LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE L’ÉNERGIE, DE L’ENVIRONNEMENT ET DES RESSOURCES NATURELLES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le lundi 29 avril 2019
Le Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-69, Loi édictant la Loi sur les études d’impact et la Loi sur l’Office de réglementation de l’énergie, modifiant la Loi sur la protection de la navigation et d’autres lois en conséquence, se réunit aujourd’hui, à 18 h 30, pour examiner le projet de loi.
La sénatrice Rosa Galvez (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Bonsoir et bienvenue à cette séance du Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles. Je m’appelle Rosa Galvez, sénatrice du Québec et présidente de ce comité. Je vais demander aux sénateurs autour de la table de se présenter.
La sénatrice Cordy : Je suis Jane Cordy, sénatrice de la Nouvelle-Écosse.
La sénatrice McCallum : Mary Jane McCallum. Je suis du Traité no 10, au Manitoba.
[Français]
Le sénateur Pratte : André Pratte, du Québec.
Le sénateur Massicotte : Paul Massicotte, de la belle province de Québec.
[Traduction]
Le sénateur Richards : Dave Richards, du Nouveau-Brunswick.
La sénatrice McCoy : Elaine McCoy, de l’Alberta.
La sénatrice Eaton : Nicky Eaton, de l’Ontario.
La sénatrice Seidman : Judith Seidman, de Montréal, au Québec.
La sénatrice LaBoucane-Benson : Patti LaBoucane-Benson, territoire visé par le Traité no 6, en Alberta — le pays de Dieu, comme dirait mon père.
Le sénateur Patterson : Dennis Patterson, du Nunavut.
Le sénateur Mockler : Percy Mockler, du Nouveau-Brunswick.
Le sénateur Plett : Don Plett, du Manitoba.
La présidente : Je vous présente également les analystes de la Bibliothèque du Parlement : Sam Banks et Jesse Good. À ma gauche se trouve le greffier du comité, Maxime Fortin.
Avant de commencer, je vous informe que je devrai partir pendant la réunion et que c’est la sénatrice Cordy qui présidera le reste de la réunion en mon absence.
Distingués collègues, ce soir, nous poursuivons notre étude du projet de loi C-69, Loi édictant la Loi sur les études d’impact et la Loi sur l’Office de réglementation de l’énergie du Canada, modifiant la Loi sur la protection de la navigation et d’autres lois en conséquence. Nous accueillons, par vidéoconférence depuis Edmonton, M. Mac Van Wielingen, fondateur et associé d’ARC Financial Corp. et, à titre personnel, Mme Deborah de Lange, professeure agrégée en Études de gestion globale à la Ted Rogers School of Management de l’Université Ryerson.
Merci beaucoup de votre présence. Je salue chacun d’entre vous. Nous allons commencer par la déclaration liminaire de M. Van Wielingen, qui sera suivie d’une période de questions. Je vous remercie.
Mac Van Wielingen, fondateur et associé, ARC Financial Corp. : Je tiens d’abord à vous remercier tous de votre travail acharné au sein de ce comité et de m’avoir invité à témoigner. Mon but aujourd’hui est d’offrir une perspective, un fondement et un contexte pour encadrer l’examen du projet de loi C-69. Mon point de vue est celui d’un chef d’entreprise, d’un expert du secteur de l’énergie, d’un investisseur et d’un Canadien que ces enjeux touchent profondément.
Mon premier point porte sur la question du contexte, à savoir l’importance que le secteur canadien du pétrole, du gaz et des pipelines revêt pour notre économie. Les activités d’extraction de pétrole et de gaz et les activités liées aux pipelines au Canada ont une ampleur à peu près égale — et même légèrement supérieure — à celle des activités associées aux secteurs combinés des banques, de la gestion de placements et des assurances. Le secteur est environ 8,2 fois plus important que le secteur canadien de la fabrication de pièces d’automobile, quatre fois plus important que notre secteur des télécommunications, 2,6 fois plus important que l’industrie canadienne de la construction résidentielle et 1,7 fois plus important que l’ensemble du secteur canadien des transports, y compris le transport aérien, ferroviaire, maritime et routier ainsi que tout l’entreposage connexe.
Or, cette industrie très importante est en train de s’effondrer. En même temps, l’industrie pétrolière et gazière américaine est en pleine expansion. De nombreuses grandes entreprises internationales quittent le Canada : Equinor, Total, ConocoPhillips, Marathon, Royal Dutch Shell et, plus récemment, Devon Energy. Certaines de nos principales entreprises locales, comme Encana, TransCanada et Enbridge, se tournent maintenant vers les États-Unis. Le capital d’investissement est en train de disparaître. Je sais pour l’avoir vu que certains de nos meilleurs équipements et de nos travailleurs les plus talentueux sont en train d’échapper à l’industrie. Nous estimons que 67 000 emplois ont été perdus dans le secteur canadien de l’énergie depuis 2014. Ce sont des emplois directs. Si l’on incluait les emplois indirects, ce nombre serait beaucoup plus élevé.
Notre secteur de l’énergie est en détresse. En même temps, le secteur énergétique américain est en plein essor. La croissance de la production pétrolière américaine au cours des cinq dernières années équivaut environ à l’ajout d’un autre Canada sur les marchés internationaux.
L’une des choses les plus importantes que je veux porter à votre attention aujourd’hui c’est qu’il est trop tard pour s’inquiéter de la perte de confiance des investisseurs au Canada; les dommages ont déjà été faits. À l’heure actuelle, le secteur canadien de l’énergie ne suscite pratiquement aucun intérêt de la part des investisseurs. Les nouveaux capitaux propres levés l’an dernier ont totalisé environ 650 millions de dollars, soit le niveau le plus bas en 27 ans, c’est-à-dire depuis que l’on a commencé à compiler ces données. C’est 95 p. 100 de moins qu’il y a 5 ans.
Nous ne cherchons pas seulement à atténuer le risque que la confiance des investisseurs soit ébranlée. C’est déjà arrivé. C’est un point de vue important pour comprendre le contexte dans lequel il faut examiner les projets de loi C-48 et C-69, contexte que je vais expliquer. Nous avons besoin d’importantes initiatives de redressement, à la fois stratégiques et positives. À mon avis, dans leur forme actuelle, les projets de loi C-48 et C-69 vont dans la mauvaise direction. Dans l’ensemble, je crois que notre perte de compétitivité est le résultat d’un processus politique, juridique et réglementaire « fabriqué au Canada » qui a échoué. En haut de la liste se trouve une série de très importants projets d’infrastructure qui ont échoué. Nous en connaissons tous les noms : Northern Gateway, Petronas, Energy Est et Trans Mountain. En ce qui concerne Northern Gateway, je tiens à souligner que ce qui s’est passé a prouvé à de nombreux investisseurs qui suivent le Canada de près qu’il fallait parler ici de risque souverain. C’est une situation qui a beaucoup nui à notre crédibilité.
L’une des conséquences profondément négatives de l’échec de la construction de cette infrastructure nécessaire a été l’impossibilité pour nos produits de base d’être écoulés aux prix mondiaux intégraux. Comme l’un de nos investisseurs l’a dit succinctement : « Pourquoi devrions-nous investir dans vos entreprises de produits de base et accepter le plein risque de ces entreprises si vous ne pouvez obtenir la pleine valeur pour vos produits de base? » La plupart des investisseurs disent : « Comme le Canada n’arrive pas à ajuster ses flûtes, nous abandonnons, nous retirons nos billes du jeu ».
Au Canada, nos luttes intestines ont été assujetties à des préoccupations au sujet des normes et de la prestation de l’industrie en matière d’environnement, de préoccupations sociales et de gouvernance — l’ESG. Ironiquement, la perspective qui a été perdue de vue, c’est le fait que nos normes et nos résultats en matière d’ESG n’ont rien à envier à qui que ce soit. Nous le savons à ARC Financial. Nous défendons le bilan du Canada en matière d’ESG auprès des investisseurs du monde entier. Nous n’avons pas été surpris d’apprendre que la firme mondiale d’ingénierie WorleyParsons a conclu que les processus d’évaluation environnementale du Canada sont parmi les meilleurs au monde. Bon nombre de nos entreprises sont considérées comme les meilleures au monde pour leur prestation sur le plan environnemental, social et de la gouvernance.
Un exemple de cela est ARC Resources — une entreprise dont j’ai une connaissance directe et que je suis de près —, qui a été reconnue pour son leadership en matière de gouvernance par les investisseurs institutionnels, non seulement au Canada, mais ailleurs dans le monde entier. En 2017, Brendan Wood International a classé ARC Resources dans le 1 % supérieur de 1 400 entreprises sondées à l’échelle mondiale. Le Canada a des entreprises fantastiques, des entreprises de premier plan qui montrent la voie au reste du monde.
Cela dit, je serais le premier à reconnaître que notre secteur des sables bitumineux a suscité la controverse en raison de ses émissions de gaz à effet de serre, relativement élevées par rapport aux autres pétroles bruts. Ces chiffres ont cependant été grandement exagérés. Nos sables bitumineux ne contribuent qu’à 0,15 % des émissions mondiales, soit un septième de 1 % de ces émissions. De plus, si nous éliminions progressivement nos sables bitumineux, les barils perdus seraient remplacés par ceux d’autres fournisseurs de pétrole lourd, notamment l’Arabie saoudite et l’Irak et, historiquement, le Venezuela et le Mexique.
Ces autres fournisseurs généreront des GES et des émissions de gaz à effet de serre. Nous avons calculé que la réduction nette des gaz à effet de serre à l’échelle mondiale résultant de l’élimination progressive de nos sables bitumineux serait de 0,03 de 1 p. 100, c’est-à-dire trois centièmes de 1 p. 100. L’impact serait négligeable.
En outre, ces autres fournisseurs ont des normes ESG nettement inférieures aux nôtres. Par ailleurs, entre 2017 et 2018, l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre en provenance de la Chine et de l’Inde a été l’équivalent de l’ajout de 10 secteurs canadiens des sables bitumineux par an. Les émissions de gaz à effet de serre des sables bitumineux du Canada n’ont aucune incidence sur la question des émissions mondiales et des changements climatiques. C’est une réalité que certaines personnes ont de la difficulté à accepter, mais c’est un fait.
Nous faisons néanmoins progresser nos façons de contrôler et d’adapter les émissions des sables bitumineux. Nous n’arrêtons pas de faire des progrès en ce qui concerne la concentration des émissions, mais les perceptions ne sont pas à la hauteur de la réalité. Il y a deux points critiques...
La sénatrice Jane Cordy (présidente suppléante) occupe le fauteuil.
La présidente suppléante : Monsieur Van Wielingen, c’est censé être un exposé de cinq minutes, et vous avez déjà dépassé les huit minutes. Pourriez-vous terminer dans la minute qui suit, s’il vous plaît?
M. Van Wielingen : J’aimerais axer ma dernière observation sur le projet de loi C-69. Le projet de loi C-69 est, à mon avis, fondamentalement faible et déficient. Cela pourrait nous faire passer de mal en pis à un moment où nous ne pourrions pas supporter plus de risques négatifs. De nombreux autres témoins vous ont parlé des problèmes en cause, mais il y a deux éléments sur lesquels j’aimerais insister. Tout d’abord, je dirais que les processus gouvernementaux indépendants implicites dans le droit administratif sont sérieusement compromis. L’autre problème, c’est la gravité du découragement des promoteurs de projets, ce qui, à mon avis, est un sérieux signal d’alarme. Nous devons apporter les modifications que réclament nos principaux promoteurs de projets et nous devons les encourager à investir en veillant à ne pas compliquer les choses outre mesure pour eux.
Merci beaucoup.
La présidente suppléante : Je vous remercie beaucoup.
Notre prochain témoin est Deborah de Lange. Elle est professeure agrégée en Études de gestion globale à la Ted Rogers School of Management de l’Université Ryerson. Madame de Lange, soyez la bienvenue au comité.
Deborah de Lange, professeure agrégée, Études de gestion globale, Ted Rogers School of Management, Université Ryerson, à titre personnel : C’est un plaisir et un honneur pour moi de pouvoir commenter le projet de loi C-69. Je vais d’abord parler de certains aspects de ce projet de loi.
J’ai étudié le projet de loi en détail. Mes observations portent sur des aspects bien particuliers de ce texte de loi. Je pense qu’il compte de nombreux points forts, surtout sur le plan qualitatif. On ne peut par en dire autant sur le plan quantitatif. En cinq minutes, on m’a demandé de commenter l’investissement et les considérations financières ou les répercussions sur l’investissement. Je vais focaliser mes observations en conséquence. J’ai fourni des diapositives. Il y a une annexe volumineuse et beaucoup d’aspects dont je ne pourrai pas parler. Disons que j’ai fait un examen très minutieux du projet de loi.
De façon générale, j’aimerais que des amendements soient apportés au projet de loi et, comme mon temps est limité, je vais me concentrer sur ces amendements. D’entrée de jeu, j’aimerais reconnaître que les investissements des entreprises ont besoin de politiques fiables et à long terme. Dans la Loi sur l’évaluation d’impact, on peut lire « qu’un processus décisionnel transparent, efficace et opportun favorise un climat d’investissement positif au Canada ». Je suis on ne peut plus d’accord avec cela.
Cela dit, j’ai quelques observations à formuler. La partie 1 porte sur la Loi sur l’évaluation d’impact. J’aimerais que l’on envisage de la renommer « loi sur l’évaluation de l’impact et de la réponse », comme je l’expliquerai dans mes prochaines observations.
Le principe de précaution désigne l’obligation de prévenir les préjudices lorsqu’il est en notre pouvoir de le faire, même lorsque toutes les preuves ne sont pas réunies. Ce principe a été codifié dans plusieurs traités internationaux dont le Canada est signataire. Le droit interne fait référence à ce principe, mais sa mise en œuvre demeure limitée, dixit le site web de l’Association canadienne du droit de l’environnement.
Pour comprendre le principe de précaution et l’importance que ce projet de loi accorde à la durabilité, l’estimation de la gravité de l’impact nécessite une estimation des réponses. C’est pourquoi je propose qu’on l’appelle la loi sur l’évaluation de l’impact et des réponses. Comprendre l’impact, c’est comprendre le coût du traitement qui doit être apporté, c’est comprendre le coût des réponses. Ce n’est pas quelque chose dont le projet de loi fait état. Nous ne pouvons décider s’il y a lieu de prévenir un préjudice à moins d’avoir d’abord estimé les coûts, tant qualitativement que quantitativement, au mieux de nos capacités et compte tenu du temps et de l’expertise dont nous disposons. Par conséquent, une évaluation de l’impact qui respecte le principe de précaution doit comprendre une analyse financière quantitative afin que nous puissions connaître le coût de la réparation des dommages potentiels et les soupeser avec les avantages du projet pour les Canadiens.
De plus, nous devons nous assurer à l’avance que les dommages-intérêts seront payés. Si les préjudices ne sont pas anticipés pour faire en sorte qu’on puisse les résoudre en temps opportun, alors nous n’avons pas empêché les préjudices, et le principe de précaution n’est pas respecté.
Comment pouvons-nous évaluer les préjudices ou les dommages? Nous pouvons utiliser un cadre de durabilité pour évaluer les aspects positifs et négatifs du projet sur les plans environnemental, social et économique en tenant compte de tous les intervenants, y compris les générations futures. Dans ce projet de loi, il n’est pratiquement pas question de répondre à des critères économiques. Aucune analyse quantitative n’est requise. Aucune base de décision n’est présentée pour permettre aux fonctionnaires de décider si des effets négatifs importants sur l’environnement sont justifiés. Les décisions sont donc laissées à la discrétion de puissants fonctionnaires.
Que pouvons-nous faire ? Nous pouvons faire des analyses coûts-avantages. Ces analyses peuvent être utilisées — y compris l’analyse de la valeur actualisée nette — dans le cadre de décisions qui tiendront compte de l’information qualitative et quantitative. Des estimations économiques avec probabilités peuvent être faites, comme le font régulièrement les compagnies d’assurances. Nous pouvons utiliser les données historiques pour le type d’industrie, tenir compte d’exemples précédents de dommages et de coûts de nettoyage. Par exemple, dans l’industrie pétrolière et gazière, nous pourrions examiner les catastrophes de l’Exxon Valdez et de Deepwater Horizon. L’essentiel, en ce qui concerne la Loi sur l’évaluation d’impact, c’est que nous devons évaluer le coût des réponses et établir des critères plus clairs pour décider d’accepter ou non l’impact d’un projet.
J’ai aussi quelques observations à faire sur la partie 2 du projet de loi, où il est question de la Loi sur la Régiecanadienne de l’énergie. Ces observations portent principalement sur le concept d’abandon. La loi ne devrait pas faire coïncider l’abandon avec la fin de vie d’un projet. L’abandon devrait être découragé, car il n’est pas conforme au principe de précaution, à la notion de durabilité ou au concept d’économie circulaire, qui figure également dans l’annexe. Les coûts de surveillance des installations abandonnées et orphelines deviennent des subventions à long terme et sans fin pour le propriétaire initial. Les entreprises ne durent pas aussi longtemps que les installations abandonnées. Le gouvernement s’est engagé à éliminer les subventions à l’industrie des hydrocarbures.
Les installations abandonnées se dégradent avec le temps et peuvent devenir dangereuses ou causer des dommages environnementaux. Elles interfèrent avec les écosystèmes locaux et la beauté de la terre; elles peuvent mettre en péril toute utilisation future de cette terre. Le gouvernement ne devrait pas s’attendre à assumer la responsabilité à long terme de la surveillance d’un nombre sans cesse croissant d’installations abandonnées. Au lieu de cela, le propriétaire d’une installation doit assumer l’entière responsabilité financière du démantèlement de ladite installation, c’est-à-dire qu’il devrait être tenu de la démanteler et d’assainir intégralement la zone de manière à la remettre dans un état naturel sain. Un fonds en fiducie devrait être établi avant le début d’un projet, fonds auquel le gouvernement pourrait accéder pour régler les problèmes liés à l’exploitation et à la fin de vie utile du projet, au cas où le propriétaire n’assumerait pas l’entière responsabilité de la liquidation ou de l’assainissement, ou qu’il ne serait pas en mesure de le faire en raison de difficultés économiques, d’une faillite, etc.
Il faut renforcer les articles du projet de loi qui traitent actuellement de la mise en commun de fonds et du maintien, à portée de la main, de ressources financières suffisantes pour gérer les rejets, et il faut ajouter ces articles aux dispositions relatives à la fin de vie des projets, comme cela a été suggéré.
Les propriétaires des installations doivent cotiser à une police d’assurance pour protéger les Canadiens contre tout problème lié à l’environnement ou à la sécurité qui pourrait survenir au cours de la durée de vie des installations. Le projet de loi doit insister davantage sur les exigences en matière d’assurance. Les compagnies d’assurances ont les compétences nécessaires pour estimer les pertes. De plus, le taux d’imposition de certaines catégories de sociétés pourrait être haussé pour contrebalancer leurs répercussions.
Il faut accroître les limites de responsabilité — elles doivent être de l’ordre de 5 milliards de dollars, plutôt que 1 milliard de dollars — pour les faire coïncider avec les coûts historiques actuels et les coûts liés aux déversements causés par la plateforme Deepwater Horizon de British Petroleum, qui s’élevaient à environ 62 milliards de dollars. Le fait est que nous devons exiger qu’avant le début du projet, son propriétaire assume l’entière responsabilité de la réduction progressive des activités du projet, c’est-à-dire le démontage des installations et la prise de mesures d’assainissement.
Merci. Si vous avez des questions, je suis disposée à y répondre.
La présidente suppléante : Merci beaucoup.
La sénatrice Eaton : Monsieur Van Wielingen et madame de Lange, j’aimerais, s’il vous plaît, que vous répondiez tous les deux à ma question. En passant de l’évaluation environnementale à l’évaluation d’impact, comme ce projet de loi le prévoit, nous nous assurons que les projets, les politiques et les plans approuvés présentent un avantage net sur le plan environnemental, social, économique, sanitaire et culturel. Il me semble que nous n’exigeons pas cela d’aucune autre industrie. Nous n’imposons pas cela à l’industrie automobile ou à l’industrie sidérurgique. N’est-il pas vrai que la seule industrie qui est tenue de faire l’objet d’évaluations d’impact est l’industrie énergétique? Nous effaçons les dettes de l’industrie automobile, nous lui accordons des subventions, nous l’aidons à ouvrir ses usines, mais l’industrie énergétique semble complètement abandonnée à elle-même. Êtes-vous en accord ou en désaccord avec mes observations?
Mme de Lange : Premièrement, l’évaluation d’impact qui est présentée dans le projet de loi ne calcule pas les avantages nets. C’est l’un des problèmes que le projet de loi me pose. Il doit prescrire une analyse des coûts et des avantages. Le projet de loi doit exposer le travail plus quantitatif qui doit obligatoirement être réalisé, afin de répondre précisément à votre question. Nous devons reconnaître que ces projets d’exploitation des ressources se déroulent sur des terres publiques. Lorsque ces terres sont retirées à des gens ainsi qu’à des peuples autochtones, ces projets ont des conséquences pour ces propriétaires. Dans le cas de l’industrie automobile, dont vous parlez, ses usines sont construites sur des terrains privés, et il lui incombe tout de même de ne pas produire d’émissions, et cetera.
La sénatrice Eaton : Elle fabrique des produits qui émettent des gaz à effet de serre.
Mme de Lange : Exactement. Cela pose un autre problème parce que nous ne les tenons pas responsables de leurs produits. Je pense que le projet de loi est important pour lutter... L’industrie pétrolière et gazière n’est pas la seule à être visée, car le projet de loi traite...
La sénatrice Eaton : De l’industrie minière, mais il ne vise aucune autre industrie urbaine qui crée des emplois.
M. Van Wielingen : Oui, c’est une question intéressante. Comme quelqu’un vient de le signaler, le projet de loi vise les projets miniers et les projets d’exploitation des ressources majeurs qui ont des incidences sur l’environnement. Il semble mettre principalement l’accent sur le secteur énergétique. D’autres industries ou secteurs qui pourraient être de grands émetteurs ne sont pas assujettis à ce genre de processus.
La sénatrice Eaton : Le processus d’évaluation d’impact. Merci.
La sénatrice McCoy : Je vous remercie tous les deux de votre présence. Pour gagner du temps, monsieur Van Wielingen, permettez-moi de vous poser la question suivante en premier. Ensuite, je poserai une question destinée à Mme de Lange.
Si j’ai bien compris, les principes fondamentaux du marché mondial de l’énergie ont irrémédiablement changé. Auparavant, lorsque l’Alberta était frappée par des récessions en raison des prix mondiaux — nos produits ont toujours été tributaires de ces prix —, nous pouvions toujours nous réjouir à la perspective d’un rétablissement des prix. Maintenant, il me semble qu’en raison des changements qui sont survenus, nous avons épuisé nos clients. Nous manquons simplement de clients. Les États-Unis sont maintenant le plus grand pays exportateur de pétrole du monde entier.
Si vous pouviez interpréter mon énoncé — qui est loin d’être aussi éclairé que vos propos le seront — à la lumière de votre vaste expérience, je pense que nous en tirerions tous profit.
M. Van Wielingen : Oui. Je pense qu’en un sens, nous manquons de clients. Nous avons perdu nos plus importants clients, à savoir les États-Unis, qui sont devenus nos concurrents. Je crois que les changements auxquels vous faites allusion sont le résultat de progrès technologiques extraordinaires qui ont eu une incidence sur l’offre de l’industrie. Je parle du forage horizontal et des technologies avancées de complétion qui ont modifié la courbe des coûts de l’offre de pétrole et de gaz naturel. Cela a assurément contribué en grande partie à l’essor économique des États-Unis. Ces mêmes technologies sont employées au Canada, et notre pays pourrait en bénéficier grandement.
La réponse à votre question est qu’un changement est effectivement survenu. L’offre a augmenté et, comme vous le signalez, notre plus important acheteur de pétrole et de gaz naturel — le seul acheteur de nos exportations — est devenu notre principal concurrent.
La sénatrice McCoy : Merci. Ce qui me frappe, madame de Lange, c’est que, si je pouvais exprimer différemment les commentaires que vous avez formulés à propos du fait de ne pas conclure les projets par l’abandon, je dirais que vous parlez de la réglementation du cycle de vie. Nous offrons en quelque sorte un encadrement du berceau à la tombe. Par l’intermédiaire de l’Office national de l’énergie actuel et de la Commission canadienne de sûreté nucléaire actuelle, nous avons mis en place ce système, mais il n’est pas intégré dans le projet de loi C-69. Je soupçonne que c’est là une autre façon d’exprimer ce que vous avez dit. Vous faites valoir que nous avons besoin d’organismes de réglementation du cycle de vie.
Mme de Lange : Oui, j’en conviens.
La sénatrice McCoy : Merci.
Le sénateur Massicotte : Je vous remercie tous les deux de votre participation. Je veux parler d’une façon un peu plus générale, et vous pourriez peut-être m’aider à cet égard, madame de Lange. Je pense que le problème qui nous préoccupe tous énormément, c’est l’économie, et en particulier celle de l’Alberta. L’économie de l’Alberta est touchée durement, et elle nuit à l’économie canadienne, même si elle a surtout des répercussions sur cette province, ce qui nous inquiète tous. Si nous acceptions tous les amendements que vous proposez d’apporter au projet de loi C-69, avez-vous une idée de l’effet que cela aurait sur l’économie et, en particulier, sur celle de l’Alberta, ou vos antécédents vous permettent-ils d’exprimer une opinion à cet égard? Est-ce un important facteur?
Mme de Lange : Je peux répondre à cette question dans une certaine mesure, puisque j’enseigne dans ce domaine. Sur le site web gouvernemental de Ressources naturelles Canada, des chiffres sont affichés qui indiquent que le pétrole brut représente 2,6 p. 100 de notre PIB. Vous pouvez trouver cette information — je peux vous la présenter si vous voulez. L’ensemble du secteur énergétique, y compris les aspects directs et indirects — et cela n’englobe pas seulement le pétrole et le gaz naturel, mais aussi l’électricité —, contribue à 10,6 p. 100 de notre PIB. Bon nombre des commentaires que vous entendez au sujet de l’importance que l’industrie pétrolière et gazière revêt pour le Canada sont grandement exagérés — et je tire cette information directement du site web du gouvernement du Canada. Cela comprend les retombées directes et indirectes. Je pense que nous devons remettre cette importance dans son contexte.
De plus, tous les gens de la planète — et la plupart d’entre nous — comprennent que le Canada est une économie mixte, et surtout une économie de services. Si vous examinez les composantes du PIB et les chiffres correspondants, vous constaterez que notre économie repose principalement sur les services, puis sur le secteur manufacturier et, enfin, sur les ressources. Je peux afficher ces chiffres, qui figurent sur le site web de Statistique Canada, pour vous les montrer. Voilà les chiffres réels que notre gouvernement utilise.
L’industrie pétrolière et gazière, qui est, d’après nos dires, très importante pour notre économie, l’est, en réalité, pour l’Alberta. Même les Albertains parlent de la mesure dans laquelle cette importance a été exagérée au cours de la récente campagne électorale, compte tenu du pourcentage de l’économie de la province que cette industrie représente, parce qu’en fait, l’Alberta est principalement une économie agricole. Oui, elle l’est, et voici les chiffres qui le prouvent. Même en Alberta, le pétrole et le gaz naturel ne représentent qu’environ 22 p. 100 du PIB, ou un pourcentage de l’ordre de 20 à 30 p. 100.
Notre façon d’insister pour dire que le pétrole et le gaz naturel représentent une importante partie de notre économie est mal venue, car nous savons que l’économie du Canada est mixte. Il y a d’abord les services, puis le secteur manufacturier et, finalement, les ressources. Les chiffres portant sur les ressources englobent non seulement le pétrole et le gaz naturel, mais aussi le secteur minier et tous les autres aspects liés aux ressources. Les gens se livrent à de nombreux jeux politiques, mais les faits qu’ils mentionnent ne sont pas réels.
Le sénateur Massicotte : J’aimerais poser rapidement la même question à M. Van Wielingen, en ne perdant pas de vue le fait que Peter Tertzakian, directeur exécutif d’ARC Financial Corporation, a écrit un article dans le Financial Post le 6 mars 2019, un article dans lequel il disait essentiellement que ces amendements étaient importants, mais qu’ils n’allaient pas améliorer concrètement l’économie de l’Alberta. Pourriez-vous formuler des observations à ce sujet? Partagez-vous son point de vue?
M. Van Wielingen : Je partage son point de vue en ce qui concerne la grande importance de ces amendements. En un sens, je crois que, si nous souscrivons à ces amendements, cela éliminera la possibilité qu’une mesure très négative soit prise, c’est-à-dire la mise en œuvre du projet de loi C-69 dans sa forme actuelle. Si cette mise en œuvre allait de l’avant, je pense qu’il est très probable qu’à l’avenir, aucun projet important ne serait entrepris. Donc, en éliminant cette mesure négative, vous augmentez la possibilité que de nouveaux projets soient entrepris.
Je dirais que ce qui importe le plus, à court terme, c’est l’agrandissement du réseau Trans Mountain et la construction de la canalisation 3. Ces projets auront d’importantes retombées économiques dans un avenir prévisible.
Le seul autre argument que je ferai valoir à propos du secteur pétrolier et gazier, c’est que je le compare à d’autres sous-secteurs de l’économie parce que, si vous l’examinez dans ce contexte, par exemple en le comparant à l’ensemble de l’industrie bancaire du Canada, vous constaterez que sa contribution au PIB est très importante. Vous pourriez examiner n’importe quel sous-secteur et déclarer qu’il n’est pas très important, parce que l’ensemble du secteur est diversifié. Il y a un grand degré d’intégration dans notre économie et, si vous détruisez une industrie primaire au Canada, cela aura d’importants effets néfastes sur l’ensemble du pays.
Le sénateur Mitchell : Je vous remercie infiniment tous les deux. Je pense que vous avez répondu à ma question. Toutefois, je tiens à faire ressortir votre argument, monsieur Van Wielingen, que je lirai dans votre mémoire écrit. L’une de vos recommandations consiste à adopter d’importants amendements proposés par des promoteurs actifs de projets et, en particulier, les amendements qui réduiront le risque que des décisions politiques soient prises, plutôt que des décisions fondées sur la réglementation et des connaissances. Il est clair que vous ne préconisez pas de torpiller le projet de loi. Vous dîtes : « Laissons au moins la porte ouverte jusqu’à ce que nous prenions connaissance des amendements. » Notre comité travaille d’arrache-pied à la mise au point d’amendements. Donc, je crois comprendre que vous êtes disposés à attendre jusqu’à ce que vous constatiez les amendements que vous obtiendrez.
M. Van Wielingen : Oui, tout à fait. Je vous suis reconnaissant d’avoir clarifié cela.
Le sénateur Mitchell : Merci beaucoup.
La sénatrice LaBoucane-Benson : Monsieur Van Wielingen, dans votre déclaration écrite, vous dîtes que le projet de loi C-69 est fondamentalement déficient parce qu’il compromet les processus de gouvernance indépendants. Pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet? Quels amendements particuliers aimeriez-vous voir apporter pour remédier à cette déficience?
M. Van Wielingen : C’est une question à laquelle il m’est difficile de répondre. La perspective d’une gouvernance indépendante est extrêmement importante. J’évolue dans un univers de gouvernance. Lorsque j’étais président d’AIMCo, une société d’État, et que je m’efforçais de maintenir une certaine indépendance à l’égard du gouvernement, il était primordial pour nous d’éviter le risque que des décisions politiques ou des décisions d’investissement soient prises.
Les caisses de retraite du Canada font l’envie du monde entier en raison de la structure de leur gouvernance. En outre, dans le passé, nos organismes de réglementation de l’énergie faisaient l’envie du monde entier en raison de leur degré d’indépendance. Ce que je remarque dans la façon dont le projet de loi a été rédigé, c’est un glissement important vers un processus décisionnel politisé et vers la prise de décisions politiques par un représentant élu, ainsi que le fait que les organismes de réglementation perdront leur indépendance décisionnelle. J’estime que, même du point de vue des représentants élus, il faut se protéger contre une exposition indue à des influences gouvernementales ou non.
Si vous examinez les amendements recommandés, je pense que vous constaterez qu’ils comprennent une série d’amendements qui règlent ce problème dans une certaine mesure. J’ai vu de tels amendements recommandés par l’Association canadienne de pipelines d’énergie et l’association des pipelines. Je pense que tous ces amendements sont un pas dans la bonne direction.
La sénatrice LaBoucane-Benson : Toutefois, il est vrai que la LCEE de 2012 est la loi qui a politisé ce processus. En réalité, la LCEE de 2012 ne nous a pas rendu service. Il vaudrait mieux modifier le projet de loi C-69 que l’abandonner complètement, ne croyez-vous pas?
M. Van Wielingen : Oui, j’en conviens.
La sénatrice LaBoucane-Benson : Merci.
La sénatrice Seidman : Je vous remercie de vos exposés. J’aimerais poursuivre la discussion au sujet de la politisation excessive. Madame de Lange, le dernier point que vous avez fait valoir dans votre exposé à propos de la façon d’estimer les torts et les dommages était lié au fait que des décisions sont laissées à la discrétion de puissants fonctionnaires. Je pense que nous venons d’entendre un dialogue semblable avec M. Van Wielingen.
Nous avons entendu de nombreux témoins dire que la liste des facteurs à prendre en considération dans le cadre de l’examen des projets comprend des enjeux stratégiques généraux et subjectifs. Nous avons également entendu dire que ces examens feront l’objet de décisions motivées par des considérations politiques, à la fin d’un processus long et coûteux. Pourriez-vous, s’il vous plaît, formuler des observations à ce sujet?
Mme de Lange : Comme je l’ai expliqué plus tôt, je pense que nous devons intégrer dans cette loi des critères plus précis pour appuyer la prise de décisions, car cela créera un cadre qui favorisera la prise de décisions plus objectives. Je suis une comptable agréée, et l’objectivité et l’équité sont primordiales pour les comptables. Je pense que nous faisons ressortir ces principes lorsque nous créons un cadre plus robuste et que nous ajoutons des critères, y compris une analyse quantitative et qualitative. C’est réellement l’argument que je fais valoir.
Même dans un récent document d’orientation portant sur les évaluations d’impact, on ne retrouve aucune mention d’une analyse quantitative, d’une analyse des coûts et des avantages ou d’approches utilisées par les compagnies d’assurances, par exemple. Les compagnies d’assurances font un excellent travail, et c’est leur domaine. Nous pourrions probablement acquérir de nombreuses connaissances auprès d’elles. Je sais qu’elles sont très préoccupées à propos de la façon de gérer les risques liés à ces projets. Nous devrions les faire participer à la conversation concernant la façon d’établir un cadre de calcul.
Ce qui est bien, avec ce projet de loi, c’est qu’il est orienté par les intervenants. Il y a de nombreuses consultations avec divers groupes différents. Les compagnies d’assurances pourraient être parmi les intervenants auxquels nous ferions appel pour adapter l’analyse quantitative, par exemple. Je pense que le projet de loi doit comprendre un cadre, mais il ne peut être défini qu’à un certain point. C’est là l’occasion de faire appel, parmi les intervenants, à des experts qui savent évaluer les risques de problèmes futurs. Avec la valeur actualisée nette, il est possible d’évaluer les dommages futurs maintenant, par exemple, ce qui permet de savoir quel type de fonds en fiducie est nécessaire au début d’un projet. Au fil du temps, ce fonds croît avec les intérêts. Ainsi, en fin de vie du projet, nous avons les fonds nécessaires pour régler les problèmes.
La sénatrice Seidman : Merci. Ai-je une minute pour avoir l’avis de M. Van Wielingen?
La présidente suppléante : Vous avez 30 secondes.
La sénatrice Seidman : Monsieur Van Wielingen, aimeriez-vous ajouter quelque chose?
M. Van Wielingen : J’aimerais que le processus de prise de décisions soit mieux défini et plus clair. J’aimerais aussi voir une orientation plus claire des questions d’intérêt national, en amont. Ensuite, le reste du processus pourrait être défini par réglementation, d’une certaine façon.
L’autre point que je tiens à faire valoir, même si je ne sais pas à quel point il sera considéré sérieusement, est que le pouvoir décisionnel final ne devrait pas relever d’un seul ministre, mais de trois ministres : le ministre des Finances, le ministre des Ressources naturelles et le ministre de l’Environnement.
Le sénateur Patterson : Merci aux témoins.
Monsieur Van Wielingen, ARC Financial est la plus importante société de gestion de capital-investissement privé au Canada. Vous êtes directeur d’une autre société canadienne de gestion d’investissement. Nous avons entendu dire que le projet de loi C-69 était nécessaire pour rétablir la crédibilité du système de réglementation. On nous a dit que l’Office national de l’énergie avait perdu sa crédibilité. Vous connaissez bien l’industrie mondiale de l’énergie. Pourriez-vous nous en dire plus sur la réputation de l’Office national de l’énergie? A-t-il perdu sa crédibilité? Une refonte est-elle nécessaire?
M. Van Wielingen : J’ai grandi avec l’Office national de l’énergie. Au fil de nombreuses années, j’ai parlé de l’Office national de l’énergie — que j’ai toujours eu en haute estime — à de nombreux investisseurs. Je pense que les chefs de file de l’industrie l’ont aussi en haute estime.
Je suis très découragé de voir à quel point l’Office national de l’énergie est discrédité. D’une certaine façon, j’aurais de loin préféré que l’Office national de l’énergie ne s’occupe que de sa modernisation et que les décisions stratégiques demeurent du ressort du gouvernement plutôt que de l’office lui-même, mais tout en lui permettant de poursuivre ses activités courantes, soit présenter des rapports et assumer l’entière responsabilité de ses conclusions.
Actuellement, compte tenu de l’évolution de la situation, il semble que le rôle de l’Office national de l’énergie ait été affaibli et miné. On a tendance à négliger sa contribution et sa crédibilité.
Le sénateur Patterson : Vous avez décrit l’industrie de l’énergie au Canada en des termes très alarmants, soulignant qu’elle est en pleine crise, en détresse. J’aimerais savoir si vous êtes certain que vos observations sont représentatives du point de vue de vos pairs et de vos collègues du secteur de l’énergie.
Je pense que nous sommes privilégiés d’accueillir au comité une personne comme vous, avec autant d’expérience dans le domaine. Je veux savoir si c’est effectivement ce que vous entendez partout.
M. Van Wielingen : Je vous suis reconnaissant d’avoir posé la question avec autant de clarté. Je suis tout à fait convaincu que mes propos représentent le point de vue de mes pairs, des dirigeants d’entreprise du secteur de l’énergie et, bien franchement, de la plupart des Albertains, qui ne sont pas vraiment actifs dans le secteur de l’énergie.
J’ai parlé de détresse, d’alarme, de pessimisme, de perte de confiance; je n’ai jamais rien vu de tel dans toute ma carrière.
Le sénateur Richards : Ma question s’adresse à M. Van Wielingen. Je suis aussi pessimiste que vous à ce sujet. Je me demande s’il y a un moyen de rétablir la situation. Y a-t-il moyen de regagner la confiance des investisseurs étrangers? Étant donné l’absence des États-Unis et l’augmentation de 66 % des importations de pétrole provenant de l’Arabie saoudite, RBC affirme que nous avons perdu 100 milliards de dollars. Même si le projet de loi est adopté avec des modifications, quelles sont les probabilités de stabiliser l’industrie canadienne?
M. Van Wielingen : C’est une excellente question. Je serai très ouvert avec tout le monde ici, comme vous voudriez que je le sois.
J’ai discuté avec Gerry Butts, qui m’a contacté un mois avant de démissionner. Essentiellement, sa question était la même que la vôtre : comment pouvons-nous renverser la vapeur? Comment pouvons-nous rétablir la confiance?
J’ai été surpris qu’il me pose cette question. Je lui ai donné une série de recommandations que je lui ai ensuite transmises par écrit. L’une d’elles est qu’il faut que nos dirigeants politiques fassent connaître les forces et les réalisations de l’industrie au monde entier. Il y en a beaucoup. Il y a beaucoup d’activités qui peuvent être corroborées et prouvées.
C’est une industrie extraordinaire qui a fait un travail incroyable et qui est largement reconnue dans le monde entier pour son expertise, ses ressources, son éthique et son orientation axée sur les droits de la personne. Il y a beaucoup à promouvoir. Je le sais, car nous faisons la promotion du secteur énergétique canadien à l’échelle mondiale.
Je lui ai dit qu’on peut apporter toutes les modifications qu’on veut, ce qui est fantastique, mais que ce qu’il faut vraiment, c’est que nos dirigeants défendent l’industrie énergétique canadienne devant l’industrie et le monde entier.
Le sénateur Richards : Merci beaucoup, monsieur.
Le sénateur Woo : Merci aux témoins. Je me demande si vous pourriez tous les deux parler des tendances avec les investisseurs institutionnels, les fonds souverains et les caisses de retraite internationales et de ce qui semble être une réticence croissante à investir dans les combustibles fossiles. Cela comprend les fonds souverains de la Norvège, qui semblent se départir de leurs actifs dans le secteur pétrolier et gazier, et établir un rapprochement avec la perte de confiance à l’égard des investissements dans le secteur pétrolier et gazier canadien.
Mme de Lange : On observe une tendance au désinvestissement. Je dirais que cela suscite beaucoup de discussions. La Norvège est un excellent exemple. Ils ont mieux géré leurs ressources que nous, pour de nombreuses raisons. Ils ont le plus important fonds souverain au monde. Ils encouragent les véhicules écologiques et transforment leur économie. Ils vendent toujours du pétrole et du gaz, par l’intermédiaire de leur société pétrolière et gazière nationale, mais je sais qu’il y a beaucoup de discussions pour que cela change.
Ils ont mieux géré leurs ressources. Leur économie n’a pas été transformée au point de dépendre de l’exploitation des ressources. Nous n’avons pas géré nos ressources de la même manière.
L’Alberta devrait être riche. Elle ne devrait pas subir les aléas des fluctuations. Si cette ressource avait été mieux gérée, la province aurait un fonds d’investissement et les fluctuations ne nous préoccuperaient pas autant. Nous serions également en mesure de transformer l’économie de l’Alberta pour éviter ce problème et faire la transition à une nouvelle économie, une économie plus propre, et faciliter la diversification de notre économie. Malheureusement, nous sommes maintenant confrontés à ce problème.
Le désinvestissement est certainement une option envisagée par beaucoup d’investisseurs. Il y a un mouvement en ce sens en raison des risques élevés. C’est probablement ce à quoi vous pensez. Les entreprises analysent les risques. Les actionnaires n’aiment pas les risques inhérents à divers types d’entreprises, y compris ceux du secteur pétrolier et gazier, parce que le monde s’en éloigne. Nous ne pouvons plus continuer de brûler du carbone. C’est la réalité, car nous sommes confrontés aux changements climatiques. Il y a des inondations répétées à Ottawa et au Québec. Nous pouvons en parler. Selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, le GIEC, l’enjeu est pressant. Je pense que nous le savons depuis les années 1980, au moins.
Le monde s’éloigne du pétrole et du gaz depuis longtemps. Ce n’est pas nouveau. Le désinvestissement est inévitable, parce que les actionnaires ne veulent pas investir dans des entreprises confrontées à ce risque. Ce n’est pas un bon investissement.
Cela s’inscrit dans la tendance mondiale du désintérêt à l’égard du pétrole et du gaz.
La sénatrice McCallum : Je vous remercie de vos exposés. Je voulais parler des répercussions environnementales négatives sur les terres des Premières Nations.
Monsieur Van Wielingen, à la page 5, vous indiquez qu’il « semble qu’une attention particulière soit accordée aux effets négatifs possibles sur l’environnement », une « façon d’ignorer l’importance du développement économique »...
Il y a eu tellement de dommages environnementaux sur les terres des Premières Nations partout au pays par toutes les industries, celles de l’énergie, des mines, de la foresterie et de l’hydroélectricité. Ce n’est pas l’affaire d’une seule industrie.
Les peuples autochtones ont soulevé ces préoccupations. Personne n’y a prêté beaucoup d’attention, même s’ils détiennent les titres de propriété d’une grande partie du territoire.
Je crois aussi comprendre que les Canadiens n’ont pas été consultés pour la LCEE de 2012, qui a été adoptée dans un projet de loi omnibus.
Convenez-vous que le coût d’assainissement des sites contaminés a dépassé la valeur du développement économique? Diriez-vous que les Premières Nations et les peuples autochtones ne seraient pas confrontés à cette crise aujourd’hui si l’industrie avait eu une démarche plus équilibrée et fondée sur des principes?
M. Van Wielingen : Tout d’abord, je vous suis reconnaissant de soulever ce point de vue. Lorsqu’on examine la question dans une perspective historique à long terme, je conviens que l’impact environnemental aurait été moindre si l’industrie avait été davantage fondée sur des principes. Je crois que l’industrie a traversé une véritable transformation. Les chefs de file de l’industrie examinent maintenant les impacts environnementaux de façon très différente. Je sais que ce n’est le point de vue que d’une seule personne. Il faut le vivre et le voir pour vraiment y croire. J’assiste aux réunions des conseils d’administration de diverses entreprises du secteur de l’énergie au quotidien depuis des années, et je suis témoin de cette transformation.
Quoi qu’il en soit, je suis d’accord avec vous sur ce point. Si les dirigeants du secteur de l’énergie avaient pris davantage de décisions fondées sur des principes, les effets négatifs auraient été bien différents.
Je ne suis pas d’accord pour dire que les coûts des impacts environnementaux ont dépassé les avantages économiques. Je ne pense pas que ce soit le cas. Je pense que grâce à la technologie et à divers processus, nous avons maintenant la capacité de gérer beaucoup plus efficacement notre impact environnemental et de tirer parti des avantages du développement qui, en fin de compte, favorisent la prospérité sociale et non seulement la prospérité financière des populations locales touchées et de la société en général.
Le sénateur Mockler : Partout où nous sommes allés, de l’Ouest à l’Est du pays, en passant par l’Ontario et le Québec, les témoins nous ont fait comprendre l’ampleur de l’ambiguïté et du manque de précision. Les Canadiens recherchent du leadership non seulement politique, mais aussi économique, surtout en ce qui concerne les projets qui édifient la nation d’un océan à l’autre. Et comme je l’ai répété partout : le projet d’Énergie Est était un projet d’édification de la nation.
J’ai entre les mains une lettre du Conseil des premiers ministres de l’Atlantique dont j’aimerais vous parler. Ils ont de nombreuses préoccupations, et je voudrais avoir votre avis sur celle-ci. Dans une lettre adressée au premier ministre du Canada et datée du 27 février 2019, les quatre premiers ministres de l’Atlantique ont écrit ce qui suit :
Selon notre évaluation de la version actuelle du projet de loi C-69, les changements importants proposés à la portée et à l’échelle des évaluations environnementales fédérales au Canada ne permettront pas d’atteindre le double objectif de la protection de l’environnement et de la croissance économique.
J’aimerais aussi savoir comment vous définissez l’acceptabilité sociale relativement aux projets qui seront réalisés en vertu du projet de loi C-69.
Je demanderais aux deux témoins de répondre, s’il vous plaît.
M. Van Wielingen : Je suis d’accord avec les premiers ministres de l’Atlantique: la version actuelle du projet de loi C-69 ne permettra pas d’atteindre le double objectif de la protection de l’environnement et de la croissance économique. Au départ, j’ai été surpris d’apprendre qu’il n’était pas vraiment orienté vers les avantages économiques. Il semble viser un seul objectif, et en ma qualité d’investisseur, je trouve cela inquiétant. En tant que Canadien, je n’y vois pas une perspective équilibrée.
La deuxième question, qui concerne l’acceptabilité sociale, est plus difficile. Étrangement, je pense que nous avons accordé une trop grande crédibilité à ce concept. À mon avis, nous devons trouver des façons de favoriser l’acceptabilité sociale et de fournir aux gens l’information nécessaire pour augmenter la probabilité que les personnes touchées acceptent le projet. Dans une certaine mesure, le concept de l’acceptabilité sociale officialise l’opinion publique. Je sais que c’est un terme qui est très utilisé et qu’on entend ici et là; c’est devenu une sorte d’approbation presque réglementaire. Nous avons peut-être poussé cette idée un peu trop loin. C’est pour cette raison que nous avons des organismes chargés de prendre de telles décisions au nom de la population.
Mme de Lange : La communauté internationale ne considère plus la combustion du carbone comme socialement acceptable. Presque tous les pays ont signé l’Accord de Paris et y participent. Nous devons remplir nos devoirs à l’endroit de la communauté internationale et de nous-mêmes. Nous sommes un des pays de la Terre et nous n’avons qu’une planète.
Nombre des projets que nous pourrions envisager au Canada ne sont plus considérés comme socialement acceptables.
Pour ce qui est d’opposer l’économie à l’environnement, la comparaison est fausse. En réalité, l’histoire montre que les économies se portent mieux lorsqu’on investit dans les technologies de pointe. Une grande partie des industries liées au projet de loi appartiennent à une économie dépassée. Ce ne serait pas avantageux, sur le plan économique, d’investir dans la majorité — pas tous — des types de projets dont il est question ici. Nous devons investir dans de nouvelles technologies qui feront avancer notre pays et nous permettront de soutenir la concurrence. Le moteur de la concurrence mondiale, ce sont les investissements dans la technologie. C’est un fait historique; prenez l’exemple de la révolution industrielle.
D’après moi, il faut investir dans de nouvelles technologies propres, des technologies socialement acceptables, car franchement, ce sont elles qui nous permettront de renforcer l’économie.
La présidente suppléante : Merci beaucoup pour vos témoignages, madame de Lange, monsieur Van Wielingen. Nous vous en sommes très reconnaissants. Vos réponses aux questions étaient très claires. Comme vous l’avez dit, monsieur Van Wielingen, vous avez été très ouverts tous les deux, et le comité vous en est reconnaissant.
Nous passons maintenant à la deuxième partie de la séance. Comme nous avons des problèmes avec la présentation vidéo, nous allons commencer par les témoins qui sont dans la pièce. Après, nous passerons peut-être à la vidéoconférence, pour revenir ensuite aux témoins qui sont ici en personne.
Merci beaucoup de vous joindre à nous ce soir. Nous accueillons M. Michael Andrew Thompson, vice-président, et M. Wilson Phillips, ancien président, des Géomètres professionnels du Canada. La parole est à vous, monsieur Phillips.
Wilson Phillips, ancien président, Géomètres professionnels du Canada : Bonsoir, mesdames et messieurs. Merci de nous permettre de vous présenter aujourd’hui deux amendements que nous recommandons d’apporter à la Loi sur la Régie canadienne de l’énergie proposée. Géomètres professionnels du Canada propose ces amendements en vue d’améliorer la conformité, la précision et la transparence pour l’ensemble des Canadiens. Géomètres professionnels du Canada est une organisation bénévole dirigée par ses membres. Elle représente 1 300 membres professionnels qui emploient 40 000 Canadiens dans l’industrie professionnelle de l’arpentage, dans toutes les provinces et tous les territoires.
Nous avons consulté nos membres partout au Canada. Nous sommes reconnaissants envers les bénévoles qui ont investi de nombreuses heures dans la mise au point de nos recommandations. Nos membres travaillent avec tous les régimes d’enregistrement foncier utilisés au Canada; ils savent à quel point ces régimes sont importants pour la population et pour eux. Ils ont aussi une expérience directe du régime législatif et réglementaire actuel. Nous ressentirons les effets de la promulgation du projet de loi C-69.
Nous recommandons des amendements qui amélioreront le projet de loi pour la population et nos membres. Les deux problèmes possibles soulevés par nos membres n’ont peut-être pas été décelés durant la rédaction de la version actuelle du projet de loi. Nos recommandations amélioreront la compréhension de la population et son respect des dispositions. Elles accroîtront aussi considérablement la transparence pour la population.
La recommandation de modifier la partie de la définition de « remuement du sol » qui porte sur la profondeur vise à traiter tous les Canadiens de la même façon. En ce moment, la loi contient deux normes fondées sur des critères flous. La définition proposée traite les Canadiens différemment en les obligeant à se conformer à deux normes distinctes. Notre amendement élimine la confusion sans entraîner de coûts, tout en favorisant la compréhension et la conformité.
Notre deuxième recommandation vise à améliorer la transparence et la précision par rapport à la disposition du projet de loi C-69 concernant la zone réglementée. La zone réglementée est une zone de terres qui sera touchée par la construction d’un pipeline ou l’installation d’autres services publics, sans que ce soit évident pour les propriétaires touchés. Pour améliorer cette disposition, nous recommandons de l’amender de façon à ce que les propriétaires touchés puissent en être informés au moyen d’un régime d’enregistrement foncier. Cette disposition améliorera la transparence et le processus d’approbation pour tous les projets. Elle coûtera très peu aux parties intéressées et elle aura des effets positifs à long terme sur le régime foncier canadien.
Géomètres professionnels du Canada a communiqué avec le plus grand nombre de parties intéressées possible, y compris les représentants des secteurs des télécommunications, du pétrole et du gaz, ainsi que des propriétaires fonciers, pour savoir si les amendements proposés suscitaient de l’opposition. Nous n’avons reçu aucune réaction négative. Les amendements proposés ne coûteront rien à la population. Ils amélioreront la transparence et favoriseront la compréhension pour tous les Canadiens. Merci.
La présidente suppléante : Merci beaucoup. Nous accueillons maintenant, par vidéoconférence, M. Norman Yakeleya, chef national de la Nation dénée. Mme Cynthia Westaway, avocate et directrice de la Nation dénée, est ici avec nous à Ottawa. Commençons par vous, monsieur Yakeleya.
Norman Yakeleya, chef national, Nation dénée : Bonsoir, mesdames et messieurs les sénateurs et les invités. Je m’appelle Norman Yakeleya. Je suis le chef national de la nation dénée. Nous sommes ici pour parler du projet de loi C-69.
Je me suis présenté récemment devant un comité sénatorial pour parler du projet de loi C-68, de nos préoccupations particulières à son égard et du besoin de protéger le poisson et son habitat. En adoptant ce projet de loi, vous défendrez du même coup les droits et les obligations issus des traités que nous avons conclus avec le Canada.
Nous voyons le projet de loi C-69 sous un jour semblable. À nos yeux, les deux projets de loi sont reliés. Ils portent tous deux sur le besoin de protéger les cours d’eau, les terres, les poissons et les animaux, ainsi que de respecter les droits ancestraux et issus des traités en vue de favoriser la durabilité.
Nous soutenons le projet de loi C-68 et le projet de loi C-69, qui représente une nette amélioration relativement à la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale de 2012. Le projet de loi C-69 crée de nombreuses occasions de collaboration entre les gouvernements autochtones et le gouvernement fédéral. Nous appuyons l’ajout d’une étape préparatoire obligatoire devant précéder la réalisation de l’évaluation d’impact, surtout en ce qui concerne la planification régionale et stratégique. De plus, nous soutenons entièrement l’intégration de l’obligation de favoriser la durabilité dans le projet de loi C-69. Bien que le projet de loi comprenne une définition de la durabilité, l’interprétation de cette définition devra être faite en étroite collaboration avec les gouvernements autochtones. Nous tenons également à corédiger les règlements qui découleront des projets de loi.
La consultation ne suffit plus. Dans les Territoires du Nord-Ouest, nous avons commencé à corédiger les projets de loi avec le gouvernement territorial.
Il devrait toujours en être ainsi dans le cas des projets de loi qui sont d’une importance cruciale pour les gouvernements autochtones. Par exemple, la loi sur les eaux navigables proposée ne contient aucune disposition concernant les problèmes de navigation hivernale. Or, les Dénés utilisent un grand nombre de voies navigables tant en hiver qu’en été. La Loi sur les eaux navigables canadiennes, la LENC, doit donc tenir compte des effets de tous les projets sur les eaux navigables gelées.
Les Dénés utilisent les cours d’eau des Territoires du Nord-Ouest pour circuler en motoneige et parfois en traîneau à chiens. Des projets ne représentant aucune menace en été peuvent avoir des résultats mortels en hiver. Par exemple, des barrages qui lâchent l’eau en hiver peuvent modifier la condition de la glace et la rendre dangereusement mince. Des trappeurs dénés, comme Morris Klutsi et Morris Dazel, ont perdu la vie pour cette raison. Voilà pourquoi la LENC doit tenir compte des effets des projets précisément sur l’utilisation hivernale des eaux navigables par les peuples autochtones. C’est important parce que le projet de loi modifie simultanément plusieurs lois, et c’est d’un grand intérêt pour les Dénés du point de vue de la collaboration intergouvernementale. Nous vous encourageons à adopter le projet de loi C-69 et à le mettre en œuvre d’une manière qui favorise la collaboration intergouvernementale continue.
Le projet de loi régit l’évaluation des projets d’exploitation des ressources, le fonctionnement de la régie de l’énergie relativement au transport, ainsi que la manière de gérer les voies navigables sans nuire à l’environnement, en vue de nous aider à atteindre notre objectif commun d’une prospérité économique durable.
Merci, mesdames et messieurs les sénateurs.
Cynthia Westaway, avocate et directrice, Nation dénée : Je m’appelle Cynthia Westaway et je suis conseillère juridique pour la Nation dénée. Je suis ici pour répondre aux questions d’ordre technique, au besoin. Notre cabinet se spécialise en droit autochtone et nous travaillons partout au Canada. Nous sommes très enthousiastes, car le projet de loi représente une amélioration et il possède tous les ingrédients nécessaires pour en faire une mesure très spéciale. Or, il faut aussi le mettre en œuvre et mettre en place de la réglementation et des politiques. Notre message aujourd’hui, c’est que le projet de loi a besoin de la volonté de ceux et celles qui ont le pouvoir d’y donner vie.
Il nécessite l’interprétation, l’honneur et le respect de la direction régionale de la Nation dénée. Les gens du Nord sont toujours très enthousiastes à l’idée d’une économie saine et prospère. Ils sont très entreprenants et ils jouent un rôle très actif dans l’économie. Par exemple, les sociétés dénées possèdent et dirigent des entreprises de construction navale. Ces entreprises ne travaillent pas dans les zones de reproduction des baleines et elles ne brisent pas la glace au mauvais moment. Nous avons besoin de cet équilibre, et selon nous, le projet de loi pourrait nous aider à l’atteindre, pourvu que la volonté y soit.
Nous ciblons la durabilité. Nous cherchons à établir un partenariat entre l’extraction des diamants et la pêche. Il faut déployer de réels efforts. Nous avons soumis des mémoires assez longs au Sénat et à la Chambre. Nous avons participé à tous les groupes d’experts partout au pays. Nous tentons de faire du projet de loi le meilleur outil possible pour favoriser la santé et la richesse pour les siècles à venir. Merci.
La présidente suppléante : Merci beaucoup aux trois témoins pour leurs déclarations préliminaires.
Le sénateur Woo : Ma question s’adresse aux représentants des Géomètres professionnels du Canada. J’ai deux questions au sujet des amendements proposés. La première se rapporte à la profondeur du pipeline. Cela me semble très technique. Avez-vous consulté les entreprises de pipelines pour déterminer que la profondeur appropriée devrait être 30 centimètres plutôt que 45 centimètres?
La deuxième concerne l’amendement proposé au sujet du dépôt des documents au bureau d’enregistrement des titres fonciers. J’ai l’impression que cette question relève plutôt des provinces. Ne ferait-on pas mieux de laisser les provinces s’en occuper au moyen de la réglementation?
Michael Andrew Thompson, vice-président, Géomètres professionnels du Canada : Merci pour les questions, et merci de nous avoir invités, madame la présidente.
Par rapport à la consultation sur la profondeur, nous avons envoyé une vaste gamme de questions aux propriétaires des services publics, aux sociétés de télécommunications, aux entreprises pétrolières et gazières, ainsi qu’aux groupes de l’industrie, y compris la Canadian Common Ground Alliance et l’Association canadienne des producteurs pétroliers. Nous n’avons reçu aucune réaction négative en réponse à la disposition sur la profondeur.
En ce qui concerne les bureaux d’enregistrement des titres fonciers, dans la loi actuelle, l’inscription du droit de passage pour un service public se fait auprès du bureau d’enregistrement provincial. Toute réserve liée à la zone réglementée serait déposée au bureau d’enregistrement provincial de la manière prévue par la loi actuelle pour le droit de passage.
Le sénateur Woo : D’après vous, sur quoi est fondée la distinction entre 30 et 45 centimètres contenue dans la version originale du projet de loi?
M. Thompson : La loi actuelle et le projet de loi établissent deux normes. La norme de 30 centimètres est pour les zones urbaines ou non cultivées, tandis que la norme de 45 centimètres est applicable dans les zones de culture. Or, la définition de la culture est plutôt floue : parle-t-on d’agriculture ou de jardinage? L’amendement proposé simplifierait et préciserait la norme relative au remuement du sol en la fixant à 45 centimètres. En établissant une norme de 45 centimètres, on n’impose pas de fardeau indu à un agriculteur, disons, qui doit labourer à une profondeur supérieure à 30 centimètres afin de pouvoir cultiver la terre.
Le sénateur Woo : Je ne comprends pas. La mesure concerne les projets de construction de pipelines. Pourquoi les agriculteurs seraient-ils touchés? Ils ne construisent pas de pipelines.
M. Thompson : Si vous avez l’intention de remuer le sol à une profondeur supérieure à la norme de 45 centimètres, vous devez respecter les dispositions relatives au remuement du sol contenues dans la loi et la réglementation. Vous devez, entre autres, faire repérer les installations des services publics, les exposer au besoin et suivre les dispositions relatives au remuement du sol, que ce soit pour conclure un accord de passage avec les propriétaires de services publics ou autre. Si vous labourez la terre ou si vous remuez le sol à une profondeur inférieure à la norme, vous n’avez pas à suivre le protocole. Par exemple, si un agriculteur laboure à une profondeur de 35 centimètres, il n’a pas à conclure d’accord de passage ou à faire repérer les installations, mais s’il remue le sol à une profondeur supérieure à 45 centimètres, il doit faire les démarches nécessaires auprès des entreprises de services publics.
Le sénateur Patterson : J’aimerais souhaiter la bienvenue à notre comité au chef national Yakeleya. Vous avez parlé des droits autochtones et de la reconnaissance. Merci de votre exposé détaillé.
Il y a trois façons dont les peuples autochtones sont invités à travailler avec le gouvernement, comme vous l’avez recommandé dans votre exposé. Vous avez bien accueilli les occasions pour les gouvernements autochtones de travailler avec le gouvernement fédéral. La Régie canadienne de l’énergie est tenue de mettre sur pied un comité consultatif autochtone. La Loi sur l’évaluation d’impact proposée prévoit également la création d’un comité consultatif assorti d’une représentation garantie d’Autochtones issus des trois organismes nationaux.
La Loi sur la Régie canadienne de l’énergie inclurait aussi un comité consultatif, dont les membres sont également sélectionnés parmi les trois groupes nationaux, à savoir les Inuits, les Métis et — j’imagine que la Constitution dit les « Indiens », n’est-ce pas?
Ma question est la suivante: pensez-vous qu’il est suffisant de prévoir un rôle de consultation au comité du ministre, au comité de la régie de l’énergie et aux termes de la Loi sur l’évaluation d’impact?
M. Yakeleya : C’est une question très intéressante. Je pense que ce n’est pas suffisant. Nous devons enchâsser, instiller ou légiférer une participation plus forte des gouvernements autochtones au Canada dans les trois territoires. Le savoir autochtone doit figurer dans la loi, notamment dans un rôle consultatif où le gouvernement du Canada a clairement énoncé l’importance de la réconciliation et de la participation des propriétaires fonciers autochtones en tant que partenaires du gouvernement pour élaborer conjointement des lois qui sont sensées. La participation doit être forte, et s’il y a d’autres idéologies qui sont soulevées durant une séance du comité, on peut renforcer l’importance du savoir autochtone dans cette mesure législative. Cette participation serait très bien accueillie.
Outre le rôle de consultation, nous pouvons faire appel à de nombreux consultants, puis nous décidons de les écouter ou pas. Nous ne sommes pas aux commandes. C’est comme faire du traîneau à chiens : nous sommes à l’arrière et dirigeons nos chiens là où nous voulons aller. Si vous êtes assis dans le traîneau, vous devez écouter le conducteur pour connaître la direction que les chiens vont prendre. Les intervenants doivent s’assurer qu’ils empruntent une voie sécuritaire qui sera bénéfique pour l’ensemble de la population et du pays.
À mon avis, sénateur, nous devons nous assurer d’avoir une structure suffisamment solide pour que le savoir autochtone puisse aider l’ensemble du Canada, et pas seulement nous. Nous devons nous assurer que les peuples autochtones ont davantage leur mot à dire dans ces lois sur lesquelles vous tenez des discussions à l’heure actuelle.
Le sénateur Massicotte : C’est une question complémentaire en quelque sorte. Je pense que le sénateur Patterson soulève un point valide, car vous avez de nombreux comités de consultation. Ces comités siègent, ce qui donne aux gens bonne conscience, mais ils ne jouent pas un rôle véritable. Je me demande s’il serait utile — je ne fais que réfléchir à voix haute et je veux entendre votre réaction, chef — que la loi stipule, « Oui, vous créez les comités, mais ils doivent fournir un rapport écrit deux fois par année qui renferment des conseils et toute autre observation qu’ils veulent formuler ». Par conséquent, vous les forcez à produire un rapport à l’intention du public. Cela exerce beaucoup plus de pressions sur l’organisme, peu importe où il se trouve, pour qu’il réagisse au rapport. On confie alors aux comités un rôle plus important plutôt que de simplement les oublier. Est-ce que ce serait utile?
M. Yakeleya : Ce serait utile. C’est une bonne voie à suivre, et il y a là des éléments à examiner avec des honorables membres du comité comme vous-même à Ottawa. Cela ferait en sorte que les peuples autochtones se fassent entendre et que nos observations soient prises très au sérieux, en travaillant avec les sénateurs et dans le cadre d’un système où l’on ne s’empresse pas à examiner le rôle du savoir autochtone.
Il y a encore beaucoup de travail à faire. Vous avez un argument valable. Cela contribuera à faire avancer le dossier, et nous pourrons peut-être commencer à comprendre un peu ce que le terme « réconciliation » signifie. Merci.
Le sénateur Massicotte : Merci.
La sénatrice LaBoucane-Benson : Merci de votre exposé. J’ai en fait rencontré M. Thompson à Edmonton et je connaissais bien leur demande. Je pense que c’est une demande très raisonnable d’envisager un changement de 30 à 45 centimètres.
Ma question s’adresse au chef Yakeleya. Merci de votre exposé. Je ne pense pas avoir entendu quiconque parler de l’élaboration conjointe du règlement auparavant à cette table, et je trouve cela très intéressant. A-t-on consulté les Dénés jusqu’à présent dans le cadre de l’élaboration du règlement? Je présume que le règlement est en cours d’élaboration. A-t-on consulté les Dénés?
M. Yakeleya : Je pourrais peut-être demander à notre conseillère juridique de répondre à cette question. Je viens d’être élu il y a environ huit mois. Je pourrais dire, du point de vue du territoire sous le gouvernement précédent, que nous avons élaboré conjointement la loi avec le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest. Nous avons collaboré à l’élaboration conjointe. C’était vraiment une expérience enrichissante pour les gouvernements des Territoires du Nord-Ouest et les peuples autochtones. Je ne suis pas certain, madame la sénatrice — veuillez excuser mon ignorance —, de la façon dont on procède à Ottawa pour l’élaboration conjointe. Nous aimerions atteindre l’objectif d’élaborer conjointement les lois avec nos partenaires.
Je peux demander à notre conseillère juridique, madame Westaway, de vous dire si elle a travaillé avec des gouvernements précédents.
La sénatrice LaBoucane-Benson : C’est correct.
Madame Westaway?
Mme Westaway : Oui, nous avons eu quelques expériences importantes, mais pas suffisamment. Les Canadiens doivent bénéficier de l’expertise des Dénés dans ce processus.
Je m’inquiète des gestes purement symboliques. Je m’inquiète qu’il y ait un représentant des Premières Nations à un comité. Nous avons 637 Premières Nations, 5 organisations inuites, de nombreuses organisations métisses et 32 bandes des Dénés dans notre région seulement, avec 6 dialectes dans des langues différentes. Il y a une véritable expertise régionale qui se perd si on a un seul membre consultatif.
Si vous pouvez procéder à cette élaboration conjointe, comme nous l’avons fait avec la Loi sur la faune et le Règlement sur le pétrole et le gaz des terres indiennes, vous allez obtenir l’expertise régionale et les avantages. Cela ne s’est pas fait suffisamment et ce n’est pas encore arrivé. Nous sommes ici pour discuter d’apporter l’expertise dans les régions, de manière à ce que vous puissiez obtenir les meilleurs résultats économiques et environnementaux.
La sénatrice LaBoucane-Benson : Étant de l’Alberta, je connais assez bien les routes gelées. Comme j’ai des connaissances autochtones sur les eaux navigables, plus particulièrement, et que j’ai conduit sur des routes gelées, je sais qu’il y a beaucoup de connaissances locales. Il serait très important de les incorporer au règlement entourant cette mesure législative, plus particulièrement. Je vous en remercie.
Le sénateur Mitchell : Merci à vous tous. Je tiens à dire aux géomètres que leur exposé était probablement le plus détaillé et précis que j’aie jamais entendu. C’était très rafraîchissant. Bien entendu, cela ne laisse pas place à de nombreuses questions, et ma question a été posée.
Ce que j’ai trouvé également intéressant, monsieur Yakeleya et madame Westaway, c’est votre appui au projet de loi C-69 — et plus particulièrement, votre appui à l’un des éléments les plus importants de ce projet de loi, qui est souvent négligé, mais que vous n’avez pas négligé, à savoir ce que vous qualifiez de processus de planification obligatoire. Je pense qu’on peut également le qualifier de processus de planification précoce. Vous avez précisément souligné que c’est tout aussi important et significatif, et je pense que c’est le cas, car il établit la nécessité de mener une évaluation. Il définit et précise le processus et la priorité.
Je me demande si vous pourriez nous en dire un peu plus sur ce processus et sur ce qui vous plaît à propos de ce processus.
Mme Westaway : Je vais commencer, chef. Cela vous convient-il?
M. Yakeleya : Allez-y.
Mme Westaway : Ce qui est très intéressant, c’est que lorsque vous procédez à une évaluation d’impact rapide axée sur un projet précis, il peut parfois être trop tard. Nous devons vraiment y réfléchir d’un point de vue stratégique, durant les réunions annuelles et semestrielles de ces comités consultatifs pour veiller à ce que les meilleurs travaux possible soient effectués. Lorsqu’on examine un projet précis, on peut ensuite le peaufiner. On voit cela comme étant un processus en deux étapes.
Je sais que le chef m’a parlé pour que l’on s’assure que les Dénés examinent s’il y a des répercussions. Votre idée de projets majeurs et mineurs ne fonctionne pas du tout lorsque vous examinez un marécage où les canards vivent et que c’est votre souper.
Je ne vais pas prendre trop de temps pour aborder ce point, mais comment les Dénés doivent-ils participer le plus tôt possible au processus? Je vais peut-être vous demander de répondre à cela.
La présidente : Allez-y, chef, si vous avez quelque chose à ajouter.
M. Yakeleya : Merci, Cynthia. Absolument, nous considérons cette participation comme étant essentielle à la réussite de ce processus. Elle est nécessaire, car nous sommes les premiers habitants de nos terres avec les Inuvialuit, les Inuits, les Métis et les Dénés. Nous vivons de la terre. Nous venons de la terre. Même le terme « Déné », si on le traduit, signifie au-dessus et en dessous de la terre, soit l’air, l’eau et la terre. Ce sont nos origines. Parce que nous avons ces connaissances, nous voulons les transmettre aux gens. C’est essentiel, comme lorsque nous construisons nos bateaux en peau d’orignal. Nous devons absolument construire ces bateaux en peau d’orignal, selon le type de cours d’eau où nous voulons les utiliser. Nous devons absolument avoir des aînés qui construisent ces bateaux en peau d’orignal depuis des milliers d’années pour qu’ils puissent transmettre leur savoir. Nous utilisons ces bateaux en peau d’orignal. C’est différent maintenant. Nous sommes passés de bateaux en peau d’orignal à des bateaux à propulsion hydraulique.
Nous sommes en train de changer la vie des gens, mais nous avons encore des connaissances concernant les cours d’eau. J’ai parlé avec les aînés, et en ce qui concerne les cours d’eau, ils ont dit qu’ils sont si puissants de nos jours, et même eux ne le comprennent pas. Nous respectons beaucoup cette ressource. Nous voulons faire comprendre aux sénateurs que c’est une mesure législative importante. C’est important. Nous voulons vous aider. Nous devons participer aux discussions, comprendre la situation et aider l’ensemble du pays.
C’est la raison pour laquelle nous voulons nous prononcer en faveur de ce projet de loi. C’est très important. Mais nous savons que vous devez discuter de nombreuses autres questions importantes. C’est pourquoi le moment est venu pour les Dénés et tous les gouvernements autochtones de participer aux discussions et de travailler avec vous pour que nous fassions les choses correctement, du mieux que nous le pouvons.
La présidente : Merci beaucoup, chef.
[Français]
Le sénateur Carignan : Ma question s’adresse au représentant de l’Association des arpenteurs et porte sur la deuxième recommandation qui prévoit l’ajout de l’alinéa e) à l’article 198. Je crains que cela crée des embûches et prolonge le processus.
À titre d’exemple, dans une autre vie, lorsque j’étais maire d’une municipalité et qu’on a ouvert la section de l’aéroport de Mirabel, une rumeur circulait selon laquelle toutes les terres agricoles allaient être achetées ou vendues en faveur de projets domiciliaires. Ainsi, bon nombre d’Européens et de gens originaires de Hong Kong ont acheté ces terrains, et nous nous sommes retrouvés avec des terrains dont il était impossible de retrouver les propriétaires. Certains terrains avaient été achetés par des compagnies à numéro ou par des successions, et tout cela s’est perdu.
Si on ajoute cette exigence, ne croyez-vous pas que cela risque d’entraîner des retards dans le processus d’installation, dans les cas où, notamment, on ne réussit pas à retrouver les propriétaires?
[Traduction]
M. Phillips : Merci de la question. Oui, nous devons effectivement accélérer le processus. Nous n’avons peut-être pas été clairs à ce sujet. Vous avez soulevé la question de la spéculation foncière, notamment, et de la transparence. En Colombie-Britannique, on vient d’adopter une loi relativement à la transparence. Je n’arrive pas à me rappeler le nom de la loi, mais on propose d’assurer une transparence entourant la propriété foncière.
Pour ce qui est des intérêts, et de la question de savoir si les intérêts ont une incidence sur une Première Nation sans qu’elle le sache, ou d’un propriétaire foncier adjacent et du manque de transparence durant le processus d’approbation, vous voudrez régler le plus grand nombre de ces questions possibles d’emblée. Nous essayons de concevoir un système qui est très transparent, ouvert et assujetti à des analyses. Ce que vous décrivez dans le cas de Mirabel s’est produit dans ma belle province également, avec des ponts et d’autres spéculations foncières. Mais le point 2 ne cherche pas à régler ce problème ou n’aggrave pas le problème, à mon avis; il améliore la situation.
[Français]
Le sénateur Carignan : Lorsque j’ai parlé de spéculation, ça a peut-être créé de la confusion, mais le fait est qu’à un certain moment donné, on ne peut pas retrouver les propriétaires. Il ne s’agit pas de savoir qui se cache derrière une compagnie ou une autre, c’est que ces propriétaires sont introuvables. Or, lorsqu’ils sont introuvables, il est impossible de négocier un titre, une servitude ou un droit de passage avec eux. La situation est telle que la municipalité fait vendre les terrains pour taxes impayées, parce que même le compte de taxes foncières n’est pas payé, faute de pouvoir retrouver les propriétaires.
Si on inclut cette disposition, ne croyez-vous pas qu’on risque de créer des retards inutiles lorsque le propriétaire demeure introuvable?
[Traduction]
M. Phillips : Certainement. Merci de la question.
La proposition ici vise à améliorer la transparence. On ne cherche pas à créer plus de confusion. S’il y a d’autres problèmes de confusion quant à savoir qui possède les terres, nous n’essayons pas de les régler avec cette mesure. Nous pouvons seulement régler le problème qui a été soulevé.
Pour répondre à ce que vous avez dit, ce problème a peut-être été soulevé. Il faudrait une analyse distincte et une loi ou une réglementation distincte. Comme je l’ai suggéré, ce peut-être semblable à l’exemple de la Colombie-Britannique.
La sénatrice McCallum : Ma question s’adresse au chef national.
J’ai remarqué que vous avez mentionné la DNUDPA à quatre reprises dans votre exposé. Vous savez que le Sénat est saisi de la Déclaration des Nations Unies et qu’elle fait actuellement l’objet de discussions.
Pourriez-vous nous dire pourquoi vous estimez que la DNUDPA est très importante?
M. Yakeleya : Je suis en politique depuis longtemps. J’ai pris ma retraite en tant que député provincial et je me suis dit que je devais retourner me battre pour la bonne cause. J’ai été élu il y a de cela huit mois. Je crois dans cette cause, les Nations Unies — la première fois, en tant que survivant des pensionnats indiens dans le Nord, je n’aurais jamais imaginé dans mes rêves les plus fous que nous aurions le type de discussions que nous avons aujourd’hui, que nous aurions de tels échanges avec le gouvernement du Canada dans le cadre d’audiences du Sénat. Le monde prend maintenant conscience de notre réalité, et le Canada collabore avec les peuples autochtones pour reconnaître le droit inhérent.
C’est mon grand-père qui a signé un traité en 1921 et qui m’a dit que ce traité, par l’entremise de ma grand-mère, était un traité de paix que nous concluons avec les gens de l’extérieur et que nous devons honorer. Il énonçait que nous pouvons pratiquer la pêche, la chasse et le piégeage et que nous pouvons vivre sur nos terres conformément à nos lois et à nos traditions et que nous devons examiner la situation très attentivement lorsque des gens de l’extérieur viennent sur nos terres. Ils ne doivent pas perturber nos terres.
C’est très important pour moi, surtout à la lumière d’un des éléments importants de la tradition des Dénés à l’égard des eaux. Les eaux sont un cadeau aux femmes. C’est leur offrande sacrée. Nous devons honorer et protéger nos femmes dans le cadre de ces discussions concernant les eaux.
Nous sommes très reconnaissants de pouvoir tenir ce type de discussions. Nous devons savoir que nous sommes des partenaires. L’époque de la Loi sur les Indiens est révolue depuis longtemps. Je tiens à dire aux membres du Sénat que nous avons parcouru beaucoup de chemin, si nous comparons la façon dont le gouvernement du Canada traitait notre peuple au début et la façon dont il nous traite maintenant. Le premier ministre a décrit très clairement le rôle de la reconnaissance des droits et des droits inhérents, de la réconciliation et de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Maintenant, nous examinons la loi qui sera mise en œuvre pour les enfants de l’ensemble du Canada, et plus particulièrement les enfants autochtones. Nous avons tellement été opprimés qu’il est incroyable que nous discutions maintenant de nos droits et que nous soyons autorisés à le faire. Il est très important de poursuivre cette discussion avec des sénateurs comme vous, qui peuvent améliorer le sort des gens ordinaires des collectivités dénées, inuites, inuvialuit et métisses, notamment. Nous pouvons maintenant dire à nos enfants: « Vous pouvez changer les choses si nous travaillons ensemble. » Je présume que cela fait partie de notre collaboration. C’est ma deuxième comparution au comité sénatorial. Je suis encore un peu nerveux.
La présidente : Vous faites un excellent travail, chef.
M. Yakeleya : Merci.
Mme Westaway : Je pense que la Déclaration des Nations Unies est une occasion emballante de mettre en œuvre au pays l’interprétation et la teneur de cette mesure législative. Il y a une véritable occasion de leadership régional, et c’est, bien franchement, l’autodétermination. Ce sont des droits inhérents, comme le chef l’a décrit. Pour nous, cela va de pair avec la mise en œuvre de ce traité international au pays pour soutenir le développement durable. Nous voyons cela comme étant une excellente occasion.
La présidente : Les sénateurs ont-ils d’autres questions?
Merci beaucoup aux intervenants aujourd’hui et à vous quatre. Tout le monde a répondu activement aux questions qui ont été posées. Merci beaucoup. Je sais que lorsque vous venez ici et faites un exposé de cinq minutes, il faut des heures de préparation. Merci de votre comparution aujourd’hui. Merci de nous aider à aller de l’avant avec le projet de loi C-69.
(La séance est levée.)