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ENEV - Comité permanent

Énergie, environnement et ressources naturelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Énergie, de l'environnement et des ressources naturelles

Fascicule nº 58 - Témoignages du 2 avril 2019


Ottawa, le mardi 2 avril 2019

Le Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-69, Loi édictant la Loi sur l’évaluation d’impact et la Loi sur la Régie canadienne de l’énergie, modifiant la Loi sur la protection de la navigation et apportant des modifications corrélatives à d’autres lois, se réunit aujourd’hui, à 17 h 1, pour étudier ce projet de loi.

La sénatrice Rosa Galvez (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bonsoir et bienvenue à la séance du Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles. Je m’appelle Rosa Galvez. Je suis une sénatrice du Québec et je préside ce comité. Je demanderais maintenant aux sénateurs autour de la table de se présenter.

La sénatrice McCallum : Mary Jane McCallum, de la région du traité no 10, au Manitoba.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Patti LaBoucane-Benson, de la région du traité no 6, en Alberta.

La sénatrice Stewart Olsen : Carolyn Stewart Olsen, du Nouveau-Brunswick.

[Français]

Le sénateur Pratte : André Pratte, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Neufeld : Richard Neufeld, de la Colombie-Britannique.

[Français]

Le sénateur Mockler : Percy Mockler, du Nouveau-Brunswick.

[Traduction]

Le sénateur Richards : David Richards, du Nouveau-Brunswick.

Le sénateur MacDonald : Michael MacDonald, de la Nouvelle-Écosse.

La présidente : Je vous présente aussi les analystes de la Bibliothèque du Parlement, Sam Banks et Jesse Good, ainsi que la greffière du comité, Maxime Fortin.

Avant de commencer officiellement la séance, je dois vous demander si vous acceptez d’autoriser le personnel de la Direction des communications du Sénat à prendre des photos, à filmer des extraits de la séance et à les publier?

Acceptez-vous?

Des voix : Oui.

La présidente : Merci. Chers collègues, ce soir, nous poursuivons notre étude du projet de loi C-69, Loi édictant la Loi sur l’évaluation d’impact et la Loi sur la Régie canadienne de l’énergie, modifiant la Loi sur la protection de la navigation et apportant des modifications corrélatives à d’autres lois.

Nous accueillons aujourd’hui M. Stewart Elgie, président exécutif de l’Institut pour l’IntelliProspérité, et M. Richard D. Lindgren, avocat, de l’Association canadienne du droit de l’environnement.

Merci de vous joindre à nous. J’invite d’abord M. Stewart Elgie à présenter sa déclaration préliminaire, qui sera suivie d’une période de questions.

Stewart Elgie, président exécutif, Institut pour l’IntelliProspérité : Merci, madame la présidente.

Je suis ici à deux titres : je suis professeur à l’Université d’Ottawa et je suis président du plus grand institut de recherche au Canada dans les domaines de l’environnement et de l’économie, l’Institut pour l’IntelliProspérité. Je copréside également un conseil de chefs d’entreprise qui comprend des PDG des secteurs du pétrole, des mines, de la fabrication et des banques, qui travaillent ensemble pour promouvoir la croissance propre au Canada.

Au cours de la dernière année, j’ai participé aux tables de stratégie économique du gouvernement sur les ressources naturelles. Nous avons discuté longuement des manières de renforcer la compétitivité et les secteurs des ressources, ainsi que du projet de loi C-69. Mes opinions ont été influencées en partie par cette expérience. Dans une vie antérieure, j’étais avocat spécialisé en droit de l’environnement. J’ai défendu de nombreuses affaires liées à l’ancienne Loi sur l’évaluation environnementale et j’ai contribué à la rédaction de la version originale de 1992.

À mon avis, de façon générale, la Loi sur l’évaluation d’impact est supérieure à sa prédécesseure, en particulier parce qu’elle axe tant le processus d’évaluation que la décision d’approbation finale sur la durabilité économique, environnementale et sociale. Je vais parler d’autres aspects de la loi, mais j’ai quelques recommandations sur la façon de l’améliorer au chapitre des résultats économiques et environnementaux. Je vais présenter ces recommandations. Tout dépendra de la façon dont la loi sera mise en œuvre. Son efficacité dépendra de sa mise en œuvre, et je vais peut-être mentionner une ou deux choses qui pourraient être incluses dans le projet de loi pour en favoriser la mise en œuvre. J’ai déposé un mémoire. Je ne vais pas le lire en entier, mais vous l’avez. Je crois que la greffière vous l’a remis. Si vous le voulez bien, je vais me concentrer sur quelques éléments.

La clé de la nouvelle loi est l’importance qu’elle accorde à la durabilité, ce qui est louable, car la durabilité devrait être le but ultime du développement au Canada. C’est le développement qui procure des avantages économiques, environnementaux et sociaux. Les projets de développement qui œuvrent en ce sens seront mieux acceptés par le public et ils seront plus avantageux pour le Canada à long terme. Il s’agit donc d’un bon objectif.

Parlons de ce qui se fait évaluer. Le premier sujet que je veux aborder est l’inclusion des évaluations régionales et stratégiques dans le projet de loi. D’après moi, il s’agit de la partie la plus importante de la loi. Étant donné que j'ai défendu de nombreuses affaires pareilles par le passé, je peux vous dire que la plus grande faiblesse du processus d’évaluation à ce jour, c’est qu’il est centré strictement sur les projets. Le problème, c’est que bon nombre des enjeux liés aux projets de développement — comme les pipelines ou les mines — qui finissent par poser problème ou par soulever des préoccupations sont de grandes questions régionales ou stratégiques. Je l’ai vu à maintes reprises à l’époque où j’étais avocat spécialisé en droit de l’environnement, et nous le voyons aujourd’hui dans les conflits entourant les pipelines. Ils concernent moins le pipeline en tant que tel que les activités qui se déroulent en amont et en aval, ainsi que la politique climatique.

Par le passé, le problème était causé par l’absence d’un forum où il était possible de se pencher sur les grandes questions régionales ou stratégiques; elles étaient donc renvoyées aux processus liés aux projets. Je me sens mal pour les promoteurs qui se retrouvent dans de telles situations, car tout d’un coup, leur projet de pipeline se transforme en débat sur les changements climatiques au Canada ou sur le sort du caribou des bois. Ces questions devraient être examinées dans un plus grand forum, et c’est ce que crée la loi. C’est comme si je voulais ajouter une annexe à ma maison et qu’on me demandait d’abord d’effectuer une évaluation régionale du processus de planification de mon quartier.

La partie la plus importante de la loi sera les dispositions qui feront en sorte que les évaluations régionales et stratégiques seront bien réalisées. Si les évaluations à grande échelle sont bien faites, elles permettront de régler les problèmes de grande envergure, et les évaluations de projet pourront servir à résoudre les problèmes liés aux projets. Mon mémoire contient deux remarques précises à ce sujet. Étant donné que les évaluations régionales et stratégiques ne sont pas obligatoires et que les évaluations de projet le sont, ce qui est obligatoire l’emportera sur ce qui est important, comme c’est le cas dans la vie. À mon avis, la loi doit susciter un sentiment d’urgence et d’importance pour encourager la réalisation d’évaluations à grande échelle.

Pour ce faire, on pourrait suivre l’exemple de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement, qui contient une liste des substances qu’elle compte évaluer en priorité. On pourrait faire la même chose avec les évaluations régionales et stratégiques. On pourrait obliger le ministre et l’agence de publier sa liste de priorités pour les évaluations régionales et stratégiques, ce qui créerait de la pression et favoriserait leur réalisation. L’agence pourrait également mettre en place un fonds dédié à ce type d’évaluations afin de ne pas utiliser les fonds prévus dans le budget du projet, qui seront nécessaires.

Selon moi, c’est la chose la plus importante à faire pour veiller à ce que la loi porte ses fruits. Mon mémoire contient quelques autres recommandations qui visent à faire en sorte que tous les types de projets importants soient inclus dans la liste des projets désignés, mais je n’en dirai pas plus à ce sujet.

Le deuxième sujet que j’aimerais aborder est ce qu’on appelle le fractionnement des projets. Il faut veiller à ce que toutes les composantes d’un projet fassent l’objet d’une seule évaluation. C’est probablement la plus grande faille dans les évaluations environnementales des projets, la plus grande source de litiges. L’idée, c’est qu’il faut évaluer simultanément toutes les composantes interreliées d’un projet afin d’en comprendre l’ensemble des conséquences. Les tribunaux ont fait échec à plusieurs tentatives de fractionner des projets. Par exemple, dans une affaire que j’ai défendue, un promoteur construisait un nouveau chemin forestier sur les versants est des Rocheuses, près de Banff, en vue de bâtir une nouvelle scierie, et l’évaluation portait uniquement sur un pont qui traversait une rivière.

De façon similaire, l’évaluation relative à la construction du barrage sur la Grande rivière de la Baleine portait seulement sur les fils qui traversaient la frontière entre le Québec et le Vermont. La Cour suprême du Canada a invalidé cette évaluation. Il existe une solution simple à ce problème. C’est ce que les États-Unis font depuis 30 ans : il faut exiger que toutes les parties interreliées d’un projet fassent l’objet d’une seule évaluation. Cette exigence fait partie du règlement américain depuis 30 ans. Elle fonctionne bien et le ciel ne leur est pas tombé sur la tête. En faisant la même chose ici, on réduirait le nombre de litiges, on rendrait la loi plus claire et on ferait en sorte d’évaluer toutes les composantes d’un projet d’un coup plutôt que sur de multiples périodes. J’attire aussi votre attention sur une recommandation mineure que j’ai faite à propos de modifier la définition des effets cumulatifs. Il vaut la peine de l’examiner, mais je ne vais pas m’y attarder. Je vous invite à y jeter un coup d’œil.

Le troisième sujet que je vais aborder est celui des décisions d’approbation finale. La loi prévoit des critères à utiliser pour établir ce qui est dans l’intérêt public. Ce changement représente une nette amélioration par rapport à la version précédente, qui ne faisait que mentionner l’intérêt public, un terme tellement vague qu’il peut à la fois tout dire et ne rien dire. La nouvelle loi définit les éléments devant être pris en compte, ce qui favorisera la prévisibilité et l’uniformité du processus décisionnel. Ce changement est positif. Toutefois, je recommanderais d’ajouter un élément : pour déterminer si un projet est durable, il faut mesurer les facteurs économiques, environnementaux et sociaux, et le résultat doit être très avantageux pour le Canada.

C’est le compromis qui est fait durant le processus d’approbation, et la loi devrait expliquer explicitement les raisons de ce compromis. Je recommande donc d’ajouter l’obligation d’expliquer pourquoi les avantages du projet l’emportent nettement sur ses effets négatifs. Voilà la vraie décision qui est prise. Faisons preuve de transparence afin de promouvoir la reddition de comptes.

Le quatrième sujet est l’innovation. Avec l’innovation, l’environnement et l’économie sont toutes deux gagnantes. L’innovation permet de réduire les coûts et de maximiser les avantages sur le plan environnemental. Plus nous utilisons la loi pour stimuler l’innovation et pour transformer les entreprises canadiennes de tous les secteurs économiques en chefs de file dans le domaine de la technologie propre, plus nous obtiendrons d’avantages économiques et environnementaux parce que tous les pays concurrents tentent de faire la même chose. J’ai formulé quelques recommandations à cet égard.

J’attire votre attention sur ma dixième recommandation, qui est la suivante : l’utilisation des meilleures technologies disponibles est incluse dans les éléments à considérer en vertu de la loi. Cet élément est lié à la décision d’approbation finale, ce qui est étrange. Il doit être pris en compte, mais il n’est pas inclus dans la liste des éléments à considérer durant le processus d’approbation. Il faudrait l’ajouter afin d’encourager les entreprises à adopter des technologies et afin de récompenser celles qui le font.

Il en va de même pour les mesures d’atténuation. Les grands obstacles réglementaires tuent l’innovation. Nous l’avons entendu à maintes reprises à la table de stratégie économique.

Les mesures d’atténuation devraient encourager les entreprises à essayer des pratiques novatrices, à prendre des risques et à faire des essais pour trouver ce qui fonctionne. Je propose une formulation pour arriver à cette fin dans mon mémoire.

Je ne vais pas aborder le sujet de la compétence fédérale parce que je ne peux pas l’expliquer en une minute. La loi tente de définir, en annexe, l’ensemble des domaines de compétence fédérale. Il est fou de tenter une telle chose.

Tout d’abord, ce n’est pas nécessaire. Toute loi présume que le Parlement va intervenir dans les domaines qui relèvent de sa compétence, sans essayer de préciser tout ce que cela inclut. Aucune autre loi sur l’environnement ne tente de définir l’ensemble de la compétence fédérale. C’est sous-entendu.

Il faudrait des milliers d’heures pour tout définir. La loi précédente, la LCEE de 2012, illustre bien pourquoi c’est une mauvaise idée. Cette loi nomme seulement les terres fédérales, les poissons et les oiseaux migrateurs, et elle stipule que le reste sera défini plus tard. Or, six ans plus tard, rien n’a été ajouté, et c’est là le problème. En suivant cette voie, on adopte une vision extrêmement étroite de la compétence fédérale. Je recommande donc de supprimer ces parties de la loi et de faire comme dans toutes les autres lois, c’est-à-dire de présumer que le gouvernement du Canada intervient dans les domaines qui relèvent de sa compétence.

Comme j’ai participé à la table de stratégie économique, je sais que l’industrie pétrolière et gazière a plusieurs préoccupations par rapport à la loi. Fait intéressant, nos discussions ont révélé que les industries minière et forestière sont plus satisfaites de la loi, mais certains acteurs de l’industrie pétrolière ont de réelles préoccupations.

La majorité de ces préoccupations se résume à la crainte que les pouvoirs discrétionnaires accordés par la loi soient utilisés d’une façon qui entravera inutilement le développement. Il est impossible de prédire s’il en sera ainsi. De son côté, le gouvernement est d’avis que la loi contient de nouveaux pouvoirs qui mèneront à de meilleures évaluations, ce qui pourrait aussi s’avérer. Tout dépendra de la manière dont la loi sera appliquée. Il n’y a rien que nous pouvons faire ici aujourd’hui pour prédire comment la loi sera appliquée.

Cependant, il y a une mesure que nous pouvons prendre : la loi prévoit un examen après 10 ans. Il faudra donc attendre longtemps avant de pouvoir évaluer l’efficacité de la loi et ajuster le tir en cas de problèmes. Je recommande de raccourcir la période de cinq ans. On pourrait également charger l’agence de surveiller la mise en œuvre de la loi, en particulier l’application des pouvoirs discrétionnaires comme ceux liés aux délais, et de transmettre un rapport annuel au comité consultatif du ministre sur les données recueillies afin que le comité puisse recommander des changements lui aussi, sans avoir à attendre cinq ans.

Ces deux mesures ne répondront pas entièrement aux préoccupations de l’industrie, car seules de réelles actions la soulageraient. Nous ne pouvons pas prédire comment la loi sera appliquée, mais nous pouvons y intégrer des dispositions permettant d’ajuster le tir et de l’adapter rapidement si elle n’est pas mise en œuvre de la manière souhaitée.

La présidente : Merci beaucoup.

Richard D. Lindgren, avocat, Association canadienne du droit de l’environnement : Bonjour, mesdames et messieurs. Au nom de l’Association canadienne du droit de l’environnement, l’ACDE, je vous remercie de m’avoir invité à vous parler de la Loi sur l’évaluation d’impact.

Comme vous le savez peut-être, l’ACDE est un groupe de défense de l’intérêt public en matière de droit. Nous nous spécialisons dans le droit de l’environnement. L’ACDE a été créée il y a presque 50 ans. Au cours de cette période, nous avons représenté nos clients dans des procédures fédérales d’évaluation environnementale en vertu des lignes directrices visant le PEEE, ainsi que de la LCEE de 1992 et de la LCEE de 2012.

C’est sur la base de cette expérience que nous avons examiné la Loi sur l’évaluation d’impact. À notre avis, elle représente une légère amélioration relativement à la LCEE de 2012, mais il faudrait y apporter un certain nombre de modifications essentielles. Elles sont décrites en détail dans le mémoire que j’ai soumis à la greffière il y a quelques jours. Ce mémoire contient une trentaine de modifications qui, nous l’espérons, rendraient la loi acceptable.

Je ne vais pas vous parler aujourd’hui de la trentaine de modifications. Je vais plutôt me concentrer sur deux sujets : premièrement, la participation du public en vertu de la loi, et deuxièmement, les risques de litige.

Parlons d’abord de la participation du public. L’an dernier, lorsque la Chambre des communes examinait le projet de loi, plusieurs groupes, y compris l’ACDE, ont recommandé d’ajouter une quantité importante de détails prescriptifs pour assurer la pleine participation du public aux évaluations d’impact, régionales et stratégiques. Or, en réponse à ces préoccupations, la Chambre des communes s’est contentée d’insérer le terme « significative » dans quelques dispositions de la loi portant sur la participation du public.

À mon humble avis, l’ajout d’un adjectif n’est pas suffisant, car il ne fournit pas assez de précision et de certitude, et il n’apporte rien sur le plan de la reddition de comptes relativement à la participation du public.

C’est la raison pour laquelle l’ACDE recommande une série de modifications qui définissent le terme « participation significative », qui établissent les objectifs de la participation significative du public, et qui décrivent comment et à quels moments le public sera appelé à participer en vertu de la loi.

En même temps, l’ACDE ne recommande pas d’inclure un critère restrictif ou une définition du terme « personne directement touchée » visant à limiter la participation du public en vertu de la loi.

Après tout, un des objectifs principaux de cette réforme de la loi, c’est de regagner la confiance du public à l’égard du processus fédéral d’évaluation environnementale. Franchement, on n’atteindra pas cet objectif en empêchant certains membres du public de participer au processus d’évaluation d’impact. En bref, la LCEE de 1992 ne limitait pas la participation, et la nouvelle loi ne devrait pas la limiter non plus.

Cela m’amène à mon deuxième point : le risque de litige, pour reprendre l’expression employée par certains durant vos audiences.

Lorsque le Parlement examinait pour la première fois la LCEE de 1992 il y a plus de 25 ans, je me suis rendu à Ottawa pour discuter exactement de la même question avec un comité permanent. À l’époque, certains déclaraient que la loi allait provoquer d’interminables litiges et que les projets s’embourberaient dans d’innombrables actions en justice non fondées.

Ce scénario ne s’est pas du tout avéré. Il n’y a pas eu une profusion de litiges. Au contraire, sous le régime de la LCEE de 1992 et de la LCEE de 2012, des milliers de projets ont été évalués, approuvés et mis en œuvre. Seul un nombre relativement faible de projets de grande envergure ont été portés devant les tribunaux.

À mon avis, ces affaires n’étaient pas frivoles, vexatoires ou de mauvaise foi. Elles soulevaient des questions sérieuses d’interprétation de la loi qui méritaient, franchement, d’être examinées par les Cours fédérales. Les affaires récentes de Trans Mountain et de Northern Gateway l’ont amplement démontré.

Selon moi, ce bilan montre qu’on exagère le risque de litige.

En somme, la LCEE de 1992 ne contenait pas de disposition prohibitive, la LCEE de 2012 n’en contient pas non plus, et la Loi sur l’évaluation d’impact n’a pas besoin d’inclure une disposition prohibitive visant à limiter la surveillance judiciaire des décisions administratives prises en vertu de la loi.

Voilà qui met fin à mon exposé. Je peux répondre à vos questions.

La présidente : Merci beaucoup. Nous avons un vote à 17 h 45, alors commençons les questions. Trois minutes sont accordées pour chaque question. Veuillez faire de courtes introductions. Nous commençons par le vice-président, le sénateur MacDonald.

Le sénateur MacDonald : Monsieur Lindgren, je pense que je vais commencer par vous. Sur une page de votre site web, on indique ce qui suit : « Le Canada doit effectuer une transition vers un objectif de 100 % d’électricité à faibles émissions de GES d’ici 2035 et viser que, d’ici 2050, toutes les formes d’énergie soient de sources renouvelables. L’investissement en énergies renouvelables créera jusqu’à 8 fois plus d’emplois que l’investissement dans l’extraction minière et pétrolière. »

Cela signifie-t-il que votre organisme s’opposera à tout projet de développement des sables bitumineux s’étendant au-delà de 2035?

M. Lindgren : Notre objectif est une transition juste vers une économie à faibles émissions de carbone. Il reste à déterminer la place des projets de sables bitumineux dans l’équation. Si cela peut vous rassurer, je ne pense pas que nous sommes intervenus dans un dossier lié aux sables bitumineux.

Le sénateur MacDonald : Des personnalités publiques du pays — les premiers ministres de l’Alberta, du Nouveau-Brunswick, de la Saskatchewan, du Manitoba et de l’Ontario — ont vivement critiqué le projet de loi C-69, à l’instar de nombreux dirigeants de l’industrie et de groupes de travailleurs. Toutefois, beaucoup de groupes environnementaux comme le vôtre ont indiqué que les critiques à l’égard du projet de loi C-69 sont inexactes et trompeuses.

Votre organisme considère-t-il que les critiques des principaux intervenants à l’égard du projet de loi C-69 sont justifiés? Sinon, quelles parties de leurs témoignages au comité sont exactes ou trompeuses?

M. Lindgren : Je pense avoir été assez clair. J’ai moi-même critiqué le projet de loi. Beaucoup de critiques sont fondées, qu’elles proviennent de groupes environnementaux, de Premières Nations, des représentants du gouvernement, et cetera.

Ce que je dénonçais dans mon mémoire écrit, si c’est à cela que vous faites référence, c’était les généralisations plutôt grossières de certains qui laissaient entendre que l’économie canadienne s’effondrerait si cette mesure législative était adoptée telle quelle. Disons, pour être diplomate, que je pense que c’est exagéré. Je ne pense pas que ce soit vrai. Comme M. Elgie vient de l’indiquer, il est impossible de prévoir l’effet futur de cette loi. Tout dépendra de la façon dont elle sera mise en œuvre. Actuellement, nous n’avons pas beaucoup de détails, notamment en ce qui concerne la liste de projets, par exemple. Il est difficile de prévoir avec certitude l’effet qu’aura cette mesure législative sur l’économie à l’échelle provinciale et nationale.

La sénatrice Cordy : Merci beaucoup d’être ici aujourd’hui. Ma première question s’adresse à M. Elgie. Vous avez fait de bonnes suggestions, comme un examen quinquennal au lieu d’un examen décennal. Vous avez dit que ce serait un délai suffisant pour que les projets initiaux franchissent toutes les étapes du processus.

Qu’en pense l’industrie? On sait que l’industrie est toujours un peu frileuse à l’idée de changements trop rapides. Avez-vous parlé aux gens de l’industrie? Considèrent-ils qu’il est trop tôt, après cinq ans, pour déterminer si la mesure législative est utile? Nous avons entendu tant de témoins. Je pensais avoir entendu certains d’entre eux mentionner qu’ils ne veulent pas être au milieu d’un projet avant que la loi ne fasse l’objet d’un autre examen.

M. Elgie : Je n’ai pas la prétention de représenter l’ensemble de l’industrie sur cette question. Je connais leurs points de vue. La plupart des sociétés minières et forestières sont favorables au nouveau projet de loi, même celles qui ont participé à la table de stratégies économiques. Même les sociétés pétrolières sont divisées. Certaines y sont favorables, d’autres non. Je ne prétends pas parler pour toutes ces sociétés.

L’idée d’un suivi de la mise en œuvre de la loi a constamment été évoquée. Il s’agit d’utiliser la nouvelle loi comme outil d’apprentissage pour trouver des gains d’efficacité et chercher des solutions avantageuses pour tous. La participation de l’industrie à des études de cas et le coapprentissage entre l’agence et les promoteurs des projets sont des idées qui ont suscité un vif intérêt.

Je dirais que la possibilité de rétraction et de correctifs rapides suscite un véritable intérêt. Vous avez raison de dire qu’ils ne veulent pas que les règles soient modifiées, mais vous pouvez régler ce problème en reconnaissant des droits acquis pour les projets existants. La loi permettrait donc un choix : poursuivre dans la même voie ou opter pour le nouveau régime, si des amendements sont apportés après cinq ans. Il est possible d’atténuer et de minimiser cette incertitude. Si on est réaliste, un examen après cinq ans signifie que des modifications ne seront probablement pas apportées avant sept ans. D’ici là, de nombreux projets auront été assujettis à la loi, et vous aurez assez d’informations pour prendre des décisions éclairées.

La sénatrice Cordy : Monsieur Lindgren, vous avez indiqué que la Chambre des communes a modifié les dispositions sur la participation du public en ajoutant le terme « significative ». Quelles modifications apporteriez-vous pour que ce soit plus inclusif? Selon vous, combien de personnes souhaiteront participer aux évaluations des impacts?

M. Lindgren : Avant l’annonce d’un projet, il est difficile de prédire qui sera intéressé ou touché par ce projet. Voilà pourquoi il est difficile de prévoir le nombre de personnes qui porteront intérêt à un projet donné. Cela ne se limitera pas aux voisins du site. Cela pourrait toucher des groupes régionaux ou nationaux qu’il convient d’entendre.

Quant aux façons de régler les problèmes actuels, nous suggérons diverses solutions dans notre mémoire. À la page 8, nous proposons une définition de « participation significative du public ». Nous proposons une version plus large d’une disposition qui pourrait être incluse dans la déclaration d’objet de la mesure législative afin de cerner les mesures à prendre pour favoriser une participation significative du public. Ces mesures sont ensuite définies dans d’autres articles du projet de loi. Le public devrait jouer un rôle dans la définition de la portée et dans l’établissement des critères pour la tenue d’une évaluation par une commission d’examen. Les occasions de préciser la nature de la participation du public sont nombreuses. Actuellement, beaucoup de choses restent à déterminer par voie de règlements, que nous n’avons pas non plus. Si vous voulez mon avis, la nature de la participation du public garantie par la loi se limite à la réception d’un avis et à l’occasion de présenter des commentaires écrits pendant la période de consultation. C’est tout. C’est insuffisant. Il faut bien plus que cela.

Le sénateur Woo : J’aimerais avoir vos commentaires sur le lien entre les facteurs inscrits à l’article 22, le rapport, et le critère de l’intérêt public de l’article 63 proposé. Vous avez des recommandations précises, que vous n’avez pas abordées dans vos exposés. J’aimerais savoir si vous considérez que les exigences de reddition de comptes de l’agence sont assez clairement définies pour l’application du critère de l’article 63, si le lien est assez étroit et s’il y a d’autres facteurs à considérer.

M. Lindgren : Vous avez raison. Il y a des disparités entre les facteurs de l’article 22 proposé, le contenu du rapport et les facteurs à prendre en compte énoncés à l’article 63. En ce qui concerne les facteurs à prendre en compte lors d’une évaluation d’impact, le libellé de l’article 22 est plutôt large, comme l’est l’article 63 — à la fin du processus — pour les considérations liées à l’intérêt du public, notamment les contributions à la durabilité. Toutefois, lorsqu’on regarde les exigences relatives au contenu du rapport, seul le rapport sur les effets néfastes est obligatoire. C’est beaucoup plus étroit que les facteurs à examiner pour l’évaluation d’impact et les ajouts. Il convient d’accroître les exigences relatives au contenu obligatoire, et ce, tant pour le rapport de la commission d’examen que pour celui de l’agence. Autrement, ces deux entités seront réduites au rôle de preneurs de notes et les véritables décideurs ne pourront compter sur leurs observations et leur analyse des données qu’elles auront reçues.

M. Elgie : Je suis d’accord avec cela. La principale lacune est liée aux critères relatifs à la tenue d’une évaluation environnementale ou au contenu du rapport de la commission d’examen. Il y a une étrange dissonance entre cet aspect et l’article 22 proposé. Les phrases « solutions de rechange », « meilleures technologies disponibles » ou « respecter ses obligations en matière environnementale et ses engagements à l’égard des changements climatiques » figurent à l’article 22, mais elles n’ont pas à être incluses dans un rapport. En fin de compte, le principal objectif du processus de décision est de déterminer si cela a des avantages nets pour le Canada. Bien qu’on y énumère les critères à prendre en compte, on n’indique pas les raisons pour lesquelles on conclut que ce sera avantageux ou que les avantages l’emportent nettement sur les désavantages. Pour les parties en cause, il serait avantageux que cela soit énoncé plus clairement dans la décision.

La sénatrice Seidman : Merci beaucoup de vos exposés. Je vais attraper la balle au bond, monsieur Elgie. Vous avez dit que vous modifieriez la définition du terme « effets cumulatifs ». Nous avons discuté de cet aspect et de la confusion entourant cette disposition. J’aimerais avoir vos commentaires à ce sujet.

M. Elgie : Les gens ne saisissent pas la balle très souvent.

Premièrement, en ce qui a trait aux effets cumulatifs, il faut d’abord s’assurer de faire les évaluations régionales correctement, car le problème qui se pose si je construis une nouvelle mine, c’est que je dois soudainement tenir compte de l’ensemble des populations de caribou dans les Territoires du Nord-Ouest. C’est injuste.

Il faut créer une entité chargée d’étudier les populations de caribou dans les Territoires du Nord-Ouest, une entité où les sociétés minières puiseront leurs informations. Concernant la question des effets cumulatifs, trouver la bonne solution est beaucoup plus important que tout autre aspect des projets.

J’ai fait un commentaire plus nuancé au sujet des effets cumulatifs. Selon le libellé du projet de loi, il faut prendre en compte les effets cumulatifs liés à l’exercice d’autres activités passées ou futures. L’utilisation du terme « futures » pose problème, car la question est alors de savoir comment on peut déterminer les activités futures pendant une évaluation d’impact, sauf si la construction est commencée et à moitié achevée.

Le critère utilisé aux États-Unis depuis 30 ans est d’examiner les effets de projets dont la réalisation est « probable ». C’est un bien meilleur critère, car il s’agit alors de déterminer la probabilité plutôt que de chercher à prévoir quelque chose dont l’issue est certaine. Ce libellé est utilisé aux États-Unis depuis 30 ans. C’est une modeste contribution.

La sénatrice Seidman : Merci.

Le sénateur Massicotte : Merci d’être avec nous aujourd’hui.

Monsieur Elgie, d’entrée de jeu, vous avez mentionné que l’aspect le plus important de ce projet, de la loi révisée, est le droit de mener des projets spécialisés à l’échelle régionale. Cela vous permet ainsi d’avoir de meilleurs renseignements et d’établir une distinction entre les enjeux politiques et stratégiques et le processus d’approbation du projet. C’est prévu dans la mesure législative, mais sans en préciser le fonctionnement.

Donc, la possibilité de le faire est là. Devrions-nous avoir confiance que ce sera fait correctement, ou faudrait-il que ce soit plus structuré, par exemple?

M. Elgie : C’est une bonne question à laquelle j’ai beaucoup réfléchi. Le problème est que les évaluations peuvent varier beaucoup. La région visée pourrait être un lac ou l’ensemble des Territoires du Nord-Ouest, tandis que le problème pourrait être une toxine précise ou les changements climatiques. Je suppose que cela pourrait être un peu plus étoffé, mais c’est nouveau. Selon moi, l’avantage d’un examen après cinq ans, c’est qu’on peut essayer plusieurs choses et en tirer des leçons.

Ma principale préoccupation, parce que je l’ai vu à maintes reprises, c’est que les évaluations au niveau des projets relèvent d’un organisme dont le temps et les ressources sont limités, de sorte qu’on néglige les évaluations régionales. C’est ce que j’ai vu au cours des 25 dernières années; on s’engage sans cesse à mener des évaluations régionales, puis on y renonce.

Je pense que toute mesure que vous pourriez ajouter dans cette loi pour créer une exigence et un sentiment d’urgence afin de régler ces enjeux importants et ainsi alléger la pression à l’échelle des projets serait la meilleure façon de favoriser le bon fonctionnement des évaluations à l’échelle des projets.

Je ne répéterai pas mes deux propositions, mais je serais heureux de vous aider avec le libellé.

Le sénateur Massicotte : Je vais vous donner mon avis sur l’examen. Je pense que la nouvelle mesure législative est très claire. Vous définissez votre projet, vous obtenez l’avis de l’agence et du public. Pendant l’évaluation informelle générale, le ministère précise ses exigences et accorde les autorisations, puis, éventuellement, vous mettez le projet en œuvre.

Tout cela semble très bien et très logique lorsqu’on entend le sous-ministre décrire le processus. En fait, c’est un processus très logique. Cela existe dans tout autre secteur. Entretemps, l’industrie y va de belles paroles en disant que tout va bien. Est-ce que ce sera bien? Est-ce que ce sera fait correctement? Est-il possible de légiférer pour que ce soit bien fait, ou doit-on simplement espérer que des gens compétents auront eu des instructions adéquates et pourront coopérer suffisamment pour conclure une entente, pour franchir ce processus? Avez-vous des commentaires à cet égard?

M. Lindgren : Je prendrais un peu de recul pour avoir une vue d’ensemble. Au Canada, nous faisons des évaluations environnementales depuis 40 ou 50 ans. Nous avons une assez bonne idée de la façon de mener un processus participatif adéquat et fondé sur des faits, mais certains éléments nécessaires ne se reflètent pas complètement dans la mesure législative. C’est ce que j’essayais de dire plus tôt; il manque beaucoup de détails. Je suppose que le gouvernement fédéral a l’intention d’apporter des précisions par voie de règlement, par des énoncés de politique opérationnelle et d’autres directives. C’est bien, mais c’est pour plus tard.

Je suis quelque peu réticent à garantir que ce sera aussi bon que tout le monde le prédit, car je n’ai pas encore vu beaucoup d’informations détaillées sur la mise en œuvre. Je ne peux en arriver à cette conclusion.

La présidente : Puis-je intervenir et dire que...

Le sénateur Massicotte : Pouvez-vous attendre que j’aie terminé?

La présidente : Non. Vos trois minutes sont écoulées; je suis désolée.

Le sénateur Massicotte : Le temps file.

La présidente : Qu’est-ce qui est en place actuellement? Il y a des règlements, une liste de projets et certains détails. Êtes-vous préoccupé parce que vous vous attendez à quelque chose de totalement différent?

M. Lindgren : C’est difficile à dire. Si vous prenez la liste de projets, celle que nous avons actuellement dans la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale de 2012 est déficiente. Certains projets qui ont une forte incidence sur l’environnement ne sont pas visés par la liste. Je serais très nerveux si l’inclusion de l’ensemble était proposée.

Par ailleurs, il manque beaucoup de renseignements essentiels sur la manière d’assurer la participation du public. En fait, l’agence actuelle a publié certains énoncés de politique opérationnelle sur la question. Nous avons beaucoup de consignes et de directives. Nous n’avons pas vraiment l’impression que cela se produit souvent sur le terrain ou que cela fonctionne adéquatement.

À titre d’avocat, je préfère voir plus de détails, même des détails de nature générale, dans la loi pour contribuer à alimenter le processus de réglementation. Il y aura une énorme différence entre les belles paroles que nous voyons dans la loi et la réalité que nous verrons sur le terrain.

M. Elgie : Du point de vue des entreprises, ce qui me rend optimiste, c’est que les évaluations seront centralisées au sein de l’agence. Nous avions auparavant un certain nombre de ministères qui en faisaient et qui les faisaient de manière différente, et nous ne pouvions pas vraiment avoir une expertise approfondie dans le domaine à un seul endroit, parce qu’il y en a un certain nombre. Nous aurons maintenant une agence qui pourra renforcer les capacités du personnel, avoir une expertise approfondie et apprendre en faisant des évaluations. Cela ne garantit pas un meilleur fonctionnement, mais il est fort probable que ce soit plus efficace et que cela fonctionne mieux.

La présidente : Merci.

Le sénateur Neufeld : Nous devons aller voter.

La présidente : Nous arrêterons cinq minutes avant l’heure. Il est 17 h 45. Ce sera donc notre dernière question, sénateur Pratte.

Le sénateur Pratte : Maître Lindgren, vous avez parlé de l’idée d’une clause privative. Je ne suis pas avocat, mais je me suis fait dire que ces clauses sont plus symboliques qu’autre chose et que les tribunaux en font très souvent fi. Pouvez-vous nous en dire davantage sur votre préoccupation concernant la clause privative?

M. Lindgren : Vous avez tout à fait raison. Un tribunal habile ou un groupe d’habiles avocats peuvent toujours contourner une clause privative. Par exemple, j’ai entendu des gens laisser entendre au comité que la loi doit protéger toutes les décisions prises en vertu de cette loi et dire qu’elles sont finales, péremptoires et exécutoires. Ces décisions ne seraient pas en gros susceptibles de contrôle. Les tribunaux peuvent facilement contourner ce problème en affirmant que cela fait certainement allusion aux questions ou aux décisions prises dans un domaine relevant de la compétence des autorités, que cela ne vise pas les questions qui ne relèvent pas de cette compétence et qu’ils procéderont donc quand même à un contrôle de la décision.

Cela dit, si nous convenons qu’il est parfois nécessaire de nous tourner vers les tribunaux pour démêler certaines de ces grandes questions ou de ces questions juridiques ou de compétence, pourquoi ajouter un autre petit obstacle? Allons plutôt à l’essentiel au lieu de discuter des clauses privatives, de la déférence, du caractère raisonnable ou de la norme de contrôle. Passons à autre chose. C’est mon point de vue.

Le sénateur Pratte : Merci.

La présidente : J’aimerais vous demander de bien vouloir nous attendre.

Mesdames et messieurs les sénateurs, s’il vous plaît, nous devons aller voter. Nous reviendrons le plus rapidement possible.

(La séance est suspendue.)

(La séance reprend.)

La présidente : Mesdames et messieurs les sénateurs, nous poursuivrons notre série de questions pendant encore 15 minutes.

Le sénateur Pratte : Ma deuxième question s’adresse à vous, monsieur Elgie. Vous avez mentionné que le concept de durabilité se trouve évidemment au cœur de ce projet de loi. Bon nombre d’intervenants nous ont demandé de modifier le projet de loi pour inclure l’idée des répercussions économiques ou du développement économique aux articles 22 ou 63 du projet de loi.

Il est évident que le développement économique est sous-entendu dans la durabilité, mais certains souhaiteraient assurément avoir plus que cela. Que pensez-vous de cette demande que nous entendons?

M. Elgie : Je vous répondrais la même chose que vous venez de dire. La durabilité inclut dans sa définition les répercussions économiques d’un projet. Ce serait répétitif de l’écrire. Il n’y a aucune conséquence à le répéter, mais ce n’est pas nécessaire, par définition.

Nous ne voulons pas seulement des avantages économiques. La grande qualité de la durabilité est de trouver des façons pour que tout le monde y gagne. C’est le concept central. À mon avis, c’est encore mieux de dire cela que de parler d’avantages économiques. Il est vraiment question d’avantages nets.

Le sénateur Pratte : Merci.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Monsieur Lindgren, vous avez parlé de participation significative dans votre mémoire à la page 9. Je dois avouer que je n’aime pas non plus le mot « significative ». Cela prête à interprétation. Cependant, je ne suis pas non plus certaine de votre définition. Cela ne nous aide pas à évaluer le poids des éléments probants. Lorsque je pense même à la façon dont cela se déroule au Sénat, les gens qui se font le plus entendre ne sont pas des Autochtones. Les Autochtones ne nous bombardent pas de courriels. Nous ne voyons pas nécessairement d’Autochtones se présenter devant nous. Dans le cadre de l’évaluation, comment pouvons-nous évaluer le poids des éléments probants que nous avons devant nous pour déterminer les groupes dont nous devons tenir compte et les problèmes à atténuer?

Par exemple, si nous parlons des personnes qui sont les plus touchées par un projet — et je comprends que vous demandez comment le déterminer — et des gens dont les intérêts sont les plus touchés, quels sont les groupes dont nous devons tenir compte et quels sont les problèmes que nous devons atténuer dans le cadre du processus? Il doit y avoir des critères. J’aimerais vous entendre à ce sujet.

M. Lindgren : Je vais vous dire ce que j’en pense, mais j’aimerais d’abord offrir mes excuses. Je me considère davantage comme un avocat qu’un conseiller législatif. J’ai fait de mon mieux pour essayer de fournir un libellé qui pourrait fonctionner. J’ai présenté une définition pour « participation significative du public ». Il serait probablement préférable de la considérer comme des directives à l’intention de votre conseiller législatif si vous croyez que c’est pertinent de l’inclure. Nous avons essayé de cerner les éléments essentiels de ce qu’est une « participation significative du public ».

Pour ce qui est des communautés autochtones dont les intérêts peuvent être en jeu dans un certain projet, vous avez parfaitement raison. Je crois que le projet de loi sur l’évaluation d’impact vise au moins à les inviter à s’asseoir à la table pour leur offrir véritablement l’occasion de se prononcer, et cela nous permet de tenir compte de leurs commentaires d’une manière ou d’une autre. En fait, lorsque les circonstances s’y prêtent, les communautés autochtones peuvent participer au processus décisionnel et avoir recours à leur propre processus d’évaluation d’impact, si elles en ont un.

C’est important, parce que les communautés autochtones sont là pour s’assurer qu’un projet, s’il est approuvé, ne nuit pas à leurs intérêts et à leurs droits en vertu de l’article 35. Cela leur confère un statut différent de la majorité des autres intervenants que nous représentons. Nous représentons des particuliers, des agriculteurs, des groupes environnementaux et parfois des Premières Nations. Je crois que ce serait une erreur de mettre dans le même panier les Premières Nations et les autres intervenants. Comme je l’ai mentionné, les Premières Nations ont des droits protégés par la Constitution, et elles doivent donc être consultées. Lorsque je parle d’une « participation significative du public », je ne pense pas nécessairement à la participation des groupes autochtones. C’est complètement une autre chose qui doit être faite pour réellement renforcer la réconciliation.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Même en ce qui concerne les personnes dont vous parlez, dont les agriculteurs, par exemple, si un agriculteur cultive des terres à proximité d’un projet, ne serait-il pas souhaitable d’accorder plus de valeur aux propos de cet agriculteur qu’aux commentaires d’une personne qui habite à 2 000 kilomètres de là et qui souhaite protéger l’environnement, mais qui n’est pas vraiment touché personnellement par le projet? Ne croyez-vous pas que de tels critères aideraient cet agriculteur?

M. Lindgren : Je ne suis pas d’accord avec la prémisse de votre question. L’agriculteur qui habite à côté de l’emplacement du projet peut avoir un certain intérêt, parce qu’il sera peut-être touché par le projet, mais la personne qui habite à 200 kilomètres de là peut aussi avoir un intérêt, parce qu’elle se trouve peut-être en aval et que le projet peut avoir des conséquences sur des ressources naturelles communes dont profite la population. Bref, je n’écarterais pas la possibilité qu’une personne qui habite à 200 kilomètres de là participe aux consultations.

La sénatrice LaBoucane-Benson : C’est vrai, mais c’est difficile de déterminer les personnes qui sont vraiment touchées sans avoir de critères. Vous m’avez donné des critères. Si cette personne habite à 200 kilomètres de là et qu’elle est touchée par le projet, elle est réellement une partie prenante. Il n’y a tout simplement aucun critère qui définit une participation massive du public en vue de nous aider à cerner les personnes qui sont touchées.

M. Lindgren : Durant 20 ans, en vertu de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale de 2012, il n’y avait pas de critères liés au droit de participation. Les personnes qui avaient un intérêt à l’égard d’un projet ou qui seraient potentiellement touchées par ce projet pouvaient participer sans aucun problème aux consultations. Cela fonctionnait. C’est maintenant un problème, parce que cette loi de 2012 inclut maintenant ces critères liés au droit de participation. Nous avons maintenant un problème. Je dis d’éviter les problèmes en éliminant ces critères.

La présidente : Je suis désolée.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Nous avions de bons échanges.

La présidente : Oui.

Le sénateur Neufeld : Merci de votre présence devant le comité, messieurs. L’une de mes questions vient d’être posée, parce que je suis du même avis au sujet de ce dont la dernière sénatrice vient de parler, soit la participation du public.

Voici ma question pour vous deux. Croyez-vous qu’il devrait y avoir dans la loi une liste de projets ou une description de ce qui pourrait en fait être révélé comme nous l’avons actuellement? Je suis conscient que certains diront que c’est correct et que d’autres diront le contraire. La crainte, c’est que les promoteurs ne savent pas ce que l’avenir leur réserve. Ils ne savent pas si tout sera inclus ou ce qui le sera et ce qui ne le sera pas.

Devons-nous nous étonner que certains soient mécontents et que certains ne soient pas chauds à l’idée de faire certaine de ces choses lorsqu’il n’y a aucune liste de projets qui leur indique les éléments sur lesquels ils doivent mettre l’accent?

J’aimerais vous entendre tous les deux sur la liste de projets.

M. Lindgren : Je vais vous répondre en premier, et mon collègue pourra compléter ma réponse.

Je crois qu’un certain nombre d’entre nous sont grandement déçus que la liste de projets, voire une ébauche de cette liste, n’ait pas encore été publiée. J’ai lu la transcription d’une récente réunion où la présidente a fait valoir que le gouvernement ne peut pas adopter un règlement avant l’adoption et l’entrée en vigueur de la loi. C’est vrai. Toutefois, il n’y a rien qui empêche le gouvernement de publier une liste provisoire. Nous avons entendu au moins un représentant gouvernemental affirmer qu’une liste provisoire existe, mais seule une poignée d’individus l’ont vue.

La diffusion le plus rapidement possible de cette liste contribuerait grandement à atténuer les préoccupations des gens quant à la portée de cette loi et aux projets visés. Personnellement, je préfère les éléments déclencheurs prévus dans l’ancienne Loi canadienne sur l’évaluation environnementale de 1992, nommément une liste des dispositions législatives, une liste d’études approfondies, une liste d’inclusions et une liste d’exclusions. C’était une meilleure façon de fonctionner. Cela permettait non seulement d’inclure les oiseaux migrateurs et les espèces aquatiques, mais aussi de forcer une certaine évaluation lorsqu’un permis fédéral, du financement fédéral ou des terres fédérales devaient servir à contribuer à l’exécution d’un projet. Je préfère cette manière de fonctionner, et je n’ai pas l’impression que c’est ce qui sera fait. Par défaut, nous sommes pris avec une liste.

Le sénateur Neufeld : Monsieur Elgie, allez-y.

M. Elgie : Je comprends que l’incertitude est difficile. Je suis d’accord pour dire que c’est préférable de le savoir.

Cela étant dit, la question de déterminer si cette loi établit un bon processus d’évaluation et la question des projets qui seront visés par ce processus sont deux questions distinctes. Le processus est soit bon soit mauvais. Nous ne devrions pas concevoir un bon processus et affirmer que, étant donné qu’il s’applique à cette autre industrie, c’est par conséquent un mauvais processus. Cela ne signifie pas qu’il ne serait pas préférable de connaître la liste. Je crois que l’exercice permet de mettre en place un bon processus.

J’ai fait valoir à cet égard que la loi ne peut pas définir tous les projets dans la loi. Ce sera toujours un règlement qui établira cette liste. Toutefois, la loi pourrait prévoir les critères en vue de déterminer ce que nous entendons par des projets désignés. Cela devrait se trouver dans la loi. La loi devrait préciser les critères qui devraient être utilisés pour déterminer ce que nous entendons par des projets désignés. Par exemple, nous pourrions avoir les types de projets qui sont susceptibles d’avoir des effets négatifs importants. Ce serait un exemple assez général du type de critères que nous devrions retrouver dans la loi.

C’est peut-être un compromis par rapport à ce que vous suggérez.

Le sénateur Richards : Merci de votre présence ici. Merci aussi de me permettre de poser une question. Le mot « significative » me laisse aussi perplexe. Je me demande si des « consultations significatives » peuvent vouloir dire des « consultations interminables avec une variété d’intervenants ».

Si nous devons entendre tous les intervenants concernés, cela signifie-t-il que des intervenants bien renseignés avec une influence économique ou sociale peuvent contribuer à sceller l’issue d’un projet? Je pense en particulier à Trans Mountain, et une foule de débats et d’autres choses ont eu lieu à ce sujet. Elizabeth May a dit récemment qu’il n’y a aucune chance que ce projet public se concrétise.

Je m’inquiète que les « consultations significatives » deviennent des « consultations interminables », indépendamment de la liste de projets que nous avons. Pourriez-vous me rassurer à cet égard?

M. Elgie : Je peux essayer de vous répondre rapidement. Mon collègue en aura probablement plus long à dire que moi sur la « participation du public ».

En ce qui concerne les intervenants étrangers, vous inquiétez-vous que des sociétés étrangères participent aux consultations? Est-ce cela qui vous préoccupe, parce que je crois que les sociétés étrangères devraient pouvoir y participer?

Le sénateur Richards : Nous savons que des sociétés étrangères y participeront, mais il y a des intervenants étrangers. Des groupes environnementaux qui sont financés par des intérêts étrangers tentent depuis longtemps de freiner le projet Trans Mountain et d’autres projets pétroliers aux États-Unis et au Canada.

Je me demande si ces groupes feront partie des précieux consultants que nous écouterons en vue d’en venir à une décision quant à un projet.

M. Elgie : Je comprends. Je croyais que vous faisiez allusion aux sociétés étrangères, mais ce sont les ONG qui reçoivent du financement de l’étranger qui vous inquiètent. Je vais laisser à d’autres le soin d’en parler.

D’après mon expérience, ce n’est jamais une bonne décision de dire à des gens qui ont un intérêt réel et légitime à l’égard d’un projet qu’ils ne peuvent pas se prononcer.

Le sénateur Richards : Je suis d’accord.

M. Elgie : Si vous agissez ainsi, le problème ne disparaîtra pas. Les intervenants trouveront tout simplement une autre manière de se manifester à l’extérieur du processus.

Les tribunaux traitent de cette question depuis des décennies. Les deux choses qu’ils font, c’est de limiter le temps de ces groupes, parce que cela permet d’éviter de faire du spectacle et de perdre un temps fou, et de regrouper les gens qui ont des intérêts semblables. Cela permet au processus de se dérouler de manière efficace, et cela évite aussi de paralyser le processus, mais vous ne dites pas à certains qu’ils ne peuvent pas prendre la parole lors des consultations, parce qu’ils se feront entendre à l’extérieur de la salle, et ce n’est jamais une stratégie gagnante.

Le sénateur Richards : Le problème, c’est que si certaines interventions sont rejetées dans le cadre d’une consultation, elles se poursuivront à l’extérieur de la salle. C’est ce qui arrivera en l’occurrence.

M. Elgie : Je ne peux pas dire que rien de tel n’arrivera. Lorsque j’étais avocat spécialisé en droit de l’environnement, la grande majorité des conflits que je voyais à propos des évaluations environnementales tenaient au fait qu’il y avait un enjeu régional de grande envergure pour lequel il n’existait pas de tribune; par conséquent, les gens l’incluaient dans un processus d’évaluation de projet, faute de quoi ceux qui estimaient avoir des préoccupations légitimes ne pouvaient pas se faire entendre pendant le processus. Pour ma part, je n’ai jamais vu de cas — contrairement à d’autres — où des gens ont décidé d’intenter des poursuites au terme d’une audience constructive parce que ceux qui ont exprimé des inquiétudes n’ont pas obtenu tout ce qu’ils voulaient, même s’ils ont jugé avoir eu leur mot à dire. C’est probablement déjà arrivé, mais je n’en ai jamais été témoin au cours de mes 15 ans d’expérience.

La sénatrice McCallum : Je vous remercie de vos exposés. Je voulais revenir sur les effets cumulatifs parce que je m’inquiète des dommages causés par bon nombre des mégaprojets dans presque toutes les provinces. Quand je songe au caribou, à l’orignal, à toute la biodiversité qui est en train de disparaître, il faut tenir compte de ces facteurs parce qu’ils touchent la vie de beaucoup de personnes dans le Nord.

Par exemple, dans ma réserve, depuis deux ans, les caribous ne sont pas revenus; par conséquent, les gens doivent acheter des aliments en magasin parce qu’ils ne peuvent pas s’adonner à la chasse. Sachez que les gens de ma réserve avaient l’un des plus faibles taux de diabète, parce qu’ils mangeaient des aliments prélevés dans la nature. Alors, lorsque vous avez dit — et je ne sais pas si je vous ai mal compris — que les effets sur les troupeaux de caribous étaient minimes et qu’il n’y avait pas vraiment d’effets cumulatifs à prendre en considération, je ne suis pas d’accord.

M. Elgie : Je ne saurais vous dire de quels troupeaux de caribous il s’agit, mais je me suis peut-être mal exprimé. J’ai dit que les effets sur un troupeau de caribous sont très vastes et ils sont attribuables à de nombreux projets menés sur un large territoire, si bien qu’il est difficile de les examiner dans le cadre d’une évaluation environnementale à elle seule. Le caribou serait un exemple parfait pour une évaluation d’impact régionale. Il faut tenir compte des seuils de perturbation dans l’ensemble de l’habitat avant de commencer à observer un déclin des populations de caribous. Ainsi, au moment d’examiner un projet précis, vous aurez une évaluation générale des seuils régionaux et vous pourrez vous demander comment le projet s’insère dans le contexte global, plutôt que l’inverse. Autrement dit, dans le cadre d’un projet, il faut exiger que les promoteurs tiennent compte de toute la gamme des effets sur un immense troupeau de caribous, et ce, dans les délais prévus par la loi.

Vous n’arriverez jamais à faire les choses parfaitement. C’est impossible. C’est pourquoi je dis que la partie la plus importante de la loi sera les dispositions qui feront en sorte que les évaluations régionales et stratégiques seront bien réalisées, parce que c’est là que résident les grandes questions. Si vous faites bien les choses à cet égard, les évaluations de projets porteront uniquement sur les projets, plutôt que sur la résolution de problèmes de grande envergure que les projets ne peuvent pas régler.

La sénatrice McCallum : La Colombie-Britannique a mené une étude sur l’orignal et les effets des projets sur cet animal. Il en va de même pour le Manitoba et l’Alberta, où il y a eu beaucoup d’effets dévastateurs. Cela touche non seulement les animaux, mais aussi les plantes médicinales et les baies. Les gens de l’industrie ne pourront jamais remettre en état ces terres, même s’ils prétendent le contraire. Songeons aussi à l’habitat du poisson, qui a été détruit.

Par conséquent, qui s’occupera de la situation dans son ensemble — parce que c’est le bilan environnemental du Canada —, si ce système ne peut pas fonctionner? Comment pouvons-nous surveiller cela? C’est ce qui me préoccupe.

M. Elgie : Vous posez là des questions faciles. En fait, c’est l’une des grandes questions qui nous occupent. Je n’ai pas de réponse simple à donner, mais je me contenterai de dire que c’est, en partie, la raison pour laquelle nous avons des gouvernements et des démocraties pour régler ces enjeux cruciaux.

Le problème que nous avons maintenant, c’est que nous ne créons pas un endroit où il est possible de prendre des décisions et de mener des analyses à l’échelle du système. Voici la meilleure analogie qui me vient à l’esprit : c’est comme si je voulais ajouter une annexe à ma maison et que je devais tracer un plan pour tout le quartier, alors que ce devrait être l’inverse. Il en va de même pour la planification urbaine : il faut se poser des questions générales qui touchent l’ensemble du système, pour ensuite se pencher sur le projet d’agrandissement de maison. C’est ce que nous devrions également faire dans le cas de l’aménagement paysager. Posons-nous les questions générales. Que faudrait-il pour maintenir le système en bon état? Que faudra-t-il pour assurer la santé du caribou et de l’orignal?

C’est comme si on examinait un seul organe du corps, au lieu de commencer par un examen du corps entier. Vous pouvez ainsi comprendre comment fonctionne le système dans son ensemble. Or, ce n’est pas ce que nous avons fait au cours des 40 dernières années dans le domaine des évaluations environnementales. Grâce à cette loi, nous avons l’occasion, pour la première fois, de commencer à nous y prendre comme il se doit. Cela ne signifie pas nécessairement que vous obtiendrez les réponses que vous cherchez, mais quelqu’un se penchera sur les questions voulues. Vous aurez de meilleures chances d’obtenir les réponses que vous souhaitez avoir à l’échelle du système. Voilà ma réponse.

La présidente : Messieurs, merci beaucoup de votre témoignage. Chers collègues, nous allons recevoir un autre groupe de témoins.

Nous poursuivons notre étude du projet de loi C-69. Nous accueillons Anna Johnston, avocate-conseil à l’interne, de West Coast Environmental Law, et Joshua Ginsberg, avocat et directeur des affaires législatives, d’Ecojustice.

[Français]

Merci de vous joindre à nous. Je vous invite à faire votre déclaration préliminaire. Ensuite, nous passerons à une période de questions et réponses.

[Traduction]

Anna Johnston, avocate-conseil à l’interne, West Coast Environmental Law : Merci, madame la présidente. Je suis honorée d’être ici, sur le territoire traditionnel de la nation algonquine. Je suis avocate-conseil à l’interne auprès de West Coast Environmental Law. Je siège également au Comité consultatif multilatéral établi par la ministre McKenna pour contribuer à cet examen et à ce projet de loi. De plus, je copréside avec M. Kneen, qui était ici hier, le caucus de la planification et des évaluations environnementales du Réseau canadien de l’environnement.

West Coast a déposé un mémoire conjointement avec d’autres groupes qui recommandent des amendements au projet de loi en fonction de cinq priorités communes. Je ne les aborderai pas ce soir, mais je crois que vous devriez déjà avoir reçu le document.

Nous comptons également vous remettre notre propre mémoire, que vous devriez recevoir sous peu. Dans ce document, nous proposons six autres manières de renforcer le projet de loi, et je les passerai en revue rapidement dans mon exposé. Auparavant, toutefois, je voudrais faire quelques observations.

Tout d’abord, le Sénat ne devrait pas capituler devant les réclamations de l’industrie concernant le projet de loi. C’est bien à l’industrie pétrolière et gazière que nous devons la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale de 2012 qui, de l’avis de tous, ne fonctionne pas. Malgré tout, l’industrie voudrait que le Sénat répète les mêmes erreurs dans le projet de loi C-69. Les Canadiens ont voté pour une nouvelle loi sur l’évaluation, une loi qui n’est pas dictée par l’industrie.

Le gouvernement a fait campagne en promettant de renforcer les processus d’évaluation environnementale et de rétablir la confiance du public. J’ai examiné les amendements demandés par les associations industrielles. La plupart d’entre eux saperaient complètement et fondamentalement les objectifs liés à l’évaluation environnementale, à la participation significative du public et à la réconciliation avec les peuples autochtones.

Par ailleurs, ces amendements représentent une vision fondamentalement erronée de ce qu’est une évaluation environnementale et de qui est nécessaire pour en assurer l’efficacité. L’évaluation environnementale est un outil de planification qui permet aux décideurs de réfléchir avant d’agir.

Deuxièmement, sachez que l’industrie a eu son mot à dire au sujet du projet de loi. Au cours des trois dernières années, les secteurs du pétrole et du gaz, de l’énergie nucléaire et de l’hydroélectricité ont tous participé activement à l’élaboration du projet de loi. Leurs représentants siègent tous au Comité consultatif multilatéral. Ils ont tous comparu devant les groupes d’experts et le comité de la Chambre, qui se sont penchés sur ces lois. Ils ont tous eu l’occasion de prendre connaissance du document de travail préparé en 2017 par le gouvernement sur les grandes lignes du projet de loi, et d’y réagir. Ils ont comparu devant le comité de la Chambre des communes qui a étudié le projet de loi. Tout au long du processus, ils ont exercé de fortes pressions sur le gouvernement. Le projet de loi est déjà un compromis. Il représente un écart important par rapport aux recommandations du groupe d’experts chargé d’examiner le dossier de l’évaluation environnementale parce que le gouvernement a cédé aux exigences de l’industrie. Si le projet de loi est affaibli davantage, il sera aussi mauvais, voire pire, que la mesure législative en vigueur.

Je le répète : le genre d’amendements que réclame l’industrie est justement la raison pour laquelle nous en sommes là. Les Canadiens ont voté pour la durabilité. Je crois qu’il incombe au Sénat de respecter cette volonté.

Troisièmement, j’aimerais dire un mot sur les champs de compétence parce qu’on en a beaucoup parlé dans les discussions sur le projet de loi. Il est essentiel que les représentants fédéraux participent à la prise de décisions en matière d’environnement. Le projet de loi ne porte pas atteinte aux compétences provinciales. Ce n’est pas parce que les ressources naturelles relèvent des provinces que l’autorité fédérale sur des domaines comme la pêche, la navigation et le climat est amoindrie. Comme l’a reconnu la Cour suprême du Canada, l’évaluation d’impact est tout simplement un outil pour étayer les décisions fédérales sur des questions qui relèvent de sa compétence en vertu de la Constitution. Le fédéralisme coopératif reconnaît que l’on parvient à prendre des décisions plus solides et à mieux protéger l’environnement et les collectivités lorsque tous les ordres de gouvernement sont à la table de négociation. Vous ne prendriez pas de décision sur le choix d’université de votre enfant ou sur votre épargne-retraite sans d’abord vous informer. Dans le même ordre d’idées, le gouvernement fédéral ne devrait pas approuver de grands projets sans examiner en profondeur les éléments de preuve.

Cela dit, nous aimerions recommander six façons de renforcer le projet de loi C-69 au chapitre de l’environnement et des collectivités. En premier lieu, la Loi sur l’évaluation d’impact doit prévoir un seuil juridique pour empêcher l’approbation de projets qui portent atteinte à la durabilité.

En deuxième lieu, la loi proposée sur les eaux navigables canadiennes devrait ajouter des effets environnementaux à la liste des facteurs dont il faut tenir compte au moment de décider d’approuver un ouvrage, afin que cette loi serve réellement de filet de sécurité pour l’environnement, comme on l’a prétendu.

Ensuite, la loi proposée sur la Régie canadienne de l’énergie devrait faire quatre choses :

Premièrement, annuler l’exigence selon laquelle la commission doit tenir ses audiences avec célérité, car une telle exigence entre en contradiction avec l’équité, la rigueur et la réconciliation.

Deuxièmement, supprimer la restriction selon laquelle la commission ne peut examiner que les effets qui sont directement liés aux projets, afin d’offrir plus de clarté et de mieux tenir compte des effets cumulatifs.

Troisièmement, rendre le projet de loi plus cohérent et accroître l’indépendance du processus décisionnel en permettant à la commission de rejeter les certificats pour les pipelines, comme elle peut le faire dans le cas des lignes de transmission aux termes du projet de loi.

Enfin, renforcer le processus de surveillance en supprimant les dispositions privatives. Merci beaucoup. J’ai hâte de répondre à vos questions.

Joshua Ginsberg, avocat et directeur des Affaires législatives, Ecojustice : Merci. Je vous suis reconnaissant de me donner l’occasion de témoigner devant le comité, sur le territoire traditionnel non cédé du peuple algonquin, afin de discuter avec vous du projet de loi C-69.

Je représente Ecojustice, un organisme de bienfaisance national spécialisé dans le droit de l’environnement qui, depuis 1990, fournit gratuitement des services juridiques aux groupes de conservation canadiens et à d’autres citoyens soucieux de protéger l’environnement. À ce titre, nous comparaissons un peu partout au pays devant des tribunaux à tous les échelons, notamment sur des questions liées aux évaluations environnementales, et même devant des organismes chargés d’effectuer des évaluations environnementales. C’est sur cette expérience que reposent mes observations d’aujourd’hui.

J’ai également déposé un mémoire, de concert avec West Coast et d’autres groupes qui recommandent certains amendements. Tout comme Mme Johnston, je ne les aborderai pas directement, mais je serai heureux de répondre aux questions à ce sujet. Je me contenterai de faire quelques observations préliminaires, puis je présenterai quatre autres manières de renforcer le projet de loi.

Mesdames et messieurs les sénateurs, le projet de loi C-69 n’est pas parfait. Il est loin d’assurer une réforme exhaustive de l’approche canadienne en matière d’évaluation environnementale, réforme que préconisent Ecojustice et d’autres groupes. Toutefois, le projet de loi constitue un pas important vers l’instauration d’un processus d’évaluation d’impact moderne et efficace à l’échelle fédérale. Il permet de corriger un système qui, de l’avis de tous, ne fonctionne pas.

L’évaluation d’impact consiste à planifier l’utilisation optimale des terres et des ressources publiques. Le projet de loi sur l’évaluation d’impact, qui sera l’objet de mon exposé, reconnaît qu’il ne suffit plus de simplement éviter ou de réduire au minimum les effets environnementaux négatifs importants, comme le veut la norme actuelle. Nous devrions plutôt utiliser les ressources publiques pour des projets qui améliorent le bien-être général. Le projet de loi reconnaît l’évidence : la viabilité de l’économie, la stabilité du climat et l’équité entre les sexes sont essentielles à notre bien-être, et aucun grand projet visant à exploiter les ressources publiques ne devrait en faire abstraction. Or, certains des amendements proposés au comité par les groupes de l’industrie iraient à l’encontre du projet de loi et nous placeraient, après tout ce temps et tous ces efforts, dans la même situation intenable que celle dans laquelle nous nous trouvions au départ.

Certaines associations industrielles disent qu’il faut supprimer les dispositions sur les facteurs à prendre en considération dans une évaluation, comme le climat, parce que les évaluations d’impact ne tiennent pas lieu de tribunes où sont débattues des questions de politique. Cependant, mesdames et messieurs, le projet de loi ne dit pas que ces politiques publiques sont matière à débat. Il prévoit simplement que ces facteurs doivent être pris en compte pour déterminer si un projet est dans l’intérêt public ou non.

En ce qui a trait aux objectifs de politique, permettez-moi de formuler mes deux premières recommandations visant à renforcer le projet de loi. Premièrement, l’agence d’évaluation, soit le nouvel organisme indépendant qui sera créé en vertu de la loi, devrait recevoir l’instruction claire de présenter des recommandations sur les facteurs liés à l’intérêt public, lesquels serviront, au bout du compte, à motiver la décision.

Sénateur Woo, cela répond à votre question sur le lien entre les articles 22 et 63. À vrai dire, l’agence devrait donner son avis sur tout, de sorte qu’au moment de prendre la décision finale, le décideur — qu’il s’agisse du ministre ou du Cabinet — ait une vue d’ensemble.

Deuxièmement, les objectifs de la Loi sur l’évaluation d’impact devraient également s’appliquer aux projets qui sont réalisés sur des terres fédérales, qui font intervenir des promoteurs fédéraux ou qui sont financés par le gouvernement fédéral. À l’heure actuelle, il y a un système distinct, mais les objectifs de politique ne s’y appliquent pas. Je serai heureux d’en dire plus à ce sujet tout à l’heure.

Un certain nombre de provinces et de groupes de l’industrie ont dit craindre que le projet de loi C-69 ajoute un élément de discrétion au processus décisionnel. C’est faux, car le projet de loi C-69 n’élargit pas les pouvoirs discrétionnaires accordés au ministre, par rapport à ce qui est prévu aujourd’hui aux termes de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale de 2012. En fait, il y impose des contraintes supplémentaires. Selon la loi actuelle, la LCEE de 2012, les autorités responsables sont appelées à prendre une décision hautement discrétionnaire sur la question de savoir si les effets négatifs seront « importants » et, une fois que la décision est prise, sans avoir à en fournir les motifs, elles doivent déterminer si ces effets sont « justifiables » dans les circonstances.

Par contre, en vertu de la nouvelle loi proposée, le décideur est limité par l’obligation de tenir compte des éléments prescrits par la loi. Loin d’introduire un pouvoir discrétionnaire supplémentaire, le nouveau cadre offre beaucoup plus de certitude et de clarté que tous ceux qui participent au processus apprécieront. La Loi sur l’évaluation d’impact accroît la transparence et les obligations redditionnelles en obligeant le décideur — étonnamment pour la toute première fois — à expliquer publiquement sa décision, ce qui n’a jamais été le cas auparavant.

Étrangement, bien que les associations industrielles se plaignent du fait que cette loi accorde trop de place au pouvoir discrétionnaire, elles pressent le Sénat d’adopter des amendements visant à étendre ce pouvoir discrétionnaire. Elles veulent donc que l’agence ait le pouvoir de définir la portée du projet afin d’éviter que certains éléments soient pris en considération. C’est cette question, mesdames et messieurs, qui a donné lieu aux contentieux portant sur la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale originale, en 1992. La Cour suprême a rejeté cette approche dans une affaire dont nous avons traité, et la loi actuelle l’omet. Nous ne devrions donc pas faire des changements rétrogrades qui risquent de ramener sur le tapis des choses qui n’ont pas fonctionné.

En conclusion, je dirais qu’il y a deux aspects du projet de loi où le pouvoir discrétionnaire pourrait être réduit davantage. Premièrement, nous devrions évaluer tous les grands projets de compétence fédérale, c’est-à-dire tous ceux qui se retrouvent sur la liste.

N’oubliez pas que la Loi sur l’évaluation d’impact ne vise que les projets les plus susceptibles d’avoir des effets négatifs dans un domaine de compétence fédérale — les projets les plus importants et ceux qui auront le plus d’impact. Sauf que la loi projetée accorde un pouvoir discrétionnaire qui permet même à certains projets triés sur le volet d’échapper à l’évaluation. Nous disons que si un projet est suffisamment susceptible d’avoir un impact pour justifier son inscription sur cette liste, il devrait être évalué sous réserve d’une clause de sauvegarde très restreinte.

La dernière chose, c’est que les évaluations régionales et stratégiques, dont mes amis, M. Elgie et M. Lindgren, ont longuement parlé, sont peut-être la partie la plus importante du projet de loi, car elles donnent des directives claires au public et à l’industrie sur ce qui est acceptable ou non dans les projets futurs, sauf qu’aux termes du projet de loi, leur utilisation est toujours laissée au pouvoir discrétionnaire. Pour s’assurer que ces évaluations ont bien lieu, la loi devrait exiger du ministre qu’il détermine quelles évaluations régionales et stratégiques doivent être effectuées et qu’il fixe un échéancier pour leur réalisation.

Je serai heureux de répondre à vos questions, d’approfondir les enjeux que je viens de soulever ou de discuter de tout autre sujet.

La présidente : Je vous remercie beaucoup.

Le sénateur MacDonald : Je vous remercie tous les deux d’être ici. Je suis un peu surpris de vous voir là, tous les deux, puisque vous représentez deux des cinq groupes qui, depuis les six dernières semaines, font campagne dans les médias et auprès du Sénat — par la documentation et la correspondance qu’ils lui font parvenir — pour exiger que nous ne tenions pas d’audiences, que nous nous abstenions de parler aux Canadiens, et qui soutiennent que tout le travail important a déjà été fait.

Je vais d’abord parler de l’organisme West Coast Environmental Law. Sur votre site web, on trouve la citation suivante :

West Coast Environmental Law s’efforce d’empêcher l’expansion des sables pétrolifères...

— ça devrait s'appeler les sables bitumineux —

... en s’opposant à des projets de pipelines et de pétroliers en Colombie-Britannique [...]

Puisque votre organisme s’oppose à la mise en valeur de tous les nouveaux pipelines pour l’exploitation des sables bitumineux, elle approuve le projet de loi C-69. Cela signifie-t-il que le projet de loi C-69 vous aidera à vous opposer à l’aménagement de nouveaux pipelines?

Mme Johnston : C’est une excellente question. Le projet de loi créera plus de transparence quant aux effets des projets sur le climat. L’une des choses que nous appuyons dans ce projet de loi, c’est l’introduction du « test climat ». Il est très important de se rappeler que le test climat ne consiste pas seulement à tenir compte du climat, mais aussi à établir dans quelle mesure le projet aidera ou entravera la capacité du Canada à atteindre ses objectifs en matière de changement climatique.

C’est un changement très important par rapport au fait de limiter l’analyse aux répercussions parce que, historiquement, les évaluations environnementales ont eu de la difficulté à évaluer l’importance des répercussions sur le climat. Ce que les grands penseurs proposent depuis des années, et ce que la tendance générale a été de faire, c’est d’utiliser en tant qu’indicateurs indirects des choses comme l’Accord de Paris et diverses politiques, comme le cadre pancanadien, la cible du milieu du siècle ou l’objectif de 2030.

À condition que le ministère de l’Environnement pousse ses évaluations stratégiques du climat actuelles dans cette direction, la loi aidera à mettre mieux en lumière les répercussions climatiques des projets. Selon nous, la loi — et c’est pourquoi nous demandons l’enchâssement d’un seuil — permet toujours aux décideurs d’approuver des projets qui entraveraient grandement notre capacité à respecter nos obligations en vertu de l’Accord de Paris.

Ce qu’il y a de mieux dans le projet de loi, ce sont les dispositions sur la transparence, surtout en ce qui concerne les motifs des décisions et la mise en œuvre du test climat, même si, de toute évidence, elles ne constituent pas une garantie.

Le sénateur MacDonald : Vous n’avez pas répondu à ma question. Je vais vous la poser de nouveau. Croyez-vous que le projet de loi C-69 vous aidera à vous opposer à la construction de nouveaux pipelines au Canada?

Mme Johnston : J’ai répondu à cette question. Cela nous aidera à mieux cerner l’information et permettra au public d’avoir une plus grande confiance à l’égard des décisions portant sur des choses comme les pipelines. Je ne pense certainement pas que c’est le projet de loi qui mettra fin à la construction de pipelines, comme le prétend l’industrie.

À ce chapitre, vous avez raison : nous nous opposons à l’expansion des sables bitumineux parce que nous sommes préoccupés par les effets catastrophiques des changements climatiques, et je crois que le projet de loi n’offre pas de garantie particulièrement solide qu’il va nous aider à cet égard.

La sénatrice Cordy : Merci de nous avoir fait part de vos réflexions au sujet du projet de loi.

Madame Johnston, vous avez parlé de l’importance d’ajouter l’impact environnemental et les prises de décisions à la loi sur les eaux navigables proposée. Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet? Vous êtes passée assez vite sur ces questions.

Mme Johnston : À l’origine, la loi s’appelait la Loi sur la protection des eaux navigables. En 2012, elle a été remplacée par la Loi sur la protection de la navigation, ce qui est une distinction importante. Avant 2012, le site web de Transports Canada reconnaissait que la Loi sur la protection des eaux navigables était une loi qui protégeait l’environnement, et que c’était sa raison d’être.

Au cours de la dernière campagne, la plateforme électorale du gouvernement stipulait qu’on allait rétablir les protections perdues et mettre en place des mesures de protection modernes. C’est la partie la plus décevante de ce projet de loi — la partie 3 —, parce que ce n’est pas ce qu’elle fait.

Lorsque le gouvernement a décidé, aux termes de sa Loi sur l’évaluation d’impact, de n’examiner que les grands projets, il a déclaré que cela s’expliquait en partie par le fait que des lois comme la Loi sur les eaux navigables et la Loi sur les pêches allaient servir de filet de sécurité pour encadrer les répercussions environnementales des petits projets.

À l’heure actuelle, dans la liste des facteurs à prendre en considération à l’article 7 de la Loi sur les eaux navigables du Canada, c’est-à-dire lorsqu’il s’agit pour Transports Canada de choisir les ouvrages qui seront approuvés, dans ce régime compliqué qui, en fait, nécessite un permis, l’environnement ne fait pas partie des facteurs à prendre en considération. Il ne peut donc pas y avoir de filet de sécurité pour l’environnement si l’environnement n’est pas présent dans la loi.

La sénatrice Cordy : Monsieur Ginsberg, vous avez dit que l’agence d’évaluation devait avoir une orientation claire. Est-ce que vous voyez cela comme des directives qui seraient enchâssées dans le projet de loi lui-même?

M. Ginsberg : Oui, c’est exact, madame la sénatrice. À l’heure actuelle, le projet de loi demande à l’agence de présenter un rapport au ministre ou au Cabinet, rapport qui devrait contenir ses opinions sur les effets néfastes. Cependant, elle n’est pas explicitement tenue de le faire. On ne dit pas qu’elle peut s’abstenir de le faire ou que l’agence pourrait interpréter son mandat comme incluant cette possibilité, mais on ne lui demande pas explicitement de donner un avis et une opinion sur la façon dont les facteurs prévus à l’article 63, qui sont les facteurs décisionnels, seront pris en compte dans le cadre de l’évaluation en question.

Par souci de clarté, et pour que les décideurs ou le comité d’examen puissent profiter le plus possible de l’expertise de l’agence, selon le cas, la loi devrait être un peu plus explicite à cet égard.

Le sénateur Mitchell : Merci à vous deux. Ma première question s’adresse à Mme Johnston, mais j’informe M. Ginsberg qu’il peut intervenir.

On a fait valoir qu’une partie des changements proposés dans ce projet de loi s’applique aux divers offices et commissions — il y a le remplacement de la Régie canadienne de l’énergie par l’Office national de l’énergie, ainsi que certains changements apportés à la Commission canadienne de sûreté nucléaire et aux offices extracôtiers —, et que ces changements sont fondés sur l’idée que les gens ont perdu confiance dans ces offices et commissions. Certains prétendent que ce n’est pas le cas, mais je crois que ce l’est. Selon vous, est-ce le cas? Dans l’affirmative, pouvez-vous nous dire ce qui explique cette perte de confiance?

Mme Johnston : C’est une excellente question. Il y a deux ou trois choses à dire à ce sujet. Premièrement, il y a eu des problèmes de perception publique, et je ne peux pas vraiment parler de la Commission canadienne de sûreté nucléaire parce qu’il n’y a pas de nucléaire en Colombie-Britannique. Toutefois, nous avons participé aux « évaluations » — j’utilise délibérément les guillemets et je le précise pour les besoins du compte rendu — de l’Office national de l’énergie.

Il y a eu le groupe d’experts chargé d’évaluer le projet Énergie Est qui a dû se retirer parce qu’il était de mèche avec l’industrie et qu’il avait tenu des réunions secrètes. C’est l’aspect dont on a parlé le plus. Sauf que l’Office national de l’énergie a démontré qu’il n’était pas très efficace pour faire participer le public d’une façon qui donne à ce dernier l’impression qu’il a vraiment été sollicité et entendu.

En revanche, lorsqu’il m’est arrivé de représenter des clients dans le cadre d’évaluations environnementales où c’est l’agence qui assurait la portion secrétariat d’une commission d’examen, le public entrait avec l’impression de ne pas être certain de pouvoir faire confiance à l’agence et ressortait de l’évaluation avec l’impression que ces gens étaient indépendants. Ils ne nous donnent peut-être pas ce que nous demandons, mais au moins, ils ne cherchent pas à nous mettre des bâtons dans les roues. C’est le contraire de ce qui se passe avec l’Office national de l’énergie.

Ce n’est pas seulement une question de perception du grand public et de corruption potentielle, c’est aussi le fait que, de façon générale, l’Office national de l’énergie est trop protocolaire. C’est très désagréable pour le public, et les gens ont l’impression que les dés sont pipés.

Le sénateur Mitchell : Ma deuxième question porte sur l’idée selon laquelle il serait peut-être avantageux que le groupe d’experts, l’agence canadienne proposée pour l’évaluation d’impact, inclue une recommandation explicite dans son rapport. L’article 51 semble presque aller dans ce sens-là, sinon absolument dans ce sens-là. Il semble aussi que c’est assurément ce que souhaite l’industrie de l’énergie. Je crois me souvenir que c’est quelque chose que les militants écologistes voudront peut-être aussi. Croyez-le ou non, il pourrait y avoir consensus à ce sujet.

Pourriez-vous nous dire ce que vous en pensez? Vous hochez la tête.

M. Ginsberg : Bien sûr, monsieur le sénateur. Je suis ravi qu’il y ait peut-être un rare terrain d’entente entre l’industrie et nous. Si c’est le cas, je suis heureux de l’entendre et je m’en réjouis.

Vous avez raison au sujet de l’article 51 proposé concernant la commission. La question de la recommandation est presque là, mais ce n’est pas dit de façon aussi explicite que cela pourrait l’être. On dit que la commission « établit un rapport de l’évaluation, lequel indique les effets que, selon elle, la réalisation du projet est susceptible d’entraîner ». Cependant, on ne va pas jusqu’à dire : « [...] et quelle incidence ces effets pourraient avoir sur les éléments visés à l’article 63 ». Il manque encore quelque chose.

Le sénateur Woo : Lorsque j’ai rencontré certains d’entre vous il y a quelques mois, vous étiez là avec l’Association minière du Canada. Je me souviens de la réunion et j’ai été frappé par l’ampleur du consensus qui régnait au sein de ce groupe formé de représentants de l’industrie et de groupes environnementaux. Vous avez tous dit que vous n’aviez pas eu ce que vous vouliez, mais que vous étiez prêts à trouver un compromis.

À l’époque, j’ai eu l’impression que vous étiez satisfaits du projet de loi tel qu’il était. Pourtant, vous voilà maintenant avec une nouvelle série d’amendements. J’aimerais prendre un peu de recul et essayer de me faire une tête là-dessus. Ce qui m’inquiète, c’est que nous sommes pris dans ce genre de jeu de surenchères. Je m’explique. D’après ce que nous savons, l’industrie a participé au processus. Or, je présume qu’elle n’était pas satisfaite du résultat — je ne sais pas pourquoi elle ne l’a pas dit haut et fort pendant le processus, mais elle était très mécontente du résultat —, puisqu’elle fait de gros efforts pour exercer des pressions sur nous. Peut-être que vous craignez un peu que le consensus ne soit rompu — je vous mets des mots dans la bouche —, que l’accord ait été rompu. Vous allez maintenant nous bombarder de vos recommandations les plus « extrêmes ».

Pour le Sénat, ce n’est pas une bonne façon de fonctionner. Ce n’est pas une bonne façon pour les sénateurs de prendre des décisions. Les deux côtés essaient, en quelque sorte, de se servir de nous.

M. Ginsberg : Je vais d’abord tenter de répondre à cela. Je vous remercie de soulever cette question.

Il est vrai que nous entretenons d’excellentes relations avec l’Association minière du Canada et que nous sommes d’accord avec elle. C’était une relation très productive. Il est également vrai, sénateur Woo, que si le projet de loi était adopté tel quel, sans amendements, ce serait quand même une amélioration par rapport à ce que nous avons.

Si nous vous présentons maintenant quelques réflexions supplémentaires, cela découle en partie de ce que j’ai dit au début, à savoir que personne n’a obtenu tout ce qu’il voulait. Il y a certains aspects triés sur le volet où le Sénat peut apporter de petits ajustements ainsi que des améliorations assez substantielles. Nous avons essayé de nous limiter au radeau de votre analogie, plutôt que d’utiliser le transatlantique que vous avez peut-être vu de la part d’autres groupes. Nous avons vraiment essayé de nous concentrer sur ce que nous pensons être les changements les plus importants.

Mme Johnston : J’ajouterais que lorsque nous vous avons rencontré, à l’automne, nous avons dit que nous apporterions probablement quelques amendements choisis, amendements que nous avons essayé de maintenir dans ce que nous croyons être les quatre coins de la loi, et qui constituent des améliorations nécessaires et réalisables. Nous les avons soumis au gouvernement.

En ce qui concerne ce que vous avez dit, oui, je pense que beaucoup d’entre nous commencent à regretter d’avoir dit dès le départ que ce projet de loi était meilleur. Si nous avions donné des coups de pied et crié autant que le pétrole, le gaz et l’industrie nucléaire, nous serions peut-être dans une position plus forte aujourd’hui. Au lieu de cela, nous avons essayé de jouer le jeu de façon raisonnable, ce qui est inhabituel pour une coalition environnementale. Maintenant, nous savons pourquoi.

Le sénateur Woo : Merci.

Le sénateur Patterson : J’aimerais poser des questions à propos d’Ecojustice. J’ai remarqué que votre site web indiquait ce qui suit:

Demandez à l’un de nos avocats la raison pour laquelle il s’est inscrit à la faculté de droit, et il est probable que vous entendrez une variation sur le thème suivant : Des lois robustes et bien appliquées sont les meilleurs outils dont nous disposons pour protéger la nature et la faune, pour maintenir sous terre les combustibles fossiles sales [...]

Compte tenu de cette citation, est-il exact de dire qu’Ecojustice souhaite que le pétrole canadien reste sous terre? Relativement à cela, comme votre organisation s’élève contre le développement des sables bitumineux et approuve le projet de loi C-69, cela signifie-t-il que le projet de loi vous aidera à prévenir le développement des sables bitumineux?

M. Ginsberg : Je vous remercie de votre question, monsieur le sénateur. Je croyais que votre question de suivi porterait sur la raison pour laquelle je me suis inscrit à la faculté de droit, mais elle traite d’un autre enjeu, et c’est fort bien. Je répondrai aussi à cette question.

Comme nos collègues de West Coast Environmental Law, nous sommes, bien entendu, très préoccupés par notre capacité de poursuivre le développement de notre infrastructure d’extraction des combustibles fossiles, tout en honorant les engagements que nous avons pris en vertu de l’Accord de Paris, des engagements qu’il est impératif que nous observions immédiatement si nous ne voulons pas risquer que le Canada subisse des effets absolument catastrophiques.

Un rapport a été publié aujourd’hui, dans lequel des scientifiques canadiens confirment ce dont la communauté internationale nous a prévenus depuis longtemps, c’est-à-dire le fait que le changement climatique touchera plus durement et plus rapidement le Canada que pratiquement tout autre pays du monde. Si nous ne prenons pas immédiatement des mesures, nous serons bientôt confrontés à l’inondation de nos villes côtières, à des effets accrus sur la santé des Canadiens et à des conditions météorologiques extrêmes qui coûteront la vie à des Canadiens. Alors, nous sommes bien sûr inquiets, et cet enjeu nous tient à cœur, bien évidemment.

En ce qui concerne le projet de loi, il fournira des renseignements et exigera que nous tenions compte de ce facteur crucial lorsque nous prendrons d’importantes décisions. C’est là une bonne chose.

Le sénateur Patterson : Dans le mémoire que vous avez présenté à la Chambre des communes, vous avez également déclaré que les lois environnementales canadiennes étaient parmi les plus faibles du monde industrialisé.

L’évaluation environnementale des projets pétroliers extracôtiers de Terre-Neuve-et-Labrador prend en moyenne 4,5 ans, comparativement à 2 ans au Royaume-Uni et à huit mois sur la côte américaine du golfe du Mexique. Une étude menée par WorleyParsons en 2014 a révélé que les pénalités liées au non-respect des règles environnementales sont beaucoup plus lourdes au Canada qu’en Norvège, en Australie et au Royaume-Uni.

Sur quelles données repose votre énoncé, à savoir que nos lois environnementales sont les plus faibles du monde industrialisé?

M. Ginsberg : Il est fondé sur notre expérience en matière de poursuites devant les tribunaux, où, trop souvent, un pouvoir discrétionnaire effréné empêche la prise de mesures significatives. C’est la raison pour laquelle nous nous sommes réjouis de voir que, dans le projet de loi, le pouvoir discrétionnaire avait été restreint, au lieu d’être élargi.

Le sénateur Patterson : Vous avez donc présenté un point de vue subjectif, au lieu de faire valoir un point de vue fondé sur n’importe quelles études ou données?

M. Ginsberg : La jurisprudence et les résultats ne sont pas subjectifs. Ils sont tout à fait réels.

La présidente : Merci beaucoup.

[Français]

Le sénateur Carignan : Ma question s’adresse à M. Ginsberg. Vous avez mentionné que vous ne sentiez pas le besoin d’amender la loi pour encadrer la discrétion du ministre. Par contre, plusieurs personnes nous ont parlé de la nécessité d’encadrer le pouvoir du ministre. Vous avez aussi dit qu’on devrait soumettre les projets de minicentrales nucléaires à des consultations. Vous n’êtes pas sans savoir que les centrales nucléaires CANDU ont été vendues à SNC-Lavalin. Avec tout le pouvoir de lobby que possède un tel groupe — on en a vu les effets au cours des dernières semaines —, ne trouvez-vous pas inquiétant que les pouvoirs du ministre soient tout à fait discrétionnaires dans le cas, par exemple, des centrales nucléaires? Je ne dis pas que je suis en faveur de cela ou que je suis contre, mais c’est un simple exemple qui est flagrant. Ne trouvez-vous pas préoccupant que le pouvoir du ministre ne soit pas mieux encadré?

M. Ginsberg : Je crois avoir bien compris votre question. Je répondrai toutefois en anglais pour que ce soit plus clair.

Le sénateur Carignan : Je vous en prie.

[Traduction]

M. Ginsberg : Si j’ai bien compris votre question, vous voulez savoir si, connaissant le pouvoir des groupes de pression, il est préoccupant que l’approbation finale relève toujours du ministre, et si un facteur d’influence devrait intervenir dans ce cas-là.

Le sénateur Carignan : Oui.

M. Ginsberg : Excellent. Comme je l’ai mentionné au cours de ma déclaration préliminaire et une autre fois par la suite, la loi n’élimine pas entièrement le pouvoir discrétionnaire. Ce point est tout à fait clair. La décision relève effectivement des décideurs politiques. Pour le meilleur et pour le pire, ces personnes doivent rendre des comptes sur le plan politique et électoral. Le fait que le pouvoir discrétionnaire existe toujours dans le projet de loi va à l’encontre de l’une des recommandations du rapport du groupe d’experts, dans lequel il est mentionné que ces décisions devraient être prises par une commission indépendante. On peut faire valoir des arguments pour appuyer ou dénoncer ce choix et, en fin de compte, nous ne nous opposons pas à ce que des décideurs politiques responsables prennent la décision finale, à condition que leur pouvoir discrétionnaire soit limité et défini par quelques directives juridiques. Cela signifiera qu’ils ne pourront pas être incités, par exemple, à ignorer un critère. S’ils le faisaient, leur décision ferait l’objet d’une révision judiciaire et ne pourrait pas être maintenue.

Il leur faudra donc tenir compte des exigences de la loi et fournir des raisons pour justifier leur décision. Ainsi, leur décision — c’est-à-dire la décision finale — sera plus légitime.

Nous estimons que la loi va assez loin pour réaliser cet objectif.

Mme Johnston : J’ai représenté des clients dans le cadre de l’évaluation environnementale du barrage du site C. Ils ont ramassé des canettes dans les fossés, contracté une deuxième hypothèque sur leur maison, et organisé des danses et des ventes de pâtisserie, afin de pouvoir participer de bonne foi à cet énorme projet qui allait inonder une partie de leurs terres.

La commission d’évaluation environnementale qui a été nommée par le gouvernement fédéral a conclu que les répercussions du projet ne pouvaient pas être justifiées parce que le promoteur, B.C. Hydro, n’avait pas prouvé la nécessité de produire cette énergie. Le Cabinet l’a tout de même approuvé, sans raison particulière. C’était scandaleux. Voilà l’effet de la LCEE de 2012. Par conséquent, votre question tombe pile, car c’est le problème auquel nous faisons face. Comment pouvons-nous avoir confiance en un processus qui permet au gouvernement fédéral d’approuver un projet, malgré ses répercussions assurément importantes et l’absence de preuve pour justifier la nécessité du projet?

À mon avis, le projet de loi qui nous occupe prévoit encore une importante marge de manœuvre pour permettre la prise de décisions de ce genre. Je suis grandement encouragée par la nécessité de présenter les raisons de la décision et le fait que l’en-tête qui figure au-dessus de ces dispositions est détaillé, car j’espère que c’est ce qu’il signifie.

Nous avons demandé à la Chambre des communes d’apporter de nombreuses modifications au projet de loi, dont l’ajout de critères plus stricts en matière de résultats, afin que le gouvernement fédéral ne puisse pas approuver des projets qui ont des effets néfastes importants ou qui ne sont pas viables, et de l’obligation pour le décideur de justifier tout effet néfaste. Je pense encore que ces modifications auraient grandement renforcé le projet de loi. Nous essayons d’être très soigneux en ce qui concerne les modifications que nous demandons, mais vous avez illustré l’un des problèmes fondamentaux de l’évaluation environnementale au Canada.

La sénatrice McCallum : Je vous remercie de vos exposés. Je tiens à revenir sur les effets cumulatifs. Cette fois, il est question des puits abandonnés de l’Alberta.

L’Institut C.D. Howe a examiné le nombre de puits qui ne sont plus productifs et qui n’ont pas été entièrement assainis. Dans cette seule province, ils sont au nombre de 155 000. Les coûts d’assainissement d’un seul puits s’élèveraient à 304 000 $. Les coûts futurs de remise en état totaliseraient donc 47,1 milliards de dollars.

Dans l’un des livres, j’ai lu qu’un développement économique semble survenir lorsque nous nettoyons ou tentons de nettoyer nos anciens dégâts. Cependant, lorsque nous avons rencontré un groupe aujourd’hui, ses membres nous ont dit que l’Alberta avait reçu les fonds nécessaires pour remettre en état certain des puits abandonnés et que la province n’était pas en mesure de réaliser autant de travaux.

Est-il possible d’être respectueux de l’environnement et d’encourager la viabilité économique, alors qu’il y a tant de nettoyage à faire en ce moment? Comment peut-on trouver un juste équilibre? Je comprends la nécessité de stimuler le développement économique, mais la surveillance était tellement minime auparavant que nous semblons en payer le prix aujourd’hui. Est-il possible d’atteindre simultanément ces deux objectifs?

M. Ginsberg : C’est là une question très importante. Je vous remercie de l’avoir soulevée. Premièrement, je soulignerais peut-être simplement qu’Ecojustice s’est réjoui d’avoir participé à la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Redwater , une décision qui a confirmé que lorsque des responsabilités existent en matière de puits abandonnés, les entreprises ne peuvent pas favoriser les intérêts d’autres créditeurs avant d’avoir, en fait, nettoyé leurs dégâts. Avec un peu de chance, cela devrait contribuer un peu à régler ce grave problème systémique que vous avez repéré, madame la sénatrice.

En ce qui concerne le projet de loi, je pense que cela témoigne de l’importance d’y intégrer des considérations générales à propos du bien-être de la planète. Il faut examiner la viabilité économique future non seulement d’une entreprise particulière ou même du pays en entier, mais aussi celle des gens et des collectivités qui appuieront la mise en œuvre du projet. Il faut aussi tenir compte de cela. Il faut prendre des dispositions adéquates pour assurer le nettoyage de ces terres et garantir que le projet ne nuit pas indûment à d’autres perspectives d’utilisation de ces terres. Et cela s’applique aussi et peut-être encore plus aux utilisations de ces terres par les Autochtones qui, comme vous l’avez signalé plus tôt, se servent souvent de ces terres pour assurer leur subsistance.

La nécessité de prendre des mesures d’atténuation et d’examiner les projets d’une manière plus générale contribuera un peu, je l’espère, à nous aider à atteindre l’équilibre auquel vous faites allusion.

Le sénateur Wetston : Je vous remercie d’être venus. Si je peux me permettre, j’aimerais obtenir quelques précisions. Il s’agit réellement d’une question très précise concernant le changement climatique et les critères. Je comprends certainement les inquiétudes que nous éprouvons tous au sujet du changement climatique et de la nécessité de lutter contre ses effets. Bien entendu, il reste à savoir comment on peut le faire. Il est évident que le changement climatique a aussi des répercussions économiques plutôt importantes. J’aimerais comprendre, si possible, votre point de vue concernant les facteurs énumérés à l’article 22 et, bien entendu, la prise en compte du changement climatique. Je m’interroge à cet égard.

Vous conviendriez probablement que, si un promoteur fait valoir un projet de construction d’un pipeline interprovincial, par exemple, il lui incombera d’assumer le fardeau lié à la présentation des preuves nécessaires pour appuyer le projet. En outre, je pense que bon nombre d’intervenants et d’autres parties concernées auront des opinions à communiquer, qui seront examinées par une commission d’examen, disons.

Madame Johnston, vous avez mentionné cela il y a un moment mais, pour plus de clarté, j’aimerais savoir quel genre de preuves, par exemple, un promoteur pourrait présenter pour assumer, le cas échéant, le fardeau de la preuve.

Mme Johnston : Je suis heureuse que vous ayez utilisé le mot « fardeau ». C’est là une autre modification que nous avons demandée à la Chambre. D’après mon expérience, le fardeau de la preuve n’incombe pas au promoteur. C’est plutôt le public, les Autochtones et d’autres intervenants qui sont forcés de réfuter les preuves du promoteur.

Donc, dans le cadre d’une évaluation environnementale, on présume que les preuves présentées... Le promoteur rédige l’évaluation environnementale qui est étudiée par la suite par l’organisme ou la commission d’examen.

Donc, on présume que les renseignements présentés par le promoteur constituent la meilleure information disponible.

Le sénateur Wetston : Je vois.

Mme Johnston : Nous pourrions entrer dans les détails techniques des considérations climatiques mais, si je comprends bien votre question, vous pensez...

Le sénateur Wetston : Je ne sais jamais ce que je pense, mais cela ne pose pas de problème. Je ne vois pas d’inconvénient à ce que vous laissiez savoir ce que je pense.

J’essaie de comprendre comment les affaires de ce genre avanceraient et quels seraient certains de leurs éléments. Je pense que vous dîtes que le promoteur n’assume pas le fardeau de la preuve et que, parce qu’il s’agit d’une évaluation d’impact ou d’une évaluation environnementale, ce fardeau incombe aux groupes autochtones ou aux groupes environnementaux. Ils sont forcés d’assumer le fardeau lié au démenti des preuves du promoteur, au lieu d’en assumer seulement la responsabilité. Cette question est intéressante, et j’aimerais y réfléchir. Permettez-moi d’aller un peu plus loin.

Si c’était le cas, je crois comprendre, disons, que, si un rapport de commission d’examen est envoyé au Cabinet... Il s’agira d’un seul rapport mais, si le projet est lié à un pipeline, le rapport remplira deux fonctions. Le rapport comportera une partie qui traite des conditions importantes qui peuvent être associées à l’obtention d’un certificat de commodité et de nécessité publiques. Je pense que c’est le cas. J’imagine que le fardeau de la preuve liée à cette partie du rapport, si elle est requise, incomberait au promoteur. Ne croyez-vous pas que ce serait le cas?

Mme Johnston : Je suppose que, en vertu du projet de loi, le promoteur doit prouver à la commission que le projet remplit les conditions de commodité et de nécessité publiques. En ce qui concerne le fondement scientifique des preuves — et j’espère que, grâce à la Loi sur l’évaluation d’impact et l’accent mis sur le savoir autochtone, la barre sera relevée —, je suis tentée de dire qu’il a tendance à être faible. Je pense que le problème le plus grave est lié aux décisions prises par l’Office national de l’énergie en vue d’écarter les effets connexes, comme ceux en amont et en aval.

Le sénateur Wetston : Ou ce qui a pu se produire dans le cas du TMX et du transport maritime. Est-ce que ce serait un exemple d’effets connexes?

Mme Johnston : Oui, le projet d'agrandissement du réseau de Trans Mountain (TMX) serait un exemple, ainsi que le cas de la canalisation 9, qui découlait des effets connexes du pipeline, des activités en amont et en aval. Oui, c’est la décision liée à TMX qui a incité l’Association canadienne des producteurs pétroliers à demander que l’organisme puisse évaluer et éliminer, au besoin, des promoteurs de projets.

Le sénateur Wetston : Je serais heureux de participer à la deuxième série de questions si j’en ai l’occasion.

La présidente : Il n’y aura pas de deuxième série de questions. Désolée.

Le sénateur Neufeld : Je vous remercie tous les deux de votre présence. Je tiens à mentionner quelques points afin qu’ils figurent dans le compte rendu. Premièrement, le comité de la Chambre des communes — et, Madame Johnston, vous affirmez qu’ils ont tous eu l’occasion de comparaître devant le comité de la Chambre des communes — a examiné le projet de loi, qui est déjà un compromis.

Selon mes notes, le comité a entendu 117 témoins, dont 49 proposés par le gouvernement. Le comité a organisé 14 séances à ce sujet. Toutefois, le comité n’a invité aucune entreprise de pipelines et aucun gouvernement provincial ou territorial. Aucune autorité portuaire et aucun distributeur de gaz naturel ou fournisseur de services énergétiques n’a pu participer aux audiences.

Le comité a entendu les trois gigantesques intervenants, je suppose, notamment Suncor, l’ACPP et l’Association canadienne des pipelines d’énergie, qui ont été en mesure de comparaître. Je pense qu’il est juste de mentionner cela pour le compte rendu, car c’est ce qui s’est produit pendant les séances du comité de la Chambre des communes.

Deuxièmement, je vis à Fort St. John, et je connais B.C. Hydro et le barrage du site C. Ils n’ont pas fait appel à la BCUC, parce que cela aurait ajouté des coûts couverts par les contribuables. B.C. Hydro avait déjà effectué tous les travaux nécessaires. Je sais que cela n’était peut-être pas suffisant pour certaines personnes comme vous, mais ces travaux suffisaient.

Je dois vous poser une question au sujet des listes de projets ou de la portée des projets. C’est un des problèmes que soulève l’industrie. Êtes-vous d’accord avec l’idée que la liste de projets devrait être définie dans la loi, ou pensez-vous qu’elle devrait plutôt se trouver dans la réglementation, qui peut facilement être modifiée par quiconque sans même revenir devant le Parlement? Ne serait-il pas préférable qu’elle se trouve dans la loi?

Mme Johnston : Aux fins du compte rendu, j’ai mentionné que les associations de l’industrie ont toutes comparu devant le comité de la Chambre, et c’est vrai.

Je suis d’accord avec M. Elgie. Je pense que la loi est trop rigide et que certains éléments doivent se trouver dans la réglementation. Je pense qu’il serait très utile d’avoir des critères dans la loi même, dans la Loi sur l’évaluation d’impact. Dans la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale originale, la liste d’étude détaillée se trouvait dans la réglementation, tout comme, dans le cas de la loi de 2012, la liste de projets se trouvait dans la réglementation, car, lorsque de nouveaux projets surgissent, lorsque de nouvelles technologies naissent et que de nouveaux impacts commencent à nous inquiéter, il faut avoir la souplesse nécessaire pour pouvoir modifier la liste de projets pour en ajouter, en retirer, ou modifier les seuils. À mon avis, il serait utile de prciser la liste et sans doute d’avoir des critères dans la loi même.

M. Ginsberg : Je vous remercie de poser la question. Comme les précédents témoins l’ont mentionné, la loi de 2012 a aboli, et c’est un des changements malheureux, le mécanisme législatif qui enclenchait l’évaluation des projets. Même dans ce cas, toutefois, il a fallu que le règlement inclue quelques directives afin que nous sachions quel projet devait faire l’objet, par exemple, d’une étude approfondie et quelles lois enclenchaient l’évaluation.

Il est très difficile de ne pas s’en remettre en partie à la réglementation pour déterminer quels projets doivent être évalués. J’aurais aussi aimé voir une liste de projets pour avoir une idée de ceux auxquels la loi s’applique, mais même si la liste demeurait exactement la même, le projet de loi améliorerait le processus dans son ensemble, et il est donc utile.

La présidente : Je vous remercie beaucoup de vos témoignages et de vos réponses.

Nous allons passer à notre prochain et dernier groupe de témoins. Pour la troisième partie de la séance, le Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles accueille maintenant M. Andrew Roman, avocat retraité, et, par vidéoconférence depuis Montréal, M. Martin Papillon, professeur agrégé, Université de Montréal, à titre personnel.

Merci d’être avec nous ce soir. Je vais inviter M. Papillon à nous présenter sa déclaration liminaire.

[Français]

Martin Papillon, professeur agrégé, Université de Montréal, à titre personnel : Tout d’abord, merci de me permettre de comparaître par vidéoconférence. Je vous en suis reconnaissant.

Je vais témoigner ce soir en ma capacité de chercheur et de spécialiste sur les questions autochtones, plus particulièrement en matière de gouvernance autochtone. Je m’intéresse depuis quelques années, de manière comparée, à la place qu’occupent les peuples autochtones dans la prise de décisions en matière de gestion des terres et des ressources naturelles dans différents pays, dont le Canada. Ma contribution à l’étude du projet de loi C-69 va donc se limiter aux questions touchant plus spécifiquement les peuples autochtones. Mon objectif, à cette étape de l’étude du projet de loi, est peut-être moins de faire des recommandations spécifiques sur le libellé du projet de loi ou sur les articles en particulier, mais plutôt d’inviter les membres du comité à réfléchir, de façon globale, à la manière dont ce projet de loi, tel qu’il est formulé, contribue ou non à l’important projet de réconciliation entre le Canada et les peuples autochtones.

La réconciliation est un vaste projet qui peut sembler abstrait. C’est un discours parfois général et pavé de bonnes intentions. On dit souvent que les gouvernements parlent de réconciliation sans vraiment passer à l’action. On a tout de même des guides qui peuvent nous donner des indications sur ce qui nous permettrait de conclure qu’un tel projet de loi est conséquent avec les engagements du gouvernement du Canada en matière de réconciliation avec les peuples autochtones. Il y a les 94 appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation, qui suggèrent au gouvernement de faire de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones la pierre d’assise de la réconciliation. Il y a aussi, de la part du gouvernement, des indications pour savoir comment est perçue cette réconciliation. Les grands principes ont été définis par le gouvernement afin de favoriser la réconciliation et une relation harmonieuse avec les peuples autochtones. Nous avons devant nous un projet de loi qui, s’il est bien fait, peut jouer un rôle important et fondamental en matière de réconciliation avec les peuples autochtones.

Vous avez sans doute entendu, dans les témoignages, que la question de la reconnaissance des droits inhérents des peuples autochtones, des systèmes, des traditions juridiques et de la gouvernance autochtone sur le territoire est vraiment au cœur de ce projet de loi. Il est donc important de s’interroger sur la valeur de ce projet de loi à la lumière de ces éléments.

En gros, la question que je pose aujourd’hui, et à laquelle j’offrirai sans doute une trop brève réponse, c’est celle de savoir si le projet de loi C-69 est conséquent avec une démarche fondée sur la réconciliation. Comme tout bon chercheur universitaire, ma réponse est oui et non. Cela dépend. Je dirais, en partie, que ce projet de loi a de très bons éléments et que d’autres éléments devraient peut-être être améliorés ou laissent à désirer. Je vais parler d’abord des bons côtés, si vous me le permettez, puis des éléments qui me semblent plus problématiques.

La première chose positive à souligner est le fait que ce projet de loi place les peuples autochtones, les droits des autochtones et les intérêts des peuples autochtones au cœur du processus d’évaluation des impacts. Cet aspect me semble essentiel. Dans le préambule, la réconciliation entre les peuples autochtones est évoquée. Il y a aussi le développement de la relation de nation à nation, de gouvernement à gouvernement. Ce sont des principes qui devraient, en théorie, guider la mise en œuvre de la loi. Ce sont des principes un peu larges et généraux, mais ils constituent une nette avancée par rapport à ce qui existait auparavant, et il faut le souligner.

Le préambule de chacune des lois dont traite ce projet de loi omnibus rappelle les engagements du Canada à l’égard du respect des principes énoncés dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. La Commission de vérité et réconciliation fait de la déclaration une des pierres d’assise de la réconciliation. Dans le préambule de ces lois, on s’engage à en respecter l’esprit. Ce principe, encore une fois, est un peu vague et général, mais il a son importance et représente une avancée importante, puisqu’on insère les principes de la déclaration dans un projet de loi.

Autre avancée importante, les autorités autochtones sont reconnues ici comme des instances. En anglais, on parle de jurisdiction, en français, on parle d’instance. Il y a une présence et une reconnaissance du fait que les autorités autochtones peuvent jouer un certain rôle, mais ont également une certaine autorité dans le processus d’approbation des projets. Autrement dit, les Autochtones ne sont plus seulement des parties intéressées, des groupes d’intérêt ou des groupes de citoyens intéressés, mais bien des instances avec une autorité dont on reconnaît la compétence. Malheureusement, cette compétence n’est pas définie dans le projet de loi. Toutefois, le simple fait de reconnaître les autorités autochtones comme des instances compétentes est une avancée importante.

Autre bon coup, les savoirs autochtones sont reconnus et occupent une place importante dans le processus d’évaluation des projets. L’Agence canadienne d’évaluation des impacts doit notamment démontrer dans son rapport de quelle manière les connaissances autochtones ont été prises en compte dans l’évaluation des projets. On reconnaît également la propriété intellectuelle de ces savoirs et l’exigence de confidentialité, lorsque nécessaire, par rapport à ces savoirs. Ce sont des éléments importants, et on pourra en parler plus en détail, mais je tiens à les souligner tout de suite.

Ensuite, et cet aspect est fondamental, l’impact sur les droits des peuples autochtones est dorénavant un critère explicite d’évaluation des projets. C’est sans doute l’avancée la plus importante en la matière et elle est considérable. On doit tenir compte maintenant formellement, parmi les critères d’évaluation, de l’impact des projets sur l’exercice des droits reconnus à l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

Le projet de loi favorise aussi la participation des Autochtones dans l’ensemble du processus dès le départ. Sans entrer dans les détails, cet élément me semble fort important. Il y a une vision beaucoup plus globale du rôle des Autochtones, et ce, du début à la fin.

Enfin, il s’agit peut-être de détails, mais ces aspects montrent l’importance qui est accordée aux peuples autochtones. L’Agence canadienne d’évaluation des impacts est appelée, d’une part, à développer son expertise et son savoir-faire en matière autochtone à travers des comités consultatifs, mais aussi des ressources qui y sont spécifiquement allouées — du moins, on mentionne dans le projet de loi la possibilité de développer ces ressources. L’agence est amenée à collaborer de plus près avec les instances autochtones, notamment dans le cadre des évaluations stratégiques, mais aussi à travers la négociation d’ententes et de protocoles dans le cadre des processus de consultation. Ce sont des pratiques qui existent déjà, mais qui sont ici formalisées et qui me semblent extrêmement importantes.

Je parlerai maintenant des limites et des moins bons coups. La reconnaissance des instances autochtones, comme je l’ai dit, est une très bonne chose. Toutefois, cette composante, à mon sens, comporte deux limites importantes qui se trouvent toujours dans la loi, bien que certaines modifications aient été apportées au projet de loi tel que présenté à l’origine à la Chambre des communes. D’une part, la définition des instances autochtones demeure trop restreinte. Les instances reconnues sont celles qui le sont formellement par la Couronne à travers les lois, les traités ou les accords. On peut penser, par exemple, aux conseils de bande, aux conseils tribaux et aux gouvernements autonomes.

Une des clés de la réconciliation, c’est la possibilité d’autodétermination. Dans son sens le plus simple, l’autodétermination est la capacité des peuples autochtones à déterminer par eux-mêmes qui ils sont, mais aussi qui les représente. Dans le projet de loi, on tient un peu pour acquis que c’est au gouvernement de décider qui est l’autorité légitime qui représente les Autochtones. Or, cet aspect me semble quelque peu problématique. On a vu récemment un exemple concret des problèmes que cela peut entraîner. Dans le conflit entourant le gazoduc GasLink en Colombie-Britannique, on a vu l’importance accordée à l’autorité des chefs traditionnels dans ce processus et le conflit et les tensions qu’il a engendrés avec les mécanismes de consultation gouvernementaux, mais aussi avec les ententes négociées avec la compagnie par le conseil de bande. La question de la définition des instances autochtones me semble ici problématique. On aurait avantage à laisser les Autochtones définir eux-mêmes quelles sont les instances qui les représentent.

Dans le même ordre d’idées, par rapport à la reconnaissance des instances autochtones, la nature de l’autorité reconnue à ces dernières est très vague. C’est une bonne chose, car cette autorité peut être étendue de manière considérable. Certains verront cet aspect comme étant un problème. Toutefois, il me semble que ce qui est reconnu ici, d’abord, se limite à ce qui est reconnu en droit canadien. Il y a très peu d’éléments dans le projet de loi sur la possibilité de reconnaître, de façon plus large, les droits inhérents liés aux titres ancestraux ou à la coexistence des systèmes de droit autochtone et canadien. Cet élément est au cœur de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, mais aussi des 10 principes énoncés par le gouvernement dans le but d’améliorer ses relations avec les peuples autochtones. Or, on ne retrouve pas du tout ce langage dans le projet de loi.

L’importance accordée aux droits ancestraux issus de traités dans le projet constitue un autre aspect très problématique. Ces droits sont reconnus comme un critère d’évaluation des projets. Cependant, selon mon interprétation — et on peut en discuter —, les droits sont reconnus comme un critère d’évaluation parmi d’autres. Cette question a été soulignée à plusieurs reprises, si je ne me trompe pas, au cours des audiences à la Chambre des communes.

La présidente : Monsieur Papillon, votre temps s’écoule. Je vais vous laisser conclure.

M. Papillon : Il me reste une minute, si vous me le permettez.

La présidente : D’accord.

M. Papillon : Les droits ancestraux issus de traités sont un critère parmi d’autres. Le comité d’experts, dans ses recommandations, suggérait que les droits ancestraux soient un critère transversal qui s’applique à l’ensemble des composantes de l’évaluation. À mon sens, c’était une très bonne recommandation. Or, malheureusement, elle n’a pas été retenue.

Je vais conclure en parlant de la nature de la participation autochtone. C’est un peu « l’éléphant dans la pièce » de ce projet de loi. Cela esquive complètement la question de la place du consentement autochtone dans le processus. Il est question de la déclaration des Nations Unies dans le projet de loi, il est question de consultations, mais il n’est aucunement question de circonstances dans lesquelles le consentement des peuples autochtones pourrait être exigé en matière de développement des ressources naturelles lorsque les projets portent atteinte aux droits ancestraux issus de traités. C’est pourtant au cœur de la déclaration de Nations Unies et de la réconciliation. On pourra en parler pendant la période des questions, mais le comité d’experts a proposé une façon de mettre en œuvre le consentement préalable et éclairé, et cela me semblait une excellente avenue. Or, le gouvernement a choisi de ne pas suivre ces recommandations et plutôt d’éviter complètement la question. Ce point de vue ne me semble pas conséquent avec un objectif de réconciliation. À mon sens, c’est sans doute l’aspect le plus problématique du projet de loi.

La présidente : Merci beaucoup.

[Traduction]

Andrew Roman, avocat retraité, à titre personnel : Madame la présidente, mesdames et messieurs les sénateurs, je vous remercie de votre invitation. Je ne représente personne d’autre que moi-même, et je n’ai aucune affiliation politique ou autre. Je viens de prendre ma retraite après quelque 45 ans de carrière comme avocat. Je pense qu’il est important que vous sachiez que j’ai compté parmi mes clients des Premières Nations, des groupes environnementaux, des sociétés et des gouvernements. Lorsque j’examine les enjeux actuels liés au projet de loi C-69, j’agis comme si je représentais un de ces groupes et devais les conseiller à son sujet. C’est ainsi que j’ai envisagé les choses.

J’en conclurais donc que j’appuie certains arguments présentés par les environnementalistes un peu plus tôt ce soir, par exemple, que les règles sur le droit de participation et les dispositions privatives sont en grande partie une perte de temps et n’accomplissent pas grand-chose.

J’appuierai également les propos de M. Elgie voulant qu’on ne puisse pas régler tous les problèmes de la terre et toutes les grandes questions grâce à ce genre d’évaluation. Par exemple, pour répondre à une question de la sénatrice McCallum, je dirais que si on veut protéger les caribous, alors pourquoi le faire seulement lorsqu’on propose de construire un pipeline et pourquoi le faire au détriment du pipeline? Il faut bien les protéger, et pas seulement lorsqu’on propose de construire un pipeline. Une évaluation d’impact ne sert pas à régler tous les problèmes de la terre.

Le projet de loi C-69 comporte des lacunes très importantes pour deux raisons, et l’une d’elles touche les Premières Nations de façon très importante. En effet, il maintient le pire problème de la loi de 2012, soit de séparer ceux qui entendent les témoignages de ceux qui prennent les décisions. Je pense que c’est une grave erreur, car on ouvre la porte aux problèmes lorsque le Cabinet prend les décisions sans entendre aucun témoignage, et que ceux qui entendent les témoignages ne prennent aucune décision. C’est sans doute une raison particulière pourquoi les Premières Nations ne seront pas d’accord avec ce projet de loi. J’entrerai dans les détails un peu plus tard.

Deuxièmement, après ce qui s’est passé avec Trans Mountain et la loi de 2012, on pourrait bien rebaptiser le projet de loi C-69, loi sur l’interdiction des pipelines, car il contient un élément de partialité qui dissuadera les constructeurs de pipelines de présenter une demande, et sans demande, vous ne saurez pas si la loi fonctionne bien dans les cas les plus difficiles, puisqu’il n’y en aura aucun.

Une des données les plus importantes que vous ne saurez jamais ici et que le gouvernement ne peut vous fournir est le nombre de promoteurs qui n’ont pas fait de demandes parce qu’on les en a dissuadés. Vous ne verrez pas ces demandes, et c’est là où le bât blesse.

Lorsque le pouvoir décisionnel est passé de l’Office national de l’énergie au Cabinet après l’adoption de la loi de 2012, cela a détruit l’intégrité du processus de consultation avec les Premières Nations. Je vous expliquerai pourquoi un peu plus tard. Cela a également détruit la transparence du processus décisionnel. Ces deux éléments sont censés être des objectifs de la loi, et ils ne seront pas plus atteints avec cette loi qu’avec la précédente, et ce, tant que le gouffre qui sépare ceux qui décident de ceux qui entendent les témoignages continuera d’exister.

Je dirais qu’il y a un élément de partialité évident — et cela renvoie à ce que M. Elgie a mentionné un peu plus tôt — dans l’apparence que certaines parties de l’article 63 proposé exigent que le Cabinet prenne en considération les effets négatifs, mais pas les effets positifs, afin de trouver un équilibre. Le libellé a donc un effet dissuasif. Je pense qu’il faut prendre en considération les deux éléments, puisque c’est ainsi qu’on arrive à une décision équilibrée.

Troisièmement — et je pense que c’est un point important et je vous donnerai des chiffres plus tard —, le projet de loi C-69 exige que trop de travail soit accompli en trop peu de temps. L’utilité de beaucoup d’éléments est discutable, et il faut émettre beaucoup d’hypothèses sur des choses pour lesquelles il est impossible de présenter des preuves sérieuses.

Il est inutile de prévoir des délais dans la loi. L’expérience des 25 dernières années le montre bien. Les audiences dureront le temps qu’elles doivent durer. On ne peut pas les interrompre à mi-parcours parce que le délai prévu dans la loi est atteint. Le ministre devra prolonger la durée à répétition. Si on veut réduire la durée, il faut réduire la charge de travail.

Je vous recommande tous de lire le rapport dont j’ai pris connaissance après avoir préparé mes documents et qui se trouve dans l’édition de septembre 2018 de la Publication trimestrielle sur la réglementation de l’énergie; il s’intitule Examens de projets énergétiques fédéraux: échéanciers dans la pratique.

On y apprend, à ma grande surprise, que les évaluations fédérales canadiennes peuvent prendre deux à trois fois plus de temps que les évaluations aux États-Unis sous la loi actuelle, qui ne contient que 12 exigences obligatoires, alors qu’il y en aura 20 dans la nouvelle loi, soit presque le double.

À titre d’exemple, il a fallu huit ans pour le pipeline Northern Gateway, six ans pour celui de la vallée du Mackenzie, encore six ans pour le prolongement de Jackpine, et cinq ans et demi pour celui de Darlington. Quand on arrive à la fin du processus, tous les faits ont changé et il faut recommencer l’exercice.

Cela ne peut pas continuer et ne fonctionnera probablement jamais. Je pense qu’il faut réduire la charge de travail.

Le quatrième élément est le devoir de consultation de la Couronne auprès des Premières Nations, un élément problématique et qui le demeurera, car la Cour suprême du Canada et les tribunaux fédéraux ont dit des choses différentes dans des causes différentes et dans des circonstances différentes. Je ne pense pas que quiconque sache comment bien faire les choses. Si on me demandait de mener des consultations, je ne saurais pas comment bien faire les choses ou comment conseiller à quelqu’un de bien le faire, malgré la bonne volonté de chacun.

À mon avis, il y a beaucoup d’incertitudes auxquelles on ne peut remédier — car cela ne fait pas partie de la Constitution écrite —, que dans un exposé des faits, et j’ai indiqué dans mon mémoire comment cela pourrait fonctionner.

Je pense également que vous pouvez remédier au problème qu’ont les Premières Nations en remettant la prise de décision entre les mains de ceux à qui elle revient, c’est-à-dire ceux qui entendent les témoignages. Ce faisant, ceux qui procèdent aux consultations peuvent faire davantage que prendre des notes et acheminer des mémos savants jusqu’au sommet où ils disparaissent dans la boîte noire qu’est le Cabinet.

Cinquièmement, et je pense que cela concerne aussi bien l’électricité que les pipelines, et c’est le fait qu’on aura besoin de nouvelles lignes de transmission si on veut étendre à grande échelle la production d’énergie renouvelable. On aura besoin de lignes nord-sud et de lignes interprovinciales. Il faudra procéder à des évaluations. Si le processus d’évaluation est aussi long et exigeant qu’il l’est actuellement, on ne sera pas en mesure de déployer les énergies renouvelables aussi rapidement qu’on le voudrait quand on veut limiter le changement climatique et réduire notre dépendance aux énergies fossiles, car les lignes électriques font aussi l’objet d’âpres débats. Personne ne veut les avoir dans sa cour. Il y aura beaucoup d’opposition là également.

C’est ce qui met fin à ma déclaration liminaire.

Le sénateur MacDonald : Monsieur Roman, je vous remercie d’être avec nous aujourd’hui. On pourrait vous poser tant de questions. J’en ai quelques-unes ici.

Toutes les sociétés dans les secteurs pétrolier, gazier et des ressources naturelles se sont dites très préoccupées par la possibilité de litiges après l’approbation de tout projet sous le projet de loi C-69. Pensez-vous que le projet de loi pourrait accroître les possibilités de litige?

M. Roman : Selon moi, il est fort possible qu’il entraîne des litiges à n’en plus finir, comme celui de Trans Mountain sous l’ancienne loi. Il accroît les possibilités, notamment parce que toute nouvelle loi contient de nouveaux termes, mais aussi parce que de nombreux termes importants ne sont pas définis ou ont un libellé déficient.

Prenons le terme « durabilité », par exemple, dont on a parlé un peu plus tôt. Quand on regarde sa définition, on se rend compte que cela n’a pas de sens du point de vue légal. Une bonne politique est bonne lorsqu’on la décrit dans le langage des politiques. Quand on transpose ce langage dans une loi, on commence alors à avoir des problèmes.

Je vois la possibilité de longs litiges sur beaucoup de conditions, et je pense que la profession juridique n’a jamais rien de vu de plus merveilleux au Canada, à tous les points de vue. Dommage que je sois à la retraite maintenant, car j’aurais pu m’enrichir énormément.

Le sénateur MacDonald : Pouvez-vous nous donner une idée approximative de ce qu’il en coûte normalement à un promoteur pour passer toutes les étapes du processus d’évaluation et lancer un projet de pipeline de grande envergure? Pensez-vous que les promoteurs seront prêts à risquer les mêmes sommes d’argent dans le futur si le projet de loi est adopté?

M. Roman : Cela peut prendre de trois à cinq ans de préparation avant même de présenter une demande. Puis viennent les audiences et tout ce qui s’ensuit. Les chiffres que j’ai vus vont de 700 millions à un milliard de dollars. Avant de risquer de telles sommes d’argent, les gens doivent examiner soigneusement s’ils seront en mesure de récupérer leur argent, si leur projet à de bonnes chances d’être approuvé, ou s’ils vont devoir finir par abandonner parce que leurs actionnaires et leur conseil d’administration vont vouloir y mettre un terme.

Vous noterez que, dans le cas de Trans Mountain, la société n’a pas attendu la décision de la Cour fédérale. Elle y a mis un terme avant. Puis, le gouvernement fédéral a procédé au rachat.

Je pense que si vous multipliez les éléments dissuasifs, vous aurez des problèmes.

La sénatrice Cordy : Merci beaucoup. Merci à nos deux témoins d’être avec nous aujourd’hui.

Monsieur Roman, avant Noël, j’ai reçu des centaines de courriels tous les jours de Suits and Boots, qui réclamait votre comparution comme témoin. Je suis donc heureuse de vous rencontrer.

M. Roman : C’est gentil de leur part, mais je ne suis pas leur témoin.

La sénatrice Cordy : Peu importe, ils en envoyaient des centaines par jour.

M. Roman : Nous aimons tous avoir des admirateurs.

La sénatrice Cordy : C’est vrai. Dans une de vos conclusions, vous dites que, pour prendre les bonnes décisions, il ne faut pas regarder seulement les effets négatifs, mais aussi les effets positifs des projets. C’est seulement une phrase. Je me demande si vous pourriez nous en dire un peu plus à ce sujet et nous parler de l’importance que cela a pour que nous n’ayons pas d’élément de partialité.

M. Roman : On est censé examiner les deux, même quand on parle de critères de durabilité. Quand on regarde ce que contient l’article 63, et j’ai créé un tableau dans mon blogue pour tous les amendements que je propose, donc, si vous regardez sur mon blogue, vous y trouverez un très long tableau contenant, article par article, les amendements qui devraient être apportés à mon avis, entre autres pour éliminer cet élément de partialité.

À l’article 63, où on parle des effets et des impacts négatifs, on devrait ajouter le mot « positifs ». Je pense que c’est ce qu’a dit M. Elgie, et je suis d’accord avec lui. S’il y a peu d’éléments positifs, on ne veut pas aller de l’avant. S’il y a beaucoup d’éléments négatifs, on ne veut pas aller de l’avant, mais il faut avoir un portrait global.

La sénatrice Cordy : Merci. Monsieur Papillon, vous avez parlé des aspects positifs du projet de loi et des changements positifs qui ont été faits par rapport à celui de 2012, mais vous nous avez aussi fait part de quelques inquiétudes. À la toute fin, vous avez parlé du poids des droits ancestraux et des droits issus de traités quand vient le temps de prendre des décisions sur les évaluations de projets.

Comme vous avez maintenant un peu de temps, pourriez-vous nous en dire plus sur la façon de procéder dans le cas des évaluations d’impact?

M. Papillon : Je pense que les problèmes viennent du fait que les droits des Autochtones et issus de traités font partie de la liste des critères à considérer au moment de prendre les décisions. Il s’agit d’un critère parmi d’autres. Comme les autres témoins viennent de le mentionner, un des problèmes fondamentaux est qu’on en tient compte au moment de l’évaluation d’impact, mais que le ministre, au moment de prendre sa décision, doit prendre en compte tous les critères, si bien que les droits des Autochtones et issus de traités sont un critère parmi d’autres. Le ministre n’a pas l’obligation, selon notre interprétation du projet de loi, de tenir compte de manière rationnelle d’une atteinte, ou d’une atteinte potentielle, aux droits des Autochtones et issus de traités autrement que dans le contexte général des critères qui sont mentionnés lorsqu’il prend sa décision.

Je pense que cela pose problème. Je pense qu’une façon de régler cela serait de faire participer les peuples autochtones au processus décisionnel comme tel, plutôt qu’uniquement au processus de consultations dans le processus d’évaluation d’impact.

Le sénateur Woo : Monsieur Papillon, quand vous avez parlé d’élargir la définition des instances de gouvernance autochtones, je pense que cela a du sens. Je viens de la Colombie-Britannique, alors je vois l’intérêt que cela aurait dans ma province.

Comme vous l’avez mentionné également, il y a des différends au sein même des groupes des Premières Nations, et lorsque c’est le cas, comment un projet pourrait-il aller de l’avant en temps opportun?

J’aimerais souligner, et vous le savez sans doute, que la nouvelle loi d’évaluation environnementale de la Colombie-Britannique inclut exactement ce que vous recommandez, et la loi prévoit un mécanisme de règlement des différends, ce qui est loin d’être le cas du projet de loi C-69.

Comment régleriez-vous le problème des différends au sein des instances de gouvernance autochtones?

M. Papillon : C’est une grande question. Je ne pense pas qu’un projet de loi sur les évaluations environnementales soit le bon endroit pour régler le problème. C’est un problème qui va bien au-delà, naturellement. C’est un problème qui touche à la négociation des ententes, à la conclusion des traités, à la reconnaissance du pouvoir législatif autochtone. L’approche adoptée par la Colombie-Britannique n’est pas mauvaise. L’autre point important à souligner est qu’en adoptant une approche globale de reconnaissance des autorités autochtones, il leur revient alors de définir eux-mêmes qui sont leurs représentants.

C’est une bonne chose, en fait. Les peuples autochtones ont alors la responsabilité de décider entre eux qui sont leurs représentants dans ce contexte, plutôt que de voir le gouvernement imposer les conseils de bande en tant qu’autorités légitimes. Il est plus sensé de laisser les peuples autochtones décider qui sera l’autorité dans certaines circonstances, par exemple, pour les projets qui touchent les territoires ancestraux, ou les terres revendiquées en vertu d’un titre.

À mon avis, la clarté viendra de la responsabilisation. Je suis peut-être un peu naïf, mais je crois que la responsabilisation améliore la gouvernance.

Le sénateur Woo : Monsieur Roman, recommandez-vous l’élimination de certains des facteurs de l’article 22 de la loi, et si oui, lesquels?

M. Roman : Je pense qu’il y en a beaucoup trop.

Le sénateur Woo : Lesquels souhaitez-vous supprimer?

M. Roman : Je remplacerais « prend en compte » par « peut prendre en compte » pour qu’ils soient facultatifs parce que, dans la moitié des cas, nombre de ces facteurs ne seront pas pertinents. Dans d’autres cas, ils le seront tous.

Le sénateur Woo : Vous jugez qu’il n’est pas suffisant qu’ils puissent être circonscrits dans les lignes directrices dites « adaptées »?

M. Roman : Non, ce n’est pas suffisant parce que c’est ce qui a causé le problème dans le cas de Trans Mountain. Dès que vous circonscrivez des facteurs, vous dites : « Je ne vais pas examiner les éléments de preuve sur cette question », et les personnes qui souhaitent soumettre des éléments de preuve sur ce sujet ne peuvent alors plus le faire, et elles intenteront un procès contre vous.

Le sénateur Woo : Malgré le fait que l’agence soit obligée de couvrir tous les facteurs?

M. Roman : Lorsque l’agence est obligée de couvrir tous les facteurs, comme c’est actuellement le cas, elle doit disposer d’éléments de preuve sur chacun d’eux. Certains de ceux que j’ai mentionnés dans mon blogue sont hypothétiques.

Par exemple, si vous utilisez le principe environnemental selon lequel vous devez penser mondialement et agir localement, lorsque vous étudiez les émissions de CO2 et les questions environnementales, vous devez vous demander quelle quantité de CO2 supplémentaire sera produite de notre côté et quelles seront les économies en CO2 réalisées de l’autre. Le problème est que nous ne savons pas ce que vont faire les Chinois lorsqu’ils achèteront le pétrole. Vont-ils l’utiliser comme carburant pour leurs voitures ou comme substitut de charbon? S’ils l’utilisent pour remplacer le charbon, la réduction des émissions de CO2 qu’ils obtiendront pourrait très bien dépasser la quantité que nous avons ici, mais nous ne savons pas ce qu’ils vont faire.

Le sénateur Woo : Si c’est la question qu’ils posent.

M. Roman : C’est l’une des questions que nous sommes censés étudier.

La présidente : Monsieur Roman, après avoir entendu votre exposé, j’ai l’impression que vous pensez qu’il n’est pas nécessaire de réaliser une évaluation d’impact sur l’environnement. Comment la société tient-elle compte du changement climatique, des effets cumulatifs et de la réconciliation avec les peuples autochtones? Qui doit le faire et où, dans quel type de texte de loi?

M. Roman : Si vous pensez que je suis contre la réalisation d’une évaluation environnementale ou d’une évaluation d’impact, vous avez mal compris mon point de vue. J’y suis favorable, mais, comme l’a dit M. Elgie, vous ne pouvez pas les étirer de manière excessive pour régler des problèmes que vous ne pouvez pas régler en tenant une brève audience.

La présidente : Voulez-vous suggérer des modifications particulières?

M. Roman : J’en ai une longue liste. Il me faudrait des heures pour toutes vous les communiquer ce soir, mais je les ai toutes consignées par écrit. Elles sont sur mon blogue, et j’ai fourni un lien vers celui-ci dans le mémoire que j’ai imprimé. Je m’en tiendrais à celle-ci et, parce que je sais que le Sénat n’est pas la Chambre des communes, j’ai fait preuve de parcimonie dans les modifications que je vous ai suggéré d’apporter, en tenant compte de vos rôles respectifs.

Si vous preniez ces modifications et les envoyiez à la Chambre, ou vous les incluiez dans votre rapport, ils vous diraient : « Ces changements ne vont pas trop loin, et nous pensons qu’ils règlent certains problèmes. »

Le sénateur Wetston : Monsieur Papillon, la loi fait des allusions importantes aux connaissances autochtones. Elle renvoie également à celles-ci dans le contexte de la confidentialité. Il me semble que les promoteurs, les environnementalistes et d’autres intervenants pourraient souhaiter avoir accès à ces renseignements pour comprendre ce que le comité d’examen étudiera et, plus tard, ce que le Cabinet examinera. Cela vous pose-t-il problème?

Assurément, lorsque les délibérations ont des conséquences juridiques importantes, il serait logique que ces renseignements soient mis à disposition dans le cadre de délibérations à huis clos, auxquelles les tribunaux et les avocats sont habitués. Qu’en pensez-vous?

M. Papillon : L’autre témoin pourra peut-être en dire davantage, compte tenu de son expérience, mais je crois comprendre que ce qui préoccupe les peuples autochtones est la révélation de l’utilisation traditionnelle des terres dans le contexte d’une évaluation d’impact sur l’environnement lorsque ces renseignements peuvent être pertinents pour des affaires en instance, par exemple, relativement à un titre ou à la revendication de droits ancestraux.

La diffusion de ces renseignements dans un contexte différent pourrait avoir des conséquences pour l’avenir. Il existe des enjeux liés à la propriété intellectuelle. Le problème est donc présent, et il est constant. C’est également l’une des raisons pour lesquelles les ententes sur les répercussions et les avantages, par exemple, sont souvent confidentielles. Il y a d’autres motifs, mais cela est assurément l’un d’eux.

Est-ce une bonne chose ou une mauvaise chose? C’est une bonne chose si cela permet aux Autochtones de participer pleinement au processus et d’utiliser leurs connaissances traditionnelles et leurs connaissances de l’utilisation des terres pour mener l’évaluation d’impact, parce que ces renseignements peuvent alors être pris en compte dans le cadre du processus.

L’évaluation devrait-elle être entièrement transparente? Dans l’idéal, oui, mais on peut probablement établir un juste équilibre entre ces intérêts concurrents. Selon mon interprétation du projet de loi, ce dernier parvient, d’une certaine façon, à établir cet équilibre. Je peux me tromper, mais je crois comprendre que c’est le cas.

Le sénateur Wetston : Monsieur Roman, souhaitez-vous formuler des commentaires à ce sujet?

M. Roman : Les éléments de preuve secrets posent toujours problème. Ils déclenchent des litiges. Il est également condescendant envers les membres des Premières Nations — parce que je les ai vus, et ce sont de très bons témoins — de suggérer qu’ils doivent présenter leurs éléments de preuve en secret. Cela revient presque à dire qu’ils ne sont pas aussi bien que les autres parce qu’ils ne peuvent pas présenter leurs éléments de preuve en public. À moins qu’il y ait une raison particulière que personne n’a mentionnée, je ne vois pas d’explication.

Le sénateur Wetston : J’aimerais approfondir cette notion. Vous avez décrit une situation dans laquelle le comité d’examen réalise le travail de fond, puis se présente devant le Cabinet, ou le ministre et le Cabinet, et une décision est prise en fonction des considérations liées à l’intérêt du public. Cette situation engendre des niveaux élevés d’incertitude, non seulement pour les promoteurs, mais aussi pour les groupes autochtones et les environnementalistes, parce qu’il est difficile de savoir quelle décision sera prise.

Dans ce contexte, comment faites-vous face aux changements apportés aux politiques gouvernementales? Il est évident que cela pourrait se produire; cela est déjà arrivé. Comment faites-vous face à ce problème d’un point de vue juridique et sous l’angle de la prédictibilité si vous participez à ce processus?

M. Roman : C’est très difficile, mais lorsque le dossier arrive au Cabinet, il n’est plus possible d’assurer la transparence. Nous plaçons la décision entre les mains des personnes qui sont les moins qualifiées pour la prendre, si je peux m’exprimer ainsi.

Elles n’ont pas vu les éléments de preuve. Elles n’ont pas l’expertise du comité. Elles ne vont pas passer des mois à lire 10 000 pages de rapports.

Elles vont plutôt recevoir un résumé préparé par le Bureau du Conseil privé. Elles vont recevoir un résumé préparé par quelqu’un du cabinet du premier ministre qui regarde où il peut aller chercher des votes, et elles prendront une décision en fonction de ce critère.

Si un changement est apporté aux politiques gouvernementales sur l’évaluation environnementale ou l’évaluation d’impact, il ne devra pas s’agir d’un changement si radical que la loi ne peut être modifiée. Ils n’ont pas besoin de changer leur décision en coulisses, là où les parties ne pourront jamais voir ce qui s’est passé.

Le sénateur Neufeld : Monsieur Roman, vous avez répondu au sénateur Wetston au sujet des Premières Nations. Nous avons ici des membres des Premières Nations qui peuvent fournir une bien meilleure explication que moi. Voici mon expérience : j’ai rendu visite à des Premières Nations là où j’habite, dans le nord-est de la Colombie-Britannique, et je leur ai demandé de me dire quelles étaient leurs préoccupations quant au fait que la province ait mis des terres en vente et ait autorisé l’industrie pétrolière et gazière, ou l’industrie minière à chercher du pétrole et du gaz, ou des minéraux. Elles ont répondu que non, elles ne voulaient pas que ces renseignements soient diffusés au public, et qu’elles préféraient résoudre ce problème après la vente des terres. Ensuite, si quelqu’un veut réaliser des forages, pendant tous les processus qui se dérouleront là-bas, elles révéleront les secteurs qui leur posent problème. Dans le cas contraire, ces secteurs seraient grand ouverts, et toute personne pourrait les examiner et y trouver quelque chose qui revêt une importance particulière pour elle.

Il ne s’agit pas tant d’assurer la confidentialité, mais d’essayer de protéger ce qu’ils considèrent comme sacré.

M. Roman : Je ne trouve pas que cela soit difficile, mais je pense, comme l’a dit le sénateur Wetston, que cela peut être réalisé grâce au mécanisme d’audience à huis clos établi. Toute personne qui pratique ce type de droit sait le faire. Le processus est toujours réalisé à huis clos, mais les autres parties peuvent être présentes. Une transcription des audiences tenues à huis clos est conservée pour qu’elles ne puissent pas disparaître soudainement.

L’autre préoccupation relative aux éléments de preuve secrets est qu’ils peuvent être présentés au ministre avant ou après l’audience. Le ministre a le pouvoir d’empêcher que des éléments de preuve soient présentés au cours d’une audience. Il peut ensuite parler au Cabinet et lui dire : « Je sais que nous avons tenu cette audience, mais on vient de me dire ceci la semaine dernière, alors ne le faisons pas. » Dans ce cas, le promoteur ne saura jamais ce qui s’est passé. Personne ne saura ce qui s’est passé, et ce n’est pas une bonne façon de procéder.

[Français]

Le sénateur Massicotte : Merci d’être parmi nous cet après-midi. Monsieur Papillon, dans le préambule, on parle du projet de loi C-262 et du besoin de donner un consentement pour toute mesure législative ou administrative susceptible de toucher les peuples autochtones. Est-ce que cela suscite un questionnement, étant donné que ce concept est si large? Avez-vous des recommandations à formuler cet égard?

M. Papillon : Je vous remercie, sénateur, de votre question. La question du consentement est vraiment au cœur des conflits actuels ici au Canada en ce qui a trait à l’interprétation de la nature de l’obligation de consulter. Est-ce que tout cela va jusqu’au besoin d’obtenir un consentement ou non? Le principe est mentionné dans le préambule. Il y a aussi la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones qui définit la règle concernant le consentement. Elle le fait de façon très large, mais, si on regarde les processus définis dans le projet de loi, il n’est plus question de consentement, mais plutôt de consultation. Le principe tombe quelque peu ou disparaît. On peut interpréter cela de deux façons : en premier lieu, comme quelque chose d’inquiétant, car le consentement est là, mais il n’est pas encadré dans le projet de loi. Cela peut créer une grande incertitude par rapport aux attentes que peuvent avoir les différents intervenants, dont les Autochtones, dans le processus. On peut le voir aussi d’une autre façon : l’enjeu est que, en ne définissant pas clairement les attentes, on s’expose à voir davantage de conflits devant les tribunaux. En ne créant pas de mécanismes qui permettent aux Autochtones d’exprimer ou non leur consentement lorsqu’on enfreint leurs droits, on ouvre la porte à des contestations ou à des situations comme celle de Trans Mountain. On aurait eu avantage à mieux définir les mécanismes et les règles encadrant le principe du consentement dans le projet de loi.

Le sénateur Massicotte : Je partage votre opinion. Pourquoi croyez-vous que c’est moins important que vous le dites? Est-ce parce que cela se trouve dans le préambule? J’ai parlé à M. Joffe, qui a été impliqué dans les résolutions aux Nations Unies. Selon lui, l’intention est très claire, et c’est que le consentement est nécessaire. Le concept est très large et suscite un questionnement. Cela peut causer des conflits, ce qui va complètement à l’encontre de ce que dit la Cour suprême, qui a toujours parlé de consultations et non de consentement. Cela change beaucoup la terminologie, non?

M. Papillon : Oui. Ce n’est pas une mauvaise chose que de parler de consentement. Le gouvernement, à l’article 32 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, parle de l’obligation de consulter dans le but d’obtenir un consentement. Ce n’est pas une obligation d’obtenir le consentement, mais il faut à tout le moins chercher à l’obtenir. Si ce n’est pas le cas, il faut montrer pourquoi on ne l’a pas obtenu. Ce principe, je l’accepte. Le problème, c’est qu’on ne précise pas comment on va arriver à faire cela.

La présidente : Je suis désolée, mais je vais devoir vous interrompre. Il ne reste que deux minutes.

[Traduction]

Le sénateur MacDonald : Monsieur Roman, les promoteurs du projet de loi C-69 affirment qu’il réduira les délais prévus par la loi, du moins pour certaines parties du processus d’évaluation. Pensez-vous qu’il est probable que ces échéances soient respectées? Dans la négative, quels sont les risques importants de retard?

M. Roman : Je vois deux choses qui pourraient engendrer des retards. L’une est le fait que ce n’est pas le Cabinet qui prend les décisions finales relativement à ces questions, mais le tribunal. Plus vous intégrez de déclencheurs de litiges dans votre loi, plus vous passerez du temps devant les tribunaux. L’incertitude en est accrue et le processus est prolongé de deux, trois ou cinq ans.

Aujourd’hui, le gouvernement se trouve dans une position délicate, car il demande l’approbation de son propre projet, alors qu’il est le promoteur, le propriétaire et le juge de ce processus. Si vous ne voulez pas que cela se reproduise, vous devrez modifier cette loi.

Il y a aussi les 20 considérations obligatoires — j’ai mentionné ce problème dans ma réponse à une question posée plus tôt par le sénateur Woo. Il est intéressant qu’il y en ait 20 pour les évaluateurs, mais 5 pour le Cabinet. Si 5 suffisent pour les personnes qui prennent la décision, pourquoi y en a-t-il 20 pour les personnes qui procèdent à l’audience? Ce n’est pas logique. L’Association du Barreau canadien a présenté un mémoire à ce sujet il y a de cela des années et, pour une raison ou une autre, aucun changement n’a été apporté. Ce n’est ni le secteur pétrolier, ni le secteur environnemental, mais bien celui du droit, alors ils représentent tout le monde et personne. Pourtant, il s’agissait de leur mémoire. La question n’a pas encore été réglée.

Le sénateur MacDonald : Merci.

La présidente : Monsieur Roman et monsieur Papillon, merci beaucoup d’avoir été présents.

(La séance est levée.)

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