Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Énergie, de l'environnement et des ressources naturelles
Fascicule nº 45 - Témoignages du 8 mai 2018
OTTAWA, le mardi 8 mai 2018
Le Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles se réunit aujourd’hui, à 17 h 8, pour étudier la teneur des éléments de la partie 5 du projet de loi C-74, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 27 février 2018 et mettant en œuvre d’autres mesures.
La sénatrice Rosa Galvez (présidente) occupe le fauteuil.
La présidente : Bonsoir et bienvenue à cette séance du Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles. Je m’appelle Rosa Galvez, je suis une sénatrice représentant le Québec et je suis présidente de ce comité.
Je demanderais maintenant aux sénateurs autour de la table de se présenter.
La sénatrice Cordy : Sénatrice Jane Cordy, Nouvelle-Écosse.
Le sénateur Patterson : Dennis Patterson, Nunavut.
Le sénateur Neufeld : Richard Neufeld, Colombie-Britannique.
[Français]
Le sénateur Mockler : Percy Mockler, du Nouveau-Brunswick.
[Traduction]
La présidente : J’aimerais également vous présenter le personnel du comité : notre greffière, Maxime Fortin, et nos analystes de la Bibliothèque du Parlement, Sam Banks et Jesse Good. Aujourd’hui, nous poursuivons notre étude de la teneur des éléments de la partie 5 du projet de loi C-74, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 27 février 2018 et mettant en œuvre d’autres mesures. La partie 5 du projet de loi porte sur la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre.
Le premier groupe de témoins se compose de représentants de deux organisations. Nous accueillons Michael Gullo, directeur, Politiques, affaires économiques et environnementales, de l’Association des chemins de fer du Canada. Nous accueillons également des représentants de VIA Rail Canada : Pierre Le Fèvre, conseiller principal au président et chef de la direction, Jacques Fauteux, directeur, Relations avec les gouvernements et les collectivités, et Bruno Riendeau, directeur, Sécurité et développement durable.
Je vous vous remercie d’être parmi nous aujourd’hui. Je vous invite à nous présenter chacun un exposé, après quoi il y aura une période de questions et de réponses.
Pierre Le Fèvre, conseiller principal au président et chef de la direction, VIA Rail Canada : Madame la présidente, sénateur MacDonald.
[Français]
Mesdames et messieurs membres du comité, bonjour à tous. Je suis Pierre Le Fèvre, conseiller principal du président et chef de la direction de VIA Rail Canada et directeur de la planification et de la stratégie d’entreprise. C’est avec plaisir que je comparais aujourd’hui accompagné de mes collègue,s Bruno Riendeau, directeur, Sécurité et développement durable, et Jacques Fauteux, directeur, Relations avec les gouvernements et les collectivités.
En tant que société d’État non mandataire, VIA Rail Canada offre aux voyageurs canadiens un service ferroviaire sécuritaire, efficace et respectueux de l’environnement.
[Traduction]
La transformation qu’a entreprise VIA Rail en adoptant un modèle axé sur le consommateur, en 2014, a généré une croissance sans précédent du nombre de passagers et des revenus. VIA Rail a enregistré une hausse de revenus quatre années consécutives, de même qu’une hausse de l’achalandage les trois dernières années. Compte tenu de cette hausse de plus de 10 p. 100 de l’achalandage comparativement à 2016, près de 4,4 millions de Canadiens ont fait le choix du train au détriment de la voiture l’an dernier.
Alors que nous célébrons le 40e anniversaire de notre société, le budget fédéral 2018 reconnaît la confiance croissante et renouvelée des Canadiens envers le service ferroviaire voyageurs. En effet, le gouvernement nous a consenti, à VIA Rail, les fonds nécessaires pour renouveler notre flotte de trains dans le corridor Windsor-Québec. Ainsi, dès 2022, nos passagers bénéficieront de wagons modernes et accessibles, qui répondent aux normes environnementales internationales les plus élevées.
[Français]
Permettez-moi de faire une précision importante. En effet, notre service connaît un engouement croissant, et la capacité de nos trains s’accentue, ce qui se traduit par une consommation énergétique plus grande. Cela dit, depuis 2014, pour chaque tonne d’émissions additionnelles générées par nos trains, VIA Rail Canada aura évité 2,2 tonnes attribuables à l’automobile grâce au fait que ces déplacements sont effectués en train plutôt qu’en voiture.
Qui plus est, la mise en service de locomotives et de voitures plus légères et moins énergivores ainsi que l’optimisation de ces nouvelles rames de train avec l’introduction du projet de train à grande fréquence (TGF), dont je vous parlerai un peu plus tard — et dont M. Yves Desjardins-Siciliano a traité dans son dernier rapport —, permettront de multiplier ce ratio.
Ainsi, la mobilité durable est plus que jamais au cœur même de l’existence de VIA Rail Canada, ce qui m’amène à aborder deux éléments importants de nos propos aujourd’hui, pour présenter, d’une part, notre performance environnementale de ces dernières années et exposer, d’autre part, notre action actuelle et future en matière de changement climatique.
VIA Rail Canada publiait le mois dernier son troisième rapport sur la mobilité durable pour l’année 2017. Laissez-moi vous présenter quelques exemples concrets de notre engagement. VIA Rail Canada a réduit de 30 p. 100 les émissions de gaz à effet de serre de ses trains par rapport à 2005, soit une différence de plus de 52 000 tonnes de CO2 qui dépasse notre objectif de 2020 fixé à 20 p. 100.
Depuis 2009, nous avons amélioré notre économie de carburant en modifiant la conduite de nos trains, ce qui s’est traduit par une réduction de 24 p. 100 de nos gaz à effet de serre. La technologie que nous avons créée dans le but de réduire notre consommation de carburant nous a d’ailleurs valu le prix d’excellence en environnement de l’Association des chemins de fer du Canada.
Au-delà de nos efforts et des solutions créatives apportées afin de réduire notre empreinte environnementale, notre plan le plus prometteur demeure celui d’introduire au Canada un train à grande fréquence, une proposition qui a été présentée au gouvernement fédéral en 2016. Voici comment cet ambitieux projet se traduit en gains réels pour notre environnement.
[Traduction]
Comme les membres du comité le savent, VIA Rail a préparé une proposition de train à grande fréquence, le TGF, entre Québec et Toronto. VIA Rail utiliserait des voies spéciales exclusivement pour ce service. Ainsi, VIA pourrait augmenter considérablement la fréquence du service et la durée du déplacement pourrait diminuer de 25 p. 100.
Par-dessus tout, le plan de TGF de VIA Rail bénéficierait clairement à l’environnement et aux passagers, puisque l’on prévoit que le nombre de déplacements pourrait atteindre 9,9 millions d’ici 2030. Ce service permettrait d’éliminer les émissions de gaz à effet de serre de l’équivalent de 2,3 millions de voitures, ce qui correspond à une réduction de 10 p. 100 des émissions des véhicules chaque année.
[Français]
Notre projet permettra de réduire nos émissions de dioxyde de carbone de l’ordre de 12,5 millions de tonnes de CO2 d’ici 2050. Dans l’éventualité où ce projet serait entièrement électrifié, cette réduction serait de 13,9 millions de tonnes.
En somme, l’un des plus importants piliers en matière de durabilité réside dans notre détermination à diminuer notre empreinte carbone. Nous croyons que le service actuel et futur de VIA Rail fait partie d’une solution globale visant à contrer les méfaits des changements climatiques et qu’il appuie la transition que nous devons tous faire individuellement, et en tant que nation, vers une économie plus sobre en carbone.
VIA Rail Canada souhaite ainsi incarner le mode de transport le plus vert du pays et réduire l’empreinte de carbone globale du Canada. Nous croyons pouvoir atteindre les objectifs de réduction des gaz à effet de serre envers lesquels VIA Rail Canada s’est engagée, de concert avec 65 autres pays membres de l’Union internationale des chemins de fer.
Enfin, je remercie le comité de son invitation. C’est avec plaisir que nous répondrons à vos questions.
[Traduction]
Michael Gullo, directeur, Politiques, affaires économiques et environnementales, Association des chemins de fer du Canada : C’est pour moi un plaisir de prendre la parole devant vous aujourd’hui. Je vous parlerai principalement des effets de cette loi sur les membres de l’ACFC qui transportent des marchandises. À la lumière de l’orientation stratégique claire énoncée dans le Cadre pancanadien sur la croissance propre et les changements climatiques, ainsi que dans le plan stratégique du ministre Garneau sur l’avenir des transports, les chemins de fer sont prêts à réduire les émissions liées au transport en faisant augmenter le volume de marchandises et le nombre de passagers transportés par train. Grâce à son engagement de longue date à utiliser le carburant judicieusement et à réduire ses émissions, l’industrie du transport de marchandises canadienne a réussi à abaisser ses émissions de plus du tiers depuis 1990, tout en augmentant sa charge de plus de 80 p. 100. Le réseau ferroviaire canadien s’étend sur environ 44 000 kilomètres de voies ferrées, qui traversent neuf provinces et un territoire. Ce réseau est principalement administré par deux compagnies de chemins de fer de catégorie 1 et environ 60 chemins de fer d’intérêt local.
Concernant le projet de loi, beaucoup de chemins de fer assujettis à la réglementation fédérale sont déjà exposés à de multiples politiques sur la tarification du carbone, ainsi qu’aux instruments fiscaux de la Colombie-Britannique et de l’Alberta et aux méthodes fondées sur le marché privilégiées par l’Ontario et le Québec. Ces entreprises doivent répondre à de multiples exigences sur la tarification du carbone, qui se recoupent souvent, pour pouvoir assurer une gestion stable de la chaîne d’approvisionnement en carburant pour leurs consommateurs. La nouvelle loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre et son règlement risquent d’ajouter un niveau de complexité au fardeau administratif déjà lourd lié à la tarification du carbone. Nous estimons essentiel que cette loi tienne compte de l’unicité de l’industrie ferroviaire et de sa responsabilité d’offrir un service efficace, à faible coût aux Canadiens.
Mes observations d’aujourd’hui s’articulent autour de cinq thèmes principaux. Il y a d’abord l’échéancier. Ce projet de loi vise à ce que toutes les provinces et les territoires aient un système de tarification du carbone en vigueur au plus tard le 1er janvier 2019. L’industrie ferroviaire souhaiterait avoir la garantie que ces systèmes ne seront pas considérés comme des mesures temporaires. C’est important, parce que les chemins de fer doivent pouvoir prévoir avec exactitude les coûts du carburant et leurs dépenses opérationnelles pour établir leurs tarifs. Si cette proposition législative entre en vigueur, puis que les règles changent peu après en raison de nouvelles mesures provinciales sur la tarification, les chemins de fer devront revoir leurs ententes avec les consommateurs pour se conformer aux nouvelles exigences sur la tarification du carbone. L’ACFC recommande que le gouvernement oblige les provinces à faire connaître leur intention d’accepter ou non la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre avant qu’elle n’acquière force de loi.
Ma deuxième observation touche la transparence. Les structures de tarification du carbone existantes varient en ce qui concerne l’obligation des fournisseurs de carburant de divulguer leurs coûts de conformité aux grands acheteurs de carburant comme les chemins de fer. Par exemple, la taxe sur le carbone de la Colombie-Britannique s’accompagne d’un cadre transparent, pour que tous les maillons de la chaîne d’approvisionnement en carburant, des producteurs aux utilisateurs en passant par les distributeurs, comprennent les coûts qui entrent dans le calcul de la tarification du carbone. L’ACFC croit qu’il faudrait ajouter des dispositions en ce sens au projet de loi pour assurer la transparence de la tarification du carbone et que les chemins de fer puissent comprendre les coûts que leur refilent les fournisseurs de carburant.
Ma troisième observation concerne la reconnaissance du diésel renouvelable et encore une fois, la transparence. Les règles d’application qu’on trouve à l’article 8.6 prévoient une méthode de quantification du mazout léger qui renvoie explicitement au biodiésel et non au diésel renouvelable. L’ACFC estime qu’il faut modifier le projet de loi pour que le biodiésel et le diésel renouvelable soient traités de la même façon. Ce sont deux carburants biogènes dont les émissions sont comparables à la production.
De même, le projet de loi n’oblige pas les fournisseurs de carburant à divulguer la proportion de diésel renouvelable ou de biodiésel dans le mélange. L’ACFC recommande donc l’ajout de dispositions pour obliger les fournisseurs de carburant à divulguer la composition des mélanges de carburant pour que les transporteurs immatriculés ne paient pas le carburant trop cher ni ne manquent à leurs garanties respectives à l’égard des fabricants d’équipement d’origine.
Ma quatrième observation concerne la façon dont la surcharge s’applique. Selon le projet de loi, le carburant importé dans une province où la loi s’applique fera l’objet de redevances, et les transporteurs immatriculés pourront demander un remboursement lorsqu’ils en exportent une partie dans une autre province où il y a déjà une tarification du carbone. Bien que l’ACFC et ses membres apprécient les efforts du gouvernement afin de reconnaître que le carburant utilisé dans le domaine ferroviaire n’est pas statique, la façon dont la redevance sur le carburant s’appliquera n’est pas claire quand une société ferroviaire importe du carburant d’une province où il y a déjà une tarification du carbone.
L’ACFC craint que l’entreprise ne soit obligée de payer pour le carbone dans deux provinces pour le même carburant et recommande que le projet de loi prévoie des dispositions pour protéger les chemins de fer contre des paiements excessifs.
Pour terminer, je souhaite vous rappeler l’intérêt de réinvestir les revenus découlant de la tarification du carbone dans les options de transport à faibles émissions. Bien que ce projet de loi n’ait pas pour objet d’établir comment seront utilisés les revenus tirés de la tarification du carbone au Canada, nous croyons que ces revenus devraient être réinvestis dans des projets d’infrastructure réels pour les futurs clients des sociétés ferroviaires.
Le gouvernement du Québec a reconnu les importantes réductions d’émissions de gaz à effet de serre qui peuvent être réalisées grâce au transport ferroviaire et a investi des revenus de son système de plafonnement et d’échange dans des voies ferrées, des installations et des centres de rechargement pour des clients potentiels de compagnies de chemins de fer. Il n’y a aucun autre programme à l’échelon fédéral ou provincial au Canada. Nous croyons que le gouvernement fédéral peut jouer un rôle de premier plan en assumant le leadership requis pour veiller à ce que les marchandises soient transportées par le mode de transport qui produit le moins d’émissions lorsque c’est possible.
La présidente : Merci beaucoup. Je ne crois pas que nous ayons reçu un exemplaire de votre exposé. Pourriez-vous le faire parvenir à la greffière?
Le sénateur Patterson : J’ai un exemplaire. Il était dans ce cartable.
Le sénateur MacDonald : Je vous remercie d’être ici aujourd’hui. Je vois un vieil ami là-bas. Bonjour, Jacques. Je suis heureux de vous revoir.
J’aimerais tout d’abord parler du secteur ferroviaire et des moteurs au diésel. Je veux parler des moteurs alimentés au diésel. Je suis l’une de ces personnes qui pensent que nous sommes un peu trop obsédés par le carbone dans notre pays, mais je ne suis pas contre les tentatives visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre et d’autres émissions. Je crois que plus une machine est propre et efficace, plus c’est avantageux pour tout le monde. J’aimerais que nous nous engagions dans cette voie.
Au fil des ans, j’ai été très étonné — et je fais partie de ce comité depuis plusieurs années — par les grandes percées réalisées sur les grands navires et par le passage de l’alimentation au diésel à l’alimentation au gaz naturel liquéfié. C’est étonnant d’observer la quantité d’effluents émis par un gros moteur alimenté au diésel ou par un grand navire, mais de nombreux grands navires de passagers et de marchandises se convertissent au gaz naturel liquéfié. Vous n’avez rien mentionné sur la possibilité de convertir les moteurs diésel des trains en systèmes alimentés au gaz naturel liquéfié. J’aimerais savoir si vous avez envisagé cette possibilité et dans quelle mesure vous l’avez fait. Sommes-nous encore loin du but lorsqu’il s’agit de convertir les moteurs diésel des trains en moteurs alimentés au gaz naturel liquéfié?
M. Gullo : Je serais heureux de répondre à cette question. Si mes collègues veulent ajouter quelque chose, cela me convient également.
Pour fournir une réponse complète, j’examinerais d’abord les émissions des compagnies de chemins de fer existantes qui, comme je l’ai décrit, diminuent au fil du temps malgré l’augmentation de la charge. C’est principalement attribuable aux investissements dans l’infrastructure qui se concentrent sur l’amélioration de la rapidité du système et aux investissements dans les nouvelles locomotives qui suivent une structure américaine à plusieurs niveaux, et maintenant une structure canadienne à plusieurs niveaux, dans laquelle nous devenons de plus en plus efficaces. Il y a également les progrès accomplis grâce à de nouvelles pratiques d’exploitation innovatrices, par exemple la puissance de traction décentralisée et les trains plus longs et plus lourds, ainsi qu’une meilleure gestion de la cargaison. Ce sont les principaux facteurs responsables de la diminution des émissions malgré l’augmentation des charges de travail.
Pour répondre à votre question sur la situation du gaz naturel liquéfié, actuellement, le gaz naturel liquéfié représente davantage un enjeu lié à la recherche. En effet, ces systèmes sont déployés dans les petites installations des principaux chemins de fer de classe 1 en Amérique du Nord. Il y a quelques années, le CN a mené quelques travaux innovateurs lors d’un projet pilote sur des locomotives alimentées au gaz naturel liquéfié. L’autre option — je considérerais qu’il s’agit d’un carburant de remplacement —, ce sont les carburants renouvelables. En effet, les activités de recherche et de développement, en parallèle avec les normes gouvernementales en matière de carburant propre, se concentrent surtout sur l’augmentation de la teneur en carburant renouvelable dans la chaîne d’approvisionnement au combustible diésel.
Cependant, le secteur du transport des marchandises par train n’est pas encore prêt pour le gaz naturel liquéfié. Certains éléments fonctionnent et d’autres ne fonctionnent pas. Les éléments qui ne fonctionnent pas sont en grande partie liés à des facteurs économiques, aux chaînes d’approvisionnement en gaz naturel liquéfié et aux coûts de mise à niveau nécessaires pour effectuer la transition de la chaîne d’approvisionnement au diésel dans le secteur ferroviaire.
Le sénateur MacDonald : Un suivi?
La présidente : Je crois que vous avez quelques questions de suivi.
Le sénateur MacDonald : Je comprends cela. Nous savons qu’on a accompli de grands progrès avec les moteurs au gaz naturel liquéfié qui étaient autrefois des moteurs au diésel sur de grands navires. Je crois qu’il n’est pas réaliste de penser que nous pourrons échapper à l’économie fondée sur les hydrocarbures, surtout dans le secteur des transports. Mais je ne crois pas qu’il soit irréaliste de penser que nous sommes sur le point de réussir à convertir les gros moteurs diésel des trains à moteurs alimentés au gaz naturel liquéfié.
Même s’il s’agit toujours d’un hydrocarbure, c’est un carburant beaucoup plus propre et efficace que le diésel. J’aimerais savoir dans quelle mesure l’Association des chemins de fer du Canada a contribué à l’évolution de ces moteurs. Dans quelle mesure les membres de cette association explorent-ils cette voie? Lorsque vous parlez de réinvestir de l’argent dans les chemins de fer du pays afin de réduire leur empreinte écologique, recommanderiez-vous d’investir dans ce type de technologie?
M. Gullo : Il faut tenir compte de deux ou trois choses dans ce cas-ci. Les entreprises elles-mêmes réalisent des progrès dans les technologies de remplacement. Le gaz naturel liquéfié représente l’une de ces technologies. Il y a aussi l’électrification; mes collègues pourront vous en parler. Ce type d’innovation est utilisé dans le transport quotidien des travailleurs de la banlieue. Il y a également des idées innovatrices comme Gensets, et cetera. On investit donc dans les technologies de remplacement.
La technologie qui permet de produire le gaz naturel liquéfié est au point. C’est une question de déploiement. Il faut prévoir l’infrastructure nécessaire et payer les coûts liés à la mise à niveau des locomotives existantes, mais il s’agit également de la chaîne d’approvisionnement en carburant. En effet, la chaîne d’approvisionnement en carburant qui sert actuellement les différents dépôts de rail au Canada est très étendue. Elle est importante. Il faudra donc y investir des milliards de dollars pour la mettre à niveau. Nous n’avons pas encore les ressources économiques nécessaires pour y arriver.
La présidente : J’aimerais rappeler aux sénateurs que nous parlons de la tarification du carbone.
Le sénateur Massicotte : Je vous remercie d’être ici aujourd’hui.
J’ai lu la lettre que vous avez écrite au ministère en février dernier, et j’ai manifestement entendu vos commentaires. Ce que j’entends surtout dans votre argument — et c’est logique —, c’est qu’il faut vous donner plus d’argent, car votre moyen de transport est beaucoup plus efficace pour transporter les marchandises — ou dans votre cas, les passagers — et vous produisez beaucoup moins de gaz à effet de serre. Comme vous le savez, le gouvernement a présenté une proposition sur le fonctionnement du système de tarification du carbone. Êtes-vous relativement satisfaits de la structure et de la proposition présentées par le gouvernement?
M. Le Fèvre : L’industrie ferroviaire?
M. Gullo : Mon exposé était axé sur le fait que nous avons 44 000 kilomètres de voie ferrée qui traversent neuf différentes provinces et un territoire. La situation actuelle n’est pas idéale. Il y a la montée des structures régionales de tarification du carbone et les grandes compagnies de chemins de fer qui traversent le pays doivent donc se conformer aux différentes exigences provinciales. On vient maintenant de proposer une nouvelle exigence fédérale pour les provinces qui n’auront pas élaboré leurs propres exigences d’ici 2019.
Pour cette raison, je ferais valoir que la situation n’est pas idéale. Si vous êtes une grande entreprise et que vous êtes représentée partout au pays, cela fait quatre ou cinq comptes différents. S’il y a une structure de compensation…
Le sénateur Massicotte : C’est complexe.
M. Gullo : C’est complexe. C’est difficile sur le plan administratif. Dans certains cas, on ne tient pas toujours compte du fait que nous devons déplacer du carburant, afin qu’il soit disponible pour le service…
Le sénateur Massicotte : Sur le plan macroscopique, vous devez être heureux, car vos faibles émissions de gaz à effet de serre vous rendent extrêmement concurrentiels comparativement à vos concurrents, c’est-à-dire les camions, et cetera. Dans ce sens, vous devenez encore plus concurrentiels, tout comme vos clients le seraient. Est-ce exact?
M. Gullo : En théorie, la tarification du carbone devrait représenter certains avantages pour l’industrie ferroviaire en raison de son rendement et de son bilan en matière de gaz à effet de serre, et en raison des investissements. En théorie, cela devrait être avantageux.
Le sénateur Massicotte : Qu’en est-il de la lettre envoyée en février? Avez-vous reçu une réponse du ministère? Avez-vous rencontré les représentants du ministère? Ont-ils répondu à votre lettre?
M. Gullo : Pas expressément, non.
Le sénateur Massicotte : Avez-vous obtenu une rétroaction selon laquelle ils tiendront compte du point que vous avez soulevé?
M. Gullo : Nous n’avons pas encore reçu de rétroaction explicite.
Le sénateur Massicotte : Qu’en est-il de VIA Rail? Nous parlons du modèle. Nous parlons de la tarification du carbone. Comment cela vous touche-t-il?
[Français]
Jacques Fauteux, directeur, Relations avec les gouvernements et les collectivités, VIA Rail Canada : Monsieur le sénateur, premièrement, j’aimerais souligner le fait que nous vous remercions de votre présence à bord de nos trains.
En ce qui a trait à la mise en œuvre de la loi dont on parle en ce moment, VIA Rail Canada va évidemment appliquer la loi telle qu’elle sera adoptée par les élus.
Pour le moment, notre intérêt est d’inciter les passagers potentiels à prendre le train. Avec notre plan à plus long terme, le TGF que le gouvernement est en train d’étudier, nous croyons pouvoir contribuer à la réduction de l’empreinte carbone des Canadiens, de la perspective d’une politique publique, si le gouvernement approuve le projet.
Sur ce point, je crois que les propos de M. Gullo répondent au nom de l’industrie ferroviaire. Évidemment, nous sommes membres de l’association, mais lorsqu’il s’agit de faire des commentaires spécifiques, nous nous tournons vers notre actionnaire, le gouvernement du Canada, pour faire une détermination de politique publique.
Le sénateur Massicotte : Dans votre rapport annuel, on y mentionne une augmentation importante de vos passagers et de vos revenus. Cela ne touche pas le carbone, sauf dans quelques provinces, comme le Québec et l’Ontario. Avec l’augmentation de la taxe, j’imagine que votre entreprise devient de plus en plus attrayante pour votre clientèle, en comparaison avec la voiture ou l’avion. Vous devenez encore plus compétitifs.
M. Fauteux : Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Nous avons connu une augmentation importante de la clientèle depuis l’arrivée de notre président-directeur général actuel, qui a mis l’accent sur la contribution que les Canadiens peuvent apporter à la protection de l’environnement et sur le travail que nous pouvons faire à l’interne pour être davantage axés sur le client. Cette combinaison de facteurs nous a permis de faire avancer le dossier davantage.
[Traduction]
Le sénateur Patterson : D’après ce que j’ai compris dans votre exposé, vous avez recommandé d’apporter deux amendements précis au projet de loi et certaines autres mesures non législatives. L’une propose de demander aux fournisseurs de divulguer leur mélange de carburant. Vous suggérez d’amender le projet de loi ou d’ajouter cela au projet de loi. L’autre concerne le potentiel de double facturation pour des industries, comme la vôtre, qui exploitent des systèmes dans plusieurs provinces.
Tout d’abord, avez-vous formulé cette recommandation au gouvernement et n’a-t-il pas écouté ou n’a-t-il pas reflété vos recommandations dans le projet de loi? Avez-vous fait valoir ces points dans le processus de consultation?
M. Gullo : Nous l’avons fait. Vous avez un exemplaire de notre proposition de février. Elle contient les commentaires que nous avons formulés au gouvernement à ce moment-là.
Le sénateur Patterson : J’aimerais savoir quelle rétroaction vous avez obtenue. Vous a-t-on expliqué pourquoi ces suggestions, qui me semblent logiques, n’ont pas été adoptées?
M. Gullo : On ne nous a pas expliqué concrètement pourquoi nos recommandations n’avaient pas été acceptées ou pourquoi il s’agissait de bonnes recommandations ou non.
Pour nous, la question de la divulgation est assez directe. Nous devons connaître le contenu de ce que nous achetons. Si nous tenons compte du potentiel que l’histoire se répète, il existe des règlements sur les carburants renouvelables qui contiennent une exigence liée au pourcentage qui peut être satisfaite dès le début de l’année. Ensuite, pendant le reste de l’année, les acheteurs de ce carburant ne peuvent pas connaître avec certitude le pourcentage de carburant renouvelable qui entre dans sa composition. Cela nous pose un problème, car nous devons connaître le contenu de ce que nous achetons et de ce que nous mettons à l’intérieur de nos locomotives, car cela nous coûte des millions de dollars.
Nous devons comprendre les coûts. Dans certains cas, il faut les deviner selon la méthode suivie par le règlement. En se fiant à des structures similaires, on peut constater que la méthode de réglementation est habituellement la vente du carburant à son arrivée sur le marché. Selon la façon dont une compagnie de chemins de fer obtient son carburant, que ce soit directement d’un producteur ou par l’entremise d’un tiers détaillant, il se peut qu’elle ne puisse pas voir ces coûts. Il est important de comprendre les coûts, afin que nous puissions en tenir compte, établir nos tarifs en conséquence et ne pas payer un prix trop élevé ou pas assez élevé.
La deuxième partie concernait essentiellement le remboursement. Selon ce que nous avions compris du libellé de la proposition, si vous achetez du carburant dans une province où la loi s’appliquera — en théorie, à ce moment-ci, en Saskatchewan — et que vous transportez ensuite une partie de ce carburant dans une province où il existe déjà une structure de tarification du carbone, par exemple en Alberta, dans ce cas, vous pouvez faire une demande de remboursement.
Nous nous interrogeons par contre sur la référence explicite au biodiésel et au carburant non renouvelable. Je crois qu’il s’est peut-être produit une erreur administrative dans ce cas. Nous suggérons d’inclure le biodiésel et le carburant renouvelable, afin que nous puissions maximiser les options dans la chaîne d’approvisionnement en carburant.
Le sénateur Patterson : Je crois que le fardeau administratif qui sera imposé à votre industrie a été abordé plus tôt aujourd’hui. Au Canada, en raison des différents régimes en vigueur dans chaque province, nous avons un amalgame de systèmes et certains ont peut-être un filet de sécurité fédéral. D’après ce que je comprends, chaque consommateur de carburant devra tenir compte de la quantité nette de carburant utilisée dans chaque province et envoyer un paiement ou réclamer un remboursement.
À votre avis, faudra-t-il prévoir du temps et du personnel pour satisfaire aux exigences en matière de rapports? Ce fardeau administratif sera-t-il raisonnable?
M. Gullo : Pour être honnête, nous n’avons fait aucune prévision liée à un fardeau administratif potentiel imposé par la proposition législative. Il ne fait aucun doute qu’il s’agit d’une proposition législative complexe. Elle contient plusieurs exigences. Il faut être un transporteur inscrit. Il faut faire des demandes de remboursement. Il faut essentiellement réclamer ce qu’on utilise dans chaque province. Cela s’ajoutera au fardeau administratif.
Le point que je fais valoir est peut-être à un niveau plus élevé, c’est-à-dire lorsqu’on associe cela au fardeau administratif que devra assumer une compagnie de chemins de fer qui mène ses activités dans plusieurs provinces et dans le cadre d’une structure de tarification du carbone déjà en œuvre. Nos chemins de fer de classe 1 satisfont aux exigences réglementaires en matière de tarification du carbone de la Colombie-Britannique, de l’Alberta, de l’Ontario et du Québec. L’ajout d’une autre structure a un effet cumulatif qui commence à devenir préoccupant sur le plan administratif.
La présidente : J’aimerais poser une question aux représentants de VIA Rail.
[Français]
Vous faites affaire dans plusieurs provinces qui ont prévu un système de tarification du carbone depuis un certain temps. Vous exploitez votre entreprise de la Colombie-Britannique jusqu’au Québec. Quel est le côté positif ou négatif de la taxe sur le carbone, pour y avoir déjà fait face?
Bruno Riendeau, directeur, Sécurité et développement durable, VIA Rail Canada : À l’heure actuelle, il est difficile d’en évaluer le côté positif ou négatif, parce que nous achetons du diesel dont la taxe a déjà été payée. Donc, pour nous, il s’agit davantage de la charge administrative où nous devons déterminer où a été utilisé le diesel dans les différentes juridictions. À ce moment-ci, je n’ai pas évalué l’ampleur de cette tâche administrative, mais, pour nous, ça se résume à cet impact.
La présidente : Merci beaucoup.
M. Le Fèvre : Fondamentalement, dans notre cas, il s’agit d’une personne qui s’occupe de l’administration.
La présidente : Une personne.
M. Le Fèvre : Ce serait beaucoup plus complexe pour le CN ou le CP en raison de leur nature, du nombre de trains qu’ils exploitent et des juridictions. On passe des trains surtout entre le Québec et l’Ontario. On a très peu de trains qui passent dans les autres provinces. C’est beaucoup plus simple à gérer que pour les grands transporteurs de marchandises.
La présidente : Merci beaucoup pour la réponse.
[Traduction]
Le sénateur Neufeld : Messieurs, je vous remercie d’être ici. Pour rester dans le même sujet, les camions de l’industrie du transport routier traversent le pays depuis un certain temps. Dans chaque province, ils sont en mesure de payer les différents coûts, que ce soit la taxe sur le carburant ou la rémunération des travailleurs, selon les exigences en vigueur dans chaque province ou chaque territoire. Je ne peux pas imaginer qu’il serait si difficile pour le CN ou le CP — de grandes compagnies de chemins de fer — de trouver une façon de le faire aussi. C’est la même chose avec la taxe sur le carburant. Je ne sais pas quelle taxe sur le carburant s’applique aux compagnies de chemins de fer, mais lorsqu’il s’agit des autoroutes, c’est une taxe sur les autoroutes. On réussit à démêler tout cela.
J’ai exploité une entreprise dans deux territoires et deux provinces. Mes comptables ont certainement compris rapidement comment tout cela fonctionnait. Je crois que vous pouvez y arriver.
Ma première question s’adresse aux représentants de VIA Rail. Si vous passez à l’électrification — ce qui serait fantastique, je présume, et vous auriez vos propres voies ferrées —, pensez-vous que cela ferait diminuer le prix des billets des passagers de VIA Rail ou que cela ferait plutôt augmente le prix des billets?
M. Le Fèvre : Au bout du compte, dans le cas d’un service ferroviaire à fréquence élevée, les tarifs seraient réglementés ou modifiés selon la politique du gouvernement. En ce moment, l’objectif est de maintenir au moins les premiers échelons de tarifs aux mêmes niveaux qu’aujourd’hui.
En ce qui concerne l’électrification, sur le plan financier — c’est-à-dire les profits et les pertes —, les coûts liés à l’exploitation restent les mêmes. Fondamentalement, les économies réalisées sur le carburant se transformeront en coûts d’entretien pour l’infrastructure de l’électrification. L’électrification ne produirait pas beaucoup d’avantages qui pourraient être transmis aux consommateurs.
C’est fondamentalement parce que les coûts d’entretien d’une infrastructure électrique sont élevés. Au bout du compte, ils remplacent les coûts liés au carburant. C’est la raison pour laquelle nous avons toujours dit au gouvernement que l’électrification est une décision qui lui revient. En effet, sur le plan financier, c’est équivalent. Il y a un avantage, mais il est très petit.
L’avantage est plus grand dans le cas du transport local, car il y a beaucoup d’arrêts et de redémarrages. Par contre, dans le cas du transport interurbain, il y a beaucoup moins d’avantages. Nous avons toujours dit qu’à notre avis, ce sont des facteurs externes qui motivent l’électrification — c’est-à-dire que c’est la société qui en profite. Cela devient donc une décision politique.
Cela aurait peu d’effet sur le prix des billets.
Le sénateur Neufeld : D’accord. Toutefois, la construction de cette infrastructure aurait certainement une incidence, n’est-ce pas? Il faut construire une nouvelle voie ferrée désignée — et acheter des moteurs électriques — et toutes ces choses connexes engendraient des coûts qu’il faudrait transférer.
M. Le Fèvre : Oui. Deux choses se produisent. Les coûts ne sont pas réellement transférés. Ce qui se produit, c’est que le nombre de passagers augmente tellement que cela permet de compenser.
Oui, nous nous attendons à ce que le prix moyen payé pour un trajet soit un peu plus élevé, mais c’est parce que nous nous attendons, surtout sur certains marchés, à avoir plus de passagers de première classe en raison de la compétitivité offerte par le train. Cela nous permet tout de même d’offrir un prix d’accès en classe économique et d’offrir des prix comparables à ceux d’aujourd’hui.
C’est la composition de la clientèle qui modifie le tarif moyen que nous nous attendons à appliquer.
Le sénateur Neufeld : Bien.
Monsieur Gullo, pourriez-vous me parler des attentes des chemins de fer qui utilisent le diesel électrique? Devront-ils augmenter leurs tarifs une fois que le prix du carbone atteindra 50 $ la tonne? Dans l’affirmative, à combien se chiffrera la hausse?
M. Gullo : C’est une excellente question, mais à laquelle je n’ai pas de réponse exacte autre que de reformuler certaines de nos attentes en matière de coûts. En 2015, je crois, nos coûts liés au carbone avoisinaient les 55 millions de dollars. D’ici 2022, ils devraient atteindre environ 394 millions de dollars. Si vous additionnez les coûts de 2015 à 2022, vous obtiendrez quelque 1,6 milliard de dollars. J’ignore dans quelle mesure la situation fera grimper les tarifs, mais les coûts augmentent pour tout le monde. Ce sera plus cher pour vous et moi lorsque nous ferons le plein de nos voitures conventionnelles diesel électriques, si vous en avez une…
Le sénateur Neufeld : J’en ai une. Je vis en Colombie-Britannique.
M. Gullo : Il est difficile de prévoir la science, mais les coûts semblent être à la hausse pour tout le monde.
Le sénateur Neufeld : À 50 $ la tonne, à combien dites-vous que la hausse se chiffrera pour les grands chemins de fer?
M. Gullo : On estime que les coûts cumulatifs de 2015 à 2022 atteindront 1,6 milliard de dollars. C’est une addition.
Le sénateur Neufeld : Cet argent devra venir de quelque part, à savoir de la personne qui expédie.
Merci.
Le sénateur Wetston : Excusez-moi de mon retard.
Pouvez-vous me parler des questions Nord-Sud entre les États-Unis et le Canada? Comment les Américains envisagent-ils à ce stade-ci la taxe sur le carbone ou le système de plafonnement et d’échange du Canada? Quelqu’un vous a-t-il déjà posé la question?
M. Le Fèvre : Non.
Le sénateur Wetston : Vous passez évidemment pas mal de temps aux États-Unis, de même que sur les routes nord-sud. Avez-vous des commentaires à ce sujet?
M. Gullo : Bien sûr. Nous utilisons un réseau ferroviaire nord-américain très concurrentiel. Nos deux chemins de fer canadiens de catégorie 1 ont des infrastructures et des activités aux États-Unis. Nous observons dans une certaine mesure la façon dont la tarification du carbone est traitée ici et là-bas. Nous avons une tarification du carbone à l’échelle provinciale, et maintenant au fédéral. Nous avons également d’autres instruments comme une norme sur les carburants propres qui entre en jeu.
Pour l’instant, il n’y a pas vraiment de structure correspondante aux États-Unis. Quelques États appliquent un prix au carbone, comme la Californie. Dans l’ensemble, les autres n’imposent pas encore de tarification. De plus, il n’y a pas de norme fédérale sur les carburants propres. Du point de vue des chemins de fer canadiens, on pourrait dire que ceux-ci sont désavantagés lorsqu’ils font concurrence à leurs homologues américains, en raison du coût de cette tarification.
Le sénateur Wetston : Madame la présidente, j’aimerais poursuivre cette réflexion. Je veux parler ici du désavantage concurrentiel des chemins de fer canadiens. Avez-vous une idée de l’ampleur de ce désavantage? Nous savons ce qui se passe aux États-Unis. Certains États envisagent possiblement la taxe sur le carbone et le système de plafonnement et d’échange, mais certainement pas le gouvernement fédéral à ce stade-ci. La Californie a un mécanisme de plafonnement et d’échange. Je vais simplement présumer que les deux provinces où vous avez le plus de trafic sont l’Ontario et le Québec, en raison de leur taille, et elles ont toutes les deux un système de plafonnement et d’échange.
J’essaie juste d’avoir une idée des répercussions de la situation, d’après vous. Si vous ne pouvez pas donner plus de précisions, je comprendrai. Je pense que c’est important, d’autant plus que nous sommes au milieu des négociations de l’ALENA et que nous n’avons pas réglé ce problème.
M. Gullo : Ce sont tous des arguments très raisonnables. Je ne peux parler que sur le plan qualitatif. En plus du 1,6 milliard de dollars que nous avons estimé, un coût que les chemins de fer canadiens devront évidemment payer, contrairement, en principe, aux chemins de fer américains, nous avons bel et bien des préoccupations en matière de compétitivité. Nous nous demandons si nous arriverons à fournir un service efficace et abordable à nos clients, un service qui demeure compétitif et nous permet d’améliorer nos conditions d’exportation sur certains marchés, que ce soit en Amérique du Nord ou à l’étranger. C’est la priorité. Bien sûr que la situation nous préoccupe vivement.
Le sénateur Wetston : Puis-je rapidement poser une troisième question?
La présidente : Oui.
Le sénateur Wetston : Je m’inquiète de ce que nous regardons au sujet des chemins de fer. Nous comprenons l’importance de ces chemins de fer, ainsi que leur apport au Canada et à son économie. Nous en avons beaucoup parlé aujourd’hui au Sénat, dans le cadre du projet de loi sur le transport.
À mon sens, le gouvernement fédéral a pris position — j’ignore si c’est valide sur le plan constitutionnel — et permet aux provinces de décider ce qu’elles veulent faire. La situation ne fait qu’ajouter un niveau de complexité aux propriétaires d’entreprises de partout au pays. Cela complique également les choses en raison de ce qui se passe aux États-Unis. La complexité coûte cher aux entreprises, selon moi. Vous en avez parlé un peu, mais peut-être n’avez-vous pas encore fait l’expérience de tout. En pareil cas, je présume que vous ne pouvez pas faire grand-chose, sauf être frustré. J’aimerais connaître le point de vue de VIA Rail plutôt que de l’association. Avez-vous une opinion à ce sujet? Vous êtes dans l’organisation.
M. Le Fèvre : Pour ce qui est de la route nord-sud, nous sommes uniquement au Canada.
Nous ne sommes pas vraiment touchés par les différences entre les deux pays.
Le sénateur Wetston : Veuillez m’excuser puisque je pense un peu au CN.
M. Le Fèvre : De notre point de vue, cela n’a pas beaucoup d’importance. Au Canada, nous vivons dans une fédération, ce qui vient avec des coûts et des avantages. C’est le contexte dans lequel nous évoluons. Ce n’est pas le seul domaine où nous devons composer avec des règlements différents. Nous devons simplement nous adapter à la nature de notre pays. Nous ne sommes pas sur le point de fusionner les compétences, et les choses sont ainsi.
La sénatrice Cordy : Merci beaucoup d’être ici. Je suis d’accord avec les observations précédentes voulant que le train ait vraiment été le tissu de notre nation, grâce auquel tout a commencé. Nous nous déplaçons en train depuis longtemps au Canada.
Je ne savais pas que le transport ferroviaire consomme généralement quatre fois moins de carburant. Ce serait selon moi une bonne devise publicitaire pour vous, car c’est vraiment important tandis que nous entrons dans l’ère de la réduction des gaz à effet de serre.
Je regarde les commentaires que vous avez envoyés aux représentants du gouvernement. Vous avez parlé des revenus. Nous savons que le gouvernement fédéral a dit qu’il ne tirerait aucun revenu de la taxe sur le carbone, et que tout reviendrait en fait aux provinces. Vous proposez que l’argent soit réinvesti dans les infrastructures et que le gouvernement propose alors des plans d’action aux provinces. J’ignore à quel point il est réaliste de penser que le gouvernement fédéral peut dire aux provinces ce qu’elles doivent faire.
Je comprends votre frustration — vous voulez juste savoir quelles sont les règles pour pouvoir les respecter. Vous ne voulez pas que des mesures soient mises en place, puis que quelques provinces décident de les modifier six mois plus tard. Je comprends votre frustration, mais, comme je l’ai dit, on peut difficilement demander aux provinces de divulguer leur intention avant l’adoption de la loi. Nous vivons dans un système complexe de gouvernements fédéral et provinciaux. J’ignore comment vous régleriez ce genre de situation. Ce sont d’excellentes idées. Du point de vue de votre entreprise, je comprends pourquoi il serait important de savoir ce que les provinces vont faire. Je sais que, aux yeux de votre entreprise, de l’industrie du camionnage et d’autres, utiliser cet argent pour l’infrastructure serait une mesure très positive que vous avez recommandée. Mais en réalité, je ne suis tout simplement pas convaincue que le gouvernement fédéral puisse dire aux provinces ce qu’elles doivent faire.
M. Gullo : Je peux répondre. Je pense que vous comprenez notre point de vue. Nous aurions aimé que le gouvernement fédéral fasse preuve d’une certaine initiative et soit sensibilisé, de façon à ce que toutes les options soient envisagées pour réinvestir les revenus de la tarification du carbone afin de promouvoir une société à faibles émissions de carbone.
Le libellé de notre politique est inclus en raison d’un précédent qui a déjà été établi au Québec, où un programme a été renouvelé à plusieurs reprises et a été entièrement souscrit. La province prend les revenus de son programme de plafonnement et d’échange, puis les investit essentiellement dans un programme de financement, qu’elle offre aux clients potentiels des chemins de fer pour qu’ils se connectent au réseau ferroviaire. La province parvient ainsi à réduire ses émissions de 11 à 14 $ la tonne. Le prix par tonne est concurrentiel. Quelque 30 millions de dollars ont été investis à ce jour, à notre connaissance, ce qui a entraîné des réductions de plus de 200 000 tonnes.
Le programme fonctionne, et les entreprises du Québec semblent l’aimer. Nous essayons d’en faire la promotion chaque fois que nous en avons l’occasion.
[Français]
Le sénateur Massicotte : J’aimerais obtenir un éclaircissement. Dans votre rapport annuel, on constate que, à la suite de l’augmentation du nombre de passagers, vos revenus ont tout de même augmenté d’environ 45 millions de dollars. Cependant, votre perte ou votre besoin en capital demeure presque inchangé à 353 millions de dollars. Comment expliquez-vous que l’augmentation du nombre de passagers et des revenus n’ait pas eu un impact plus important sur votre bénéfice net?
M. Le Fèvre : L’impact que cela a eu sur notre bénéfice net, c’est qu’on est maintenant en mesure de transporter beaucoup plus de passagers, sur une plus grande distance, au même coût pour le gouvernement.
La façon dont on peut réussir à augmenter les revenus dans le secteur du transport ferroviaire est en augmentant l’offre. On a réussi à augmenter l’offre, donc à offrir plus de sièges, à un coût moyen par siège plus faible, mais qui, au total, donne un chiffre absolu où la perte totale est à peu près la même.
Le sénateur Massicotte : Cela laisse croire que les revenus additionnels sont équivalents aux coûts marginaux de production pour le kilométrage additionnel, parce que le résultat est effectivement égal.
M. Le Fèvre : Oui, ça arrive effectivement égal, sauf que le pourcentage de kilométrage est plus élevé.
Le sénateur Massicotte : Mais le coût de ce kilométrage additionnel est équivalent au revenu additionnel, c’est donc équivalent aux coûts marginaux.
M. Le Fèvre : Seulement si on les prend dans l’ensemble. Si on prenait le coût marginal par kilomètre/passager, on obtiendrait un montant plus bas, que je n’ai pas en tête en ce moment.
M. Fauteux me souligne qu’on est passé de 37 par passager/mille en 2013 à 28 aujourd’hui. On a donc offert au gouvernement du Canada plus de mobilité à un prix plus bas. Donc, même s’il est vrai que le montant total est resté à peu près le même, on a plus de mobilité à un prix plus bas.
Même si on avait un TGF, le problème est qu’on demeurerait dans un environnement très coûteux pour nous. Par exemple, les coûts qui ont beaucoup augmenté pour nous sont les coûts liés au fait que notre performance quant à la ponctualité est très négative, ce qui fait que nous devons payer des heures supplémentaires à nos employés. Cette année, les coûts liés aux heures supplémentaires, en particulier sur le train Vancouver-Toronto, seront très élevés.
Il y a plusieurs problèmes comme celui-là qui seront réglés lorsque nous aurons un TGF, puisque les trains seront à l’heure. Donc, le TGF améliorera l’efficacité et on ne connaîtra plus autant de retard. Le ratio va s’améliorer énormément, et c’est ainsi qu’on réussira à diminuer la part qu’on s’attend à recevoir du gouvernement et potentiellement à atteindre un chiffre positif.
Le sénateur Massicotte : Votre président a témoigné devant le comité il y a un an ou un an et demi. Il s’attendait à avoir besoin d’un capital important, et que le secteur privé ait effectivement un rôle important à jouer pour financer ce besoin. Où en est-on sur ce point?
M. Le Fèvre : Premièrement, c’est le gouvernement qui prendra la décision liée au financement. Le gouvernement a plusieurs choix : il peut décider de nous faire un chèque pour que nous prenions en main le projet; il peut décider de travailler sur une base de PPP et nous demander d’aller chercher des partenaires privés pour faire les voies uniquement; il pourrait nous demander d’obtenir du financement à investir dans les opérations de la compagnie. Par exemple, s’il s’agit d’un PPP, d’après les dernières règles, ce serait Infrastructure Canada qui s’impliquerait. Si c’est un investissement dans la société, cela solliciterait plutôt la participation de la Banque de l’infrastructure.
Le sénateur Massicotte : Selon vos chiffres, combien de capital en pourcentage de capital nécessaire est-il possible d’aller chercher?
M. Le Fèvre : Je fais toujours attention quand je parle de ces chiffres, mais ce serait une part substantielle du capital nécessaire.
Le sénateur Massicotte : Par exemple, 80 p. 100?
M. Le Fèvre : Non.
Le sénateur Massicotte : Donc, 60 p. 100?
M. Le Fèvre : Tout dépend de ce qu’on décide de mettre dans le projet, si on le finance de concert avec le secteur privé. Si on met juste les voies à fréquence élevée, cela pourrait se financer à presque 100 p. 100 avec du capital privé. Plus on prévoit de lignes de service public, plus cela devient difficile, et c’est là où le gouvernement doit investir plus d’argent, mais le choix revient au gouvernement.
Le projet de TGF comme tel génère assez de revenus et de profits pour se financer lui-même. C’est ce qui avait attiré l’attention des fonds de pension au moment de la première tournée de financement il y a trois ans. Mais à partir du moment où on décide d’inclure tout le réseau, la définition de ce qu’on met... Parce qu’il y a toujours une ligne entre les services donnés qui peuvent être payés au moyen des recettes tarifaires et les services qui existent parce qu’ils sont des services publics. Finalement, ce qu’on demande au secteur privé, c’est de financer ce qui est payable à l’aide des recettes tarifaires.
Le sénateur Massicotte : À part le capital initial pour la construction, le besoin annuel change-t-il de façon importante si on va de l’avant avec ce projet?
La présidente : Je vous demanderais une réponse très courte, parce que nous avons dépassé notre limite de temps.
M. Le Fèvre : Oui, ça devient très positif. Potentiellement, si on utilisait des fonds privés, le gouvernement n’aurait plus besoin d’accorder de fonds publics à VIA Rail Canada.
Le sénateur Massicotte : N’oubliez pas que les délibérations du comité sont enregistrées.
M. Le Fèvre : Je le sais, mais comme il y a quatre ans que je le dis au gouvernement, je suis déjà mal pris.
La présidente : Je vous remercie beaucoup. Je suis désolée, mais nous avons dépassé le temps qui nous était imparti.
[Traduction]
Nous sommes prêts à accueillir notre deuxième groupe de témoins. Je vous remercie infiniment d’être venu pour discuter avec nous de ce sujet fort intéressant.
Bienvenue à la deuxième partie du Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles. Nous poursuivons notre étude de la partie 5 du projet de loi C-74.
Nous accueillons maintenant Jonathan Blackham, directeur des Politiques et affaires publiques de l’Alliance canadienne du camionnage. Nous recevons aussi les représentants du Conseil national des lignes aériennes du Canada : Massimo Bergamini, président et chef de la direction, ainsi que Geoffrey Tauvette, coprésident du Comité de l’environnement et directeur, Carburant et environnement, chez WestJet.
Jonathan Blackham, directeur, Politiques et affaires publiques, Alliance canadienne du camionnage : Bonsoir, sénateurs. Comme il a été mentionné, je m’appelle Jonathan Blackham et je suis le directeur des politiques et affaires publiques de l’Alliance canadienne du camionnage, ou ACC. L’ACC est une fédération des associations de camionnage provinciales du pays. Nous représentons plus de 4 500 entreprises d’un océan à l’autre.
Je suis heureux de revenir devant votre comité. J’ai déjà témoigné dans le cadre de votre étude sur la transition vers une économie à faibles émissions de carbone. Je suis heureux d’être de nouveau ici pour parler de la tarification du carbone, un enjeu important pour notre industrie.
Le camionnage est un secteur à revenu élevé et à faible marge où la différence entre les profits et les pertes peut parfois se mesurer à quelques dollars près. C’est surtout attribuable à la nature hautement compétitive de notre industrie, une concurrence qui profite surtout aux consommateurs canadiens.
Le carburant est une composante majeure de l’équation pour chaque entreprise de camionnage. Avec la main-d’œuvre, c’est le coût le plus important de la plupart des entreprises de camionnage. L’industrie canadienne du camionnage rivalise également à l’échelle internationale, le commerce nord-sud étant essentiel à notre pays et à notre industrie aussi. La concurrence avec de grandes flottes américaines qui bénéficient naturellement d’économies d’échelle est la réalité quotidienne de notre industrie. Inutile de dire que chaque dollar et chaque cent compte.
Même si nous convenons en principe que la tarification est un moyen efficace de favoriser le changement, nous sommes également limités dans les options qui s’offrent à nous dans l’industrie du camionnage pour réaliser des changements, surtout des changements radicaux.
La recherche et le développement sur de nouvelles technologies demeurent un objectif important de nombreux fabricants d’équipements d’origine, ou FEO. Toutefois, il manque encore un moteur de rechange facilement accessible et entièrement viable, tel qu’une source d’alimentation électrique pouvant être déployée à grande échelle dans le secteur des camions lourds, en particulier pour le service long-courrier.
À ce sujet, l’industrie du camionnage elle-même n’est pas une entité monolithique. Il y a des entreprises de courtes et de longues distances, et ces dernières consommant la plus grande partie du carburant.
Même si les technologies à faible émission de carbone, comme les moteurs électriques, présentent un peu moins de problèmes opérationnels sur les plans de l’infrastructure et de la chaîne d’approvisionnement pour les sociétés de transport à courtes distances, il subsiste d’importants obstacles à leur mise en œuvre pour le service long-courrier. Cela signifie que le moteur diesel demeurera la bête de somme de l’industrie du camionnage dans un avenir rapproché. Nous avons vu certains systèmes de tarification du carbone retourner les revenus à l’industrie pour favoriser l’investissement dans diverses technologies, dans le cadre de stratégies provinciales de tarification du carbone, comme des dispositifs aérodynamiques pour réduire la consommation de carburant et, dans certains cas, une aide pour des technologies telles que des camions électriques, lorsqu’ils sont disponibles, et au gaz naturel.
Cela demeure à nos yeux une composante essentielle de tout système de tarification du carbone. Je sais que nous discutons à l’échelle fédérale et que ce sont des mécanismes provinciaux, mais cela revêt selon nous une importance capitale dans le cadre de cette conversation. Nous croyons que les revenus tirés, obtenus ou générés grâce à notre industrie doivent être réinvestis dans l’industrie sous forme de programmes pertinents, qui obtiennent l’aval du milieu local et qui, nous l’espérons, sont conçus avec la collaboration de l’association provinciale locale.
Nous croyons qu’il y a une limite au prix qui peut être imposé, et aux gains qui peuvent être réalisés à partir de cette tarification — du moins tant que nous n’avons pas de solution de rechange totalement viable.
Si nous mettons de côté la tarification du carbone pour un instant, les transporteurs ont tout de même fortement intérêt à être aussi efficaces que possible. Quant au gouvernement, il réglemente déjà les types d’équipements que nous pouvons acheter, du point de vue des gaz à effet de serre, dans le cadre des première et deuxième phases de la réglementation sur les GES.
Parallèlement, nous avons également des concurrents américains qui, encore une fois, jouissent de certains avantages, et qui sont peu susceptibles, à notre avis du moins, de subir des pressions semblables liées aux coûts sous l’administration fédérale actuelle.
Le fait est que, aux prix actuels, l’industrie se tire d’affaire dans les régions qui ont actuellement des systèmes en place — nous parlons de 10 à 20 $ la tonne. Si nous nous rapprochons de 50 $ la tonne, nous craignons les répercussions que cela pourrait avoir sur notre industrie, qui est encore le principal mode de transport de marchandises au pays, et dont la valeur acheminée est supérieure à l’avion, au train et au bateau combinés.
Dans notre mémoire initial, nous avons dit croire qu’une analyse économique doive être effectuée dans le cadre du processus, surtout lorsque le prix augmente, et nous maintenons que c’est important. Je sais que votre comité cherche à déterminer quelles seront les répercussions. Pour mettre les choses en perspective, à 50 $ la tonne, ce qui représente 13 à 14 cents le litre de diesel, nous estimons que la hausse représenterait chaque année environ 10 000 $ de plus par camion. Par exemple, pour un transporteur qui compte 100 camions et qui travaille principalement au Canada, la hausse se chiffrerait approximativement à 1 million de dollars.
C’est hypothétique. J’ai rencontré une de nos sociétés membres pour comprendre ce que cela signifierait pour elle. C’est une entreprise détenue et exploitée par des Canadiens. Si vous connaissez l’industrie du camionnage, vous saurez de qui il s’agit. L’entreprise est en voie de consommer 19 millions de litres de diesel cette année, ce qui, à 14 cents le litre, équivaudrait à environ 2,66 millions de dollars de coûts supplémentaires pour cette entreprise.
À l’heure actuelle, nous sommes également touchés par une pénurie aiguë de conducteurs, un déficit qui devrait avoisiner les 34 000 conducteurs d’ici 2024. Au sein de notre secteur, nous assistons donc à une hausse rapide des coûts de main-d’œuvre. Si les deux principales composantes de coût dans l’équation d’une entreprise augmentent, il est réaliste de s’attendre à ce que le coût du transport grimpe aussi, du moins dans notre secteur.
Je pense que je vais m’arrêter ici, et je serai heureux de répondre aux questions plus tard.
Massimo Bergamini, président et chef de la direction, Conseil national des lignes aériennes du Canada : Bonsoir, madame la présidente, mesdames et messieurs les membres du comité.
[Français]
Je m’appelle Massimo Bergamini. Je suis président-directeur général du Conseil national des lignes aériennes du Canada. Je suis accompagné de M. Geoffrey Tauvette, directeur, Carburant et environnement, de la compagnie WestJet. Il est aussi coprésident du comité sur l’environnement du Conseil national des lignes aériennes du Canada.
Je tiens à vous remercier de nous avoir donné l’occasion de témoigner devant vous aujourd’hui pour vous présenter notre perspective sur ce projet de loi, particulièrement en ce qui concerne la nécessité de mettre en place une politique cohérente en matière de tarification des émissions de carbone.
Le Conseil national des lignes aériennes du Canada a été créé en 2008 par les quatre principales lignes aériennes du Canada, soit Air Canada, Air Transat, WestJet et Jazz.
[Traduction]
Nos membres transportent plus de 92 p. 100 de la circulation aérienne intérieure du Canada, et 65 p. 100 de sa circulation internationale. Ils emploient directement plus de 50 000 Canadiens et maintiennent plus de 400 000 emplois supplémentaires dans des secteurs connexes, tels que l’aérospatiale et le tourisme.
Ce sont des chiffres importants qui reflètent le rôle d’une industrie de l’aviation forte et concurrentielle dans la prospérité économique du Canada.
Dans le Canada d’aujourd’hui, l’aviation commerciale est devenue le seul moyen pratique pour des millions de personnes de voyager en famille ou pour le travail, ou de simplement explorer notre pays. Il ne fait aucun doute que l’ère de l’élite du jet-set est révolue depuis longtemps. Le transport aérien fait désormais partie du quotidien des Canadiens. C’est la pierre angulaire d’une société ouverte, diversifiée et géographiquement dispersée.
L’examen de la Loi sur les transports au Canada de 2016, aussi connu sous le nom de rapport Emerson, l’a souligné dans son chapitre détaillé sur l’aviation. Il a aussi mentionné que la hausse des frais et des droits risquait de miner la compétitivité de notre industrie, en particulier face aux transporteurs américains en opération dans les marchés contigus. Bref, notre système actuel ne reconnaît pas que les transports aériens servent tant les voyageurs aériens individuels que les intérêts socioéconomiques généraux du pays.
Notre organisme n’a cessé de répéter que, à titre de mesure fondée sur le marché, la taxe sur le carbone ne convient pas à l’aviation commerciale en général et dans le contexte canadien en particulier.
Nous croyons qu’elle exacerberait les fuites commerciales et les émissions tout en ne contribuant pas de façon importante à la réduction des émissions. Le fait d’ajouter des coûts supplémentaires sous forme de taxe sur le carbone à ce que le ministre Garneau a qualifié de longue liste de frais et de taxes déjà en place étoufferait notre compétitivité sur le plan mondial et pénaliserait les personnes auxquelles les transports aériens sont censés offrir des services.
Compte tenu des données démographiques relatives aux déplacements aériens aujourd’hui, et du fait qu’elle ne peut pas à elle seule inciter les avancées technologiques, qualifions la taxe sur le carbone de ce qu’elle serait dans ce contexte : une autre taxe imposée à la classe moyenne.
Je serai bien clair : l’industrie canadienne de l’aviation commerciale a investi, et continue d’investir, des milliards de dollars dans sa flotte et d’autres améliorations visant à réduire la consommation de carburant. Nos sociétés aériennes membres sont en voie d’investir quelque 47 milliards de dollars dans la modernisation de la flotte d’ici à 2027, investissements qui ont commencé en 2012 et qui aident à expliquer notre rendement, soit une amélioration moyenne de 1,8 p. 100 par année. C’est en fait de réductions d’émissions. Le rapport sur le plan d’action 2016 du Canada montre une amélioration de 3,2 p. 100 année après année.
Nous croyons qu’un système de tarification du carbone fondé sur la production comme le Programme de compensation et de réduction de carbone pour l’aviation internationale de 2016, le CORSIA, ou le cadre prévu pour les grands émetteurs dans le projet de loi à l’étude, est beaucoup mieux adapté aux réalités nationales et internationales auxquelles font face les transporteurs aériens commerciaux du Canada.
Pour être plus précis, nous relevons trois problèmes principaux dans le cadre stratégique que ce projet de loi vise à opérationnaliser. Premièrement, il ne reflète pas les obligations et les engagements internationaux du Canada au titre de l’accord du CORSIA, notamment en ce qui touche l’élaboration de programmes et de stratégies auxiliaires, comme les stratégies visant à rehausser la commercialisation du biocarburant d’aviation pour contribuer à réduire davantage les émissions de carbone provenant de l’aviation. Deuxièmement, bien qu’il reconnaisse l’incidence négative de la taxe sur le carbone sur la compétitivité et les activités commerciales globales de certains secteurs, il ne tient pas compte de ses répercussions sur celui de l’aviation commerciale au Canada. Pour des raisons de géographie et de structure de coûts externes — notamment des taxes et des frais élevés ainsi que la sensibilité au prix de la demande — elle est aussi tributaire du commerce. Troisièmement, en plus de causer des fuites d’émissions, une taxe sur le carbone ne ferait rien pour restreindre les émissions à moyen terme.
Le secteur de l’aviation commerciale est mature sur le plan technologique, fruit de décennies d’investissements massifs dans la technologie et les systèmes opérationnels. À moyen terme, cela signifie qu’il ne sera pas possible d’inciter les avancées technologiques, exception faite, probablement, du biocarburant d’aviation — et nous en parlerons. À moins que les niveaux de charge des transporteurs aériens diminuent au point que les liaisons aériennes individuelles ne soient plus praticables — autrement dit, à moins que cela donne lieu à des interruptions de service — une taxe sur le carbone n’aurait aucune incidence réelle sur les niveaux d’émissions globaux.
Nous recommandons donc au comité de modifier la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre pour élargir à d’autres secteurs de l’industrie de l’aviation commerciale au Canada l’option d’adhésion fondée sur la production.
Nous avons distribué un mémoire plus détaillé qui devrait vous avoir été remis. Nous sommes prêts à répondre à vos questions. Merci beaucoup.
Le sénateur Neufeld : Merci, messieurs, d’être venus. Monsieur Blackham, vous avez dit que 50 $ la tonne équivaut à 14 cents le litre — soit 10 000 $ par année par camion. Ce que j’aimerais savoir c’est à quoi cela équivaut dans une cargaison. Alors que vous transportez votre charge habituelle et traversez le Canada, quelle est la hausse des frais de transport pour les personnes qui expédient des choses dans vos camions?
M. Blackham : C’est difficile à dire. Je pourrais essayer de faire les calculs pour vous et je serais heureux d’essayer de vous donner un chiffre. Je pense que cela dépend de bien des choses — le taux pour la charge ou la mesure dans laquelle cette charge a fait l’objet de concurrence.
Le sénateur Neufeld : Prenez une charge moyenne, quelque chose qui nous donne une idée de ce à quoi cela ressemble — parce que vous allez accroître les coûts. Le coût du carburant augmentera de 10 000 $ par année pour quelqu’un qui a 10 camions, non?
M. Blackham : Cent camions.
Le sénateur Neufeld : Cent camions. De toute évidence, vous allez devoir facturer quelqu’un. Quelqu’un va devoir payer la note. J’ai toujours dit que ce serait Fred et Martha — les gens en bas de la pyramide.
C’est eux qui finissent vraiment par payer toutes les factures quand vous instaurez une nouvelle taxe. Pourriez-vous trouver le montant moyen pour nous et le remettre à la greffière?
M. Blackham : Au bout du compte, ce serait le client du transporteur qui transférerait vraisemblablement les coûts au consommateur.
Le sénateur Neufeld : Oui, nous aimerions le connaître. Merci.
Je ne connais pas les montants que l’industrie de l’aviation commerciale paie maintenant. Prenons, par exemple, la Colombie-Britannique. Vous achetez du carburant à l’aéroport de Vancouver à 35 $ la tonne à l’heure actuelle. À combien cela revient-il le litre pour un avion de WestJet? Avez-vous besoin de payer la pleine charge ou seulement une partie? La payez-vous dans différentes administrations que vous survolez? Expliquez-nous un peu comment WestJet procède pour payer les 35 $ la tonne appliqués en Colombie-Britannique.
Geoffrey Tauvette, coprésident, Comité de l’environnement et directeur, Carburant et environnement, WestJet, Conseil national des lignes aériennes du Canada : La Colombie-Britannique est un exemple de programme intragouvernemental. La taxe sur le carbone est imposée sur les émissions que nous générons pour desservir des villes de la province, comme Vancouver, Prince George et Vancouver-Victoria. Elle ne s’applique qu’au volume de carburant que nous y consommons. À 35 $, je pense que pour chaque tranche de 10 $, il en coûte 2,5 cents, alors nous nous situons dans les 8 ou 9 cents le litre. Nous payons en fonction du volume que nous utilisons dans la province, ce qui, je pense, équivaut à un montant entre 2,5 millions de dollars et 3 millions de dollars par année. L’autre province dotée d’un système semblable est l’Alberta. Ils ont une taxe sur le carbone qui s’applique de façon semblable aux émissions que nous générons dans la province. Vous pouvez voir en quoi cela devient problématique si chaque administration commence à instaurer son propre système, et nous devons respecter les règles de 10 provinces et 3 territoires, ainsi que celles du fédéral. Voilà pourquoi nous militons en faveur d’un système national cohérent.
Le sénateur Neufeld : Qu’arrive-t-il à vos concurrents qui viennent des États-Unis?
M. Tauvette : Une fois que le CORSIA sera en place en 2020, les vols des États-Unis vers le Canada seront visés par ce programme. Cependant, rien n’empêche quelqu’un, par exemple, de se rendre en voiture de l’autre côté de la frontière pour prendre un vol en direction de l’Asie ou des États du Sud.
Le sénateur Neufeld : Je comprends, mais Delta se rend à Vancouver. Paient-ils le même montant?
M. Tauvette : Ils ne paieraient pas, non. Le programme de la Colombie-Britannique ne vise que les émissions générées en vol entre des localités provinciales. Un vol en provenance de l’étranger ne paie pas la taxe sur le carbone de la Colombie-Britannique.
Le sénateur Neufeld : Si un de ses vols part de Vancouver et se rend à Ottawa, WestJet ne paie rien.
M. Tauvette : Au titre du programme de la Colombie-Britannique, c’est exact.
Le sénateur Neufeld : D’accord. C’est intéressant. Chaque transporteur aérien est traité de la même façon, que ce soit Air Canada ou WestJet.
M. Tauvette : À l’intérieur de la province, oui.
Le sénateur Neufeld : Ils ne paient pas la taxe sur le carbone s’ils traversent le Canada, mais s’ils se déplacent dans la province, ils doivent en payer une certaine partie. La paient-ils en entier? Paient-ils le plein prix, quel que soit le taux pour 35 $ la tonne?
M. Tauvette : À ma connaissance, oui.
Le sénateur Neufeld : Si vous me le permettez, j’aurais une autre question pour M. Blackham. Si vous faites du transport par camion au Canada, vous devez évidemment payer les différents taux des provinces et des territoires. Vous avez dit qu’il y a d’autres critères auxquels vous devez vous conformer lorsque vous réduisez votre consommation de carburant.
M. Blackham : Oui.
Le sénateur Neufeld : Si un camion américain de Washington traverse la Colombie-Britannique ou l’Alberta pour se rendre en Alaska, est-il autorisé à transporter ce qu’il veut ou doit-il se conformer à l’ensemble de la réglementation et payer la même taxe sur le carbone qu’un camion canadien?
M. Blackham : Je parlais des phases une et deux des normes de réduction des GES. L’Environmental Protection Agency des États-Unis, l’EPA, a des normes semblables. En fait, une bonne partie de la réglementation canadienne est fondée sur celle de l’EPA. De ce point de vue, elle est très semblable.
Dans l’industrie du transport par camion, la circulation transfrontalière est très fluide. Il existe bien des accords de réciprocité entre le Canada et les États-Unis pour permettre la circulation de l’équipement de part et d’autre de la frontière.
Vous avez soulevé un point intéressant. À titre d’exemple, nous avons été ravis qu’on mentionne que les transporteurs américains seraient tenus de s’enregistrer et de payer le carburant consommé dans une administration visée par le filet de sécurité. Nous attendons toujours de voir à quoi cette règle ressemblera et comment elle sera appliquée. Il y a d’autres situations dans notre industrie dans lesquelles les Américains ne respecteront peut-être pas les règles comme nous aimerions qu’ils le fassent. Il est clair que nous nous sommes réjouis de voir cette nouvelle règle.
Si on n’en tenait pas compte, cela nous poserait vraiment problème.
Le sénateur Neufeld : Merci.
La présidente : C’est une question positive qui compte beaucoup pour vous. Elle minimisera la concurrence des États-Unis parce que je ne pense pas qu’ils voudront payer ici.
M. Blackham : Si nous payons cette taxe, nous voulons qu’ils en fassent autant, oui.
La présidente : D’accord.
Le sénateur Neufeld : S’ils ne la paient pas, cela ne leur pose pas problème.
Le sénateur Massicotte : Monsieur Blackham, comme le sénateur Neufeld, j’essaie de comprendre la quantité. Autrement dit, dans quelle mesure est-elle importante? Disons que votre entreprise compte 100 camions ou 10 camions. Si vous prenez les revenus totaux, combien coûte le pourcentage de ce CO2? Je présume que c’est 10 $ ou 50 $ la tonne, ou quelque chose du genre. Quel est le coût supplémentaire relatif à l’entreprise? S’agit-il d’une hausse de 1 p. 100 du coût total? Est-ce la moitié de 1 p. 100? Avez-vous une idée de son importance?
M. Blackham : Non, mais ce serait une hausse considérable si une entreprise de 100 camions devait soudainement assumer 1 million de dollars de coûts supplémentaires. Elle serait considérable.
Le sénateur Massicotte : Vous dites qu’il y aurait des coûts de 1 million de dollars alors que maintenant, il n’y en a aucun.
M. Blackham : Si le prix du carburant augmentait de 14 cents, les coûts supplémentaires que le transporteur devrait assumer seraient d’environ 1 million de dollars.
Le sénateur Massicotte : Quels sont les revenus totaux escomptés?
M. Blackham : Je ne sais pas. Je ne peux pas vous répondre. Je peux demander aux entreprises. Oui, absolument.
[Français]
Le sénateur Massicotte : Monsieur Bergamini, si je comprends bien vos arguments, il est évident que vous savez que tous ceux qui viennent ici nous disent que cela ne s’applique pas à eux, qu’ils ont atteint une maturité, qu’il n’y a pas d’innovation disponible et qu’ils cherchent à obtenir une exemption.
Dans votre cas, vous dites davantage, vous dites que vous devriez avoir l’occasion de participer. Vous avez utilisé un terme technique. Est-ce que c’est comme les grosses boîtes industrielles?
M. Bergamini : Le cadre réglementaire élaboré par le gouvernement du Canada reconnaît d’emblée qu’une taxe sur le carbone risque d’avoir des conséquences sur la compétitivité de certaines entreprises. D’ailleurs, c’est exactement le même calcul, la même analyse, le même constat auxquels est arrivée l’Organisation de l’aviation civile internationale, il y a quelques années. C’est pour cette raison que, à l’échelle internationale, l’organisation et les nations membres, y compris le Canada — lequel, d’ailleurs, a été l’un des chefs de file pour appuyer cette démarche — ont adopté un système « output based » fondé sur les crédits de carbone.
Nous sommes d’avis que, en raison justement de la maturité technologique de notre industrie, si nous cherchons à arriver à des résultats concrets au chapitre des émissions de carbone, nous devons reconnaître qu’une taxe sur le carbone à court terme ne va tout simplement pas être suffisante pour arriver à cela. Donc, il faut trouver d’autres mécanismes qui permettent d’arriver à des retombées environnementales positives. C’est pourquoi l’approche des crédits de carbone a beaucoup de sens.
Le sénateur Massicotte : La raison d’être proposée par le ministère pour le système auquel vous faites référence, c’est dans les cas où il y a une concurrence déloyale, où votre compétiteur ne paie pas la taxe sur le carbone. J’essaie de comprendre où est la compétition déloyale dans votre cas. Il se peut que le passager potentiel prenne la voiture ou l’avion vers les États-Unis. Est-ce le seul cas important où vous avez cette compétition avec un concurrent qui a un coût de base moins élevé que le vôtre?
M. Bergamini : C’est pour cela que j’ai mentionné le rapport Emerson qui fait le point sur cette question.
Le sénateur Massicotte : Est-ce le seul cas? Disons que vous allez en Floride, vous déposez vos passagers canadiens, vous ramenez des passagers, mais là...
M. Bergamini : C’est un phénomène que notre industrie vit depuis plusieurs années. Il y a eu des fluctuations causées par la valeur du dollar qui, effectivement, a un effet à ce chapitre, mais il y a une analyse qui a été faite en 2012 qui a estimé à près de 5 millions le nombre de passagers qui utilisent les services de compagnies aériennes aux États-Unis. C’est énorme comme impact.
Le sénateur Massicotte : C’est seulement ceux qui prennent la voiture pour les départs vers les États-Unis.
M. Bergamini : Voilà.
Le sénateur Massicotte : Parce que, pour le reste, vous bénéficiez du coût du carburant, qui est moins coûteux si vous le prenez aux États-Unis. Ça s’équilibre.
M. Bergamini : Là où le bât blesse, c’est au niveau des coûts de fonctionnement et du coût qui sera ajouté au billet. Pour vous donner un exemple, dans le cas du billet de prix de base ou économique, 60 p. 100 du coût est composé de taxes et de différents tarifs. Alors, nous payons déjà des taxes sur l’essence, et maintenant, on propose d’ajouter une autre taxe. À un moment donné, dans un contexte où le consommateur est très influencé par le prix du billet, nous allons perdre des voyageurs au profit de compagnies aériennes qui offrent un prix plus bas.
Le sénateur Massicotte : Il y a toujours la possibilité que ce passager prenne l’avion aux États-Unis.
M. Bergamini : Ça va contribuer à exacerber une situation de fait.
Le sénateur Massicotte : Je comprends, merci.
[Traduction]
Le sénateur Wetston : Je pense que le sénateur Massicotte a couvert un certain nombre de secteurs que je voulais aborder, ce qui est bien et utile.
Je ne comprends toujours pas entièrement ce qui justifie votre désir d’avoir une option fondée sur la production. L’industrie du transport par camion veut-elle aussi avoir cette option ou y êtes-vous admissible? Ou l’avez-vous déjà?
M. Blackham : Voulez-vous savoir comment nous la payons?
Le sénateur Wetston : Non, je parle vraiment de la notion d’élargir… vous souhaitez avoir l’option d’adhésion fondée sur la production de l’industrie de l’aviation commerciale au Canada. Qu’en est-il de l’industrie du transport par camion?
M. Blackham : Je n’en ai pas discuté avec nos membres.
Le sénateur Wetston : Que pensez-vous? Pensez-vous que l’industrie du transport par camion… Je plaisante.
Existe-t-il une compétition intermodale entre votre industrie et celle du transport aérien aujourd’hui?
M. Blackham : Pas vraiment. Nous travaillons surtout ensemble.
Le sénateur Wetston : Pour vous aider en cours de route, je me rends compte que vous seriez potentiellement en compétition avec FedEx et UPS et les autres transporteurs du monde entier, mais pas nécessairement avec les transporteurs aériens? Vous ne faites aucun transport commercial ou tout se rapporte simplement au transport des passagers?
M. Bergamini : Il y a le transport des marchandises.
Le sénateur Wetston : Voilà où je veux en venir. Vous seriez en concurrence l’un avec l’autre à cet égard, n’est-ce pas?
M. Blackham : Pour nos sociétés membres, nous le serions — j’ignore si ces marchandises seraient placées dans un camion, honnêtement. Je pense qu’il s’agit surtout de marchandises qui doivent être transportées rapidement sur de longues distances. Je pense que vous trouveriez une situation où un camion déposerait la marchandise à une extrémité et la reprendrait à l’autre.
Le sénateur Wetston : Je m’interroge. Monsieur Blackham, je pense que vous avez parlé un peu des 8 cents — la différence était de 13 ou de 14 cents pour l’industrie du transport par camion et de 8 cents pour l’industrie du transport aérien.
M. Tauvette : Il s’agissait de 8 cents à 35 $. Je pense que c’est à peu près la même chose pour le diesel et le biocarburant d’aviation.
Le sénateur Wetston : C’est comparable?
M. Tauvette : Oui.
Le sénateur Wetston : Il n’y a pas de désavantage entre les industries. Avez-vous eu votre mot à dire en ce qui concerne le montant de 50 $? Vous a-t-on consulté à ce sujet?
M. Blackham : L’ACC ne l’a pas été, non.
Le sénateur Wetston : Et vous?
M. Tauvette : Non.
Le sénateur Wetston : Avez-vous une idée de la façon dont ils en sont arrivés à ce chiffre?
M. Bergamini : Non.
Le sénateur Wetston : Avez-vous une idée de la façon dont ils en sont arrivés aux chiffres futurs?
M. Bergamini : C’est un des problèmes, n’est-ce pas? À l’heure actuelle, nous faisons face à 2022 et après, cela s’arrête sec. Il y a beaucoup d’incertitude. Dans ce contexte, il est donc très difficile de planifier pour l’avenir, y compris pour les transporteurs aériens et les aéroports, en raison des incidences que nous avons mentionnées. C’est problématique.
Je sais que nous avons demandé à maintes reprises au ministère des Finances et au ministère des Transports de nous transmettre l’analyse économétrique qu’ils pourraient avoir menée, mais nous ne l’avons jamais vue.
Le sénateur Patterson : Merci pour vos présentations. J’aimerais m’attarder à la recommandation du Conseil national des lignes aériennes concernant les avantages d’un système de tarification du carbone fondé sur la production.
Je pense que ce que vous dites, au fond, c’est que vous êtes déjà très efficaces et que vous avez déjà tout fait ce que vous pouviez. La tarification du carbone n’accroîtra pas davantage l’efficacité de l’industrie de l’aviation commerciale. En conséquence, cela n’aura pour effet que de hausser les coûts que vous ou les consommateurs devrez payer.
Cela me rappelle ma situation au Nunavut où nous n’avons aucune source d’énergie de remplacement. Nous allons tout simplement avoir à payer plus cher et à rager.
Vous suggérez qu’on adopte le système de tarification du carbone fondé sur la production. J’aimerais juste vous demander si vous pouviez expliquer comment cela fonctionnera pour votre industrie et quels en sont les avantages.
M. Tauvette : Merci d’avoir posé la question. Nous comparons la production. Le CORSIA adopté par notre Organisation de l’aviation civile internationale, qui est un organe de l’ONU, nous a permis d’être la première industrie au monde dotée d’un plan en matière de changements climatiques. Il visait, entre autres, à plafonner nos émissions au niveau de 2020 et à utiliser ensuite un système de compensation pour gérer toute émission au-delà de cette limite.
En gros, l’aviation internationale est en train d’élaborer une référence à compter de 2020, celle des émissions internationales totales, et ensuite pour toute croissance au-delà de ce point, nous utiliserons les crédits du carbone pour croître sur une base neutre en carbone, au fond.
Nous avons essayé de comparer ce système à ce que le Canada a mis en place, et le système fondé sur la production est vraiment l’outil qui ressemble le plus au CORSIA. Le CORSIA de l’OACI a passé plus de 10 ou 15 ans avec les 191 États dans le monde et l’industrie de l’aviation à élaborer ce programme dans lequel le Canada a grandement contribué à la recommandation. Il revient au conseil de l’OACI d’approuver tous les processus en juin de cette année.
Selon notre façon de voir les choses quant au fonctionnement du régime fondé sur le rendement, nous accepterions — et c’est similaire au système CORSIA — de plafonner nos émissions nationales et de collaborer ensuite avec le gouvernement pour élaborer un programme de gestion des émissions supplémentaires. Il pourrait s’agir, par exemple, de payer tout simplement une taxe sur le carbone, ce qui, je crois, est une option que comprend le régime fondé sur le rendement.
Nous savons qu’Environnement et Changement climatique Canada participe à des négociations sur la partie 6 de l’Accord de Paris et qu’il élabore ses idées quant aux compensations, que ce soit à l’échelle nationale ou internationale, qui pourraient être prises en compte également.
Le sénateur Patterson : Je crois comprendre que le régime fondé sur le rendement s’applique pour des industries au Canada au titre de cette loi. Elles figurent sur une liste et elles doivent émettre plus de 50 kilotonnes de CO2 par année; je suis sûr que vous répondez facilement à ce critère.
Recommandez-vous que nous ajoutions simplement l’industrie du transport aérien à la liste incluse dans le projet de loi?
M. Bergamini : Nous avons examiné le projet de loi. Il faudra que d’autres amendements y soient apportés. C’est assez complexe. Cela reflète vraiment le filet de sécurité, et en ce sens, ajouter notre industrie à la liste ne suffira pas.
Nous ferions certaines recommandations. Nous proposons que, dans le préambule, en plus des engagements que le Canada a pris en ratifiant l’Accord de Paris, on reconnaisse aussi ceux qu’il a pris concernant le CORSIA et l’OACI, par exemple, et que, en plus, on prévoie pour les transporteurs aériens le même traitement que pour les importants émetteurs industriels, point final. Il faudrait alors rédiger à nouveau le projet de loi et en retirer certaines parties qui portent sur les transporteurs aériens.
C’est le filet de sécurité. Le gouvernement met en œuvre une politique qui repose sur le principe que sur le plan de la tarification du carbone et de la réduction des émissions, les gouvernements provinciaux et territoriaux adopteront des approches qui sont compatibles.
Nous nous sommes tournés vers les gouvernements provinciaux. Nous avons eu des discussions avec eux, dont avec la Colombie-Britannique, qui est en quelque sorte le point zéro. Cela a été très positif, car ils reconnaissent que les transporteurs aériens sont dans une situation unique. Je peux vous dire qu’en Colombie-Britannique on est très conscient de la concurrence de la part des transporteurs et des aéroports américains à laquelle l’aéroport international de Vancouver fait face, même au moment où la région essaie de se positionner comme un point d’entrée. On est très sensible à cet aspect.
Nous croyons qu’il est possible d’aller de l’avant avec les gouvernements provinciaux et territoriaux à cet égard. Cependant, il n’est pas utile, tant sur le plan politique que du point de vue des politiques publiques, que le gouvernement fédéral présente un ensemble de politiques qui vont à l’encontre des obligations internationales du Canada et qui ne fonctionnent tout simplement pas.
Nous aimerions dire que nous pouvons collaborer avec les gouvernements provinciaux et que nous avons bon espoir que nous ferons des progrès avec eux. Nous aimerions que le gouvernement fédéral élimine les obstacles qu’il a lui-même créés en reconnaissant que le secteur de l’aviation au Canada est différent. Ce serait vraiment un dénouement heureux pour notre secteur et pour les Canadiens, à vrai dire.
La sénatrice Seidman : Je vous remercie beaucoup de vos exposés. Monsieur Blackham, l’an dernier, l’Alliance canadienne du camionnage a présenté un mémoire sur le document technique que le gouvernement a publié. Cela nous ramène à un sujet dont vous avez parlé précédemment.
L’industrie dit qu’on est en train d’établir un régime de tarification du carbone qui créera des iniquités entre les modes de transport de marchandises. J’imagine que vous dites que le transport ferroviaire, le camionnage, le transport maritime et le transport aérien — les différents modes de transports de marchandises — n’auront pas les mêmes avantages et inconvénients. Cela crée donc une iniquité.
M. Blackham : À l’époque, ces observations étaient en grande partie fondées sur nos hypothèses. Nous émettions des hypothèses en fonction de ce que nous lisions, je crois, et depuis, à la suite de discussions ultérieures, bon nombre de nos craintes ont été dissipées. Nous n’avons pas l’impression qu’on s’en prend à nous.
Je crois qu’en général il reste qu’au pays, le transport de marchandises est assuré par différents modes. Ils travaillent ensemble en grande partie. Ils rivalisent pour une quantité relativement petite de marchandises, mais ils se font concurrence. Il est essentiel que les modes soient traités de façon équitable.
La sénatrice Seidman : Pourriez-vous vous être plus précis? Qu’est-ce qui, selon vous, rendrait leur traitement plus équitable? Y a-t-il un élément en particulier?
M. Blackham : Non. Comme je l’ai dit, depuis ce temps, nous avons beaucoup parlé de nos préoccupations, si l’on veut. C’est seulement, en quelque sorte, une chose que nous croyons en général.
La sénatrice Seidman : Et de votre côté, monsieur Bergamini, avez-vous quelque chose à ajouter?
M. Bergamini : Concernant l’équité? Je sais que mon ami de VIA Rail a comparu ici plus tôt. C’est là une partie du problème. Vous savez que le transport aérien commercial de passagers est le seul mode de transport de passagers qui repose entièrement sur le principe de l’utilisateur payeur. Nous rivalisons avec le transport ferroviaire, et le gouvernement du Canada investira dans du nouveau matériel roulant pour VIA Rail, sans compter les subventions de fonctionnement.
Je ne veux pas trop insister là-dessus, mais c’est notre réalité. Elle doit être prise en considération lorsqu’un gouvernement présente une autre politique publique qui est fondée sur des aspects économiques et qui a un élément de coût, comme celle-ci.
Dans ce contexte, je n’examinerais pas la question de l’équité concernant la taxe sur le carbone, mais le traitement inéquitable réservé à l’industrie aérienne sur le plan des politiques publiques pose certainement problème et a des répercussions sur notre capacité de rivaliser avec les transporteurs américains; cela ne fait aucun doute.
La sénatrice Seidman : L’autre question que j’aimerais vous poser se fonde, encore une fois, sur le document qu’a présenté l’Alliance canadienne du camionnage. Vous dites que le document technique n’inclut pas de recommandations sur la façon dont les recettes tirées de la tarification du carbone seront réinvesties dans votre secteur pour réduire les émissions de carbone.
J’aimerais savoir ce que vous avez à dire à ce sujet, messieurs Blackham et Bergamini. Que devrait-on faire des recettes tirées de la taxe sur le carbone? Il y a eu beaucoup de discussions sur le sujet. En fait, certains prétendent que le gouvernement pourrait simplement envoyer un chèque aux Canadiens par souci d’équité en quelque sorte.
M. Blackham : Je vais répondre, si vous n’y voyez pas d’inconvénients. Dans ma déclaration préliminaire, j’ai dit qu’il est très important que l’industrie locale adhère à tout programme dans lequel les recettes seront réinvesties. Je crois que c’est essentiel. Je crois vraiment que l’industrie locale devrait pouvoir informer le gouvernement sur le type de programmes qu’elle veut.
Dans certaines provinces — et je pense ici à l’Ontario — nous avons vu qu’on investit de l’argent dans des aérodynamiseurs et des carburants de remplacement si cela intéresse les transporteurs. Il y a également le volet électrique, et ce serait principalement pour le retour à la base ou le secteur de la messagerie, vraiment, ou le gaz naturel, pour ceux qui le souhaitent. Le système fonctionne de façon à ce qu’une partie du prix d’achat de l’unité de puissance soit compensée.
Voilà le type de choses dont il est question quand nous disons qu’il faut réinvestir dans l’industrie, surtout pour la modernisation. Je pense qu’à cet égard, nous pouvons certainement contribuer à améliorer le plus possible la flotte actuelle tout en investissant dans la technologie de pointe.
M. Bergamini : Je vous remercie de la question. Nous avons dit à quel point le filet de sécurité et le projet de loi ne cadrent pas avec les obligations internationales du Canada liées au CORSIA.
L’un des aspects importants concernant l’accord sur le CORSIA et le cadre, c’est que les États signataires s’engagent à mettre en œuvre ce qu’on appelle, je crois, un train de mesures, des mesures qui ne sont pas axées sur le marché — autrement dit, des mesures incitatives, des programmes, et cetera — pour accroître les investissements dans des carburants de remplacement, des percées technologiques, des infrastructures de contrôle aérien, et cetera.
J’imagine que c’est probablement ce qui constitue le principal décalage sur le plan des politiques. Nous comprenons pourquoi. On a décidé de canaliser l’argent, mais le faire sans que le gouvernement du Canada donne une orientation sur l’allocation de ces sommes pose de sérieux problèmes. Nous l’avons vu par le passé avec la création de fonds en fiducie qui, comme vous le savez, parfois, étaient utilisés aux fins prévues au départ, parfois non.
Dans ce cas-ci, cela nous éloigne de nos obligations internationales. En raison de ce que nous avons dit, parce que notre secteur est mature sur le plan technologique, le seul secteur dans lequel il pourrait y avoir des améliorations considérables, c’est celui de la commercialisation de biocarburant d’aviation. On parle d’améliorations massives. Cela comporte toute une série de questions, dont je ne parlerai pas ici. À mon avis, le gouvernement du Canada a raté une occasion de se lancer dans l’action et de permettre à notre pays d’être à l’avant-garde, tant à l’échelle nationale que dans le monde.
C’est l’une des choses qui doit faire l’objet de discussions, et je crois que puisque votre comité est saisi du projet de loi, il peut, en fait, emprunter cette voie. Merci.
Le sénateur Wetston : Permettez-moi de vous poser une question. Lorsque j’examine l’économie canadienne et le Canada comme tel, évidemment, notre pays est une nation commerçante et il est vaste et complexe. Les transporteurs aériens et les entreprises de camionnage se font concurrence et mènent leurs activités d’est en ouest et du nord au sud.
Il semble que le gouvernement fédéral ait décidé de laisser les provinces déterminer quels régimes elles veulent mettre en place. C’est le sénateur Neufeld, je crois, qui a parlé un peu de la Colombie-Britannique. Pour l’Ontario et le Québec, que faites-vous lorsque vos transporteurs atterrissent dans ces provinces ou partent de ces provinces, qui ont un système de plafonnement et d’échange? Que font les entreprises de camionnage, aussi, lorsqu’elles doivent fonctionner dans un système qui… Je crois que l’Alberta a un système hybride. En Colombie-Britannique, c’est une taxe sur le carbone.
Je vais poser mon autre question, si vous le permettez. Je pense que vous dites que l’industrie du transport aérien a atteint son niveau d’efficacité. À part le biocarburant, le carburant dont vous avez parlé, je crois?
M. Bergamini : Le biocarburant d’aviation, oui.
Le sénateur Wetston : Vous n’avez rien dit de tel pour l’industrie du camionnage. Je comprends qu’il y a des différences. Je ne comprends pas pourquoi vous n’appuyez pas l’idée d’un régime de plafonnement et d’échange, surtout parce qu’il vous donnerait la possibilité, compte tenu du succès que vous connaissez jusqu’à maintenant, d’acheter des crédits. Dans un marché concurrentiel, vous les payeriez moins cher et cela allégerait une partie de l’incertitude. Lorsque l’économie n’irait pas très bien, les crédits vous coûteraient également moins cher, ce qui ne veut pas dire que les choses n’iraient pas bien pour le transporteur.
J’essaie seulement de comprendre votre point de vue. J’essaie de comprendre pourquoi vous ne voulez pas de ce système, pourquoi ce n’est pas celui que vous voulez. J’aurais pensé que c’est ce que souhaite une industrie efficace qui se concentre sur les questions environnementales. C’est peut-être l’une des raisons pour lesquelles l’Europe a opté pour un régime de plafonnement et d’échange. Avez-vous des observations à faire?
M. Tauvette : Vous avez raison. Le CORSIA est un système de plafonnement et d’échange hybride. Nous plafonnons nos émissions aux niveaux de 2020 à l’échelle internationale et nous achetons des crédits compensatoires lorsque nous dépassons le plafond. La majeure partie de nos émissions sont des émissions interprovinciales. Elles franchissent les frontières entre les provinces et cela relève d’un programme fédéral. Le gouvernement fédéral attend que chaque province mette en place son programme. Les provinces ne réglementent que les émissions à l’intérieur de la province et nous avons les émissions qui traversent les provinces.
Le système fédéral qui se rapproche le plus du système de plafonnement et d’échange, c’est la méthode fondée sur le rendement. Nous essayons de faire correspondre les termes utilisés. En théorie, c’est un système de plafonnement et d’échange, mais le gouvernement fédéral ne veut pas intégrer un tel système dans son filet de sécurité.
M. Bergamini : C’est exact. Sur le plan des mécanismes, nous parlons vraiment de la même chose. Pour ce qui est de l’Ontario et du Québec, à l’heure actuelle, l’aviation est exemptée.
Le sénateur Wetston : Voulez-vous dire quelque chose à ce sujet?
M. Blackham : Oui. Je vais revenir sur quelques points. Mes amis ici présents ont mentionné qu’ils ont atteint un degré d’efficacité maximal. Nous ne sommes pas loin. Nous n’en sommes peut-être pas encore là, et c’est pourquoi lorsque nous parlons de certains de ces programmes visant à intégrer la technologie dans l’industrie, ils demeurent importants.
Si nous avons des préoccupations concernant le taux de 50 $ la tonne, voire plus, c’est en partie que viendra un moment où nous serons bien prêts d’atteindre l’efficacité maximale. La technologie de nos camions a fait de très grands progrès ces dernières années.
Vous avez mentionné une chose et je voulais en parler plus tôt. Cela a été soulevé dans les discussions avec les représentants du transport ferroviaire. Dans n’importe quelle administration potentiellement assujettie au filet de sécurité, nous avons des préoccupations pour ce qui est de l’inscription et des rapports, de la possibilité d’un fardeau administratif. Je crois que vous avez raison de dire que le CN et le CP sont de grandes compagnies ayant de nombreux travailleurs leur permettant de traiter ce type de données. Il y a beaucoup de commerces familiaux qui n’ont pas de services qu’il faut pour faire ce type de choses.
Nous avons de l’expérience avec des programmes similaires. Je pense surtout à l’Entente internationale concernant la taxe sur les carburants, l’IFTA. C’est un programme de partage de la taxe sur le carburant entre les pays. Nous avons demandé de participer aux discussions pour comprendre comment ce système d’inscription et de rapport fonctionnera. Nous avons de l’expérience à cet égard. C’est quelque chose que je voulais dire plus tôt.
Le sénateur Patterson : Je suis tellement impressionné que l’industrie du transport aérien ait pris une longueur d’avance par rapport au CORSIA. On ne vous donne absolument aucun crédit pour cela.
Pardonnez mon ignorance, mais les États-Unis sont-ils signataires du CORSIA? Cela veut dire que le problème de compétitivité que la tarification du carbone amène au Canada est éliminé, qu’il ne se pose pas avec le CORSIA, n’est-ce pas?
M. Tauvette : C’est exact. Pour les acteurs internationaux.
Le sénateur Patterson : Pour les acteurs internationaux.
Je vous remercie. Vous avez présenté de très bons exposés.
La présidente : Je vous remercie beaucoup des témoignages ainsi que des questions et des réponses.
(La séance est levée.)