Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Énergie, de l'environnement et des ressources naturelles
Fascicule nº 3 - Témoignages du 8 mars 2016
OTTAWA, le mardi 8 mars 2016
Le Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles se réunit aujourd'hui à 17 h 12 pour étudier de nouvelles questions concernant son mandat.
Le sénateur Richard Neufeld (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Je vous souhaite la bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles. Je m'appelle Richard Neufeld. Je représente la province de la Colombie- Britannique au Sénat, et je suis le président du comité. Je souhaite la bienvenue aux honorables sénateurs et aux membres du public qui sont dans la pièce avec nous, ainsi qu'aux téléspectateurs d'un bout à l'autre du pays qui nous regardent à la télévision. Je rappelle aux gens qui nous regardent que les réunions du comité sont ouvertes au public et diffusées sur le site web du Sénat à l'adresse sen.parl.gc.ca. Vous pouvez aussi trouver de plus amples renseignements sur l'horaire de comparution des témoins sur le site web, sous la rubrique Comités du Sénat.
J'invite maintenant les sénateurs à se présenter.
[Français]
La sénatrice Ringuette: Pierrette Ringuette, sénatrice du Nouveau-Brunswick.
[Traduction]
Le sénateur Patterson: Dennis Patterson, sénateur du Nunavut.
La sénatrice Seidman: Judith Seidman, de Montréal, au Québec.
Le président: J'aimerais aussi présenter le personnel, en commençant à ma gauche par notre greffière, Lynn Gordon. À ma droite se trouvent nos deux analystes de la Bibliothèque du Parlement, Sam Banks et Marc LeBlanc.
Honorables sénateurs, vous vous rappellerez que, le mardi 23 février, le comité a entendu Tim McMillan, président et chef de la direction de l'Association canadienne des producteurs pétroliers. Malheureusement, la séance a été interrompue en raison de problèmes dans l'équipement de vidéoconférence. Le comité voulait poursuivre la discussion avec l'association, et je suis heureux que nous puissions compter sur la présence, parmi nous aujourd'hui, d'Alex Ferguson, vice-président, Politique et rendement, à l'Association canadienne des producteurs pétroliers. Monsieur Ferguson, au nom du comité, je vous remercie d'avoir accepté notre invitation et de nous permettre ainsi de terminer notre discussion.
Comme vous le savez, M. McMillan a abordé différentes questions concernant la situation actuelle et l'avenir du secteur pétrolier et gazier au Canada, entre autres sujets. Je sais que vous avez reçu la transcription de la réunion. Je suppose donc que vous êtes au courant des observations de M. McMillan et de ses réponses aux questions que nous lui avons posées.
Si vous avez préparé une déclaration liminaire, vous pouvez la faire maintenant. Nous reprendrons ensuite les questions et réponses. Nous vous écoutons, monsieur Ferguson.
Alex Ferguson, vice-président, Politique et rendement, Association canadienne des producteurs pétroliers: Je serai bref, monsieur le président. J'aimerais d'abord vous transmettre les excuses de Tim, qui regrette de ne pas avoir pu se déplacer pour terminer son témoignage de la semaine dernière.
Vous avez raison: j'ai lu la documentation et j'ai une bonne idée de ce dont Tim a parlé avec vous. Il m'a aussi expliqué clairement ce que je devais vous dire, notamment en réponse à vos questions. J'espère offrir un témoignage utile en remplacement de mon patron.
Merci.
Le président: Merci. Passons sans plus tarder aux questions.
Le sénateur Patterson: J'ai quelques questions à poser. Depuis le milieu de 2014, les marchés mondiaux ont accusé une baisse marquée des prix du pétrole. Comme vous le savez, la faiblesse des prix du pétrole a des conséquences négatives immédiates sur les régions canadiennes productrices de pétrole: on n'a qu'à mentionner la baisse de l'investissement des entreprises et les pertes d'emplois. Pourriez-vous nous dire comment la chute des prix du pétrole fait du tort à l'industrie pétrolière canadienne, et plus particulièrement, dans quelle mesure elle réduit ou retarde les investissements dans la production de pétrole au pays?
M. Ferguson: Merci beaucoup de votre question. Il y a différentes façons d'y répondre. Je commencerai par parler de la production.
Si vous lisez les prévisions et les projections que l'association publie fréquemment, vous verrez que la baisse de production exprimée en nombre de barils n'est pas aussi grande qu'on aurait pu craindre, vu la diminution du prix des produits de base. Je crois qu'il faut y voir un effet des grands projets de sables bitumineux, qui sont les principales sources de production de pétrole au Canada. En effet, il est très difficile d'interrompre ces grands projets du jour au lendemain, par comparaison à ceux qu'on observe chez certains de nos concurrents, comme les États-Unis, où il y a un grand nombre de sites de forage individuels et restreints. Il est beaucoup plus facile de diminuer la production de ces projets et de réduire au minimum l'activité des appareils de forage et du personnel. Mais il est aussi plus facile de les remettre en activité rapidement.
La production canadienne continuera de croître malgré la baisse du prix des produits de base parce que ces grands projets reposent sur de longs délais de mise en production et un horizon à très long terme du prix des produits de base. C'est pourquoi la production pétrolière n'a pas tellement diminué. Ce que nous avons observé, c'est un certain ralentissement de l'activité relative aux projets futurs ou aux projets qui sont encore à l'état d'idées. Il est donc plus probable que nous verrons une baisse de la production canadienne à moyen terme, plutôt qu'à court terme.
Mais ce n'est pas une simple question de production. Nous publions aussi des statistiques sur le nombre de fournisseurs des sociétés d'exploitation des sables bitumineux au Canada. Je sais, par exemple, qu'environ 1 100 entreprises ontariennes fournissent des biens et services aux projets de sables bitumineux. Ces entreprises ne se trouvent évidemment pas dans une province productrice de pétrole comme l'Alberta, mais si vous leur posez la question, elles vous diront que la baisse des prix a des effets assez négatifs sur leur capacité de garder leurs employés et de se développer.
Les effets de la baisse des prix des produits de base se font sentir jusque dans l'une de mes provinces préférées, l'Île- du-Prince-Édouard, où l'on trouve trois entreprises qui fournissent des produits et services aux sociétés canadiennes d'exploitation des sables bitumineux, qui sont pour elles de bons clients.
Bien sûr, il y a aussi le climat général d'investissement. Nous parlons de pétrole, des prix des produits de base et des effets sur la production pétrolière à court et long terme dans l'ensemble du Canada ou dans nos provinces productrices, mais le véritable effet à court terme, c'est le déclin des dépenses en immobilisations. En gros, dans notre industrie, pas seulement pour les sables bitumineux, mais aussi pour d'autres produits, les zones de ressources naturelles, le pétrole de réservoirs étanches et le gaz de schiste ont tous subi un déclin abrupt de leurs investissements.
Ce sont les zones à l'extérieur des sables bitumineux qui ont sans doute un impact plus direct sur les petites villes réparties dans l'Ouest du pays. C'est là que, franchement, les conséquences sont beaucoup plus douloureuses.
Nous avons déjà parlé du déclin des investissements dans notre industrie. De l'année dernière à cette année, avec la différence dans les prix des produits de base, le déclin des dépenses en immobilisations équivaut sans doute à tout un cycle de dépenses en immobilisations dans deux ou trois autres de nos principaux secteurs au Canada. Par exemple, ce serait comme s'il n'y avait aucun investissement dans le secteur manufacturier du Canada. Voilà à quel point la possibilité que présente ce déclin des investissements est importante.
J'aimerais préciser que depuis 8 ou 10 ans, chaque dollar d'encaisse gagné par ces sociétés dans notre secteur a été réinvesti au Canada. Il y a bien sûr des entrées et des sorties de fonds, mais, en gros, les sociétés ont réinvesti chaque dollar d'encaisse dans le pays. Cela se traduit par de vrais emplois, de vraies possibilités pour les Canadiens et de vraies possibilités de création de la richesse pour notre pays.
En plus de tout ça, depuis plusieurs années maintenant, on voit entrer beaucoup de capitaux en plus des réinvestissements intérieurs que font ces sociétés. Nous en sommes rendus au point où, avec la volatilité de certains marchés, il existe un risque — ou une possibilité — que l'on continue à faire entrer des capitaux d'investissement de l'extérieur. Le Canada lui-même n'a pas assez de capitaux d'investissement pour soutenir les niveaux d'activité de notre secteur. Nous devons donc donner suffisamment de confiance aux investisseurs étrangers pour qu'ils fassent entrer leur argent ici et voient le Canada comme une destination d'investissement de choix.
Il y a, je pense, une répercussion bien concrète à cela pour l'ensemble des Canadiens. Il y a deux ou trois semaines, la Banque canadienne impériale de commerce a publié un rapport très intéressant qui disait que les Canadiens, dans l'ensemble, parce qu'ils étaient inquiets de la volatilité des marchés — attribuable en grande partie aux cours actuels du pétrole, bien entendu —, détenaient des liquidités, REER et autres, d'une valeur de 75 milliards de dollars de plus que ce que nous aurions habituellement.
Ce que cela signifie pour les Canadiens, c'est que cet argent ne fera pas de petits. Avec des liquidités, on ne fait pas d'argent; au contraire, on en perd. Ce n'est pas un bon investissement. Il serait donc prioritaire de susciter la confiance des investisseurs, à l'externe autant qu'à l'interne, et en particulier dans notre secteur. Nous sommes un secteur important au Canada. Nous voyons cette situation comme une occasion à saisir.
J'espère que cela répond à votre question.
Le sénateur Patterson: Oui, tout à fait. Si je puis approfondir encore un peu le sujet, vous avez dit que l'Île-du- Prince-Édouard était un fournisseur de biens et de services pour le secteur pétrolier. Pourriez-vous nous dire quels sont, parmi les provinces, les autres principaux fournisseurs? Et comme nous parlons de l'impact des faibles cours du pétrole, que dit l'ACPP au sujet des prévisions à moyen et long terme en ce qui concerne les cours du pétrole? Bon, je sais que vous n'avez pas de boule de cristal, mais j'imagine que vous en savez plus que la plupart des gens.
M. Ferguson: Je n'ai pas les chiffres exacts à portée de main, mais je peux certainement les trouver. Grâce à nos exploitants de sables bitumineux, nous savons qui sont les fournisseurs, au Canada et dans les provinces. Au Québec, je crois qu'ils sont 500 ou 600, mais je ne suis pas sûr du chiffre. En Colombie-Britannique, il y en a 600, 700 ou peut-être même 800, dans ces eaux-là. Comme je l'ai dit, ce ne sont pas les chiffres exacts, mais ils sont assez bien répartis dans le pays.
Le sénateur Patterson: Les principaux fournisseurs sont-ils en Ontario et dans le nord du Québec?
M. Ferguson: Oui, c'est en Ontario qu'on en compte le plus, je crois. C'est le cœur du secteur manufacturier.
J'aimerais dire quelque chose, si vous permettez. Il y a des fournisseurs, parmi mes préférés, dont nous ne tenons pas le compte, parce que ce sont des fournisseurs indirects. Dans la région du grand Toronto, il y en a environ 67: ce sont des sociétés qui fabriquent des palettes. Et si vous connaissez un tant soit peu le domaine, vous savez qu'au Canada, aucun manufacturier de petite ou moyenne taille ne peut se passer des palettes.
Le sénateur Patterson: Les palettes de bois?
M. Ferguson: Les palettes de bois, oui. Si on pense à des occasions d'emploi pour les nouveaux arrivants dans ce secteur, la fabrication des palettes est un bon tremplin. C'est l'un de mes sous-secteurs préférés. Nous avons grand besoin d'eux.
Pour répondre à votre question sur les cours du pétrole, honnêtement, nous sommes très prudents à l'ACPP pour ce qui est de faire des prévisions ou des projections sur les prix des produits de base. La loi sur la concurrence nous impose des restrictions très rigoureuses lorsque nous sommes plusieurs membres ensemble à discuter des prix à venir des produits de base. Nous prenons très au sérieux le concept de collusion. Même les projections que nous publions quelques fois par année ne sont pas réellement, dans un sens général, ce que nous pourrions appeler des prévisions de prix. C'est plutôt un sondage sur la production de nos membres et sur ce qu'ils pensent qu'ils vont produire, compte tenu de l'état de leurs projets. En ce sens, ce ne sont pas de véritables prévisions de production.
Pour ce qui est du prix des produits de base à court et moyen terme, je pense qu'il y aura une légère hausse cette semaine, à 38$ je crois, c'est donc assez positif de ce point de vue, mais 38$ c'est encore très loin de 60$ ou 70$, ce qu'on verra sans doute à plus long terme.
Nous nous plaisons aussi à dire qu'en tant qu'exploitants, nous contrôlons uniquement ce que nous pouvons contrôler, et le prix des produits de base échappe à notre contrôle. Nous devons faire le reste du travail, peu importe où en sont les prix.
La sénatrice Seidman: Merci beaucoup, monsieur Ferguson.
Il y a deux ou trois semaines, quand M. McMillan était ici, j'allais lui poser des questions sur la réunion à venir des premiers ministres. Cette rencontre est terminée, maintenant. Ce que nous savons, c'est que dans chaque province et territoire, les ministres vont retourner à leurs planches à dessin dans le but exprès, comme il en est ressorti de leur rencontre, de réduire les émissions au Canada et d'essayer, d'une façon ou d'une autre, de mettre un prix sur le carbone. Ils semblent tous adhérer à cette idée en tout cas.
Voici ce que j'aimerais vous demander: est-ce que cela va alourdir le fardeau financier du secteur pétrolier? Quelles mesures votre secteur serait-il prêt à appuyer pour réduire les émissions? En fait, appuyez-vous l'instauration d'un prix sur le carbone?
M. Ferguson: On m'a posé la même question plus tôt aujourd'hui. Je vais commencer par vous donner une réponse générale. Les membres de l'ACPP sont très diversifiés en ce qui concerne la taille de leurs entreprises: il y en a des petites, des grandes, mais nos membres sont aussi très diversifiés en ce qui concerne leur mode d'investissement, leurs actionnaires et leur provenance. Dans le secteur canadien du gaz et du pétrole, nous avons une diversité incroyable de ressources que nous tentons de développer, ainsi qu'une diversité en ce qui concerne les compétences. Comme vous pouvez l'imaginer, avec une telle diversité, les opinions de nos membres sont aussi très diversifiées en ce qui concerne un éventuel mécanisme d'instauration de prix sur le carbone.
Comme vous en avez pris connaissance, certains de nos membres appuient résolument l'instauration multisectorielle, à l'échelle du pays, d'une taxe ou d'un prix sur le carbone. D'autres se font plus discrets quant à la position qu'ils entendent prendre. Notre opinion, comme nous l'avons toujours dit, en tant que représentants du secteur, c'est que la diversité est là. Il y a plusieurs façons d'atteindre le résultat que nous voulons tous atteindre, soit de parvenir à réduire les émissions.
De même, tout le secteur — en dehors du secteur aussi — estime que la technologie et l'invasion sont déterminantes, non seulement pour l'avenir de la réduction des émissions que nous souhaitons, mais aussi pour la compétitivité et les débouchés au Canada en tant qu'économie basée sur les ressources naturelles.
À l'heure actuelle, nous sommes effectivement assujettis à des compétences qui mettent un prix sur le carbone. Cela nous va; nous fonctionnons bien dans ces provinces. Nous sommes aussi présents dans des environnements de réglementation qui n'ont pas expressément mis un prix sur le carbone. Nous y fonctionnons très bien. La Saskatchewan, par exemple, a fait de l'excellent travail pour ce qui est de la capture et du stockage de carbone, mais elle n'a pas réellement mis de prix sur le carbone. La Colombie-Britannique, pour sa part, impose de manière générale une taxe sur le carbone. L'Alberta a fait du très bon travail aussi, et a même accéléré le pas récemment, en envisageant l'imposition d'une taxe de portée générale sur le carbone, mais aussi des mécanismes de réglementation couvrant des possibilités très intéressantes pour certaines grandes sources d'émissions, comme la nôtre, ainsi que pour le charbon.
C'était très encourageant pour nous de savoir que le gouvernement fédéral et toutes les provinces étaient ensemble à Vancouver pour en discuter. Nous avons vu récemment que si l'on adoptait une approche différente, il était possible de trouver de nouvelles solutions, et sans doute meilleures. D'un côté, aller de l'avant tout en respectant la diversité; de l'autre, avoir une certaine uniformité pour ce qui est d'atteindre l'objectif visé. C'est peut-être entre les deux que se trouve la solution pour obtenir l'accès aux marchés et amener nos ressources naturelles sur les bons marchés au bon moment et en tout temps.
La sénatrice Seidman: Vous avez dit qu'il y avait plusieurs mécanismes, et vous en avez décrit quelques-uns. Vous avez aussi parlé de mécanismes de réglementation. Pouvez-vous être plus explicites?
M. Ferguson: Bien sûr. Je pourrais vous parler d'un très bon mécanisme que j'aime bien et qui concerne les émissions de méthane. Il vise notre secteur en particulier, mais, de façon générale, beaucoup d'autres secteurs importants de l'économie émettent aussi quantité de méthane. Pour notre secteur, en Colombie-Britannique et en Alberta — et bientôt en Saskatchewan aussi —, nous avons adopté une approche de réglementation en ce qui concerne les normes d'émission et de rendement applicables aux nouvelles installations et aux nouvelles infrastructures que nous mettons en place. Cela se fait avec le gouvernement fédéral, et en collaboration avec les provinces.
Nous collaborons aussi avec ces deux provinces en ce moment, ainsi qu'avec des organisations non gouvernementales de l'environnement, pour voir ce que nous pourrions faire avec les installations plus anciennes qui se trouvent dans toutes les provinces. Comment accélérer leur remplacement? Ce n'est pas ce que j'appellerais un cadre de réglementation; c'est quelque chose qu'on ferait avec le gouvernement, avec les ONG environnementales et notre secteur, à la même table, pour concevoir un programme qui serait harmonisé au modèle américain pour certaines des activités liées à la réglementation.
Il y a aussi des instruments de réglementation propres à la Colombie-Britannique, à l'Alberta et à la Saskatchewan, qui portent sur la détection et la réparation des fuites. En Colombie-Britannique et en Alberta, dans les processus d'élaboration des politiques climatiques, nous avons parlé d'un règlement que le gouvernement devrait tout simplement élaborer et qu'on devrait adopter. Nous serons là avec eux pour trouver le meilleur moyen de concevoir et de mettre en œuvre ce règlement pour la détection et la réparation des fuites liées aux émissions de méthane de notre propre secteur gazier.
La sénatrice Seidman: Cela m'amène à une question que j'avais envie de vous poser: la ministre de l'Environnement vous a-t-elle, de fait, donné la possibilité de participer aux discussions sur la tarification du carbone, ou vous a-t-elle consulté à ce sujet? Qu'est-ce qui serait acceptable pour l'industrie sans toutefois nuire aux prix, dans l'ensemble?
M. Ferguson: Je tiens à m'excuser. Au départ, votre question était de savoir si cela imposerait un fardeau pécuniaire à l'industrie. Je ne veux pas invoquer un lieu commun, mais toute hausse de prix pour un secteur qui peine à arriver selon ce profil des coûts, par rapport à la concurrence pour les investissements, est importante. Les progrès que nous réalisons doivent présenter une certaine valeur pour nous.
Notre point de vue sur la tarification du carbone ou sur l'évaluation de sa valeur est important, à condition que l'on accorde beaucoup d'attention au fait de mettre ces fonds au profit de la technologie, pour le bienfait à moyen et à long terme d'une manière générale, non seulement celui de notre secteur, mais aussi celui du Canada.
La hausse des coûts nous préoccupe, c'est indiscutable. Nous cherchons à maximiser grandement l'efficacité du système. Le Canada est un pays dont les coûts de production sont élevés à l'échelle internationale. On insiste beaucoup sur ce fait lorsqu'on a un problème de prix des produits de base comme celui que nous avons maintenant. Nous en sommes conscients, mais nous voyons aussi la possibilité de créer une véritable valeur à long terme ici.
Pour ce qui est d'être consulté au sujet de la tarification générale du carbone, nous estimons qu'il y a beaucoup de travail à faire dans ce domaine. Selon moi, ce n'est pas une solution à court terme. Il y aura beaucoup de dialogue entre les provinces et les territoires au Canada. J'ai dit aujourd'hui à quelqu'un qu'on avait beaucoup discuté et dialogué au sujet de la création d'un organisme unique de réglementation des valeurs mobilières à l'échelle du Canada, mais cela ne s'est pourtant pas fait en peu de temps. Donc, il est probablement irréaliste de penser qu'on peut maintenir une tarification du carbone pendant une période qui peut s'échelonner sur quelques mois. Nous sommes heureux de savoir que l'on entame ce dialogue et nous chercherons à y participer, selon les circonstances.
À court terme, la priorité est de s'occuper du reste de la réglementation environnementale connexe au Canada pour promouvoir cette amélioration de l'efficacité, qu'il s'agisse des processus d'évaluation environnementale ou de l'ONE. Nous sommes particulièrement intéressés par ces deux sujets et nous nous y engagerons à fond, car nous y voyons la possibilité de bien nous placer pour créer un processus efficace, qui fonctionnerait bien pour tous les Canadiens et grâce auquel nous obtiendrions ce dont nous avons besoin à moyen terme, à savoir l'accès aux marchés.
Le président: Je veux aller plus loin au sujet des émissions fugitives. Vous avez répondu à la sénatrice Seidman à ce sujet. Corrigez-moi si je me trompe, mais le gaz naturel, si ses émissions sont fugitives — qu'il ne brûle pas — et qu'il est rejeté dans l'atmosphère, produit environ 25 fois plus de gaz à effet de serre que si vous aviez brûlé la même quantité de gaz. Je tente de me souvenir de certaines de ces notions.
Quand nous essayons de mesurer combien de tonnes de gaz à effet de serre sont émises, incluons-nous désormais les émissions fugitives dans ce calcul sous forme de pourcentage ou autre? Comment mesure-t-on la quantité d'émissions fugitives qui sont rejetées dans l'atmosphère, ou a-t-on mis en place une façon de la mesurer? S'il y a une façon de la mesurer et que l'on fait réellement ce qu'il faut pour les limiter — peut-être installer de nouvelles soupapes et tous les genres de choses qui existent pour le faire —, peut-on réellement montrer que l'on a réduit d'autant les émissions? Sur quelles bases scientifiques se fonde la mesure des émissions fugitives?
De toute évidence, cela représente des coûts. Cependant, je pense qu'on peut assez facilement le faire pour réduire massivement les émissions de gaz à effet de serre. Par contre, je ne sais pas quelle est maintenant l'intensité d'émission moyenne.
M. Ferguson: Elle diffère selon les provinces. Je peux vous dire que, entre les deux provinces où j'ai passé beaucoup de temps, soit la Colombie-Britannique et l'Alberta, la Colombie-Britannique dispose de beaucoup plus de données de surveillance et de rapports sur les émissions fugitives, l'évacuation et le torchage. Je crois que c'est en partie parce que le règlement de la taxe sur le carbone nous a obligés à resserrer le tout et à mesurer davantage.
Nous disposons d'une bonne base de données à partir de laquelle travailler en Colombie-Britannique pour faire le point sur les progrès réalisés vers l'atteinte de notre objectif. Nous disposons d'une bonne source pour chaque installation en Colombie-Britannique en particulier: les émissions fugitives, l'évacuation, le torchage. Elle est vraiment solide.
L'une des raisons pour lesquelles nous avons voulu adopter des règlements sur le mécanisme de détection et de réparation des fuites est, franchement, pour amener les provinces au même niveau de cueillette des données. Si l'on veut commencer à réaliser des progrès à l'égard des émissions de méthane, et cela est essentiel à court terme en raison des potentiels de réchauffement de la planète auquel vous avez fait référence, il est crucial de commencer par se doter d'une bonne base de données.
Je crois que nous avons une bonne longueur d'avance. Nous nous sommes fixé des cibles en C.-B. et en Alberta, que nous avons énoncées et que nos membres ont examinées du point de vue pratique. Nous croyons que celles-ci sont réalistes, étant donné que nous voulons nous assurer que le procédé est rentable afin de pouvoir les appeler en renfort du marché des crédits compensatoires, dans la mesure du possible. Nous trouverons une solution à cet élément avec l'aide d'un organisme de réglementation dans les deux provinces, du gouvernement, ainsi que des ONG environnementales, qui assureront la relative honnêteté de chacun.
Les aspects scientifiques de la surveillance et de la collecte des données, nous les possédons. Certes, au chapitre de la mesure, en Colombie-Britannique, comme je l'ai dit, on est un peu plus avancé. Pour ce qui est de la compréhension des canons de méthane et ainsi de suite, nous avons une très bonne idée de ce qui laisse échapper des gaz. Quant aux quantités, cela dépend de la province dans laquelle on se trouve, mais nous y arriverons.
Le président: C'est une très bonne nouvelle.
La sénatrice Ringuette: J'aimerais vous poser trois questions.
Vous avez mentionné que la production avait augmenté et continuera de croître. Cependant, selon les données disponibles, au cours du dernier mois, si ma mémoire est bonne, l'Alberta a perdu 107 000 emplois. Si la production continue d'augmenter, comment se fait-il que nous assistions à toutes ces pertes d'emplois?
M. Ferguson: Un grand nombre d'emplois perdus sont liés à des projets que l'on comptait lancer. Mais la production non liée aux sables bitumineux a également été durement frappée en termes d'emplois et de volume. Comme je l'ai indiqué, les projets liés aux sables bitumineux qui étaient au trois quarts achevés, par exemple, ou aux trois quarts de leur mise en production, vont aller de l'avant.
La plupart des pertes d'emplois se sont produites à Calgary et alentour, plutôt qu'à Fort McMurray, par exemple. À Fort McMurray, il y a, croyez-le ou non, un bassin d'emplois liés aux métiers et aux diverses activités rattachés la production des sables bitumineux. Ce bassin n'a pas diminué. Il demeure stable. Un grand nombre de pertes d'emploi, en Alberta, se sont produites dans les sièges sociaux, à Calgary, par exemple, mais également dans le secteur des services. Je crois qu'on va bientôt annoncer d'autres mauvaises nouvelles dans ce secteur.
La sénatrice McCoy: Dans le secteur des services pétroliers?
M. Ferguson: Oui, dans le secteur des services pétroliers. Si le nombre des pertes d'emploi n'a pas exactement suivi le déclin de la production, c'est en raison du gigantisme des projets.
La sénatrice Ringuette: Y a-t-il déclin ou croissance de la production?
M. Ferguson: Veuillez m'excuser: le prix des produits de base connaît un déclin. Si nous n'avions pas de grands projets à long terme et à long délai dans les sables bitumineux, nous aurions également observé un déclin de la production et de l'emploi.
La sénatrice Ringuette: D'accord.
M. Ferguson: Je crois que s'il y a un décalage, c'est simplement en raison de la taille et de la portée des projets.
La sénatrice Ringuette: Je crois que les producteurs extracôtiers du Canada atlantique sont également membres de votre association.
M. Ferguson: Oui.
La sénatrice Ringuette: Dans quelle mesure la production extracôtière de la Nouvelle-Écosse et de Terre-Neuve est-elle affectée en comparaison de celle de l'Alberta?
M. Ferguson: Leur situation est quelque peu différente — non, pas quelque peu différente: complètement différente. La Nouvelle-Écosse, comme Terre-Neuve-et-Labrador...
La sénatrice Ringuette: Mais elles sont aussi affectées par le prix des produits de base.
M. Ferguson: Oui. La production de gaz naturel autour de la Nouvelle-Écosse est en déclin depuis un certain temps. D'un autre côté, les prix du gaz naturel sont en déclins depuis longtemps. Ce secteur s'est déjà adapté à une longue période de bas prix des produits de base.
L'enjeu, pour la Nouvelle-Écosse, tant pour le secteur extracôtier que pour le gouvernement, c'est que, parce que le prix du gaz naturel est bas depuis longtemps, il existe encore une bonne demande pour la côte Est, mais aussi, pas vraiment de motivation ou de volonté d'investir beaucoup d'argent dans l'exploration de nouvelles ressources en gaz naturel au large de la Nouvelle-Écosse. L'inquiétude, là-bas, est quelque peu différente de celle liée au déclin du prix du pétrole.
Terre-Neuve est, pour être franc, l'un des grands succès du secteur dans l'ensemble du Canada. De grandes sociétés ont récemment annoncé leur désir de poursuivre l'exploration et d'investir dans les ressources extracôtières de la région. Il s'agit, une fois encore, de gros projets, de gros investissements en capitaux. Elles voient bien plus loin que la fluctuation passagère, sur un ou deux ans, du prix des produits de base. Elles recherchent la stabilité à long terme avec des projections qui s'échelonnent sur 25 à 30 ans. C'est la même chose que pour les sables bitumineux. On continuera d'investir dans ces gros projets.
La sénatrice Ringuette: Pour ce qui est de votre expérience de la tarification du carbone en Colombie-Britannique et en Alberta, ainsi que du captage et du stockage du carbone, l'Ouest canadien est une grande région agricole et la Colombie-Britannique est une grande région forestière: négociez-vous des ententes avec les agriculteurs et les forestiers en vue d'équilibrer les émissions de carbone avec leur capacité de stockage?
M. Ferguson: Je dirai que, depuis 5 ou 10 ans, on observe beaucoup plus de dialogues intersectoriels que par le passé, tout particulièrement entre le secteur forestier et les secteurs pétrolier et gazier, pas simplement sur le carbone, mais aussi sur l'ensemble de l'empreinte sur le territoire, que ce soit en assurant une gestion conjointe des caribous, car notre action sur le territoire affecte les caribous, ou que ce soit en matière d'utilisation et de recyclage des eaux. On observe un début de dialogue, encore timide, je pense, sur le rôle que les forêts peuvent jouer en tant que puits de carbone, par contraste avec les émissions de carbone dont nous sommes essentiellement responsables. Mais il est encore trop tôt pour une bonne compréhension. Et je vous dis cela en tant que forestier. Mais des liens existent entre les deux secteurs.
La sénatrice Ringuette: Bien.
M. Ferguson: Je suis convaincu qu'il existe d'importantes possibilités de partage d'information et d'orientation entre ces deux secteurs.
La sénatrice Ringuette: Question complémentaire: croyez-vous, du point de vue du secteur, qu'il vous incombe de prendre l'initiative de ces dialogues et ententes de coopération relatives au carbone, ou bien pensez-vous que cela incombe au gouvernement, qu'il soit provincial ou fédéral?
M. Ferguson: Je ne crois pas que nous ayons de point de vue sur la question en tant qu'association. Mais je peux assurément vous donner mon point de vue sur la question. Je pense que l'on pourrait affirmer que c'est une responsabilité conjointe. Ce ne sont pas nos terres, et ce ne sont pas nos ressources. Elles sont la propriété de la Couronne. Je ne crois pas que, de façon générale, j'entamerais de négociations en l'absence du propriétaire de ces ressources à la table.
Pour être honnête, je ne parle pas du gouvernement du Canada ou des gouvernements provinciaux, mais des gouvernements autochtones. Ce ne sont pas nos terres. Ce ne sont pas nos ressources. Nous sommes un bon intervenant, mais nous ne sommes pas le propriétaire.
La sénatrice Ringuette: La tarification du carbone est en vigueur, tant en Colombie-Britannique qu'en Alberta, depuis un certain nombre d'années, alors cette dynamique est-elle mise en place? Je n'en ai pas l'impression, à ce que vous en dites. Je parle d'une dynamique bien établie pour ce qui est de rationaliser toute ces...
M. Ferguson: Je crois que nous en sommes proches. Dans ma province natale de Colombie-Britannique, nous avons accompli du bon travail et réussi quelque chose en ce sens. Mais il devient difficile d'aller plus loin. Il faudrait maintenant adopter de nouveaux modes de pensée et d'interaction sur le territoire.
La sénatrice Ringuette: Vous passez d'une approche individuelle axée sur l'industrie...
Le président: D'autres personnes aimeraient poser des questions.
La sénatrice Ringuette: Je suis désolée.
Le président: Merci. Sénatrice McCoy.
La sénatrice McCoy: Veuillez excuser mon retard. J'ai été retenue dans un autre comité. Toutes mes excuses, monsieur Ferguson. Je suis contente de vous voir ici et de poursuivre la conversation, qui est très importante pour l'Alberta, ma province.
Dans la lignée des questions de la sénatrice Ringuette sur le ralentissement économique, nous avons déjà vécu cela, bien sûr, surtout au début des années 1980. Le prix avait alors chuté à l'échelle mondiale et de nombreux emplois ont été perdus, mais — et je crois que c'est vous qui me l'avez appris — nous avons subi de grandes pertes matérielles parce que le secteur des services pétroliers nous a abandonnés. Ils n'avaient plus rien à faire, alors ils sont allés ailleurs, au sud de la frontière, puis il nous a fallu du temps pour nous en remettre. Quelle est la situation aujourd'hui?
M. Ferguson: Au cours du prochain ou des deux prochains trimestres, il y aura beaucoup plus d'annonces provenant du secteur que je vais surveiller. L'équipement est plutôt inactif ces temps-ci, et ce n'est pas bon signe. Les familles ont besoin de travail. Elles finiront par aller là où sera le travail.
Vous avez raison. Il est très difficile pour la base de soutien de ce secteur de service si important pour notre secteur de ne pouvoir revenir quand nous en avons besoin. Cette réalité nous inquiète beaucoup. C'est en partie pourquoi nous envisageons chaque possibilité de développement des ressources pétrolières et gazières au Canada, que ce soit au Nouveau-Brunswick ou en Nouvelle-Écosse, en zones extracôtières ou en zones côtières, ou au Québec. En ce moment, chaque mesure visant à créer de l'investissement qui permettra à cet équipement et à ces travailleurs de continuer à travailler est essentielle.
Il faudra surveiller cette année en particulier comment les choses se déroulent et évoluent. Je ne prétends pas avoir de bonnes nouvelles à ce sujet. Toutefois, nous sommes inquiets et nous faisons tout ce qu'il faut pour trouver des possibilités.
La sénatrice McCoy: Je comprends qu'il est dans l'intérêt de l'Alberta, dans l'intérêt d'une région, de faire la promotion du développement économique d'autres régions du Canada et de stimuler notre secteur, ce qui est bon.
Nous avons parlé brièvement d'un plan d'accès au marché avec M. McMillan, lorsqu'il a témoigné il y a quelques semaines.
M. Ferguson: Effectivement.
La sénatrice McCoy: C'est-à-dire rassembler des gens de partout au Canada et d'intérêts divers pour discuter de la façon dont nous pourrions accéder au marché d'une manière qui profiterait à toutes les régions du Canada. Nous venons tout juste de commencer à en parler. Vous êtes plutôt bien renseigné à ce sujet. Pouvez-vous nous en dire davantage?
M. Ferguson: Bien sûr. Depuis un certain temps maintenant, nous tentons de définir une stratégie énergétique pour le Canada. Ces efforts doivent se poursuivre, selon nous. Bien entendu, une vaste stratégie énergétique pour le Canada comprendrait l'électricité, les énergies renouvelables, le nucléaire, et cetera.
L'un des aspects porte sur l'accès au marché, se positionner de façon à avoir un meilleur accès à plusieurs marchés plutôt qu'un seul. Comme nous l'avons dit, il serait bon de se concerter pour définir la marche à suivre pour passer de vagues énoncés de la nécessité d'accéder au marché à des mesures concrètes à mettre en place.
Nous passons beaucoup de temps, par exemple, à discuter à propos de comprendre et de toujours tenter de comprendre le rôle des peuples autochtones au Canada en matière d'accès au marché. Je ne crois pas qu'il y a un manque de volonté de comprendre ce rôle, mais il y a probablement trop de rôles différents et ils ne sont pas organisés comme devrait l'être un plan d'action définitif pour s'assurer d'aboutir à de bons résultats en ce qui concerne l'accès de nos produits à divers marchés.
Je répète souvent qu'il ne s'agit pas d'un problème de pétrole. C'est un problème de gaz naturel. C'est un problème de bois d'œuvre. Et si vous parlez aux gens du secteur minier, ils diront aussi que c'est un problème de mines. Si nous croyons que les ressources naturelles de notre pays forment, et continueront de former, une part importante de notre économie, alors il faut se concerter afin de trouver la solution pour obtenir le maximum de flexibilité pour que toutes nos ressources naturelles atteignent toujours les bons marchés, au bon moment.
Sans vouloir manquer de respect envers les efforts déployés par le Canada pour établir une stratégie énergétique par le passé, nous ne disposons que d'une occasion de courte durée, selon nous. Plus vite nous y arriverons, plus il sera probable d'offrir une petite certitude entourant les investissements et de renforcer la confiance des investisseurs à l'échelle mondiale afin que nous, au Canada, puissions démarrer des projets et offrir nos produits sur les bons marchés.
La sénatrice McCoy: On parle d'une approche très pragmatique, très pratique. La stratégie n'était qu'une vaste entente de principe, qui fonctionne. Maintenant, il est temps de passer à l'action.
M. Ferguson: Oui.
La sénatrice McCoy: Enchaînons avec la collecte de données — je faisais référence à l'établissement de règles sur la détection des fuites, et à la nécessité d'avoir des données. Je suis sûre que tout le monde sait que nous avons eu un rapport sur les redevances en Alberta récemment. On y recommande la création d'une agence d'information sur l'énergie pour l'Alberta qui rivaliserait avec l'Energy Information Administration des États-Unis.
Dans l'ensemble du Canada, les données énergétiques ne sont pas abondantes. C'est surprenant que nous ayons réussi aussi bien, à mon avis. Et vous, qu'en pensez-vous?
M. Ferguson: Nous avons été très coopératifs pendant tout le processus des redevances en Alberta. D'ailleurs, nous sommes encore au cœur de processus d'étalonnage. Il est particulièrement évident que la formulation du régime de redevances qui nous est présenté en Alberta dépend lourdement des données. Nous avons réalisé, malheureusement à la dure, qu'il y avait des lacunes dans quelques zones de données, surtout à propos de la façon dont le travail initial avait été formulé.
Nous sommes vraiment favorables à ce genre d'initiatives qui peuvent aboutir à des données plus cohérentes, rigoureuses et intègres sur notre secteur. Nous avons consacré beaucoup de temps et de ressources dans notre secteur à la collecte et à la création de données, qu'elles soient économiques, sociales ou environnementales. Il se peut toutefois que nous n'ayons pas consacré autant d'énergie à la gestion adéquate de ces données et à la vérification de celles-ci afin qu'elles soient rigoureuses et disponibles pour ceux qui ont besoin de les consulter. Il faut que ce travail soit fait, et je crois que le tout débutera bientôt.
Un de mes exemples préférés est un projet que nous avons réalisé en collaboration avec Enform, notre association de sécurité, et l'équivalent d'Enform pour les sables bitumineux. Nous avons travaillé très fort pour rassembler les données des trois provinces de l'Ouest sur les accidentés du travail afin de créer un outil qui permettrait de déterminer quels programmes seraient les plus efficaces pour réduire les incidents liés à la sécurité. Je dirais que nous y avons consacré trois ans d'efforts.
Notre secteur comprend et appuie vraiment la notion d'accès aux données et de saine gestion de ces données.
La sénatrice McCoy: Merci. Je vais m'arrêter ici. Je suis sûre que d'autres ont des questions.
Le sénateur Mockler: Veuillez m'excuser aussi de mon retard. Comme je viens du Canada atlantique, plus particulièrement du Nouveau-Brunswick, j'ai quelques questions. Dans les faits, est-il vrai que les oléoducs sont le moyen le plus sécuritaire de transporter le pétrole brut?
M. Ferguson: Je pense que l'Office national de l'énergie ou l'Association canadienne de pipelines d'énergie vous diraient qu'un grand nombre de faits viennent appuyer cette affirmation. En termes de volume, ils vous diraient aussi que des incidents se produisent parfois, mais probablement pas à la même fréquence, peut-être, ou gravité — deux façons différentes de les mesurer — que d'autres moyens de transport, comme les camions ou les chemins de fer.
Le sénateur Mockler: Ma prochaine question à ce sujet est que, quand on regarde le Québec et le Canada atlantique, on sait que la sécurité énergétique est importante.
M. Ferguson: Oui.
Le sénateur Mockler: À l'heure actuelle, nous ne l'avons pas, surtout avec l'importation de quelque 100000 mètres cubes de pétrole par jour, chaque jour, y compris du pétrole en provenance de l'Arabie saoudite, de l'Irak, de l'Algérie et de l'Angola, tous membres d'une organisation dont les intérêts ne comprennent certainement pas la sécurité énergétique au Canada atlantique et au Québec. Ma question pour vous est la suivante: quel impact un oléoduc de Lévis, au Québec, jusqu'à Saint John, au Nouveau-Brunswick, aurait-il sur le secteur pétrolier au Canada?
M. Ferguson: À court terme, il serait possible d'envoyer une partie de nos produits sur différents marchés — accès à certaines raffineries et compensations, parfois, parce que le pétrole n'est pas toujours le même — avec l'aide de certaines raffineries et exploitations dans l'Est du Canada et, aussi, fondamentalement, d'amener nos produits jusqu'aux côtes afin de pouvoir accéder à des marchés autres que le marché nord-américain.
À ce stade, j'hésiterais à dire exactement combien, mais je suis sûr qu'il y a plusieurs molécules de pétrole de l'Alberta qui se rendent aux États-Unis et à un port par différents moyens, sont chargées sur un bateau, puis renvoyées de quelque façon dans l'Est du Canada et sur la côte Est des États-Unis. Ce n'est pas le Canada qui profite de ce transport, mais quelqu'un d'autre.
La possibilité de transporter notre propre pétrole dans notre propre pays offre probablement une valeur ajoutée et peut générer certains profits immédiatement, à court terme. C'est important pour notre secteur. Toutes les possibilités d'amener nos produits, que ce soit du pétrole ou du gaz naturel, jusqu'aux côtes pour accéder à divers marchés sont extrêmement importantes.
Le sénateur Mockler: C'est M. McMillan qui, lors de sa dernière comparution, a dit que l'Agence internationale de l'énergie, située à Paris, en France, avait présenté une prévision annuelle de la consommation de pétrole et de gaz pour les 25 prochaines années. Selon les plus récents travaux de l'agence, la demande pour le pétrole et le gaz naturel devrait augmenter d'ici la fin de l'enquête. Chaque année, elle devrait croître graduellement. Ma question pour vous porte sur le dollar canadien. Est-ce que le déclin du dollar canadien aide l'industrie pétrolière au Canada?
M. Ferguson: Bonne question. Je ne suis pas un expert en la matière, mais je crois que cela dépend de l'exploitant et de la société, de leur degré de vulnérabilité, ainsi que de l'endroit où ils puisent leurs produits et sur quels marchés ils les vendent. Je sais, par mon expérience du secteur forestier, que lorsque nous exportons des produits canadiens vers les États-Unis et que le taux de change est aussi bas, il y a un avantage important, mais je crois qu'il est diminué du fait qu'une grande partie de notre secteur importe beaucoup de matériel et d'équipement des États-Unis en dollars américains. La situation serait différente selon l'exploitant et le créneau.
Je pense qu'on peut dire qu'en général, pour un secteur où les exportations dominent, la faiblesse du dollar canadien est un avantage.
Le sénateur Mockler: Je terminerai par un commentaire. Vous, en tant qu'expert-forestier, vous n'avez pas parlé de granules (pellets), mais bien de palettes (pallets).
M. Ferguson: C'est exact.
Le sénateur Mockler: Je tiens à dire que le deuxième plus grand producteur de palettes au Canada, sinon le premier — il vise la première place en 2016 —, est le Groupe Savoie, de notre région, sénatrice Ringuette.
M. Ferguson: Je pourrais aller y jeter un coup d'œil.
Le sénateur Mockler: Il le faut.
Le président: Vous avez réussi votre petit coup de publicité. Très bien, sénateur. Poursuivons.
[Français]
La sénatrice Bellemare: Je tiens à m'excuser de mon retard. J'ai manqué plusieurs questions, et peut-être que celle-ci vous a été posée. Je voulais la poser la semaine dernière ou il y a deux semaines, lorsque nous avons tenu notre vidéoconférence, mais, finalement, nous avons éprouvé des problèmes techniques. Je vais donc vous la poser, et elle fait suite aux dernières questions.
Avez-vous une idée du prix du baril de pétrole brut à partir duquel il vaut la peine d'investir dans l'industrie pétrolière au Canada? Pour mettre ma question en contexte, nous savons que les prévisions, en ce qui concerne le dollar et le prix du baril de pétrole, sont plutôt faibles. Il pourrait y avoir une reprise, sait-on jamais, mais pour l'instant, c'est plutôt faible. Il y a sûrement un seuil à partir duquel les investissements ne valent pas la peine. Avez-vous une idée, en dollars américains — ou canadiens, si vous préférez — de la valeur de ce baril de pétrole?
[Traduction]
M. Ferguson: Je vais essayer de le comprendre dans l'un ou l'autre des dollars. D'abord, je dirais que cela dépend vraiment de la ressource. Une nouvelle mine de sables bitumineux serait très coûteuse, par exemple. Ce serait très exigeant en investissements. Il faudrait obtenir un rendement assez élevé, ou au moins un rendement raisonnable. Il faudrait pour cela que le prix des produits de base soit élevé. Tout dépend de l'endroit et du type de mine. La ressource est tellement diversifiée.
En Alberta, il y a une règle peu connue selon laquelle l'exploitant de sables bitumineux est tenu de développer un certain pourcentage de la ressource. Une fois dans la partie, l'exploitant n'a pas le choix de le faire, peu importe le prix des produits de base.
Généralement parlant, j'ai entendu dire à plusieurs reprises — parce que je ne suis pas un exploitant individuel — que les prix ne sont pas favorables à la réalisation de nouveaux projets dans le contexte de ces projets d'envergure. Dans certaines zones gazières non classiques — par exemple, le gaz de schiste dans le nord-est de la Colombie- Britannique, ou à certains endroits en Alberta, ou même ailleurs comme au Nouveau-Brunswick —, la situation varie considérablement: tout dépend des services de soutien en place et du développement réalisé. Les coûts seront probablement moins élevés si la zone est relativement bien développée. Le forage d'un puits de gaz de schiste ou d'un puits de pétrole de réservoirs étanches peut coûter entre 8 et 10 millions de dollars, et ce si l'on a de la chance. Il s'agit d'un investissement substantiel. Pour obtenir un tel montant, il faut montrer, en tant qu'entreprise, que cet investissement rapportera un profit prévisible et raisonnable.
Certes, si l'on considère le prix du gaz naturel, qui est relativement faible depuis un bon moment, je ne pense pas que de nouveaux puits de gaz de schiste à coûts élevés seront forés vu le prix de ce produit de base. Il faudrait que le puits soit situé très près du marché. Malheureusement, en Colombie-Britannique et en Alberta, en l'absence de débouchés pour le gaz naturel liquéfié (GNL), nous sommes du mauvais bout du tuyau, comme je me plais à dire. En l'absence de possibilités d'exportation, notre marché se limite principalement aux États-Unis, soit très loin de nous. Vu le coût du transport, le prix des produits de base doit être élevé pour permettre une telle dépense.
Là encore, il n'y a pas de solution simple. Les projets de GNL sont également très coûteux. Compte tenu des conditions économiques observées, je pense qu'il était raisonnable d'investir dans ces projets dans ce secteur en général lorsque les prix au Japon variaient entre 12$ et 15$, mais ces prix ont énormément chuté dernièrement. Je pense que ces investissements sont vraiment remis en question en ce moment. C'est pourquoi nous constatons le report de certains de ces projets.
Je suis désolé de ne pas pouvoir vous citer avec exactitude les prix des produits de base, car les produits sont très différents, qu'il s'agisse de pétrole lourd ou léger. En Saskatchewan, on obtient de très bons résultats pour ce qui est des produits de pétrole à faible prix, en raison de la nature des ressources et de la structure de coûts en place pour le développement. Les résultats varient, selon le niveau du réservoir, et ce, pour toutes les zones de ressources. Les considérations économiques liées à la production dont nos entreprises doivent tenir compte sont très précises et complexes; de nos jours, elles sont surveillées de très près par les investisseurs.
[Français]
La sénatrice Bellemare: Ma deuxième question est liée à ce que pensent plusieurs personnes au Québec présentement. Selon vous, si le prix du pétrole demeure bas comme il l'est actuellement, est-ce que cela compromet la rentabilité du projet d'oléoduc vers l'Est ou si, au contraire, cela n'a rien à voir et que, compte tenu du coût de production actuel, l'oléoduc est rentable?
[Traduction]
M. Ferguson: Je peux vous dire que ces projets de pipeline sont des projets d'envergure de longue haleine offrant un horizon d'investissement à long terme. On ne s'attarde donc pas aux soubresauts passagers des prix des produits de base, mais plutôt aux possibilités à long terme. Il ne faut pas oublier que les pipelines sont un moyen de transport, au même titre qu'un chemin de fer. On construit des infrastructures pour gagner de l'argent à transporter nos produits. On cherche à conclure des contrats à long terme en ce qui concerne certains aspects de la capacité des oléoducs. C'est la même chose. On ne construit pas de chemins de fer à moins d'avoir des clients.
Pour ce qui est de la profitabilité, il y a probablement suffisamment d'argent pour ceux qui chercheraient à tirer avantage de la différence entre les prix en Amérique du Nord et ceux sur le marché mondial. Cet écart a beaucoup diminué ces derniers temps, mais les prix des produits de base ont également connu une forte baisse, de sorte que la valeur de cet écart, même si elle paraît très faible selon le graphique, est plus grande. Cet écart est très important économiquement parlant pour le moment et pour ceux qui poussent pour ce genre d'investissements importants.
La sénatrice McCoy: J'aimerais demander des précisions. Nous avons appris la semaine dernière que le gouvernement du Québec a obtenu une injonction contre Oléoduc Énergie Est. La première ministre de l'Alberta a pris le temps de se renseigner et a décidé que c'était tout à fait légitime. Elle n'y voit pas de problème. Pourriez-vous clarifier officiellement en quoi consiste cette injection?
M. Ferguson: Nous n'avons pas étudié la question en profondeur. Je ne peux donc pas vous en dire plus que vous ne le savez déjà. Selon nous, le gouvernement provincial a voulu insister sur ce qu'il juge important dans le cadre d'un processus. Tout bien considéré, nous n'avions rien à dire à ce sujet. Pour nous, il n'y avait pas de problème. C'est une question que doivent régler le gouvernement fédéral et le gouvernement de cette province. Nous nous attendons à avoir une réponse bientôt. Les processus d'évaluation environnementale ont été lancés au Québec hier, si je ne me trompe pas. Nous avons un observateur et nous surveillons la situation. Nous n'avons pas encore été appelés à témoigner devant le Bureau d'audiences publiques sur l'environnement ou à lui présenter de l'information, mais nous sommes prêts à lui fournir des informations et des conseils.
La sénatrice McCoy: En résumé, le but était de donner au Québec l'occasion de procéder lui-même à une évaluation environnementale?
M. Ferguson: Oui.
La sénatrice McCoy: Le but n'était pas d'empêcher la construction de pipelines?
M. Ferguson: Oui.
La sénatrice McCoy: Merci. C'est bon à savoir. Merci beaucoup.
Le sénateur Patterson: J'ai une brève à question, si vous me le permettez monsieur le président, au sujet des perspectives quant aux prix du pétrole.
Monsieur Ferguson, avez-vous des observations à faire sur la levée des sanctions contre l'Iran et l'incidence que cela pourrait avoir sur les prix du pétrole dans le futur? Pensez-vous que l'Iran devra investir à nouveau dans ses infrastructures pétrolières avant que sa production affecte les marchés mondiaux?
M. Ferguson: Les aspects géopolitiques de cette dynamique sont assez importants. Vous avez raison. J'en sais peu sur ces marchés, mais je sais qu'il y a beaucoup de conflits. Je pense que des investissements importants devront avoir lieu pour qu'il y ait de grandes répercussions.
En y regardant de près, le problème du prix des produits de base qui existent actuellement n'est pas causé par le Moyen-Orient. Par exemple, la production en Arabie saoudite n'a pas augmenté de manière substantielle au cours des dernières années, même si des gens pointent de temps à autre ce pays du doigt.
Pour être franc, le problème d'approvisionnement vient du Canada, des États-Unis et de quelques pays d'Amérique du Sud. Nous avons haussé notre production. Malheureusement pour nous au Canada, nous n'avons qu'un seul marché où vendre notre produit, et l'offre est trop grande sur ce marché. Notre capacité de vendre ailleurs contribuera à stabiliser la situation plus rapidement, en particulier pour le Canada. Nous ne reprochons pas au pays du Moyen-Orient leur production et nous ne nous posons pas de questions à ce sujet. Ces pays ne font rien de nouveau. Nous avons causé ce problème d'approvisionnement.
Le sénateur Patterson: Votre analyse est très intéressante. Merci.
Le président: Merci beaucoup, monsieur Ferguson. Vous nous avez donné des renseignements précieux qui nous aideront à préparer notre rapport. Nous vous remercions du temps que vous nous avez consacré. Nous allons maintenant suspendre la réunion. À notre retour, nous nous réunirons à huis clos pendant un certain temps.
(La séance se poursuit à huis clos.)