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ENEV - Comité permanent

Énergie, environnement et ressources naturelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Énergie, de l'environnement et des ressources naturelles

Fascicule nº 61 - Témoignages du 10 avril 2019 (séance du matin)


FORT McMURRAY, le mercredi 10 avril 2019

Le Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-69, Loi édictant la Loi sur l’évaluation d’impact et la Loi sur la Régie canadienne de l’énergie, modifiant la Loi sur la protection de la navigation et apportant des modifications corrélatives à d’autres lois, se réunit aujourd’hui, à 8 h 3, pour étudier le projet de loi.

La sénatrice Rosa Galvez (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bonjour et bienvenue à cette séance du Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles. Je m’appelle Rosa Galvez. Je suis une sénatrice du Québec et je préside ce comité. Je demanderais aux sénateurs autour de la table de bien vouloir se présenter, à commencer par le vice-président.

Le sénateur MacDonald : Michael MacDonald, de la Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Mockler : Je m’appelle Percy Mockler et je viens du Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Neufeld : Richard Newfeld, de Fort St. John en Colombie-Britannique.

Le sénateur Richards : Dave Richards, du Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Cordy : Jane Cordy, de la Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Simons : Paula Simons, Territoire du traité no 6 en Alberta.

La présidente : Je vous souhaite la bienvenue, à vous comme aux citoyens assis à l’arrière. Je vous remercie beaucoup de votre présence. Nous continuons aujourd’hui notre étude du projet de loi C-69, loi édictant la Loi sur l’évaluation d’impact et la Loi sur la Régie canadienne de l’énergie, modifiant la Loi sur la protection de la navigation et apportant des modifications corrélatives à d’autres lois.

Je tiens à préciser aux témoins que nous sommes ici pour débattre des enjeux propres au projet de loi C-69, et non d’autres projets de loi ou d’autres questions hors de la portée du projet de loi C-69. Le but est d’être efficaces dans nos audiences.

Parmi le premier groupe de témoins, nous accueillons Mme Kara Flynn, vice-présidente, Affaires gouvernementales et publiques chez Syncrude Canada. Nous accueillons aussi M. Gene Sobolewski, maire de Bonnyville, ainsi que M. Don Scott, maire de la municipalité régionale de Wood Buffalo, qui représentent la Coalition canadienne des municipalités pour l’action énergétique.

Nous commencerons par vos déclarations de cinq minutes, après quoi il y a aura une période de questions.

Madame Flynn, voulez-vous commencer?

Kara Flynn, vice-présidente, Affaires gouvernementales et publiques, Syncrude Canada Ltd. : Merci et bonjour, madame la présidente, honorables sénateurs, mesdames et messieurs. Je m’appelle Kara Flynn. Je suis vice-présidente des Affaires gouvernementales et publiques chez Syncrude Canada Ltd. J’aimerais tout d’abord reconnaître, en tout respect, que nous sommes réunis aujourd’hui sur le territoire visé par le traité no 8, qui est le territoire traditionnel du peuple métis. Syncrude Canada Ltd. gère le projet Syncrude au nom des quatre autres participants à cette coentreprise, c’est-à-dire CNOOC Oil Sands Canada, Imperial Oil Resources Ltd., Sinopec Oil Sands Partnership et Suncor Energy.

À titre d’exploitant de projet, Syncrude peut compter sur ses employés chevronnés, sa réputation, toutes ses concessions, de même que ses permis et approbations réglementaires. Par conséquent, nous avons la responsabilité de demander et d’obtenir toutes les approbations et tous les permis réglementaires nécessaires et de nous y conformer. D’ailleurs, j’ai récemment présidé notre comité réglementaire sur l’agrandissement de notre mine au lac Mildred.

Vous avez notre mémoire sous les yeux. Je ne vous le présenterai pas en détail, mais vous y avez accès à titre informatif. Je passerai maintenant directement à mes commentaires sur la diapositive 3.

Syncrude a participé très activement aux processus de consultation et d’évaluation fédéraux. Nous sommes reconnaissants envers le gouvernement d’essayer d’accroître la confiance du public envers le processus et de contribuer aux efforts pour que nos ressources puissent être acheminées vers les marchés.

Nous sommes favorables à toute modification susceptible d’accroître la certitude quant au processus réglementaire et de créer au Canada un environnement prévisible et concurrentiel propice aux affaires. Je crois que vous avez entendu nos collègues de Calgary, hier, et qu’ils vous ont présenté leurs analyses détaillées ainsi que leurs recommandations d’amendements au projet de loi C-69. Je ne prendrai pas le temps de passer toutes ces recommandations en revue, mais sachez que Syncrude les appuie également.

Aujourd’hui, je serai heureuse de vous présenter nos grandes réflexions et de mentionner quelques-unes des modifications qui permettraient, selon nous, d’améliorer le processus actuel.

Nous sommes une industrie sous réglementation provinciale, et nous aimerions qu’il y ait une phase de planification en amont pour rendre le processus plus clair et plus efficace. Nous avons pu constater nous-mêmes que sans cette clarté, la phase de mobilisation initiale n’apporte pas grand-chose à part de retarder la prise de décisions réglementaires.

Dernièrement, à l'échelon provincial, on a permis deux années complètes de mobilisation avant que notre demande ne soit soumise. Cette mesure a été prise pour répondre à la demande des groupes autochtones locaux qui souhaitaient être mis à contribution dès le début des processus réglementaire et consultatif. Ils voulaient comprendre les détails du projet avant que la demande ne soit soumise.

Bien que cela ait contribué à un plus grand nombre de consultations, cela n’a pas, à notre avis, ajouté de valeur à une évaluation déjà de grande qualité, ni à la demande soumise dans le cadre du processus de demande officielle, qui est très rigoureux. La portée de l’évaluation doit être définie dès le début du processus. Cela permettrait de préciser les attentes et les critères en fonction desquels l’évaluation sera effectuée. Il est nécessaire de veiller à ce que seuls les facteurs pertinents relevant de la compétence fédérale soient pris en compte dès le départ afin d’éliminer des retards importants tout au long du processus et de garantir que tous les facteurs énumérés à l’article 22 soient pris en considération dans l’évaluation de tout projet.

De plus, selon le libellé actuel du projet de loi, il ne serait pas possible de prioriser les personnes les plus directement touchées par un grand projet afin qu’elles puissent se faire entendre autrement que le grand public. Nous sommes favorables à tout amendement qui permettrait à l’agence d’établir un processus de participation adapté pour les Autochtones et les autres parties, en fonction des répercussions qu’un projet risque d’avoir sur eux. Ces changements devraient mener à un processus transparent, efficace et plus prévisible pour l’agence, les promoteurs, les Autochtones et les autres parties.

Syncrude appuie le principe d'une seule évaluation par projet. Pour assurer le succès de la mise en œuvre de la loi, il sera important qu’il y ait des ententes de coopération avec les organismes provinciaux de réglementation du cycle de vie pour permettre des processus d’examen et des substitutions rapides, efficaces et coordonnés lorsque les avantages et les répercussions d’un projet relèvent clairement de la compétence de l’organisme provincial de réglementation du cycle de vie. Ce genre de processus existe déjà en Alberta.

La coordination des processus et la prévention des doublons entre les évaluations fédérales et provinciales permettront d’organiser des activités de consultation et de mobilisation plus pertinentes. Comme l’exploitation des ressources naturelles est une responsabilité provinciale, nous estimons que les provinces sont les mieux placées pour diriger non seulement l’évaluation elle-même, mais toutes les décisions qui suivent, ainsi que la surveillance et les vérifications.

Je prendrai maintenant la diapositive 4. Pour ce qui est de notre compétitivité dans le monde, notre industrie a déjà de la difficulté à soutenir la concurrence dans les marchés mondiaux en raison des effets cumulatifs de la nouvelle réglementation. Il faudrait reconnaître, dans l’énoncé d’objet qu’on trouve au paragraphe 6(1) que l’intention est aussi de favoriser un bon climat d’investissement, d’améliorer la confiance des investisseurs, de renforcer l’économie canadienne, de favoriser la prospérité et d’améliorer la compétitivité.

Un autre amendement important concerne la portée des facteurs, pour que l’agence fasse bel et bien ce que la loi prévoit. Il faut que la portée des facteurs soit bien définie. Chaque projet est différent. Ce qui compte pour la collectivité où un projet est réalisé varie. Les droits autochtones et l’utilisation traditionnelle des terres varieront aussi d’une région à l’autre du pays, et ces facteurs doivent être pondérés comme il faut.

L’article 18 du projet de loi doit être corrigé pour préciser que l’agence a le pouvoir et l’obligation de déterminer la portée des éléments mentionnés au paragraphe 22(1), pour que les lignes directrices propres à chaque projet soient adaptées au projet. Il faut cibler les bons enjeux et veiller à ce que l’agence communique clairement ses décisions sur la portée de ces éléments à la fin de l’étape de la planification initiale.

Il y a aussi un problème technique que nous souhaitons porter à votre attention au paragraphe 7(1), dans sa forme actuelle. En vertu de la loi actuelle, la LCEE de 2012, il est interdit de causer des dommages à l’environnement avant qu’un projet ne soit approuvé. C’est tout à fait logique. Le libellé du projet de loi C-69 est toutefois plus vaste. Il porte à croire qu’on ne peut rien faire, ni même consulter les communautés autochtones. La suppression de l’alinéa 7(1)d) et l’ajout d’un nouveau sous-alinéa 7(1)c)(iv) établiraient clairement qu’il n’est pas interdit au promoteur de faire des choses qui ne modifient pas l’environnement.

Comme le comité prévoit présenter son rapport au Sénat le 9 mai, il est peu probable que le projet de loi reçoive la sanction royale avant juin. Or, l’entrée en vigueur et la mise en œuvre des lois créées ou modifiées par le projet de loi C-69 doivent s’accompagner de règlements et de lignes directrices . Si l’on bâcle les consultations sur la réglementation et les lignes directrices et qu’on se dépêche trop à les publier dans la Gazette du Canada pour qu’ils entrent en vigueur avant l’élection fédérale de 2019, nous n’aurons pas suffisamment de temps pour une analyse et une consultation réfléchies.

Un règlement et des lignes directrices déficientes nuiraient à la mise en œuvre du projet de loi, ce qui ne ferait qu’amplifier l’incertitude et les risques liés à l’investissement dans notre industrie. Par conséquent, nous vous exhortons à modifier les dispositions d’entrée en vigueur de la Loi sur l’évaluation d’impact et de la Loi sur les eaux navigables canadiennes pour qu’elle ne survienne qu’au moins un an après la sanction royale.

Pour conclure, j’aimerais aussi souligner, comme plusieurs de mes collègues avant moi, que le processus réglementaire ne se prête pas au débat politique. C’est plutôt dans le cadre d’une évaluation régionale ou autre qu’il convient d’avoir ce genre de discussion. Merci beaucoup. Je serai heureuse de répondre à vos questions ce matin.

La présidente : Madame  Flynn, vous avez fait allusion à des amendements en particulier. Avez-vous précisé dans votre mémoire de quels articles il s’agit exactement?

Mme Flynn : Oui, madame la présidente, et nous appuyons aussi les amendements que vous ont présentés en détail nos collègues de l’industrie dans leurs témoignages, qui se trouvent dans les mémoires qu’ils vous ont remis hier.

La présidente : Merci.

Monsieur Scott, la parole est à vous.

Don Scott, maire de la municipalité régionale de Wood Buffalo, Coalition canadienne des municipalités pour l’action énergétique : Merci beaucoup, madame la présidente. Je tiens à souligner que nous nous trouvons sur le territoire non cédé des Métis visé par le traité no 8. Honorables sénateurs, je vous remercie de prendre le temps de venir rendre visite aux gens de Fort McMurray et de la municipalité régionale de Wood Buffalo. Je m’appelle Don Scott et je suis maire de la municipalité régionale de Wood Buffalo. Je suis accompagné de Gene Sobolewski, maire de Bonnyville.

Nous sommes ici pour représenter la Coalition canadienne des municipalités pour l’action énergétique, un regroupement communautaire qui vise à défendre les intérêts des municipalités dans le contexte du projet de loi C-69. Cette coalition comprend des villes, des villages, des municipalités régionales et des comtés.

L’industrie des ressources naturelles comprend l’hydroélectricité, l’exploitation minière, la foresterie, la production énergétique et l’exploitation pétrolière et gazière. C’est le moteur de nombreuses collectivités au Canada. Elle permet d’évaluer les besoins des collectivités et contribue à la création directe d’emplois.

Le statu quo législatif n’est pas une option, pas plus que le projet de loi. J’aimerais saisir cette occasion pour vous faire part de certaines de nos préoccupations et vous soumettre quelques propositions d’amendements. Premièrement, les municipalités sont contraintes par la loi d’offrir à leurs résidants des services de première ligne à un taux résidants raisonnable.

Le projet de loi C-69 ne décrit pas clairement le fardeau financier et administratif imposé aux municipalités. Nous craignons vivement que cette incertitude pousse les entreprises à investir ailleurs. Je serais pourtant porté à croire que ce projet de loi devrait viser à améliorer la confiance des investisseurs, à renforcer l’économie canadienne, à favoriser la prospérité et à améliorer notre compétitivité. Nous aimerions que ces principes se reflètent dans le projet de loi.

Deuxièmement, nous aimerions que le terme « instance » inclue également les municipalités locales, particulièrement à l'alinéa 2d) et à l’article 12. Cela permettrait aux parties directement touchées par un projet de se faire entendre et contribuerait à ce que les incidences d’un projet sur l’environnement, la santé et la situation socioéconomique soient mieux comprises.

Troisièmement, nous craignons que la nouvelle structure réglementaire proposée dans le projet de loi ne nuise à l’avancement des projets d’infrastructure municipale. Nous croyons que le libellé du projet de loi est sujet à interprétation et qu’il n’est pas assez clair en ce qui concerne l’aménagement du territoire municipal, l’utilisation des voies navigables, la consultation des Autochtones et les subventions fédérales. C’est pourquoi nous croyons que les municipalités devraient être explicitement exemptées de l’application de certains articles. Les projets municipaux ne devraient pas être assujettis à cette loi.

Quatrièmement, les modifications apportées à la Loi sur la protection de la navigation soulèvent des questions quant à la définition de termes comme « eaux navigables », « navires », et « ouvrages » dans le contexte de plans d’eau. Nous aimerions que les dispositions soient rédigées de manière à ce que les connaissances et les conseils des municipalités comptent dans le processus décisionnel. J’invite maintenant le maire Sobolewski à vous faire part de ses réflexions.

Gene Sobolewski, maire de Bonnyville, Coalition canadienne des municipalités pour l’action énergétique : Je vous remercie, monsieur Scott. Je souligne la présence parmi le public aujourd’hui, à Fort McMurray, de représentants de nombreuses municipalités qui sont ici pour faire écho aux préoccupations que nous soulevons.

Le projet de loi C-69 aura un effet dévastateur sur l’aptitude d’une municipalité qui dépend de l’industrie des ressources à obtenir une évaluation. Il détruira l’emploi et la sécurité des familles. Il étouffera les municipalités et compromettra la prestation de services.

Partout au Canada, les municipalités comptent sur les subventions fédérales et provinciales pour moderniser et remettre en état leurs infrastructures vieillissantes. Le libellé du projet de loi C-69 pourrait faire grimper les coûts des projets, créer de l’incertitude quant à leur approbation, compromettre la stabilité des sources de financement et créer de l’imprévisibilité dans le processus public. La formulation vague et générale du projet de loi C-69 risque d’avoir pour conséquence involontaire que les municipalités seront prises au dépourvu par ces changements législatifs radicaux.

Il importe de dire clairement que nous comprenons et partageons les objectifs visés par le projet de loi C-69, mais que d’un point de vue municipal, il ne permettra pas véritablement d’atteindre les objectifs visés.

La Cour suprême a confirmé l’obligation de consulter les communautés autochtones, et ce principe est garanti par la Constitution du Canada. Or, nous nous demandons si le projet de loi C-69 ne risque pas de créer des dédoublements et d’obliger les tribunaux à clarifier le sens du projet de loi tel qu’il est écrit aujourd’hui. Les municipalités peuvent difficilement se permettre ce genre d’ambiguïté dans l’exécution de grands projets de construction de ponts, de décharges et d’étangs d’épuration, par exemple.

Honorables sénateurs, nous vous remercions de vous mettre à l’écoute des dirigeants de nos collectivités et du public pendant ces audiences partout au pays et nous vous prions instamment d’apporter les modifications nécessaires pour renforcer ce projet de loi. Je vous remercie de votre temps aujourd’hui. Nous serons heureux de répondre à vos questions.

La présidente : Merci beaucoup.

Passons maintenant aux questions, à commencer par le sénateur MacDonald.

Le sénateur MacDonald : Je remercie les témoins d’être ici ce matin. J’ai des questions pour les deux organisations. Je commencerai par Syncrude.

Le succès de Syncrude est formidable, mais je dois m’en confesser : je ne me suis jamais rendu sur les sites d’exploitation des sables bitumineux. La sénatrice McCoy m’a souvent invité. Je veux aller les voir. Le projet de Syncrude représente un formidable accomplissement technologique, et il faut souligner tout ce qu’a fait M. Lougheed, pour cela, à l’époque où il était premier ministre. Quel a été le plus grand nombre de personnes à l’emploi de Syncrude et comment le prix du baril de pétrole et la difficulté à acheminer votre pétrole vers les marchés se répercutent-ils sur votre nombre d’employés? Pouvez-vous mesurer l’effet de tout cela sur l’emploi au fil des ans?

Mme Flynn : Merci, sénateur. Nous sommes très fiers des accomplissements technologiques de Syncrude, et comme je l’indique dans mon mémoire, notre centre de recherche et de développement est le seul qui soit exclusivement consacré aux sables bitumineux. Nous détenons plus de 200 brevets canadiens, et nos technologies sont maintenant abondamment utilisées dans l’industrie, souvent pour réduire notre empreinte écologique.

Nos 4 700 employés sont des employés permanents à temps plein. Ils travaillent en collaboration avec des milliers d’entrepreneurs tous les jours. Nous sommes très fiers de vous dire que Syncrude, depuis sa fondation en 1964, n’a jamais mis à pied un seul employé, jamais. On ne peut cependant pas en dire autant de nos sous-traitants. Les fluctuations du marché et des prix du pétrole, l’accès au marché et l’économie ont des répercussions, et ce sont nos sous-traitants, soit tout le système de soutien de notre entreprise, qui en subissent les contrecoups, comme ce sont eux qui profitent des débouchés qui se présentent quand notre entreprise est en croissance.

Bref, notre effectif permanent, qui travaille surtout ici, à Wood Buffalo, et qui vit à Fort McMurray, est très stable. Ce sont surtout nos sous-traitants qui sont touchés par les baisses des prix sur le marché.

Toutefois, votre question portait avant tout sur le prix du pétrole, pour les sociétés qui exploitent les sables bitumineux, particulièrement pour les sociétés d’extraction des sables bitumineux. C’est comme dans le domaine manufacturier. Il faut beaucoup de temps avant que nos activités portent fruit, et elles nécessitent l’investissement de nombreux capitaux. Nous tenons donc compte de tout le cycle de vie dans nos analyses économiques pour éclairer nos décisions d’investissement et orienter nos projets.

C’est surtout le rendement du capital qui compte, jusqu’à maintenant, plus que le prix du pétrole au jour le jour. Malheureusement, le faible accès au marché et le cumul des dépenses attribuables à la complexité des règlements et aux autres changements qui s’opèrent dans notre industrie sont tels que même pour Syncrude, le rendement du capital s’érode au point où l’investissement devient très risqué. Nous avons divers participants internationaux, dans notre coentreprise, qui ont la possibilité d’investir n’importe où dans le monde et évidemment, ils peuvent choisir d’investir dans le projet Syncrude ou ailleurs. Des éléments comme la certitude réglementaire, des échéanciers rigoureux, un processus sans dédoublements et un accès rapide au marché sont autant de facteurs qui entrent en ligne de compte dans les décisions qu’ils prennent en matière d’investissement.

Le sénateur MacDonald : Merci.

Je m’adresse maintenant à nos deux maires. Nous avons vu de nombreuses grandes entreprises renoncer à l’exploitation des sables pétrolifères au cours des dernières années. C’est d’ailleurs ce qu’annonçait Devon tout récemment. Quelles sont les répercussions de ces départs sur vos collectivités? Est-ce que cela vous inquiète d’entendre des grands producteurs comme Canadian Natural Resources faire valoir que le projet de loi C-69 ne peut pas fonctionner?

M. Scott : Oui, et je peux vous parler tout particulièrement de la situation dans ma région.

Nous avons procédé récemment à une analyse démographique. Depuis l’incendie, nous avons perdu environ 10 p. 100 de notre population. Il faut ajouter à cela les investissements dont la région ne bénéficie plus. À une certaine époque, nous nous dirigions vers une population approchant les 200 000 habitants. Nous en sommes maintenant à environ 75 900. C’est une baisse de 10 p. 100 par rapport au niveau atteint précédemment.

Je crois que le projet de loi C-69 aura surtout pour effet, comme c’est déjà le cas avec le système en place, de créer de l’anxiété du point de vue économique. Aussi bien les règles actuelles que celles qui sont proposées ne nous permettent pas de produire les résultats attendus au bénéfice des Canadiens. Nous avons besoin de règles qui sont vraiment propices à la croissance et qui la stimulent. Nous sommes le moteur économique du Canada. Nous voulons poursuivre dans le même sens, mais nous n’avons surtout pas besoin d’une loi qui va nous empêcher d’avancer. Je suis persuadé que mon collègue a aussi quelques commentaires à ce sujet.

M. Sobolewski : Pour ce qui est de ma municipalité, il faut dire, comme Mme Flynn l’a déjà mentionné, que nous dépendons énormément des industries de services. Notre assiette fiscale ne bénéficie pas directement de l’apport du secteur de l’énergie et de l’exploitation des ressources, que ce soit pour une infrastructure linéaire ou un champ pétrolifère. Les recettes fiscales de ma municipalité proviennent donc exclusivement des sous-traitants qui s’installent chez nous.

Nous avons toutefois vu un certain nombre de ces sous-traitants fermer leurs portes au cours des trois dernières années. Ce récent ralentissement a vu notre population passer de 7 000 à environ 5 700 habitants au cours de la même période. En conséquence, notre rôle d’évaluation foncière, ce qui correspond en gros à la valeur des propriétés sur notre territoire, a chuté de 25 p. 100 en trois ans. Nous avons des résidences qui ont été saisies, mais où la famille demeure toujours du fait que les banques sont incapables de les revendre sans encaisser une perte.

Dans mes observations préliminaires, je parlais d’effets dévastateurs. C’est le cas pour une municipalité comme la nôtre qui vit de l’exploitation des ressources, car les fonds nécessaires à la mise en œuvre de nos programmes nous viennent des redevances et des autres sommes qui nous sont transférées par les gouvernements provincial et fédéral.

Le sénateur MacDonald : Merci.

La sénatrice Cordy : Merci à chacun d’entre vous d’être des nôtres si tôt le matin. J’en suis moi aussi à ma première visite à Fort McMurray, bien que je connaisse certes un grand nombre de Néo-Écossais qui ont quitté ma province pour venir s’établir dans votre région.

Monsieur Scott, vous avez indiqué dans votre exposé que les municipalités devraient être incluses parmi les « instances » prévues dans la loi. J’ai été par ailleurs ravie de constater qu’il ressortait de nos échanges la nécessité de mieux comprendre les enjeux liés à l’environnement, à la santé, aux incidences socioéconomiques et, j’ajouterais, aux préoccupations des nations autochtones.

En quoi l’inclusion des municipalités dans la définition d’« instance » changerait-elle la donne?

M. Scott : Merci pour votre question. J’espère que vous aurez l’occasion de revenir nous voir.

La sénatrice Cordy : Plus qu’une seule journée, ce serait encore mieux.

M. Scott : Je vous adresse à tous la même invitation.

Je pense que l’on pourrait considérer que la définition du terme « instance » s’applique également aux municipalités. Si on le précise explicitement dans la loi, on dissipe toute ambiguïté, ce qui règle la question. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous jugions cela important. Nous voulons nous assurer que les municipalités sont prises en compte. Nous sommes aux premières lignes de la prestation des services et nous souhaitons faire en sorte que tout le monde comprenne bien les répercussions qu’aura ce projet de loi sur les municipalités. Une mention explicite des municipalités dans les deux articles en question permettrait de clarifier le tout.

Lorsque les choses ne sont pas claires, tout le monde se retrouve inévitablement devant les tribunaux. À mon humble avis, le processus en place est un véritable fiasco avec tous ces longs délais et ces poursuites judiciaires. Assurons-nous donc que ce projet de loi soit aussi clair que possible.

La sénatrice Cordy : On nous a répété à maintes reprises qu’il valait mieux consacrer tout le temps nécessaire à la mise en place des mesures qui s’imposent, plutôt que de s’exposer à des contestations judiciaires par la suite. Vous partagez donc cet avis.

Madame Flynn, vous avez parlé d’un projet auquel votre groupe participe. Il vous a fallu deux années complètes à l’étape de la planification initiale, ce qui a considérablement alourdi le processus. Pour la toute première fois, ce projet de loi rend obligatoire une étape initiale de planification et de mobilisation. Elle ne devrait toutefois pas durer deux ans. Recommandez-vous que la durée de cette étape préparatoire soit effectivement de deux années?

Mme Flynn : Non, nous sommes en faveur des dispositions de l’article 15, du délai de 180 jours et de l’imposition d’une étape préparatoire. Nous souhaiterions toutefois qu’au moment où l’avis du début de l’évaluation d’impact est émis à l’issue de cette période de 180 jours, on indique clairement qui doit être consulté et à quel sujet, et quelle sera la portée de l’évaluation fédérale.

Il s’agit donc d’optimiser cette occasion pour préciser clairement les choses à l’intention de tous ceux qui prennent part au processus, y compris les proposants, les collectivités autochtones, les municipalités et les autres parties prenantes. Dès l’émission d’un avis du début de l’évaluation, chacun saura ainsi à quoi s’en tenir au sujet des instances responsables et de la portée de l’évaluation.

Nous avons choisi d’amorcer le processus très longtemps à l’avance. Notre entreprise a décidé de procéder de cette manière avant de soumettre sa demande. Nous avions déjà commencé la collecte de données environnementales de référence sur le terrain, et nous voulions consulter les collectivités concernées afin qu’elles puissent suivre dès le départ l’évolution de notre demande et avoir leur mot à dire. Nous avons ainsi pu mobiliser dans une mesure beaucoup plus large les collectivités autochtones locales et bien d’autres parties prenantes.

Pour procéder à une évaluation de qualité et élaborer une demande dans les règles de l’art, une période de 180 jours est amplement suffisante.

La sénatrice Cordy : Vous avez également parlé du moment où les nouvelles dispositions pourraient entrer en vigueur. Vous avez indiqué qu’il fallait attendre au moins un an après la sanction royale, et on nous a dit par ailleurs — et je ne me rappelle pas si l’on préconisait une année complète — qu’il fallait allouer un certain temps aux entreprises, aux municipalités et à l’ensemble des intervenants pour qu’ils apportent les changements nécessaires en fonction des nouvelles dispositions prévues dans ce projet de loi. Croyez-vous qu’un délai d’un an est suffisant à cette fin?

Mme Flynn : Il s’agit d’une somme très considérable de travail, d’autant plus que vous savez mieux que moi que l’élaboration des mesures réglementaires et des lignes directrices nécessaires ne débute qu’une fois la sanction royale accordée. De vastes consultations ont permis d’en arriver à ce projet de loi, et il importe tout autant de consacrer toute la réflexion nécessaire à l’élaboration des mesures réglementaires et des lignes directrices destinées à la nouvelle régie. Ce sont les lignes directrices et le règlement qui nous permettront de savoir pour une bonne part comment tout cela va fonctionner dans la pratique. Les intervenants des secteurs de l’exploitation des ressources, des pipelines et des hydrocarbures, entre autres, seront tout aussi nombreux à vouloir participer activement à l’élaboration de ce règlement en ayant leur mot à dire. Nous estimons donc qu’une période d’un an est suffisante, mais il est bien certain que nous aurons tous beaucoup de pain sur la planche.

La présidente : Sénatrice Simons.

La sénatrice Simons : Bon nombre de vos collègues, madame Flynn, nous ont parlé des amendements proposés par l’Association canadienne des producteurs pétroliers et l’Association canadienne de pipelines d’énergie. Je ne vais pas revenir là-dessus, car je voulais vous poser une question portant sur un sujet que nous n’avons pas beaucoup abordé depuis le début de notre tournée. Syncrude s’est acquis une réputation enviable grâce à ses relations avec les collectivités autochtones qui l’entourent. J’aimerais que vous puissiez nous parler de la façon dont vous avez mené vos consultations auprès des Autochtones, en considérant notamment la nécessité de procéder à une analyse sexospécifique, ce qui inquiète bien des gens. Je vous demanderais donc de nous parler un peu de la manière dont Syncrude compose déjà avec ces enjeux dans ses pratiques actuelles en nous indiquant quels enseignements d’autres organisations pourraient en tirer.

Mme Flynn : Merci, sénatrice Simons, et félicitations pour votre nomination. Je ne crois pas vous avoir croisée depuis.

Nous sommes très fiers d’avoir toujours su travailler en étroite collaboration avec toutes les collectivités qui nous entourent, et particulièrement avec les communautés métisses et des Premières Nations de la région. Tout cela part du fait que notre entreprise a reconnu dès le départ qu’elle se trouvait sur des terres traditionnelles des Premières Nations et des Métis. Notre entreprise a reconnu ce fait bien avant que cela soit enchâssé dans la Constitution. C’est donc l’une des valeurs fondamentales qui définissent notre organisation.

Nous estimons important de mobiliser toutes les parties prenantes le plus tôt possible dans le processus afin de favoriser un dialogue de qualité avec les collectivités touchées. Nous avons également voulu prendre tout de suite tous les moyens nécessaires pour que nos partenaires autochtones bénéficient également de la prospérité économique découlant de l’exploitation des sables pétrolifères. À ce sujet, je suis ravie de pouvoir vous dire que nous avons surpassé les 3,5 milliards de dollars en dépenses dans les collectivités autochtones locales, y compris plus d’un demi-milliard de dollars en 2018 seulement, soit plus du double du montant dépensé à peine quelques années auparavant. De telles réalisations exigent un effort et un engagement concertés à tous les niveaux de l’organisation. C’est un résultat auquel ont contribué tous nos gestionnaires aussi bien que tous nos employés. Il ne suffit pas qu’un petit service au sein de l’entreprise s’intéresse à ces questions; il faut que cette volonté s’inscrive jour après jour au cœur même de toutes nos activités.

Nous sommes de plus déterminés à partager ces enseignements avec nos collègues, aussi bien dans le secteur pétrolier et gazier que dans l’industrie minière dans son ensemble au Canada. J’ai déjà été vice-présidente nationale du Conseil canadien pour le commerce autochtone, et un de mes collègues siège encore aujourd’hui comme administrateur. Nous faisons également partie du conseil d’administration d’Indigenous Works, l’organisation dirigée par M. Kelly Lendsay de la Saskatchewan, et nous appuyons sans réserve Indspire, la Fondation nationale des réalisations autochtones.

Nous offrons également notre appui à la formation de la petite enfance dans les collectivités en plus de créer des perspectives d’emploi au sein de Syncrude pour les Autochtones. Ainsi, plus de 10 p. 100 de nos 4 700 employés sont d’origine autochtone déclarée, ce qui dépasse leur poids démographique dans la région. Comme je l’ai indiqué, nous offrons aussi notre soutien aux entreprises autochtones. Nous avons donc ce facteur à l’esprit dans tous les aspects de nos activités quotidiennes.

Pour répondre à votre question concernant les considérations relatives au sexe, je dirais que Syncrude fait le nécessaire afin de favoriser la diversité sous toutes ses formes, ce qui inclut une formation obligatoire pour tous nos gestionnaires en vue de faciliter leurs efforts en ce sens. Les femmes comptent pour environ 20 p. 100 de nos effectifs, ce qui surpasse la moyenne enregistrée dans bon nombre d’industries, et particulièrement dans le secteur de l’exploitation des ressources. Je suis très fière de pouvoir vous dire que notre chef de la direction est une femme et que nous comptons 3 femmes parmi les 14 membres de notre équipe de la haute direction. Nous nous intéressons non seulement au nombre de femmes qui travaillent au sein de notre entreprise, mais aussi aux fonctions qui leur sont confiées et au niveau de leur poste.

Je préside pour ma part notre comité sur la réglementation, un groupe réunissant des scientifiques, des experts techniques et des ingénieurs, qui est composé de 14 employés de Syncrude dont 8 sont des femmes. Nous sommes donc très fiers de pouvoir vous dire que les femmes comptent pour une large portion de nos gestionnaires et de nos principaux scientifiques.

Il y a également un nombre considérable de musulmans qui travaillent pour notre entreprise. Nous mettons vraiment tout en œuvre pour nous assurer de respecter leur culture et leur religion. Nous faisons de même pour tous les autres éléments contribuant à la diversité multiculturelle de notre organisation.

Je suis persuadée que M. Scott sera ravi de vous parler de la riche diversité dont la région de Wood Buffalo peut bénéficier.

La sénatrice Simons : La disposition prévoyant une analyse sexospécifique ne vous fait donc pas peur?

Mme Flynn : Je crois qu’il faut préciser clairement quels sont les objectifs visés par cette évaluation. Comme tous les autres éléments à examiner prévus à l’article 22, il faut s’assurer de déterminer si cela est bien pertinent au projet pour lequel une demande est formulée. À titre d’exemple, le projet que nous venons de soumettre au processus réglementaire provincial visait seulement la poursuite de nos activités suivant les paramètres actuels pendant une période supplémentaire de 14 années d’exploitation. Ainsi, les employés actuellement en poste devraient pouvoir continuer à travailler pour nous pendant encore 14 ans. Bien qu’aucun élément de ce projet n’exigeait l’intervention des instances fédérales, il est possible que ce soit le cas d’autres initiatives semblables que Syncrude mènera à l’avenir.

Il conviendrait donc de se demander pour chaque projet quels éléments seraient vraiment pertinents. Il faudrait en outre que l’on précise clairement les intentions visées par l’analyse et l’évaluation.

La présidente : Merci beaucoup. Nous devons passer au prochain sénateur.

La sénatrice Simons : Est-ce que —

La présidente : Nous en sommes déjà à six minutes.

La sénatrice Simons : J’avais une question pour M. Scott, mais peut-être pourrai-je la lui poser tout à l’heure.

La présidente : Peut-être faudrait-il que les réponses soient plus brèves, car nous n’avons que trois minutes au total.

Sénateur Mockler.

Le sénateur Mockler : Est-ce que je dois comprendre que je dois moi aussi être plus bref?

La présidente : Oui.

Le sénateur Mockler : Je veux profiter de l’occasion pour remercier tout particulièrement nos maires pour le travail qu’ils accomplissent. Nous nous souvenons tous de la catastrophe de Lac-Mégantic et des rôles et responsabilités qui entrent en jeu, en rappelant également que la municipalité est l’instance gouvernementale et démocratique la plus rapprochée des gens. Le projet de loi C-69 vise notamment à faire en sorte que l’évaluation d’impact tienne compte de tous les effets, aussi bien négatifs que positifs, que pourrait avoir la réalisation des projets désignés.

Pourriez-vous nous dire quels genres de projets pourraient avoir un impact sur les municipalités, non seulement de votre région, mais de tout le Canada?

M. Sobolewski : Merci pour la question. Nous sommes soumis à la réglementation provinciale, mais différentes dispositions du projet de loi C-69 pourraient faire en sorte que certains projets soient considérés de portée nationale. Je pense notamment au libellé de l’article 8, qui précise que l’autorité fédérale ne peut accorder à quiconque une aide financière quelle qu’elle soit, pour permettre la réalisation d’un projet désigné. Il faut penser dans ce contexte aux projets d’étangs d’épuration des eaux usées, de sites d’enfouissement et de construction de ponts importants qui font sans doute partie des initiatives les plus controversées pouvant être menées dans une municipalité.

Il y a donc pour les opposants la possibilité d’avoir recours à la publicité via Internet et à d’autres mesures de cette nature pour ralentir les choses ou stopper carrément le projet local.

Dans sa forme actuelle, le projet de loi C-69 permet de débattre d’un tel projet local sur une tribune nationale où différents points de vue peuvent être exprimés en provenance non seulement de toutes les régions du Canada, mais aussi d’ailleurs dans le monde. Une telle forme de consultation à la grandeur de la planète peut avoir un effet dévastateur du fait que le projet de loi C-69 indique que le ministre doit prendre en compte absolument tous les commentaires reçus de la population.

Un processus de la sorte pourrait sonner le glas d’un projet ou créer une incertitude telle à l’égard de ce qui est proposé qu’il y a tout lieu de se demander comment on pourra financer les consultations et les études requises aux fins d’une évaluation nationale des impacts, comme celle que préconise le projet de loi C-69.

M. Scott : Dans le même ordre d’idées, nous ne voulons pas que les municipalités se retrouvent avec les mains liées à cause de cette loi. Il y a un grand nombre de projets que les municipalités doivent réaliser. Il faut s’assurer que des exemptions soient prévues dans la loi elle-même afin qu’il soit clair que les projets municipaux comme celui que l’on vient de vous décrire vont pouvoir aller de l’avant. Cette loi ne devrait pas nous empêcher de mener ces projets à terme. Nous devons offrir des services à notre population. Nous devons pouvoir faire le nécessaire à cette fin.

Je crois que nous craignons tous que cette loi fasse obstacle à nos efforts pour bien servir nos citoyens. Nous ne voulons pas que ce processus devienne plus complexe. Il est déjà assez difficile pour nous d’offrir à notre population les services dont elle a besoin. Ne compliquons pas davantage les choses en adoptant une loi qui va nous empêcher d’aller de l’avant. Adoptons une loi qui va aider les gens, plutôt que de leur nuire.

Le sénateur D. Black : Merci à tous de votre présence aujourd’hui ainsi que de vos exposés des plus intéressants.

Je dois d’abord vous dire quelque chose en ma qualité de sénateur représentant l’Alberta. Les dernières journées m’ont rendu plus fier que jamais de la contribution que les Albertains apportent à notre pays. Nous montrons aux membres du comité que nous nous attaquons aux problèmes de front. Nous nous retroussons les manches et nous essayons de trouver des solutions. C’est un peu le même message que nous entendons aujourd’hui.

J’aimerais que vous nous disiez ce que l’avenir réserve à vos municipalités et à votre entreprise si le projet de loi C-69 est adopté sans que le Sénat ne soit capable d’aller de l’avant avec des amendements d’importance, ou si la Chambre des communes n’approuve pas de tels amendements proposés par le Sénat. À quoi faut-il s’attendre exactement?

M. Scott : Je pense qu’il faut prévoir la poursuite de la tendance déjà observée comme l’a très bien illustré le dossier de Trans Mountain. Vous allez noter une augmentation des saisies, une détérioration des perspectives d’emploi et une plus grande anxiété économique partout au Canada, car la richesse générée dans notre région profite non seulement à notre population, mais aussi à l’ensemble des Canadiens. Lorsqu’on empêche la réalisation de grands projets et que l’on fait en sorte que les investisseurs étrangers ne considèrent plus le Canada comme un endroit intéressant pour faire fructifier leur argent, ce sont tous les Canadiens qui en souffrent. Je peux vous assurer que c’est effectivement ce qui va se produire.

Nous constatons déjà que les gens sont plus nombreux à devoir s’adresser à des organismes offrant des services sociaux, comme les banques alimentaires. Je prévois également une augmentation des taux de suicide. Lorsque les gens n’ont ni emploi ni débouchés, il peut y avoir bien des conséquences néfastes. Nous devons nous assurer de mettre en place au Canada des règles susceptibles d’attirer les investisseurs dans un contexte de concurrence avec le reste de la planète. Je tiens vraiment à ce que nous adoptions des règles permettant un tel résultat.

M. Sobolewski : Comme le soulignait Mme Flynn, bien des municipalités et des sous-traitants comptent sur le travail découlant de grands projets réalisés dans le secteur de l’exploitation des ressources. L’adoption d’un projet de loi comme celui-ci créerait beaucoup d’incertitude pour une municipalité quant à sa capacité de réaliser les projets locaux essentiels à sa croissance et à son développement. Cette loi ferait obstacle à de telles initiatives.

Toutefois, ce ne serait pas la première fois que nous devrions vivre avec l’incertitude dans le secteur de l’exploitation des ressources. Le rendement insuffisant des investissements est l’un des principaux facteurs incitant les entreprises à plier bagage. C’est ce qui fait en sorte que certaines entreprises du secteur des services ne peuvent plus poursuivre leurs activités et que d’autres font faillite ou doivent abandonner leurs édifices ou leurs puits, ou se retrouvent dans une situation précaire du même genre.

Nous devons nous assurer de tout reprendre minutieusement du début, car si le projet de loi va de l’avant dans sa forme actuelle, il y aura des contestations judiciaires, de l’incertitude et des demandes incessantes adressées par les municipalités au gouvernement fédéral afin d’obtenir toujours davantage de fonds pour financer la croissance de leurs infrastructures. La mise à niveau de nos infrastructures vieillissantes ne saurait être retardée de quelque manière que ce soit par ce projet de loi.

Nous allons continuer d’avoir besoin de plus d’aide, mais ici encore, sans l’apport précieux que font les industries des ressources aux recettes des gouvernements fédéral et provinciaux, il n’y aura pas assez d’argent pour offrir du soutien. Les infrastructures continueront de se détériorer, au détriment des municipalités canadiennes.

La présidente : Merci beaucoup.

Sénateur Neufeld, vous avez la parole.

Le sénateur D. Black : Pardonnez-moi, madame la présidente, mais je pense que Mme Flynn a une réponse à donner à la question.

Mme Flynn : Merci, sénateur Black.

Sénateur, le projet de loi C-69 ne règle pas les problèmes relatifs au processus actuel, qui fait en sorte que les politiques entrent en jeu dans l’attribution de contrats, créant ainsi beaucoup d’incertitude au sein du processus réglementaire actuel. Nous l’avons constaté à l’intérieur même du processus provincial auquel nous venons de nous soumettre. En outre, cela ajoute énormément de temps et d’incertitude au processus de réglementation, alors que les entreprises ont besoin de certitude. Nous ne réclamons pas de clarté relativement aux décisions, mais quant aux règles et au processus qui doivent être suivis afin de présenter une demande réglementaire complète. Qui plus est, le projet de loi n’offre pas suffisamment de clarté au sujet de l’ampleur et à la nature des consultations à mener auprès des Autochtones.

Pour répondre à votre question, il faut en faire davantage pour fournir plus de clarté dans ce projet de loi afin de résoudre ces problèmes, car ce sont des questions sous-jacentes fondamentales qui influencent la confiance des investisseurs dans notre industrie.

La présidente : Sénateur Neufeld, vous pouvez maintenant intervenir.

Le sénateur Neufeld : Je vous remercie tous de témoigner. J’ai aimé vos exposés. Ma première question s’adresse à Mme Flynn. Vous affirmez appuyer tous les amendements proposés par l’Association canadienne des producteurs pétroliers et d’autres parties prenantes. Il s’agit d’amendements substantiels que je pense sérieusement que nous devons apporter.

Depuis un certain temps, on fait remarquer que même si nous devons accepter la liste de projets pour que vous sachiez ce qui est couvert, le présent projet de loi, dans sa version actuelle, couvre tout ce que le ministre de l’Environnement décide d’examiner. Que pensez-vous de la présence de Syncrude sur une liste de projets? Il y a bien des problèmes, mais en voilà toujours un.

Mme Flynn : Il est certain que dans le cas de Syncrude, puisque toutes nos concessions contiennent des sables bitumineux exploitables, nous ne nous préoccupons pas autant de la liste de projets que certains de nos collègues du secteur pétrolier et gazier dans le domaine de l’exploitation extracôtière ou locale des sables bitumineux. Nous partageons toutefois leurs préoccupations quant au fait que la clarté relative à ce qui devrait se trouver sur la liste de projets est importante et que les projets qui relèvent entièrement des compétences provinciales, comme les projets de sables bitumineux in situ, ne devraient pas figurer sur la liste.

Le sénateur Neufeld : Je m’intéresse aussi à la possibilité d’intervenir. Le projet de loi ouvre la porte à tous. Le projet de loi précédent indiquait que l’Office national de l’énergie entendrait en premier ceux qui sont touchés directement par le projet ou des experts. Cependant, le nouveau projet de loi invite tout le monde. Qu’en pensez-vous?

Mme Flynn : Merci, sénateur. Comme je l’ai souligné dans mon exposé, nous croyons fermement qu’il faudrait accorder la priorité aux parties directement et négativement touchées, ainsi qu’aux communautés autochtones les plus susceptibles de ressentir les impacts et les avantages des projets envisagés. Tout en respectant le souhait d’offrir un processus public transparent, nous considérons qu’il faut permettre aux gens les plus directement touchés par le projet de pouvoir s’exprimer en priorité et de participer au processus.

Le sénateur Neufeld : D’accord.

Quant aux maires, vous dites que vous voulez que les municipalités soient incluses parmi les instances. Pouvez-vous nous donner un exemple illustrant comment cela faciliterait le processus? Il pourrait s’agir d’un exemple de problème que vous avez rencontré jusqu’à maintenant, si nous étions considérés comme une instance.

M. Scott : De mon point de vue, les municipalités veulent être explicitement incluses parmi les instances afin d’avoir l’occasion de parler à l’avance au promoteur et de conclure des arrangements mutuellement bénéfiques. J’ai toujours indiqué à l’industrie dans la région que je veux qu’elle réussisse, tout en voulant que la communauté réussisse aussi. Le processus encourage vraiment les promoteurs à nous parler et, de façon générale, j’espère que nous pourrons conclure des ententes avec ce qui est proposé.

Le fait que les municipalités figurent explicitement parmi les instances encouragera tout le monde à se réunir pour tenter d’en arriver à une entente, dans la mesure du possible. C’est dans l’intérêt de tous et cela permet aux communautés de rester fortes.

Le sénateur Neufeld : N’est-ce pas ainsi qu’on procède actuellement? Êtes-vous en train de dire que personne autour de vous n’est consulté?

M. Scott : Nous n’avons pas le mandat de venir devant un tribunal ou un groupe. Nous pouvons demander de comparaître, mais cela ne se passe pas toujours automatiquement. Nous aimerions qu’il existe un moyen de comparaître automatiquement, particulièrement dans le cas des grands projets. Nous voulons que de grands projets voient le jour dans la région, n’en doutez pas. Nous et le Canada avons besoin de ces grands projets, et nous voulons qu’ils réussissent. Par ailleurs, je souhaite aussi la réussite de notre communauté, de la région et d’autres communautés de l’Alberta.

La présidente : Avez-vous une très brève observation à formuler?

M. Sobolewski : L’ajout d’un passage stipulant que les municipalités peuvent participer au processus au lieu de devoir présenter une demande favorisera simplement la création d’un environnement plus propice dans le cadre duquel travailler. Si les promoteurs tiennent compte des municipalités, cela créera une approche proactive reposant davantage sur la collaboration en permettant aux deux parties de se rencontrer et de conclure les ententes nécessaires.

La présidente : Merci beaucoup.

Sénateur Carignan, vous avez la parole.

[Français]

Le sénateur Carignan : Je vais poursuivre sur cette lancée. À titre d’ancien maire, j’appuie la proposition de consulter les municipalités. J’ajouterais même que les municipalités sont les premiers répondants. Lorsqu’il y a un effet préjudiciable sur le plan environnemental — un déversement par exemple —, ils sont les premiers sur les lieux. Donc, il est extrêmement important qu’ils soient consultés pour connaître les risques que cela peut comporter. Comme premiers répondants, auront-ils les moyens d’agir avec les ressources mis à leur disposition? Il est important de se poser la question.

Pour ce qui est de la définition d' « instance » — de « jurisdiction » en anglais —, vous souhaitez être consultés. Jusque-là, ça va. Par contre, si on modifie la définition de « jurisdiction » ou d’« instance », ça signifie également... Quand on regarde la définition, on vise les organismes qui sont en mesure de faire l’évaluation d’impact environnemental, les organismes à qui on pourrait déléguer ce pouvoir ou avec lesquels on pourrait conclure une entente. Dans votre proposition, visez-vous également cet objectif-là? Les grandes municipalités peuvent être en mesure de faire une certaine partie de l’évaluation environnementale, mais ce n’est pas le cas pour la plupart des municipalités au Canada. J’aimerais juste clarifier la proposition d’inclure les municipalités dans la définition de « jurisdiction » ou d’« instance ».

[Traduction]

M. Sobolewski : Merci beaucoup, sénateur. Je pense qu’il y a deux ou trois questions à résoudre, la première étant celle de l’inclusion dans la définition d' « instance » du point de vue de l’évaluation des promoteurs. Ce que nous demandons, c’est d’éviter aux municipalités d’être des promoteurs touchés ou obligés de réaliser une évaluation environnementale au pays. Ainsi, dans le cadre de grands projets ou d’une expansion qui seraient entrepris par Syncrude ou une société semblable, nous voulons être définis explicitement comme une entité devant être consultée. Par contre, notre position est très claire en ce qui concerne les projets municipaux et le fait que le projet de loi pourrait avoir, dans sa forme actuelle, des conséquences imprévues en obligeant les municipalités à effectuer une évaluation d’impact, dont les coûts seraient prohibitifs.

[Français]

Le sénateur Carignan : J’ai compris. Toutefois, si on modifie la définition de « jurisdiction », cela permettrait peut-être au gouvernement fédéral de donner à une municipalité le pouvoir de faire l’étude environnementale. Or, c’est un pas de plus si on modifie la définition. Est-ce votre intention? D’accord, vous ne voulez pas vous avancer sur cette question. Vous souhaitez seulement être consulté et que les projets municipaux ne fassent pas l’objet d’études environnementales qui ne sont pas nécessaires. Est-ce exact?

[Traduction]

M. Scott : Nous voulons certainement être consultés. Je pense que les municipalités de l’Alberta et du Canada doivent être consultées si un grand projet est envisagé sur leur territoire. Je considère que c’est important. Les consultations débouchent inévitablement sur une relation de collaboration et peut-être sur des ententes. Ce que nous souhaitons, c’est un processus de consultation afin de pouvoir participer. Voilà pourquoi nous demandons d’inclure les municipalités dans la définition d’instance.

La présidente : Merci beaucoup.

Il nous reste une dernière question, que le sénateur Richards posera.

Le sénateur Richards : Merci beaucoup, madame la présidente. Comme je suis le dernier à intervenir, toutes mes questions ont été posées. Je tiens toutefois à vous remercier tous de témoigner aujourd’hui et de nous aider à maintenir le Nouveau-Brunswick en vie, car la moitié de la province s’est trouvée dans cette situation à un moment ou à un autre. Comme l’a affirmé Rex Murphy — qui est un personnage qui sème la controverse, je sais —, le processus démocratique et le véritable concept d’unité canadienne fonctionnent à Fort McMurray, et je pense que c’est vrai.

Vous avez parlé des municipalités, mais je veux que vous m’indiquiez dans quelle mesure vous considérez que le projet de loi nuit à la sécurité économique du Canada et s’il porte préjudice à notre sécurité, voire à notre souveraineté à long terme. Je sais que c’est une question d’envergure qui n’a peut-être pas sa place ici, mais j’ai pensé que je pourrais la poser. Ce qui me tracasse à propos du projet de loi C-69, c’est qu’il est si vague que je pense que les amendements constituent un vain exercice de copier-coller et que le projet de loi devrait être réécrit de manière plus claire. Je voudrais que vous me donniez brièvement votre avis à ce sujet.

M. Scott : En ce qui concerne Rex Murphy, nous lui avons récemment remis la clé de la ville. Nous lui sommes donc certainement reconnaissants des efforts considérables qu’il déploie. Il est un de nos plus grands ambassadeurs, et il a certainement droit à notre gratitude. La région constitue le creuset de la création de richesse, et ce, depuis très longtemps. J’ignore si elle a toujours été considérée ainsi. Comme je l’ai indiqué plus tôt, je pense qu’un projet de loi comme celui-ci peut avoir une incidence sur tous les Canadiens, et chaque Canadien doit comprendre que sa sécurité économique est, d’une manière quelconque, influencée par les décisions prises au sujet de ce projet de loi. Ce dernier touchera non seulement notre région, mais aussi de grands projets dans l’ensemble du pays.

Nous devons faire en sorte d’encourager les grands projets et d’attirer les investissements des quatre coins du monde. Nous ne voulons pas saborder notre navire. Nous voulons que les Canadiens aient de bons emplois et créent de la richesse. Je pense que si nous faisons quoi que ce soit qui ait l’effet contraire, nous fragiliserons notre souveraineté et l’avenir de tous les Canadiens.

Il est impératif que nous fassions de notre mieux pour continuer de créer de bons emplois, de la richesse et de la prospérité pour l’ensemble du pays.

M. Sobolewski : C’était une excellente remarque au sujet de la souveraineté et de la richesse au pays, car ici, en Alberta, nous misons sur l’énergie. Cependant, ailleurs au pays, que se passera-t-il avec le prochain grand projet hydroélectrique, étant donné que nous sommes un pays exportateur? Les municipalités vont dépendre de ce projet, mais l’ensemble du projet de loi aura une incidence sur le prochain projet hydroélectrique et les prochains grands projets miniers. Par exemple, la tendance au pays est aux voitures électriques et aux batteries au lithium-ion. Quand on se met à la recherche de ressources naturelles et qu’il faut ouvrir une mine au Québec, en Ontario, au Nouveau-Brunswick ou ailleurs au Canada, le projet de loi aura exactement la même incidence sur les activités. Les problèmes seront les mêmes : ils seront simplement exacerbés par le caractère vague du projet de loi s’il est adopté dans sa forme actuelle. Il laisse place à l’ambiguïté, et nous ne voulons malheureusement pas passer de temps devant les tribunaux afin de résoudre les problèmes et d’éclaircir les choses. Nous devons régler le problème. Le libellé du projet de loi doit être juste du premier coup en permettant la consultation non seulement des municipalités, mais de la population canadienne.

Mme Flynn : Sénateur, peut-être pourrais-je clore très brièvement la question. Les capitaux ne connaissent pas de frontières nationales. Ils sont investis là où le rendement est le plus intéressant, les risques, les moins élevés et la certitude, la plus grande. Ainsi, dans le secteur du pétrole et du gaz, nous et nos investisseurs sommes à l’affût d’occasions d’investissement à l’échelle mondiale, étudiant la complexité et la certitude des régimes et des processus réglementaires, puis examinant les coûts d’exploitation et, par voie de conséquence, le rendement que nous tirerons des investissements de plusieurs milliards de dollars qui seront effectués.

Syncrude dépense à elle seule de 4,5 à 5 milliards de dollars annuellement pour exploiter son projet de sable bitumineux. Elle doit notamment contribuer au montant de 50 millions de dollars dépensés chaque année dans le cadre du programme fédéral et provincial de surveillance indépendante des sables bitumineux et au montant de quelque 130 millions de dollars que fournit notre industrie pour la surveillance de la conformité. Les coûts relatifs à l’obtention de l’approbation réglementaire, à la conformité et au risque associé au processus ont une incidence fondamentale sur les décisions d’investissement au pays.

La présidente : Merci beaucoup à notre premier groupe de témoins.

Je demanderais aux membres de notre deuxième groupe de se nommer et d’indiquer très brièvement qui ils représentent.

Dan Stuckless, expert technique, Première Nation crie Mikisew : Bonjour, sénateurs. Je m’appelle Dan Stuckless et je représente aujourd’hui les relations gouvernementales et industrielles pour la Première Nation crie Mikisew.

Carla Davidson, Endeavour Scientific, Première Nation de Fort McKay : Bonjour, sénateurs. Je m’appelle Carla Davidson, consultante pour Endeavour Scientific. J’aiderai les deux Premières Nations ce matin.

Archie Waquan, chef, Première Nation crie Mikisew : Bonjour à tous. Je m’appelle Archie Waquan, chef de la Première Nation crie Mikisew. Bienvenue dans le territoire visé par le traité no 8.

Mel Grandjamb, chef, Première Nation de Fort McKay : Bonjour, sénateurs. Je m’appelle Mel Grandjamb, chef de la Première Nation de Fort McKay. Je vous souhaite également bienvenue dans note territoire.

Alvaro Pinto, directeur général, Département de développement durable, Première Nation de Fort McKay : Bonjour. Je m’appelle Alvaro Pinto, de la Première Nation de Fort McKay.

Mike Evans, gestionnaire principal, Relations gouvernementales et industrielles, Première Nation de Fort McKay : Je m’appelle Mike Evans, également de la Première Nation de Fort McKay.

La présidente : Merci. Je crois comprendre que le chef Waquan et le chef Grandjamb feront des exposés.

M. Grandjamb : Bonjour, madame la présidente et distingués membres du Comité sénatorial de l’environnement. Bienvenue dans le territoire traditionnel de la Première Nation de Fort McKay. En qualité de chef de cette Première Nation, il est de mon devoir de défendre les Cris et les Dénés qui en font partie afin de protéger notre identité culturelle, nos valeurs, nos traditions et notre mode de vie. Nos ancêtres ont vécu dans ce territoire pendant près de 15 000 ans. Pour nous, il ne s’agit pas seulement de terres offrant des ressources non renouvelables exploitables, mais de notre territoire traditionnel et sacré.

À l’heure actuelle, 75 p. 100 du territoire traditionnel de la Première Nation de Fort McKay est loué pour y exploiter les sables bitumineux. Nous sommes entourés sur trois côtés par des mines de sables bitumineux, dont certaines se trouvent à trois kilomètres de notre réserve principale. Les réserves du lac Moose, à 65 kilomètres au nord-ouest de la communauté, ont été réservées en 1915 et élargies en 2004 afin de préserver notre mode de vie traditionnel.

Vu l’échec des plans régionaux d’utilisation des terres de l’Alberta visant à protéger les droits issus des traités sur les réserves, ces terres sont maintenant également menacées par l’exploitation des sables bitumineux. Il y a cinq ans, la production de 260 000 barils par jour dans le cadre de projets situés près des réserves a été approuvée. Plus récemment, l’Alberta Energy Regulator a approuvé la production des 10 000 premiers barils par jour dans le cadre d’un autre projet et de 43 000 barils par jour dans un projet situé à notre porte. Il y a ainsi deux installations donnant directement sur les lacs dans une de nos réserves.

La Première Nation de Fort McKay a déposé cinq recours en justice distincts au sujet du dernier projet et a réclamé l’intervention du gouvernement fédéral, mais le Canada n’a rien fait pour nous aider à protéger ces réserves. En outre, il est susceptible d’être entraîné dans une poursuite pour violation déposée en décembre 2018. Depuis la comparution de la Première Nation de Fort McKay devant le comité de la Chambre, il y a un an, l’industrie pétrolière et gazière et le gouvernement de l’Alberta ont tenté d’effrayer le comité, le Sénat, la Chambre des communes et la population canadienne en évoquant une vision d’apocalypse, affirmant que les investisseurs abandonneraient le secteur canadien de l’énergie au profit d’autres pays.

Pour justifier l’élimination d’éléments du projet de loi qui améliorent la conformité à la jurisprudence existante, le gouvernement de l’Alberta, l’Alberta Environment Regulator et le premier ministre de la province ont tous vanté l’excellence du processus réglementaire de l’Alberta.

L’Alberta affirme que son processus réglementaire est solide, efficace et adaptable, mais ce n’est pas le cas. Elle fait valoir que son processus de consultation et d’évaluation environnementale respecte la loi, mais nous ne partageons pas cette opinion. Les représentants du gouvernement de l’Alberta qui ont témoigné devant vous le 7 février avec l’Alberta Energy Regulator ont indiqué qu’aucune décision de l’Alberta n’avait été reversée en raison de problèmes soulevés lors des consultations. Or, ce n’est pas vrai. En 2016, la cour a annulé deux approbations accordées à des entreprises de sables bitumineux à la suite d’une poursuite intentée par les Métis de Fort McMurray et de Fort Chipewyan. L’Alberta a passé sous silence les infractions commises sur les terres de la Première Nation de Fort McKay et une autre affaire intentée par la Première Nation du lac Beaver. L’expansion de la mine Jackpine est en suspens parce qu’après six ans de consultation, le processus n’est toujours pas terminé.

Les tribunaux sont toujours saisis de sérieuses contestations judiciaires. Le gouvernement de l’Alberta a déterminé que 12 millions de barils de pétrole seront récupérables dans les sables bitumineux au cours du prochain siècle. Depuis la fin des années 1960, seulement 3,6 p. 100 de la réserve totale, 4,5 milliards, a été extraite surtout dans les mines de sables bitumineux.

Toutefois, l’exploitation in situ des sables bitumineux représentera 85 p. 100 de toute production future, soit environ 100 milliards de barils. Malheureusement, l’Alberta exempte du processus d’évaluation environnementale des projets pilotes in situ de 12 500 barils par jour. L’examen minimal interne de l’Alberta n’inclut pas la participation du public, les espèces en péril, les oiseaux migrateurs ou une évaluation satisfaisante des droits issus de traités.

Des entreprises futées suivent les règles albertaines et font approuver un projet pilote de 10 000 barils par jour, et elle augmente la production petit à petit par la suite. C’est une tendance. Mettre les choses en place, accroître la production. C'est ainsi qu’on se soustrait à la responsabilité d’effectuer une évaluation des répercussions sur l’environnement, de mener suffisamment de consultations auprès des Autochtones, ou de tenir compte de domaines qui relèvent du fédéral pour des projets qui, une fois entièrement opérationnels, peuvent produire plus de 200 000 barils par jour.

Nous redoutons que l’Alberta convainque le gouvernement fédéral d’exempter l’exploitation in situ d’un examen fédéral en le remplaçant par le processus réglementaire albertain, que la province qualifie de « rigoureux », et de son plan de lutte contre les changements climatiques. Tout cela en dépit du fait que l’Alberta a approuvé des projets de développement industriel qui ont entraîné un passif non garanti ou des coûts de dépollution de 60 à 200 milliards de dollars.

De plus, le processus réglementaire de l’Alberta n’est ni équitable, ni conforme à la jurisprudence et il ne se traduira que par une augmentation du nombre de poursuites. L’Alberta est également la province la plus rétrograde au chapitre de l’interprétation des droits issus de traités. Nous ne pouvons croire que tant de gens pensent que l’Alberta a réglé les choses concernant la consultation des Autochtones ou qu’ils ont oublié que les tribunaux ont jugé comme étant inadéquate la consultation exigée dans le cadre de nos plus grands projets d’énergie nationaux — le projet Northern Gateway et l’expansion de l’oléoduc Trans Mountain. Il en a résulté l’annulation des deux approbations de pipeline et l’annulation pure et simple du projet Northern Gateway.

Le Conseil des ressources indiennes a fait valoir que le projet de loi C-69 porte atteinte à la souveraineté économique en affirmant que les revenus pétroliers dans les réserves ont diminué de 200 millions de dollars par année depuis 2012, alors que les prix du pétrole ont chuté de 60 p. 100 depuis 2012 également. La perte de revenus est très inquiétante, mais elle n’a rien à voir avec le projet de loi C-69 qui a été présenté en 2018.

Le projet de loi C-69 ne s’applique qu’à des projets évalués à l’échelle fédérale. Ce qui constitue le principal intérêt du Conseil des ressources indiennes, ce sont le pétrole et le gaz classiques, qui sont réglementés par les provinces. Il est absurde de mettre la production pétrolière classique réglementée à l’échelle provinciale sur le même pied que la production de sables bitumineux réglementée à l’échelle fédérale, qui a une plus grande ampleur et qui, proportionnellement, a un effet plus marqué sur l’environnement. Le Conseil des ressources indiennes n’est pas titulaire de droits et ne représente pas les Premières Nations dans cette région.

Enfin, le conseil dit recevoir de la part de l’Association canadienne des producteurs pétroliers des conseils sur les plans juridique et politique. Parlons donc maintenant du mémoire de cette association. L’Association canadienne des producteurs pétroliers vous a demandé d’accepter ses amendements proposés dans leur ensemble. C’est déraisonnable, et plusieurs de ses arguments sont fondés sur une analyse erronée. Notre mémoire contient un examen exhaustif des recommandations de l’association. Nous soutenons certaines des suggestions de l’association qui visent à clarifier le libellé du projet de loi. Notre position est neutre pour certaines. Or, bon nombre sont mal fondées et doivent être rejetées.

L’Association canadienne des producteurs pétroliers vous a demandé de simplifier le processus d’évaluation des répercussions environnementales de sorte qu’il ressemble davantage à la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale de 2012. Or, c’est en raison des lacunes de cette loi que le projet de loi C-69 a été déposé au départ. L’association a proposé l’imposition de limites aux consultations, mais Fort McKay croit que ce qui est établi dans le projet de loi C-69 ne devrait pas être modifié.

D’après notre expérience, ces consultations permettent aux promoteurs d’accélérer le processus d’évaluation en collaborant avec les Premières Nations et réduisent les risques de poursuites. L’Association canadienne des producteurs pétroliers propose de réduire les échéanciers. Elle ne tient pas compte de la recherche de l’Institut C.D. Howe, qui indique qu’au moins la moitié des précédents retards dans l’évaluation des répercussions environnementales avaient été causés par le fait que des promoteurs prenaient un temps d’arrêt pour répondre à des demandes d’information.

Comme je l’ai mentionné, l’expérience de Fort McKay montre que les consultations dont il est question dans le projet de loi C-69 permettent de réduire les délais. L’Association canadienne des producteurs pétroliers propose de limiter la durée du processus d’évaluation d’impact à deux ans. Fort McKay soutient que la réduction des délais ne peut fonctionner que si l’on interdit aux promoteurs de jouer la montre. Si un processus d’évaluation n’est pas terminé dans les délais prescrits, la demande doit être rejetée.

Les limites au contrôle judiciaire que l’Association canadienne des producteurs pétroliers a recommandées vont à l’encontre du droit canadien et imposent des contraintes aux tribunaux. Bon nombre des amendements qu’elle propose forceront les Premières Nations de la région de l’Athabasca à intenter de longues et coûteuses poursuites pour régler les véritables problèmes.

La recommandation la plus importante que nous présentons dans notre mémoire, c’est celle visant à inclure des facteurs déclencheurs pour faire en sorte que les projets qui risquent d’échapper au système, dont les projets d’exploitation des sables bitumineux in situ, soient soumis à un processus fédéral d’évaluation d’impact. Vider le projet de loi C-69 de sa substance sur la base d’une analyse erronée est inacceptable, à notre avis, et devrait l’être tout autant pour l’industrie et pour vous. Un trop grand nombre d’amendements proposés par l’association perpètrent un processus qui trahira la réconciliation.

C’est ce qui met fin à mon exposé. À titre d’information, je suis un nouveau membre de l’équipe. J’en suis à ma troisième journée, et je suis très heureux d’être ici. Or, je connais le développement dans ma région. Je suis conscient de l’importance de ces mesures législatives. Fort McKay y est depuis 1970, et la situation empire. Le processus doit maintenir les valeurs de la communauté. Il faut que ce soit réglé.

Au bout du compte, c’est dans l’intérêt du Canada et non seulement dans le nôtre. Le Canada a une responsabilité fiduciaire à l’égard du traité et des gens. J’espère donc que Trudeau relayera cela au Sénat et à son équipe. Merci beaucoup.

La présidente : Chef Grandjamb, vous avez mentionné que vous avez soumis une déclaration écrite. Nous n’avons pas le WiFi. Quand l’avez-vous soumise?

Mme Davidson : Nous présenterons le mémoire final vers la fin de la semaine.

La présidente : Pouvez-vous le soumettre à la greffière, s’il vous plaît?

Mme Davidson : Absolument.

La présidente : Monsieur Waquan.

M. Waquan : Tout d’abord, j’aimerais que vous gardiez en tête que ma vue n’est pas très bonne. Je lis un texte, mais cela provient quand même d’ici.

La présidente : Merci.

M. Waquan : Tansi. Bonjour, madame la présidente, bonjour, mesdames et messieurs. Je vous souhaite la bienvenue sur notre territoire visé par le traité no 8. Je suis le chef Waquan, et à titre de chef, je représente la Première Nation crie Mikisew, qui comprend environ 3 000 personnes. La Première Nation crie Mikisew est la plus grande Première Nation signataire du traité no 8 de la région des sables bitumineux de l’Athabasca. Notre bureau a examiné de nombreuses évaluations des répercussions sur l’environnement au cours des 17 dernières années et il a déjà participé à environ 8 audiences réglementaires mixtes pour soulever des préoccupations sur l’environnement et sur les répercussions sur notre culture et notre mode de vie.

Nous formons un groupe autochtone dont le territoire inclut le delta Paix-Athabasca dans le parc national Wood Buffalo. Notre lien avec les valeurs naturelles du delta est présent dans tous les aspects de notre mode de vie. Sur notre territoire traditionnel, des intérêts fédéraux convergent. Le parc national Wood Buffalo a été désigné site du patrimoine mondial par l’UNESCO. Il comprend des eaux transfrontalières, fournit les plus importantes voies pour les oiseaux migrateurs en Amérique du Nord et abrite des espèces en péril, le caribou des bois et le bison des bois.

Le Canada a récemment terminé le plan d’action sur le parc national Wood Buffalo en réponse à une demande du Comité du patrimoine mondial. Ce comité de l’ONU a envoyé sur le terrain des spécialistes pour qu’ils examinent l’état du parc national Wood Buffalo après que nous nous sommes dits préoccupés par le fait que le Canada ne prend pas suffisamment de mesures pour contrer certains effets en aval des barrages hydroélectriques et de l’exploitation des sables bitumineux. Les spécialistes ont constaté que le Canada manque à ses obligations envers le parc et les peuples autochtones qui y vivent. Des failles dans le processus d’évaluation environnementale du Canada contribuent à ce résultat embarrassant pour le pays.

L’évaluation de 2018 indique que l’état du parc est très préoccupant et qu’il se détériore.

Nous signalons également que le gouvernement fédéral a approuvé le barrage du site C. Ce barrage aura des répercussions sur les débits au delta Paix-Athabasca, notre territoire, et jusqu’à l’océan Arctique, autrement dit, la mer de Beaufort. Cela aura des conséquences importantes sur le parc national Wood Buffalo, sur sa valeur universelle inestimable en tant que site du patrimoine mondial et sur nos droits.

Des usines de pâte à papier ont des répercussions sur la rivière Athabasca, dans le bassin versant. Les sables bitumineux ont créé le plus grand bassin de stabilisation directement sur notre territoire.

Je vais laisser de côté mon texte pour l’instant. Si vous jetiez un coup d’œil sur la carte, le bassin versant de la rivière Athabasca et le delta Paix-Athabasca, vous constateriez qu’il y a un motif de préoccupation pour ma Première Nation et ma communauté.

Cela signifie que nos droits sont déjà touchés par les effets cumulatifs des mégaprojets. Nous participons activement à des examens de projets qui portent atteinte à nos droits. Nous avons accueilli récemment la commission d’examen conjoint du projet Frontier de Teck à Fort Chipewyan. C’est parce que nous savons à quel point les évaluations fédérales sont importantes pour améliorer les relations avec l’industrie et le gouvernement; bâtir des communautés en bonne santé; et protéger les intérêts environnementaux fédéraux. C’est sous cet angle que nous avons examiné le projet de loi C-69. En fait, nous croyons qu’il contient des modifications qui amélioreront la capacité de notre nation de régler des problèmes durant le processus d’approbation des projets.

La principale lacune, c’est le manque de clarté quant à la question de savoir quels projets font l’objet d’un examen. Nous convenons que c’est lorsque l’industrie sait clairement ce à quoi on s’attend d’elle au cours du processus réglementaire qu’on parvient le mieux à une certitude réglementaire. C’est pour cette raison qu’au cours de la rédaction du projet de loi et lors de notre témoignage devant le Comité permanent de l’environnement et du développement durable, nous avons recommandé l’établissement d’un facteur déclencheur pour l’inclusion de projets.

Dans le libellé actuel du projet de loi, des évaluations fédérales ne seront menées que si l’activité figure sur la liste de projets ou si le ministre décide de l’exiger. Nous convenons que les deux ont leur place dans le projet de loi, mais cela ne suffit pas pour permettre au gouvernement fédéral de protéger ses intérêts. Tout d’abord, la liste de projets est censée mettre en évidence les mégaprojets, et elle est utile à cet égard. Or, il n’y a pas la souplesse qu’il faut pour tenir compte d’aspects clés ou de compétences fédérales comme en ce qui concerne les sites du patrimoine mondial, les espèces en péril et les eaux transfrontalières.

Selon notre expérience, il arrive que la liste de projets exclue bon nombre des activités qui s’avèrent avoir des effets directs et cumulatifs sur des espèces en péril et le delta Paix-Athabasca. À l’heure actuelle, la liste de projets signifie qu’il n’y aura probablement plus jamais d’évaluation fédérale dans la région des sables bitumineux. C'est là que tout se passe dans notre territoire, ici, dans les sables bitumineux dans le Nord de l’Alberta.

Les futurs projets d’exploitation des sables bitumineux seront des projets modulaires, de moindre envergure qui, pris individuellement, ne déclenchent pas la tenue d’évaluations environnementales fédérales ou, dans certains cas, comme l’a expliqué M. Grandjamb, d’évaluations environnementales provinciales. Dans un secteur comme le nôtre, où tant d’activités d’exploitation sont menées, c’est impensable. Comme l’a expliqué M. Grandjamb, à l’heure actuelle, pour des projets in situ de moins de 12 000 barils par jour, l’Alberta Energy Regulator n’effectue pas d’évaluation environnementale. Il n’y a donc aucun examen de questions relevant de la compétence fédérale, des oiseaux migrateurs, des espèces en péril, dont le caribou et le bison, des gaz à effets de serre et des répercussions sur les droits. Étant donné que la plupart des projets de développement des sables bitumineux seront des projets in situ, avec l’exclusion de ces projets de l’évaluation fédérale, on en arrivera peut-être à une situation où dans le développement de l’industrie, on n’évaluera pas du tout les effets sur des questions de compétence fédérale ou sur nos droits.

D’après notre expérience, les demandes de désignation de projets présentées à la ministre n’aboutissent pas. En fait, la demande récente que nous avons faite à la ministre pour la désignation du projet d'agrandissement du puits nord de la mine de sables bitumineux Horizon proposé par la Canadian Natural Ressources Limited a été refusée. Dans sa décision, la ministre s’en est remise au processus d’évaluation environnementale de l’Alberta. En fait, l’Alberta Energy Regulator, plusieurs ministères albertains et la première ministre ont fait l’éloge du processus albertain en encourageant ce comité à affaiblir le projet de loi C-69 et à le rendre plus semblable au processus albertain, voire à garantir que les projets in situ ne fassent pas l’objet d’un examen fédéral.

Par conséquent, je dois utiliser une partie du temps limité dont je dispose ici aujourd’hui pour parler de certaines parties du témoignage qu’a livré l’Alberta devant votre comité.

L’Alberta a déclaré que son processus réglementaire est rigoureux et efficace et qu’il fonctionne. Ce n’est pas le cas. Son témoignage était truffé d’erreurs et elle a donné allègrement l’assurance qu’elle est en mesure de consulter les Autochtones. En réalité, son système est le plus rétrograde au Canada. À ce jour, nous avons demandé à la province d’élaborer une politique de consultation concernant les groupes autochtones. Nous n’avons encore rien reçu.

Comme l’a dit M. Grandjamb, l’Alberta affirme que ses processus de consultation et d’évaluation environnementale respectent la loi. Ce n’est pas le cas. Cela mènera à des poursuites inutiles et coûteuses, une question clé dans les piètres consultations de l’Alberta et les efforts extraordinaires qu’elle mène pour limiter la participation aux audiences.

M. Taylor, de l’Alberta Energy Regulator, a témoigné devant vous et il a dit ceci :

Ce qui se produit généralement, dans le cadre d’une commission d’examen conjoint qui se conforme forcément à la LCEE, c’est que la portée est beaucoup plus vaste et que bien plus de gens participent à l’audience.

C’est tout à fait vrai. Or, c’est que l’interprétation de l’Alberta quant à ce que signifie « touché directement et négativement » est tellement restreinte qu’il est extrêmement difficile pour les parties touchées de participer.

L’Alberta considère que les Premières Nations sont directement et négativement touchées seulement si elles peuvent montrer qu’elles peuvent exercer des droits dans l’empreinte du projet. L’Alberta demande beaucoup plus de documentation sur l’utilisation des zones que ce qu’elle exige de la part de propriétaires en fief simple, ce qui peut être discriminatoire.

M. Taylor a ajouté qu’en 2019, l’Alberta Energy Regulator a modifié ses règles pour inclure les municipalités ou les Premières Nations — pour des projets qui se trouvent à proximité de leur territoire. En réalité, l’Alberta Energy Regulator inclut maintenant des Premières Nations ou des municipalités qui se trouvent à moins d’un kilomètre du projet. Un kilomètre, c’est une distance plus courte que celle que parcourent mes enfants pour se rendre à l’école. Il ne s’agit pas d’une augmentation importante. Cela ne reflète pas de quelque façon que ce soit la mesure dans laquelle les projets portent atteinte à nos droits, à notre culture et à notre mode de vie.

Il est irresponsable de la part de l’Alberta de laisser entendre que son système de réglementation peut remplacer le système fédéral. Nous trouvons déconcertant que tout le monde semble aussi allègrement convaincu que l’Alberta a réglé les choses concernant ses problèmes de consultation.

Nul doute que l’industrie pétrolière est confrontée à de sérieuses difficultés. Toutefois, l’accent qu’elle met sur le projet de loi est injustifié. Si elle veut améliorer la situation, l’industrie devrait axer ses efforts sur l’amélioration des évaluations plutôt que d’essayer de les limiter.

La tenue d’examens plus approfondis réduit les risques de litige. Voilà ce qui assurera la certitude réglementaire. Tout le monde semble parfaitement amnésique quant à la raison pour laquelle les projets Northern Gateway et Trans Mountain ont eu des problèmes. Tout cela, c’était en raison des consultations.

Nos recommandations, que nous communiquerons sous peu à votre comité, visent à améliorer le projet de loi pour assurer une consultation rigoureuse et équitable.

Nous travaillons à des règlements sous le régime de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale pour améliorer la prise en considération, par les évaluations fédérales, des effets cumulatifs, des répercussions sur les droits des Autochtones et les droits conférés par les traités et pour que les méthodes permettant de déterminer que les projets, y compris les projets in situ, sont susceptibles d’avoir des répercussions sur ces droits, fassent l’objet de l’examen nécessaire.

Nous proposons aussi d’améliorer les guides des études d’impact. On pourrait ainsi résoudre certains des problèmes touchant les échéanciers, parce que ces guides préciseraient aux parties ce qu’on attend d’elles. Nous avons revu les amendements proposés par l’Association canadienne des producteurs pétroliers. Même s’ils apportent des précisions utiles dans le libellé, les amendements recommandés auront aussi, dans l’ensemble, un autre effet, celui de réduire la certitude des règlements, d’introduire de la confusion dans le projet de loi et de conduire à plus de litiges et de contestations, ce que nous voulons éviter. Je ne crois pas qu’un gouvernement voudrait se faire réprimander pour nous avoir refusé le droit d’être consultés.

Les propositions de cette association manquent de rigueur et introduiraient des incohérences dans le projet de loi. Le rapport du groupe d’experts qui a conduit au projet de loi C-69 a clairement affirmé que les facteurs économiques étaient déjà une condition importante de la soutenabilité. À cause des principes d’interprétation des lois, ces propositions pourraient entraîner l’exclusion de facteurs économiques de la définition de soutenabilité. Cela créerait de la confusion dans l’interprétation de la loi et irait contre les objectifs de cette association.

La proposition de l’association de limiter les modalités et le moment de l’examen judiciaire des décisions limite de façon inconstitutionnelle la primauté du droit. Si ces dispositions se retrouvaient dans le projet de loi, il en résulterait, au lieu d’un processus d’examen judiciaire relativement plus opportun, une augmentation du nombre de cas coûteux et longs à résoudre de violation, ce qui retarderait même davantage la réalisation des projets. Notre mémoire sera assorti de recommandations, qui prévoient, dans la loi, des critères de réalisation de l’évaluation fédérale.

Par expérience, nous savons que, dans le cadre d’une évaluation fédérale, nous sommes plus susceptibles d’obtenir les renseignements nécessaires à des décisions prises en connaissance de cause et facilitant notre consentement. On ne peut pas en dire autant des processus réglementaires des provinces. Celui de l’Alberta crée de la méfiance, de l’animosité et, en fin de compte, de l’incertitude juridique et des incertitudes pour les investissements des promoteurs.

Je vous remercie de votre temps, d’avoir organisé l’audience pour participer à votre tâche de rencontrer tout le monde. Comme le projet de loi soulève beaucoup de controverse, je sais que vous avez beaucoup de pain sur la planche. Bonne chance.

La présidente : Merci.

Chers collègues, nous avons moins de 15 minutes pour les questions. Procédons donc comme suit : aucun préambule; une minute pour formuler la question; une minute et demie pour y répondre.

La parole est au sénateur MacDonald.

Le sénateur MacDonald : Paraît-il que, au début du mois, l’assemblée des chefs de l’Alberta, les chefs signataires de traités, ont annulé une résolution de 2018 qui appuyait le projet de loi C-69. Êtes-vous membre de cette assemblée? Partagez-vous, relativement à ce projet de loi, les motifs de préoccupation soulevés par le chef Roy Fox ou d’autres membres de l’assemblée?

La présidente : Qui répond?

M. Evans : Je pense qu’il importe au comité de comprendre l’historique de cette résolution. De fait, en décembre, la même assemblée a adopté une résolution anonyme qui appuyait ce projet de loi.

Le sénateur MacDonald : Oui.

M. Evans : En particulier, la demande, faite par les Premières Nations de la région de l’Athabasca, de désigner des projets in situ à l’examen fédéral. À Ottawa, en décembre, l’Assemblée des Premières Nations a adopté une résolution très semblable. Malheureusement, les chefs qui l’ont proposée n’ont assisté à aucune des réunions où ces votes avaient eu lieu, et, au dernier moment, on l’a retirée — j’ignore quel chef l’a proposé — à la condition de présenter des renseignements supplémentaires aux chefs pour qu’ils puissent prendre une décision en connaissance de cause. Je dirais donc que ce ne sont pas des chefs albertains ou des Premières Nations de l’Alberta qui ont cessé d’appuyer le projet de loi. Ils ont seulement demandé à être mieux renseignés pour examiner la question plus en profondeur, vu les délais fixés. Nous verrons bien ce qui arrivera.

Au risque de m’exprimer à la place de mes chefs, les Premières Nations de la région de l’Athabasca, même si elles ne croient pas que le projet de loi soit parfait, pensent qu’il apporte des améliorations très importantes pour la mobilisation des Premières Nations et pour des processus qui sont plus susceptibles de conduire non seulement à l’approbation de projets mais aussi à celle des intervenants qui ont qualité pour participer aux audiences.

Je pense que certains ont oublié que les projets n’échouent pas pendant le processus d’approbation. Ceux qui, dernièrement, paraissaient dans le pétrin ont échoué après, quand la décision de les autoriser a été contestée. Le projet de loi améliorera donc le processus d’évaluation, ce qui devrait réduire les contestations après l’approbation des projets.

Le sénateur MacDonald : Quand vous avez soulevé la question du barrage du site C, vous avez piqué ma curiosité. Vous avez dit que les impacts toucheraient le territoire vers le nord, jusqu’à la mer de Beaufort. Pourriez-vous en dire plus, parce que ces travaux ont finalement été autorisés par un gouvernement néo-démocrate appuyé par le Parti vert en Colombie-Britannique? Par curiosité, leur avez-vous parlé? Ils semblent en effet avoir exercé beaucoup d’influence sur cette décision.

M. Waquan : Puis-je répondre?

Le sénateur MacDonald : Oui.

M. Waquan : Mon territoire, le delta Paix-Athabasca est pratiquement le delta intérieur le plus étendu du monde : 3 000 milles carrés d’eau. Depuis l’autorisation des deux barrages, dans les années 1960, de l’autre, ici, tout récemment, celui du site C, nous avons perdu beaucoup d’eau. Beaucoup de personnes, dans les administrations publiques et l’industrie, incriminent le changement climatique. C’est en partie vrai. Quand on ferme un robinet ou les vannes d’un barrage... BC Hydro l’a toujours dit. Nous n’avons pas vraiment nui aux populations en aval.

Voyons le cas d’un animal qui construit des barrages. Il provoque la sécheresse en aval. Le castor accumule toute cette eau pour lui-même, pour au moins survivre. Toutefois, dans le cas qui nous occupe, quand le gouvernement fédéral a approuvé le site C, et il y en a un autre dans les cartons, dont on discute, pour le réseau de la rivière de la Paix, ses effets seront douloureux. En fait, j’ai discuté avec des intéressés qui vivent au nord, d’Inuvik jusqu’à Fort Resolution, Fort Smith, qui sont touchés. Ilsle voient très, très... Comment dites-vous? Ça touche leur accès au territoire pour la cueillette, la recherche de plantes médicinales, l’exécution de leur traité et la protection de leurs droits autochtones, si ça répond à votre question.

La sénatrice Cordy : Merci beaucoup. Je vous poserai tout de suite mes deux questions.

Je tiens à vous remercier, vous ou toute autre personne, de la vidéo transmise par courriel sur le parc de Wood Buffalo.

M. Waquan : Oui.

La sénatrice Cordy : Comme je suis réglée sur l’heure de l’Est, j’ai dû la regarder ce matin. Je vous en remercie donc. Ç’a été très utile de constater la dévastation qui a lieu.

Pour commencer, vous avez dit que le processus actuel de consultation est détraqué et qu’il aboutit à plus de litiges, dont vous avez cité des exemples. Alors, première question : est-ce que le projet de loi améliorera le processus de consultation? Ensuite, chef Grandjamb, vous avez dit, sans employer l’expression « campagne de peur », que l’opinion selon laquelle le ralentissement de l’économie découle du projet de loi C-69 est très répandue. En fait, vous avez dit que les prix pétroliers de 2012 avaient sensiblement baissé.

Alors, quels sont certains des facteurs qui, ayant conduit au repli de l’industrie, ne découlent pas de ce projet de loi, mais ont commencé en 2012?

Nous avons vu la même chose dans les années 1980 ainsi que la nature cyclique du secteur pétrolier. Je me demande si vous pouvez formuler des observations sur ces deux phénomènes. Merci.

M. Grandjamb : Oui, le dialogue s’améliorera. En fait, je crois qu’il est crucial de viser par la loi les projets in situ. Vous savez, j’ai parlé de l’importance... Dans l’avenir, il y aura moins de mines à ciel ouvert. Eh bien, dans notre région, tous les projets seront in situ. Alors, soit nous élaborons un processus de véritable consultation, soit nous nous retrouvons devant les tribunaux. C’est notre dernier recours, parce qu’il ne subsiste que le tiers de notre superficie, et ce n’est pas acceptable. Nos modes de vie traditionnels, nos modes de prélèvement des ressources ont maintenant radicalement changé. Il n’y a plus de vie traditionnelle. Nous essayons de conserver ce qui nous reste.

Alors, faute de véritable consultation, incluez ce type de projets, et nous combattrons jusqu’au bout.

M. Waquan : Pourrais-je en dire un peu plus à ce sujet? Actuellement, le projet de loi C-69 ne vise pas les projets in situ. On les a mis à part. C’est ce que l’avenir semble nous réserver. On donne le feu vert à encore 20 ou 30 autres de ces projets.

Le territoire où je vis, en aval, est à 760 pieds au-dessus du niveau de la mer. Ici, Fort McMurray est peut-être 150 pieds plus haut. Plus vers le sud, on grimpe peut-être à environ 2 000 pieds.

Sur cette question, je regarde toujours vers l’avenir. L’eau souterraine s’écoule vers le bas. Le delta Paix-Athabasca finira par tout recevoir, que ce soit dans 20, 30 ou 60 ans. C’est vraiment les possibilités à surveiller dans l’avenir.

Nous invitons le gouvernement à la prudence, dans ses évaluations. Quand nous nous présentons à la table, nous l’incitons à y songer pour l’avenir. Que restera-t-il à ma génération, à celle qui la suivra? Je veux qu’elle profite de l’héritage que j’ai reçu.

La présidente : La parole est à la sénatrice Simons.

La sénatrice Simons : Je cherche à simplifier autant que possible. Comme vous, nous sommes très contrariés par l’absence d’une liste de projets. Comme vous, nous en voudrions une dans un proche avenir. Toutefois, je me demandais si le problème sur vos territoires provenait d’un projet in situ ou s’il résultait plutôt de la combinaison de tous les projets, de l’effet cumulatif de tant de projets in situ en chantier?

M. Grandjamb : Désirez-vous intervenir ici?

Mme Davidson : C’est une excellente question. Il est sûr que les effets cumulatifs posent l’une des principales difficultés dans cette région. Le problème réside dans les projets in situ, qui, par nature, sont modulaires, petits. Il est donc très difficile de démêler l’impact d’un projet et l’impact de tous ces projets.

Je pense qu’une façon de faire serait que le projet de loi C-69 prévoie des évaluations régionales. Qu’un pouvoir soit accordé pour réaliser des évaluations régionales dans cette région et qu’on commence à trouver de bonnes lignes directrices pour maîtriser ces effets cumulatifs.

Le sénateur D. Black : Je vous remercie d’être ici. C’est fantastique de voir jaillir la lumière du choc des opinions. Maintenant, je veux seulement comprendre, et je pourrais facilement m’égarer, mais j’entends partout dire que votre nation, celle de Fort McKay, et les Cris, les Cris chipewyans sont présentés comme des exemples de la réussite de la conciliation à la faveur de relations commerciales avec l’industrie. Ai-je raison?

M. Grandjamb : Effectivement, avec l’industrie, nous avons conclu d’excellentes ententes.

Le sénateur D. Black : C’est ce que je pensais.

M. Grandjamb : Il y a des ententes sur les répercussions et les avantages. Toutefois, ce n’est qu’une partie du processus de négociation.

Le sénateur D. Black : Non, je le comprends. Cependant, je tiens à comprendre si vous êtes en relation sérieuse d’affaires avec des intérêts énergétiques.

M. Waquan : Oui.

Le sénateur D. Black : Très bien. J'en suis vraiment fier. Visiblement, l’industrie aussi. N’êtes-vous pas préoccupé par la succession des témoignages d’entreprises énergétiques, qui répètent sans cesse que le projet de loi C-69 entravera leurs investissements? Ce préjudice pour vos intérêts commerciaux ne vous inquiète-t-il pas?

M. Waquan : Oui.

Le sénateur D. Black : Permettez-moi de comprendre.

M. Waquan : Voulez-vous intervenir à ce sujet?

Mme Davidson : Je pense qu’une partie de nos sujets de préoccupation, relativement au projet de loi, découlent des importants intérêts économiques de nos nations, collectivement, dans les sables pétrolifères.

Le sénateur D. Black : Absolument.

Mme Davidson : Absolument. Ce qui revient à notre argument selon lequel une meilleure évaluation améliore la certitude réglementaire pour l’industrie.

Le sénateur D. Black : Là, je comprends votre point de vue. Ça m’est utile.

Mme Davidson : Je ferais aussi remarquer l’importance, également, comme vous l’avez dit, d’entendre d’autres points de vue. Il importe d’entendre les parties obligées de suivre la voie de l’examen judiciaire ainsi que celles qui y répondent. Ce sont donc les facteurs que nous voyons nous conduire à prendre ces décisions.

Le sénateur D. Black : Je suis heureux d’entendre que nous sommes tous rudement d’accord sur l’inutilité des procès, si ce n’est pour enrichir les avocats, et ce n’est pas notre objectif, sauf pour les avocats ici présents. Alors, merci beaucoup. Merci, madame la présidente.

La présidente : La parole est au sénateur Carignan.

[Français]

Le sénateur Carignan : Je vais lire en français. Je ne sais pas si vous avez besoin de la traduction, parce qu’il y a aussi les communautés cries du Québec qui parlent bien le français. Un peu dans la même ligne que le sénateur Black, v de l’extérieur et j’essaie de comprendre les différents points de vue. Vous venez de conclure une entente avec Syncrude en janvier dernier. Il me semble que vous vous êtes retiré comme intervenant dans l’étude qui devait avoir lieu avec l’Alberta Energy Regulator. Comment puis-je interpréter ce retrait avec les propos que vous tenez aujourd’hui sur l’importance de l’évaluation environnementale?

[Traduction]

M. Stuckless : C'est une excellente question. Je ferai attention à ma réponse, parce que mes amis sont ici.

Pour toute l’évaluation environnementale, cette demande, qui vient de faire l’objet d’audiences publiques, en janvier, a été faite en 2013. Bon nombre diront que les échéanciers sont, en ce qui concerne ce projet de loi, une question vraiment délicate. C’était donc il y a six ans. L’évaluation d’impact proprement dite pour essayer de résorber les motifs de préoccupation et ce genre de choses était presque au point mort.

Seulement à cet égard, ce projet n’a pas fait l’objet d’une demande l’année dernière, mais il y a de nombreuses années de cela. En fait, les communautés ici présentes ont demandé l’intervention du gouvernement fédéral sur ce projet, peu après son dépôt, demande que le ministre de l’Environnement de l’époque a rejetée.

Cela dit, le projet a suivi tout le processus de mobilisation et de consultation, qui n’a pas été particulièrement fructueux, mais, en fin de compte, nous essayons toujours de maîtriser notre propre destinée et de tourner vers l’avenir nos ententes sur les répercussions et les avantages, ou de prendre en considération les conditions environnementales ou sociales avec l’entreprise d’abord, parce que nous avons directement la maîtrise de cet élément avec elle.

Dans la décision de participer à une audience réglementaire, il faut agir comme le ferait la Alberta Energy Regulator dans la prise en considération des renseignements qu’on lui a soumis. Une partie concernerait ce que vous avez entendu le chef dire, aujourd’hui, que le processus de consultation est très déficient dans cette province. C’est un processus à deux niveaux pour partout ailleurs au Canada et dans cette province. Voilà qui s’appelle une situation malheureuse.

Alors, l’exercice et l’intégration de ces droits dans un processus de décision en Alberta nous désavantagent, parce qu’on se borne à ce que le promoteur fournira, vu les règles que la province lui donne. Voilà pourquoi la prise en considération de la culture, par exemple, est incapable d’invoquer l’argument des droits. La prise en considération de tous les modes d’occupation des sols n’est pas vue comme faisant partie d’une discussion sur les droits. Dans cette province, c’est vraiment limité à... Le mot juste m’échappe absolument, mais c’est vraiment une situation malheureuse dans laquelle on est limité à ces interprétations très locales de l’utilisation des droits. Elles ne nous aident pas.

Donc, lorsque vous dépensez 1 ou 2 millions de dollars pour tenir une audience, vous tenez compte de ce qui sera accompli. Au bout du compte, si nous pouvons régler nos différends au sein de l’entreprise, nous sommes alors mieux placés pour gérer la poursuite de la consultation avec l’entreprise, plutôt que de se fier à un organisme de réglementation tiers qui ne prépare pas vraiment le terrain afin d’avoir un processus de consultation juste et significatif pour répondre à nos préoccupations.

Le sénateur Carignan : Merci. Je comprends.

La présidente : Sénateur Mockler, vous avez la parole.

Le sénateur Mockler : Merci. Je vais me servir d’une citation pour ensuite poser une question aux chefs.

Le Conseil des premiers ministres de l’Atlantique, qui regroupe les quatre premiers ministres du Canada atlantique — Nouveau-Brunswick, Île-du-Prince-Édouard, Nouvelle-Écosse et Terre-Neuve-et-Labrador —, a fait parvenir une lettre au premier ministre. La lettre dit :

Une des principales préoccupations qui doivent être dissipées tient au fait que, selon le libellé actuel du projet de loi, le pouvoir de rendre des décisions définitives appartient au ministre ou au gouverneur en conseil et donne la possibilité d’exercer un droit de veto à l’encontre de résultats découlant d’évaluations scientifiques exhaustives et d’un examen des données.

Ma question pour les chefs vise à savoir ce qu’ils pensent de cette préoccupation — ils en ont beaucoup — des premiers ministres de l’Atlantique concernant le droit de veto accordé aux ministres fédéraux dans le projet de loi C-69. Est-ce préoccupant pour vous et vos collectivités?

M. Waquan : C’est certainement préoccupant. Il y a probablement quelques personnes des quatre provinces de l’Est qui travaillent actuellement dans le secteur des sables bitumineux.

Le sénateur Mockler : Tout à fait.

M. Waquan : À vrai dire, c’est probablement la majorité.

Le sénateur Mockler : Tout à fait.

M. Waquan : Je m’en voudrais de dire qu’un veto va à l’encontre d’une étude scientifique. Cela me pose vraiment problème. Le droit de veto n’est que pour les présidents. Laissons-le à Trump. D’accord. En ce qui me concerne, cela me poserait problème. Ce sera probablement une question juridique. Personnellement, je ne pourrais pas dire ce que pensent les quatre premiers ministres provinciaux. Ils essaient probablement d’instaurer un droit de veto. J’espère que non. Quoi qu’il en soit, c’est ce que j’en pense, car cela me pose problème. C’est mon point de vue et celui de ma Première Nation.

La présidente : Avez-vous un commentaire à ajouter, monsieur Grandjamb?

M. Grandjamb : Oui. Je vais me faire l’écho des observations du chef Waquan. Au bout du compte, vous avez une responsabilité à assumer lors de votre évaluation. Il serait très répréhensible de la part du Canada d’accorder des approbations sans tenir compte des préoccupations scientifiques, environnementales, sanitaires et ainsi de suite. Vous savez, nous avons parlé des aspects économiques et temporels, mais en fin de compte, la santé humaine et des vies sont en jeu.

Si on veut procéder ainsi, c’est sans aucun doute une erreur. On doit prendre un moment pour examiner ce qu’on approuve, car des vies sont en jeu, pas seulement un processus, du temps ou de l’argent.

La présidente : Je vous remercie de vos témoignages et de vos réponses. C’est une discussion très importante que nous avons ici.

Nous accueillons maintenant notre troisième groupe de témoins. Du Conseil des ressources indiennes, nous avons Stephen Buffalo, président et chef de la direction; Wallace Fox, président du conseil d’administration; et Delbert Wapass, vice-président du conseil d’administration. De la Chambre de commerce de Bonnyville, nous recevons Robyn Ducharme, présidente; et Serina Parsons, directrice générale.

Chaque groupe aura cinq minutes pour faire une déclaration liminaire. Nous passerons ensuite aux questions.

Wallace Fox, président du conseil d’administration, Conseil des ressources indiennes : Mesdames et messieurs les sénateurs, bonjour. Je suis très honoré d’être ici sur le territoire du traité no 8.

Comme on l’a mentionné, je m’appelle Wallace Fox. Depuis plus de 30 ans, je suis dirigeant au sein de la nation crie d’Onion Lake, sur le territoire du traité no 6. J’ai quitté la politique locale l’été dernier. Je ne me suis pas représenté comme chef. J’ai plutôt décidé de me tourner vers d’autres horizons. Je suis ici à titre de président du Conseil des ressources indiennes, qui représente 150 Premières Nations productrices de pétrole et de gaz sur leurs terres. Notre mandat est d’améliorer les possibilités de développement économique et d’en augmenter le nombre pour les membres des Premières Nations au moyen d’une exploitation responsable des ressources énergétiques. La collectivité d’Onion Lake compte 6 500 personnes. C’est une des plus grandes productrices de pétrole lourd sur les terres indiennes,

Le projet de loi C-69 intéresse grandement la nation crie d’Onion Lake. Nous voulons y voir certains amendements, ce qui est le principal objectif de notre travail.

Nous travaillons étroitement avec l’industrie, et je le mentionne avec fierté, car il ne faut pas s’en cacher: nous nous mettons sur un pied d’égalité et nous apportons tous les deux une contribution. Nous sommes favorables à des amendements visant l’industrie pour promouvoir un secteur de l’énergie fort et responsable, et c’est d’ailleurs ce que nous voulons voir : un secteur de l’énergie fort.

Il y a toutefois quelques aspects précis qui ont vraiment une incidence sur les Premières Nations. Nous voulons notamment rétablir les critères liés au droit de participation pour faire en sorte que seuls ceux parmi nous qui sont directement touchés par un projet peuvent prendre part à son évaluation. Nous voulons préciser que les promoteurs des comités touchés peuvent se consulter et négocier entre eux avant que l’approbation réglementaire soit accordée. C’est à ce moment-là que les Premières Nations ont le plus d’influence. Le libellé actuel est vague et peut être interprété de manière à restreindre la mobilisation préalable à l’approbation.

Nous voulons limiter la portée excessive de l’ingérence politique dans la loi en garantissant l’indépendance des organismes de réglementation et en respectant la procédure prévue. Nous sommes désavantagés depuis 150 ans. Il va sans dire que nous voulons éviter que des politiciens à Ottawa prennent des décisions unilatérales ayant pour nous des répercussions. Nous n’avons pas besoin d’un autre politicien fédéral qui nous dit quoi faire, ce qui est bon ou mauvais pour nous. Cet aspect du projet de loi est très condescendant.

Comme je l’ai dit, j’ai assumé des fonctions de dirigeant. J’ai vu beaucoup de politiciens et de politiques archaïques au gouvernement fédéral. Si vous étiez à notre place, vous comprendriez exactement ce que je dis.

Aimeriez-vous que je vienne à Ottawa pour vous dire quoi faire pendant les 150 prochaines années? M’autoriseriez-vous à le faire? Eh bien, nous n’avons pas eu le choix. C’est ce que le gouvernement a fait à nos gens, à maintes reprises. Pendant toutes les années où j’ai été chef, je n’ai jamais préconisé le respect de ce que le gouvernement fédéral nous disait de faire.

Depuis 30 ans, je travaille pour mon peuple, pas pour le gouvernement fédéral. Le parti au pouvoir n’a pas d’importance, tout comme les organismes sénatoriaux devant lesquels j’ai déjà comparu. Ce qui compte, c’est nos gens.

Ce processus législatif — les intervenants précédents ont parlé de ceux qui ne sont pas titulaires de droits... Eh bien, pourquoi le gouvernement fédéral écoute-t-il encore ces personnes à l’Assemblée des Premières Nations lorsque cela n’a pas de conséquences sur nos gens?

La nation crie d’Onion Lake et la Couronne, que vous représentez tous, ont conclu un traité établissant un lien de souveraineté. L’Assemblé des Premières Nations, tout comme le Conseil des ressources indiennes, ne possède pas de droits issus de traités. Cependant, le lien de souveraineté autonome individuel établi entre la Couronne et la Première Nation est primordial pour la relation avec la Couronne, mais on impose sans cesse à notre peuple des mesures législatives. Je reconnais qu’on a mené plus de consultations au cours des 10 dernières années, mais comment en sommes-nous arrivés là? Nous avons dû nous adresser aux tribunaux, encore une fois. On a mentionné plus tôt le système juridique, et qui en profite au bout du compte? Nous sommes constamment acculés au pied du mur et forcés d’adopter des positions juridiques lorsque les gens comprennent qu’il y a une relation issue de traités et que la Couronne a une responsabilité, une obligation.

On a arbitrairement donné la Convention sur le transfert des ressources naturelles de 1930 aux provinces sans la consultation ou le consentement de notre peuple. C’est de cela que nous parlons : l’exploitation des ressources.

Je ne fais peut-être pas partie des gens qui lisent leurs notes; je ne l’ai jamais fait. Mes propos viennent d’ici. Notre peuple ne doit plus se faire dire quoi faire par le gouvernement fédéral et Ottawa. Avant 1951, nous n’étions même pas considérés comme des êtres humains. Comment pouvions-nous alors retenir les services d’un avocat pour nous représenter? Nous n’aurions même pas pu voter aux prochaines élections qui auront lieu ici dans quelques semaines ou à l’automne. Nous avons été réduits à l’impuissance pendant de nombreuses années. Il est grand temps que cela change. Je ne suis pas le genre à participer à des rassemblements ou à des manifestations. Je fais plutôt partie de ceux qui préfèrent s’asseoir à la table et nouer une solide relation de travail axée sur le respect mutuel et la compréhension.

Je tenais juste à préciser que le Conseil des ressources indiennes n’est pas titulaire de droits, tout comme l’Assemblée des Premières Nations. Pourtant, le bureau national de l’assemblée, le chef national et le gouvernement fédéral prennent toujours des décisions au nom des Premières Nations. À la nation crie d’Onion Lake, j’ai toujours dit que nous sommes les seuls à nous représenter. Je voulais le faire valoir parce que cela me fâche lorsque j’écoute à l’arrière que je dois encore une fois comparaître devant un comité alors que nos collectivités vivent dans la pauvreté.

Au moyen de nos propres ressources, nous avons dû dépenser 60 p. 100 plus d’argent que ce que le gouvernement fédéral nous donne. Nous avons pris l’initiative pour ce qui est de notre pétrole lourd, de la langue crie, des traumatismes et de l’époque liée aux pensionnats autochtones. Le gouvernement n’a jamais donné un sou à notre collectivité pour cela. Nous voulons préserver notre culture, notre langue et nos cérémonies. Nous investissons donc nos ressources.

Maintenant, compte tenu de ces projets de loi qui sont imposés et considérés comme étant adoptés, nous allons revenir 150 ans en arrière en ce qui concerne notre collectivité. Je vous prie donc d’en tenir compte dans la poursuite de vos délibérations.

Étant donné que nous avons une relation de travail avec l’Association canadienne des producteurs pétroliers, elle ne nous donne pas d'avis, de conseils juridiques. Nous recourons à nos propres ressources pour élaborer notre propre politique et faire notre propre analyse dans certains dossiers. Nous nous représentons pour défendre les meilleures ressources économiques que nous pouvons avoir et développer pour nos gens. C’est une question de souveraineté économique — les 634 Premières Nations au Canada ne seraient pas dans cette situation où certaines personnes sont bien nanties et d’autres laissées pour compte, si nous avions été traités comme des êtres humains honnêtes dès le départ.

Je peux seulement parler du traité no 6 de 1876. Si nous nous étions rencontrés comme cette fois-là et qu’on nous avait permis de continuer de progresser, nous ne serions pas ici aujourd’hui.

Quand je regarde cette mesure législative, par exemple, le projet de loi C-69, je vois l’article sur le veto, la possibilité que quelqu’un en Nouvelle-Écosse ou au Québec s’oppose à ce que nous faisons dans notre collectivité. Eh bien, quoi qu’il arrive, personne ne réussira. Que diriez-vous s’il s’agissait de vous? Inversez les rôles. Que diriez-vous si j’affirmais que vous ne pouvez pas construire de garage dans votre cour arrière? Je viens de la Saskatchewan, et je dis que vous ne pouvez pas le faire à Ottawa ou à Terre-Neuve. Laisseriez-vous une telle chose se produire? Bien sûr que non. Pourquoi alors l’accepterions-nous sur nos terres?

Je ne lis pas de discours. Je parle par expérience.

Il faut que cela cesse. Vous devez comprendre notre point de vue. Nous sommes en mesure d’avoir la souveraineté économique et l’indépendance que nous voulons, que nous avons toujours voulues. C’est mon point de vue. En tant qu’ancien dirigeant dans notre collectivité, c’est ce que je m’efforce d’obtenir.

Quand je regarde ce projet de loi, je me souviens de mon grand-père qui m’a dit que nous avions les meilleures récoltes des provinces des Prairies grâce aux outils négociés dans le traité pour que nous pratiquions l’agriculture. Qu’ont fait les agriculteurs des environs? Ils ont mis en place le nouveau système et exercé des pressions contre l’ancien. Ils nous ont enlevé nos outils parce que nos récoltes étaient meilleures. C’est l’histoire que mon grand-père m’a racontée. Nous ne pouvions plus pratiquer l’agriculture parce qu’ils se plaignaient à l’extérieur de nos réserves. Nous nous aventurons de nouveau dans cette voie. J’espère que non.

Merci au Sénat. Je sais que vous avez un rôle très difficile à jouer, mais nous agissons de notre propre chef, et nous pouvons nous occuper de nos gens. Nous n’avons pas besoin de mesures législatives qui nous disent quoi faire et quoi ne pas faire. Nous sommes en 2019, pas dans les années 1900 où on nous disait quoi faire. Je ne vais personnellement pas le tolérer. Je vais faire ce qui est bien pour nos gens. Si la protection de l’environnement arrive en tête de liste, ce sera la priorité. L’indépendance économique arrive au deuxième rang. Merci.

La présidente : Merci.

Nous allons maintenant entendre la Chambre de commerce.

Serina Parsons, directrice générale, Chambre de commerce de Bonnyville : Madame la présidente, mesdames et messieurs les sénateurs, merci de nous accueillir. Nous sommes très honorées d’être ici. Je m’appelle Serina Parsons et je suis directrice générale de la Chambre de commerce de Bonnyville, du district, et je suis accompagnée de Robyn Ducharme, présidente de notre organisation.

Notre chambre représente plus de 260 membres dans notre région qui crée 5 853 emplois à temps plein et 85 emplois à temps partiel dans notre district. Aujourd’hui, je parle en leur nom ainsi qu’au nom de toutes les entreprises de la région de Lakeland.

Je voulais commencer par dire que vous allez entendre plus tard aujourd’hui Chris Dugan, l’ancien président de la Chambre de commerce de l’Alberta. Nous appuyons entièrement les recommandations de la chambre et les amendements qu’elles proposent au projet de loi C-69, et je ne vais donc pas les passer en revue. Je suis honorée d’être ici aujourd’hui pour représenter les chambres des collectivités rurales.

Le nord-est de l’Alberta est une des régions les plus durement touchées par une économie qui est déjà chancelante, et qui est encore plus menacée par le projet de loi C-69 et ses répercussions possibles. Nous voyons sans cesse des intervenants, des étrangers et des entreprises mettre fin à leurs investissements dans l’industrie pétrolière de l’Alberta en raison d’une confiance qui s’érode par rapport à notre capacité à acheminer nos produits vers le marché.

Depuis 2015, nous sommes dans une spirale descendante. Notre collectivité et notre région n’ont pas bénéficié de la reprise économique observée dans d’autres coins de la province, par exemple à Grande Prairie en raison de sa production gazière. Entre autres choses, le nombre de permis d’exploitation d’une entreprise délivrés à Bonnyville rend compte de la situation. En 2015, 748 permis ont été délivrés. En 2018, ce nombre est passé à 633. C’est une baisse de 15 p. 100. Dans la documentation distribuée aujourd’hui, j’ai inséré pour vous une feuille contenant les statistiques afin que ce soit évident.

La capacité de notre pays à construire des infrastructures facilitant le commerce est déjà remise en question. Sans amendements, le projet de loi C-69 menace davantage notre développement économique futur. Nous appuyons les recommandations de l’Association canadienne des producteurs pétroliers concernant les modifications nécessaires au libellé actuel du projet de loi, et l’évaluation d’impact de l’association se trouve également dans votre documentation. Si le projet de loi C-69 est adopté dans sa forme actuelle, il nuira non seulement à la construction de nouveaux pipelines, ce qui aura une incidence négative sur l’économie de l’Alberta, mais aussi à de nombreuses autres formes d’infrastructure partout au pays.

Je ne peux pas vraiment me prononcer sur les répercussions que le projet de loi aura, s’il est adopté, sans décrire ce que vit notre région. La réglementation actuelle du secteur de l’énergie a mené notre province à réduire la production de pétrole. Notre région compte certains des principaux producteurs, dont CNRL, un grand employeur, qui a mentionné en janvier une possible mise à pied de milliers de personnes comme conséquence directe de cette réduction. Grâce à l’atténuation de la formule de réduction, ces mises à pied n’ont pas eu lieu. Toutefois, vous pouvez imaginer l’incertitude que cette annonce a créée au sein des entreprises, des collectivités et de la population de notre région.

Je veux vous donner d’autres chiffres sur ce que cette incertitude et cette incapacité à construire des infrastructures signifient pour les gens de notre région. N’oubliez pas que les statistiques ne sont que des chiffres, mais qu’il est question de personnes, de membres de la classe ouvrière qui ont été des citoyens productifs la majorité de leur vie.

Je vais commencer par le marché immobilier à Cold Lake, à Bonnyville et au district municipal de Bonnyville. Le prix moyen des maisons en 2014 était de 452 000 $. En 2018, il était passé à 323 800 $. C’est une baisse de 28 p. 100. En 2015, quatre propriétés ont été saisies, tandis qu’en 2018, il y en a eu 31, ce qui représente une hausse de 675 p. 100.

Au centre de crise local, pendant la dernière année seulement, de 2017 à 2018, les appels à la ligne d’assistance ont grimpé de 53 p. 100. Les appels de personnes en situation de crise — ce qui comprend les personnes suicidaires — ont grimpé de 51 p. 100, et la proportion d’hommes a augmenté de 81 p. 100, ce qui est ahurissant. Nous ne pouvons pas parler efficacement de notre économie en citant uniquement des chiffres, sans prendre conscience des répercussions sur les gens. Les séjours dans leur refuge d’urgence ont augmenté de 25 p. 100, et les clients y sont demeurés 30 p. 100 plus longtemps dans la dernière année, soit 10 jours plutôt que 7 comme au cours des années précédentes.

Ces chiffres, ce sont les personnes qui travaillaient dans notre secteur, qui ont perdu leur emploi, leur entreprise ou leur maison. Pour certains, c’est tout ce qui précède. Nombreux sont ceux qui ont quitté notre région pour trouver des occasions ailleurs, privant la région de travailleurs qualifiés qui sont dans bien des cas partis avec leurs conjoints ou conjointes, également des travailleurs qualifiés comme des enseignants ou des infirmières. Notre maire, Gene Sobolewski, a mentionné aujourd’hui le déclin de notre population.

La prospérité de l’Alberta est tributaire d’un milieu des affaires sain et concurrentiel, ainsi que de règlements éclairés par des données et par la science. De plus, l’histoire de notre région devrait prouver que la perte d’avantages économiques causée par un projet qui n’est pas approuvé mérite la même attention que toute autre mesure d’intérêt public.

Si le projet de loi C-69 est adopté tel quel, la confiance que l’Alberta et le Canada inspirent aux investisseurs étrangers va continuer de diminuer, et nous allons continuer d’avoir de moins en moins d’investissements étrangers. Nous ne pourrons pas dire à nos enfants que nous avons tout fait pour assurer leur succès en obtenant la pleine valeur de nos ressources, car nous ne sommes pas en mesure d’acheminer notre produit vers le marché.

Les données dont je vous ai fait part aujourd’hui ne vont pas s’améliorer, au contraire. Nous devons veiller à travailler dans l’intérêt supérieur des Canadiens et nous assurer que le gouvernement fédéral se concentre d’abord et avant tout là-dessus. Nous avons besoin d’un système réglementaire qui fonctionne pour les gens de ce pays. Merci.

La présidente : Merci beaucoup.

Nous allons passer aux questions, à commencer par le sénateur MacDonald.

Le sénateur MacDonald : Monsieur Fox, j’allais vous appeler chef Fox, mais vous me dites que vous n’êtes plus chef. Vous n’êtes peut-être plus chef, mais vous avez à mes yeux les qualités d’un leader. Je veux que vous sachiez que vous n’êtes pas seul à en avoir assez d’entendre Ottawa dire aux gens comment vivre leur vie. Bien des Canadiens se sentent comme vous.

Pourriez-vous nous en dire davantage sur la relation entre la nation crie d’Onion Lake et l’industrie, et sur la façon dont elle a touché votre collectivité, positivement ou négativement?

M. Fox : Je vais répondre, puis je vais demander à mon collègue de parler de la relation entre Thunderchild et Husky.

Nous avons fait quelque chose de différent, car cela n’avait jamais été fait avant. Selon le statu quo, le gouvernement fédéral négocie, par l’intermédiaire de Pétrole et gaz des Indiens du Canada, les ententes concernant le pétrole et le gaz au nom des Premières Nations. Eh bien, dans les années 1980, nous avons dit non. Nous allons le faire nous-mêmes. Nous avons mis sur pied une société appelée Onion Lake Energy, une entité pleinement constituée, qui a capté tous les droits d’exploration sur nos gens, sur nos terres, et sur l’aménagement. Ils ont formé cela et ont eu des discussions officieuses à Calgary. Au bout du compte, c’est BlackPearl qui fait la production. CNRL produisait également sur nos terres. Nous avons une entente de travail. Nous avons 51 p. 100 de l’intérêt économique direct sur tout — nous avons tous les droits et le rôle relatif aux ententes. Tout ce qui est construit, tout ce que l’industrie veut et tout ce dont elle a besoin sur notre territoire alors qu’elle fait de la production, si nous pouvons le faire, nous allons leur fournir.

Nous avons 31 p. 100 des revenus, et un intérêt économique direct de 12 p. 100 dans notre société. Toutes les EFA sont payées d’avance par l’industrie. Donc, par la négociation et le travail, nous avons établi cette relation au lieu d’aller en cour et d’opter pour une solution juridique. Au bout du compte, nous avons dit à Pétrole et gaz des Indiens du Canada (PGIC) qu’ils pouvaient maintenant venir, et nous leur avons présenté notre entente.

Nous avons pris position, voyez-vous, et nous avons bâti cette relation. Cela se poursuit. J’ai toujours refusé d’aller vers quelqu’un comme cela. Nous avons quelque chose à mettre sur la table, et vous aussi. Pourquoi donc ne pas aller de l’avant de cette façon? Je vais maintenant demander au chef Wapass de prendre la parole.

Delbert Wapass, vice-président du conseil d’administration, Conseil des ressources indiennes : Bonjour. Je vous remercie de me donner cette occasion.

Nous avons établi un lien avec Husky Oil, Husky Energy. Le déversement de pétrole de juillet 2016 a obligé les collectivités à se mobiliser — les Premières Nations et le milieu. Quelques années auparavant, l’attitude de l’industrie était en gros de nous dire : « Nous avons l’argent; vous nous écoutez. » Ils sont très racistes. Il y a beaucoup de préjugés.

Ils nous ont exclus des possibilités qui s’offraient en 2010 parce que nous leur avions bloqué la route pour exiger l’argent qu’ils nous devaient. Eh bien, en 2016, il y a eu le déversement. Ils ne savaient pas comment nous aborder à cause de ce qu’ils nous avaient fait. Nous devions prendre une décision. Nos aînés sont intervenus. Nous avons organisé une cérémonie et nos aînés nous ont dit de les inviter. Nous sommes allés nous installer près de la rivière et nous y avons tenu un festin. Nous avons aussi eu une cérémonie du calumet. Les aînés nous ont dit qu’il nous fallait travailler ensemble, bâtir cette relation, ce partenariat, et que s’il s’appuyait sur la confiance, tout tomberait en place. C’est ce que nous avons fait.

Les autres Premières Nations des environs ont parlé de poursuites et de recours collectif. Nous n’avons pas adopté cette approche. On nous a traités de tous les noms et on a dit de nous que nous étions des vendus. Au bout du compte, nous croyons avoir créé un modèle que toute société de l’industrie pétrolière et gazière devrait suivre dans ses relations avec les Premières Nations.

Les gens de Husky ne se sont jamais retournés pour dire : « Bon. Combien cela va-t-il nous coûter maintenant? Qu’est-ce que nous allons devoir payer en plus? » Cependant, de notre côté, nous avons aussi été raisonnables, et nous avons respecté et apprécié cette relation. En fin de compte, le déversement a été nettoyé. Il reste des résidus, mais ils n’ont jamais fermé la porte et dit que c’était assez et qu’ils partaient. Ce qu’ils disent, c’est : « Êtes-vous satisfaits? Nous allons continuer jusqu’à ce que vous soyez satisfaits, peu importe ce qu’il en coûtera. »

Aujourd’hui, 20 millions de dollars plus tard, sans entente officielle, Husky a payé Thunderchild sous la forme de contrats, de relations, de construction et ainsi de suite. Nos membres… Nombreux sont ceux qui ne comprennent pas cela dans notre collectivité. Chef Wapass, vous êtes inscrit au registre de paie de Husky. En fait, nous le sommes tous, n’est-ce pas, quand vous regardez cela de près. Mais ce qui arrive, c’est qu’ils disent : « Nous voulons voir l’entente. » Je ne peux pas vous montrer l’entente. Vous cachez quelque chose. Non. Quelle était l’entente? C’est une entente spirituelle que Husky a honorée. Quelle industrie donnerait 20 millions de dollars sans avoir une entente?

Puis, nous avons signé un protocole d’entente. Puis, nous ont donné des montants additionnels pour nous aider à bâtir notre collectivité, notre collectivité environnante, et à l’intégrer à Thunderchild, et inversement. C’est une relation. C’est un partenariat. Ce n’est pas l’opposition entre l’économie et l’environnement. Il n’est pas nécessaire d’opposer l’économie et l’environnement. On peut les conjuguer, et nous, les Premières Nations, nous en faisons la preuve depuis la nuit des temps.

La sénatrice Cordy : Merci beaucoup de votre présence. Vous nous montrez comment vous êtes capables de travailler avec l’industrie, et je vous sais gré de votre commentaire voulant que l’économie et l’environnement puissent et doivent être complémentaires. Je vous en remercie.

Chef Fox, vous et Mme Parsons avez parlé de la participation continue du public. J’aimerais que vous nous en disiez un peu plus là-dessus. Ce n’est pas la première fois que nous entendons cela. Divers témoins nous ont parlé des difficultés. D’un côté, vous voulez de la transparence et de la participation, la participation du public, mais de l’autre côté, vous êtes soumis à des échéanciers très stricts. J’aimerais donc que vous nous parliez des raisons pour lesquelles vous trouvez tous les deux important que nous nous penchions là-dessus en tant que comité.

Mme Parsons : Merci. J’espère avoir bien compris votre question. Nous croyons que les gens doivent être entendus, mais il faut que ce soit les bonnes personnes qui sont entendues. C’est le problème que nous constatons. Comme le chef Fox l’a dit, c’est vraiment effrayant de penser qu’une personne de la côte Est peut franchir les limites de nos provinces et venir exercer une influence sur un projet qui se passe ici. Nous comprenons que les perceptions diffèrent à l’échelle du Canada. Cependant, que les perceptions soient fondées sur des connaissances ou simplement sur des opinions, elles contribuent à transformer notre industrie pétrolière et gazière.

Quelqu’un du Nouveau-Brunswick peut se prononcer sur un projet et dire qu’il faut le suspendre ou l’arrêter, alors que nous sommes ceux que cela touche. Les statistiques dont j’ai parlé aujourd’hui sont notre réalité. Une personne de la côte Est ou de la Colombie-Britannique ne peut pas parler en connaissance de cause de ce qui se passe dans notre secteur, car ce n’est pas sa réalité. C’est la première chose, d’après moi.

Bien entendu, il faut consulter les gens du public qui sont touchés. Sur la côte Est et en Colombie-Britannique, les gens sont vraiment très nombreux à penser que le pétrole albertain est sale ou qu’il est très dommageable pour l’environnement. Nous ne voyons pas cela. Vous savez, bien des sites sont très verts. Il y a beaucoup de dispositions réglementaires en matière d’environnement, en ce moment. Si nous permettons cette zone grise et laissons d’autres gens se prononcer sur ce que nous faisons ici, cela va affaiblir encore plus la confiance des investisseurs et nuire à la possibilité de réaliser nos projets.

La sénatrice Cordy : Avant que le chef Fox réponde, vous pourriez peut-être penser à déterminer qui déciderait de ceux qui pourraient se prononcer. Avez-vous pensé à cela?

Mme Parsons : Non. Je n’y ai pas pensé. Je dirais cependant que vous devriez consulter les divers groupes autochtones de nos municipalités. Ce serait assurément les gens de notre région qui sont touchés directement.

La sénatrice Cordy : Merci.

M. Fox : Pourriez-vous reformuler votre question, je vous prie?

La sénatrice Cordy : Qui déciderait de ceux qui auront un droit de parole?

M. Fox : Ce serait les personnes touchées dans la région géographique. C’est mon opinion. Les solutions universelles ne conviennent plus. Cela n’a jamais fonctionné pour commencer. Cependant, en tant que peuple des Premières Nations, nous n’avons jamais eu l’occasion de nous prononcer et de nous lever, du début des années 1900 jusqu’aux années 1950 et 1960.

Comme je l’ai dit, nous en sommes au siècle où nous devons être attentifs aux autres et respectueux envers les autres. Nous devons engager le dialogue. Je comprends qu’on ne peut pas faire cela avec tout le monde. Ce serait un processus très lourd. Je limiterais donc cela aux personnes qui sont touchées dans l’ensemble de la région ou du secteur géographique.

M. Wapass : J’aimerais rapidement ajouter quelque chose aux réponses à votre question. Il me semble que le comité détermine de façon très stratégique les gens qui font des exposés et les gens qui ont qualité pour témoigner. Je ne sais pas qui choisit les témoins, mais nous devons nous battre pour venir ici et pour avoir l’autorisation de venir et de faire entendre des voix différentes. Il ne faut pas entendre que les personnes qui sont pour, mais également les personnes qui sont contre ou les personnes qui essaient de trouver un juste milieu et de faire fonctionner les choses. Il y a plutôt une influence qui est exercée, n’est-ce pas?

Il y a tellement d’histoires qui prouvent l’influence américaine qui nous a mis à genoux, ici au Canada, en matière d’économie. Vivian Krause en fait état, ainsi que d’autres personnes. Nous continuons de permettre aux lobbyistes de ce genre — les écolos fanatiques comme ils le disent eux-mêmes, qui portent du lululemon et des manteaux de vison — de déterminer si nous allons avoir une autre maison à Thunderchild ou pas, de déterminer si nous allons avoir plus de diplômés à Thunderchild ou pas, et de déterminer la façon dont nous allons faire face au diabète dans notre collectivité. Ces gens se fichent complètement de ce qui arrive à nos gens, et après, on dit des Premières Nations que nous demandons des faveurs. Nous ne voulons pas de faveurs.

Puis, la SCHL décide que vous ne pouvez pas encore avoir d’abri à voiture, mais c’est vous qui faites le paiement; c’est vous qui payez le prêt hypothécaire sur une terre des Premières Nations. Comment vous sentiriez-vous si vous demandiez un prêt hypothécaire et qu’on vous disait que vous pouvez bâtir tel type de maison, mais que vous ne pouvez pas avoir un abri à voiture? C’est la réalité en contrée indienne. Nous arrivons à 2020, et c’est la situation que nous avons.

La présidente : Sénatrice Simons, c’est à vous.

La sénatrice Simons : J’ai fait la rencontre de Stephen Buffalo, de Delbert Wapass et de Serina Parsons lors de réunions antérieures. Je crois que quand j’ai vu Serina, elle était nettement moins enceinte. J’avais une question que je voulais adresser aux membres du Conseil des ressources indiennes. Pendant nos diverses séances sur le projet de loi C-69, nous avons entendu des points de vue très différents de la part des représentants des peuples autochtones, dont certains qui sont catégoriquement opposés au projet de loi comme vous, et d’autres qui y voient un tout nouveau chapitre de la réconciliation.

Je me rends compte qu’une partie du problème, c’est que nous traitons de pipelines qui traversent la Colombie-Britannique, en grande partie sur des territoires non cédés où les gens n’ont pas de droits issus de traités. Croyez-vous qu’il soit possible que le Conseil des ressources indiennes travaille avec les Premières Nations de la Colombie-Britannique à conclure une entente quelconque visant le partage des profits ou d’autres avantages? Je peux comprendre leur point de vue. Vous en tirez les avantages, mais ce sont eux qui doivent subir les risques liés aux pipelines sur leur territoire. Serait-il possible qu’entre vous, vous puissiez en arriver à une solution?

M. Buffalo : Merci, sénatrice. Je suis Stephen Buffalo, président et chef de la direction du Conseil des ressources indiennes, qui représente les 150 détenteurs de titres autochtones. Nous nous efforçons toujours de veiller à ce que les collectivités soient bien informées et de nous assurer qu’on s’occupe de la question de la consultation. Le projet Northern Gateway est un excellent exemple, quand on parle de Premières Nations favorables aux ententes établies. Encore là, on a essayé aux États-Unis d’exercer une certaine influence sur des gens de la Colombie-Britannique. C’est la difficulté à surmonter.

Après l’annulation de la résolution visant le soutien du projet de loi C-69, le Conseil des ressources indiennes a proposé de tenir un symposium dont le but serait de mieux éduquer nos dirigeants sur ce que le projet de loi signifie vraiment.

Vous n’entendrez pas grand monde s’opposer aux préoccupations environnementales. Nous voulons tous un environnement sûr. En même temps, comme vous avez entendu nos dirigeants le dire, nous souhaitons encore profiter du développement économique. Je ne peux imaginer une collectivité qui ne voudrait pas de meilleurs logements, de meilleurs systèmes d’approvisionnement en eau, une meilleure infrastructure, une meilleure scolarisation. Il est possible de régler cela également dans certaines de ces collectivités de la Colombie-Britannique dont les territoires n’ont pas été cédés. Cela revient toujours à la question des riches et des pauvres.

Le traité no 8 est un excellent exemple. Il y a une collectivité très prospère à Fort McKay. Si vous allez dans la collectivité de mon ami, à Kawacatoose, en Saskatchewan, près de Raymore, c’est la plus pure pauvreté. C’est la même chose en Colombie-Britannique. Certaines des collectivités n’ont pas ce type d’infrastructure, et elles aimeraient bien sûr essayer. La clé, c’est une politique dirigée par les Premières Nations que les décideurs doivent mettre en place et envisager, car nous recherchons l’équilibre.

Nous ne pouvons pas avoir tout ce que nous voulons, mais nous n’aimons absolument pas nous faire imposer des choses, comme nos dirigeants vous l’ont indiqué.

La sénatrice Simons : Pourtant, vous avez entendu les témoignages du chef Waquan et du chef Grandjamb. Leurs communautés tirent des avantages économiques de l’exploitation des ressources, mais l’ampleur de l’exploitation les inquiète. J’aimerais donc savoir ce que vous répondez aux préoccupations que les autres dirigeants autochtones ont soulevées tout à l’heure.

M. Buffalo : D’après moi, leurs témoignages nous ramènent à la même politique de Pétrole et gaz des Indiens du Canada. L’Alberta Energy Regulator semble poser problème, tout comme Pétrole et gaz des Indiens du Canada, l’organisme fédéral, pose problème pour les Premières Nations productrices de pétrole et de gaz. À mon avis, la source du problème est là et il faut s’y attaquer.

M. Wapass : Pour revenir à votre question, je dirais que tout le monde au Canada tire avantage du pétrole. On ne peut pas dire que la Colombie-Britannique n’en tire pas avantage ou se demander comment elle pourrait en profiter plus sans se pencher aussi sur l’Alberta et sur la Saskatchewan. Il faudrait également se demander à qui profite la péréquation et qui reçoit le plus d’argent aux dépens de qui. Pour parler des paiements, il faut comprendre les rapports fondés sur les traités; il faut comprendre le titre ancestral dont parle la Colombie-Britannique.

Le Conseil des ressources indiennes tente de trouver une façon de faire avancer les gens, de les réunir pour trouver une solution. Qu’est-il arrivé lorsque l’Assemblée des Premières Nations a adopté la résolution, comme en ont parlé les témoins précédents? Normalement, avant d’adopter une résolution, l’assemblée en discute, elle la retravaille, elle la présente à nouveau, elle se demande si elle fonctionnera. Pour une raison quelconque, louche ou non, la résolution a été présentée et elle a été adoptée sur-le-champ. C’est le président de la réunion qui prend cette décision.

Maintenant, les Premières Nations se demandent ce qui est arrivé. Elles ne se seraient peut-être pas opposées à l’intégralité de la résolution, mais il y aurait eu une façon de procéder pour qu’elles en arrivent à un consensus. À la place, il y a eu une division, ce qui ne correspond pas à la façon de faire des Premières Nations. Or, nous avons commencé à adopter des systèmes différents, ce qui a créé la division qui existe aujourd’hui — et qui continuera d’exister — entre les riches et les pauvres.

Certaines nations se porteront bien et, franchement, elles n’hésiteront pas à empiéter sur celles qui connaissent plus de difficultés. D’autres continueront à défendre l’ensemble des Premières Nations. À mon avis, tout le monde a droit à sa part du gâteau. Il faut trouver une façon de faire en sorte que chacun reçoit au moins quelque chose.

La sénatrice Simons : Merci.

La présidente : Merci beaucoup.

Nous allons poursuivre. La parole est à vous, sénateur Carignan.

[Français]

Le sénateur Carignan : J’aimerais ajouter une précision étant donné que l’on est à Fort McMurray et que je suis du Québec. Bon nombre de gens pensent qu’au Québec, on consomme encore beaucoup de pétrole de l’Arabie saoudite ou du Moyen-Orient. Sachez que depuis le projet d’inversion de la canalisation 9B d’Enbridge, plus de 45 p. 100 du pétrole consommé au Québec vient d’ici, de l’Alberta. On importe seulement 11 p. 100 de pétrole de l’Europe, surtout du Royaume-Uni. Je tenais à apporter cette précision, qui est importante, selon moi.

Monsieur Buffalo, vous avez envoyé une lettre à l’Institut Macdonald-Laurier dans laquelle vous mentionnez que vous souhaitez la suspension du projet de loi C-69 afin qu’on se donne le temps nécessaire pour remettre l’industrie sur les rails.

[Traduction]

Vous avez écrit qu’il serait très malheureux d’aller de l’avant pendant que le secteur de l’énergie est assailli de tous côtés.

[Français]

Vous souhaitez que l’on retarde l’adoption du projet de loi C-69. Or, compte tenu des élections qui auront lieu cet automne, cela veut dire rejeter le projet de loi. Affirmez-vous, encore aujourd’hui, que l’on devrait retarder l’adoption du projet de loi, quitte à le rejeter?

[Traduction]

M. Buffalo : Merci pour la question, monsieur le sénateur. C’est vrai que nous avons écrit que certaines modifications sont nuisibles. Comme nos dirigeants l’ont dit durant leur témoignage, le problème concerne le développement économique. Certaines formulations et les quatre points principaux que le chef Wapass a soulevés sont ce qui menace nos communautés. Alors oui, il faut retarder le projet de loi afin de permettre à toutes les Premières Nations de participer au processus.

Selon ce qu’on m’a dit, seuls quelques groupes ont été choisis pour participer à l’élaboration de cette politique. Le Conseil des ressources indiennes et les communautés qu’il représente, les titulaires des droits, n’ont pas eu voix au chapitre. Sans chercher à fixer les échéances et à établir le programme du gouvernement fédéral ou même de votre comité, c’est important pour nous de dire que nous devons contribuer au processus. Nous avons des formulations à proposer pour quatre points que vous avez entendus aujourd’hui. La contribution de reformulations et d’amendements serait un début. Je comprends que les élections fédérales imposent une échéance. Ce n’était pas facile d’être ici aujourd’hui.

Le budget du Conseil des ressources indiennes est très limité, mais nous devons faire de notre mieux pour nous faire entendre. Lorsque nous apprenons que quelque chose menace nos communautés, leurs moyens de subsistance et leur possibilité d’accéder à la souveraineté en passant par le développement économique, nous devons intervenir et faire des propositions. Merci.

M. Wapass : J'aimerais juste ajouter que cela me fait penser au film Kill Bill.Je respecte le travail que vous faites et je vous en suis reconnaissant, mais vous devez inclure le plus grand nombre de groupes possible. Je comprends que cela dépend parfois des gens qui sont invités et de facteurs indépendants de votre volonté. L’Assemblée des Premières Nations aussi se promène et elle exclut stratégiquement des Premières Nations qui possèdent des ressources dans le secteur pétrolier et gazier.

Nous avons assisté à une réunion à Calgary à propos de Tsuut’ina où tous étaient invités, sauf les représentants de l’industrie ou ceux qui la soutiennent. Voilà ce que nous fait l’organisation qui est censée nous représenter.

Comment les Premières Nations peuvent-elles se sentir rassurées et croire que le processus est juste et équitable? Au bout du compte, elles ne peuvent pas voir d’un bon œil la décision qui est prise à cause de la façon dont elle est prise.

Il faut donc retarder le projet de loi parce qu’il a une incidence. Il faut faire en sorte qu’il soit juste même si, pour y arriver, il faut le reporter, le rejeter et le déposer à nouveau. C’est ce que nous demandons. Ce n’est pas parce que nous avons des intentions cachées; parce qu’un tel a proposé telle chose et qu’on a découvert par la suite qu’il était lié à telle ou telle organisation; nous voilà donc en train de dépenser beaucoup d’argent des contribuables pour essayer de régler une situation à laquelle nous aurions dû participer dès le début. Par ailleurs, j’aimerais revenir, très rapidement, madame la présidente, sur un commentaire du ministre Garneau. Le 20 mars, nous avons eu l’occasion de nous rendre à Ottawa pour parler du transport, des communications et du projet de loi C-48, un autre dossier qui préoccupe beaucoup nos membres.

Durant cette séance, le ministre Garneau a déclaré que nous représentions des intérêts commerciaux privés et que nous ne tombions pas dans la même catégorie que les Premières Nations de la côte. Ce commentaire m’a dérangé parce que c’est faux.

Le CRI représente des communautés de la Colombie-Britannique, de l’Alberta, de la Saskatchewan et d’ailleurs. Les membres de notre conseil sont des chefs et des conseillers; ce sont les représentants légitimes des Premières Nations touchées. Or, la raison pour laquelle ce point de vue pose problème, c’est qu’il mine la crédibilité des Premières Nations qui font des affaires, qui essaient de promouvoir le développement économique et de réduire la pauvreté, par comparaison aux écologistes qui s’opposent à toute forme d’exploitation des ressources, tout en utilisant du gaz, des minéraux et des ressources non renouvelables au quotidien. J’ai trouvé ce commentaire préoccupant et je devais le soulever. Merci beaucoup.

La présidente : Merci. Sénateur Neufeld —

M. Fox : Puis-je faire une dernière observation, madame la présidente?

La présidente : Très rapidement, je vous prie, parce qu’un autre sénateur souhaite poser des questions.

M. Fox : J’aimerais demander, très respectueusement, aux personnes qui s’opposent à l’exploitation des ressources et à la construction de pipelines si elles font brûler du bois chez elles. Éteignez le gaz dans votre maison. Marchez. Déplacez-vous à cheval. Ne conduisez pas. Ne prenez pas l’avion. Merci.

La présidente : Merci.

Nous devons poursuivre. Sénateur Neufeld, la parole est à vous.

Le sénateur Neufeld : Merci. Je suis tout à fait d’accord avec vous.

M. Fox : Merci d’avoir précisé que le pétrole utilisé au Québec vient de notre territoire. C’est une question d’éducation et de sensibilisation.

Le sénateur Neufeld : Je viens de la Colombie-Britannique, plus précisément de Fort St. John, dans le nord de la province. Le secteur pétrolier et gazier est particulièrement important pour nous parce qu’il s’agit de l’industrie principale dans le nord-est de la Colombie-Britannique. C’est vrai que les personnes directement touchées et les spécialistes du domaine devraient avoir voix au chapitre. Je n’ai rien contre cela. Or, de nombreuses organisations des Premières Nations de la Colombie-Britannique appuient totalement les projets linéaires comme le pipeline. Kinder Morgan a travaillé là-dessus pendant des années. M. Ian Anderson s’est longtemps promené le long du tracé du pipeline pour parler aux gens. Les Premières Nations ne sont pas toutes d’accord aujourd’hui. Quelle est la solution? Personne ne veut ignorer leurs objections. Toutefois, il faut trouver une façon d’acheminer le pétrole vers la côte, de le charger à bord de navires-citernes et de l’envoyer en Asie ou à l’endroit où le marché est le plus lucratif. Tout cela doit être fait.

Je ne sais absolument pas comment obtenir l’adhésion de toutes les Premières Nations qui sont contre. Elles sont assez nombreuses, et d’après moi, elles méritent toutes d’avoir voix au chapitre parce qu’elles habitent là; c’est là que sont situés leurs réserves et leurs territoires traditionnels. Je ne sais absolument pas comment faire. J’ai occupé le poste de ministre de l’Énergie et des Mines de la Colombie-Britannique pendant huit ans. J’ai déjà essayé de faire avancer les choses. Si vous pouviez m’aider un peu, je vous en serais très reconnaissant.

M. Wapass : Permettez-moi d’essayer de vous mettre sur la bonne voie.

Le sénateur Neufeld : Merci.

M. Wapass : Comme vous l’avez dit, certaines sont contre, mais d’autres sont pour.

Le sénateur Neufeld : Oui, je le sais.

M. Wapass : Tout dépend de l’approche, de la méthode utilisée, du processus de consultation et de collaboration. Si les Premières Nations ont l’impression de se faire imposer quelque chose sans être invitées à jouer le rôle qu’elles souhaitent jouer, elles résisteront. Comprenez qu’il faut du temps pour établir des rapports et favoriser la participation. Ce n’est pas une question d’argent.

Neuf fois sur dix, pour les Premières Nations, ce n’est pas une question d’argent. Pour elles, l’important, ce sont les rapports, l’environnement, l’eau et le saumon. C’est ce qui compte pour elles. Si l’on se dit qu’on va aller négocier des ententes sur les répercussions et les avantages, il faut se demander qui devrait y avoir droit. Selon certaines industries, cela devrait être tous les groupes situés le long du tracé; selon d’autres, tous devraient y avoir droit parce qu’ils sont tous touchés. Or, pour des raisons liées à l’argent, aux contraintes de temps, à la stratégie, à l’approche adoptée et à la décision prise par le conseil, voici ce que l’on promeut; voici ce que l’on vend. Cette méthode pousse les Premières Nations à résister.

Que veut dire l’argent pour les Squamish, pour les Musqueam, pour les Tsleil-Waututh? Ces nations ont des milliards de dollars. Que signifie l’argent pour elles? Ce sont des gens d’affaires, mais c’est l’approche qui compte. Je respecte ce fait, je le comprends et je le reconnais. L’important, c’est l’environnement; c’est l’eau.

Tout dépend donc du rôle que vous leur confiez. Elles doivent participer aux discussions; elles doivent pouvoir établir les normes environnementales et non les négocier, les normes de sécurité marine les plus élevées; et elles doivent décider ce que signifie la participation. Si vous les invitez à la discussion et vous leur promettez qu’elles aideront à élaborer des normes en fonction de leur compréhension et de leurs connaissances, tout se passera bien avec elles. J’en suis convaincu. En ce moment, oui, elles ont des préoccupations, par rapport à la sécurité des navires-citernes, entre autres. Voilà mon opinion, sénateur. J’espère que j’ai répondu à votre question. Merci.

La présidente : Merci beaucoup. Je pense que vous avez bien défini ce que devrait être la consultation. Je vous en remercie.

Une dernière question, sénateur Mockler.

Le sénateur Mockler : Merci beaucoup, madame la présidente. Aux dirigeants des Premières Nations qui sont ici aujourd’hui, je tiens à dire que vous méritez d’être applaudis d’un océan à l’autre. Nous vous consultons pour savoir comment nous pouvons améliorer le projet de loi, en tenant compte de vos préoccupations. Certains politiciens n’acceptent aucune autre façon de faire que la leur.

Vous m’avez entendu citer le Conseil des premiers ministres de l’Atlantique, et c’est certain que le leadership qui est réuni ici aujourd’hui, madame la présidente, était nécessaire pour Énergie Est.

M. Fox : Nous nous rendrons là.

Le sénateur Mockler : Merci. Je vais le dire à mon entourage. J’aimerais tirer profit de votre expérience collective et vous demander votre avis à propos de la lettre envoyée au premier ministre du Canada le 14 février 2019 au sujet du droit de veto accordé dans le cadre du projet de loi C-69. Selon le libellé actuel, le pouvoir de rendre des décisions définitives appartient au ministre ou au gouverneur en conseil. Enfin, qu’entend-on par « acceptabilité sociale » en ce qui concerne l’exploitation des ressources naturelles? Merci, messieurs.

M. Fox : Qu’est-ce que le gouvernement entend par « acceptabilité sociale »?

Le sénateur Mockler : Oui, comment définissez-vous ce terme?

M. Fox : S’ils étaient à ma place depuis tout ce temps, depuis ma naissance, s’ils avaient pu assister aux consultations, comme la présidente l’a indiqué, pour comprendre et avoir une idée de ce que cela signifie... Je viens de recevoir un texto. Un de mes petits-fils vient de mourir à cause de la maladie de la drogue qui frappe notre communauté. Je m’en excuse.

La présidente : Non, vous n’avez pas à vous excuser. Vous n’avez pas à vous excuser.

M. Fox : S’ils savaient ce que je dois vivre chaque fois que j’assiste à un enterrement à cause de la méthamphétamine, à cause de la drogue, à cause de l’absence d’emploi, de formation, d’éducation... Est-ce cela qu’ils déterminent? C’est comme cela qu’ils appellent ça? Excusez-moi. Désolé.

M. Wapass : Poursuivez. Lorsque nous retournons chez nous, vous racontez ce que disent les politiciens. Eh bien, j’en ai assez d’écouter les politiciens. J’aimerais plutôt entendre des dirigeants, parce que les politiciens tenteront de vous faire croire n’importe quoi. Des leaders vous donneront immédiatement l’heure juste. Les Premières Nations considèrent les affaires comme une responsabilité. Nous ne considérons pas les affaires comme un intérêt. Beaucoup de facteurs sont pris en compte dans les décisions et les affaires, et personne ne devrait dicter ce qui devrait se passer sur le territoire de quelqu’un d’autre.

J’étais chef dans ma communauté depuis 1989. Comme le chef Fox l’a dit plus tôt, personne ne parle au nom de Thunderchild, sauf ses dirigeants. Nous ne faisons partie d’aucun conseil tribal. Nous sommes une bande indépendante de la Saskatchewan. La Première Nation d’Onion Lake est une bande indépendante de la Saskatchewan. Nous sommes indépendants parce que nous ne voulons pas que d’autres Premières Nations nous dictent ce qui doit se passer sur notre territoire.

Nous déterminons ce qui se passe. Je ne veux pas regarder constamment en arrière et découvrir que j’ai été obligé de compromettre quelque chose qui tenait à cœur à la communauté.

Donc, en ce qui concerne le droit de veto, il a été utilisé à outrance contre les Premières Nations. Nous sommes touchés par toutes les décisions qui ont été prises à Ottawa. Nous faisons de l’argent grâce au développement économique. Notre argent va au fonds de revenu en fiducie et au fonds de capital, mais il va à Ottawa. Il n’est pas versé dans un compte bancaire comme pour toute entreprise normale. Que se passe-t-il, ensuite? Nous devons adopter une résolution du conseil de bande, puis préparer une proposition et expliquer pourquoi et comment nous allons utiliser notre argent. Nous n’avons pas utilisé l’argent du gouvernement pour acheter notre entreprise au départ. C’est ainsi que nous avons été traités. C’est ainsi qu’on nous traite encore aujourd’hui.

Donc, le veto... Aucune Première Nation ne prendra à la légère de se voir opposer un veto parce que vous contrôlez notre avenir grâce à la loi. Plus nous faisons de l’argent, plus nous sommes souverains. Nous sommes souverains pour commencer. Que font les industries riches? Elles imposent leur volonté. Eh bien, les Premières Nations commencent à avoir de l’argent. Nous allons commencer à imposer notre volonté, et le gouvernement va commencer à écouter.

La présidente : Je vous remercie beaucoup. Nous avons beaucoup appris avec ce groupe de témoins.

Nous avons un dernier groupe de témoins. Nous accueillons le chef Allan Adam, de la Première Nation Athabasca Chipewyan, Mme Carla Davidson, propriétaire d’Endeavour Scientific, et Mme Lisa Tssessaze, Gestion des terres et des ressources dénées. Vous avez cinq minutes pour faire votre déclaration préliminaire, puis nous passerons aux questions.

Allan Adam, chef, Première Nation Athabasca Chipewyan : Bienvenue sur notre territoire. Je tiens à vous informer que nous sommes sur le territoire visé par le traité no 8, territoire des Dénés et des Cris de l’Athabasca. Je suis le président de l’ATC. Bienvenue ici aujourd’hui.

Lorsque je suis parti de la maison ce matin, je ne comprenais pas pourquoi je partais de chez moi pour venir parler de l’importance du projet de loi C-69. En partant, j’ai regardé ma femme et je lui ai dit : « Souviens-toi quand j’étais jeune. » J’ai dit que j’avais deux idoles, deux extraordinaires joueurs de hockey, Wayne Gretzky et Mario Lemieux. Je les aimais tellement que lorsque je jouais au hockey, je portais le numéro 69. Ironiquement, un jour, je portais le « C » sur le devant de mon chandail. J’étais donc le capitaine de l’équipe « C-69 ».

Je suppose que mon travail ici aujourd’hui consiste à déjouer tous les grands joueurs qui sont à l’arrière et qui m’ont précédé pour tenter d’inscrire au moins quelques points afin de progresser. C’est dans cet esprit que je vais m’asseoir à la table et présenter mon point de vue.

La présidente : Merci beaucoup de briser la glace. Merci beaucoup.

M. Adam : Je demande votre indulgence. J’ai oublié mes lunettes de lecture ce matin. J’aurai de la difficulté à lire, mais je vais tenter ma chance.

Bonjour. Je suis le chef Allan Adam de la Première Nation des Chipewyans d’Athabasca. Bienvenue sur le territoire visé par le traité no 8. Nous vous sommes reconnaissants d’être venus ici aujourd’hui pour voir la beauté de sa nature, mais aussi les répercussions de l’exploitation des sables bitumineux. Je suis ici pour vous dire que la Première Nation des Chipewyans d’Athabasca (PNCA) protège et appuie ces deux secteurs, lorsque les activités sont bien menées. La Première Nation des Chipewyans d’Athabasca est favorable au développement. Nous comptons 17 sociétés communautaires dans le secteur des sables bitumineux. Bon nombre de nos membres travaillent soit directement pour les exploitants des sables bitumineux, soit pour des sous-traitants. Je tiens également à mentionner que la PNCA dirige une coalition de Premières Nations et de collectivités métisses de l’Alberta visant à acquérir une participation dans le pipeline TMX. Soyons clairs : le succès de notre nation et de notre peuple est inextricablement lié à la prospérité de la région des sables bitumineux. Toutefois, cela ne doit pas se faire au détriment de la santé de nos membres et de la faune de notre région. C’est pour ces deux raisons que nous appuyons le projet de loi C-69.

Nous estimons qu’il trouvera le juste équilibre entre la protection de notre environnement et une plus grande certitude économique. J’aimerais prendre le temps de commenter certains des témoignages que vous avez entendus jusqu’à maintenant de gens de l’Alberta et de montrer comment leurs affirmations sont exagérées.

Ils vous ont dit que leur processus régulier est de classe mondiale, ce qui n’est pas le cas. Ce témoignage était trompeur. En réalité, l’interprétation que fait l’Alberta de l’obligation de préserver l’honneur de la Couronne est la plus faible au Canada.

L’Alberta n’abordera pas les enjeux qui nous touchent en exprimant les préoccupations habituelles. Le bureau de consultation de l’Alberta dira que 50 p. 100 des enjeux, y compris la navigation, l’eau, la qualité de l’air et les effets cumulatifs, sont hors de la portée. On avance qu’il s’agit de questions régionales qu’il vaut mieux régler par d’autres processus, mais il n’y a aucun autre processus.

En 2015, un examen législatif a révélé que le processus de planification régionale de l’Alberta a une incidence directe et négative sur nos nations, parce qu’il ne prend pas en compte les répercussions sur les droits. L’Alberta a refusé de régler ces questions avec nous. L’absence de consultations significatives sur les questions en litige expose les projets à des poursuites judiciaires. L’Alberta n’a pas démontré sa capacité de protéger son environnement. Son propre processus d’évaluation des impacts environnementaux est trop limité et ne tient pas suffisamment compte d’une gamme complète d’effets propres aux projets et d’effets cumulatifs.

Mark Taylor, premier vice-président des opérations, a indiqué au comité qu’en Alberta, l’Orphan Well Association sera bientôt entièrement financée par l’industrie. Ce n’est pas tout à fait vrai.

J’accroche là-dessus parce que j’ai lu, hier soir, un article sur les puits orphelins de l’Alberta qui ne sont pas inclus. On y indiquait que les contribuables albertains paieraient 70 milliards de dollars pour les puits abandonnés en Alberta.

La présidente : En effet; nous avons lu cet article hier.

M. Adam : Il s’agit de remises en état; 70 milliards de dollars pour des puits de pétrole abandonnés. Je comprends ce que ressentent les Albertains des régions rurales lorsqu’ils voient ces puits abandonnés un peu partout. C’est pour cela que l’Orphan Well Association a été créée, et elle ne fait pas le travail. C’est un autre aspect qui m’a frappé.

En 2017, le gouvernement de l’Alberta a accordé 235 millions de dollars en prêts à l’Orphan Well Association en plus de son budget annuel de 30 millions de dollars. Donc, son financement a presque décuplé. L’industrie est censée rembourser ce montant sur les 10 prochaines prochaines années, mais la subvention fédérale de 30 millions de dollars annoncée l’an dernier servira au paiement des intérêts.

Nous craignons aussi que les contribuables finissent par payer pour la remise en état des sites d’extraction des sables bitumineux. On rapporte que des documents internes indiquent que les coûts de remise en état des sables bitumineux sont beaucoup plus élevés que ce que l’AER a admis publiquement. L’AER n’a pas les garanties importantes nécessaires pour couvrir ces coûts. De plus, la PNCA sait pertinemment que le régime de réglementation est inadéquat, malgré le processus qui est en place depuis les 40 dernières années dans le secteur de l’exploitation des sables bitumineux.

Nous avons été témoins d’une dégradation constante de l’environnement et de notre capacité d’exercer nos droits garantis par le traité no 8. Nous félicitons le gouvernement fédéral d’avoir pris des mesures pour améliorer le processus fédéral d’évaluation environnementale et nous soulignons que l’Alberta doit emboîter le pas à l’échelle provinciale.

Bref, il est irresponsable pour l’Alberta de laisser entendre que son régime de réglementation est adéquat et remplace le régime fédéral. Comme l’ont souligné les chefs Grandjamb et Waquan, cette affirmation du gouvernement de l’Alberta vise à soustraire les projets de développement in situ de l’évaluation fédérale. Comme mes collègues l’ont mentionné, le gouvernement fédéral n’exerce aucune surveillance du développement in situ pour assurer la croissance future de l’industrie. Cela ne ferait pas l’objet d’une évaluation adéquate. Or, sans évaluation, il est impossible de cerner tous les risques. Nous sommes très préoccupés par les émissions de GES et par les répercussions des projets in situ sur la qualité de l’eau et l’approvisionnement en eau.

Une évaluation adéquate est le seul moyen de comprendre les risques, d’atténuer les impacts, de concevoir une surveillance appropriée et d’assurer une protection, grâce à un mode de gestion souple. Nous sommes conscients que l’industrie pétrolière est confrontée à des difficultés, car c’est aussi notre cas. Nous voulons une industrie saine pour que les projets qui sont avantageux pour notre communauté soient approuvés tout en minimisant les dommages causés à l’environnement. Pour y arriver, il faut un processus d’examen complet, et si l’industrie veut des certitudes, elle devrait appuyer le projet de loi C-69.

L’ACPP a présenté des recommandations au Comité sénatorial, qu’elle a recommandé d’accepter dans leur intégralité. L’ensemble est fondé sur une analyse juridique erronée. L’ACPP vous conseille de rationaliser le processus d’évaluation environnementale, d’où notre présence ici aujourd’hui. Soyons clairs : ces propositions donneront lieu à d’autres poursuites. Je le sais, car ce sont les communautés autochtones qui le feraient. Ne vous fiez pas à l’ACPP pour savoir ce que nous ressentons ou ce que nous faisons.

Comme mes collègues l’ont indiqué, la proposition de l’ACPP de limiter les phases de planification préalable suscitera de la confusion et entraînera des retards inutiles. Les recommandations visant à limiter les contrôles judiciaires porteraient atteinte à la primauté du droit et entraîneraient de longues procédures liées à la violation de droits, ce qui accroîtrait l’incertitude au sein de l’industrie. De plus, la proposition de l’ACPP de limiter le pouvoir discrétionnaire ministériel a peut-être du mérite, mais n’oublions pas que c’est l’industrie qui a fait pression auprès du gouvernement conservateur d’alors pour obtenir un pouvoir discrétionnaire ministériel accru en vertu de la LCEE de 2012.

Nous notons également l’intérêt de la proposition de l’ACPP relative à une loi sur la navigation. Nous devons souligner que leur analyse est incorrecte sur le plan juridique. Par exemple, ils proposent de retirer de la Loi sur la protection de la navigation des dispositions qui permettraient au ministre de protéger le droit de navigation. Ce pouvoir est inscrit dans la loi depuis de nombreuses années. Sa suppression entraînerait l’érosion de l’un des plus anciens droits reconnus par la loi au Canada et compromettrait la capacité de la PNCA de naviguer dans ses territoires.

La navigation dans la rivière Athabasca et dans le delta Paix-Athabasca est une préoccupation majeure pour la Première Nation des Chipewyans d’Athabasca, en raison de la façon dont nous sillonnons nos territoires pour exercer nos droits issus de traités. Les bas niveaux d’eau nuisent déjà à nos déplacements vers ces voies navigables. La PNCA appuie le développement responsable et nous appuyons le nouveau projet de transport pétrolier, pourvu qu’il soit réalisé de façon socialement et écologiquement responsable, novatrice et entièrement en partenariat avec notre communauté.

Nous sommes les intendants de la terre. Nous sommes pleinement conscients de nos droits et responsabilités en tant que signataires du traité no 8. Nous avons démontré notre expérience ou notre leadership dans l’exploitation des sables bitumineux, en établissant des partenariats avec l’industrie, le gouvernement et d’autres collectivités autochtones, en participant aux processus réglementaires et en défendant nos droits dans un système où ils ne sont pas protégés autrement.

Nous comprenons que des évaluations plus exhaustives assurent la santé de l’industrie. Le projet de loi C-69 n’est pas parfait, mais il comprend des améliorations importantes quant à l’évaluation des répercussions sur les droits. Nous avons formulé des recommandations visant à modifier le projet de loi C-69. Nous proposons une solution pour veiller à ce que les projets d’expansion des sables bitumineux fassent l’objet d’une évaluation des autorités de réglementation fédérales. Nous encourageons le Sénat à adopter nos recommandations et à assurer une évaluation complète et juste des projets d’exploitation des sables bitumineux, maintenant et à l’avenir.

Merci.

La présidente : Merci beaucoup.

Avez-vous une question, sénateur MacDonald?

Le sénateur MacDonald : Chef, je vous remercie de vos commentaires. J’aimerais simplement obtenir des éclaircissements, parce que je suis un peu perplexe. Je crois comprendre que vous êtes favorable au développement, en principe, mais que vous avez des difficultés avec les organismes de réglementation de l’Alberta. J’aimerais seulement avoir des éclaircissements sur les modifications recommandées par l’ACPP. Appuyez-vous ces recommandations en tout ou en partie? En quoi sont-elles compatibles avec l’amendement que vous souhaitez proposer? Quel est leur effet?

M. Adam : J’ai du mal à entendre. J’entends à peine du côté gauche. C’est pour cela que je lui demande de s’asseoir de ce côté.

Carla Davidson, Endeavour Scientific, Première Nation Athabasca Chipewyan : Je peux intervenir, si vous le souhaitez. L’Association canadienne des producteurs pétroliers a recommandé des clarifications dans le libellé qui pourraient être utiles, à notre avis, après quelques petits changements. Dans l’ensemble, toutefois, nombre de leurs commentaires de fond visent à simplifier le processus et à restreindre le nombre de facteurs pris en considération. Nous comprenons qu’elle s’inquiète de la certitude réglementaire, mais ce que l’on a tendance à oublier, c’est ce qui se produit après que les projets sont approuvés. Si les projets sont approuvés sans que tous les éléments qui doivent être examinés le soient dans le cadre de la loi, on ouvre la porte aux poursuites. C’est à travers cette lorgnette que nous avons examiné beaucoup de leurs amendements. Dans notre mémoire, nous les passons en revue de façon détaillée.

Le sénateur MacDonald : D’accord.

La présidente : Merci.

Sénatrice Cordy.

La sénatrice Cordy : Merci. J’allais justement vous poser la question. Allez-vous nous fournir une copie des amendements qui, selon vous, devraient être apportés, afin que nous puissions les comparer aux amendements proposés par l’Association canadienne des producteurs pétroliers pour voir ceux qui se recoupent?

Vous avez parlé des projets in situ et j’aimerais en savoir plus à ce sujet. Ils ne font pas partie de la liste pour l’évaluation d’impact parce qu’ils sont petits. Vous avez parlé de ce que j’appellerai les effets cumulatifs, c’est-à-dire qu’une foule de petits projets mis ensemble finissent par en faire un très grand. Pourriez-vous m’en dire un peu plus à ce sujet?

M. Adam : Je peux vous en parler parce que nous avions... Lisa et moi voyons le petit jeu qui se joue depuis 15 ans et demi. Lorsque l’Alberta s’est dotée d’une politique pour les projets in situ, elle a fait en sorte qu’elle ne s’applique pas aux projets de 10 000 barils et moins. Tout projet de 10 000 barils et moins n’est donc pas assujetti à une évaluation environnementale rigoureuse. On fait donc approuver ces projets en contournant toutes les règles des évaluations environnementales. Une fois que les projets sont approuvés, c’est alors qu’on commence à augmenter la production. On ne parle plus d’une production de 10 000 barils par jour, car dans certains cas, la production peut atteindre jusqu’à 120 000 barils par jour.

Comment peut-on parler d’une politique d’évaluation environnementale quand on autorise une production de 10 000 barils par jour et qu’ensuite certains en produisent jusqu’à 220 000 par jour? Il n’y aura pas d’évaluation environnementale des impacts en bonne et due forme dans l’avenir.

Je vais vous donner un excellent exemple qui va faire mal, et vous allez comprendre. Si vous négligez vos dents, vous allez finir par avoir une carie. Vous ne saurez pas quand cela va arriver, mais lorsque cela arrivera, vous vous retrouverez avec un trou dans la dent, et vous aurez besoin d’un plombage, autrement, il faudra l’arracher. Je me suis toujours demandé ce qu’on allait mettre dans le sol après avoir extrait le pétrole pour combler le vide? Combien d’usines in situ avons-nous dans la région?

Personne n’a parlé de la possibilité que des trous se forment dans l’avenir parce que personne n’a fait d’analyse sur le ruissellement des eaux souterraines. Nous savons qu’elles sont là. Comment le savons-nous? Nous le savons parce qu’elles alimentent notre réseau d’aqueduc lorsque les niveaux de la nappe phréatique baissent pendant les mois d’hiver. Nos sources d’eau reçoivent des quantités importantes d’eaux souterraines qui proviennent d’un peu partout. Si dans la réglementation des projets in situ, on ne tient pas compte des eaux souterraines qui ruissellent jusqu’à nos territoires ancestraux avec leur lot d’inconnus, quel genre de système de réglementation avons-nous pour nous protéger?

J’ai déjà mentionné cela par le passé. Si nous ne réglons pas les problèmes actuels du système de réglementation, nous irons grossir les rangs des réfugiés environnementaux, parce que c’est ce qui nous attend. Le gouvernement dit que tout va bien à Fort Chipewyan, et que l’eau est salubre. Ce n’est toutefois pas ce que nous indique notre programme de surveillance communautaire. Il nous indique plutôt que l’eau n’est pas toujours salubre et que la situation continue d’empirer.

Je suis censé être pour le développement. Lorsque je me suis présenté pour la première fois au poste de chef, je ne parlais que de développement. J’allais mettre en œuvre le volet développement de notre traité.

Vous avez entendu mentionner ce matin que les gens ici en Alberta ne veulent pas que quiconque dans l’Est prennent des décisions pour eux. Eh bien, les Premières Nations suivent les directives des gens de l’Est depuis 1899. À mon avis, personne ne peut dire le contraire. Nous accordons de l’importance au point de vue de chacun.

Les assises du Canada reposent sur le partage. C’était le but du traité. Si vous voulez extraire nos ressources, vous devriez avoir en place un système réglementaire juste afin que les Premières Nations soient bien disposées à les partager, car nous sommes censés pouvoir continuer à profiter de notre mode de vie et de nos moyens de subsistance aussi longtemps que le soleil brillera, que l’herbe poussera et que l’eau des rivières coulera. C’est encore le cas aujourd’hui.

Je crois que grâce à certaines de nos recommandations, le projet de loi C-69 peut et pourra devenir le catalyseur dont nous avons besoin pour travailler ensemble à l’élaboration d’un système de réglementation de classe mondiale exceptionnel qui servira à la fois les peuples autochtones, l’Alberta et le Canada, et qui permettra aux investisseurs mondiaux de revenir investir chez nous.

La sénatrice Cordy : Je vous remercie beaucoup de votre réponse. Comme vous l’avez mentionné, ce sont les gens de l’industrie qui ont demandé à ce qu’il y ait plus de surveillance ministérielle dans la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale de 2012, et dans ce projet de loi, on autorise le ministre à prolonger le délai jusqu’à 90 jours. Dans ce cas, toutefois, on prévoit que le ministre devra motiver sa décision. Donc, contrairement à la LCEE de 2012, le ministre devra maintenant, à tout le moins, en fournir la raison.

Certains témoins nous ont dit que lorsqu’on parle du ministre, il ne devrait pas s’agir, en fait, uniquement du ministre de l’Environnement, mais aussi du ministre des Ressources naturelles et du ministre des Finances, en raison des répercussions financières des projets. Selon vous, devrait-il s’agir d’un seul ministre, de plus d’un ministre? Est-ce que cela a de l’importance? Avez-vous réfléchi à la question?

Mme Davidson : C’est une excellente question. En général, d’après les recherches que nous avons consultées, et pour les types de projets dont nous nous occupons, ce sont les promoteurs qui, la plupart du temps, demandent un délai. Ils ont habituellement besoin de plus de temps pour fournir les nouveaux renseignements demandés. Je pense que beaucoup de problèmes liés au délai peuvent être réglés en définissant bien la portée de l’évaluation lors de la phase de mobilisation précoce et en précisant davantage au promoteur ce qui est attendu dans le cadre de l’évaluation.

Quant au pouvoir discrétionnaire du ministre, ce n’est pas un de nos éléments favoris dans la loi. Cela dit, ce n’est pas nouveau. Certains parlent d’un danger soudain pour l’industrie et que cela est différent de ce qui existait sous la LCEE de 2012. Je pense que c’est juste.

La sénatrice Cordy : Merci beaucoup. Merci, madame la présidente.

La présidente : Vous parlez de quelque chose de très intéressant, à savoir que les puits in situ sont tous interreliés et que ce système pourrait éventuellement avoir des répercussions sur la qualité des eaux souterraines en raison des effets en aval. On a posé beaucoup de questions sur les effets des projets sur les communautés et sur la façon de définir ces effets, et vous nous en avez donné un exemple qui illustre très bien la situation. Vous avez dit avoir des données sur la dégradation de la qualité de votre eau. Pourriez-vous acheminer l’information à la greffière du comité?

M. Adam : Lorsque nous avons mené notre programme de surveillance communautaire en 2011, après la rupture du bassin de résidus de la mine Obed, où était le système de surveillance de classe mondiale que nous disions avoir? Où était l’agence de protection de classe mondiale de l’Alberta? Où était l’agence de classe mondiale de Pêches et Océans Canada? Quand tout cela s’est passé, où étaient tous ces gens compétents qui devaient venir à Fort Chipewyan? Nous sommes en 2019, soit huit ans après le déversement, et personne, pas même le gouvernement provincial ou fédéral, n’a assumé la responsabilité du déversement qui s’est produit à la mine Obed. Vous dites pourtant avoir un système de réglementation de classe mondiale.

Je suis complètement renversé par notre façon de gérer les choses ici aujourd’hui. Si on veut que rien ne change, pourquoi sommes-nous ici? Nous sommes ici pour que les désastres comme ceux de la mine Obed ne se reproduisent plus. À ce jour, aucun gouvernement n’est venu me voir pour me dire, chef, que craignez-vous après le déversement de la mine Obed?

Mme Davidson : Pour répondre à votre question au sujet des eaux souterraines, nous avons rencontré un peu plus tôt aujourd’hui Mandy Olsgard, une toxicologue qui travaille avec les Premières Nations et qui, nous l’espérions, pourrait examiner la question. Elle vient de me transmettre des notes. Selon des recherches indépendantes, 14 p. 100 des puits dans les installations de drainage par gravité au moyen de vapeur (DGMV) ont rapporté des défaillances. C’est une source de contamination des eaux souterraines très importante et un risque grave qui ne fait pas partie de l’évaluation actuellement, notamment lorsqu’on a recours à l’injection de solvant.

Qui plus est, dans les 25 rapports annuels qu’elle a consultés — il s’agit d’installations de drainage par gravité au moyen de vapeur approuvées dans le cadre de la Environmental Protection and Enhancement Act (EPEA) —, on a constaté que les eaux souterraines étaient contaminées par au moins un produit chimique dans le périmètre, dans au moins un puits sous surveillance, et ce, dans chacune des 25 installations.

La présidente : Merci.

Lisa Tssessaze, directrice, Gestion des terres et des ressources dénées, Première Nation Athabasca Chipewyan : J’aimerais simplement répondre à votre question au sujet des données provenant de notre programme de surveillance communautaire. Nous recueillons de l’information et des données depuis environ 10 ans, et nous sommes prêts à vous les communiquer dans le cadre d’une entente en bonne et due forme. Nous l’avons déjà fait avec d’autres groupes et fondations, notamment la Gordon Foundation, qui dispose d’un système en ligne appelé le Mackenzie Delta. La communication de l’information se fait directement en ligne pour montrer les effets des changements survenus dans la qualité de l’eau et la quantité d’eau dans notre région.

La présidente : Merci beaucoup.

Sénatrice Simons.

La sénatrice Simons : Merci beaucoup. Chef Adam, je suis vraiment ravie que vous ayez parlé du désastre de la mine Obed, dont la plupart des gens ici n’ont sans doute pas entendu parler, mais que j’ai couvert quand j’étais journaliste. Il s’agissait de boues de charbon. Cela ne provenait pas des bassins de résidus de Fort McMurray. Cela s’est produit à Hinton, et il s’agissait d’une grande mine de charbon dont les résidus s’étaient échappés des bassins. Les boues s’étaient échappées parce que les bassins étaient mal entretenus. Elles s’étaient déversées directement dans la rivière Athabasca et s’étaient rendues jusqu’ici. C’est probablement un projet qui n’aurait pas été assujetti à ce type d’évaluation, mais cela montre bien à quel point les effets peuvent se faire sentir très loin.

Là n’est pas ma question. Ma question porte sur les eaux navigables, dont il est question dans la troisième partie du projet loi, et dont on ne parle pas beaucoup. Je pense que vous êtes un des premiers témoins à en parler. Je voulais vous demander, à vous et votre équipe, ce que vous pensez des recommandations dans le projet de loi C-69 concernant la façon de réglementer les eaux navigables.

M. Adam : Nous venons d’une petite communauté isolée et entourée d’eau qui se trouve dans le Nord-Est de l’Alberta. Pendant les mois d’été, la seule façon d’avoir accès à notre communauté est par avion ou par les voies navigables. Nous récoltons encore notre nourriture pour conserver notre mode de vie. Lorsque la récolte annuelle est terminée, peu importe l’année, nous discutons toujours des difficultés que nous avons eues à nous rendre où nous devions aller. La plupart du temps, les chasseurs et les cueilleurs doivent se rendre dans d’autres endroits, des endroits qui sont encore accessibles en hors-bord. Pourquoi en est-il ainsi? Parce que la nappe phréatique continue de baisser — ne cesse de baisser — dans toute la région où nous nous trouvons.

Je faisais toujours des blagues à ce sujet lorsque j’étais enfant et que je me trouvais à Big Point avec mon frère. Je lui disais : « Un jour, nous allons pouvoir traverser la rivière Athabasca à pied, et nous pourrons probablement nous rendre jusqu’à Goose Island ». Il me riait au nez et me répondait : « Je ne pense pas, non. » Eh bien, aujourd’hui, nous pouvons nous rendre à pied à Goose Island à partir du continent, et je ne blague pas. Je pourrais probablement me rendre à pied de Big Point jusqu’à l’île et jusqu’à Fort Chipewyan, parce que les niveaux d’eau sont tellement bas à l’automne. Je ne peux pas utiliser mon bateau hors-bord, avec son moteur Mercury de 150 hp, et chaque fois que je me rends en forêt, je reste coincé dans une barre de sable en remontant les affluents de la rivière. Ces affluents se jettent dans le lac. Il devrait y avoir un chenal, mais il n’y a rien.

Notre peuple s’en ressent. Nous ne pouvons plus nous rendre qu’à certains endroits, et nous savons que dans ce cas, nous commençons à épuiser la ressource animale. Nous sommes des chasseurs, nous savons comment chasser, et nous savons comment prendre soin de la population animale. Nous savons que lorsqu’une population commence à diminuer, le temps est venu d’aller chasser ailleurs. C’est ainsi que nous chassons et veillons à la conservation. Nous avons toujours agi ainsi.

En ce moment, en raison du faible niveau de la nappe phréatique et du nombre de gens qui vont chasser dans certaines zones — probablement deux ou trois seulement —, les populations animales déclinent rapidement, mais dans d’autres zones qui nous sont plus difficiles d’accès maintenant, la situation est différente.

La sénatrice Simons : Y a-t-il une activité en particulier qui influe sur le débit d’eau ou s’agit-il plutôt du changement climatique en général? Avez-vous une idée de ce qui cause cela?

Mme Tssessaze : Ce sont les deux. C’est une combinaison des deux. Nous avons participé à suffisamment d’audiences et procédé à suffisamment d’analyses dans les projets d’évaluation environnementale pour savoir ce qui nuit à la navigation sur la rivière Athabasca et dans le delta. On prélève de l’eau à de nombreux endroits dans la région. Comment l’Alberta réglemente-t-elle et gère-t-elle ces prélèvements? Cela se fait derrière des portes closes. Personne ne diffuse d’information sur la façon dont sont gérés les prélèvements d’eau. Personne n’est franc avec nous. Il y a environ cinq ans, j’ai certains de nos gens qui m’ont appelée pour me dire que le niveau d’eau était si bas qu’ils ne pouvaient pas se rendre où ils devaient aller pour chasser et que la situation était vraiment grave. C’était tellement grave, qu’il y a eu des accidents. Il y a eu des morts. Des gens ont eu besoin de points de suture à la tête parce qu’ils heurtaient des barres de sable, qu’ils se blessaient. C’était grave à ce point. Le niveau d’eau était vraiment très bas cette année-là.

J’ai fait ce que je pensais que je devais faire. J’ai communiqué avec nos partenaires de l’industrie pour leur dire que le niveau d’eau était très bas et leur demander s’ils pouvaient cesser leurs prélèvements. Ils m’ont répondu qu’ils ne pouvaient pas le faire, que cela était approuvé, que cela faisait partie d’un système. Ce que je leur demandais équivalait à une très petite quantité, et ils m’ont donné toutes sortes de raisons de ne pas pouvoir le faire. Je pense toutefois que c’est un problème qu’il faut régler. Les témoins ou le comité pourraient peut-être se pencher sur des amendements. Nous avons besoin de la rivière et nous allons continuer de parler de son importance, quel que soit l’endroit, l’audience ou le processus d’approbation en cause.

M. Adam : N’oubliez pas non plus que lorsque le gouvernement Harper était au pouvoir, la rivière Athabasca était censée être l’une des sept rivières importantes protégées au Canada. Si on veut apporter des modifications à la Loi sur les eaux navigables, il vaudrait mieux que ce soit pour l’améliorer. Cela n’aurait pas de sens de faire un pas en arrière. Nous avons ouvert une épicerie à Fort Chipewyan. Nous devons expédier la marchandise à Fort Chipewyan par avion, ce qui coûte très cher. Nous avons besoin de la rivière, car les bateaux peuvent transporter les marchandises jusqu’à notre communauté pour bien moins cher. C’est ce que visait le projet de loi sur les eaux navigables, soit veiller à ce qu’il y ait une façon sûre de transporter les marchandises sèches jusqu’à notre communauté pour qu’elle puisse survivre. Tout ce que nous voulons, c’est survivre. Nous allons travailler en ce sens, mais pas au détriment de l’environnement. Merci.

La sénatrice Simons : Merci.

La présidente : Merci beaucoup. Nous avons posé toutes nos questions. Nous allons donc lever la séance.

(La séance est levée.)

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