Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Énergie, de l'environnement et des ressources naturelles
Fascicule nº 50 - Témoignages du 23 octobre 2018
OTTAWA, le mardi 23 octobre 2018
Le Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles se réunit aujourd’hui, à 17 h 54, pour étudier de nouvelles questions concernant son mandat (sujet : l’acceptabilité sociale et la consultation).
La sénatrice Rosa Galvez (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Bonjour et bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles.
Je m’appelle Rosa Galvez, et je suis présidente du comité. Je demanderais maintenant aux sénateurs et sénatrices autour de la table de se présenter.
Le sénateur Richards : David Richards, Nouveau-Brunswick.
La sénatrice Cordy : Jane Cordy, Nouvelle-Écosse.
La sénatrice Lankin : Frances Lankin, Ontario.
La sénatrice Seidman : Judith Seidman, Montréal, Québec.
Le sénateur Patterson : Dennis Patterson, Nunavut.
Le sénateur Neufeld : Richard Neufeld, Colombie-Britannique.
Le sénateur MacDonald : Michael MacDonald, Nouvelle-Écosse.
La présidente : Je tiens aussi à présenter l’analyste du comité, Sam Banks, ainsi que notre greffière, Mme Maxime Fortin.
Chers collègues, nous nous réunissons aujourd’hui pour notre deuxième réunion sur l’obligation de consulter et le concept de permis social d’exploitation dans le contexte des évaluations environnementales et des propositions de grands projets. Aujourd’hui, nous accueillons trois témoins : Dwight Newman, professeur de droit et Chaire de recherche du Canada sur les droits des Autochtones en droit constitutionnel et international, Université de la Saskatchewan; Michael Cleland, professionnel en résidence pour le projet Énergie positive, Université d’Ottawa; et, enfin, Kenneth Brown, représentant du Conseil des chefs du projet Eagle Spirit, Eagle Spirit Energy Holding Ltd. Merci de vous joindre à nous.
J’inviterais M. Newman, puis M. Brown à ouvrir le bal, puisqu’ils communiquent avec nous par vidéoconférence. Nous terminerons par M. Cleland. Allez-y, monsieur Newman.
Dwight Newman, professeur de droit et Chaire de recherche du Canada, Université de la Saskatchewan, à titre personnel : Bonjour. Je m’appelle Dwight Newman; je suis professeur de droit et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les droits des Autochtones en droit constitutionnel et international à l’Université de la Saskatchewan.
Une très grande partie de mon travail porte sur les croisements entre le droit constitutionnel et l’exploitation des ressources. J’ai écrit quelques ouvrages sur le sujet, dont l’un sur l’administration des ressources naturelles au Canada, et un autre plus récent sur le droit minier au Canada.
J’ai rédigé pour diverses publications des articles traitant de la doctrine relative à l’obligation de consulter, et deux de mes livres abordant le sujet ont même été cités dans des décisions juridiques. Je suis ravi que le comité m’ait invité à l’aider dans son étude sur les concepts de l’obligation de consulter et de l’acceptabilité sociale. Conformément à ce qui m’a été demandé, je suis ici surtout pour éclaircir ces concepts, et non pas pour discuter de la manière dont ils pourraient s’appliquer immédiatement dans le contexte du projet de loi C-69. Cependant, ne vous gênez pas pour me poser des questions à ce sujet, si vous le souhaitez. Je vais maintenant commencer ma courte déclaration préliminaire sur ces concepts, et je serai ensuite heureux de répondre à toutes vos questions.
Un point important à souligner, c’est que l’obligation de consulter et l’acceptabilité sociale sont deux concepts différents par nature.
L’obligation de consulter est une doctrine juridique qui fait effectivement partie du droit constitutionnel canadien. Précisément, elle est reconnue à l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, qui traite des droits des peuples autochtones du Canada. La notion d’acceptabilité sociale, au départ, était simplement un concept commercial créé et utilisé par les sociétés exploitantes de ressources. Même si, dans une certaine mesure, le concept s’entend différemment aujourd’hui, il n’a toujours aucun poids juridique. Néanmoins, c’est un concept politique utilisé à diverses fins, par exemple pour réclamer de nouvelles obligations juridiques.
Je veux d’abord m’attarder à la doctrine de l’obligation de consulter. Ce concept repose principalement sur un ensemble de règles découlant de la jurisprudence constituée depuis l’arrêt Haida de la Cour suprême du Canada en 2004. Ces règles jurisprudentielles donnent un cadre au processus suivi par un gouvernement pour prendre une décision qui pourrait avoir une incidence sur des revendications relatives aux droits autochtones ou aux droits issus de traités suscitant une certaine ambiguïté. Un tout autre ensemble de règles s’applique aux gouvernements quand il s’agit de droits déjà reconnus ou déjà prévus par la loi; dans ce contexte, on peut utiliser les critères établis par la Cour suprême du Canada en 1990 dans l’arrêt Sparrow et dans d’autres affaires connexes pour déterminer si une atteinte à ces droits est justifiée. Les consultations sont là aussi un facteur, mais l’obligation de consulter découle dans l’ensemble d’une jurisprudence différente.
Depuis l’arrêt Haida, la Couronne doit s’acquitter proactivement de son obligation de consulter lorsque le gouvernement — ou elle-même — prend des décisions administratives qui pourraient avoir un effet préjudiciable sur des droits ancestraux revendiqués ou sur des droits issus de traités que le gouvernement doit ou devrait connaître. L’obligation de consulter s’impose même dans les cas où il y a encore une divergence d’opinions quant aux droits ainsi que dans les cas où un droit n’a pas été réglé définitivement par voie de négociation ou par voie de litige devant les tribunaux.
L’obligation de consulter est une obligation proactive, c’est-à-dire que le gouvernement doit s’en acquitter chaque fois qu’il prend une décision de ce genre. Tout manquement à ce devoir devient immédiatement une violation de l’obligation de consulter, et des recours peuvent être pris en conséquence.
L’obligation de consulter s’impose des centaines de milliers de fois par année au Canada. Je sais que cela peu paraître exagéré — ces chiffres viennent des statistiques gouvernementales —, mais, si c’est gérable, c’est en partie parce que le contenu varie selon les circonstances. Le contenu de l’obligation dépend de deux facteurs, qui requièrent ce qu’on appelle parfois une analyse relative au continuum. Le premier des deux facteurs est la solidité à première vue de la revendication, établie en réponse à la question de savoir si le droit autochtone en question résisterait à un examen juridique. L’autre facteur est l’ampleur du préjudice que pourrait causer la décision du gouvernement sur le droit revendiqué.
Lorsque les deux facteurs de ce continuum sont décisifs, une obligation de consulter très rigoureusement s’impose. Cela suppose de mener des consultations interactives et, fort probablement, d’accommoder les partis intéressés en modifiant de façon appropriée la décision du gouvernement.
Pour certaines décisions du gouvernement, il faut que toutes les exigences soient remplies. À l’autre bout ou au milieu du continuum, le contenu de l’obligation de consulter peut être plus léger. Par exemple, cela peut supposer simplement d’envoyer un avis écrit touchant une décision imminente du gouvernement et de donner aux collectivités autochtones ou aux collectivités visées la possibilité de réagir.
J’aimerais remettre les pendules à l’heure et corriger un malentendu courant touchant la doctrine de l’obligation de consulter. Je veux que ce soit clair : l’obligation de consulter se distingue des consultations menées dans d’autres contextes ou de l’utilisation informelle du terme.
C’est une obligation juridique, et elle ne tient pas compte des points de vue et des opinions : elle tient compte des préjudices éventuels identifiables touchant les droits ancestraux et issus de traités. J’ajouterais aussi que, comme les tribunaux l’ont déclaré à maintes reprises, l’obligation de consulter n’entraîne aucun droit de veto. Tant que les gouvernements s’acquittent de leurs devoirs, conformément à cette obligation, ils peuvent prendre des décisions et aller de l’avant même s’il y a contestation. Malgré tout, il s’agit d’une protection puissante pour les collectivités autochtones, à cause de l’obligation de mener ce qu’on appelle de « véritables consultations ». Les consultations doivent toujours être véritables et remplir les objectifs de l’obligation et respecter les raisons pour lesquelles les tribunaux l’ont établie.
Bien des choses ont été dites à propos des consultations véritables, et parfois, de façon plus informelle, les tribunaux ont expliqué que les consultations, dans le cadre de l’obligation, ne sont pas censées être une simple occasion de se défouler. Au contraire, les gouvernements qui organisent des consultations doivent, conformément à la doctrine, avoir l’esprit ouvert et tenir compte des commentaires qu’ils reçoivent à propos de la façon dont les décisions pourraient porter atteintes aux droits.
Le simple fait d’augmenter le nombre de consultations ne suffit pas à résoudre les problèmes éventuels. Un régime juridique voulant assurer que les exigences de consultations sont remplies doit rempli les exigences spécifiques de l’obligation et veiller à ce que de véritables consultations aient lieu; cette exigence est de nature qualitative plutôt que quantitative.
L’obligation de consulter se distingue de l’acceptabilité sociale en ce qu’elle est prévue par la loi. Je vais parler de l’acceptabilité sociale très brièvement. L’expression a été inventée par l’un des cadres d’une société minière pour décrire concrètement une notion selon laquelle une entreprise dont la société n’approuvait plus les activités pouvait, surtout dans des contextes juridiques ambigus, faire face à tout un éventail de problèmes. Dans certains pays en développement, les sociétés minières doivent parfois composer avec des modifications deleurs obligations juridiques, des modifications imprévues des lois, la saisie par le gouvernement de leurs biens ou une ingérence illégale du secteur privé.
Ceux qui veulent donner plus de poids à l’acceptabilité sociale au Canada n’en parlent généralement pas dans son contexte original, du moins je l’espère, sinon cela voudrait dire qu’ils approuvent l’utilisation de ce genre de menaces en plus des exigences juridiques. Quand les gens parlent d’acceptabilité sociale, ils veulent surtout dire que les exigences prévues par la loi devraient comprendre un certain degré d’acceptabilité sociale ou qu’un projet devrait avoir dans une certaine mesure le soutien de la population.
C’est le Québec qui est allé le plus loin dans la codification de l’acceptabilité sociale. D’ailleurs, l’expression « acceptabilité sociale », utilisée par la province, est plus juste que l’expression anglaise, soit « social licence » ou permis social. La façon de mesurer l’acceptabilité sociale est un peu floue, mais elle suppose néanmoins une certaine franchise. On entend parfois dire que l’acceptabilité sociale est déjà une exigence pour les projets, mais c’est faux; cela n’est pas prévu par la loi. Pour l’instant, il s’agit davantage d’une revendication politique brandie par ceux qui veulent que les projets soient soumis à cette exigence. Dans certains contextes, l’acceptabilité sociale s’aligne sur les droits autochtones, mais dans d’autres cas, elle peut être carrément à l’opposé.
C’est le genre d’aléa qui survient lorsque l’opinion sociale vient peser dans la balance. J’espère que ma déclaration préliminaire aura servi à rendre un peu plus clairs les concepts de l’obligation de consulter et de l’acceptabilité sociale. Je serai heureux, dans le temps que nous avons, de poursuivre la discussion sur ces deux concepts, si je peux être utile.
La présidente : Merci beaucoup, monsieur Newman. J’invite Kenneth Brown à prendre la parole.
Kenneth Brown, représentant, Conseil des chefs du projet Eagle Spirit, Eagle Spirit Energy Holding Ltd. : Bonsoir, tout le monde. Je vais essayer d’être aussi bref et succint que possible. Je sais qu’il est tard et que vous voulez probablement aller manger.
Il y a une dichotomie très intéressante entre le point de vue juridique qui a été présenté et ce que j’ai à dire. Je ne vais pas parler d’un point de vue juridique; je vais plutôt essayer de situer le contexte selon une perspective autochtone.
Pour commencer, laissez-moi citer ce que Calvin Helin m’a écrit plus tôt aujourd’hui dans un courriel à propos de l’acceptabilité sociale et des consultations : « À mon avis, un processus consultatif adéquat est ce qui permet aux Premières Nations de donner leur approbation sociale. Sans cela, l’acceptabilité sociale est un concept si nébuleux qu’il est parfaitement inutilisable. Avant les dernières élections, Trudeau a dit que l’acceptabilité sociale, relativement aux Premières Nations, allait être reconnue et qu’il allait leur donner un droit de veto sur les projets touchant leur territoire. Malheureusement, rien de tout cela n’est arrivé, ni avec le projet d’agrandissement du réseau de Trans Mountain, ni avec le projet Eagle Spirit, ni pour les collectivités visées du corridor énergétique. »
Je ne vais pas m’attarder au projet de loi C-69, mais je dirais tout de même que, dans ce contexte, l’acceptabilité sociale doit concerner ceux qui sont véritablement touchés par un projet, par exemple les tribus qui ont un titre autochtone sur leur territoire traditionnel. Depuis des temps immémoriaux, les Premières Nations protègent l’environnement sur leurs territoires ancestraux, et elles n’ont certainement pas besoin que des organismes non gouvernementaux voués à la protection de l’environnement ou des gens de l’extérieur de leur territoire ancestral viennent leur dicter des politiques gouvernementales ou leur dire quels projets d’exploitation des ressources devraient être acceptés. Les Premières Nations ont le droit fondamental de prendre part à toutes ces discussions, puisqu’elles constituent la seule partie qui doit être consultée et accommodée en vertu de la Constitution.
Je crois que ce qu’il y a de mieux à faire, donc, c’est de vous présenter le point de vue des Autochtones. Je sais que j’ai l’air irlandais à première vue, mais j’ai rempli trois mandats à titre de chef d’une bande des Premières Nations qui, ensuite, m’a confié la gestion de sa société de développement pendant un certain temps. Dans le cadre de ce travail, j’ai supervisé des activités économiques sur notre territoire ancestral représentant une valeur de 1 milliard de dollars.
Lorsqu’il est question d’acceptabilité sociale, de réconciliation de gouvernement à gouvernement ou de toutes sortes d’autres expressions politiques ou administratives à la mode, respectueusement, qui se retrouvent dans une foule de documents sur la façon d’interagir avec les Premières Nations, la plupart des collectivités autochtones estiment que cette approche est fallacieuse et même parfois mensongère. Un grand nombre de Premières Nations savent concrètement ce que c’est que de voir ses espoirs déçus par une politique jamais mise en œuvre. De leur point de vue, l’esprit et l’intention de ces documents sont toujours corrompus lorsque vient le temps de les appliquer réellement, dans la vraie vie, et les projets sont lancés de toute façon.
Je trouve que c’est ironique, et je dis cela avec le plus grand respect. Vous, mesdames et messieurs les sénateurs, offrez énéreusement votre temps, mais c’est l’ironie, quand on parle d’acceptabilité sociale dans le processus de consultation — et le projet de loi C-69 va radicalement transformer le processus canadien de développement énergétique —, alors que le Conseil des ressources indiennes, qui s’y oppose, n’a même pas été consulté. Les gens intéressés par le projet Eagle Spirit de corridor énergétique, mené en partenariat avec 35 Premières Nations, n’ont pas été consultés non plus.
Tout le verbiage juridique et tous les mots à la mode ne servent à rien; si vous voulez mener de véritables consultations, vous devez saisir les occasions qui se présentent à vous. Ce que je veux dire par là, c’est que ce ne sont pas toutes les collectivités autochtones qui sont égales, cela est évident. En plus de la culture et du mode de gouvernance, les différences tiennent aux ressources. Vous ne serez pas toujours en mesure de convaincre les bandes et d’obtenir leur approbation. Un grand nombre de Premières Nations reçoivent des montants d’argent énormes de l’étranger, et cela a une grande influence sur la direction collective des collectivités des Premières Nations. Prenez par exemple ce qui se passe avec les fondations Tides et Driftwood. Elles recueillent des données très utiles et ont tissé des liens avec un grand nombre de collectivités. Il n’existe aucun modèle universel pour interagir avec les Premières Nations, parce qu’elles sont toutes différentes.
De façon générale, les gouvernements devraient déployer des efforts afin de déterminer quels types de relations avec les Premières Nations fonctionnent et de les mettre en valeur. Si vous voulez modifier les positions et provoquer un changement au sein des collectivités autochtones — qui sont prédisposées à jouer le rôle de contestataire, à toujours défendre les programmes environnementaux —, il faut battre le fer pendant qu’il est chaud. Le projet de Eagle Spirit Energy est un exemple parfait et très pertinent. Trente-cinq Premières Nations, du jamais vu, se sont fortement prononcées en faveur du projet. C’est leur territoire ancestral qui est touché, et elles soutiennent toutes le même le projet. C’est une proposition tout à fait remarquable. Je suis désolé d’axer la conversation là-dessus, mais je crois que c’est extrêmement pertinent, vu le sujet à l’étude.
Je me demande parfois si le mandat et l’objectif ultime du gouvernement, par rapport à l’acceptabilité sociale et aux consultations, sont vraiment de faire en sorte que les projets aboutissent. Dernièrement, j’ai eu l’impression que le Canada n’a pas vraiment la volonté de faire avancer ses projets. Les choses sont devenues un peu nébuleuses. Malgré tout, si, au bout du compte, l’objectif est vraiment de faire avancer les projets et d’accélérer le processus, de s’assurer de la participation des Autochtones et de faire progresser les choses aux fins de la prospérité régionale, provinciale et nationale, alors il n’y a qu’une seule véritable solution : il faut prendre exemple sur les collectivités autochtones qui obtiennent des résultats.
Selon moi, le but ultime devrait être de prendre un instantané des collectivités autochtones, avant et après un projet, pour savoir, paramètres à l’appui, comment les choses se sont améliorées en matière d’infrastructure, de santé, d’éducation et de revenus disponibles, puis de mettre tout cela en valeur au reste des collectivités autochtones.
En ce qui touche la réconciliation, un grand nombre de Premières Nations — et je dis cela avec respect — n’y voient que du camouflage linguistique qui perpétue le statu quo. On perpétue ce qui s’est toujours fait jusqu’ici. Je ne vous ferai pas la morale trop longtemps. Je suis sûr que la journée a été longue pour vous, mais c’est un sujet important. Près d’un tiers de la population, les baby-boomers, est sur le point de prendre sa retraite. Tout le monde vit plus longtemps, mais ce n’est pas tout le monde qui paye des taxes. C’est un poids de plus pour le système de santé. Du point de vue de la gouvernance générale, je suis sûr que vous comprenez tout cela.
Dans les collectivités autochtones, à cause du faible niveau d’éducation et, malheureusement, de la moins bonne qualité de vie, il y a beaucoup de naissances. Les collectivités autochtones affichent un grand essor démographique. Donc, quelle est la solution? Offrir davantage de subventions gouvernementales ou miser sur l’autosuffisance économique, l’autonomie et l’indépendance des collectivités des Premières Nations? Notre pays est arrivé à une impasse, et nous devons commencer à prendre des décisions pragmatiques et pratiques. Nous ne pouvons pas continuer sur la même trajectoire.
Je lisais un article intitulé « The Canada most people don’t see », ou le Canada que la plupart des gens ne voient pas. On y mentionne que le taux de chômage est pire qu’au Soudan et que le revenu médian est comparable à celui de la Lettonie. Le taux de mortalité infantile est plus élevé qu’en Russie. Les réseaux d’égouts ne fonctionnent pas. Je suis certain que la faute en incombe en partie à certaines des collectivités, mais la vraie source du problème est le fait que nous vivons dans une prison bureaucratique, que nous sommes tombés dans le piège de l’aide sociale du ministère des Affaires indiennes. Il n’y a qu’une seule façon pour nous de nous en sortir, et nous devons affronter le problème directement.
Nous perdons 40 $ sur chaque baril de pétrole brut Brent, et c’est une crise nationale, mais 35 Premières Nations sont prêtes à intervenir pour régler le problème et aider le Canada. Du point de vue de l’acceptabilité sociale et de la consultation, ce serait rater une occasion que de ne pas communiquer avec Eagle Spirit ou le Conseil des ressources indiennes pour leur demander leur point de vue. Ils ont pris des risques, ils sont investis dans ce qui se passe. À de nombreux égards, leurs intérêts sont alignés sur ceux des producteurs canadiens. Cette idée que les intérêts des Autochtones sont toujours contraires aux intérêts des promoteurs de projet est autant archaïque qu’absurde.
Les membres des Premières Nations visent l’autosuffisance économique, et nous avons besoin d’un gouvernement qui va joindre l’acte à la parole au lieu de se gargariser de termes pompeux, de mots à la mode et d’autres doubles discours dignes de George Orwell. Nous avons besoin d’un gouvernement qui soutiendra les collectivités autochtones qui sont prêtes à sauter le pas. Voilà ce que j’avais à dire sur le sujet.
Michael Cleland, professionnel en résidence, projet Énergie positive, Université d’Ottawa : Comme les autres témoins, je vais tâcher d’être bref et de m’en tenir au sujet à l’étude. J’ai fait parvenir à votre greffière, la semaine dernière, un mémoire décrivant l’état actuel de notre projet à l’Université d’Ottawa. Essentiellement, nous arrivons à la fin d’un processus triennal qui avait pour but d’étudier la confiance du public envers les politiques, la réglementation et la prise de décisions du Canada en matière d’énergie. Je veux mettre cela en relief : il s’agit de l’ensemble des politiques, de la réglementation et de la prise de décisions, et je veux souligner que nous préférons ne pas utiliser le terme « acceptabilité sociale », parce que nous trouvons l’expression trompeuse. Je vais y revenir dans un moment. Nous préférons utiliser l’expression « confiance du public ».
Je ne vais pas m’arrêter sur chaque point de détail, mais sur quelques concepts directeurs qui sont particulièrement importants. Je suis ravi que le comité ait choisi d’étudier le système dans son ensemble, d’observer tout le tableau, pour voir comment il fonctionne avant de se lancer dans l’étude du projet de loi C-69. Je veux dire simplement dire que c’est une très bonne chose que vous fassiez cela, parce que c’est réellement un système. Il faut l’examiner de ce point de vue : il y a de nombreuses composantes à prendre en considération et des objectifs impératifs, par exemple le besoin de créer des emplois ou de fournir des services énergétiques aux Canadiens ou de respecter toutes sortes de critères environnementaux et sociaux.
Selon nous, il est clair que nous devons adopter une vision à plus long terme et définir ce que nous voulons pour le secteur énergétique au Canada, afin d’être en mesure de régler les problèmes auxquels nous sommes confrontés. Dans cette optique, nous allons devoir trouver un équilibre entre un grand nombre d’intérêts, mais nous croyons que c’est possible. Les gens sont prêts à intervenir et à contribuer de manière constructive. Nous ne croyons pas que le système soit brisé, mais il doit néanmoins faire l’objet d’une révision éclairée.
Un autre concept que je veux souligner — et c’est aussi le titre du rapport, après trois ans — concerne l’équilibre durable. Nous allons devoir trouver un équilibre entre un certain nombre d’intérêts si nous voulons une approche durable qui va survivre aux changements de gouvernement et à l’épreuve du temps. En particulier, si nous voulons adopter une approche à long terme pour nous attaquer aux problèmes entourant les émissions de gaz à effet de serre, nous aurons besoin de quelque chose de durable qui sera en place plus longtemps qu’une législature.
Je vais donc maintenant aborder une partie des travaux que nous avons faits dans le cadre de l’initiative. Premièrement, il y a le projet communautaire, soit une série d’études de cas que nous avons menées de la Colombie-Britannique au Canada atlantique. Nous avons étudié différents types de projets menés dans diverses circonstances, dont trois touchaient des collectivités autochtones.
Nous avons pu cerner quelques éléments. Premièrement, les lacunes au niveau des politiques sont extrêmement importantes. Lorsqu’un projet se soldait par un échec, c’était souvent parce qu’il y avait aussi eu un échec au niveau des politiques. Il y a aussi eu beaucoup de processus qui n’ont abouti à rien. Le contexte est important. Les autres témoins ont mis l’accent sur le fait que le contexte particulier d’une collectivité doit être pris en considération lorsqu’on interagit avec elle. Il y a aussi le fait qu’aucune collectivité ne forme un tout parfaitement homogène. L’idée qu’il existe certaines collectivités où tout le monde s’oppose à un projet ne tient pas la route; ce n’est pas ce que montrent les faits.
Pour sauver du temps, je vais passer par-dessus les autres éléments qui sont ressortis du projet que nous avons mené auprès des collectivités, sauf peut-être pour dire en terminant que la planification va être une composante très grande et très importante de la façon dont nous voulons faire les choses. Nous avons besoin de politiques et de processus d’approbation des projets, mais, au cœur de tout cela, nous avons aussi besoin de planification afin de pouvoir réagir aux enjeux clés qu’il est impossible de régler à l’échelon d’un projet particulier.
Je reviens maintenant au projet des autorités publiques. Nous avons élargi la portée de l’analyse afin d’étudier comment tout le système tient en place. Pour illustrer la situation avec une métaphore zoologique, et vous me pardonnerez si je la pousse un peu loin, je dirais que les écuries sont maintenant pratiquement vides. Une chose qui est frappante, c’est que les changements sociaux des dernières années viennent contaminer la façon dont nous croyons tous que ces projets devraient être conçus.
En même temps, il y a de nombreuses questions évidentes que nous refusons d’aborder ainsi que des problèmes politiques importants qui, même aujourd’hui, n’ont toujours pas été réglés. Tant que ces problèmes demeurent en suspens, le fardeau incombera à chaque projet individuel d’essayer de les résoudre. Ni les projets ni le processus décisionnel connexe ne sont conçus pour cela.
Donc, évidemment, dans ce contexte, les projets individuels et les organismes de réglementation sont des cibles faciles. Nous en avons été témoins énormément il y a peu de temps : les organismes de réglementation et leurs processus sont attaqués de toutes parts, peut-être à cause de leurs propres lacunes, peut-être aussi parce que nous leur en demandons trop. Ils ne sont pas faits pour porter ce fardeau.
Tout cela nous a permis de cerner trois aspects qui, nous croyons, sont pertinents. Premièrement, nous avons besoin d’un nexus réglementaire et politique pour décloisonner les deux domaines. Nous avons absolument besoin d’une politique publique claire. Les gouvernements doivent échanger avec les organismes de réglementation, et ils peuvent le faire sans compromettre l’autonomie de ces organismes de quelque façon que ce soit. Cela s’est déjà vu, et j’ai même participé à ce genre d’efforts moi-même. Cela pourrait avantager les mécanismes de surveillance dans l’ensemble du processus décisionnel. C’est sans doute quelque chose que le comité devrait examiner.
Qui décide? Manifestement,ce sont les collectivités locales. Ce sont les collectivités autochtones et non autochtones qui joueront un rôle essentiel dans les processus décisionnels en matière d’énergie au Canada à l’avenir. De façon générale, ce seront les gouvernements fédéral, provinciaux, territoriaux ainsi que les gouvernements autochtones, dans certains cas, qui décideront au final. Quand je dis que le permis social est trompeur, c’est à cela que je veux en venir. C’est aux gouvernements démocratiquement responsables que revient véritablement le pouvoir légal de prendre des décisions au sein d’une société démocratique. Il est très important que nous gardions ce concept en tête.
En outre, il ne faut pas oublier que, si nous mobilisons les collectivités locales, quelles qu’elles soient, le renforcement des capacités sera un facteur essentiel. Il faudra des investissements pour y parvenir.
Enfin, comment décider? Nous sommes tout à fait d’accord avec les témoins précédents pour dire que la mobilisation des citoyens nécessitera une assise essentielle pour la prise de décisions durables. L’information est fondamentale, mais elle ne suffit pas à elle seule à régler la question. Encore une fois, nous devrions investir dans la capacité, qui jouera un rôle crucial à cet égard.
Pour conclure, nous pensons qu’il est possible de rétablir la confiance du public envers le système décisionnel. Pour ce faire, nous devons prendre un peu de recul, nous assurer de comprendre comment s’agencent les diverses parties et de quelle manière une réforme éclairée du système peut nous permettre d’évoluer à l’avenir.
Merci beaucoup.
La présidente : Je vous remercie tous les trois de vos déclarations très intéressantes et limpides.
Le sénateur Massicotte : Merci à tous d’être ici présents cet après-midi. Je vais poser une question à M. Newman. Vous avez beaucoup parlé de la Cour suprême. Comme vous le savez, la Cour suprême s’est prononcée de nombreuses fois au sujet de la consultation, la définissant toujours mieux, pour expliquer dans quelle mesure elle doit être sérieuse et sincère, et ainsi de suite.
Parfois, nous parlons indirectement d’un projet de loi qui sera adopté prochainement, soit le projet de loi C-69. La Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones y est abordée. Le projet de loi est actuellement examiné par le Sénat. Dans le document, on n’utilise pas le mot « consulter »; on emploie le terme « consentement ». Il y a eu tout un débat sur la question aux Nations Unies. On ne dit pas « demander le consentement »; le terme est « consentement ». Si on regarde dans le dictionnaire, consentir veut dire approuver, et approuver suppose un droit de veto. Toutefois, certains érudits disent que, au moment de débattre de la Déclaration des Nations Unies, il n’a jamais été question de droit de veto. C’était censé être une question d’équilibre des intérêts.
Nous connaissons tous la Cour suprême, et nous accordons tous une immense confiance à ses décisions sur ces questions, mais je crains que l’introduction de la notion de consentement par opposition à la définition de consultation que la Cour suprême a définie porte à confusion. Pour quelle raison devrions-nous débattre de cette question? Voyez-vous une différence de sens entre ces deux termes?
M. Newman : Il est certain qu’il y a une différence de sens entre les mots « consultation » et « consentement ». Les deux ont une signification très différente. L’obligation de consulter ne suppose pas nécessairement l’obtention du consentement. L’idée du consentement est d’obtenir un accord ou, à tout le moins, de chercher à obtenir un accord.
Vous parlez peut-être du projet de loi C-262 comme celui concernant la mise en œuvre de la déclaration, qui est à l’étude au Sénat après avoir fait l’objet de trois lectures à la Chambre. Le projet de loi en soi comporte des dispositions très limitées, mais se reporte à une annexe constituée de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, laquelle prévoit le « consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause » dans de nombreuses dispositions. Certaines touchent directement le contexte des ressources. C’est entre autres le cas de l’article 32. Je pourrais ajouter que l’article 19 porte sur les décisions législatives et administratives susceptibles de concerner les peuples autochtones. Cela pourrait potentiellement avoir un effet différent de celui de la décision rendue il y a quelques semaines dans l’arrêt Première Nation crie Mikisew, dans lequel la Cour suprême du Canada a statué qu’il n’y a pas d’obligation de consulter dans le cadre des mesures législatives qui sont adoptées par le Parlement. Selon l’article 19 de la Déclaration des Nations Unies, il semble y avoir une obligation de consulter si les mesures sont adoptées dans le droit canadien.
Quant au point que vous soulevez, je vais simplement dire brièvement que, dans une certaine mesure, il y a un débat constant sur la formulation des divers articles sur le consentement dans la Déclaration des Nations Unies. Le projet de déclaration publié en 1994 utilisait un libellé plus ferme, selon lequel il fallait réellement obtenir le consentement. Dans la version finale de la déclaration de 2007, adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies, il est question, dans la majorité des dispositions, de consultation et de coopération en vue d’obtenir le consentement. En réalité, certains interprètent cela comme s’il suffisait de vouloir obtenir le consentement — un effort significatif et de bonne foi pour obtenir le consentement, mais sans nécessairement être tenu de l’obtenir dans toutes les circonstances. Et ceux qui adoptent ce point de vue comparent cette formulation avec celle d’autres articles de la déclaration en vertu desquels certaines pratiques ne peuvent se faire qu’avec le consentement, par exemple, la réinstallation des populations autochtones. Il y a un article à cet égard qui exige l’obtention du consentement.
Cela dit, il y a une autre interprétation de toutes ces dispositions sur le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause, qui consiste à examiner la raison d’être de cette protection dans la déclaration et qui tend à supposer que l’obtention du consentement est une exigence.
On en débat constamment. Je pourrais vous inviter à consulter diverses sources, mais pour répondre à votre question principale visant à savoir si le projet de loi C-262 et son adoption changeraient quelque chose à l’obligation de consulter, je dirais que oui. Les exigences en matière de consentement prévoient des mesures légales supplémentaires qui vont au-delà de la simple consultation.
Le sénateur Massicotte : Merci.
La sénatrice Cordy : Merci à vous tous. La discussion était très intéressante.
Monsieur Brown, vous avez dit que, peu importe comment nous appelons cela, si les gens ne font pas confiance au processus qui sera mis en place, le dialogue, la consultation ou le consentement appelez-le comme vous voudrez, ne mènera à rien. Par où faut-il commencer pour convaincre les deux parties qu’une consultation significative sera une consultation significative; les gens vont-ils écouter ce que chaque partie a à dire et y réfléchir, puis en arriver à une décision que personne n’aime, mais que les deux parties peuvent accepter?
M. Brown : C’est une question difficile. Je n’ai pas les connaissances ni le discernement nécessaires pour y répondre de manière concise.
Il est très difficile de mettre en place des politiques concernant la mobilisation des Premières Nations sachant que le résultat sera définitif. Il existe de nombreuses variables. Vous pouvez consulter les gens autant que vous le voulez, mais s’il n’y a pas de véritable compromis, il s’agit probablement d’un bon point de départ. J’ai parlé à de nombreux chefs. La consultation est perçue comme un avis. C’est comme une étape préalable — nous avons mené une consultation, c’est fait, nous pouvons aller de l’avant. « Voici votre indemnité ou ce que vous allez obtenir, et c’est comme ça. » L’approche paternaliste et affirmative à l’égard de la mobilisation peut donc être complexe. Bien sûr, d’un autre côté, il y a d’autres bandes qui sont particulièrement dynamiques, qui veulent s’engager et qui sont désireuses d’assurer la prospérité économique. C’est très difficile.
Pour revenir à ce que je disais initialement, le permis social du point de vue de la consultation signifie qu’il faut mobiliser les gens dès les premières étapes. Vous verrez beaucoup de formulations dans les différents rapports des sociétés, des gouvernements provinciaux et du gouvernement fédéral — la consultation tôt dans le processus. C’est ce qui va entretenir la confiance et l’honneur dans la relation de gouvernement à gouvernement. Lorsqu’on adopte des politiques de grande envergure qui engendreront d’énormes répercussions sur le secteur de l’énergie, et que des collectivités autochtones finissent par voir cela comme le catalyseur d’un changement très important au sein de leur collectivité, auquel ils ne prennent pas part, cela revient à ce que j’ai dit auparavant : des banalités qui ne veulent absolument rien dire. C’est dénué de sens. Nous pouvons présenter autant de définitions légales que nous le voulons, mais si l’intention n’est pas respectée, cela ne veut rien dire. S’il ne s’agit que des exigences légales minimales, cela ne veut rien dire. Et malheureusement, je pense qu’on perd une occasion à cause de la responsabilité civique et morale d’essayer d’améliorer le sort des Premières Nations et de les amener à l’indépendance économique. Le gouvernement devrait offrir un soutien monolithique pour s’assurer que ces occasions se concrétisent.
Je regarde la situation d’un autre point de vue, dans un contexte différent, mais il y a une industrie et une culture au sein des collectivités autochtones, et des avocats et des consultants interviennent et préparent des documents. Il y a des piles et des piles de documents; ces gens en recouvrent les bureaux et peuvent littéralement tapisser les corridors des bureaux de bande. Ils touchent leurs honoraires et ne lèguent rien, et la bande est toujours prise dans le cercle vicieux de l’aide sociale sous le joug bureaucratique d’AANC.
Je dis cela de la manière la plus respectueuse possible, car je sais à quel point votre travail peut être difficile. Vous n’êtes qu’un rouage dans la machine, mais je pense que c’est ce qui se produit actuellement. Je sais que vous n’êtes qu’ici pour voter sur des projets de loi, mais c’est extrêmement déconcertant pour les collectivités autochtones d’entendre parler de consultation et de réconciliation et, encore une fois, je vais revenir à ce qui ancre la conversation : des projets de loi sont adoptés, et il n’y a eu aucune consultation significative à cet égard.
La sénatrice Cordy : C’était une très bonne réponse venant d’une personne qui ne pensait pas pouvoir répondre à la question. C’était excellent, merci.
J’aurais une autre question pour vous, monsieur Brown, si je puis me le permettre. Comme vous l’avez dit dans vos observations, le groupe démographique qui croît le plus rapidement est celui des jeunes Autochtones âgés de moins de 21 ans. Si nous ne reconnaissons pas cela et que nous ne commençons pas à agir au Canada, nous aurons de gros problèmes. D’après vos commentaires, c’est l’un ou l’autre : soit nous augmentons l’aide sociale, soit nous assurons la réussite des collectivités. J’ose espérer que les gens veulent des collectivités qui réussissent, mais nous ferions mieux de prendre des mesures si c’est ce que nous voulons.
J’ai également été frappée de vous entendre dire que nous devrions montrer l’exemple de collectivités qui connaissent beaucoup de succès. Je viens de la Nouvelle-Écosse, et la bande de Membertou, du Cap-Breton, est le moteur économique de la collectivité. Elle réussit très bien et croît à pas de géant. Je suis allée là-bas pendant quelques semaines, j’ai parcouru l’île en voiture et j’ai constaté qu’elle est en pleine expansion. Chaque fois que j’y vais, il y a de nouvelles patinoires communautaires, une nouvelle école et de magnifiques maisons.
Comment pouvons-nous mettre en valeur les communautés florissantes — car il en existe un bon nombre et vous avez dit que nous devrions les présenter? En Nouvelle-Écosse, je vois que des collectivités autochtones regardent ce que fait la Première Nation de Membertou et dialoguent avec elle pour reproduire ce modèle. Un modèle ne peut pas convenir à toutes les collectivités. Chaque collectivité est différente. La bande de Membertou se trouve au milieu d’une petite ville, mais il y a aussi des collectivités isolées. Nous ne pouvons pas adopter une approche uniforme, mais il doit bien y avoir un point commun qui favoriserait la réussite.
M. Brown : Vous avez raison en ce qui concerne l’approche uniforme; toutes les bandes n’ont pas été créées égales. Malheureusement, c’est une réalité inéluctable. La vie est parfois injuste. Ce dont vous parlez est difficile. Il y a les médias qui ne sont pas intéressés à communiquer de bonnes nouvelles concernant les collectivités autochtones. Ils aiment les histoires salaces, sensationnelles et négatives. C’est ce que nous inspirons. Dans une certaine mesure, je ne suis pas nécessairement convaincu que le milieu universitaire souscrit à un grand nombre des solutions des universités, je ne dis pas cela pour attaquer le milieu universitaire. Je dois être prudent dans ma formulation. Je dirais simplement que je ne suis pas nécessairement convaincu que les politiques de certaines universités au sujet des enjeux autochtones et de la justice sociale soient la bonne solution. Les médias ne semblent pas intéressés.
Je vais répondre à votre question sur la façon de mettre en valeur les bonnes histoires. Si on regarde les affiliations et les associations — différents groupes à l’échelle régionale, provinciale ou nationale —, elles se forment sous le couvert du développement économique, de l’autosuffisance et de la prospérité. Il est raisonnable que le gouvernement — qui finira par financer nombre de ces groupes — dise à ces gens qu’il faut donner une voix à ces bandes qui sont en marge du paradigme conventionnel de haine à l’égard du gouvernement et montrer qu’elles font vraiment quelque chose.
Calvin l’a dit avec éloquence, et je vais l’imiter en disant qu’il y a une industrie indienne qui profite de la balkanisation des collectivités autochtones. C’est ce qui se passe. Ce n’est pas propre au chef national. Je ne connais ni l’homme ni ses politiques, mais d’après mon expérience générale, nombre de dirigeants sèment la division et la peur, et ils font obstruction à la collaboration entre les Premières Nations et le gouvernement. Et c’est là qu’il peut y avoir beaucoup d’avantages. Regardez ce qu’a fait Gordon Campbell, qui était alors à la tête de la Colombie-Britannique, un conservateur sur le plan financier et un incroyable premier ministre, avec les collectivités autochtones. Il a travaillé avec beaucoup de diligence avec toutes les Premières Nations. La croissance de l’emploi, la croissance économique et, à tous les égards, la prospérité au sein des collectivités autochtones étaient sans précédent. Je pense que c’est ce que nous avons vu au pays qui ressemble le plus à un effort de collaboration avec les Premières Nations et à un désir de faire avancer les choses.
En fin de compte, le gouvernement doit prendre des mesures à la fois créatives et simples, trouver des collectivités autochtones qui sont proactives et qui essaient d’autofinancer leurs collectivités et d’aller de l’avant. Renchérissez, travaillez avec eux et soyez très créatifs. Il vaut la peine de faire en sorte que ces collectivités aient la possibilité de parler à d’autres collectivités désillusionnées et désaffranchies, abandonnées par leurs chefs, qui se balkanisent essentiellement et perpétuent le cycle de l’aide sociale. Je crois que tout part de là.
Le sénateur Neufeld : Merci beaucoup d’être ici. Monsieur Brown, vous parliez des médias et du fait qu’il n’y a jamais de bonnes nouvelles; c’est ce que j’ai vécu toute ma vie en politique, c’est ce qui fait vendre des journaux et de la publicité.
Je vais vous donner un bon exemple : l’autre soir, sur CBC, la possibilité d’une grève des services postaux faisait la manchette et on parlait de la difficulté que cela poserait pour obtenir de la marijuana. Je me suis dit que c’était une drôle de façon de faire la une. Qu’en est-il de la personne âgée qui attend son chèque? Et de la personne qui attend qu’on lui livre ses médicaments et qui ne vit pas dans un grand centre? Une telle manchette vous donne simplement envie de tout éteindre.
Monsieur Brown, j’ai une question au sujet des collectivités. Je sais qu’en Colombie-Britannique, il y a un certain nombre de collectivités qui réussissent bien.
C’est un peu difficile pour un gouvernement de les mettre constamment en valeur, car certains diront qu’il ne fait que vanter sa façon de faire, alors que les gens ne l’apprécient vraiment pas. N’existe-t-il pas un moyen quelconque d’amener des collectivités de Premières Nations à en visiter d’autres afin qu’elles puissent les voir et discuter avec leurs membres sans qu’il y ait un gouvernement entre elles? Est-ce possible et, si oui, comment procéderiez-vous?
M. Brown : Je pense que c’est toujours une excellente idée qu’il y ait une collaboration et une coopération entre différentes bandes. Calvin peut fournir beaucoup plus de contexte historique quant à la façon dont les collectivités des Premières Nations interagissent depuis toujours en ce qui a trait au troc et à la collaboration. Je pense que le principal obstacle à cette interaction tient au fait que le modèle isolationniste, qui, souvent, est mis en place par certains chefs des Premières Nations lorsqu’il est dans leur intérêt politique que la nation demeure isolée et même parfois endoctrinée par le gouvernement, n’est que du verbiage creux. Je pense que vous avez raison; c’est une bonne idée. C’est une excellente idée et c’est peut-être quelque chose que nous devrions encourager. Un bon exemple est celui auquel j’ai fait allusion plus tôt : les astres s’alignent et vous lancez un mégaprojet dans le cadre duquel il y a une collaboration, du jamais vu, entre 35 Premières Nations. Je suis certain que vous avez une vaste expérience de travail avec les Premières Nations; il est rare que deux d’entre elles s’entendent au sujet de la météo. Arriver à amener 35 d’entre elles à s’entendre sur un projet de 200 milliards de dollars de capitalisation boursière qui représente une solution pour le pays, c’est tout à fait remarquable. Et avec ce genre de cohésion, de coopération et de points d’inflexion pour la transformation de leur communauté, je pense qu’il est très probable que vous trouviez de jeunes dirigeants vraiment racés dans leur collectivité qui aimeraient mettre en valeur ces exemples.
Comme je l’ai mentionné, je crois qu’il convient également de souligner que les mesures sont importantes. Il faut comparer la situation de la communauté avant et après et être capable de le montrer.
Pour vous répondre, ce qui est imposé par le gouvernement quant à la façon dont les bandes devraient fonctionner et à ce qu’elles devraient faire vous met dans une situation difficile. Il incombe à certaines de ces bandes progressistes qui sont financièrement autonomes et qui ont connu de bons résultats de faire quelque chose comme cela. Je pense que c’est une excellente idée.
Comment devons-nous procéder? Nos dirigeants doivent être plus nombreux à assumer un rôle de leadership significatif et à encourager ce type de dialogues de part et d’autre avec les Premières Nations.
Le sénateur Neufeld : Merci.
La sénatrice Lankin : Merci beaucoup. J’apprécie vos commentaires et vos conseils.
Monsieur Brown, j’allais sensiblement vous poser la même question que la sénatrice Cordy et continuer sur la lancée du sénateur Neufeld. Je m’interroge quant à la façon d’aborder ce projet que vous avez défini en discutant avec les sénatrices et les sénateurs ici, et je pense que nous devrions en assurer le suivi en groupe. Je comprends qu’il faut offrir le soutien nécessaire aux Premières Nations pour leur permettre de diriger ce genre de groupe émissaire de nation à nation.
C’est un autre débat. Je vais laisser tomber cette question. J’en ai une plus technique.
Monsieur Cleland, vous avez parlé de l’équilibre durable, et j’aime cette expression. On comprend ce que l’on cherche : quelque chose qui peut durer un certain temps, dont l’intention est claire et qui permet d’assurer une stabilité pour les entreprises, les collectivités et divers intervenants. Vous avez parlé de l’importance du contexte et des lacunes du processus. Vous avez également mentionné les échecs politiques, et j’aimerais que vous nous donniez des précisions. Je comprends les mots, mais je ne sais pas exactement à quoi vous faites référence dans le contexte du permis social et de l’obligation de consulter.
M. Cleland : Merci de poser la question. En ce qui a trait aux échecs politiques, il y en a deux qui s’imposent, l’un étant tout le processus de réconciliation avec les collectivités autochtones. Comme nous l’avons entendu, il y a beaucoup de discussions, beaucoup de gens qui disent : « eh bien, nous aimerions faire cela » et, pourtant, rien ne se concrétise. L’autre qui nous préoccupe — et qui le fera énormément au cours des prochaines années —, c’est l’échec de la politique sur les changements climatiques. Je parle de Rio, de Kyoto, puis de Copenhague; toutes sortes de villes et très peu de mesures prises.
À l’heure actuelle, nous avons très peu de chances de respecter l’engagement que nous avons pris à Paris, encore une fois, et il n’est pas question de partisanerie. Les gouvernements se valent tous : ils n’ont pas respecté leur plan ou leur promesse.
Il est tout à fait compréhensible que la population soit un peu sceptique et qu’elle ne fasse pas confiance au processus décisionnel alors qu’elle voit cela systématiquement de la part du gouvernement.
Nous devons comprendre ce que nous voulons que le système énergétique fasse pour répondre à nos attentes en tant qu’économie axée sur l’exportation, les besoins des Canadiens et la façon de procéder tout en empruntant une voie plus respectueuse du climat en ce qui a trait aux émissions. Tant que nous ne prendrons pas cela au sérieux, tous les processus d’approbation de projets du monde échoueront, car ils mènent à quelque chose de complètement irréaliste.
La sénatrice Lankin : Merci.
La présidente : Puis-je intervenir sur ce que vous venez de dire? Comme vous avez étudié la question, pouvez-vous me dire quel type de plan ou de programme énergétique mènera à l’obtention de l’acceptabilité sociale au Canada?
M. Cleland : Encore une fois, il est important de tenir compte du contexte, et il faut parler aux collectivités dès le départ.
Les gens n’ont aucune raison intrinsèque de s’opposer à la construction de pipelines, par exemple. Si vous consultez les gens, si vous dissipez leurs préoccupations, si vous leur offrez une compensation et si vous leur permettez de prendre part au processus de manière concrète, il n’existe aucune raison inhérente pour que des projets comme celui-là ne soient pas acceptés.
Cela doit être vu dans le contexte de l’orientation générale de votre système énergétique. La plupart des gens ne comprennent pas très bien ce dont ils ont besoin en tant que collectivité, ce qui m’amène à un autre aspect. Il faut mobiliser plus activement les collectivités locales — autochtones et non autochtones — pour les amener à comprendre leurs systèmes énergétiques et à jouer un rôle actif dans le façonnement de ces systèmes. Je suis peut-être naïf, mais je pense que si les gens ont une plus grande emprise sur les systèmes et qu’ils les comprennent mieux, qu’ils connaissent leurs besoins et la façon dont ils dépendent des sources externes d’énergie, comme d’autres collectivités, vous avez plus de chance d’obtenir un dialogue significatif sur ce dont nous avons besoin.
C’est une question de processus et de politique mieux formulée.
Le sénateur Patterson : Merci à tous les témoins. Je vais continuer avec M. Brown. Je tiens à dire que ses observations étaient stimulantes.
J’aimerais savoir si, dans l’intérêt du comité, vous pourriez décrire le projet Eagle Spirit.
M. Brown : Je me ferai un plaisir de le faire.
En toute franchise, je viens tout juste de m’y joindre avec M. Helin, il y a une semaine environ. J’ai rencontré Calvin à la suite de l’interdiction visant les pétroliers prévue dans le projet de loi C-69 et je lui ai soumis un plan d’urgence, qui était le projet d’Alaska Hydro. Je connaissais un groupe de personnes qui possédaient l’installation là-bas — en fait, il s’agit d’un terrain non aménagé qui est propice à la construction d’un port en eaux profondes —, j’ai organisé les discussions entre les deux groupes, et un protocole d’entente a été signé. C’est ainsi que j’ai rencontré Calvin.
Essentiellement, Eagle Spirit Energy est un couloir énergétique proposé composé de quatre pipelines. Deux d’entre eux permettraient de transporter 2 millions de barils de pétrole par jour, et les deux autres serviraient au transport du gaz naturel liquéfié à raison de 5 millions de pieds cubes par jour, idéalement. Le couloir de pipelines traverserait les territoires traditionnels de 35 Premières Nations différentes, donc elles sont toutes touchées et elles ont toutes signé les ententes de principe pour que le projet aille de l’avant.
Nous avons aussi le soutien des grands producteurs Cenovus, Suncor et MEG Energy. Les conseillers financiers très expérimentés viennent d’AltaCorp Capital, donc l’entreprise participe également, et Calvin a récemment signé des ententes avec quatre syndicats de métiers travaillant à la construction de pipelines. Nous avons donc également le soutien des syndicats à l’égard du projet. On a pu constater une synergie intéressante entre les syndicats et les Premières Nations qui travaillent au renforcement des capacités.
Les pipelines proposés vont de Bruderheim, en Alberta, à Grassy Point, en Colombie-Britannique. Si mes chiffres sont exacts, si les quatre étaient construits, le marché serait plafonné à 200 milliards de dollars, et ce serait un projet très intéressant. J’espère que cela résume bien ce que vous voulez savoir.
Le sénateur Patterson : Je vous remercie. Je crois qu’il est utile pour le comité d’avoir ce portrait du projet.
Quel est l’état actuel du projet? Y a-t-il des problèmes? Et, si vous me le permettez, en ce qui concerne cette question de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, la DNUDPA, et du consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause, pensez-vous que ça va dans les deux sens? Nous savons que, si les Premières Nations refusent de donner leur consentement, cela semble peser lourdement sur le processus décisionnel, mais avez-vous l’impression que l’on accorde suffisamment de poids aux Premières Nations qui appuient les grands projets quand on examine cette doctrine de la consultation et du consentement?
M. Brown : Pas du tout. Je vais commencer par la dernière question.
Le sénateur Patterson : Qu’en est-il de l’état actuel d’Eagle Spirit?
M. Brown : Je vais répondre à la dernière question, puis je reviendrai à celle d’Eagle Spirit.
Je ne suis pas avocat, mais j’ai lu le projet de loi C-69, et il contenait près de 60 références à des répercussions négatives, et, en l’examinant, je m’interroge sur toute la prospérité nationale pour un tel projet de loi. Où se trouve cet indicateur dans le projet? J’en ai été stupéfait.
À la lecture du document, j’ai constaté qu’il y avait des effets sur les Premières Nations, et que les effets implicites étaient toujours négatifs, à chaque fois. Il n’y avait aucun indicateur sur la façon dont cela pourrait avoir des répercussions positives sur les Premières Nations. J’ai trouvé cela intéressant du point de vue stratégique.
Je me sens un peu mal à l’aise de parler de la situation particulière d’Eagle Spirit, parce que Calvin est, au bout du compte, le PDG de l’entreprise et l’homme qui la représente. Cependant, de façon générale, nous avons récemment rencontré les 35 Premières Nations. Cette réunion de deux jours a été exhaustive, et toutes sortes de personnes y ont participé à titre de conférenciers invités. Au cours de cette séance de deux jours, les 35 bandes ont ratifié l’entente et convenu qu’elles allaient collaborer pour élaborer leur propre constitution, qui servira de cadre aux 35 Premières Nations afin de leur permettre d’aller de l’avant avec leurs projets de ressources.
En toute franchise, les responsables estiment que, sans la collaboration, la coopération et l’appui du gouvernement, ils commenceront à délivrer leurs propres permis de construction et leurs propres permis environnementaux et à aller de l’avant par eux-mêmes. C’est à ce point qu’ils sont résolus sur la question. Je pense que cela donne une idée de leur enthousiasme et de leur détermination à aller de l’avant. Je ne crois pas qu’il s’agisse du but ultime quant à la façon dont ils aimeraient que le processus aille de l’avant, mais c’est la toile de fond.
Plusieurs groupes sont désireux de travailler avec nous en ce qui concerne le financement; Calvin est activement engagé auprès de plusieurs investisseurs potentiels différents et il croit avoir quelque chose d’unique et de spécial, tout comme les 35 bandes, alors ils ne vont pas accepter le chèque du premier venu. Ils évaluent leurs options et se soumettent à un processus rigoureux de diligence raisonnable afin de s’assurer de trouver les meilleures options de financement à cet égard au bout du compte.
Nous avons Jason Kenney, de l’Alberta, qui a exprimé haut et fort son appui fervent à cet égard. Tout récemment, dans un de ses discours, il a dit que, une fois élu, il était même prêt à faire un chèque, quoi que cela veuille dire. De toute évidence, une grande partie de la population de l’Alberta et de la Saskatchewan appuie cela. Je pense que Calvin, à ce stade-ci, en collaboration avec les 35 Premières Nations, essaie d’établir une alliance avec l’Alberta, la Saskatchewan, le Yukon et les Territoires du Nord-Ouest. Dans un monde idéal, il est à espérer que notre gouvernement provincial, ici en Colombie-Britannique, se joindra aux autres. C’est une conversation beaucoup plus approfondie, et je ne sais pas où cela va mener, mais, au bout du compte, c’est là où nous en sommes actuellement.
Pour en revenir, une fois de plus, à ce que je disais, les projets de loi C-69 et C-48 sont très déconcertants pour les 35 Premières Nations. Il y a en fait quelques résolutions, dont l’une était le projet de loi C-69.
Dans le but d’être optimiste et positif au sujet du dialogue qui se poursuit, je ne vais pas la lire à tout le monde maintenant, à moins que vous le vouliez. Le projet de loi C-69 et une résolution des 35 bandes ont été adoptés dans un certain contexte. Sans entrer dans le contexte, je vais lire la dernière partie : « de plus, nous convenons de déposer collectivement un bref civil visant à faire annuler la Loi édictant la Loi sur l’évaluation d’impact et la Loi sur la Régie canadienne de l’énergie, modifiant la Loi sur la protection de la navigation et apportant des modifications corrélatives à d’autres lois, si le projet de loi venait à être adopté. »
Cela vous donne donc un aperçu de la situation actuelle d’Eagle Spirit et des 35 Premières Nations en ce qui concerne le projet de loi C-69.
La sénatrice McCallum : Je tiens à m’excuser de mon retard. J’ai pris la parole lors d’un débat au Sénat et je suis venue ici après.
En tant qu’Autochtones, nous ne sommes pas nés pour dépendre de l’aide sociale, et nous essayons de nous en sortir. Nous voulons aussi aller de l’avant, mais les politiques, les lois et les mentalités nous rendent la tâche difficile.
Notre premier point de contact en matière de communication est la consultation. Celle-ci a été maltraitée et laissée de côté, et aucun engagement significatif ou transformateur n’a été pris. Si la consultation se faisait de manière significative, aurions-nous besoin de termes tels que « acceptabilité sociale » et « adhésion »?
La présidente : Souhaitez-vous vous adresser à quelqu’un en particulier?
La sénatrice McCallum : Monsieur Cleland.
M. Cleland : Non. Je pense que vous avez là un des points principaux. Si nous collaborons vraiment avec les collectivités locales et si nous les faisons participer de manière significative — et cela peut prendre beaucoup de formes différentes —, cela fera effectivement l’affaire. En fin de compte, les gouvernements fédéral, provinciaux, territoriaux ou autochtones, selon le cas, peuvent être responsables des décisions finales, et l’idée de l’acceptabilité sociale finit par se perdre.
Nous en sommes très loin, et nous sommes loin de consacrer les efforts et les ressources nécessaires pour permettre ce genre d’engagement significatif.
La présidente : Monsieur Newman, voulez-vous ajouter quelque chose ou formuler un commentaire?
M. Newman : Le terme « acceptabilité sociale » est utilisé dans de nombreux contextes autres que ceux concernant les collectivités autochtones, de sorte qu’il ne disparaîtra probablement pas; toutefois, une bonne consultation avec les collectivités autochtones contribuerait grandement à améliorer les relations là-bas et éviterait sans doute d’avoir à parler d’acceptabilité sociale dans ce contexte.
D’autres collectivités continueront de parler d’acceptabilité sociale, j’imagine, mais c’est une autre histoire.
La sénatrice McCallum : J’aimerais savoir pourquoi les gens associent le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause, au droit de veto. Lorsque je me suis penchée sur la question du consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause, à mon avis, cela consistait à ce que l’on me fournisse tous les renseignements nécessaires pour que je puisse prendre une décision éclairée. Ainsi, je suis une personne raisonnable, je suis intelligente et je vais prendre des mesures d’adaptation significatives.
J’ai été surprise que ces deux concepts aient été associés. Cela me préoccupe un peu, et je me demande ce que vous en pensez.
M. Newman : Je pense que la raison pour laquelle on fait souvent ce lien, c’est parce qu’il y a, bien entendu, la possibilité qu’un droit permettant de donner son consentement puisse également être utilisé pour refuser de le donner. Donc, en fait, il pourrait être utilisé comme un droit de veto. Je pense que vous avez tout à fait raison de dire qu’il ne serait pas nécessairement utilisé de cette façon par les collectivités autochtones.
Je suis d’accord avec une bonne partie de ce que M. Brown a dit au sujet du manque de poids accordé parfois aux collectivités qui donnent leur consentement et qui veulent appuyer des projets. Je pense que c’est un problème majeur et que son observation concernant tous les aspects négatifs du projet de loi C-69 est très intéressante, c’est-à-dire qu’il est toujours présumé dans les renvois au projet de loi C-69 que les collectivités vont s’opposer aux projets ou qu’ils vont subir des préjudices.
Il y a de réelles possibilités de collaborer et de trouver la prospérité pour tous en travaillant ensemble tout en défendant d’autres valeurs et en protégeant des valeurs non économiques importantes.
Je pense qu’il est très important d’enrichir cette conversation comme votre question nous encourage à le faire et comme M. Brown nous a encouragés à le faire dans certains de ses commentaires.
M. Cleland : Je ne suis pas sûr d’avoir grand-chose à ajouter, parce que, à certains égards, c’est vraiment une question juridique. En tant que citoyen, si j’examine la question en toute logique, j’ai l’impression que le consentement, du moins si vous regardez la définition du dictionnaire, ressemble beaucoup, au moins potentiellement, à un veto. Encore une fois, je crois que vous avez dit tout à l’heure que, si nous menons des consultations significatives et que nous accumulons un certain bagage d’expérience pour en faire ressortir les éléments positifs, cela pourrait alors facilement se régler tout seul. D’après ce que j’ai cru comprendre, les tribunaux ont déclaré, de manière assez définitive, qu’il n’y a pas en soi de droit de veto implicite à cet égard. Je ne peux que me ranger de ce côté.
La sénatrice McCallum : Je vous remercie.
Le sénateur Mockler : Je tiens à remercier les trois témoins. C’était très instructif.
Monsieur Brown, je suis sénateur du Nouveau-Brunswick et je veux vous dire que nous sommes très fiers d’un grand nombre de réussites des Premières Nations. Elles ont grandement stimulé l’activité économique et continuent de le faire.
Souvent, nous leur demandons si elles peuvent définir l’acceptabilité sociale. Ce terme varie, je crois, en fonction des collectivités et des différents types de projets.
Je vous ai entendu dire, monsieur Brown — et j’aimerais avoir les commentaires des autres —, qu’un couloir de pipeline peut être une réussite. Un couloir énergétique serait-il une réussite si tous les intervenants s’asseyaient à la table pour que nous puissions exploiter et continuer d’exploiter nos ressources naturelles? Selon vous, l’acceptabilité sociale est-elle devenue une couche supplémentaire de réglementation indéfinie, ou s’agit-il d’un autre terme à la mode?
M. Brown : En effet, selon moi, l’acceptabilité sociale n’est pas quantifiable. Cela semble presque ésotérique. Elle est le fruit d’une consultation sérieuse, ce qui signifie qu’il faut voir la couleur de l’argent. Il s’agit de monétiser les possibilités qui s’offrent aux collectivités autochtones. Le meilleur programme social est un emploi. C’est la mobilité économique qui, au bout du compte, assurera la prospérité des collectivités autochtones. Je ne saurais trop insister là-dessus.
Le terme « acceptabilité sociale » ne veut pas dire grand-chose pour moi quand je le vois. C’est du pareil au même. J’entends parler d’acceptabilité sociale depuis des années. C’est tout ce que c’est, un terme à la mode.
Si des promoteurs se présentent et participent de façon significative, et si les gouvernements mobilisent et appuient de façon significative les collectivités des Premières Nations qui veulent d’emblée faire avancer les possibilités économiques de façon proactive, nous n’avons pas besoin de mettre l’accent sur l’acceptabilité sociale. À mon avis, il s’agit d’un double discours orwellien. Cela ne veut rien dire pour moi.
Je ne parle pas seulement pour moi. C’est ce que disent beaucoup de chefs. Beaucoup de chefs héréditaires sont là depuis longtemps et ont vu beaucoup de choses et ils disent la même chose.
Le fondement de mon récit est de trouver des collectivités autochtones qui veulent aller de l’avant et tirer profit des possibilités. Voilà comment on bâtit un pays plus fort.
Je souhaiterais revenir à la question du sénateur Neufeld. J’estime que je n’ai pas répondu de manière satisfaisante lorsqu’il a demandé comment nous pourrions mettre en valeur ces possibilités. Il serait avantageux pour des collectivités autochtones qui ont connu un grand succès en matière de développement économique, de croissance de l’emploi et de croissance économique de former leur propre coalition, tout comme l’APN et bon nombre de ces autres organismes. Former une nouvelle coalition, c’est ainsi que vous allez susciter beaucoup d’intérêt parmi les autres Premières Nations.
La coalition ne relève pas de la justice sociale, ce n’est pas la balkanisation et le dénigrement du gouvernement, mais une coalition de collectivités des Premières Nations qui se réunissent pour parler des avantages des synergies découlant de la collaboration avec l’industrie et le gouvernement en vue d’améliorer la vie des membres de leurs collectivités.
La présidente : Je vais sauter sur l’occasion. Monsieur Newman et monsieur Cleland, pourriez-vous préciser quelque chose pour moi? Après les deux dernières réunions, il était clair pour moi que l’acceptabilité sociale n’était pas un terme juridique, étant donné qu’il n’a été utilisé dans aucune disposition législative. Il a été proposé et utilisé par les sociétés.
Ma question est la suivante : s’il ne s’agit pas d’un terme juridique et qu’il n’apparaît dans aucun contexte politique et juridique, pourquoi les sociétés l’utilisent-elles encore?
M. Newman : Eh bien, c’est ce qui arrive avec un terme à la mode. C’est l’une des principales façons dont il est utilisé. Les sociétés l’utilisent à l’interne pour essayer de mesurer l’effet du soutien qu’elles reçoivent ou non des collectivités. On l’utilise de manière très spécialisée. Les gens ont des modèles montrant la façon dont ils mesurent l’acceptabilité sociale à un moment donné, et ils s’en servent pour prédire ce qui pourrait se produire dans l’avenir.
Toutefois, son utilisation dans les discussions politiques laisse entendre qu’il y a d’autres exigences qui devraient être imposées, mais c’est un peu nébuleux. Ce n’est pas un terme que j’affectionne particulièrement. Je suis critique à son égard; en règle générale, il n’est pas utile. Beaucoup de gens veulent continuer de l’utiliser pour diverses raisons, souvent pour essayer de créer de nouveaux obstacles aux projets. Par exemple, certains militants écologistes soutiennent qu’il devrait y avoir une exigence supplémentaire quant à l’acceptabilité sociale. Je pense qu’il pourrait y avoir des façons plus franches et plus claires d’avoir cette discussion concernant les exigences supplémentaires qui devraient ou non être imposées. Je pense que nous pourrions obtenir plus de clarté en allant au-delà du terme « acceptabilité sociale » pour savoir de quoi discutent les gens en réalité.
M. Cleland : Madame la présidente, vos témoins s’entendent tous avec véhémence. Je ne peux pas dire pourquoi les sociétés continueraient d’utiliser ce terme. Ce n’est pas un terme que nous affectionnons particulièrement. Nous trouvons qu’il est, au mieux, ambigu; au pire, trompeur. Pire encore, peut-être, il sous-estime implicitement l’idée d’autorités compétentes et démocratiquement responsables. C’est là où nous devrions porter notre attention, et il ne fait aucun doute que des processus de consultation et d’engagement avec les collectivités locales doivent être mis en place, mais ce n’est pas la même chose que l’acceptabilité sociale. J’éviterais d’employer ce terme.
Le sénateur Patterson : Si vous me le permettez, pour faire suite à votre question, et je m’adresse à M. Newman, vous parlez constamment de l’utilisation du terme par les entreprises et les groupes environnementaux. Le terme est utilisé par les ministres de la Couronne au sein du gouvernement actuel. Jim Carr, ministre des Ressources naturelles, a déclaré ce qui suit :
L’acceptabilité sociale vise à assurer la confiance du public envers le processus décisionnel concernant les grands projets d’exploitation des ressources.
Justin Trudeau a affirmé ce qui suit :
L’acceptabilité sociale est plus importante que jamais. Les gouvernements peuvent être en mesure de délivrer des permis, mais seules les collectivités peuvent donner leur permission.
De plus, le comité d’experts sur l’examen du processus d’évaluation environnementale nommé par l’actuel ministre de l’Environnement s’est exprimé comme suit :
L’obtention de l’acceptabilité sociale aidera très certainement un promoteur à obtenir l’approbation d’un projet. Nous avons conclu qu’un processus d’évaluation efficace devrait permettre d’atteindre deux résultats essentiels : ouvrir la voie à l’approbation réglementaire des projets acceptés et faciliter l’obtention par le promoteur de l’acceptabilité sociale.
Donc, bien sûr, les sociétés et les groupes environnementaux en parlent, parce qu’ils en entendent parler par les ministres de la Couronne les plus haut placés du pays, y compris le premier ministre. Je pense donc que la question va plus loin que cela. N’êtes-vous pas d’accord, monsieur Newman?
M. Newman : Oui, tout à fait. C’est un terme à la mode, c’est tendance, c’est en quelque sorte une façon abrégée qu’utilisent diverses personnes pour désigner différentes choses.
Certains des énoncés que vous avez mentionnés ont eu pour effet de créer des attentes très élevées à l’égard de nouvelles façons de faire des choses qui n’étaient peut-être pas prévues. Peut-être qu’elles l’étaient, peut-être pas. Certaines de ces façons de parler ont parfois généré un immense manque de clarté, et cela fait possiblement partie de l’objectif. Je ne veux faire aucune critique, mais ce discours sur l’acceptabilité sociale et l’octroi d’une permission par les collectivités crée beaucoup d’attentes, qui peuvent ou non être réalisées.
Il doit y avoir une discussion beaucoup plus claire et franche sur ce qui est ou n’est pas en jeu, ce qui est ou n’est pas envisagé en ce qui concerne le rôle des collectivités. Ce serait mieux pour nous tous si nous pouvions avoir une idée plus claire.
M. Cleland : Vous obtenez un large consensus de la part de vos témoins, mais c’est exactement de quoi il s’agit, il s’agit d’une formule abrégée, qui n’est pas très utile, à mon avis. C’est pourquoi nous essayons, dans la mesure du possible, de revenir à la question de la confiance du public à l’égard des processus décisionnels. Là encore, j’insiste sur les processus décisionnels, en partant de la politique, et en passant par l’approbation de projet.
Si vous me le permettez, j’ai mentionné la planification, qui se situe en quelque sorte entre la politique et l’approbation de projet. Je m’intéresse à la description que M. Brown a faite du projet Eagle Spirit. C’est un exemple de planification où l’on a un concept de ce que l’on souhaite établir, on est en mesure de gérer des choses comme les effets cumulatifs, ainsi que toute une gamme d’autres choses, sans inscrire cela dans un seul projet. Ce n’est pas quelque chose que nous avons fait beaucoup au Canada par le passé, planifier à l’échelle régionale comme cela. C’est peut-être quelque chose sur quoi nous devons revenir.
La présidente : Merci beaucoup à nos trois témoins. Vos témoignages et vos questions et réponses ont été très intéressants et ont enrichi les connaissances du comité sur ces sujets.
(La séance est levée.)