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ENEV - Comité permanent

Énergie, environnement et ressources naturelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Énergie, de l'environnement et des ressources naturelles

Fascicule nº 42 - Témoignages du 19 avril 2018


OTTAWA, le jeudi 19 avril 2018

Le Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles se réunit aujourd’hui, à 8 h 2, pour poursuivre son étude sur les effets de la transition vers une économie à faibles émissions de carbone.

La sénatrice Rosa Galvez (présidente) occupe le fauteuil.

[Français]

La présidente : Bonjour et bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles. Je m’appelle Rosa Galvez, je suis une sénatrice du Québec et je suis présidente de ce comité.

Je demanderais aux sénateurs de se présenter.

La sénatrice Dupuis : Renée Dupuis, sénatrice indépendante, division des Laurentides, au Québec.

[Traduction]

Le sénateur MacDonald : Michael MacDonald, de la Nouvelle-Écosse.

[Français]

Le sénateur Massicotte : Paul Massicotte, de Montréal.

[Traduction]

Le sénateur Richards : David Richards, du Nouveau-Brunswick.

[Français]

Le sénateur Mockler : Percy Mockler, du Nouveau-Brunswick.

[Traduction]

La sénatrice Cordy : La sénatrice Jane Cordy, de la Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Neufeld : Richard Neufeld, de la Colombie-Britannique.

[Français]

La sénatrice Seidman : Judith Seidman, de Montréal, au Québec.

[Traduction]

Le sénateur Patterson : Dennis Patterson, du Nunavut.

La présidente : J’aimerais aussi présenter notre personnel, soit Maxime Fortin, la greffière du comité, ainsi que nos analystes de la Bibliothèque du Parlement, Sam Banks et Jesse Good.

[Français]

En mars 2016, le comité a entamé son étude sur la transition vers une économie à faibles émissions de carbone. Le comité s’intéresse à cinq secteurs qui, ensemble, sont responsables de 80 p. 100 des émissions de gaz à effet de serre au Canada, soit l’électricité, les transports, le pétrole et le gaz, les industries tributaires du commerce et à forte intensité d’émissions, et, finalement, les bâtiments.

Aujourd’hui, nous accueillons, de l’Institut pour l’IntelliProspérité, M. William Scott, associé de recherche. Merci beaucoup d’être avec nous.

[Traduction]

Nous accueillons également M. Stewart Elgie, coprésident de l’Institut pour l’IntelliProsprérité.

Stewart Elgie, coprésident, Institut pour l’IntelliProspérité : C’est M. Scott qui va présenter l’exposé.

La présidente : Merci beaucoup d’être parmi nous. Je vous invite à prononcer votre déclaration liminaire, après quoi nous passerons à la période des questions et réponses.

William Scott, associé de recherche, Institut pour l’IntelliProspérité : Je m’appelle William Scott, et je suis associé de recherche à l’Institut pour l’IntelliProspérité, qui est un réseau de recherche national ainsi qu’un laboratoire d’idées basé à l’Université d’Ottawa. Notre objectif est d’aider à faire du Canada un chef de file mondial en matière d’économie et d’environnement.

Nous nous rassemblons également en un groupe de 28 chefs de file respectés issus des milieux d’affaires, des syndicats, des peuples autochtones, des jeunes et des ONG. Ce groupe travaille à accélérer la transition du Canada vers une économie plus forte et plus propre.

Aujourd’hui, j’aimerais vous parler de certaines des conclusions d’un rapport que nous avons publié récemment au sujet des possibilités que l’innovation propre offre au Canada.

La demande mondiale de nouvelles technologies, pratiques et nouveaux produits qui améliorent la performance environnementale connaît une croissance rapide. C’est ce que nous appelons l’innovation propre. Accélérer le rythme de l’innovation propre au Canada est non seulement un moyen essentiel d’atteindre les objectifs en matière de changements climatiques et environnementaux, mais cela représente aussi une occasion économique cruciale. Par exemple, la demande mondiale de technologies propres devrait avoir atteint 2,5 milliards de dollars d’ici 2022. L’innovation propre nous aidera à atteindre nos cibles en matière d’environnement et de climat, ainsi qu’à réduire le coût lié à l’atteinte de ces cibles.

Par exemple, au cours des huit dernières années, les coûts de l’énergie solaire ont chuté de 70 p. 100 en même temps que la capacité installée se multipliait par 25. On constate des tendances semblables pour les véhicules électriques et d’autres technologies. Il ne s’agit cependant pas seulement d’une occasion pour les panneaux solaires et les voitures électriques. Il y a également une occasion qui s’offre aux industries primaires et manufacturières. McKinsey estime que l’amélioration de l’efficacité énergétique et l’utilisation efficace des ressources vont représenter des occasions d’économie de 3,6 milliards de dollars d’ici 2030. Des sociétés ont déjà commencé à prendre des mesures reconnaissant cet impératif.

La semaine dernière, il y a eu un article dans le journal à propos de VeriForm, une usine de fabrication de produits métalliques située à Cambridge, en Ontario. Depuis 2006, ils ont réduit leurs émissions de 77 p. 100. Maintenant, ils achètent des crédits compensatoires pour atteindre la neutralité en carbone. En même temps, ils ont réalisé des économies de plus de 2 millions grâce aux gains d’efficacité en matière de rendement énergétique et de consommation des ressources, leur effectif a augmenté de 25 p. 100, et leurs recettes annuelles ont plus que doublé.

Les experts chevronnés en économie de l’OCDE, de la Banque mondiale, du Forum économique mondial et d’autres grandes banques internationales s’entendent pour dire qu’alors que le monde progresse vers un modèle économique plus durable, les pays et les sociétés qui sont capables de trouver des méthodes reposant sur une faible émission de carbone et une utilisation efficace des ressources pour faire des affaires seront récompensées. C’est l’occasion que l’innovation propre offre au Canada : miser sur les enjeux environnementaux pressants pour réduire le coût lié à l’atteinte de nos cibles en matière d’environnement et de climat et se tailler une part de ces marchés mondiaux en croissance.

Les entrepreneurs, chercheurs et investisseurs sont généralement considérés comme étant des moteurs de l’innovation. C’est bien vrai. Cependant, le gouvernement a un important rôle à jouer — c’est particulièrement vrai pour l’innovation propre — en corrigeant les défaillances du marché et en supprimant les obstacles, de sorte que les marchés puissent faire leur travail. En plus de la défaillance du marché traditionnel concernant l’innovation — ce qu’on appelle l’effet de connaissance, qui signifie que les inventeurs ne peuvent généralement pas récupérer la valeur entière de leurs inventions —, l’innovation propre est confrontée à une deuxième défaillance du marché, celle des coûts environnementaux. Un environnement sain représente une valeur fondamentale pour la société. Cependant, parce que les prix sur le marché ne tiennent pas correctement compte du coût des dommages causés à l’environnement, la plupart des innovations de réduction de la pollution donnent très peu de récompenses économiques et ne s’accompagnent pas de profits incitant à l’investissement ou au développement de ces produits.

Par exemple, quand une personne invente un nouveau téléphone plus rapide, muni d’une meilleure caméra ou d’une nouvelle fonction, elle peut profiter d’une majoration du prix pour cela, ce qui fait que les inventeurs peuvent constater qu’ils sont récompensés. Cela les motive à embarquer. Si j’inventais le même téléphone offrant exactement la même performance et la même apparence, mais avec une empreinte environnementale nulle, je ne pourrais pas demander la même majoration de prix tout en étant concurrentiel. La récompense économique n’est pas la même. Les investisseurs sont plus réticents à embarquer.

À cause de ce coût environnemental, trop peu d’innovations propres sont produites ou utilisées, et le marché ne parvient pas à offrir les solutions environnementales qu’il faut à la société. L’effet de ces deux grandes défaillances du marché est exacerbé par des obstacles additionnels qui créent des risques et des incertitudes et qui découragent l’investissement privé. Par exemple, la demande relative à l’innovation propre étant dans une grande mesure motivée par la politique environnementale, l’incertitude quant aux orientations stratégiques futures ou le manque de cohérence des politiques d’une province ou d’un territoire à l’autre, ou d’un secteur à l’autre, créent des risques et refroidissent les investisseurs. Il y a aussi d’autres obstacles, comme la dépendance aux infrastructures, l’incertitude technologique et les problèmes de relations entre mandant et mandataire, comme les problèmes entre locataires et propriétaires, qui entravent l’innovation propre.

L’innovation est un système complexe qui requiert différents outils stratégiques, à diverses étapes. Notre rapport examine en profondeur quatre facteurs qui peuvent servir ensemble à faire progresser plus rapidement l’innovation propre au Canada. Je vous en donne un aperçu.

Premièrement, il y a les politiques de pression qui visent les premières étapes de l’innovation, et en particulier la défaillance du marché relative à la diffusion des connaissances, par exemple les subventions de R-D et les crédits d’impôt pour le Programme RS & DE. Les universités publiques en sont un exemple. Il semble bien que la diffusion des connaissances soit supérieure pour les technologies propres que pour les autres types de technologies. Elles sont plus semblables aux technologies universelles comme les TI. Il est donc plus justifié de cibler l’innovation propre au moyen de programmes gouvernementaux.

Viennent ensuite les politiques de croissance, qui aident à faire en sorte que ces innovations passent des idées à des solutions commercialisables. Le financement manque énormément aux innovations propres, dans une grande mesure à cause des coûts environnementaux. La mise à l’échelle se fait souvent sur de très longues périodes et exige beaucoup d’investissements. Quand les innovations finissent par aboutir sur le marché, elles doivent souvent soutenir la concurrence d’industries traditionnelles bien établies dans des marchés de produits de base se caractérisant par l’absence d’influence sur les prix.

Les politiques d’attraction, dont je vais parler ensuite, contribuent dans une grande mesure à résoudre certains de ces obstacles, mais avant d’en arriver à un degré assez rigoureux, il nous faut des mesures transitoires ciblées qui aideront les entreprises à procéder à la mise à l’échelle et à soutenir la concurrence.

Les politiques d’attraction ont pour effet de corriger les coûts environnementaux des défaillances du marché. Ce sont des moyens utilisés pour stimuler la demande, comme la réglementation environnementale, la tarification du carbone et l’approvisionnement public.

L’OCDE a réalisé d’excellents travaux de recherche sur la façon de concevoir des règlements sur l’environnement pour stimuler l’innovation. Il faut en particulier que les règlements soient flexibles, de manière à donner la liberté d’innover et à donner aux entreprises l’occasion d’abaisser le coût de l’innovation. Vous voyez les quatre types de politiques sur le diagramme que vous avez devant vous. Les politiques doivent aussi être rigoureuses pour provoquer le changement. Les entreprises doivent trouver diverses façons de faire des affaires pour réduire leurs répercussions environnementales.

Le dernier aspect et, peut-être, celui qu’on oublie le plus, c’est que les politiques doivent être prévisibles. Vous devez donner aux entreprises une certitude à long terme leur permettant de faire les investissements nécessaires pour concevoir ces innovations et leur donner une période de 10 ans au moins pour qu’elles puissent faire les importants investissements en capitaux qui sont nécessaires.

Enfin, il y a les politiques de renforcement qui augmentent l’efficacité et la résilience de l’ensemble du système. Il s’agit notamment de l’amélioration de la collecte de donnée, de la formation et de l’acquisition de compétences, des réseaux et des grappes, et de la conception des institutions encourageant l’innovation.

Le gouvernement du Canada a récemment pris d’importantes mesures afin de favoriser et d’améliorer notre rendement en matière d’innovation propre, notamment le Cadre pancanadien sur la croissance propre et les changements climatiques, le projet de tarification du carbone à l’échelle nationale d’ici la fin de l’année et les investissements importants servant à combler ce déficit de financement. C’est un bon début, mais nous devons quand même en faire plus pour compter parmi les chefs de file mondiaux en matière d’innovation propre. Nous avons besoin de règlements sur l’environnement de calibre mondial qui sont flexibles, rigoureux et prévisibles. La tarification du carbone est un bon début, avec le plan de mise en œuvre sur 5 ans, mais il faut assurer la prévisibilité à long terme sur 10 ans ou plus, en intégrant à cela, par exemple, une trajectoire par défaut comportant une période d’examen fondée sur des critères clairs et publics, de sorte que les entreprises puissent prendre leurs propres décisions en fonction de la trajectoire future des politiques.

En même temps, nous ne pouvons pas faire indûment grimper le coût des affaires. Nous devons trouver des façons de simplifier et de rendre moins complexes les obstacles réglementaires afin que la réglementation n’impose pas aux entreprises un fardeau trop lourd. On pourrait par exemple utiliser les recettes de la tarification du carbone pour abaisser les taux d’imposition du revenu ou les taux d’imposition s’appliquant aux entreprises. On pourrait avoir des incitatifs fiscaux ciblés comme la déduction pour amortissement accéléré pour les technologies propres ou trouver des façons de rendre moins complexe le cadre de réglementation.

Il y a aux Pays-Bas ce qu’on appelle un « bureau des chefs de file ». Les entreprises qui rencontrent des entraves réglementaires peuvent s’adresser à ce bureau afin d’essayer de cerner et de résoudre ces entraves. Le Carrefour de la croissance propre pourrait jouer ce genre de rôle.

Enfin, le gouvernement a annoncé d’importants investissements dans l’infrastructure. Cela jouera un rôle essentiel dans le soutien de l’économie canadienne pour les 20, 30 et 50 prochaines années. Il est important d’adopter une perspective à long terme afin de faire ces investissements et d’intégrer dans cela une vision axée sur les faibles émissions de carbone. Intégrer les aspects relatifs aux faibles émissions de carbone dans les ententes fédérales-provinciales pour l’infrastructure serait une façon de le faire, de même que choisir la tarification selon les émissions de carbone pendant tout le cycle de vie pour les ententes de financement de l’infrastructure.

Cela vous donne un aperçu général. Nous avons beaucoup de matière. Vous avez les diapositives entre les mains. Je serai ravi de répondre à toutes vos questions.

La présidente : Chers collègues, je suis ravie de constater que vous êtes présents pour la plupart. Ce n’est pas comme mardi dernier. Nous allons parler de cela après la réunion.

Nous aurons deux séries de questions.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Merci à vous deux d’être ici aujourd’hui. Vous avez mentionné la possibilité, pour le gouvernement, d’utiliser les revenus de la taxe sur le carbone pour réduire les impôts. Est-ce que cette taxe devrait être utilisée pour diminuer les impôts ou plutôt pour financer l’établissement d’un plan national d’assurance-médicaments?

On voit, à la page 4 de votre document, un tableau qui illustre le système d’innovation propre. Je vois à peu près tout le monde sauf les citoyens. Pouvez-vous me dire qui influence l’établissement des politiques de pression? Qui bénéficie des politiques d’attraction et des politiques de croissance et de remboursement? Et, ultimement, je peux voir qu’il y a des gens qui font des gains, mais du point de vue des citoyens, où se situe leur participation?

[Traduction]

M. Scott : En ce qui concerne l’exemple de la tarification du carbone, le but de cela est de faire en sorte que les gens ne paient pas. Vous voulez encourager les entreprises et les consommateurs à s’éloigner des activités qui s’accompagnent d’émissions de carbone. C’est une mesure incitative. Cela rendra plus coûteuses les activités qui émettent du carbone, mais cela encouragera les gens à s’éloigner de ces activités.

Il existe beaucoup d’information selon laquelle les entreprises peuvent trouver des gains d’efficacité en recherchant des façons de réduire la pollution. La pollution est en soi un manque d’efficacité.

Le public y gagne parce qu’il profite d’un environnement plus propre, qu’il n’a pas à faire face aux effets des changements climatiques et qu’il respire un air plus sain. En même temps, étant donné que les sociétés sont toutes encouragées à aller dans cette direction, elles vont soutenir la concurrence et trouver diverses façons de réduire les coûts, ce qui va à terme se traduire par une baisse des coûts pour les consommateurs. Les marchés fonctionnent ainsi en ce moment. Les sociétés se font concurrence, et si l’on ajoute l’encouragement à s’éloigner des activités produisant des émissions, ce sont les sociétés et les entreprises qui trouveront des façons d’émettre moins de carbone, et les marchés et les consommateurs les récompenseront. Cela va influencer le comportement des consommateurs en influençant leurs choix.

Le sénateur Massicotte : Merci.

Je suis d’accord avec les coûts. Cette théorie économique est très claire. C’est un problème considérable en ce sens que le marché, qui fonctionne de façon extrêmement efficace par comparaison avec les décisions gouvernementales, ne tient pas compte de ces coûts parce qu’ils sont assumés par un grand nombre. Vous avez mentionné cela, et je suis d’accord.

Si c’est un problème — le problème —, la tarification du carbone est la bonne solution. Pourquoi faut-il que vous ajoutiez toutes les autres subventions et complications? Il me semble que la tarification du carbone règle automatiquement le problème. Avec le temps, cela reflète convenablement le coût, et tout rentre dans l’ordre. Pourquoi tous les autres programmes?

Tout le monde veut de l’argent. J’ai fait un calcul rapide de toutes les demandes d’argent que nous recevons; c’est à peu près le double de la croissance économique de notre pays. C’est insensé. C’est habituellement inefficace, comme l’histoire nous le dira.

Pourquoi toutes les autres choses compliquées? Pourquoi ne pas juste parler des coûts et de la tarification du carbone? Vous voulez de la stabilité? Établissons des prévisions pour les 20 années à venir. Pourquoi ne pas opter pour seulement cela, plutôt que d’inclure tout le reste?

M. Scott : Je crois que c’est tout à fait juste. Selon la théorie économique, c’est la façon la plus efficace de régler ce problème. Vous avez raison. Si nous avions une tarification du carbone assez rigoureuse qui se hissait au niveau que nous devons atteindre pour respecter nos cibles de 2030, c’est tout ce qu’il faudrait. L’affaire serait réglée. Cependant, nous ne mettons pas en place ce genre de tarification.

Selon une recherche que j’ai vue, il faudrait que le prix soit d’au moins 130 $ la tonne pour que nous atteignions nos cibles de 2030. Nous n’avons pas adopté de tels prix, et c’est la raison pour laquelle nous devons trouver des politiques qui viendront compléter cela. Elles risquent d’être plus coûteuses, mais elles pourraient nous aider à rehausser cela et à cibler certains secteurs afin d’aider à décarboniser l’économie dans son ensemble.

Le sénateur Massicotte : Pourquoi ne pas simplement dire cela? Au lieu d’adopter cette attitude et dire : « Donnez-moi plus d’argent et tous ces programmes », dites plutôt ce que nous devons faire pour que cela réussisse, soit augmenter le prix du carbone, et ce, plus rapidement. Cela ne devrait-il pas être le principal message?

M. Scott : Oui, et les groupes comme la Commission de l’écofiscalité vous diront cela, mais c’est aux politiciens qu’il incombe de le faire. Tant que vous n’aurez pas cela, il faudra des politiques complémentaires pour aider les divers secteurs.

Le sénateur Massicotte : Ce que vous dites, c’est que si nous pouvons obtenir l’augmentation de la tarification du carbone, au lieu de votre long discours, vous pourriez dire : « Oubliez le reste. Donnez-moi la tarification du carbone. »

M. Elgie : La tarification du carbone est assurément la politique la plus importante. Il y a quelques raisons à cela. De grands pans de l’économie sont publics. Par exemple, 13 p. 100 du PIB vient des dépenses gouvernementales. Cela ne répond pas à un prix du carbone établi par le marché. L’infrastructure, encore, relève d’une décision de financement du secteur public. Si vous pensez à la transition vers une économie à faibles émissions de carbone, vous pensez aux systèmes énergétiques et aux systèmes de transport. Ce sont principalement des décisions de financement du secteur public. Encore là, cela ne va pas réagir à une tarification.

Deuxièmement, si nous bâtissions une économie à partir de zéro, la tarification du carbone transmettrait à elle seule le bon signal. Le problème, c’est que nous avons des décennies d’inertie dans une économie à haute teneur en carbone qui comporte déjà toute une série d’avantages coulés dans le béton — systèmes de distribution sur le terrain, habitudes d’achat personnelles —, une économie qui mise entièrement depuis 50 ou 60 ans sur la production d’électricité à base de charbon et sur l’usage des combustibles fossiles pour le transport. Vous devez en fait établir des règles qui favorisent certains éléments du marché pendant environ 10 ans pour que la situation soit équitable. Ce n’est pas une intervention permanente.

Le troisième point est que presque toutes les grandes innovations du dernier siècle ont joué un rôle majeur pour l’investissement public, que ce soit le téléphone intelligent, Internet, l’aviation ou le canola.

On croit à tort que l’innovation se fait entièrement dans le secteur privé. C’est souvent le cas. C’est le secteur privé qui a tendance à faire passer aux innovations la ligne d’arrivée, mais nous n’aurions pas la majeure partie des technologies commerciales d’aujourd’hui, comme les sables bitumineux — dont la technologie a profité de milliards de dollars en investissement public —, sans l’investissement public, qui a joué un rôle énorme.

Nous avons donc le mythe qui veut que le gouvernement mette toujours des bâtons dans les roues de l’innovation. La vérité, c’est que le gouvernement est un important partenaire de toutes les innovations. L’enjeu est de déterminer comment créer des institutions publiques qui sont enclines à faire des choix d’investissements judicieux. Il existe de très nombreux exemples de mauvais choix d’investissements, mais vous ne pouvez pas mettre de côté la contribution publique à l’innovation. C’est un élément fondamental de toutes les innovations.

Le sénateur Massicotte : Je ne peux pas dire que je suis d’accord avec tout cela. Même avec l’infrastructure, le marché fonctionne plutôt bien. Oui, si vous regroupez tout cela dans une marmite géante et que vous en faites une soupe, en tant que contribuable, vous ne savez pas où réside le problème. En ce moment, le gouvernement a un programme d’infrastructure. Il a créé la Banque de l’infrastructure du Canada, et il veut qu’elle soit en grande partie rentable. Il y a une portion qui ne l’est pas, mais nous pouvons nous identifier à cela.

Maintenant, si vous dites que ce sera une combinaison de tout cela, je dirais que toute innovation sera financée par le gouvernement. Qu’est-ce que vous choisissez? Il y a des milliers d’innovations chaque jour. Je n’aime tout simplement pas cela. Le marché deviendra très complexe, beaucoup d’argent sera engouffré dans cela, et il y aura peut-être une solution.

M. Elgie : Donnez-moi un exemple d’importante technologie commerciale utilisée aujourd’hui dans laquelle peu de fonds publics ont été investis.

Le sénateur Massicotte : Il arrive souvent que ce soit dans un autre pays. Par exemple, le système GPS n’a rien coûté aux Canadiens.

M. Elgie : Non, mais le gouvernement américain a payé. Chaque pièce du téléphone que j’ai en main a été en grande partie inventée dans un laboratoire public. Il n’existerait pas sans ce genre d’investissements.

Le sénateur Massicotte : Vous devriez vivre dans un pays communiste.

M. Elgie : C’était un investissement du gouvernement américain.

Le sénateur Massicotte : C’est leur problème. En tant que pays, nous profitons de cette technologie sans avoir eu à débourser un sou.

La présidente : Je pense que c’est un point très important. Pensez-vous pouvoir nous donner une liste? En avez-vous une?

M. Elgie : Vous verrez un graphique qui indique toutes les pièces du téléphone intelligent et tous les investissements publics qui y ont été consacrés, y compris les investissements canadiens. Les laboratoires de l’Université de Toronto sont à l’origine de nombreux aspects du logiciel de l’appareil.

La présidente : Est-ce votre document sur la prochaine force du Canada, le rouge?

M. Elgie : Sans les milliards de dollars d’investissements publics dans les sables bitumineux ainsi que l’apport du Bureau de recherche et de technologie des sables bitumineux, nous n’aurions pas eu les recettes de plusieurs milliards de dollars dont le pays a profité.

Le sénateur MacDonald : Vous essayez maintenant d’y mettre fin.

M. Elgie : Je ne vais pas y mettre fin.

Le sénateur Massicotte : Quelqu’un le fera.

La sénatrice Seidman : Merci de votre exposé, monsieur Scott. Je suppose qu’on va m’accuser de poser des questions semblables à celles du sénateur Massicotte, mais sur votre site web, on peut lire que :

L’Institut pour l’IntelliProspérité est un réseau de recherche national, mais aussi un laboratoire d’idées (Think Tank) basé à l’Université d’Ottawa. Nous effectuons des recherches de niveau international et travaillons avec des partenaires publics et privés, le tout pour faire progresser les politiques pratiques et les solutions du marché pour une économie plus forte et propre.

C’est une noble cause. Et félicitations, car je vois que vous avez un financement de 10 millions de dollars. Il est également écrit : « Chaire de recherche Canada 150, 50 experts internationaux et 10 millions de dollars de financement : rencontrez notre nouveau réseau de recherche! »

Tout cela est formidable. Félicitations. Vous avez parlé de retombées du savoir plus importantes pour les technologies propres, et vous l’avez fait d’une manière très théorique. Je regarde maintenant votre système d’innovation propre, à la page 4, dont l’objectif est de transformer les idées en produits commercialisables.

Après tout cela, j’arrive à ma question. Comment allez-vous, en tant qu’institut ayant tout cet argent, utiliser le système pour commercialiser les idées, ce qui s’est révélé être une grande lacune au pays, afin de nous aider à atteindre nos objectifs? Comment allez-vous procéder?

M. Scott : Nous sommes un institut de recherche en matière de politiques à but non lucratif. Par conséquent, une grande partie de l’argent servira à financer les chercheurs et les étudiants des universités qui examinent différentes facettes du problème et des solutions axées sur le marché pour élaborer les politiques environnementales. Nous examinons des façons de procéder et nous travaillons à l’élaboration de rapports comme celui-ci pour vous proposer des politiques environnementales visant à favoriser cette transition. Nous ne cherchons pas à faire des produits.

La sénatrice Seidman : Je sais. Je ne voulais pas vous interrompre, mais je vais essayer d’être plus claire. Pouvez-vous nous donner un exemple concret? Votre institut est-il tout récent?

M. Scott : Il existe depuis 2007.

La sénatrice Seidman : Bien, tant mieux. Pouvez-vous me donner un exemple concret de produit fini commercialisé avec succès qui découle de votre travail dans le cadre de partenariats public-privé, dans les universités, à l’aide du lien avec le milieu des affaires? Pouvez-vous me donner un exemple concret de la façon dont votre institut fonctionne?

M. Elgie : Eh bien, il est relativement récent, mais je vais essayer. La difficulté associée à toute politique ou au rôle d’un groupe de réflexion, et vous le comprendrez, c’est qu’on ne peut jamais affirmer avec certitude que c’est une idée précise qui a amené le gouvernement à prendre une décision. Les rouages d’un gouvernement sont voilés, et on ne peut savoir de quelles idées il se sert.

Je vais vous donner des exemples d’idées pour lesquelles le gouvernement reconnaîtrait notre grande influence. À ses débuts de notre institut, on a retenu nos services de consultants pour la conception d’un système de taxation du carbone en Colombie-Britannique. On nous a demandé d’évaluer…

La sénatrice Seidman : Je vais vous arrêter encore une fois. Désolée. Je ne veux pas être impolie, mais ce n’est pas ce que je demande. Je veux un exemple de produit, pas de politique.

M. Elgie : Vous voulez dire un produit commercial?

La sénatrice Seidman : Vous avez parlé du téléphone intelligent.

M. Elgie : Comme Will l’a dit, nous ne sommes pas une entreprise de fabrication. Notre travail consiste à essayer de trouver des idées de politique brillantes qui créeront les conditions de marché nécessaires à la création de ce genre de produits. En consultant le site web et le rapport, vous verrez des douzaines d’exemples d’entreprises canadiennes propres et novatrices dans des secteurs aussi diversifiés que l’industrie pétrolière, la fabrication, les forêts, les mines et l’automobile.

Nous ne dirigeons aucune de ces entreprises. Nous ne fabriquons aucun de ces produits, mais les politiques et les incitatifs que nous avons aidé à mettre en place ont créé les conditions économiques propices à la croissance de ces entreprises.

La sénatrice Seidman : J’essaie encore de comprendre. Je sais que vous n’êtes pas une entreprise, bien entendu, et vous ne fabriquez pas de produits. Par contre, votre site web dit que vous êtes un réseau de recherche national et un groupe de réflexion. Il y a donc deux fronts. Vous n’êtes pas uniquement qu’un groupe de réflexion. Vous travaillez avec des partenaires publics et privés pour promouvoir des politiques concrètes et des solutions axées sur le marché.

J’essaie de comprendre quelles sont les solutions axées sur le marché que vous avez aidé à mettre au point. J’essaie d’être concrète et d’aller au-delà de l’élaboration de politiques, car cela va plus loin. Au pays, nous avons grandement échoué à cet égard.

M. Scott : Vous avez besoin des conditions politiques nécessaires pour orienter le marché dans cette direction. Je vais vous donner un exemple d’entreprise qui en a profité. Enerkem provient d’un laboratoire de l’Université Concordia, d’un professeur, et l’entreprise a mis au point une technologie pour transformer les déchets en carburants à base d’alcool. Grâce à la mise en œuvre d’une politique, les objectifs de réacheminement des déchets de la Ville d’Edmonton ainsi que les normes de l’Alberta sur les carburants renouvelables ont aidé à créer un marché pour le produit obtenu ainsi. On a été en mesure de prendre des déchets de la Ville d’Edmonton, de les transformer en carburants et de les revendre sur le marché. La création du produit est attribuable aux conditions politiques.

M. Elgie : La Chine vient tout juste d’investir plus de 100 millions de dollars pour importer cette technologie.

La sénatrice Seidman : Je vois, merci.

La présidente : Pouvez-vous nous donner un deuxième exemple?

M. Elgie : Il y en a une multitude.

La présidente : Choisissez celui que vous voulez et expliquez-nous de manière détaillée ce que vous avez fait.

Le sénateur Massicotte : Commencez au bas de votre liste.

M. Scott : J’ai donné l’exemple de VeriForm dans ma déclaration. L’entreprise a trouvé des moyens de réduire ses émissions et a fini par embaucher plus de monde, par doubler ses revenus et par trouver d’excellentes occasions grâce aux économies réalisées.

Un autre excellent exemple est celui de l’entreprise CarbonCure, qui a trouvé des moyens de prendre le carbone issu de la production de béton et de le réinjecter dans le matériau, ce qui le rend même plus solide. D’un bout à l’autre du pays, 150 usines se sont dotées de cette technologie.

BioAmber est une entreprise montréalaise qui possède une usine à Sarnia. Elle tire parti de ce genre de politiques axées sur le marché pour transformer des matières à base de sucre en produits chimiques. Elle se sert donc essentiellement de biocarburants pour remplacer les produits à base de pétrole dans la mise au point de produits chimiques.

Il y a une multitude d’exemples de réussite d’un bout à l’autre du Canada.

M. Elgie : Une autre entreprise branchée, qui s’appelle Carbon Engineering, a été créée par un professeur de physique, David Keith, à l’Université de Calgary. L’entreprise essaie d’absorber le carbone dans l’atmosphère. Sa première usine pilote est à Squamish, en Colombie-Britannique. Elle soustrait le carbone de l’atmosphère, ce qui est utile pour le climat, et elle le transforme ensuite en produits finis comme des biocarburants de pointe. Le problème de l’entreprise, c’est qu’il faut que la tarification du carbone soit assez élevée pour rendre sa technologie concurrentielle.

En l’absence de politiques sur les changements climatiques et de tarification du carbone, aucun de ces produits n’aurait été rentable. Si vous prenez connaissance de ces rapports, vous y lirez des citations des PDG de ces entreprises créatrices d’emploi quant au rôle important joué par les politiques et la tarification du carbone lors de la phase de démarrage.

La sénatrice Seidman : C’est donc ainsi que vous utilisez vos 10 millions de dollars en financement et la contribution de vos 50 experts internationaux au sein de votre centre d’excellence, ou plutôt de votre réseau national de recherche? Vous cherchez à intégrer tous ces efforts pour en tirer des politiques qui vont aider les entreprises à contribuer à l’atteinte de nos objectifs en matière d’énergie propre et renouvelable? Est-ce bien ce que vous êtes en train de nous dire?

M. Scott : Nous avons surtout parlé précédemment du rôle clé que jouent les politiques publiques pour favoriser cette transition. Nous sommes essentiellement à la recherche d’éléments nous mettant sur la piste de solutions intelligentes à cette fin, de telle sorte que nous puissions améliorer notre performance environnementale tout en continuant à stimuler la croissance économique.

La sénatrice Seidman : Mais il vous est impossible d’établir un lien direct entre les politiques que vous proposez et les résultats finaux, ou les changements qui nous permettent de tendre vers nos soi-disant objectifs?

M. Elgie : Non. Il va de soi qu’aucun groupe de réflexion, même pas l’Institut C.D. Howe, ne s’autoriserait à établir un lien semblable. Nous sommes là pour générer de bonnes idées. Il y a peut-être une chose que nous faisons différemment et qui favorisera, nous l’espérons, une plus grande efficacité. Comme Will vous l’indiquait, nous avons mis sur pied un groupe réunissant des PDG de grandes entreprises des secteurs pétrolier, minier, forestier et manufacturier. Dominic Barton en fait partie, tout comme Galen Weston et le dirigeant principal de Shell. Ces chefs de file de l’industrie nous aident à orienter notre travail en veillant à ce qu’il soit pertinent du point de vue économique, mais ils agissent également à titre d’ambassadeurs. Lorsque nous avons rendu public ce rapport il y a deux mois, ils ont été nombreux à nous accompagner sur scène pour dire qu’il s’agissait justement du genre d’idées lumineuses dont notre économie a besoin. Nous mettons donc tout en œuvre pour que ces idées soient bel et bien mises en pratique. Comme nous n’avons jamais été intronisés, nous ne pouvons pas affirmer que c’est nous qui décidons des politiques.

La présidente : Merci beaucoup.

Le sénateur Neufeld : Messieurs, je vous remercie d’être des nôtres aujourd’hui et de nous avoir présenté votre exposé. À la première page du document que vous nous avez remis, on voit que des billions de dollars ont été investis dans différentes mesures visant à réduire les émissions de carbone. Je dirais donc que vous semblez vous tirer plutôt bien d’affaire. Tout indique que les choses ne vont pas si mal. Vous avez souligné que les coûts de l’énergie solaire ont été réduits dans une proportion de 70 p. 100, ce qui est une bonne chose. Un témoin nous disait il n’y a pas si longtemps à quel point l’énergie éolienne était peu coûteuse en Alberta.

Nous entendons donc différentes choses dans ce sens-là. C’est du moins ce que moi j’entends. Pourquoi alors vouloir imposer un tarif beaucoup plus élevé sur le carbone? Dans l’état actuel des choses, si nous atteignons 50 $ la tonne, il en coûtera plus cher pour le carbone que pour le gaz naturel lorsque viendra le temps de chauffer ma maison. Il en ira de même pour 50 p. 100 des résidences et environ 70 p. 100 des entreprises au Canada. Pourquoi faire une chose pareille à notre économie en sachant très bien que le coût de l’énergie solaire a diminué de 70 p. 100 et que l’Alberta peut acheter de l’énergie éolienne à très bas prix? Vous avez parlé de l’énergie produite à partir du charbon. Il y a très peu de centrales au charbon au Canada, seulement quelques-unes en Alberta et en Saskatchewan. Notre réseau électrique est propre à 85 p. 100. Nous devrions en être fiers. C’est de cela qu’on devrait parler, et non d’un système énergétique qui repose sur le charbon. Je crois que l’Alberta et la Saskatchewan mettent tout en œuvre pour s’affranchir du charbon, mais c’est loin d’être chose facile pour ces deux provinces que l’absence de dénivellation oblige à renoncer à l’hydroélectricité et à d’autres solutions de la sorte.

Comment répondez-vous à cela? Des billions de dollars sont investis. Vous avez parlé de toutes ces réussites, et vous avez même brandi votre téléphone, en déclarant que tout cela avait été réalisé grâce à la réglementation et aux investissements des gouvernements. Pourquoi imposer à monsieur et madame Tout-le-monde une tarification qui risque de leur faire perdre leur maison? Il y a aura en effet de nombreux cas semblables. Ce n’est pas tout le monde qui peut trouver l’argent nécessaire afin de modifier son système de chauffage pour la maison ou pour l’eau. Je parle ici des simples citoyens, et non pas des grandes entreprises. Je parle d’un locataire qui apprend tout à coup de son propriétaire qu’il va doubler son loyer parce qu’il a 5 millions de dollars à payer. Dans la conjoncture actuelle, comment comptez-vous vous y prendre?

M. Scott : Vous avez raison de dire qu’il devient maintenant moins coûteux de produire de l’énergie à partir de sources renouvelables qu’au moyen de combustibles fossiles. C’est une évolution dont nous devons tous nous réjouir. Nous avons tout de même besoin d’une tarification du carbone du fait que la production énergétique n’est pas la seule source d’émissions. Les transports en sont une importante, tout comme les activités industrielles. Il faut donc offrir cet incitatif pour amener les gens à chercher des solutions afin d’éviter cette tarification. Si quelqu’un doit payer lorsqu’il pollue, il va trouver des façons de ne pas le faire, et ce, à un coût moindre que la tarification elle-même. La tarification du carbone vise à inciter les gens à tout faire pour ne pas avoir à payer. Quand le prix de marchandises d’utilité courante augmente, les gens se tournent plutôt vers des produits non polluants pour ne pas avoir à payer ces coûts supplémentaires.

Parallèlement à cela, on peut trouver des façons de contrer l’effet régressif de la tarification. Une utilisation pertinente des revenus qui en sont tirés peut grandement atténuer les répercussions négatives sur les ménages canadiens. La totalité de ces recettes peut ainsi être retournée aux ménages en ciblant tout particulièrement ceux dont le revenu est faible. Dans le régime albertain qui est fondé sur la consommation, les ménages à faible revenu reçoivent une ristourne qui est plus élevée que le montant payé en taxe sur le carbone. Ces ménages s’en tirent donc avec un bénéfice net qu’ils peuvent maximiser en changeant leurs comportements pour éviter les activités polluantes. Il faut donc prévoir des incitatifs de toutes sortes afin que les gens en viennent à ne rien payer du tout.

M. Elgie : Si l’on en revient aux théories d’Adam Smith, les marchés fonctionnent lorsqu’on y trouve un reflet fidèle des coûts réels. C’est le grand principe à la base de toute économie de marché. Tous les économistes crédibles de la planète vous diront que la pollution est le meilleur exemple qui soit d’une distorsion du marché. Il y a des coûts réels qui sont associés à la pollution, mais les marchés n’en tiennent pas compte. Milton Friedman, gagnant du prix Nobel, avait l’habitude de dire à ses étudiants en économie de l’Université de Chicago qu’il s’agissait de la principale exception à ses théories du libre marché.

Si nous voulons que les marchés fonctionnent aussi bien qu’ils sont censés le faire, nous devons intervenir avec une tarification réaliste de la pollution. Preston Manning appuie cette idée justement parce que les marchés peuvent ainsi nous donner l’heure juste. Les coûts liés aux soins de santé et à l’adaptation aux changements climatiques résultant de l’utilisation de combustible fossile se chiffrent littéralement en trillions de dollars à l’échelle planétaire. Si nous n’imposons pas une tarification adéquate à ce chapitre, nous nous retrouvons en fait à subventionner les comportements polluants.

Le sénateur Neufeld : Je faisais partie du gouvernement qui a instauré la tarification du carbone en Colombie-Britannique. Je n’ai pas souvenir que votre organisation ait contribué au processus, mais je suppose que vous l’avez sans doute fait en coulisse. Je suis persuadé que vos connaissances auraient pu être utiles. J’étais moi-même ministre de l’Énergie à l’époque.

M. Elgie : Félicitations, c’est formidable.

Le sénateur Neufeld : La tarification que nous avons instaurée était sans incidence sur les recettes. C’était d’ailleurs la première du genre au monde. Devinez ce qui s’est produit lorsqu’un nouveau gouvernement a pris le pouvoir? Les revenus issus de la tarification ont été incorporés aux recettes générales. La tarification du carbone sert désormais à gonfler les recettes générales que les politiciens au pouvoir peuvent dépenser comme bon leur semble. Il n’est plus question de diminuer les coûts que les gens doivent assumer pour leur donner la chance d’aller de l’avant par ailleurs. C’est ce qui est arrivé dans ma province, mais il pourrait en être de même avec n’importe quel autre gouvernement provincial tout comme à l’échelon fédéral. Si l’on rend ainsi disponibles tous les fonds provenant de la tarification du carbone, ils vont servir à une multitude d’usages qui ne vont aucunement dans le sens de nos efforts pour réduire nos émissions de carbone.

C’est ce que je crains. Lorsque nous avons introduit cette tarification sans incidence sur les revenus, les gens l’ont bien accueillie. Nous avons même été réélus tout de suite après. Je crois qu’ils sont un peu mécontents maintenant et que les choses ne risquent pas de s’améliorer vu qu’il est question de porter cette tarification à 50 $. Les gens de l’Université Simon Fraser nous disent qu’il faudrait un prix à 300 $ la tonne pour en arriver à la situation idéale. Je peux vous assurer que notre pays n’en a pas les moyens. En tout cas, monsieur et madame Tout-le-monde ne peuvent pas se le permettre. Ce n’est peut-être rien pour ceux qui semblent n’avoir qu’à imprimer de l’argent neuf, mais pour le simple citoyen, c’est une autre histoire. Comment composez-vous avec des enjeux semblables?

Il est bien qu’un gouvernement puisse mettre en œuvre une telle tarification en indiquant qu’elle sera sans incidence sur les revenus, mais le suivant peut très bien prendre sa place en affirmant qu’il souhaite utiliser ces fonds pour réaliser différents projets qui lui tiennent à cœur, dont une partie seulement sera de portée environnementale. C’est exactement ce qui va se produire. C’était donc ma première question, mais j’en ai une seconde à vous poser avant que l’on m’interrompe.

Vous avez dit que l’on pouvait éviter d’avoir à composer avec les effets des changements climatiques. Vous soutenez qu’en réalisant tous ces merveilleux projets dont vous nous parlez, vous échapperez aux effets des changements climatiques. Est-ce vraiment ce que vous croyez? Les changements climatiques nous touchent déjà et vont continuer de le faire, que vous le vouliez ou non. Nous ne pouvons pas vivre dans le monde que nous connaissons actuellement en pensant qu’il est possible d’éviter les effets des changements climatiques alors que ceux-ci se font déjà ressentir. Comme je l’ai souvent fait valoir, nous devrions nous intéresser davantage aux mesures d’adaptation possibles dans ce contexte, plutôt que de chercher les moyens de réaliser toutes sortes d’autres initiatives. L’adaptation va vraiment devoir prendre une place importante, car nous ne réalisons pas nos objectifs pendant que le reste de la planète ne fait pas mieux.

M. Scott : Je vais essayer de répondre d’abord à votre seconde question. Vous avez tout à fait raison. Les changements climatiques sont déjà en cours. Nous en ressentons les effets. Le Canada a dépensé davantage pour les mesures de rétablissement après une catastrophe naturelle au cours des cinq dernières années que pendant les 40 années précédentes. Ces catastrophes nous affectent d’ores et déjà. Il y a des coûts concrets qui en découlent. Cela ne justifie toutefois pas que l’on ne fasse rien pour endiguer les changements climatiques à venir. Ce n’est pas une raison pour demeurer inactifs, car il faut absolument éviter que la situation se détériore. Nous ne savons pas ce qu’il adviendra si la température augmente de plus de 2, 3 ou 4 degrés. Il est possible que la hausse devienne effrénée, et nous ne savons pas à quoi nous attendre. Comme il y a des effets concrets dès maintenant, nous n’avons d’autre choix que de réagir. Nous aurions d’ailleurs dû le faire il y a 30 ans déjà. mais nous nous retrouvons maintenant dans cette situation, et vous avez raison de dire que nous devons faire le nécessaire pour nous y adapter. Cependant, nous devons également prendre des mesures pour éviter que cela devienne pire encore.

Pour répondre à votre première question, certaines pratiques peuvent être institutionnalisées pour améliorer les choses. Nous en avons un excellent exemple avec le Royaume-Uni qui a fixé dans une loi ses objectifs en matière de changements climatiques. On a ensuite mis sur pied un comité apolitique responsable de ces enjeux. Des experts sans affiliation politique peuvent ainsi se concerter afin d’établir des budgets carbone pour le pays. À tous les cinq ans, ils déterminent la quantité de carbone qui sera utilisée, les moyens qui seront mis en œuvre pour obtenir les réductions visées et les politiques qui sont recommandées à cette fin. Le comité soumet ensuite le tout à l’approbation du Parlement. On fait ainsi abstraction de toute considération politique, ce que j’estime important, en vue de trouver des solutions pratiques à ce problème qui touche effectivement tout le monde.

M. Elgie : Je veux d’abord vous féliciter pour ce que vous avez fait en Colombie-Britannique. À mes yeux, c’est un modèle à suivre comme l’OCDE l’a d’ailleurs fait valoir auprès du reste du monde. Comme il y a un décalage de deux ans pour l’accès aux données, nous venons tout juste d’analyser les chiffres de la Colombie-Britannique pour la période se terminant en 2015. Depuis que l’on a changé le mode d’utilisation des recettes de la tarification du carbone, la croissance du PIB a été de 1 p. 100 supérieure dans cette province par rapport au reste du Canada, sans doute en grande partie parce que ces recettes ont été réinvesties dans d’autres mesures de stimulation économique.

Le sénateur Neufeld : Il y a toute une gamme d’autres facteurs à considérer, mais peu importe.

M. Elgie : Oui. Encore une fois, on ne peut rien affirmer hors de tout doute, mais les quatre économies les plus fortes au Canada l’an dernier, en fonction de la croissance de leur PIB, étaient celles des quatre provinces où il y a tarification du carbone. On peut observer le même genre de tendance en Europe et aux États-Unis. Les économies qui ont opté pour la tarification du carbone ont fait aussi bien ou encore mieux que les autres. Alors, il est possible de fixer un prix sur le carbone et de réinvestir les recettes dans des réductions d’impôt ou des investissements éclairés en faveur d’une croissance propre sans que l’économie en souffre. L’économie peut même s’en trouver revigorée, mais je conviens avec vous qu’il est important de savoir ce que l’on compte faire des recettes. Nous estimons certes, un avis partagé par la Commission de l’écofiscalité dont je suis l’un des cofondateurs, que ces fonds devraient servir soit à réduire le fardeau fiscal soit à financer des mesures d’incitation en faveur d’une économie à faibles émissions, autant pour les ménages que pour les entreprises. C’est assurément ce que nous recommandons.

Le sénateur Wetston : J’aimerais revenir sur certains éléments dont vous avez traité. L’un des avantages qu’il y a à faire partie du Sénat, c’est qu’on peut être en désaccord avec un collègue sénateur en toute impunité. Et je ne vise personne en particulier.

Le sénateur Neufeld : Mais il regarde de notre côté.

La sénatrice Cordy : Regardez droit devant vous.

Le sénateur Wetston : J’ai le plus grand respect pour le travail que vous avez accompli en Colombie-Britannique, et je pense que c’est une province formidable.

J’aurais seulement quelques brèves questions à poser concernant les investissements publics, un autre sujet possible de désaccord entre moi et mon très respecté collègue, le sénateur Massicotte. Je crois que les investissements publics sont à l’origine de la plupart des grandes réalisations. Il suffit de regarder où nous en étions dans les années 1930 au Canada. Sans des investissements publics d’envergure, nous ne pourrions pas compter aujourd’hui sur Air Canada, le CN, la Route transcanadienne et la Voie maritime du Saint-Laurent. Je pense que vous en conviendrez sans doute avec moi.

Qui a-t-il donc de différent aujourd’hui? Je vais simplement vous donner un petit exemple. Je n’aime pas trop regarder ce qui se fait ailleurs dans le monde, mais on peut considérer la situation à Israël et toute l’innovation qui se fait là-bas. Il y a davantage d’inscriptions sur le Nasdaq, la bourse des nouvelles technologies, que partout ailleurs à l’exception des États-Unis. Tout cela découle de l’expertise acquise dans le secteur militaire. En mettant à contribution cette expertise dans le secteur privé, on a pu créer une économie fortement axée sur l’entrepreneuriat. C’est un autre exemple de l’impact des investissements publics. Je suis d’accord avec vous à ce sujet. Il y a toutefois un aspect qui me préoccupe tout particulièrement. Lorsqu’il s’agit de transférer cette expertise au secteur privé pour stimuler l’innovation dans la mesure où vous le préconisez, il ne faut pas sous-estimer le fait que notre pays n’a jamais été vraiment capable d’appuyer comme il se doit les entreprises en démarrage et d’investir dans leur développement.

À la lumière de votre expérience, comment évalueriez-vous, d’une part, le soutien aux initiatives gouvernementales pour la mise en œuvre des cadres stratégiques que vous pourriez établir et, d’autre part, pour revenir un peu à la question de la sénatrice Seidman, les moyens à prendre pour que le secteur privé puisse avoir accès aux capitaux nécessaires afin d’investir dans la croissance de telles entreprises? Pouvez-vous nous dire ce que vous en pensez?

M. Scott : Nous avons constaté qu’il était vraiment problématique au Canada de trouver les fonds nécessaires pour des innovations technologiques de cette envergure. Cette lacune est particulièrement marquée dans le cas des technologies propres étant donné, comme nous l’avons déjà indiqué, que la demande sur le marché n’est pas la même. Il est impossible de soutenir la concurrence sur des marchés influencés par le cours des produits de base si l’on propose une innovation sans bénéficier d’une bonification. Nous avons donc noté un manque flagrant à ce niveau. Comme vous l’avez mentionné, la tendance à plus grande échelle va de plus en plus vers les rendements rapides avec risques faibles et peu d’investissements. La bulle informatique a changé la structure des investissements de capital de risque. En effet, les bailleurs de fonds sont de moins en moins nombreux à vouloir investir dans ces entreprises en mode de développement à long terme dont les rendements sont relativement faibles alors qu’ils peuvent le faire dans un nouveau logiciel. On peut faire une émission initiale d’actions pour une application comme Snapchat alors qu’elle n’est même pas encore rentable. Rien n’empêche que c’est l’une des plus grosses opérations du genre à avoir été menée. C’est un défi pour le système financier, et nous devons trouver des solutions. Ces solutions doivent notamment passer par une intervention des instances publiques pour atténuer les risques et attirer des investissements privés. Des initiatives comme celles de TDDC ont été couronnées de succès, mais il faut également trouver des instruments financiers novateurs. Je pense notamment aux initiatives misant sur la divulgation financière pour mieux tenir compte des risques associés aux émissions de carbone. C’est ainsi que l’on pourrait amener le secteur financier à investir dans ces entreprises.

Le sénateur Wetston : Ça commence à changer. Aux États-Unis, les organismes de réglementation des valeurs mobilières exigent une divulgation plus grande des risques posés par le changement climatique. On vient d’annoncer que ça se fait au Canada. Toutes ces questions ont beau être importantes, mais elles ne répondent pas au problème fondamental qui inquiète beaucoup de sénateurs, l’impact du changement climatique et notre rôle dans ce changement et ce que nous pouvons y changer en proclamant beaucoup de politiques qui ont effectivement des conséquences sur la conduite des entreprises.

Madame la présidente, une petite question seulement dans ce domaine. Récemment, j’ai travaillé un peu dans une école de droit, un bon endroit pour éprouver des notions. Je voulais comparer certaines des différences qui existent entre le plafonnement et l’échange de droits d’émission, qui coexistent en Ontario avec le système de quotas. Je pense que notre gouvernement — vous pourrez me corriger, puisque je suis un sénateur de l’Ontario — se sert de ces quotas de la manière que vous avez décrite pour encourager une économie moins carbonée, réduire les émissions de gaz à effet de serre, et cetera. Je pense que vous seriez d’accord avec moi. Je tenais donc seulement vous le demander, parce que nous sommes à l’étape de la rédaction du rapport, et je ne crois pas que le Sénat actuel doive nécessairement affirmer qu’une taxe sur le carbone est la seule et la meilleure solution à appliquer. La certitude des coûts par opposition à la certitude pour l’environnement était le genre de sujet dont j’ai discuté avec certains étudiants. Je pense que la taxe sur le carbone rend des coûts certains. Avec le système de plafonnement et d’échange, on obtient plus de certitude pour l’environnement. L’établissement du plafond, la délivrance du nombre correspondant de quotas, et cetera, vous savez comment le système fonctionne.

Pouvez-vous faire connaître à notre comité votre opinion sur le plafonnement et l’échange de droits d’émission? Je le demande, parce que, personnellement, je crois que nous irons un jour jusqu’à imposer une taxe mondiale sur le carbone. Je pense que c’est impossible. L’Union européenne s’est déjà engagée à l’égard du plafonnement et de l’échange. Le dossier avance bien. Elle a été en mesure de faire disparaître certaines activités frauduleuses qui sévissaient dans ce système. Je pense que c’était au début. Je le dis dans son sens large. Alors, qu’en pensez-vous? Il est plus probable que l’on voie maintenu le système de plafonnement et d’échange, mais je pense que son extension mondiale dépassera celle de la taxe sur le carbone, n’est-ce pas?

M. Scott : Je pense que les deux peuvent être efficaces, et on peut promulguer des principes de construction qui neutralisent certains de ces effets, comme plafonner le prix, dans un système de plafonnement et d’échange, grâce à un prix compensatoire ou à des mécanismes de ce genre. Personnellement, je n’ai pas d’opinion bien arrêtée sur le sujet. Ça dépend de ce qui convient à l’État et de ce qui répond à ses besoins.

L’occasion est belle pour l’Ontario et le Québec de s’unir à la Californie qui maintient le prix à un bas niveau. Ça donne beaucoup de possibilités pour trouver les méthodes efficaces permettant une conformité au coût minimal, ce qui serait une réussite. Quant à la taxe sur le carbone, quand le prix s’envolera, ça suscitera la recherche et la découverte d’autres solutions à bas coût.

Les deux peuvent être efficaces s’ils sont bien conçus, et il suffit simplement de couvrir tous les angles de l’économie.

M. Elgie : Pour répondre à votre question antérieure sur le bouquet de politiques, l’État maîtrise notamment tout le système des marchés publics. Dans la liste des améliorations possibles, je choisirais de donner l’exemple dans l’approvisionnement propre. Beaucoup de nos politiques tentent de lancer des signaux économiques pour modifier le comportement du secteur privé. Il y a deux décennies, dans sa lutte contre le déficit, le gouvernement a donné le ton en se serrant lui-même la ceinture. S’il donnait l’exemple en se fixant à lui-même un prix interne pour le carbone — il en a imposé un au marché, mais pas encore à lui-même — ça donnerait l’exemple au marché dans les acquisitions d’infrastructures, les acquisitions militaires et toutes les dépenses de l’État, qui constituent 13 p. 100 de l’économie. Ça lancerait donc un signal bien audible qui rallierait une partie du reste de l’économie.

Le sénateur Wetston : Comme vous le savez, le budget comporte un engagement à investir dans les technologies propres. C’est aussi la création d’emplois et l’innovation. Ça vaut donc la peine. Même si on doute un peu de certains aspects du changement climatique et du rôle du Canada, c’est un investissement important, ne serait-ce que, parce qu’il conduit à des avantages supplémentaires. Je suis d’accord avec vous sur les externalités. Elles sont difficiles à adapter à un modèle économique, compte tenu de ce que vous dites sur la pollution.

J’ai une dernière question. Que l’on soit dans un système de plafonnement et d’échange ou pas, il faudrait plus d’uniformité au Canada. Ce serait agréable, un système pour tout le pays, mais c’est difficile à obtenir. Voyez Trans Mountain; nous n’avons pas besoin, n’est-ce pas, d’encore passer par là? Et nous ne retenons pas les leçons de l’histoire non plus. Les années 1930, avec Borden, Mackenzie King et Laurier, montrent bien qu’on est passé par le même problème Est-Ouest. Ça s’est passé différemment. Aujourd’hui, ça concerne plus l’Ouest, mais, néanmoins, ça se déroule de la même façon.

Ma seule question est que, quel que soit le système, plafonnement et échange ou taxe sur le carbone, les deux subissent les forces du marché. Les forces du marché agissent sur eux, mais à des moments différents et de différentes manières, ce qui permet quand même d’obtenir le résultat voulu. C’est peut-être, n’est-ce pas, l’explication de votre absence d’opinion bien arrêtée?

Madame la présidente, ce n’est plus une petite question.

M. Scott : Vous avez raison de souhaiter un programme uniforme, pour tout le Canada, de plafonnement et d’échange ou de taxation du carbone. Il serait plus efficace, parce que les éventuelles occasions de réduire les émissions, qui seraient moins coûteuses à Terre-Neuve qu’ici, en Alberta, on pourrait les appliquer à l’ensemble du pays. Voilà l’inconvénient du morcellement. C’est moins efficace qu’un seul système partout.

Le sénateur Wetston : Merci.

Le sénateur Mockler : Merci beaucoup pour votre exposé. Je partage un peu la position du sénateur Neufeld, relativement à Fred et à Martha. Nous demandons toujours l’intervention de l’État, et, d’après mes 24 années d’expérience à l’Assemblée législative du Nouveau-Brunswick, les demandes sont très nombreuses. Et elles le sont aussi pour les objectifs à se fixer. Comme l’a dit John F. Kennedy : « Ne demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous, mais ce que vous, vous pouvez faire pour lui. » Le Canada n’est pas seulement Toronto, Montréal et Vancouver. Notre gouvernement et les chefs de nos communautés de tout niveau doivent affronter des réalités rurales.

C’est ce que le Comité des finances, dont que je préside, cherchait hier soir. Notre gouvernement voulait investir 14,2 milliards de dollars dans les infrastructures, partout au pays, et, d’après ce comité, il en a seulement dépensé la moitié dans la première étape, 7,2 milliards.

Cela étant dit, vous avez évoqué la possibilité de relier cette activité aux énergies propres, à des procédés plus intelligents. Même si 60 p. 100 de la population canadienne est concentrée à Montréal, à Toronto et à Vancouver, il existe néanmoins une réalité ailleurs, le Nouveau-Brunswick rural. Que recommanderiez-vous pour les provinces qui sont dans cette situation? La réalité urbaine par opposition à celle des campagnes dans la question des infrastructures, par exemple.

M. Scott : Je ne peux pas parler avec justesse des besoins infrastructurels du Nouveau-Brunswick rural, mais, les décisions d’investir dans les infrastructures doivent se prendre en accord avec une vision à long terme de notre volonté. À quoi le Canada ressemblera-t-il en 2030, en 2050? Comment construire les infrastructures sous-jacentes à l’économie de ces années, et non à celle de 2018?

On peut s’y prendre de diverses manières, comme envisager un prix virtuel pour le carbone ou un prix réel pour le cycle de vie des investissements dans les infrastructures. Comment se dérouleront ces investissements dans les 30 années à venir? Et, de manière absolue, ils auront différentes significations pour différents joueurs. Par exemple, un chemin de fer à grande vitesse dans un centre urbain, par opposition à des infrastructures pour le transport d’énergies renouvelables hors réseau, dans une collectivité rurale. Nous devons trouver ces solutions et nous les approprier, en les examinant sous le prisme d’une vision à long terme pour ces investissements.

M. Elgie : Nous manœuvrons dans une économie mondiale, ce qui est parfois avantageux, parfois non, parce que des forces qui échappent à notre volonté exercent un gros effet sur les emplois et la richesse de notre pays. À peu près tous les grands économistes de réputation mondiale s’accordent à promettre, dans 20 ou 30 ans d’ici, une économie uniformément plus propre, moins carbonée, gaspillant moins de ressources, dans l’agriculture, l’exploitation forestière, la fabrication, le bâtiment. Et je pense que l’une des bons coups de notre pays, il y a 30 ans, c’est d’avoir constaté le recul du protectionnisme devant le libre-échange. Maintenant, c’est le retour du pendule. Toutefois, pendant un siècle, notre pays s’est bâti sur les principes du protectionnisme économique; c’était notre modèle. Pourtant, nos conservateurs et nos libéraux ont constaté, à la charnière des années 1980 et 1990, que nous devions aussi changer avec le monde. Et le gouvernement a pris l’avance grâce à des accords de libre-échange.

Pendant quelques années, pendant la transition, ç’a été un moment difficile, mais presque tous s’accordent à dire que cette prémonition nous a mis, pendant 20 ou 30 ans, en bonne posture économique. La même sorte de transition économique se déroule actuellement à l’échelle du globe. Dans 20 ou 30 ans, nous vivrons dans une économie où tout sera différent, la production d’énergie, le transport, les immeubles, l’agriculture. Nous continuerons de jouir des produits et des choses que nous aimons, mais nous les obtiendrons sans pollution, sans gaspillage, en émettant peu de carbone.

Je pense que notre défi de citadin ou d’habitant d’une région rurale du Nouveau-Brunswick, de l’Île-du-Prince-Édouard ou de la Colombie-Britannique sera de positionner les entreprises canadiennes pour que, de la même manière que nous nous sommes lancés dans le libre-échange, nous nous trouverons en fait à la fine pointe de la production de cette richesse et de ces emplois. Voilà la prochaine génération d’emplois pour lesquels mes petits-enfants rivaliseront. Il y a une raison pour laquelle on voit les dirigeants de notre conseil qui proviennent des secteurs du pétrole, de la forêt, de la fabrication et de la vente au détail reconnaître que le Canada prend une bonne décision économique en agissant avant tous les autres, de manière à rivaliser avec la Chine, la Norvège, Israël et tous les pays semblables et les dirigeants du marché se positionner eux-mêmes pour saisir cette richesse.

On peut approfondir toute technologie. L’extraction minière, par exemple. L’industrie minière du Canada n’essaie pas seulement d’être le chef de file de la production de minéraux par des méthodes qui émettent peu de carbone, mais, en fait, elle essaie d’exploiter les minéraux qui entreront dans la fabrication de piles lithium-ion ou de panneaux solaires. Le Canada possède la plupart de ces minéraux. Si, il y a trois ans, nous avions eu une importante mine de lithium, Elon Musk aurait peut-être implanté ici son usine de piles. Le Québec est près d’en avoir une d’envergure industrielle. Espérons-le, pour qu’il devienne un joueur de ce secteur.

Cela fait partie de la réflexion sur l’évolution de l’économie. Comment aider nos industries à se repositionner de manière à réfléchir à la richesse et aux emplois de la prochaine génération et à y investir aujourd’hui? Je ne peux pas vous le dire exactement pour toutes les industries, sans une longue explication, mais c’est ainsi que j’y réfléchirais.

La présidente : Merci beaucoup. Nous sommes à court de temps. La dernière intervention sera donc celle du sénateur Richards.

Le sénateur Richards : Merci d’être ici. Le sénateur Mockler a fait allusion à la partie rurale du Nouveau-Brunswick. Je saisis donc la balle au vol. Nous excellons à discuter de sujets que nous voudrions épargner à notre vue. Nous envisageons de mettre fin à la production de pétrole au Canada, et nous importons notre pétrole de l’Iran et de l’Arabie saoudite. Et nous n’avons pas à prétendre que nous l’obtenons là-bas, mais c’est là que nous l’obtenons. Des milliards de dollars sont gaspillés au Canada, et nous nous fournissons à l’étranger. Toutefois, en Chine, les trois quarts des matières premières qui serviront à la fabrication de ces téléphones sont extraits du sol de ce pays.

Actuellement, on pourrait implanter une grande usine d’élaboration du tungstène dans une région rurale du Nouveau-Brunswick, pour un riche gisement. On ne peut l’exploiter à cause des protestations; l’exploitation pourrait ne jamais avoir lieu. Nous allons manquer de cette matière. Ça inquiétera tout le monde. Même les écolos les plus intransigeants, qui ne pourront plus utiliser leur téléphone.

À la limite, l’avenir pourrait ne pas être si brillant. Nous avons beaucoup de projets de mise en œuvre et de fermeture sans solutions immédiates. Ça m’inquiète vraiment. Comme je l’ai dit à un autre témoin, il se manifeste beaucoup d’angélisme sur notre marge de manœuvre et nos obligations, dont l’efficacité comme solution vraiment utile à la crise mondiale que le changement climatique pourrait nous apporter n’a pas été prouvée.

Nous ne sommes pas vraiment certains d’être, en tout et pour tout, les principaux facteurs de ce changement climatique. Empiriquement, ça n’a pas été prouvé. Nous pouvons laisser entendre que nous le sommes, et peut-être le sommes-nous. Une partie de ce qui se passe me rappelle un peu le dramaturge irlandais George Bernard Shaw qui, en visitant Moscou, en 1932, au milieu du plan quinquennal de Staline, s’est écrié qu’il avait entrevu l’avenir. Nous savons ce qui est arrivé.

La présidente : Quelle est votre question? Désolée.

Le sénateur Richards : Si nous arrêtons toutes les explorations minières susceptibles d’être bénéfiques, qu’arrivera-t-il à notre économie? Qu’adviendra-t-il d’elle?

M. Scott : C’est ce dont il s’agit, quand il est question d’innovation propre; elle apporte la solution. Nous devons trouver des façons moins polluantes de conduire nos entreprises, que le public accepte et par lesquelles nous pouvons miser sur nos ressources et nos avantages naturels pour être naturellement concurrentiels.

Dans l’extraction minière, par exemple, une jeune pousse, dont le siège se trouve à Vancouver, est cependant active partout : MineSense. Elle se sert de techniques de mesure infrarouges pour le triage et rendre les mines moins perturbatrices pour l’environnement, retirer du sol moins de matériaux pour trouver les précieux minéraux. La mise au point de ce genre de technologies, qui permettent d’épargner mieux l’environnement, nous aidera aussi à obtenir l’adhésion générale à la promesse de pouvoir mettre en valeur ces ressources si nous le faisons de façon responsable.

Pressentir ce qui s’en vient, comme plus de pays le font — et ce n’est pas seulement au Canada, où les gens sont soucieux de l’environnement et tiennent à ce que ces solutions soient appliquées, où nous pouvons mettre en valeur nos ressources, faire croître ici ces entreprises alors que nous développons ces technologies pendant que le monde se tourne dans cette direction.

La présidente : Merci beaucoup.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Il existe un groupe européen du nom d’Energy Cities. Vous avez mentionné que l’idéal serait d’avoir un seul système, plutôt qu’un système de plafond et d’échange ou une taxe sur le carbone. Ce groupe affirme que le système de plafond et d’échange est moins sujet à la pression politique que la taxe sur le carbone. Cette affirmation vous semble-t-elle exacte? Quels seraient vos commentaires à ce sujet?

[Traduction]

M. Scott : Ça concerne l’acceptabilité politique de la formulation politique de ces notions. Par exemple, la taxe sur le carbone. Le mot « taxe » suscite des réactions dans tout le public. Le plafonnement et l’échange de droit d’émission établissent aussi un prix pour le carbone, un prix qui peut être semblable à celui de la taxe. La perception n’est pas la même. La publicité qui a été faite ou la façon dont tout cela a été présenté n’entraîne pas la même réaction politique.

La présidente : Merci beaucoup pour votre témoignage. Merci beaucoup, chers collègues, pour vos questions et ce débat fort intéressants.

(La séance est levée.)

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