ce n’est pas en conflit avec une démocratie parlementaire? Non, car la monarchie constitutionnelle a évolué de telle manière que le gouverneur général, qui est le représentant de notre monarchie, n’a pas de pouvoir. Cette fonction, qui est quelque peu partagée par le Sénat, a une importance : fournir une perspective à long terme sur les valeurs du pays, surveiller ces valeurs pour dire de quel côté nous nous situons et intervenir, en temps opportun, en persuadant, plutôt qu’en dictant ou en déterminant.
Avoir une fonction du gouvernement comme celle du gouverneur général, qui n’a rien à voir avec la négociation de traités ou la prise de décisions liées à des politiques immédiates, mais qui renforce les valeurs fondamentales du pays...
Pour revenir à votre question, j’examinerais certaines des petites sociétés. Nous étions ensemble lors d’un voyage en Suède. Où est mon collègue de la Suède qui vient juste de nous quitter? Un des sénateurs était parmi nous. C’est un pays très fascinant, lorsqu’on regarde ce qu’il fait. Nous avons examiné le capital social, qui est enveloppé dans le bénévolat et le don. Je crois que cela se manifeste souvent dans les petites sociétés.
La sénatrice Duncan : Je suis une recrue dans l’équipe et une néophyte par rapport au Règlement du Sénat et à votre travail, monsieur. J’ai presque terminé la lecture de votre livre, dont j’ai souligné plusieurs passages. J’ai aussi assisté à la cérémonie de remise du Prix Inspiration Arctique qui s’est tenue à Whitehorse. C’était un événement incroyable.
À mesure que je prends connaissance des renseignements du comité et de votre travail, j’ai une question — et c’est une question de suivi à celle de la sénatrice Omidvar — dans un exercice de Ciel bleu, quel rôle verriez-vous le gouvernement fédéral jouer pour faciliter la confiance et la création d’un meilleur pays?
Pendant que je vous laisse y réfléchir, un des points qui me vient en tête, en tant que nouvelle législatrice dans cette chambre, c’est que je crois comprendre que notre rôle consiste à examiner la législation; une des choses qui me viennent à l’esprit, c’est la Loi sur les accidents du travail du Yukon, qui a pour objet de veiller à ce que les travailleurs, leur famille et les employeurs soient traités avec compassion, respect et équité. Cela figure dans le préambule de la loi. C’est notre travail, en tant que sénateurs, d’examiner la législation du gouvernement fédéral dans l’initiative Ciel bleu; est-ce une option? Qu’imagineriez-vous?
M. Johnston : Nous avons une multitude d’idées, puis nous les classons par ordre de priorité. Permettez-moi de répondre à cette série d’observations très réfléchies en disant : faites ce qui est en votre pouvoir. Dans votre cas, vous êtes une nouvelle sénatrice dans une partie très importante de notre forme unique du gouvernement, qui est en évolution.
Je dois féliciter ceux d’entre vous qui ont joué un rôle dans les changements survenus dans notre Sénat au cours des quatre, cinq ou six dernières années. Durant mes premières années comme gouverneur général, je me préoccupais vraiment du fonctionnement du Sénat. J’ai été Surpris par la joie — une référence à C.S. Lewis —, surpris et ravi de la façon dont le Sénat, grâce à de l’aide, a choisi de réformer son rôle. Je dirais qu’il doit continuer en ce sens. Tout comme j’ai dit qu’il est important, sans arrogance, de faire du Canada un pays très prospère afin de démontrer au monde ce qui fonctionne, c’est important que vous aidiez à faire du Sénat un des organes législatifs les plus estimés du monde, avec sa fonction particulière.
Si j’étais à votre place, je consacrerais autant de temps que vous à m’assurer que c’est ce qui se fait, que nous poursuivons dans cette trajectoire ascendante et merveilleuse, avec l’aide de beaucoup de très bonnes personnes, y compris celles qui viennent d’être nommées. Ce serait le premier point.
Le deuxième point, pour revenir à votre réunion précédente sur les femmes et leur rôle... si j’étais roi du monde pour un jour, je décréterais que toutes les filles devraient atteindre au moins le même niveau d’éducation que les garçons du monde. Plus que quoi que ce soit, cela transformerait le monde pour le mieux. Il y a d’autres choses que vous pourriez faire.
Je ne crois pas que vous, en tant que sénateurs, puissiez nécessairement changer tout cela du jour au lendemain. Toutefois, dans votre travail, en assurant l’égalité des possibilités ici, au Canada, et l’égalité entre les sexes, c’est un pas en avant très important.
La troisième chose que je dirais, c’est que je trouve intéressant de voir que toutes les choses importantes que j’ai apprises dans ma vie sont le fait de mes cinq filles, et je les apprends maintenant de nouveau avec 14 petits-enfants. C’est pourquoi j’écris des livres comme ceux-là. La préface de ce livre est absolument passionnante. Ce sont deux enfants qui, instinctivement, font confiance et qui s’attendent totalement à l’équité. N’est-ce pas fascinant? La confiance est une qualité naturelle des bébés. C’est la seule façon qui leur permet de survivre, mais ensuite, il y a la notion d’équité.
Samedi soir, je suis allé chez ma première fille pour célébrer son anniversaire, et ses filles de 13 ans ont été adoptées dans un orphelinat en Colombie. C’est merveilleux et fantastique de les voir grandir.
Donc, Thea et son amie, Lucia, ont un travail scolaire à faire. Elles doivent trouver un équivalent moderne de César Auguste — j’imagine qu’ils étudient un peu l’histoire romaine —, quelqu’un qui a eu un impact important sur sa société. Qui choisir? Nous en avons parlé un peu. Thea est une enfant de couleur. Elle a la peau plus foncée et elle est consciente de la discrimination raciale, et j’ai dit : « Eh bien, tu sais, des gens qui ont fait quelque chose d’important, comme Nelson Mandela, seraient de bons choix ». Elle m’a répondu : « Ça ne fonctionne pas, parce qu’il est mort. Ce doit être quelqu’un de vivant. » J’ai dit : « Alors pense au président Barack Obama et à ce qu’il a fait en tant que premier président noir des États-Unis » et j’ai ajouté : « Tu sais, je viens de lire le livre de Michelle Obama, Devenir. Je l’ai terminé la nuit dernière. C’est excellent. Tu devrais peut-être la choisir, parce qu’Auguste était responsable de conquérir de nombreux territoires, puis de les conserver. De nos jours, il n’est plus question de conquête de territoires, et nous parlons du fait de conquérir des gens avec de bonnes idées, et son époux et elle ont été les premiers Noirs à occuper les postes les plus puissants aux États-Unis ».
J’ai envoyé à ces filles de 13 ans des extraits du livre concernant deux ou trois initiatives de Mme Obama, dont une sur la condition physique des jeunes et l’obésité, ce qui est très important. C’est de cette façon qu’elle a utilisé l’influence liée à son poste à des fins très importantes, elle a ensuite réalisé d’autres initiatives sur le mentorat des jeunes filles.
Je vous raconte tout ça parce que c’était une façon pour moi de répondre à votre question en ce qui a trait à ma vie, aux personnes dans mon entourage immédiat, mes petits-enfants, que j’essaie d’orienter. La même petite fille, Thea, et son amie, Lucia, avec les réfugiés syriens... Leurs familles ont été parrainées dans le cadre d’un parrainage communautaire privé. Eh bien, Thea est revenue à la maison un jour et a dit à sa mère et à son père : « Vous savez, Lucia et moi, nous aimerions aussi faire quelque chose pour les réfugiés, mais nous ne pouvons pas faire un gros chèque ». Elles ont donc commencé à vendre des pâtisseries dans leur école, et j’ai bêtement dit : « Je vais vous donner un dollar pour chaque dollar que vous gagnez ». Lorsqu’elles ont atteint la barre des 1 800 $, ma promesse a commencé à me coûter un peu cher.
Je raconte ces histoires parce qu’on cherche toujours des façons de transmettre des valeurs. Notre petit-fils âgé de 12 ans s’appelle Nick. Il avait 8 ans à l’époque. Sa mère et son père sont deux médecins, qui ont fait partie d’un groupe privé ayant parrainé des réfugiés syriens. Ils ont fait chacun une contribution de 30 000 $, mais en tant que médecins, ils ont dit : « Notre contribution précise sera d’inclure les familles dans notre pratique et de nous occuper d’elles ». Son père est pédiatre et sa mère, omnipraticienne, alors les choses ont bien fonctionné.
Nick revient à la maison après avoir rencontré la première famille et il dit : « Vous savez, j’aimerais faire quelque chose, mais, papa et maman, je ne suis pas un médecin, alors je ne peux pas les soigner, mais j’aime les livres, et il y en a beaucoup que je ne lis plus parce que ce sont des livres que j’ai lus quand j’avais 5 ou 6 ans. Cependant, je pourrais peut-être organiser un événement pour les vendre à l’école ».
Il en a donc parlé à son enseignante, et c’est une enseignante de deuxième année vraiment intelligente qui, à l’époque, lui a dit : « Eh bien, Nick, nous avons un problème : notre école parraine déjà trois organismes de bienfaisance, et c’est le maximum, parce que nous ne voulons pas organiser des ventes de pâtisserie chaque semaine pour les parents. Cependant, l’un des trois organismes de bienfaisance est Centraide Ottawa, et je suis sûr qu’un ou plusieurs des organismes qui font partie de Centraide Ottawa s’occupent des réfugiés », et c’est donc là qu’ils ont envoyé l’argent.
Ils ont recueilli environ 1 200 $ dans le cadre de la première vente de livres. Le directeur, qui avait lui aussi beaucoup de jugeote, a rencontré Nick et ses trois ou quatre amis et a dit : « Pourquoi n’organisez-vous pas un tel événement à l’échelle de l’école? » Depuis maintenant quatre ans, l’école organise une vente annuelle de livres usagés pour d’autres enfants de l’école. Ils recueillent environ de 2 500 à 3 000 $ par année.
Là, imaginez ce que ces enfants tirent de ce genre de valeurs. Dans leur cas, ils sont chanceux : ils ont des parents qui les encouragent et une école qui les soutient. On en revient au programme en vertu duquel les étudiants doivent faire 40 heures de bénévolat en Ontario avant d’obtenir un diplôme d’études secondaires. Beaucoup de bonnes choses découlent de ce programme, tout comme je l’ai constaté dans le cas de mes petits-enfants.
Le président : J’aime bien votre petite-fille qui a réussi à vous faire égaler sa contribution.
M. Johnston : Ça devient très dispendieux, parce que c’est une initiative continue. Ce n’était pas une initiative ponctuelle.
Le président : Je suis moi-même grand-père, alors je comprends, mais vous n’aurez jamais autant de plaisir que ça.
M. Johnston : Cependant, monsieur le sénateur, je suis écossais; vous savez à quel point c’est dur.
Le président : Ces leçons de vie sont durement gagnées.
La sénatrice Omidvar : Je pourrais vous écouter éternellement, mais je veux profiter du temps précieux passé en votre compagnie pour vous soutirer un peu de sagesse et connaître vos idées. J’ai particulièrement aimé le lien que vous avez fait entre le capital social et la confiance. Comme vous, j’ai lu Putnam, mais aussi Granovetter, qui parle de la force des liens faibles. C’est ce que permet le capital social.
Vous avez beaucoup parlé des gens qui construisent des granges. Mon collègue, le sénateur Robert Black, qui est bloqué par la neige aurait désespérément aimé être ici. Il nous regarde sur son ordinateur et il veut vous poser une question. Il veut savoir si vous estimez que cette tendance des gens qui construisent des granges, en tant qu’indicateur du bénévolat, a le vent dans les voiles ou est en déclin? Préparons-nous, à cet égard, la relève de demain, les jeunes, qui construiront des granges? De quelle façon faut-il procéder?
Pour terminer, que pensez-vous de l’idée d’un Service jeunesse pour le Canada?
M. Johnston : J’ai deux réponses. Je vais y aller une à la fois. Je suis optimiste de nature. Je crois que cette tendance est en hausse, parce que le besoin est tellement important, et la perception du besoin augmente, surtout lorsqu’on voit les gens de l’autre côté nous regarder, avec l’érosion de la confiance, et ainsi de suite, partout dans le monde.
Ensuite, je suis vraiment réconforté par ce que je vois chez les jeunes. J’ai mentionné les Kielburger et la grande réussite des WE Days et des activités pour mobiliser les jeunes avec passion pour qu’ils changent les choses, même s’ils ne peuvent pas faire de gros chèquee.
Ma génération est celle des années 1950 et 1960. J’ai étudié aux États-Unis dans le cadre de mon premier diplôme. Le Peace Corps et le mouvement des droits civils de John F. Kennedy étaient des choses très importantes.
À l’époque, il y avait de l’idéalisme dans l’air. Il y a un idéalisme aussi élevé ou encore plus élevé parmi les jeunes d’aujourd’hui, mais c’est plus pragmatique que ma génération. Les jeunes d’aujourd’hui sont plus capables ou susceptibles d’essayer de mesurer les résultats et d’essayer de participer à des activités au-delà de celles répondant à leurs propres besoins, des activités dans le cadre desquelles ils peuvent se donner et avoir l’impression de changer les choses.
Le défi, en ce qui a trait aux jeunes, c’est d’essayer d’encourager cette passion dans les domaines où ils peuvent mener leurs propres projets et avoir l’impression de changer les choses dans leur propre vie.
Notre pays est plus conscient de ces valeurs intangibles. Je le vois chez les jeunes qui participent au mouvement environnemental, par exemple. Ils sont plus conscients que ne l’étaient leurs parents et leurs grands-parents, surtout lorsqu’il est question de l’environnement. L’Association Horatio Alger, dont je suis membre, a réalisé une étude intitulée À l’écoute de notre jeunesse. Nik Nanos a réalisé les sondages, et Michelle Pidgeon, de l’Université Simon Fraser, s’est occupée de l’analyse. Trois des quatre priorités les plus importantes pour les répondants étaient, dans un premier temps, l’itinérance, ce qui est intéressant, suivie de la pauvreté et du soulagement de la pauvreté, puis la capacité de devenir propriétaire de leur propre maison à l’avenir, ce qui est un défi intéressant. Le Canada est fondé sur l’idée que la prochaine génération s’en tirera mieux que la génération précédente, mais c’est quelque chose qui est remis en question, surtout lorsque les gens de demandent s’ils pourront un jour accéder à la propriété. La quatrième priorité, c’était les études et le fait de trouver un emploi intéressant.
C’était intéressant de souligner que les deux autres constatations étaient liées au « nous ». Je suis optimiste, mais je crois que nous devons tous, nous qui avançons en âge, réfléchir à la façon dont on peut mobiliser cet instinct des jeunes de faire confiance, mais tout en leur fournissant des voies d’accès importantes et des défis à relever qui le sont tout autant.
Maintenant, en ce qui a trait à votre deuxième question...
La sénatrice Omidvar : Un Service jeunesse Canada.
M. Johnston : Je crois habituellement à ces genres d’initiatives. Irais-je jusqu’à dire qu’il faudrait rétablir la conscription militaire, puis fournir une option de paix? Je ne suis pas sûr que j’irais jusque là. Nous avons une bonne expérience auprès de nos diverses organisations qui encouragent les gens à travailler à l’étranger. Ma plainte, c’est que seulement 3 p. 100 des étudiants des universités canadiennes étudient ou font du bénévolat à l’étranger, et seulement 2 p. 100, dans le cas des étudiants de niveau collégial. Ce devrait être 90 p. 100; c’est quelque chose qui devrait tout simplement faire partie de l’éducation des gens.
Un cadeau de départ était prévu lorsque j’ai quitté l’Université de Waterloo, et j’ai dit : « Pas de gros banquet, pas d’activité de collecte de fonds ». Je voulais tout simplement rencontrer les étudiants durant cette dernière journée et leur dire : « L’expérience a été merveilleuse, ne lâchez pas ». Le président du conseil est venu me voir et m’a dit : « Je ne t’ai jamais donné d’instruction ». J’ai répondu : « Non, mais j’ai écouté attentivement ce que tu as dit ». Il a dit : « Écoute-moi bien. Le 27 avril, deux mois avant ton départ, il y aura un grand banquet, et nous allons recueillir beaucoup d’argent pour un fonds qui permettra à des étudiants d’aller étudier à l’étranger et à des étudiants réfugiés de venir étudier ici à l’Université de Waterloo ». C’est un fonds de 4 millions de dollars et j’oublie les noms des 400 ou 500 personnes qui ont été parrainées de cette façon.
Je ne tente pas d’attirer l’attention sur moi, mais voilà un exemple où on a utilisé l’expérience universitaire pour avoir un Service jeunesse Canada qui fonctionne de façon un peu différente. Dans les universités, nous nous sommes rendu compte trop lentement que c’est là la meilleure façon de renforcer l’éducation et d’élargir les horizons de nos jeunes, de les exposer à des choses différentes, des cultures différentes, et surtout de leur permettre de travailler dans une langue qui n’est pas la leur afin qu’ils aient à changer leur état d’esprit.
Toutes les choses importantes dans la vie, je les ai apprises de mes enfants. J’ai regardé nos cinq filles qui, à 12 ans environ, se sont intéressées aux échanges internationaux. En fait, mes deux filles aînées sont allées étudier le mandarin en Chine parce que le président de l’Université de Pékin était venu chez nous en 1980, et nous avons rétabli le programme d’échange entre les universités de McGill et Beijing après la révolution culturelle. Cet homme âgé de 80 ans a dit : « Je viendrai vous visiter dans six mois ». Je ne m’attendais pas à ce qu’il le fasse, mais, voilà, il l’a fait. Nous avons organisé un banquet à la maison. Au milieu de l’événement, je croyais qu’il était parti et qu’il était tombé malade en raison de la nourriture. Je me suis levé et je n’arrivais pas à le trouver nulle part dans la maison. Il était dans le grenier, assis par terre, les jambes croisées, avec nos cinq enfants autour de lui, âgées de 5 à 11 ans. Il leur avait apporté des ensembles de calligraphie et il leur enseignait la calligraphie chinoise. Nous étions en bas à festoyer tandis qu’il était là-haut avec les enfants. Les enfants ont dit : « Nous aimerions aller étudier cette langue », et c’est ce qu’elles ont fait.
Je digresse. Elles ont été chanceuses d’être exposées à ces gens. Cependant, tout a commencé pour elles par des échanges internationaux et des activités de bénévolat dans le cadre desquelles elles ont été exposées à la pauvreté et aux réels besoins.
Quatre choses se sont produites dans la formation du développement de mes enfants, lorsque je les ai vus exposés à une telle différence. Premièrement, ils sont devenus plus curieux. Les enfants sont naturellement curieux, mais leurs « pourquoi » sont devenus plus inquisiteurs. Deuxièmement, ils sont devenus plus tolérants, et pas dans la mesure où ils reconnaissent et acceptent la différence puisque qu’elle ne fait de mal à personne; non, ils s’intéressaient à la raison pour laquelle les autres sont différents. Troisièmement, leur jugement s’est affiné parce qu’ils voulaient toujours connaître l’autre côté de la médaille. Ils voulaient faire cette triangulation et examiner les problèmes de l’autre point de vue. Quatrièmement, ils ont acquis plus d’empathie, pas de la sympathie. La sympathie, c’est se sentir désolé pour l’autre, tandis que l’empathie, c’est se mettre à sa place. Plus nous tenterons d’offrir ces genres d’occasions de service —au pays et à l’étranger —, mieux ce sera.
La Fondation Rideau Hall travaille en collaboration avec la Fondation Mastercard — dont le siège social est situé ici même, à Toronto; c’est la troisième fondation en importance dans le monde avec 23 milliards d’actifs —, elles travaillaient donc ensemble pour soutenir l’éducation des jeunes et le microfinancement. Jusqu’à maintenant, elles travaillent dans des pays très pauvres. Dans le cadre d’un partenariat avec notre fondation, 23 millions de dollars ont été investis dans des projets pilotes pour l’éducation des Autochtones. Cet argent fait bouger les choses. Selon moi, elles sont prêtes à investir beaucoup plus d’argent pour s’assurer que les enfants autochtones ont au moins les mêmes possibilités éducatives que les enfants non autochtones.
Enseigner pour le Canada est l’une des très bonnes composantes de tout ça. Des jeunes se rendent dans les réserves pour travailler comme aides-enseignants, par exemple; ils participent afin de fournir de meilleures expériences éducatives.
Le vrai défi, bien sûr, c’est d’offrir plus de bourses aux jeunes Autochtones, qui deviennent des enseignants et qui retournent dans leur collectivité pour enseigner. J’espère que ce sera l’une des initiatives que nous réaliserons.
C’est une longue réponse à votre question; bien sûr, nous avons besoin d’un Service jeunesse Canada, mais prenons ce que nous avons déjà, et étoffons-le pour l’améliorer.
Le président : Eh bien, monsieur Johnston, vous n’auriez pas pu faire un meilleur travail que ça aujourd’hui. Merci beaucoup. D’autres sénateurs aimeraient poser des questions, mais un autre groupe de témoins nous attend.
Je tiens à vous remercier non seulement de votre exposé aujourd’hui, mais de votre contribution continue au pays grâce à vos écrits et aux activités de la fondation. C’est ce que des gouverneurs généraux à la retraite devraient faire.
M. Johnston : Merci, monsieur le sénateur. Nous allons vous laisser un exemplaire de Trust. Madame la sénatrice Martin, j’ai maintenant l’obligation d’écrire le prochain dans l’année.
La sénatrice Martin : Et nous l’attendons avec impatience.
Le président : Et elle s’en souviendra.
Le comité poursuit aujourd’hui son étude de l’impact des lois et politiques fédérales et provinciales gouvernant les organismes de bienfaisance, les organismes à but non lucratif, les fondations et autres groupes similaires, et pour examiner l’impact du secteur bénévole au Canada.
Nous sommes heureux d’accueillir le groupe de témoins suivant : M. Clifford L. Spyker, professeur agrégé-Comptabilité, Université Mount Royal, à Calgary, M. David Sutherland, pompier, agent de formation et vice-président du conseil d’administration du Lapland and District Fire Department, Mme Heidi Jakop, présidente de l’organisation Administrators of Volunteer Resources British Columbia, et M. Robert Cielen, Animateur de section et trésorier de groupe, 1er groupe scout Langley Meadows.
Merci à vous tous d’avoir accepté notre invitation.
Clifford L. Spyker, professeur agrégé-Comptabilité, Université Mount Royal, à titre personnel : Je m’appelle Clifford Spyker. Je suis professeur agrégé à l’Université Mount Royal, à Calgary. Je suis aussi comptable agréé, mais ne m’en tenez pas rigueur, s’il vous plaît.
Le président : Ce serait difficile.
M. Spyker : Oui, c’est habituellement le cas. Je tiens à remercier le comité de me donner l’occasion de parler de ce sujet qui revêt une importance incroyable ainsi que de l’impact des organismes de bienfaisance à l’échelle du pays dans des collectivités de toutes les tailles.
Mes recherches portent précisément sur les organismes de bienfaisance enregistrés. J’en ai examiné 85 000. J’ai analysé leurs déclarations de revenus sur une période de 15 ans. J’apporte deux points de vue à la discussion : celui de chercheur en comptabilité, et celui de fiscaliste. Ce sont les points de vue que je vais adopter.
Je suis ici parce que, il y a un certain nombre d’années, j’ai coécrit un article avec M. John Peloza sur de possibles incitatifs sous forme de crédits d’impôt pour le bénévolat. Par conséquent, j’ai certaines idées arrêtées à ce sujet qui iront peut-être à l’encontre de celles d’autres personnes. J’ai hâte d’en parler.
Le secteur sans but lucratif mise sur des modèles de service variés qui incluent des dons en espèces et des dons de temps. Les deux formes de dons sont actuellement sollicitées au maximum, et les organisations ont vraiment besoin de ces deux composantes pour réussir.
Tandis que nous examinons ce processus, la question suivante se pose : de quelle façon les dons d’argent et de temps sont-ils liés l’un à l’autre? Même si ces ressources sont déjà maximisées, il y a de grandes différences à cet égard entre les différents segments démographiques.
Lorsque nous envisageons cette idée de crédits d’impôt, nous tentons de voir s’il pourrait y avoir un avantage lié au fait d’accroître les dons de temps au moyen d’incitatifs fiscaux quelconques. L’idée sous-jacente, c’est qu’on pourrait réduire l’impôt particulier d’une personne en lui donnant un crédit quelconque lorsqu’elle consacre du temps à des activités bénévoles.
Je vais commencer par les questions banales et administratives. Quelle valeur faut-il donner aux dons de temps? Statistique Canada a dit que, chaque année, les gens font l’équivalent de 1 à 2 milliards d’heures de bénévolat, alors faire un suivi et assurer une vérification de tout ça n’a rien de facile.
Même si nous devions utiliser un genre de calcul fondé sur le salaire minimum standard, en Alberta, il s’agirait de 15 $, et on se retrouverait donc avec de 15 à 30 milliards de dollars d’heures consacrées au bénévolat et les crédits d’impôt connexes.
Attribuer une valeur à tout ça est un processus administratif ardu, ce à quoi s’ajouteraient les activités de vérification connexes de l’ARC, qui entraîneraient aussi d’énormes coûts.
Vient ensuite la reconnaissance du processus fiscal en tant que tel. Les gens donnent du temps et de l’argent en soutien aux organismes de bienfaisance, et ce, principalement pour des motifs altruistes. Ils veulent soutenir leur collectivité. Ils s’intéressent à telle ou telle activité. Ce peut être pour des raisons égoïstes, pour des raisons axées sur la carrière ou le réseautage. C’est très souvent probablement un peu des deux, et c’est quelque chose qui est difficile à distinguer.
Là où ça se corse, c’est lorsqu’il faut cerner la relation entre les dons en espèce actuels et les dons de temps. Des recherches ont été réalisées à cet égard, et les résultats connexes sont vraiment partagés quant à savoir si la relation est de nature substitutive ou complémentaire. En outre, il reste beaucoup de recherche à faire à ce sujet.
Selon une récente recherche réalisée en 2009, il s’agit de deux choses complémentaires, mais les résultats étaient vraiment divisés ou partagés lorsqu’on tenait compte du statut d’emploi, du sexe, des caractéristiques démographiques, de l’âge et de l’intégration communautaire; toutes ces choses entrent en ligne de compte.
L’étude la plus récente que j’ai pu examiner est celle de Young, en 2016, et les chercheurs ont constaté que la relation était de nature substitutive. Les gens donnaient de l’argent plutôt que du temps. Je ne crois pas que c’est ce que les organismes de bienfaisance recherchent, même si je ne veux pas parler en leur nom.
Dans un échantillon très limité de discussions avec des responsables d’organismes de bienfaisance, j’ai pu parler des dons en espèces et de temps, et il ne fait aucun doute que les dons de temps sont importants, mais l’argent reste primordial. Les organismes ont besoin d’argent pour réaliser leurs activités. S’il devait y en avoir moins, ce serait problématique.
Le dernier point que je veux soulever est moins fondé sur mes recherches que sur ce que j’ai pu observer. Si nous mettons en place des mesures incitatives et offrons des crédits d’impôt et que nous commençons à reconnaître la valeur du temps consacré par les gens, alors nous nous retrouverons avec un réel conflit entre les visées altruistes et égoïstes. Ce qui se produira, c’est que le bénévolat deviendra plus une transaction marchande.
En tant qu’éducateur, je travaille avec de jeunes étudiants depuis plus de 10 ans, et ces jeunes considèrent déjà l’éducation comme une transaction. Je crains et j’estime que, même si nous avons vraiment besoin d’augmenter les dons d’argent et de temps, un incitatif fiscal n’est peut-être pas approprié. Il faut réaliser beaucoup plus de recherches.
Le président : Nous vous remercions.
David Sutherland, pompier, agent de formation et vice-président du conseil d’administration, Lapland and District Fire Department : Le service d’incendie que je représente reçoit déjà des abattements d’impôt fédéral et provincial. J’ai présenté un document; je ne sais pas si vous avez des copies de l’information que j’ai envoyée.
Si vous l’avez, je ne vais pas tout relire. Essentiellement, au bout du compte, le service d’incendie reçoit déjà deux formes d’indemnisation. Ce qu’on a eu en premier — du moins en Nouvelle-Écosse —, c’est un crédit d’impôt remboursable de 500$ par pompier. Les pompiers ont aussi droit à une immatriculation gratuite. Il s’agit d’une plaque d’immatriculation pour pompier volontaire. La plaque confirme aussi que le conducteur est pompier si jamais il se présente sur la scène d’un incendie dans son véhicule personnel.
Il y a un certain nombre d’années, le gouvernement fédéral est arrivé avec son crédit d’impôt. Il s’agit essentiellement d’une indemnisation — à la ligne 362 — calculée en fonction du taux d’imposition établi en fonction du revenu. Essentiellement, c’est un crédit qui peut atteindre 3 000 $, mais, encore une fois, le montant qu’on obtient dépend du montant calculé en fonction du taux d’imposition. J’ai brossé un portrait de ce que ça pourrait représenter.
Ce sont les crédits que les pompiers reçoivent au bout du compte. On peut bien se demander si c’est la raison pour laquelle les pompiers font ce travail, mais si vous posez la question à n’importe quel pompier de mon service, il vous dira qu’il n’est pas là pour cette raison. C’est bien d’avoir une reconnaissance, c’est — faute d’un meilleur terme — un remerciement pour leur service, mais ce n’est pas ce qui les motive.
Chaque jour, à la radio, en Nouvelle-Écosse, il y a de multiples publicités qui demandent aux gens de faire du bénévolat et de soutenir le service d’incendie. Aucune de ces publicités ne parle des crédits d’impôt auxquels les gens seront probablement admissibles.
Cependant, ce qui est intéressant avec le cas des pompiers, c’est le point de vue par rapport à ce que je viens de lire au sujet des incitatifs fiscaux : Si vous avez un incendie dans votre maison, vous attendez-vous à ce qu’un bénévole se présente s’il le veut — selon ce qui se passe — ou vous attendez-vous à voir arriver un pompier qui a des compétences, la formation et les capacités nécessaires pour intervenir?
Si vous êtes pris dans votre véhicule, vous attendez-vous à rester là, pris au piège, en attendant et en espérant que, peut-être, un bénévole se présentera avec des pinces de désincarcération, ou vous attendez-vous à voir arriver un camion conduit par un pompier formé et qualifié, quelqu’un qui, au péril de sa vie, s’occupera de la gestion de la circulation jusqu’à ce que les policiers arrivent, et qui prodiguera des premiers soins jusqu’à ce que l’ambulance arrive?
Fait intéressant, initialement, lorsque les services d’incendie sont apparus, il s’agissait de gens de la collectivité qui étaient là pour protéger la collectivité. C’est encore le cas, et c’est la raison pour laquelle je suis pompier. S’il n’y avait personne dans mon quartier pour éteindre les incendies, je serais laissé à moi-même. Je suis là pour soutenir ma collectivité. C’est un peu altruiste, non?
C’est ainsi que les choses continuent de se passer dans de nombreux emplacements du pays : grâce au bénévolat. Nous nous soutenons les uns les autres en fournissant ce service.
Ma question est la suivante : Quelle valeur accordez-vous à la lutte contre les incendies? S’agit-il simplement d’une activité bénévole qui mérite une tape dans le dos ou est-ce un service d’urgence dont il faut assurer la prestation? De quelle façon traite-t-on un pompier? C’est une question intéressante lorsqu’on y réfléchit dans cette optique.
Pour ce qui est du bénévolat en général, je peux vous dire que, en plus d’être un pompier volontaire et de faire ce que je fais au sein du service d’incendie, je suis aussi aumônier bénévole pour le poste local de la GRC. Je fais aussi du bénévolat auprès d’une troupe théâtrale communautaire qui recueille des fonds pour d’autres organismes de bienfaisance aussi. Je fais ce que j’aime faire, et je le fais parce que je l’apprécie, pas parce qu’on me paye.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Sutherland. Je dois vous faire part de mon parti pris... Pas parce que M. Sutherland vient de la Nouvelle-Écosse, mais parce que c’est un pompier volontaire. Je vis dans une petite collectivité de la Nouvelle-Écosse qui compte sur un service d’incendie volontaire. Il y a quatre ans, j’ai été victime d’un AVC à la maison. Mon épouse a fait tout ce qu’il fallait. Elle a téléphoné au 911. En moins de 10 minutes, des pompiers volontaires étaient chez moi pour stabiliser mon état et me préparer pour la prochaine étape. L’ambulance était là en moins de 20 minutes. On m’a transporté dans la collectivité avoisinante, où mon état a été stabilisé davantage avant de me transporter vers l’hôpital, en ville.
Je suis ici aujourd’hui en raison de personnes comme vous, monsieur Sutherland. Même si j’ai remercié les gens dans ma collectivité, j’ai l’occasion ici de remercier tous les pompiers volontaires de leur travail. Il y a des milliers de personnes comme moi qui sont encore en vie en raison du bon travail que vous faites et du bon travail de vos collègues. Merci.
Heidi Jakop, présidente, Administrators of Volunteer Resources British Columbia : Honorables sénateurs, c’est un privilège pour moi de m’adresser à vous aujourd’hui, et je profiterai de l’occasion pour faire part du point de vue de bon nombre de mes homologues responsables de la mobilisation des bénévoles partout au Canada.
Nous travaillons chaque jour pour mobiliser 13,3 millions de bénévoles, qui améliorent chacune des collectivités canadiennes. Comme vous le savez, il y a des obstacles au bénévolat, et ils prennent de nombreuses formes. Certaines personnes ne font pas de bénévolat parce qu’on ne le leur a pas demandé, parce qu’elles ne trouvent pas d’occasions de le faire ou parce qu’elles ne comprennent pas à quel point c’est bénéfique et c’est important dans leur collectivité.
Les nouveaux arrivants au Canada ne comprennent peut-être pas à quel point le bénévolat fait partie intégrante de notre culture et en quoi ce genre d’activités peut les aider à tisser des liens dans leur collectivité. D’autres se butent à des obstacles financiers.
Puis, il y a les responsables de la mobilisation des bénévoles et les organisations sans but lucratif. Nous n’avons pas les ressources nécessaires pour mobiliser efficacement les bénévoles ou accroître la portée d’une organisation afin qu’elle puisse réaliser sa mission et soutenir des collectivités saines. Vu ces divers défis, le renforcement du bénévolat à l’échelle nationale exige une approche multidimensionnelle. Je vais présenter trois défis principaux que j’ai constatés tout en précisant des façons de les surmonter.
Le premier tient à l’investissement dans les responsables de la mobilisation des bénévoles. De mon point de vue, la première priorité pour renforcer le bénévolat, c’est d’investir dans les organisations sans but lucratif et leurs dirigeants qui ont déjà trop de pain sur la planche.
Alex dirige une équipe de 800 bénévoles dans un organisme de bienfaisance de taille moyenne. Il connaît le potentiel de ses programmes de bénévolat, des services communautaires accrus, de la formation plus efficace des bénévoles et de la reconnaissance des efforts de ces derniers grâce à des programmes significatifs. Chaque jour, il arrive à peine à répondre aux besoins les plus pressants de son équipe, tandis que les plans liés à la gestion du risque, au renforcement de la culture bénévole et à la prestation d’un soutien personnalisé sont laissés de côté. Par conséquent, les bénévoles ont une expérience réduite, ce qui peut émousser leur intérêt. Les programmes ne peuvent pas croître afin de mieux servir les collectivités, et la pression sur les épaules d’Alex est tellement grande qu’elle peut avoir une incidence négative sur sa santé physique et mentale. Chaque jour, Alex se retrouve seul devant ces défis... Il y a de plus en plus de gens dans la même situation que lui, et ces situations difficiles sont devenues beaucoup trop courantes.
Parmi les solutions que j’aimerais proposer, il y a l’élaboration de solutions de financement à l’intention des organismes sans but lucratif pour soutenir la stabilité de la mobilisation des bénévoles. Les bénévoles ont besoin de formation, de supervision, d’évaluation et de reconnaissance. Les sociétés investissent massivement dans les ressources humaines, parce qu’elles ont compris à quel point de tels investissements sont rentables. Les organismes sans but lucratif bénéficient tout autant d’employés responsables de la mobilisation des bénévoles. Cependant, le financement des organismes ne leur permet souvent pas d’embaucher du personnel pour soutenir de tels programmes de bénévolat. Au bout du compte, les responsables de la mobilisation des bénévoles doivent accepter des horaires très chargés et une faible rémunération, ce qui peut entraîner un taux de roulement important.
Ensuite, il faut encourager les organisations à travailler en collaboration et à éliminer les dédoublements des services.
Enfin, il faut financer des organisations et des programmes qui outillent les responsables de la mobilisation des bénévoles. Des centres de bénévolat soutiennent les dirigeants communautaires et leur donnent accès à des bénévoles éventuels.
Des programmes de gestion du bénévolat dans les collèges préparent les diplômés à diriger le secteur et à en favoriser la croissance. Les associations professionnelles rehaussent les normes de l’industrie, fournissent des possibilités de réseautage, de formation et de promotion de l’importance des professionnels du bénévolat. En outre, des organismes qui encadrent le secteur, comme Imagine Canada et Bénévoles Canada, établissent des normes cruciales pour sensibiliser et informer le secteur de la bienfaisance.
La deuxième recommandation consiste à éliminer les obstacles et à fournir des mesures incitatives aux bénévoles. Les recherches et la rétroaction sur l’indemnisation et les mesures incitatives à l’intention des bénévoles ont donné des résultats contradictoires.
Voici ce que disait une étude de 2013 de Bénévoles Canada :
Les bénévoles ont indiqué que plus d’allégements, de remboursement des dépenses et d’accès aux événements des organisations ne sont pas des facteurs importants en ce qui a trait à la façon dont les organisations pourraient les mobiliser plus efficacement.
Cependant, cette information contredit ce qu’on entend au sujet des bénévoles à faible revenu qui ne peuvent pas se payer le transport et l’équipement onéreux nécessaires pour devenir des bénévoles dans le domaine de la recherche et du sauvetage ou le récit d’un bénévole qui agit à titre de moniteur de ski adapté et qui a de la difficulté à payer son essence pour faire, chaque semaine, le long trajet vers de ski.
Pour de nombreuses personnes, les dépenses sont trop importantes, ce qui signifie que la collectivité ne peut pas bénéficier de leur temps et de leurs talents. Je connais une femme — je vais l’appeler Jane — qui fait du bénévolat à l’accueil de la Société de la SP chaque semaine. Elle comprend vraiment les besoins des clients puisqu’elle aussi est atteinte de sclérose en plaques.
Son dévouement est remarquable parce qu’elle consacre plus d’une heure pour se rendre au travail et une heure encore pour en revenir en transport en commun et elle se déplace au moyen d’une aide à la mobilité. Elle m’a dit que les déplacements sont difficiles, du point de vue tant financier que physique, mais le bénévolat lui donne un sentiment d’appartenance à la collectivité. Elle se sent moins isolée et elle peut ainsi continuer à acquérir de nouvelles compétences. Elle redonne fièrement à l’organisation qui l’a soutenue et, par le fait même, elle soutient d’autres personnes atteintes de sclérose en plaques.
N’étant plus apte au travail, elle risque de perdre son assurance-invalidité en raison de son bénévolat, puisque ces activités pourraient être faussement perçues comme la preuve qu’elle peut retourner au travail.
Voici des solutions que je pourrais recommander : rembourser les dépenses liées au bénévolat, comme l’équipement de recherche et de sauvetage — ce qui pourrait prendre la forme d’un crédit d’impôt —, le kilométrage pour les pompiers volontaires et un crédit direct pour les frais de transport en commun. Tout comme des déductions fiscales sont accordées aux donateurs et organismes de bienfaisance enregistrés, il faudrait donner une déduction fiscale méritée aux bénévoles qui donnent généreusement de leur temps et de leurs talents. Enfin, plutôt que de maintenir la pratique actuelle qui décourage et même pénalise les bénévoles, il faut envisager des mesures incitatives, sans doute un complément aux prestations d’assurance-emploi pour les personnes qui font du bénévolat pendant qu’ils sont au chômage ou en congé de maladie.
La troisième recommandation ou le troisième défi prend la forme d’une campagne de sensibilisation et d’engagement public. Les études révèlent que beaucoup de personnes ne font pas de bénévolat parce qu’on ne leur demande pas, parce qu’elles ne savent pas où aller ou parce qu’elles ne connaissent tout simplement pas les besoins dans leur collectivité.
Voici des solutions possibles : premièrement, une stratégie nationale de communication pour souligner l’incidence du bénévolat sur le renforcement des collectivités, le rôle du bénévolat au sein de la société canadienne et les avantages du bénévolat.
Deuxièmement, mettre au point des campagnes de sensibilisation dans les écoles secondaires et les organisations qui offrent des services aux nouveaux immigrants, deux segments de la population qui bénéficieraient assurément d’apprendre des choses sur la façon dont le bénévolat peut favoriser l’intégration dans la collectivité et l’acquisition de nouvelles compétences et d’une expérience de travail en sol canadien.
Ces recommandations aideront à renforcer le bénévolat au sein du secteur de la bienfaisance, sans lequel nous risquons sans doute de nous retrouver avec un déficit social. Comme on peut le lire dans un rapport de 2016 d’Imagine Canada :
Contrairement au déficit financier, le déficit social ne s’exprime pas par une série de chiffres inscrits en rouge dans un bilan. Il se traduit plutôt par l’accumulation des besoins non satisfaits, les listes d’attente de plus en plus longues dans les services sociaux et un fardeau de plus en plus lourd et un surplus de travail pour les bénévoles et employés des organismes de bienfaisance et sans but lucratif. Bref, le déficit social s’exprimera par l’incapacité des organismes de combler les besoins sociaux, culturels et environnementaux des Canadiens, incapacité qui entraînera une lente, mais perceptible érosion de leur qualité de vie.
Vous, moi et tous les Canadiens bénéficions d’un secteur du bénévolat en santé : les nouveaux Canadiens, les aînés isolés, les chercheurs dans le domaine de la santé, les randonneurs perdus et même ceux qui participent au jardin communautaire. Il y a des ressources essentielles dans chaque collectivité aux quatre coins du pays qui dépendent de bénévoles qui ont un besoin urgent de notre soutien.
Je demande au comité d’éliminer les obstacles au bénévolat, de faire la promotion du bénévolat et de sensibiliser les Canadiens à l’impact et aux avantages du bénévolat en plus de s’engager à investir dans le secteur bénévole. Merci.
Le président : Merci, madame Jakop; monsieur Cielen.
Robert Cielen, animateur de section et trésorier de groupe, 1er groupe scout Langley Meadows, Scouts Canada : Merci de nous avoir invités à la réunion. C’est un honneur et un privilège de parler avec vous.
Je m’appelle Bob Cielen, du 1er groupe scout Langley Meadows. J’aimerais prendre quelques minutes de votre temps pour vous dire qui nous sommes et formuler certaines réflexions sur les défis auxquels nous sommes confrontés, y compris l’indemnisation, la reconnaissance, l’attraction et le maintien en poste des bénévoles, le financement et les coûts, et les dons de bienfaisance en nature.
Je vais commencer par vous parler rapidement de nous. Langley Meadows est un groupe de Scouts Canada qui est situé à Langley, en Colombie-Britannique; 35 jeunes sont servis par 10 bénévoles adultes. Nous oeuvrons parmi les 21 groupes de la zone de Nicomekl, laquelle couvre la région qui englobe Surrey, Langley et White Rock. En tout, on parle de 1 025 jeunes et de 360 adultes bénévoles.
Scouts Canada compte plus de 100 000 jeunes garçons et jeunes filles de toutes les confessions et de toutes les cultures. L’organisation est soutenue par les efforts de 25 000 bénévoles, et des programmes sont offerts dans plus de 19 langues. La mission de Scouts Canada est de permettre le développement de jeunes qui sont bien équilibrés et prêts à réussir dans la vie.
Les points de vue que j’exprime aujourd’hui sont ceux du groupe Langley Meadows seulement et ne représentent pas les points de vue de l’organisation Scouts Canada. Mes commentaires ont été préparés en collaboration avec certains membres de notre groupe et des 21 groupes dans la zone de Nicomekl.
En ce qui concerne l’attraction et le maintien en poste des bénévoles, lorsque les parents qui ne connaissent pas bien notre mouvement nous demandent de quelle façon les chefs scouts adultes sont rémunérés, la réponse est habituellement un éclat de rire, suivi d’un silence, après quoi on leur répond : « Ils ne touchent rien. » Soudainement, les parents se mettent à respecter ceux qui donnent du temps pour faire du programme ce qu’il est.
Nous ne faisons pas ça pour la paye : nous le faisons parce que c’est bon pour les jeunes du pays. Nous préparons les jeunes à être d’excellents citoyens et retirons une satisfaction liée au fait d’être au service des autres.
C’est exactement ainsi que je vois nos bénévoles : des bénévoles qui donnent de leur temps et mettent leurs compétences à profit par générosité et pour rendre service. Nous demandons seulement aux bénévoles de donner de leur temps. Les menues dépenses sont remboursées, et il n’y a donc pas de fardeau financier indu lié au fait de permettre aux jeunes de vivre des aventures. Les bénévoles peuvent ainsi faire ce qu’il faut pour les jeunes sans être liés par la valeur du service, les heures faites ou les contraintes associées à la rémunération à l’acte.
Grâce au temps qu’ils consacrent à notre organisation, les bénévoles donnent vie à la mission du scoutisme. Le fait d’attirer et de maintenir en place des bénévoles reste un défi. Certains bénévoles sont confrontés à des difficultés financières ou à des défis relativement aux jeunes, dans les endroits mêmes où nos programmes répondent à un besoin crucial. Les bénévoles prennent même parfois congé de leur travail pour soutenir les programmes à l’intention des jeunes.
La possibilité pour eux de récupérer un petit montant serait bénéfique. L’adoption d’un crédit d’impôt pour les bénévoles qui consacrent beaucoup de leur temps pourrait aider à reconnaître la valeur du dévouement des bénévoles au sein de leurs collectivités et de la nation.
Même s’il ne serait pas déraisonnable d’exiger que l’organisation atteste les heures faites par un bénévole, cela créerait un lourd fardeau administratif. Le suivi et la confirmation des heures des bénévoles entraînent des frais généraux supplémentaires, et tout coût supplémentaire au sein d’une organisation bénévole qui manque déjà de temps mine la prestation des services bénévoles. Il y a dans une journée un nombre d’heures fixe qu’on peut consacrer à la planification et la prestation des programmes, aux activités de collecte de fonds et aux activités administratives et organisationnelles nécessaires qui influent directement sur la prestation des programmes.
Les petites organisations ont de la difficulté à recueillir des fonds, dont une portion importante est utilisée pour payer des installations déjà financées par les contribuables. Ces coûts font en sorte qu’il y a moins de financement pour les activités de camping et des aventures en plein air. Nous composons avec un budget extrêmement restreint, et les fonds viennent principalement des activités de financement réalisées par les responsables scouts et les jeunes. C’est une grande source de frustration qui a une incidence sur notre réussite et la prestation des programmes et c’est la prestation d’un programme réussi qui est l’aspect le plus satisfaisant pour les responsables scouts.
Le processus de l’ARC relativement aux dons en nature est une chose qui peut miner la réussite du bénévolat. Essentiellement, en vertu des processus actuels, le donateur doit donner de l’argent à l’organisation pour que cette dernière achète un don en nature. Le donateur reçoit alors un reçu. C’est parce que les dons qui exigent plusieurs évaluateurs pour déterminer la juste valeur marchande supposent un processus beaucoup plus long — et potentiellement coûteux —, ce qui a une incidence sur les petites organisations. C’est un processus difficile à mettre en œuvre dans un contexte où l’on a peu d’argent et où ni le donateur ni le bénéficiaire n’ont accès à beaucoup d’argent. Il faut être riche pour donner. Les évaluations devaient être de mise dans le cas de dons de terres ou d’actions, mais c’est un processus disproportionné lorsqu’on parle d’un canot ou d’une remorque pour transporter du matériel de camping.
Il y a assurément des raisons pour lesquelles de tels processus ont été adoptés, puisqu’il y a une possibilité d’abus, mais la pratique de vérification en place à l’heure actuelle est tellement lourde qu’il y a maintenant peu de dons en nature faits au niveau des groupes locaux, sauf dans les cas de dons d’envergure, où la lourdeur du processus est justifiée. Il pourrait être bénéfique d’établir un seuil, un montant nominal, par exemple permettre un don en nature de 1 000 $ par année par donateur, de sorte que les organismes de bienfaisance locaux puissent bénéficier des dons de donateurs locaux généreux dans la collectivité. Sans reçu, les dons et les dons en nature sont pour ainsi dire impossibles, et la collectivité ne peut pas en bénéficier. L’impact des politiques qui ont une incidence négative sur la collecte de fonds est une source de frustration pour les bénévoles, ce qui a un impact sur notre réussite et la valeur perçue de nos efforts.
Merci de votre attention. Encore une fois, c’est un honneur de parler avec vous aujourd’hui.
Le président : Merci beaucoup aux quatre témoins de leur exposé. Nous allons passer aux questions. Je rappelle à mes collègues de poser des questions courtes et aux témoins d’essayer de répondre brièvement afin que nous puissions poser le plus de questions possible.
La sénatrice Omidvar : Vous êtes un groupe de témoins fantastiques qui nous font bénéficier de points de vue de portée et d’envergure pancanadiennes. Nous vous remercions beaucoup. J’adore entendre parler des scouts, des pompiers et des chercheurs. Je vais commencer par le thème de la recherche. J’aime bien le fait que vous soyez comptable, parce que certaines choses nous ont été proposées. Prenons la proposition de Mme Jakop, qui consiste à rembourser les dépenses liées au bénévolat. La proposition est assez précise : l’équipement de recherche et de sauvetage, le kilométrage. Il n’est pas vraiment question du temps en tant que tel; on se limite aux coûts connexes. Un crédit direct pour les déplacements en transport en commun. La proposition de M. Cielen consiste quant à elle à permettre des dons en nature d’une valeur de 1 000 $ par année par donateur, de façon à ce que les organismes de bienfaisance locaux puissent en bénéficier. J’aimerais savoir quelle est votre réaction à ces deux propositions.
M. Spyker : Merci beaucoup, madame la sénatrice. Je crois que l’un des défis — et je le dis en tant que personne versée en finances —, c’est tout le processus de vérification. Personnellement, je crois que la prestation de mesures incitatives, la radiation de coûts directs... ça devrait être ça. Selon moi, ça va un peu de soi, mais je ne sais pas si les avantages l’emportent sur le processus de vérification.
Puis, l’autre chose qui me pose problème, c’est que, si l’objectif est d’accroître le bénévolat, je ne suis pas vraiment sûr que les coûts sont en cause. Je crois qu’on assiste à un changement démographique. Les jeunes ont besoin de plus d’incitatifs. Ils doivent devenir des constructeurs de grange. C’est quelque chose qu’ils ne connaissent pas. Je ne sais pas si on y arrivera en faisant du bénévolat une transaction.
La sénatrice Omidvar : Madame Jakop, je crois que ce monsieur a raison lorsqu’il dit que ça semble être une bonne idée, mais qu’il sera quasiment impossible de vérifier les dépenses et qu’on créerait ainsi une mini bureaucratie au sein des petits organismes de bienfaisance. De quelle façon peut-on gérer tout ça? Avez-vous une solution à ce problème?
Mme Jakop : Merci de poser la question. Je crois que, assurément, c’est une question sur laquelle il faut se pencher davantage. Ce serait un fardeau administratif, bien sûr, pour certaines organisations. Ma deuxième recommandation concernait les heures de bénévolat. De nombreuses organisations sont en mesure de faire un suivi des heures, si c’est ce dont on parle. Par conséquent, je crois qu’on a assurément la capacité de le faire. Il reviendra à l’organisation de documenter les heures et, peut-être, d’envoyer une note annuelle aux fins de vérification. Oui, il y aura un fardeau associé à tout ça pour les organisations. Dans le cas d’une organisation purement bénévole — comme une troupe de scouts —, quelqu’un pourrait probablement s’en occuper. Dans de grandes organisations — je dirige une équipe de 950 bénévoles —, ce serait une tâche pour le responsable de la mobilisation des bénévoles. C’est lui qui devrait fournir cette documentation.
La sénatrice Omidvar : Merci.
Monsieur Sutherland, j’ai une question liée à votre mémoire. Je comprends que vous trouvez l’indemnisation gouvernementale des bénévoles dans votre secteur problématique. Je parle des pompiers volontaires. Je crois comprendre que la loi fédérale qui régit la rémunération des pompiers volontaires n’est pas très ancienne. Elle est entrée...
M. Sutherland : Elle ne date que de quelques années. Je ne me souviens pas des dates exactes.
La sénatrice Omidvar : Elle date de l’ère Harper. Depuis que cette loi est entrée en vigueur, avez-vous remarqué une augmentation du nombre de pompiers volontaires ou est-ce que la loi n’a eu aucune incidence?
M. Sutherland : Dans notre petit service rural précis, l’indemnisation fédérale n’a pas eu d’incidence importante. C’est parce que, lorsqu’on regarde tout ça, encore une fois, la mesure est fonction du revenu. Dans notre région, les gens comme moi... Je compte probablement parmi les plus jeunes au sein du service d’incendie. Les revenus de certains ne sont pas suffisants pour qu’ils soient admissibles. C’est parfois en raison du nombre d’heures. Par conséquent, à la lumière de cette échelle précise, si on consacre 200 heures à mon niveau de revenu, on se retrouve avec un taux équivalent à environ 450 $, soit une indemnisation d’environ 2 $ l’heure, et ça, c’est si mon revenu le permet. Cependant, si j’ai un faible revenu, si, en raison de mes déductions fiscales, rien ne me revient, la mesure est sans conséquence. Dans un tel cas, la personne n’obtient rien. La mesure ne devrait pas être liée au revenu comme elle l’est actuellement. Le gouvernement de la Nouvelle-Écosse offre un crédit d’impôt remboursable. C’est une ligne dans la déclaration où l’on nous demande directement si on est pompier volontaire. Dans l’affirmative, on peut inscrire dans la case 500 $, et cet argent nous reviendra, peu importe l’avis de cotisation. C’est un crédit d’impôt remboursable. C’est simple, clair et équitable. Dans ce cas précis, à la lumière de l’échelle de revenu, je pourrais faire... Si, par hasard, un pompier gagne 200 000 $ par année, il obtient un crédit d’impôt de 900 $ même si, essentiellement, il ne fait pas grand-chose au sein du service. Tandis qu’un pompier à faible revenu pourrait consacrer beaucoup, beaucoup d’heures au service d’incendie et n’obtenir absolument rien en retour.
La sénatrice Omidvar : Merci.
La sénatrice Martin : Merci à vous tous de vos exposés aujourd’hui. Étant moi aussi britanno-colombienne, je suis heureuse de vous voir ici. J’ai eu certaines interactions avec les scouts, et je sais que certains de vos programmes de mobilisation des jeunes sont excellents. En outre, j’ai vu de très bons chefs qui se préparent à passer à l’étape suivante et à occuper un poste de direction au sein de l’organisation des scouts. Je vous en remercie donc. Je suis reconnaissante du travail des pompiers et des pompiers volontaires. Je vis à Burnaby, et je ne crois pas qu’il y ait une organisation — comme les institutions, les écoles et les centres communautaires — que les pompiers n’ont pas soutenue grâce à leur travail de bienfaisance. Je sais que vous faites tous de l’excellent travail.
J’ai été surprise par ce qui a été dit — je crois que c’était vous, monsieur Cielen — sur les politiques qui ont une incidence négative sur les organisations. En tant que parlementaires, nous pouvons adopter des lois et des règlements en étant animés des meilleures intentions, mais, parfois, il peut y avoir des répercussions négatives imprévues. Certains d’entre vous aimeraient-ils formuler des commentaires sur un aspect limité ou précis qui mérite notre attention? Y a-t-il des choses qu’il faudrait éliminer en raison de leur impact négatif sur le secteur bénévole?
M. Cielen : Si je peux me permettre, la raison pour laquelle j’ai suggéré la possibilité de faire un don en nature par année de moins de 1 000 $, c’est parce que... Imaginez qu’une personne veut donner un canot à votre groupe, comme je l’ai mentionné, eh bien, il faudra faire évaluer le canot. C’est un long processus. Il faut un peu d’argent pour réaliser l’évaluation. Au bout du compte, il faut demander au donateur de nous donner un peu d’argent. Les fonds en question seront envoyés au siège social de l’organisation, où il faut s’assurer qu’ils seront réservés à notre groupe, pour qu’ils nous reviennent ultérieurement. Puis, nous utilisons cet argent pour acheter l’article. Donc le donateur obtient un reçu pour le don de 300 $, puis nous lui donnons l’argent qu’il nous avait remis pour lui acheter l’article.
Des mois peuvent s’écouler sans qu’on ait accès à l’article donné. Les bons donateurs donneront l’article et espéreront que ça leur reviendra. Cependant, ils nous donnent le canot, et l’argent pour acheter le canot qu’on leur remettra ensuite. Ça semble un processus contre-intuitif ou contre-productif. Il serait préférable de trouver des façons de dire : « de petits dons », et on limiterait la possibilité d’abus. Il pourrait être utile de limiter le nombre de dons potentiels que les organisations peuvent recevoir. En effet, on constate en tant que petits groupes au niveau communautaire — au niveau du groupe — que de tels dons se font maintenant rares. Le processus est trop lourd.
S’il y a une chose que je pourrais vous dire en ce qui concerne les crédits d’impôt, c’est que c’est difficile pour les petits groupes, à l’échelon des bénévoles, de réaliser un suivi, parce que ce n’est pas facile à administrer. S’attendrait-on à ce que les personnes tiennent des registres du travail qu’ils font lorsqu’ils envoient des courriels ou s’acquittent de tâches administratives? C’est facile de gérer les camps et les activités dans le cadre des programmes, comme les réunions régulières. Dans ces cas-là, on peut définir des périodes, et le suivi est plus facile. Cependant, pour ce qui est de toutes les activités de préparation connexes, comme le trésorier qui gère les débours, les reçus et les contrats et les heures supplémentaires nécessaires pour la production de rapports, ce sont des choses difficiles à vérifier. Il faut s’en remettre aux bénévoles et espérer qu’ils fassent preuve d’intégrité, puis, il faut un processus administratif au niveau du groupe pour vérifier tout ça et dire : « Ça me semble approprié, nous pouvons confirmer une telle chose. » Parce que la « vérifiabilité » de ces activités est très difficile à établir. Si nous devons ajouter un processus, cela signifiera plus d’heures de bénévolat, et ces heures ne peuvent pas être consacrées à la prestation des services et des programmes.
M. Sutherland : J’ai pensé à ce que le gouverneur général a mentionné précédemment au sujet du bénévolat et de la raison pour laquelle nous en faisons. Nous avons parlé du renforcement de la confiance et de l’intégrité. Vraiment, encore une fois, être bénévole, ça sous-entend un certain état d’esprit. Lorsque nous demandons aux bénévoles de fournir des preuves et des registres d’heures, que leur disons-nous? Nous leur disons que nous allons les payer en fonction de leur travail. Essentiellement, on fait d’eux — à défaut d’un meilleur terme — des employés, et nous leur disons qu’ils vont travailler quelques heures et que nous allons exiger des preuves pour les rémunérer.
Je crois pouvoir dire que n’importe quel bénévole préférerait se faire remercier : « Merci de votre service. » La reconnaissance est très importante.
Si vous voulez fournir une forme d’indemnisation quelconque, je vous dirais que vous devez trouver une façon de le faire clairement et simplement. Il faut pouvoir s’asseoir et dire à quiconque recevra l’indemnisation — peu importe ce que la personne a fait — que nous reconnaissons son service. Nous n’allons pas lui faire faire telle ou telle chose, à part confirmer le fait qu’il fait partie de l’organisation. Laissez l’organisation vérifier votre identité et vous remercier de votre service, verbalement, ou, si vous donnez une forme d’indemnisation quelconque, il faut le faire en guise de remerciement. C’est ce que les gens apprécieraient vraiment.
La sénatrice Duncan : Je tiens à remercier les témoins de leurs commentaires. Ce que j’ai très bien compris, à la lumière des propos de M. Sutherland, c’est que c’est le bénévolat qui compte, pas nécessairement les mesures incitatives au bénévolat. Je vous en suis vraiment reconnaissante.
Monsieur Cielen, j’ai non seulement été guide, mais cheftaine guide et trésorière, aussi, alors je comprends votre réalité.
Madame Jakop, vous avez formulé de bons commentaires, particulièrement l’exemple que vous avez donné de la personne qui dépense ses ressources limitées pour faire du bénévolat au sein d’une organisation.
Ma question concerne vraiment la recherche. Je compte sur vous, monsieur le président pour me corriger si je me trompe ou si la recherche a été réalisée, mais M. Spyker pourrait peut-être répondre à ma question.
Le jeu, si j’ai bien compris, est en partie réglementé par le gouvernement fédéral, le Yukon comptant la première salle de jeux réglementée et titulaire d’une licence au Canada, et les régies des loteries sont une des sources de financement de nombreux groupes sans but lucratif. Y a-t-il des recherches ou des documents faisant un lien entre l’accès à ces fonds et la collaboration avec le secteur bénévole? Quelque chose qui dirait, par exemple, qu’un certain montant ou un certain pourcentage des fonds doit être donné à des organisations sans but lucratif, qui pourraient l’utiliser comme bon leur semble, par exemple, pour la formation? Ou s’agit-il là d’un enjeu provincial ou provincial-fédéral?
M. Spyker : Cela dépasse mon expertise. C’est extrêmement important, et mes collègues le savent peut-être.
Mme Jakop : Je ne peux pas parler pour ce qui est de la recherche, mais je peux vous parler d’expériences anecdotiques et d’histoires que j’ai entendues au cours de la dernière décennie. Des collègues à moi qui travaillent sur des subventions liées aux jeux ressentent vraiment les compressions ou les défis associés à de telles subventions. Les programmes qu’ils réussissaient à réaliser dans le passé sont maintenant compromis ou ne vont plus de l’avant. Bon nombre de ces fonds étaient vraiment nécessaires. Je peux seulement parler de ce que je connais et non pas de la nature précise des changements. Je souligne seulement le sentiment de rareté ressenti au sein de mon milieu.
Je peux cependant dire que, du moins au sein des organisations pour lesquelles j’ai travaillé, lorsqu’on recevait des fonds après avoir présenté des demandes de subventions liées au jeu, l’argent devait surtout servir aux programmes — qu’il s’agisse de services aux clients ou d’une initiative de promotion —, plutôt qu’être destinés aux bénévoles, dont le travail est essentiel à la réalisation de tels programmes. Ça semble être un défi, du moins selon moi.
Le président : Le jeu est une responsabilité provinciale aussi. Nous pouvons formuler des commentaires, mais nous n’avons peut-être aucune incidence directe.
La sénatrice Omidvar : Mon collègue, le sénateur Robert Black, qui est vissé à son siège devant son ordinateur, voulait poser la question suivante : Les obstacles au bénévolat sont-ils différents dans les régions rurales et les zones urbaines au Canada? Les occasions de collaboration sont-elles différentes dans ces deux contextes au Canada?
Madame Jakop, j’aimerais savoir ce que vous en pensez, puis M. Sutherland et M. Cielen pourront ajouter leur grain de sel.
Mme Jakop : Il peut y avoir des occasions et des obstacles différents. La bonne nouvelle, c’est que, dans certaines collectivités, les gens peuvent trouver des occasions de bénévolat qui vont au-delà de leur quartier; il y a des occasions pour des bénévoles qualifiés et des occasions de bénévolat virtuel dans d’autres collectivités que les leurs. Ou encore, si une personne se trouve dans une petite collectivité rurale, et peut trouver un expert, un bénévole très qualifié qui a de l’expérience en communication, en marketing, en relations publiques ou en défense des droits qui peut offrir un soutien à distance. Ce sont les percées que je remarque.
J’imagine que, si une personne vit dans une petite collectivité, il peut y avoir des motifs ou des causes limitées pour elle de faire du bénévolat. Pour certaines personnes, il est très important de faire du bénévolat relativement à une cause qui les touche directement.
Il y a moins de diversité. Il peut aussi y avoir moins de ressources pour promouvoir les occasions. Cependant, d’un autre côté, les gens peuvent se sentir plus liés à leur quartier et avoir l’impression de faire partie d’une grande famille.
La sénatrice Omidvar : Aucun d’entre vous n’a parlé d’un système de vérification judiciaire lié aux bénévoles. C’est un système nécessaire, surtout lorsque les bénévoles travaillent auprès d’enfants, mais mettons-nous en œuvre un tel système d’une façon qui constitue un obstacle au bénévolat? J’aimerais savoir ce que vous en pensez.
M. Cielen : Je ne crois pas que ce soit un obstacle. Au cours des neuf dernières années, je ne crois pas avoir vu un seul bénévole refusé à la suite d’une vérification judiciaire.
C’est un aspect important de la sécurité des jeunes dans le cadre de nos programmes. C’est la première ligne de défense, puis il y a aussi la formation liée à la sécurité que nous offrons.
Il y a souvent des coûts que nous devons assumer, mais c’est essentiel. Je ne veux pas dire qu’il s’agit d’une assurance, parce que ce n’est pas ça, mais c’est un processus de vérification qui est absolument nécessaire.
Le président : Même dans notre cas, en tant que parlementaires, s’il y a des bénévoles dans nos bureaux, ici, sur la Colline, ils doivent eux aussi faire l’objet d’un processus de vérification des forces de l’ordre. C’est quelque chose que je mets en pratique depuis que je suis ici. C’est un aspect important du processus nécessaire pour fournir, non pas une assurance, mais une certaine confirmation que les questions ont été posées et que des réponses ont été obtenues.
Y a-t-il d’autres commentaires?
Mme Jakop : Bien sûr. En Colombie-Britannique, j’ai mes bénévoles, quiconque travaille auprès de personnes vulnérables, auprès des jeunes, mais il y avait d’autres occasions lorsque je travaillais pour des organismes de bienfaisance dans le domaine de la santé. Il est possible de passer par la GRC, et les vérifications des bénévoles sont gratuites. C’est quelque chose qu’on peut faire en ligne.
Par ailleurs, certaines personnes choisissent de se tourner vers leur service de police local, comme le Service de police de Vancouver, et de faire tout ça en personne, mais, de façon générale, j’aiguille les gens vers le formulaire en ligne par l’intermédiaire de la GRC. C’est gratuit, et ça prend environ 10 minutes. On reçoit une réponse par courriel. De ce point de vue, j’estime que c’est assez simple.
Je ne veux pas créer d’obstacles au bénévolat, mais si une personne ne veut pas vraiment faire l’objet d’une vérification, elle peut abandonner le processus, et c’est peut-être mieux ainsi. Si elle ne veut pas prendre le temps de respecter les mesures de vérification, il y a de bonnes chances qu’elle ne serait pas aussi engagée à l’égard des responsabilités associées au rôle qui l’attend.
Le président : Merci beaucoup aux témoins d’avoir présenté leur exposé et répondu à nos questions. Vos témoignages ont été très utiles. Je vous remercie de votre service dans vos collectivités et je vous encourage à continuer de le faire, de recruter de bons bénévoles et de poursuivre votre excellent travail.
Comme je l’ai mentionné, le comité poursuit aujourd’hui son étude pour examiner l’impact des lois et politiques fédérales et provinciales gouvernant les organismes de bienfaisance, les organismes à but non lucratif, les fondations et autres groupes similaires et pour examiner l’impact du secteur bénévole au Canada.
Je tiens à souhaiter la bienvenue à Philip Landon, vice-président d’Universités Canada; à Mme Taralee Turner, chef des opérations du Royal Winnipeg Ballet; à Mme Connie Côté, directrice générale de la Coalition canadienne des organismes de bienfaisance en santé; et à Mme Lisa Lalande, directrice principale, Pôle de recherche à but non lucratif du Mowat Centre.
Merci à vous tous d’être là. Vous allez tous nous présenter un bref exposé, puis nous vous poserons des questions.
Philip Landon, vice-président, Universités Canada : Bonjour à tous. Je tiens à remercier le président et les membres du comité de réaliser la présente étude et d’avoir invité Universités Canada à formuler ses recommandations aujourd’hui.
Je suis le vice-président de la gouvernance et des programmes d’Universités Canada, et je suis heureux de comparaître aujourd’hui au nom des 96 universités du Canada.
Votre étude constitue une occasion importante pour le gouvernement du Canada de soutenir le secteur de la bienfaisance et de renforcer les collectivités que nous servons à l’échelle du pays.
[Français]
Nous sommes très heureux des engagements qui ont été pris en faveur du secteur caritatif dans l’énoncé économique de l’automne 2018, et nous avons maintenant l’occasion de renforcer cet engagement.
[Traduction]
En tant qu’organismes de bienfaisance, Universités Canada et nos membres jouent un rôle actif dans le secteur sans but lucratif et de la bienfaisance, en faisant la promotion d’une mission comptant trois volets : l’enseignement, la recherche et le service communautaire. Chaque aspect de cette mission est réalisé grâce au soutien de dons de bienfaisance.
Le secteur de la bienfaisance est un moteur économique important au Canada. Il génère plus de 7 p. 100 du PIB canadien et emploie plus de 2 millions de personnes. Les universités jouent un rôle important afin de favoriser cette croissance en fournissant 35 milliards de dollars de dépenses directes chaque année et en employant près de 300 000 personnes.
Le travail des universités canadiennes est aussi soutenu en partie par des dons de bienfaisance et grâce à nos partenariats avec d’autres organisations de bienfaisance. Par exemple, le Refugee Livelihood Lab de l’Université Simon Fraser en Colombie-Britannique réunit des réfugiés — des entrepreneurs, des créateurs et des innovateurs parmi la population de réfugiés — pour trouver des solutions aux défis auxquels sont confrontées les communautés rétablies à Surrey, en Colombie-Britannique et dans les alentours. Ce travail important est rendu possible par le soutien du gouvernement fédéral et du gouvernement provincial ainsi que grâce au soutien crucial découlant de dons de bienfaisance.
Vous avez peut-être aussi récemment entendu parler du don de 200 millions de dollars fait à l'Université McGill pour la création des bourses McCall MacBain. Il s’agit du plus important don de bienfaisance dans l’histoire canadienne.
À une époque de polarisation politique et de changement technologique rapide, ce don fournira d’importantes bourses d’études supérieures pour outiller une nouvelle génération de leaders déterminés pour qu’ils puissent s’attaquer aux enjeux mondiaux pressants et aux défis complexes connexes, ces bourses permettant de couvrir les frais de scolarité et les frais de subsistance en plus de fournir un mentorat utile et un apprentissage pratique.
Ces exemples et d’innombrables autres soulignent l’importance des dons de bienfaisance et du renforcement des partenariats entre les collectivités et les universités en plus du besoin d’augmenter l’impact des universités. Pour y arriver, nous recommandons ce qui suit au comité : vu l’importance des dons de bienfaisance dans notre travail et dans la vie des Canadiens, nous recommandons des modifications législatives et des investissements stratégiques pour qu’on puisse s’assurer que notre secteur est solide et durable. Cela inclut l’élimination de l’impôt sur les gains en capitaux lié au don en biens immobiliers et en actifs d’entreprise, qui permettrait de générer 200 millions de dollars de plus par année en dons au sein du secteur de la bienfaisance. On parle probablement de 200 millions de dollars de financement pour de la recherche en santé, des partenariats communautaires nouveaux et novateurs et les genres de bourses dont j’ai parlé précédemment.
Nous recommandons aussi l’adoption d’une exemption pour les organisations de bienfaisance relativement à la loi anti-pourriels. Même si nous sommes d’accord avec l’intention de la loi, nous sommes préoccupés par le fardeau indu que cela fait peser sur les organismes de bienfaisance et les établissements d’enseignement postsecondaire en particulier. Cette exemption permettrait de s’assurer que les universités peuvent communiquer des renseignements importants aux étudiants, aux anciens étudiants, aux donateurs et aux partenaires communautaires locaux.
Une autre mesure clé que le gouvernement peut prendre pour renforcer le secteur de la bienfaisance, c’est de créer un champion fédéral ou un groupe responsable du secteur au sein du gouvernement. Je crois que le comité a entendu, dans des audiences précédentes, des témoignages quant au fait qu’avoir un groupe responsable au sein du gouvernement a accru les efforts du Canada en matière de développement international, et nous recommandons de faire la même chose pour le secteur de la bienfaisance.
Le comité consultatif sur le secteur de la bienfaisance récemment annoncé est un premier pas dans cette direction, et nous espérons qu’il inclura les universités et les établissements d’enseignement postsecondaire.
Nous recommandons aussi de financer la collecte de données sur le secteur de la bienfaisance. Les plus récentes données complètes sur le secteur datent d’il y a plus de 10 ans, soit d’avant la crise financière de 2008. Les choses ont changé, et nous avons besoin de données pour soutenir nos politiques. Des données exactes et pertinentes sont nécessaires pour permettre au gouvernement de prendre des décisions éclairées au sujet de ce moteur important de l’économie canadienne.
Il est aussi très important de poursuivre la mise en œuvre des recommandations du groupe directeur de la Stratégie d’innovation sociale et de finance sociale. J’aimerais, aujourd’hui, souligner deux des recommandations de ce groupe.
Premièrement, la création d’une initiative de génération de données probantes et de partage du savoir pour coordonner les renseignements et la collaboration à l’échelle du secteur. Deuxièmement, une campagne nationale pour informer les Canadiens des avantages et des occasions liés à l’innovation sociale et les sensibiliser à la finance sociale.
Le soutien du gouvernement pour la mobilisation des jeunes dans cette campagne grâce à des bourses, des bourses de recherche et des occasions d’apprentissage intégrées au travail seraient particulièrement efficaces, puisque nous savons que l’apprentissage pratique est crucial si l’on veut outiller les Canadiens en fonction de l’avenir du milieu du travail, surtout ceux qui viennent de contextes marginalisés.
En conclusion, je tiens à souligner le rôle crucial que jouent les dons de bienfaisance à l’appui de la prochaine génération de dirigeants, de chercheurs et d’innovateurs canadiens en permettant aux universités de collaborer avec des partenaires locaux pour renforcer les collectivités et en augmentant l’accès aux études postsecondaires et la réussite des étudiants, y compris en finançant des locaux sur les campus et des occasions d’apprentissage pratiques.
[Français]
Le Canada a maintenant une belle occasion de redoubler d’efforts et d’assurer la pérennité du secteur.
Je vous remercie sincèrement de votre travail au sein du comité. Je répondrai maintenant avec plaisir à vos questions au sujet de nos recommandations et de nos travaux.
[Traduction]
La sénatrice Ratna Omidvar : (vice-présidente) occupe le fauteuil.
La vice-présidente : Merci. Nous allons écouter tous les témoins avant de passer aux questions.
Madame Turner.
Taralee Turner, chef des opérations, Royal Winnipeg Ballet du Canada : Je m’appelle Taralee Turner. Je suis chef des opérations du Royal Winnipeg Ballet du Canada. Je suis honorée de comparaître devant le Comité sénatorial spécial sur le secteur de la bienfaisance.
Outre ma dernière année et demie au RWB, j’ai travaillé au sein d’organismes sans but lucratif pendant 20 des 24 dernières années, dont 7 ans dans le secteur de la bienfaisance.
Le RWB comprend un corps de ballet de renommée mondiale, une école professionnelle de ballet classique, une division de danse récréative ainsi qu’une division axée sur des initiatives communautaires qui enrichit la vie des participants de tous âges, de tous niveaux et de tous intérêts.
Sur le point de célébrer bientôt son 80e anniversaire, le RWB contribue depuis longtemps à l’écosystème des arts et de la culture du Canada. Les arts enrichissent notre pays et nous apportent une reconnaissance internationale. Le RWB est l’un des fiers ambassadeurs, et ils sont nombreux.
L’exposition aux arts et à la culture stimule l’apprentissage, favorise la santé et le bien-être, contribue à la vitalité de nos collectivités et a une grande incidence économique.
Environ 25 p. 100 des personnes employées dans le secteur culturel du Manitoba travaillent pour des organismes sans but lucratif. Les participants des OSBL du secteur jouent un rôle essentiel dans la stimulation de la croissance du secteur et servent d’incubateurs de talent.
Le RWB non seulement emploie près de 200 personnes à temps plein et à temps partiel au Manitoba, mais il offre également beaucoup de travail aux danseurs, chorégraphes, concepteurs, techniciens de production, musiciens et à de nombreux autres Canadiens.
L’incidence du secteur de la bienfaisance sur nos collectivités et la valeur qu’il crée pour notre pays ne seraient pas possibles sans un généreux soutien philanthropique, l’engagement d’administrateurs bénévoles dévoués du conseil d’administration ainsi que des dirigeants et des employés travaillant sans relâche à des tarifs inférieurs à ceux du marché, car ils croient en la mission de leur organisation.
Cependant, il est de plus en plus difficile d’exploiter le pouvoir de la philanthropie dans le secteur des arts et de la culture. Les lois et les politiques fiscales existantes qui régissent le financement du secteur de la bienfaisance n’ont pas progressé au même rythme que notre évolution économique, sociale et générationnelle. Par conséquent, elles n’incitent pas suffisamment les particuliers et les sociétés privées et cotées en bourse à fournir les fonds, le temps et les talents nécessaires pour la viabilité des organismes de bienfaisance et autres organismes sans but lucratif. L’érosion de ces trois piliers fondamentaux compromet l’accessibilité à des services essentiels et à des expériences enrichissantes, essentielles à une société prospère.
Avec les meilleures intentions du monde, la prolifération d’exigences réglementaires complexes dans des domaines comme la vie privée, l’immigration, les impôts et les employés alourdit les frais généraux à un rythme auquel les organisations qui fonctionnent sans marge bénéficiaire ne sont pas préparées. En raison du fardeau réglementaire, un temps précieux et des ressources financières provenant des populations que nous servons sont réorientés vers des tâches administratives.
Pour ajouter à nos appréhensions, il est évident que l’augmentation des frais généraux décourage les dons philanthropiques. Le rapport du Blackbaud Institute, publié en août 2018, sur la prochaine génération de donateurs canadiens au terme d’un sondage mené auprès de plus de 900 donateurs canadiens, met en exergue la préoccupation suivante :
[...] un critère de choix pour de nombreux donateurs reste le pourcentage des fonds donnés qui vont à des programmes plutôt qu’à la collecte de fonds ou à l’administration.
Paradoxalement, en nous efforçant de rendre des comptes et de nous conformer à la réglementation, nous sapons notre potentiel de contributions philanthropiques et devenons de plus en plus tributaires des fonds publics.
Le rapport Blackbaud a été décourageant pour ceux d’entre nous qui travaillent dans les arts. Tandis que les arts étaient considérés comme l’une des trois grandes priorités des donateurs âgés de 70 ans et plus, nous ne figurons même pas parmi les sept priorités absolues du secteur de la bienfaisance chez les donateurs de moins de 50 ans. Dans l’état actuel des choses, les arts et la culture ne comptent que pour 4 p. 100 de la part du marché du secteur de la bienfaisance. À une époque où le financement public ne suit pas le rythme de l’inflation, les arts ne peuvent pas se permettre que leur part de marché ne s’érode davantage.
Depuis 2008, le RWB a connu une baisse constante des dons individuels, mais une baisse de 87 p. 100 des dons de sociétés est tout autant alarmante. Nous constatons également une tendance négative en matière de commandite. L’accélération des fusions et des acquisitions ainsi que la tendance des sociétés à financer moins d’organisations et à passer à un partenaire unique ont directement entraîné la perte de commandites essentielles pour le RWB. Les grandes entreprises ont confié leur budget philanthropique aux services de marketing et se concentrent sur des initiatives nationales avantageuses sur le plan stratégique au détriment des petites organisations communautaires.
Selon l’organisation nationale des organismes de bienfaisance, Imagine Canada, 42 p. 100 des entreprises sondées ont déclaré financer moins d’organismes sans but lucratif afin de se concentrer sur des partenaires de choix.
Tandis que le contexte de la collecte de fonds devient de plus en plus concurrentiel, il en va de même du temps et du talent des personnes possédant la formation et l’expérience nécessaires pour gouverner et diriger dans le secteur des OSBL. Les organisations sans but lucratif sont immédiatement désavantagées dans les économies en pénurie de talents. Les salaires qu’elles peuvent offrir ne sont pas compétitifs, leur conseil d’administration n’est pas rémunéré, et elles ne disposent pas des ressources financières permettant d’investir dans la formation et le perfectionnement susceptibles de préparer des talents émergents à des postes de haute direction ou au sein du conseil d’administration. Il en résulte un déficit de connaissances qui expose les petites et moyennes organisations à un risque important de vulnérabilité face à des fournisseurs prédateurs, des syndicats et des prestataires de services ainsi qu’à des imbroglios juridiques, à une non-conformité réglementaire et à une crise financière, ce qui érode encore la confiance de la communauté philanthropique.
Les organisations sans but lucratif jouent un rôle essentiel au Canada et, en partenariat avec le gouvernement, fournissent des services qui stimulent le bien-être économique du pays et la qualité de vie de nos citoyens. Mettre en place et revoir des politiques afin de synchroniser nos efforts, plutôt que de multiplier un fardeau réglementaire insoutenable, serait dans l’intérêt à long terme du Canada et de ses citoyens.
À cette fin, le RWB formule les recommandations suivantes : soutenir les organismes de financement dans la poursuite permanente d’initiatives de réforme et d’efficacité; encourager des fonds de dotation en investissant davantage dans des initiatives allant dans ce sens, comme le Fonds du Canada pour l’investissement en culture; fournir des services de formation, de conseil et de consultation accessibles et gratuits aux administrateurs, dirigeants et employés des OSBL sur des sujets liés à la gouvernance, à la gestion financière, au droit et à la conformité réglementaire des OSBL; exiger que les exemptions réglementaires des OSBL soient considérées comme une étape cruciale et une meilleure pratique dans chaque processus d’examen des politiques et des règlements et mettre en place des programmes de financement transitoire visant à aider les OSBL à se conformer aux exigences nouvelles ou révisées; encourager la participation au secteur des OSBL en tant qu’employés et au moyen de dons philanthropiques individuels et d’entreprises. À titre d’exemple, mais sans se limiter à ceux-ci : supprimer l’impôt sur les gains en capital en ce qui concerne les dons d’actions de sociétés privées et de biens immobiliers; renforcer les incitatifs fiscaux aux entreprises; et mettre en place des incitatifs fiscaux individuels comme des crédits d’impôt associés au travail dans le secteur des OSBL, à la participation bénévole au conseil d’administration et aux frais de perfectionnement professionnel liés à des sujets essentiels. Je vous remercie.
Le sénateur Terry M. Mercer (président) occupe le fauteuil.
Le président : Merci, madame Turner.
Connie Côté, directrice générale, Coalition canadienne des organismes de bienfaisance en santé : Je m’appelle Connie Côté, et je suis la directrice générale de la Coalition canadienne des organismes de bienfaisance en santé. Merci de me donner l’occasion de témoigner devant le Comité au nom de notre coalition. Nous apprécions les travaux très importants que vous effectuez. À l’instar de bon nombre des intervenants que vous avez entendus ces derniers temps, nos organisations membres ont été fondées par des membres de nos collectivités qui désiraient vivement aider les personnes dans le besoin. Dans notre cas, c’était généralement une personne vivant avec une maladie qui voulait influencer le cours des choses pour ceux qui viendraient après elle. On espère souvent qu’un traitement ou au moins une option de traitement sera disponible pour les personnes atteintes d’une maladie. Nos membres ont une influence considérable dans notre société, de nombreuses façons. Permettez-moi de vous en parler un peu.
La collecte de fonds pour la recherche médicale. En 2016, nos membres ont versé plus de 155 millions de dollars dans notre écosystème de recherche. Nous soutenons la mobilisation des patients et créons à leur intention des occasions valables de participer aux processus de planification, de prise de décisions et d’examen, notamment la capacité d’intervenir dans le cadre des consultations du gouvernement fédéral. Nous assurons le transport des patients à des rendez-vous médicaux. Nous mettons en relation les patients et leurs soignants avec des ressources dans leur collectivité et fournissons de l’information et un soutien en ce qui concerne leur maladie.
Nous collaborons avec des experts en médecine afin de nous assurer que les meilleures données probantes sont intégrées dans les lignes directrices de pratique clinique et permettent leur élaboration. Nous faisons la promotion d’un mode de vie sain et nous veillons à ce que les Canadiens aient le pouvoir de réduire les principaux facteurs de risque qui contribuent à l’apparition d’une maladie. Fait plus important, nous préconisons des politiques publiques qui favorisent la santé et le bien-être des Canadiens.
Les Canadiens se tournent vers des organismes de bienfaisance nationaux en santé dans le but d’obtenir de l’information, de l’aide et un leadership, tout au long de leur parcours dans le système de santé. Les patients au Canada comptent sur nos organisations pour la prestation de services importants, mais aucun financement stable n’est disponible pour notre secteur. Chaque année, nos organisations doivent recueillir les fonds nécessaires à la réalisation de leur mission. La convergence des demandes croissantes résultant des changements de système dans la prestation des soins de santé, conjuguée aux règles restrictives établies par l’Agence du revenu du Canada sur la manière dont les organismes de bienfaisance peuvent fonctionner et gagner un revenu, complique de plus en plus la compétitivité de nos membres dans ce contexte de financement.
Nous aimerions aborder deux recommandations clés. La première est que nous encourageons le gouvernement fédéral à créer des possibilités de faire participer directement le secteur à la modernisation du régime juridique et réglementaire en vertu duquel les organismes de bienfaisance et les organismes sans but lucratif exercent leurs activités. Nous pensons qu’il est essentiel pour un organisme de bienfaisance de collaborer avec les décideurs afin de les aider à clarifier les problèmes et à déterminer les meilleures solutions pour répondre aux besoins du public. Les organismes de bienfaisance canadiens peuvent avoir des échanges réfléchis et non partisans avec le gouvernement, au nom de leur collectivité.
Notre expérience peut fournir des renseignements utiles à l’égard de nombreux aspects du processus de modernisation. À titre d’exemple, une des valeurs qu’on nous a demandé de déclarer dans le formulaire T3010 est le coût global d’une activité de financement, lequel fournit des renseignements sur le pourcentage de nos revenus consacrés à des initiatives de collecte de fonds pour l’organisation. Cette valeur ne rend pas compte de l’efficience, de l’efficacité ou de la gérance globale de l’organisation. Si nous modernisons réellement notre secteur, on mettra davantage l’accent sur la mesure de notre incidence.
Le système actuel est alourdi par le fardeau administratif. Les exigences annuelles en matière de dépôt et de données en double de la part de différentes parties du système requièrent que les données soient présentées de façon spécifique. La tâche est chronophage et coûte cher aux organismes de bienfaisance qui disposent de peu de ressources humaines. Il faudrait déterminer si on exige les mêmes renseignements de la part des organismes de bienfaisance de tout type et de toute taille. Nous souhaitons souligner les efforts déployés récemment par l’Agence du revenu du Canada en vue de moderniser certains aspects du processus de production de rapports dans le cadre du projet PROMO, le projet de modernisation des systèmes de TI des organismes de bienfaisance, et nous nous en félicitons. La mobilisation du secteur dans le projet de modernisation en cours est encouragée. Nous aimerions continuer à nous associer aux autres acteurs de notre secteur dans la modernisation des cadres juridiques et réglementaires qui guident nos travaux.
Notre deuxième recommandation consiste à définir les mécanismes en vertu desquels le secteur des organismes de bienfaisance en santé peut accéder équitablement au financement octroyé par les organismes subventionnaires du gouvernement fédéral. Les organismes de bienfaisance en santé servent le public depuis longtemps, lorsque les secteurs public et privé ne comblent pas les lacunes au chapitre des besoins. La prévalence de nombreuses maladies augmente et devrait continuer à augmenter, entraînant une demande accrue pour notre secteur. Afin de répondre à ces attentes, nos organisations ont besoin d’un accès équitable à un large éventail d’options de financement qui permettront à nos membres de diversifier leurs portefeuilles de collecte de fonds.
Les approches actuelles des programmes de financement gouvernementaux ont créé des obstacles supplémentaires dans notre secteur. Par exemple, en tant que partenaires clés de la recherche en santé, nos membres contribuent aux coûts de financement de la recherche en santé au Canada, mais nous ne pouvons pas bénéficier du Fonds de soutien à la recherche, une subvention du gouvernement du Canada qui prend en charge les coûts indirects liés à la recherche. Ce soutien inégal dans le financement de la recherche en santé aggrave la situation pour un domaine de recherche déjà en butte à des pressions excessives et à un sous-financement chronique.
En outre, compte tenu des restrictions imposées aux organismes de bienfaisance concernant l’accès aux capitaux, nos membres ont de la difficulté à accéder au niveau de financement souvent requis pour effectuer des investissements initiaux liés aux programmes ou pour satisfaire aux exigences du partenariat initial. Il convient d’examiner la façon dont notre secteur peut participer équitablement aux possibilités de financement.
Depuis plus d’un siècle, des organismes de bienfaisance en santé se sont installés dans votre collectivité afin de soutenir les patients, les personnes soignantes et leur famille tout au long du diagnostic, du traitement et de la gestion de la santé personnelle, afin de recueillir les fonds nécessaires à des découvertes capitales et de servir le public lorsque les secteurs public ou privé ne peuvent répondre aux besoins. Avec votre soutien, nous espérons pouvoir continuer à répondre à l’appel. Merci de cette occasion, et je serai heureuse de répondre aux questions, le cas échéant.
Lisa Lalande, directrice principale, Pôle de recherche à but non lucratif, The Mowat Centre : Merci de m’avoir invitée à comparaître. La recherche de Mowat NFP est axée sur la façon dont le gouvernement fédéral peut moderniser son approche du secteur social en vue d’améliorer la qualité de vie des Canadiens et d’autres personnes dans le monde. Mowat NFP a témoigné devant le comité le 22 octobre 2018. À cette occasion, nous avons présenté des recommandations préliminaires découlant de notre recherche sur le renforcement de la relation entre le secteur et le gouvernement. Notre document intitulé Breaking the Inertia a été publié depuis et explore ces recommandations plus en détail. Nous avons également soumis un mémoire résumant le document. Aujourd’hui, j’ai l’intention d’aborder ces recommandations et de souligner les effets réels qu’elles pourraient avoir sur le secteur dans les prochaines étapes.
Le secteur social est un partenaire stratégique clé du gouvernement dans ses efforts pour relever de grands défis comme la pauvreté ou les changements climatiques. Cependant, comme vous l’avez entendu, les mécanismes de réglementation et de soutien du gouvernement fédéral en ce qui concerne le secteur ne reconnaissent pas les réalités du monde moderne. Ils n’ont pas été conçus pour relever les défis actuels. Les recherches menées par Mowat NFP ont confirmé bon nombre des thèmes clés qui ressortent des témoignages antérieurs devant le comité.
D’après nos recherches, les organismes sans but lucratif et les organismes de bienfaisance continuent de faire face à divers problèmes qui ont une incidence sur leur capacité de mener à bien leur mission. Ceux-ci incluent un manque de données sur le secteur pour aider à la planification; une difficulté à attirer et à maintenir une base constante de bénévoles; une demande croissante de services; la difficulté d’obtenir des fonds, en particulier des dons destinés au soutien d’activités; des défis associés au revenu gagné; une augmentation de la précarité de l'emploi; une pression croissante pour suivre et obtenir des résultats, mais sans fournir un soutien adéquat visant à renforcer la capacité de mesure; un manque de connaissances des données et de compétences techniques; un déficit de capacité en finance sociale; des exigences lourdes en matière de suivi et de production de rapports.
Les organismes de bienfaisance et les organismes sans but lucratif font face à de tels défis à des degrés divers selon leur taille, leur portée, leur mission, leur financement, leur sous-secteur et leur emplacement géographique. Malgré ces défis, le secteur possède un potentiel énorme. Le secteur est une ressource largement sous-utilisée pour résoudre des problèmes sociaux et environnementaux complexes.
Alors, comment le gouvernement devrait-il contribuer à la réalisation du potentiel du secteur de manière plus efficace? Quel devrait être le rôle du gouvernement fédéral? Presque tous les ministères ont des liens avec le secteur social, mais il n’existe pas de guichet unique permettant aux organisations du secteur social de collaborer avec le gouvernement. Il n’existe aucun ministre, aucun ministère ou organisme fédéral, responsable des questions touchant le secteur social.
Tandis que les gouvernements cherchent des moyens de résoudre des problèmes complexes dans le cadre d’une collaboration horizontale, peu d’attention est accordée au rôle du secteur social dans ces efforts. Partant, les organismes de bienfaisance et les organismes sans but lucratif sont pris au piège de structures et de systèmes organisationnels complexes au sein du gouvernement fédéral qui inhibent leur travail plutôt que de le faciliter. Personne n’ayant la responsabilité d’habiliter le secteur, il est peu probable que la situation change. Une approche transformatrice à l’échelle du système est nécessaire. Pour cette raison, nous recommandons les modifications suivantes : conférer à la Cour canadienne de l’impôt la compétence en ce qui concerne les affaires liées aux organismes de bienfaisance. Ce changement peut aider à rendre le contrôle judiciaire des décisions de l’ARC plus accessible et abordable pour les organismes de bienfaisance. Les autres appels en matière d’impôt relèvent de la compétence de la Cour canadienne de l’impôt. Il est approprié que les appels interjetés par des organismes de bienfaisance soient traités de la même manière.
Il faut créer un comité mixte permanent du secteur social composé de membres de la Chambre et du Sénat. Les besoins de la société changeront et continueront d’évoluer, et la loi devrait en faire autant. Ce comité mixte aurait une forte valeur symbolique et créerait un mécanisme essentiel axé sur l’examen des modifications législatives.
Le comité a également entendu d’autres témoins sur des questions liées au revenu gagné et aux activités commerciales, à la direction et au contrôle, aux impôts reportés passifs et aux transferts gouvernementaux. Nous approuvons les recommandations formulées par la Muttart Foundation dans son mémoire au comité. Nous proposons également de créer un bureau du secteur social en tant qu’unité permanente au sein d’un organisme central comme le Bureau du Conseil privé, chargé d’appuyer les fonctions habilitantes. Un bureau autonome au sein d’un organisme central permettrait la coordination des politiques entre les ministères et serait plus efficace pour promouvoir une approche pangouvernementale.
Plus précisément, le bureau pourrait soutenir des partenariats intersectoriels, travailler avec un secteur afin de promouvoir le bénévolat et les dons à l’échelle nationale, mettre en commun les meilleures pratiques et les enseignements tirés, veiller à la réalisation de recherches essentielles sur le secteur, mobiliser le secteur à l’égard d’enjeux liés à la finance sociale et à l’innovation sociale, coordonner les activités des gouvernements provinciaux et fédéral selon les besoins et appuyer les efforts de rationalisation des demandes de financement et les systèmes de production de rapports. Le secteur réclame ce type de leadership dans la fonction publique depuis des décennies.
En 2006, le groupe d’experts a souligné le besoin d’un leadership interministériel au chapitre des questions de subventions et de contributions. Un bureau centralisé du secteur social pourrait jouer ce rôle et réduire le double emploi. Il existe des parallèles entre le mandat du bureau proposé pour le secteur social et le bureau pour l’innovation sociale qui avait été recommandé dans le rapport du Groupe directeur sur la co-création d’une Stratégie d’innovation sociale et de finance sociale. Dans la mesure du possible, il serait prudent d’harmoniser ces mandats et d’établir des liens constitutionnels clairs.
Nous recommandons également d’élargir la portée du conseil de l’innovation sociale qui est proposé afin d’inclure de façon plus générale l’habilitation et la consultation du secteur social. Le rôle du conseil serait lié au comité consultatif de la Direction des organismes de bienfaisance, récemment rétabli, mais distinct de celui-ci. Cette approche est nécessaire, car le secteur fait face à d’énormes défis qui, comme vous l’avez entendu dire, transcendent les activités de la Direction des organismes de bienfaisance. Le mandat de la Direction n’inclut pas l’accompagnement ou l’habilitation des organismes de bienfaisance. Elle est un organisme de réglementation fiscale. Étant donné que le comité consultatif se trouverait au sein d’un organisme de réglementation fiscale, il est peu probable que les responsables soient en mesure de soutenir réellement les fonctions d’habilitation requises à l’échelle du système.
Le conseil d’innovation sociale et le bureau du secteur social seraient des institutions plus efficaces au sein du gouvernement pour comprendre la profondeur et la complexité des programmes auxquels le secteur est confronté. Nous recommandons d’ancrer l’engagement en faveur d’une action politique à long terme en enchâssant dans la législation le bureau, le conseil et ses structures de financement connexes. Ainsi, l’approche du gouvernement fédéral serait plus visible et moins vulnérable aux changements politiques. D’autres administrations ont adopté une telle approche. Au Royaume-Uni, l’Office for Civil Society a pour objectif de promouvoir un changement de l’ensemble du gouvernement au chapitre de la réforme du secteur et est entièrement indépendant de la Charity Commission du Royaume-Uni, qui agit comme organisme de réglementation. L’Australian Charities and Not-for-profits Commission intègre des fonctions de réglementation et d’habilitation, mais reste distincte de l’Australian Taxation Office.
En mettant en œuvre ces recommandations parallèlement aux autres figurant dans notre rapport, le gouvernement fédéral achèverait la transformation durable du partenariat du secteur gouvernemental qui reconnaît et approfondit les rôles de chacun dans la réalisation du changement social.
Je vous remercie de votre temps. Je répondrai à vos questions avec plaisir.
La sénatrice Omidvar : Merci à vous tous d’être parmi nous. J’ai des questions pour chacun de vous. Il faudra voir si j’aurai l’occasion de m’adresserai à chacun de vous, car il y a d’autres sénateurs dans la salle.
Ma première question s’adresse à M. Landon et à Mme Côté. Vous représentez tous les deux de grands organismes de bienfaisance au pays, des institutions puissantes qui sont essentielles à notre mode de vie, mais elles sont très puissantes et, dans une certaine mesure, elles constituent l’élite.
Puis-je vous demander si, dans vos universités et vos établissements de santé, vous disposez d’un système et d’un mécanisme permettant de mesurer la diversité dans la gouvernance au sein de vos conseils?
M. Landon : Récemment, Universités Canada et ses 96 membres ont énoncé leurs principes de diversité et d’inclusion en matière d’équité qui visaient à accroître la diversité au sein des institutions, notamment au sein de leur conseil. Il existe donc un moyen d’évaluer notre façon de faire à cet égard, et il s’agit d’un programme dans le cadre duquel, une fois par année, nous rendons compte de nos progrès dans ces domaines.
La sénatrice Omidvar : Dans l’ensemble, vous ferez savoir aux Canadiens que leurs universités sont dirigées par des gens qui ressemblent à ce qu’est le Canada.
M. Landon : Tout à fait.
Mme Côté : C’est un domaine qui nous intéresse de plus en plus, pas seulement selon la définition utilisée par le gouvernement fédéral. Il nous plaît également d’examiner la diversité sur le plan de la représentation des patients et de veiller à ce que il y ait, au sein de nos conseils d’administration, une représentation appropriée des personnes et des populations que nous représentons.
Chacun de nos membres, dans le cadre de son mandat et de sa structure de gouvernance, examine cet aspect et s’assure que notre approche est fondée sur les compétences. La compétence consiste notamment à assurer un reflet fidèle des personnes que nous représentons. Je pense que c’est un aspect important à examiner.
La sénatrice Omidvar : J’ai siégé à plusieurs conseils d’administration d’hôpitaux. Je suis toujours prise par deux types différents de débat. Le premier est : Comment pouvons-nous susciter une mobilisation accrue et générer plus de fonds de la part d’un Canada qui a l’air très différent aujourd’hui? Puis, le deuxième : Eh bien, votre conseil d’administration ne ressemble pas vraiment à la population du Canada, et la mobilisation commence non pas par une demande d’argent, mais par la possibilité de s’exprimer.
C’est pourquoi je pose la question. Ce n’est pas une question superficielle axée sur un quelconque intérêt symbolique. Je veux que ce soit clair.
Je suis heureuse de savoir qu’Universités Canada dispose d’un cadre robuste. J’aimerais voir le rapport de la première année. Vous aussi, madame Côté.
Madame Lalande, je tiens à vous remercier de votre mémoire et de votre exposé. La dernière fois que le Mowat Centre a présenté un exposé, je pense que nous vous avons mise au défi de fignoler un peu plus précisément ce que cela signifie lorsque vous dites que le secteur mérite une place, un chez-soi, au sein du gouvernement, et vous l’avez fait concrètement. Je vous en remercie très sincèrement.
Cependant, nous avons déjà une décision, à savoir que le comité consultatif du secteur sera situé au sein de l’ARC. Je me demande si vous pourriez nous aider, étant donné que nous avons cette décision et que ce comité va être créé. Quel conseil nous donneriez-vous afin que nous puissions tenir compte du fait que ce comité fait le meilleur travail possible étant donné les contraintes liées à son emplacement au sein d’un organisme de réglementation? Selon vous, quels sont quelques éléments du mandat? Qu’en est-il de la représentation, ou cet aspect fait-il l’objet d’un autre mémoire?
Mme Lalande : Je vais peut-être en présenter un autre. C’est une bonne question. Dans le document, nous décrivons la différence entre les fonctions habilitantes et les fonctions de réglementation. Nous estimons que, au sein de la Direction des organismes de bienfaisance, les responsables peuvent très bien s’acquitter des fonctions de réglementation.
Comme je le décrivais dans mes observations, les responsables seront mis au défi d’assumer une partie des fonctions d’habilitation si le comité mobilise le secteur en faisant appel à une vaste représentation. La participation au sein du secteur ne doit pas nécessairement se faire dans le cadre du comité traditionnel ou de réunions en personne, vu la technologie existante. Actuellement, une technologie fantastique permet une participation en temps réel sur des questions qui n’existaient pas auparavant. Des plateformes comme DemocracyOS ou LiquidFeedback en sont deux exemples.
L’une de mes premières recommandations consisterait à approfondir la réflexion sur la nature d’une mobilisation valable et sur la manière de le faire efficacement avec le secteur.
La sénatrice Omidvar : Je trouve très intéressante votre recommandation, madame Lalande, de créer un comité mixte de la Chambre et du Sénat chargé de se concentrer sur le troisième secteur, le secteur des organismes de bienfaisance ou quel que soit le nom que vous lui donneriez.
Je tiens simplement à souligner que nous avons actuellement, je crois — mes collègues qui sont ici depuis plus longtemps peuvent me corriger —, deux comités mixtes de parlementaires et de sénateurs. L’un se consacre à l’examen minutieux des règlements, et l’autre, à la Bibliothèque du Parlement. Ces instances se trouvent au sein du gouvernement; c’est la façon dont le gouvernement fonctionne.
Je me demande simplement si, dans vos recherches sur cette proposition mise de l’avant, vous avez eu écho d’un appui important à cette idée en provenance du secteur, des représentants du gouvernement, ou si la proposition est si singulière qu’elle n’est pas réalisable?
Mme Lalande : C’est une bonne question. Ce que nous avons entendu, et ce qu’il faut retenir selon moi, c’est qu’il faut mettre en place un mécanisme permanent pour examiner les changements législatifs. Je pense que vous avez entendu d’autres témoins dire qu’il serait possible de le faire en rendant des comptes à un comité de la Chambre des communes ou du Sénat.
Nous avons proposé ce comité mixte permanent, car il s’agit selon nous d’une question cruciale et que cela aurait une profonde valeur symbolique, mais ce n’est qu’une proposition. Ce qu’il faut retenir, c’est la nécessité de mettre en place un mécanisme permanent.
La sénatrice Omidvar : Madame Turner, j’ai une question pour vous. Je n’ai jamais assisté à un spectacle du Royal Winnipeg Ballet, mais je suis allée à d’autres ballets, et je peux m’imaginer ce qui s’y passe.
Vous avez dit dans votre exposé que vous générez des revenus de différentes manières. Je crois que vous avez parlé d’un traiteur et de différentes façons de faire.
Je me demande quels sont les défis en matière de réglementation auxquels vous avez fait face en prenant part à des activités génératrices de recettes qui peuvent sembler n’avoir aucun lien avec votre activité de bienfaisance aux yeux des gens. Nous avons entendu une recommandation dont nous reparlerons plus tard, je crois, selon laquelle les lignes directrices de l’ARC doivent être rajustées de manière à ce que les organismes de bienfaisance puissent générer des revenus s’ils servent à des fins caritatives.
Disons que je représente une banque alimentaire locale. Si je génère des revenus en organisant des routes des vins, cela ne devrait pas avoir d’importance, pourvu que j’utilise les revenus générés aux fins caritatives de l’organisme.
Avez-vous pensé à cela? Avez-vous quelque chose à dire sur le sujet?
Mme Turner : Le ballet est un organisme plutôt compliqué pour ce qui est de son statut d’organisme de bienfaisance, car si on l’examine en détail, on constate qu’il regroupe en fait 13 industries différentes sous un même toit. La compagnie de ballet vend bien évidemment des billets. C’est une de nos sources de revenus, mais le ballet en soi, en tant qu’organisme patrimonial, est admissible au statut d’organisme de bienfaisance. Donc, en réalité, la compagnie peut recueillir des fonds pour ses propres activités.
Nous avons aussi une école professionnelle et, au sein de cette école, nous devons exploiter une résidence. Dans la résidence, nous offrons essentiellement un service hôtelier aux étudiants ainsi que des programmes éducatifs. Nous sommes une compagnie de danse, une organisation artistique, une école et un hôtel. Nous avons aussi des services de production, car nous devons produire nos ballets, et cela englobe la construction des décors et les costumes. Il y a des activités de fabrication et de construction également dans notre immeuble. Nous avons diverses occasions de créer des sources de revenus. En outre, l’immeuble nous appartient.
Nos activités sont incroyablement diversifiées. On loue un studio pour générer un petit revenu. Notre cuisine qui fournit des services alimentaires aux étudiants offre des repas à certains bureaux des environs simplement pour générer un revenu de traiteur supplémentaire.
En tant qu’organisme sans but lucratif, nous cherchons constamment des occasions de générer des recettes, car nous avons de la difficulté à produire des revenus de bienfaisance. Il est plus facile pour nous de faire appel à des commanditaires, car nous pouvons générer des retombées grâce au public et à notre possibilité de faire de la publicité auprès d’un certain groupe de gens. Comme je l’ai dit, il est de plus en plus difficile de trouver des commanditaires, car il s’agit d’un véhicule publicitaire.
Dans le cas des activités caritatives précisément, elles contribuent à certains des programmes de sensibilisation que nous offrons pour rendre le ballet accessible aux enfants défavorisés; et nous permettent de proposer des programmes comme Sharing Dance au titre duquel nous nous rendons dans des écoles, faisons des prestations et tentons d’apporter quelque chose de beau au reste du monde. On doit réfléchir à ce qu’on peut faire de plus. On a tellement de difficulté à joindre les deux bouts chaque année qu’on peut se demander comment il est possible d’aller de l’avant avec dignité et fierté dans un domaine qui est vraiment un fleuron de notre pays et de notre province. L’avenir présente bien des défis pour le secteur sans but lucratif.
Le président : Je vous remercie de vos exposés. Ils nous ont été très utiles et ont ajouté une nouvelle dimension à notre étude. Nous pouvons vous assurer que nous vous avons écoutés et que notre rapport à la fin contiendra des réflexions à ce sujet.
Chers collègues, je tiens à vous rappeler que, aujourd’hui, le comité poursuivra son étude pour examiner l’impact des lois et politiques fédérales et provinciales gouvernant les organismes de bienfaisance, les organismes à but non lucratif, les fondations et d’autres groupes similaires, et pour examiner l’impact du secteur volontaire au Canada.
Pour le prochain groupe de témoins, nous mettrons l’accent sur le point de vue d’organisations locales. Nous accueillons Jung-Suk (JS) Ryu, chef de la direction, Indefinite Arts Centre, à Calgary; et Melanie Hurley, chef de la direction, Outside Looking In, à Toronto.
Nous entendrons, par vidéoconférence de Toronto, LoriAnn Girvan, chef des opérations, Artscape.
Je vous remercie d’avoir accepté notre invitation à comparaître. Nous allons vous demander de présenter un exposé et, je l’espère, de vous en tenir à une durée de cinq à sept minutes, puis nous passerons à la période de questions. Je demande à mes collègues de poser des questions concises et aux témoins de fournir de courtes réponses, afin que nous puissions entendre un maximum de questions et de réponses.
Monsieur Ryu, vous avez la parole.
Jung-Suk (JS) Ryu, chef de la direction, Indefinite Arts Centre : Merci, monsieur le président. C’est un privilège pour moi de prendre la parole devant le comité aujourd’hui. Je suis fier de diriger le plus ancien et le plus important organisme artistique canadien pour les personnes ayant un handicap, soit le Indefinite Arts Centre. Fondé en 1975, le centre soutient aujourd’hui plus de 300 artistes de Calgary et des collectivités environnantes vivant avec des déficiences sur le plan du développement et des handicaps physiques. Chaque semaine, nos artistes collaborent avec notre équipe talentueuse d’employés et de bénévoles pour trouver de nouvelles idées, créer des œuvres d’art fascinantes et présenter leurs œuvres à de nouveaux publics, à l’échelle tant locale que mondiale.
La plupart de ces œuvres sont créées dans notre installation de 12 000 pieds carrés, qui comprend un studio et une galerie multimédias, un salon pour les artistes ainsi que des locaux administratifs pour des organismes communautaires qui partagent les mêmes idées.
Cette année, notre revenu annuel sera d’environ 1,1 million de dollars. L’organisme emploie actuellement huit employés à temps plein et cinq employés à temps partiel, et environ une dizaine de bénévoles soutiennent nos artistes chaque semaine. Un peu moins de la moitié de nos revenus découlent d’un contrat en cours que nous avons avec le gouvernement provincial, et le reste des revenus viennent d’organismes subventionnaires, de fondations et de donateurs privés.
Notre travail — notre mission — dépasse largement la capacité et la taille actuelles de notre organisme. Qui plus est, nous avons comme objectif précis de devenir une véritable ressource nationale, en ce sens que nos connaissances et nos pratiques en matière de formation artistique et de création peuvent être communiquées et mises en œuvre au sein des collectivités à l’échelle du Canada, et que notre centre peut devenir une plateforme nationale de formation et de création pour les artistes handicapés, qu’ils soient prometteurs ou établis.
Ce cheminement visant à prendre de l’expansion et à répondre à ce que nous croyons être un besoin à l’échelle nationale comporte de nombreux défis, qu’il est certainement possible de surmonter, mais pas sans prendre de nombreux risques et sans consacrer du temps et des ressources de manière disproportionnée. Par exemple, le risque entourant la restructuration nécessaire à cette croissance est beaucoup plus élevé pour un organisme de notre taille qu’il ne l’est pour un organisme 10, 20 ou 100 fois plus grand.
Dans notre cas, nous avons décidé de prendre le taureau par les cornes et d’assumer ce risque en procédant à une restructuration au sens propre afin que notre capacité en matière de ressources humaines corresponde mieux aux besoins de nos artistes et au plan stratégique de notre organisme. La restructuration était tout à fait nécessaire, et aujourd’hui, notre nouvelle équipe a réalisé d’énormes progrès au chapitre du développement et de la croissance de notre organisme, mais cette restructuration a engendré un coût exorbitant de 150 000 $, ce qui a vidé en grande partie nos réserves de liquidités et mis notre organisme dans une position financière à risque.
En toute franchise, je ne serais pas surpris de savoir que d’autres organismes de tailles égale, semblable ou inférieure à la nôtre n’arrivent pas à améliorer la prestation de services et à rechercher des possibilités de croissance des revenus, tout simplement parce qu’ils n’ont pas les ressources nécessaires ou qu’ils n’arrivent pas à obtenir une approbation pour mettre à pied un directeur général ou un gestionnaire principal qui travaille pour l’organisme depuis 10, 20 ou 30 ans. Dans mon esprit, cette stagnation et cette spirale de mort lente qui en découlent sont tout aussi risquées, et ce qui est le plus fâchant de cette réalité, c’est qu’elle touche habituellement des organismes qui servent les personnes les plus vulnérables ou les plus marginalisées de nos collectivités, alors que ce travail devrait être fait par nos organismes qui continuent de déployer des efforts pour innover et améliorer les choses.
Dans cette optique, j’espère que le comité et d’autres entités chercheront des moyens de stimuler l’innovation et d’encourager la prise de risques à l’échelle du secteur, y compris au sein des petits organismes, qui sont tout aussi importants.
Le temps et les ressources investis dans la croissance potentielle peuvent aussi avoir une incidence disproportionnée sur les petits organismes. Par exemple, les grands organismes ont des solliciteurs et des rédacteurs de demandes de subventions attitrés, une capacité qui, dans de nombreux cas, entraîne seulement une capacité encore plus importante.
Ayant travaillé en tant que professionnel en relations gouvernementales pour deux organismes de bienfaisance très importants dans mes fonctions antérieures, je peux aussi vous expliquer l’incidence que peuvent avoir des employés qui ont pour tâche précise de se rendre à Ottawa afin d’exercer des pressions sur les décideurs, comme vous-mêmes, de façon à influer sur des changements stratégiques qui, dans certains cas, arrachent des avantages potentiels aux petits organismes.
Une fois, j’ai sourcillé en lisant une publication faite sur LinkedIn par le PDG de l’un des plus importants organismes artistiques au Canada qui, aux côtés des PDG de plusieurs autres grands organismes, a crié victoire à la suite de l’augmentation du plafond de financement du programme Incitatifs aux fonds de dotation géré par Patrimoine canadien. L’objectif même du programme était de stimuler les dons philanthropiques faits aux organismes ayant démontré la nécessité de devenir plus viables en prévoyant le versement de contributions équivalentes jusqu’à concurrence d’un certain plafond. Le fait que ces grands organismes artistiques, qui ont déjà réussi à mettre en place un programme de dotation durable, ont été en mesure d’exercer des pressions sur les fonctionnaires pour qu’ils augmentent ce plafond de sorte qu’ils puissent en profiter davantage tout en limitant potentiellement les possibilités d’organismes comme le nôtre est une réalité que je ne peux attribuer qu’à la force et à la capacité des grands organismes artistiques.
Si nous pouvions reconnaître qu’un secteur caritatif sain est directement lié à un écosystème dynamique composé de grands et de petits acteurs prospères, je demanderais au comité d’envisager la possibilité de revoir des programmes comme le volet Incitatifs aux fonds de dotation et d’évaluer à quel point ils ont permis de soutenir de petits organismes, et de se demander si les critères actuels qui établissent une distinction entre les arts professionnels et les arts communautaires sont justes et pertinents ou simplement discriminatoires.
Le dernier point que je veux soulever est certainement prévisible, et il s’agit de la réalité à laquelle nous faisons face en tant qu’organisme de très petite taille devant rivaliser contre d’autres organisations pour obtenir l’aide offerte par le secteur privé et les sociétés. Dans une province qui continue d’être aux prises avec des défis économiques, je ne vais pas commencer à vous dire à quel point il a été difficile pour nous de multiplier nos sources de revenus en cherchant des philanthropes et des sociétés commanditaires.
Je sais que les difficultés sont les mêmes dans l’ensemble du secteur en Alberta et ailleurs, même si je crois que, dans de nombreux cas, les organismes de bienfaisance très bien établis et ceux qui jouissent d’une bonne reconnaissance de marque présentent un attrait supplémentaire pour les philanthropes et les sociétés. En périodes de pénurie, cette tendance est encore plus forte chez les donateurs potentiels.
Même s’il n’existe pas de solution miracle, cette réalité permanente doit être prise en considération afin que l’on puisse préserver la vitalité de notre secteur. Plus particulièrement, j’aimerais demander au comité d’examiner les différentes politiques ou même les régimes d’imposition de manière à encourager les dons faits aux petits organismes de bienfaisance, un peu comme le crédit pour premier don de bienfaisance qui avait été mis en œuvre afin d’inciter les gens à faire un premier don.
La capacité d’expansion des petits organismes comme le nôtre peut avoir un impact retentissant sur les collectivités à l’échelle de notre pays. Dans notre cas, en raison des activités que nous menons, nous croyons que si nous pouvons prendre de l’expansion au Canada, cela pourrait être beaucoup plus efficace que le fait d’amener des collectivités à lancer un programme semblable à partir de rien et de multiplier les efforts pour apprendre et mettre en œuvre les pratiques exemplaires et les investissements à cette fin.
En plus de régir notre secteur, les politiques canadiennes devraient nous offrir un environnement favorable à ce type de croissance et d’innovation. Merci.
Melanie Hurley, chef de la direction, Outside Looking In : Bonjour, monsieur le président, mesdames et messieurs. Merci d’avoir invité Outside Looking In à comparaître aujourd’hui. Je m’appelle Melanie Hurley et je suis chef de la direction depuis août 2018.
Outside Looking In, ou OLI pour faire court, est un organisme de bienfaisance national fondé en 2007 qui offre un programme de danse comme cours du secondaire à de jeunes Autochtones de la 7e à la 12e années. Notre mission est de permettre aux jeunes Autochtones de s’épanouir grâce à l’éducation et à l’art transformateur de la danse. En intégrant la danse à leurs études, ils améliorent également leur santé mentale et physique, leur estime personnelle, leur motivation et leur comportement et font l’acquisition de précieuses compétences de vie. Les gestionnaires de programme et les chorégraphes d’OLI visitent chaque collectivité tous les mois durant l’année scolaire.
Au début, les élèves signent un contrat aux termes duquel ils acceptent de respecter une série d’exigences liées aux études, à la présence et à la chorégraphie et, s’ils réussissent, ils passeront deux semaines à Toronto, en mai, et séjourneront au camp de la Fondation Tim Hortons, où ils participeront à des activités, feront des devoirs et prendront part à des répétitions quotidiennes pour se préparer en vue du spectacle annuel d’OLI au Sony Centre for the Performing Arts à Toronto. Là-bas, les jeunes donneront deux spectacles devant un auditoire de 6 000 personnes. Le spectacle de la matinée a lieu devant des jeunes en provenance d’écoles locales de la région du Grand Toronto.
Notre programme a de nombreux effets positifs sur les jeunes Autochtones. Plus particulièrement, le taux d’obtention de diplôme à l’échelle nationale chez les jeunes Autochtones n’est que de 36 p. 100, alors qu’il est de 96 p. 100 chez les participants au programme OLI qui sont admissibles à l’obtention d’un diplôme.
Nous savons que ce programme a fait ses preuves, et nous collaborons avec des bailleurs de fonds gouvernementaux et privés afin d’étendre la portée de notre programme à de nouvelles collectivités à l’échelle du pays. OLI a reçu du financement du gouvernement fédéral au cours des quatre dernières années, et nous lui sommes très reconnaissants.
J’aimerais profiter de l’occasion pour souligner certains des problèmes généraux en matière de subventions que vivent les petits organismes de bienfaisance et peut-être proposer des solutions.
L’une des choses dont je suis certaine, et ce n’est rien de nouveau, c’est que nous avons réellement besoin d’un financement pluriannuel pour réussir à offrir nos programmes, garder les meilleurs employés et maximiser la croissance tout en établissant un modèle viable sur le plan financier.
Le fait que les subventions fédérales soient souvent accordées uniquement pour de nouveaux programmes ou pour de nouveaux volets d’un programme existant pose aussi problème. Notre programme de base constitue encore un véritable défi; nous devons nous concentrer sur ce programme et sur notre expansion, et nous ne pouvons pas nous permettre d’ajouter des activités simplement pour avoir accès à du financement.
En outre, il existe une règle générale selon laquelle les organismes de bienfaisance devraient maintenir des coûts indirects et administratifs bas. Cette règle repose sur une intention extrêmement bonne, et nous avons aussi pour objectif de nous assurer que tout l’argent est investi directement dans le programme. Toutefois, le temps passé à réaliser des tâches administratives dans le but de produire des rapports sur les subventions dépasse grandement le temps prévu dans le budget. La production de rapports est essentielle, mais les petits organismes de bienfaisance comme le nôtre n’ont pas de service de finances; nous sommes chanceux si nous avons un comptable qui nous aide toutes les deux semaines. C’est simplement un aspect auquel il faut réfléchir.
Puis, d’après notre expérience de travail avec les jeunes Autochtones, le gouvernement, comme la plupart des bailleurs de fonds, se concentre sur la mesure des répercussions, laquelle est quantitative plutôt que qualitative. Par conséquent, la réussite est évaluée selon le nombre de participants et la croissance exponentielle, et non selon l’impact sur les jeunes. Les modèles de financement fondés sur la croissance annuelle des chiffres liés aux répercussions directes ne fonctionnent pas dans le cadre de notre programme.
Les mesures quantitatives ne tiennent pas compte non plus des répercussions du programme au-delà des participants, comme la famille et la collectivité, qui sont très importantes.
Même si le nombre de jeunes Autochtones participant à notre programme semble moins élevé que dans d’autres programmes, notre programme a d’immenses répercussions sur ces personnes, lesquelles sont plus susceptibles de poursuivre et d’achever des études post-secondaires ainsi que de trouver un emploi et de le conserver; sont moins à risque d’être incarcérées et de recevoir de longue peines; profitent d’une contribution positive au moyen de l’animation sociale; font l’acquisition de connaissances au sujet de la santé mentale et physique; et acquièrent une confiance, une motivation et une résilience accrues.
À mesure que notre programme continuera de prendre de l’expansion, nous nous attendons à ce que ces répercussions soient plus nombreuses.
À l’heure actuelle, la majorité des collectivités qui participent à notre programme sont isolées, n’ont peut-être pas d’eau potable, souffrent d’insécurité alimentaire et de pauvreté, et les taux de suicide y sont élevés, tout comme les taux d’abandon scolaire. Ces mesures quantitatives exponentielles ne permettent pas de déterminer la réussite du programme.
Enfin, la dernière série de difficultés dont j’aimerais parler concerne le manque de compréhension des différences entre les collectivités autochtones et celles de la population générale.
OLI offre son programme dans un certain nombre de collectivités accessibles par avion, donc les conditions météorologiques extrêmes peuvent entraîner des retards. Par ailleurs, dans ces collectivités éloignées, nos coûts de programme sont souvent considérablement plus élevés. Cela peut être difficile à justifier dans des demandes de subventions fédérales sur lesquelles il y a peu d’espace pour que l’on fournisse de nombreuses explications.
En outre, d’après notre expérience, le personnel du programme qui évalue les demandes ne comprend pas toujours le contexte très particulier que présente le travail au sein des collectivités autochtones. Par exemple, on nous a déjà refusé une demande parce que l’activité ne rassemblait pas suffisamment de groupes communautaires diversifiés. On partait du principe que toutes les collectivités autochtones et inuites qui prenaient part à l’activité faisaient toutes partie de la même catégorie, alors qu’en fait, chacune des collectivités participant à l’activité était tout à fait unique.
Je comprends qu’il s’agit d’un dossier très difficile et complexe à traiter et que ce qui précède ne s’applique pas à tous les ministères ni à tous les fonctionnaires. Cependant, je pense que le personnel chargé du programme au gouvernement fédéral pourrait être mieux outillé et posséder une compréhension de base des difficultés uniques auxquelles font face les collectivités autochtones.
Il serait possible d’y parvenir en offrant aux gestionnaires de programme des possibilités de voyager dans des collectivités éloignées, d’en apprendre plus sur elles, de rencontrer de jeunes Autochtones et de leur parler, car ce sont eux qui sont véritablement concernés. Il faut parler directement aux employés qui travaillent avec les jeunes pour savoir comment l’argent du financement est utilisé et mobiliser des spécialistes pour sensibiliser les gens au contexte autochtone.
Pour conclure, au nom d’Outside Looking In, j’aimerais remercier le comité de tenir compte de ces recommandations. Je serai ravie de répondre à vos questions.
Le président : Merci beaucoup. Nous allons écouter Mme Girvan, de Artscape.
LoriAnn Girvan, chef des Opérations, Artscape : Monsieur le président, mesdames et messieurs, je vous remercie de m’avoir invitée à comparaître devant vous. Aujourd’hui, j’aimerais vous décrire de quelle manière particulière Artscape intègre des entreprises sociales et des biens immobiliers à vocation sociale dans le but d’offrir des avantages à la population. Je vais ensuite vous raconter l’expérience que nous avons vécue récemment en essayant de nous y retrouver dans le labyrinthe que constitue le système de réglementation des organismes de bienfaisance et sans but lucratif.
Créé il y a plus de 30 ans, Artscape est un organisme de développement urbain qui laisse place à la créativité et qui transforme les collectivités. Artscape gère actuellement 13 projets, et 2 sont en cours d’élaboration. Chaque jour, Artscape, nos plus de 400 000 pieds carrés d’espace s’animent grâce à l’énergie et à la passion des plus de 3 000 personnes qui travaillent ou qui vivent dans nos immeubles et du quart de million de personnes qui participent aux programmes et aux activités que nous offrons chaque année.
Nos économies et nos avantages sont considérables; annuellement, nous permettons à nos locataires, y compris des groupes de taille comparable à celle des organismes représentés ici, de même qu’à nos propriétaires, de réaliser des économies de 3,3 millions de dollars en coûts d’occupation et nous obtenons un soutien financier de 720 000 $ pour permettre à des organismes sans but lucratif, à des organismes de bienfaisance et à des organismes artistiques d’avoir accès à nos lieux d’événements.
En revanche, nous recevons peu de subventions de fonctionnement de la part du gouvernement; nous recevons essentiellement une subvention accordée par la Ville de Toronto pour les grands organismes culturels. En effet, l’aide du gouvernement représente moins de 4 p. 100 de notre budget de fonctionnement.
Nous réalisons notre mission grâce à trois principales entités : Toronto Artscape Inc, un organisme sans but lucratif; la Toronto Artscape Foundation, un organisme de bienfaisance enregistré; et Artscape Non-Profit Homes Inc., un organisme sans but lucratif responsable de nos logements sociaux. En outre, en ce qui concerne nos immeubles, nous comptons plusieurs organismes sans but lucratif et sociétés de condominiums; j’assiste donc à de nombreuses réunions de conseils d’administration.
Au cours des deux dernières semaines, des familles ayant l’art comme principale source de revenus sont déménagées dans 26 logements abordables adaptés à la vie et au travail, et dans quelques semaines, nous ouvrirons juste à côté un centre culturel communautaire de 8 500 pieds carrés à Weston. Weston Common représente un investissement de plus de 20 millions de dollars à Weston, un quartier prioritaire à l’extérieur du centre-ville de Toronto, et un quartier qui n’avait attiré aucun permis d’aménagement en 40 ans.
Weston Common incarne notre manière de travailler. Chaque projet voit le jour grâce à une mobilisation, une visualisation et une planification sur le terrain avec les résidants locaux et des organismes sans but lucratif et de bienfaisance. Pour cette raison, il n’y a pas deux projets qui se ressemblent. Un seul studio d’artiste peut être aussi essentiel pour l’intérêt de la population qu’une galerie sans but lucratif ou un espace destiné à une œuvre charitable pour les arts de la jeunesse. La totalité d’un centre culturel communautaire est non pas la somme de ses parties, mais bien un système formé d’objectifs collectifs et de répercussions directes sur le plan socioéconomique. Pour vous donner un exemple, selon une étude réalisée en 2018, Daniels Spectrum, le centre culturel communautaire de Regent Park, produit un impact social annuel de 22 millions de dollars, si on tient compte de tout, des emplois directs à l’incidence sur le taux d’obtention d’un diplôme d’études secondaires.
Au cœur de la capacité d’Artscape de construire, de financer et de maintenir ces biens communautaires se trouve un modèle d’entreprise sociale incluant un processus de financement de projets d’immobilisations qui tire parti des subventions du gouvernement et des dons de charité en plus du financement par le prêteur; des loyers à un prix proche du marché qui aident à offrir des loyers interfinancés à des organismes et à des artistes moins fortunés; de la location de locaux destinés à des événements commerciaux et privés qui subventionne les taux avantageux payés par les organismes sans but lucratif et les locataires; des fonds de durabilité des locataires qui comblent l’écart entre les loyers abordables et les coûts réels; et des fonds d’accès communautaire qui permettent d’offrir gratuitement ou à moindre coût des espaces destinés à des spectacles, à des expositions et à des réunions à des organismes de quartier, y compris des responsables d’initiatives communautaires menées par les résidants.
En novembre 2018, nous avons ouvert Artscape Daniels Launchpad, un centre d’entrepreneuriat créatif, où des milliers d’artistes auront accès à du mentorat, à des lieux de formation et à de l’équipement qui leur permettront de prospérer sur les plans financier et social. Tout comme c’est le cas pour les autres projets d’Artscape, nos revenus opérationnels comprennent un ensemble de coûts d’adhésion abordables, de revenus découlant de la location de salles d’événements, du laboratoire numérique et d’espaces, de même que de collectes de fonds pour des bourses afin de limiter les obstacles à l’accessibilité. Nous croyons que ce projet pourrait permettre à des gens de vivre pleinement de leur art.
En résumé, nous sommes créatifs, pleins de ressources et motivés par notre engagement de faire de la région de Toronto un endroit où les artistes prospèrent et où les collectivités s’épanouissent.
En 2016, nous avons accordé la priorité au besoin de renforcer notre conformité avec les règles régissant les relations entre notre organisme de bienfaisance, la Toronto Artscape Foundation, et les activités entreprises par Toronto Artscape Inc. La fondation a engagé un conseiller juridique pour examiner les ententes, en commençant par Daniels Spectrum, et dénouer l’enchevêtrement de règles de conformité relatives à l’élaboration de projets d’immobilisations originaux, aux subventions accordées aux locataires pour leur permettre de conserver leur loyer extrêmement abordable et au modèle opérationnel à l’aide duquel nous offrons gratuitement des locaux à des groupes communautaires et des œuvres de bienfaisance pour la prestation de programmes fondés sur les arts.
Le processus a permis à la fondation de renforcer sa conformité en ce qui a trait aux directives et au contrôle. Toutefois, au bout du compte, le temps consacré par les employés, les coûts juridiques et la mobilisation de bénévoles et du conseil ont été considérables. En effet, le coût réel était beaucoup plus important que le fonds de durabilité annuel amassé par la fondation pour soutenir l’abordabilité, dont Daniels Spectrum a besoin pour faire son travail dans la collectivité.
Tout au long du processus, l’utilisation des fonds a été transparente. Réussissons-nous à atteindre notre objectif caritatif? Absolument. Au cours des cinq prochaines années, nous insisterons sur l’établissement de partenariats afin de mettre sur pied de quatre à cinq nouveaux centres à l’extérieur du centre-ville pour desservir des quartiers prioritaires, comme Weston, de même que pour tripler le nombre de logements abordables à l’échelle de la région de Toronto.
Pour cette raison, nous appuyons les recommandations précédentes formulées par nos pairs qui travaillent à la croisée de l’efficacité des organismes sans but lucratif, du développement communautaire et de l’entreprise sociale pour faire en sorte qu’il soit plus facile pour nous de collaborer, que nous soyons un organisme de bienfaisance ou un organisme sans but lucratif, afin que nous puissions nous adapter aux besoins changeants et aux possibilités à l’échelle locale et aller au-delà des directives et des mesures de contrôle pour insister sur les répercussions et générer des revenus plus facilement pour notre mission.
Tous les revenus soutiennent notre mission. Nous appuyons les demandes de changement des règles régissant l’attribution de subventions et de prêts à des organismes sans but lucratif grâce à l’adoption du critère de la destination des fonds.
Faites en sorte qu’il soit facile pour nous d’accéder à des capitaux. Nous saluons et appuyons les recommandations du Groupe directeur sur la co-création d’une stratégie d’innovation sociale et de finance sociale et nous sommes enchantés par l’annonce du fonds de finance sociale. Il est essentiel que les organismes sans but lucratif et de bienfaisance ne se heurtent pas à des obstacles qui les empêchent de maximiser l’accès aux capitaux et à d’autres ressources aux fins d’investissement. En outre, l’immobilier et d’autres dons planifiés offrent le potentiel de créer des biens communautaires permanents, dont les utilisateurs contribuent au renforcement de l’inclusion et de la résilience des quartiers.
Nous appuyons de tout cœur la consultation et le travail du comité visant à cerner les mesures concrètes à adopter pour moderniser le cadre juridique et réglementaire. Ensemble, nous pouvons certainement faire en sorte que le secteur volontaire produise un impact encore plus grand. Merci. Je serai ravie de répondre à vos questions.
Le président : Merci beaucoup de votre exposé. Les trois exposés étaient très bons. Nous allons passer à la période de questions.
La sénatrice Omidvar : J’aimerais vous remercier tous. Je suis très impressionnée par ce que j’ai entendu. Monsieur Ryu, je ne connaissais pas Indefinite Arts, et votre exposé était vraiment très important, car nous devons comprendre le contexte des petits organismes de bienfaisance.
Madame Hurley, je suis étonnée de votre taux de réussite. C’est un travail vraiment remarquable. Heureusement pour moi, je connais très bien Artscape, car je vis à Toronto. En fait, j’inviterais tous les membres du comité à visiter Artscape dans mon quartier, où se trouve le meilleur marché agricole.
Bien sûr, l’augmentation du prix des propriétés autour d’Artscape est une conséquence inattendue, c’est donc fascinant.
Ma première question s’adresse à vous, monsieur Ryu. Vous avez fait valoir un argument très convaincant selon lequel nous devons penser à adopter différentes approches à l’égard de différentes personnes. Nous ne pouvons pas simplement miser sur les grandes institutions et les grands philanthropes. Nous devons aussi tenir compte des petits donateurs et des petits organismes de bienfaisance.
Vous avez parlé du crédit pour premier don de bienfaisance et, d’après les renseignements dont nous disposons, peu de gens en ont fait la demande auprès du gouvernement fédéral, en partie parce qu’il y a eu très peu de publicité à cet égard. J’aimerais vous demander ce que vous pensez de la bonification du crédit d’impôt, si vous en avez entendu parler, qui, essentiellement, inciterait davantage les donateurs modestes à donner non seulement une fois, mais toutes les années suivantes. Ils bénéficieraient d’un incitatif fiscal supplémentaire chaque fois qu’ils donnent plus. Pensez-vous qu’il s’agit d’une idée pertinente?
M. Ryu : Vous savez, comme je l’ai dit dans ma déclaration liminaire, je crois que les problèmes subsistent, surtout en ce qui concerne l’investissement de temps et de ressources nécessaire pour faire connaître la cause dans le but d’obtenir ces donateurs.
Je crois que le problème le plus important se manifeste lorsque nous sommes en concurrence pour le même bassin de donateurs. Je sais que la recherche nous montrera qu’il existe un certain type de personnes qui sont prêtes à donner de leur temps ou de leurs ressources, et il existe des centaines ou des milliers de groupes qui ciblent ces gens chaque année. La grande question est la suivante: comment les petits organismes peuvent-ils soutenir la concurrence? Est-il juste pour ces organismes de se battre à armes égales contre les grands organismes?
Heureusement, je crois que dans le cas de notre organisme, la plupart de nos donateurs sont réguliers. J’ai déjà été un solliciteur également, et on constate souvent que, lorsqu’on réussit à convaincre quelqu’un de faire un don, il est beaucoup plus probable qu’il devienne un donateur permanent, pourvu que l’on fasse du bon travail. Je ne sais donc pas si cet aspect est aussi pertinent pour un organisme qui connaît des difficultés comme le nôtre. Il s’agit simplement de la façon dont nous soutenons la concurrence; il faut voir si des régimes ou des politiques peuvent nous donner un avantage.
La sénatrice Omidvar : Ce qui nous préoccupe au sujet des petits organismes de bienfaisance, c’est le fardeau lié à l’établissement de rapports. Comment se fait-il que tous les organismes de bienfaisance doivent produire des rapports exactement de la même manière, sans égard au fait qu’un organisme peut amasser 10 000 $ et n’avoir aucun employé, alors qu’un autre organisme amasse des millions de dollars et possède Dieu sait combien d’employés. Pensez-vous que l’allégement de ce fardeau pourrait aider les petits organismes?
M. Ryu : Absolument. En fait, c’est l’une des grandes craintes que j’ai personnellement en dirigeant l’organisme. Pour ce qui est de trouver des possibilités d’expansion, il s’agit de savoir non pas si nous voulons prendre de l’expansion, mais plutôt si cela vaut la peine de consacrer tout ce temps pour arriver à présenter une demande de subvention et suivre le processus de production de rapports subséquent, ou si cela l’emporte, dans certains cas, sur l’argent que nous cherchons à obtenir. Je souscris tout à fait à cette opinion.
La sénatrice Omidvar : Madame Hurley, j’étais très intéressée d’apprendre que vous offrez un programme national et que vous devez, par conséquent, travailler avec toutes les provinces et tous les territoires —
Mme Hurley : Nous sommes sur la bonne voie.
La sénatrice Omidvar : — et mener des négociations avec eux au sujet du crédit pour études. Puisque chaque province est différente, avez-vous remarqué des écarts dans les réponses ou les politiques en ce qui a trait à ce crédit? Les règles du jeu sont-elles les mêmes à l’échelle du Canada?
Mme Hurley : Depuis le début du programme, nous avons été principalement présents en Ontario et au Manitoba, jusqu’à cette année, où nous avons commencé à offrir le programme en Colombie-Britannique, à Membertou, en Nouvelle-Écosse, et même à Iqualuit. En fait, ce n’est pas quelque chose que j’ai fait personnellement, mais mon directeur de programme, qui est un ancien enseignant, l’a fait. Je serais ravie de vous faire parvenir la réponse.
La sénatrice Omidvar : Merci. Madame Girvan, la structure de Artscape est très complexe. J’aimerais savoir si cette complexité est due aux restrictions réglementaires concernant le revenu gagné et les activités commerciales ou si elle est simplement attribuable au fait qu’Artscape fait preuve d’innovation et saisit les occasions qui se présentent à lui.
Mme Girvan : Je pense que c’est un peu des deux. Je pense que nous sommes très axés sur l’entrepreneuriat, mais nous travaillons tout de même dans un contexte où il existe une structure réglementaire. Cette structure est complexe, fastidieuse et coûteuse. Si nous pouvions la simplifier pour en faire une structure unique ou réduire la complexité de certains éléments comme les directives et les mesures de contrôle, je serais tout à fait d’accord.
La sénatrice Omidvar : Nous avons reçu un représentant de Me to We, soit l’un des frères Kielburger, je ne sais pas lequel. C’était très éloquent. Il a dit que, pour combler leur besoin de générer des revenus à des fins caritatives, ils ont dû faire des pieds et des mains de nombreuses fois et dépenser beaucoup d’argent en conseils juridiques pour s’assurer qu’ils étaient conformes.
Est-ce votre expérience aussi, c’est-à-dire que vous payez très cher des avocats au détriment de votre bon travail simplement parce que les règlements vous imposent des contraintes dont vous n’arrivez pas à vous libérer?
Mme Girvan : Absolument. Certains avocats sont fantastiques, mais oui, nous perdons beaucoup de temps à essayer de nous y retrouver dans ce cadre complexe et à nous assurer que nous suivons pleinement les règles. Je réitère donc les préoccupations qui ont été soulevées.
La sénatrice Omidvar : Merci.
La sénatrice Martin : Ma question va dans le même sens. Vous avez posé des questions très importantes, donc je vais peut-être m’appuyer sur ce dernier point quant à la mesure dans laquelle il vous est difficile de respecter les régimes actuels de façon à pouvoir recevoir de l’aide au titre de divers programmes, puis aborder la complexité de chacun de vos organismes également.
D’abord, merci beaucoup de votre exposé. Je suis désolée; j’étais un peu en retard. C’est très agréable de voir ce que vous faites, JS. D’après ce que j’ai entendu de vos exposés — et nous avons entendu plus tôt la déclaration de la représentante du Royal Winnipeg Ballet — vous devez non seulement amasser des fonds pour réussir à offrir vos programmes, mais également composer avec bien d’autres ministères et vous assurer de suivre toutes les règles de ces ministères, comme c’est le cas du Royal Winnipeg Ballet. C’est très complexe.
Tout cela est complexe, et je souhaiterais que nous puissions nous enlever du chemin et laisser tous ces magnifiques organismes faire ce qu’ils font de mieux.
Je vais d’abord m’adresser à notre troisième témoin. Madame Girvan, vous nous demandez de faire en sorte qu’il soit plus facile d’obtenir des revenus. Pourriez-vous nous en dire davantage à propos du commentaire que vous avez formulé, selon lequel nous devons vous faciliter la tâche pour que vous puissiez faire ce que vous faites de mieux?
Mme Girvan : On pourrait dire que certains types de revenus sont liés à nos activités, alors que d’autres ne le sont pas. Il est difficile de s’y retrouver dans ce concept complexe en soi.
Comme je l’ai mentionné, notre ensemble est plus grand que la somme de ses parties. Nous regroupons sous un même toit un groupe qui serait peut-être capable de payer le taux du marché, par exemple, et un autre groupe qui ne le pourrait pas. Parallèlement, si j’obtiens des dons de charité, je dois m’assurer qu’ils sont destinés à une activité de bienfaisance. Je pourrais utiliser des dons de charité pour un organisme de bienfaisance qui paie le taux du marché, mais pas nécessairement pour un groupe communautaire non constitué en société.
Voilà les complexités avec lesquelles nous devons jongler. Essentiellement, comme nous obtenons peu de financement pour nos activités publiques, il est essentiel que nous parvenions à gagner des recettes de manière à soutenir notre impact.
À Artscape, nous souhaitons offrir une plateforme et ne pas être en concurrence. Nous espérons obtenir plus d’argent pour tous ou permettre à d’autres groupes de tirer parti des subventions du gouvernement et d’autres dons de charité plus efficacement. Je ne sais pas si cela répond à votre question.
Encore une fois, je vais vous donner des exemples de revenus que nous obtenons. Nous tirons des revenus en louant des salles pour des mariages et en louant des locaux à des sociétés, et nous pouvons ainsi permettre à un groupe qui présente sa première pièce de théâtre d’accéder gratuitement au théâtre. Nous devons constamment diversifier nos revenus et les adapter. Ces revenus ne sont pas tous liés directement et explicitement à une activité commerciale complémentaire.
La sénatrice Martin : Vous avez tous parlé du fardeau administratif lié au fait de vous conformer et d’être admissible. J’essaie de me mettre à votre place.
Monsieur Ryu, vous avez parlé de la nécessité que les régimes ou les politiques donnent un coup de pouce aux petits organismes de bienfaisance. Je pense que si vous aviez plus d’employés et de ressources, vous seriez peut-être en mesure de mieux gérer la bureaucratie. Comme vous le dites, nous devons aider les petits organismes de bienfaisance, car même si les ressources sont nombreuses, si vous n’y avez pas accès, cela complique grandement les choses.
Pourriez-vous nous dire de quelle manière le gouvernement pourrait soutenir les petits organismes de bienfaisance afin de vous donner non pas un avantage, mais une possibilité d’être à tout le moins sur un pied d’égalité?
M. Ryu : Merci. Comme je l’ai dit, le risque que doit prendre un organisme comme le nôtre pour tirer parti des collectes de fonds ou des subventions est une réalité. Faut-il retirer une personne de l’équipe responsable de la prestation de services aux artistes handicapés et embaucher un solliciteur? Faut-il contracter une dette afin de pouvoir rémunérer adéquatement cet employé pour le travail qu’il fait? Je crois que, dans notre cas, il est très injuste que nous devions nous poser ce genre de questions.
Donc en réalité, il incombe habituellement au PDG de faire la collecte de fonds, d’entretenir des relations avec le conseil d’administration, de faire de la publicité et de s’occuper de tous ces aspects, car l’organisme n’en a pas la capacité. Toutefois, j’avoue que, à bien des égards, je ne ferais probablement pas un travail optimal à l’égard de tous ces aspects, simplement parce que la responsabilité m’incombe.
Je pense qu’il serait intéressant de voir quelles sont les politiques ou les possibilités de subvention qui permettraient à des organismes comme le nôtre de prendre ce financement de base pour embaucher des gens en mesure de mettre sur pied un programme de collecte de fonds ou de mieux nous faire comprendre le cadre des subventions à l’échelle fédérale ou provinciale. Encore une fois, je peux vous dire que nous n’en profitons pas. Pour y arriver, il faudrait éliminer des emplois afin d’embaucher une personne experte dans le domaine. Je ne pense pas que ce serait très juste vu le mandat que nous essayons de remplir. Encore une fois, cela comporte un risque important.
Le président : Madame Hurley, une donnée statistique de votre exposé m’a fait sourciller, et il s’agissait de l’augmentation du taux d’obtention de diplôme. Pouvez-vous nous dire brièvement comment s’explique cette augmentation? C’est remarquable
Mme Hurley : J’ai précisé que cette donnée concerne les personnes admissibles à l’obtention du diplôme, car nous travaillons avec les élèves de la 7e à la 12e année, et nous avons pensé qu’il serait utile d’intervenir dès la 7e année, afin d’encourager les élèves, de leur donner de l’espoir et de leur faire comprendre que l’éducation est une bonne chose.
D’après mon expérience, cela fait naître quelque chose. C’est comme signer un contrat pour dire : « Je vais fréquenter l’école. » Il s’agit réellement de terminer sa scolarité. Cela donne un objectif et une raison pour continuer, car il n’est pas facile de rester dans notre programme. Ces jeunes doivent être présents à l’école 80 p. 100 du temps. Ils doivent maintenir une moyenne de 65 p. 100. Ils doivent travailler, étudier, être présents et assister à leurs cours. C’est ce qui explique l’augmentation selon moi. C’est quelque chose que les jeunes veulent accomplir et qui les fait sentir mieux. Tant de choses sont liées à la danse, à la santé mentale et à la santé physique. C’est simplement une question de bien-être général, d’attitude, de confiance en soi et ainsi de suite. Voilà ce que sont les arts. Je crois que ces aspects sont à la base de cette donnée statistique importante.
Le président : Cette statistique vise les jeunes qui sont en 12e année?
Mme Hurley : C’est cela.
Le président : Qu’en est-il des élèves de la 7e à la 12e année dont vous avez parlé?
Mme Hurley : Nous travaillons avec des élèves de la 7e à la 12e année.
Le président : Quelles sont les statistiques au sujet de l’obtention de diplôme chez les élèves de la 7e à la 11e année?
Mme Hurley : Nous n’avons pas beaucoup de statistiques sur eux encore. Notre organisme de bienfaisance est vraiment petit. Nous avons commencé par travailler avec une collectivité. Il y a deux ans, il y en avait cinq. L’année dernière, il y en avait huit, et cette année, il y en a 13. Ce que nous disons, c’est que nous espérons qu’environ 140 jeunes terminent le programme cette année.
Il est difficile de compter le nombre d’élèves qui participent à notre programme de la 7e à la 11e année. Nous essayons de rester en contact avec les gens, mais si les collectivités ne font pas appel de nouveau au programme, on ne peut pas savoir si les élèves ont terminé leurs études.
Nous avons commencé à parler à certains des directeurs pour essayer d’obtenir plus de statistiques moyennes au sujet de leur école. Ce qu’on voit, ce sont des familles. Donc, si on commence à travailler au sein d’une collectivité, et que le frère aîné prend part au programme, son jeune frère et sa jeune sœur voudront eux aussi participer au programme.
Le président : Ce sont des familles où il n’y a habituellement pas de diplômés?
Mme Hurley : Dans de nombreuses collectivités, le taux d’obtention de diplôme est assez bas. Malheureusement, il se passe tant de choses dans les collectivités que cela empêche souvent les jeunes de se concentrer sur l’école secondaire.
Le président : Ces autres choses ne sont pas nécessairement productives?
Mme Hurley : Non. Je parle surtout de problèmes comme le manque d’eau potable et ce genre d’enjeux sociaux.
Le président : C’est une excellente précision. Merci.
Les activités de financement à Calgary ne vont pas aussi bien qu'autrefois, manifestement, en raison de la situation économique en Alberta. Cependant, lorsque vous trouvez un donateur, il est beaucoup plus facile d’obtenir le deuxième don que le premier, car le donateur adhère déjà à la cause. La situation a-t-elle engendré un ralentissement généralisé dans tous les secteurs de la communauté de financement de l’Alberta?
M. Ryu : Je crois comprendre que la majorité des organismes dans le secteur des arts et de la culture ont connu un important ralentissement du côté des dons. Il est vrai que pour de nombreux organismes artistiques, bien que ce ne soit pas notre cas, la collecte de fonds durant les années de prospérité a été un élément important, et on s’attendait à ce que les organismes de bienfaisance arrivent à survivre grâce à de nombreuses commandites d’entreprises qui étaient beaucoup plus facilement accessibles qu’elles ne le sont maintenant.
Je crois que nous sommes nombreux dans le secteur à commencer à prendre les mesures pénibles qui s’imposent, à diversifier les sources de revenus et à tenter d’exercer des pressions sur le gouvernement. Comme je l’ai dit, de nombreux grands organismes artistiques ont réussi à exercer des pressions auprès des gouvernements au sujet de changements stratégiques dans le but d’accéder à plus de fonds que par le passé. Je pense que cela a des effets secondaires négatifs sur les petits organismes de bienfaisance artistiques comme le nôtre.
La sénatrice LaBoucane-Benson : Je suis toute nouvelle au sein du comité. Je viens du secteur sans but lucratif et j’ai travaillé pendant 23 ans comme directrice d’un organisme de bienfaisance. J’ai trouvé intéressants les propos de Mme Girvan à propos du fait qu’il faut favoriser la collaboration. Je crois que vous parliez de collaboration entre les organismes de bienfaisance et votre entreprise sociale, je présume, et les organismes sans but lucratif. Est-ce de cela que vous parliez quand vous avez mentionné les différentes entités au sein de votre organisme?
Mme Girvan : Oui. De toute évidence, lorsque nous recevons des dons de charité pour la fondation, nous devons suivre les règles concernant les donateurs reconnus et les donateurs non reconnus. Pourtant, l’ensemble de nos collectivités regroupe un éventail de gens et d’organismes. Nous souhaitons réellement trouver la combinaison la plus sensée pour une collectivité et ne pas avoir à nous dire : cela fonctionnera peut-être dans cette partie-là, mais pas dans celle-ci.
La sénatrice LaBoucane-Benson : Êtes-vous d’accord pour dire que d’après les cadres réglementaires et la façon dont les différents bailleurs de fonds ou les gens vous voient, vous devez être soit un organisme de bienfaisance, soit une société, soit un organisme sans but lucratif? Il y a un certain malaise à l’égard des organismes qui touchent à ces trois volets et qui pourraient amasser des fonds par l’entremise du secteur des entreprises afin de financer leurs organismes de bienfaisance, de sorte qu’ils puissent travailler au sein de la collectivité. Avez-vous déjà vécu une situation semblable? C’est certainement notre cas.
Mme Girvan : Oui, absolument. C’est dans notre ADN, mais encore une fois, c’est angoissant de savoir que vous pourriez vous mettre des gens à dos sans le vouloir alors que vous tentez de réaliser votre mission.
La sénatrice LaBoucane-Benson : Merci. Je suis toute nouvelle ici, et j’essaie de comprendre tout cela.
Pour ce qui est du Indefinite Arts Centre, vous parliez de financement. Nous avons vécu certaines expériences intéressantes à ce sujet en tant qu’organisme sans but lucratif; un bailleur de fonds voulait que les dons en nature... D’une manière ou d’une autre, nous étions censés prendre de l’argent provenant d’autres contrats ou services dont nous étions responsables et acheminer les dons en nature vers un autre secteur. L’une des conditions était la suivante : pouvez-vous offrir une contribution en contrepartie ou faire telle ou telle autre chose? J’aimerais savoir si vous pouvez en parler davantage. Je pense qu’il y a encore beaucoup à dire au sujet des règles farfelues qui régissent le financement.
M. Ryu : Tout à fait. Je suis tout à fait d’accord pour dire qu’il s’agit d’un problème. Quant à la question des résultats, je pense que les gens, particulièrement les donateurs et, dans de nombreux cas, le gouvernement, n’arrivent pas à comprendre que le simple fait de mesurer les résultats engendre des coûts. Nous serions ravis d’embaucher un chercheur pour évaluer ce que nous savons être des résultats incroyablement positifs sur les arts et leurs répercussions sur les personnes handicapées, mais l’embauche ne serait-ce que d’un étudiant au doctorat devant s’absenter pour réaliser ce travail coûte des dizaines de milliers de dollars.
Je reviens sans cesse à cet élément de risque. Il nous place dans une position très inconfortable où il faut réfléchir à ce qui se passe. Voulons-nous nous départir de certaines ressources pour commencer à mesurer ces résultats, ou est-ce que nous nous lançons à la recherche de subventions qui, ironiquement, exigent des résultats dès le départ? Nous sommes constamment engagés dans cette sorte de course folle.
Je vais ajouter que dans de nombreux programmes de subvention, surtout certains programmes fédéraux destinés aux arts, il y a un élément de contrepartie qui représente un défi. Non seulement on vous demande d’investir dans un programme auquel vous croyez et d’assurer ensuite la planification de ce programme, mais vous devez faire des pieds et des mains pour trouver des fonds de contrepartie afin de soutenir cette subvention. Je ne pense pas que ce soit déroger à nos responsabilités que de chercher d’autres sources de revenus pour soutenir nos programmes, mais je pense que ces règles rigoureuses constituent un problème.
La sénatrice LaBoucane-Benson : Je ne sais pas combien de fois j’ai expliqué à des bailleurs de fonds qu’ils exigeaient un projet de recherche d’une valeur de 80 000 $. Ce qu’ils demandent comme document attestant les produits livrables ou les mesures est un projet de grande envergure. Je vous remercie.
Le président : Merci, madame LaBoucane-Benson. D’après ce que vous avez dit, vous essayez de comprendre tout cela. Eh bien, bienvenue dans notre monde. Nous sommes tous dans le même bateau. Nous essayons tous de comprendre. Je travaille dans le secteur sans but lucratif depuis maintenant plus de 31 ans, et j’ai toujours été étonné de voir qu’un donateur peut donner des dizaines de milliers de dollars alors que tout ce qu’il souhaite réellement savoir, c’est que vous n’allez pas dépenser un cent de cet argent dans une collecte de fonds. Si c’est le cas, on vous dit que vous ne recueillez pas l’argent de manière efficiente.
La sénatrice Omidvar : Monsieur Ryu, je m’intéresse vivement à votre témoignage, particulièrement à l’observation que vous avez faite selon laquelle les grands organismes de bienfaisance sont représentés par des intervenants qui ont du pouvoir et ont, par conséquent, une influence positive sur la législation gouvernementale. Il n’y a rien de mal avec cela; c’est la démocratie. Comment pouvez-vous vous aussi être représentés par un intervenant qui détient du pouvoir?
Je ne sais pas si vous seriez d’accord, si le comité formule des recommandations qui profitent aux grands organismes de bienfaisance, pour que nous établissions un équilibre dans le but de faciliter la vie des petits organismes de bienfaisance également?
M. Ryu : Tout à fait, je suis d’accord. Encore une fois, je suis certain que les programmes fédéraux de subvention, reposent sur une bonne intention dès le départ, évolueront, mais je ne pense pas qu’il y a assez de suivi pour qu’on puisse vérifier si l’argent finit par soutenir la diversité du secteur de même que la diversité des gens soutenus par le secteur.
Certains de mes collègues d’autres organismes seront peut-être offensés, mais, dans le domaine des arts, je pense qu’il est facile de militer pour des politiques qui font progresser le monde des arts professionnels et de la scène et d’exercer des pressions en ce sens. Il y a de plus en plus d’investissements dans les arts autochtones, à juste titre. On a peut-être négligé d’autres communautés, y compris celle que nous servons, soit les artistes handicapés. Il est très important d’évaluer activement ces programmes pour nous assurer de soutenir une plus grande diversité.
La sénatrice Omidvar : Permettez-moi de mentionner une idée dont nous avons entendu parler; j’ai oublié quand. L’un de nos témoins a dit que chercher à obtenir des subventions du gouvernement équivalait à chercher une aiguille dans une botte de foin. J’imagine que votre organisme reçoit du financement d’EDSC, mais vous pourriez également en obtenir de Patrimoine canadien, de Multiculturalisme Canada, d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, de Condition féminine, d’Affaires mondiales, d’Anciens combattants, car vous aidez des gens qui sont touchés par tous ces ministères.
L’idée, c’était que le gouvernement du Canada devrait dresser une liste en ligne des subventions qui sont accessibles aux organismes de bienfaisance, puis revoir et mettre à jour cette liste tous les trois mois. Lorsque vous cherchez des subventions gouvernementales, comment vous y prenez-vous?
M. Ryu : Heureusement, j’ai travaillé dans le domaine des relations gouvernementales pendant des années. J’étais le principal lobbyiste pour Banff Centre et l’Institut national canadien pour les aveugles et des organismes du genre.
La sénatrice Omidvar : Vous avez des contacts.
M. Ryu : J’ai travaillé dans ce domaine, donc maintenant je peux décrocher le téléphone et réussir à obtenir des renseignements auprès de certaines personnes. Ce n’est pas le cas pour bon nombre de responsables d’organismes de bienfaisance.
Le Conseil des arts du Canada est un excellent exemple d’organisation où on peut appeler et dire : « J’ai tel type de projet et je me demande quelles sont les possibilités d’obtenir du soutien par l’entremise du Conseil des arts. » On nous aiguillera ensuite vers une personne en particulier ou vers un programme, et on vous informe des limites et des règles; on vous explique tout ça. Je ne crois pas que ce soit toujours aussi clair. Je ne peux pas tout simplement composer le 1-800-O-Canada et poser ces questions. Il faut cibler un ministère et, même au sein du ministère, il faut trouver la bonne personne dans le bon programme.
Dans le monde auquel je rêve parfois, je me demande s’il devrait exister un centre d’assistance général pour les organismes de bienfaisance que les différents responsables de ces organismes pourraient appeler directement. Je suis convaincu que les agents de ce centre recevraient des centaines d’appels par jour, mais, dans ce monde imaginaire, je pourrais décrocher le téléphone et dire: « J’ai ce projet et voici ce qu’il suppose. » Je crois que cela serait idéal.
La sénatrice Omidvar : C’est une bonne idée.
Le président : Ce qui crée un sentiment de frustration, c’est que ce service devrait être accessible par l’entremise du 1-800-O-Canada.
La sénatrice Martin : Il y a beaucoup de bureaux régionaux, en Colombie-Britannique ou à Calgary, mais je suppose qu’il y a des différences d’un ministère à l’autre. Je me disais que ce serait une bonne chose que de tels bureaux régionaux existent, mais que cela exigerait davantage de ressources, n’est-ce pas?
Vous avez mentionné l’écart que nous avons constaté. Même si nous avons un bon programme de financement en place, les petits organismes de bienfaisance et les petites organisations ne disposent peut-être pas des ressources nécessaires pour y avoir accès. Cet écart existe, et nous devons trouver comment le combler.
M. Ryu : J’ajouterais qu’il a fallu consentir quelques efforts pour convaincre les membres du conseil d’administration de mon organisme d’accepter qu’il me fallait des fonds pour me déplacer. Je ne peux vous dire le nombre de subventions que nous avons réussi à obtenir du fait que je me sois déplacé de Calgary à Ottawa pour rencontrer différentes personnes, y compris des responsables d’Affaires mondiales qui nous octroient des subventions pour participer à certaines expositions internationales. Nous n’aurions pas obtenu ce résultat si je n’avais pas été en mesure d’acheter un billet d’avion pour venir à Ottawa et rencontrer ces personnes.
Le président : Cela m’étonnera toujours.
Mme Hurley : Je ne crois pas que quiconque s’oppose à la reddition de comptes. Assurément, nous voulons tous que les fonds soient utilisés pour des activités de programmes, comme il se doit. Nous demandons seulement d’examiner l’élément de flexibilité. En ce qui me concerne, entre le moment de la rédaction de la demande de subvention et celui de l’octroi de la subvention, des tonnes de choses auront changé dans les collectivités que nous appuyons.
Parfois, il s’agirait simplement de pouvoir communiquer de nouveau et de dire : nous sommes reconnaissants, mais, dans cette catégorie, nous avons besoin de plus de financement parce que maintenant nous allons devoir nous déplacer davantage vu que la situation a changé. La question porte non pas sur la reddition de comptes, mais plutôt sur la façon dont nous pouvons arriver à faire en sorte ce que cela fonctionne pour toutes les parties.
Le président : Un autre point qui cause des sentiments de frustration, bien entendu, tient au fait que les responsables des gouvernements ou ceux qui fournissent du financement veulent discuter des coûts liés aux activités de financement. Il s’agit d’une question très légitime, mais, si vous posez cette question au tout début d’un projet de dépenses en capital, par exemple, les chiffres sont effarants, parce que c’est ce à quoi correspond la majeure partie des coûts. Il est possible de constater qu’un pourcentage élevé des fonds est consenti aux campagnes de financement, mais, au bout du compte, en fin de projet, ce pourcentage continue de diminuer en raison du succès obtenu par la campagne de financement tout au long du projet.
Je présume que j’exprime le sentiment de frustration de toutes les personnes responsables de recueillir des fonds dans ce domaine.
Mme Hurley : Exactement.
Le président : Je vous remercie tous les trois. Nous avons eu un échange utile ce soir. J’aimerais tous vous remercier de votre présence.
Chers collègues, merci d’être présents. Je veux rappeler aux membres du comité et du public que le comité poursuit ses travaux pour examiner l’impact des lois et politiques fédérales et provinciales gouvernant les organismes de bienfaisance, les organismes à but non lucratif, les fondations et autres groupes similaires, et pour examiner l’impact du secteur volontaire au Canada.
Dans ce groupe de témoins, nous accueillons, par vidéoconférence, Mme Debby Warren, directrice générale, Ensemble Services Greater-Grand Moncton Inc. Merci de votre participation, madame Warren.
De Yellowknife, par vidéoconférence, nous accueillons M. Craig Scott, directeur général, Ecology North.
Merci d’avoir accepté notre invitation. Nous vous demandons de faire chacun un exposé d’une durée de cinq à sept minutes. Ensuite, il y aura une série de questions, et je vais demander à mes collègues de poser des questions brèves et aux témoins de donner des réponses succinctes pour que nous puissions poser le plus grand nombre de questions possible.
Je décide donc de façon arbitraire que vous allez commencer, madame Warren.
Debby Warren, directrice générale, Ensemble Services Greater-Grand Moncton Inc. : Merci beaucoup de cette invitation à comparaître ce soir.
L’organisme Ensemble Services Greater Moncton a été constitué en société il y a 30 ans, en mars 1989, sous l’appellation SIDA/AIDS Moncton. Nous avons changé le nom de l’organisme l’an dernier, mais nous poursuivons les activités qui visent à prévenir la transmission d’infections transmissibles sexuellement et par le sang en ciblant les déterminants de la santé, soit des facteurs qui peuvent augmenter les risques de contracter une ITSS. Nous venons en aide à des personnes qui vivent avec le VIH, à des jeunes de la communauté LGBTQ et à des personnes qui consomment des drogues. L’an passé, nous avons offert des services à 832 personnes par l’entremise de notre programme de service de distribution de seringues et de réduction des méfaits. La stigmatisation des personnes qui utilisent des drogues leur crée un obstacle à l’accès aux soins de santé et à d’autres services. Chaque jour, nous nous attaquons à ces obstacles et nous efforçons de les réduire. De plus, nous offrons des programmes destinés aux jeunes membres de la communauté LGBTQ et à leur famille. Nous offrons beaucoup de séances de sensibilisation portant sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre partout dans la collectivité. Notre objectif est de créer une collectivité inclusive dans laquelle les jeunes membres de la communauté LGBTQ peuvent vivre, étudier et avoir des relations amoureuses en toute sécurité.
Les résultats des initiatives de collecte de fonds et de dons ont décliné au fil des années pour différentes raisons. Nous faisons face à un défi particulier. Les gens préfèrent de loin donner leur argent pour soutenir des enfants plutôt que des personnes qui consomment des drogues et sont toxicomanes. Le financement du gouvernement est essentiel pour que notre organisme puisse poursuivre ses activités. Toutefois, l’accessibilité aux programmes du gouvernement et les exigences en matière de conformité peuvent s’avérer très lourdes pour les ressources humaines d’un petit organisme comme le nôtre. Nous avons cinq employés.
Le processus pour présenter une demande dans le cadre de programmes gouvernementaux peut être fastidieux et demander beaucoup de temps. Il faut parfois plusieurs semaines pour préparer la présentation d’une proposition. Les habiletés de rédaction de propositions jouent un rôle important dans l’obtention de financement par une organisation. Pour les responsables de petites organisations, cela représente un défi. La plupart du temps, le personnel est constitué de travailleurs de première ligne, qui n’ont pas nécessairement les habiletés ni les connaissances nécessaires à la rédaction de propositions. Dans bien des cas, il faut préparer des documents volumineux pour accompagner les demandes.
Récemment, un des processus auxquels nous avons participé s’est déroulé pendant une période de 12 mois, alors que nous tentions en parallèle de mener nos activités de tous les jours. Il y a eu un appel de lettres d’intérêt, donc nous avons dû préparer ce document, qui a été suivi d’un processus d’examen, d’une invitation à présenter une proposition, ce que nous avons fait. Ensuite, il y a eu un autre processus d’examen, des vérifications et, pour terminer, un accord de contribution.
Comme vous le comprendrez, la période consacrée à la préparation des documents, qui comptent parfois 100 pages ou plus, inclut un examen de notre capacité à mener les activités proposées, une description des activités proposées, des plans de travail, des plans d’évaluation, des budgets détaillés où figurent tous les coûts liés aux activités prévues dans le projet, des lettres d’appui, des descriptions de poste, des contrats d’embauche de personnel, des conventions de bail consenties par des bailleurs, des certifications de statut et des politiques relatives aux ressources humaines. Ensuite, nous en venons à la conformité.
Actuellement, notre organisme a six contrats en place avec différents bailleurs de fonds qui exigent des rapports et des suivis sur les programmes et les services soutenus par leur financement. Les dispositions de trois des contrats font que le processus d’établissement de rapport est lié aux résultats convenus. Nous ne sommes pas tenus de soumettre des rapports financiers. Ces contrats sont différents de ceux que nous avons avec le gouvernement fédéral.
Les rapports liés aux accords de contribution sont très détaillés. Ils comprennent des projections annuelles de flux de trésorerie, la communication de deux rapports financiers au cours de l’exercice, la liste détaillée des dépenses consignées au grand livre général, les formulaires de réaffectation budgétaire, des rapports de progrès, des rapports de mesure et d’évaluation du rendement, la déclaration des actifs, la déclaration de revenus d’autres sources, la déclaration des documents produits, des rapports nationaux et régionaux, des rapports sur les fonds inutilisés et, pour terminer, les états financiers annuels.
Nous convenons de la nécessité de la reddition de comptes et de la transparence. En tout respect, nous sommes d’avis que de lourds processus de reddition de comptes ne sont pas une garantie de transparence et de responsabilité. Comme responsables d’un organisme communautaire dont les activités visent à traiter des problèmes sociaux complexes, nous recommandons que les processus de reddition de comptes soient axés sur les résultats.
Nous recommandons par ailleurs la mise en place d’un processus unique de demande auprès de tous les ministères, la rationalisation de la communication de rapports financiers pour les petites organisations et l’autorisation d’effectuer des reports automatiques de la première à la deuxième année dans le cas de projets de deux ans qui sont financés, sans avoir à remplir des formalités administratives fastidieuses.
Les dispositions des accords de contribution devraient permettre le versement de fonds à l’avance, au lieu de remboursements. Sinon, les petites organisations doivent recueillir des fonds pour réaliser le projet en attendant d’obtenir un remboursement.
Pour terminer, j’aimerais vous remercier de nous avoir offert l’occasion de présenter nos points de vue concernant les défis et les problèmes auxquels font face les petits organismes de bienfaisance, comme Ensemble Services Greater Moncton, relativement à l’accessibilité des programmes gouvernementaux. Nous sommes très reconnaissants de l’aide financière que nous recevons du gouvernement fédéral. Sans ce financement, certaines des personnes les plus marginalisées seraient laissées à elles-mêmes. Nous faisons face à un déficit social dans nos efforts pour répondre aux besoins en matière de traitement et de soutien des 832 personnes que nous aidons et qui ont été happées par la crise des opioïdes. Le financement du gouvernement fédéral est essentiel à nos activités. Toutefois, nous demandons que le fardeau lié à l’accessibilité et à la conformité soit réduit, pour que nous puissions concentrer nos ressources limitées sur les efforts visant à garder des personnes vivantes et à les aider à cheminer vers une meilleure qualité de vie. Merci.
Le président : Merci beaucoup de votre exposé. J’ai oublié de mentionner quand je vous ai présentée que vous aviez l’intention d’être présente ici aujourd’hui. Vu que je suis originaire de l’Atlantique, je sais ce qu’on dit au sujet de la météo dans cette région : si vous n’aimez pas le temps qu’il fait, attendez 15 minutes. Nous sommes reconnaissants du fait que vous aviez l’intention d’être présente.
Monsieur Scott, nous aimerions maintenant entendre votre exposé.
Craig Scott, directeur général, Ecology North : Merci beaucoup, et merci, madame Warren; vous avez mentionné quelques points que les responsables d’Ecology North avaient aussi relevés.
Notre organisme voué à la protection de l’environnement est plutôt petit. Nous sommes établis à Yellowknife, dans les Territoires du Nord-Ouest. Notre organisme existe depuis près de 50 ans et il a beaucoup grandi au cours des quelques dernières années. De fait, nous comptons quand même beaucoup sur le financement du gouvernement fédéral et territorial pour mettre en œuvre des programmes qui aident les collectivités et les gens dans le Nord à conserver la santé de l’environnement nordique. Nos initiatives sont axées sur les changements climatiques, l’eau et l’éducation. Nous menons beaucoup d’activités scolaires et touchant la production alimentaire, le recyclage et le compostage. Nous avons le mandat large de réaliser environ 50 projets différents par année. Nous n’avons pas de financement de base. Notre fonctionnement repose sur des projets, ce qui fait que nous sommes toujours actifs et très occupés.
En conséquence, j’ai eu nombre d’occasions d’interagir avec des responsables de bien des ministères et de connaître leur méthode de gestion des contrats et des projets. J’ai donc quelques exemples positifs et d’autres négatifs de différentes pratiques.
Ce qui rend les choses difficiles pour les responsables de petits organismes comme le nôtre, ce sont la cohérence et le fait de traiter avec une diversité de ministères qui ont des procédures et des processus complètement différents. Même au sein d’un même ministère, on constate de grandes différences. Certains ont des gabarits, alors que d’autres n’en ont pas. On se fait dire: « Eh bien, préparez quelque chose. » Il y a différentes catégories dans leurs budgets, ce qui pose un défi au moment d’établir des liens avec nos propres postes budgétaires et d’effectuer un suivi.
De façon générale, si le gouvernement fédéral fournissait un formulaire type pour des organismes de différentes tailles, cela nous aiderait vraiment à rationaliser les choses de notre côté et apporterait, selon moi, de grandes améliorations au sein des différents ministères.
Parmi les points positifs, nous sommes assez satisfaits des communications avec les responsables de l’ARC. Il est assez facile de traiter avec eux; ils sont professionnels et accessibles et, dans la plupart des cas, offrent beaucoup de soutien aux petites organisations. Bien entendu, cet aspect comporte certains défis, qui, nous en convenons, sont un mal nécessaire quand il s’agit des impôts.
Un autre point positif que nous avons relevé au cours des deux dernières années tient au fait que nous avons eu davantage d’occasions d’obtenir du financement pluriannuel. Il s’agit de quelque chose qui avait toujours posé des défis importants dans le passé. Le fait que l’exercice se termine le 31 mars signifie que le gouvernement met bien souvent cinq ou six mois avant de lancer des appels à proposition, et la majorité de nos activités et celles d’autres ONG se déroulent au cours des six derniers mois de l’année. Cela est très inefficace. C’est difficile de planifier les ressources humaines et, en somme, le gouvernement en sort perdant. Il verse beaucoup d’argent et n’obtient pas d’aussi bons résultats que si toutes les activités étaient réparties sur une année complète.
Nous avons remarqué récemment que les responsables de Santé Canada et de RCAANC ont mis en place des coordonnateurs communautaires dans le Nord. L’objectif est d’aider les Premières Nations et d’autres petites organisations en fournissant une ressource qui aide à faire avancer les processus. Cette initiative a été très bénéfique et a aidé en particulier des collectivités des Premières Nations, qui manquent vraiment de capacité pour ce qui est de s’acquitter du fardeau administratif lié à certains accords de contribution et à la production de documents exigés par le gouvernement fédéral. Il y a toujours des fonctionnaires à Ottawa qui viennent, et ils ont tous ces crédits et tous ces projets et disent : « Comment se fait-il que personne n’a présenté de demande? » Nous devons leur répéter que c’est parce que les membres des petites collectivités des Premières Nations n’ont pas le temps de le faire. Ils doivent régler des situations urgentes tous les jours. Ils n’ont pas le temps de préparer des demandes et ne sont pas en mesure de rédiger des accords de contribution complexes ou des propositions et de remplir toutes les formalités administratives.
Voici un autre exemple. Notre organisme dépend des programmes de subventions, donc des programmes de Service Canada et des programmes d’emploi d’été pour les étudiants. L’an dernier, nous n’avons pas obtenu ce type de financement avant la mi-juillet. Habituellement, les emplois d’été que nous offrons aux étudiants commencent au mois de mai. Cette situation nous a pris par surprise, et nous avons dû communiquer avec notre député pour essayer de savoir où en était la demande, et lui-même n’en savait rien. Ce genre de situation pose un défi. Vous savez que les emplois d’été pour les étudiants commencent au mois de mai, donc le financement ne devrait pas être versé en juillet. Je ne sais pas ce qui s’est passé.
Une autre chose qui serait utile, c’est l’utilisation de listes de contrôle, la rationalisation des gabarits et des outils pour permettre aux responsables des ONG et des Premières Nations qui présentent ce genre de demandes de s’assurer qu’ils ont bien réuni tous les différents éléments.
Ce sont là quelques-uns de mes constats. Je serai heureux de répondre à vos questions, et je suis reconnaissant de cette occasion de présenter un exposé et de faire valoir nos arguments en faveur de la simplicité et de la facilité d’accès à certains programmes de financement du gouvernement. Merci.
Le président : Merci, monsieur Scott. Nous vous sommes reconnaissants de nous avoir fait part de vos réflexions.
La sénatrice Omidvar : Je vous remercie tous les deux de votre témoignage aujourd’hui.
Madame Warren, vous avez expliqué avec force de détails le fardeau lié aux demandes et à la conformité qui s’y rattache, ou la reddition de comptes, et vous avez été très précise. Même si nous avons déjà entendu parler du fardeau lié à l’établissement de rapports, je n’avais jamais entendu de description de cette nature. J’espère que cela figurera dans notre rapport, parce qu’il est étonnant de constater ce à quoi les petits organismes de bienfaisance doivent se soumettre.
J’étais heureuse d’entendre votre témoignage, monsieur Scott, et vous comptez peut-être parmi les quelques témoins que nous avons reçus qui ont affirmé qu’ils sont satisfaits de l’ARC. Je suis heureuse d’entendre dire que certaines choses fonctionnent bien. J’ai une question pour chacun de vous. Je vais commencer par M. Scott.
Vous avez mentionné le poste de coordonnateur communautaire; il y a un coordonnateur communautaire du gouvernement qui facilite l’accès aux renseignements relatifs aux subventions. À quel ministère est-il attaché? Je me demande s’il s’agit d’une pratique exemplaire et si nous devrions la recommander pour qu’il y en ait dans chaque ministère, ou chaque région du pays, c’est-à-dire qu’il devrait y avoir un petit groupe de coordonnateurs communautaires qui collaborent avec les organismes de bienfaisance et les organismes à but non lucratif. J’aimerais que vous nous donniez plus de détails à ce sujet.
M. Scott : Bien sûr. Je ne connais pas tous les détails, mais je sais que cela fait l’objet de discussions depuis un bon moment, et que cela concerne deux ministères. Il s’agit de RCAANC, anciennement AANC, et de Santé Canada. Ce n’est pas du personnel relevant directement de ces ministères. Il s’agit de personnel contractuel. Une personne est attachée au gouvernement des Territoires du Nord-Ouest, une au ministère des Ressources naturelles et l’autre, à la Northwest Territories Association of Communities.
Il s’agit essentiellement d’un poste contractuel, et ces personnes ont comme mandat non pas vraiment d’aider les responsables des ONG, mais plutôt de venir en aide aux collectivités des Premières Nations, qui sont nombreuses dans le Nord. Nous avons remarqué ces dernières années que les sources de financement sont très nombreuses. C’est un peu déroutant, en particulier si vous ne disposez pas des capacités pour vous occuper de ce genre de choses. Le seul fait de cerner le type de financement dont vous avez besoin, de savoir comment le trouver et d’obtenir les documents qui s’y rattachent ainsi que de connaître la marche à suivre constitue un réel défi. Ces coordonnateurs communautaires ont été très utiles aux Premières Nations et certaines des ONG qui collaborent avec eux, y compris notre organisme.
La sénatrice Omidvar : C’est une idée intéressante. Madame Warren, des fonctionnaires de différents ministères ont témoigné devant ce comité, en particulier, en réponse à nos questions concernant l’amélioration des relations entre le gouvernement et les demandeurs d’une subvention. Ils nous ont parlé des modifications qu’ils ont apportées et du fait que le financement à long terme, le financement sur trois ans et le financement pluriannuel est maintenant beaucoup plus utilisé qu’auparavant. Avez-vous constaté des changements et avez-vous bénéficié de ces nouvelles directives opérationnelles et nouveaux processus?
Mme Warren : Eh bien, je fais partie de notre organisation depuis 23 ans, et je peux dire qu’il y a eu des changements au fil du temps. Quand j’ai commencé, en ce qui concerne le VIH-sida, nous avions des stratégies quinquennales. Je crois que nous en avons eu deux. Ensuite, cela a commencé à être plutôt d’une durée d’un an, peut-être deux, et parfois il y avait une modification à la hausse. Encore une fois, cela était très laborieux.
Je dois dire que, récemment, notre dernier contrat conclu avec l’Agence de la santé publique du Canada est d’une durée de cinq ans. Vu le fardeau qu’occasionne la préparation de propositions, nous étions vraiment soulagés de ne pas avoir à recommencer chaque année. Nous mettons six mois à rédiger des documents et à remplir des formalités administratives, et nous essayons ensuite de réaliser 12 mois d’activités en six mois. En effet, il y a eu des modifications, et une période plus longue est ce qui fonctionne le mieux pour nous. Il existe aussi un fonds pour la réduction des méfaits, et le financement qui s’y rattache est offert sur une période de deux ans. Encore une fois, cela est bien mieux que d’offrir une période d’un an.
La sénatrice Omidvar : Avez-vous constaté, comme je l’ai fait quand je travaillais dans ce domaine, la générosité du gouvernement du Canada le 1er mars de tous les exercices financiers parce que les fonctionnaires doivent écouler les crédits avant le 30 mars, de sorte que vous devez alors effectuer l’équivalent d’une année de travail en un mois? Avez-vous vécu cela?
Mme Warren : Bien sûr. Nous disons toujours qu’il faut se dépêcher à dépenser. Nous approchons la fin de l’exercice, et nous n’avons pas utilisé tout l’argent. Nous ferions un report, mais cela entraîne une quantité d’autres formalités administratives qui rebutent même les fonctionnaires. Ce n’est pas une bonne utilisation des fonds.
Comme contribuable, je n’aime pas devoir dépenser cet argent. Je suis en plein dans ce processus actuellement pour trois projets, c’est-à-dire que j’essaie de me dépêcher à dépenser l’argent octroyé. C’est pourquoi je recommande, du moins pour ce qui est des projets d’une durée de deux ans, de nous permettre d’effectuer des reports. Cela nous permettra de bien mieux utiliser cet argent. Il y a une limite à la quantité de papier que pouvons acheter, vous comprenez?
La sénatrice Omidvar : Merci.
Le président : Je rappelle toujours aux personnes qui critiquent l’utilisation du papier que je suis originaire d’une province où on fabrique du papier et que je suis d’avis que l’utilisation du papier est une bonne chose.
La sénatrice Martin : Je vous remercie tous les deux de vos exposés.
Monsieur Scott, vous avez mentionné à la fin du vôtre qu’il serait idéal d’avoir des formulaires types simplifiés. Pourriez-vous nous décrire un tel formulaire? Je présume que cela fait référence à certaines obligations d’établissement de rapports et au fardeau qui vous incombe lié aux formalités administratives, donc je comprends le fait de demander des formulaires types simplifiés. Pourriez-vous décrire ce qui aiderait à réduire le fardeau lié aux formalités administratives et au processus d’établissement de rapports pour votre organisme?
M. Scott : Oui. Il peut y avoir des différences entre les projets. Ce peut être compliqué, selon la taille du projet. Je dirai qu’il existe des exemples de ce type de gabarit pour ce qui est de la rédaction de propositions. Il est un peu plus facile de remplir un de ces modèles que de devoir rédiger une proposition sans avoir de structure imposée.
Parmi les choses que je crois qu’il serait très utile de mettre en place, il y a l’utilisation de gabarits pour les budgets et le fait d’harmoniser les postes budgétaires pour tous les ministères. Prenons par exemple les dépenses d’impression et d’équipement lié à un projet. Chaque ministère semble avoir des postes budgétaires complètement différents, ce qui nous complique vraiment la tâche quand nous voulons faire figurer ces dépenses dans notre propre budget, parce que nous avons déjà des postes budgétaires établis.
Il serait utile d’avoir des formulaires types remplissables en ligne. Nous avons vu de très mauvais exemples de ce type de formulaires qui comportaient beaucoup de problèmes de fonctionnement et dans lesquels des sommes étaient erronées. Il serait utile que les formulaires remplissables soient tous créés à partir d’une feuille de calcul Excel, ou d’un logiciel du genre, afin que les sommes se fassent automatiquement. Il s’agit de choses simples qui ne nécessitent pas l’intervention d’un génie et qui pourraient vraiment aider les intervenants du domaine, en particulier si tous les ministères utilisaient un format commun.
La sénatrice Martin : Si je peux me permettre une observation à l’intention du président et de nos analystes: il semble qu’un grand nombre de responsables de ces organisations présentent des demandes dans le cadre de programmes de financement offerts par différents ministères. J’aimerais connaître le degré d’incohérence ou de différence qui existe et savoir s’il serait possible d’harmoniser les choses. Je ne sais pas qui examine cela ni qui détient des renseignements à cet égard. Je présume que vous avez beaucoup d’exemples de différents formulaires que vous avez dû remplir. Madame Warren, vous souriez. En vous fondant sur votre expérience, avez-vous des commentaires à formuler à ce sujet?
Mme Warren : Pour faire suite aux commentaires de M. Scott concernant le fait d’avoir un formulaire uniforme, je dois vous dire que, parfois, remplir des formulaires tient véritablement du cauchemar. On essaie d’écrire quelque chose ou de saisir des renseignements, et la mise en forme déraille. Quand vous tapez sur la touche de retour, le curseur peut se retrouver au bas de la page ou au début d’une autre page. Assurément, ce serait très bien s’il pouvait y avoir une certaine uniformité. Je reconnais que l’appareil gouvernemental est imposant et que cela ne serait pas une mince tâche, je présume, mais je crois qu’il ne serait pas impossible de trouver des points communs.
Si l’on prend par exemple une proposition, on peut se demander si des renseignements qui nous sont demandés sont vraiment nécessaires. Nous vous demandons du financement. D’après moi, après l’approbation d’un projet, il pourrait y avoir d’autres éléments à transmettre, mais vous nous demandez de préparer une proposition de 100 pages et d’espérer recevoir une réponse positive. Il est certain que l’utilisation de formulaires types et un effort d’uniformisation allégeraient beaucoup notre tâche.
Le président : Sénatrice Martin, votre demande est utopique. Toutefois, cela vaut la peine de demander et d’y réfléchir.
La sénatrice Duncan : Merci. Je remercie les témoins. Je vais poursuivre à la suite de la question de la sénatrice Martin. De ce que j’ai compris, il est nécessaire de mettre en place un formulaire type commun et une approche commune. Voici ma question : Avez-vous des préoccupations concernant un formulaire type commun, mis à part celle touchant le formatage que j’admets volontiers?
Je pose cette question puisque vous avez peut-être tous les deux une expérience à cet égard. J’entends toujours dire de la part d’intervenants du Nord — et c’est l’argument qui est bien souvent avancé — qu’une solution unique ne fonctionne pas pour tous et qu’il doit exister la possibilité de faire valoir des points concernant la région spécifique et les raisons pour lesquelles un projet devrait être financé par rapport à, disons, un projet proposé dans le Sud du Canada. Je présume que des intervenants de l’Est du Canada ont un point de vue semblable quant au fait de faire valoir que leur projet est spécial et différent.
Ma crainte, c’est qu’un formulaire type commun ne permettrait pas de faire ressortir ces points. C’est ma perception. Je me demande si vous avez des préoccupations concernant un formulaire type commun.
Mme Warren : Je vais répondre. Comme Canadiens, nous sommes tous uniques et particuliers, mais nous avons des choses en commun. Il doit y avoir une certaine structure. De fait, il s’agit de fonds publics que nous demandons. Je crois qu’il doit y avoir au moins certaines parties essentielles communes dans les demandes. Votre organisme est-il admissible? S’agit-il d’un organisme de bienfaisance enregistré? Quel est le plan de travail? Quelle est l’évaluation? Quels sont les résultats prévus? Je suis d’avis qu’il doit y avoir des parties communes pour ce qui est de ces questions.
Par exemple, en ce qui concerne les différences que vous avez évoquées, quand nos demandes ont été évaluées dans le passé, on a tenu compte du fardeau que représente la maladie. Dans le Canada Atlantique, comme les chiffres sont petits — et ils sont plus petits au Nouveau-Brunswick —, c’est-à-dire, par exemple, 100 personnes infectées par rapport à des milliers dans des provinces plus importantes, nous n’obtenons pas le financement qui est octroyé dans des endroits plus populeux, en raison de l’évaluation du fardeau que représente la maladie.
Voici la question que nous posons : 100 personnes infectées par le VIH ou l’hépatite C sont-elles aussi importantes que 1 000 personnes atteintes des mêmes infections? Je comprends dans quelles circonstances ces chiffres entrent en jeu, mais, dans un monde parfait, tout le monde reçoit l’aide dont il a besoin. Malheureusement, nos ressources sont limitées, et notre gouvernement ne peut satisfaire tous les besoins. Toutefois, il est possible de trouver des points communs.
La sénatrice LaBoucane-Benson : Merci beaucoup de vos exposés. Madame Warren, je suis d’avis que vous avez très bien décrit dans votre témoignage, et dans votre mémoire, tout ce qu’impliquent ces volumineuses propositions. Je crois que vous avez évoqué le risque qu’une organisation prend quand ses responsables décident d’investir tout ce temps et ces efforts, sans savoir s’ils obtiendront le financement. Pouvez-vous nous parler un peu de cela, c’est-à-dire la quantité d’efforts consentis et le risque que les organisations prennent en préparant ces propositions?
Mme Warren : Assurément. Notre organisation est petite, et nous comptons cinq employés. La plupart d’entre nous sont des travailleurs de première ligne. J’ai un titre, cela paraît bien, mais, en somme, je suis celle qui s’occupe de la paperasse. Donc je ne suis pas en mesure de travailler en première ligne avec le reste de mes employés, parce que je rédige des propositions.
Par exemple, un groupe d’organisations comme la nôtre a préparé une demande conjointe, et 7 000 $ représentent une somme importante pour de petites organisations. Nous avons retenu les services d’une personne, suivant le conseil d’un intervenant de l’organisme auprès de qui nous présentions notre demande. Au bout du compte, le plan de travail ne ressemblait en rien à ce qui avait été préparé par un rédacteur professionnel de propositions qui a beaucoup d’expérience dans notre domaine. Nous en sommes à la onzième version du plan de travail. Cela ne ressemble même pas à ce que nous avions au départ, en raison des demandes de modification. Nous avons passé les deux dernières années à essayer d’établir un plan de travail, et c’est du temps que je n’ai pas passé sur le terrain. Nous venons en aide à 832 personnes qui souffrent de problèmes de toxicomanie. À mes yeux, cela est plus important que toute cette paperasse.
Nous connaissons les résultats de notre organisme et nous les présentons.
C’est un fardeau financier, mais sur le plan moral, c’est difficile, parce que c’est très démotivant quand on met autant d’efforts pour essayer de présenter une demande de financement. Quand on jette un coup d’œil à la liste des exigences concernant les rapports financiers, on a presque l’impression qu’on ne nous fait pas confiance pour gérer de l’argent des contribuables. Nous sommes aussi des contribuables. Nous sommes économes. J’ai entendu quelqu’un dire plus tôt aujourd’hui dans un exposé présenté devant ce comité que son organisme a réalisé un projet avec environ 150 $. Je crois qu’il s’agissait d’une activité liée à l’informatique. Nous surveillons les dépenses et nous sommes débrouillards, donc c’est presque une insulte de nous demander de vous transmettre une copie détaillée du grand livre général des dépenses pour chaque dépense encourue. Nous avons le sentiment de ne pas être estimés et de ne pas être dignes de confiance.
Je veux vous parler des résultats quand je transmets un rapport au gouvernement. M. Scott l’a aussi mentionné. Je souhaite que résonnent les succès que nous avons obtenus et les choses que nous avons changées. Vous n’avez pas besoin de savoir que j’ai distribué 151 dépliants. Qu’est-ce que cela change?
La sénatrice LaBoucane-Benson : Merci beaucoup. J’ai travaillé pendant 23 ans dans le secteur des organismes à but non lucratif et j’aurais probablement dit la même chose que vous.
J'ai une dernière question. Parfois, il y a des tensions au sein de très petites organisations à propos des aptitudes à privilégier au moment d’embaucher de nouveaux employés. Si votre organisme fait de la prestation de services, ou s’il œuvre dans le domaine de la justice sociale, de la santé ou dans un domaine du genre, je privilégierais l’embauche d’une personne qui réussit à établir de bonnes relations, qui fait preuve de beaucoup d’empathie, qui comprend la clientèle et qui suscite la mobilisation communautaire. Toutefois, l’obtention de financement repose sur les épaules d’une personne qui a les aptitudes nécessaires pour rédiger des propositions et établir des rapports, et c’est pourquoi il existe cette tension en matière de dotation, soit entre le fait de maintenir votre financement et de mener des activités dans la collectivité. J’aimerais vous entendre à ce sujet, que vous souscriviez ou non à cette affirmation, et savoir si vous avez déjà vécu des expériences semblables.
M. Scott : Nous avons actuellement 12 employés, et notre personnel est diversifié. Je m’appuie sur les stagiaires du programme de Mitacs, et j’ai d’autres membres du personnel qui s’occupent des communications et de différents aspects des projets. Je rédige une bonne partie des propositions. Mon travail consiste à obtenir du financement et à assurer la gestion des projets y qui sont attachés.
En effet, l’embauche de personnel est de toute évidence un défi, de même que celui du maintien en poste du personnel. Il n’est pas très satisfaisant de rédiger des propositions à temps plein. Il y a des personnes qui peuvent faire ce travail, mais elles ne sont pas nombreuses. Il est difficile de trouver quelqu’un qui possède à la fois de bonnes compétences en relations humaines et en rédaction et qui aime accomplir ce genre de tâches. Ce qui est le plus difficile, c’est de traiter avec la bureaucratie et de gérer les échanges liés à l’établissement de rapports et de rapports périodiques ainsi qu’à tous les aspects différents auxquels il faut voir de façon régulière au cours de la durée d’une subvention ou de la présentation d’une proposition.
Nous préparons beaucoup de petites propositions, c’est-à-dire pour des projets de 20 000 $ ou de 15 000 $. Vous savez, il nous arrive de mener en même temps entre huit et dix projets subventionnés par le gouvernement fédéral et d’avoir à gérer tout ce qui s’y rattache. S’occuper des ressources humaines représente aussi un défi, et je crois que nous consacrons environ 30 p. 100 de notre temps au fardeau administratif lié aux contrats, alors que nous pourrions consacrer ce temps aux activités. Le gouvernement aurait pu économiser beaucoup d’argent, sans compter le temps consacré par les fonctionnaires à s’assurer que nous respectons de nombreuses exigences.
La sénatrice LaBoucane-Benson : Dans vos postes budgétaires, quelle partie est consacrée à l’administration? Est-ce 10 p. 100 ou 12 p. 100?
M. Scott : C’est une bonne question. Cela varie selon le ministère. Habituellement, nous visons 10 p. 100, ou 15 p. 100 au maximum. Dans bien des ministères, les responsables savent qu’on ne peut inclure des coûts administratifs, et il n’y a pas d’uniformité. Bien souvent, on nous propose un pourcentage de frais administratifs. S’il n’y a pas de frais administratifs de prévus, il est difficile de tirer le maximum d’un projet tout en s’occupant des ressources humaines et des choses comme les communications et de consacrer du temps à la rédaction de propositions, qui bien souvent ne sont pas financées.
La sénatrice LaBoucane-Benson : Il est très difficile d’assurer le fonctionnement d’une organisation en gardant les coûts administratifs à 10 p. 100, mais c’est habituellement ce qui est demandé.
Le président : Si vous faites fi de cette règle et que vous déclarez les véritables chiffres, cela a une incidence sur les chances de faire approuver la demande. On se demande souvent au moment de rédiger ces propositions si les personnes à l’autre bout, qui seront chargées d’approuver les projets, ont déjà essayé d’accomplir ce genre de réalisations en limitant les frais administratifs à ce pourcentage.
La sénatrice LaBoucane-Benson : Nous avons effectué une analyse à un certain moment et comparé les mêmes services qui seraient offerts par le gouvernement, et les frais administratifs s’élèveraient à 40 p. 100, alors qu’on essaie de nous imposer un plafond de 10 ou de 8 p. 100. Donc toute cette iniquité est parfois déconcertante. Même si je souscris aux propos de Mme Warren, personne ne souhaite gaspiller de l’argent. Nous visons tous le fonctionnement le plus économique possible. Je comprends cela, mais il faut quand même assurer le fonctionnement, et ne pas aller vers la faillite.
Le président : Si l’organisation est petite et que vous ne réussissez pas à obtenir du financement, alors il y a une incidence sur les emplois, parce que vous n’êtes plus en mesure de maintenir des postes et qu’il n’y a pas assez d’argent pour assurer la prestation de programmes. Vous vous retrouvez alors dans une impasse. Parfois, on se demande si les gens à l’autre bout connaissent véritablement l’objectif.
La sénatrice LaBoucane-Benson : Assurément, il y a probablement des contradictions à propos de l’objectif. Merci.
La sénatrice Omidvar : Nous disposons de tellement d’outils technologiques maintenant; il est peut-être utopique de ma part de penser qu’il pourrait y avoir une solution qui découle de la technologie. Vos organismes effectuent de l’excellent travail. Vos responsables devraient pouvoir avoir accès à un site web du gouvernement fédéral et inscrire une seule fois tous les renseignements concernant leur organisme: la description, la vision, la mission, les règlements internes, les lettres patentes et d’autres renseignements essentiels. Une fois inscrit sur ce site web, l’organisme serait lié à une base de données du gouvernement qui contient des offres de financement. Cela ressemblerait à ce qui se passe quand quelqu’un consulte le site d’Amazon et qu’on propose d’autres articles qui pourraient aussi l’intéresser, et qu’on établit des liens; parce que vous achetez un livre, on vous en propose un autre que vous pourriez aimer. Est-ce naïf de ma part? J’aimerais que tout le monde réponde à cette question, mais nous ferons cela plus tard. Je vais la poser à vous deux: La technologie peut-elle nous permettre de sortir de ces situations complexes?
Mme Warren : Quand je remplis ces formulaires de demande, et je fais cela depuis 22 ans, je me demande toujours pourquoi je dois encore confirmer que notre organisme de bienfaisance est enregistré et que son adresse n’a pas changé. Vous avez tout à fait raison. C’est comme si on ne nous connaissait pas. Je comprendrais s’il s’agissait d’un nouvel organisme qui présente une première demande. Toutefois,, quand il s’agit d’un organisme qui reçoit du financement depuis une vingtaine d’années, on a l’impression qu’on ne nous connaît pas. Votre proposition peut sembler utopique, mais j’y souscris, et je ne crois pas que ce soit irréaliste. Je crois qu’il s’agit simplement d’une solution qui tient du gros bon sens.
Le président : Il s’agit peut-être des mêmes personnes qui ont mis en place le système de paie Phénix.
Je vous remercie tous les deux. Vos commentaires ont été très éclairants. Vous nous avez rappelé des problèmes que nous oublions parfois. Il n’est pas facile de remplir ces formulaires. Il est plus difficile encore d’attendre l’approbation d’une demande. De plus, apprendre qu’il faut refaire tout le processus est royalement embêtant, comme la plupart d’entre nous le savent.
Je vous remercie beaucoup de vos témoignages présentés ce soir.
Notre prochain groupe de témoins est composé de M. David Lau, directeur général, The Victoria Immigrant and Refugee Centre Society; de M. Ryan Fukunaga, directeur général, Free Geek Toronto; et de Mme Latha Sukumar, directrice générale, MCIS Language Solutions. Je vous remercie tous de votre présence. Nous sommes reconnaissants que vous soyez ici à cette heure. Nous allons commencer par M. Lau.
David Lau, directeur général, The Victoria Immigrant and Refugee Centre Society : Je vous remercie sincèrement de m’avoir demandé de prendre la parole concernant ce sujet important.
Je suis le directeur général d’un organisme d’établissement pour nouveaux arrivants qui, à l’aide de 30 employés et d’un budget inférieur à 2 millions de dollars, fournit de l’aide à environ 3 000 personnes par année.
Notre organisme a été fondé en 1989 par trois réfugiés qui ont ressenti le besoin de créer de meilleurs services pour aider les gens à surmonter les obstacles auxquels ils font face. Nos trois fondateurs s’étaient butés à des services qui étaient normatifs, ne répondaient pas à leurs besoins et ne tenaient pas compte de leurs espoirs ou aspirations. C’est ce qui les a motivés à offrir des services créatifs qui répondaient aux besoins réels des clients et qui constituent l’ADN de la Victoria Immigrant and Refugee Centre Society. Comme notre mandat exige que nous soyons continuellement à la recherche de façons d’améliorer nos services, nous tendons à trouver des lacunes et des approches qui permettent de régler les problèmes intersectionnels dans la vie de nos clients.
J’ai souvent l’impression d’être un marchand de fruits et légumes pour un chef qui ne cuisine que des patates, et la plupart de mes concurrents s’appellent Patates en gros. Les organismes de services sociaux ne sont pas tous programmés pour innover. Même si les ministères tiennent des consultations et mènent des recherches dans le but de trouver les lacunes au chapitre des services, ils envisagent rarement l’adoption de méthodes novatrices. Par conséquent, les contrats fédéraux font parfois l’objet d’appels de propositions normatifs et donnent lieu au déroulement de processus dans le cadre desquels on évalue la conformité en fonction de résultats précis. C’est légèrement désavantageux pour les organismes comme le mien.
En ce qui concerne la fonction publique et le statu quo, essentiellement, l’innovation doit disposer de ses propres processus. Comme j’ai passé presque une décennie dans un bureau fédéral régional, je connais bien le cheminement de carrière au gouvernement fédéral. Dans bien des cas, comme les membres du personnel sont promus à l’interne, ils dépendent des compétences qu’ils ont acquises en jouant leurs rôles précédents pour exécuter leurs nouvelles tâches. Si ce sont des personnes dont l’expérience multisectorielle n’est pas assez vaste qui gèrent les subventions novatrices ou les processus d’AP, elles n’auront peut-être pas le point de vue nécessaire pour voir les avantages liés à l’innovation. Les fonctionnaires à l’échelon intermédiaire pourraient aspirer à l’innovation, mais ne pas être disposés à risquer des fonds publics ou à mettre en péril l’avenir de leur carrière pour des services novateurs, mais non éprouvés. Les employés qui sont chargés d’étudier l’élaboration de processus novateurs doivent être des personnes qui ont des réseaux à l’extérieur de la fonction publique fédérale. Leur cheminement de carrière devrait témoigner d’une expérience vaste et diversifiée dans de nombreux secteurs et un penchant pour l’adaptabilité et la création de partenariats à l’extérieur de la fonction publique. Il est essentiel que les membres du personnel participant à des processus fondés sur l’innovation se voient comme des agents de changement au sein de la communauté. L’évaluation du risque financier et la gestion des risques doivent être prises en considération dans le cadre de l’étude des programmes d’innovation, mais il doit s’agir d’une priorité de deuxième ordre. Il devrait incomber au gouvernement de s’assurer que ses partenaires sans but lucratif ne se retrouvent pas dans des situations de crise financière à cause de programmes d’innovation.
Très récemment, David Manicom, sous-ministre adjoint d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, a présenté des plans pour l’étude de propositions intersectionnelles et novatrices, et nous avons hâte qu’ils se concrétisent. Cela fait un certain temps qu’aucune étude n’est effectuée dans ce domaine. Les organismes du secteur caritatif sans but lucratif ne sont pas des sous-traitants conventionnels. Nous sommes la voix du peuple dans les régions où nous menons nos activités. Nous fonctionnons de façon démocratique, et les meilleurs d’entre nous relèvent d’organisations civiles.
Plus nous interagissons étroitement avec les employés de la fonction publique dans le cadre de la détermination de l’innovation, meilleur sera notre rendement, car ces discussions nous libèrent de l’obligation de faire rentrer l’innovation dans une toute petite boîte. Pour revenir à la métaphore du marchand de fruits et légumes, nous n’avons pas besoin de déguiser un ananas en patate.
L’innovation a lieu lorsque des fonctionnaires qui jouissent d’une certaine autonomie établissent des partenariats et des réseaux avec des organisations novatrices. D’après notre expérience, lorsqu’un fonctionnaire nous aborde pour nous demander précisément de suggérer des solutions novatrices et qu’il participe activement au processus d’élaboration, c’est là que nous faisons notre meilleur travail.
Récemment, un employé de Patrimoine canadien relevant de la directrice régionale Erica Tao et du directeur régional Derick McNeil nous a demandé de présenter des séances d’information afin de leur fournir des conseils pour la réduction du racisme. Nos brillants employés ont fait certaines propositions qui sont vraiment très inspirantes et qui étaient axées sur des solutions non conventionnelles et intersectionnelles.
L’innovation est souvent intersectionnelle, ce qui signifie qu’il faut créer des solutions aux côtés de partenaires œuvrant dans d’autres domaines de service. Comme il fonctionne au moyen de ministères et d’organismes, le gouvernement est cloisonné, d’une certaine manière. Les relations fédérales-provinciales subdivisent encore davantage la compétence liée aux problèmes humains, et les problèmes et les possibilités ne sont pas cloisonnés. Un grand nombre sont intrinsèquement reliés et de nature intersectorielle.
Mon personnel a récemment proposé un projet de travail autonome qui rassemble des Autochtones locaux handicapés et de nouveaux arrivants handicapés afin qu’ils étudient des possibilités de travail indépendant. Il est difficile de trouver un ministère qui a pour mandat d’appuyer ce genre d’initiative. Cela ne relève pas du secteur de l’emploi. Cette initiative fonctionne dans le cadre d’une collaboration entre de nouveaux arrivants et des Autochtones, et la situation ne pourrait pas devenir plus intersectionnelle.
Nos modèles de service sont fondés sur les besoins communs et les expériences communes de discrimination dans un contexte de réconciliation, où les nouveaux arrivants et les Autochtones, deux groupes qui subissent de la discrimination interne, peuvent s’entraider et trouver des solutions adaptées à chacun des obstacles auxquels ils font face. Nous croyons que c’est ainsi que des organismes d’établissement responsables devraient élaborer des programmes afin de créer un meilleur Canada, où les Autochtones et les nouveaux arrivants règlent leurs problèmes ensemble.
Tout récemment, des organismes travaillant en collaboration avec les Family Services of Greater Victoria ont établi un partenariat dans le but de créer le Victoria Social Innovation Centre. Nous avons récemment été choisis par la Colombie-Britannique pour l’ouverture du premier établissement au Canada à offrir des services de garde d’enfants tenant compte des traumatismes. Ce service de garde unique nous permettra d’aider une grande diversité d’enfants qui proviennent d’une grande diversité de milieux et qui ont un problème commun. Le service intersectionnel a été élaboré parce que nous nous sommes rendu compte que nos spécialisations étaient semblables et consistaient à aider des enfants ayant subi un traumatisme grave; ils proviennent simplement de groupes de clientèle différents.
Au chapitre de la survie, la majeure partie de notre secteur éprouve des difficultés financières, comme nous en avons entendu parler aujourd’hui. Le coût des loyers et des services publics n’est pas le facteur financier qui est pris en compte au quotidien par de nombreux fonctionnaires, mais, pour le secteur sans but lucratif, il pose de graves problèmes. Lorsqu’un gestionnaire fonctionnel du gouvernement réduit nos coûts indirects, nous fermons nos portes. Les budgets publics sont limités, mais nous ne pouvons pas être des partenaires novateurs si nos partenaires ne tiennent pas compte de ce qui arrive lorsque nos lumières s’éteignent.
Il y a deux ans, mon organisme, situé dans une région du pays où le prix des loyers est élevé, a été forcé de trouver un emplacement abordable. En réaction, j’ai établi des partenariats avec des organismes aux vues similaires pour créer le Victoria Social Innovation Centre, dans le but de stabiliser les coûts liés à la location grâce à l’achat coopératif d’un immeuble. Le Social Innovation Centre est une société fondée dans le but de permettre à ses membres de réaliser des gains en efficience sur le plan de l’administration ainsi que d’encourager la collaboration intersectionnelle à des fins d’innovation en matière de services.
Quand j’ai abordé un de nos gestionnaires de marchés de la fonction publique pour voir s’il pouvait nous appuyer, nous n’avons rien reçu pour nous aider et nous stabiliser. Ce que j’ai reçu, c’est un avertissement au sujet de la possibilité que notre financement soit retiré si l’établissement n’était pas conforme aux normes.
Alors, je me suis adressé à l’organisme United Way of Greater Victoria, qui avait pour mandat d’appuyer les services sociaux locaux. Il nous a accordé une subvention de 10 000 $ pour l’étude du modèle, et c’est ce que nous avons fait. Ensuite, je me suis adressé à VanCity Credit Union, qui a compris que la stabilisation de plusieurs organismes au moyen d’une hypothèque était une bonne mesure pour le secteur communautaire. Cette coopérative de crédit a financé entièrement l’achat d’un immeuble de 2,7 millions de dollars, puis nous a versé environ 170 000 $ sous forme de subvention afin que nous puissions le rénover.
Cette nouvelle organisation créera des innovations en services sociaux dans un environnement financièrement stable. Nous avons déjà intégré deux petits organismes qui paient un loyer modique et utilisent nos réseaux et nos installations et qui en feront venir d’autres en tant que partenaires à long terme. Il est dans notre intérêt mutuel de soutenir nos partenaires permanents.
Puisque le gouvernement fédéral s’engage de nouveau à l’égard du logement abordable à l’échelle nationale, il vaudrait peut-être la peine que vous envisagiez d’appuyer nos secteurs en nous trouvant des emplacements permanents à exploiter. Du point de vue de la rentabilisation, lorsqu’une part des fonds prévus dans un contrat ne sert qu’à payer les coûts de notre propriétaire, c’est de l’argent gaspillé qui pourrait retourner dans les services, si nous menions nos activités dans des immeubles appartenant au gouvernement fédéral ou que nous possédions nos propres immeubles, grâce à des subventions d’immobilisations.
Je vais maintenant parler des conseils fédéraux. Pour aller au-delà du cloisonnement et aborder l’étude de solutions intersectionnelles, le gouvernement fédéral possède une structure idéale : les conseils fédéraux. Je vous affirme que ces conseils sont dirigés par un cadre qui a une vision et qui est bien placé pour diriger l’étude de l’innovation en partenariat avec le secteur caritatif sans but lucratif.
Les personnes affectées à des projets du Conseil fédéral du Pacifique tendent à être des fonctionnaires ayant une vision et une attitude assez dynamique pour ce qui est d’apporter des changements. Encore une fois, les candidats souhaitant participer aux projets d’innovation devraient posséder des aptitudes et des capacités correspondant à une mentalité de changement et être capables d’établir des partenariats multisectoriels.
Merci beaucoup de m’avoir permis de passer la journée ici. J’ai eu du plaisir à écouter vos discussions. Je vous suis reconnaissant de mener une étude à ce sujet et de m’avoir accordé du temps pour présenter une idée.
Le président : Je vous remercie de votre exposé. Nous allons maintenant entendre la déclaration de Ryan Fukunaga, directeur général, Free Geek Toronto.
Ryan Fukunaga, directeur général, Free Geek Toronto : Je m’appelle Ryan Fukunaga, directeur général de Free Geek Toronto. Je voudrais vous remercier de me donner la possibilité de présenter ce soir au comité spécial un exposé sur le sujet de l’innovation. Il s’agit d’un sujet important pour nous, à Free Geek.
Free Geek Toronto est un organisme sans but lucratif constitué à l’échelon fédéral qui est exploité comme une entreprise sociale d’emploi, à Toronto. La création de l’organisme reposait sur l’idée novatrice d’utiliser des ordinateurs jetés et d’autres déchets électroniques pour contribuer à connecter davantage de gens à la technologie. Cela signifie que nous misons sur l’innovation sociale existante du recyclage éthique, ce qui nous permet principalement de protéger l’environnement, mais nous allons plus loin en offrant des solutions de grande envergure qui tiennent compte des défis environnementaux, sociaux, économiques et culturels auxquels fait face notre pays en ce qui a trait à l’inclusion numérique.
Même si notre incidence est répandue et croissante, notre capacité d’innovation est freinée par la réalité de l’écosystème des politiques et des programmes législatifs et réglementaires, aux échelons provincial et fédéral, qui n’ont pas été créés pour appuyer de façon efficiente notre modèle d’incidences sociales. Le résultat, c’est que la plus grande partie de nos efforts d’innovation visent à trouver des moyens de garder les lumières allumées et de continuer à payer notre personnel, plutôt qu’à découvrir des possibilités d’étendre notre portée et d’approfondir notre incidence.
On compte plusieurs organismes Free Geek en Amérique du Nord, dont deux au Canada, soit le nôtre et un autre à Vancouver. Chaque organisme est unique et est adapté au contexte local. Notre modèle comprend un comptoir de services et un entrepôt situés au centre-ville de Toronto. Nous recherchons des dons de déchets électroniques auprès de personnes et d’organisations, des ordinateurs remis à neuf, que nous revendons ensuite, de même que d’autres technologies raisonnables, à un prix accessible.
Nous croyons au droit de réparer et à la valeur de l’économie circulaire. En collaboration avec nos partenaires du secteur social, nous favorisons également l’inclusion numérique en offrant des possibilités d’emploi et de renforcement des compétences aux membres de la collectivité qui font face à des obstacles à la participation sociale et économique. La majorité des participants à notre programme d’emploi touchent de l’aide sociale et, même si la plupart font face à de multiples obstacles, l’expérience de problèmes de santé mentale est un dénominateur commun.
Nous offrons également des ateliers de littératie numérique et un carrefour communautaire et faisons la promotion des logiciels gratuits et ouverts. Si quelque chose contribue à accroître l’équité dans l’ensemble du domaine de la technologie, nous le faisons.
Durant les 10 années de notre courte existence, nous sommes passés d’une organisation entièrement dirigée par des bénévoles dans un bureau reclus offrant des services à un petit nombre de personnes à un organisme sans but lucratif constitué à l’échelon fédéral exploitant une entreprise sociale et générant près de 100 000 $ de revenus.
Nous avons un grand nombre de réalisations récentes, mais celle dont nous sommes le plus fiers, c’est de pouvoir faire partie du secteur croissant de l’innovation à Toronto, plus précisément en ce qui a trait à l’investissement social et à la mobilisation sociale. Toutefois, nous avons constaté que notre capacité d’innovation est limitée par les problèmes de durabilité auxquels nous faisons face en tant qu’entreprise sociale d’emploi.
On dit que « la nécessité est la mère de toutes les inventions », mais, quand la situation de la nécessité à laquelle on fait face est liée à un flux de trésorerie négatif, nos innovations sont souvent petites et réactives au lieu d’être grandes et audacieuses.
Pour Free Geek Toronto, le terme « durabilité » désigne le fait de disposer de suffisamment de ressources grâce à un mélange de revenus autogénérés et de soutien de la part de bailleurs de fonds extérieurs pour maintenir nos activités et étendre et approfondir notre incidence sociale, y compris appuyer efficacement les participants à notre programme d’emploi.
Free Geek Toronto a réussi à accroître constamment les revenus qu’il génère par lui-même, en particulier son revenu de ventes ne provenant pas de subventions au cours des dernières années. Cette croissance a eu une incidence positive sur notre durabilité. Toutefois, dans le passé, nous avons eu de la difficulté à obtenir des revenus de subventions non désignées, c’est-à-dire des revenus de subventions qui appuient les coûts de base que nous assumons comme entreprise d’emploi et entreprise sociale responsable de programmes de participation à l’emploi à l’extérieur de son principal bailleur de fonds, le Toronto Enterprise Fund, dirigé par l’organisme United Way of Greater Toronto, lequel nous offre un soutien solide depuis plusieurs années.
Nous avons connu des succès importants au cours des dernières années pour ce qui est de générer des revenus de subventions. Toutefois, nous sommes limités du point de vue des fonds que nous pouvons demander en raison de notre statut d’organisme sans but lucratif, car un certain nombre de possibilités de financement sont réservées aux organisations ayant un statut caritatif.
Nous pouvons accepter les dons en espèces et les commandites d’entreprises privées. Toutefois, nous ne pouvons pas offrir de reçus d’impôt pour activités de bienfaisance, ce qui limite notre capacité de recueillir officiellement des fonds, tout comme le manque de ressources en personnel pour mener de telles campagnes.
Le résultat est que nous luttons constamment pour aller au-delà de la simple subsistance, situation où les membres de notre personnel permanent de base doivent faire des choix inacceptables, comme retarder des chèques de paye ou réduire les heures de travail dans le but d’occuper un emploi à l’extérieur afin qu’on puisse garder nos portes ouvertes.
Le fait de devenir un organisme caritatif permet d’obtenir de nouvelles sources de revenus, mais ces sources de revenus requièrent des investissements pour l’obtention et la conservation du statut caritatif, puis pour l’embauche de personnel qui possède de l’expertise en matière de collecte de fonds et qui — il faut l’espérer — pourra nous aider à obtenir un rendement sur le capital investi.
Pour un petit organisme sans but lucratif comme Free Geek Toronto, l’innovation est directement liée à la durabilité. Voilà pourquoi nous sommes favorables à un grand nombre des recommandations qu’a adressées Imagine Canada au comité l’automne dernier et pourquoi nous sommes là pour vous parler de notre incidence et des obstacles auxquels nous faisons face.
Nous avons besoin que le gouvernement fédéral fasse preuve de leadership relativement à l’examen et au renouvellement de l’écosystème législatif, réglementaire, stratégique et relatif aux programmes afin de mieux appuyer la place unique que nous occupons comme entreprise d’emploi et entreprise sociale et notre capacité d’avoir une incidence et d’innover. Merci.
Le président : Merci beaucoup.
Latha Sukumar, directrice générale, MCIS Language Solutions : Merci beaucoup de cette occasion.
Je me présente non seulement en tant que directrice générale de MCIS, une entreprise sociale sans but lucratif de Toronto, mais aussi comme représentante venue exprimer l’opinion collective d’un certain nombre d’organisations distinctes que nous servons et avec lesquelles nous entretenons des liens. Notre point de vue est unique parce que nous servons une population multilingue, donc des communautés qui veulent accéder à des renseignements et à des services cruciaux.
Qu’est-ce que MCIS? Je vais vous présenter notre propre expérience sur le terrain quant au fait d’assurer la croissance d’une entreprise sociale.
MCIS est un organisme sans but lucratif, comme je l’ai dit. Nous sommes situés à Toronto. Nous comptons 70 employés et 6 000 inteprètes et traducteurs partout au Canada. Nous servons plus de 800 organisations dans l’ensemble du secteur public et fournissons des services linguistiques, d’interprétation et de traduction, ainsi que des programmes de formation, et ainsi de suite, dans plus de 300 langues et dialectes. Nous représentons la diversité du pays.
Ce qui nous rend uniques, c’est notre revenu global et nos projections de revenu de 12 millions de dollars pour l’exercice 2019-2020, dont moins de 10 p. 100 proviennent de subventions. Tous les revenus que nous avons générés jusqu’à présent ont été gagnés.
Nous en sommes arrivés là avec beaucoup de difficulté. Nous avons fait face à un certain nombre de défis. Nous voulons vous faire part d’une partie de cette expérience.
Parlant d’expérience, je veux me concentrer sur trois sujets clés qui sont liés à l’innovation dans le secteur sans but lucratif. Premièrement, je veux aborder les conditions qui sont nécessaires pour favoriser l’innovation, la recherche et le développement. Deuxièmement, je voudrais vous parler un peu de la réglementation de l’ARC qui fait obstacle à l’innovation dans le secteur sans but lucratif. Troisièmement, je voudrais aborder le rôle des organismes sans but lucratif et l’innovation dans les politiques publiques.
Pour ce qui est de la définition, il importe que nous définissions l’innovation sociale comme quelque chose qui provoque non seulement un changement perturbateur, mais aussi un changement graduel. Dans notre cas, par exemple, en 2006, nous étions pleinement financés, et nous voulions sortir de ce cycle de financement. Le conseil a dit : « Allez commencer à gagner des revenus. »
Notre problème tenait au fait que nous n’avions pas la capacité d’aller chercher des revenus. Comment peut-on renforcer ses capacités quand on ne gagne pas de revenu? C’est là que nous avons dû trouver un certain nombre de solutions expéditives. L’une d’entre elles a été le travail en partenariat avec la Rotman School of Business et l’embauche de stagiaires faisant leur maîtrise en administration des affaires pour les amener à nous aider à concevoir nos activités. Nous sommes allés à la recherche de financement pour nos projets, et ainsi de suite.
La voie que nous avons empruntée a été longue et douloureuse. Il nous a fallu 10 ans pour arriver à un stade d’autosuffisance. Même à ce stade, quand nous voulons innover, nous faisons face à des obstacles.
Ce dont je veux parler, c’est le fait que la situation n’est pas très différente de celle de la plupart des organisations, selon ce que nous avons entendu dire. Nous constatons que la plupart d’entre elles veulent innover, mais qu’elles ne savent pas comment prendre de l’ampleur, se diversifier ou arrêter de dépendre du financement gouvernemental.
D’après notre propre expérience et les consultations que nous avons tenues, nous affirmons que nous avons besoin d’un rôle consacré à l’innovation au sein des organisations. Il faut que les organismes sans but lucratif aient l’argent nécessaire pour innover. Nous voudrions que ce rôle d’innovation façonne la culture organisationnelle, instaure la réflexion axée sur la conception et les systèmes, favorise la littératie technologique, et ainsi de suite. Nous avons formulé un certain nombre de recommandations à cet égard.
L’autre condition qui, nous le croyons, est nécessaire à l’innovation, c’est le fait de suivre une nouvelle stratégie en matière d’innovation sociale. En ce moment, on présente des demandes de financement, et la plupart des organismes de financement gouvernementaux accordent des fonds aux organisations d’une manière très cloisonnée. Les organisations sont souvent en concurrence, et il y a beaucoup de chevauchements d’efforts et de dépenses inutiles.
Nous croyons que, s’il existait une plateforme numérique, où nous pourrions recenser tous les programmes qui sont financés au sein du secteur sans but lucratif, nous pourrions cerner les chevauchements ainsi que les lacunes au chapitre des services.
Ce nouveau modèle signifiera qu’un certain nombre d’intervenants différents — les bailleurs de fonds, le secteur privé, le secteur public, les universités et les membres de la collectivité — se réuniront pour régler collectivement leurs problèmes. Ils le feront tout en apprenant, alors des solutions aux problèmes seront mises à l’essai au fur et à mesure.
La prochaine question que je veux aborder, c’est la réglementation de l’ARC. Il y a quatre ans, nous avons atteint un stade d’autosuffisance. À ce moment-là, nous avons commencé à dégager un excédent. Mon conseil d’administration était vraiment préoccupé, car nous cumulions à présent un revenu, et nous avions besoin de l’excédent pour investir dans nos projets technologiques, et ainsi de suite, mais nous n’étions pas du tout certains de savoir comment l’ARC envisageait toute cette question. Nous avons obtenu un avis juridique, puis nous avons dû créer un cadre au moyen duquel nous avons justifié tous nos investissements et les avons reliés à notre vision et à notre mission.
Ce que nous recommandons, c’est que la Loi de l’impôt sur le revenu ne soit pas fondée sur un point de vue homogénéisé à l’égard des organismes sans but lucratif — comme c’est le cas actuellement —, mais qu’elle soit plutôt bien plus précise pour ce qui est de tenir compte de l’éventail d’organismes sans but lucratif qui existe dans le secteur, concernant ce qui est permis et ce qui ne l’est pas pour qu’un organisme soit considéré comme étant sans but lucratif.
Enfin, je veux seulement mentionner que les organismes sans but lucratif devraient avoir un rôle à jouer dans l’innovation en matière de politique publique. Après tout, nous entretenons des rapports étroits avec nos collectivités.
Le mois dernier, nous avons organisé ce qu’on appelait un marathon de programmation relatif aux politiques linguistiques. Nous avons dialogué avec des membres de la collectivité qui font face à des obstacles linguistiques, et nous avons trouvé l’expérience extrêmement gratifiante. Nous constatons que, si on inclut les gens, on finit par obtenir une diversité, laquelle mène à une plus grande innovation. Nous voulons que tous les ordres de gouvernement créent délibérément des occasions pour que les organismes sans but lucratif puissent gérer et diriger les politiques publiques.
En conclusion, le meilleur moyen de soutenir l’innovation dans le secteur sans but lucratif est de s’y consacrer dans un sens très vaste, de retirer les obstacles financiers et de prévoir un budget réservé à l’innovation pour le personnel responsable de ce volet, un budget pour la recherche et le développement, puis pour la collaboration entre les multiples intervenants. Il faut mettre en place des plateformes numériques afin que ces renseignements soient accessibles et centralisés, de sorte que tout le monde y ait accès et qu’il y ait une plus grande transparence du point de vue des travaux qui sont effectués par le secteur sans but lucratif.
Merci de cette possibilité de contribuer.
Le président : Merci à vous également. Comme vous pouvez le constater, nous accueillons un autre témoin qui vient d’apparaître à l’écran, que nous tentions de joindre. Nous allons maintenant entendre le témoignage de M. Vincent van Schendel, président du Réseau québécois en innovation sociale, puis nous passerons aux questions.
[Français]
Monsieur Schendel, s’il vous plaît.
Vincent van Schendel, président, Le Réseau québécois en innovation sociale : Bonjour. Je m’excuse de ce petit délai technique. Je vous remercie de l’invitation. Rapidement, je voudrais d’abord souligner deux éléments de contexte, et peut-être quelques éléments de suggestions pour permettre d’éclairer la discussion.
Premièrement, nous le savons, il existe des milliers d’organismes à but non lucratif à travers le Canada et seulement au Québec, où je suis, il y en a des milliers. Il y en a donc des dizaines de milliers à travers le Canada. La grande majorité ont été constitués de façon volontaire par des groupes et des individus qui cherchent à résoudre des problèmes pour lesquels il n’existe pas encore de solution pour répondre aux besoins et aux aspirations de différentes populations, dans plusieurs régions, quartiers, territoires et secteurs. Ces organismes ont ainsi développé de réelles capacités d’innovation pour trouver des solutions en alimentation, en culture, dans les services de proximité, en protection de l’environnement, en développement communautaire et pour répondre à des enjeux de pauvreté, d’inégalité, non seulement en venant directement en aide aux personnes, mais pour renforcer les capacités des populations et des communautés.
Pour ce qui est du deuxième élément de contexte, il existe beaucoup de financement disponible. Il y a plusieurs fondations, des centaines maintenant à travers le Canada, qui distribuent ou qui ont des centaines de millions de dollars à distribuer. Plusieurs organismes comptent sur ces financements pour remplir leur mission et soutenir l’innovation sociale. S’il y a des éléments de loi à modifier, ce doit être pour permettre à ces organismes de déployer leurs activités et au financement philanthropique et privé de se faire tout en respectant l’esprit de la loi actuelle.
J’y vais très schématiquement de quelques suggestions. Premièrement, le critère du soulagement de la pauvreté devrait, je crois, et Le Réseau québécois en innovation sociale le croit également, être élargie pour parler plus globalement de renforcement des capacités, afin de soutenir les communautés dans leur capacité à prendre en charge elles-mêmes le développement de solutions, et, donc, leur capacité à innover.
Deuxièmement, il faudrait élargir la compréhension du critère d’avancement de l’éducation en y intégrant une dimension de transfert d’expérience et de soutien à ce transfert et à l’expérimentation elle-même, ce qui est aussi une dimension de l’éducation. Le cadre légal, je ne sais pas où l’inclure exactement, mais je lance quand même le débat, devrait permettre de générer des revenus tant qu’ils sont recyclés dans l’organisation pour répondre à sa mission principale. Le cadre légal devrait également permettre à des fondations d’investir, pas seulement d’accorder des subventions, mais aussi d’investir dans ce qu’on appelle des « mission related investments », ou MRI, dans ces organisations. Bien sûr, pour rester dans l’esprit de la loi, cet investissement devrait s’inscrire à des fins de bienfaisance reconnues, et les fondations devraient également rendre des comptes à l’Agence du revenu du Canada sur la partie de cet investissement qui est investie en MRI. En effet, actuellement, outre les 3,5 p. 100 de revenu distribué, le reste peut être investi dans des endroits ou des missions qui n’ont rien à voir avec les raisons pour lesquelles la loi existe.
Enfin, sans entrer dans les détails, nous croyons qu’il faudrait qu’il y ait différents mécanismes de dialogue direct entre les OBNL et les pouvoirs publics, puisque les pouvoirs publics, par l’intermédiaire des déductions fiscales, financent aussi en partie ces organisations. Donc, l’enjeu est de donner un meilleur accès au numéro d’organisme de charité et au financement qu’il accorde pour soutenir la capacité du secteur bénévole à œuvrer et à développer des solutions innovantes. Ainsi, l’action bénévole peut contribuer à améliorer les politiques publiques.
Si je puis me permettre une dernière suggestion, qui est peut-être en marge de cette question de la loi, mais y concourt quand même, les crédits d’impôt pourraient être remboursables, alors qu’ils ne le sont pas actuellement, ce qui permettrait, selon nous, d’avoir une meilleure équité fiscale pour les milliers de personnes à faible revenu qui font des dons à ces organismes. Je vous remercie.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Schendel.
[Traduction]
Je vais maintenant passer aux questions des sénateurs.
La sénatrice Omidvar : Vous êtes vraiment tous remarquables dans votre capacité d’innover et de générer de nouvelles solutions à de nouveaux et à de vieux problèmes. Je vais formuler un commentaire au sujet de l’innovation sociale et vous demander à tous — parce que vous êtes tous des innovateurs à ce chapitre — d’y réagir.
Je crois que l’innovation sociale est à son apogée lorsque les organisations, les personnes, les leaders et les collectivités sont libres de prendre des risques, d’échouer et de tirer des leçons de leurs échecs. Nous vivons dans une société réfractaire au risque. Quand je songe aux genres de choses qui nous occupent sur la Colline du Parlement, cela ajoute en quelque sorte au fondement de mon observation, c’est-à-dire que les gouvernements n’apprécient pas le risque. Alors, je me demande de quelles stratégies d’atténuation des risques vous pouvez parler, de sorte que les fonctionnaires et leurs ministres soient rassurés et acceptent le risque comme vous l’avez fait, ce qui a mené à votre réussite. Comment arrivez-vous à nous persuader d’accepter le risque et l’échec, au besoin? Quelqu’un veut répondre?
M. Lau : Je vais répondre à cette question. Je n’aime pas échouer et je déteste vraiment l’échec. Quand j’échoue, les résultats sont dramatiques pour mon personnel, alors nous consacrons un temps considérable à l’examen, à la réévaluation, à la rédaction et à la reformulation des programmes que nous proposons. Nous les proposons de nouveau un certain nombre de fois à un certain nombre de bailleurs de fonds distincts jusqu’à ce que cela fonctionne. Nous sommes un groupe de personnes très tenaces. Voilà comment nous arrivons à offrir nos programmes novateurs. Parfois, ce n’est ni le gouvernement provincial, ni une administration municipale, ni le gouvernement provincial qui nous subventionnent. C’est parfois le soutien d’une fondation ou bien d’organisations comme Centraide, qui travaillent selon un ensemble de règles différent de celui de la fonction publique.
Toutefois, les choses peuvent s’améliorer. Comme je l’ai déjà mentionné, il s’agit en réalité de créer une section distincte qui se penche sur des problèmes particuliers qu’elle veut régler et qui recherche des types particuliers de programmes ou qui veut étudier les programmes susceptibles d’être utiles.
La clé consiste vraiment à nouer des relations personnelles. Si on veut créer une solution complexe, on ne peut pas se contenter de présenter une AP et de se dire: « D’accord, je vais recevoir tout un tas de réponses différentes, et l’une d’entre elles sera la bonne. » Il importe de trouver des organisations qui se sont avérées innovatrices et de dialoguer avec elles afin d’élaborer des solutions en collaboration.
Il faut savoir quels sont les besoins organisationnels et travailler à soutenir cette organisation à mesure qu’elle élabore un programme pluriannuel et qu’elle s’y consacre. Après, il faut mettre sur pied un programme de promulgation à l’appui de solutions intersectionnelles, alors il se pourrait que ce ne soit pas qu’une seule organisation. La mienne pourrait affirmer que quatre organisations en particulier ont besoin de participer à cette initiative parce que le problème est plus complexe ou que les résultats pourraient être bien plus importants. Si nous travaillons ensemble, nous pourrons servir davantage de gens provenant de diverses collectivités.
La désignation d’un champion actif à un échelon assez élevé — celui du SMA ou un échelon supérieur — est quelque chose qui, d’après mon expérience, permet aux fonctionnaires de se détendre un peu. Dans le cas de Travaux publics, il est difficile de changer la façon dont les gestionnaires fonctionnels envisagent l’argent. S’il peut y avoir de nouvelles manières d’étudier la façon d’examiner le risque financier grâce à ce genre de processus exploratoire, ce serait un bon moyen pour que l’on n’ait pas l’impression que tout est un échec si l’argent est dépensé dans la mauvaise catégorie ou bien que les dépliants ne sont pas distribués.
La sénatrice Omidvar : Y a-t-il d’autres commentaires?
Mme Sukumar : Dans notre cas, je pense que nous encourageons une culture organisationnelle qui est celle d’une entreprise en démarrage. Tout le monde participe et est disposé à faire des essais sans qu’on y ait réfléchi jusqu’au énième degré, alors nous ne vivons pas le risque de façon aussi subjective que dans le cas d’autres organisations, qui tiennent compte de toutes les conséquences possibles.
L’autre chose, c’est que nous tentons de mettre en place des mesures d’urgence qui nous procurent une certaine sécurité, et nous tentons également d’être souples, flexibles et adaptables. Ainsi, si quelque chose ne fonctionne pas, nous limitons les dégâts. Nous avons une bonne capacité de repérer les risques, et nous tentons de prendre le plus de mesures préventives possible, mais, si on en arrive à une mesure corrective, nous faisons également preuve de souplesse et tentons d’agir rapidement. Nous ne réfléchissons pas trop à tout jusqu’au énième degré. Cela fait partie de la culture.
La sénatrice Omidvar : Je vous remercie de ces réponses. Ma question ne concernait pas la façon dont vous vous y prenez. Elle concernait la façon dont vous pouvez aider le gouvernement à composer avec ces risques.
Mme Sukumar : Je pense avoir répondu en quelque sorte à cette réponse en prenant un long détour. Je pense que nous étudions les choses jusqu’au énième degré et que, parfois, nous devons simplement faire l’essai de solutions différentes.
Le président : Monsieur van Schendel, avez-vous une réponse à formuler?
[Français]
M. van Schendel : Oui. D’abord, je crois que c’est une excellente question. C’est un paradoxe parce que souvent, les organismes qui travaillent sur le terrain et dans l’urgence n’ont pas droit à l’erreur. Ils souhaitent avoir un soutien des pouvoirs publics. Il y a un paradoxe, parce qu’on a au Canada une fonction publique extrêmement compétente. Ce n’est pas un problème individuel ni que les gens sont frileux, mais ils sont confrontés à des règles qui les amènent à prendre certaines décisions ou à adopter certains comportements. Mes prédécesseurs ont parlé de travailler autrement; il faut changer certaines règles et travailler ensemble. C’est le principe de la coconstruction de politiques publiques. On pourrait discuter dans différents forums avec des fonctionnaires de différents niveaux, des organisations et des réseaux des réalités vécues, des règles à appliquer et des mécanismes d’évaluation.
Je pense que la question de l’évaluation de la mesure de l’impact des actions entreprises est assez cruciale. Pourrait-on s’entendre sur des critères d’évaluation qui seraient acceptables pour les gouvernements et les fonctionnaires qui les appliquent, et qui seraient acceptables aussi pour les organisations sur le terrain? Il pourrait y avoir des fonds, et c’est une proposition qu’on a souvent vue au Québec, mais qui n’a jamais été appliquée encore, pour que, dans certains ministères, il y ait une partie du budget réservée à des mesures d’innovation hors normes. Il s’agirait donc d’améliorer certaines méthodes et de travailler ensemble pour mettre en œuvre ces mesures.
Le président : Merci beaucoup.
[Traduction]
La sénatrice Omidvar : Madame Sukumar, dans votre exposé — qui était excellent —, vous avez affirmé que la Loi de l’impôt sur le revenu est fondée sur un point de vue homogénéisé des organismes sans but lucratif. Nous tendons à souscrire à votre opinion. C’est mon cas. Nous avons également entendu formuler ici des propositions selon lesquelles le Canada serait mieux servi si nous faisions une distinction entre les organismes sans but lucratif, selon qu’ils visent à offrir des avantages à leurs membres ou à générer des bénéfices privés.
S’agira-t-il d’une façon adéquate de désigner ce que vous entendez par le fait de ne pas mettre tout le monde dans le même panier et d’adopter des approches différentes pour des organismes différents?
Mme Sukumar : Oui, exactement. Je pense que la distinction entre les organismes qui visent à offrir des avantages à leurs membres et ceux qui cherchent à générer des bénéfices publics est la plus évidente. Par ailleurs, dans les bulletins d’interprétation, la façon dont on a dit que nous pouvons mener nos activités uniquement à des fins non lucratives... C’est seulement que le libellé porte à confusion et qu’il ne précise pas où se situe la limite du point de vue des situations dans lesquelles on peut cumuler des excédents.
Par exemple, si je réalise un grand projet technologique qui me coûtera un demi-million, je dois cumuler un excédent d’année en année afin de mettre de l’argent de côté à cette fin. Pourtant, si je regarde le bulletin d’interprétation, je n’arrive pas à comprendre clairement si je peux le faire ou non.
La sénatrice Omidvar : Les organismes sans but lucratif ne peuvent pas cumuler d’excédent. Monsieur Fukunaga, j’ai une question à vous poser, et j’essaie de comprendre. Je pense vous avoir entendu affirmer que votre organisme est sans but lucratif, que vous n’êtes pas encore un organisme caritatif — vous ne pouvez pas délivrer de reçus pour dons de bienfaisance — et que, par conséquent, vous n’avez pas accès aux dons de bienfaisance. Alors, pourquoi ne présentez-vous pas une demande de statut caritatif? Qu’est-ce qui vous retient?
M. Fukunaga : Le nombre de dispositions réglementaires et les exigences financières que les organismes caritatifs doivent respecter, relativement aux audits et à la tenue de dossiers, présentent un énorme défi pour une organisation de notre taille. Si nous devons consacrer 15 p. 100 de notre budget à des honoraires de comptable, ce sont 15 p. 100 que nous ne pouvons pas utiliser pour aider des gens.
Ainsi, nous maintenons actuellement notre statut sans but lucratif afin d’avoir une certaine marge de manœuvre dans notre énoncé de mission et notre stratégie de croissance, de sorte que nous puissions avoir quelque chose de concret, de solide et de durable. La dernière chose que nous voulons faire, c’est ne pas aider autant de gens parce que nous tentons de nous assurer que nous respectons les exigences financières liées au maintien de notre statut caritatif.
La sénatrice LaBoucane-Benson : Je commencerai par un petit préambule, puis je poserai une question à M. Lau.
L’une des choses que j’ai découvertes dans mon ancienne vie, quand je travaillais dans le secteur sans but lucratif, c’est que l’innovation est souvent tuée par les listes de contrôle pédantes que les gens utilisent pour juger les propositions. Cette liste de contrôle, que les examinateurs de propositions doivent utiliser à des fins de vérification, tue l’innovation, au détriment de propositions novatrices et sortant des sentiers battus qui permettraient de régler un problème social très complexe qui se pose dans notre collectivité. Un petit exemple d’une situation que j’ai vécue a été le rejet d’une proposition parce que nous n’avions pas copié-collé les résultats dans notre proposition. Par conséquent, elle n’était pas admissible aux fins du financement.
S’agit-il de votre expérience pour ce qui est d’obtenir de l’argent, surtout lorsqu’il s’agit de problèmes sociaux complexes qui se posent?
M. Lau : Ce que j’ai dit un peu plus tôt à ce sujet, c’est-à-dire que le soutien de l’innovation sociale doit faire l’objet de son propre processus, est probablement ma réponse à cette question. Si vous avez recours au même personnel que celui qui travaille sur les appels de propositions courants et ordinaires et qu’il emploie une méthode particulière, qui est très structurée et très efficace lorsqu’il faut étudier une grande diversité de propositions pour déterminer quel promoteur est le plus susceptible de pouvoir fournir les services en question à très faible coût pour le ministère... C’est une très bonne méthode pour ce type de processus.
Elle n’est pas vraiment très bonne lorsqu’on examine les lacunes dans les DP ou que l’on envisage la création d’une solution intersectionnelle. Dans ces cas, tout commence à vaciller, et c’est pourquoi j’ai mentionné le fait que, parfois, nous devons déguiser un ananas pour qu’il ressemble à une patate.
Oui, si l’innovation sociale dans les programmes doit être appuyée, je pense qu’il est très important que les ministères contribuent à cerner le problème qu’ils veulent régler. Ensuite, ils doivent le présenter à l’échelon de la direction, obtenir un financement distinct et s’organiser pour que l’organisation, quelle qu’elle soit, le ministère et les groupes qui créent le programme collaborent ensemble. Vous n’aurez qu’à regarder ce qui se produira. Vous verrez l’orientation que prendra le projet. Parfois, on obtient des résultats vraiment inattendus.
Il y a environ quatre ans, mon organisation a entrepris un projet de jardinage. L’idée de base était de jumeler de nouveaux arrivants et des personnes âgées. Le projet a permis de régler tout un tas de problèmes différents, mais il s’agissait d’un moyen très détourné de fournir un service. Cela ressemblait à un jardin. Nous avons demandé : « Qu’est-ce que les gens obtiennent? » C’était des légumes frais. Ils apprenaient une langue d’une manière paisible, et ils nouaient des relations multigénérationnelles après avoir perdu tous leurs voisins, amis et parents, comme leurs tantes et leurs oncles. Les personnes âgées reçoivent des visites. Tout le monde profite d’une activité à pratiquer, et il se trouve qu’elle leur procure des légumes frais.
Il se passe un très grand nombre de choses positives grâce aux 60 jardins que nous avons créés dans la petite région du Grand Victoria, au point que, si j’affirme qu’il s’agit d’un programme d’anglais langue seconde, ce n’en est pas un, et, si je dis que c’est autre chose, ce n’est pas le cas. C’est tout simplement un très grand nombre de choses différentes. Le type d’inclusion sociale que nous favorisons grâce à ce programme est difficile à faire valoir auprès d’un ministère particulier.
Voilà pourquoi la Victoria Foundation a dit : « Voici un tas d’argent, concrétisez votre projet. » Une fois qu’il a porté ses fruits, le gouvernement fédéral a affirmé que cela semblait être un bon programme. L’an dernier, le ministre fédéral des Aînés a visité un de nos jardins, et c’était merveilleux. Toutefois, pour que nous en arrivions à ce stade, nous avions dû prendre un détour afin que ce projet soit amorcé.
La sénatrice LaBoucane-Benson : Une recommandation concrète a-t-elle été adressée au gouvernement fédéral relativement à l’intégration de l’innovation dans son processus d’évaluation afin que ces listes de contrôle et feuilles de notation ne soient pas appliquées de façon si stricte que cette capacité soit retirée? Il doit y avoir un certain moyen de le faire.
Madame Sukumar, je veux simplement vous dire que j’ai adoré votre exposé. Je souscris à 99 p. 100 des propos que vous avez tenus. Je ne cherche pas à argumenter. Je vous ai entendu parler de la plateforme numérique qui nous débarrasserait des chevauchements. Toutefois, d’après mon expérience, lorsque des gens de l’extérieur examinent les chevauchements, ils pourraient en voir à des endroits où, en fait, d’une manière très nuancée, il n’y en a pas. Il pourrait y avoir un construit culturel qui porte à croire qu’un service offert ressemble à un autre, alors qu’ils sont en fait très différents. Comment cette plateforme numérique pourrait-elle ne pas écarter le petit intervenant qui fait les choses très différemment?
Mme Sukumar : Vous soulevez une très bonne question, et ce que j’ai présenté est quelque peu simpliste. L’idée est d’accroître la transparence afin que nous sachions quels programmes sont offerts. En ce moment, nous ne savons pas du tout si quelqu’un d’autre fait déjà ce que nous proposons. Il y a un risque de chevauchement. Toutefois, vous avez tout à fait raison; il pourrait y avoir une différence très nuancée par rapport à ce que quelqu’un d’autre fait dans la collectivité locale.
La sénatrice Martin : Merci infiniment de vos exposés et de votre bon travail.
Madame Sukumar, l’une des recommandations qui m’ont frappée figure dans la section sur les conditions nécessaires pour appuyer l’innovation, où vous affirmez que tout le financement de programme que reçoivent les organismes sans but lucratif de la part de tous les ordres de gouvernement devrait comporter un poste réservé à l’investissement dans la R-D et dans l’innovation. Nous parlons de toute l’importance de l’innovation, et je vois en quoi ce pourrait être très important.
Si on vous accorde de 10 à 15 p. 100 à des fins administratives, qu’est-ce qui constitue un chiffre raisonnable pour ce poste, s’il devait être inclus? Pour ce qui est du mandat de faire la preuve d’une amélioration au chapitre de l’exécution des programmes d’année en année, vous expliquez qu’il a fallu environ 10 ans pour en arriver à un certain stade. Je pourrais comprendre l’ajout de ce poste, mais cela prendrait un certain temps. Je me demandais comment vous verriez cette recommandation être mise en œuvre efficacement.
Mme Sukumar : Dans notre organisation, notre budget réservé à la paye s’élève probablement à 2 millions de dollars, et une seule personne se consacre à l’innovation sociale. De fait, elle est là aujourd’hui, et elle m’a aidée à rédiger l’exposé; il s’agit d’Eliana, qui est assise à l’arrière.
C’est un très petit pourcentage du budget global de la paie; pourtant, elle dispose de la marge de manœuvre nécessaire pour se consacrer à l’innovation et trouver les idées et les éléments liés à la mobilisation communautaire que nous recherchons. Par exemple, nous organisons des marathons de programmation, et nous amenons tous les membres de la collectivité à y participer dans le but de régler des problèmes d’accès liés à la langue. Ces activités nous donnent une meilleure idée du genre de programme auquel nous voulons participer au lieu de procéder à l’aveuglette en fonction de notre propre instinct ou intuition quant à ce dont les gens ont besoin. Est-ce que cela répond à votre question?
La sénatrice Martin : Je me disais que, comme vous êtes une grande organisation, vous pouviez peut-être consacrer certains fonds à cet aspect.
Mme Sukumar : Exact, mais, ce que je pense, du point de vue d’un pourcentage, c’est que cela dépend de la subvention et, évidemment, de l’organisation. Toutefois, on a sûrement besoin d’une seule personne pour le faire.
La sénatrice Martin : Merci. J’ai une question à poser à M. Fukunaga. Dans le cas des organisations qui ont un vrai marché à créneau et qui offrent un service spécialisé dans le cadre de leurs programmes, pensez-vous qu’il est plus difficile d’obtenir un financement gouvernemental, ou bien que la situation est semblable à celle à laquelle d’autres organisations font face si elles sont en concurrence avec tout un tas d’autres groupes? Dans votre cas, y a-t-il beaucoup d’organisations qui sont en concurrence pour le même financement, et devez-vous réellement chercher des programmes au titre desquels vous pouvez présenter une demande?
Je suis curieuse à propos du domaine précis ou du créneau dans lequel vous menez vos activités, et j’aimerais savoir s’il rend votre situation plus difficile ou tout aussi difficile. Quels sont certains des obstacles auxquels vous faites face?
M. Fukunaga : Cela rend les choses un peu plus difficiles parce que, compte tenu de ce que nous tentons de faire, nous touchons un tas d’enjeux différents qui posent un défi pour les communautés que nous tentons d’aider. Lorsque nous tentons de présenter des demandes de financement, nous ne sommes pas certains de l’aspect de notre organisation que nous devrions mettre à l’avant-plan. Devrions-nous dire que nous sommes une organisation environnementale, puisque nous nous attaquons au problème des déchets électroniques? Devrions-nous affirmer que nous sommes une organisation éducative parce que nous nous occupons d’accroître la littératie numérique des gens et de leur procurer les compétences du XXIe siècle? Devrions-nous être un organisme d’emplois parce que nous embauchons des gens qui font face à des obstacles? Nous pouvons même être désignés comme une entreprise technologique en démarrage.
Cela devient parfois difficile, surtout lorsque c’est une personne qui tente de s’occuper de beaucoup des aspects administratifs pour désigner la partie de l’organisation que nous ferons ressortir dans le cas de telle ou telle subvention, et de décider si nous en faisons assez dans le domaine en question pour vraiment répondre aux critères à respecter afin d’obtenir les fonds. Alors, nous tentons de réfléchir de façon novatrice et de régler tout un tas de problèmes différents. Il devient difficile de faire ressortir tout le bon travail que nous faisons.
La sénatrice Martin : Alors, vous devez tout simplement chercher et faire preuve de créativité.
M. Fukunaga : Nous comptons sur le travail de beaucoup de bénévoles, et la diffusion sur le Web leur permet de regarder la séance, alors ils sont tous en train de nous regarder actuellement. C’est ainsi que nous procédons. Nous tentons de tendre la main à la collectivité. Comme notre travail s’appuie sur l’utilisation de logiciels gratuits et ouverts, lesquels sont le fruit d’une culture axée sur la collaboration, nous sommes en mesure de faire appel à beaucoup d’organisations dont la situation est semblable à la nôtre, comme d’autres organisations qui s’occupent des déchets électroniques et les autres organismes Free Geek qui font partie du réseau. Nous faisons appel les uns aux autres et mettons en commun nos ressources, et c’est ainsi que nous bâtissons.
Nous cherchons des moyens non traditionnels de renforcer nos capacités, de sorte que, lorsque nous nous adressons au gouvernement, nous pouvons lui dire : « Voici ce que nous faisons. » C’est le mieux que nous puissions faire pour vous montrer ce que nous faisons de la meilleure manière possible.
La sénatrice Martin : Sur cette note, une dernière question.
Le président : Je voulais savoir si M. van Schendel avait un commentaire à formuler.
[Français]
M. van Schendel : Eh bien, il y a plusieurs petits éléments. Tout à l’heure, quelqu’un a dit que l’innovation sociale est un processus en soi. On parle de problèmes à résoudre. On apprend en le faisant et on trouve des solutions. L’important, c’est d’appuyer les gens qui sont en train de trouver des solutions. Quelqu’un a mentionné tout à l’heure qu’il y a beaucoup d’organismes qui n’ont pas de numéro de charité. Effectivement, c’est un problème. Plusieurs organismes n’ont sans doute pas de numéro de charité, parce qu’il y a eu des changements dans ce qui constituait à l’origine des critères valables conformément à la loi, alors ils se retrouvent dans un contexte différent. C’est pour ça qu’il faudrait élargir l’accès à ces numéros de charité.
J’aimerais vous faire remarquer autre chose. On demandait tout à l’heure si le gouvernement fédéral peut stimuler l’innovation. Je vous rappelle que, il y a un an et demi, le gouvernement fédéral a mis sur pied un groupe directeur chargé de la coconstruction, une stratégie de financement social et d’innovation sociale, qui a remis son rapport l’été dernier. On attend encore les suites de ce rapport, afin de savoir s’il y aura une stratégie fédérale. Voilà un bon moyen d’appuyer concrètement, par l’intermédiaire d’une stratégie fédérale, l’innovation sociale à travers le Canada. C’est Emploi et Développement social Canada qui était le ministère responsable.
Le dernier intervenant a mentionné la culture de collaboration. C’est fondamental, et c’est la base dans les réseaux auxquels j’appartiens. Je travaille avec plusieurs organismes, pas seulement avec Le Réseau québécois en innovation sociale, mais en économie sociale aussi. On essaie de ne pas dédoubler le travail, afin de mutualiser nos ressources, nos intelligences collectives. On n’a pas les moyens de se tromper, donc il faut être très efficace.
Ce travail de mutualisation, de mise en commun, de transfert d’expertise entre nous est très important, et il doit être soutenu en tant que tel. L’idée n’est pas d’avoir seulement des milliers d’organisations qui fonctionnent chacune de leur côté. Souvent, elles peuvent être amenées à être en concurrence, mais il faudrait quand même favoriser les collaborations et les mariages pour mieux apprendre de nos multiples expériences.
[Traduction]
La sénatrice Omidvar : Je voulais seulement formuler un commentaire concernant quelque chose dont nos témoins sont peut-être au courant, ou peut-être pas. Le gouvernement fédéral a annoncé le lancement d’une stratégie en matière d’innovation sociale et s’est engagé à y affecter 755 millions de dollars. J’espère certainement que certains de vos besoins seront comblés par l’intermédiaire de cette initiative, quand elle sera lancée. Actuellement, elle en est encore à l’étape de la conceptualisation.
Le président : Une très bonne note sur laquelle terminer. Merci beaucoup.
Monsieur van Schendel?
[Français]
M. van Schendel : Il y a eu un fonds de 755 millions de dollars et un autre de 50 millions, soit 805 millions de dollars en tout, pour le financement social, mais il y avait un autre élément dans le rapport du groupe directeur sur l’innovation sociale qui n’a pas encore eu de suite. Il y avait deux éléments. Je crois que beaucoup de gens à travers le Canada sont très contents de ce fonds, mais il y a un autre élément pour soutenir d’une autre façon les initiatives en innovation sociale.
Le président : Merci beaucoup.
[Traduction]
Chers collègues, je voudrais remercier les témoins de leur présence ce soir. Vous avez ajouté beaucoup d’information à notre étude, et nous vous en sommes reconnaissants. Mesdames et messieurs, la journée a été longue, et nous avons tenu une bonne séance. Je veux remercier les sénatrices LaBoucane-Benson et Duncan de s’être jointes à nous aujourd’hui. J’espère que cela vous a plu. Vous êtes les bienvenues en tout temps, si vous voulez revenir. Nous avons apprécié votre contribution à la discussion.
(La séance est levée.)