Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Énergie, de l'environnement et des ressources naturelles
Fascicule nº 50 - Témoignages du 18 octobre 2018
OTTAWA, le jeudi 18 octobre 2018
Le Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles se réunit aujourd’hui, à 8 heures, pour étudier de nouvelles questions concernant son mandat (sujet : l’acceptabilité sociale et la consultation).
La sénatrice Rosa Galvez (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Bonjour et bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles. Je m’appelle Rosa Galvez, je suis une sénatrice représentant le Québec et je suis présidente de ce comité.
Avant de commencer, j’aimerais souhaiter la bienvenue à deux nouveaux membres du comité, chers collègues, soit la sénatrice Mary Jane McCallum et le sénateur Yuen Pau Woo, du Groupe des sénateurs indépendants. Merci beaucoup d’être ici.
Mesdames et messieurs les sénateurs, je vais maintenant vous demander de vous présenter.
La sénatrice Seidman : Judith Seidman, Montréal, Québec.
Le sénateur Neufeld : Richard Neufeld, Colombie-Britannique.
Le sénateur Mockler : Percy Mockler, Nouveau-Brunswick.
Le sénateur Patterson : Dennis Glen Patterson, Nunavut.
[Français]
Le sénateur Massicotte : Paul Massicotte, du Québec.
[Traduction]
La sénatrice McCallum : Mary Jane McCallum, Manitoba.
Le sénateur Woo : Yuen Pau Woo, Colombie-Britannique.
La sénatrice Cordy : Jane Cordy, Nouvelle-Écosse.
Le sénateur MacDonald : Michael MacDonald, Nouvelle-Écosse.
La présidente : Je veux également présenter notre greffière, Maxime Fortin, et nos analystes, Jesse Good et Sam Banks.
Nous nous réunissons aujourd’hui pour discuter d’un sujet précis parce que nous avons exprimé le besoin de nous familiariser avec le devoir de consultation et le concept d’acceptabilité sociale permettant d’œuvrer dans le contexte des évaluations environnementales et des propositions de projets majeurs.
[Français]
Aujourd’hui, nous accueillons Ross McKitrick, professeur d’économie à l’Université de Guelph, Thierry Rodon, professeur et titulaire de la Chaire de recherche sur le développement durable du Nord à l’Université Laval, ainsi que Karine Péloffy, avocate-conseil au Centre québécois du droit de l’environnement.
Je vous remercie de vous joindre à nous. J’invite M. Rodon, Mme Péloffy et M. McKitrick à faire leur déclaration préliminaire, après laquelle nous passerons à la période des questions.
Monsieur Rodon, la parole est à vous.
Thierry Rodon, professeur et titulaire de la Chaire de recherche sur le développement durable, Université Laval, à titre personnel : Je vous remercie, madame la présidente, de l’invitation. Je suis désolé de ne pouvoir être avec vous en personne. Je suis en France où j’assiste à une conférence sur le développement minier sur des questions d’acceptabilité sociale et de droit de consultation.
Je suis professeur en science politique, mais j’ai un intérêt particulier sur les questions autochtones, notamment les relations entre les Autochtones et l’État. Depuis deux ans, avec mon collègue, Martin Papillon, je travaille beaucoup sur la mise en œuvre du consentement préalable, libre et éclairé dans le cadre de grands projets de développement. C’est une question qui se pose de façon régulière tout comme la question de la consultation avec le dernier jugement dans le projet Trans Mountain.
Tout d’abord, ce qui m’a frappé c’est que dans le titre en anglais et en français du sujet, on ne parle pas de la même chose. Comme vous le savez peut-être, le concept de « social licence » ou du permis social — c’est la terminologie utilisée en anglais dans le titre de la conférence — c’est véritablement du côté de l’entreprise. Ce sont les efforts que fait une entreprise pour obtenir ce fameux permis social. Cela est lié à l’acceptabilité sociale, le terme qu’on utilise en français, mais qui ne porte pas sur le même sujet. L’acceptabilité sociale, c’est de la part des groupes de citoyens et des communautés. Ce sont les citoyens et les communautés qui eux, dépendent des efforts de l’industrie minière, mais pas seulement... Je vais y revenir, car l’acceptabilité sociale est un sujet assez complexe. Je pense qu’il faut faire attention. L’acceptabilité sociale — qui est un terme de plus en plus utilisé — et le permis social sont deux choses différentes.
Je vais plutôt m’intéresser à la question de l’acceptabilité sociale et sa relation avec le devoir de consultation. Évidemment, comme je travaille sur les questions autochtones, je vais donner des exemples de l’acceptabilité sociale dans ce milieu. Il faut la mettre en relation avec le consentement libre, préalable et éclairé de la Déclaration des Nations Unies. Le premier ministre s’est engagé à la mettre en œuvre.
Donc, l’autre point que je voulais soulever c’est que l’acceptabilité sociale est devenue un élément de l’évaluation des projets et de la prise de décision pour les grands projets. Il y a l’exemple des gaz de schiste.
Il y a quelques années, le BAP a mené des consultations à la demande du gouvernement du Québec — qui était plutôt une séance d’information de facto — pour essayer de faire accepter la filière des gaz de schiste au Québec. Comme vous vous en souvenez peut-être, cela avait mené à un échec assez cuisant. D’une part, le gouvernement et le BAPE étaient partis de l’idée que les gens manquaient d’information et qu’il fallait seulement mieux les informer pour qu’ils y adhèrent. Ce n’est pas du tout ce qui s’est passé. Les gens sont allés chercher de l’information ailleurs avec des groupes d’activistes aux États-Unis qui sont opposés aux gaz de schiste. Alors, ils sont allés chercher eux-mêmes leurs informations et ont confronté le gouvernement à ce sujet. Il y a eu également le comportement des entreprises qui, au moment de l’exploration des gaz de schiste — qui étaient des puits d’exploration —, n’ont pas demandé la permission aux citoyens.
On voit deux éléments de la question d’acceptabilité sociale. On constate que le rôle des entreprises à cet égard est important. Les valeurs aussi sont en cause parce que la question de l’acceptabilité sociale est liée à des valeurs et à des croyances au sens des sciences sociales, c’est-à-dire des idées qui nous guident. Au sein de la population, certaines personnes sont très opposées au développement et d’autres sont plus en faveur. Ce facteur joue énormément dans l’acceptabilité de certains projets.
L’autre exemple, moins connu, est le projet Matoush, qui est un projet uranifère mis en place dans le cadre du Plan Nord près de la communauté de Mistissini, une communauté crie. Il s’agit encore d’un projet qui avait été évalué avec un promoteur qui a essayé de convaincre les Cris que le projet était bon. Ce projet a été autorisé par tous les organismes réglementaires. Le gouvernement fédéral en faisait partie, mais le projet n’a finalement pas été autorisé par le gouvernement du Québec. La raison de cette décision est liée à un moratoire sur l’uranium. En fait, l’incapacité du promoteur à obtenir l’acceptabilité sociale de son projet a poussé le Grand Conseil des Cris à faire pression auprès du gouvernement du Québec pour qu’il n’autorise pas ce projet. L’autre élément que je voulais soulever, c’est le jugement de la Cour supérieure du Québec dans cette affaire. Strateco a poursuivi le gouvernement du Québec, car, bien que le projet ait été approuvé, le gouvernement n’a pas accordé le permis. Strateco a perdu en Cour supérieure. La défense du gouvernement du Québec s’appuyait sur le fait que le projet n’avait pas obtenu l’acceptabilité sociale. La cour a accepté cet argument et a donné raison au gouvernement du Québec sur cette question. De toute évidence, l’acceptabilité sociale entre au cœur des projets.
Qu’est-ce que l’acceptabilité sociale? Il y a deux définitions. Le ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles du Québec, le MERN, a travaillé là-dessus à la suite des problèmes liés aux gaz de schiste et au projet Matoush. Le ministère est finalement retombé dans les mêmes idées qu’auparavant, c’est-à-dire que, selon le MERN, l’acceptabilité sociale est, en fait, un manque d’information. Donc l’idée est que, si on informe les citoyens, on finira par les convaincre du bien-fondé du projet. En fait, le projet des gaz de schiste a montré que l’information n’est pas du tout suffisante. L’autre élément est de s’assurer qu’il y a des avantages pour les communautés locales. Évidemment, c’est un élément important, mais qui n’est pas, non plus, suffisant pour obtenir l’acceptabilité sociale.
Les définitions les plus intéressantes de l’acceptabilité sociale sont des définitions dynamiques, qui en appellent à l’idée d’une cristallisation d’opinions autour d’une initiative, qui fait qu’un projet est acceptable ou pas. On définit l’acceptabilité sociale comme l’agrégation de jugements individuels portant sur l’acceptation ou non d’une pratique ou d’une condition, par lesquels les individus la comparent à des solutions possibles pour en déterminer la désirabilité. Elle est véhiculée par des groupes politiquement significatifs au sein de la société.
L’avantage de cette définition est qu’elle est plus dynamique, c’est-à-dire que l’acceptabilité sociale est une relation. Cela se construit et cela prend du temps. Donc c’est un élément qu’il faut prendre en compte et on ne peut pas tenir pour acquis qu’un projet est accepté au départ. On mentionne beaucoup la confiance qui doit s’installer entre un promoteur et une communauté. Il reste quand même qu’il y a des éléments qui sont cruciaux, c’est-à-dire certains types d’exploitations. On le voit souvent avec l’uranium, notamment au Québec. Les projets qui concernent l’uranium sont confrontés à une opposition forte, pour de bonnes ou de mauvaises raisons. Toutefois, là n’est pas la question. Si on pense que la question de l’acceptabilité est forcément liée à un manque d’information, à mon avis, on se heurte à des problèmes, parce que ce sont des valeurs qui sont véhiculées. Soit il faut changer les valeurs des gens, ce qui est extrêmement complexe, soit il faut leur démontrer que le projet est acceptable en tenant compte de leurs valeurs.
C’est pour cette raison que la Chaire en entrepreneuriat minier de l’UQAT a créé un indice du risque social, qui est une façon d’évaluer si un projet pose un risque social et comment on peut le gérer.
En fait, les trois éléments qui sont en cause dans le risque social sont, premièrement, la communauté. Les communautés ont leur propre perception et leur propre vision des choses, comme cette communauté crie de Mistissini, qui s’opposait fermement, au départ, à l’uranium. Le promoteur a fait tout un travail d’information. Il a emmené des Cris, notamment, en Saskatchewan, pour qu’ils puissent voir comment les communautés cries de la Saskatchewan acceptent le développement de l’uranium. Finalement, il n’a pas réussi à les convaincre.
Le deuxième élément, ce sont les entreprises, qui sont un facteur clé. Certaines entreprises font un effort important.
Le troisième élément c’est l’impact du type de projet sur le milieu. Certains projets et leurs retombées ont des impacts beaucoup plus importants sur les communautés que d’autres. Évidemment, on ne peut jamais les prévoir. On peut faire une analyse des éléments, mais l’acceptabilité sociale est quelque chose qui se construit. Ce n’est pas forcément donné.
Les projets d’oléoducs divisent énormément la population sur des questions de valeurs. Est-ce qu’on doit continuer le développement des ressources pétrolières? Est-ce qu’on doit changer complètement le mode d’énergie qu’on utilise? Ce sont des débats qui ont lieu dans la population et qui vont refléter l’acceptabilité par rapport à certains projets.
Il faut aussi se demander si la consultation suffit pour l’acceptabilité sociale. À mon avis, ce n’est pas par la consultation que l’on construit l’acceptabilité sociale. Il faut un engagement beaucoup plus fort avec les communautés si on veut obtenir une acceptabilité sociale. Je ne vous donnerai pas un cours. Je vais laisser les avocats le faire. Vous avez vu le dernier jugement pour le projet de Trans Mountain. La question d’une consultation réelle des communautés autochtones est extrêmement importante dans le cadre des projets. La consultation telle qu’elle a été définie par la Cour suprême ne consiste pas uniquement à écouter — parce que, très clairement, dans la plupart des processus d’évaluation environnementale, on fait surtout de l’écoute et de l’information —, c’est écouter puis prendre des mesures ou répondre aux préoccupations qui sont exprimées dans le cadre de ces consultations. Le jugement de Trans Mountain était très clair : l’Office national de l’énergie (ONE) a bien écouté, mais s’en est tenu là. De toute évidence, ce n’est pas suffisant.
Selon mon expérience, il me semble qu’il y a une voie encore plus intéressante pour ce qui est d’obtenir l’acceptabilité sociale de certains projets, soit l’appropriation par les communautés des projets. Cela permettrait d’aller plus loin. Je parle des communautés autochtones puisque c’est un peu ma spécialité. Il y a deux cas extrêmement intéressants d’appropriation et participation. Le premier est un projet de barrage hydroélectrique dans la communauté d’Inukjuak, une communauté inuite du Nunavik. Il s’agit d’un projet qui peut poser beaucoup de problèmes dans les communautés nordiques, particulièrement dans la région de la Baie-James où il y a eu énormément de barrages. En fait, un groupe dans la communauté a décidé de mettre de l’avant un projet hydroélectrique. Ce groupe a organisé le débat dans la communauté, contrairement à un projet qui vient de l’extérieur et qui est imposé aux communautés. Vous savez que, dans le nord du Canada, énormément de projets proviennent de l’extérieur, avec souvent des impacts négatifs.
Un élément que j’ai oublié de mentionner, c’est cette idée d’impacts sociaux cumulatifs, qui est vraiment très prégnante dans les communautés autochtones. Le promoteur a toujours l’impression que son projet est particulier et qu’il sera examiné isolément. En réalité, quand on parle d’un projet dans une communauté crie ou inuite — vous le savez si vous avez assisté à des consultations —, on soulève la question de l’abattage des chiens, des pensionnats, de la sédentarisation et des grands barrages au Québec. Tous ces points sont vus comme des impacts qui s’ajoutent. Les gens verront les projets sous cette lumière-là. C’est aussi quelque chose dont il faut tenir compte dans l’acceptabilité sociale. Il faut comprendre que les communautés vivent dans une temporalité longue. Leur expérience du développement et de l’intervention de l’État peut teinter leur réaction par rapport à d’autres projets.
Pour revenir à l’exemple d’Inukjuak, finalement, après de longs débats et une délibération au sein de la communauté, le projet a été accepté par celle-ci, et on a pu proposer un financement. Ainsi, lorsqu’une communauté s’approprie un projet, il est beaucoup plus facile de le réaliser, surtout si ce sont de petits projets. Lorsqu’il s’agit de projets d’oléoducs, c’est une autre question.
L’autre exemple intéressant est celui de la communauté de Squamish avec le projet Woodfiber LNG pour la construction d’un terminal de gaz naturel liquéfié. Ce type de projet suscite souvent des questions, car un certain nombre de dangers y sont associés. Toutefois, la communauté a pris une initiative intéressante. Elle est allée voir le promoteur pour lui donner son accord quant à l’évaluation du projet, mais selon son propre processus d’évaluation. Une entente est intervenue entre la Nation Squamish et le promoteur Woodfiber LNG, qui a financé une étude des impacts du projet sur la communauté. Il ne s’agissait pas de refaire l’étude d’impact qui avait été réalisée à l’échelon provincial et fédéral, puisqu’on était dans le secteur gazier. Il s’agissait de s’assurer que la communauté ait un processus crédible et qu’elle puisse prendre part aux décisions qui l’intéressaient.
Ce projet a entraîné des coûts pour le promoteur. Vous voyez sans doute le lien entre le « permis social » et « l’acceptabilité sociale ». De toute évidence, c’était une décision nécessaire pour le promoteur, car s’il n’arrivait pas à obtenir l’appui de la communauté quant à l’endroit où le terminal serait construit, le projet n’allait pas de l’avant. Il a donc compris que c’était dans son intérêt de parvenir à une entente, même s’il n’avait pas de garanties, au départ, que le projet serait accepté par la communauté.
L’avantage est que le processus d’information et d’acceptabilité sociale a été mis en place par la communauté et non par le promoteur. Le promoteur n’est pas intervenu dans le processus interne. Il l’a financé, mais c’est la communauté qui l’a mis en place et qui a formulé des recommandations sur un certain nombre de changements à apporter au projet et sur des mesures d’atténuation des impacts. Ces recommandations ont été acceptées par le promoteur, ce qui a permis le lancement du projet.
Vous voyez qu’on peut construire, mais il faut multiplier les consultations. C’est un bel exemple de participation.
Ce sont là des exemples intéressants. Ces projets font en sorte que les communautés appuient les projets et qu’ils ont voix au chapitre lors des délibérations. Ce genre de projets permet de tisser des liens.
On voit alors clairement le lien avec le consentement préalable libre et éclairé. C’est un peu ce que Martin Papillon et moi avons défendu dans notre article de l’IRPP. On peut construire le consentement en tenant un débat dans les communautés. Il faut donc un processus délibératif qui permette aux communautés de décider de leur position sur un projet. Le promoteur peut également intervenir dans les débats. Cet espace de discussion, qui manque souvent dans les grands projets parce qu’on veut aller très vite, crée beaucoup de problèmes d’acceptation sociale. Évidemment, l’acceptabilité sociale, comme dans le cas du projet de Matoush, n’était pas au rendez-vous et elle n’aurait pas pu être créée.
Certains projets ne seront pas lancés. Il est donc dans l’intérêt du gouvernement canadien de faire plus d’efforts, notamment dans le cas des communautés autochtones. Le gouvernement doit s’assurer que ces communautés ont leur place dans les délibérations sur les grands projets. Elles doivent pouvoir participer aux décisions qui les intéressent et décider si elles acceptent ou non les projets. C’est là le choix de toutes les communautés.
Je termine là-dessus. Merci beaucoup.
La présidente : Merci beaucoup. Je vous prierais de rester pour la période des questions à la fin.
Karine Péloffy, avocate-conseil, Centre québécois du droit de l’environnement : Honorables sénateurs et sénatrices, merci beaucoup de cette invitation à venir témoigner devant votre comité ce matin.
Je représente le Centre québécois du droit de l’environnement (CQDE) qui, depuis 1989, transmet de l’information aux citoyens sur l’état du droit de l’environnement, participe aux consultations publiques sur les projets de réforme des lois et engage des litiges d’intérêt public devant tous les tribunaux, lorsque cela s’impose.
[Traduction]
Le CQDE a plusieurs affaires judiciaires liées au projet d’oléoduc Énergie Est, et ses avocats ont aidé cinq groupes de citoyens et de propriétaires fonciers situés le long du tracé au Québec à intervenir dans le cadre d’une audience devant l’Office national de l’énergie concernant ce projet.
Je suis aussi membre du comité consultatif multipartite qui a conseillé le groupe d’experts au sujet des processus d’évaluation environnementale et qui conseille la ministre de l’Environnement et du Changement climatique depuis deux ans. Mon exposé portera essentiellement sur ces expériences.
Je décrirai trois éléments essentiels à l’acceptabilité sociale. D’abord, il faut un bon processus. Ensuite, il faut un organisme d’évaluation indépendant. Puis, il faut un système qui nous permet de nous assurer que les enjeux les plus importants sont visés par l’évaluation. Enfin, je peux répondre aux questions touchant le fonctionnement de l’acceptabilité sociale dans le Sud du Québec, de même que le cadre juridique fondamental de la durabilité et sa place dans le projet de loi C-69.
L’acceptabilité sociale devrait être considérée comme une norme publique. En réalité, il s’agit maintenant d’une condition pour que l’on puisse approuver un projet. Sa définition juridique n’est pas universellement applicable comme c’est le cas de la durabilité, à laquelle elle est étroitement rattachée; la façon d’y arriver varie selon les contextes particuliers. Il s’agit d’un résultat. Ce n’est pas seulement un processus, mais un bon processus est nécessaire pour obtenir l’acceptabilité sociale.
D’abord, il faut un bon processus, soit la certitude que le résultat n’est pas décidé d’avance. Vous ne serez peut-être pas d’accord avec le résultat, mais si vous avez pris part au processus de manière significative et si vous avez constaté que vos opinions ont été prises en compte, vous serez plus susceptible d’accepter le résultat, même si vous n’y souscrivez pas.
Cela se reflète à deux échelons. À grande échelle, la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale de 2012 s’inscrivait dans le cadre d’un projet de loi omnibus sur le budget très volumineux. Il n’y a pas eu de consultations ni d’amendements, et un secteur de l’industrie en particulier a demandé qu’on accélère la mise en œuvre de nombre de ses caractéristiques tout en éliminant la protection environnementale et la participation du public. Pour de nombreuses personnes, la LCEE de 2012 a envenimé les choses dès le tout début.
Le projet de loi C-69 est tout le contraire. Il est le résultat de près de trois années d’engagement auprès de nombreux intervenants, y compris l’industrie.
À l’échelle du projet, pour en revenir au projet d’oléoduc Énergie Est, seuls les gens directement touchés et certains experts ont pu y participer. L’évaluation se limitait à 15 mois à partir du moment où la demande a été jugée complète. La première demande comportait 30 000 pages de documents techniques. J’ai fait les calculs, et selon la vitesse moyenne de lecture, il n’est humainement pas possible de lire autant de pages en 15 mois, sans compter qu’il faut analyser l’information et décider s’il est dans l’intérêt du public de mener à terme le projet.
Le projet de loi C-69 prévoit un processus plus ouvert et plus significatif. Les participants prendront part à la conception de l’évaluation dès le début, notamment en cernant les enjeux qui importent pour eux. La phase de planification préliminaire proposée dans le projet de loi a pour but de concentrer l’évaluation sur les enjeux les plus pertinents et sur ceux qui comptent le plus pour les collectivités participantes. Ainsi, les évaluations pourraient être mieux ciblées et plus simples, et les conflits, moins nombreux.
Au Québec, le processus du BAPE, le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement, est un bon modèle pour parvenir à l’acceptabilité sociale. Depuis 40 ans, il permet à tous ceux qui souhaitaient s’exprimer de se faire entendre, et il est totalement gérable. Il donne lieu à des résultats meilleurs et plus fiables. Le BAPE a toujours procédé ainsi, et les audiences publiques sont réalisées dans un délai de quatre mois, soit un délai beaucoup plus court que ce qu’on envisage ici.
Le deuxième élément est l’indépendance. La confiance du public est une condition essentielle pour obtenir l’acceptabilité sociale. Pour gagner la confiance du public, les organismes d’évaluation doivent être indépendants et être perçus comme tels, par rapport à l’influence de l’industrie et du gouvernement. De nombreux articles, notamment dans National Observer, soutiennent que l’ONE, l’Office national de l’énergie, est un organisme de réglementation pris en otage par l’industrie qu’il est censé réglementer. Avant 2012, l’ONE n’assumait que des fonctions réglementaires, et les évaluations étaient réalisées par l’Agence canadienne d’évaluation environnementale. L’ONE n’avait aucune expertise en matière d’évaluation, et c’est pourquoi dès le départ, les gens lui accordaient peu de confiance à cet égard.
Dans le contexte d’Énergie Est, cela a été au cœur de l’affaire Charest, une rencontre prévue entre les membres de la commission d’examen et Jean Charest, l’ancien premier ministre, qui, à l’époque, tenait des consultations pour le promoteur. La réunion s’est tenue en contravention des règles internes de l’ONE et a suscité une grande controverse, et la commission a dû se récuser.
Le projet de loi C-69 contribue largement à tenter d’assurer l’indépendance de l’industrie en confiant toutes les évaluations à un seul organisme dans le cadre d’un processus unique et en limitant la participation des organismes de réglementation aux commissions d’examen tout en assurant la prise en considération de leur expertise.
La nomination d’une commission d’examen pour étudier les grands projets ou les projets plus controversés est un premier pas pour améliorer l’indépendance du gouvernement, mais celle-ci est compromise si la nomination des membres est faite par le ministre, comme le prévoit le projet de loi actuel, car le public présume souvent que le gouvernement soutient les grands projets, ce qui peut ternir d’entrée de jeu la crédibilité des commissions d’évaluation.
Le processus de nomination est un élément crucial pour assurer l’indépendance et la confiance du public. Cet enjeu est passé sous le radar jusqu’à présent. Il fera probablement l’objet du seul amendement de fond que le CQDE demandera au Sénat d’examiner afin d’offrir un processus au moins équivalent sur le plan fonctionnel à ce qui est en place au Québec pour les commissions du BAPE. Le CQDE croit que cet amendement est crucial pour la crédibilité sans pour autant miner l’équilibre déjà établi dans le projet de loi.
Le troisième élément est un régime qui veille à ce que les questions les plus pertinentes fassent partie de l’évaluation pour en assurer la crédibilité. Un exemple flagrant est l’exclusion de la prise en considération des importantes répercussions climatiques dans le cadre des examens de l’oléoduc, possiblement l’impact environnemental, social et économique le plus important d’un tel projet.
En 2014, l’ONE a dit qu’il n’examinerait que les gaz à effet de serre associés à la construction de l’oléoduc Énergie Est, ce qui est minime compte tenu des émissions produites avant et après la construction de l’oléoduc. Les gens qui voulaient parler de toutes les conséquences climatiques du projet n’ont pas pu y participer. Les Canadiens ont envoyé 100 000 messages à l’ONE en 2015, l’exhortant d’évaluer les répercussions climatiques de l’oléoduc.
À la suite de la récusation de la commission après l’affaire Charest, le comité d’audience nouvellement nommé a décidé de reprendre le processus d’évaluation du début. Après une autre série de commentaires publics, le nouveau comité d’audience a dévoilé sa propre liste d’enjeux à la fin d’août 2017, laquelle comprenait une évaluation plus approfondie des répercussions climatiques.
Pour la première fois de l’histoire de l’évaluation environnementale du Canada, le projet de loi C-69 a précisé que tous les projets feraient l’objet d’une évaluation pour déterminer s’ils nuisent ou contribuent à nos engagements en matière de changements climatiques.
Pour conclure, madame la présidente, mesdames et messieurs, il faut trois choses : un bon processus, une indépendance et la prise en considération des enjeux qui ont de l’importance pour les gens touchés par les projets. Ces trois éléments sont essentiels pour obtenir l’acceptabilité sociale. Je serai ravie de répondre à vos questions.
Ross McKitrick, professeur d’économie, Université de Guelph, à titre personnel : Bonjour à tous. Je suis professeur d’économie à l’Université de Guelph, où je fais de la recherche et j’enseigne dans les domaines de l’économie de l’environnement et de l’analyse des politiques depuis 20 ans.
J’aimerais soulever trois points qui méritent d’être approfondis dans le cadre de votre examen du projet de loi C-69.
D’abord, avec le projet de loi C-69, le gouvernement veut notamment promouvoir la transparence et la diligence, mais en élargissant la portée des évaluations de manière à englober la conformité future avec les critères vaguement définis; l’effet sera fort possiblement l’inverse.
La législation canadienne régit le développement des ressources et le développement économique de deux façons : grâce à l’étape des approbations préalables dès le départ, puis grâce à la conformité réglementaire continue. La décision d’approuver le projet devrait être prise en partant du principe que, durant le cycle de vie du projet, le gestionnaire de projet sera assujetti aux lois et à la réglementation alors en vigueur. Il n’est pas possible de demander à quelqu’un de prouver, des années à l’avance qu’il se conformera à la loi.
Par exemple, nous n’attendons pas d’une société présentant une demande d’approbation de permis d’exploitation qu’elle prouve, des décennies à l’avance, qu’elle n’échouera jamais à une vérification effectuée par l’Agence du revenu du Canada. Nous supposons que des organismes compétents feront respecter le droit fiscal à l’avenir, le cas échéant.
Ce serait encore pire si une telle exigence était énoncée vaguement dans des termes qui supposent un fardeau supplémentaire à celui mentionné dans la loi existante.
L’article 22 du projet de loi C-69 exige que l’évaluation d’un projet tienne compte de son impact sur la « durabilité » et de « l’interaction du sexe et du genre avec d’autres facteurs identitaires ».
Ces critères ne sont pas définis et, plus particulièrement, il n’y a aucune explication quant à la façon dont ils pourraient déroger à l’exigence de se conformer aux lois en vigueur ou à toute nouvelle loi qui pourrait exister à l’avenir. Ils laissent supposer l’existence d’un ensemble secret d’exigences qui s’ajoutent à celles prévues dans le droit canadien. Demander aux requérants de deviner la nature de ces règles cachées et de prouver qu’ils s’y conformeront dans le futur va à l’encontre des objectifs de diligence et de transparence, sans parler de l’équité.
En ce qui concerne l’analyse comparative entre les sexes, entre autres, le gouvernement donne l’exemple de l’effet que pourrait avoir sur les femmes d’une collectivité l’afflux de travailleurs de sexe masculin à proximité. Toutefois, il existe déjà des lois qui régissent le comportement des gens dans les collectivités. Si on suppose que ces lois seront appliquées, nous pouvons nous demander ce que prévoit d’autre la disposition ou de quelle façon un requérant peut composer avec elle.
Je crains que les défenseurs de l’évaluation élargie des impacts n’utilisent le projet de loi C-69 pour imposer une liste toujours croissante de nouveaux critères d’approbation secrets, en plus de ceux qu’exige la loi actuelle. Cela aura pour effet de créer un processus long, arbitraire, inéquitable et en contradiction avec la transparence procédurale. Pour cette raison, je recommande que le processus d’approbation se réoriente sur les aspects environnementaux qui doivent être examinés a priori, en supposant explicitement que les questions habituelles d’application de la loi seront réglées à l’étape opérationnelle.
Ensuite, les modifications proposées au processus d’approbation sont censées accroître la confiance qu’a le public à l’égard du résultat, mais il leur manque un ingrédient essentiel pour que ce soit le cas.
Le gouvernement a affirmé que les projets n’avaient pas pu être menés à terme par le passé parce que le public n’était pas convaincu par le processus d’évaluation. Je ne pense pas que cette analyse soit exacte. L’approbation des projets était fondée sur des procédures d’évaluation crédibles et valides sur lesquelles on s’est appuyé de nombreuses fois au fil des ans. Le problème, c’est que tout le monde ne suit pas les mêmes règles.
Le gouvernement doit inspirer la confiance dans ses propres procédures en exigeant des parties qui contestent les décisions d’approbation qu’elles se conforment tout de même au processus et qu’elles laissent la construction se poursuivre.
Les règles révisées visent à donner une voix à un plus grand nombre de personnes à l’étape de la consultation. Cependant, dans le contexte actuel, cela ne fait qu’accroître la participation de plus en plus d’organisations qui sont connues pour s’opposer à l’exploitation des ressources canadiennes du point de vue idéologique et dont la volonté d’agir en marge de la loi a été démontrée.
Ce qui manque, c’est un message crédible selon lequel le gouvernement fera respecter la loi, s’assurera que la construction puisse se faire sans obstacle lorsque des requérants reçoivent l’approbation et que les tactiques déloyales adoptées par les manifestants seront déjouées par des mesures d’application de la loi appropriées. En d’autres mots, le gouvernement doit s’engager à faire en sorte que les règles s’appliquent à tous de manière égale.
En l’absence d’une telle détermination, nous aurons donné un véritable droit de veto sur l’exploitation future des ressources à ceux qui sont les plus enclins à crier fort et à bafouer les règles. Loin d’améliorer la confiance du public à l’égard du processus, cela discréditera et pénalisera ceux qui tenteront de s’y conformer de bonne foi.
Les mesures législatives suscitent une ambiguïté quant au type de renseignements qui peuvent être considérés comme déterminants dans les décisions de la commission d’examen. Plus précisément, le gouvernement établit une distinction entre les connaissances autochtones et les connaissances scientifiques, et il exige que les deux types soient pris en considération, mais il ne dit pas ce qu’il faut faire si les deux se contredisent.
De nombreuses dispositions exigent que les évaluateurs tiennent compte des connaissances autochtones. Par exemple, le paragraphe 97(2) est ainsi libellé :
Dans le cadre de l’évaluation visée aux articles 92, 93 ou 95, l’agence ou le comité, selon le cas, prend en compte l’information scientifique et les connaissances autochtones fournies à l’égard de l’évaluation.
Dans sa forme actuelle, le libellé semble obliger une commission d’examen à accorder la même importance aux deux types de connaissances. En revanche, le paragraphe 6(3) du projet de loi prévoit ce qui suit :
Pour l’application de la présente loi, le gouvernement du Canada […] exerc[e] [ses] pouvoirs de manière à respecter les principes d’intégrité scientifique, d’honnêteté, d’objectivité, de rigueur et d’exactitude.
Pour résoudre la divergence potentielle, je propose que les dispositions exigeant la prise en considération des connaissances autochtones soient subordonnées au paragraphe 6(3).
Enfin, en ce qui a trait au titre de la séance, permettez-moi de rappeler au comité qu’il n’existe rien de tel que le « permis social ». Il y a des lois, des règles, des processus d’examen, des approbations, des permis d’exploitation et ainsi de suite. Il y a aussi l’opinion publique, qui, pour un enjeu donné, bascule du côté des partisans ou des opposants, et le gouvernement doit adopter des mesures proactives pour défendre son processus réglementaire et les industries avec qui il collabore pour favoriser la prospérité canadienne.
Attendre que les mêmes militants qui ont manifesté leur opposition irréductible à l’exploitation des ressources canadiennes témoignent d’une acceptabilité sociale illusoire condamnera le Canada à d’autres décennies d’occasions manquées. Il faut que le gouvernement du Canada établisse des processus d’examen efficients et valides, puis qu’il s’assure que ceux qui respectent les règles ne sont pas désavantagés du point de vue stratégique par ceux qui ne les respectent pas.
La présidente : Avant de passer aux questions, j’aimerais dire aux membres du comité que les intervenants potentiels avaient reçu une invitation à venir parler du permis social et du processus de consultation. Il n’était pas question de discuter du projet de loi C-69, puisque le comité ne l’a pas officiellement reçu.
Nous vous avons invité, et nous sommes heureux que vous soyez parmi nous. Monsieur McKitrick, vous avez décidé de parler du projet de loi C-69.
Le sénateur Patterson : Ce n’était pas le seul témoin.
La présidente : Je vous explique cela à des fins d’information et de précision uniquement.
Nous sommes ici pour nous familiariser avec le processus de permis social et d’acceptabilité sociale des projets et le processus de consultation.
[Français]
Le sénateur Massicotte : Je vous remercie de votre présence ce matin. On n’évoquera pas le projet de loi C-69 parce que c’est un débat très compliqué, mais on apprécie beaucoup vos commentaires. J’aimerais discuter du commentaire d’acceptabilité sociale ou du permis social. J’essaie de veiller à ce qu’il y ait un processus logique, cohérent et efficace et accepté par tous, et ce, pour ceux qui sont responsables de gouverner et d’approuver les projets.
La difficulté que nous avons eue depuis les 10 ou 15 dernières années est que l’acceptabilité sociale, telle que définie par M. Rodon, c’est l’acceptabilité locale de la communauté. Je n’ai pas de difficulté à dire qu’on doit chercher l’approbation, mais il faut que ça soit cohérent avec notre société de droit, une société de règlement prédéfinie et pas seulement composée d’une vague d’opinions de dernière minute.
Monsieur Rodon, comment voyez-vous cela? Je n’ai pas de difficulté avec un processus, comme le disait Mme Péloffy, qui fait preuve d’ouverture et qui invoque l’opinion. Par contre, il faut quand même respecter notre droit de société. Lorsqu’un projet a reçu l’approbation des élus ou d’un système approuvé par le public, il faut en respecter le résultat. Comment percevez-vous cet aspect flou d’acceptabilité sociale, qui est non définie dans le règlement d’une quelconque municipalité?
M. Rodon : C’est une très bonne question. Je vous répondrai comme un politicologue. J’observe que dans certains projets comme celui de Strateco, le cas des gaz de schiste, même si le BAPE a mené des consultations, on peut avoir un processus ouvert et une information de bonne qualité. Par contre, cela ne garantit pas l’acceptabilité sociale des projets.
Finalement, le manque d’acceptabilité sociale d’un projet peut le faire dérailler. C’est ce que j’ai observé avec les gaz de schiste. Le problème est que le ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles (MERN) a essayé de mettre en place une politique d’acceptabilité sociale pour Strateco. Il a engagé une compagnie de consultants, mais il en est resté aux procédures.
Je pense que tant qu’on en reste à la consultation... Même si les gens se sentent écoutés, cela ne garantit pas qu’ils accepteront la décision. C’est plus compliqué que cela. Il y a des rapports de force dans la société, cela dépend de la force des groupes d’intérêts qui seront présents. D’un côté, il y a le droit, mais d’un autre côté il y a l’influence des groupes d’intérêt qui existe pour un projet ou contre un projet.
Je pense qu’il y a une réflexion à faire. Il faudrait peut-être amener une meilleure participation plutôt qu’une consultation, à mon avis. Légalement, on peut définir la participation. En anglais, on appelle cela « public engagement », contrairement à « consultations ». Cette participation permet d’ouvrir un espace libre aux délibérations sur les projets. Le problème c’est qu’on ne discute que des projets et non d’un modèle de société. On l’a vu avec le projet de pipeline, où on n’a pas tenu compte du terminal dans l’évaluation environnementale. Tout cela pose problème et il y a une réflexion à faire à cet égard pour obtenir une crédibilité plus forte.
Le sénateur Massicotte : Madame Péloffy, j’aimerais connaître votre point de vue. Il faut savoir à quoi s’attendre, car l’acceptabilité sociale c’est l’approbation de la communauté. Est-ce plus important que le droit et le respect de nos règles existantes? Est-ce possible qu’un propriétaire de terrain privé puisse voir son droit de propriété privée disparaître parce que l’acceptabilité sociale et communautaire n’est pas là?
Mme Péloffy : On joue dans une zone floue qui dépend de chaque contexte. Ce n’est pas une définition légale et universelle, mais elle s’insère dans le cadre légal. Au Québec, nous avons la Loi sur le développement durable qui encadre toutes les décisions prises par le gouvernement, y compris les approbations de projet. C’est ainsi que cela a été analysé dans la cause Strateco. Le concept d’acceptabilité sociale s’insère dans les deux principes sociaux du développement durable du Québec, soit l’accès à la connaissance et la participation citoyenne.
Quand on dit qu’une bonne consultation peut aboutir à une acceptabilité sociale, je pense entre autres au modèle du BAPE. Je vous encourage à lire les ouvrages de M. Louis-Gilles Francœur et à l’inviter à venir témoigner, car il a une expérience concrète des processus.
Dans la première partie de la consultation du BAPE, le public participe activement en posant des questions et en prenant part à la création du rapport. Il ne s’agit pas du tout d’un processus où les gens viennent seulement pour se plaindre et exprimer leurs opinions. Il ne s’agit pas non plus d’un processus où les opinions des gens sont mises à l’écart parce qu’ils ne sont pas fondés sur des faits. Les citoyens ont droit d’exprimer leur opinion lorsqu’ils participent à un tel processus.
M. Francœur a vu plusieurs personnes changer d’idée au cours de l’évaluation en participant à la formulation des questions, en raison de l’information qu’elles ont été chercher et en voyant toute la cause se développer devant elles. L’opinion des gens évolue à travers cela. Quand une porte est fermée, c’est sûr que les gens veulent la défoncer, mais lorsqu’elle est ouverte, on se comporte de façon très différente.
[Traduction]
Le sénateur Massicotte : Monsieur McKitrick, je ne sais pas si vous êtes un spécialiste dans le domaine, mais nous parlons de consultation. Comme vous l’avez remarqué, un projet de loi sera présenté, il s’agit en fait d’une déclaration venant des Nations unies concernant les droits des communautés autochtones à un engagement donné librement et en connaissance de cause en ce qui a trait aux approbations préalables. Dans la déclaration, on a utilisé de manière efficace le terme « consentement ». Parallèlement, lorsqu’elle définit les droits des Autochtones, la Cour suprême utilise souvent le mot « consultation », ce qui fait en partie l’objet de notre débat. Nous savons qu’une véritable consultation ne consiste pas à seulement prendre des notes, il faut trouver un accord mutuel.
La Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, dont on nous demandera de parler plus tard, utilise le terme « consentement ». Si on consulte un dictionnaire, ce mot signifie simplement « approbation », ce qui veut dire que vous accordez à quelqu’un un droit de veto.
Voyez-vous un conflit entre ce que nous considérons comme une consultation et le terme consentement qui figure dans la Déclaration des Nations Unies sur les peuples autochtones? Est-ce un problème? Devons-nous obtenir leur approbation ou simplement essayer de prendre des mesures justes qui tiennent compte de tous les intérêts?
M. McKitrick : Je suis d’accord avec vous pour dire que le terme consultation ne suppose pas un droit de veto sauf si vous utilisez une formulation différente qui revêt cette connotation, et vous devez être très prudent si vous empruntez cette voie.
Les situations sont déjà nombreuses. Par exemple, si une municipalité souhaite exproprier une terre pour aménager de nouveaux lotissements, selon les exigences en place, elle doit se soumettre au processus d’approbation local, et il faut recueillir des renseignements auprès de toutes les personnes qui seront touchées. Toutef les règles semblent toujours confier la décision à une personne qui prend vraisemblablement part au processus démocratique et qui rend des comptes aux électeurs.
Donc, si vous élargissez le processus d’approbation, les deux questions sont les suivantes : quels renseignements sont en fait déterminants? Quels renseignements peuvent motiver une décision? Si vous tenez compte de l’opinion des gens qui seront touchés, mais qu’on sait à l’avance que vous le ferez et que vous n’êtes pas tenu de fonder votre décision sur ces renseignements, cela laisse évidemment la porte grande ouverte. Toute si vous dites que vous allez vous servir de ces renseignements et que les gens qui fournissent ces renseignements peuvent en effet casser ou orienter la décision, cela a des répercussions sur la gouvernance en société et le contrôle démocratique des décisions de grande envergure. Les gens sont mal à l’aise quand des questions de ce genre sont abordées.
Je vais vous demander de réfléchir à deux exemples récents qui sont très révélateurs : les éoliennes en Ontario et les oléoducs dans l’Ouest. Dans les deux cas, certaines collectivités s’y opposaient avec véhémence. Les éoliennes étaient installées même si on avait très peu évalué les impacts. Les dispositions législatives conféraient essentiellement au Cabinet le plein pouvoir de les mettre en place à l’endroit voulu et au moment voulu.
Dans les régions rurales de l’Ontario, les esprits se sont enflammés et les gens s’y sont férocement opposés. Cependant, ils ont travaillé dans les limites de la loi, et en définitive, lorsqu’ils n’ont plus de recours juridique, ils se sont engagés dans un processus électoral pour changer de gouvernement. Les gens n’ont pas décidé de se faire justice eux-mêmes. Il n’y a pas eu de barrages routiers. Les gens n’ont pas démoli les tours. Personne n’a agi en hors-la-loi.
Dans le cas des oléoducs, ce qui m’inquiète au sujet du permis social, c’est que nous devons abandonner l’espoir de disposer d’un processus; il y aura un pouvoir discrétionnaire, ce sera imparfait, les décisions prises seront parfois bonnes, d’autres fois pas si bonnes, mais les gens devront respecter les règles, même s’ils n’aiment pas le résultat. C’est le défi qui se pose lorsqu’on se penche sur le permis social et l’obligation de consulter. Sans compter qu’il faut faire comprendre aux gens qu’ils doivent tous respecter les règles au bout du compte.
La sénatrice McCallum : J’ai une demande à faire, puis je poserai ma question. Depuis que je participe aux travaux des comités, parfois, nous n’avons simplement pas assez de temps pour poser une question ou formuler des commentaires à propos de ce qui a été présenté. Si vous me le permettez, j’aimerais répondre au témoignage de M. McKitrick par écrit et transmettre ma réponse au comité. Il est essentiel pour moi de réagir à ce qui se dit ici.
Le sénateur Patterson : Bien sûr.
Le sénateur Massicotte : Très bien.
La présidente : Est-ce que tout le monde est d’accord? Excellent. C’est parfait.
La sénatrice McCallum : Ma question concerne les rôles de la consultation, de l’acceptabilité sociale et du permis social. Lorsque j’examine les trois concepts, ils s’entrecoupent. Il y a l’interprétation du sens de ces mots, il est question de participation, de consentement et de relation. Il y a des risques d’abus, et les opinions des parties peuvent être boudées par quiconque prend part aux projets. Les trois supposent tout cela.
Comme les peuples autochtones ont le droit d’être consultés, je crains que différents concepts puissent contourner cette consultation. J’ai vraiment l’impression que ces mots ne reposent pas sur des assises solides. Des gens ont eu recours à la consultation pour leurs propres intérêts, et c’est pourquoi il finit par y avoir tant de conflits. Ces mots sont dépourvus d’esprit et d’intention.
En plus de cela, ces processus s’accompagnent aussi de responsabilités éthiques et morales dont ne tiennent pas compte les dispositions législatives. Elles sont en marge.
J’aimerais vous demander de commenter la question suivante : quelles sont les différences entre ces trois concepts et qui a défini ces mots et ces concepts?
La présidente : Maître Péloffy, voulez-vous répondre en premier?
Mme Péloffy : Je vais essayer. Je ne suis pas une spécialiste en permis social. Ce serait plutôt Louis Simard, mais il ne pouvait pas venir ce matin, donc je ne lui en ai pas parlé. Il pourrait peut-être assurer un bon suivi.
Toutefois, pour avoir parlé avec lui, d’après ce qui se passe au Québec, on discute de l’acceptabilité sociale depuis les années 1980. Ce concept veut dire différentes choses pour différentes personnes, et tant les partisans que les opposants s’en servaient à leurs propres fins.
En 2011, il y a eu une évaluation, et le BAPE a précisément demandé au gouvernement de fournir des conseils et des précisions quant au sens de l’acceptabilité sociale. Je ne sais pas; je ne m’attarde pas aux mots normalement, mais je crois que le permis social et l’acceptabilité sociale sont étroitement liés. Le permis social, c’est ce qu’obtient le promoteur après avoir obtenu l’acceptabilité sociale. Il y a eu une vaste consultation de même que des commissions parlementaires pour en arriver à des définitions, entre autres. On pourrait peut-être réfléchir à la définition de ces concepts à l’échelle du Canada.
Nous ne devrions pas confondre la consultation publique et la consultation des peuples autochtones, qui est un droit constitutionnel. Et il y a une zone grise dans l’arrêt Tsilhqot’in. La Cour suprême a dit que les promoteurs devaient obtenir le consentement des collectivités. Elle n’a pas précisé ce qu’il adviendrait si le consentement n’était pas obtenu. C’est une question ouverte au Canada.
Je suis avocate et j’ai tendance à toujours vouloir avoir des règles juridiques qui sont très claires, mais nous sommes des êtres humains. L’humanité en nous l’emportera toujours, et lorsqu’il y a un projet controversé à propos duquel existent différentes opinions — des opinions très opposées —, il faut une tribune où ces divergences peuvent être soumises à l’arbitrage. Voilà ce que devrait être le processus d’évaluation. Il devrait être l’endroit où on peut mener un débat éclairé de manière respectueuse. Si vous ne concevez pas de cette manière le mécanisme de participation ou de consultation, alors tout va se produire en marge et peut-être en marge de la règle de droit.
Les gens qui agissent en dehors de la règle de droit sont une conséquence directe des changements apportés en 2012, alors qu’on a rendu les règles tellement restrictives que les gens ont senti qu’ils n’avaient pas l’espace voulu pour se faire entendre et discuter du véritable problème. Il semblait que tout était décidé d’avance. C’est ce qui crée des situations malheureuses.
M. McKitrick : Je vous demanderais, à mesure que vous examinez ces éléments, de vraiment réfléchir à ce que vous exigez exactement des promoteurs. Vous devriez leur demander beaucoup de détails sur le projet — tous les paramètres, tous les détails techniques —, mais il y a une limite à ce que vous pouvez leur demander relativement à des considérations futures, particulièrement si vous éprouvez de la difficulté à définir ce que vous exigez. Comment pouvez-vous vous attendre à ce que les promoteurs vous donnent des réponses détaillées si les questions ne sont même pas bien posées?
Les promoteurs ont besoin de critères clairs et doivent être tenus de les respecter.
L’appui local a toujours été un problème et pas seulement pour les grands projets d’exploitation de ressources naturelles. Par exemple, tout près d’où je vis, il y a une usine de recyclage gérée par la Ville de Guelph. Elle a suivi plusieurs phases. Le problème, c’est que le voisinage n’y a jamais adhéré. Les représentants n’ont jamais été clairs à propos des mauvaises odeurs, de la puanteur et des choses du genre, alors ils ont dû reconstruire l’usine plusieurs fois afin de régler ces problèmes.
C’est la vie. Cela arrive tout le temps. Dans toutes les municipalités, partout où les gens vivent ensemble, les voisins doivent coexister. Je ne crois pas que nous devrions penser que la question des projets d’exploitation des ressources suppose en quelque sorte qu’on se penche là-dessus pour la première fois. Cela a toujours posé problème.
À mesure que nous nous attaquons à ce problème, cependant, je vous recommanderais de ne pas essayer de tout mettre dans l’étape de l’approbation. C’est une autre chose que j’ai dite. Nous gardons des éléments pour plus tard, notamment la conformité aux lois. Encore une fois, comparez le processus avec celui du système fiscal. Nous ne demandons pas aux gens de prouver que, dans 10 ou 20 ans, ils n’échoueront pas une vérification de l’ARC. Nous gardons l’observation fiscale pour plus tard.
Également, ce n’est pas tout le monde qui aime les lois fiscales, mais il faut les respecter. Nous avons un processus de vérification très imparfait, mais si vous faites l’objet d’une vérification et que vous l’échouez, vous devez vous plier au résultat.
Ces controverses ne se posent pas dans le cas du droit fiscal. Nous savons que les processus sont imparfaits, mais, au bout du compte, nous devons faire de notre mieux et respecter les règles.
Ici, à mon avis, nous devons adopter le même principe : l’évaluation des projets sera toujours discrétionnaire et imparfaite. Vous devez réaliser la meilleure évaluation possible, mais vous devez vous assurer que tout le monde comprend qu’il faut respecter les règles.
La présidente : Monsieur Rodon, avez-vous quelque chose à ajouter?
M. Rodon : Oui, quelque chose de complémentaire sur la grande question. Je crois qu’il faut faire attention au terme « consentement ». Nombre de personnes pensent que le consentement équivaut à un droit de veto, et je pense que c’est une façon de disqualifier le droit des peuples autochtones à participer en réalité au processus décisionnel. Voilà ce que c’est.
Nous avons dit à maintes reprises que le consentement ne signifie pas l’autorisation d’un projet. Jusqu’à maintenant, c’est encore la Couronne qui autorise les projets. Toutefois, il doit y avoir une participation et des efforts concrets pour en arriver à un consentement.
En réalité, dans l’arrêt Tsilhqot’in, le juge utilise les mots « demander le consentement ». Le libellé de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones est plus solide.
À mon avis, si vous vous en tenez aux consultations, vous allez éprouver des problèmes avec les peuples autochtones. Vous devez prendre un meilleur engagement à cet égard. L’exemple que je vous ai donné à propos des Squamish montre que vous pouvez avoir un processus dans lequel le promoteur sait ce qu’il doit faire, peut le faire et peut mobiliser les ressources pour son projet, mais, au bout du compte, le projet peut aller de l’avant.
Pour moi, c’est plus important. La règle de droit peut changer. Elle a évolué au fil du temps. Les décisions au Canada sont claires là-dessus. Vous devez faire participer les peuples autochtones beaucoup plus que vous l’avez fait jusqu’à maintenant.
Selon moi, ce genre de participation est envisageable. Ce n’est pas impossible et cela ne bloquera pas tous les projets; ce n’est pas ce qui s’est passé, si vous regardez le projet minier de Murray River, dans le Nord, qui a été approuvé.
La sénatrice Seidman : Merci à tous de vos exposés sur cette question qui est, évidemment, complexe. C’est en partie parce qu’elle semble vague et non définie.
Nous avons entendu que la signification de permis social ou d’acceptabilité sociale a évolué avec le temps, passant d’un soutien de base aux projets d’exploitation de ressources naturelles dans une collectivité à une démarche différente maintenant, dans le cadre de laquelle les gens qui ne souscrivent pas à un projet disent qu’il n’y a pas d’appui, ce qui semble ajouter une couche supplémentaire de règlements non définis.
Nous avons entendu, je crois, Me Péloffy et peut-être également deux autres témoins dire que les exigences en matière de permis social varient selon la collectivité et les différents types de projets. Cela ajoute une autre couche d’imprécision.
Qui définit les conditions du permis social? Le terme donne à penser qu’il faut obtenir un permis en bonne et due forme, alors cela va au-delà de l’acceptabilité sociale. Qui définit les conditions et le processus qui doit être suivi dans un projet donné?
Je commencerais par vous, maître Péloffy.
Mme Péloffy : D’abord, si vous me permettez de revenir en arrière, j’ai entendu l’expression « des critères vaguement définis » deux ou trois fois. À titre de contexte, avant 2012, pendant près de 20 ans, l’ancienne loi sur l’évaluation visait à changer les conditions socioéconomiques. Au Québec, nous réalisons depuis 40 ans des évaluations axées sur la durabilité en nous fondant, depuis les 10 dernières années, sur 16 principes de développement durable. C’est vague, mais cela fonctionne. Cela n’a pas freiné l’économie ni les projets. Alors les évaluations peuvent encore fonctionner et elles pourraient favoriser la flexibilité nécessaire pour s’adapter au contexte de chaque projet.
La Cour supérieure a adopté une définition de l’acceptabilité sociale. Je pourrais vous la lire. Voulez-vous que je vous la lise?
L’acceptabilité sociale peut être définie comme étant « le résultat d’un processus par lequel les parties concernées construisent ensemble les conditions minimales à mettre en place, pour qu’un projet, programme ou politique s’intègre harmonieusement, et à un moment donné, dans son milieu naturel et humain » ou comme étant « le résultat d’un processus de construction et des interactions entre les membres d’une communauté ».
C’est là où la participation active et l’interaction au sein du processus d’évaluation sont tellement importantes.
Je reviens au projet de loi C-69; je crois que beaucoup de choses ont été mises dans ce projet de loi afin qu’il prévoie ces interactions et ce processus de construction.
Quant à savoir comment ce processus sera défini au bout du compte, c’est un des facteurs — le facteur social de la durabilité — dont tiendra compte le décideur politique avec nombre d’autres choses pour prendre sa décision.
On l’a également décrit, dans son évolution, comme un genre d’intersection entre la démocratie participative, qui serait l’évaluation, et la démocratie représentative, qui signifie que c’est le gouvernement qui, au bout du compte, prend la décision finale.
La sénatrice Seidman : Je ne sais pas si M. McKitrick a un commentaire en particulier sur la dernière chose que vous avez dite. Je crois que c’est ce sur quoi l’argument repose pour ce qui est des minorités qui nuisent à la majorité et aux processus démocratiques.
Nous avons des organismes de réglementation et des lois et nous avons ensuite le processus d’acceptabilité sociale ou de permis social qui s’amorce. Certains diront que cela nuit au processus démocratique, dans le cadre duquel la majorité demande qu’une surveillance soit assurée par les organismes de réglementation et les lois déjà en place. Par contre, je crois que vous parlez d’une certaine participation ou d’un certain processus démocratique intermédiaires.
Mme Péloffy : Si je regarde le projet de loi C-69, je dirais que, au cours de la phase de planification, particulièrement, vous pouvez réaliser des évaluations collaboratives avec les organismes autochtones et tenir compte davantage de l’avis du public — les gens connaîtront la façon dont on a tenu compte de leur avis —; c’est la partie du processus qui relève de la démocratie participative. Ensuite, à la phase du processus décisionnel, lorsque le représentant élu prend une décision, la démocratie représentative est respectée.
La sénatrice Seidman : Pourriez-vous en parler un peu, monsieur McKitrick, parce que je crois que ce processus à deux étapes dont nous parlons est ce qui est vraiment important.
M. McKitrick : Deux idées me viennent en tête à la lecture de cette définition, que je ne connaissais pas. Il est question de « parties concernées » et de « membres d’une communauté » pour parler des gens qui doivent, en majorité, donner leur consentement au projet.
Cela me semble logique parce que c’est ce que nous avons toujours fait. Au lieu de penser à un terminal de GNL ou à un pipeline, pensez seulement à une personne qui désire ouvrir une usine de conditionnement de la viande à Etobicoke. Il y aura un processus municipal d’approbations qui tiendra compte des parties concernées, des propriétaires fonciers de la région et des membres de la communauté, mais ce sont également les personnes qui sentent, dans une certaine mesure, qu’ils ont voté pour les gens qui vont prendre la décision.
Ce qui m’inquiéterait, ce serait que le processus d’approbations soit ensuite élargi pour permettre à quiconque croit avoir une opinion sur le sujet de jouer un rôle dans le processus. Il y a peut-être des gens à l’autre bout du pays qui n’aiment pas l’idée qu’il y ait des usines de conditionnement de la viande et qui commenceront à rédiger des centaines de lettres. Qu’allez-vous faire? L’erreur ici, c’est que ces parties ne sont pas vraiment concernées. Les gens ont une opinion sur la question — nous avons des opinions sur beaucoup de choses —, mais ils ne sont pas directement concernés par cette usine. Ils ne sont pas touchés par celle-ci, alors ils ne devraient pas jouer un rôle dans un tel processus.
Les parties concernées et les membres de la communauté doivent référer aux personnes qui ont voté pour les gens responsables au bout du compte de prendre la décision et à celles qui sont touchées par le projet.
Enfin, sur la question du permis social, lorsque vous pensez à n’importe quel permis, à un permis de pêche ou n’importe quoi d’autre, vous savez qui le délivre. S’il s’agit d’un permis bien défini, vous savez où vous le procurer. Je ne sais pas du tout qui délivre un permis social. Je comprends l’opinion publique et les processus qui l’influencent, mais si nous parlons du permis social avec un grand « P », alors dites-moi où je dois présenter ma demande et expliquez-moi le processus d’approbation.
La sénatrice Seidman : D’accord, merci.
La sénatrice Cordy : Merci beaucoup à tous de vos exposés ce matin.
Comme l’a dit la sénatrice Seidman, ce n’est pas une question simple. Parfois, lorsqu’on combine cela aux émotions, il est très difficile de dégager un consensus sur la prise de décisions.
Monsieur McKitrick, vous avez affirmé que le permis social n’existe pas; je crois que vous avez parlé d’opinion publique. Cependant, vous avez également mentionné que nous devrions veiller à ce que les gens qui respectent les règles, peu importe leur opinion, ne soient pas désavantagés sur le plan stratégique et que tous respectent les règles.
Maître Péloffy, vous avez dit qu’un bon processus est nécessaire lorsque nous savons que le résultat n’a pas été déterminé d’avance. Je crois que les tribunaux ont également tranché cette question. On ne peut pas seulement écouter ou prétendre écouter les gens alors que, en fait, le processus ou la présumée écoute ne donne aucun résultat.
Monsieur Rodon, vous nous avez rappelé que les tribunaux ont défini ce qu’étaient de véritables consultations et qu’on ne peut pas seulement écouter les gens, mais il faut tenir de véritables discussions.
Ce sont toutes de bonnes choses jusqu’à ce que nous en arrivons à ce dont a parlé M. Rodon : les points de clivage qui deviennent une source de vives émotions. On peut consulter les gens pendant 10 ans sans que personne ne change d’idée. Monsieur Rodon, vous avez donné d’excellents exemples où on a tenu de véritables consultations et dégagé un consensus, puis les responsables des projets sont allés de l’avant en tenant compte de ce qu’ils avaient entendu au cours du processus de consultation. Cela ne se fait pas toujours, malheureusement.
Comment pouvons-nous nous assurer que les consultations ne consistent pas seulement à cocher des cases, qu’elles ont vraiment lieu? Ensuite, après la tenue de véritables consultations et la prise d’une décision, compte tenu de tout ce qui a été dit, comment pouvons-nous aller de l’avant avec la décision et construire ou ne pas construire quelque chose, ou peu importe de quoi il s’agit? Que se passe-t-il ensuite? Comment pouvons-nous avancer après la tenue de véritables consultations?
M. Rodon : J’ai perdu la connexion pendant deux ou trois minutes, alors je n’ai pas entendu la fin de votre commentaire. Je crois que j’en ai assez entendu pour pouvoir vous répondre.
Vous vous assurez de tenir de véritables consultations. Cela s’applique aux collectivités autochtones, évidemment, mais également à toute autre collectivité. Je suis toujours un peu inquiet concernant les intérêts extérieurs qui entrent en jeu, mais pour ce qui est de l’exploitation de ressources naturelles, il y a toujours des intérêts extérieurs qui proviennent de l’industrie ou des gens de l’extérieur. Cela fait partie du processus démocratique, et nous devons vivre avec cela.
Pour revenir à ce que disait Me Péloffy, il est clair que nous nous en allons vers une démocratie plus participative et un processus de plus en plus participatif dans la gouvernance. Ces concepts font partie du processus décisionnel. C’est une façon de garantir la légitimité d’une décision. C’est une chose très importante dans les politiques publiques, parce que quelque chose comme... Au Québec, cela n’aide pas les politiciens. En réalité, c’est pour cela que le premier ministre Charest a perdu ses élections.
Vous devez donc... Et c’est un fait. Vous voudriez peut-être revenir en arrière lorsque c’était l’élite qui prenait les décisions, mais les gens participent davantage au processus, et c’est ce qu’ils veulent. Ils désirent tenir des discussions.
L’idée de délibération, c’est — et j’en parle toujours — un débat. Un débat, c’est quelque chose qui vous permet de faire changer les idées. Si vous vous en tenez uniquement aux opinions, alors vous éprouverez toujours des problèmes. La délibération permet aux gens d’échanger des points de vue. Ce n’est pas tout le monde qui change d’idée. Il s’agit d’en arriver à une entente avec la plupart des gens à savoir si un projet est bon ou s’il ne l’est pas.
Quant à la question du permis social qui nous occupe... je n’aime pas non plus l’expression « permis social ». L’expression « acceptabilité sociale » est meilleure.
Il existe de nombreuses façons de mesurer l’appui à un projet, et le processus de délibération en est une. Au bout du compte, lorsque vous faites... Le BAPE fait un bon travail pour faire participer les gens. C’est une façon d’aller de l’avant.
De toute façon, vous pouvez prendre une décision, mais il est préférable que le gouvernement décide que les gens soient consultés, mais les gens ne le sont pas... Alors je crois que vous devez composer avec cela.
C’est ce qui s’en vient. Le Québec a également réalisé du travail à cet égard, et il y a toujours des choses à faire pour améliorer la situation. C’est un processus. À un moment donné, vous dites que nous combattons ou nous ne combattons pas la loi. Au Québec, l’acceptabilité sociale peut justifier qu’un gouvernement annule la décision de deux organismes réglementaires. Il s’agit d’une décision de droit. Nous sommes tous régis par le droit.
M. McKitrick : Il y a quelques années, j’ai participé à une audience de la Commission de l’énergie de l’Ontario; il s’agissait d’un appel interjeté par une famille d’une région rurale concernant un grand projet de parc éolien près de sa résidence. J’ai été appelé comme témoin expert. L’avocat de la famille m’a expliqué qu’il n’y avait pratiquement aucun espoir. Les règles sont établies de telle sorte que le groupe d’experts peut seulement faire annuler la décision du gouvernement pour des motifs extrêmement précis qui sont presque impossibles à respecter pour quiconque. Je pensais que la famille avait de très bons arguments, non pas seulement en raison des dommages que le projet causerait dans sa région, mais également parce que le projet ne respectait même pas ce que le gouvernement tentait d’accomplir avec la Loi sur l’énergie verte.
Alors malgré le caractère futile du processus, j’y ai participé avec d’autres. Nous avons déployé beaucoup d’efforts pour présenter nos exposés et avons suivi le long processus désagréable du contre-interrogatoire. Ensuite, à la fin du processus, comme nous le craignions, le résultat a été celui auquel nous nous attendions, soit l’appel.
Ce serait un exemple d’un processus qui était extrêmement injuste et qui représente tout ce dont les gens s’inquiètent : des conclusions tirées d’avance, un processus de consultations inexistant et des décisions prises à l’échelon politique, peu importe les répercussions qu’elles entraînent pour les gens de la région.
Je reviens au fait que la famille n’a pas décidé de se faire justice elle-même. Elle a accepté le résultat et respecté la loi.
Peu importe le processus en place, des lacunes subsisteront toujours. Il y aura des gens qui diront peut-être, au bout du compte, même de façon parfaitement justifiée ; « J’ai senti qu’on ne m’écoutait pas », ou « J’ai senti que, dans le cas présent, la décision avait été prise d’avance ». Ce sera toujours une possibilité, mais si on a mis en place un processus de consultation raisonnable, on ne peut pas laisser l’opinion des gens sur les lacunes du processus être une excuse pour tolérer plus tard des comportements erratiques qui jettent le discrédit sur l’ensemble du processus. Il faut que les attentes fassent partie du processus, comme c’est le cas dans tous les autres domaines du droit, où les gens doivent respecter les règles même s’ils n’aiment pas le résultat.
Mme Péloffy : Tout revient à la manière dont l’institution qui effectue l’évaluation tient compte des opinions qu’elle a entendues. Si nous pensons que la participation du public ne consiste qu’à cocher des cases — j’ai entendu vos plaintes, passons au prochain —, alors nous n’avancerons pas avec ce projet de loi.
Il faut que ce soit un peu comme le BAPE, un bureau d’audiences publiques. Sa mission est d’aider le public à comprendre le processus, et il est fondé sur l’intelligence collective des gens, sur la confiance que les Canadiens sont des gens sensés et que, lorsqu’ils unissent leurs forces, ils améliorent les choses. Si ce processus est le point de départ, on apprend et on travaille ensemble, et il y a une atmosphère et des résultats complètement différents.
Si, à la fin du processus, il y a encore des gens insatisfaits, certains peuvent manifester dans la rue — je ne crois pas que ce soit illégal —, mais d’autres iront peut-être devant les tribunaux pour faire annuler ces décisions. C’est ce que nous avons vu avec la décision concernant Trans Mountain : un mauvais processus, des gens qui n’ont pas été entendus ni consultés, des questions qui n’ont pas été examinées et des tribunaux qui, conformément à la loi, ont décidé que le processus était fautif.
J’ai également entendu que ce ne sont que les opposants au projet qui mettent de l’avant l’idée du permis social ou de l’acceptabilité sociale, mais les promoteurs l’utilisent également.
Je vais parler de l’expérience très précise d’une agricultrice dont l’exploitation agricole se trouvait sur le tracé proposé du pipeline Énergie Est. Un pipeline passait déjà près de sa propriété, alors elle savait exactement à quoi s’en tenir avec ce processus. Elle a dit que, lorsque ces entreprises arrivent dans une collectivité, elles savent — je ne sais pas comment elles sont au courant de cela — qui est le plus vulnérable, qui est le plus âgé et qui est le plus pauvre. Elles vont aller voir ces personnes en premier, faire en sorte qu’elles souscrivent au projet, leur donner un peu d’argent pour examiner le territoire et signer avec eux une entente de confidentialité. Elles vont choisir ces personnes. Lorsqu’elles ont assez de personnes de leur côté, elles iront ensuite voir le reste de la collectivité et diront « toutes ces personnes approuvent le projet », et cela exerce alors d’énormes pressions sur la collectivité pour qu’elle souscrive au projet.
Ces entreprises peuvent également influencer le processus en organisant des assemblées publiques dans le cadre desquelles elles informent les gens sur un seul aspect de la question, ce qui est de la propagande, à mon avis. Elles se retrouvent donc avec un sondage très superficiel et disent que la majorité des gens appuient le projet et qu’elles détiennent un permis social. Elles peuvent influencer le processus dans les deux sens.
C’est pourquoi ce n’est pas une définition juridique qui s’applique partout. C’est un élément qui est examiné dans le cadre du pilier social de la durabilité et de l’étape du processus décisionnel.
Le sénateur Woo : J’ai une question précise pour M. McKitrick et ensuite une question générale plus conceptuelle pour tous les témoins.
Cela reprend ce que disait Me Péloffy à propos du fait de violer la loi. Vous insistez beaucoup, monsieur McKitrick, sur l’importance du respect des règles. Je pense que tout le monde est d’accord avec vous. Vous avez fait une distinction entre les projets hydroélectriques et les projets de parcs éoliens en Ontario qui sont allés de l’avant malgré le mécontentement de la collectivité, et les projets de pipeline dans l’Ouest — je viens de la Colombie-Britannique — qui ont été bloqués parce que les gens violaient la loi.
J’aimerais que vous précisiez si, en fait, c’est le cas. Il me semble que ce sont les tribunaux qui ont arrêté le projet de pipeline. Il se trouve que je vis en face du mont Burnaby, et, autant que je sache, les camps ont été démontés. La police a peut-être été un peu indulgente, mais elle a certainement démonté les installations des transgresseurs de la loi. Pourriez-vous préciser, pour le compte rendu, que vous pensez que le projet de pipeline Trans Mountain, en particulier, n’est pas allé de l’avant parce que des lois ont été violées par des manifestants et non parce que les tribunaux ont freiné le projet?
M. McKitrick : Je ne conteste pas la décision du tribunal concerné dans cette affaire. Ce que je comprends, c’est que les tribunaux ont établi des critères assez précis qui doivent être respectés avant l’approbation de projets.
Cependant, je parle de choses comme des manifestants suspendus à un pont, les campements que vous avez mentionnés et les barrages routiers qui empêchent la construction. Ce n’est pas des manifestants qui, à eux seuls, ont bloqué un projet de construction qui aurait autrement été de l’avant parce que, comme vous l’avez dit, il y avait une décision d’un tribunal. Cependant, les manifestations se déroulaient avant que le tribunal rende sa décision, et la question est de savoir si ces manifestants étaient prêts, au bout du compte, à accepter le résultat. Ils n’étaient pas d’accord avec la décision, mais croyaient-ils qu’elle reflétait néanmoins les lois du pays?
Je viens d’un campus où nous avons souvent des motions de désinvestissement présentées au conseil des gouverneurs, et c’est ce qui marque le début d’une autre campagne. D’importants groupes veulent qu’il n’y ait pas du tout de consommation d’hydrocarbures et que les universités vendent toutes leurs actions de sociétés d’énergie canadiennes parce qu’ils croient qu’il est illégitime pour elles d’être des partenaires d’affaires de ces sociétés.
Nous ne pouvons pas faire fi du fait que, pour certains opposants au projet, ce n’est pas qu’ils s’opposent précisément à un pipeline ou à un tracé de pipeline en particulier; ils s’opposent à toute exploitation de la ressource.
Le sénateur Woo : Je comprends bien, et ils ne changeront probablement jamais d’avis.
Votre argument est plus précis. Vous parlez de la nécessité pour l’État, les autorités d’être déterminés à mettre en œuvre la loi et à s’assurer qu’elle est respectée. Mon interprétation de la situation des réseaux d’oléoducs, en particulier Trans Mountain, c’est qu’ils l’étaient. Dans les raffineries de Burnaby, les protestataires ont levé le camp; et si le sort de l’oléoduc est aujourd’hui incertain, c’est à cause d’une décision de la cour et non pas parce que des manifestants ont en quelque sorte bloqué le chantier.
Permettez-moi de revenir sur une question plus générale, notre manière d’envisager l’évaluation de projet. La première étape dans n’importe quelle évaluation de projet, clairement, c’est la création de paramètres définissant le type de projet et les critères de l’étude.
Je suis un économiste, et je me rappelle de l’époque où l’évaluation environnementale était quelque chose de nouveau. À une époque pas très lointaine, nous ne faisions pas d’évaluation environnementale parce que les seuls critères à prendre en compte pour les grands projets étaient la viabilité financière, la création d’emplois et ainsi de suite. Au fil du temps, la portée de l’évaluation environnementale a augmenté précisément, je pense, en raison du permis social, même si ce terme n’existait pas en ce temps-là.
L’idée que je veux proposer, c’est que, même si nous n’avions pas un terme comme « permis social », la notion existerait quand même. La manière de voir les choses, selon moi — professeur McKitrick, vous êtes un économiste —, c’est qu’il s’agit du résidu d’une régression. Vous ne savez pas exactement ce que contient le résidu, mais il est là; vous ne voulez pas qu’il disparaisse. Parfois, nous prétendons qu’il n’y a pas de facteur extérieur, mais il y en a.
La question que je veux poser aux trois témoins est la suivante : dans la mesure où nous acceptons le fait qu’il y a un résidu, qu’il y a un autre aspect à prendre en compte dans l’évaluation de tous les projets, n’est-il pas préférable que le processus de réglementation essaie d’identifier ce que le résidu pourrait contenir, plutôt que de tolérer ce vague, cette chose amorphe qui pourrait créer encore plus de confusion que l’imprécision malgré tout des éléments que nous aurions pu identifier comme appartenant au résidu?
Voyez-vous où je veux en venir? J’ai l’impression que le projet de loi C-69 essaie de faire cela. Même si nous n’arrivons pas à définir précisément et de manière satisfaisante plusieurs de ces termes, nous tentons quand même d’arriver à quelque chose de réel plutôt qu’à quelque chose d’imaginé.
Mme Péloffy : Je vais tenter de répondre à la question en me concentrant moi aussi sur les oléoducs. En ce qui concerne les oléoducs, aux termes de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale de 2012, le résidu important — et selon moi, ce n’est pas un résidu, mais la question principale —, c’est le climat. Un membre du Programme des Nations Unies pour l’environnement a dit que nous avons deux ans pour réagir aux changements climatiques. Nous sommes un pays où certaines régions, du moins, concentrent actuellement une grande partie de leur économie sur l’exploration de combustibles fossiles, et il y a absolument une incompatibilité dans le contexte général.
Certains projets pourraient être bons et acceptables, mais une expansion plus large pour les sables bitumineux pourrait être incompatible. Voilà le résidu qui n’avait pas été pris en compte dans les examens de ces oléoducs, et qui a entraîné toute cette polémique.
Une manière de résoudre ce problème — et le projet de loi C-69 le fait en partie —, c’est d’obliger la prise en compte des changements climatiques. Le débat ne se fera pas dans les rues; il se fera pendant le processus d’évaluation. Selon moi, c’est un pas en avant.
C’est une question difficile à résoudre au Canada. Au Comité consultatif multipartite, la seule recommandation unanime que nous avons pu faire au chapitre du climat — et par unanime, je veux parler des représentants autochtones, des représentants des organismes environnementaux et des représentants de l’industrie — visait à effectuer une évaluation stratégique des engagements climatiques que le Canada a pris pour savoir quelles seraient les conséquences sur un projet donné qui sera assujetti au projet de loi C-69.
En avril 2017, le comité d’experts a dit à trois reprises que c’était urgent. Plus tard, le gouvernement a dit qu’il le ferait. Cet été, le gouvernement a publié un rapport de décision qui indiquait qu’il le ferait, et nous attendons toujours. Ce sera le forum où nous aurons à trancher ces questions très difficiles, et aussi celle du résidu.
Autrement, oui, il s’agit d’un élargissement de la portée de l’évaluation par rapport à la LCEE de 2012. Il ne s’agit pas d’un élargissement par rapport à ce qui se faisait auparavant ou ce qui se fait dans un nombre de provinces et de territoires. En élargissant toutes ces portées, nous nous assurons que nous ne perdons rien de très important pour les gens qui veulent participer, ce qui a pour conséquence de créer ce résidu problématique, en dehors du contexte de l’évaluation.
La présidente : Merci.
Nous commençons à être à court de temps. J’apprécierais que les questions soient plus courtes et les réponses aussi, si possible. Monsieur Rodon ou monsieur McKitrick, voulez-vous ajouter quelque chose à la réponse?
M. McKitrick : Vous avez raison de dire que le permis social pourrait n’être qu’un nom donné à quelque chose qui a toujours existé, c’est-à-dire le besoin des gens d’avoir leur mot à dire dans leur propre collectivité et sur les choses qui touchent leur vie. À cet égard, c’est une bonne idée d’essayer de le codifier, de décider qui peut participer et de déterminer sa portée.
En ce qui concerne la question de ce qui devrait être décidé dès le départ, les changements climatiques sont un bon exemple, car nous savons qu’il y aura des règlements et des politiques. Où ces décisions devraient-elles être prises? La politique sur les changements climatiques doit être élaborée à très grande échelle. Si vous essayez d’élaborer une politique climatique afin de savoir si un terminal en particulier devrait être approuvé, ce ne sera pas une bonne entrée en matière pour ce genre de décisions stratégiques.
Ce qui serait pourtant logique, c’est que les opérateurs du projet disent : « Eh bien, vu nos attentes concernant le régime politique, il se peut que ce ne soit plus un projet économique. » Tout cela serait fondé sur des considérations opérationnelles ultérieures; ils ne se diront pas que, en fait, ils refuseront ce projet en particulier à la lumière des politiques nationales sur le climat. Cela serait typiquement, d’un point de vue d’économiste, un mauvais endroit pour mettre en œuvre la réglementation.
Le sénateur Neufeld : Merci à vous trois d’être venus présenter vos exposés. Je sais qu’il s’agit d’une question qui peut être abordée de bien des points de vue, peu importe où vous voulez en venir. J’ai eu quelques expériences en cette matière en Colombie-Britannique.
J’aimerais poser à chacun de vous une petite question, si vous me le permettez. La Déclaration des droits des peuples autochtones mentionne « le consentement libre, informé et préalable » à plusieurs reprises. Est-ce qu’il s’agit d’un veto? C’est ce que vous pensez? Oui ou non? Très rapidement.
Mme Péloffy : Où est M. Rodon quand on a besoin de lui? Monsieur McKitrick, allez-y en premier, s’il vous plaît.
M. McKitrick : Si le terme est « consentement », alors, oui, il s’agit d’un veto. Notre sujet de discussion vise à déterminer si cela devrait être un veto. Si j’ai besoin de votre consentement pour faire quelque chose, c’est un veto.
Le sénateur Neufeld : D’accord.
Mme Péloffy : Si notre point de départ était la Déclaration des droits des peuples autochtones et le nouveau préambule du projet de loi C-69...
Le sénateur Neufeld : Je ne parle pas du projet de loi C-69; je parle de la Déclaration des droits des peuples autochtones.
Mme Péloffy : Le projet de loi C-69 comprend aujourd’hui une référence à la Déclaration des droits des peuples autochtones : le « consentement libre, informé et préalable. » Ce qui suppose que vous pouvez refuser de donner votre consentement. La façon dont cela s’appliquerait au Canada n’a pas encore été définie sur le plan juridique. L’arrêt Tsilhqot’in de la Cour suprême indique qu’il est préférable d’obtenir un consentement. Il ne dit rien sur ce qui se passe si vous ne l’obtenez pas. Au Canada, c’est une question ouverte. Si le projet de loi va de l’avant et que la loi est bien mise en œuvre, peut-être que nous n’aurons même pas à répondre à cette question, car nous pourrons tout faire correctement.
Le sénateur Neufeld : D’accord.
Ensuite, en ce qui concerne les projets de construction — et je parlerai d’un projet d’énergie propre dans Nord-Est de la Colombie-Britannique, où la collectivité était très en faveur du projet, alors que les habitants ne l’étaient pas —, quelqu’un doit finalement prendre une décision sur ces enjeux. Cependant, maître Péloffy, vous semblez sous-entendre en quelque sorte que chacun doit être en faveur d’un projet pour que ce dernier aille de l’avant. Ou bien ai-je mal compris ce que vous avez dit? Au bout du compte, quelqu’un doit prendre la décision.
Mme Péloffy : Oui. C’est pour cela que je dis que ce n’est ni un référendum ni un sondage. C’est un concept sociologique nébuleux qui sera pris en compte par le législateur, au bout du compte. Je pense qu’il est impossible de convaincre tout le monde, mais vous arrivez peut-être à un point où les gens peuvent vivre avec le résultat, même s’ils ne sont pas d’accord.
Je sais que cela semble étrange, mais une étude indique que, si vous pensez avoir été écoutés... En fait, j’ai vécu moi-même cette expérience avec le groupe d’experts en évaluation de l’environnement. Vous pensez vraiment qu’ils vous écoutent. Ils s’assoient près de vous. Ils vous regardent dans les yeux. Vous vous sentez écoutés. À la fin de la consultation, ils ont montré qu’ils avaient pris en compte les commentaires de tout le monde. Donc, même si je n’étais pas d’accord avec tout ce qu’ils ont mis dans le rapport, je n’étais pas assez en désaccord pour aller manifester dans les rues.
Le sénateur Neufeld : En ce qui concerne Trans Mountain, selon les sondages — et on ne peut pas toujours se fier aux sondages —, plus de 50 % de la population de la Colombie-Britannique approuvait le projet de Trans Mountain, il aurait donc dû aller de l’avant.
Mme Péloffy : Non, j’ai précisément dit qu’il n’était pas question de sondages ou d’enquêtes. Il s’agit de créer un processus participatif où nous pouvons construire ensemble ces choses.
Le sénateur Neufeld : Il y a une dernière chose. Je sais que nous n’avons plus beaucoup de temps.
Pour moi, c’est toujours intéressant d’entendre non pas ceux qui sont en faveur d’une chose ou d’une autre... Par exemple, les habitants du Lower Mainland, à Vancouver, sont assez contents de recevoir leur carburant d’Edmonton, un carburant qui vient des sables bitumineux — du brut — et arrive d’Edmonton par oléoduc; ils brûlent le carburant, en pavent leurs rues, et s’en servent pour toutes ces choses qui nécessitent des combustibles fossiles. Cependant, ils disent aussi :« Je ne veux pas en faire partie. Pas dans ma cour. » Dans la plupart des cas, c’est ce qui arrive. Au Québec, c’est la même chose. Le Québec a refusé la fracturation hydraulique et l’exploitation, mais continue à avoir une centrale nucléaire. Devinez d’où le Québec reçoit son gaz naturel? De Marcellus, aux États-Unis, où ils pratiquent la fracturation. Dans un sens, je pense que le Québec était d’accord et il l’a accepté, mais il dit aussi « Ne vous avisez pas de faire ça dans ma cour, car elle est spéciale; la cour des autres ne l’est pas. »
Selon moi, c’est illogique, mais, quand on y pense, ce n’est pas dans ma cour. Je veux un parc éolien et des panneaux solaires, mais je ne les veux pas près de chez moi. Mettez-les là-bas sur la propriété de Fred, car ce sera correct. Ensuite je l’utiliserai. C’est ce qui arrive dans la plupart des cas. Je vais peut-être être un peu direct, mais c’est exactement ce que j’ai vécu longtemps en Colombie-Britannique. Vous entendrez dire : « Nous l’acceptons. Nous l’utiliserons. Nous mettrons de l’essence qui vient d’Edmonton dans nos voitures. » Soit dit en passant, c’est de là que l’essence provient. La plus grande partie de l’essence de l’Ouest du Canada provient d’Edmonton, et une certaine partie provient du sud de la frontière, c’est le pétrole brut qui est transporté le long de la côte de la Colombie-Britannique à partir de l’Alaska.
Je trouve parfois que c’est un peu difficile à supporter. C’est une simple déclaration. Vous n’avez pas à répondre.
Mme Péloffy : Très rapidement, oui, au Québec, l’exploitation est maintenant interdite, mais nous ne sommes pas la seule province à le faire. Nous avons fermé notre seule centrale nucléaire.
Le sénateur Neufeld : Vous avez fermé votre centrale, mais vous l’avez utilisée pendant des décennies.
Mme Péloffy : Nous sommes arrivés à un moment précis, compte tenu des réels défis des changements climatiques, où nous ne vivons plus dans le monde que nous pensions connaître. Peut-être que jusqu’à présent, c’était une excellente idée d’exploiter nos propres ressources et d’en tirer le meilleur parti possible. Peut-être qu’à l’avenir, ce ne sera plus une bonne idée, et nous devrons réfléchir à des manières différentes de faire les choses. Ce sont des temps difficiles, mais soit nous décidons de changer, soit le climat s’en chargera pour nous, et ce sera en fait beaucoup plus destructeur.
Le sénateur Neufeld : Une chose que j’ai oublié de dire, c’est que vous faites venir des bateaux du Venezuela, de l’Arabie saoudite et d’ailleurs jusqu’au golfe du Saint-Laurent et jusqu’à nos raffineries.
Mme Péloffy : Ce pétrole génère moins de gaz à effet de serre.
Le sénateur Neufeld : Vous ne voulez pas utiliser le pétrole qui vient du Canada.
Mme Péloffy : D’un point de vue environnemental, le pétrole que nous faisons venir au Québec génère moins de gaz à effet de serre que celui produit en Alberta.
Le sénateur Neufeld : Vous avez tort.
Mme Péloffy : J’ai en fait examiné les chiffres.
La présidente : D’accord, s’il vous plaît. Nous pouvons les retrouver. En fait, un de nos propres rapports traite cette question. Avant de donner la parole au sénateur Patterson, j’aimerais poser une question.
Je suis une ingénieure, et j’aime que mes projets soient réalisés. Je me souviens, quand j’ai réalisé l’un de mes premiers projets, que le seul aspect qui était pris en considération pour l’acceptation et l’approbation du projet était l’aspect économique. C’était le seul. Ensuite, nous avons ajouté l’aspect technique. Nous devons être à la fine pointe de la technologie, car nous pensons à la sécurité des gens. Nous devons également penser aux services publics, à la durée de vie du pont ou de l’oléoduc. La durée de vie était un aspect important, nous devions donc utiliser les meilleures technologies disponibles.
Plus tard, il y a 30 ans, nous nous sommes dit que l’environnement devait également être pris en considération. Nous avons continué à appeler cela évaluation environnementale, mais, en réalité, c’est devenu une évaluation intégrée. Vous visez l’environnement, mais c’est intégré. L’évaluation prend en considération les aspects économiques, techniques, environnementaux et sociaux.
J’ai l’impression que, l’inclusion de tous ces aspects a amélioré la qualité des projets. Je ne me vois pas revenir en arrière et simplement tenir compte de l’aspect économique.
Ne serait-il pas judicieux de notre part d’aller de l’avant, et comme vous l’avez dit, de réunir ces trois choses, la clarté du processus,l’indépendance et la neutralité, et de parler des questions importantes? Est-ce que je fais une lecture erronée de ce que l’histoire nous raconte, ou est-ce que j’ai la bonne opinion sur ce que l’histoire nous a montré?
M. McKitrick : Je pense que vous utilisez le terme économie pour parler d’une analyse coûts-avantages très étroite, fondée sur des coûts et des revenus très facilement mesurables, alors que la dimension économique d’une analyse des coûts-avantages engloberait normalement des aspects comme les primes de risque, par exemple, pour les interruptions ou les problèmes de qualité, et les effets externes de la pollution. D’un point de vue social, ces aspects devraient faire l’objet d’une tarification. Ils deviennent plus difficiles à mesurer quand le projet touche à sa fin. Vous êtes quand même tenus de mesurer ces aspects et aussi les évaluer par rapport à d’autres choses.
Je ne veux pas lancer une polémique sur la question de l’oléoduc, car, comme nous l’avons constaté, nous perdrons le contrôle. Nous payons très cher le rabais sur le pétrole brut. La question n’est pas de savoir si nous prenons en considération les questions environnementales ou pas, mais, si nous en tenons compte en supposant une pondération raisonnable des prix, cela changerait-il notre décision quant au fait qu’il est économiquement raisonnable de construire un oléoduc jusqu’à la côte?
J’ai l’impression que, si nous mettons un prix sur les aspects liés au climat et à l’environnement, nous dirions quand même que nous payons trop cher pour ne pas avoir accès au marché de l’exportation.
La présidente : Je comprends le concept des effets externes. Je pense que les projets ne tiennent pas toujours compte des effets externes. La plupart sont fondés sur l’analyse coûts-avantages.
M. McKitrick : J’ai un petit commentaire à faire. Les projets doivent toujours être conformes aux réglementations environnementales. Nous parlons aujourd’hui beaucoup plus souvent de la tarification des émissions, mais le fait que nous ayons des règlements sur la qualité de l’air, même s’ils ne prévoient pas de paiement au gouvernement, signifie qu’il faut encore intégrer au projet le coût de la conformité avec ces règlements. Ces coûts sont pris en compte, même s’ils ne sont pas pris en compte dans la décision.
Mme Péloffy : Je suis d’accord avec votre description de l’évolution, mais je dirais qu’au Québec, depuis 1978, l’environnement a toujours eu des dimensions écologique, sociale et économique. Bien sûr, des leçons ont été tirées au fil du temps, et je pense que nous comprenons et saisissons mieux qu’avant toute la réalité des projets, et que nous avons de meilleures chances de réaliser de meilleurs projets adaptés aux besoins des collectivités.
Je suis d’accord pour dire que beaucoup d’effets externes ne sont pas inclus dans les évaluations ni dans les analyses coûts-avantages. Un outil a été élaboré, du moins au Canada et aux États-Unis; je parle du coût social du carbone, qui évalue les dommages que causerait l’émission dans l’avenir d’une tonne de gaz à effet de serre. Si nous avions inclus cette mesure et avions présenté les avantages économiques du projet et les dommages qu’ils causeraient sur le plan du climat, nous aurions au moins une meilleure idée de la situation, mais jusqu’à présent, cela n’a pas été le fait durant les évaluations.
En ce qui concerne le rabais sur le pétrole brut, je crois comprendre qu’il y a de moins en moins de raffineries dans le monde qui peuvent le traiter. C’est l’une des raisons pour lesquelles le prix du pétrole fluctue. Le monde s’engage à se sauver des changements climatiques, et cela suppose l’abandon progressif des combustibles fossiles; il se peut donc qu’il n’existe plus de marché, un jour, pour nos ressources. C’est un risque évident dont nous devons tenir compte.
Le sénateur Patterson : C’est une étude que le comité a décidé de mener sur le permis social. J’aimerais poser une question sur le permis social. D’après ce qu’ont dit M. Rodon et Me Péloffy, j’ai l’impression qu’il est préférable d’utiliser le terme « acceptabilité sociale ». M. Rodon a décrit cela comme étant une relation. Il a dit qu’il n’aimait pas le terme « permis social ». Me Péloffy a parlé de l’intelligence collective. Je crois que vous avez aussi mentionné un concept social nébuleux.
Maintenant, M. McKitrick, qui a enseigné dans ce domaine pendant plus de 20 ans, dit essentiellement qu’il n’existe pas de permis social.
Est-ce que ce terme est utilisé par les législateurs et le gouvernement? À quelle fréquence est-il utilisé? La question vise à savoir si nous sommes en train d’étudier quelque chose d’important et d’actualité, ou quelque chose de vague, de nébuleux et d’illusoire? Monsieur McKitrick, je pense que vous avez utilisé ce terme.
La présidente : Je veux dire que ce que M. Rodon a dit, c’est que le terme « permis social » a été intégré à la pratique par les entreprises. C’est ce qu’il a dit.
Le sénateur Patterson : J’ai posé une question sur les gouvernements et les organismes de réglementation.
M. McKitrick : Je pense que vous avez saisi les difficultés auxquelles nous sommes confrontés ce matin pour définir le terme. Le permis social est devenu l’acceptabilité sociale.
Je pense que cela nous ramène à l’opinion publique et aux gens qui ont des intérêts dans un projet, et à cet égard, nous sommes toujours confrontés à ce problème. Qu’il s’agisse de la construction d’une usine de conditionnement de viande à Etobicoke ou d’un port méthanier sur la côte Ouest, il faut poser toutes les mêmes questions : Qui devrait avoir quels droits? Qui prendra la décision au bout du compte? Comment rendre compte de cette décision dans le processus démocratique?
Je dis qu’il n’existe pas de permis social, mais que j’y croirai quand vous me direz où je peux en faire la demande et qui le délivrera. Et si vous ne pouvez pas répondre à une question simple comme celle-là ou me dire ce qu’il faut faire pour obtenir ce permis, s’il n’y a pas de réponse à ces questions, je dis alors qu’il s’agit d’un concept qui n’est pas valide et que nous ne devrions pas perdre de temps là-dessus.
Le sénateur Mockler : Absolument.
Mme Péloffy : Pour une fois, je suis d’accord avec M. McKitrick. Il ne devrait pas être considéré comme un permis que vous recevez de quelque part. Ce n’est pas de cela qu’il s’agit. Pour simplifier le débat, ce matin, j’ai assimilé l’acceptabilité sociale au permis social. Au Québec, le terme qui est utilisé est acceptabilité sociale. Il a été utilisé. Il a surtout été utilisé pour refuser des projets auxquels manque l’acceptabilité; au moins trois projets ont été rejetés sur recommandation du BAPE étant donné qu’il n’y avait pas d’acceptabilité sociale à l’échelon local.
Comme l’a expliqué M. Rodon, dans la décision Strateco, le juge a dit que non seulement le ministre de l’Environnement était autorisé à tenir compte de l’absence d’acceptabilité sociale du projet au sein de la Nation crie, mais qu’il devait en tenir compte. C’était une obligation selon la Loi sur le développement durable et selon les principes sociaux qui y sont inscrits. Vous devez en tenir compte. C’est intégré au système réglementaire au Québec.
Elle est officiellement énoncée dans un document d’orientation du ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles, et je pense donc que l’un des inconvénients de toute cette réflexion qui s’est faite au Québec, c’est que le processus a été décrit comme une montagne de processus consultatifs qui a accouché d’une souris.
En ce qui concerne la question de savoir si c’est pertinent ou pas, je pense qu’il est absolument important de comprendre ce qui ferait que les gens acceptent les projets, ce qui leur donnerait le sentiment d’être écoutés et qu’ils sont prêts à tolérer. Je pense que le projet de loi C-69 contribuera grandement à cela. Je dirais que tenter de trouver une définition claire de tout cela n’est pas un exercice qui en vaut la peine.
Le sénateur Patterson : Pourriez-vous nous donner la référence à la décision où cette définition figure? Vous avez lu une définition; vient-elle de Strateco?
Mme Péloffy : Oui, la définition vient de la décision Strateco, au paragraphe 442.
Le sénateur Patterson : Merci.
[Français]
Le sénateur Mockler : Madame la présidente, compte tenu de l’heure, je vais poser deux brèves questions et nos témoins pourront répondre par écrit.
La présidente : Sénateur Mockler, vous disposez de sept minutes.
[Traduction]
Le sénateur Mockler : Merci d’être venus exposer vos idées. Je ne suis pas d’accord avec toutes les idées qui ont été formulées. La réalité, c’est que je crois que nous devons éventuellement aller dans cette direction.
[Français]
À un moment donné, il faut se rendre jusque là pour protéger nos communautés. La population du Canada compte environ 37 millions d’habitants. Elle représente moins de 1 p. 100 de la population mondiale. Cela dit, il ne faut pas croire que le Canada représente la solution à tout ce qui se passe sur la planète.
Toutefois, puisque je suis un étudiant de la politique, de l’économie et du domaine social, je me sens concerné. J’aimerais partager avec vous d’où je viens. Je suis le fils d’une maman monoparentale qui vivait de l’aide sociale. Je crois qu’être ici, au Sénat du Canada, est quelque chose de valorisant. Aujourd’hui, je suis ici pour poursuivre le travail que je fais au sein de ma communauté depuis 35 ans : cogner aux portes, connaître l’opinion des gens et ensuite prendre des décisions.
[Traduction]
Monsieur McKitrick, vous avez abordé un certain sujet. Et ce matin, quand j’ai examiné les feuillets de renseignements devant moi, j’ai vu que nous perdons 100 millions de dollars par jour, en envoyant notre pétrole seulement aux États-Unis. Cela concerne tous les Canadiens. Les Canadiens du Nouveau-Brunswick, où je vis. Les Canadien du Québec. Les Canadiens de tout le pays. Qu’est-ce que cela signifie? Cela signifie que nous perdons chaque année 36,5 milliards de dollars, qui pourraient nous aider à trouver des solutions au problème dont nous avons discuté ce matin. Certains pensent qu’en ce moment, le Canada peut appuyer sur un bouton et découvrir, surprise, la solution. Non, non.
Maître Péloffy, la question que je veux vous poser est la suivante:
[Français]
J’aimerais que vous nous fournissiez une liste de vos clients. Vous pourrez le faire par l’entremise de notre greffière. Puisque le comité est public, nous aimerions savoir qui vous êtes et qui sont vos clients. Bien sûr, vous avez droit à vos opinions, et je les respecte.
[Traduction]
Mon autre question est la suivante : comment définit-on la confiance du public? Car au bout du compte, nous parlons des Canadiens. Au Nouveau-Brunswick, nous laissons tomber 740 millions de dollars de revenus par an. En Nouvelle-Écosse, nous laissons tomber 955 millions de dollars par an. Et au Québec, nous laissons tomber 8,2 milliards de dollars qu’on pourrait utiliser pour trouver des solutions aux défis auxquels nous sommes confrontés.
Je vais finir sur un mot : — et je citerai le premier ministre — mugwump. Mugwump est un mot qui vient du massachusett, une langue de la famille des langues algonquiennes, documentée la première fois en 1828. Je suis d’accord pour dire que, nous devons toujours inviter des intervenants et les Premières Nations sont nos premiers intervenants. Ils doivent être présents.
Que veut dire « mugwump »? Le mot a été utilisé en 1884 pour décrire les différentes attitudes des gens. Puis, mugwump a été utilisé par un premier ministre, que je vais citer, Pierre Elliot Trudeau, le 15e premier ministre du Canada:
Il faut respecter le passé et le saluer, mais sans le vénérer. C’est dans notre avenir que s’épanouira notre grandeur.
J’aimerais savoir comment nous pouvons définir la confiance du public en ce qui concerne les défis que nous devons relever pour que le Canada continue à être le meilleur pays au monde? C’est ce que je veux savoir. Vous pouvez me répondre par écrit. En tant qu’étudiant en politique, je sais que cela peut être long à définir.
La présidente : Il nous reste deux minutes, donc, si vous ne pouvez pas finir en une minute, vous pouvez alors nous communiquer cela par écrit et nous serons ravis de recevoir votre déclaration écrite.
M. McKitrick : Chaque automne, je donne un cours sur la croissance économique et la qualité environnementale. J’enseigne à des étudiants en économie, en sciences, en écologie. Ils ont des opinions très différentes sur les choses. Je m’aperçois que je passe la première partie du cours à examiner les données, à leur montrer des chiffres, à leur montrer des données historiques et des données actuelles. Et cela a tendance à les mettre tous d’accord, car ils constatent les faits.
Je sens qu’il y a un fort consensus en ce qui concerne vos intentions, le type de processus que vous aimeriez avoir. Je ne suis pas d’accord avec le mécanisme. Je pense que cela vous éloignerait de vos objectifs.
[Français]
Mme Péloffy : Très brièvement, nous ne sommes pas un cabinet d’avocats, car les organismes sans but lucratif (OSBL) ne sont pas autorisés à pratiquer le droit. Nous n’avons pas de clients. Nous donnons de l’information aux gens qui sont intéressés aux problématiques environnementales.
Dans le cas du projet d’oléoduc Énergie Est, nous avons dirigé des gens vers un cabinet d’avocats qui les a représentés. Il s’agissait de propriétaires terriens le long de la route du projet Énergie Est.
[Traduction]
En ce qui concerne la manière de définir la confiance du public, je pense que je vais paraphraser un juge de la Cour suprême qui essayait de définir la pornographie : c’est difficile à définir, mais vous la reconnaissez quand vous la voyez.
Je dirais que la confiance du public, vous la reconnaîtrez quand vous l’aurez.
La présidente : Merci. J’aimerais savoir si vous êtes d’accord pour que j’envoie à M. Rodon la question du sénateur Neufeld sur le veto et le consentement préalable.
Le sénateur Massicotte : M. Rodon a fait un commentaire sur la différence entre le fait de demander un consentement et un consentement. Pour mémoire, on devrait préciser que l’expression « demander un consentement » a été refusée par les Nations Unies. Après de nombreux mois, elles ont refusé les mots « demander un consentement. » Le mot « consentement » a été conservé, mais pas « demander un consentement », ce qui signifie que c’est assez proche d’un veto.
La présidente : Nous pouvons lui demander de faire un commentaire là-dessus.
Merci beaucoup. Je pense que tout le monde serait d’accord pour dire que c’était une discussion très intéressante.
[Français]
Je vous remercie beaucoup de vos témoignages et de vos réponses aux questions des sénateurs.
(La séance est levée.)