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ENEV - Comité permanent

Énergie, environnement et ressources naturelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Énergie, de l'environnement et des ressources naturelles

Fascicule nº 38 - Témoignages du 15 février 2018


OTTAWA, le jeudi 15 février 2018

Le Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles se réunit aujourd’hui, à 8 heures, pour étudier les effets de la transition vers une économie à faibles émissions de carbone.

Le sénateur Michael L. MacDonald (vice-président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le vice-président : Bonjour et bienvenue à la séance du Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles. Je m’appelle Michael MacDonald. Je suis vice-président du comité, et je représente la province de la Nouvelle-Écosse au Sénat.

Je vais maintenant demander aux sénateurs assis à la table de se présenter, en commençant par ceux qui se trouvent à ma droite.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Renée Dupuis, sénatrice indépendante de la région des Laurentides, au Québec.

[Traduction]

Le sénateur Richards : Dave Richards, sénateur du Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Cordy : Jane Cordy, sénatrice de la Nouvelle-Écosse.

[Français]

Le sénateur Massicotte : Paul Massicotte, du Québec.

Le sénateur Mockler : Percy Mockler, du Nouveau-Brunswick.

[Traduction]

Le sénateur Neufeld : Richard Neufeld, sénateur de la Colombie-Britannique.

Le vice-président : En mars 2016, le comité a commencé à étudier la transition vers une économie à faibles émissions de carbone.

Le comité examine cinq secteurs de l’économie canadienne, qui sont responsables de plus de 80 p. 100 de la totalité des émissions de gaz à effet de serre. Ces secteurs sont : l’électricité, les transports, l’exploitation pétrolière et gazière, ainsi que les industries tributaires du commerce et les immeubles à forte intensité d’émissions.

Aujourd’hui, j’ai le plaisir d’accueillir Warwick F. Vincent, qui est professeur titulaire au Centre d’études nordiques de l’Université Laval. Je vous remercie, monsieur Vincent, de vous joindre à nous. Veuillez faire votre déclaration préliminaire, après quoi les sénateurs vous poseront une série de questions.

Warwick F. Vincent, professeur titulaire, Centre d’études nordiques, Université Laval, à titre personnel : Honorables sénateurs, je vous remercie de l’occasion qui m’est donnée de comparaître aujourd’hui.

Je suis ici pour vous entretenir du Grand Nord du Canada et de la ligne de front du changement climatique. J’enseigne au Centre d’études nordiques, CEN, de l’Université Laval, un centre interuniversitaire d’études des environnements nordiques, qui cherche en particulier à travailler avec les collectivités nordiques et à favoriser le développement économique du Grand Nord.

J’espère que vous avez tous en main une copie du document que j’ai distribué. Sinon, la greffière dispose de quelques copies supplémentaires.

Si vous n’y voyez pas d’inconvénient, nous allons passer à la page 2 du document. Si quelque chose est devenu clair au sein de notre centre au cours des dernières décennies, c’est le fait que le Nord du Canada n’est pas seulement sensible au changement climatique; il y est hypersensible.

Deux raisons expliquent cette hypersensibilité. Comme la diapositive 2 l’illustre, on qualifie d’« amplification polaire » la première de ces raisons. Cela signifie simplement que les modèles mondiaux du changement climatique prédisent que les plus hauts taux de réchauffement de notre planète seront enregistrés aux latitudes septentrionales les plus élevées.

Pourquoi? Plusieurs mécanismes entrent en jeux, mais c’est surtout attribuable aux effets de la rétroaction positive, dont la perte de l’effet miroir. Plus nous faisons fondre la glace et la neige, moins l’énergie solaire est reflétée dans l’espace. Une part plus importante de cette énergie ne cesse de réchauffer le sol et les océans, ce qui entraîne la fonte d’une part encore plus importante du miroir réfléchissant. C’est un cercle vicieux qui accélère avec le temps.

Comme vous pouvez le constater sur la diapositive 3 du document, cela signifie que les sciences physiques, les modèles, prédisent que les petits changements qui surviendront sur la planète Terre se traduiront par de grands changements dans le Nord. Par exemple, l’augmentation de 1,5 ºC à laquelle nous aspirons dans le cadre de l’Accord de Paris se traduira par une augmentation de 3 à 4 ºC dans le Nord du Canada.

Bien entendu, le statu quo se traduira par des changements majeurs dans le Nord et partout sur la planète qui entraîneront très rapidement un déplacement hors de l’espace de fonctionnement sécuritaire dans le Nord, ainsi qu’à l’échelle planétaire.

Sur la diapositive 4, conformément aux prédictions de ces modèles, vous pouvez voir que les plus hauts taux de réchauffement climatique mesurés à l’échelle mondiale au cours des dernières décennies ont été observés dans les hautes latitudes septentrionales, c’est-à-dire dans les régions subarctique et arctique.

Si vous examinez le coin inférieur droit de la diapositive 4, vous verrez un petit graphique qui montre les changements de température enregistrés au fil du temps, de 1960 à 2011. Les données passent du pôle Sud, du côté gauche du graphique, au pôle Nord. Vous pouvez constater que la ligne grimpe considérablement à mesure que nous nous déplaçons davantage vers le Nord.

Les sciences physiques indiquent que les températures devraient se réchauffer plus rapidement dans le Nord, et les observations physiques montrent que c’est exactement ce qui se produit en ce moment.

La deuxième raison pour laquelle le Nord du Canada est hypersensible au changement climatique est illustrée sur la diapositive 5; cette hypersensibilité est attribuable à la glace, la glace canadienne. Le Canada dispose de beaucoup de glace : la neige, le pergélisol, la glace de mer, la glace lacustre et la glace fluviale.

La glace soutient réellement le Nord du Canada. C’est le fondement de cette région. La glace a une incidence sur le fonctionnement de nos terres et de nos mers du Nord. Elle a des répercussions sur les écosystèmes du Nord, ainsi que sur les collectivités et les cultures nordiques. La glace influe sur nos industries, ainsi que sur leur essor et leur stabilité économique. Enfin elle a une incidence sur les infrastructures du Nord.

De plus, vous pouvez apercevoir sur le côté droit de la diapositive 5 une carte du Canada qui montre le pergélisol, c’est-à-dire le sol gelé en permanence. Cinquante pour cent de notre superficie terrestre contient du pergélisol. Le Nord de notre pays repose sur cette glace.

Sur la diapositive 6, vous pouvez voir que la raison de cette sensibilité est liée au fait qu’il ne faut, bien sûr, que des petits changements de température pour faire fondre et disparaître la glace. La transition de la glace solide à l’eau liquide change tout dans le Nord, mais en particulier les services écosystémiques, qui vont de la stabilité du sol, dont nous dépendons pour maintenir notre infrastructure dans le Nord, au contrôle des inondations, en passant par l’écologie végétale et animale.

Sur le côté droit de la diapositive 6, vous pouvez voir un exemple de cette sensibilité qui est survenu dans les Territoires du Nord-Ouest de l’Ouest canadien, où un flanc de coteau a complètement disparu. Il a été anéanti en raison de la fonte du pergélisol riche en glace et du passage au-delà de cette stabilité. Nous observons de plus en plus fréquemment ces phénomènes, ces effondrements à grande échelle, partout dans le Nord du Canada.

Sur la diapositive 7, j’ai préparé un petit aperçu du réseau de stations du Centre d’études nordiques. Nous disposons de stations expérimentales, de stations de recherche et de plus de 100 stations de suivi environnemental, réparties de Radisson, dans la région de la Baie James, au Québec, à l’île Ward Hunt, située à l’extrémité nord du Canada. En fait, c’est un endroit où je travaille chaque été pour mettre en œuvre notre programme de recherche.

Partout dans ce réseau qui couvre 3 500 kilomètres de l’Est canadien, nous remarquons maintenant des changements liés au climat.

Sur la diapositive 8, je présente un sommaire de quelques-uns des changements que nous observons maintenant. On ne les aperçoit pas seulement sur les graphiques; ils sont très évidents visuellement. Par exemple, dans le coin supérieur gauche de la diapositive 8, nous observons, dans le parc national Quttinirpaaq, « le parc du sommet du monde », la disparition de glaces anciennes datant de milliers d’années. Des changements spectaculaires sont visibles dans les panoramas glaciaires de ce littoral du Nord.

Dans le Nord du Québec, nous constatons l’expansion et l’inondation des lacs qui dépendent du pergélisol. Nous mesurons des changements dans les plantes et les animaux du Nord. Dans le cadre de notre travail avec les collectivités et les industries, nous observons des changements et des conséquences majeures au niveau social, économique et commercial dans des cantons comme celui de Salluit, qui est illustré dans le coin inférieur gauche de la diapositive et où le maire a déclaré : « J’ai le sentiment que toute la ville devrait être déménagée ».

Le dégel du pergélisol a des répercussions sur la sécurité des aéroports du Nord parce que, par le passé, les aéroports reposaient sur cette surface. Ce dégel a aussi une incidence sur l’exploitation minière, en ce qui a trait à la stabilité des infrastructures, la sécurité et l’élimination sécuritaire des déchets miniers dans le Nord.

Sur la diapositive 9, je soulève la question suivante : « Comment faire face à ces changements? » Bien entendu, il est extrêmement important d’envisager des mécanismes d’adaptation. Je ne passerai pas en revue la liste des différentes stratégies d’adaptation, mais je souligne simplement que la surveillance et la recherche sont cruciales. Nous devons savoir ce qui se passe, pourquoi cela se passe et comment nous pouvons faire face aux changements qui sont déjà en cours.

Sur ma 10e et dernière diapositive, j’ai indiqué qu’il était absolument essentiel maintenant de mettre l’accent sur l’atténuation des changements, sur la décarbonisation. Le premier énoncé de la diapositive soutient qu’il n’est pas trop tard pour réduire les émissions de CO2.

Je le mentionne parce qu’il y a quelques années, on m’a demandé de prendre la parole lors d’un petit déjeuner de travail tenu ici, sur la Colline du Parlement. L’une des premières questions que m’a posées l’un des députés est : « Eh bien, il est trop tard pour faire quoi que ce soit, n’est-ce pas? »

Non, il n’est pas trop tard. En particulier, il n’est pas trop tard pour éviter d’atteindre le garde-fou de 2 ºC, au-delà duquel nous savons que des changements majeurs surviendront alors que nous nous engageons dans un espace de fonctionnement dangereux pour le Nord et le reste de la planète. Le fait est que plus vite les réductions seront réalisées, moins la transition pour demeurer sous les 2 0C sera draconienne.

Le graphique qui figure sur le côté droit de la diapositive montre les émissions annuelles de dioxyde de carbone et une série de scénarios évoluant avec le temps. Le graphique indique simplement que plus vite nous amorcerons ce processus, moins sévères seront les rajustements sociaux et économiques à apporter pour réduire les émissions et maintenir le changement de température sous les 2 0C, au-delà desquels nous observerons des changements majeurs partout sur la planète et surtout au Canada.

Les changements actuels dans le Nord et la sensibilité élevée de cette région au réchauffement soulignent le besoin urgent de réduire les émissions de CO2. Le Canada se trouve vraiment en première ligne des changements climatiques. Par conséquent, nous devrions vraiment être en première ligne de leur atténuation et de la décarbonisation.

Le sénateur Wetston : J’ai deux questions générales à vous poser. Je continue de me concentrer sur ce que nous entendons ici, au Sénat, et, bien entendu, sur ce que nous avons tendance à lire dans les études et les articles d’opinion.

Si vous croyez aux changements climatiques, à leur réalité, quels seraient les meilleurs conseils que vous pourriez prodiguer pour contribuer à convaincre ceux qui n’y croient pas?

Les gens ont vraiment l’impression — et nous avons entendu cette observation auparavant — que les médias ont tendance à mettre l’accent sur ceux qui croient aux changements climatiques et non sur ceux qui doutent peut-être de leur réalité.

Voilà ma première question. Ensuite, j’en aurai une deuxième plus brève.

M. Vincent : Voilà une excellente question. C’est aussi une impression que moi et notre centre avons souvent dû affronter en parlant aux gens des quatre coins du pays.

Il y a, et il y a eu par le passé, un nombre considérable de gens sceptiques à cet égard. Il est difficile pour nous, les scientifiques, de comprendre ce scepticisme. Le CO2 est un gaz à effet de serre dont la production augmente. Personne ne conteste cela. Les gaz à effet de serre absorbent la chaleur. Personne ne conteste cela non plus. La planète se réchauffe. Alors, quelle partie de cette séquence logique est inexacte?

Peut-être que les gens ne comprennent pas ce que cela signifie. À mesure que la planète se réchauffe, les processus physiques peuvent sembler très compliqués, mais ils ne le sont pas particulièrement.

À mesure que la chaleur augmente, les choses bougent beaucoup plus rapidement. À mesure que l’atmosphère s’accroît, elle absorbe davantage d’eau. Il est clair qu’avec le temps, les tempêtes deviendront plus violentes et le nombre d’événements extrêmes deviendra plus important. C’est là une ligne de pensée logique.

Je pense que l’autre aspect qui préoccupe le public ou l’empêche de comprendre les conséquences de ce problème, c’est le fait que nous parlons de seulement deux degrés Celsius. Cela semble tellement infime, comparativement aux rajustements que vous pouvez effectuer sur le thermostat de votre maison.

Ce que nous ne devons pas perdre de vue, c’est le fait que ce très petit nombre est multiplié par un très grand nombre, soit la dimension de la planète. Vous multipliez un très petit nombre par un nombre planétaire, un très grand nombre, et le résultat est gigantesque. Les changements que nous prévoyons sont gigantesques, tout comme les changements que nous observons.

La meilleure façon de convaincre les gens qui ne sont pas encore entièrement persuadés que le changement climatique est un phénomène réel est de leur faire visiter le Grand Nord afin qu’ils puissent observer ses conséquences de leurs propres yeux; il ne faut pas leur montrer des graphiques ou des diagrammes avec ou sans barre, mais plutôt la glace qui s’effondre. Vous contemplez les paysages, et vous parlez aux membres des collectivités qui expriment leurs préoccupations à propos de leur aéroport bâti sur le pergélisol.

Durant les années 1950, 1960 et 1970, on qualifiait le pergélisol de sol gelé en permanence. Les conceptions des ingénieurs reposaient sur cette caractéristique. Le pergélisol était traité comme du béton, mais ce n’est pas du béton. Il est en grande partie constitué de glace, et cette glace est en train de fondre. Cela crée d’énormes problèmes en matière de sécurité.

Nous remarquons dès maintenant que nous faisons face à ces problèmes fondamentaux. Des problèmes coûteux qui exigeront de gros investissements. L’aéroport, que je vous ai montré à titre d’exemple, est le plus important de l’est de l’Arctique canadien, et 300 millions de dollars ont été investis pour essayer de poursuivre son exploitation à moyen terme.

Notre analyse démontre que certaines parties de cet aéroport renferment jusqu’à 80 p. 100 de glace, ce qui ne pose pas de problèmes pour le moment. Toutefois, à mesure que la planète se réchauffera, l’entretien de l’aéroport représentera un problème majeur.

L’une de nos plus récentes routes, la première route canadienne à rallier le littoral arctique, a ouvert l’année dernière. Voilà un autre investissement de 300 millions de dollars qui traverse des terres couvertes de pergélisol, lesquelles seront clairement problématiques dans les années à venir quand la température se réchauffera.

Les propos des Inuits, qui habitent et observent le Grand Nord depuis des générations et qui sont maintenant conscients de ces changements, constituent peut-être le discours le plus convaincant qui soit pour les personnes qui ont du mal à comprendre les conséquences de ces changements. Ces changements ont une incidence sur la subsistance des Inuits ainsi que sur la sécurité des collectivités nordiques.

Le sénateur Wetston : Je vais essayer d’éviter d’avoir une discussion avec vous, étant donné qu’il y a de nombreuses questions à débattre.

M. Vincent : Oui.

Le sénateur Wetston : Je tiens à donner suite à vos commentaires en vous informant que j’ai foi en la science, mais que je crois moins aux modèles économiques.

Personnellement, j’ai passé beaucoup de temps à étudier des modèles économiques, dans le domaine de la réglementation et des services financiers, et je suis devenu tout à fait sceptique relativement à leur utilisation pour déterminer certains résultats, en particulier sur les marchés financiers. On pourrait prévoir un autre moment pour discuter de cela, mais c’est une tout autre question.

En ce qui me concerne, le problème est lié aux renseignements auxquels vous vous fiez. C’est une chose de persuader des gens d’aller dans le Grand Nord pour observer ce qui se produit là-bas, c’en est une autre de réaliser ce projet. Je viens de Toronto. Comment réussirez-vous à convaincre 4,5 millions d’habitants de la région du Grand Toronto, qui assument à de nombreux égards les coûts associés à la réduction des gaz à effet de serre, de reconnaître la valeur de vos preuves?

Comment pouvez-vous persuader ces gens que ce phénomène est réel, que c’est bien le cas? Comment les scientifiques et les gouvernements pourront-ils convaincre le public que le changement climatique est un problème qui doit être réglé, le cas échéant?

M. Vincent : Oui, vous avez raison. Il est très difficile de communiquer la réalité du Nord aux gens du Sud. D’une certaine façon, il faut espérer que les Canadiens ont un intérêt fondamental pour leurs concitoyens, y compris pour la culture nordique. Il semble y avoir un intérêt général chez les Canadiens à l’égard de la culture, des animaux et des plantes emblématiques du Nord. C’est l’un des moyens de transmettre le message, mais je conviens que ce n’est pas suffisant.

Les preuves les plus incontestables sont liées aux événements extrêmes, aux tempêtes. Nous ne pouvons pas affirmer, par exemple, que les inondations survenues à Montréal récemment étaient associées aux changements climatiques. Nous savons que la variabilité naturelle compte pour beaucoup. Nous ne pouvons pas non plus attribuer les incendies de Fort McMurray aux changements climatiques.

Nous ne pouvons pas établir de lien entre un événement extrême précis et les changements climatiques, mais ce que nous pouvons dire, grâce aux données scientifiques, c’est que ce type d’événement deviendra de plus en plus courant au fil du temps. C’est un problème fondamental pour les gens qui vivent dans le Sud du Canada.

Le message qui vient du Nord, c’est qu’il y a des changements importants en ce qui concerne les pipelines. Nous devons minimiser les effets de ces changements pour nous tous, au Sud, partout dans le monde. C’est avantageux sur le plan de la stabilité dont dépendent les entreprises, la stabilité des régimes météorologiques et des régimes économiques.

C’est réellement lié aux événements extrêmes. On en a abondamment discuté, notamment en ce qui concerne le réchauffement de 1,5°C. On estime qu’un réchauffement de 2 degrés ferait augmenter considérablement le nombre de jours de chaleur extrême qui affectent les habitants de Toronto. Si nous ramenons le réchauffement à 1,5°C, le nombre de jours d’extrême chaleur sera deux fois moins élevé.

C’est particulièrement important quant au fardeau que cela impose aux services de santé, par exemple, dans le Sud, aux effets sur la transmission de maladies et sur les espèces envahissantes, et cetera.

Beaucoup d’exemples d’événements particulièrement extrêmes touchent davantage les personnes qui ont vécu elles-mêmes de tels événements extrêmes et qui en ont été incommodées, que ce soit simplement pour se rendre au travail le matin ou sur le plan de la présomption de stabilité pour une entreprise qu’elles dirigeaient.

[Français]

La sénatrice Dupuis : J’aimerais poursuivre le raisonnement à partir de la question du sénateur Wetston. À la page 9, vous parlez de l’échange de connaissances nationales, internationales et autochtones. Quelle est la participation des Autochtones à vos travaux?

M. Vincent : C’est une excellente question. Puis-je répondre en français?

La sénatrice Dupuis : Oui, nous avons un service d’interprétation. C’est comme vous le souhaitez.

Le sénateur Mockler : Il y a deux langues officielles au Canada.

La sénatrice Dupuis : Y compris au Sénat du Canada.

M. Vincent : Bien sûr. J’aimerais répondre en français, étant donné que la question a été posée en français.

Ce lien avec les Autochtones est très important au Centre d’études nordiques. Nous travaillons étroitement avec les Autochtones dans le domaine de l’éducation et de l’échange des savoirs traditionnels. Lorsque nous présentons nos données sur les changements à travers le temps dans le Nord du Québec, à Kuujjuarapik, à Kangiqsualujjuaq ou à Salluit, les Inuits nous demandent pourquoi nous ne parlons pas simplement avec eux parce que nous constatons les changements qui touchent le paysage, la végétation, les lacs et les problèmes importants liés à la glace des rivières en ce qui a trait au transport, par exemple. Même le chef de Whapmagoostui — la Première Nation crie — a perdu la vie parce que sa motoneige a percé la glace il y a quelques années. C’est une question fort importante pour eux, et nous pouvons profiter de leurs connaissances parce qu’ils ont une perspective à long terme. Ils sont là dans le village de Kuujjuarapik depuis 3 600 ans. Ils ont une longue expérience et nous nous basons sur celle-ci lorsque nous faisons nos présentations.

Nous avons construit un centre scientifique communautaire à Kuujjuarapik afin de travailler avec les jeunes et de leur donner une éducation. Nous savons que les jeunes seront les futurs leaders autochtones, mais cela demande un effort important en matière d’éducation. C’est une occasion d’apprendre de leur culture et de leurs observations au sujet de l’environnement. On devrait peut-être partager leurs histoires avec les collectivités de Toronto, de Québec ou de Vancouver, par exemple, en leur faisant part de leurs grandes préoccupations et des changements dont ils sont témoins.

La sénatrice Dupuis : Dans la carte no 7 de votre exposé, on voit des nombres, mais de notre point de vue, il y a les juridictions fédérale et provinciales. Combien de juridictions traversez-vous dans le cadre de vos voyages liés au centre de recherches? Cela exige une coordination en matière de législation, d’interventions et de fonctionnement.

M. Vincent : Vous avez raison. Oui, c’est très complexe. Quand on travaille à Radisson, Kuujjuarapik, Umiujaq, Boniface, Kangiqsualujjuaq ou Salluit, c’est surtout avec le gouvernement du Québec, avec l’administration régionale catholique associée aux Inuits et à la Première Nation crie. Il y a aussi certaines interactions avec les instances fédérales dans cette région. Plus vers le nord à l’île Bylot et à l’île Ward Hunt, c’est au Nunavut. Je tiens à mentionner que le Nord du Québec est le territoire du Nunavut. C’est la raison pour laquelle nous entretenons des liens étroits avec le gouvernement du Nunavut et le gouvernement du Québec. Nous collaborons étroitement avec le gouvernement fédéral, le ministère des Ressources naturelles, le ministère de l’Environnement, le ministère des Pêches et des Océans, le Nunavut Research Institute, et nos deux stations sont à l’intérieur des parcs nationaux. Donc, tout passe par l’entremise de Parcs Canada.

La sénatrice Dupuis : Rien ne concerne l’Ontario dans cette carte?

M. Vincent : À l’exception de collaborations avec les chercheurs, par exemple, si un étudiant travaille à Environnement Canada en Ontario, nous avons des liens avec les gens de l’Ontario et d’autres provinces aussi. Par exemple, récemment, j’ai dirigé un programme étalé sur cinq ans qui s’appelle ADAPT, qui porte sur le pergélisol. Ce programme impliquait des gens partout au Canada, y compris en Ontario par l’entremise de l’Université Queen’s. L’Université de la Colombie-Britannique et l’Université de l’Alberta ont également participé à ce programme. C’est une occasion d’approfondir les liens avec les partenaires, qui impliquent les organismes en Ontario et dans d’autres provinces.

La sénatrice Dupuis : J’ai une dernière question à poser à ce sujet. Vous avez parlé de l’aéroport dont le sol est menacé ou affecté par les changements climatiques. Dans le cadre de vos travaux de recherche, dressez-vous un genre de portrait des coûts économiques engendrés par ces changements climatiques? On sait très bien que ceux qui font de l’argent dans le Nord sont les populations du Sud. Bon nombre de gens du Sud ont beaucoup à perdre et ne sont peut-être pas très concernés par ce qui se passe chez les Inuits. Arrivez-vous à dresser ce portrait des changements économiques réels qui sont prévisibles? Le fait que l’aéroport est en difficulté peut se chiffrer en coûts.

M. Vincent : Vous avez raison. Bon nombre d’industries dans le Nord viennent du Sud, toute l’industrie minière, par exemple. Au Centre d’études nordiques, nous n’avons pas fait ces analyses économiques. Toutefois, je fais partie d’un réseau de centres d’excellence à l’échelon national qui s’appelle ArcticNet, qui fait appel à la participation d’économistes pour examiner ce type de questions. Je ne suis pas spécialiste à ce sujet, mais ils ont publié surtout des études intégrées d’impact du climat. L’idée était vraiment de combiner l’expertise de plusieurs secteurs, y compris le secteur économique.

[Traduction]

Le sénateur Neufeld : Je vous remercie d’être avec nous. J’aurais une brève question à vous poser concernant la diapositive 7. Je vois tous ces endroits; avez-vous dit être allé à l’île Bylot?

M. Vincent : En fait, je vais à l’île Ward Hunt, tout en haut de la page.

Le sénateur Neufeld : Y a-t-il le même nombre de stations et de lieux d’observation des changements climatiques plus à l’ouest dans l’Arctique?

Je suppose que vous allez au nord parce que vous êtes à l’extérieur du Québec. Vous travaillez pour le gouvernement fédéral, n’est-ce pas?

M. Vincent : Je travaille avec le gouvernement fédéral, oui. Vous avez tout à fait raison.

Le sénateur Neufeld : Je vis à l’autre bout du pays, en Colombie-Britannique, pas très loin du 60e parallèle.

M. Vincent : Nous collaborons certes avec d’autres groupes qui mènent des activités dans la partie ouest du Canada. Évidemment, ce point situé au nord, l’île Ward Hunt, constitue un élément d’une ligne qui commence à Vancouver et qui va vers le nord également. Toutes ces lignes convergent.

L’un de mes collègues, par exemple, travaille à l’Université de la Colombie-Britannique et dirige une station sur l’île d’Ellesmere, juste au sud de l’île Ward Hunt. Nous avons beaucoup d’interactions avec son groupe à l’Université de la Colombie-Britannique.

Oui, il y a d’autres stations dans l’Ouest. Nous faisons maintenant tous partie d’un réseau national appelé le Réseau canadien d’opérateurs de recherche nordique, ou RCORN.

L’idée, c’est de fédérer les groupes qui travaillent en Colombie-Britannique, en Alberta, en Ontario et ailleurs afin d’échanger nos meilleures pratiques, de partager nos connaissances et de contrôler les ensembles de données, l’information et les approches. Si je ne m’abuse, on compte maintenant en tout 44 stations dans toutes les régions du Nord du pays, y compris dans la région subarctique et dans l’Arctique.

J’ai également travaillé dans l’Arctique de l’Ouest. Il est vrai que nous voyons des changements importants dans les environs de ces stations. Vous trouverez, à la diapositive 6, un exemple de ces changements dans les Territoires du Nord-Ouest. Il s’agit d’une région dans les environs du delta du Mackenzie où les versants s’effondrent. Ces effondrements à grande échelle deviennent de plus en plus courants et les températures sont à la hausse dans la région du delta du Mackenzie. J’ai également travaillé dans la région du delta du Mackenzie et de la mer de Beaufort. La glace de mer dans cette région disparaît également très rapidement. On peut voir la preuve de ces changements au sein de la communauté maritime de la région.

Il y a également une région dans l’Ouest canadien où l’érosion côtière inquiète particulièrement. Le Canada perd une partie de son territoire chaque jour, parce qu’il est établi sur le pergélisol et que le pergélisol est riche en glace.

La glace fond et le littoral glisse dans la mer. Honorables sénateurs, vous savez probablement que le village de Tuktoyaktuk, dans l’Ouest du pays, a exprimé des inquiétudes quant à sa viabilité à long terme, parce que la ville est bâtie sur le littoral qui disparaît très rapidement en raison de l’érosion et des changements climatiques.

Le sénateur Neufeld : Comprenez-moi bien : je ne suis pas de ceux qui prétendent que le climat ne change pas. Je conviens que le climat change. Je vis dans le Nord. Donc, au cours de ma vie, j’ai constaté moi-même certains changements.

Si nous restons à 2 degrés ou moins, est-ce que tous ces problèmes dans le Nord disparaîtront?

M. Vincent : Malheureusement, non, mais ces 2 degrés représentent un point critique très important. Au-delà de ces 2 degrés, nous nous aventurons sur un terrain inconnu à l’échelle planétaire où de nombreux processus de suivi seront déclenchés, que ce soit la circulation thermohaline, qui définit également ce qui se produit dans le Nord, ou même la perte de glace de mer d’hiver dans le Nord.

Si nous dépassons les 2 degrés, nous nous retrouverons avec un hémisphère nord sans glace. Nous aurions une planète très différente et les niveaux de la mer seraient également beaucoup plus élevés. Ce point critique de 2 degrés a été fixé au début des années 1990 en sachant que si nous dépassons ce point critique, nous vivrons des changements majeurs à l’échelle planétaire.

Non, nous ne pourrons pas éviter certains de ces changements dans le Nord; certains se produisent déjà. Mais nous réussirons à éviter les pires et les plus dangereux.

Le sénateur Neufeld : Concernant les 2 degrés en question, vous dites qu’il est très important pour le Canada d’être un chef de file dans ce dossier et d’apporter les changements convenus dans le cadre de l’Accord de Paris qui auront un impact important sur l’économie et la façon dont les gens vivent au Canada, pas seulement dans le Nord, mais aussi dans le Sud, comme l’a souligné le sénateur Wetston.

J’entends parler de ce qui se passe ailleurs dans le monde. Au cours des 10 prochaines années ou moins, on prévoit la construction de 2 000 usines de charbon. Une foule de pays veulent avoir le même style de vie que nous, mais ne l’ont pas encore aujourd’hui. Les combustibles fossiles les aideront à atteindre cet objectif.

Selon l’IEA, la consommation de combustibles fossiles augmentera pendant encore de nombreuses années. Les combustibles fossiles sont interreliés à notre vie de tous les jours. Ils ne nous aident pas seulement à conduire nos voitures ou à chauffer nos maisons; ils sont à la base de presque tout ce que nous consommons.

Je vais dire quelque chose qui ne me plait pas, mais, si nous détruisons ou affaiblissons notre économie, que nous changeons la façon dont nous vivons au Canada, mais que le reste du monde ne le fait pas, il y aura des conséquences. Nous atteindrons les 2 degrés en question, et peut-être plus.

Je suis de ceux qui croient que nous devrions nous adapter et passer beaucoup de temps à examiner cette option. Peu importe ce que nous nous croyons en mesure de faire au Canada pour atteindre ces cibles, il nous a été démontré, à tout le moins, au comité, que cela sera très difficile, voire impossible.

Que pouvons-nous faire pour composer avec cela? Nous partageons la même atmosphère. Peu importe que l’acier soit fabriqué ailleurs. Si nous cessons de faire certaines choses au Canada et d’employer des gens, ces activités seront menées au sud de notre frontière, ce qui est très près de nous. Elles seront menées chez nos voisins du Sud, ou en Corée, au Japon ou en Chine. Elles seront menées dans n’importe lequel de ces pays.

Que peut-on dire aux gens? C’est un peu cela le problème. Et pas uniquement les gens de Toronto ou de Vancouver. Comment convaincre les gens que c’est une question qu’il faut prendre au sérieux si nous souhaitons vraiment rester en deçà des 2 degrés?

Des milliers de personnes vont perdre leur emploi et devront changer leur façon de vivre. On ne parle pas de quelques centaines de personnes, mais bien de milliers. Le gaz naturel, notamment, est utilisé dans la fabrication de nos vêtements. Ce sont de petites choses comme cela.

M. Vincent : Vous avez tout à fait raison, en ce sens que nous sommes abonnés à l’économie du carbone depuis plus de 200 ans. Nous dépendons de l’économie du carbone. Je suis venu ici par avion. Pour le moment, ce moyen de transport ne peut pas exister sans une économie du carbone.

Il faudra apporter des changements énormes, et ce, à l’échelle planétaire, mais, pour apporter ces changements, il faut un leadership mondial. Le Canada est dans une position pour affirmer ce leadership. Il existe actuellement une dynamique sans précédent et un intérêt dans des pays comme la Chine et les États-Unis.

Le sénateur Neufeld : La Chine devrait avoir un certain intérêt. Cela, je le comprends.

M. Vincent : Absolument.

Le sénateur Neufeld : La Chine devrait avoir un intérêt.

M. Vincent : Elle doit avoir un intérêt. Je crois que le message est en train de passer.

Le sénateur Neufeld : Ne me dites pas que la Chine fait mieux que nous.

M. Vincent : Non. D’ailleurs, regardez un instant le graphique que je vous présente à la diapositive 10.

Nous avions cru avoir atteint un sommet en matière d’émissions annuelles de CO2; mais, comme vous pouvez le voir, les émissions estimées en 2017 ont augmenté de 2 p. 100.

Une partie de cette augmentation est attribuable à la Chine, car, l’an dernier, la production hydroélectrique au pays était en panne. Donc, la Chine a dû se rabattre sur ses usines de charbon. La situation est très précaire en Chine, mais nous remarquons un intérêt politique et un mouvement dans cette direction.

Au cours des 12 derniers mois, j’ai participé à de nombreuses réunions où des délégués d’autres pays ont dit qu’il était temps pour le Canada de mettre ses culottes. Nous ne voyons pas ce leadership. Étant donné tous les autres problèmes que nous voyons ailleurs dans le monde, nous croyons que le moment est venu pour le Canada de faire preuve de leadership à l’échelle mondiale pour souligner la nécessité d’adopter des approches de décarbonisation.

Concernant les revirements économiques, j’ai été inspiré par les travaux menés par l’équipe Schellnhuber, à la Potsdam Institute for Climate Impact Research, qui est à l’origine de beaucoup de ces prévisions, y compris les prévisions économiques et les incertitudes qu’apportent ces prévisions économiques.

Cette équipe souligne que c’est faisable, sur le plan économique, de passer de façon progressive à une économie décarbonisée, notamment en encourageant les technologies novatrices, nouvelles industries et nouvelles possibilités économiques qui, selon elles, sont non seulement possibles, mais également attrayantes, en ce sens qu’elles offrent des possibilités de passer à une telle économie.

L’autre option, c’est de dépasser les 2 degrés. Nous nous retrouverions dans des conditions incroyablement difficiles avec des augmentations gigantesques des niveaux de la mer et d’énormes tempêtes. Ce genre de situation surviendrait un peu plus tard.

Comme vous le soulignez, nous devons nous adapter aux changements qui s’opèrent, des changements qui s’amènent. Avons-nous la capacité de nous adapter aux changements les plus extrêmes avec une population planétaire de 7 milliards d’habitants?

Selon l’équipe Schellnhuber, cette décarbonisation et les changements climatiques devraient être aussi importants que la croissance économique, la paix mondiale et la sécurité mondiale. Ces questions devraient être abordées au Conseil de sécurité des Nations Unies, car elles ont une incidence sur tous ces aspects et ce sera de plus en plus vrai.

[Français]

Le sénateur Massicotte : Merci beaucoup, monsieur Vincent, d’être parmi nous ce matin.

Je vais poursuivre dans le même ordre d’idées. Vous dites qu’il est important d’agir. Je n’ai aucune difficulté avec ce principe, au contraire. Je crains toutefois qu’il soit presque impossible de ne pas dépasser les 2 °C. Cependant, ce n’est pas ce sur quoi j’aimerais entendre vos commentaires.

En regardant les projections, on constate, d’après l’Agence internationale de l’énergie, que si le gouvernement remplit ses engagements, on arrivera à une moyenne de 3,6°C, soit un peu sous les 4 degrés, ce qui est beaucoup plus que 2 degrés. En considérant nos habitudes personnelles, les entreprises et l’élan actuel, il faudra des décennies pour changer les choses, malgré les politiques. N’oublions pas que les promesses sont rarement tenues et qu’on est toujours un peu idéaliste.

Pourquoi êtes-vous aussi sûr que l’on puisse arriver à moins de 2 degrés? Je crois que l’objectif est impossible à atteindre, malgré les conséquences majeures pour la population. Pourquoi êtes-vous persuadé que l’on puisse arriver à atteindre la cible de moins de 2°C, alors que les données démontrent qu’il en est tout autrement?

M. Vincent : Il est vrai que certaines projections démontrent que l’objectif de 1,5°C est difficile à atteindre, voire impossible. Déjà, 2°C est une cible très ambitieuse.

Par contre, d’autres projections, comme celles de Shellnhuber, Rockström et Potsdam, l’an dernier, démontrent que l’objectif est réalisable si on cible certains types d’industries et certaines technologies, comme celle des capteurs de carbone et des biocarburants.

L’an dernier, nous avons publié des projections qui montraient une courbe de réduction d’un facteur de deux tous les 10 ans pour ce qui est des émissions de dioxyde de carbone dans l’atmosphère. Les données ont aussi montré que, pour les 10 premières années, il suffirait surtout d’augmenter l’efficacité à travers le monde, car il y a un grand gaspillage d’énergie. On constate au Canada un gaspillage de chaleur. Dans le Nord, on peut en faire beaucoup plus pour conserver le carburant. En été, le soleil luit 24 heures sur 24. Il est possible d’utiliser cette ressource dans le Nord.

Il y a aussi des possibilités dans la gestion de l’hydroélectricité. Les projections ont démontré qu’au cours des 10 premières années, qu’on surnomme le « no brain decade », certaines mesures plutôt évidentes pourraient faire une différence. Au cours de la deuxième tranche de 10 ans, par contre, nous devrons mettre en œuvre un changement de technologie majeur, et on donne plusieurs exemples. Les technologies perturbatrices changent rapidement à travers la planète. Les téléphones cellulaires étaient peu répandus il y a 20 ans, mais on observe aujourd’hui les changements engendrés par cette technologie.

Les experts suggèrent que, avec une pression politique suffisante à travers le monde et avec de la volonté, il y aura plus de mouvement dans cette direction. Sur le plan économique, il y a des avantages importants pour les pays qui sont à l’avant-garde des développements technologiques de ce type.

Le sénateur Massicotte : Je comprends votre réponse. Plusieurs témoins ont indiqué que la technologie est disponible et que si on modifie notre comportement, on crée des possibilités. Bien sûr, tout ce dont vous parlez existe. Toutefois, en réalité, les choses ne se font pas. En théorie, si on invente la baguette magique, les choses pourront peut-être marcher. C’est un peu comme gagner à la loterie. Il n’est pas réaliste de penser que nous allons nous tous nous adapter. Je l’espère, mais il est fort probable qu’on n’y arrivera pas, bien que cela puisse se faire. Un témoin la semaine dernière nous a conseillé de miser sur l’efficacité énergétique. C’est un faux débat. Oui, on peut y arriver, mais ce n’est pas le cas.

M. Vincent : J’ai beaucoup de respect pour votre opinion; toutefois, il y a des exemples qui illustrent le contraire. La voiture électrique, il y a 20 ans, n’était pas chose possible, on faisait face à toutes sortes d’opposition. Or, l’Allemagne a décidé que, d’ici l’an 2030, toutes les voitures seront électriques. On constate aujourd’hui un mouvement et une volonté publique pour adopter un modèle de transport qui n’utilise pas de carburant. Un intérêt se manifeste pour les trains électriques à grande vitesse. Ce sont des exemples de points de départ.

On a aujourd’hui une économie d’échelle où l’énergie occupe une place prépondérante. Par le passé, c’était peut-être important pour les petites installations. Nous exploitons aujourd’hui l’énergie éolienne et l’énergie solaire dans notre réseau. Au Danemark, l’énergie éolienne est passée de moins de 10 p. 100 à 44 p. 100 du total de l’énergie consommée, et ce, en l’espace de très peu de temps. Cependant, ce virage a exigé une certaine volonté. Il est important que le grand public soit convaincu, comme vous l’avez souligné, que le problème est réel et qu’il doit être réglé.

Le sénateur Massicotte : Vous parlez de l’Allemagne, du Danemark et de la Finlande. Même la voiture électrique n’est pas une solution idéale. Sa fabrication produit des émissions importantes de CO2 et son impact est minime. Malgré tous les efforts déployés au Canada, le progrès est infime. L’Allemagne a fermé ses réacteurs nucléaires, et le CO2 a augmenté de façon considérable, car elle est devenue dépendante du charbon.

On peut parler de petites instances, mais en général, le progrès est limité. J’espère que vous ne vous trompez pas, parce qu’on a vraiment besoin de solutions. Je demeure toutefois un peu pessimiste que l’on puisse y arriver.

[Traduction]

La sénatrice Cordy : C’est une discussion fascinante. Cela me plaît beaucoup.

Vous avez parlé des effondrements à grande échelle dans le Nord-Ouest. Dans quelle mesure sont-ils répandus? Quel est leur impact sur l’environnement ou sur le paysage dans cette région?

M. Vincent : Ces effondrements à grande échelle sont de plus en plus courants et évidents, même dans l’est du pays, là où je travaille. Lorsque l’on survole le sud de l’île d’Ellesmere, on remarque de plus en plus que des versants ont disparu.

Cette matière finit par se retrouver dans l’approvisionnement en eau. Donc, il s’agit d’une source de préoccupation en ce qui a trait à l’eau potable. Ces effondrements ont une incidence sur la qualité de l’eau pour les écosystèmes aquatiques. Au bout du compte, cela a un impact sur l’environnement côtier. À mon avis, la principale préoccupation en ce qui a trait à ces effondrements, c’est leur proximité aux villages.

Vous voyez en bas, à gauche, sur la diapositive 8 une photo du village de Salluit, dans le Nord du Québec. Il y a quelques années, le village a vécu l’effondrement d’un versant attribuable à une défaillance du pergélisol. L’effondrement a emporté le centre communautaire. Heureusement, personne ne s’y trouvait à ce moment. La situation aurait pu être tragique, mais cette situation a amené les habitants à s’interroger à savoir si le village ne devrait pas être déplacé en raison de ces effondrements à grande échelle.

Il faut comprendre que ce genre de situation n’a pas été envisagée il y a des décennies, car les ingénieurs considéraient le pergélisol solide comme du béton, une partie du sol gelée en permanence.

Ces glissements de terrain ont toutes sortes d’incidences. Par exemple, ils ont un impact écologique, sur l’approvisionnement en eau potable et sur la sécurité humaine.

La sénatrice Cordy : Et cela va se poursuivre.

M. Vincent : Exactement. C’est pourquoi, encore une fois, il est essentiel de s’adapter. Je suis d’accord avec vous en ce qui a trait à la nécessité d’examiner des stratégies d’adaptation. Ces stratégies ont des limites, mais c’est une question sur laquelle nous devons beaucoup nous concentrer.

Au bas de la diapositive 9, je présente une carte sur l’évaluation du risque pour le village de Salluit. Nos scientifiques ont travaillé avec les aînés et les jeunes du village.

Ce sont habituellement de très jeunes communautés. Dans les communautés du Nord, l’âge moyen se situe dans la vingtaine. Environ 35 p. 100 des Inuits sont âgés de 14 ans ou moins. Il y a des besoins en matière de logement. De nouvelles familles se créent.

Nos scientifiques travaillent avec les responsables de ces collectivités pour établir des cartes d’évaluation des risques indiquant dans quels secteurs une personne peut installer les fondations de sa maison sans craindre qu’elle ne soit emportée par un glissement de terrain ou qu’elle s’effondre dans quelques années en raison de toute la glace contenue dans le sol qui rend le pergélisol instable.

C’est le genre de mesures que nous devrons prendre à l’avenir pour nous adapter à des transformations semblables.

La sénatrice Cordy : Il y a quelques années, j’ai eu l’occasion de me rendre au Groenland avec un groupe de l’OTAN. Nous nous intéressions aux questions de sécurité. Bien évidemment, les autorités danoises en ont profité à plusieurs reprises pour nous faire part de leurs nombreuses préoccupations.

Vous avez parlé de l’hypersensibilité du Nord. Je suis moi-même du Cap-Breton et je comprends bien que cette région du pays peut jouer un peu le même rôle que le canari dans la mine il y a quelques années.

À l’occasion de cette visite au Groenland, nous nous sommes notamment penchés sur la question de l’écotourisme, une activité importante là-bas, et des problèmes de sécurité que cela peut poser en raison des voies navigables qui sont maintenant accessibles beaucoup plus longtemps. Les navires de croisière se rendent désormais jusque là-bas, ce qui est merveilleux pour leurs passagers, mais les autorités s’interrogent sur ce qui risque de se produire si un tel navire se retrouve en difficulté. Le Groenland n’a pas les ressources nécessaires pour le sauvetage de milliers de personnes à la fois.

Le gouvernement danois a alors décrété que les navires de croisière allaient devoir circuler en tandem, de telle sorte que l’un d’eux puisse récupérer les passagers de l’autre si les choses tournent mal.

Nous avons aussi visité la base américaine. Bien évidemment, leur piste d’atterrissage leur cause de graves inquiétudes, comme c’est le cas pour toutes celles situées dans le Nord. Si tous les déplacements deviennent impossibles, la situation risque d’être fort précaire.

En répondant aux questions du sénateur Wetston tout à l’heure, vous avez indiqué qu’il n’était pas trop tard pour agir. Est-ce que certains des changements qui s’opèrent actuellement vont être permanents? Devrons-nous nous adapter et modifier notre façon de voir les choses, surtout dans le Nord, mais aussi éventuellement dans le Sud? Vous avez parlé de Salluit, est-ce que ce village est là pour rester?

M. Vincent : C’est vraiment une bonne question. Je crois que nous avons tous des enseignements à tirer de la situation dans le Nord. Nous devrions nous en inspirer grandement pour façonner nos comportements, nos actions et nos plans d’avenir pour le Sud.

Les gens du Nord se sont rendu compte qu’il était impossible de construire quoi que ce soit en se fondant sur les conditions actuelles, car celles-ci sont appelées à changer très rapidement.

L’exemple du tourisme est très révélateur. C’est une situation qui m’inquiète beaucoup. Pour la seconde fois l’an dernier — la première remonte à 2016 — nous avons vu l’un de ces gigantesques navires de croisière dans le passage du Nord-Ouest. C’est une chose que l’on n’aurait jamais pu imaginer il y a 20 ans à peine. Nous ne disposons toujours pas de cartes bathymétriques du passage du Nord-Ouest.

Il y avait 1 700 personnes à bord. On comptait plus de touristes sur ce navire que dans les villages qu’il visitait, sans compter que de plus en plus de secteurs deviennent accessibles.

J’en ai d’ailleurs discuté avec des Inuits de ces collectivités. Ils disent vraiment apprécier les retombées économiques de ces visites. Si les choses sont faites correctement, c’est positif pour le nord. Les Inuits ont toutefois aussi exprimé leurs préoccupations concernant la sécurité. À ce titre, la stratégie des navires en tandem ou la présence d’un brise-glace à proximité représentent des pistes de solution intéressantes.

Nous avons vu des situations où des navires se sont retrouvés vraiment en difficulté dans le Nord. L’Amundsen, notre navire de recherche de la Garde côtière canadienne qui est géré par l’Université Laval, a dû aller à la rescousse de l’un de ces navires de croisière il y a quelques années dans le passage du Nord-Ouest.

Le Nord nous apprend notamment que nous devons nous attendre dans le Sud à des transformations majeures qui donneront lieu à des événements extrêmes de plus en plus fréquents. Nous devons adapter nos méthodes de construction en conséquence. À titre d’exemple, les codes du bâtiment des Territoires du Nord-Ouest sont désormais établis non pas en fonction des conditions qui prévalent actuellement, mais plutôt en prévision de celles qui nous attendent pour les décennies à venir. Il s’agit donc de planifier en tenant compte de l’instabilité des sols, de prévoir des canaux de dérivation pour l’eau et de prévenir des inondations que l’on ne connaît peut-être pas pour l’instant, mais qui ne vont pas manquer de nous toucher dans le futur.

Pour les mêmes raisons, nous devons nous aussi dans le Sud commencer à réfléchir à nos modes de construction en fonction de ce que l’avenir nous réserve, ce qui exigera notamment d’élaborer nos futurs modèles d’affaires en tenant compte de cette instabilité.

On peut dire que nous avons eu de la chance pendant 10 000 ans. Le fonctionnement de notre société a toujours reposé sur une base de stabilité environnementale. Il en va de même de nos modèles d’affaires. Une ère nouvelle est maintenant à nos portes.

Bien que je ne sois pas d’accord avec l’honorable sénateur qui croit que nous ne pourrons pas éviter le pire, il n’en reste pas moins que nous devrons composer avec quelques bouleversements majeurs en nous assurant d’être prêts à y réagir.

Le sénateur Mockler : Avant de vous poser une question, j’aimerais vous rappeler quelques statistiques importantes dans le contexte où, comme nous le disions, le Canada se doit d’assumer ses responsabilités.

Même si notre population est d’à peine 36 millions d’habitants, le dernier budget fédéral prévoyait des investissements de 20,9 milliards de dollars au cours des 11 prochaines années pour les infrastructures vertes. Nous soutenons que le Canada est un pays riche capable d’absorber les coûts nécessaires à l’adaptation, et même d’aider les autres à le faire. Au chapitre des infrastructures, notamment pour l’atténuation des changements climatiques et l’adaptation à ce phénomène, plus de 4 milliards de dollars iront à des mesures visant à favoriser les technologies vertes et une économie à faibles émissions de carbone.

Il faut aussi tenir compte de nos responsabilités internationales, nonobstant le fait que le président Trump ne croit pas aux changements climatiques. Nous nous sommes engagés à consacrer quelque 2,6 milliards de dollars au financement international de la lutte contre les changements climatiques entre 2015 et 2020. Ce montant comprend 300 millions de dollars pour le Fonds vert pour le climat; 300 millions de dollars pour le Fonds pour les pays les moins avancés; 150 millions de dollars pour l’Initiative pour l’énergie renouvelable en Afrique du G7; et 2,5 millions de dollars pour les programmes environnementaux du Centre et Réseau des technologies climatiques des Nations Unies. En ma qualité de parlementaire, je me réjouis de ces initiatives.

Lorsqu’il est question pour le Canada d’assumer ses responsabilités en la matière, pouvez-vous me dire exactement en quoi cela consiste et ce que nous pourrions faire de plus?

M. Vincent : Je suis d’accord avec vous. Je me réjouis moi aussi des efforts déployés par le gouvernement à cette fin. Nous devrions chercher à mieux faire connaître ces efforts, surtout auprès de la population canadienne, afin qu’elle comprenne bien que le gouvernement considère les changements climatiques comme un problème majeur et que notre pays participe à l’effort planétaire déployé dans cette situation d’urgence. Le moment est critique, car il y a effectivement péril en la demeure.

Il faut donc que nos concitoyens canadiens soient au courant de ce que nous faisons, mais il est bon également que le reste de la planète en soit informé de telle sorte que nous puissions servir de modèle.

Il est bien évident que notre économie n’a pas la taille de celle de la Chine ou des États-Unis. Nous pouvons toutefois compter sur des ressources intellectuelles en quantité. Le savoir-faire, les compétences technologiques et la capacité d’innovation des Canadiens nous ouvrent d’incroyables possibilités. Nous avons l’occasion de continuer à faire valoir ces atouts dont nous pouvons être fiers en exportant nos compétences dans le reste du monde. C’est le moment ou jamais.

Prenons l’exemple des États-Unis. Nous nous heurtons effectivement à des obstacles idéologiques à certains paliers de gouvernement lorsqu’il s’agit de faire comprendre l’urgence d’agir pour lutter contre les changements climatiques, mais il y a d’autres instances américaines qui comprennent très bien que notre temps est compté.

Les relations qui existent entre le Québec et la Californie en témoignent éloquemment. Les autorités californiennes sont très proactives et c’est un État où, à l’instar du Canada, il est possible et il devrait continuer d’être possible d’engendrer de nouvelles idées capables de mobiliser véritablement le reste de la planète.

Selon moi, les investissements à attendre du Canada ne sont pas nécessairement d’ordre financier. Ce sont plutôt des idées novatrices que nous avons à offrir. C’est la raison pour laquelle nous devons appuyer notre gouvernement dans ses efforts pour veiller à ce que les Canadiens comprennent bien l’urgence et l’importance des changements climatiques. Ainsi, chaque citoyen canadien, qu’il soit à Toronto ou en Colombie-Britannique, pourra prendre conscience des répercussions possibles sur nos littoraux, des risques de tempêtes violentes qui nous guettent et des incertitudes que l’avenir nous réserve.

Notre gouvernement a tout lieu de vouloir mettre en valeur ses remarquables réalisations en la matière qui ne manqueront pas de susciter beaucoup d’intérêt, non seulement au Canada, mais aussi à l’échelle internationale.

Le sénateur Mockler : Les trois amigos renégocient actuellement l’ALENA. Si nous ne parvenons pas à nous entendre sur un nouvel ALENA, quelles seront les répercussions pour ce qui est de la lutte contre les changements climatiques ou de nos perceptions à cet égard en Amérique du Nord et dans le monde?

M. Vincent : Cela dépasse totalement le cadre de mes compétences, mais je comprends bien à quel point la situation peut être préoccupante. Je pense que tous les Canadiens s’interrogent sur l’issue de ce processus. Nous lisons des articles à ce sujet tous les jours. Nous sommes tous inquiets, car nous sommes conscients des éventuels impacts économiques dans notre vie quotidienne.

Le sénateur Richards : J’ai simplement une observation à faire. Je suis d’accord pour reconnaître que le climat est en train de changer, mais le ton moralisateur que certains adoptent à ce sujet me déplaît grandement.

Mon fils travaillait dans le secteur pétrolier. Il installait des canalisations par des températures de moins 30 pendant que sa femme, enceinte de cinq mois, était demeurée à la maison dans la région de Miramichi. Neil Young s’est présenté là-bas pour dénoncer tous les torts causés par l’industrie, puis est remonté dans son avion pour rentrer à Los Angeles. Le lendemain, c’était au tour de Robert Kennedy Junior, qui n’a jamais pu se passer de pétrole une seule journée dans sa vie, de se pointer là-bas pour faire la même chose.

Il y a des gens qui essaient simplement de faire leur travail et vous avez ces multimillionnaires qui arrivent avec leur jet privé pour nous dire que nous ne devrions pas consommer de pétrole. Un gigantesque fossé se creuse ainsi entre des gens qui font partie de catégories différentes, tout au moins selon ce que certains veulent bien croire. C’est une façon plutôt élitiste de voir les choses.

C’était mon observation.

M. Vincent : Je suis d’accord avec vous. Je trouve moi aussi que c’est vraiment déplorable. J’ai l’impression qu’il y a beaucoup d’hypocrisie au sein du mouvement environnemental. Certains semblent encore tenir pour acquis le fait que leur ordinateur s’active lorsqu’ils branchent le cordon d’alimentation. Ils ne comprennent pas vraiment que cela est rendu possible par l’économie du carbone, et notamment par le travail effectué par votre fils dans l’industrie pétrolière.

Comme tous les Canadiens, je souhaite la prospérité à tous les Albertains comme à l’ensemble de mes compatriotes, mais je m’inquiète également de la situation vraiment délicate vers laquelle nos actions nous dirigent. Pour un scientifique comme moi, c’est ce qu’indiquent on ne peut plus clairement les données à notre disposition.

La science du système terrestre est à l’origine d’une grande partie de nos connaissances du phénomène. Cette science n’existait même pas il y a 20 ans à peine. Elle a pris énormément d’expansion. Il persiste encore de nombreuses incertitudes, mais nous en savons beaucoup plus qu’il y a 20 ans sur les interactions entre l’atmosphère, la terre, l’océan et les composantes humaines de notre environnement planétaire. Grâce à cette nouvelle compréhension des choses, il devient très clair que nous nous sommes engagés sur un terrain très glissant et qu’une catastrophe nous guette si nous dépassons le maximum fixé à 2 degrés.

Nous devons trouver des façons de collaborer avec l’industrie pétrolière afin de mettre au point de nouvelles technologies pour la séquestration du carbone et d’autres systèmes semblables. Les grandes sociétés énergétiques sont désormais nombreuses à investir massivement dans le développement de sources d’énergie de remplacement. De toute évidence, elles comprennent bien qu’il leur faut envisager de nouveaux modèles de fonctionnement à long terme.

Comment un pays comme le nôtre peut-il soutenir les efforts déployés en ce sens et le travail de citoyens comme votre fils? Mon beau-frère est mineur et doit, à l’instar de votre fils, travailler dans des conditions très difficiles que ne comprennent pas nécessairement les défenseurs de l’environnement, bien qu’ils en bénéficient eux-mêmes.

Merci beaucoup pour votre observation.

Le vice-président : Nous avons quelque peu dépassé le temps prévu. J’aurais une question à vous poser en terminant, monsieur Vincent.

Je veux revenir à notre toute première question. Nous avons établi au départ qu’il fallait que les gens prêtent foi aux travaux des scientifiques et reconnaissent que le phénomène des changements climatiques est bel et bien réel.

Je crois personnellement à la science et je suis persuadé que notre climat est en train de changer, mais je sais également qu’il y a 10 000 ans, une couche de glace de trois à quatre kilomètres d’épaisseur recouvrait l’ensemble de notre pays, à l’exception du sud-ouest de la Colombie-Britannique.

De toute évidence, le climat changeait déjà sans que l’activité humaine n’y soit pour quoi que ce soit.

M. Vincent : Tout à fait.

Le vice-président : Pour bien des gens, la principale pierre d’achoppement vient du lien étroit que certains établissent entre la production de gaz carbonique et les changements climatiques. Certains, notamment parmi les scientifiques, estiment que l’accroissement des émissions de gaz carbonique est en fait le résultat d’une hausse des températures, plutôt que d’en être la cause. Je serais simplement curieux de savoir ce que vous en pensez.

M. Vincent : La première partie de votre question nous ramène à l’idée des cycles de la nature. C’est une question que l’on me pose sans cesse sur différentes tribunes publiques. Il est vrai que notre planète a connu des cycles majeurs de transformation depuis quatre milliards d’années, mais il faut aussi avouer que la vie humaine n’y a pas toujours eu sa place.

En fait, notre civilisation s’est développée seulement depuis quelques milliers d’années. Notre économie, notre société, tout ce qui nous entoure, en fait, est fondé sur une base de stabilité environnementale qui s’est installée après la fonte de ces couches de glace.

Vous avez tout à fait raison, car la différence entre ces couches de glace et la situation actuelle n’est qu’une affaire de quelques degrés. Mais si l’on multiplie un petit nombre semblable par l’important facteur que représente la planète Terre, on en arrive à un résultat démesuré, gigantesque même. Quelques degrés, ça semble très peu, mais c’est ce qui détermine si un endroit comme Ottawa va se retrouver ou non sous la glace.

Est-ce que votre question portait sur la communication de cette idée des changements climatiques?

Le vice-président : Non, je parlais du fait que l’on considère que les émissions de gaz carboniques sont à l’origine des changements climatiques, alors que certains croient qu’elles en sont le résultat.

M. Vincent : Du point de vue scientifique, il faut comprendre à la base que le gaz carbonique est un gaz à effet de serre. Sinon, je ne sais pas s’il vaut vraiment la peine de poursuivre le raisonnement. C’est un peu comme si je vous demandais si vous croyiez à la gravité. Si vous me répondiez que non, je pourrais seulement vous souhaiter bonne chance.

Le gaz carbonique absorbe l’énergie. Nous savons que c’est un gaz à effet de serre. Un peu partout dans le monde, les stations de prélèvement enregistrent une augmentation colossale de ces émissions. Nous dépassons maintenant les 400 parties par million pour la première fois, d’après nous, depuis des millions d’années. Nous atteignons des niveaux sans précédent.

Nous savons donc que c’est un gaz à effet de serre. La science nous apprend que ces gaz entraînent un réchauffement du climat. Ils absorbent de l’énergie et la chaleur augmente. Nous savons également que l’air chaud absorbe davantage d’eau. Les gens s’en rendent bien compte dans leur maison. Ils savent à quel point l’air peut devenir sec à l’intérieur pendant la saison hivernale dans une ville comme Ottawa du fait que l’air froid qui entre ne contient pas beaucoup d’eau. Nous savons qu’il en renfermera de plus en plus au fil du réchauffement planétaire. Nous vivons déjà ce phénomène au Canada.

L’eau est également un gaz à effet de serre qui accélère cet effet d’amplification. S’il fait plus chaud et si l’eau est davantage présente, on ne pourra pas éviter des événements extrêmes plus fréquents et un système climatique plus violent. C’est tout à fait logique du point de vue scientifique. Je ne suis pas certain que cela suffira pour convaincre les idéologues. Il semblerait que ces gens-là soient imperméables à toute forme de démonstration ou d’explication scientifique.

Vous risquez de retenir un peu plus leur intérêt si vous arrivez à faire valoir les risques d’événements extrêmes et les conséquences qui s’ensuivent. Qu’advient-il en cas d’incendie majeur? Que se passe-t-il si une colline ou une autoroute s’effondre totalement? Quelles sont les suites d’une inondation comme celle qui a touché Churchill l’an dernier?

Le gaz carbonique est un gaz à effet de serre et nous en émettons dans l’atmosphère. Tout cela a déjà été clairement établi.

Le sénateur Massicotte : Je recommanderais que nous convoquions comme témoin le climatologue qui défend cette théorie dont vous nous avez parlé. J’aimerais bien savoir ce qu’il pense de tout cela.

Le vice-président : Oui. Monsieur Vincent, merci beaucoup pour votre exposé.

Pour la seconde portion de notre séance, nous sommes ravis d’accueillir deux représentants du réseau Systèmes d’énergie de qualité pour les villes de demain, QUEST, soit M. Brent Gilmour, directeur général, et Mme Tonja Leach, directrice principale. Merci à tous les deux d’être des nôtres aujourd’hui.

Monsieur Gilmour, si vous voulez bien nous présenter vos observations préliminaires, après quoi les sénateurs auront des questions à vous poser.

Brent Gilmour, directeur général, QUEST : Le réseau Systèmes d’énergie de qualité pour les villes de demain, QUEST, est l’organe national de promotion des collectivités énergétiques intelligentes au Canada. Dans notre rôle d’agent d’influence, de liaison et de sensibilisation, nous appuyons les gouvernements, les services publics, le secteur immobilier et les fournisseurs de solutions énergétiques dans leurs efforts pour faire croître le marché des collectivités énergétiques intelligentes.

Les collectivités énergétiques intelligentes mettent en place les conditions nécessaires à la réduction des émissions de gaz à effet de serre et de la consommation énergétique, à l’adoption de technologies vertes, et à l’accroissement de la résilience locale, notamment au moyen du développement économique et de la création d’emplois.

La diapositive 3 montre à quel point les mesures prises par différentes collectivités canadiennes sont déterminantes pour l’atteinte des objectifs fédéraux, provinciaux et territoriaux en matière de réduction de notre consommation énergétique et de respect de nos engagements touchant les gaz à effet de serre.

Les collectivités sont à l’origine de près de 60 p. 100 de la consommation énergétique totale et de plus de la moitié de nos émissions de gaz à effet de serre. La plus grande part de cette consommation et de ces émissions provient de nos déplacements, c’est-à-dire des transports, et de notre présence à l’intérieur d’édifices où nous passons la majeure partie de notre temps.

La consommation énergétique demeure toutefois pour les collectivités un enjeu complexe qui est relié intrinsèquement à nos grandes priorités à court et à long terme du point de vue économique, social et environnemental. La planification énergétique continue d’être faite en fonction de la demande d’énergie une fois les grandes décisions d’aménagement de la collectivité déjà prises.

En conséquence, les systèmes énergétiques sont conçus en fonction des besoins relevés notamment en matière de chauffage, de climatisation, d’électricité et de transport, ce qui laisse peu de marge de manœuvre pour réduire d’emblée ces besoins énergétiques en même temps que les émissions qui en découlent.

Comme vous pouvez le voir à la diapositive 4, QUEST préconise l’approche inverse via la mise en place de collectivités intelligentes au sein desquelles on considère dès le départ les décisions à prendre quant à l’aménagement du territoire, aux infrastructures pour l’approvisionnement et la gestion des eaux usées et des déchets, à la mobilité des citoyens et des marchandises, et à la conception des édifices. C’est en cheminant de cette manière qu’il est possible de devenir une collectivité à faibles émissions de carbone.

À l’issue de cette transition, vous pourrez voir dans ces collectivités ce que vous avez été à même d’observer à l’extérieur du Sénat aujourd’hui. C’est ainsi que deviendront chose courante bon nombre des nouvelles sources d’énergie comme la chaleur solaire, les piles photovoltaïques, l’éolien, les marées, les centrales au fil de l’eau, le biogaz, les réseaux de quartier et la cogénération, pour n’en nommer que quelques-unes.

En outre, les utilisateurs finaux disposeront d’un plus grand nombre d’options pour mieux gérer leur consommation énergétique, notamment quant à la quantité, au moment et aux sources utilisées. Ils seront aussi plus directement récompensés au titre de l’énergie qu’ils permettent d’économiser.

La diapositive 5 traite des moyens à prendre pour appuyer la transition en ne se limitant pas aux seules émissions. En nous permettant de concentrer nos efforts sur la façon dont nous consommons de l’énergie via notamment nos déplacements et la manière dont nous la produisons, les collectivités énergétiques intelligentes nous aideront non seulement à atteindre nos objectifs de réduction des gaz à effet de serre, mais aussi à évoluer dans le contexte d’enjeux socioéconomiques cruciaux qui influent sur l’abordabilité de l’énergie et la résilience économique à long terme des collectivités.

La consommation énergétique varie d’une localité à l’autre au Canada, mais elles doivent toutes composer avec une hausse de leurs factures énergétiques, ce qui peut représenter un fardeau considérable pour les économies locales. En moyenne, les coûts énergétiques se situent entre 3 000 $ et 4 000 $ par habitant, soit un total annuel d’un milliard de dollars pour une ville de taille moyenne.

Par exemple, à London, en Ontario, à peine 12 p. 100 de la somme de 1,6 milliard de dollars dépensée annuellement pour le chauffage, la climatisation et le transport reste dans la communauté. London estime que chaque cent de réduction de la consommation d’énergie des résidents et des entreprises se traduit par des économies de quelque 14 millions de dollars.

Les collectivités énergétiques intelligentes peuvent faire plus que simplement réduire les coûts d’énergie, car elles ouvrent la porte à un renouvellement des infrastructures à faibles émissions de carbone, les infrastructures physiques communautaires et énergétiques du Canada ayant besoin d’être remplacées.

Qui plus est, elles favorisent le développement économique en tirant parti d’un marché mondial des technologies propres en croissance. Elles peuvent créer des emplois dans les réseaux de transport d’énergie propre décentralisés, et appuyer l’établissement de communautés saines, une priorité à l’échelle du pays.

Dans un récent sondage mené auprès des communautés en train de se transformer en collectivités énergétiques intelligentes, environ 60 p. 100 d’entre elles ont répondu qu’elles effectuaient la transition principalement pour obtenir des bienfaits sur le plan de la santé.

La diapositive 6, qui porte sur l’accélération de la transition, indique que dans le cadre du travail que nous avons réalisé avec des chefs de file de l’énergie communautaire des quatre coins du pays, nous avons appris que les communautés ne disposaient pas d’une approche pour déterminer les priorités au chapitre de l’énergie. Nous avons donc là un véritable moyen d’améliorer l’efficacité, de réduire les émissions et de stimuler le développement économique à l’appui d’une transition vers une économie à faibles émissions de carbone.

Dans le but de contribuer à combler ce besoin, QUEST a dirigé l’élaboration et la mise en œuvre d’un plan énergétique communautaire afin de jeter les bases d’une économie à faibles émissions de carbone. Ce plan est en fait un examen exhaustif qui vise à établir les priorités au chapitre de l’énergie et à améliorer la manière dont l’énergie est utilisée dans une communauté, tout en réduisant les émissions de gaz à effet de serre et en aidant les communautés à devenir des collectivités énergétiques intelligentes.

En 2015, forts du soutien des principaux experts de l’énergie communautaire du pays, nous avons déterminé pour la première fois qu’il existait 170 plans présentés par des communautés englobant plus de la moitié de la population canadienne dans le cadre de l’initiative intitulée De la planification à la mise en œuvre : la planification énergétique communautaire.

Depuis, la croissance des plans énergétiques communautaires a été exponentielle, augmentant de plus de 250 p. 100. On en trouve aujourd’hui dans plus de 400 collectivités, dont 165 communautés autochtones.

Même si les communautés canadiennes font des progrès quant aux plans énergétiques communautaires, elles ont toutes besoin d’aide et d’idées pour les mettre en œuvre. Dans le cadre de nos travaux au titre de l’initiative intitulée De la planification à la mise en œuvre et, plus récemment, de la feuille de route des données sur l’énergie dans le Canada atlantique, nous avons appris que trois écueils entravent la transition vers une économie à faibles émissions de carbone, que je qualifierai d’obstacle à la transition.

Tout d’abord, les communautés sont réfractaires au changement et réclament des preuves de réussite avant d’investir. Elles se fient aux pratiques exemplaires afin d’établir des partenariats plurisectoriels et de mettre en œuvre des projets et des programmes complexes nécessaires à la transition vers une économie à faibles émissions de carbone, mais elles n’ont pas de plateforme d’apprentissage, d’établissement de repères et de comparaison en ce qui concerne les politiques, les processus et les programmes efficaces.

Cette absence de pratiques exemplaires accessibles et comparables, particulièrement en ce qui concerne ce que nous appelons les modèles de gouvernance et de partenariats plurisectoriels, fait que des occasions échappent aux intervenants essentiels, comme les administrations locales, les fournisseurs de gaz, d’électricité et d’énergie thermique, et le secteur de l’immobilier.

De plus, sachez que c’est à l’échelle locale qu’on trouve les innovations qui ont le plus d’impact pour l’établissement de collectivités à faibles émissions de carbone, et les communautés ne sont pas prêtes.

Les réseaux de transport d’énergie du Canada ont été conçus il y a plus de 100 ans et ont été graduellement modifiés depuis. Ils fonctionnent bien, particulièrement à une époque de modèles de production intégrés verticalement et approvisionnés centralement. L’innovation touche la manière dont nous consommons, transportons et produisons l’énergie, ainsi que les besoins et les attentes des consommateurs.

Le rythme de l’innovation technologique est difficile à suivre pour les secteurs des politiques et de la réglementation. Les administrations locales, les services publics et le secteur de l’immobilier n’ont pas encore mis en place les modèles de prestation et d’exploitation, les partenariats et les réseaux nécessaires pour appuyer notre transition.

En outre, les données posent un dilemme. Les données sur l’énergie sont nécessaires à la prise de décisions stratégiques éclairées et à la confirmation des effets de la transition vers une économie à faibles émissions de carbone; or, force nous est d’admettre que les données canadiennes sont incomplètes, de qualité variable, incohérentes et peu accessibles à cet égard. Il est donc très difficile pour les communautés d’évaluer leurs progrès. Les données réelles sur les progrès appuient la prise de décisions éclairées.

L’accès aux données sur l’énergie ne constitue qu’une partie du défi, cependant. À l’échelle communautaire, on a constaté une montée fulgurante des processus et des méthodes visant à surveiller les émissions de gaz à effet de serre et à faire état de la situation en réaction aux normes internationales et infranationales, et même aux normes de l’industrie.

Ces défis ne sont toutefois pas insurmontables et font partie de la transition vers une économie à faibles émissions de carbone. Nous pouvons atténuer les obstacles et maintenir nos efforts de mise en œuvre de trois façons.

Sur la diapositive portant sur les trois points à considérer, on peut d’abord voir qu’il faut investir dans les comparaisons et l’établissement de repères pour les communautés avec des outils d’intégration sectorielle. Pour susciter la confiance, il faut fournir aux champions et aux décideurs communautaires des exemples de réussite et d’échec et des leçons tirées de l’expérience pour renforcer la confiance et les connaissances à l’appui des investissements et des mesures qui permettront de réduire considérablement la consommation d’énergie et les émissions de gaz à effet de serre et, au bout du compte, favoriseront la transition vers une économie à faibles émissions de carbone.

Par exemple, QUEST a commencé à concevoir une carte de pointage des collectivités énergétiques intelligentes afin d’évaluer les progrès accomplis par les multiples secteurs des administrations locales, les services publics, le secteur de l’immobilier et d’autres intervenants communautaires sur le chemin vers les communautés énergétiques intelligentes. Cette carte, qui évalue comment nous atteignons nos objectifs sur les plans des politiques, des processus et des programmes qui permettent la mise en œuvre, a, au final, trois résultats : un ensemble normalisé d’indicateurs qui définissent la voie à suivre pour devenir une collectivité énergétique intelligente, une méthode pour évaluer comment les multiples secteurs contribuent à l’établissement de collectivités énergétiques intelligentes, et un rapport d’évaluation qui est en fait un tableau de bord en ligne affichant les résultats des communautés qui comprend un programme d’action pour aider les communautés en cours de route.

Nous devons en outre investir dans l’innovation des processus socioéconomiques, comme nous avons investi substantiellement dans l’innovation technologique. Le dialogue entamé dans le cadre de Génération énergie et du cadre énergétique pancanadien nous a amenés à discuter de l’établissement d’une économie à faibles émissions de carbone. Ce dialogue doit également porter sur la manière dont le Canada s’engage dans une période de transition.

Il faut réfléchir à la conversation difficile et épineuse sur la mise en œuvre et le coût, et évaluer la situation pour permettre aux entreprises, aux consommateurs et aux autres parties prenantes de comprendre les répercussions concrètes de la transition.

On trouve d’excellents exemples de la manière dont nous pouvons aider les entreprises et des administrations locales à effectuer la transition dans le cadre d’initiatives comme le partenariat pour une économie à faibles émissions de carbone. Ce dernier est le fruit d’une collaboration entre quatre organisations, dont QUEST, qui travaillent avec de petites et moyennes entreprises du Canada afin de contribuer à l’atteinte des objectifs du gouvernement du Canada au chapitre des changements climatiques en renforçant des outils et des programmes éprouvés qu’utiliseront 4 000 entreprises et 300 communautés d’ici 2025.

Nous prévoyons réaliser des économies de coûts de 150 millions de dollars avec les petites et moyennes entreprises, et réduire les émissions de gaz à effet de serre d’une demie-tonne d’ici 2020, pour un total de plus de 1,3 mégatonne d’ici 2025.

Nous devons également investir dans l’accès aux données réelles sur l’énergie à l’appui de la prise de décisions. L’adage voulant que l’on ne puisse gérer ce que l’on ne peut mesurer est on ne peut plus juste quand il est question des émissions de gaz à effet de serre, lesquelles résultent en grande partie de la production et de la consommation d’énergie.

Grâce aux recherches et aux consultations entreprises pour la feuille de route des données sur l’énergie dans le Canada atlantique, nous avons appris que nous ne disposons pas des données sur l’énergie dont nous aurions besoin pour améliorer la reddition de comptes, évaluer les progrès et fixer de nouveaux objectifs afin d’établir une économie à faibles émissions de carbone et des collectivités énergétiques intelligentes.

Pour résoudre ce problème, il faudra concilier l’intérêt public et les intérêts des consommateurs. Le public a besoin de rapports et de mesures. Les consommateurs ont aussi besoin de données, mais ils tiennent avant tout à la protection de leurs renseignements personnels. Ils doivent pouvoir décider s’ils souhaitent communiquer leurs données sur la consommation d’énergie à quelqu’un d’autre.

La feuille de route indique la voie que peuvent emprunter les parties prenantes, c’est-à-dire les gouvernements, les consommateurs, les fournisseurs d’énergie, les organismes de réglementation et ceux qui s’intéressent à l’efficacité, afin d’édifier un monde où les données sur la consommation d’énergie et les émissions de gaz à effet de serre sont recueillies, utilisées, échangées et communiquées à un haut niveau afin d’améliorer la reddition de comptes, pendant que les consommateurs peuvent accéder plus aisément aux données sur la consommation d’énergie individuelle et les transmettre volontairement.

Chaque région du Canada doit disposer de sa version de la feuille de route. Le gouvernement fédéral a un rôle de chef de file et de coordination essentiel à jouer, et est celui qui est le mieux placé pour soutenir un dépôt central de données sur l’énergie, comme un organisme canadien d’information sur l’énergie pouvant collaborer avec les provinces et les territoires afin de faire rapport sur la transition vers une économie à faibles émissions de carbone.

Le vice-président : Ferez-vous un exposé?

Tonja Leach, directrice générale, QUEST : Non, je ne suis ici que pour aider à répondre aux questions.

La sénatrice Seidman : Je voudrais vous interroger sur les obstacles à la transition. Intuitivement, le concept de marché des collectivités énergétiques intelligentes au Canada et toutes les questions relatives à l’innovation sont excellents, mais quand on parle du dilemme des données, certains problèmes de rentabilité sont alimentés par les mesures scientifiques des résultats.

Nous avons entendu un grand nombre d’entreprises et même de municipalités, qui nous ont indiqué qu’elles étaient réticentes à apporter des changements ou à effectuer des investissements dans les innovations technologiques en l’absence de données sur les résultats. Si la science ne fournit pas l’information, comment l’obtenir?

M. Gilmour : Dans notre cas, quand nous évoquons les données sur l’énergie, nous pensons à la consommation d’énergie, et donc aux ménages. La plupart d’entre nous disposent de ces renseignements. Ils sont là, ils existent.

La plus grande partie des données qu’on voit souvent, qui sont présentées ici ou qui sont utilisées, sont modélisées. Pour être franc, la plupart le sont.

Notre défi consiste maintenant à extraire les données réelles recueillies à l’échelle du pays, souvent par un nouveau compteur. Cela dépend si on en a un et comment il fonctionne. Comment pouvons-nous colliger ces données de manière à les partager?

Grâce à la feuille de route que nous avons créée et à laquelle adhèrent les quatre provinces de l’Atlantique, les commissaires à la protection de la vie privée et les services publics, il est devenu très évident que toutes ces entités pourraient recueillir et échanger des données par l’entremise d’un système d’information et de mesure intégré.

À mesure que les choses se mettent en place, il faut déterminer ce dont l’industrie a besoin pour fournir l’information. À l’heure actuelle, si on demande à un service public de la côte atlantique s’il est en mesure de fournir l’information comme il est disposé à le faire, la réponse serait « non ». Si on demandait aux consommateurs ce qu’ils voudraient et s’ils peuvent accéder aux données, la réponse serait « non ».

Il manque actuellement des éléments fondamentaux à nos processus et à nos cadres pour permettre l’échange de données tout en assurant la protection des renseignements personnels. Nous en sommes à une étape où la technologie ne fait plus obstacle à la collecte et à l’échange de renseignements.

L’obstacle vient de nous et de ce que nous avons décidé quant aux renseignements que nous sommes prêts à échanger et à la manière dont ils seront communiqués. Nous pouvons surmonter cet obstacle.

Pour répondre à votre question sur l’état d’avancement des communautés et ce que veulent les administrations locales et l’industrie, sachez qu’elles sont toutes à l’affût de données. Elles veulent obtenir des certitudes quant à la procédure et au processus et comprendre leurs attentes mutuelles.

Il nous a fallu près de deux ans pour élaborer la feuille de route, collaborant avec les parties prenantes pour déterminer les attentes de chacune et savoir quel serait le cadre dont elles auraient besoin pour le gouvernement.

Je peux vous dire que la feuille de route a été favorablement accueillie en ce qui concerne l’approche fondamentale honnête sur laquelle tout le monde s’est entendu. Vous pourriez examiner le programme du Bouton vert de l’Ontario au chapitre de l’échange de renseignements sur l’électricité, une initiative bien établie qui permet aux consommateurs et aux entreprises d’accéder aux données s’ils le souhaitent.

On peut étendre pareille initiative au-delà de l’électricité, à d’autres sources d’énergie thermique tirées de l’eau. Nous avons aussi constaté que bien des secteurs ne sont pas prêts pour une telle initiative. Dans la région de l’Atlantique, par exemple, on ne peut accéder par voie électronique aux données des fournisseurs de mazout, de propane ou de nombreuses autres formes d’énergie thermique. Il faudra installer des infrastructures supplémentaires à cet égard. Une feuille de route nous y aidera. C’est dans ce sens qu’il faudra agir.

Pour ce qui est du dernier point sur ce qui manque, il faut comprendre le rôle des gouvernements fédéral et provinciaux quant à l’endroit où les données pourraient être mises en commun, à l’entité qui les recueillerait et à la manière dont elle le ferait.

Depuis un an et demi ou deux ans, on note un mouvement pour créer un organisme des renseignements sur l’énergie, et avec raison. Tout le monde fait cavalier seul actuellement afin de rendre les données plus accessibles. Au bout du compte, nous aurons toujours besoin d’un dépôt central. Le gouvernement fédéral a encore un rôle important à jouer.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Pouvez-vous nous expliquer de façon concrète, à la page 3, sous la rubrique « The effect of transitioning to a low-carbon economy », dans le tableau à droite, ce que cela représente dans le cadre des défis que vous rencontrez en ce qui concerne l’échange et la mise en commun des données avec les différentes instances municipales, provinciales et fédérale?

[Traduction]

M. Gilmour : De façon concrète, ces éléments servent à comprendre la transition vers une économie à faibles émissions de carbone. Quand nous pensons à cela, l’approche que nous adoptons à cet égard concerne les communautés énergétiques intelligentes.

De quoi s’agit-il au bout du compte? Tout d’abord, les instances ont, d’entrée de jeu, mis l’accent sur l’utilisation efficace de l’énergie, pas seulement dans les édifices, mais dans l’ensemble de la communauté, y compris dans les transports.

Elles ont en outre intégré efficacement les réseaux de transport d’énergie traditionnels, lesquels fonctionnent avec les divers types de technologies qui existent actuellement, qu’il s’agisse de production combinée de chaleur et d’électricité, de systèmes énergétiques communautaires, de refroidissement par eaux profondes, de photovoltaïque utilisée la production d’énergie solaire et électrique, ou de murs solaires. Cette panoplie de nouvelles technologies de production locale d’énergie, que ce soit à l’échelle des édifices ou de la communauté, est en fait liée au réseau de distribution existant, c’est-à-dire aux tuyaux et aux câbles.

En outre, nous exploitons également les occasions de production d’énergie locale, réfléchissant sérieusement à la chaleur résiduelle et aux sources d’énergie résiduelle. Dans notre cas, nous considérons la chaleur issue des égouts comme une occasion, une source de chaleur et d’énergie. Nous réfléchissons également au gaspillage à l’intérieur de nos propres édifices et à la manière dont nous pourrions exploiter les occasions qui se présentent à cet égard. Pour utiliser les sources d’énergie locale, il faut aussi penser à l’entreposage et la manière dont on peut tirer le meilleur parti des possibilités de production d’énergie locale.

En outre, la planification de l’utilisation des terres et des transports est tout aussi importante. Quand on aborde la question, on songe intuitivement aux collectivités énergétiques intelligentes. L’argent le mieux investi dans l’énergie est celui qu’on n’y investit pas au départ. Pour cela, il ne faut pas corriger le tir une fois que tout est construit, mais tenter de construire correctement dès le début.

Pour notre part, nous considérons qu’au chapitre de la planification de l’utilisation des terres et des transports, il faut voir si on a réduit le besoin de transport en automobile. A-t-on ouvert la porte aux zones d’aménagement mixte et à l’autopartage? S’agit-il d’une communauté rurale ou éloignée? Cette dernière pourrait choisir de convertir sa flotte pour utiliser des véhicules électriques, voire instaurer un programme d’autopartage. Nous avons constaté qu’au Québec, un certain nombre de communautés ont lancé un programme d’autopartage novateur en utilisant les flottes municipales dans les régions rurales et éloignées.

Tous ces éléments commencent à nous aider à comprendre en quoi consistent les collectivités énergétiques intelligentes. Au final, ils constituent une plateforme pour l’établissement d’une économie et d’une collectivité à faibles émissions de carbone.

Pour ce qui est de la question sur les données et du lien avec le rôle du gouvernement fédéral, je tiens à m’assurer de comprendre la deuxième partie de cette question.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Je me reporte aux problèmes du partage des données. Si on prend l’exemple concret de la carte des routes des provinces de l’Atlantique, vous travaillez avec les gouvernements provinciaux et les municipalités. Quel est le rôle du gouvernement fédéral? J’essaie de voir le rôle que vous jouez auprès des municipalités et du gouvernement provincial, au départ.

[Traduction]

M. Gilmour : La plupart des administrations locales de la région de l’Atlantique et du Canada s’emploient actuellement à colliger des données de base sur les émissions de gaz à effet de serre dans le secteur de l’énergie aux fins de reddition de comptes, que ce soit dans le cadre du programme des Partenaires pour la protection du climat de la Fédération canadienne des municipalités ou en réaction aux nouvelles exigences, comme celles de l’Ontario, qui réclame des rapports sur les émissions de gaz à effet de serre dans le secteur de l’énergie. Sachez qu’en Colombie-Britannique, c’est plutôt la province qui recueille et fournit toutes les données au nom des administrations locales.

Dans la région de l’Atlantique, les instances nous disent constamment qu’elles ont besoin de données. Elles en ont certaines et comprennent bien la situation pour les édifices commerciaux et ceux dont elles assurent la gestion. Là où le bât blesse, c’est quand le plan ne vise pas des personnes morales, mais toute une communauté.

Comment les instances peuvent-elles alors commencer à recueillir des renseignements qui ne leur appartiennent pas, car ils sont du domaine privé et appartiennent aux consommateurs? Comment peuvent-elles accéder à ces données? Elles entament des discussions avec les services publics, qui recueillent souvent des renseignements sur la consommation d’électricité ou de gaz, ou avec des fournisseurs de propane, de mazout ou d’autres sources d’énergie.

Ces relations ne sont souvent pas établies. Il devient très difficile de savoir comment les données seront communiquées, car elles ne leur appartiennent pas. Elles doivent aussi tenir compte des consommateurs et penser aux informations qui sont transmises afin de voir s’il s’agit de renseignements personnels.

Nos échanges portent directement sur la question. Comment peut-on lancer le processus quand on a besoin de données? Quel rôle la province joue-t-elle dans le déroulement des échanges? Devrait-elle, à l’instar de la Colombie-Britannique, se charger de recueillir et de réunir les données afin de les communiquer aux administrations locales qui en ont besoin pour rendre des comptes et prendre des décisions éclairées?

S’agit-il d’une relation où les services publics, connaissant les possibilités ou les attentes au chapitre de la communication de renseignements, pourraient devenir de sérieux fournisseurs de données, transmettant régulièrement les renseignements et les présentant de manière à en retirer toute information permettant d’identifier quelqu’un? Nos discussions nous ont aussi permis de dire que cela pourrait constituer une approche envisageable.

La troisième solution est celle à laquelle les gens pensent souvent. Pourquoi ne ferions-nous pas en sorte que les citoyens puissent communiquer facilement leurs données? Quand on pense aux renseignements que contiennent vos téléphones ou vos iPad, vous transmettez plus de données que jamais auparavant. Nous avons autorisé ces transmissions; nous ne le savions tout simplement pas, en un certain sens.

Pourquoi nous préoccupons-nous autant de la communication de données sur l’énergie? Pourquoi avons-nous réglementé cette dernière aussi strictement? Pourquoi cette réglementation existe-t-elle? Est-ce seulement pour répondre aux préoccupations des entreprises ou à celles des consommateurs?

Le fait est que nous avons simplement ajouté un règlement après l’autre, sans nous demander pourquoi nous agissions de la sorte. C’est souvent parce que différents organismes de réglementation régissent les diverses étapes de la collecte de données.

L’organisme de réglementation économique est chargé d’assurer la protection des données sur la consommation d’énergie au nom du consommateur, alors que les administrations locales tentent de comprendre comment elles peuvent recueillir des données au nom de leurs citoyens. Quant au gouvernement provincial, il s’efforce de concilier les intérêts de la province et ceux des consommateurs. Tout le monde a des attentes différentes.

Le résultat final s’apparente toutefois davantage au programme Bouton vert, lequel permet à l’industrie de savoir comment préparer les données afin de les communiquer conformément à une norme. Il informe aussi les consommateurs au sujet du droit de communiquer les renseignements et de l’utilité de cette communication. Nous n’avons jamais mené de campagne ou entrepris de processus d’information pour expliquer pourquoi la communication des données sur l’énergie est bénéfique. C’est vraiment intéressant.

Quand on télécharge une nouvelle application et qu’on s’y branche, on se fait demander si on consent à ce que nos informations soient communiquées afin d’améliorer le produit. La plupart du temps, on clique « oui »; ce n’est pas toujours le cas, mais on est très susceptibles de le faire. On ne voit pas les choses du même œil quand il est question de données sur l’énergie.

La feuille de route nous a entre autres permis de déterminer qu’une des meilleures approches consistait à améliorer volontairement la manière dont les gens communiquent les données. Nous n’avons pas encore implanté cette infrastructure.

Nous observons de plus en plus de bons résultats, que ce soit au Royaume-Uni, qui a adopté cette orientation, ou en Australie et en Nouvelle-Zélande, qui sont très portés vers cette approche. La démarche, résolument volontaire, a suscité un engouement considérable, mais les autorités ont informé les gens de la raison pour laquelle les renseignements étaient utiles et ont expliqué qu’aucun lien ne pourrait être établi entre eux et les données, qui seraient présentées de manière globale afin d’améliorer les produits.

Je réponds longuement à votre question, sénatrice, mais il s’agit d’un sujet difficile et complexe qui comprend bien des éléments, et auquel nous commençons à peine à nous attaquer en vue de la transition vers une économie à faibles émissions de carbone. De nos jours, il est nécessaire de rendre des comptes, particulièrement quand on instaure un système de tarification du carbone. Tout le monde veut savoir la quantité exacte d’énergie qu’on consomme ou ne consomme pas et pourquoi, mais nous n’avons pas encore mis en place tous les moyens de transmettre les données.

[Français]

La sénatrice Dupuis : J’ai une question complémentaire à poser. Qu’arrive-t-il avec les données sur les infrastructures fédérales dans les provinces de l’Atlantique, que ce soit les aéroports, les ports, les réserves indiennes, ainsi de suite? Il y a la question des dépositaires nationaux de ces données, et je me demande si cela se fait également dans le cas des provinces atlantiques. Comment avez-vous accès à ces données fédérales?

[Traduction]

M. Gilmour : Les gens ne peuvent accéder directement aux données fédérales, que ce soit dans la région de l’Atlantique, en Ontario, au Québec, dans le Nord ou ailleurs au pays. Nous avons constaté que les échanges que nous avons eus au sujet de la feuille de route ont permis de mieux gérer les données provinciales, mais nous n’avons pas discuté des infrastructures ou des activités de développement du gouvernement fédéral, ou cherché à voir si des communautés autochtones voulaient communiquer ces renseignements également.

Si on tient compte du fait qu’il peut y avoir plusieurs collectivités et une communauté autochtone, cette dernière a-t-elle un meilleur accès aux données? La réalité, c’est oui, ou non, peut-être pas. Selon l’endroit d’où les données viennent et l’emplacement de la source d’énergie, les communautés pourraient ne pas prendre de meilleures décisions.

Nous avons indiqué qu’environ 169 communautés autochtones ont adopté des plans énergétiques communautaires. Leur principale difficulté a consisté à obtenir leurs propres données. La plupart ont dû créer elles-mêmes leurs données, établissant ou modélisant des données et collaborant avec des sociétés d’ingénierie ou d’autres entreprises pour tenter d’y voir clair, car elles n’avaient pas accès aux renseignements.

Fondamentalement, à certains endroits, nous ne fournissons pas les renseignements de base nécessaires pour faire état des progrès. On peut encore moins savoir s’il existe de meilleures façons d’investir lors de la prise de décisions en matière d’énergie. Le problème est aussi fondamental que cela.

Le sénateur Massicotte : Il y a un prélude à ma question. Je ne suis pas certain de partager votre avis. Vous affirmez que votre priorité constante consiste essentiellement à améliorer l’efficacité énergétique. Je ne suis pas certain d’être d’accord avec cette approche, car bien des mesures peuvent s’avérer inefficaces. Une source d’énergie inefficace à 90 p. 100 peut être la plus économique. Je préfère le jeu du marché à la simple efficacité.

D’après ce que j’ai compris en parcourant vos documents et votre site web, votre organisation aide essentiellement les communautés, les concepteurs ou d’autres intéressés à adopter une approche globale coordonnée afin d’assurer l’efficacité énergétique.

Voilà qui me plaît beaucoup. Je considère que c’est absolument nécessaire, car je vois les réponses aux questions. C’est si complexe que les gens ont besoin de vos conseils. C’est très important. Je vous encourage et je vous souhaite le meilleur succès possible pour que vous nous aidiez à assurer l’efficacité énergétique, car je pense que c’est pour le bien collectif.

Qu’attendez-vous de nous? Vous nous avez fourni quelques références. En termes simples, que pouvons-nous faire pour vous aider du point de vue du gouvernement fédéral? Répondez succinctement pour que je ne m’emmêle pas et que je comprenne où vous voulez en venir.

M. Gilmour : Dans les trois points figurant à la fin, nous faisons les propositions suivantes :

Tout d’abord, nous aimerions recevoir du soutien afin d’investir dans des outils de comparaison et d’établissement de repères. C’est une belle manière de présenter les choses. Nous venons de mener un projet pilote dans le cadre duquel nous avons collaboré avec six communautés pour établir une carte de pointage. Cependant, le fait est que tout le monde aura besoin de tels outils. Chaque communauté devrait bénéficier d’une carte de pointage. Votre aide à cet égard serait donc la bienvenue.

Le sénateur Massicotte : Qu’attendez-vous de nous? Nous faisons partie du gouvernement fédéral. Que pouvons-nous faire pour vous aider au sujet de ces trois points?

M. Gilmour : Ce serait merveilleux si vous pouviez encourager vos collègues de Ressources naturelles Canada à continuer d’appuyer ces démarches, car c’est une approche à laquelle ils pensent beaucoup. Il faut aussi songer aux communautés autochtones, qui ne disposent pas d’outils viables pour prendre de meilleures décisions en matière d’énergie. Elles auraient notamment besoin de cartes de pointage communautaires. Nous vous serions donc reconnaissants d’encourager vos collègues à investir dans ce domaine, que ce soit dans le cadre de nos travaux ou de ceux d’autres intervenants.

Le sénateur Massicotte : Voulez-vous de l’argent, des encouragements? Que cherchez-vous?

M. Gilmour : Les deux, et pas seulement pour nous. Le fait est que nous n’avons pas accordé beaucoup de soutien au concept de repère à l’échelle locale.

Permettez-moi de vous donner un peu de contexte.

Le sénateur Massicotte : Ressources naturelles Canada devrait donc affecter des sommes supplémentaires à l’établissement de repères.

M. Gilmour : Oui.

Le sénateur Massicotte : En quoi consiste la deuxième recommandation?

M. Gilmour : Nous avons également parlé du partenariat pour les faibles émissions de carbone. Nous encouragerions le Sénat à inciter le gouvernement à investir sans tarder dans un fonds pour cette innovation socioéconomique.

Le sénateur Massicotte : De quoi s’agit-il? Restez simple. Je ne suis peut-être pas si intelligent que cela.

M. Gilmour : D’accord. Nous avons investi des milliards de dollars dans le développement de la technologie, mais il faut également se demander si les entreprises et les administrations locales, dotées de leurs propres processus de gouvernance, de réglementation et d’approbation, sont prêtes à adopter les innovations qui arrivent?

La plupart du temps, la réponse est « non », car elles ont de la difficulté à comprendre comment exploiter les nouvelles technologies.

Le sénateur Massicotte : Revenons en arrière. Voulez-vous des fonds pour aider Ressources naturelles Canada?

M. Gilmour : Ces fonds seraient destinés aux gens de toutes les régions du Canada. Si on pense à la panoplie de fonds de développement qui existent au pays, à l’éventail de fonds d’infrastructure que nous avons créés et aux fonds d’investissement que nous avons instaurés, on constate qu’on a tout investi pour créer des infrastructures, des outils et des ressources afin de construire, mais qu’on n’a pas encore investi dans les gens.

Le sénateur Massicotte : Nous n’accordons pas de financement; il faudrait donc que Ressources naturelles Canada affecte une partie de ses fonds dans ce domaine.

M. Gilmour : Ce pourrait être ce ministère ou celui de l’Infrastructure. Nous ne nommerons pas d’organisme en particulier. Ce pourrait être n’importe lequel.

Le sénateur Massicotte : Avez-vous fait part de cette recommandation à Ressources naturelles Canada?

M. Gilmour : À titre d’exemple, oui, et nous entendons encourager non seulement ce ministère, mais aussi celui de l’Infrastructure et des Collectivités, et le ministère de l’Environnement et du Changement climatique à investir également.

Il existe un fonds qui a un certain lien avec cela : le Fonds pour une économie à faibles émissions de carbone.

Le sénateur Massicotte : Les responsables ont reçu vos observations; comment y ont-ils réagi?

M. Gilmour : Nous n’avons fait que parler; nous n’avons pas eu l’occasion de présenter nos recommandations officiellement.

Le sénateur Massicotte : Quelle est la troisième recommandation?

M. Gilmour : Il faudrait continuer d’investir dans l’accès aux données sur l’énergie, notamment dans un organisme canadien de renseignements sur l’énergie ou une entité équivalente.

Le sénateur Massicotte : Dans les trois cas, vous cherchez à obtenir des fonds pour atteindre ces trois objectifs.

M. Gilmour : Le troisième n’exige peut-être pas d’argent. L’objectif consisterait à établir un organisme, lequel aurait toutefois besoin de fonds pour fonctionner, bien entendu.

C’est une solution dont nous avons discuté et qui est encouragée par de nombreux groupes au Canada, mais je ne suis pas certain que les divers ministères y accordent suffisamment d’attention en ce qui concerne les décisions et les possibilités.

Le sénateur Wetston : Je veux poursuivre sur le même sujet que celui abordé par le sénateur Massicotte. Il me semble qu’alors que nous examinons nos propres travaux ici, vous êtes confrontés à un défi de taille dans ce domaine en raison de la répartition des responsabilités entre le gouvernement fédéral, les provinces et les municipalités, outre celle de Toronto. Je pense que c’est dans cette direction que la sénatrice Dupuis se dirigeait. Je sais que vous êtes au courant de ce qu’il s’est passé dans cette ville au chapitre des plans énergétiques et des initiatives connexes.

Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur les endroits qui ont des plans énergétiques fructueux, pas seulement sur le plan de l’élaboration, mais aussi de la mise en œuvre? C’est une chose que de concevoir un plan, mais c’est une tout autre affaire de le faire fonctionner.

Je me demande également si vous pourriez non seulement nous indiquer si vous constatez des exemples de mise en œuvre de plans réussie, mais également nous indiquer dans quels domaines et avec quelles technologies ces réussites sont observées? Les approches adoptées commencent-elles à porter fruit quand il s’agit d’atteindre les objectifs, d’assurer la coordination et de tirer parti du soutien que votre organisation offre aux communautés?

M. Gilmour : Je vous donnerai deux brefs exemples. Pour ceux qui connaissent l’Ontario, nous prendrons la région de Waterloo à titre d’exemple.

La municipalité a élaboré une stratégie d’investissement communautaire dans le domaine de l’énergie, une légère évolution par rapport au simple plan énergétique communautaire.

Pourquoi cette stratégie est-elle une réussite? Quels en sont les objectifs? Qu’est-ce qui fait que le jeu en vaut la chandelle?

La municipalité ne s’est pas intéressée exclusivement aux projets d’immobilisation afin de déterminer quelles initiatives seraient mises en œuvre pour réduire la consommation d’énergie. Elle s’est demandé avec qui elle devrait collaborer pour que le plan fonctionne dès le départ, s’interrogeant sur les rôles que joueraient les services publics, l’administration locale et le gouvernement provincial. Comment mieux planifier l’alignement d’entrée de jeu? Pourquoi considère-t-on que le plan fonctionne et continuera de le faire?

À la diapositive 5, j’ai donné un exemple d’initiative pour appuyer la transition au-delà de la réduction des émissions pour vous donner un aperçu de ce qu’il en est. Le plan initial comportait certaines de ces idées afin de mieux travailler en partenariat avec les services publics et d’autres entreprises locales.

Grâce à un modeste investissement effectué afin de mettre en œuvre 13 mesures, la municipalité a pu faire état d’une valeur ajoutée de 350 millions de dollars dans l’économie locale. La construction a permis de créer 5 400 emplois, dont certains à temps plein. Les économies annuelles moyennes se chiffrent maintenant à 21 millions de dollars pour les 13 projets prévus dans le plan énergétique communautaire.

Ce plan a remporté un succès considérable, simplement parce qu’il mettait l’accent sur des activités clés réalisables dans divers domaines. Il s’agissait souvent de projets d’amélioration écoénergétique d’édifices. Dans d’autres cas, c’était des initiatives de transport, comme l’installation de bornes de chargement pour véhicules électriques ou des améliorations de plus grande envergure des immobilisations dans le cadre de projets combinant des installations produisant de la chaleur et de l’électricité afin de produire de l’énergie à l’échelle locale. C’est un exemple de municipalité qui connaît du succès.

Halifax constitue également un bon exemple que nous pourrions vous donner, bien qu’il s’agisse une fois encore d’une grande agglomération. À titre de point de référence, cette ville a un plan énergétique communautaire et un plan d’adaptation bien établis.

Ce qui lui est vraiment bénéfique, c’est qu’elle a prévu un grand nombre de projets pour l’avenir. Elle a tenté d’encourager l’adoption de son programme d’énergie solaire dans la ville, avec succès, et a fait la promotion d’Alderney 5, une initiative bien établie à laquelle le gouvernement fédéral participe afin d’utiliser l’eau de mer pour le refroidissement. La municipalité s’est assurée qu’un certain nombre d’édifices pouvaient tirer parti de cette technologie. Voilà un bon projet de démonstration qui a permis d’inspirer d’autres initiatives.

La municipalité a été bien plus loin que cela. Elle s’apprête maintenant à entreprendre la conception d’une installation énergétique urbaine de récupération de l’énergie résiduelle ou, dans le cas présent, de la chaleur dégagée par les égouts, qui serait la deuxième en importance sur son territoire. Elle élaborera le projet avec Halifax Water.

Je voulais vous donner cet exemple, car ce plan fonctionne avec d’autres services publics, dont les services d’eau. L’interaction permet de comprendre qu’il existe un certain nombre de façons d’atteindre ses objectifs. On peut agir de plusieurs manières et avec de nombreux partenaires. Nous encourageons les plans qui visent à établir des liens stratégiques entre les gens qui peuvent le mettre en œuvre.

Pour ce qui est des autres plans dont nous avons observé les progrès et qui remportent un vif succès, ils concernent une initiative de planification de l’alignement lancée en Ontario, dont l’objectif intéressant consiste à favoriser l’adoption de plans d’infrastructure et d’immobilisations. Tous les services publics disposent de tels plans, qu’ils doivent mettre en œuvre. Il en va de même pour certaines administrations locales, soit celles qui reçoivent du financement au titre du Fonds de la taxe sur l’essence. Pour leur part, les services publics doivent présenter leur plan à l’organisme de réglementation économique aux fins d’approbation.

En même temps, certaines instances de planification provinciales ont leurs propres plans. Cela peut vous surprendre, mais la plupart du temps, ces plans ne sont jamais alignés. On peut se demander pourquoi. C’est parce qu’ils sont tous exécutés à un rythme différent, qu’ils ont différents objectifs et qu’ils visent un public différent.

L’une des principales initiatives que nous avons lancées et qui aident à améliorer ce type d’activité dans les plans énergétiques communautaires, c’est de prendre le temps de réunir ces parties intéressées, de leur demander de décrire les deux ou trois priorités qu’elles considèrent comme étant des investissements rentables, et de tenter de leur faire aligner la planification de leurs immobilisations.

Cela semble assez simple, mais en faisant cela, les parties intéressées peuvent profiter des approches en matière d’investissement des immobilisations utilisées par les autres parties, ce qui offre des occasions d’épargnes importantes, redirige les petits fonds de façon très efficace, et permet de commencer à atteindre plusieurs objectifs en matière d’énergie communautaire.

Cela prend du temps. Encore une fois, les gens doivent faire cette transition, car ils ne sont pas habitués à coordonner et à harmoniser leurs investissements.

La sénatrice Cordy : J’aimerais poser quelques questions.

Pouvez-vous nous parler de la création de QUEST, en 2007? Aviez-vous déterminé qu’il fallait collecter des données? Je m’inspire du point que vous avez fréquemment fait valoir, c’est-à-dire qu’à moins d’avoir les données nécessaires, nous ne réussirons pas à apporter des changements, car les gens veulent savoir qu’ils progressent d’un jalon à l’autre. Je crois que c’est extrêmement important.

Avec qui travaillez-vous? Travaillez-vous avec des collectivités? Je présume que vous collaborez avec les quatre gouvernements provinciaux du Canada Atlantique, car vous avez le plan ensemble.

Avez-vous travaillé avec Halifax? J’habite à Darmouth, et je sais donc que depuis de nombreuses années, on fait la promotion de l’énergie, du recyclage, et cetera, dans la ville de Halifax-Darmouth.

Vous travaillez également avec des industries. J’aimerais donc que vous nous brossiez un portrait de la situation.

Mme Leach : Certainement. Je répondrai d’abord à la question sur nos débuts, et je donnerai ensuite la parole à M. Gilmour, qui répondra à votre question sur nos collaborations.

La sénatrice Cordy : Vous êtes un organisme sans but lucratif. Comment obtenez-vous votre financement?

Mme Leach : D’accord. En ce qui concerne la question sur nos débuts, ce qui s’est produit, c’est qu’on éprouvait une frustration générale au sein de l’industrie, car tout le monde, au pays, parlait d’approvisionnement en énergie, mais personne ne parlait de l’utilisation de l’énergie au Canada.

Nous avons réuni plusieurs intervenants pour découvrir s’il s’agissait ou non d’un défi commun, non seulement au sein de l’industrie de l’énergie, mais également dans les municipalités, les gouvernements provinciaux et le secteur des biens immobiliers.

La réponse a été unanime; on nous a dit qu’il fallait absolument lancer, au Canada, une conversation axée sur les occasions d’examiner, comme le disait l’un de nos présidents, la situation par l’autre bout du télescope.

Il ne s’agit pas seulement de savoir d’où viendra le prochain électron ou le prochain joule d’énergie, mais d’aborder la question par l’autre bout, c’est-à-dire déterminer si nous avons besoin de cet approvisionnement supplémentaire. Nous nous sommes demandé ce que nous pouvions faire pour réduire ou diminuer la demande. C’est à ce moment-là que tout a commencé.

La sénatrice Cordy : Vous êtes un organisme sans but lucratif. D’où vient votre financement?

Mme Leach : Je vais répondre à cette question, et je donnerai ensuite la parole à M. Gilmour.

Oui, nous sommes un organisme sans but lucratif. Nous menons différentes activités pour générer les revenus nécessaires à notre fonctionnement. Nous utilisons ce que nous appelons le modèle de l’abonnement. Nous n’avons pas une structure traditionnelle axée sur les membres, mais des organismes de l’industrie, des municipalités, le secteur des biens immobiliers, et cetera, investissent dans notre organisme en s’abonnant à nos activités.

De plus, nous menons plusieurs projets de recherche. Nous parvenons à accumuler du capital en livrant des projets de recherche.

M. Gilmour : La troisième chose que nous faisons régulièrement, c’est que nous organisons nos propres événements. Nous tirons un petit revenu de cette activité.

Nos trois principales sources de revenus sont les abonnés. Cela s’applique à leurs avantages et à leur valeur. Ce qui nous permet d’être présents d’un bout à l’autre du Canada et de collaborer avec tous ces gens, c’est qu’au bout du compte, nous avons souvent structuré nos activités autour de huit caucus.

Ces caucus ont été formés de trois ou quatre principaux groupes d’intervenants, à savoir les services publics, les sociétés d’énergie thermique, électrique ou gazière à tous les échelons et de toutes les tailles et capacités, et les gouvernements locaux. Lorsque nous parlons du secteur des biens immobiliers, cela a une grande portée. En effet, ce secteur est composé de deux groupes, à savoir les propriétaires et les exploitants, par exemple, des groupes comme Oxford et OMERS. ENMAX ou Nova Scotia Power sont des exemples de services publics.

Les gouvernements locaux peuvent avoir la portée de celui de Bridgewater, par exemple, jusqu’à la portée de celui d’Edmonton.

Le quatrième groupe principal avec lequel nous travaillons est celui des fournisseurs de produits et de services, tels GE Canada et Siemens. Qu’est-ce qui attire ces entreprises? Que retirent-elles de leur participation?

Au bout du compte, elles tentent de comprendre le nouveau marché qui se joue à l’échelle locale. Comment peuvent-elles servir ce marché? Comment peuvent-elles répondre aux besoins de leurs investisseurs, si vous êtes un consommateur et un gouvernement local qui ont des parts importantes dans ce service public?

S’il s’agit d’un gouvernement local, comment peut-il atteindre ses objectifs? S’il s’agit d’un service public, comment peut-il tout de même obtenir un rendement positif des investissements tout en aidant le gouvernement à atteindre ses objectifs en matière de gaz à effet de serre? S’il s’agit de la société Siemens, elle tente de mettre au point une solution en matière d’énergie intelligente qui, au bout du compte, intègre tout cela.

J’espère que cela répond à vos questions.

Le vice-président : Monsieur Gilmour, nous vous remercions de votre exposé et madame Leach, nous vous remercions d’avoir comparu aujourd’hui.

(La séance se poursuit à huis clos.)

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