Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule no 1 - Témoignages du 4 février 2016
OTTAWA, le jeudi 4 février 2016
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd'hui, à 10 h 29, pour étudier les questions relatives aux délais dans le système de justice pénale au Canada.
Le sénateur Bob Runciman (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonjour. Je souhaite la bienvenue à mes collègues, à nos témoins, ainsi qu'aux membres du grand public qui suivent les délibérations du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles aujourd'hui.
J'informe les membres du comité que la semaine dernière, le Sénat a autorisé le comité à examiner, afin d'en faire rapport, les questions relatives aux délais dans le système de justice pénale au Canada et à examiner les rôles que jouent le gouvernement du Canada et le Parlement pour y remédier. Nous tenons aujourd'hui notre deuxième séance dans le cadre de cette étude.
Nous accueillons aujourd'hui des fonctionnaires de Statistique Canada et du ministère de la Justice.
De Statistique Canada, nous recevons Yvan Clermont, directeur du Centre canadien de la statistique juridique; de même que Josée Savoie, chef du Programme des tribunaux au Centre canadien de la statistique juridique.
Du ministère de la Justice, nous recevons Donald Piragoff, sous-ministre adjoint principal du Secteur des politiques; Stephen Zaluski, avocat général et directeur du Service des affaires judiciaires, des cours et des tribunaux administratifs; de même qu'Anny Bernier, avocate à la Section de la politique en matière de droit pénal.
Je crois comprendre qu'il y a également trois autres fonctionnaires du ministère de la Justice qui sont présents dans la pièce et qui sont prêts à s'avancer à la table, au besoin, pour répondre à nos questions. Le cas échéant, nous les présenterons en temps et lieu.
Nous vous remercions toutes et tous d'être ici aujourd'hui et nous avons hâte d'entendre vos exposés, qui seront suivis d'une période de questions des sénateurs. La parole est à vous.
Yvan Clermont, directeur, Centre canadien de la statistique juridique, Statistique Canada : Merci infiniment. Mes collègues et moi aimerions commencer par remercier les membres du comité de nous avoir invités à témoigner sur les dernières tendances qui se dégagent des causes réglées par les tribunaux de juridiction criminelle au pays.
J'ai l'intention de vous présenter un aperçu de quelques indicateurs clés de la durée du traitement des causes par les tribunaux de juridiction criminelle. Je précise que les résultats présentés aujourd'hui portent surtout sur la période de 2005-2006 à 2013-2014, soit une période de neuf ans. C'est la période sur laquelle nous avons les données les plus récentes et pour laquelle nous avons accès à des données comparables pour toutes les provinces et tous les territoires.
Les données présentées proviennent de l'Enquête intégrée sur les tribunaux de juridiction criminelle, qui publie ses données chaque année. Seules les données sur les causes réglées sont compilées, ou plus précisément sur les causes dans lesquelles la décision finale a été rendue. Par « cause », nous entendons toutes les accusations portées contre une même personne ou entreprise, dont les principales dates se chevauchent (p. ex. la date de l'infraction, la date d'introduction d'une cause, la date de la première comparution et la date de la décision) et pour lesquelles nous avons reçu une décision finale.
À la diapositive suivante, j'aimerais vous donner un aperçu des tendances qui se dégagent des causes réglées par les tribunaux de juridiction criminelle pour adultes pendant la période mentionnée.
Le nombre de causes réglées par les tribunaux de juridiction criminelle pour adultes a diminué de 6 p. 100 au cours de cette période de neuf ans, ce qui représente environ 360 000 causes réglées pendant l'année financière 2013-2014. Cela correspond à plus d'un million d'accusations portées en 2013-2014, un nombre qui a diminué de 2 p. 100 depuis 2005-2006. Au cours de la même période, le nombre de crimes a diminué de 21 p. 100, et le taux de criminalité a diminué de 29 p. 100.
Durant cette période, cinq infractions seulement représentent la moitié de toutes les causes réglées. Il s'agit de la conduite avec facultés affaiblies, du vol, du défaut de se conformer à une ordonnance, des voies de fait simples et du manquement aux conditions de la probation. Le nombre médian de comparutions nécessaires pour rendre une décision finale a été de cinq pour l'ensemble de la période. Souvent, c'est-à-dire dans les deux tiers des causes, l'accusé a été reconnu coupable.
La durée médiane du traitement des causes a été de 123 jours en 2013-2014, soit un jour de plus que neuf ans plus tôt, et 30 p. 100 des causes ont nécessité au moins 241 jours avant d'être réglées.
[Français]
Avant de poursuivre avec l'analyse du prochain graphique, j'aimerais faire quelques mises au point en matière de définitions.
Dans le cadre de nos analyses, la durée de traitement d'une cause est calculée à partir de la date de la première comparution jusqu'à la date de la décision finale. Entre ces deux dates, le temps est exprimé en jours. Nous utilisons la médiane qui se trouve être le point central d'une série de valeurs qui représentent la durée moyenne des peines, c'est-à- dire que la moitié des peines sont plus longues alors que dans l'autre moitié, elles sont plus courtes.
Ce graphique porte donc sur les sept secteurs de compétence qui ont la capacité de rapporter les renseignements relatifs aux Cours supérieures, soit les Territoires du Nord-Ouest, le Yukon, Terre-Neuve-et-Labrador, la Nouvelle- Écosse, le Nouveau-Brunswick, l'Alberta et la Colombie-Britannique.
Il est important de noter que les activités des Cours supérieures de l'Île-du-Prince-Édouard, du Québec, de l'Ontario, du Manitoba et de la Saskatchewan, de même que les activités des Cours municipales au Québec, ne sont pas représentées sur ce graphique, en raison du fait qu'elles ne peuvent pas être extraites des systèmes d'information électroniques de ces provinces et, par conséquent, ne sont pas rapportées à Statistique Canada.
Un autre élément contextuel important à considérer ici est que les causes entendues en Cour supérieure représenteraient, en 2013-2014, moins de 1 p. 100 du volume des causes entendues dans les secteurs pour lesquels nous avons des données. À l'exception de la Colombie-Britannique où cela constituait 2,8 p. 100 des causes entendues, c'est donc relativement peu.
Le graphique que vous voyez ici représente le temps médian de traitement de ces causes. On observe donc, au fil des ans, que le temps de traitement des causes au sein des Cours supérieures est non seulement toujours plus long, soit de plus de huit mois, mais que cette différence s'est accentuée de façon importante depuis 2010-2011. Au cours de la période étudiée, le temps médian requis pour traiter les causes en Cour supérieure est passé de 278 jours à 514 jours, soit presque le double du temps.
Au prochain graphique, on présente les temps de traitement médians des causes pour chacune des provinces et chacun des territoires au cours de la dernière année de données disponibles, toujours avec les limitations que nous avons énoncées précédemment.
Disons, d'abord, que plusieurs facteurs peuvent influer sur les variations qu'on observe entre les secteurs de compétence. Ceux-ci peuvent inclure des pratiques diverses de mises en accusation par la police et la Couronne, la répartition des infractions et divers types de programmes de déjudiciarisation. Par conséquent, il faut faire preuve de prudence lorsqu'on établit des comparaisons entre les secteurs de compétence. On constate, à la lecture de ce graphique, que les temps de traitement des causes varient significativement d'une province à l'autre et d'un territoire à l'autre.
En 2013-2014, par exemple, l'Île-du-Prince-Édouard a présenté le temps de traitement le plus court au pays, avec un temps médian de 37 jours. C'est une situation qui perdure depuis le début de la période étudiée. La Saskatchewan et les trois territoires ont, eux aussi, connu des temps de traitement médians bien en deçà de la médiane nationale. Le Québec, quant à lui, a présenté le temps de traitement le plus long.
Les différences entre les provinces et les territoires sont demeurées relativement stables depuis 2005-2006. Toutefois, certaines provinces ont connu des variations qui méritent d'être soulignées.
Au Québec, par exemple, les temps de traitement qui sont plus importants qu'ailleurs au pays se sont aussi accrus depuis 2010; ils sont donc passés de 191 jours à 238 jours en 2013-2014. Le Manitoba et la Nouvelle-Écosse lui emboîtent le pas et ont aussi connu des hausses, mais de façon moins importante qu'au Québec.
Le prochain tableau nous permet de constater que les temps de traitement des causes varient considérablement selon le type d'infraction en cause. Sur ce tableau, nous avons souligné en rouge les cinq types d'infractions les plus importants, qui représentent environ la moitié des causes entendues devant les tribunaux de juridiction criminelle. Vous pouvez constater, notamment, que les infractions de violence nécessitent, dans l'ensemble, un temps médian de traitement de 172 jours; pour les homicides, il s'agit de 451 jours. Il importe de noter que les infractions d'ordre sexuel ont également présenté des temps de traitement plus élevés. Les délits de la route ont présenté, en 2013-2014, un temps médian de traitement de 150 jours, notamment la conduite avec facultés affaiblies avec environ 141 jours. Les crimes contre les biens démontraient un temps médian de traitement de 106 jours. Finalement, ce sont les infractions contre l'administration de la justice, par exemple le manquement aux conditions de probation ou le défaut de se conformer à une ordonnance, qui ont présenté les temps de traitement médians les plus courts, soit de 76 jours.
Le prochain graphique montre comment a évolué le nombre des causes les plus représentées dans les tribunaux au cours des dernières années pour lesquelles nous avons des données comparables. Ces causes, rappelons-nous, ont représenté tout près de la moitié des causes entendues devant les tribunaux.
Les causes de conduite avec facultés affaiblies, qui sont les causes les plus entendues en cour, représentent environ 11 p. 100 de toutes les causes entendues devant les tribunaux. Elles ont augmenté en nombre jusqu'en 2010-2011, pour ensuite redescendre au plus bas niveau observé depuis neuf ans, soit une baisse de 13 p. 100.
Les causes de vol ont suivi sensiblement le même schéma avec une diminution de 7 p. 100, et les infractions relatives au non-respect des conditions de liberté surveillée et au défaut de se conformer à une ordonnance de la cour ont cependant présenté des augmentations de 13 et de 19 p. 100 respectivement. Il s'agit des lignes rouge et verte du graphique. Pendant ce temps, le nombre de causes de voies de fait simple a diminué de 10 p. 100.
Tournons-nous maintenant de l'autre côté de ce graphique, qui démontre les temps de traitement en cour de ces mêmes infractions. Ce graphique nous montre les temps de traitement en cour pour la même période étudiée en termes de temps médian.
Donc, le temps médian des causes liées à la conduite avec facultés affaiblies a connu une diminution de 158 à 141 jours sur toute la période étudiée. Cette diminution a été plus marquée de 2010 à 2012-2013. Toutefois, la durée de ces procès a connu une hausse au cours de la dernière année d'observation.
Les différentes pratiques des tribunaux au pays et dans le temps en matière de traitement des causes liées à la conduite avec facultés affaiblies pourraient avoir influé sur les temps de traitement de ces causes. Il y a eu, au cours de la période étudiée, nombre d'initiatives en ce sens dans certains secteurs de compétence. On pourrait nommer, par exemple, la Motor Vehicle Act, en Colombie-Britannique, et l'initiative Justice juste-à-temps, en Ontario.
On a noté une certaine correspondance entre l'introduction de ces initiatives et l'observation des baisses les plus marquées des temps de traitement à partir de 2010-2011, accompagnées d'une baisse plus marquée du nombre de causes entendues devant les tribunaux et des temps médians de traitement. Ce fut le cas notamment en Colombie- Britannique, mais ce n'est pas démontré sur ce graphique.
La hausse des temps de traitement observée lors de la dernière période, soit en 2013-2014, est attribuable, entre autres choses, à une augmentation du temps de traitement de ces causes dans la province de Québec. Au cours de la même période, le temps de traitement des causes de voie de fait a oscillé autour de 130 jours, et le temps de traitement des trois autres types d'infractions est demeuré à un niveau sous la médiane nationale en deçà de trois mois.
Il est évident que, plus le nombre de comparutions augmente, plus le temps de traitement est long pour en arriver à une décision dans une cause. À titre d'exemple, les causes qui ont nécessité six comparutions et plus ont pris plus de huit mois à se régler. Un constat similaire peut être établi en observant la relation entre le temps médian de traitement d'une cause et le nombre d'accusations portées dans cette même cause. Le graphique suivant illustre ce constat. On a été en mesure de régler les causes qui comportaient une seule accusation dans un temps médian s'échelonnant entre 84 et 94 jours au cours de la période étudiée, dans le cas des causes uniques où il y avait une seule accusation. Ces temps de traitement étaient naturellement légèrement plus élevés pour les causes qui comptaient deux accusations, et encore plus pour celles qui en comptaient trois ou plus. Au cours de la même période, ces nombres ont peu varié.
Le prochain graphique présente également l'évolution du temps de traitement des causes selon le nombre d'accusations, mais en mettant cette fois-ci l'accent sur les causes qui ont pris plus de huit mois à se régler. Donc, on ne retrouve que les causes qui ont pris plus de huit mois à se régler sur ce graphique. Au total, comme on l'a dit plus tôt, ces causes représentent une proportion stable de 30 p. 100 de toutes les causes entendues par les tribunaux au cours de la période d'étude d'une durée de neuf ans. Cette fois-ci, on obtient un portrait un peu différent.
On a observé, au cours de la période d'étude, que les temps de traitement de l'ensemble des causes les plus longues ont graduellement augmenté au pays. À cet égard, les causes qui comptaient une accusation sont passées de 358 à 375 jours, et celles qui comptaient deux accusations, de 380 à 409 jours. Finalement, les causes comptant trois accusations ou plus sont passées de 400 à 413 jours.
On observe aussi des différences en ce qui concerne les temps de traitement selon la décision rendue dans une cause. Fait intéressant à noter ici, les acquittements prennent de plus en plus de temps à se régler, soit 253 à 324 jours médians. Ces causes, faut-il le mentionner, sont beaucoup moins nombreuses et représentent environ 4 p. 100 du nombre de causes traitées devant les tribunaux. Lorsqu'on ne tenait pas compte des causes de plus de huit mois, on observait le même schéma quant aux verdicts d'acquittement. Le graphique ne l'indique pas, mais en ce qui concerne les causes de plus de huit mois, le comportement est le même pour les acquittements.
Les temps de traitement des verdicts de culpabilité, causes les plus nombreuses, sont demeurés stables sur toute la période. On observe une histoire quelque peu différente pour les autres types de causes. Par exemple, le temps de traitement de retraits des procédures a diminué, et le temps requis pour effectuer des arrêts est demeuré faible et n'a que sensiblement diminué.
[Traduction]
J'aimerais conclure cette analyse par un rapide survol des causes réglées par les tribunaux de la jeunesse au cours de la même période. Le nombre de causes réglées par les tribunaux de la jeunesse a diminué de 31 p. 100 pendant ces neuf ans. Vous vous rappellerez que pour les adultes, il a diminué de 6 p. 100.
Il convient de souligner que le pourcentage de jeunes accusés de crime avait diminué de 42 p. 100 en 2014 par rapport à 10 ans plus tôt. Le nombre d'accusations a diminué de 23 p. 100. Plus de la moitié de ces causes se sont conclues par un verdict de culpabilité, contre les deux tiers chez les adultes.
Pour les jeunes, la durée médiane du traitement des causes a été de 120 jours en 2013-2014, c'est-à-dire 14 jours de plus que neuf ans auparavant. Vous vous rappellerez que la durée du traitement des causes pour adultes n'a augmenté que d'un jour en tout.
Nous vous avons présenté beaucoup d'information, mais en résumé, le nombre de causes entendues par les tribunaux de juridiction criminelle a diminué de 6 p. 100 au cours des neuf dernières années. La durée médiane du traitement des causes est restée à peu près la même pendant cette période et correspond à environ quatre mois. Les données dont nous disposons sur les cours supérieures montrent que la durée du traitement a augmenté considérablement pour presque doubler au cours de ces neuf années d'observation.
La proportion des causes dont le traitement a duré plus de huit mois est demeurée stable, à 30 p. 100, mais la durée totale de leur traitement a augmenté. La durée de traitement des causes par les tribunaux varie selon divers facteurs, comme nous l'avons vu, mais il pourrait y avoir d'autres facteurs sur lesquels nous n'avons pas ou peu d'information qui l'influencent aussi. Par exemple, nous aurions besoin de plus de données sur les cours supérieures, la représentation juridique, les cours spécialisées, la présence d'un mandat, les infractions hybrides, le mode de procès, le plaidoyer et la détention provisoire pour mieux comprendre les facteurs qui expliquent la charge de travail des tribunaux et la durée du traitement des causes. Il nous serait certainement très utile d'avoir accès à des données nationales harmonisées à ce sujet pour élaborer des stratégies afin de réduire la durée du traitement.
Il faut aussi mentionner que nous venons à peine d'entreprendre une refonte de l'enquête de laquelle sont tirées ces données, de même qu'une vaste série de consultations de nos partenaires afin d'évaluer quels seraient les besoins d'information nationaux prioritaires. Nous espérons que cette refonte permettra d'améliorer la saisie de données, la sensibilisation à la compilation de statistiques et à leur utilité chez les administrateurs judiciaires, de même que les technologies d'information qui nous permettent de les compiler.
Merci.
Le président : Merci, monsieur Clermont.
Vous serait-il possible de remettre vos notes au comité?
M. Clermont : Bien sûr.
Le président : Vous pouvez les laisser à la greffière. Merci beaucoup.
Monsieur Piragoff, la parole est à vous.
Donald Piragoff, sous-ministre adjoint principal, Secteur des politiques, ministère de la Justice du Canada : Merci, sénateur. Je suis heureux d'être ici aujourd'hui pour informer le comité du travail que le ministère de la Justice a réalisé au fil des ans pour remédier au problème des retards à l'intérieur du système de justice pénale. Mon exposé liminaire portera en grande partie sur le financement de l'aide juridique, le travail réalisé par les ministres fédéraux, provinciaux et territoriaux responsables de la justice pour remédier au problème des retards, les recherches effectuées par le ministère sur la question, de même que les projets de loi récents sur les mégaprocès et les autres modifications visant à améliorer l'efficacité de la justice.
[Français]
Je vous parlerai également très brièvement des ressources judiciaires; cependant, mon collègue, Stephen Zaluski, qui est directeur du Service des affaires judiciaires, répondra à toute question de suivi.
[Traduction]
Pour commencer, j'aimerais rappeler aux sénateurs le rapport phare publié en 2008 par l'ancien juge en chef de l'Ontario, Patrick LeSage, et Michael Code. Je crois que vous avez justement entendu le témoignage de l'ancien juge en chef hier soir. Selon eux, il y a trois événements marquants qui ont transformé le procès criminel moderne qui, du bref et efficace examen sur la question de la culpabilité ou de l'innocence qui avait cours dans les années 1970, est devenu un long processus complexe. Ces trois événements marquants ont été l'adoption de la Charte des droits et libertés, la réforme du droit de la preuve par la Cour suprême du Canada et l'ajout de nombreuses dispositions complexes au Code criminel et à d'autres lois connexes.
J'aimerais souligner que le premier ministre a mandaté ma ministre, c'est-à-dire la ministre de la Justice, de réviser les changements apportés depuis 10 ans à notre système de justice pénale ainsi que les réformes de la détermination des peines apportées au cours de la dernière décennie; de déployer des efforts de modernisation afin d'accroître l'efficacité du système de justice pénale; et de combler les lacunes associées aux services offerts aux Autochtones et aux personnes souffrant de problèmes de santé mentale.
Avec ses collègues, le ministre de la Sécurité publique et la ministre des Affaires autochtones, la ministre de la Justice travaillera en étroite collaboration avec ses collègues et partenaires des provinces, des territoires et des municipalités, de même qu'avec les autres principaux intervenants du Canada afin d'examiner comment le système fonctionne et de repérer les lacunes et les points de pression.
Cet examen a pour objectifs de nous doter d'un système de justice moderne et exhaustif, qui sera plus transparent, efficace, juste et accessible pour tous les Canadiens. Il contribuera également à faire en sorte que les futures réformes soient conformes aux objectifs fondamentaux du système de justice pénale, à nos valeurs et à la Charte des droits et libertés.
Dans le cadre de ce vaste examen, on réfléchira à l'approche stratégique détaillée à adopter à long terme pour l'élaboration de la politique en matière de droit pénal afin de bien calibrer notre système de justice pour mieux refléter les valeurs de notre société et mieux servir ses citoyens.
Monsieur le président, j'aimerais vous toucher quelques mots sur les relations que nous entretenons avec les provinces et les territoires.
[Français]
Le système de justice pénale du Canada est le produit d'un partenariat entre le gouvernement fédéral et les provinces et les territoires, chacun des deux ordres d'administration ayant ses champs de compétence propres.
[Traduction]
Le gouvernement fédéral a la responsabilité de promulguer les lois et la procédure en matière de droit pénal, alors que les provinces ont, de manière générale, la responsabilité d'administrer la justice, ce qui comprend les poursuites pour la plupart des infractions au Code criminel. Le fédéralisme coopératif est un élément essentiel du système de justice pénale du Canada. Aucun ordre de gouvernement ne peut remplir son mandat avec succès sans la coopération de l'autre.
De plus, le gouvernement fédéral soutient les provinces et les territoires en absorbant une partie des coûts engagés pour la prestation des services comme l'aide juridique, l'assistance parajudiciaire aux Autochtones et les services de police. Comme elles partagent diverses responsabilités, les autorités fédérales, provinciales et territoriales accordent beaucoup d'importance à la collaboration pour s'acquitter de leurs responsabilités.
Dans le contexte de la justice pénale, les relations fédérales-provinciales-territoriales relèvent principalement de trois forums connexes : les ministres fédéraux, provinciaux et territoriaux responsables de la Justice et de la Sécurité publique; les réunions des sous-ministres fédéraux-provinciaux-territoriaux correspondants; le Comité de coordination des hauts fonctionnaires en matière de justice pénale, qu'on appelle aussi le CCHF.
Au cours des cinq dernières années, les ministres fédéraux, provinciaux et territoriaux ont discuté de divers enjeux qui ont une incidence sur les retards dans le système de justice pénale, dont l'accès à l'aide juridique, les prévenus non représentés, la santé mentale et les troubles causés par l'alcoolisation fœtale, les mégaprocès, l'accès à la justice et la modernisation du régime de mise en liberté sous caution.
[Français]
En plus du travail entrepris par les ministres, j'aimerais mentionner que, dans de nombreuses tribunes, des fonctionnaires participent à des discussions avec divers représentants du système de justice, y compris les forces de l'ordre, les avocats de défense, les poursuivants et les juges.
[Traduction]
En 2003, les ministres fédéraux, provinciaux et territoriaux, de même que certains membres de l'appareil judiciaire se sont entendus pour que quelques participants clés du système de justice collaborent en vue d'examiner les problématiques et de recommander des solutions aux problèmes liés à l'efficacité du fonctionnement du système, sans pour autant compromettre ses valeurs fondamentales. Le Comité directeur sur l'efficacité et l'accès en matière de justice a été mis sur pied aux fins de cette tâche. Ce comité est composé de juges, de sous-ministres, de représentants des services de police et de représentants du Barreau.
Au fil des ans, le comité directeur a recommandé diverses solutions pour que les prévenus soient jugés de façon rapide et équitable, sur le fond. Il met l'accent, entre autres, sur l'éducation des policiers, l'utilisation accrue du pouvoir discrétionnaire des policiers pour réduire le nombre de comparutions inutiles pour mise en liberté sous condition et la résolution rapide des différends sur la communication de la preuve pour éviter des retards indus.
Il y a aussi le symposium national Réinventer le système de justice pénale, qui se tient chaque année depuis 2009 et qui constitue un forum important. Les grands dirigeants du système de justice pénale participent à des discussions franches et partagent leurs points de vue ainsi que leurs pistes de solutions aux obstacles à l'établissement d'un système de justice pénale adapté, accessible et responsable. Notons parmi les sujets de discussion des dernières années des questions importantes et pertinentes comme les pistes de solutions à envisager pour accroître l'efficacité et l'efficience du système de justice pénale; la réforme de l'administration du système de justice pénale; la mise en liberté provisoire; une trousse à outils pratique en matière de santé mentale dans le système de justice pénale; la confiance du public envers le système de justice; les mesures du rendement du système et, pas plus tard que cette année, l'examen des populations vulnérables, tant chez les accusés que chez les victimes.
Les rapports de ces symposiums sont ensuite remis aux participants et aux organisations hôtes pour examen, compte tenu des rôles respectifs qu'ils jouent dans le système de justice pénale.
Monsieur le président, vous voudrez peut-être inviter des membres de ces deux organisations à venir témoigner de leur travail.
[Français]
De nombreux intervenants du système de justice pénale examinent les défis associés à la tenue de mégaprocès ainsi que des mesures qui visent à en améliorer le déroulement.
[Traduction]
En 2011, le Parlement a adopté la Loi sur la tenue de procès criminels équitables et efficaces, soit le projet de loi C-2. Ce projet de loi visait à améliorer la tenue de mégaprocès et prévoyait des mesures en vue de l'atteinte de trois objectifs : renforcer le régime de gestion de l'instance, réduire le dédoublement des procédures et améliorer la procédure pénale.
Il prévoyait aussi la nomination d'un juge responsable de la gestion de l'instance, qui aurait le pouvoir de se prononcer sur des questions préliminaires telles que les requêtes concernant la Charte et la communication de la preuve; il prévoyait ensuite autoriser des requêtes mettant en jeu des éléments de preuve semblables dans des instances liées mais distinctes; il établissait que les décisions sur certaines questions préliminaires lient les parties en cas de nouveau procès résultant d'une annulation du procès, à moins qu'on puisse faire la preuve de circonstances exceptionnelles; enfin, il augmentait le nombre maximal de juristes pouvant entendre les témoins à l'audience, le faisant passer de 12 à 14.
Monsieur le président, j'aimerais dire quelques mots sur le financement de l'aide juridique. Le Programme d'aide juridique du Canada fournit du financement sous forme de contributions aux provinces et aux territoires en vue de la prestation de services d'aide juridique en matière criminelle, ce qui comprend l'information, les conseils et la représentation, aux personnes défavorisées économiquement qui risquent une peine d'emprisonnement, ainsi qu'aux jeunes accusés en vertu de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents.
En réduisant le nombre d'accusés non représentés, l'aide juridique contribue à réduire le nombre de retards judiciaires, de suspensions, d'ordonnances du tribunal relatives aux avocats de la défense financés par l'État, de condamnations injustifiées, ainsi que le risque de contestation ou d'annulation des peines prononcées.
Le gouvernement fédéral verse une contribution annuelle de 112,4 millions de dollars afin de soutenir l'aide juridique en matière criminelle dans les provinces, ainsi qu'en matière criminelle et civile dans les territoires.
[Français]
Le ministère de la Justice travaille en étroite collaboration avec les provinces et les territoires en vue de favoriser l'innovation et la responsabilisation dans le domaine des services d'aide juridique.
En 2014, mon ministère a publié l'Étude fédérale sur l'aide juridique en matière criminelle, qui représente les innovations et les pratiques exemplaires adoptées à l'échelle internationale, ainsi que dans les diverses administrations canadiennes.
[Traduction]
Monsieur le président, j'ai remis à la greffière des exemplaires de ce rapport et de ses annexes, et nous en enverrons également des copies électroniques au comité.
À une période où l'aide juridique a dû composer avec des ressources limitées et l'augmentation de la demande, divers régimes au Canada ont adopté des pratiques qui contribuent à l'efficacité générale du système de justice. Je pense, entre autres, aux services élargis d'avocats commis d'office, à l'admissibilité présumée et aux procédures d'évaluation initiale rapide.
Les services élargis d'avocats commis d'office permettent à un accusé non représenté de résoudre le plus grand nombre de questions possibles et adéquates avant de déposer une requête de plein mandat d'aide juridique, ce qui accélère le règlement des litiges.
Les territoires utilisent un outil semblable qu'on appelle l'admissibilité présumée, qui consiste à présumer que tous les accusés sont admissibles à des services d'aide juridique tant qu'aucun plaidoyer de non-culpabilité n'est inscrit.
Les procédures d'évaluation initiale rapide, qui sont souvent offertes par l'aide juridique depuis des bureaux situés dans les édifices des tribunaux, réduisent l'engorgement du système attribuable aux mises en détention provisoire et aux ajournements dans l'attente d'une décision du statut concernant l'aide juridique.
De plus, certains régimes d'aide juridique ont adopté un système de triage pour accélérer l'aiguillage des clients envers les services requis et faire en sorte que toutes les personnes qui prennent contact avec l'aide juridique reçoivent un certain niveau de service.
Ce ne sont là que quelques exemples des nombreuses pratiques novatrices qu'ont adoptées les régimes d'aide juridique un peu partout au Canada. Je vous encourage, honorables sénateurs, à inviter des témoins à venir vous parler de ces régimes et de leurs propres initiatives plus en détail.
Monsieur le président, vous avez entendu l'exposé des représentants de Statistique Canada.
[Français]
La Division de la recherche et de la statistique du ministère de la Justice a procédé à une étude initiale pour examiner la question des retards au sein du système de justice pénale.
[Traduction]
Dans le cadre de cette enquête, on a étudié 3 093 affaires conclues en 2008, par cinq tribunaux dans quatre juridictions canadiennes. Bien que cet échantillon limité nous donne une bonne idée des retards qui s'observent, ce n'est pas nécessairement représentatif de tout ce qui se passe dans le pays. Comme vous le savez pour avoir entendu l'exposé précédent, il y a beaucoup de différences d'une région à l'autre. Mes collègues du Centre canadien de la statistique juridique ont mis en lumière bon nombre de ces variations régionales.
Dans la majorité des cas, le ministère a constaté que la durée moyenne du traitement des affaires criminelles a été de 218 jours, pour six comparutions en moyenne avant qu'une décision ne soit rendue. Cinq pour cent des causes ont nécessité plus de 730 jours, soit deux ans, avant d'être réglées.
Différents facteurs expliquent ces lenteurs, notamment la difficulté de déterminer l'infraction la plus grave dans la cause et la représentation juridique ou non de l'accusé, s'il a plaidé coupable, s'il a violé les conditions d'une ordonnance de mise en liberté ou s'il a des antécédents criminels.
Les affaires dans lesquelles la représentation juridique a été assurée en intermittence sont celles qui ont duré le plus longtemps, soit 298 jours, comparativement à 189 pour les affaires dans lesquelles l'accusé n'était pas représenté par un avocat et à 160 pour celles où l'accusé était représenté par un avocat du début à la fin.
L'enquête montre que les plaidoyers de culpabilité réduisent le temps de traitement. La durée médiane d'une cause a été de 58 jours lorsqu'un plaidoyer de culpabilité a été déposé, contre 190 pour les affaires sans plaidoyer de culpabilité.
Enfin, monsieur le président, le comité a demandé de l'information sur le rôle que joue le gouvernement fédéral pour que les tribunaux bénéficient de ressources adéquates. Il a demandé plus particulièrement à quel point les retards judiciaires entrent en ligne de compte dans les décisions relativement aux demandes des provinces et des territoires d'avoir un plus grand nombre de juges.
Permettez-moi de souligner d'abord que le gros du travail dans le système de justice pénale se fait dans les tribunaux provinciaux et territoriaux plutôt qu'aux cours supérieures. Il revient à chaque province de déterminer le nombre de juges qui siègent à ces tribunaux. Le gouvernement fédéral n'intervient pas à ce chapitre.
Pour ce qui est des demandes en vue de la nomination d'un plus grand nombre de juges à la Cour supérieure (c'est-à- dire les juges nommés en vertu de l'article 96), la ministre de la Justice a bien sûr son rôle à jouer. Le ministère de la Justice l'aide dans l'évaluation de ces demandes et lui prodigue des conseils, notamment sur la question de savoir si la province a fait la preuve objective de son besoin.
Monsieur Zaluski pourra vous parler de ces questions de façon plus détaillée s'il le juge bon, mais je vous dirai simplement que les signes de retards et d'arriérés font partie des indicateurs pris en considération par les responsables pour l'évaluation d'une requête. Au bout du compte, c'est toutefois la ministre, ses conseillers et ses collègues du cabinet qui décideront s'il convient de donner suite à une demande pour que de nouveaux juges soient nommés à la Cour supérieure.
[Français]
En conclusion, le ministère de la Justice a le mandat de veiller à ce que le système de justice soit accessible, efficace et équitable. Même si Justice Canada et le Parlement sont chargés de la réforme du droit pénal, le système de justice pénale fait intervenir d'autres ordres de gouvernement et d'autres intervenants, y compris les forces de l'ordre et les tribunaux. Ces partenaires mènent également de nombreuses initiatives en vue de remédier aux retards et d'améliorer l'efficacité et l'efficience du système.
[Traduction]
Vous avez peut-être eu vent d'autres initiatives comme Justice juste-à-temps en Ontario, le groupe de transformation de la justice pénale en Nouvelle-Écosse, les tribunaux voués au règlement de problèmes particuliers en Colombie- Britannique, et le nouveau programme de gestion des instances de l'Alberta. Il serait sans doute bon que votre comité convoque des témoins qui connaissent bien ces initiatives provinciales.
Nous nous ferons un plaisir de répondre à toutes vos questions.
Le président : Nous allons amorcer la période de questions avec le sénateur Baker.
Le sénateur Baker : Merci à nos témoins pour leurs remarquables exposés.
Notre comité s'intéresse au temps qu'il faut pour mener à terme un procès dans le cas de poursuites criminelles. Il arrive que cela prenne plusieurs années. Je vais vous poser une question très simple qui fait suite aux échanges que j'ai eus tout à l'heure avec mon voisin de gauche. Vous pouvez nous dire immédiatement ce que vous en pensez ou bien nous indiquer par écrit les raisons pour lesquelles il n'est pas possible de faire ce que nous suggérons.
Lorsque la Cour fédérale était aux prises avec un problème analogue à celui que connaît actuellement notre système de justice pénale, on a adopté l'article 12 de la Loi sur les cours fédérales qui prévoit la nomination de protonotaires chargés de régler ces questions préliminaires aux instances devant la Cour fédérale. Dans les différentes provinces, les règles de la procédure civile prévoient des conférences de règlement pour traiter de ces questions en dehors des cadres du procès.
J'aimerais que vous nous disiez, monsieur Zaluski, ce qui nous empêche de reprendre ce concept de protonotaire établi par le paragraphe 12(1) de la Loi sur les cours fédérales pour l'intégrer au Code criminel sous la rubrique « Juge responsable de la gestion de l'instance » comme nous l'avons fait en 2002. Est-ce l'endroit approprié pour une éventuelle solution à ce problème qui touchait auparavant la Cour fédérale? Peut-on se servir de l'article 551.1 à cette fin? Ne serait-ce pas la façon logique de procéder?
Ma seconde question est également très simple. Monsieur Piragoff, vous êtes l'auteur de ce texte sur la preuve de faits similaires, n'est-ce pas?
M. Piragoff : Oui, sénateur. Vous m'avez déjà posé la question.
Le sénateur Baker : Bien sûr que c'est vous.
Lors de la comparution du juge LeSage, nous lui avons fait part de nos préoccupations quant à la présence de deux procureurs de la Couronne dans les procès criminels qui traînent en longueur. L'un de ces avocats est là pour veiller à l'application d'une loi fédérale, comme la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, alors que l'autre est un procureur provincial qui se concentre sur les dispositions du Code criminel. Il arrive même que ce modèle soit reproduit à l'échelon des cours provinciales. On se retrouve ainsi avec deux procureurs qui doivent synchroniser leur emploi du temps, ce qui augmente d'autant la durée des procédures.
Il peut donc y avoir des cas, monsieur Piragoff, où l'on a recours à une preuve de faits similaires pour traiter d'un nouveau chef d'accusation. Vous êtes l'expert en matière d'« impraticabilité objective », pour reprendre l'expression que vous utilisez vous-même dans votre texte. Comment pourrions-nous proposer l'application de ce concept dans le contexte de la loi ou des règles de procédure pour faire en sorte qu'un procès puisse se dérouler plus efficacement avec un seul procureur?
C'était donc mes deux questions. J'apprécierais une réponse écrite qui nous permettrait de mieux savoir à quoi nous en tenir pour la suite des choses. Il s'agit de sortir un peu des sentiers battus. Ce n'est rien de très compliqué mais, comme l'indiquait le juge LeSage, personne n'a jamais suggéré de telles solutions auparavant. On ne parle certes pas d'une modification mineure; c'est une transformation importante du système en place.
Pouvez-vous nous dire ce que vous en pensez? Si vous pouviez nous transmettre une réponse écrite, ce serait formidable.
M. Piragoff : Pour répondre à votre première question, il faut se rappeler qu'un procès criminel est très différent d'un procès au civil ou d'une cause devant la Cour fédérale. Le rôle du juge ne consiste pas à obliger l'accusé à reconnaître ses fautes ou à plaider coupable. Le juge est là pour garantir à l'accusé un procès équitable et déterminer si l'État a été en mesure de prouver hors de tout doute raisonnable que l'intimé est coupable et s'expose ainsi à une sanction pouvant aller jusqu'à l'incarcération.
Un procès au civil, notamment devant la Cour fédérale, n'a pas du tout les mêmes objectifs, et le rôle du juge est également différent. Ce n'est qu'en marge des procès au civil que l'on peut tenir ces conférences préparatoires à l'instruction où juges et avocats discutent à huis clos, en secret, pour en arriver à une entente, car il est question en pareil cas d'indemnisations à verser et de responsabilité civile. Dans les procès criminels, il faut plutôt déterminer si l'intimé est coupable ou innocent, et s'il pourrait être incarcéré.
Quoi qu'il en soit, différentes modifications ont été apportées au fil des ans, y compris via cette loi dont je vous parlais qui a été promulguée en 2011 et dont votre comité a été saisi. Ces modifications ont notamment conféré aux juges le pouvoir d'amener les avocats des deux parties à se concerter, comme ils le font dans une affaire civile ou même devant la Cour fédérale, pour restreindre le nombre de points en litige.
On peut donc maintenant tenir des conférences préalables à l'instruction. Il y a également ce qu'on appelle des audiences préparatoires à l'enquête préliminaire qui permettent aux avocats d'attirer l'attention du juge sur les éléments essentiels dont on devrait traiter au procès, de manière à ne pas éparpiller les efforts des parties en cause. Il s'agit essentiellement de cerner les questions importantes à trancher. Quels sont les faits que les avocats des deux parties sont prêts à reconnaître de telle sorte que l'on n'ait pas à convoquer de témoins? Il s'agit donc de concilier les efforts pour en arriver à un verdict en gérant l'instance de façon à réduire le nombre de témoins et la durée requise.
Le président : Monsieur Piragoff, nous allons devoir passer à un autre sénateur. Compte tenu de ces contraintes de temps, peut-être serait-il préférable que vous nous répondiez par écrit. Cela nous serait très utile.
Le sénateur McIntyre : Merci à vous tous de vos exposés. Ma première question s'adresse aux représentants de Statistique Canada.
Comment le Canada se compare-t-il aux autres pays pour ce qui est des délais dans les procédures judiciaires? Avez- vous une idée des facteurs pouvant expliquer les différences qui existent à ce chapitre?
M. Clermont : Nous n'avons aucune donnée sur la durée des procédures judiciaires dans d'autres pays. C'est une recherche qu'il nous faudrait faire. Le rapport que nous établissons à partir des données sur les tribunaux canadiens ne comporte pas de comparaisons à l'échelle internationale.
Le sénateur McIntyre : Très bien.
Mon autre question s'adresse au ministère de la Justice et concerne les enquêtes préliminaires. Comme nous le savons tous, un défendeur a droit à une enquête préliminaire avant un procès à la Cour supérieure devant un juge seul, ou un juge et un jury. L'enquête préliminaire vise à déterminer si la preuve est suffisante pour qu'un jury ayant reçu des directives appropriées puisse rendre un verdict de culpabilité.
Je me souviens très bien de mes années de pratique du droit et de tous ces procureurs de la Couronne qui nous communiquaient la preuve avec parcimonie. Je suis d'ailleurs persuadé que le sénateur Baker se rappellera que les avocats de la défense avaient l'habitude de qualifier ces procès de véritables embuscades. Dans mon rôle d'avocat de la défense, je n'ai jamais renoncé à une enquête préliminaire, car celle-ci permettait tout au moins une certaine communication de la preuve.
Comme il est devenu obligatoire de communiquer l'ensemble de la preuve avant un procès, pourriez-vous me dire si l'on a envisagé de modifier, voire d'éliminer, les enquêtes préliminaires qui ont un grand rôle à jouer en la matière?
M. Piragoff : Oui, un important travail d'analyse a été réalisé quant au rôle de l'enquête préliminaire. Je vous dirais même que le Parlement a adopté il y a un certain nombre d'années une loi contribuant à rationaliser le processus d'enquête préliminaire. Il s'agit notamment de faire en sorte que ces enquêtes aient des objectifs mieux définis.
Il va sans dire que l'on n'arrive pas à s'entendre au pays sur les mesures qui devraient être prises relativement aux enquêtes préliminaires. Il n'y a certes pas consensus entre les avocats de la défense et les procureurs de la Couronne. Même d'une province à l'autre, on constate des divergences d'opinions quant à la pertinence de maintenir les enquêtes préliminaires. Certaines provinces voudraient qu'on les abolisse carrément; d'autres préconisent des réformes; et d'autres encore prônent essentiellement le statu quo, compte tenu des changements apportés il y a quelques années à peine.
Le Québec met à l'essai ses propres systèmes opérationnels qui empruntent certains concepts du droit civil pour la tenue des enquêtes préliminaires.
Les ministres fédéral, provinciaux et territoriaux de la Justice ont discuté de cette question à maintes reprises sans pouvoir en arriver à un consensus.
Nous n'avons pas encore abordé la question avec la nouvelle ministre, mais nous allons assurément le faire.
La sénatrice Jaffer : Je vous remercie de vos exposés. J'ai une question que je vous adresse à tous les deux, puis une autre pour M. Piragoff.
Ma première question porte sur les tribunaux spécialisés. Je ne sais pas si vous avez recueilli des statistiques spécifiques au sujet de ces tribunaux spécialisés, que ce soit en stupéfiants ou en violence familiale, qui devaient notamment contribuer à rationaliser les processus de manière à en réduire la durée. Avez-vous des statistiques démontrant que ces tribunaux spécialisés permettent effectivement de diminuer les délais?
M. Clermont : Je pourrais vous répondre en vous disant que cela fait partie des raisons qui nous ont incités à remanier notre enquête sur les tribunaux de juridiction criminelle. Ce sont des données que nous aimerions obtenir, mais ce n'est pas toujours chose facile dans un pays où l'on retrouve 13 systèmes distincts.
Le processus de consultation que nous entreprenons vise notamment à cerner les priorités pour ce qui est de l'information dont on a besoin. Nous n'avons donc pas actuellement de telles données, mais nous voudrions bien que ce soit le cas. C'est un élément que j'ai d'ailleurs cité dans ma conclusion; nous apprécierions beaucoup pouvoir recueillir de l'information à ce sujet.
M. Piragoff : Les tribunaux spécialisés n'ont pas pour unique but d'accélérer le traitement d'une cause. Comme on vous l'a indiqué hier, ce sont bien souvent des individus vulnérables qui se retrouvent devant les tribunaux — des personnes ayant des problèmes de toxicomanie, de santé mentale ou d'autres problèmes sociaux, notamment en matière de logement.
Il arrive que le recours à un tribunal spécialisé ne vise pas nécessairement à accélérer le processus. Dans les faits, il faut même compter davantage de temps, car on essaie de régler le problème social qui affecte l'individu, plutôt que de simplement déterminer s'il est innocent ou coupable. C'est le cas notamment des tribunaux spécialisés en stupéfiants qui ne se contentent pas de simplement établir si l'intimé est coupable de trafic ou de possession. On se demande plutôt quels sont les moyens à prendre pour s'assurer de ne pas revoir l'individu. Il faut donc plus de temps. On ne veut pas juste déterminer si la personne est innocente ou coupable; on veut aussi traiter son problème social.
Certaines procédures devant les tribunaux spécialisés peuvent donc exiger plus de temps, mais elles sont tout de même plus efficientes pour le système de justice, car l'individu risque moins de récidiver et de se retrouver à nouveau devant un juge. Il s'agit donc de consentir un effort supplémentaire à court terme qui permet d'envisager d'éventuels bénéfices à long terme du fait que les récidives seront moins fréquentes.
La sénatrice Jaffer : Il m'arrive notamment d'entendre des gens, et surtout des avocats de la défense, se plaindre du fait que l'on met trop de temps à communiquer la preuve. Je sais que chaque cas est différent, mais je me demandais dans une perspective très générale si des efforts avaient été déployés à l'échelon fédéral pour réduire les délais, surtout dans les causes importantes liées aux stupéfiants, et voir à ce que la preuve soit communiquée plus rapidement.
M. Piragoff : La plupart des problèmes liés à la communication de la preuve sont d'ordre fonctionnel. Ils sont en fait attribuables aux protocoles et aux modalités qui régissent les rapports entre la police et les procureurs — la police doit transmettre les éléments de preuve aux procureurs qui eux-mêmes les communiquent à l'inculpé. C'est parfois l'incompatibilité des systèmes électroniques utilisés qui est en cause.
C'est un problème important, mais il n'est pas d'ordre législatif. En fait, l'obligation de communiquer la preuve a été décrétée par la Cour suprême du Canada en application de la Charte. Le Parlement a en quelque sorte les mains liées en la matière, car la Cour suprême a conclu que la preuve devait être communiquée en vertu de certains droits constitutionnels. Cela devient donc un problème d'ordre pratique pour les policiers et les procureurs dans l'accomplissement de leurs fonctions.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Je vous remercie pour vos présentations très intéressantes. J'ai quelques questions plus techniques par rapport aux statistiques.
Vous avez dit, d'entrée de jeu, que le nombre de causes réglées devant les tribunaux a diminué de 6 p. 100. Nous savons également que, pendant la même période, le nombre de dénonciations par les victimes a diminué de 10 p. 100. Donc, pendant la même période, les victimes ont dénoncé dans une moindre mesure lorsqu'elles étaient victimes d'un crime.
Peut-on établir un lien direct entre la diminution des dénonciations et la diminution des causes entendues en cour?
M. Clermont : Merci, sénateur Boisvenu. C'est une excellente question, soit dit en passant.
Effectivement, l'enquête sur la victimisation démontre qu'il y a eu une diminution du taux de rapports du point de vue de la criminalité, mais cela varie beaucoup selon les types de crimes. Il est clair que, dans certains cas, il y a des variations.
J'aimerais avoir l'occasion toutefois de pouvoir vous rapporter de façon plus documentée de l'information à ce sujet, parce qu'il pourrait effectivement y avoir un lien. Cependant, il faudrait recourir à d'autres ensembles de données, qui ont été diffusées au mois de novembre dernier en ce qui a trait à la victimisation, et à un autre rapport diffusé durant l'été 2015 qui portait justement sur les taux de rapports aux policiers concernant les différents types de crimes.
Le sénateur Boisvenu : Il y a un autre sujet qui m'interpelle beaucoup, c'est le nombre d'arrêts et de retraits de 32 p. 100. On sait que, par rapport aux crimes à caractère sexuel, c'est de 50 p. 100.
Dans le cadre d'une étude qui a été faite concernant les victimes d'agressions sexuelles, l'une des raisons pour lesquelles les victimes abandonnent leurs plaintes, c'est que les délais sont trop longs. Souvent, les victimes se retrouvent devant un procès ou à la fin d'un procès qui peut durer quatre ou cinq ans. Si le criminel est incarcéré, le temps comptera en double, ce qui fera en sorte que l'individu sera presque remis en liberté au moment de la fin du procès, et la victime devra revivre cette peur. C'est quelque chose qui m'inquiète beaucoup.
Ma question porte sur la notion de poursuite par voie sommaire, approche que prend de plus en plus le Québec en ce qui a trait aux infractions à caractère sexuel. Les poursuites par voie sommaire sont-elles calculées dans les statistiques qui ont été présentées ce matin?
M. Clermont : Encore une fois, j'aimerais pouvoir, dans un premier temps, apporter des précisions sur le plan des tendances en matière de délais, surtout en ce qui concerne les retraits, par type d'offense.
Le sénateur Boisvenu : C'est intéressant.
M. Clermont : On pourra apporter au comité des renseignements plus précis à ce sujet.
Quant à la question de savoir si la poursuite est faite par voie sommaire ou par acte criminel, malheureusement, les différents secteurs de compétence ne sont pas en mesure de nous rapporter cette information; elle n'est donc pas colligée.
Le sénateur Boisvenu : Au Québec, l'an dernier, 25 p. 100 des poursuites dans le cas d'agressions sexuelles ont été faites par voie sommaire. C'est donc 25 p. 100 des cas qui sont sortis des statistiques.
Je me demande donc si le portrait que vous nous présentez ce matin quant aux statistiques sur la criminalité est le portrait réel de ce que vivent les tribunaux. Vous nous dites qu'il y a une diminution des causes, mais qu'il y a une augmentation des délais. N'y a-t-il pas là une contradiction?
M. Clermont : Encore une fois, c'est une observation intéressante. On a mentionné qu'il y avait une diminution des causes; les délais sont relativement stables.
Le sénateur Boisvenu : Sauf au Québec.
M. Clermont : Sauf au Québec, pour certains types d'offenses. Quant aux poursuites par voie sommaire, elles sont incluses dans les statistiques, mais on ne peut les distinguer des poursuites par voie d'accusation au criminel. C'est pour cette raison que nous ne sommes pas en mesure de faire la distinction, compte tenu du manque de détail des renseignements statistiques que nous avons en main pour chacune des causes.
Cela fait justement partie des variables que nous tenons à cerner afin d'obtenir davantage de renseignements, à tout le moins pour les secteurs de compétence qui sont en mesure de rapporter ces renseignements lors du remaniement de l'enquête qui vient de débuter.
Je vous remercie pour cette observation.
[Traduction]
Le sénateur Joyal : Ma première question pourrait peut-être nous aider à mieux comprendre les conséquences des délais dans le processus judiciaire. Avez-vous des données sur le nombre de poursuites qui ont été abandonnées après qu'un tribunal a statué, en s'appuyant sur la Charte, que les délais étaient déraisonnables?
M. Clermont : Nous n'avons malheureusement pas de données détaillées à ce sujet.
Le sénateur Joyal : Vous n'avez pas de chiffres. Nous ne pouvons donc pas savoir combien d'accusations criminelles...
M. Clermont : Non.
Le sénateur Joyal : Ce que nous savons toutefois, c'est qu'au Québec, et je suis persuadé que mes collègues sont au courant, les accusations ont dû être abandonnées dans le procès SharQc à la suite d'une décision de la Cour suprême. Il y avait quelque chose comme 120 inculpés dans cette affaire dont l'ampleur n'a pas manqué d'avoir un impact sur l'opinion publique. Les gens ont bien vu que cela cachait un problème grave.
Vous ne disposez donc pas de renseignements supplémentaires qui pourraient nous aider à comprendre ce phénomène?
M. Clermont : Nous pourrions recenser le nombre de causes où les accusations sont abandonnées et la proportion de ces causes qui sont de longue durée, par exemple plus de deux ans. Il serait ainsi possible d'établir des comparaisons avec d'autres types d'affaires qui sont traitées plus rapidement. Cela nous fournirait une indication, mais nous ne pourrions pas déterminer avec précision si ces causes ont été abandonnées en raison de l'ajout de procédures trop longues. Nous ne pourrions pas affirmer que c'est effectivement attribuable à ce phénomène, mais ce serait tout de même une indication sur la prévalence de pareils cas.
Le sénateur Joyal : Ces précisions pourraient nous être utiles, monsieur le président.
Le président : Tout à fait.
Le sénateur Joyal : Par ailleurs, je ne peux pas m'empêcher d'exprimer toute mon admiration pour l'Ontario, monsieur le président, quand je vois le graphique de la page 5. J'ai comparé les résultats des provinces les plus importantes, cela dit en tout respect pour les autres provinces canadiennes. Il y a une telle disparité entre les chiffres du Québec et ceux des deux autres grandes provinces, la Colombie-Britannique et l'Ontario qui vient au premier plan pour ce qui est de la population et des accusations criminelles, que l'on est obligé de constater qu'il y a véritablement un problème.
[Français]
Ça ne tourne pas rond.
[Traduction]
J'ajouterais bien sûr le Manitoba, mais peut-être que le sénateur Plett voudra nous en parler davantage.
Par quel phénomène peut-on expliquer le fait que les délais dans les procédures judiciaires sont presque deux fois plus longs au Québec qu'en Ontario? Est-ce à cause du mégaprocès qui a duré plusieurs années et mis en cause tous ces inculpés? Est-ce ce qui explique les résultats du Québec? Quels sont les autres éléments qui peuvent nous aider à comprendre cet écart si étonnant?
M. Clermont : Je répète que nous vous avons fourni un portrait national de la situation assorti de quelques indicateurs fondamentaux sur les différences que nous avons pu observer entre les provinces et les territoires. Il est vrai que les délais de traitement sont plus longs au Québec. J'ajouterais que cette situation s'est maintenue pendant toute la période visée par notre enquête. Qui plus est, les délais se sont accentués au Québec, ce qui a eu pour effet de creuser encore davantage le fossé avec les autres provinces.
Quant à savoir quelles sont les causes exactes de cet accroissement des délais, les facteurs possibles sont nombreux. Il faudrait sans doute procéder à une analyse approfondie des causes sous-jacentes. Nous sommes arrivés à ce résultat sans pouvoir nous appuyer sur une très grande quantité de données. Comme nous l'avons indiqué dans notre conclusion, nous n'avons aucun renseignement sur la nature des plaidoyers, des tribunaux et des causes entendues. Nous ne pouvons même pas dire si les accusations sont portées par procédure sommaire ou par voie pénale. Il nous manque beaucoup de détails.
Nous n'avons pas non plus de données sur les ressources à la disposition des tribunaux des différentes provinces. Je serais porté à croire que ce facteur influe en grande partie sur les résultats obtenus dans une province ou un territoire donné. Le journal La Presse a d'ailleurs débuté une série d'articles à ce sujet dans son édition de samedi dernier.
Le sénateur Joyal : Oui. Je l'ai signalé à notre président. Je suis persuadé que mes collègues sont également au courant.
Monsieur Piragoff, lors de vos rencontres fédérales-provinciales, dans quelle mesure les représentants des provinces font-ils valoir que c'est une question à régler en priorité? Quelles attentes expriment-ils à l'endroit du gouvernement fédéral dans ce dossier?
M. Piragoff : D'importants efforts ont été déployés de concert avec les provinces afin de mieux saisir la teneur des facteurs influant sur l'efficience. J'inviterais d'ailleurs ma collègue, Mme Bernier, qui copréside un groupe de travail sur la procédure pénale, à informer le comité de quelques-unes des mesures prises à cette fin par les fonctionnaires et les ministres fédéraux, provinciaux et territoriaux.
[Français]
Anny Bernier, avocate, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice Canada : Je vous remercie de vos questions. En fait, plusieurs questions ont été soumises au Comité de coordination des hauts fonctionnaires et, en ce qui concerne la procédure pénale, dans le groupe au sein duquel je travaille, plusieurs ont soulevé des préoccupations en ce qui concerne les délais. Naturellement, nous travaillons sur plusieurs aspects du système pénal, comme nous l'a demandé le premier ministre, en ce qui a trait au système de mise en liberté provisoire. Toutes ces choses, vous les avez entendues hier dans le cadre du témoignage du juge LeSage et de la professeure Mathen.
Le sénateur Dagenais : On parle beaucoup des délais déraisonnables. En tant qu'ancien policier, je peux vous dire qu'il y a des avocats de la défense qui se sont très bien servis des délais déraisonnables dans des causes de conduite avec facultés affaiblies. Je ne nommerai pas le cabinet d'avocats, mais, souvent, les clients se tournaient vers lui en se disant qu'il serait facile d'invoquer des remises pour telle ou telle raison, de sorte qu'au bout de deux ou trois ans, les accusations tombaient à cause des délais déraisonnables. Prenons le fameux procès SharQc au Québec, où les motards s'en sont bien tirés, et dont plusieurs ont retrouvé la liberté à cause de délais déraisonnables. Est-ce que cela sert la justice? On l'a vu récemment dans le cadre du procès SharQc.
Ceci étant dit, monsieur Piragoff, la solution pour contrer les délais déraisonnables doit-elle venir davantage des provinces ou du gouvernement fédéral? Y a-t-il des pratiques de compétence provinciale que nous devrions essayer de changer pour éviter ces délais extrêmement longs, mais qui, à l'occasion — et je ne veux pas accuser les avocats de la défense, mais certains s'en servent à bon escient —, permettent de sauver la peau des accusés?
Mme Bernier : Si vous me le permettez, je vais répondre simplement en disant que la collaboration entre le gouvernement fédéral et les intervenants provinciaux et territoriaux est essentielle. Oui, il y a un partage des compétences, autant au palier fédéral que provincial. On vous l'a bien expliqué hier.
Le Code criminel est un tout, un ensemble grâce auquel on essaie de faire des changements qui pourront améliorer les choses. Mes collègues de Statistique Canada vous l'ont précisé, les pratiques sont différentes selon les provinces, et le Code criminel s'applique à l'ensemble du pays. Alors, chaque changement doit être pris en compte, doit faire l'objet de consultations avec les différents intervenants, le milieu judiciaire, les forces de l'ordre, les représentants de la défense, et cetera. Je crois que le travail que nous réalisons à l'heure actuelle de concert avec les différents comités et les différentes tribunes auxquels nous participons nous permet de faire avancer le dossier. Oui, nous sommes bien conscients de tous ces délais et, malheureusement, ils entraînent des répercussions pour les gens. Comme vous le disiez tout à l'heure, il arrive que des procès soient avortés, et cetera.
[Traduction]
Le sénateur White : Merci à tous de votre présence aujourd'hui.
Monsieur Clermont, vos statistiques sont très utiles, mais je me demandais si vous aviez tenté de faire une ventilation entre les milieux urbain et rural. Je pense notamment au nombre de jours requis au Nunavut où j'ai travaillé avec la GRC. Le tribunal ne siégeait que tous les six mois. Il est facile en pareil cas de voir s'écouler 365 jours avant une deuxième comparution. Avez-vous essayé de faire une telle ventilation des données? Cela pourrait notamment nous aider à comprendre la situation dans le Nord du Manitoba et le Nord du Québec où il faut parfois attendre jusqu'à un an et demi pour obtenir une deuxième comparution, quand ce n'est pas la première dans certains cas.
Par ailleurs, avez-vous fait des recherches sur le nombre de comparutions par rapport à la quantité de jours qui s'écoulent? Avez-vous des données précises sur le nombre de comparutions nécessaires pour obtenir la décision d'un tribunal par rapport au délai de 175 jours?
M. Clermont : Merci, sénateur White, de cette première question.
Nous n'avons pas de données comparatives entre le milieu urbain et le milieu rural, car nous n'avons pas fait d'études sur ce sujet précis, surtout parce que si nous analysons la question en traitant uniquement des tribunaux, on voit que parfois, les causes sont entendues loin de l'endroit où le crime a été commis. Ce genre d'études nécessiterait l'appariement des données des tribunaux et celles des services policiers. Techniquement, ce n'est pas impossible, mais ce serait difficile. Pour aller dans cette direction, nos bases de données devraient comporter des éléments d'identification personnelle, ce qui n'est pas le cas actuellement. Nous espérons toutefois que cette possibilité nous sera offerte en janvier 2017. Cela permettrait d'obtenir de tels résultats.
En ce qui concerne le Nunavut, nous avons des renseignements pour les territoires. Le Nunavut compte environ 25 collectivités, la plus importante étant Iqaluit, qui n'est pas nécessairement considérée comme une zone urbaine au sens statistique du terme, mais c'est une collectivité importante. Nous ne pourrions pas établir une distinction entre la situation à Iqaluit et celle des autres régions.
Quant au nombre de comparutions et à la mesure des délais, il faudrait que je vérifie si nous pouvons faire quelque chose à ce sujet et que je vous tienne informés. Les permutations de variables que nous pouvons faire pour créer des indicateurs sont plutôt intéressantes. Il serait possible d'en tirer les renseignements que vous avez demandés, mais j'aimerais consulter mon personnel.
[Français]
Josée Savoie, chef, Programme des tribunaux, Centre canadien de la statistique juridique, Statistique Canada : Nous savons que plus le nombre de comparutions est élevé, plus les délais de traitement sont longs. Il est possible de fournir cette réponse dans un délai très bref. Je ne dispose pas des données aujourd'hui, mais nous avons examiné ces données au cours des derniers jours, et nous savons que, lorsqu'il y avait six comparutions et plus au cours de la période étudiée — de 2005-2006 à 2013-2014 —, cela prenait toujours plus de huit mois. Alors, dès qu'il y a six comparutions, on passe la barre d'une durée de huit mois pour obtenir une décision.
[Traduction]
Le sénateur White : En 2010 et 2011, l'Ontario, le Manitoba et l'Alberta nous ont fourni des données portant sur le nombre de comparutions et sur l'existence d'un lien entre les équipes judiciaires et les collectivités d'où les cas sont issus. Ont-elles eu à se rendre dans ces collectivités? Cela aurait permis de déterminer qu'une personne qui est arrêtée un lundi ne comparaît pas en cour le mardi, mais plutôt 30 jours plus tard, lorsque le tribunal siège de nouveau dans la collectivité.
Bien qu'il s'agisse d'excellentes statistiques, il nous serait utile d'aller plus en profondeur.
La sénatrice Batters : Lorsque j'étais chef de cabinet du ministre de la Justice de la Saskatchewan, c'était un enjeu majeur chaque année. Je souligne la différence que l'on observe, dans ce graphique, entre le Manitoba et la Saskatchewan : les délais sont deux fois moins longs en Saskatchewan qu'au Manitoba. Je sais que les fonctionnaires et les dirigeants politiques de la Saskatchewan ont dû travailler avec acharnement et faire preuve d'innovation pour y arriver. Le volet nordique est aussi important en Saskatchewan, et les délais sont plus longs parce que les tribunaux ne peuvent siéger aussi souvent. Nous avons les mêmes problèmes, mais nous arrivons tout de même à les régler.
À cet égard, les cas de conduite avec facultés affaiblies me semblent être d'une importance primordiale. Il s'agit d'un des principaux facteurs de l'engorgement de nos tribunaux. On voit le nombre considérable d'accusations — plus de 39 000 pour la dernière année pour laquelle nous avons des statistiques — et le nombre élevé de jours, soit 141 jours en moyenne. Le nombre médian en jours est peut-être plus élevé pour certaines aux catégories, mais le nombre d'accusations est considérablement moindre.
Avant la fin de la dernière session, le ministre Peter MacKay a présenté le projet de loi C-73, une mesure législative importante concernant la conduite avec facultés affaiblies. Il a malheureusement manqué de temps avant la tenue des élections. Dans une entrevue publiée dans le magazine Canadian Lawyer, il a indiqué, en parlant de la mesure législative, qu'il aurait aimé avoir plus de temps.
Le projet de loi comportait des mesures visant à régler le problème des retards judiciaires et à restreindre les recours techniques utilisés par les avocats de la défense dans les cas d'accusations pour conduite avec facultés affaiblies afin de faire traîner les procès en longueur. Je constate que la question de la conduite avec facultés affaiblies ne figure pas dans le mandat de la nouvelle ministre de la Justice. A-t-on prévu de présenter une mesure législative quelconque pour nous aider à cet égard à l'échelle fédérale?
M. Piragoff : Je suis heureux que vous souleviez la question de la conduite avec facultés affaiblies, parce que cela pourrait répondre à une partie de la question du sénateur Joyal sur les délais au Québec.
L'aperçu présenté à la diapositive 5 ne porte que sur une ou deux années. Vous vous souviendrez peut-être que le Parlement a adopté, il y a quelques années, une mesure législative sur la conduite avec facultés affaiblies en réponse aux décisions de la Cour suprême sur les moyens de défense techniques.
Cette mesure législative a entraîné davantage de litiges — en particulier au Québec — visant à contester la nouvelle loi adoptée par le Parlement il y a quelques années. Au Québec, un certain nombre de dossiers de conduite avec facultés affaiblies ont été mis en attente jusqu'à ce que des causes importantes soient entendues. Une partie des délais qu'on observe pour 2013-2014 pourrait être attribuable à la situation qui régnait au Québec à l'époque par rapport aux dossiers de conduite avec facultés affaiblies. Je n'en suis pas certain, parce que pour savoir ce qui s'est passé pendant une certaine période, il faudrait mener une étude longitudinale plutôt que d'utiliser les données d'une seule année. Ce n'est qu'une hypothèse, mais c'était un problème important au Québec.
Le gouvernement précédent avait déposé un projet de loi en juin, avant le déclenchement des élections. La question n'est pas abordée dans la lettre de mandat de la ministre, mais il faut néanmoins savoir que la lettre a pour objet d'examiner les 10 dernières années et de procéder à un examen systémique du système de justice pour savoir comment en améliorer l'efficacité. Cela engloberait les infractions importantes comme la conduite avec facultés affaiblies, qui a manifestement une incidence marquée sur le système de justice pénale. En fait, afin de réduire les retards des tribunaux, la Colombie-Britannique a recours à une loi administrative provinciale plutôt qu'au Code criminel pour les affaires de conduite avec facultés affaiblies. La question est toujours d'actualité.
La sénatrice Batters : Elle est toujours d'actualité, mais étant donné qu'on n'en fait pas spécifiquement mention dans la lettre de mandat présentée par le premier ministre Trudeau, on peut se demander quel rang elle occupe sur la liste des priorités. Je tenais à en discuter lorsqu'il s'agit d'un élément important de l'équation.
Le président : J'ai deux ou trois questions.
Monsieur Clermont, au début de votre exposé, vous avez mentionné qu'il n'était pas possible d'extraire les données de certaines provinces. Ce n'est pas très clair. Quelle incidence cela a-t-il sur les informations que vous nous donnez?
M. Clermont : C'est difficile à évaluer, mais on peut dire que ce serait minime. Les informations que nous avons sur les cours supérieures représentent moins de 1 p. 100, sauf pour la Colombie-Britannique, où environ 2,8 p. 100 des cas sont entendus dans les cours pénales.
Si nous considérons que la situation est la même dans les provinces pour lesquelles nous n'avons pas de données, nous pouvons facilement conclure que l'incidence sur les statistiques globales serait plus faible. Même si les délais des affaires instruites devant une cour supérieure étaient beaucoup plus longs, cela n'aurait qu'un effet limité sur le délai médian global pour le traitement des dossiers.
Le président : Y a-t-il une réticence à communiquer ces renseignements?
M. Clermont : Ce n'est pas de la réticence. Je pense que c'est une question de capacités techniques; les systèmes actuels ne permettent pas d'obtenir cette information facilement.
Le président : J'ai une question pour M. Zaluski. M. Piragoff a parlé du nombre de juges des cours supérieures et a passé en revue les critères servant à déterminer les besoins, le cas échéant, dans une province donnée. Quelqu'un a posé une question qui n'était pas liée à cet enjeu précis, mais qui portait plutôt sur les juges surnuméraires. À cet égard, on observe depuis 2006 une augmentation de 4 p. 100, ce qui signifie que les juges surnuméraires représentent 24 p. 100 de l'effectif des cours supérieures. On peut supposer sans risque de se tromper que leur charge de travail est moindre.
Cette augmentation suscite-t-elle des préoccupations? Que devons-nous faire à cet égard? Quelle incidence cela pourrait-il avoir, le cas échéant, sur les problèmes de délais dans les tribunaux?
Stephen Zaluski, avocat général et directeur, Service des affaires judiciaires, des cours et des tribunaux administratifs, ministère de la Justice Canada : C'est une bonne question. Je pense pouvoir y répondre en expliquant le fonctionnement du mécanisme des juges surnuméraires.
Lorsqu'un juge choisit le statut de surnuméraire, son poste devient vacant; le gouvernement fédéral est alors libre de doter ce poste. Lorsque l'effectif des juges surnuméraires est important, cela ne veut pas dire que ces juges surnuméraires occupent des postes; ils se trouvent en fait à laisser des postes vacants, ce qui permet de nommer des juges supplémentaires.
En réalité, les administrations qui ont un effectif de juges surnuméraires importants sont confrontées à d'autres pressions, notamment parce qu'elles doivent fournir des espaces à bureaux et du soutien administratif. Cela n'entraîne pas toutefois une réduction du nombre de juges à temps plein. Donc, au sein d'une administration, les juges sont à temps plein et les juges surnuméraires font office de ressource complémentaire.
Le président : Supposons qu'un juge surnuméraire est chargé d'un dossier et qu'il quitte ses fonctions pendant trois mois pour aller en Floride, par exemple. On m'a parlé de ce genre de situation; de tels cas peuvent certainement avoir une incidence sur le temps de traitement des dossiers.
M. Zaluski : Évidemment. Cela complique la tâche des juges en chef pour ce qui est de l'affectation des cas aux juges, car ils doivent tenir compte de la disponibilité des juges dans l'affectation des dossiers. Comme je l'ai indiqué, cela exerce une pression sur le système, mais je ne pourrais dire quelle serait l'incidence de l'affectation d'un cas à un juge surnuméraire sur les retards liés à ce dossier.
Le président : Il conviendrait peut-être d'étudier la question. Je me demande si cette augmentation suscite des préoccupations. On observe une augmentation de 4 p. 100 depuis 2006. Je serais porté à croire qu'il s'agit pour les juges d'une option fort intéressante. Vous devriez peut-être examiner la question.
J'ai le temps de vous poser une brève question, monsieur Piragoff. Elle porte sur l'enjeu soulevé par la sénatrice Jaffer par rapport aux tribunaux spécialisés. Nous avons parlé des tribunaux de traitement de la toxicomanie. Vous avez parlé d'un effort supplémentaire à court terme qui permet d'envisager d'éventuels bénéfices à long terme, mais j'ai été frappé par l'emploi du terme « éventuel ». En évalue-t-on l'effet d'une façon quelconque pour savoir si cela permet d'obtenir les résultats positifs que vous souhaitez?
M. Piragoff : Sénateur, permettez-moi d'inviter ma collègue, Mme Elizabeth Hendy, à se joindre à nous. Elle est directrice générale de la Direction générale des programmes du ministère de la Justice. Nous avons récemment procédé à l'évaluation des tribunaux de traitement de la toxicomanie. Je pense qu'elle sera en mesure de vous en parler et de vous présenter certaines des conclusions de cette évaluation.
Elizabeth Hendy, directrice générale, Direction générale des programmes, ministère de la Justice Canada : Les tribunaux de traitement de la toxicomanie doivent composer avec des gens vulnérables. Par conséquent, il est vrai que ces gens se retrouvent souvent plus longtemps dans le système judiciaire que s'ils avaient simplement plaidé coupables. Cela dit, ils auraient probablement eu affaire à la justice plusieurs fois.
Nous avons mené une étude exhaustive sur la récidive. Je pourrai vous la fournir plus tard; je ne citerai donc pas des chiffres précis. Toutefois, ceux qui suivent un programme judiciaire de traitement de la toxicomanie présentent un risque de récidive de 20 à 30 p. 100 inférieur à celui de ceux qui n'y ont pas participé ou qui n'ont pas terminé le programme. Ces programmes aident donc à lutter contre les causes sous-jacentes qui ont mené à la criminalité.
Nous ferons parvenir ces études à la greffière à une date ultérieure.
Le président : Merci beaucoup; je vous en suis reconnaissant.
Le sénateur Baker : M. Piragoff a répondu à une partie de ma question, qui compte trois volets. Je pense qu'il a répondu à la partie la plus facile, qui portait sur les différences entre les procès civils et les procès pénaux. Cependant, il n'a pas traité de notre préoccupation principale concernant l'allègement de l'horaire des juges. La nomination d'un juge responsable de la gestion de l'instance relève du juge en chef. C'est ainsi qu'on le formule dans le Code criminel. Donc, cela relève du juge en chef. Ce qu'il faut savoir, c'est qu'il en est ainsi partout au Canada et que cela fonctionne très bien.
Les questions soulevées par les membres du comité portent, à mon avis, sur des enjeux mineurs liés à des cas de divulgation ou de descellement d'un mandat, par exemple. En vertu du Code criminel, il faut présenter une requête devant un juge de la Cour supérieure pour desceller une dénonciation en vue d'obtenir un mandat, qui est une déclaration sous serment.
Voilà pourquoi j'ai mentionné la Cour fédérale. Ces questions devraient relever des protonotaires et non des juges, qui perdent du temps. Voilà pourquoi nous aimerions avoir une réponse écrite quant à savoir si nous pouvons prendre le principe inscrit dans les Règles des Cours fédérales — voilà les Règles des Cours fédérales, regardez — en vertu de la Loi sur les Cours fédérales et la supplanter par l'idée selon laquelle cela pourrait relever d'un protonotaire, de quelqu'un qui a une bonne connaissance du droit et qui participe aux audiences préliminaires sur les questions de communication de la preuve et sur les motions comme le descellement d'un mandat. Cela accapare une bonne partie du temps des tribunaux, ce qui nous préoccupe.
Je sais que vous ne voudrez probablement pas faire de commentaire à ce sujet — vous ne l'avez pas fait auparavant et vous ne devriez peut-être pas le faire —, mais vous pourriez nous donner une réponse par écrit pour nous dire si c'est exact. Si nous prenons l'article 12 de la Loi sur les Cours fédérales pour l'intégrer à l'article 511 du Code criminel, serait-ce suffisant, ou proposeriez-vous de l'intégrer ailleurs?
M. Piragoff : Sénateur, le législateur peut créer de nouveaux postes de fonctionnaires judiciaires d'un niveau inférieur à celui de juge de la Cour supérieure. On le voit souvent dans les cours civiles pour les questions liées aux motions. Beaucoup de motions sont traitées de cette façon dans le système de justice civile. C'est une possibilité, mais la création d'une nouvelle catégorie de fonctionnaires judiciaires aurait d'importants effets sur les ressources du gouvernement fédéral et des gouvernements provinciaux.
Le sénateur Baker : Merci.
Le sénateur McIntyre : J'ai deux brèves questions pour le ministère de la Justice.
Plus tôt, le sénateur Baker a parlé de la question des dispositions sur les juges responsables de la gestion de l'instance. Comme nous le savons, les dispositions visant le juge responsable de la gestion de l'instance ont été ajoutées au Code criminel récemment afin de réduire les retards judiciaires.
A-t-on proposé d'autres modifications au Code criminel ou à d'autres mesures législatives fédérales pour réduire les retards? Je pense que la réponse est non.
M. Piragoff : La mesure législative de 2011 traitait spécifiquement de la question des retards dans le mégaprocessus. Cependant, plusieurs petites modifications peuvent être apportées. Il a été proposé hier soir de modifier la classification de certaines infractions, qui seraient considérées comme des infractions hybrides plutôt que des infractions punissables par mise en accusation, ce qui permettrait au ministère public de procéder par procédure sommaire au lieu de procéder au moyen d'une enquête préliminaire.
Il est certes possible d'adopter de petites modifications, mais habituellement ce genre de choses nécessite des discussions avec les provinces. Elles sont habituellement présentées dans un projet de loi omnibus, car de telles mesures ont comme seul point commun d'être des modifications ponctuelles. Les projets de loi de ce genre se présentent tous les cinq ans, sous forme de projet de loi omnibus traitant de diverses procédures pénales.
Nous examinons actuellement une série de petites modifications que nous pourrions apporter et qui auraient une incidence sur l'efficience et l'efficacité. Il s'agit encore une fois de mesures que la ministre de la Justice examinera pendant son mandat, qui est d'examiner le système de justice pénale et d'en améliorer l'efficience, l'efficacité et l'équité en fonction des valeurs canadiennes et des valeurs consacrées par la Charte.
Le sénateur McIntyre : Dans l'arrêt Askov, la Cour suprême du Canada a établi certaines lignes directrices pour déterminer ce qui constitue un délai trop long avant le début du procès. Vous avez peut-être répondu à cette question au cours des procédures, mais à partir de quel point le ministère de la Justice considère-t-il qu'un délai est, en fait, trop long?
M. Piragoff : Ce n'est pas le ministère de la Justice qui en décide, mais un juge qui examine les circonstances entourant l'affaire.
Il n'existe pas de règle coulée dans le béton, mais il y a quelques lignes directrices. Tout dépend en fait des raisons du délai et de l'identité de celui qui a réclamé les ajournements : était-ce l'accusé ou la Couronne? Si c'est l'accusé qui a demandé un délai — et ce peut être pour des motifs légitimes, comme la nécessité d'obtenir un rapport de psychiatre ou une autre preuve scientifique —, alors l'horloge s'arrête. Cela n'est pas considéré comme un délai, parce que la demande vient de l'accusé. Ce dernier ne peut réclamer le délai, pour ensuite se plaindre qu'il faut trop de temps avant que son procès ait lieu et vouloir déposer une motion en vertu de l'arrêt Askov. Il faut donc étudier les circonstances de chaque affaire.
Le sénateur Joyal : Je vais donner suite à la question que notre président a très diplomatiquement posée. Je l'en félicite; sa prochaine carrière sera peut-être en diplomatie.
Monsieur Zaluski, avez-vous des statistiques sur la longueur moyenne du mandat d'un juge de la Cour supérieure et de la Cour d'appel au Canada? Combien d'entre eux partent à la retraite à 65 ans?
M. Zaluski : Je n'ai pas ces statistiques avec moi, mais je pense que je devrais pouvoir fournir l'information au comité.
Le sénateur Joyal : Vous comprenez ce que j'ai en tête. Pour dire les choses autrement, quel est le mandat moyen d'un juge et combien décident de partir à la retraite à 65 ans ou de devenir surnuméraires?
M. Zaluski : Je pense que nous pourrions vous fournir le nombre de juges qui choisissent de devenir surnuméraires une fois admissibles ou ultérieurement, avant de prendre une retraite complète. Nous serions en mesure de vous fournir ces renseignements.
[Français]
Le sénateur Joyal : Monsieur Clermont, disposez-vous de statistiques concernant les retards que l'on peut observer à la Cour du Québec pour toutes les causes pénales qu'elle entend? Selon les renseignements qui figurent dans l'article de Mme Touzin, auquel vous faites référence, il semblerait que les retards à la Cour du Québec soient comparables, sinon aussi importants, que ceux observés pour la Cour supérieure.
M. Clermont : Il faut distinguer la notion de délai et le temps de traitement d'une cause. Nous ne disposons pas des renseignements liés aux retards ou au moment où la cause est entendue devant le tribunal de justice.
Le sénateur Joyal : Vous ne les avez pas.
M. Clermont : Nous ne pouvons donc pas déterminer avec exactitude, ou même par approximation, le temps qu'il faut pour qu'une cause s'amorce devant les tribunaux. Tout ce que nous sommes en mesure de traiter en ce moment, avec les systèmes actuels, ce sont les délais requis pour régler les causes, car en ce moment, nous ne pouvons qu'extraire des données pour les causes qui sont réglées.
Le sénateur Joyal : Disposez-vous de ces statistiques?
M. Clermont : Celles-là, oui.
Le sénateur Joyal : Pourriez-vous les fournir au comité, s'il vous plaît?
M. Clermont : Absolument.
Mme Savoie : Nous disposons des données pour l'ensemble des cours provinciales du Québec. Elles sont transmises par le ministère de la Justice. Nous ne disposons pas des données des cours supérieures du Québec. C'est l'un des problèmes de l'administration de l'enquête au Québec. Nous travaillons, à l'heure actuelle, à développer les systèmes d'extraction des renseignements pour les cours supérieures, mais il s'agit d'un projet de longue haleine. Les données qui ont été présentées dans les journaux le week-end dernier ne proviennent pas de Statistique Canada. Ce ne sont pas des données qui nous sont transmises pour l'instant. Cette distinction quant aux actes criminels commis au Québec ou traités devant les cours supérieures n'est pas disponible. Nous ne pouvons que vous transmettre les données extraites à l'échelle provinciale. En outre, nous ne pouvons pas transmettre les données qui sont liées aux causes entendues à l'échelle municipale au Québec. Il y a donc une certaine distorsion quant aux données du Québec, puisque nous ne disposons pas des données relatives aux causes entendues devant les cours supérieures.
Le sénateur Joyal : Très bien.
Le sénateur Boisvenu : Mes questions font suite à celles de mon collègue, le sénateur Joyal. Ce que nous observons au Québec est vraiment préoccupant. Je vais tenter de trouver des pistes ou des causes, et vous me direz si j'ai tort.
Le Québec est champion en matière de causes de non-responsabilité criminelle : 45 p. 100 de tous les cas canadiens se trouvent au Québec. Nous savons également que ce sont des procès qui sont souvent très longs et très complexes. Au Québec, les agressions sexuelles contre les enfants représentent 50 p. 100 des cas de tout le Canada. Encore là, il s'agit souvent de causes très complexes; on pense, entre autres, aux prêtres agresseurs. Lorsqu'on examine les statistiques au sujet des procès les plus longs, par rapport aux délais, ce sont effectivement les causes d'agressions sexuelles qui se trouvent en tête de liste. Puisque le Québec figure à titre de champion dans ces deux catégories, ne serait-ce pas une explication logique que de dire qu'il est peut-être normal que le Québec soit aussi en retard? De plus, nous savons qu'il manque au Québec des procureurs de la Couronne dans une proportion d'environ 60 p. 100. Si on établit une comparaison avec l'Ontario, la charge d'un procureur en Ontario est d'environ 100 cas par année, alors qu'au Québec, il s'agit de 200 cas par procureur. Il me semble qu'il y a là des raisons qui devraient permettre au Québec d'agir à cet égard pour réduire les retards.
Mme Savoie : Les décisions de non-responsabilité criminelle rendues, pour l'ensemble du Canada, représentent à peine 1 p. 100; l'influence de ces causes sur les temps médians est donc minime.
Le sénateur Boisvenu : Cependant, si la majorité des cas se trouvent au Québec, cela peut avoir une influence au Québec. Si, comme vous le dites, la proportion de 1 p. 100 n'est pas répartie partout dans les provinces, mais est plutôt concentrée au Québec, cela peut avoir un impact plus grand au Québec qu'ailleurs. Je ne suis pas statisticien, bien sûr.
Mme Savoie : Cela pourrait avoir un impact, mais très léger. Ce n'est pas là que l'on pourrait observer les plus grandes variations. Nous pouvons vous fournir les renseignements pour la période observée, si vous le voulez.
En ce qui concerne les infractions d'ordre sexuel, nous pouvons également en faire des analyses plus poussées lorsqu'elles impliquent des enfants, et cetera. C'est possible de le faire.
Le sénateur Boisvenu : Ce serait intéressant, je pense. Merci.
[Traduction]
La sénatrice Jaffer : J'ai une question pour Mme Bernier.
Je sais qu'on a considérablement simplifié le processus dans les causes civiles. Les avocats sont censés établir le temps que prendra chaque étape, et ils se présentent devant un juge responsable de la gestion de l'instance — qui n'est pas le même que celui qui entendra l'affaire, quoique parfois, ce soit le même — pour s'assurer que l'affaire est simplifiée.
Prend-on des mesures pour mieux gérer les affaires criminelles, particulièrement dans les gros dossiers qui exigent beaucoup de temps des tribunaux? Comment le gouvernement fédéral tente-t-il de réduire les délais judiciaires directement en mettant en œuvre des procédures qui seraient plus proactives qu'elles ne le sont actuellement?
[Français]
Mme Bernier : Il y a effectivement une grande différence entre les dossiers civils et les dossiers criminels. D'après mon expérience à titre de procureur de la Couronne à l'échelle fédérale, on se rend très bien compte qu'au civil, il s'agit de différentes procédures quant aux délais impartis, alors qu'au criminel, il y a la divulgation de la preuve qui doit prendre un certain temps, où nous nous assurons que le dossier est complet. Alors, oui, on note une différence. Nous tentons, au ministère de la Justice, avec les différents forums, d'envisager des améliorations, de meilleures règles de pratique, une meilleure gestion des cas et des dossiers. Je pense, entre autres, au comité directeur auquel M. Piragoff a fait allusion tout à l'heure et qui a produit des rapports qui énoncent des recommandations allant dans ce sens, à savoir comment améliorer le traitement des retards. C'est un rapport produit en 2006 qui a d'ailleurs été transmis à la greffière et qui pourrait certainement vous être très utile en raison de ses recommandations; il nous est également très utile.
[Traduction]
La sénatrice Batters : Monsieur Clermont, je me demande comment nous pouvons obtenir les renseignements que le sénateur Joyal a demandés plus tôt au sujet du nombre de causes qui sont rejetées en raison des délais. Pourrions-nous le demander aux provinces? Je suis certaine qu'elles gardent ce genre de renseignements. Je demande cela en sachant, bien entendu, que cela ne nous permettra de connaître que le nombre de causes où le tribunal a officiellement rejetés les accusations, et pas celui des affaires dans le cadre desquelles la Couronne a admis que la cause allait être rejetée et a choisi de suspendre les accusations avant que la cour ne rejette la cause.
M. Clermont : J'aimerais, si vous me le permettez, peut-être vérifier auprès des provinces pour voir si elles ont les renseignements, mais l'information ne viendrait pas de Statistique Canada. Il s'agirait de renseignements des provinces.
La sénatrice Batters : Il nous serait très utile de les voir.
M. Clermont : Je sais que nous discutons régulièrement avec les représentants des provinces concernant tout cela, et je pense que nous pouvons soulever ces questions dans le cadre du processus de consultation pour voir l'importance que pourraient avoir ces renseignements pour les provinces également et pour nous assurer de tenir compte du besoin qu'il y a d'avoir de tels renseignements dans le cadre du remaniement de l'enquête. Nous pouvons réaliser un bref tour d'horizon pour voir ce qu'il y a.
La sénatrice Batters : Vous pouvez également leur demander de préciser, si possible, les types d'accusations. Si l'accusation rejetée concerne une personne ayant pris le volant avec un taux d'alcoolémie de 0,08, c'est de toute évidence préoccupant, mais pas autant que s'il s'agissait d'une accusation de meurtre. J'ignore si on peut obtenir cette information, mais j'aimerais voir ce qu'il en est, comme je sais que d'autres membres du comité le voudraient également.
Monsieur Piragoff, en ce qui concerne le groupe de travail fédéral-provincial-territorial sur les délais judiciaires, quelles sont les principales conclusions auxquelles il est parvenu sur les mesures que le ministère de la Justice peut prendre pour réduire ces délais? Et quelles sont vos deux principales priorités à mettre en œuvre pour aider le processus du point de vue du ministère de la Justice?
[Français]
Mme Bernier : Je vous remercie de votre question. Si vous me le permettez, j'y répondrai.
En fait, nous collaborons avec les groupes fédéral, provincial et territorial, particulièrement au sein du groupe de la procédure criminelle — comme je le disais tantôt — pour voir comment nous pouvons répondre au mandat que nous a confié le premier ministre, à savoir la modernisation du système de justice pénale afin de le rendre plus efficient, notamment en ce qui concerne le régime de remise en liberté provisoire et les comparutions à distance. Il faut encourager l'utilisation des nouveaux moyens technologiques qui sont à notre disposition. Ce sont des exemples de dossiers sur lesquels nous travaillons en ce moment et qui devraient avoir un impact assez concluant du point de vue des délais.
[Traduction]
La sénatrice Batters : Vos deux principales priorités seraient-elles le régime de remise en liberté provisoire et d'autres types de comparution, comme les vidéoconférences? Considéreriez-vous qu'il s'agit là des deux principales choses que le ministère de la Justice pourrait faire?
[Français]
Mme Bernier : À mon avis, cela aura un impact majeur sur les délais.
[Traduction]
La sénatrice Fraser : J'ai deux brèves questions, l'une pour M. Clermont et l'autre pour M. Piragoff.
Monsieur Clermont, je sais que c'est mon problème et non le vôtre, mais j'éprouve de la difficulté à comprendre. Nous n'avons pas les données de la Cour supérieure du Québec; que nous indique donc le graphique de la page 5?
Monsieur Piragoff, j'ai été fascinée d'entendre que vous envisagez une panoplie de petites modifications qui pourraient contribuer à accroître l'efficacité. Pourriez-vous nous donner davantage de détails sur la nature de ces modifications et les domaines auxquels elles s'appliquent? Je suis certaine que vous direz que vous ne pouvez nous l'indiquer en termes précis, mais tout renseignement que vous pouvez nous donner sur vos démarches nous sera très utile.
M. Clermont : Sénatrice Fraser, j'aimerais souligner que nous n'avons effectivement pas de données pour la Cour supérieure du Québec; mais nous n'en avons pas non plus pour celles de l'Ontario, une autre grande province, ou pour celles d'autres provinces comme le Manitoba et la Saskatchewan, je crois. Comme je l'ai indiqué, ces cas représentent une part minime de l'ensemble des causes. Quand les utilisateurs de données lisent ces analyses, nous les informons du fait qu'elles ne contiennent pas ces renseignements. De plus, les données du Québec n'incluent pas les affaires entendues par les cours municipales, où les causes sont habituellement de moindre ampleur et plus faciles à traiter; je n'ai toutefois aucune information pour étayer cette assertion.
Dans l'ensemble, est-ce que cela a une incidence notable? Environ la moitié des grandes provinces ne colligent pas de données sur la Cour supérieure aux fins de comparaison. Cela aurait une incidence minime sur les comparaisons, en ce qui nous concerne.
La sénatrice Fraser : Que montre ce graphique?
M. Clermont : Il indique le temps médian qu'il faut pour traiter une cause, essentiellement dans les cours pénales provinciales et, dans certains cas, à la Cour supérieure, particulièrement dans les petites provinces où nous avons des données de cette cour.
La sénatrice Fraser : Merci.
Monsieur Piragoff, c'est un plaisir de vous revoir, comme toujours.
M. Piragoff : Merci, madame la sénatrice.
En ce qui concerne le Québec, il faut aussi comprendre qu'en raison de la juridiction plus étendue des tribunaux de cette province, les Cours supérieures du Québec ne traitent essentiellement que des procès devant juge et jury, contrairement à ce qui se fait dans d'autres provinces, où un certain nombre de procès présidés par un seul juge sont entendus par la Cour supérieure. Au Québec, ces procès sont entendus par les tribunaux. C'est comparer des pommes avec des oranges, car les juridictions sont différentes.
Sénatrice Fraser, pour répondre à votre question sur ce que nous cherchons à faire, il n'y a rien de majeur. Il n'y a pas de solution miracle pour améliorer la situation, rien de semblable à la loi que le Parlement a adoptée au sujet des mégaprocès, qui visait à créer un second poste de juge pour examiner les motions. Mme Bernier a parlé de quelques interventions concernant les procédures de libération sous caution.
En outre, je pense que M. Clermont a indiqué qu'il y a actuellement un nombre considérable de procès qui concernent non seulement la détention provisoire, mais aussi des infractions contre l'administration de la justice. Ces infractions se produisent essentiellement quand une personne libérée sous caution enfreint les conditions de sa libération. Certaines conditions n'ont rien à voir avec l'infraction matérielle. Par exemple, la personne pourrait ne pas respecter un couvre-feu ou consommer de l'alcool alors qu'elle n'est pas censée en boire. Elle est donc ramenée devant le tribunal avec de nouvelles accusations.
Essentiellement, nous transformons des problèmes sociaux en crimes. Ce n'est pas un crime de boire de l'alcool. Les provinces considèrent comme une infraction le fait d'être sous l'emprise de l'alcool sur la voie publique, mais nous avons maintenant une infraction criminelle de la consommation d'alcool...
La sénatrice Fraser : Chez soi.
M. Piragoff : ... parce que la personne doit respecter une condition voulant qu'elle s'abstienne de consommer de l'alcool. Si la police vous trouve avec de l'alcool, vous êtes en infraction, et c'est tout à coup un crime que de consommer de l'alcool maintenant. Il est également souvent interdit aux jeunes de rentrer tard à la maison.
Nous cherchons à voir si nous pouvons apporter des changements pour permettre à la police de ne pas devoir simplement déposer une autre accusation. Nous pourrions peut-être ramener la personne devant le tribunal pour une révision de ses conditions au lieu de simplement déposer une nouvelle accusation. Cela réduirait considérablement le nombre d'accusations et les retards dans les tribunaux. C'est une solution que nous envisageons.
Mme Bernier a également évoqué le recours accru à la technologie, en particulier dans les régions rurales et du Nord. Peut-on régler par voie électronique certaines parties des procès ou certaines motions par l'entremise de vidéoconférences au lieu de faire voyager des juges, des procureurs et des avocats de la défense en avion pour se rendre dans le Nord et en revenir?
La sénatrice Fraser : Et ensuite, attendre six mois.
M. Piragoff : C'est juste.
Le président : Pour donner suite à la demande que le sénateur Baker a faite plus tôt, c'est le genre de renseignements que vous pourriez fournir au comité. Qu'est-ce que le ministère envisage pour l'avenir, pas précisément, mais de façon plus générale? Cela nous aiderait grandement.
Le sénateur White : Monsieur Piragoff, je suis heureux que vous ayez parlé du processus administratif utilisé en Colombie-Britannique au sujet de la conduite avec facultés affaiblies, car il n'est pas utilisé pour toutes les accusations déposées à cet égard. Je crois comprendre que certaines causes non pertinentes se retrouvent devant les cours pénales également.
Vous avez probablement observé comment ce processus fonctionne en Colombie-Britannique. Initialement, il y avait beaucoup d'opposants. Mais dans l'ensemble, cela fonctionne assez bien. Voyez-vous un problème à ce qu'une province s'occupe d'un plus grand nombre d'affaires, comme les 36 000 accusations de vol déposées au Canada, dont 90 p. 100 concernent probablement des affaires de vol à l'étalage ou des infractions similaires, ou les 82 000 causes de justice administrative? Pourquoi ne voyons-nous pas les provinces indiquer qu'elles souhaitent assurer un plus grand rôle administratif? À un voleur à l'étalage, on impose une amende automatique de 100 $ en vertu de la Loi sur les contraventions, et si la personne est libérée, on enclenche un processus prévu à cette fin au lieu de la convoquer à comparaître en cours. Y a-t-il une raison pour laquelle les provinces n'assument pas davantage cette responsabilité en utilisant la Loi sur les contraventions ou, dans le cas présent, le processus administratif?
M. Piragoff : C'est plus facile à faire pour la conduite avec facultés affaiblies, car il s'agit clairement d'un champ de compétence des provinces, parce qu'elles sont responsables des autoroutes et des routes. Fortes de cette compétence, elles peuvent déclarer qu'il s'agit d'une infraction au Code de la route et la traiter comme une affaire de responsabilité provinciale plutôt que fédérale.
Le vol est une infraction criminelle, qui n'est pas régie par les lois provinciales. Les provinces ont compétence sur les droits provinciaux, mais nous n'avons pas utilisé la Loi sur les contraventions pour des infractions au Code criminel. Nous l'avons utilisée pour d'autres infractions fédérales, en ce qui concerne notamment la délivrance de contraventions sur la Promenade ou les oiseaux migrateurs. L'Association canadienne des chefs de police a proposé d'utiliser cette loi pour intenter des poursuites pour la possession de petites quantités de marijuana.
Le sénateur White : C'est exact. Nos échanges avec l'ACCP ne se sont pas limités à la possession de marijuana, et le caucus conservateur des anciens agents de police a tenu des discussions similaires avec les représentants du ministère de la Justice. Si nous réussissons avec la possession de petites quantités de marijuana, pourquoi ne réussirions-nous pas avec d'autres accusations mineures qui accaparent le temps des tribunaux? Selon moi, il ne faudrait pas avoir plus de tribunaux, de juges et d'avocats de la défense, mais avoir moins besoin d'eux.
Ma deuxième question porte sur la justice réparatrice. Lorsque la Loi sur les jeunes contrevenants a été adoptée vers 1985, elle nous a donné accès à des systèmes de justice alternative, particulièrement pour les jeunes contrevenants. Rien ne nous a empêchés, ces 30 dernières années, d'accroître cette capacité de justice réparatrice. À l'heure actuelle, la Nouvelle-Écosse est probablement le chef de file au pays en matière de justice réparatrice grâce à la NSRJ-CURA. Considérez-vous que nous devions essayer d'augmenter cette capacité et l'acceptation de la justice réparatrice, au moins dans le cadre de projets pilotes réalisés à l'échelle du pays, à l'extérieur des champs de compétences fédéraux, mais financés par le gouvernement fédéral, comme ils l'ont été par le passé?
M. Piragoff : Je pense que la partie la plus intéressante du diaporama de M. Clermont était la dernière ou l'avant- dernière diapositive, où il comparait les statistiques sur les adultes et les jeunes dans le système de justice. Elle montrait qu'au fil des ans, en raison du modèle différent de justice pénale que prévoyait la Loi sur les jeunes contrevenants, le nombre de jeunes faisant l'objet de procès avait considérablement diminué parce que ce système utilise des mesures de déjudiciarisation et des solutions alternatives. On évite donc que les affaires mineures de vol à l'étalage se retrouvent devant les tribunaux et fassent l'objet d'un procès. Elles se règlent à l'extérieur du système de justice.
Évidemment, il y a des coûts. Ces affaires ne prennent peut-être pas le chemin du système de justice officiel, mais il y aura des coûts ailleurs parce qu'il faut recourir à des agents de probation ou à des travailleurs sociaux pour résoudre les situations.
C'est une solution que nous commençons à examiner dans le système pour adultes. L'une des lettres de mandat du ministre indique qu'il faut étudier la question des gains d'efficacité et également celle des populations vulnérables, notamment les populations autochtones, lesquelles, vous le savez, sont surreprésentées dans le système de justice, sur le plan tant des accusés que des victimes.
Un grand nombre des personnes qui se trouvent dans le système de justice appartiennent à des populations vulnérables, comme les personnes atteintes de dépendance et de maladie mentale, ainsi que les démunis. Peut-être pouvons-nous traiter les personnes atteintes de maladie mentale, par exemple, avec les mêmes outils que nous utilisons dans le système de justice pour adolescents plutôt que les outils du système de justice pénale, qui réserve essentiellement un traitement égal à tous. Selon ce système, il s'agit d'adultes compétents qui savent ce qu'ils font, et s'ils ont commis un crime, c'est qu'ils en avaient l'intention. Nous savons que ce n'est pas le cas pour les jeunes, pas plus que ce ne l'est pour bien des adultes. Ce ne sont que de pauvres gens.
Le sénateur White : Quinze secondes.
Le président : Très brièvement.
Le sénateur White : J'ai toujours affirmé que la justice réparatrice n'est pas moins onéreuse que la justice traditionnelle. Elle est cependant meilleure, car elle réduit de moitié les taux de récidive. Il en coûte peut-être aussi cher pour se rendre au bout du processus, mais ce n'est que la moitié des cas qui récidiveront. Il y a donc aussi des économies à la clé.
Le président : C'est un bon argument, qui figure maintenant au compte rendu.
Nous avons une occasion de poser une dernière question à M. Piragoff. Le ministère voit-il un problème quant au temps passé à débattre de l'admissibilité de la preuve? On m'a dit que cela occupe de plus en plus de temps dans les tribunaux. Vous êtes-vous penchés sur la question?
M. Piragoff : Cela fait partie de la raison pour laquelle le Parlement a adopté la loi en 2011 : il voulait créer un poste de juge responsable de la gestion de l'instance dans les affaires complexes pour s'occuper de bon nombre de ces motions préliminaires, qui visent notamment à savoir si la preuve obtenue par écoute électronique est admissible.
Le président : Afin de normaliser et de clarifier l'information requise.
M. Piragoff : On ne perd ainsi pas de temps devant le jury pendant le procès comme tel. On peut résoudre un grand nombre de ces questions à l'avance.
Nous avons également créé d'autres possibilités dans le cadre des conférences préalables à l'instruction, où on peut régler une partie de ces questions si le juge d'instance est nommé rapidement.
La sénatrice Jaffer : Pourriez-vous nous fournir une liste des possibilités offertes dans les tribunaux pour adolescents que nous pourrions envisager pour les tribunaux pour adultes? Je sais que la déjudiciarisation est offerte dans les deux tribunaux.
Le président : Certainement.
Nous vous remercions d'avoir apporté une très précieuse contribution à nos délibérations. Nous pourrions vouloir vous entendre de nouveau. Je suis certain que certains membres voudraient vous poser des questions supplémentaires.
Avant de lever la séance, je veux répéter ce que j'ai dit hier. Si vous avez des témoins à proposer pour nos prochaines séances, faites-nous le savoir le plus rapidement possible pour que nous puissions les convoquer.
(La séance est levée.)