Aller au contenu
ENEV - Comité permanent

Énergie, environnement et ressources naturelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Énergie, de l'environnement et des ressources naturelles

Fascicule nº 60 - Témoignages du 9 avril 2019 (séance de l'après-midi)


CALGARY, le mardi 9 avril 2019

Le Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-69, Loi édictant la Loi sur l’évaluation d’impact et la Loi sur la Régie canadienne de l’énergie, modifiant la Loi sur la protection de la navigation et apportant des modifications corrélatives à d’autres lois, se réunit aujourd’hui, à 13 h 2, pour étudier le projet de loi.

La sénatrice Rosa Galvez (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bonjour, et bienvenue à la réunion du Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles. Je suis Rosa Galvez, sénatrice du Québec et présidente du comité.

Je demanderais aux sénateurs réunis autour de la table de se présenter, en commençant à ma gauche, avec le sénateur Richards.

Le sénateur Richards : Je suis Dave Richards, du Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Mockler : Percy Mockler, du Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Neufeld : Je suis Richard Neufeld, de la Colombie-Britannique.

La sénatrice Cordy : Je suis Jane Cordy, et je suis une autre Canadienne de l’Atlantique, de la Nouvelle-Écosse.

Le sénateur MacDonald : Michael MacDonald.

La présidente : Chers collègues, nous poursuivons aujourd’hui notre étude du projet de loi C-69, Loi édictant la Loi sur l’évaluation d’impact et la Loi sur Régie canadienne de l’énergie, modifiant la Loi sur la protection de la navigation et apportant des modifications corrélatives à d’autres lois.

Notre premier groupe de témoins de cet après-midi est constitué de Grant Sprague, agrégé supérieur de recherche, ainsi que de Grant Bishop, directeur associé de la recherche, tous les deux de l’Institut C.D. Howe. Nous entendrons également Patrick Keys, premier vice-président des services juridiques de TransCanada.

Chaque groupe disposera de cinq minutes pour faire une déclaration. Voulez-vous commencer, monsieur Sprague?

Grant Sprague, agrégé supérieur de recherche, Institut C.D. Howe : Merci beaucoup, madame la sénatrice. Mesdames et messieurs, bonjour. Je m’appelle Grant Sprague. Moi et mon collègue, Grant Bishop, représentons l’Institut C.D. Howe en nos qualités respectives d’agrégé supérieur et de directeur associé de la recherche. Dans le cadre de nos fonctions au sein de notre groupe de réflexion non partisan sur la politique, nous avons rédigé conjointement un document intitulé A Crisis of Our Own Making : Prospects For Major Natural Resource Projects in Canada. Nous avons un exemplaire du rapport si les sénateurs souhaitent le consulter à la fin de notre déclaration.

J’ajouterai également que nous avons préparé des diapositives, et je crois qu’on vous les a distribuées. Il se peut que l’on s’y réfère lors de la période de questions, mais nous ne nous en servirons pas pendant notre déclaration.

Notre document porte sur le climat actuel pour les investissements dans les projets d’exploitation des ressources naturelles au Canada dans le secteur minier et le secteur pétrolier et gazier, ainsi que sur l’incidence potentielle du projet de loi C-69.

Nous remercions le comité de nous avoir invités à comparaître aujourd’hui, et nous espérons que notre document et nos observations vous seront utiles dans vos travaux.

Nous sommes venus aujourd’hui vous dire que le secteur des ressources du Canada est perçu de façon de plus en plus négative par les investisseurs par rapport aux autres pays et que les promoteurs canadiens ont de plus en plus de mal à attirer de nouveaux capitaux pour des projets. L’attractivité réduite du Canada découle des perceptions quant aux risques considérables sur le plan politique et réglementaire pour ce qui est de l’approbation des projets, notamment des projets d’exploitation pétrolière et gazière ou de construction de pipelines afin d’acheminer la marchandise aux marchés.

Notre document souligne la conjoncture bien ternie de notre secteur des ressources naturelles et évoque la probabilité que le projet de loi C-69, dans son incarnation actuelle, décourage encore plus les investissements. Nous croyons que le projet de loi à l’étude augmente le risque politique associé à l’approbation des projets, et la baisse du nombre de nouveaux projets en perspective exprime bien l’absence de volonté de la part des investisseurs de se mouiller en raison des jeux politiques et de l’incertitude à l’horizon.

Pour résumer brièvement notre document, l’annonce de nouveaux projets miniers et énergétiques a ralenti après 2015, et entre 2017 et 2018, la valeur des investissements dans les projets d’exploitation du secteur des ressources naturelles a baissé de 100 milliards de dollars, ce qui correspond à environ 4,5 p. 100 du PIB du Canada. Depuis 2012, les projets au Canada doivent faire l’objet d’évaluations environnementales fédérales qui prennent en moyenne beaucoup plus longtemps que dans d’autres pays comparables; les projets d’exploitation minière prennent beaucoup plus de temps qu’en Australie, et l’approbation des pipelines au Canada prend plus longtemps qu’aux États-Unis.

Nous rappelons que les évaluations environnementales jouent un rôle critique pour ce qui est de pallier les effets négatifs sur l’environnement et les gens et de voir juste dans les propos des promoteurs et ceux des intervenants concernés. Toutefois, les processus d’évaluation ne devraient pas décourager les projets aux répercussions positives en imposant des coûts réglementaires élevés, de longues périodes d’évaluation et une grande incertitude quant au processus et aux approbations et étapes connexes.

Je le répète, nous croyons que le projet de loi C-69 accordera davantage de discrétion politique pour approuver ou rejeter les projets, minimisera l’expertise technique et scientifique des organismes indépendants dans le processus décisionnel et accroîtra l’incertitude quant aux critères d’approbation. Le risque politique accru contribue à l’incertitude des investisseurs potentiels et ainsi freine les investissements dans notre secteur élargi des ressources naturelles.

Grant Bishop, directeur associé de la recherche, Institut C.D. Howe : Nous voyons un risque politique accru en raison des quatre grandes lacunes du projet de loi actuel.

Tout d’abord, le projet de loi impose une exigence quant à l’intérêt public qui s’appliquera à presque tous les projets. Le projet de loi C-69 élimine le seuil significatif des effets prévu par la LCEE de 2012 et délimite les projets pour lesquels il faut trouver un équilibre politique.

Deuxièmement, le projet de loi prévoit de nouvelles considérations obligatoires nébuleuses qui accordent une discrétion quasi illimitée aux décideurs politiques, soit le ministre ou le Cabinet, quant à l’interprétation.

Troisièmement, de nombreux nouveaux facteurs font intervenir de grandes considérations en matière de politique publique alors qu’il devrait s’agir d’une évaluation du projet à la lumière des critères connus. Les considérations obligatoires sont des facteurs comme le changement climatique, la durabilité et le sexe et les facteurs identitaires, ce qui soulève de grandes préoccupations quant à la répartition des pouvoirs aux termes de la Constitution du Canada. Par exemple, le gouvernement fédéral peut-il rejeter un projet minier en raison de son évaluation de l’incidence sur le marché du travail, alors qu’il est évident qu’il s’agit d’une question d’intérêt local qui est de compétence provinciale?

De plus, il n’y a aucune précision quant aux critères pour la participation aux audiences, ce qui fait que le projet de loi C-69 risque de transformer les audiences du groupe d’examen en tribune pour faire de l’esbroufe politique et évincer les intervenants qui sont directement touchés.

Quatrièmement, beaucoup d’éléments du projet de loi sont encore inconnus. Le gouvernement fédéral a promis des précisions avec l’ébauche du règlement et une liste des projets ainsi que des déclarations stratégiques en matière de politique sur le changement climatique. Dans ces domaines, il incombe au Parlement de limiter la discrétion de l’organe exécutif. La définition des considérations et les critères utilisés pour retenir les projets devant faire l’objet d’une évaluation devraient être précisés dans le libellé de la loi. À l’avenir, le Canada devrait viser une évaluation qui fait la juste part des répercussions environnementales et sociales d’un projet dans le cadre d’un processus efficace, sûr et compréhensible pour trouver le juste équilibre entre les risques pour l’environnement et le développement économique.

Nous serons heureux de répondre à vos questions.

La présidente : Merci.

Monsieur Keys, à vous la parole.

Patrick Keys, premier vice-président, Services juridiques, TransCanada : Merci, madame la présidente. Bonjour à tous les sénateurs. Je vous remercie de prendre le temps de venir à Calgary, qui, je tiens à le souligner, se trouve sur les territoires traditionnels du peuple visé par le traité no 7, dans le Sud de l’Alberta.

Nous reconnaissons le travail important du comité pour entendre un vaste éventail de perspectives sur le projet de loi C-69. Nous apprécions cette occasion de vous faire part du point de vue de TransCanada.

J’amorcerai l’essence de mon exposé en affirmant clairement et sans équivoque la position de TransCanada. TransCanada n’appuie pas le projet de loi C-69. Nous ne voyons pas comment un grand projet d’infrastructure énergétique linéaire pourrait raisonnablement voir le jour en vertu de ce régime. Pour vous expliquer sur quoi s’appuie cette position, je commencerai par dresser un bref historique des expériences de TransCanada pour vous mettre en contexte. J’aborderai ensuite rapidement quelques concepts qu’on trouve dans le projet de loi.

Comme vous le savez, TransCanada compte une longue expertise approfondie de la construction et de l’exploitation de pipelines et d’autres grandes infrastructures linéaires pour transporter de façon sûre et fiable les ressources énergétiques dont des millions de personnes au Canada et ailleurs en Amérique du Nord ont besoin chaque jour. Notre réseau de presque 93 000 kilomètres de gazoducs transporte plus de 25 p. 100 du gaz nécessaire pour répondre à la demande nord-américaine chaque jour, tandis que nos quelque 5 000 kilomètres de pipelines de liquides transportent environ 20 p. 100 de toute la production canadienne.

Nous comptons plus de 65 ans d’expérience, depuis la construction du réseau principal canadien d’origine pour transporter le gaz naturel à combustion sans résidus produit en abondance dans l’Ouest canadien vers les marchés de l’Est du Canada et des États-Unis. Ce réseau construit il y a des dizaines d’années demeure un élément d’infrastructure énergétique primordial pour le Canada encore aujourd’hui.

À notre avis, pour être efficace, un régime réglementaire doit présenter un équilibre entre les divers points de vue pour bien gérer tout effet négatif potentiel sur les personnes et l’environnement tout en assurant la sécurité du public et l’accès à une infrastructure énergétique fiable. Il doit également suivre des politiques fédérales bien articulées et comporter une bonne dose de certitude, en plus de prescrire des critères d’examen et un échéancier. Ces dernières années, le processus réglementaire fédéral n’a pas été efficace pour les grandes infrastructures énergétiques, et il est de plus en plus difficile de s’y retrouver.

Le régime réglementaire, qui a longtemps été stable au Canada, a perdu sa stabilité avec l’évolution des normes, l’engagement politique et l’incertitude grandissante quant à la portée des évaluations et aux échéances.

Étonnamment, pour nous à tout le moins, les pipelines sont devenus une grande source de division au Canada, ils font les manchettes presque tous les jours, et notre industrie est devenue une cible allant bien au-delà de son mandat de base et de ce que dit la science sur la façon la plus sûre de transporter l’énergie essentielle pour la vie des Canadiens. Des projets importants stagnent ou ont été annulés à cause des délais ou de l’incertitude associés au processus réglementaire, et il y a de plus en plus de décisions rendues par l’organisme de réglementation ou le gouvernement fédéral après une longue analyse détaillée qui sont contestées devant les tribunaux. Comme d’autres témoins vous l’ont dit avant moi, ce climat refroidit les investisseurs au Canada et réduit notre compétitivité, ce qui, selon nous, nuit gravement à nos intérêts économiques nationaux.

Tout cela bloque l’accès aux ressources naturelles canadiennes, ce qui a pour effet non seulement de priver nos propres citoyens de ressources énergétiques produites de manière durable et socialement responsable, mais aussi de nous empêcher de fournir des ressources énergétiques de choix aux pays en transition pour s’affranchir du carbone ou qui cherchent à conserver leur qualité et leur niveau de vie.

Dans ce contexte, d’autres avant moi vous ont parlé du projet de TransCanada Énergie Est, et j’aimerais à mon tour prendre un moment pour vous parler de notre expérience, parce que nous croyons que c’est un exemple bien documenté des risques et des défis auxquels les constructeurs de pipelines sont confrontés depuis quelque temps.

Comme vous le savez peut-être, le projet Énergie Est est le plus grand que TransCanada ait jamais entrepris. La proposition était de construire un oléoduc de 4 600 kilomètres de l’Alberta jusqu’au Nouveau-Brunswick, au coût de plus de 12 milliards de dollars. Elle se fondait sur un concept novateur, selon lequel la capacité sous-utilisée du réseau principal de gazoducs canadiens dont je vous ai parlé pourrait servir conjointement à de nouvelles canalisations pour transporter plus d’un million de barils de pétrole par jour de l’Ouest canadien jusqu’aux raffineries et aux marchés de l’Est canadien, puisque nous dépendons à l’heure actuelle en partie d’importations d’autres pays. Il se serait étendu jusqu’aux voies maritimes de la côte est du Nouveau-Brunswick, ce qui nous aurait ouvert la porte à de nouveaux marchés internationaux et à des prix plus justes pour le pétrole brut canadien.

Nous avons présenté notre demande à l’Office national de l’énergie en octobre 2014. Celle-ci comprenait plus de 30 000 pages décrivant deux années de travail à TransCanada en matière d’ingénierie et de planification environnementale, des études socioéconomiques et les résultats de consultations et d’activités de mobilisation sans précédent.

Cependant, trois ans plus tard, en 2017, nous n’en étions encore qu’aux premières étapes du processus d’examen. Beaucoup de nouveaux facteurs et de nouvelles circonstances sont venus élargir la portée de l’évaluation générale, notamment l’obligation jamais imposée auparavant d’évaluer les émissions de GES en amont et en aval. Ce sont ces facteurs qui ont fait grossir le risque et l’incertitude pour TransCanada. C’est à ce moment, à la fin de 2017, que TransCanada a pris la décision très difficile d’annuler le projet. Nous l’avons fait parce que nous avons déterminé qu’il y avait trop d’incertitude quant à la portée de l’évaluation, au calendrier réglementaire, aux coûts supplémentaires qu’il pourrait falloir débourser pour la réalisation du projet, si bien que nous ne pouvions plus aller de l’avant en toute confiance. L’annulation du projet Énergie Est a fait perdre environ un milliard de dollars à TransCanada et à ses actionnaires. Parmi ses actionnaires, notons des régimes de retraite canadiens et des particuliers, mais cela représente aussi beaucoup d’occasions perdues, dont les milliers d’emplois que le projet aurait permis de créer, les milliards de dollars supplémentaires en revenus fiscaux et toutes les retombées économiques potentielles pour les collectivités du pays.

La construction d’une nouvelle grande infrastructure linéaire est une entreprise financière importante pour un promoteur, qui doit concevoir et planifier le projet, s’assujettir au processus réglementaire, sans compter tout ce que représente la construction et l’exploitation du réseau. L’incertitude réglementaire, le manque de clarté, la fluctuation des attentes comme celles que nous avons connues dans le cadre du projet Énergie Est sont de véritables poisons pour quiconque envisage d’investir des milliards dans un projet d’envergure à long terme et se demande où le faire. Dans de telles circonstances, les promoteurs et les actionnaires hésiteront beaucoup à proposer ce genre de projet. À notre avis, il est essentiel que le régime d’évaluation réglementaire comporte un cadre clairement défini et transparent pour l’évaluation et la prise de décisions, s’appuyant sur un échéancier réaliste et prévisible. Les promoteurs doivent avoir l’assurance que l’examen du projet sera mené à terme et que le projet sera approuvé si les exigences prescrites sont respectées.

Le processus réglementaire ne devrait pas, selon nous, servir à établir la politique du gouvernement ni à en débattre sur la base d’un projet, et il ne devrait pas s’agir d’un outil politique dont l’approche peut changer du tout au tout dès que la philosophie politique change. Malheureusement, TransCanada craint vivement que le projet de loi C-69 ne permette pas de l’améliorer comme voulu et même, nous craignons que ce projet de loi, dans sa forme actuelle, exacerbe les problèmes auxquels nous sommes déjà confrontés. Par conséquent, TransCanada n’appuie pas le projet de loi C-69.

Nous reconnaissons toutefois que le gouvernement fédéral a le pouvoir, et probablement l’intention, d’adopter ce projet de loi, et dans ce contexte, nous joignons notre voix à celles des représentants de la CEPA et d’autres pour proposer une série d’amendements afin de régler les principaux problèmes que pose le projet de loi, d’après nous. Nous avons soumis à l’avance toute une liste de recommandations et d’amendements détaillés que vous pourrez examiner plus tard. Je prendrai simplement quelques minutes avec vous maintenant pour conclure sur quelques éléments importants.

Premièrement, nous reconnaissons qu’il est extrêmement important d’établir la stratégie du Canada sur des enjeux comme le changement climatique, la durabilité et la réconciliation avec les Autochtones, mais l’établissement de politiques nationales sur ces enjeux doit rester hors du processus d’évaluation d’un projet énergétique.

Les processus d’évaluation de projets ne devraient pas servir de tribune aux grands débats politiques.

Deuxièmement, nous avons peur que le projet de loi C-69 crée un nouveau processus réglementaire souvent flou, qui n’a pas fait ses preuves pour les grands projets et qui risquerait, entre autres choses, de favoriser une participation accrue de groupes dont les intérêts individuels ne sont pas directement ou négativement touchés par le projet, mais qui chercheraient plutôt à influencer les grands objectifs politiques et stratégiques ou à défendre d’autres intérêts indépendants.

Nous jugeons essentiel d’établir clairement la portée des droits de participation à ce processus pour que les voix des diverses parties, dont celles des groupes autochtones directement touchés par le projet et ayant des points de vue légitimes à faire valoir, ne soient pas étouffées ou mal comprises, ce qui ne ferait que complexifier la démarche, allonger les délais, augmenter les coûts et aggraver le risque de révision ou de recours judiciaires.

Troisièmement, nous nous inquiétons beaucoup de la façon dont les grands projets seront définis.

Nous n’avons pas vu la liste des projets proposés, mais nous avons peur que des projets de relativement petite envergure et même des activités d’entretien du réseau ou des petits projets d’expansion du réseau existant doivent faire l’objet d’un examen approfondi en vertu du projet de loi C-69.

Quatrièmement, nous craignons que le projet de loi ne multiplie les occasions de politiser le processus, notamment par l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire supposément non contraignant et par la possibilité de repousser les décisions jusqu’à ce qu’une décision politique soit prise, finalement.

Pour conclure, le processus réglementaire est fondamental pour garantir le transport sûr, fiable et économique des ressources énergétiques au Canada. Nous croyons que c’est dans l’intérêt de tous les Canadiens de nous doter d’un régime réglementaire efficace, à la fois pour protéger l’environnement et renforcer notre économie, des objectifs que nous ne considérons pas mutuellement exclusifs. Selon nous, le projet de loi C-69 ne clarifie pas le processus ni ne permet qu’il suive son cours assez vite pour permettre au secteur énergétique canadien d’attirer les investissements nécessaires pour rester concurrentiel sur la scène internationale. Par conséquent, nous ne pouvons pas l’appuyer.

Je vous remercie de nous avoir permis de vous présenter la perspective de TransCanada; je serai heureux de répondre à toutes vos questions en temps et lieu.

Le sénateur MacDonald : Je vous remercie tous d’être ici. J’adresserai ma première question à M. Keys. L’un des arguments qu’on entend constamment de la bouche des tenants du projet de loi, c’est qu’il accélérera le processus. Vous soulignez toutefois à juste titre, comme beaucoup d’autres avant vous, que la possibilité de faire stagner les choses ou de fermer le microphone lors des audiences publiques pourrait les retarder indéfiniment.

Dans vos amendements, vous proposez des mesures pour éviter les contestations judiciaires, parce qu’évidemment, celles-ci peuvent être très énergivores. Je me demande si vous pouvez nous parler un peu plus des mesures que vous recommanderiez pour nous prémunir contre les contestations judiciaires.

M. Keys : Merci, sénateur. Nous partons de l’observation que ce sont des comités d’experts qui mènent ces examens et, par conséquent, nous croyons qu’il conviendrait d’avoir un peu plus de déférence pour leurs décisions, particulièrement sur les faits exposés et l’exercice de leur jugement raisonnable et compétent. Nous recommandons donc, comme vous le verrez dans notre liste d’amendements proposés, l’ajout d’un article pour limiter les révisions judiciaires et vraiment cibler les questions de droit et de compétences, pour éviter qu’on se retrouve devant les tribunaux à réévaluer les faits de base ou l’exercice du jugement d’un tribunal expert à l’égard de ces faits.

Le sénateur MacDonald : Merci.

J’adresserai ma prochaine question aux représentants de l’Institut C.D. Howe. Comme vous l’avez dit, à juste titre, le secteur énergétique, le secteur des ressources de notre pays traverse une grande crise, et vous avez fait des comparaisons. Bien sûr, la plupart des pays occidentaux dont l’Australie et les États-Unis, je crois, ont d’assez bons régimes réglementaires. Y a-t-il des choses qu’ils font que nous ne faisons pas et dont nous pourrions nous inspirer pour mieux vendre nos projets politiquement là-bas?

M. Sprague : Merci, sénateur. Je dirais peut-être, pour commencer, que l’une des choses que l’on remarque dans les autres systèmes réglementaires, c’est que la démarche est bien comprise et qu’il y a des règles éprouvées en place.

De mon point de vue, l’une des choses les plus importantes que nous pourrions faire, comme beaucoup d’autres personnes vous l’ont déjà dit, serait d’établir un processus qui comporterait une grande dose de certitude, qui serait bien compris et qui serait éprouvé dans une certaine mesure. Tout peut toujours être mis à l’épreuve, mais ce processus devrait indéniablement être bien défini et comprendre le plus de certitude possible quant aux étapes, puis aux méthodologies et aux tests à respecter.

Je pense, comme vous l’a dit M. Keys, qu’il y a vraiment un problème si, quand on se lance dans ce genre de grande démarche, on se fait dire en cours de route qu’un autre examen s’ajoute, qu’il y a de nouvelles choses à prendre en considération ou qu’il faut changer sa méthodologie. C’est très, très difficile à faire à mi-chemin.

Donc pour moi, le plus important, c’est d’établir clairement d’entrée de jeu quel sera le processus, quelles seront les étapes, quels seront les critères examinés et surtout, comment ils seront examinés.

M. Bishop : J’ajouterais, pour votre information, que, à la page 9 de la présentation que nous vous avons remise, vous trouverez un tableau présentant les temps d’arrêt de tous les projets menés au cours des six dernières années. Vous constaterez qu’une grande partie du temps sert à permettre aux promoteurs de répondre aux demandes d’information.

Les promoteurs ont donc le fardeau d’y répondre rapidement. Il peut arriver, bien sûr, qu’on entende parler de promoteurs qui ont modifié la portée de leur projet à mi-parcours et que cela a fait exploser le temps d’arrêt de l’examen, mais on nous parle aussi de l’incertitude quant aux renseignements qui seront demandés et de la nécessité de constamment retourner à la planche à dessin pour répondre à des demandes d’information, ce qui ajoute au fardeau. Avant de s’embarquer dans un projet, les promoteurs sont invités à prévoir tout ce qui fera l’objet d’un examen minutieux. Nous craignons que ce projet de loi ne fasse que rajouter à l’incertitude quant aux nouveaux facteurs qui seront imposés aux promoteurs, des facteurs qui bien souvent, peuvent pratiquement être interprétés sans limite.

Le sénateur MacDonald : Merci, madame la présidente.

La sénatrice Cordy : Je vous remercie beaucoup d’être ici cet après-midi. Si vous étiez là ce matin, vous savez que nous entendons beaucoup les mêmes préoccupations à répétition.

Quand le comité a mené ses consultations, avant que le projet de loi ne soit déposé ou rendu public, les Canadiens en général avaient l’impression que c’était le ministre ou le gouverneur en conseil qui devrait approuver les projets et les expansions, plutôt qu’un quelconque comité, parce qu’un ministre est plus imputable envers le public et que le public sait alors qui a pris la décision. Sous le régime de ce projet de loi, les raisons justifiant une décision doivent être divulguées, ce qui n’était pas le cas sous le régime de la LCEE de 2012.

Qu’en pensez-vous? C’est la première chose que les Canadiens nous ont dite.

Deuxièmement, monsieur Keys, dans l’un de vos amendements, vous mentionnez trois ministres, soit ceux des Ressources naturelles, de l’Énergie et des Finances. Nous avons entendu lors de témoignages précédents que ce n’est pas que le ministre de l’Environnement qui devrait prendre ce genre de décisions, que dans les projets qui relèvent à la fois de l’industrie et de l’environnement, les trois ministres que vous mentionnez devraient avoir leur mot à dire. Soit dit en passant, je vous remercie des amendements que vous avez préparés, on voit clairement où ils s’insèrent, ce qu’ils ajoutent ou ce qu’ils enlèvent. C’est facile à suivre.

M. Keys : Merci, sénatrice. Je suis heureux que ce mémoire vous soit utile.

Je peux peut-être commencer par répondre à la dernière partie de votre question. Nous avons proposé d’ajouter les ministres des Finances, de Ressources naturelles Canada et d’Environnement et Changement climatique Canada dans le contexte particulier d’un avis ministériel préalable. TransCanada recommande donc que les promoteurs aient l’occasion de demander un avis préalable au ministre, pour lui demander en amont : « Pouvez-vous nous dire directement si vous voyez des écueils ou des obstacles que nous devrions connaître dès le début et le cas échéant, veuillez nous en aviser avant que nous ne nous lancions dans un processus qui pourrait prendre de nombreuses années et représenter des dépenses importantes pour respecter le processus réglementaire. » Le gouvernement devrait alors leur fournir cet avis. C’est le contexte dans lequel nous recommandons ces amendements.

M. Sprague : Merci, sénateur. Pour répondre à la première partie de votre question, je pense qu’il y a toujours une tension entre le désir d’imputabilité et celui de favoriser une prise de décisions compétente, fondée sur des faits. Je pense que la difficulté vient du fait que la tension est palpable.

Selon moi, le plus important, c’est qu’on mette en place un processus fondé sur la compétence et les faits. Il y a plusieurs organismes de réglementation du début à la fin du parcours. Ils ont beaucoup de connaissances institutionnelles, et nous estimons important qu’ils puissent s’acquitter de leurs fonctions comme il se doit.

Alors, comment tenir compte de cette question d’imputabilité? Il y a deux pistes de solutions. Premièrement, c’est toujours le gouvernement, bien sûr, qui est responsable des décisions prises et qui doit en rendre compte, et en cas de problème, c’est lui qui a le pouvoir d’intervenir pour corriger, si vous me permettez ce mot, l’organisme de réglementation et le pousser à faire d’autres choix.

Par ailleurs, l’une des tâches les plus importantes pour le gouvernement consiste à mettre en place la structure stratégique nécessaire pour que les instances réglementaires puissent faire leur travail. Dans ses observations, M. Keys a fait valoir des arguments primordiaux quant à la nécessité de débattre des politiques sur les tribunes qui conviennent. Je dirais que cela devrait se faire dans le contexte de votre rôle de parlementaires, plutôt que dans le cadre d’un examen portant sur un projet particulier, car le proposant se retrouve alors malheureusement ballotté au gré de différents courants politiques sans être équipé adéquatement pour y réagir.

J’estime donc pour ma part qu’il est essentiel d’indiquer clairement que la responsabilité incombe au gouvernement — peu importe les politiques qu’il choisira de mettre en place — et que nous devons laisser les experts entendre les différents arguments de part et d’autre et rendre leur décision en conséquence. C’est ma façon de voir les choses, madame la sénatrice.

M. Bishop : Je crois que votre question portait expressément sur les raisons fournies pour justifier un délai, et je pense que vous voulez savoir également s’il faudrait aussi exiger des raisons au titre du critère de l’intérêt public, ce qui n’est pas prévu actuellement lorsqu’il est déterminé que les effets sont importants, tout au moins dans la LCEE de 2012. Soit dit en passant, une telle exigence s’applique dans le cas des pipelines en vertu de l’article 52 de la Loi sur l’Office national de l’énergie, qui stipule qu’une recommandation doit être motivée.

Nous y verrions une amélioration tout à fait souhaitable quant à la responsabilisation à l’égard de la décision prise en fin de compte. En exigeant que les motifs d’une décision soient communiqués, on assure un maximum de transparence. Cependant, aussi bien pour le critère d’intérêt public que pour les délais, vous ajoutez dans le cadre du projet de loi C-69 bien d’autres facteurs faisant intervenir un pouvoir discrétionnaire presque sans limite, d’autant plus que la norme quant à l’importance des effets a été supprimée. Toutes les décisions sont désormais prises dans une perspective polycentrique visant l’intérêt public. C’est une façon de faire périlleuse pour les motifs que M. Sprague vous a déjà exposés. On ne bénéficie plus de l’indépendance que procure une décision fondée sur des effets jugés importants qui est prise par une agence autonome ou une instance réglementaire. Tout devient politique.

Il en va de même des échéanciers. Malgré ce que prescrit la loi, on ne peut pas raisonnablement s’attendre à ce que ces échéanciers soient respectés étant donné les facteurs additionnels à prendre en compte et la possibilité d’accorder des délais supplémentaires, bien que des motifs doivent être invoqués, par voie d’arrêté ministériel ou d’ordonnance du Cabinet.

J’espère avoir répondu à votre question.

La sénatrice Cordy : Vous avez indiqué dans vos observations — c’est tout au moins l’impression que j’ai eue — que l’industrie devrait avoir la priorité au détriment des enjeux touchant l’environnement, les questions sociales ou les Autochtones. Est-ce que je vous ai bien compris?

M. Bishop : Cela dit très respectueusement, madame la sénatrice, ce n’est pas le message que nous souhaitions transmettre.

En fait, notre rapport traite de l’importance économique des évaluations des impacts environnementaux qui permettent de s’assurer que les proposants assument eux-mêmes les risques et les coûts associés à un projet alors que ces risques et ces coûts pourraient sans cela devenir la responsabilité d’autres parties prenantes.

Plus concrètement, si un projet minier fait courir des risques à différentes entités, le promoteur ne va pas nécessairement éponger les coûts qui y sont associés.

Une évaluation environnementale permet de s’assurer que tous les intéressés ont accès aux mêmes informations. Elle met en effet au jour les renseignements que le proposant est normalement le seul à connaître. De plus, elle fait en sorte qu’il nous est possible d’imposer des conditions pour certains projets de manière à limiter la portée des risques encourus par d’autres entités. C’est un aperçu des avantages économiques d’une évaluation environnementale.

Personne ne souhaite toutefois imposer des coûts ou des délais déraisonnables pouvant empêcher un projet intéressant d’aller de l’avant. Ces projets que vous voudriez voir se réaliser pourraient fort bien mourir dans l’œuf si on leur attribue une valeur nette actuelle négative parce que l’on croit à tort qu’ils pourraient être rejetés ou parce que le promoteur devra assumer des coûts considérables liés au processus réglementaire. Je crois que le projet Énergie Est peut nous donner une assez bonne idée de l’ampleur de ces coûts et des risques que les délais ne soient absolument pas respectés.

La sénatrice Simons : Merci beaucoup. Monsieur Keys, je tiens à vous remercier de cette autopsie peu réjouissante du projet Énergie Est, et je veux remercier également M. Bishop pour ce portrait saisissant de la problématique. Je m’imagine mieux maintenant la situation dans laquelle pourrait se retrouver un ministre obligé d’approuver chaque permis de forage exploratoire et chaque pont devant traverser une rivière. Ce n’est sûrement pas la façon logique de structurer un régime de réglementation.

J’avais une question que je souhaitais poser d’abord aux deux Grant, et puis à M. Keys.

Messieurs Sprague et Bishop, je ne sais pas si vous avez eu l’occasion de prendre connaissance des amendements proposés par l’Association canadienne des producteurs pétroliers (ACPP) et par l’Association canadienne de pipelines d’énergie (CEPA). Estimez-vous que ces amendements dont M. Keys a une copie permettraient d’atténuer quelques-unes des principales préoccupations que vous avez soulevées quant à la nécessité d’avoir un régime de réglementation concurrentiel?

Monsieur Keys, s’il nous était possible de modifier le projet de loi C-69 dans le sens de ce que vous proposez, pensez-vous que nous pourrions ainsi mettre en place un régime de réglementation dans le cadre duquel une nouvelle version de l’oléoduc Énergie Est pourrait devenir viable? Il est bien évident que la situation actuelle ne permet pas d’atteindre les résultats souhaités comme le démontre l’impossibilité d’aller de l’avant avec les projets Énergie Est et Trans Mountain.

M. Sprague : Merci pour votre question, madame la sénatrice. Nous n’avons pas eu l’occasion de prendre connaissance des amendements proposés par l’ACPP et la CEPA, et notre mémoire aborde la question du projet de loi C-69 dans une perspective plus générale.

Je vous dirais donc plutôt que nous demeurons très inquiets du fait que certains principes fondamentaux qui sous-tendent le projet de loi nous apparaissent vraiment problématiques. Nous sommes donc d’avis qu’il faudra apporter des modifications importantes au projet de loi pour réduire une fois pour toutes l’incertitude qui risque d’effrayer les investisseurs relativement au processus en place au Canada.

M. Keys : J’aurais bien aimé pouvoir vous raconter aujourd’hui une histoire totalement différente au sujet d’Énergie Est, mais je devais malheureusement m’en tenir aux circonstances difficiles que nous connaissons. Je conviens avec vous qu’il est particulièrement ardu de tenter de faire progresser actuellement au Canada un projet d’infrastructure linéaire de transport de l’énergie sur une longue distance. Comme tous les sénateurs le savent très bien, la capacité actuelle de transport entrave considérablement nos efforts pour expédier nos abondantes ressources naturelles, qu’il s’agisse de pétrole ou de gaz, ailleurs au Canada, aux États-Unis ou outre-mer.

Vous vouliez savoir si la mise en œuvre des changements proposés par TransCanada et la CEPA régleraient ces problèmes. Nous croyions pour notre part que quelques-unes de nos préoccupations seraient atténuées, mais qu’elles ne disparaîtraient pas pour autant. À la lumière de notre examen de quelques-unes de ces propositions, il semblerait que tout cela se limite en grande partie à un effort pour éliminer les principaux irritants. Nous pensons de notre côté à un projet comme Énergie Est pour lequel il faut investir 1 milliard de dollars simplement pour se rendre jusqu’à l’amorce du processus réglementaire.

Même si ces changements sont apportés, il en résultera un tout nouveau régime qui, par définition, n’aura pas encore fait ses preuves. Un grand nombre d’inconnues demeureront quant aux facteurs à prendre en compte et à évaluer et relativement à la façon dont ils seront mis en application, notamment pour ce qui est des échéanciers appropriés. Nous ne savons pas pour l’instant quels projets figureront sur la liste, un élément qui revêt une importance capitale pour TransCanada, car c’est ce qui déterminera lesquels de nos projets d’infrastructures linéaires vont devoir être soumis au processus détaillé d’évaluation des impacts. Nous comprenons en quoi consiste le processus maintenant en place. Nous ne savons toutefois pas ce que l’avenir nous réserve.

Pour dire les choses bien franchement, nous comprenons difficilement comment un projet de loi a pu progresser jusqu’à ce point et pourrait même être adopté sans qu’une caractéristique aussi essentielle ne soit connue du point de vue des pipelines.

La sénatrice Simons : Merci beaucoup.

Le sénateur Patterson : J’aimerais poursuivre un peu dans le même sens. En quoi la liste des projets est-elle si importante pour le secteur des pipelines, monsieur Keys?

M. Keys : Eh bien, si l’on retrouvait par exemple dans la liste un projet d’infrastructure linéaire de faible longueur, celui-ci serait soumis d’après ce que nous pouvons comprendre à la Loi sur l’évaluation d’impact et ferait donc l’objet de l’évaluation la plus rigoureuse qui soit à notre avis pour ce qui est de ses répercussions sur l’environnement et la situation socioéconomique.

Encore aujourd’hui, une grande partie des projets de construction de TransCanada, au Canada assurément et en Alberta tout particulièrement, visent le prolongement ou le détournement d’un pipeline existant lorsqu’un problème se pose avec l’emprise. Il ne s’agit pas de projets concernant de nouvelles installations. De fait, nous avons pour certains de nos systèmes dans l’Ouest du Canada des projets approuvés pour une valeur totale de plusieurs milliards de dollars, mais aucun d’entre eux ne vise une nouvelle installation sur une emprise différente.

En conséquence, nous voudrions proposer que les projets de ce type, qui comptent pour la majorité du travail accompli par la plupart des entreprises exploitant des pipelines, relèvent de la Régie canadienne de l’énergie et ne soient pas assujettis au régime d’évaluation prévu dans la Loi sur l’évaluation d’impact.

Dans nos amendements, nous proposons pour la liste de projets un seuil de 500 kilomètres d’emprise nouvelle pour qu’un projet fasse l’objet d’une évaluation complète. À notre avis, on pourrait ainsi évaluer tous les grands projets de nouvelles infrastructures linéaires réalisés au pays. Ce serait le cas aussi bien pour Northern Gateway que pour Énergie Est et Trans Mountain. Ce sont seulement les projets de cette envergure qui devraient être soumis à l’évaluation la plus rigoureuse prévue.

Le sénateur Patterson : Merci. Vous en avez en effet parlé en nous présentant vos amendements.

Est-ce que ces amendements seraient complémentaires à ceux mis de l’avant par l’ACPP et par d’autres associations du secteur des ressources naturelles?

M. Keys : Pour que les choses soient bien claires, TransCanada a travaillé en étroite collaboration avec l’Association canadienne de pipelines d’énergie dont nous faisons partie ainsi qu’avec d’autres membres de manière à harmoniser les différents amendements proposés. Je dirais donc que les amendements de TransCanada sont tout à fait conformes à ceux que vous avez reçus de la CEPA et vont en grande partie dans le sens des propositions de l’ACPP.

Le sénateur Patterson : Je veux remercier les représentants de l’Institut C.D. Howe pour tous ces détails troublants au sujet de la chute des investissements dans notre secteur des ressources naturelles, véritable moteur économique qui assure le financement des programmes sociaux qui nous tiennent tant à cœur au Canada.

Vous avez parlé d’un ralentissement des annonces de nouveaux projets après 2015, mais vous avez surtout mis l’accent sur le projet de loi C-69. Certains font valoir que le problème ne vient pas vraiment du projet de loi C-69, car il existait déjà auparavant. Pourriez-vous nous dire un mot des facteurs à l’origine de cette prudence observée depuis 2015 chez les investisseurs, un phénomène qui a tout lieu de nous inquiéter aujourd’hui? Quels sont ces facteurs, et en quoi le projet de loi C-69 y contribue-t-il maintenant?

M. Sprague : Il est important que nous comprenions bien que différents facteurs ont contribué à cette baisse des investissements dans notre secteur des ressources naturelles. Le prix des produits de base n’est pas le moindre de ces éléments. Il était vraiment essentiel que nous nous penchions sur cette problématique des investissements pour chercher à maintenir à flot ce moteur économique que représente, comme vous l’avez indiqué, le secteur canadien des ressources naturelles.

Nous avons discuté du prix des produits de base. Nous devons garder également à l’esprit la concurrence accrue en provenance du reste de la planète et les transformations en profondeur qui se sont opérées à ce niveau, assurément en tout cas dans le contexte des hydrocarbures, comme vous en avez sans doute amplement entendu parler. Nous ne devons jamais perdre de vue le fait que les entreprises canadiennes, qu’elles soient pétrolières, gazières ou minières, doivent livrer concurrence sur le marché mondial et demeurer par conséquent à l’affût des changements qui peuvent intervenir dans cette conjoncture.

Il y a de nombreuses questions importantes que nous devons régler à l’intérieur de nos frontières, mais nous devons demeurer bien conscients que la majorité des investissements dont nous avons besoin doivent être obtenus dans le contexte d’une concurrence que nous livrons à tous ces autres pays.

Lorsque vient le temps de procéder à un examen en vue d’améliorer notre processus d’évaluation environnementale, une démarche que nous estimons essentielle, nous devons nous assurer de le faire en tenant compte de cette concurrence planétaire.

Nous ne voulons pas nous retrouver avec un régime qui ne jauge pas les moyens à prendre pour soutenir la concurrence d’autres pays, comme les États-Unis et bien d’autres encore, surtout dans le secteur minier. Nous devons donc travailler dans cette optique. Il est vrai que nous devons toujours chercher à nous améliorer. Il est vrai également que nous devons nous assurer que la qualité de notre travail est à la hauteur de ce qui se fait ailleurs dans le monde. Je vous dirais d’ailleurs que c’est déjà le cas. Nous devons donc comprendre à partir de quelles bases nous pouvons travailler, plutôt que de nous imaginer que nous sommes en train d’inventer un tout nouveau système auquel personne n’a jamais pensé auparavant.

Bref, il y a différents facteurs que nous devons prendre en considération, le plus important étant à mon avis notre capacité concurrentielle, de telle sorte que nous puissions atteindre les objectifs que les Canadiens ont à cœur.

La présidente : J’ai une brève question.

Monsieur Keys, est-ce que vous nous avez bien dit que vous préfériez le statu quo, même si le régime actuel ne vous a pas permis de construire de nouveaux pipelines?

Monsieur Sprague, certains sondages révèlent que l’Office national de l’énergie bénéficie de la confiance de la population. Rien n’indique qu’il y ait une perte de confiance, mais votre groupe a tout de même également produit un document sur les moyens à mettre en œuvre pour rétablir ce lien de confiance.

Pourriez-vous nous en dire un peu plus long sur ces deux questions? M. Keys, puis M. Sprague.

M. Keys : Pour répondre directement à votre question, madame la présidente, nous préconisons effectivement le maintien du régime réglementaire actuel, de préférence à ce que prévoit le projet de loi C-69. Nous reconnaissons que le régime en place est loin d’être parfait et comporte différentes lacunes qu’il convient de combler. Nous avons pu voir en quoi consistaient certains de ces problèmes et j’en ai moi-même décrit quelques-uns en vous relatant l’aventure d’Énergie Est, tout premier projet au Canada pour lequel on a appliqué les nouveaux facteurs, en amont et en aval, touchant notamment les émissions de gaz à effet de serre, dans le cadre du processus de l’ONE. On peut ainsi dire qu’il y a eu une certaine forme d’ingérence politique dans le projet à ce moment-là.

Le régime en place n’est donc pas parfait, mais tout le monde le comprend bien. On sait depuis longtemps déjà comment certaines de ses dispositions vont être appliquées, et la signification d’une partie d’entre elles a été bien établie par la jurisprudence et le travail des tribunaux.

Nos préoccupations quant au régime en place pourraient être atténuées en partie même en l’absence de modifications législatives. Il suffirait simplement que l’on s’en tienne à la marche à suivre telle qu’établie noir sur blanc dans la loi. Il faut que toutes les parties en cause respectent fidèlement l’intention et les objectifs de ces dispositions. On doit aller de l’avant avec le processus réglementaire en fonction des échéanciers établis au départ. Il faut éviter les interruptions qui se multiplient et les délais inappropriés visant des fins accessoires. Si les différentes parties, y compris l’instance réglementaire et le gouvernement, s’en tenaient au processus prévu, le régime pourrait encore bien fonctionner. Il l’a fait de façon stable pendant des décennies au Canada.

M. Bishop : Je vais vous parler de cet autre rapport de l’Institut C.D. Howe que vous avez mentionné. Au fil des ans, nous avons mené de nombreuses recherches portant sur la conception des processus de réglementation, surtout dans le contexte des pipelines. Ce rapport que vous citez traite de légers changements qu’il pourrait être nécessaire d’apporter aux processus de l’ONE pour améliorer ses relations avec les différentes parties prenantes, accroître son efficience et lui permettre de mieux appliquer les connaissances scientifiques. Ce rapport ne préconise pas que l’on retire à l’Office la responsabilité principale à l’égard des évaluations environnementales, car il possède les compétences techniques qui en font l’instance appropriée à cette fin.

Le rapport en question souligne plutôt l’importance de l’ONE à titre de régulateur du cycle de vie pour le suivi et la mise en application des conditions établies au départ via le processus de recommandations prévu à l’article 54 et les mesures complémentaires découlant de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale de 2012.

J’estime également important de rappeler que l’Office national de l’énergie a déjà amplement démontré son efficacité en matière d’évaluation environnementale et de souligner que les pièges judiciaires qui ont sonné le glas de certains projets sont principalement, et presque exclusivement en fait, attribuables à des manquements au devoir de consulter à l’étape de l’approbation par le Cabinet une fois que l’ONE, ou la Commission mixte d’examen dans le cas de Northern Gateway, a terminé son travail.

Si la chose vous intéresse, nous avons un tableau de bord des contestations judiciaires que vous trouverez à la page 11 de notre document, et tous les détails sur les contestations relatives à la LCEE de 2012 à la page 19. On constate encore là que la plupart des projets qui ne sont pas allés de l’avant ont été tués dans l’œuf en raison d’un manquement du Cabinet à l’égard de son devoir de consulter.

La présidente : Merci.

[Français]

Le sénateur Carignan : J’ai deux questions à poser. La première s’adresse à l’Institut C.D. Howe. Vous avez produit un document en français et je tiens à souligner que c’est très apprécié. Les organismes sans but lucratif semblent produire leurs documents dans les deux langues contrairement aux organismes à but lucratif, et je ne sais pas pourquoi. J’aimerais obtenir une précision. À la page 10, vous avez fait un tableau sur la durée de l’évaluation environnementale au Canada, en Australie et aux États-Unis, mais j’ai de la difficulté à le comprendre. Je ne sais pas s’il y a des erreurs au niveau des chiffres ou si ceux-ci signifient autre chose. Pourriez-vous nous expliquer cette partie de la présentation?

[Traduction]

M. Bishop : Avec plaisir, sénateur. Vous trouverez des explications détaillées au sujet de ce tableau dans notre rapport intitulé Crisis of Our Own Making. Je crois que c’est à la page 31. On y établit une comparaison entre les durées moyennes, maximales et minimales des évaluations menées par les instances de réglementation énergétiques nationales du Canada, de l’Australie et des États-Unis à l’égard de projets réalisés depuis 2012.

De gauche à droite, nous avons fait une ventilation en fonction des différents secteurs concernés. Les triangles représentent la durée moyenne, les traits la durée médiane et les barres les durées maximum et minimum pour l’évaluation des projets.

Dans le cas des pipelines canadiens, la durée maximale indiquée, soit 11 ans, était pour le projet Northern Gateway. Pour tous les projets d’oléoduc au Canada, la durée moyenne de l’évaluation est d’environ 3, 5 ans, alors que la durée médiane, soit celle pour 50 p. 100 des projets, est de 1,86 ans.

[Français]

Le sénateur Carignan : Je comprends.

[Traduction]

M. Bishop : C’est donc ainsi que l’on peut interpréter ce graphique.

On doit comprendre notamment qu’il faut beaucoup plus de temps pour faire approuver un projet d’exploitation minière au Canada qu’en Australie. La durée moyenne pour l’évaluation des projets de pipeline est nettement plus longue au Canada et certains d’entre eux exigent des délais dépassant de beaucoup ce qu’on peut observer dans les pays ayant servi de base de comparaison. De même, nos projets d’exploitation des hydrocarbures sont considérablement retardés si l’on compare avec la situation en Australie.

J’espère que cela vous permet de vous faire une meilleure idée de l’état des choses.

[Français]

Le sénateur Carignan : Merci.

Mon autre question s’adresse à TransCanada. Compte tenu de la particularité du Québec par rapport à la consultation, croyez-vous que le processus de substitution prévu dans le projet de loi C-69 faciliterait ou compliquerait l’étude environnementale pour ce qui est du Québec?

[Traduction]

M. Keys : C’est une excellente question. Je présume que le temps nous le dira si nous nous retrouvons dans cette situation. Cela me rappelle l’approche que nous avons utilisée pour le projet Énergie Est dans ce contexte — vous êtes peut-être au courant —, car on ne s’entendait pas sur la question de savoir s’il fallait suivre le processus provincial et obtenir les approbations nécessaires au Québec en plus du processus fédéral.

Afin de résoudre ce problème, TransCanada a évidemment accepté de se soumettre au processus provincial du Québec.

La possibilité d’avoir recours à un processus de substitution pourrait aider à réconcilier les points de vue opposés quant aux processus qui s’appliquent et ceux qui ne s’appliquent pas.

Le sénateur Mockler : Vous ne me permettez pas de poser cinq questions?

La présidente : Non, désolée, mais je ne vous blâme pas d’essayer.

Le sénateur Mockler : J’aimerais remercier les témoins. Ils ont fait du très bon travail.

Le 14 février 2019, les quatre premiers ministres des provinces de l’Atlantique, dans le cadre du Conseil des premiers ministres de l’Atlantique, ont écrit une lettre au premier ministre du Canada dans laquelle ils indiquent ceci — et je cite — : « Selon notre évaluation du libellé actuel du projet de loi C-69, les changements importants qu’on propose d’apporter à la portée et à l’échelle du processus d’évaluation environnementale au Canada ne permettront pas d’atteindre les objectifs liés à la protection de l’environnement et à la croissance économique ».

La sénatrice Simons a parlé du chamboulement qui a bien été décrit par M. Keys en ce qui concerne Énergie Est. J’aimerais vous poser une question au sujet d’Énergie Est, et je ne pense pas que ce projet disparaîtra des cibles mobiles. C’est un projet d’édification de la nation important pour le Canada. J’aimerais vous poser une question fondée sur les questions qui ont été posées au représentant du gouvernement au Sénat et à l’ancien ministre des Ressources naturelles. En effet, ils avaient mentionné qu’Énergie Est avait été annulé pour deux raisons, à savoir la baisse du prix du pétrole et l’approbation d’autres pipelines, par exemple Trans Mountain.

Est-ce exact? Ce que je vous ai entendu dire, monsieur Keys, ne correspond pas à ce qu’on nous a dit au Sénat du Canada.

M. Keys : Sénateur, avec tout le respect que je dois au ministre, je ne crois pas que cela explique toute l’histoire. Je crois que les intervenants de TransCanada, lorsqu’ils ont pris la décision très difficile d’annuler le projet à la fin de 2017, ont expliqué clairement leurs raisons dans la lettre qu’ils ont envoyée à l’Office national de l’énergie. Je lirai peut-être un extrait de cette lettre pour aider à préciser les raisons pour lesquelles TransCanada a décidé de mettre fin au projet.

Après avoir pris connaissance de certains des changements apportés au processus d’évaluation des projets, les intervenants de TransCanada ont déclaré — et je cite — : « Une grande incertitude plane toujours sur la portée, l’échéancier et les coûts liés à l’examen réglementaire des projets. La décision de l’ONE soulève également une question de compétence. Après avoir examiné attentivement ces facteurs, les retards actuels et futurs qui pourraient être causés par le processus de réglementation, les répercussions sur les coûts connexes et les problèmes et les obstacles de plus en plus difficiles auxquels font face les projets, les demandeurs n’iront pas plus loin. »

Cela vous donne, par l’entremise de ce que j’appellerais une extrapolation, un aperçu des multiples facteurs pris en compte par TransCanada à l’époque. Cette décision n’était pas motivée par l’existence d’autres propositions de projets de pipeline. À l’époque, et même aujourd’hui, nous savons qu’il faudra plusieurs pipelines supplémentaires pour exploiter le potentiel de production des ressources canadiennes et à l’heure actuelle, les investissements en amont sont de plus en plus limités au Canada en raison de l’incapacité de transporter le produit.

Le sénateur Mockler : Si je me fonde sur les événements, je présume qu’il y a plus de Canadiens qui travaillent dans le secteur de l’énergie au Texas et ailleurs qu’au Canada. Comme je viens d’une ville située à la frontière, je me souviens d’avoir travaillé avec des gouverneurs du Vermont, du Maine, du New Hampshire et même du Massachusetts, et il y avait un réseau énergétique nord-américain intégré. Lorsque nous avons considéré l’Amérique du Nord, des entreprises comme la vôtre et d’autres entreprises ont eu la chance de participer.

Il existait donc un secteur énergétique nord-américain intégré. Actuellement, ce secteur est en plein essor aux États-Unis et il est complètement stagnant au Canada. J’aimerais donc demander aux deux témoins s’ils peuvent m’expliquer les raisons de cette situation.

M. Keys : Sénateurs, je ferai d’abord quelques observations, et M. Sprague et M. Bishop auront peut-être ensuite des commentaires à formuler.

J’aimerais donc tout d’abord souligner que les États-Unis étaient autrefois l’un de nos clients les plus importants en ce qui concerne les ressources pétrolières et gazières produites au Canada et, honnêtement, ce pays est maintenant l’un de nos concurrents les plus redoutables, car au cours des six dernières années, il a commencé à tirer parti du potentiel de ses ressources énergétiques. Les Américains vendent maintenant du gaz naturel au Canada, alors qu’ils achetaient autrefois du gaz naturel tout le long de notre frontière sud. Ils développent leur industrie pétrolière à un rythme effréné. Certains mémoires présentés par d’autres témoins ont démontré et quantifié cette information. Honnêtement, ils réussissent beaucoup mieux que nous dans ce secteur énergétique. Dans ce contexte, le régime de réglementation joue un rôle très important dans le cadre des décisions que doivent prendre les investisseurs et les promoteurs en matière d’infrastructure énergétique.

Vous reconnaîtrez que les capitaux sont fluides. Ils suivront les occasions d’investissement qui présentent les risques les moins élevés. Actuellement, selon nous et selon de nombreuses autres entreprises canadiennes ou de nombreux investisseurs internationaux externes, le Canada n’est pas considéré comme étant un climat réceptif, surtout lorsqu’on tient compte des défis liés à la réglementation auxquels nous avons dû faire face dans la construction et la mise en place de grands projets d’infrastructure énergétique.

Par exemple, plus de la moitié des revenus de TransCanada proviennent maintenant de l’extérieur du Canada et il est probable que la moitié de notre portefeuille actuel de 36 milliards de dollars en investissements approuvés soit axée sur l’extérieur du Canada dans le cadre de notre examen des possibilités d’investissements continus pour nos actionnaires.

Je crois que ce sont certains des facteurs qui, en combinaison, ont créé l’environnement et la situation qui prévalent actuellement au Canada comparativement aux États-Unis.

La présidente : Le temps est écoulé, à moins que vous souhaitiez ajouter un très bref commentaire.

M. Sprague : Sénatrice, j’aimerais seulement faire un tout petit commentaire : c’était une réponse très complète. Je pense qu’elle reflète notre incapacité à réagir assez rapidement à la concurrence mondiale qui représente la réalité de nos secteurs des ressources naturelles.

La présidente : Je vous remercie beaucoup de vos témoignages et de votre participation à cette discussion.

Nous entendrons maintenant le deuxième groupe de témoins. Nous accueillons donc, d’Osler, Hoskin & Harcourt, Martin Ignasiak, associé, Sander Duncanson, associé et Jessica Kennedy, avocate.

À titre personnel, nous accueillons l’honorable Nick Taylor, ancien sénateur, ancien député à l’Assemblée législative de l’Alberta, membre de l’Association of Professional Engineers and Geoscientists of Alberta, qui œuvre dans le secteur du pétrole et du gaz depuis 1949.

Vous avez cinq minutes pour faire une déclaration. Nous passerons ensuite aux questions.

L’honorable Nick Taylor, ancien sénateur, ancien député à l’Assemblée législative de l’Alberta, membre de l’Association of Professional Engineers and Geoscientists of Alberta, à titre personnel : Honorables sénateurs, bienvenue dans la ville des gagnants de la Coupe Stanley de 2019. Je vous remercie d’avoir pris le temps de vous déplacer et de me donner l’occasion de vous parler. Comme vous l’avez peut-être entendu dans ma présentation, j’ai fait partie de l’opposition pendant 10 ans à l’assemblée législative, et j’ai été sénateur pendant sept ans au Parlement du Canada. De plus, au cours des 70 années suivant la fin de mes études, j’ai été agriculteur, j’ai travaillé dans le secteur pétrolier et gazier et j’ai été prospecteur minier.

À titre d’ancien président de ce comité il y a 20 ans, je sais que vous devez faire énormément de lecture et écouter de nombreuses personnes afin de rédiger un rapport pour vos collègues sénateurs.

Tout d’abord, pour aller droit au but, après avoir lu le projet de loi C-69 à deux reprises et avoir consulté plusieurs personnes dont je respecte l’opinion, je crois que le projet de loi devrait être adopté sans amendement. Je pense que le projet de loi suit l’évolution naturelle de la notion selon laquelle tous les projets d’exploitation d’énergie et de minéraux étaient considérés comme étant de bons projets contrôlés uniquement par la science. C’était l’opinion générale qui prévalait lorsque j’ai travaillé à certains projets comme jeune géologue ou ingénieur après la guerre, à la fin des années 1940. À l’époque, probablement à cause des cicatrices laissées par la guerre, la population exigeait la constitution d’une réserve de métaux et d’énergie et était prête à fermer les yeux sur toutes sortes de choses. Les gens étaient prêts à accepter qu’on apporte certaines modifications aux droits liés à l’environnement ou aux droits des Autochtones pour préparer le pays à affronter tout conflit ou guerre à venir. « Pourquoi se soucier d’un peu de soufre dans l’air ou de quelques produits chimiques dans l’eau? Nous avons de l’air frais et de l’eau douce en abondance », se disaient mes collègues bûcherons et porteurs d’eau.

Je me souviens très bien de mes premiers démêlés avec le public et les écologistes, en 1950, lorsque j’étais un géologue et un ingénieur ambitieux dans le secteur de ce qu’on appelait à l’époque les sables bitumineux, et qu’on m’avait envoyé à Almagordo, au Nouveau-Mexique, au sein d’une équipe chargée d’acquérir une bombe atomique qui serait enfouie dans les sables afin que son explosion, on l’espérait, raffine le pétrole qui s’y trouvait. Dieu merci, je n’ai pas réussi à convaincre les politiciens et les médias de l’Alberta.

Le projet de loi C-69 ne rejette aucune innovation scientifique; il veille seulement à ce que chaque percée soit soumise à l’approbation des citoyens ordinaires. N’est-ce pas le fondement de la démocratie? N’incombe-t-il pas au promoteur d’un projet d’obtenir l’appui du public, ainsi que des personnes qui seront touchées par le projet? Je sais que ce sont des mots calomniés, mais les grands projets ne devraient-ils pas obtenir l’approbation sociale? L’approbation sociale est la nouvelle tendance aux États-Unis et au Canada. Les médias de l’Alberta aiment beaucoup blâmer Ottawa pour les retards dans la construction des pipelines, tout en ne tenant pas compte du fait qu’au sud de la frontière, M. Trump, qui n’est pas l’ami des écologistes, fait face à une certaine opposition en ce qui concerne la construction des pipelines dont nous avons besoin pour acheminer notre pétrole lourd jusqu’aux raffineries du golfe du Mexique. Je suis né et j’ai grandi en Alberta, où l’on m’a appris que lorsque les vaches ne donnaient pas de lait et que les poules ne pondaient pas d’œufs, il fallait blâmer Ottawa.

Au sud de la frontière, au Colorado, un État riche en énergie — et c’est intéressant, car personne ne semble l’avoir mentionné —, les législateurs de cet État qui, comme l’Alberta, est situé tout près des montagnes Rocheuses, ont approuvé, au cours du mois dernier, un projet de loi qui accorde la priorité à la santé et à la sécurité du public plutôt qu’au développement de l’industrie pétrolière et gazière, et ce projet de loi est encore plus musclé que le projet de loi C-69, car les gouvernements municipaux auront un droit de veto.

Le projet de loi C-69 élargit la portée de ce que nous avons maintenant pour traiter les enjeux liés à l’environnement maritime et aux Autochtones et il fixe une limite aux audiences de chaque étape — cette limite peut être adéquate ou non, mais elle pourra être modifiée au besoin.

À titre d’ancien politicien qui a surtout fait partie de l’opposition, je sais parfaitement bien que le meilleur moyen de détruire un projet de loi est de le retarder en proposant un amendement après l’autre, et en suggérant de faire d’autres études et d’autres amendements. Je vous demande donc de ne pas laisser cela se produire cette fois-ci.

En terminant, le projet de loi C-69 est un bon projet de loi. Merci.

Le sénateur Patterson : C’est la première fois que nous entendons cela.

Martin Ignasiak, associé, Osler, Hoskin & Harcourt S.E.N.C.R.L/s.r.l. : Bonjour, sénateurs. Je m’appelle Martin Ignasiak, et je suis coprésident du groupe national d’Osler, Hoskin & Harcourt sur la réglementation, l’environnement, les Autochtones et le territoire. Aujourd’hui, je suis accompagné de mes associés Sander Duncanson et Jessica Kennedy. Mme Kennedy est une associée principale au sein de notre groupe. Nous avons une vaste expérience combinée en matière de conseils aux clients dans le cadre de projets industriels à grande échelle d’un bout à l’autre du Canada, notamment en ce qui concerne les installations d’exploitation de sables bitumineux, divers types de mines, les pipelines et les projets d’énergie renouvelable, notamment des projets éoliens, solaires et hydroélectriques. Nous avons comparu devant des commissions d’examen conjoint créées en vertu de la LCEE 1992 et de la LCEE 2012, ainsi que devant l’Office national de l’énergie et la Commission canadienne de sûreté nucléaire.

Au nom de nos clients, nous avons également négocié plus d’une centaine d’ententes sur les répercussions et les avantages avec divers groupes d’Autochtones de partout au pays.

Avant de laisser M. Duncanson et Mme Kennedy vous parler de certains enjeux spécifiquement liés au projet de loi C-69, j’aimerais vous fournir un peu de contexte pour vos délibérations sur ce projet de loi très important. Au cours des 20 dernières années, trois changements fondamentaux ont été apportés au processus d’examen réglementaire des grands projets. En raison de la combinaison de ces changements, les examens réglementaires menés au Canada sont maintenant plus complexes et plus longs, mais cela n’a pas permis d’améliorer les résultats de notre pays en matière de protection de l’environnement.

Tout d’abord, des développements dans la jurisprudence canadienne en ce qui concerne l’obligation de la Couronne de consulter les groupes autochtones ont engendré la situation actuelle dans laquelle de nombreux groupes autochtones utilisent le processus de réglementation pour des raisons non liées à l’évaluation environnementale, par exemple pour convaincre le promoteur de négocier des avantages ou pour soumettre au gouvernement des questions qui dépassent la portée du projet concerné, et qui ne peuvent pas être réglées de façon satisfaisante par le promoteur ou l’organisme responsable de la réglementation.

Deuxièmement, on a observé une hausse spectaculaire de la participation d’organisations non gouvernementales au processus de réglementation. Un grand nombre de ces organisations y participent afin d’accroître leur exposition médiatique, ce qui leur permettra d’améliorer leurs collectes de fonds. Les préoccupations soulevées par ces organisations sont souvent non pertinentes dans le cadre du projet à l’étude, et elles visent plutôt le cadre stratégique général du gouvernement et les répercussions générales des développements industriels.

Troisièmement, lorsqu’il a mis en œuvre la LCEE 2012, le gouvernement du Canada a élargi grandement son cadre de compétence en délaissant l’approche fondée sur un facteur déclencheur pour inclure des projets en cours d’examen qui n’exigeaient pas l’obtention d’approbations ou de permis fédéraux. À notre avis, l’ancienne approche fondée sur un facteur déclencheur était plus appropriée et contribuait à concentrer l’évaluation sur l’objectif de l’évaluation environnementale à l’échelon fédéral. M. Duncanson vous en parlera. Le gouvernement doit tenir compte de ces tendances et veiller à ce qu’aucune réforme n’aggrave les problèmes déjà présents dans la loi.

Sander Duncanson, associé, Osler, Hoskin & Harcourt S.E.N.C.R.L./s.r.l. : Mesdames et messieurs, les gouvernements font faire des évaluations environnementales pour, avant d’autoriser de grands travaux, s’informer des conséquences de leur décision pour l’environnement. L’évaluation environnementale doit donc comprendre une évaluation technique des mérites du projet, faite par des spécialistes qui examineront tous les faits utiles. Cette façon de faire correspond à l’engagement actuel des gouvernements de prendre des décisions scientifiquement fondées.

Le processus actuellement mené sous le régime de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale de 2012 est devenu un lieu de débats d’enjeux stratégiques nationaux qui débordent amplement la portée d’un projet donné. La version actuelle du projet de loi C-69, d’après nous, exacerbe ce problème en exigeant la prise en considération d’un certain nombre de facteurs qui dépassent la capacité d’y remédier de chaque promoteur ou de la régie. De plus, la tendance voulant que l’évaluation environnementale serve de principal lieu de débats des enjeux stratégiques nationaux a contribué à politiser fortement ces processus, ce qui expose les approbations de projets à un risque et à une incertitude politiques considérables. En recentrant les évaluations sur les qualités du projet, on dépolitisera le processus et on permettra à la régie de se concentrer sur les enjeux particuliers du projet, ce qui aboutira à de meilleurs résultats pour l’environnement.

Jessica Kennedy, avocate, Osler, Hoskin & Harcourt S.E.N.C.R.L./s.r.l. : Mesdames et messieurs les sénateurs, nous encourageons vivement votre comité à recommander des dispositions plus étoffées pour les échéanciers et la participation. Le cadre proposé pour l’évaluation facilite beaucoup le détournement du processus par les opposants au projet, qui peuvent aussi le faire traîner inutilement en longueur. La focalisation de l’évaluation sur les conditions qu’elle doit remplir et la prise de mesures pour dépolitiser le processus peuvent écourter les délais et permettre d’en fixer de plus fermes.

Par exemple, rien n’oblige une évaluation ordinaire à prendre plus de deux ans, une fois que les documents sont considérés comme complets. À cette fin, il faudrait réduire la participation du public à la faveur d’un critère de détermination de la qualité pour participer, conformément à l’usage chez d’autres organismes de régie au Canada.

Enfin, nous recommandons vivement à votre comité de prendre en considération la question de l’efficacité. L’immense majorité des projets auxquels nous travaillons font l’objet d’une évaluation exhaustive par les provinces ou les territoires. D’après nous, le projet de loi C-69 n’en tient pas assez compte. Si le Canada doit demeurer concurrentiel dans la lutte mondiale pour attirer des capitaux, son gouvernement doit reconnaître que les évaluations réalisées par les provinces et les territoires sont valides et que la répétition ou l’annulation de ces processus par un examen fédéral n’aboutit à de meilleurs résultats pour personne.

Nous sommes impatients de répondre à vos questions et, au nom de tous mes collègues, je vous remercie de nous avoir invités.

La présidente : Merci. Passons maintenant aux questions. Le sénateur MacDonald a cédé sa place au sénateur Carignan.

[Français]

Le sénateur Carignan : Premièrement, je tiens à saluer votre témoignage, parce qu’il est rare que des avocats parlent contre une loi qui augmentera le nombre de litiges. C’est encourageant pour la profession. Pour ce qui est des recours, d’après ce que je comprends de votre témoignage, les critères, ajoutés à la notion d’intérêt ou de « standing » pour participer à la consultation, sont tellement larges que des individus ou des groupes utiliseront ce pouvoir ou ce droit de consultation pour retarder ou dévier l’objectif principal de la consultation. Ils pourraient même revendiquer des choses qui n’ont rien à voir avec le... Donc, on crée une espèce de forum fourre-tout où l’entrepreneur est pris à répondre sur des sujets qui devraient être traités par le gouvernement dans d’autres forums. Est-ce exact?

[Traduction]

M. Ignasiak : Tout d'abord, je sais qu'il est rare de voir des avocats préoccupés par l’augmentation du nombre de litiges.

Le sénateur Carignan : Je suis avocat. Je tiens donc à vous saluer.

M. Ignasiak : Il n’y a pas de mal. Cependant, nous sommes préoccupés par le fait que le processus, maintenant, comme nous l’entendons dire trop souvent et comme vous l’avez vous-même entendu, aujourd’hui, fait abandonner des projets, dans notre pays, par les promoteurs, à cause de l’incertitude des échéanciers. D’après nous, le projet de loi n’est pas vraiment adapté à l’obtention de meilleurs résultats au bout du processus. Il vise vraiment à gonfler le processus, d’après nous sans justification, parce que ça ne donnera pas de meilleurs résultats. C’est principalement l’un de nos sujets de préoccupation, à nous qui sommes spécialistes du droit réglementaire.

D’ordinaire, nos clients ne se plaignent pas des normes environnementales canadiennes ni des exigences en vigueur dans notre pays, mais ils se plaignent de l’incertitude du processus et des échéanciers.

En ce qui concerne votre questionnement sur la qualité pour participer à la consultation, nous croyons que ce critère est essentiel. Ayant participé à de nombreuses audiences, ces dernières années, je peux dire que c’était déjà un problème sous le régime de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale de 2012, qui prévoit un critère moins rigide pour déterminer la qualité pour participer, tout en prévoyant certaines exigences, en conférant à la régie une autorité précise pour déterminer cette qualité. Nous constatons maintenant que dans de nombreuses audiences, on discute d’enjeux régionaux qui ne touchent pas précisément le projet. Autrement dit, ces enjeux régionaux existent, et il y a un problème pour les communautés avec qui nous discutons au cours de l’audience, que le projet reçoive ou non le feu vert. D’après nous, il faudra s’en occuper, et ce n’est pas prévu dans la version actuelle de la loi.

[Français]

Le sénateur Carignan : Avez-vous des amendements précis pour encadrer les critères à prendre en compte dans le cadre de cette évaluation environnementale? Qu’en est-il de la réduction de la notion d’intérêt de « standing » aux personnes qui sont directement touchées par un projet?

[Traduction]

M. Duncanson : Ma réponse comportera quelques observations.

Nous avons présenté au nom de notre firme, et je pense qu’il y avait également peu de précédents, un mémoire au comité de la Chambre qui examinait le projet de loi C-69, assorti d’amendements précis, notamment pour la dépolitisation de l’article 22.

J’ai examiné certaines des propositions de l’Association canadienne des producteurs pétroliers et de l’Association canadienne de pipelines d’énergie, qui concourent aussi dans certains de leurs objectifs. Il est essentiel de dépolitiser la loi.

Même après la suppression des facteurs de politisation des lois en vigueur, les participants, sans balises sur la qualité pour participer au processus et sans renseignements sur les modalités de la mise en œuvre du processus, peuvent abuser de la situation. La dépolitisation ne suffit pas. D’après nous et comme Martin l’a dit, les critères qui déterminent qui a qualité pour participer sont très importants.

Cette qualité pour participer n’a pas besoin de se limiter aux parties directement touchées. Des parties qui ne sont pas directement touchées peuvent posséder des renseignements utiles à la régie et ce sont les deux aspects essentiels du critère actuellement en vigueur.

Inversement, la personne qui veut participer à un processus concernant un projet qui ne la touchera aucunement et qui ne possède aucun renseignement utile à communiquer au décideur ne devrait pas, d’après moi, avoir autant le droit d’y participer que la personne touchée ou en mesure de renseigner le décideur.

La sénatrice Cordy : Je remercie les témoins d’être ici. Sénateur Taylor, je suis heureuse de vous revoir. Quand vous étiez sénateur, vous avez présidé notre Comité de l’énergie, je crois.

Vous avez dit que les responsables des grands travaux devaient avoir une conscience sociale. Je me demande si vous pouvez en dire un peu plus à ce sujet. Nous avons entendu l’Association des femmes autochtones du Canada. Elle s’est dite heureuse du projet de loi et du processus, parce qu’ils étaient inclusifs, notamment pour les Premières Nations, et qu’ils donnaient une voix aux femmes autochtones. Elle a dit que le projet de loi était le premier à prescrire l’analyse comparative entre les sexes et elle a expliqué l’importance de l’examen de l’effet de divers projets sur les femmes dans la communauté. Elle a aussi dit qu’il était mieux de travailler avec les Premières Nations que de saisir les tribunaux. Voilà des éléments que, je pense, vous prendriez en considération pour l’acceptabilité sociale.

M. Taylor : Je suis absolument d’accord.

Depuis le début de la matinée, je remarque que tous se plaignent d’avoir communiqué un rapport ou un bon élément d’information qui ne se serait pas rendu à bon port. Les avocats n’ont pas obtenu leurs pipelines; les pipelines n’ont pas trouvé leurs marchés. Toutefois, quelqu’un doit parfois décider que ces projets n’ont pas de mérite, que parfois ils sont condamnés à l’échec. C’est leur sort. Simplement parce que les scientifiques, les géologues et les ingénieurs prétendent qu’ils sont magnifiques ne signifie pas qu’ils le soient. Je ne saurais être plus d’accord avec l’idée que si un peuple autochtone ou si les femmes en général veulent s’exprimer, c’est d’accord. Je sais que les projets de loi risquent d’étirer le processus et que, peut-être, des amendements sont nécessaires pour comprimer les délais, mais, pendant toutes mes années de vie politique, je n’ai jamais vu de projet de loi parfait. Il y aura toujours quelqu’un pour vouloir l’amender un jour.

Comme vous venez de le dire, il faut élargir le processus. Il ne faut pas seulement écouter les avocats qui veulent qu’il soit beau et précis, pas seulement nous, les ingénieurs, non plus.

La sénatrice Cordy : Notre présidente est ingénieure. Nous sommes donc entourés d’ingénieurs et d’avocats.

Je m’adresse aux trois avocats. Je suis préoccupée par votre opinion sur la qualité pour participer et sur l’identité de celui qui doit déterminer qui serait autorisé à comparaître devant la régie. Parfois, même si on n’est pas dans le voisinage immédiat d’un chantier, on est certainement touché. Par exemple, le Winnipeg Free Press a récemment publié un article sur la nation crie de Fox Lake et sur le barrage hydroélectrique qui en a submergé les terres. Il y a des conséquences auxquelles on ne songerait jamais, comme la modification des voies migratoires du caribou, qui échappe ainsi aux chasseurs autochtones.

Seulement d’après les apparences, on pourrait dire que, à 100 kilomètres de distance, impossible d’être touchés par des travaux. Toutefois, quand on constate des problèmes comme la submersion des terres ou la modification des voies migratoires qui touche les chasseurs autochtones, voilà, bien sûr, des intervenants qualifiés.

M. Ignasiak : C’est une excellente question. Je crois qu’il revient vraiment à la régie, en fin de compte, de prendre la décision sur la qualité pour participer, compte tenu de la nature du projet.

Par exemple, je pense que l’un des scénarios bizarres dans lequel nous nous retrouvons à cause de la loi en vigueur, et je pense que le projet de loi ne fera qu’empirer les choses, c’est qu’on ne tient absolument aucun compte de la différence entre un projet linéaire, comme un pipeline, qui peut s’étendre sur cinq, six ou sept cents kilomètres et une mine localisée dans une communauté.

La régie devrait pouvoir examiner les répercussions de ces projets. L’un, la mine, touche les eaux souterraines, ou pourrait toucher la végétation d’un vaste territoire, la mine encore; puis le pipeline, vous le savez, s’il longe une route, ne change pas vraiment le paysage après sa pose. La régie doit pouvoir examiner les répercussions réelles de la réalisation du projet, puis déterminer qui a qualité pour participer aux audiences, en tenant compte de tous ces facteurs, notamment de ce à quoi le processus ressemblera à l’avenir.

Je pense que l’une des manières par lesquelles la loi en vigueur nous a été préjudiciable et que le projet de loi le sera aussi est que les projets linéaires, comme la construction d’un pipeline ou d’une ligne de transport de l’électricité, sont d’une grande longueur, et il est même plus important que les personnes effectivement touchées par leur réalisation puissent bien participer au processus. Des centaines de personnes ou de communautés sont susceptibles d’être touchées, à cause de la longueur parcourue. Tandis qu’une mine, localisée, peut toucher trois communautés voisines ainsi que les Autochtones et d’autres groupes intéressés.

En fin de compte, il revient à la régie, qui possède les compétences et qui est en mesure d’examiner la nature du projet, de déterminer comment concilier tous ces intérêts.

Mme Kennedy : Si vous me permettez de répondre à votre question sur les communautés autochtones, d’après notre expérience, le critère pour déterminer la qualité pour participer, qui repose sur le fait qu’on est directement touché et pénalisé, outre l’expérience et les connaissances utiles qu’on peut transmettre, a servi à englober les groupes autochtones possédant un territoire traditionnel qui risque d’être touché par la réalisation d’un projet donné.

Le critère que nous proposons autorise la participation des groupes autochtones susceptibles d’être touchés, ce qui devrait répondre aux questions que vous avez soulevées.

La sénatrice Cordy : Vous avez parlé des organisations non gouvernementales en voulant peut-être dire les groupes écologistes, si je me fie à la façon dont vous l’avez dit. Devons-nous donc exclure les écologistes qui, d’après vous, pourraient faire dérailler le projet? Je pense que l’objectif du projet de loi est de concilier les intérêts de l’industrie, de l’environnement et les droits des nations autochtones. Comment, sans déséquilibrer le processus, exclure un groupe?

M. Duncanson : Je répondrais que ça dépend. Il ne suffit pas qu’un groupe se manifeste et se prétende inquiet pour l’environnement pour avoir le droit de participer comme les autres.

D’après nous, les écologistes peuvent participer au processus, selon la nature du projet, mais ils devraient montrer comment ils ont l’intention d’y participer et quelles connaissances ou quelle expérience utiles ils pourraient apporter à la régie pour l’aider à prendre une décision en meilleure connaissance de cause. Tant qu’ils sont utiles au processus, ils peuvent participer.

Si leur objectif est seulement, comme l’a dit M. Ignasiak, de cerner des motifs de préoccupation connus de tout le monde et s’ils ne sont pas vraiment touchés d’une façon ou d’une autre par la réalisation du projet, si ça n’aide pas la régie dans sa décision, ils ne devraient pas être autorisés à participer à l’examen de ces problèmes.

La sénatrice Cordy : Des Canadiens m’ont personnellement envoyé des milliers de contributions en ligne. C’est une façon de le faire. J’ai certainement reçu beaucoup de lettres et d’appels téléphoniques à mon bureau. Tout ça fait partie de la participation du public, en plus de notre travail à Ottawa et de nos déplacements dans notre pays, pour entendre des témoins. Participer ne signifie donc pas nécessairement s’asseoir à une table, faire un exposé et poser des questions ou y répondre. Cela peut prendre plusieurs formes.

Est-ce que toutes ces façons devraient être exclues?

M. Duncanson : Non, et vous posez une excellente question. Pour être plus précis, nous ne proposons pas d’empêcher le simple citoyen d’envoyer un mémoire en ligne s’il le désire. Dans le processus sous le régime de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale de 2012, il n’y a pas de véritable limite, et c’est aussi permis.

Une difficulté découle parfois du volume de renseignements, quand on reçoit littéralement des dizaines de milliers de mémoires qu’il faut lire et auxquels il faut répondre.

Nous sommes toutefois conscients de la nécessité, dans les processus d’audiences officielles, où il faut examiner le projet et suivre le processus efficacement, de hiérarchiser la participation. Il s’agit bien de la hiérarchiser, et non d’exclusions générales.

La sénatrice Cordy : C’est donc une qualité pour participer, mais hiérarchisée. Qu’en pensez-vous, monsieur Taylor?

M. Taylor : Je ne suis pas d’accord. Je pense que la régie devrait seulement se préoccuper de savoir si celui qui veut faire un exposé répète quelque chose qu’on a déjà entendu et non de savoir si c’est bon ou mauvais. Ce n’est pas ses affaires. C’est simplement éviter les répétitions.

Je ne m’inquiète pas de l’afflux de témoins, qui en parlant sans arrêt retardent le processus. C’est ce qu’ils essaieront de faire. C’est naturel. C’est ce que les opposants tenteront de faire. Je pense qu’il revient à la régie de décider s’ils se répètent.

Comme ce que doit faire maintenant votre présidente.

La présidente : Oui. Merci. Exactement.

La sénatrice Simons : Je vous remercie, madame la présidente.

Je dois dire que je revois un peu dans ma tête ma vie précédente, car lorsque j’exerçais le métier de journaliste, j’ai couvert la croisade de M. Ignasiak contre la corruption alors qu’il était président de l’Edmonton Police Commission, et j’ai aussi couvert la carrière de M. Taylor lorsqu’il était député de l’assemblée législative et le chef très iconoclaste du Parti libéral de l’Alberta, alors je sais bien qu’il n’a jamais hésité à faire des déclarations qui pouvaient être mal reçues en Alberta s’il estimait qu’il devait le faire.

Je prends très à cœur votre mise en garde, monsieur Taylor, à savoir qu’il faut veiller à ne pas laisser le projet de loi mourir au Feuilleton en s’obstinant sans cesse sur des amendements, car étant donné que le statu quo ne fonctionne pas, je ne crois pas que ce soit une très bonne idée.

J’aimerais poser une question à M. Ignasiak et à ses collègues. L’Association canadienne de pipelines d’énergie et l’Association canadienne des producteurs pétroliers nous ont présenté une série d’amendements. L’un de ces amendements porte sur ce que j’appellerais un « critère de participation souple ». Je ne sais pas si vous avez vu le libellé, mais il vise à modifier l’article 27 de façon à préciser qu’il appartient à l’agence de déterminer la manière dont un membre du public peut participer à une évaluation d’impact d’un projet précis effectuée par l’agence, en tenant compte de la mesure dans laquelle ce membre du public est directement touché par le projet en question ou du fait que, de l’avis de l’agence, ce membre du public possède des renseignements pertinents ou une expertise en ce qui concerne les enjeux. Ce n’est pas un critère strict. La décision appartient au comité, qui peut certes élargir la gamme des personnes qu’il voudrait entendre.

Est-ce que cet amendement répondrait à certaines de vos préoccupations?

M. Ignasiak : Oui, je vous remercie, madame la sénatrice. Vous pouvez imaginer à quel point je suis nerveux de comparaître aux côtés du sénateur Taylor, qui est bien connu pour sa vivacité d’esprit et les effets dévastateurs sur les gens de ses propos au Parlement.

Je crois que ce critère est excellent. Il concorde tout à fait avec le point que j’ai fait valoir tout à l’heure relativement à l’approbation d’un projet par un organisme de réglementation. Nous avons travaillé sur des projets dont très peu de gens ont entendu parler, qui étaient des projets de grande ampleur qui posaient des problèmes sur le plan de l’environnement et qui ont causé des perturbations importantes à l’environnement. Nous avons travaillé sur de tels projets, qui ont très peu attiré l’attention du public, et ils ont été approuvés au terme d’un processus réglementaire.

D’autres projets, qui posent beaucoup moins de problèmes pour l’environnement, font la une des journaux et finissent par être assujettis à des processus réglementaires très complexes ou très longs, dans le cadre desquels on discute de ces projets comme tels environ seulement 10 p. 100 du temps. Nous avons vu toute la gamme des projets. Je crois que l’amendement dont vous avez parlé, dont nous avons pris connaissance et qui a fait l’objet de discussions dans notre bureau, constitue la voie à suivre. L’organisme de réglementation doit être en mesure de se pencher sur la nature du projet, de tenir compte des échéances et du profil du projet et de décider de la meilleure façon de déterminer qui est directement touché, qui a qualité pour comparaître et s’il doit véritablement y avoir différents niveaux de participation.

Si des gens veulent présenter des mémoires pour faire valoir qu’un projet ne devrait pas aller de l’avant, c’est très bien. Nous comprenons cela. Comme M. Taylor l’a dit, il faut plus que des discussions entre ingénieurs et géologues. Nous comprenons cela, mais il y a un point que nous essayons de faire valoir.

Ce qui nous préoccupe le plus à propos du projet de loi C-69, c’est qu’on y mentionne à de nombreuses reprises la participation du public, mais on ne donne pas le pouvoir explicite à l’agence ou aux comités d’examen de permettre la participation d’une personne au processus ou d’exclure quelqu’un du processus. Si notre client nous dit que 10 000 personnes souhaitent participer au processus, il est très difficile pour nous de dire que ces personnes ne devraient pas participer, car il n’existe aucune disposition dans la loi actuellement qui autorise expressément l’organisme de réglementation à prendre une telle décision, ce qui entraîne certains des risques dont on a parlé.

La sénatrice Simons : Il me semble qu’une partie du problème, et c’est particulièrement clair à mes yeux depuis la journée d’hier, que j’ai passée à Vancouver, tient au fait que tout ce projet de réconciliation n’est pas terminé. La plupart des Premières Nations en Colombie-Britannique ne détiennent pas un droit sur leur territoire traditionnel, alors nous utilisons en quelque sorte les dispositions du projet de loi C-69 pour régler le problème plus sérieux que nous avons, à savoir déterminer comment justifier le projet colonial en Colombie-Britannique.

M. Ignasiak : Je vous ai déjà dit qu’il s’agit de l’une des grandes tendances des 20 dernières années. Lorsque j’ai commencé ma carrière, on ne tenait pas vraiment compte du droit autochtone, et maintenant, il est impossible de ne pas avoir une excellente compréhension du droit autochtone. La situation a changé.

Il ne fait aucun doute que la réconciliation est l’un des plus grands défis au Canada en ce moment. Ce qui me préoccupe, c’est que les gens qui pensent que nous pouvons arriver à une certaine réconciliation par l’intermédiaire du processus d’évaluation environnementale ne comprennent pas ce processus, les limites auxquelles le promoteur fait face et les limites auxquelles l’organisme de réglementation fait face lorsqu’il doit étudier un projet en particulier. Nous n’allons pas régler tous les problèmes avec le processus d’évaluation environnementale.

Le sénateur Neufeld : Je vous remercie pour votre présence. J’avais aussi une question à poser au sujet de la participation, mais je crois que nous en avons beaucoup parlé, alors je vais simplement poser une question au sujet des échéances.

Le sénateur Mitchell, de l’Alberta, est le parrain du projet de loi au Sénat, et il fait constamment valoir que les échéances précisées dans le projet de loi C-69 permettront d’aboutir à une décision beaucoup plus rapidement que dans le cadre de la LCEE de 2012. J’aimerais que vous me disiez, d’après votre estimation et votre expérience du processus, si ce sera bel et bien le cas.

M. Ignasiak : Nous allons tous vous donner la même réponse.

M. Taylor : Je ne le sais vraiment pas. Mes collègues ici ont parlé des droits des Autochtones. Ils vont bien au-delà maintenant de la chasse, de l’eau et de l’environnement. Bien des peuples autochtones voudront peut-être participer à l’aspect commercial. Il faut examiner les deux côtés. Je ne le sais vraiment pas. C’est pourquoi j’ai proposé que le projet de loi soit adopté tel quel, et plus tard, il faudra peut-être le modifier, qui sait?

Le sénateur Neufeld : Ou bien le modifier maintenant, et le modifier de nouveau plus tard.

M. Taylor : Exactement. C’est cela, la démocratie.

Mme Kennedy : Selon nous, d’un point de vue simplement mathématique, il se pourrait que ce soit plus court. Je crois que cela dépendra en partie du déroulement des consultations menées au début, c’est-à-dire si des échéances sont raccourcies, mais le principal enjeu, et je crois que bien des gens ici à Calgary vous l’ont probablement dit, c’est la certitude en ce qui concerne les échéances.

Si un client nous demandait quand nous pensons qu’il pourra obtenir une décision à propos de son projet, compte tenu du projet de loi C-69, nous aurions d’importantes réserves à ce sujet, car cette mesure législative offre un large pouvoir discrétionnaire relativement aux échéances.

Pour ce qui est de la dépolitisation, je crois que l’ampleur du pouvoir discrétionnaire du ministre offre l’occasion au public d’exercer des pressions pour influencer les échéances, et cela rend les promoteurs très nerveux et fait en sorte qu’il est difficile pour nous d’évaluer les échéances probables.

Le sénateur Neufeld : Quelle comparaison feriez-vous avec la LCEE de 2012? Vous pouvez utiliser le même scénario, et me dire ce que vous pensez.

Mme Kennedy : Il est évident que la LCEE de 2012 pose des problèmes en ce qui concerne les échéances. Les mêmes problèmes existent ici en ce qui concerne les possibilités de retarder ou de stopper le processus, surtout le processus de demande de renseignements, qui, nous l’avons vu, a contribué à repousser considérablement les échéances des évaluations d’impact.

M. Ignasiak : Sénateur, si je puis me permettre, je dois dire qu’on a oublié quelque chose dans cette discussion sur les échéances, et c’est la réalité pratique de l’évaluation environnementale. La loi prévoit environ 180 jours pour l’étape de la planification préalable. Il y a aussi une disposition qui précise qu’une fois que l’avis final est délivré, le promoteur dispose d’au plus trois ans pour préparer et déposer l’évaluation environnementale ou l’évaluation d’impact. C’est là que commence la deuxième étape.

Il est important que les gens comprennent que ces rapports de 10 000, 20 000 ou 30 000 pages, ou peut-être parfois 5 000 pages, ne se préparent pas en criant ciseau. Ils nécessitent du travail pendant plusieurs saisons, du travail sur le terrain, qui consiste à dénombrer des oiseaux, évaluer la végétation, dénombrer des arbres, mesurer les débits d’eau et évaluer la qualité de l’eau. Tout cela doit être fait durant cette période. Nous avons donc prévu dans cette loi l’étape de la planification préalable, durant laquelle nous sommes censés avoir une discussion très approfondie sur un projet, et ensuite, nous sommes censés mettre le dossier de côté pendant un an ou deux, ou bien trois ans, pendant que le promoteur effectue tout ce travail pour préparer l’évaluation environnementale.

Selon nous, ce n’est pas une approche pratique, car ces entreprises en question doivent embaucher des gens pour effectuer ce travail, respecter l’obligation de divulguer leurs plans futurs et faire preuve de prudence relativement à la nature de l’information qu’elles divulguent et au choix du moment pour le faire. Nous sommes d’avis qu’il y a beaucoup de choses auxquelles on n’a pas suffisamment réfléchi.

Le sénateur Neufeld : Je vous remercie.

Le sénateur Mockler : J’ai une question à poser au sénateur Taylor. Il ne fait aucun doute que vous pourrez me répondre, car votre père et votre grand-père sont originaires de Miramichi.

M. Taylor : Je vais d’abord me faire cuire un petit saumon.

Le sénateur Mockler : Choisissez le bon saumon.

Votre expérience vous a enseigné que la situation est différente selon qu’on se trouve dans l’opposition ou du côté du gouvernement. Je le sais aussi, car j’ai vécu sept élections de l’Assemblée législative du Nouveau-Brunswick. Comment définissez-vous l’acceptabilité sociale?

M. Taylor : C’est une bonne question. En fait, le terme « acceptabilité sociale » a été utilisé pour la première fois par une de mes connaissances. Il s’agissait d’un conservateur pure laine du nom de Morgan. Il souhaitait la construction d’un pipeline ici, en Alberta, et lors des audiences, il a dit être conscient que l’acceptabilité sociale était nécessaire. Il voulait dire — c’est ce que je crois et c’est pourquoi je le mentionne — c’est un vilain mot en Alberta maintenant — que l’acceptabilité sociale ne signifie rien de plus que d’obtenir l’accord de l’ensemble de la société. On ne peut pas aller de l’avant avec quoi que ce soit si la société n’est pas d’accord. Si la société n’est pas d’accord, c’est parce que vous n’avez pas assez bien su vendre le projet, ou peut-être que le projet n’est véritablement pas bon.

Le sénateur Mockler : Vous avez été député de l’Assemblée législative de l’Alberta. Vous êtes le premier à nous dire que ce projet de loi devrait obtenir la sanction royale et qu’il devrait être modifié plus tard. En tant que parlementaire, je ne suis pas d’accord.

Toutefois, j’aimerais avoir votre opinion sur le point de vue du Conseil des premiers ministres de l’Atlantique, qui a dit ceci : « Selon notre examen du projet de loi C-69, dans sa forme actuelle, les modifications importantes proposées à la portée et à l’échelle des évaluations environnementales fédérales au Canada ne permettront pas d’atteindre le double objectif de la protection de l’environnement et de la croissance économique. » Cette phrase figure dans une lettre adressée au premier ministre du Canada, et on m’a informé la semaine dernière que le conseil attendait toujours une réponse. La lettre a été envoyée au premier ministre du Canada le 14 février 2019, et elle est signée par les quatre premiers ministres.

Ma question au sujet du projet de loi est la suivante : avez-vous parlé de cela avec le sénateur Mitchell?

M. Taylor : Oui, et j’en ai parlé aussi avec quelques autres sénateurs. Je ne vais pas les nommer juste au cas où ils ne souhaitent pas que je le fasse. J’ai aussi parlé à un certain nombre de personnes concernées, car je continue de m’intéresser à la politique. Je dois avouer que, dans l’opposition, où j’ai passé une dizaine d’années, l’un des trucs qu’on utilise, c’est amener des soi-disant experts à affirmer qu’il y a un problème avec le projet de loi. C’est l’un des moyens qu’on utilise pour rejeter un projet de loi, en attendant la prochaine session ou la prochaine législature. Je me rends compte que cela se fait encore.

Cependant, je crois que ce projet de loi procède d’une évolution naturelle. Lorsque j’ai terminé mes études, tous les projets étaient jugés bons parce que nous en avions besoin pour l’effort de guerre. Maintenant, de plus en plus de gens interviennent. Mes collègues à ma droite affirment qu’ils n’en savent peut-être rien, mais comment peut-on savoir qu’ils n’en savent rien? Comment sait-on que ce qu’ils font valoir peut être important, surtout s’il s’agit de l’environnement ou des droits des Autochtones. Il pourrait y avoir une incidence beaucoup plus large.

Je crois donc qu’il s’agit d’une évolution naturelle. J’ai travaillé dans de nombreux pays dans le monde; une vingtaine au total, je crois, et je peux vous dire que l’Angleterre et le Danemark sont les pires. C’était il y a 20 ans. Il y a eu très tôt des projets de loi semblables à celui-ci. Ensuite, il y a des pays comme la Namibie, où j’ai aussi travaillé. Ils m’ont acclamé et m’ont donné des fleurs et tout le reste. Ils n’avaient aucune préoccupation à propos des projets parce qu’ils en avaient besoin.

Le sénateur MacDonald : Mes questions s’adressent à M. Ignasiak et son équipe. C’est un plaisir de vous voir.

Parlons de l’insaisissable liste de projets désignés. Le gouvernement semble très réticent à la communiquer. Il n’a donné aucune information à ce sujet et n’a certainement pas fourni la liste au comité. Certains ont dit craindre que les forages de prospection extracôtiers, les projets d’exploitation des sables bitumineux in situ et les mines de potasse soient inscrits sur cette liste de projets.

Selon votre expérience et après avoir lu les documents de consultation du gouvernement, pensez-vous que ces projets et d’autres types de projets que je n’ai pas mentionnés figureront sur la liste de projets désignés?

M. Duncanson : Merci de la question, sénateur. Je ne pense pas que nous ayons des informations plus précises que celles dont disposent tous ceux qui sont ici. Cela dit, les premières consultations avec le gouvernement laissaient entendre que ces types de projets seraient inclus. On suppose qu’il y a eu des discussions en coulisses pour déterminer si c’était acceptable ou non, mais nous en ignorons le résultat.

Nous avons déjà indiqué qu’il nous est difficile, en tant qu’avocats spécialistes de la réglementation, d’évaluer cette mesure législative et de conseiller nos clients sur la portée du projet de loi parce que nous ignorons encore beaucoup de détails sur sa mise en œuvre. Une mesure législative n’est bonne que dans la mesure où elle est réellement mise en œuvre. Sans ces détails, il est très difficile d’en connaître les effets exacts.

Le sénateur MacDonald : Nous avons entendu beaucoup de témoignages sur la liste élargie de facteurs à prendre en considération aux articles 22 et 23 de la Loi sur l’évaluation d’impact. Selon vous, ces articles susciteront-ils plus de débats sur les politiques lors des évaluations des projets, et croyez-vous qu’ils accroîtront l’incertitude chez les promoteurs?

M. Ignasiak : Oui. Actuellement, le critère principal est la détermination du risque d’effets négatifs importants, et nous avons acquis une meilleure compréhension de ce que cela signifie au fil des décennies. Il s’agit d’examiner la réversibilité, la magnitude, et cetera. Toutes ces choses sont prises en compte lorsque les spécialistes de l’environnement et ceux d’autres disciplines cherchent à déterminer s’il y a des risques d’effets négatifs importants.

Je pense que cela nous ramène à la discussion avec M. Taylor concernant les amendements successifs. Il s’agit d’une mesure législative très importante qui découle des lignes directrices du Processus d’évaluation et d’examen en matière d’environnement qui étaient en place avant la LCEE originale. Il y a eu des ajustements, puis la LCEE de 2012, elle aussi modifiée, parfois de façon importante. Nous avons parlé de s’éloigner de l’approche fondée sur un facteur déclencheur.

Dans le cas présent, il s’agit d’une refonte générale de l’évaluation d’impact.

Nous sommes absolument convaincus que le critère utilisé ici entraînera une politisation accrue. Il suffit de lire les facteurs énumérés dans l’un ou l’autre de ces articles pour constater que les politiques feront souvent l’objet de débats, alors que les gens tenteront de déterminer l’issue. Dans les deux cas, il nous est difficile de dire à nos clients s’ils satisfont à ce critère.

Le sénateur Patterson : Sénateur Taylor, nous sommes honorés de votre présence et ravis de pouvoir miser sur votre expérience, mais j’ai été plutôt surpris de vous entendre dire que les membres de l’opposition font preuve de ruse en invitant des experts à témoigner, si j’ai bien compris. Ma question est donc la suivante : pensez-vous que les personnes qui ont comparu devant le comité — je parle d’intervenants respectés de l’industrie, comme les représentants de l’Association canadienne de pipelines d’énergie, de l’Association canadienne des producteurs pétroliers, de l’Association canadienne de l’électricité, du chef Roy Fox, que nous avons entendus aujourd’hui et des manifestants qui ont pris la peine de venir ici pour dénoncer ce projet de loi — participent à une ruse et que nous devrions rejeter leur témoignage?

M. Taylor : Non. Je pense que vous devriez les écouter. Ce qu’ils disent, c’est que cela a une incidence sur leur gagne-pain, comme vous l’avez indiqué. Je pense qu’on a un peu exagéré certains problèmes de l’Alberta. Deux secteurs ont connu une dépression. Premièrement, sur le plan géologique, une nappe de pétrole léger a été découverte au Texas et en Oklahoma, ce qui génère beaucoup plus de revenus pétroliers pour eux, mais cela a signifié la fin des activités de ce type au Canada.

Le deuxième aspect que je tiens à souligner est qu’il y a eu un boom au Canada au cours des 10 ou 20 dernières années. N’oubliez pas que je suis plus âgé qu’eux. Je me souviens de l’époque où l’argent était difficilement gagné. Ils ont connu de très bonnes périodes et la situation actuelle n’est qu’un retour à la normale. Donc, ce n’est pas tant une dépression qu’un ralentissement.

Malheureusement, beaucoup de personnes sont sans emploi et il a fallu beaucoup d’ajustements, mais il y a une reprise. Je travaille pour une firme d’ingénierie. Au cours des six derniers mois, notre clientèle a doublé. Cela signifie qu’une hausse des effectifs dans les secteurs du génie et de l’énergie se traduira éventuellement sur le terrain. Nous avons connu un essor considérable, puis une chute. C’est la nature du secteur pétrolier; il faut s’habituer aux fluctuations.

Le sénateur Patterson : Je veux simplement dire aux représentants de la société Olser que nous entendons continuellement parler des lacunes graves du projet de loi, notamment l’incertitude entourant la liste de projets et même les lignes directrices; l’incertitude concernant la substitution, puisque les provinces ne savent pas si elles seront visées par le processus de substitution, l’incertitude quant aux délais ou les critères ouverts. Tout cela est exacerbé par les témoignages troublants que nous avons entendus hier au sujet des appuis financiers ambitieux d’entités étrangères aux organismes environnementaux et même aux groupes autochtones.

Une certaine époque, il y avait un mantra : un projet, une évaluation. Lorsque je regarde ce projet de loi, je vois essentiellement un processus trifurqué : l’évaluation d’impact, la délivrance des permis et le processus réglementaire, qui pourraient tous relever d’instances distinctes composées de personnes différentes.

Est-ce une perversion de l’objectif d’un examen par projet qui semblait si courant ces dernières années?

M. Ignasiak : Nous considérons que c’est une grave lacune de la mesure législative. Le problème s’est aggravé avec la LCEE de 2012, et même avec la version précédente de la LCEE. Il est devenu de plus en plus fréquent qu’une évaluation fédérale exhaustive soit exigée pour un projet alors que cela avait déjà été fait par un organisme de réglementation provincial ou territorial totalement compétente en la matière. Cela ne donne pas de meilleurs résultats, mais il est certain que cela augmente les coûts et la durée du processus. Vous savez, certains disent que la LCEE de 2012 représente une érosion du rôle du gouvernement fédéral en environnement. De notre côté, nous voyons que certains projets ne nécessitent aucun permis ou aucune approbation du gouvernement fédéral. Or, malgré tout, les promoteurs doivent fournir une description de projet à l’agence et se soumettre à un examen du fédéral en raison de la loi existante, et cette mesure législative ne fait que pousser cela un peu plus loin.

Donc, vous m’avez entendu parler de l’ancienne approche fondée sur des éléments déclencheurs que nous utilisons depuis l’adoption des lignes directrices du PEEE et de la LCEE originale. Je pense qu’il serait très utile de simplifier le processus et de tendre le plus possible vers une évaluation unique.

La présidente : Je remercie nos invités de leurs témoignages.

Chers collègues, merci pour ces questions, ces discussions et ce débat.

Nous poursuivons notre étude du projet de loi C-69 avec le troisième groupe de témoins. Nous accueillons Mme Arlene Kwasniak, professeure émérite de droit à l’Université de Calgary, qui témoigne à titre personnel. Nous accueillons également Mme Sarah Vandaiyar, présidente et chef de la direction de la Young Pipeliners Association of Canada.

Arlene Kwasniak, professeure émérite de droit, Université de Calgary, à titre personnel : Merci beaucoup à tous et merci de m’avoir invitée à parler de ce projet de loi très important. Comme je l’ai indiqué dans mon mémoire, je suis professeure émérite de droit à l’Université de Calgary et j’œuvre dans le domaine de l’évaluation environnementale depuis plus de 25 ans. J’ai rédigé et publié des articles à ce sujet. J’ai aussi siégé pendant environ 11 ans au Comité consultatif de la réglementation mis sur pied en vertu de la LCEE de 1992. J’ai également été membre du caucus de planification et d’évaluation environnementale du Réseau canadien de l’environnement.

J’aimerais commencer par quelques commentaires sur le rôle très important du Sénat dans l’examen de la mesure législative, puis passer en revue quelques points abordés dans mon mémoire. Je sais que vous l’avez tous reçu. Je répondrai ensuite à certains commentaires qui ont été faits dans les témoignages que vous avez entendus la semaine dernière. Je n’ai pas eu l’occasion d’inclure ces réponses dans mon mémoire.

En ce qui concerne le rôle du Sénat et l’examen de la loi, je n’ai aucunement la prétention d’informer le comité ou le Sénat de leur rôle, puisque vous le savez très bien, évidemment, mais aussi parce qu’il ne m’appartient pas de le faire. Au contraire, ces commentaires s’inscrivent simplement dans un contexte général, car les présentations faites à ce comité s’accompagnent d’attentes selon lesquelles le comité fera des recommandations au Sénat, entre autres choses.

Il a notamment été demandé au comité sénatorial de torpiller le projet de loi, ce qui signifie, d’après ce que je comprends, soit de retarder l’examen du projet de loi pour qu’il ne puisse être adopté avant la fin de cette législature — je suis certaine que ce n’est aucunement votre l’intention —, soit de rejeter le projet de loi, ce qu’on appelle parfois le veto absolu, un pouvoir rarement exercé. En fait, j’ai appris que ce n’est arrivé que quatre fois depuis la Deuxième Guerre mondiale, et seulement dans des circonstances extrêmes et urgentes. Je dirais que le projet de loi C-69 n’est pas l’une de ces occasions. Certains amendements proposés permettraient de clarifier le projet de loi, d’accroître la certitude et de mieux refléter sa politique, tandis que d’autres la mineraient ou la modifieraient complètement. Je pense donc qu’il est pertinent de se demander quel est le rôle exact du Sénat.

De toute évidence, ce rôle évolue, étant donné que le Sénat est indépendant. Je ne sais même pas vraiment où il en est actuellement. Le Sénat peut certainement faire des amendements.

J’aimerais lire une citation du sénateur Harder datée du 12 avril 2018, car elle me semble tomber à point. Il a dit ce qui suit :

Lorsque le gouvernement, avec la pleine responsabilité politique et l’assentiment de la Chambre, fait un choix politique qui est légitime et raisonnable, il ne suffit pas de soutenir qu’il serait préférable que le gouvernement adopte une politique publique complètement différente. Si, dans la gamme d’options politiques raisonnables permettant de remplir ses objectifs, le gouvernement a choisi une politique plutôt qu’une autre, son choix de politique devrait dans la plupart des cas ne pas être remplacé et primé. Le Sénat n’a pas pour but de rivaliser avec la Chambre des communes, et ce n’est pas le rôle des sénateurs de gouverner à partir du confort relatif (électoralement sécuritaire!) de la Chambre rouge. Pour dire les choses franchement, les amendements aux projets de loi du gouvernement ne sont pas moins chers la douzaine.

Je sais que ce sera très difficile d’amender ce projet de loi, si vous décidez de le faire. J’étais personnellement très heureuse d’entendre l’ancien sénateur Nick Taylor demander qu’on laisse tout tel quel pour ensuite apporter des modifications au besoin, mais je peux concevoir qu’on propose des amendements.

J’espère que, à la lumière de la déclaration du sénateur Harder, la politique sous-jacente sera respectée et que les amendements qui ont tendance à nuire à cette politique seront minutieusement étudiés, car il pourrait même s’avérer inapproprié de procéder de la sorte.

Maintenant, en ce qui a trait à mon mémoire, je vais aborder brièvement trois choses en plus de revoir les amendements. Une partie de mon mémoire explique pourquoi les raisons fournies pour empêcher l’adoption du projet de loi avantagent essentiellement ses détracteurs. J’y précise que le projet de loi C-69 ne modifie pas en profondeur l’évaluation fédérale et que les affirmations à cet effet sont tout simplement fausses. Le projet de loi est essentiellement fondé sur la LCEE de 2012. Tout comme M. Ignasiak, j’aurais été très agacée de constater le retour des déclencheurs. Je crois qu’ils illustrent mieux les compétences fédérales. Toutefois, la mention des ouvrages majeurs est toujours là, tout comme la substitution. Puis, l’ajout d’éléments relatifs à la durabilité rend selon moi le projet de loi encore plus profitable pour l’industrie. De cette façon, les projets seront plus acceptables pour les collectivités concernées de même que pour le reste de la population canadienne, en plus d’aligner davantage la législation fédérale sur celle des provinces et territoires.

Mon mémoire contient une note de bas de page très longue où j’énumère toute la législation provinciale et territoriale pertinente, et où j’illustre que beaucoup d’autres éléments en plus de ceux relatifs à l’environnement doivent être pris en compte partout au pays.

Rétablir le droit du public à participer au processus est une politique clé qui sous-tend ce projet de loi et elle ne devrait pas être modifiée. Pendant plus de 20 ans, il y a eu pleine participation du public et personne n’en a fait de cas. Cet aspect ne peut que rendre le projet de loi plus crédible.

Un peu plus tôt aujourd’hui, on a fait référence à M. Roman, qui se serait dit favorable à une participation limitée du public. Je n’ai absolument rien vu dans les propos d’Andrew Roman qui allait en ce sens. En fait, quand il a témoigné devant le comité, il a déclaré que l’inclusion de règles permanentes et de clauses restrictives était habituellement une perte de temps et qu’il serait préférable de simplement aller de l’avant en présumant qu’il y a pleine participation du public.

De plus, l’ajout de l’analyse comparative entre les sexes plus favorisera l’acceptabilité sociale du projet proposé, quoique je recommande fortement à l’agence de préciser de quelle façon cette analyse sera mise en œuvre : ce que le promoteur doit faire et qui la supervise, entre autres.

Pour ce qui est des améliorations à apporter au projet de loi, mon mémoire reprend et étaye les recommandations du sénateur Éric Forest sur la nécessité de donner un plus grand rôle aux municipalités. Je ne vais pas les énumérer, mais je souhaite en ajouter une : que les municipalités soient vues comme des instances à certaines fins très strictes de la loi.

Mon mémoire comprend également des recommandations qui permettraient sans doute de préciser le lien entre les articles 22 et 63. Ce problème a déjà été soulevé bien des fois. De plus, je conviens que l’on peut s’interroger sur la façon dont ces deux articles sont liés. Je propose que l’examen de la loi ait lieu après 5 ans plutôt que 10 ans. Je pense que nous en apprendrons beaucoup au cours des cinq années à venir, et que nous voudrons peut-être procéder à un examen approfondi de la loi.

Je recommande de revenir au libellé d’origine de l’alinéa 22(1)f), qui porte sur les solutions de rechange. Je retirerais le segment « qui sont réalisables sur les plans technique et économique et qui sont directement liées au projet », qui a été ajouté dans la déferlante d’amendements adoptés à la Chambre des communes. Je suis d’avis que, si on y avait réfléchi un peu plus, cet amendement n’aurait pas été adopté. Selon moi, le libellé d’origine était correct. Je serais heureuse d’en discuter avec vous si vous le souhaitez.

J’aimerais aussi formuler quelques commentaires sur les témoignages de la semaine dernière, en particulier sur ce qu’a dit Aaron Henry au nom de la chambre de commerce. C’était jeudi dernier. Il a parlé d’inclure ce qu’il a appelé un « filet de sécurité fédéral ». Si je l’ai bien compris, le filet de sécurité fédéral serait une disposition légale qui permettrait au promoteur, voire à des groupes et à des communautés autochtones, d’être dédommagé par la Couronne si les résultats de ses consultations, de son obligation de consulter les Autochtones et de celle de prendre des mesures d’adaptation ne permettaient pas d’aller de l’avant. Son mémoire n’était pas encore disponible. Ou, à tout le moins, je ne l’ai pas trouvé. J’ai de vives préoccupations sur ce point. D’abord, cela me paraît un emploi fort inusité du terme « filet de sécurité », mais ce n’est probablement pas le plus important. J’estime ensuite que de présumer que tous les projets devraient aller de l’avant quand il y a obligation de consulter et de prendre des mesures d’adaptation est insultant pour les communautés autochtones, car le respect de ces obligations peut parfois montrer que la concrétisation du projet visé n’est pas souhaitable. Ce devrait toujours être une possibilité et il ne devrait pas y avoir d’indemnisation dans de telles circonstances.

Aussi, je trouve insultant pour les communautés autochtones de présumer que nous savons tout ce qu’il y a à savoir sur la consultation et la prise de mesures d’adaptation. En fait, nos tribunaux clarifient la question au fil du temps. Parfois, ce n’est pas la Couronne qui mène des consultations. Ce peut être l’Office national de l’énergie ou même le promoteur. Enfin, le concept même d’indemnisation dans une telle situation deviendrait très complexe, et c’est peu dire. On ouvrirait la voie à toutes sortes de projets qui, même sans avoir de véritable mérite, seraient proposés dans l’espoir de toucher une indemnité. Surtout, il n’y a pas vraiment de place pour ce genre de choses dans une loi sur les répercussions environnementales. Les lois sur les répercussions environnementales ne sont pas là pour insister sur les obligations constitutionnelles. C’est complètement autre chose. Les lois sur les répercussions environnementales peuvent favoriser le respect de ces obligations, sans nécessairement les encadrer de la sorte.

Il y a beaucoup à dire sur la politisation des éléments de l’article 22.

La présidente : Madame Kwasniak, nous devons conclure.

Mme Kwasniak : Très bien.

Je ne crois pas que ce soit le cas. Nous avons simplement besoin de bien encadrer leur déroulement.

En ce qui a trait aux clauses restrictives, je dirai simplement que j’abonde dans le même sens que M. Olszynski, qui disait ce matin qu’il ne devrait pas y en avoir.

Merci.

Sarah Vandaiyar, présidente et chef de la direction, Young Pipeliners Association of Canada : Bonjour et merci de nous avoir invités à témoigner sur l’incidence du projet de loi C-69 sur les jeunes professionnels du secteur.

Je m’appelle Sarah Vandaiyar et je suis présidente-directrice générale d’un organisme à but non lucratif appelé Young Pipeliners Association of Canada. Je représente plus de 1 400 jeunes professionnels de partout au pays qui travaillent dans le secteur des pipelines, entre autres dans les volets de l’ingénierie, des communications, du développement commercial et de la recherche.

Notre organisme a pour vision d’assurer un avenir viable au secteur des pipelines et d’offrir à ses membres diverses activités de formation, de réseautage et d’autres occasions de côtoyer des professionnels chevronnés. Young Pipeliners est fier de représenter la prochaine génération de chefs de file dans le secteur canadien des pipelines et collabore avec divers organismes, comme l’Association canadienne de pipelines d’énergie, l’Association canadienne de normalisation et l’Association canadienne du gaz, sans compter ses homologues aux États-Unis, au Brésil, en Australie et en Europe.

Young Pipeliners est au fait des préoccupations suscitées par le projet de loi, et je suis ici pour traiter des incidences qu’il pourrait avoir sur les jeunes qui souhaitent œuvrer au sein du secteur des pipelines. Young Pipeliners a les mêmes préoccupations que l’Association canadienne de pipelines d’énergie et ses membres quant au manque de clarté et de certitude entourant le projet de loi C-69. Les ressources naturelles du Canada ne peuvent pas être exploitées en raison du nombre insuffisant de pipelines, ce qui empêche l’injection de revenus dans l’économie et contribue à réduire notre compétitivité. Cela freine donc la croissance du secteur ainsi que le recrutement et la formation d’employés, véritable moteur de notre évolution. Bref, des améliorations au projet de loi C-69 sont nécessaires pour assurer la viabilité à long terme du secteur canadien de l’énergie, ce qui est crucial pour les membres de Young Pipeliners qui souhaitent y faire carrière.

La créativité et le talent incroyables au sein du secteur des pipelines est un vecteur d’innovation, ce qui n’est peut-être pas évident vu de l’extérieur. Tous les deux ans, Calgary accueille une conférence internationale sur les pipelines où des spécialistes de renommée mondiale traitent de l’intégrité des pipelines, de la soudure, des pratiques exemplaires en construction, et j’en passe. Young Pipeliners est très actif dans des manifestations du genre et participe aux discussions au cœur de l’intendance de l’environnement et de sa protection.

Je peux vous confirmer que, lorsque j’ai obtenu mon diplôme de l’Université de Waterloo il y a 10 ans, l’industrie pétrolière et gazière était le milieu professionnel par excellence, riche en projets stimulants et en occasions de résoudre des questions intéressantes. Beaucoup de mes condisciples se sont établis en Alberta.

La législation, comme le projet de loi C-69, rend l’industrie moins concurrentielle et, par le fait même, jugule l’esprit d’entreprise, la passion et les élans des jeunes canadiens dont elle a besoin pour progresser. De plus, l’incertitude du processus réglementaire vient mettre des bâtons dans les roues du développement des ressources naturelles canadiennes, dont les revenus permettraient d’appuyer une transition vers un avenir à faibles émissions de carbone.

L’incertitude engendrée par le projet de loi C-69 empêche le Canada d’acheminer son pétrole et son gaz aux marchés. Ce qui préoccupe Young Pipeliners, c’est que non seulement des pays à la réglementation plus souple augmentent leur production pour répondre à la demande mondiale, mais ils augmentent aussi leurs livraisons sur les côtes canadiennes, ce qui se traduit par des milliards de dollars de pertes à long terme pour l’économie nationale.

Young Pipeliners est conscient que le paysage énergétique tend vers un avenir à faibles émissions de carbone, et que cette transition demande des investissements, des capitaux et des travaux de recherche importants. Aménager nos pipelines de façon à tirer le maximum de nos ressources naturelles apporte de l’eau au moulin de cette transition.

Qu’est-ce que le secteur des pipelines représente pour beaucoup de jeunes professionnels?

J’aimerais conclure sur une note personnelle. Je suis fière du secteur au sein duquel je travaille. Je suis ingénieure pour TransCanada depuis cinq ans et, à ce titre, j’ai travaillé sur l’emprise de pipelines pendant des travaux de construction et collaboré avec des entrepreneurs d’ingénierie, entre autres. Tout dernièrement, j’ai été détachée auprès de l’Association canadienne de pipelines d’énergie où j’ai pu en apprendre davantage sur les initiatives mises en œuvre pour assurer l’amélioration constante du secteur.

Donc, que doit-on penser d’une personne comme moi, une ingénieure détachée auprès de l’Association canadienne de pipelines d’énergie et qui dirige la Young Pipeliners Association of Canada? J’espère que le comité voit en moi beaucoup de passion et de créativité, ainsi que le désir concret de veiller à un avenir viable pour le secteur.

Est-ce que le secteur est à l’écoute de ses jeunes professionnels? Tout à fait. Young Pipeliners a un représentant au sein d’un des conseils du secteur, ce qui témoigne d’un véritable intérêt pour le sang neuf. Continuons à travailler ensemble pour veiller à ce que le secteur canadien de l’énergie demeure concurrentiel et à ce que ses jeunes professionnels aient un avenir brillant devant eux.

Merci. Je serai heureuse de répondre à vos questions.

Le sénateur MacDonald : Merci à vous deux d’être présentes.

Madame Kwasniak, dans votre mémoire, vous avez indiqué que la Loi sur l’évaluation d’impact était, selon vous, fortement influencée par l’industrie de l’énergie et les provinces.

La première ministre et le chef de l’opposition de l’Alberta ont tous deux dénoncé le projet de loi C-69. Le Manitoba, l’Ontario, et le Nouveau-Brunswick l’ont également fortement critiqué. Si les provinces et l’industrie de l’énergie ont une si grande influence sur la Loi sur l’évaluation d’impact, pourquoi, selon vous, s’opposent-elles si vivement au projet de loi?

Mme Kwasniak : Je ne peux honnêtement pas vous donner de réponse, parce que j’estime que le statu quo est pire, et je pense qu’une grande partie de l’industrie est de mon avis.

Les choses auraient pu se passer de façon très différente. Je sais que les groupes environnementaux souhaitaient que l’on revienne aux déclencheurs — j’ai été assez surprise d’entendre M. Ignasiak dire qu’il souhaitait que l’on ait de nouveau recours aux déclencheurs —, que l’on assure une prise de décisions totalement indépendante, et que l’on tienne davantage compte des considérations environnementales. La plupart de ces demandes ont été rejetées. Un grand nombre des recommandations du groupe d’experts ont été refusées. Je pense qu’en fin de compte, le projet de loi C-69 constitue un compromis, mais un compromis qui, selon moi, favorise principalement l’industrie de l’énergie. J’imagine qu’il n’est pas surprenant que l’industrie se plaigne, car elle aimerait que le projet de loi lui soit encore plus favorable, ce qui est compréhensible.

Je pense que c’est tout ce que j’ai à dire à ce sujet.

Le sénateur MacDonald : Je suis obligé de répondre à cela. M. Ignasiak est un avocat chevronné dans son domaine et a passé des années à travailler sur ces projets. En toute déférence, je m’en remets à son avis à ce sujet parce que...

Mme Kwasniak : Ce que je dis, c’est que je suis d’accord avec lui au sujet des déclencheurs. Je suis d’accord. D’ailleurs, je pense qu’une grande partie de ce qu’il a dit était pertinente. J’estime que certains des éléments du projet de loi créeront de la confusion chez les personnes chargées d’appliquer la loi quant à ce qu’elles doivent faire. C’est pourquoi, dans mon mémoire, je suggère que l’agence fournisse au minimum des directives claires, et peut-être quelques amendements visant à préciser, par exemple, le lien entre les articles 22 et 63. J’estime que c’est très important.

Le sénateur MacDonald : Merci.

Madame Vandaiyar, c’est un plaisir de vous avoir parmi nous. Ceci n’est pas vraiment une question. J’aimerais simplement vous dire que j’ai foi dans les ingénieurs et les personnes qui sont habiles de leurs mains et peuvent créer des choses. J’ai également foi dans les jeunes comme vous, et je suis très heureux que vous soyez présente aujourd’hui.

Il y a des années, quand on essayait d’exploiter les sables bitumineux, nous n’avions pas la technologie pour le faire de façon efficace et économique. Aujourd’hui, nous la possédons, parce que cela fait des décennies que nous y travaillons. J’aimerais simplement faire valoir que les jeunes du domaine du génie comme vous doivent pouvoir travailler avec l’industrie pour la faire progresser, pour la faire passer à l’étape suivante en vue de l’améliorer. Nous ne pourrons pas atteindre ces objectifs si nous ne permettons pas aux jeunes comme vous de travailler avec l’industrie et de continuer à le faire pour y apporter ces changements et la rendre plus sûre, plus propre et plus efficace.

Nous sommes très heureux que vous soyez venue parler au nom des jeunes professionnels, et nous vous remercions d’avoir pris le temps de le faire, et d’avoir eu le courage de venir.

Mme Vandaiyar : Merci, sénateur.

La sénatrice Cordy : Merci à vous deux d’avoir fait part de votre point de vue sur le projet de loi C-69 à ce comité.

Lorsque je prononce des allocutions dans le cadre d’événements, je pense toujours : j’espère que je ne serai pas le dernier intervenant de la journée, mais vous avez réellement captivé notre intérêt. Merci beaucoup.

Madame Vandaiyar, vous avez notamment parlé du manque de clarté des projets de loi, le genre de choses dont nous avons déjà entendu parler. Vous avez dit que vous aviez travaillé pour la CEPA pendant un certain temps. Vous n’avez mentionné aucun amendement particulier. Êtes-vous satisfaite de ceux apportés par la CEPA?

Mme Vandaiyar : Young Pipeliners est au fait des inquiétudes qui ont été soulevées par la CEPA. Nous travaillons beaucoup avec cette dernière. À titre d’organisme, nous travaillons en partenariat avec elle à diverses initiatives bénévoles.

Je dirais que nous partageons leurs inquiétudes au sujet de la compétitivité. Nous n’avons toutefois proposé aucun amendement.

La sénatrice Cordy : Madame Kwasniak, j’ai été intéressée quand vous avez parlé de considérer les municipalités comme des participantes aux évaluations, mais vous avez ensuite dit que cette participation devait être limitée. Si toutes les municipalités du Canada participaient, le processus pourrait être fastidieux, mais vous avez insisté sur le fait que leur participation devait être limitée. Pourriez-vous préciser?

Mme Kwasniak : Oui, merci pour votre question. Comme je l’ai dit, je reprenais en quelque sorte les remarques du sénateur Forest. Il a indiqué trois façons dont les municipalités pourraient participer. Au début de ses remarques, il a dit, et je suis d’accord avec lui, que les municipalités étaient des gouvernements. Elles rendent des comptes à leur population. Elles ont des plans régionaux, des plans d’utilisation des terres, des plans environnementaux. Elles ont des plans de développement industriel. Tout cela relève de leur contrôle.

En outre, ce sont elles qui portent le poids du changement climatique. Elles répondent aux situations d’urgence, elles doivent prendre soin des personnes, intervenir en cas d’inondations, et cetera. Pourtant, depuis sa création, au Canada, la loi fédérale sur l’évaluation environnementale ne donne pas aux municipalités un rôle plus important que celui qu’elle accorde au public et, avec la LCEE de 2012, aux personnes directement touchées. L’un de mes domaines est le droit municipal, et j’ai toujours été étonnée de la mesure dans laquelle cet ordre de gouvernement est négligé. Les municipalités ont un droit de participation spécial et doivent être avisées de ce qui se passe.

Elles devraient être traitées comme des administrations à certaines fins, et cela serait juste pour les évaluations régionales et stratégiques dans lesquelles leur participation pourrait être pertinente. Leurs plans municipaux pourraient être intégrés à un plan régional de la Loi sur l’évaluation d’impact.

De même, les plans municipaux devraient être intégrés à la description du projet du promoteur. De cette façon, lorsque le promoteur rédige la description de son projet, si un plan municipal pertinent est en place, il serait, en quelque sorte, au cœur de l’évaluation.

Je ne pense pas que nous soyons tout à fait prêts pour que les municipalités soient considérées comme des administrations à toutes les fins prévues dans la loi, même si, dans la documentation, on parle beaucoup d’évaluations fédérales qui sont des évaluations coopératives avec les municipalités, comme ce serait le cas avec les provinces. Les municipalités réalisent également des évaluations de l’impact, et celles-ci pourraient parfois couvrir des questions qui relèvent de la compétence fédérale.

La sénatrice Cordy : Vous avez également parlé de la réalisation d’un examen de la loi tous les 5 ans plutôt que tous les 10 ans. L’industrie a beaucoup changé. Le sénateur Taylor était ici un peu plus tôt. Il a parlé de ce qui se passait dans les années 1950. Aujourd’hui encore, les changements sont apportés tellement rapidement. Est-ce pour cette raison que vous avez suggéré que l’on réalise un examen quinquennal plutôt que décennal?

Mme Kwasniak : Oui, et il s’agit d’une nouvelle loi. Le premier examen de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale était un examen quinquennal. J’y ai participé. Je pense que ce type de nombrilisme était vraiment utile pour voir ce qui s’était produit et ce qui devait changer ou rester tel quel.

L’examen suivant devait avoir lieu sept ans plus tard, parce que nous avions tiré des leçons, mais un projet de loi omnibus y a mis fin. Cela a abouti à la LCEE de 2012.

Toutefois, il me semble, en particulier avec cette nouvelle loi, qui a donné lieu à tellement de discussions et d’inquiétudes, que cela serait beaucoup plus logique.

Je suggère également que l’agence ou la personne, le groupe ou l’organisme pertinent crée un programme d’assurance de la qualité en vue d’assurer le suivi de la mise en œuvre de la loi pour vérifier que tout fonctionne, pour que l’examen quinquennal ou les amendements qui en découlent soient bien éclairés.

La sénatrice Cordy : Merci.

[Français]

Le sénateur Carignan : Ma question s’adresse à Me Kwasniak. Je ne m’attendais pas à ce qu’on reprenne les propos du sénateur Harder. Je tiens juste à vous rappeler que lorsque vous citez le sénateur Harder, vous devez mentionner qu’il est le représentant du gouvernement au Sénat. C’est très important, car il parle au nom du gouvernement. Vous comprenez que lorsque le gouvernement parle, il ne veut pas que son projet de loi soit trop amendé par rapport aux intentions. Vous avez dit que les amendements devraient être élaborés de façon à rebâtir la confiance du public. Les gens qui étaient devant l’hôtel ce matin pour nous dire de tuer le projet de loi C-69, pour moi, ça, c’est le public. Avec tout ce que j’ai entendu ici — et ce qu’on a entendu depuis le début de ces auditions — si on n’amende pas ce projet de loi de façon substantielle, j’ai peur de perdre la confiance du public. Trouvez-vous que l’on utilise l’expression « confiance du public » — cela a été en quelque sorte capté par des groupes, par des opposants — pour justifier le fait de ne pas amender ce projet de loi ou de ne pas augmenter le nombre de consultations en matière environnementale? Dans une situation comme ici, les gens veulent que les intérêts économiques soient pris en compte — et c’est leurs intérêts à eux aussi — et que l’on joue notre rôle constitutionnel, soit d’amender ou de tuer le projet de loi. Qu’en pensez-vous?

[Traduction]

Mme Kwasniak : Je vous remercie de poser la question. Le projet de loi ne devrait pas être tué. Cela voudrait dire, je pense, voter contre. Selon ce que j’ai entendu, et j’ai écouté la plupart des témoignages des gens qui ont comparu devant le comité, on ne réclame pas sa mort à hauts cris, même si on demande que de nombreux amendements soient apportés. La Loi canadienne sur l’évaluation environnementale de 2012 a beaucoup été critiquée. Une bonne part du ralentissement économique, des contestations juridiques et des projets de pipeline qui n’ont pas abouti se sont produits sous la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale de 2012, et non pas sous un projet de loi qui n’a même pas encore été adopté.

Je m’interroge beaucoup sur la source des problèmes et des frustrations. Dans certains cas, ils sont liés à l’évaluation environnementale, mais dans d’autres, ils sont d’ordre beaucoup plus général. Ils sont parfois liés au fait que certaines provinces ou villes s’opposent aux pipelines. Bien souvent, les frustrations n’ont rien à voir avec le projet de loi C-69 ou la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale de 2012, ou même avec les évaluations environnementales comme telles.

Il ne sera pas facile pour le comité de démêler les problèmes qui sont vraiment liés au projet de loi C-69 de ceux qui sont d’ordre plus général.

Je suis totalement convaincue moi aussi que les gens qui manifestaient devant l’édifice aujourd’hui font partie du grand public et que leur voix doit être entendue.

[Français]

Le sénateur Carignan : Merci.

[Traduction]

Le sénateur Neufeld : Je vous remercie tous les deux de votre présence et de vos exposés.

J’aimerais poser quelques questions à Mme Vandaiyar. Vous représentez la Young Pipeliners Association. Nous avons entendu plus tôt le témoignage de Mme Smith, de la Young Women in Energy. Je trouve formidable que des femmes viennent nous parler de leur travail, de leur carrière dans l’industrie, et que cela s’inscrive dans le long terme. Je pense que le comité et la population doivent savoir que des jeunes gens et des jeunes femmes veulent travailler dans cette industrie et qu’ils doivent avoir la possibilité de le faire.

Vous avez aussi mentionné avoir travaillé sur le terrain, avoir logé dans des camps, et j’imagine que vous avez fait un peu de tout. Je mentionne, pour que vous le sachiez, que j’ai aussi travaillé dans l’industrie pétrolière et gazière et que j’ai travaillé à la construction de quelques pipelines, mais c’était il y a longtemps, très longtemps. Ma voisine travaille dans l’industrie depuis plus de 20 ans sans doute, et elle y travaille encore.

Certains nous ont dit qu’il y avait des problèmes dans les camps, entre autres, et que le projet de loi devrait en traiter. Pouvez-vous me dire ce qui aurait pu vous empêcher de demeurer dans un camp? Aviez-vous peur d’y loger? Y a-t-il des choses que vous n’aimiez pas ou des problèmes dont nous devrions être au courant et qui pourraient être réglés?

Mme Vandaiyar : Je suis ravie de pouvoir vous parler de mon expérience. J’ai travaillé comme ingénieure de chantier, un de mes premiers emplois, un peu au nord de Grande Prairie. Pour être honnête, je n’ai jamais eu de problèmes avec les inspecteurs et les travailleurs. J’ai eu beaucoup de soutien du directeur des travaux avec qui j’ai travaillé. J’ai eu un bon soutien, et on ne m’a jamais fait sentir mal à l’aise dans les camps. Je sais que certaines personnes ont eu des problèmes, mais dans mon cas, j’ai beaucoup appris et j’ai toujours été traitée avec respect.

Le sénateur Neufeld : Je suis content d’entendre cela. En fait, et je veux le mentionner pour le compte rendu, la dame dont j’ai parlé travaille pour une grande entreprise de Fort Saint John qui installe, en ce moment même, des tuyaux de 42 pouces pour la Coastal GasLink. Un journalier gagne 32 $ de l’heure en commençant, et son salaire ne fait qu’augmenter. De toute évidence, on peut y gagner d’assez bons salaires.

Pourriez-vous me parler des obstacles auxquels se heurtent les jeunes femmes qui veulent travailler dans cette industrie? Devrions-nous en examiner certains aspects pour tenter de les éliminer, si c’est le cas?

Mme Vandaiyar : Katie Smith vous a sans doute dit ce matin que le mentorat est un des éléments qui aident beaucoup les jeunes femmes. Je sais que beaucoup de grandes entreprises veulent mettre en place des programmes de mentorat mieux intégrés, afin que les jeunes femmes comme moi qui vont travailler dans un chantier aient quelqu’un à qui parler et avec qui discuter de leurs idées. Je pense que l’industrie s’occupe très bien de cet élément.

Le sénateur Neufeld : Merci beaucoup de votre témoignage.

La présidente : Madame Vandaiyar, j’ai une petite question pour vous. Je suis heureuse de vous entendre dire que des femmes travaillent en ingénierie, que la créativité et l’innovation les passionnent, et que la durabilité constitue pour elles un des piliers ou des objectifs pour assurer le développement futur de l’industrie pétrolière et gazière.

Pouvez-vous nous donner quelques exemples d’innovation dans l’industrie qui sont liés au changement climatique, à la production et l’élimination des résidus dans les champs pétroliers et à la revitalisation des sites?

Mme Vandaiyar : Je peux vous parler de façon très générale de ce que j’ai pu observer dans le cadre de mon travail d’ingénieure et au sein de la Young Pipeliners Association, qui collabore très étroitement avec un groupe aux États-Unis appelé le Pipeline Research Council International. Il s’agit d’un organisme à la fine pointe de la recherche dans différents domaines liés à l’intégrité des pipelines. Il compte même une équipe maintenant qui s’intéresse à l’intelligence artificielle et qui analyse une foule de données provenant d’outils utilisés pour évaluer les pipelines. Je dirais que ce sont les grands thèmes à l’heure actuelle, et que tout cela contribue à accroître l’efficacité et la sécurité des pipelines.

La sénatrice Simons : J’ai une question pour chacun de vous, si je peux me permettre. Madame Vandaiyar, je pense que les gens en Alberta savent que les pipelines sont un mode de transport sécuritaire pour le carburant, et que c’est un mode de transport plus sécuritaire que le rail et que bien d’autres options, peu importe qu’ils soient utilisés pour le transport du bitume, du pétrole ou du gaz naturel liquéfié. Toutefois, il semble de plus en plus que ce que les gens craignent et n’aiment pas au sujet des pipelines, ce n’est pas tant l’intensité des émissions de carbone produites par l’industrie que les pipelines eux-mêmes. Selon les gens de votre génération à qui vous parlez, que doit faire l’industrie? Que doivent faire des gens comme les jeunes pipeliniers pour convaincre la population que les pipelines sont, en fait, une technologie sécuritaire?

Mme Vandaiyar : Je vais vous parler d’un des programmes sur lesquels travaille la Young Pipeliners Association à l’heure actuelle en collaboration avec l’Université Queen’s. Nous sommes allés rencontrer des étudiants en ingénierie, et je pense qu’environ une dizaine se sont rendus en Alberta dans une emprise pour voir comment sont construits les pipelines. Ils nous ont posé des questions très intéressantes, vous savez, sur la construction même, sur les outils d’inspection, et cetera. Je pense qu’il est très important de voir cela ou d’avoir des professionnels qui vont rencontrer les jeunes pour leur parler.

Je pense que vous avez tout à fait raison de dire que les gens qui ne travaillent pas dans l’industrie n’ont aucune idée de la technologie utilisée et de tout le travail qui est effectué pour faire en sorte que les pipelines soient sécuritaires et fiables.

La sénatrice Simons : C’est bien de se rendre sur place à Queen’s, mais comment faire pour joindre un vaste auditoire?

Mme Vandaiyar : Nous voulons que le programme soit offert dans d’autres universités, particulièrement en Ontario, et c’est notre approche en ce moment.

La sénatrice Simons : J’ai une question qui s’adresse à Mme Kwasniak.

Dans votre exposé, vous avez parlé de l’idée de considérer les municipalités comme des instances dans certains cas. Lorsque nous étions à Vancouver hier, des chefs autochtones nous ont dit vouloir que les Premières Nations soient considérées comme des instances. Qu’en pensez-vous, et y voyez-vous des problèmes?

Mme Kwasniak : Aux termes du projet de loi C-69, les Premières Nations seront considérées comme des instances dans certains cas, notamment pour la substitution et la collaboration. Je pense qu’elles seront également considérées comme des instances dans le cadre des évaluations régionales. Je ne sais donc pas ce qu’elles envisagent de plus.

La sénatrice Simons : Un groupe voulait que la substitution soit obligatoire, c’est-à-dire que si une Première Nation demande un pouvoir de substitution, ce pouvoir doit lui être accordé afin qu’elle puisse procéder à sa propre évaluation d’impact environnemental.

Mme Kwasniak : C’était un problème dans la loi actuelle, c’est-à-dire que si une province demandait au gouvernement fédéral une substitution, cela devait lui être accordé lorsque certaines conditions étaient remplies, mais dans le cas des instances autochtones, le pouvoir était discrétionnaire.

Le projet de loi C-69 modifie cela, de façon à ce que les provinces et les instances autochtones soient traitées de la même façon.

Le sénateur Patterson : Madame Kwasniak, je vous remercie d’avoir décrit les diverses approches d’évaluation des impacts utilisées au Canada. J’ai trouvé que votre longue note de bas de page était très intéressante.

Vous dites que l’évaluation d’impact fédérale devrait cadrer avec tous les régimes provinciaux et territoriaux, mais j’aimerais remettre cela en question. Dans les régimes provinciaux et territoriaux, les lignes directrices tiennent, tout au plus, sur quelques lignes. Ce sont des lignes directrices génériques. J’aime l’approche du Nunavut, qui parle des impacts écosystémiques ou socioéconomiques, soit quatre mots. Dans la plupart des cas, c’est très court. L’article 22, si je me souviens bien, contient plus de 20 critères différents qui, comme on l’a souligné, n’ont pas été définis et peuvent donc facilement donner lieu à des poursuites et des contestations judiciaires.

Si vous dites que les régimes territoriaux et provinciaux cadrent avec le projet de loi C-69, vous devez admettre qu’ils utilisent beaucoup moins de mots, et qu’ils comportent beaucoup moins de risques. Les lignes directrices génériques permettront, vous savez, de se concentrer sur le caractère unique de chaque projet.

Seriez-vous d’accord pour dire qu’il pourrait y avoir beaucoup moins de mots dans le projet de loi C-69, comme c’est le cas dans les régimes provinciaux et territoriaux? La liste est beaucoup plus détaillée, ce qui peut facilement donner lieu à des contestations.

Mme Kwasniak : Je vous remercie beaucoup de poser la question.

La liste que j’ai fournie résume les objectifs d’une évaluation. Il faudrait donc les comparer à ceux de l’évaluation fédérale, qui consiste à évaluer les impacts économiques, environnementaux, sociaux et sanitaires. Celle de l’Alberta porte sur la plupart de ces éléments, soit les impacts économiques, environnementaux, et peut-être sanitaires. Ailleurs, les objectifs peuvent être différents, mais ils ne se limitent jamais à l’environnement.

Je pense que ce qu’il faut comparer, ce sont les objectifs de l’évaluation. Les objectifs dans le projet de loi C-69 seront différents de ceux de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale de 2012, où il n’est question que des impacts environnementaux. Nous évaluerons maintenant, en plus des impacts environnementaux, les impacts sociaux, économiques et sanitaires. On évalue donc tous ces éléments, comme on le fait dans les autres provinces et territoires.

Les facteurs énumérés à l’article 22 sont tout autre chose. Ce sont les facteurs qu’on utilise pour tenter de déterminer quels sont les impacts économiques, environnementaux, sanitaires et sociaux. Je n’ai pas examiné toutes les lois pour savoir quels sont les facteurs qui doivent être analysés pour évaluer les impacts environnementaux et sanitaires, les impacts environnementaux et sociaux, ou quoi que ce soit. Je pense que l’on compare un peu des pommes et des oranges, parce que les facteurs ne sont pas la même chose que les objectifs de l’évaluation.

Vous m’avez aussi demandé si, à mon avis, l’article 22 était clair. Certains éléments le sont. Je pense toutefois qu’on pourrait apporter des précisions, et je recommanderais fortement que l’agence établisse des lignes directrices pour que les promoteurs sachent de quelles preuves ils ont besoin pour chaque facteur.

Les facteurs seront établis par le ministre ou l’agence, ce qui veut dire que leur nombre sera réduit. L’intention derrière le projet de loi est de faire en sorte que l’entité qui procède à l’évaluation fournisse au promoteur le cadre — les paramètres — au sujet des renseignements qu’il devra fournir.

Je pense que le ministre et l’agence devraient aussi avoir plus de directives, notamment dans le cas des facteurs d’analyse comparative entre les sexes plus. C’est une excellente initiative, mais ce champ d’études est tellement nouveau qu’il nécessite clairement des directives. On ne peut pas plaquer cela ainsi sans plus.

Le sénateur Patterson : Je ne suis pas d’accord avec vous, madame Kwasniak, au sujet de votre citation du sénateur Harder, qui nous a fait la morale sur beaucoup de choses et qui ne croit probablement pas au rôle de l’opposition officielle dans le modèle de Westminster.

Vous avez dit que le choix du gouvernement sur le plan de la politique devrait être accepté en grande partie. Très bien, mais est-ce une garantie que le projet de loi sera bien rédigé? Je pense que, en plus de représenter les régions et de protéger les minorités, il est de notre devoir, et cela remonte aux Pères de la Confédération, de faire en sorte que les mauvais projets de loi soient améliorés.

Je vais vous donner un bref exemple. Le projet de loi S-3 visait, disait-on, à éliminer la discrimination basée sur le sexe dont étaient victimes les femmes des Premières Nations dans la Loi sur les Indiens. Le projet de loi a été profondément modifié au Sénat, et c’est le moins que l’on puisse dire. Le comité a entendu une foule de témoignages selon lesquels le projet de loi n’éliminait pas la discrimination basée sur le sexe dans la Loi sur les Indiens. Les amendements recommandés pourraient maintenant nous rapprocher de cet objectif.

Vous avez, vous-même, recommandé des amendements dans votre exposé. Vous ne nous demanderiez pas ou ne nous recommanderiez pas, bien sûr, de fermer les yeux sur les vives inquiétudes soulevées par des experts et d’oublier les amendements que nous pourrions vouloir apporter dans le cadre de notre étude attentive du projet de loi pour l’améliorer.

Mme Kwasniak : Je ne conteste pas, je pense, quoi que ce soit que vous avez dit. Les premiers éléments que vous avez mentionnés semblent clairement relevés du rôle du Sénat.

Je tiens, en fait, à le répéter : je n’essayais pas de faire la morale au Sénat. Il me semble tout simplement, où c’est une idée qui m’est venue en entendant les témoignages, que les gens en général pensent que vous pouvez tout simplement rédiger un nouveau projet de loi et que cela fait partie de votre travail. C’est ce qui a motivé mon commentaire.

Je suis d’accord avec tout ce que vous avez dit. J’ai aussi mentionné que lorsqu’un amendement semble porter atteinte à la politique sur laquelle repose le projet de loi, il doit être examiné soigneusement, notamment s’il s’agit d’éliminer une ambiguïté. Je serais certainement très heureuse de voir que le Sénat élimine les ambiguïtés dans le projet de loi qui doivent l’être.

La présidente : Merci beaucoup. Cela met fin à nos audiences aujourd’hui.

(La séance est levée.)

Haut de page