Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule nº 2 - Témoignages du 17 février 2016
OTTAWA, le mercredi 17 février 2016
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd'hui, à 16 h 16 pour étudier les questions relatives aux délais dans le système de justice pénale au Canada.
Le sénateur Bob Runciman (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonjour. Bienvenue à vous, chers collègues, invités et membres du grand public qui suivent aujourd'hui les délibérations du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.
Mesdames et messieurs les membres, le mois dernier, le Sénat a autorisé le comité à étudier et à faire rapport des questions se rapportant aux délais dans le système de justice pénale au Canada et à se pencher sur les rôles du gouvernement du Canada et du Parlement pour éliminer ces délais. C'est notre troisième réunion dans le cadre de cette étude.
Nous accueillons aujourd'hui, du Service des poursuites pénales du Canada, Brian Saunders, directeur des poursuites pénales, et George Dolhai, directeur adjoint des poursuites pénales.
Messieurs, merci d'être ici. Nous nous réjouissons à la perspective d'entendre votre présentation, qui sera suivie de questions des membres du comité.
Monsieur Saunders, la parole est à vous.
Brian Saunders, directeur des poursuites pénales, Services des poursuites pénales du Canada : Merci de m'avoir invité.
Nous sommes toujours ouverts à discuter de questions se rapportant aux poursuites, surtout concernant un sujet qui influe autant sur la perception que les Canadiens ont du système de justice pénale.
Comme le président l'a mentionné, je suis accompagné de George Dolhai. M. Dolhai est responsable de la politique de la Direction des poursuites en matière de drogues, de sécurité nationale et dans les territoires du Nord du Service des poursuites pénales du Canada.
Dans mes remarques liminaires, je décrirai brièvement mon mandat avant de passer à la question des délais. Pour des raisons de commodité, j'utiliserai l'abréviation SPPC pour parler du Service des poursuites pénales du Canada.
[Français]
En français, il s'agit du SPPC.
[Traduction]
Le mandat du SPPC est énoncé dans la Loi sur le directeur des poursuites pénales. Il consiste principalement à intenter et à engager des poursuites du ressort du gouvernement fédéral et de conseiller les organismes d'application de la loi ou les organismes d'enquête sur des questions relatives aux poursuites.
Il est important d'insister sur le fait que le SPPC, à titre de service des poursuites, est une entité opérationnelle. Formuler des conseils sur les questions stratégiques en tant que telles n'est pas notre principale fonction et il ne nous revient pas de le faire. Cependant, notre expérience directe du système de justice pénale nous permet de prodiguer des conseils au gouvernement et aux législatures sur les défis associés aux poursuites et l'incidence pratique potentielle de toute modification proposée afin de relever ces défis.
[Français]
Comme vous le savez, la responsabilité en matière de poursuites est une responsabilité partagée. Dans les provinces, la plupart des poursuites en vertu du Code criminel sont menées par les services de poursuites provinciaux. Cependant, le code confère au SPPC la compétence pour intenter des poursuites dans les provinces à l'égard de certaines infractions prévues au code.
[Traduction]
Il s'agirait, surtout, de terrorisme, de fraude ainsi que d'infractions d'organisations criminelles relatives à des infractions du ressort du SPPC.
En outre, à la grandeur du Canada, nous intentons des poursuites dans le cas de toutes les infractions fédérales qui ne relèvent pas du Code criminel. Plus de 250 lois fédérales contiennent des infractions qui relèvent du SPPC, lequel intente souvent des poursuites pour des infractions prévues par environ 40 de ces lois. Nos travaux dans ce secteur se rapportent surtout à des infractions prévues à la Loi réglementant certaines drogues et autres substances. Nous intentons aussi régulièrement des poursuites dans le cas d'infractions fédérales prévues à des lois visant à protéger l'environnement, les ressources naturelles et l'économie — par exemple, des lois sur l'impôt et la concurrence —, ainsi que la santé et la sécurité.
[Français]
Dans les territoires du Nord, le SPPC a des compétences beaucoup plus vastes. Nous intentons des poursuites liées à toutes les infractions prévues au Code criminel, en plus de celles prévues par les autres lois fédérales.
[Traduction]
Étant donné qu'une enquête criminelle peut donner lieu à des accusations tant au fédéral qu'au provincial à l'encontre du même accusé, le SPPC a pris des mesures avec les services des poursuites provinciaux pour veiller à ce que les ressources liées à la poursuite soient utilisées le plus efficacement possible. Ces arrangements, que nous appelons des arrangements majeurs-mineurs, permettent au Service des poursuites qui intente une action en justice dans le cas d'une infraction de son ressort d'en intenter aussi dans le cas d'infractions connexes moins graves à l'encontre du même accusé et relevant des autres services des poursuites.
Il arrive que les procureurs fédéraux et provinciaux collaborent dans le cadre d'une poursuite, habituellement en réponse aux besoins particuliers d'une affaire. Certaines poursuites complexes requièrent au moins deux procureurs de la Couronne pour gérer le travail nécessaire, et le SPPC et le service des poursuites provincial concerné s'accorderont parfois pour mettre leurs connaissances en commun lorsque les accusations touchent nos deux mandats, comme les infractions en matière de drogues combinées à des infractions relatives aux armes, ou lorsque les accusations visent des infractions qui relèvent des deux compétences, comme dans les cas de terrorisme.
Je vais maintenant aborder la question des délais. Les procureurs sont toujours conscients des délais dans les poursuites et ils s'en préoccupent. Ils doivent respecter le droit constitutionnel d'un accusé d'être traduit en justice dans des délais raisonnables. Voilà pourquoi nous travaillons avec d'autres intervenants du système de justice pénale pour faire en sorte que les affaires soient traitées en temps opportun. Les procureurs doivent aussi s'assurer qu'un accusé est traité équitablement. L'énoncé de mission du SPPC énonce ces deux objectifs et appelle le SPPC à intenter dans poursuites avec diligence, tout en étant juste, impartial et objectif.
Le SPPC a pris un certain nombre de mesures pour faire en sorte que ses poursuites soient menées en temps opportun. Il recommande, entre autres, que l'on prodigue des conseils à la police sur la façon de préparer une divulgation et le dossier de la Couronne; que l'on exige des procureurs qu'ils rédigent des plans de poursuite dans tous les dossiers très complexes, que l'on définisse comment ils proposent d'utiliser les ressources et de composer avec les questions potentielles; et que l'on utilise les outils prévus au Code criminel pour définir les questions et accélérer le traitement des affaires.
Ces mesures ont fait en sorte que bien peu d'affaires soient suspendues par les tribunaux au titre de l'alinéa 11b) de la Charte canadienne des droits et libertés pour cause de délai déraisonnable. Des quelque 90 000 affaires intentées par le SPPC en 2014-2015 et qui ont été conclues, seulement 149 ont été suspendues par les tribunaux. Certaines d'entre elles auraient été suspendues pour cause de délai.
À part les affaires dans lesquelles les délais en viennent à être déraisonnables au sens de l'alinéa 11b) de la Charte, la question des délais est une préoccupation dans le système de justice pénale. Dans bien des cas, les attentes raisonnables du public en matière de délais ne sont pas satisfaites. Le comité a déjà entendu des témoignages décrivant la complexité du problème et certaines des initiatives, tant fédérales que provinciales, qui ont été prises — ou qui le sont — pour y répondre. Le milieu des poursuites a participé à ces initiatives et, en 2007, le Comité fédéral-provincial-territorial des Chefs des poursuites pénales a publié un rapport sur la gestion des méga dossiers contenant des recommandations qui portaient, entre autres, sur les délais.
Lorsque l'on considère les délais, il est important de garder à l'esprit que toutes les affaires contiennent certains éléments de base qui demandent du temps. Dans l'affaire R. c. Morin, décision rendue en 1992 par la Cour suprême du Canada, la cour a examiné l'alinéa 11b) de la Charte et a déterminé qu'il englobait le recours aux services d'un avocat, les audiences en matière de cautionnement, la complexité du dossier, la divulgation, les enquêtes préliminaires, le temps nécessaire pour permettre aux avocats de la défense et de la Couronne d'examiner le dossier et le fait qu'ils ont d'autres affaires à traiter. La Cour suprême a reconnu que ces éléments, qu'elle a qualifiés de « délais inhérents » à la nature d'une affaire, sont influencés par les pratiques et les conditions locales.
Il est aussi important de ne pas oublier que les délais varient d'une province à l'autre et au sein d'une même province, et d'un district judiciaire à l'autre. Ils peuvent aussi varier au sein d'un même district judiciaire, de la cour provinciale à la cour supérieure et au sein des tribunaux, en fonction du type d'affaire. Cela laisse entendre que les causes des délais varient de façon similaire.
Toutes les parties prenantes du domaine de la justice pénale font leur part pour que le système respecte les délais ainsi que les droits et intérêts de toutes les personnes touchées par la criminalité. Au SPPC, nous nous attendons à ce que nos procureurs s'appliquent avec diligence à suivre les étapes dont ils sont responsables et soient conscients du fait que les délais risquent de miner la confiance du public en l'administration de la justice.
Cela conclut mes remarques liminaires. M. Dolhai et moi-même serons ravis de répondre à vos questions.
Le président : Merci beaucoup.
Le sénateur Plett : J'ai deux questions. Je présume qu'on pourrait poser les mêmes questions à la plupart de nos témoins dans ce dossier en particulier. J'ai lu un article aujourd'hui concernant une personne soupçonnée d'avoir agressé une enfant, qui pourrait éviter de subir un procès en raison de délais du système judiciaire québécois. L'homme a été accusé d'avoir abusé sexuellement une fillette de sept ans en janvier 2014, et son procès est toujours en suspens. Le père aurait dit « Les avocats de l'accusé bénéficient des délais depuis plus d'un an. Le procès n'a même pas encore commencé et notre fille a oublié certains détails de l'agression ».
Les parents ont aussi dit que les traumatismes résultant de l'agression sexuelle sont exacerbés par l'anxiété causée par un système judiciaire mal adapté.
C'est manifestement très sérieux. À quelle fréquence le juge ordonne-t-il un arrêt des procédures dans les cas d'agression très grave, violente ou sexuelle retardés de façon excessive?
M. Saunders : Nous n'aurions pas ces données dans les provinces, car nous n'y intentons pas de poursuites dans ces types d'affaires. Nous le faisons dans les trois territoires septentrionaux. Nous n'avons pas de statistiques qui montrent les délais précis entre l'accusation et la décision dans toutes les affaires dans le Nord, mais nous avons consulté nos bureaux régionaux avant de venir et appris que dans les territoires, les délais ne sont pas si importants. En effet, au Nunavut, nous avons appris que le temps nécessaire pour traduire quelqu'un en justice pour une affaire de meurtre a diminué environ de moitié au cours des trois ou quatre dernières années. Telle est notre expérience. Je ne peux pas parler de l'expérience des provinces avec ce type d'affaire.
Le sénateur Plett : D'accord. Je suis certain que j'aurai l'occasion de reposer cette question à quelqu'un d'autre. Ma prochaine question — et j'espère que vous serez capable de me donner au moins une partie de réponse — est que, même ici, nous avons si souvent entendu le père dire que cela profitait aux avocats de la défense. À quelle fréquence les avocats de la défense occasionnent-ils des délais? À quelle fréquence s'en servent-ils comme argument? Nommément, si nous retardons le procès assez longtemps, pourrait-il être suspendu en raison de délais excessifs?
M. Saunders : Je pense que la question a été posée à M. LeSage quand il était ici, et il a donné la réponse correcte et appropriée. Nous avons affaire à un système relativement complexe qui contient beaucoup de points de décisions en raison d'éléments qu'il a mentionnés dans le rapport qu'il a rédigé avec celui qui est maintenant le juge Code. Les gens peuvent utiliser beaucoup de points de décision pour contester la décision prise par la Couronne. En conséquence, ces types de procédures peuvent occasionner des délais. Je n'essaie pas de dire que ce que les avocats de la défense font est illégitime. Ils ont l'obligation de défendre leur client au meilleur de leurs compétences, et cela peut poser problème. Par exemple, ils peuvent demander une divulgation plus complète et contester les mesures prises par la Couronne. Comme M. LeSage l'a conclu dans sa présentation devant vous, les avocats ne sont pas en cause. Nous avons un système relativement complexe qui permet de prendre ces types de mesures et, comme il l'a fait remarquer, et il est possible de prendre des mesures légitimes.
Le sénateur Plett : Puis-je poser une question de plus sur ce point? Si c'est le système — et vous dites que de nombreux facteurs influent sur les délais — que pourrait faire, selon vous, le gouvernement fédéral pour rectifier le système?
M. Saunders : Un certain nombre de comités ont étudié la question et un certain nombre de rapports ont été rédigés à ce sujet. Comme je l'ai laissé entendre dans mes remarques liminaires, il n'existe pas de solution unique au problème. Il existe deux ou trois rapports relativement récents qui se sont aussi penchés sur la question. J'ignore s'ils ont été portés à votre attention, mais il y en a un de Colombie-Britannique, rédigé en 2012 par M. Cooper, qui examine le système de justice pénale dans cette province. Il y en un autre plus récent de l'Alberta, publié en 2013, ayant pour titre : Injecting a Sense of Urgency dans le système de justice pénale. Bon nombre des mesures qu'ils passent en revue ne sont pas législatives, mais ils cherchent des façons d'améliorer le processus. La Couronne et les tribunaux peuvent prendre des mesures administratives pour améliorer le processus, ou même l'administration des tribunaux, de façon à faire avancer les dossiers en temps opportun.
Le sénateur Baker : Nous pourrions mentionner, cependant, que tout délai intentionnel ou non intentionnel causé par la défense est retenu contre elle au moment de décider s'il y a lieu ou non d'appliquer l'alinéa 11b) de la Charte.
M. Saunders : C'est exact.
Le sénateur Baker : On fait souvent la remarque que l'avocat de la défense retarde intentionnellement quelque chose. S'il cause un délai intentionnel, cela ne prouve rien. Cela ne donne rien au tribunal. Vous en conviendrez avec moi.
Vous avez mentionné que votre service s'occupe de toutes les infractions qui ne relèvent pas du Code criminel. Je lis de la jurisprudence depuis 40 ans et j'ai été surpris de voir l'autre jour que la cour provinciale a la juridiction absolue pour statuer sur l'alinéa 4(4)a) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances. Je l'ai seulement appris il y a quelques jours, et le sous-alinéa 5(3)a)(i) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances correspond à l'article 553 du Code criminel, juridiction absolue du juge de la cour provinciale. Juste une petite correction.
Voici la question que j'aimerais vous poser, monsieur Saunders et monsieur Dolhai : je me suis renseigné sur votre gestion des litiges. J'ai bien enquêté. Je me suis principalement penché sur chaque affaire dont vous avez fait rapport tous les deux. M. Saunders a commencé un peu avant M. Dolhai. J'ai arrêté au numéro de dossier 50 pour M. Dolhai et conclu qu'il n'était jamais passé devant un protonotaire, car ses affaires étaient principalement pénales, même si, il y a bien des années, vous avez traité des affaires civiles.
Cependant, monsieur Saunders, vous avez porté, en vertu de règles différentes, des affaires devant une vaste gamme de tribunaux, dont la Cour fédérale, et vous avez fait appel à des protonotaires. Vous avez participé à l'affaire Chrétien, à l'affaire Sierra, et de nombreuses décisions ont été rendues par des protonotaires plutôt que par le juge, comme c'est normalement le cas. Ils se retrouvent paralysés par les décisions qu'ils rendent, les arguments préalables au procès et diverses autres choses. Vous en avez fait l'expérience.
Est-ce une bonne idée d'envisager de faire appel à des protonotaires pour libérer les juges et éviter les situations conflictuelles qui se produisent lorsqu'un juge émet un mandat et qu'il est incapable de juger l'affaire? Vous avez peut- être 50 mandats dans les affaires de M. Dolhai concernant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances dans un cas. C'est donc dire qu'il y a 50 juges, si ce sont tous des juges différents, qui sont incapables de juger l'affaire.
Pour surmonter ces délais, aurions-nous intérêt à examiner le rôle du protonotaire à la Cour fédérale?
M. Saunders : Il y a quelque chose que vous devriez savoir concernant les protonotaires à la Cour fédérale. Comme vous l'avez fait remarquer, ils ont l'habitude, en application des règles de la Cour fédérale, de trancher des motions soulevées au titre des règles et non de la Loi sur les Cours fédérales. Il existe une limite que, bien sûr, il vous faudrait éliminer, c'est-à-dire qu'ils ne peuvent pas traiter de motions susceptibles d'enfreindre la liberté du sujet. En droit pénal, on traite de la liberté du sujet. Si vous utilisez cette comparaison directement, elle ne procurerait pas un grand avantage au système de justice pénale.
L'autre point que vous devez garder à l'esprit est que les décisions des protonotaires de la Cour fédérale peuvent être portées en appel sans permission directement auprès d'un juge de la Cour fédérale. En règle générale, en droit pénal, on ne fait pas appel à des questions interlocutoires, mais si vous créez le poste de protonotaire, vous devez vous demander si vous comptez créer un droit d'appel auprès d'un juge d'une cour supérieure pour surveiller, dans les faits, les actions du protonotaire. Ce faisant, vous ouvrez la porte à un délai de la procédure.
Le sénateur Baker : J'ai une dernière question pour clarifier le point. Vous donnez l'impression que nous pourrions ne pas être en mesure d'utiliser l'idée des protonotaires. Je ne suis pas du tout d'accord avec vous car, dans certaines provinces, des juges de paix émettent des mandats, tandis que dans d'autres, ils ne sont pas autorisés à le faire.
Par exemple, à Terre-Neuve, là d'où je viens, ce n'est pas permis. Diverses provinces ont trouvé diverses solutions pour libérer les juges, éviter les conflits, éliminer la perte de temps associée à la divulgation et prendre soin d'autres choses semblables qui doivent se passer avant le procès.
Pourquoi l'idée du protonotaire évoquée à l'article 12 de la Loi sur les Cours fédérales ne serait-elle pas remplacée dans le système de justice criminelle afin de permettre aux juges de paix d'offrir le service qu'ils offrent présentement dans certaines provinces du Canada?
M. Saunders : Monsieur le sénateur, ma question portait sur le bon sens de la proposition. Je faisais remarquer qu'advenant l'adoption d'une telle proposition, vous devrez garder à l'esprit les limites actuelles du processus de la Cour fédérale et décider si ces limites doivent s'appliquer au domaine criminel ou non.
Le sénateur Baker : Et le bon sens là-dedans...
Le président : Pardon. Le sénateur McIntyre.
Le sénateur McIntyre : Merci, messieurs, d'être avec nous aujourd'hui.
J'ai attiré votre attention sur l'arrêt Stinchcombe. Comme vous le savez, dans cette affaire, la Cour suprême a statué que le ministère public était tenu de divulguer toute information qui pourrait être pertinente pour la défense. Dans cet arrêt, la cour explique que les fruits de l'enquête qui sont en sa possession n'appartiennent pas au ministère public pour qu'il s'en serve afin d'obtenir une déclaration de culpabilité, mais qu'ils sont plutôt la propriété du public et qu'ils doivent servir à ce que justice soit rendue.
Croyez-vous que l'arrêt Stinchcombe est appliqué correctement? Même s'il l'est, cette obligation de divulgation constitue-t-elle un trop grand fardeau pour la poursuite? J'aimerais que vous nous parliez de l'incidence que cette affaire a eue sur la durée des procès.
George Dolhai, directeur adjoint des poursuites pénales, Service des poursuites pénales du Canada : Monsieur le sénateur, c'est une question intéressante, car il y a quelques années, on nous a demandé d'envoyer quelqu'un en Afrique du Sud pour parler de notre expérience en matière de divulgation.
La position élaborée et examinée à cette occasion illustrait que, dans de nombreuses affaires ordinaires, le type de divulgation exigée aux termes de l'arrêt Stinchcombe était observé. Là où les choses se corsent, c'est lorsqu'il s'agit d'enquêtes complexes, qui peuvent s'étendre en longueur et avoir beaucoup de ramifications, un grand nombre d'accusés et d'innombrables éléments de preuve — surtout en cette ère où les preuves peuvent être obtenues par écoute électronique —, sans parler d'autres types de preuve et d'éléments comme les métadonnées. Les problèmes viennent surtout de ce type d'affaires.
Dans les affaires ordinaires, il est encore généralement question — dans le contexte d'une transaction de rue, par exemple — des notes prises par les agents. Il se peut qu'une fouille soit contestée ou que l'on cherche à savoir s'il y avait un mandat de perquisition. L'information à divulguer ne porte pas trop à conséquence. Ce sont les affaires de plus grande envergure qui occasionnent des complications. Ce sont elles qui accaparent une bonne partie des efforts déployés par les services des poursuites et le Parlement. On tente de trouver des mécanismes qui permettront de traiter ces affaires avec une plus grande efficacité.
M. Saunders a mentionné les recommandations du Comité fédéral-provincial-territorial des chefs des poursuites pénales. La Loi sur la tenue de procès criminels équitables et efficaces a aussi été promulguée, instaurant certaines mesures comme la gestion des dossiers par un juge de première instance, ce qui comprend la divulgation.
Les services des poursuites de tout le pays ont passé beaucoup de temps avec les services de police afin de préparer la documentation pour les affaires d'envergure. Lorsque j'étais en Colombie-Britannique, nous disions « se rapporter au manuel de l'avocat de la Couronne ». C'était une démarche que nous avions élaborée avec le procureur général de la province afin de guider les services de police relativement aux gros dossiers et de les aider à monter ces dossiers.
Je dois reconnaître qu'il y a eu beaucoup de progrès dans ce domaine. Le mécanisme n'est pas infaillible, mais je crois que la feuille de route et l'explication de l'obligation de divulguer sont beaucoup plus claires. Je crois que nous avons eu passablement de succès en ce qui concerne la gestion de ces dossiers.
Par exemple, nous demandons aux procureurs de la Couronne qui travaillent sur des dossiers complexes de préparer un plan de poursuite. Nous voulons savoir sur quoi repose l'affaire, quelle est la preuve, où en est la divulgation, quels sont les aspects qui les préoccupent ou qui pourraient rendre la cause difficile à juger. Ces renseignements sont examinés par le procureur fédéral en chef de la région ou, pour les affaires plus complexes ou qui sont assorties d'une question nouvelle, par un comité national composé de nos procureurs les plus aguerris, lequel essaie de trouver comment rendre l'affaire plus justiciable. Une des façons d'y arriver est de séparer les accusés en différents groupes.
Une autre façon de procéder est d'envisager quelque chose comme une mise en accusation directe. Il y a divers outils, mais, de façon générale, je crois que le système s'est mieux débrouillé pour amener jusqu'en cour les dossiers plus complexes. Il y a des problèmes en ce qui concerne le respect des horaires et d'autres choses de ce genre.
En ce qui concerne la structuration des dossiers, je crois que le message que tous les services des poursuites envoient à leurs procureurs — et, par eux, aux services de police avec qui ils travaillent — est le suivant : ne vous éparpillez pas, gardez les choses aussi simples que possible, n'en mettez pas trop et essayez d'imaginer comment vous recevriez la preuve, soit comme juge seul ou dans le cadre d'un procès devant jury. La preuve est-elle présentée de façon à ce qu'un jury puisse vraiment la comprendre? La poursuite est-elle structurée pour favoriser cette compréhension?
La sénatrice Fraser : Monsieur Saunders, une des choses que vous avez dites a piqué ma curiosité. Je crois l'avoir bien retenue. Vous avez dit qu'au Yukon, la durée des procès pour meurtre avait été réduite de moitié?
M. Saunders : Au Nunavut.
La sénatrice Fraser : Au Nunavut. Que s'est-il passé? Comment ont-ils pu obtenir pareil résultat? Il y a sûrement des leçons à retenir de cela.
M. Dolhai : Nous avons remarqué que cela ne concernait pas que les meurtres au premier et deuxième degré, mais aussi les homicides.
Encore une fois, cela dépend en partie de la façon d'envisager le dossier, de la relation que l'on a avec la police. Quand j'ai commencé aux poursuites, il y a de cela 23 ou 24 ans, il y avait de grands pans du service d'un bout à l'autre du pays — et la police aussi — qui se montraient très rébarbatifs à l'idée de travailler la présentation des dossiers. Les choses se sont beaucoup améliorées.
L'autre raison, c'est qu'il y a eu des changements institutionnels. Le Nunavut dispose d'une cour unifiée. Il y a encore l'équivalent d'une enquête préliminaire, mais il n'y a pas de juges séparés pour s'en occuper. Il y a donc un tribunal de première instance qui, en essence, exerce les deux fonctions.
L'autre fonction porte bien entendu sur des choses comme régler certains problèmes avec les témoins, aider les témoins à témoigner et à comprendre le processus... Nous avons des coordonnateurs de témoins de la Couronne qui ont pour fonction d'aider les témoins — dont les victimes — à comprendre le processus et à y cheminer. En fin de compte, notre travail, à l'instar de celui des coordonnateurs des témoins de la Couronne, consiste à présenter la preuve au juge ou au jury de la manière la plus efficace qui soit. Mais, encore une fois, c'est un aspect qui a beaucoup changé avec la Charte canadienne des droits des victimes. Nous avons aussi augmenté le nombre de coordonnateurs des témoins de la Couronne.
Au Nunavut, tous les coordonnateurs des témoins de la Couronne parlent l'inuktitut, et c'est une grosse amélioration.
La sénatrice Fraser : Nous formulons des recommandations lorsque nous parvenons à l'étape de la rédaction du rapport. Et nous avons effectivement le privilège de recommander la modification des lois, si nous croyons que ces modifications sont appropriées.
J'ai une question rapide qui s'adresse à vous deux : si vous étiez à notre place et que vous pouviez modifier une chose, que recommanderiez-vous?
M. Dolhai : C'est une question difficile.
M. Saunders : Oui. Nous avons toujours été réticents à recommander des modifications législatives, car nous croyons que notre rôle est de vous expliquer quelles seraient les conséquences des modifications. En effet, comme nous sommes des intervenants dans ce système, on nous accuserait de promouvoir des changements qui font notre affaire.
La sénatrice Fraser : Il y a pourtant de grands pans de la loi qui ne concernent pas la philosophie fondamentale ou l'orientation politique. La loi établit les formes et une foule de choses fascinantes qui ont une incidence directe sur le travail que vous faites.
M. Saunders : Le rapport produit par le Comité fédéral-provincial-territorial des chefs des poursuites pénales en 2007 contenait un certain nombre de recommandations. Le rapport répondait à ce que vous avez déjà entendu au sujet des projets d'optimisation du système criminel lancés par les sous-ministres. Certaines de ces recommandations ont abouti dans le Rapport LeSage. Il y en avait environ trente et une. Elles avaient trait à la gestion des mégaprocès, mais certaines d'entre elles concernaient les délais. Quelques-unes ont été adoptées. La notion de jurés suppléants a été incluse dans la Loi sur la tenue de procès criminels équitables et efficaces.
Une des recommandations qui n'a pas été retenue portait sur la codification de normes d'admissibilité en matière de divulgation électronique, un domaine qui ne manque pas d'intérêt. En jetant un coup d'œil aux rapports, vous allez constater qu'il y a un grand débat au sein de certains services des poursuites afin d'établir si les enquêtes préliminaires ont leur place ou non.
J'ai parlé du rapport publié en 2013 par le bureau du procureur général de l'Alberta, intitulé Injecting a Sense of Urgency. La recommandation formulée par l'Alberta est de supprimer systématiquement les enquêtes préliminaires, sauf pour les affaires de meurtre. La recommandation s'accompagne d'une justification, et je vous recommande de la lire. M. Piragoff vous a dit que l'adoption de cette mesure ne faisait pas consensus au sein des provinces. Cela montre de façon concrète toute la complexité de la conjoncture : ce qui est problématique dans certaines provinces ne l'est pas dans d'autres.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Je vous ai écouté, monsieur Saunders, et vous semblez dire que les règles édictées par la Cour suprême seraient à l'origine de certains retards. Croyez-vous que les juges pourraient refuser certaines remises, ce qui permettrait ainsi d'accélérer le traitement des dossiers?
M. Saunders : Ce n'est pas moi qui ai dit cela.
Le sénateur Dagenais : Si ce n'est pas vous, je m'en excuse.
M. Saunders : Les rapports de MM. Code et LeSage ont souligné trois facteurs qui ont contribué au prolongement des procès devant les tribunaux. L'un d'eux était le fait que la Loi sur la preuve, établie par la Cour suprême, est plus compliquée qu'auparavant. Lorsque j'ai commencé à pratiquer, il y avait ce qu'on appelait en anglais les « bright lines ». On savait dès le début ce qui était admissible ou non comme preuve. Aujourd'hui, il faut examiner toutes les circonstances pour déterminer si certains éléments seront acceptés comme preuve par la cour. Cet aspect encourage les avocats à plaider que la preuve doit être acceptée ou non.
Le sénateur Dagenais : Ce n'est pas vous qui l'avez dit, mais, bien souvent, ce qui engorge les cours, ce sont les nombreuses demandes de remises, pour plusieurs raisons que nous n'allons pas énumérer ici. Vous ne pensez pas que les juges devraient être plus rigoureux et refuser certaines remises afin d'accélérer les causes? Je comprends que c'est le juge qui est toujours maître dans sa cour.
M. Saunders : Vous avez raison, les juges peuvent refuser certaines demandes d'ajournement présentées par la Couronne ou la défense. Dans les rapports que j'ai mentionnés, on a cité comme exemple de raisons qui entraînent des retards le fait que, lors de certaines comparutions, peu de choses sont accomplies. On parle par exemple d'un ajournement qui vise à obtenir de l'aide juridique ou d'autres motifs. Bien souvent, ce n'est pas seulement le fait qu'on demande l'ajournement, c'est aussi le fait que l'aide juridique n'est pas très rapide à rendre sa décision. Il y a donc des facteurs qui sont interreliés et qu'il faut prendre en considération.
Le sénateur Dagenais : Je comprends le rôle des avocats de la défense. Toutefois, vous admettrez, comme moi, que, bien souvent, à force de demander des remises et des remises, des procès ont fini par échouer, où on a invoqué le délai déraisonnable.
M. Saunders : Comme l'a souligné votre collègue, le sénateur Baker, lorsque la défense demande un ajournement, le temps écoulé dans le cadre de cette demande ne peut être considéré pour établir une demande de délai déraisonnable.
M. Dolhai : Si je puis apporter une précision, il y a probablement huit ou neuf ans, le juge Moldaver, lorsqu'il siégeait à la Cour d'appel de l'Ontario, a exposé des arguments sur la dynamique des cours de première instance. Il a souligné que cette dynamique est très complexe. Certaines choses peuvent être considérées comme découlant de cette dynamique. Toutefois, si je me souviens bien, il a indiqué qu'il s'agissait d'une tâche très difficile pour le juge de première instance.
Par exemple, si un avocat veut présenter une demande à un juge, de combien de temps dispose le juge pour répondre à la demande et passer à l'étape du procès? On sait que la cour est préoccupée par le fait que, dans un cas où elle rend une mauvaise décision, il risque d'y avoir un appel ou un nouveau procès quatre, cinq voire même six ans plus tard.
[Traduction]
Cela devient très difficile pour le système judiciaire, le public, les témoins et les victimes. C'est difficile pour le juge, qui aurait peut-être besoin d'une période plus longue. Cette période peut être plus longue, mais, à la fin, on a une détermination qui peut rester en appel.
[Traduction]
Le sénateur Joyal : Je vais continuer là-dessus, parce que j'ai entendu récemment que le juge Guy Cournoyer de la Cour supérieure du Québec avait rendu une décision de 50 pages, en anglais. Écoutez cela, monsieur Baker.
Le juge a décidé qu'il imposerait un calendrier pour les audiences de toutes les réunions préliminaires que la défense réclamera, car cela prenait trop de temps et qu'elles étaient remises pour toutes sortes de raisons. Évoquant les nouvelles modifications apportées au code, le juge a décidé qu'il avait désormais le pouvoir d'imposer un calendrier et de fixer une date, ce qui, à mon sens, est révolutionnaire. Le juge doit décider si, en procédant de la sorte, il met en péril les recours de la défense.
Je crois que c'est la raison pour laquelle il a pris 50 pages pour expliquer sa décision. Il a décidé du calendrier et des dates. Que vous soyez d'accord ou non, voilà comment les choses vont se dérouler. Bien entendu, il y avait déjà eu une foule de retards, mais j'estime que c'est un pouvoir que le juge doit avoir, car ce dernier est tenu de protéger ce que l'on appelle la crédibilité de l'administration de la justice. Vous ne pouvez jeter le discrédit sur la justice. C'est un crime. Le juge a la responsabilité inhérente de veiller à ce que le système conserve sa crédibilité. Si le système doit demeurer crédible, son rôle à cet égard est indéniable. Tôt ou tard, le juge doit dire : « C'est assez! »
Je crois assurément que nous allons devoir examiner comment les juges se verront accorder le pouvoir d'établir un calendrier raisonnable. C'est une chose qui doit être expliquée. C'est pourquoi il l'a expliquée, mais, à mon sens, son geste était révolutionnaire. C'était la première fois dans l'histoire des tribunaux qu'un juge prenait cette initiative et affirmait qu'il en avait le pouvoir aux termes du code. Bien entendu, il a dû protéger ses arrières, car cette décision pourrait être contestée, mais j'ai quand même l'impression qu'il s'agit d'un des moyens les plus efficaces pour régler le problème des retards, qui, surtout au Québec, sont épouvantables. Le Québec est la pire province au Canada en ce qui concerne le respect des délais. Les instances dirigeantes du système de justice québécois devront s'attaquer à ce problème d'une façon ou d'une autre.
Je crois que c'est un moyen qui devrait être compris et utilisé davantage. Comme je l'ai dit, il devrait aussi être mieux défini pour éviter de trop nombreuses contestations. Il reste néanmoins que nous devrions nous assurer de doter le système d'une certaine capacité d'autorégulation.
M. Saunders : Je crois que c'est une très bonne chose que le juge Cournoyer se soit donné la peine d'accompagner sa décision d'une longue explication écrite. Il est arrivé dans d'autres affaires que les juges établissent des calendriers pour baliser le temps dont l'avocat de la défense et l'avocat de la Couronne disposaient pour répondre aux requêtes. Je n'essaie pas de blâmer qui que ce soit. Le système n'est pas obligé, s'il en décide ainsi, de faire preuve de complaisance en laissant les intervenants prendre leur temps pour faire ce qu'ils ont à faire.
C'est quelque chose qui a bien fonctionné dans les dossiers sur lesquels nous avons travaillé. Comme M. Dolhai le faisait remarquer en répondant à la question précédente, la grande préoccupation que doit avoir le juge de première instance quand il établit ces calendriers, c'est, d'une part, de ne pas perdre de vue le droit qu'a l'accusé de présenter une défense pleine et entière, alors qu'il doit d'autre part voir aux intérêts de la société en veillant à ce que les crimes soient pris en charge et que les délits soient jugés sur le fond. Il y a deux éléments dans l'équation, et le fait d'expliquer en détail pourquoi l'on procède de la sorte est un formidable premier pas.
Le sénateur Joyal : Comme je l'ai dit, sa décision de 50 pages a été rédigée en anglais, et ce, malgré le fait qu'il soit francophone. Je crois que cette décision doit être examinée avec soin. Il faut regarder les principes sur lesquels elle est fondée, comment ces principes sont inscrits dans le code et s'il y a lieu de revoir les pouvoirs qui pourraient être accordés aux juges pour créer un équilibre entre les droits de l'accusé, l'intérêt public et, comme je le disais, la crédibilité du système. En fin de compte, c'est de cela qu'il s'agit.
Mes collègues, le sénateur Dagenais et le sénateur Boisvenu, sont au courant. Lorsque l'on pense à l'effondrement du mégaprocès SharQc, il est difficile de se faire une idée de l'impact que cela a pu avoir sur les citoyens qui suivaient l'affaire. Il ne fait aucun doute que les juges doivent avoir le pouvoir d'établir des calendriers. Si les parties ont de si nombreuses réunions préliminaires, ces réunions devraient être énumérées d'entrée de jeu et se plier à un échéancier. Je ne suis pas un juge; je ne vous dirai pas comment procéder. Mais je suis convaincu qu'il y a une façon d'approcher et de remanier le système en ce qui a trait au pouvoir des juges.
Le président : Désolé, nous aurons peut-être l'occasion d'y revenir.
La sénatrice Batters : Merci beaucoup de vous être déplacés. Je crois que nous pouvons présumer — vous en avez parlé brièvement dans votre exposé préliminaire — que les chefs d'accusation relatifs aux drogues occuperont probablement la plus grande place dans votre portefeuille?
M. Saunders : Oui.
La sénatrice Batters : En jetant un coup d'œil aux chiffres que les gens de Statistique Canada ont remis au comité la semaine dernière, je constate qu'il y a eu presque 15 000 cas de possession en 2013-2014, et que le nombre médian de jours d'attente pour une décision a été de 87. Pour les autres infractions en matière de drogues cette année-là, on compte 10 000 cas et des poussières, avec un nombre de jours médian de 254.
En ce qui concerne cette dernière catégorie, je me demande s'il y a des aspects particuliers que vous examinez actuellement afin de réduire le nombre de jours ou si des mesures ont récemment été prises pour remédier aux problèmes de délais.
M. Saunders : Lorsque vous parlez du nombre médian de jours, je présume que vous faites allusion au temps qui s'écoule entre le dépôt de l'accusation et le règlement de la cause?
La sénatrice Batters : Oui.
La sénatrice Fraser : Ils ont parlé de première comparution.
La sénatrice Batters : D'accord. Ce n'est pas indiqué sur la feuille que j'ai devant moi, et je ne me souviens pas de leur définition exacte, mais je dirais que la sénatrice Fraser a toujours eu...
M. Saunders : Je ne suis pas au fait des chiffres que vous venez de donner.
Quoi qu'il en soit, avant de laisser la parole à M. Dolhai pour qu'il réponde, je dirais qu'il faut avant tout se rappeler que chaque affaire s'accompagne de ce que la Cour suprême du Canada appelle les délais inhérents. Il faut un certain nombre de jours pour que les services d'un avocat soient retenus et pour que l'avocat examine le dossier, pour qu'on détermine la caution — toutes ces étapes. Ces délais varient d'une province à l'autre de même qu'au sein des cours, alors il ne faut pas oublier cela. Vous ne pouvez pas avoir un système parfait si vous voulez porter des accusations contre une personne aujourd'hui et entamer son procès demain. Un tel système ne serait pas juste, alors ces étapes prennent du temps. Cela ne donnerait pas 214 jours, mais au moins quelques mois, même pour une affaire simple.
La sénatrice Batters : Pour la dernière catégorie, c'était 254.
M. Saunders : Quant aux mesures que nous prenons pour veiller à ce que les affaires soient traitées sans tarder, j'en ai mentionné quelques une dans ma déclaration liminaire. Nous travaillons avec la police et cherchons à nous assurer que la divulgation se fait de manière efficace. La divulgation est souvent un obstacle — pas normalement dans les affaires simples, comme M. Dolhai l'a expliqué; c'est le cas habituellement pour les affaires complexes. Si vous incluez dans cela des affaires complexes, oui, la divulgation peut faire problème. Nous déployons beaucoup d'effort pour obtenir la divulgation.
Nous avons aussi consacré du temps à aider la police, à leur demande, et à donner des conseils pendant l'enquête pour garantir que la preuve est recueillie conformément à la Charte ainsi qu'au droit et aux règles de la preuve, ce qui aide à aplanir les difficultés au moment de la production de la preuve, par la suite.
Ce sont deux mesures que nous prenons régulièrement pour garantir que les affaires cheminent dans le système d'une façon relativement expéditive.
M. Dolhai : J'ajouterais qu'il est toujours difficile d'interpréter les nombres de jours qu'il faut en cour, car cela dépend de ce qui se passe pendant cette période. Quand j'étais procureur à Toronto, il y a très longtemps de cela, on constatait à regarder les chiffres pour certaines cours d'accueil que dans certains cas, il y avait quatre ou cinq retours devant la cour en deux mois.
Dans certains de ces cas, malheureusement, c'était en partie attribuable aux mesures qu'il faut prendre dans tous les cas, par exemple, retenir les services d'un avocat. Encore, malheureusement, ce qui arrivait c'était que la seule façon d'obtenir que la personne concentre son attention était de la faire comparaître et de contacter un avocat pour que des dispositions soient prises. Ce n'est pas idéal, mais encore là, cela vous montre à quel point c'est un peu difficile, sur le plan du nombre de jours.
Comme M. Saunders l'a dit, nous soulignons à nos avocats de la Couronne que l'affaire doit être évaluée dès le début. Ce que nous ne voulons pas, c'est qu'une affaire chemine dans le système, que ce soit pendant 80 jours ou 250 jours, et qu'après cela, quelqu'un se penche sur le dossier et dise : « Vous n'avez pas une probabilité raisonnable d'obtenir une condamnation, avec ce dossier. » Ce n'est pas un bon résultat pour nous. Nous investissons énormément de temps dans la préparation du dossier et l'examen des mandats de perquisition et tout cela afin de nous assurer que les choses se déroulent comme il se doit.
Nous avons aussi d'autres mesures et méthodes de diversion possibles. Mais, encore là, les décisions que le Parlement a prises concernant la structure des infractions, et cetera, y compris les décisions relatives à l'accès à des choses comme l'absolution conditionnelle et l'absolution inconditionnelle, nous indiquent que c'est quelque chose qui peut se produire à l'issue d'une poursuite. Nous ne pouvons pas adopter comme position — et nous ne le faisons pas — qu'il est inutile d'intenter une poursuite parce qu'une absolution conditionnelle est possible. Ce n'est pas à nous de prendre cette décision. C'est la prérogative du Parlement.
La sénatrice Jaffer : Merci à vous tous. Je vais poser mes deux questions en même temps. J'ai trouvé cela intéressant quand vous parliez des coordonnateurs. L'une des choses que j'ai toujours voulues, c'est la présence de défenseurs des victimes, de personnes qui travailleraient avec les victimes. Avez-vous envisagé d'avoir des défenseurs des victimes? Je pense que cela contribuerait à expliquer le processus. Cela pourrait l'accélérer un peu.
Il y a une chose dont nous n'avons pas entendu parler, mais dont j'entends de plus en plus les juges en chef et d'autres personnes parler, et c'est qu'il y a de plus en plus de personnes non représentées. Pour vous, la tâche devient nettement plus lourde et la responsabilité qui repose sur vos épaules est plus grande. Quel est le lien entre cela et les retards dans la tenue des procès?
M. Saunders : Je vais d'abord parler des coordonnateurs des témoins. En tant que service des poursuites pénales, nous partons du principe que nous ne représentons pas la victime. Nous ne sommes pas son avocat. Le coordonnateur des témoins de la Couronne est là pour aider les témoins, notamment à comprendre le processus. Nous allons les aiguiller vers les services sociaux dans les provinces ou territoires où le gouvernement en offre, mais défendre la victime équivaut à dépasser le rôle du procureur.
Ceci étant dit, certaines obligations nous ont été imposées par la Charte canadienne des droits des victimes, et ce sont les coordonnateurs des témoins de la Couronne qui nous aident à nous acquitter de ces obligations.
En ce qui concerne les accusés qui ne sont pas représentés, c'est plus courant du côté civil, en droit de la famille. Des amis qui sont juges m'ont signalé que c'était un problème. Dans le monde pénal, là où c'est votre liberté qui est en jeu, l'aide juridique est généralement accessible. Quand elle ne l'est pas, l'accusé va parfois demander une ordonnance de type Rowbotham. C'est une ordonnance par laquelle la cour ordonne au procureur général de payer le coût d'avocats rémunérés par l'État. Je ne crois pas qu'il y ait tant de cas d'accusés non représentés.
M. Dolhai : Je crois que c'est juste. Nous voyons des cas où il leur faut du temps pour trouver un avocat, mais ce n'est souvent que la dynamique relative à la prise des dispositions, et cetera. Quand un accusé n'est pas représenté, comme l'a dit M. Sanders, on voit des demandes de type Rowbotham. En ce moment, le ministère de la Justice paie pour ces demandes, si la cour l'ordonne. Nous n'intervenons pas par la suite, parce que nous ne sommes pas censés regarder les factures que la défense présente.
L'autre chose, c'est que les cours recourent aussi à des intervenants désintéressés pour obtenir des conseils et de l'aide. Cependant, la dynamique est difficile, en pareil cas, si un intervenant intéressé aide véritablement la cour, mais qu'on s'attend aussi à ce qu'il défende l'accusé dans une certaine mesure. Cela peut être très problématique, car il peut être très difficile de porter les deux chapeaux.
Le sénateur White : Merci beaucoup. J'aimerais un éclaircissement, si vous me le permettez. Les représentants de Statistique Canada, quand ils sont venus, ont parlé de la date du début et de la date de la fin d'une affaire. Il se peut qu'il n'y ait que deux comparutions, mais je ne sais pas si leurs données étaient claires. Nous leur avons demandé une mise à jour, toutefois.
J'ai une question au sujet des affaires complexes, cependant : est-ce que vous avez donné des conseils, ou est-ce qu'on vous a demandé des conseils sur des choses comme les pouvoirs coercitifs comme on en voit dans certains pays — la Australian Crime Commission, par exemple, ou la commission de lutte contre le crime d'Australie — et qui semblent produire plus d'effet sur les affaires importantes touchant le crime organisé? La commission de lutte contre le crime d'Australie a des pouvoirs coercitifs. Elle peut forcer des personnes à témoigner contre elles-mêmes et contre d'autres membres d'une organisation criminelle. Quant à savoir si cela nous aiderait ou pas, on dirait en tout cas que nous consacrons énormément de temps à mener des enquêtes et à intenter des poursuites afin d'arriver à un résultat : parfois, comme vous le savez, c'est quatre, cinq, six ans.
M. Saunders : Vous êtes conscient que des mesures coercitives existent dans certains domaines du droit pénal, mais il n'y en a pas beaucoup.
Le sénateur White : Vraiment très peu; de plus, ce ne sont certainement pas les pouvoirs que les autres pays ont.
M. Saunders : Les dispositions antiterroristes en ont; il y en a également certaines en vertu de la Loi sur la concurrence et de la Loi sur l'impôt sur le revenu. Ces dispositions ne sont pas utilisées souvent, même dans les trois lois que je viens de mentionner. Je crois que les enquêteurs hésitent peut-être à y avoir recours, parce qu'ils s'inquiètent que les juges...
Le sénateur White : Parce qu'ils s'inquiètent de perdre la cause?
M. Saunders : Les juges pourraient avoir l'impression que vous vous approchez trop près d'un accusé. Nous ne voulons pas demander à l'accusé de témoigner, parce que nous ne pouvons pas le forcer témoigner contre lui-même.
Le sénateur White : En vertu de mesures législatives coercitives, il est possible dans d'autres pays de forcer l'accusé à s'incriminer lui-même.
M. Dolhai : Je crois que dans de tels cas c'est retiré des éléments de preuve sur lesquels la Couronne peut s'appuyer plus tard. Cela ne veut pas dire que ces éléments ne peuvent pas être utilisés. Comme M. Saunders l'a dit, nous avons de telles dispositions en ce qui concerne le terrorisme. Nous avons seulement eu une ordonnance concernant l'attentat d'Air India, et la cour a confirmé que c'était constitutionnel, mais l'ordonnance n'a pas été mise en œuvre au final. C'est l'une des réalités; il faut essayer de déterminer comment, même dans un tel contexte, le pouvoir serait utilisé pour ne pas nous retrouver avec une situation où la personne qui est le principal suspect d'un crime parvient à obtenir une immunité contre l'utilisation de la preuve ou de la preuve dérivée. Nous n'avons pas beaucoup d'expérience en la matière actuellement.
Le sénateur White : Monsieur Saunders, je crois que vous aviez participé aux discussions que nous avions eues il y a quelques années en ce qui a trait aux causes qui encombrent notre système; je crois que c'était à Montréal ou lors d'une réunion à Toronto avec les chefs de police. La grande majorité des causes qui concernent les services de police au Canada ont en fait trait à des causes très mineures qui semblent prendre beaucoup de temps. Nous avons eu des discussions avec certains autres témoins en vue de déterminer si nous devrions avoir des causes qui peuvent être gérées par les provinces ou par l'entremise du Code criminel. Autrement dit, devrions-nous pouvoir imposer des contraventions provinciales dans les cas d'intrusion ou de vol à l'étalage?
M. Saunders : J'ai constaté que vous avez posé cette question aux précédents témoins. M. Piragoff a souligné que la Loi fédérale sur les contraventions n'est pas utilisée dans le cas des infractions criminelles. Même en ce qui a trait aux infractions non criminelles prévues aux lois fédérales de nature réglementaire, la Loi sur les contraventions impose des limites, parce qu'elle prévoit qu'elle s'applique seulement aux infractions punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire. S'il s'agit d'une infraction réglementaire hybride ou poursuivie par voie de mise en accusation, nous ne pouvons pas utiliser cette loi à cette fin.
Il ne fait aucun doute que si nous pouvions imposer des contraventions pour que cette infraction ne soit plus du ressort du système de justice pénale nous pourrions traiter cette infraction plus rapidement que nous pourrions le faire dans le système de justice pénale. Si je ne m'abuse, un témoin vous a donné l'exemple de ce qui s'est déjà passé en Colombie-Britannique, où les causes de conduite avec facultés affaiblies encombraient les tribunaux, et les autorités provinciales y ont adopté la Highway Traffic Act. C'est l'autre aspect qui a été soulevé. Nous devons nous assurer que les infractions du ressort des provinces n'empiètent pas sur la loi fédérale, qui est du ressort du gouvernement fédéral. Cette mesure a permis de retirer du système un grand nombre de causes de conduite avec facultés affaiblies. Les autorités ont constaté que ces causes encombraient le système, parce que ces causes, qui prenaient par le passé une demi-journée, exigeaient maintenant trois ou quatre jours.
Le sénateur White : Quelle est votre opinion à ce sujet?
M. Saunders : Cela mérite certainement que nous nous y attardions.
Le président : Le sénateur Joyal parlait de la décision de 50 pages du juge Cournoyer, et le juge a également fait référence à la limite de six mois en Grande-Bretagne, à savoir que les procès criminels doivent durer moins de six mois. Il y a évidemment des règles qui régissent le tout, mais c'est un aspect que le comité voudra peut-être examiner.
Monsieur Saunders, j'aimerais vous parler du procès des 18 de Toronto. Vous avez signé le document en vue d'annuler l'enquête préliminaire et de déposer des mises en accusation directes. J'aimerais avoir votre opinion générale en ce qui a trait aux enquêtes préliminaires, étant donné que les exigences en matière de divulgation sont maintenant très rigoureuses. Avez-vous une opinion générale quant à la valeur des enquêtes préliminaires?
M. Saunders : Comme je l'ai mentionné plus tôt, les provinces et même les procureurs ne s'entendent pas au sujet des enquêtes préliminaires. Comme vous l'avez souligné, l'obligation découlant de l'arrêt Stinchcombe signifie que ces enquêtes ne sont plus nécessaires, mais certains procureurs pensent qu'elles sont utiles dans certaines circonstances pour mettre à l'essai un témoin. Cela étant dit, l'Alberta a produit un excellent rapport dans lequel elle recommande l'élimination des enquêtes préliminaires sauf dans les cas de meurtre ou peut-être de tentative de meurtre. La province précise que les enquêtes préliminaires ne sont plus nécessaires en raison de l'arrêt Stinchcombe.
La province souligne également que le juge se servait par le passé de l'enquête préliminaire pour évaluer s'il y avait suffisamment d'éléments de preuve pour justifier un procès. La norme est de déterminer s'il y a des éléments de preuve permettant à un jury qui a reçu des directives appropriées de rendre un verdict de culpabilité. La norme dont se servent maintenant les services des poursuites vise à déterminer s'il y a une possibilité raisonnable d'obtenir une déclaration de culpabilité en fonction des éléments de preuve, ce qui est une norme plus élevée. Si les procureurs font adéquatement leur travail, ils reconnaissent que l'enquête préliminaire n'est pas vraiment nécessaire.
M. Dolhai : Vous avez parlé de mises en accusation directes, sénateur. Depuis la création de notre service, nous avons eu 106 mises en accusation directes, qui ont été signées par M. Saunders à titre de directeur des poursuites pénales, visant 206 accusés dans le cadre d'environ 38 enquêtes. Nous n'avons pas peur d'avoir recours à cette pratique; nous avons une politique en la matière, et la politique à ce sujet qui se trouve dans notre guide établit les aspects dont il faut tenir compte.
En ce qui concerne les obligations découlant de l'arrêt Stinchcombe, une enquête préliminaire est requise, et M. Saunders a mentionné qu'il était possible de dire qu'elle n'est pas nécessaire. Il y a d'autres cas dans le passé où le Parlement a décidé d'examiner si l'arrêt Stinchcombe avait changé la donne, et l'une de ces occasions que je connais bien concerne la mise sur écoute. Par le passé, pour qu'une preuve obtenue par la mise sur écoute soit admise au procès, il fallait démontrer qu'elle avait été légalement obtenue et qu'elle respectait la norme en la matière. Cela pouvait nécessiter une enquête préliminaire d'une à deux semaines pour communiquer avec la personne qui disait qu'une équipe était montée sur une échelle pour installer le dispositif sur le téléphone; c'est de l'ancienne technologie.
Pour ce qui est de cette question, le Parlement a décidé qu'à la lumière de l'arrêt Stinchcombe et des exigences en matière de divulgation l'enquête préliminaire n'était plus nécessaire et l'a éliminée. Les questions qui se posent au sujet de la mise sur écoute sont relatives à la Charte. Cela ne vise pas à déterminer si la personne est allée en haut du poteau pour se brancher à la bonne ligne téléphonique.
M. Saunders : J'ai un dernier point en ce qui concerne les enquêtes préliminaires. Le Parlement a adopté des modifications il y a quelques années au sujet des enquêtes préliminaires, et le paragraphe 540(7) prévoit des déclarations par écrit et s'est révélé un outil très utile dans bien des cas pour raccourcir la durée des enquêtes préliminaires. Nos procureurs nous rapportent qu'ils ont beaucoup de succès lorsqu'ils l'utilisent à cette fin.
Le président : J'ai également lu au sujet du maintien en poste de l'effectif et du recrutement au sein du Service des poursuites pénales. Cela continue-t-il d'être un peu un casse-tête pour vous?
M. Saunders : Non.
Le président : L'un des hommes assis dans la rangée derrière vous aurait mentionné les écarts de salaire par rapport à certaines provinces.
M. Saunders : C'était en effet un problème. Il y a quelques années, le gouvernement a essayé de rétablir la parité salariale entre les procureurs fédéraux et la moyenne de leurs homologues provinciaux.
Le sénateur Baker : Pour ce qui est des enquêtes préliminaires, si ma mémoire m'est fidèle, la norme est « s'il existe des éléments de preuve qui, à supposer qu'ils soient admis ». Vous avez oublié les mots « à supposer qu'ils soient admis », ce qui abaisse la barre.
Ce n'est pas l'enquête préliminaire en tant que telle. Si nous recommandions d'éliminer les enquêtes préliminaires, comment le justifierions-nous auprès des avocats de la défense qui affirment que l'objectif principal, à leur avis, est d'apprendre les faits qui peuvent servir de fondement à des arguments constitutionnels?
C'est l'objectif principal. C'est la raison pour laquelle vous réalisez une enquête préliminaire; vous déterminez s'il y a eu atteinte aux droits garantis par la Charte et vous avez l'occasion de contre-interroger les déclarants.
Comment pourrions-nous l'expliquer? Oui, il y a la norme peu élevée. Ce n'est vraiment pas nécessaire, parce qu'il y a des éléments de preuve, à supposer qu'ils soient admis — évidemment, il y a des éléments de preuve, « à supposer qu'ils soient admis » —, mais il est essentiel dans certains cas pour les avocats de la défense de pouvoir procéder à un contre-interrogatoire en raison d'arguments constitutionnels.
Quel est le problème à fournir une échéance quant à la divulgation par la Couronne? Quel est le problème à dire à la Couronne qu'elle a un certain nombre de jours pour divulguer tous les éléments de preuve avant le procès, ce qui n'est pas le cas actuellement? Lorsque des éléments de preuve sont divulgués pendant le procès, cela retarde les procédures. Que pensez-vous d'imposer un échéancier à la Couronne quant aux exigences en matière de divulgation pour que ce soit fait avant le procès?
M. Saunders : La divulgation a pratiquement toujours lieu avant le procès.
Le sénateur Baker : Il n'y a rien de mal à l'inclure.
M. Saunders : Nous divulguons les éléments de preuve avant le procès. Nous essayons de le faire le plus rapidement possible, comme l'a souligné plus tôt M. Dolhai. Le problème ne se pose pas dans la grande majorité des causes, mais ce l'est dans les causes plus complexes.
Le sénateur Baker : Voilà pourquoi je pose la question.
La deuxième question concernait les enquêtes préliminaires.
M. Saunders : Qu'est-ce que je réponds aux avocats de la défense?
Le sénateur Baker : Oui.
M. Saunders : Voilà pourquoi je n'ai pas pris position à ce sujet, sénateur. J'ai dit qu'il y avait de bons arguments de chaque côté. Les procureurs n'arrivent pas à s'entendre sur le maintien des enquêtes préliminaires. Pour répondre à votre question, je suis persuadé que certains avocats de la défense ne pensent pas que les enquêtes préliminaires sont nécessaires, mais la majorité d'entre eux serait d'avis de les maintenir.
La sénatrice Batters : Je remercie énormément la sénatrice Fraser d'avoir mentionné plus tôt l'exemple du Nunavut, parce que je me demande si vous pensez que nous pouvons en retenir des leçons que nous pouvons appliquer dans des régions plus éloignées au Canada, comme le Nord de la Saskatchewan, le Nord du Manitoba et le Nord de l'Ontario. J'aimerais brièvement vous entendre à ce sujet.
Vous avez mentionné qu'au Nunavut en raison du tribunal unique il y a une seule cour qui assume les deux fonctions en ce qui concerne les enquêtes préliminaires. Comment cela fonctionne-t-il? Cela signifie-t-il qu'une enquête préliminaire est réalisée avant le procès par le même juge qui présidera au final le procès? J'aimerais avoir des éclaircissements.
M. Saunders : Nous mettons en commun les pratiques exemplaires avec les provinces. J'ai mentionné qu'il existe un Comité fédéral-provincial-territorial des chefs des poursuites pénales qui se réunit deux fois par année, et nous profitons de ces réunions pour discuter des manières d'améliorer le système de justice pénale et de nos problèmes communs. Ce sont des réunions très collégiales axées sur les aspects opérationnels.
Si une pratique fonctionne bien dans le Nord canadien, nous la communiquerons aux autres. Si les autres ont une pratique qui fonctionne bien, ils nous la communiqueront. Nous avons ce mécanisme.
La sénatrice Batters : Y a-t-il quelque chose à ce sujet dont vous pourriez nous faire part en ce qui a trait aux délais judiciaires?
M. Saunders : Les éléments dont il a été question par le passé sont de nature administrative : un meilleur système d'administration pour l'organisation du travail. Par exemple, la responsabilité des dossiers était un grand enjeu il y a quelques années. Cela signifiait que par le passé un procureur de la Couronne se rendait en cour et que toutes les causes entendues cette journée-là étaient les siennes. Le jour suivant, c'était le tour d'un autre procureur de la Couronne, mais c'étaient les mêmes causes. Ensuite, certaines provinces ont mis de l'avant le principe de la responsabilité des dossiers et ont discuté des avantages de cette pratique. Cela signifie qu'une cause est attribuée à un avocat précis, que cet avocat conserve le dossier et qu'il n'y a pas de roulement. Il n'est pas nécessaire de réapprendre le dossier. Cela se veut donc une utilisation plus efficace du temps.
La sénatrice Batters : Cela ressemble davantage à la pratique dans les cabinets privés; c'est ainsi que je pratiquais le droit à l'époque.
M. Saunders : Voilà un exemple des éléments dont discutent les chefs des poursuites pénales.
M. Dolhai : C'est un juge différent qui s'occupe de l'enquête préliminaire et du procès.
La sénatrice Batters : Cependant, c'est le même échelon, n'est-ce pas?
M. Dolhai : Oui. C'est le même échelon au Nunavut. Ce n'est pas le cas aux Territoires du Nord-Ouest et au Yukon. Ces deux territoires ont une division claire : une cour territoriale et une cour supérieure.
La sénatrice Batters : Quel en est l'avantage?
M. Dolhai : J'ai mentionné que c'était différent au Nunavut. Dans cette région, c'est parfois difficile de mettre le doigt sur ce que cette pratique vous rapporte exactement. Toutefois, dans certains cas, j'ai vu une décision être prise par un juge qui ne sera pas le juge de première instance. Dans d'autres circonstances, cela n'arrive pas très souvent, tandis qu'à la cour du Nunavut vous avez un juge qui s'occupe un jour de l'enquête préliminaire dans votre cause, s'il y en a une, et qui est un autre jour votre juge de première instance dans une autre cause. C'est un petit barreau; tout le monde se connaît, et les juges forment un petit groupe avec une équipe volante.
Il y a une certaine dynamique qui s'installe dans un certain sens, étant donné que vous voyez tout le temps les mêmes personnes. Il a été question du Royaume-Uni et de certaines pratiques que le pays a adoptées. En discutant avec des procureurs du Royaume-Uni et en comparant nos notes, je les ai entendus dire quelque chose d'intéressant. Étant donné qu'ils ont dans leurs cours supérieures du personnel à l'interne ou des gens qu'ils embauchent, il arrive qu'une personne soit d'un côté ou de l'autre le lendemain pour une cause présider par les mêmes juges. La portée de l'exploration non nécessaire des éléments et la dynamique sont tout simplement différentes.
Cela étant dit, je tiens à mentionner que le juge Code a rédigé un excellent article en ce qui concerne les avocats de la défense et leurs fonctions à titre d'officiers de justice, et je crois, comme M. Saunders l'a dit, que nous n'abordons certainement pas la question en pensant qu'ils ne sont pas aussi déterminés que nous à ce sujet. En fait, ils le sont. Ce sont des officiers de justice, et je peux vous dire que tout le monde essaie de trouver des solutions.
La sénatrice Batters : Merci. Tout comme nous.
Le président : Par contre, dans les plus petites juridictions où les procureurs de la Couronne, les juges et le barreau local peuvent entretenir des relations très amicales, voir trop amicales, cela peut avoir des effets négatifs, pour ainsi dire.
Messieurs, merci beaucoup. Je vous suis reconnaissant de votre présence ici aujourd'hui et de vos témoignages. Nos discussions nous seront très utiles dans nos délibérations.
Chers collègues, je vais brièvement suspendre la séance.
(La séance est suspendue.)
(La séance reprend.)
Nous poursuivrons nos travaux à huis clos pour la deuxième partie de nos discussions, mais pour l'instant nous sommes saisis d'un élément ayant trait au budget relativement principalement à une demande concernant l'achat d'exemplaires du Code criminel pour les membres du comité. Y a-t-il des questions ou des commentaires à ce sujet?
La sénatrice Jaffer : Je propose d'accepter ce budget.
Le président : Quelqu'un d'autre a-t-il des commentaires? Il s'agit d'une affaire courante du comité. Que tous ceux qui sont pour se manifestent.
Des voix : D'accord.
Le président : Quelqu'un peut-il présenter une motion en vue de poursuivre les travaux à huis clos?
Le sénateur Baker : J'aimerais discuter à l'occasion d'une autre séance de la possibilité que chaque membre du comité ait accès à Westlaw, à Carswell ou à Quicklaw et que le comité en assume les frais, parce que cet accès nous permettrait de suivre chaque cause en fonction de la législation. Je lance tout simplement l'idée. J'en reparlerai à l'occasion d'une autre séance, mais le comité directeur pourrait en discuter à un moment donné.
Le président : Nous en discuterons à l'occasion de la prochaine séance du comité directeur. Pourriez-vous nous envoyer de l'information à ce sujet?
Le sénateur Baker : Oui.
Le président : Le sénateur Baker propose de poursuivre les travaux à huis clos.
(La séance se poursuit à huis clos.)