Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule nº 2 - Témoignages du 18 février 2016
OTTAWA, le jeudi 18 février 2016
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd'hui, à 10 h 32 pour étudier les questions relatives aux délais dans le système de justice pénale au Canada.
Le sénateur Bob Runciman (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonjour et bienvenue, chers collègues, invités et membres du public qui suivent aujourd'hui les délibérations du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.
Le mois dernier, chers collègues, le Sénat a autorisé le comité à examiner, pour en faire rapport, les questions relatives aux délais dans le système de justice pénale au Canada ainsi que les rôles joués par le gouvernement du Canada et le Parlement afin de réduire ces délais. Il s'agit de la quatrième rencontre portant sur cette étude.
Se joignent à nous pour la première heure aujourd'hui, des représentants de l'Association du Barreau canadien, soit Ian M. Carter, trésorier, Section du droit pénal; Tony Paisana, membre de l'exécutif, Section du droit pénal, qui se joint à nous par vidéoconférence de Vancouver; et Gaylene Schellenberg, avocate, Législation et réforme du droit.
Nous vous remercions tous d'être parmi nous et nous réjouissons à la perspective d'entendre vos exposés. Je crois savoir...
Le sénateur Joyal : Je suis désolé de vous interrompre, monsieur le président, mais j'invoque le Règlement. Toutes mes excuses aux témoins.
J'ai soulevé hier la question de la décision prise par le juge Cournoyer, de la Cour supérieure du Québec, d'imposer un calendrier d'audiences lorsque les délais semblent inacceptables. J'aimerais présenter la décision, qui est libellée uniquement en anglais. Je pense qu'elle sera utile aux collègues ici présents.
Le président : Merci, je suis sûr qu'ils la trouveront utile.
Je vais donner la parole aux témoins, tout d'abord Mme Schellenberg, suivie de M. Carter et enfin de M. Paisana. Nous passerons ensuite aux questions.
Gaylene Schellenberg, avocate, Législation et réforme du droit, Association du Barreau canadien : Merci de votre invitation à vous soumettre nos points de vue sur les délais dans le système de justice pénale au Canada.
L'Association du Barreau canadien est une association nationale regroupant plus de 36 000 membres, dont des avocats, notaires, étudiants en droit et universitaires. Nous avons pour mandat de chercher des moyens d'améliorer le droit et l'administration de la justice. L'association comprend des procureurs de la Couronne et des avocats de la défense chevronnés provenant de toutes les provinces et territoires du Canada.
Comme vous l'avez dit, m'accompagnent aujourd'hui Ian Carter, le trésorier de la section, et Tony Paisana, membre de l'exécutif. Ian est avocat de la défense à Ottawa et Tony est surtout avocat de la défense à Vancouver. Je leur donne la parole pour résumer notre lettre et répondre à vos questions.
Ian M. Carter, trésorier, Section du droit pénal, Association du Barreau canadien : Nous avons reçu un préavis assez court et, idéalement, nous aurions aimé faire davantage de consultations auprès des membres. Je ne parle pas en mon nom, mais au nom des procureurs de la Couronne et des avocats de la défense du pays tout entier. Nous avons pu consulter divers avocats de l'Alberta, du Manitoba et des régions de l'Est, et avons essayé de présenter dans nos mémoires certaines de leurs suggestions.
Je vais me concentrer sur quelques-unes d'entre elles que je considère particulièrement importantes. En réalité, la majeure partie de l'administration de la justice se fait évidemment dans des tribunaux provinciaux. S'agissant de ce que peut faire le gouvernement fédéral, il y a un petit peu plus de contraintes. Je vais donc me concentrer sur deux domaines dans lesquels je pense que l'on peut changer les choses.
Le premier porte sur la position que nous avons déjà fait valoir devant le comité concernant les peines minimales obligatoires. En effet, plus ces dernières sont nombreuses, plus il y a d'affaires devant les tribunaux, étant donné qu'elles sont plus difficiles à résoudre. Cela entraîne des délais supplémentaires, puisqu'il y a davantage d'audiences. Il y a à cet égard un élément de politique par rapport à ce qu'il convient de faire en la matière. Nous sommes toutefois d'avis que la suppression des peines minimales obligatoires permettra de résoudre les affaires plus tôt et dégagera du temps d'audience.
Le second point est un peu plus neutre sur le plan des politiques et, d'après ce que j'en dis dans mon mémoire, il pourrait complètement transformer le système de justice pénale. J'aurais aimé en avoir eu l'idée, mais c'est un de nos membres qui l'a proposé.
À la page 2 du mémoire, nous parlons de la modernisation des comparutions initiales de routine. Permettez-moi de vous faire le tableau de ce qui arrive quotidiennement dans un tribunal. Nous avons ce que l'on appelle le tribunal de renvoi où siège le juge de paix et où défilent chaque jour des centaines d'accusés pour une comparution de 15 à 30 secondes à des fins de mise à jour de l'affaire. Il y a donc le juge de paix, l'avocat de la défense, le personnel administratif et les greffiers du tribunal. On y voit aussi des dizaines d'avocats de la défense, de techniciens juridiques et de stagiaires — tous là pour une comparution de routine qui ne porte pas à conséquence.
Cette façon de procéder a son origine dans l'histoire alors que, dans les affaires criminelles, et contrairement aux affaires civiles, l'accusé devait être présent devant le tribunal. Ainsi, chaque fois que quelque chose se passe dans le système de justice pénale, l'accusé doit être présent.
Des changements ont été apportés au Code criminel afin d'assouplir la procédure. L'avocat de la défense peut désormais signer un formulaire de désignation l'autorisant à comparaître en l'absence de l'accusé. Mais, là encore, la présence de l'avocat est requise pour des comparutions qui sont sans conséquence. À Ottawa, je peux dire qu'il y a chaque matin, entre 8 h 30 et jusqu'à 12 h 30 quelquefois, des avocats qui défilent pour traiter des centaines de cas à l'occasion d'une procédure qui ne porte pas à conséquence.
En se rapprochant du système civil dans lequel la décision à prendre est sans conséquence — tout se passe à l'extérieur du tribunal entre avocats — nous gagnerions un temps de séance énorme et nous économiserions les ressources du bureau de la Couronne, du tribunal et des avocats de la défense. Cette mesure, qui libère les salles d'audience et permet aux juges de les utiliser pour entendre des procès, permettrait de réduire de façon spectaculaire les temps de séance.
Ces comparutions sont en effet totalement inutiles. Le plus souvent, l'avocat de la défense se contente de déclarer : « Nous sommes là pour faire état de la situation. Je n'ai pas encore reçu les documents. Je demande donc l'ajournement pendant deux semaines. » Le procureur de la Couronne accepte, ainsi que le juge de paix. Voilà en quoi consiste toute la comparution. Il est totalement inutile que cela se passe au tribunal. Aucune raison ne le justifie.
Grâce à des mécanismes électroniques, les procureurs de la Couronne et les avocats de la défense pourraient suivre une affaire particulière, établir un calendrier — l'information devant être communiquée dans un délai de deux semaines — et fixer la date du procès, qui seul exige une comparution.
Au niveau fédéral, cela peut se faire par des changements apportés au Code criminel.
M. Paisana va vous parler des thèmes suivants.
Tony Paisana, membre de l'exécutif, Section du droit pénal, Association du Barreau canadien : Mes observations porteront sur deux autres thèmes traités dans notre mémoire, à savoir le financement de l'aide juridique et la gestion de la divulgation.
En commençant par le premier, il ne fait désormais plus aucun doute que la situation du financement de l'aide juridique, ou son absence, a atteint un point critique. En Colombie-Britannique, les tarifs de l'aide juridique n'ont pratiquement pas bougé depuis 15 ans, ce qui a abouti à une réduction significative de cette aide et à une augmentation des retards dans notre système. Je vais essayer de vous expliquer comment.
En Colombie-Britannique, par exemple, les gens se voient quelquefois refuser l'aide juridique pour de nombreuses infractions administratives dont sont saisis les tribunaux parce qu'ils ne risquent pas la prison. D'autres, qui font face à des accusations plus graves ne reçoivent pas non plus d'aide juridique à cause du modeste revenu d'emploi qu'ils gagnent. Ces accusés appauvris et non représentés languissent ensuite dans le système. Ils demandent en effet de nombreux ajournements pour essayer de trouver des services peu coûteux ou gratuits, et lorsqu'ils n'y arrivent pas, ils essaient à l'aveuglette de se défendre eux-mêmes.
Un procès qui aurait normalement pris un jour ou deux, en prend plusieurs autres. Les accusés ne se rendent pas compte, par exemple, que les conseils d'un avocat auraient réduit la durée du procès. Ils passent ainsi des heures en contre-interrogatoires et en représentations qui n'ont aucune chance d'aboutir. Ces accusés non représentés ralentissent le système et prennent un temps d'audience qui pourrait être utilisé à meilleur escient.
S'agissant du deuxième point, la gestion de la divulgation, il est notoire que la pratique contemporaine a considérablement complexifié les affaires criminelles, causant ainsi des retards. Ce qui inquiète le plus est le volume de renseignements à divulguer ainsi que, comme nous le mentionnons dans notre mémoire, la gestion et la livraison des documents qui, en tant que processus administratif, causent des retards considérables.
Il arrive assez fréquemment, comme l'a signalé M. Carter, que les procureurs de la Couronne ou les avocats de la défense demandent de multiples ajournements afin d'obtenir l'information en bonne et due forme. Les procureurs le font habituellement pour pouvoir vérifier l'information. Les procureurs et la police examinent laborieusement tous les documents à divulguer pour expurger les numéros de téléphone, l'information privilégiée et autres données qui n'intéressent pas la défense. Lorsque l'on a affaire à des dossiers volumineux et complexes, vous pouvez bien imaginer le temps énorme que cet exercice peut prendre. Ces divers ajournements sont d'autant plus nécessaires que l'on ne s'attend pas à ce que l'accusé puisse prendre des décisions importantes avant de prendre connaissance de ces documents.
Dans notre mémoire, nous faisons des recommandations sur les moyens de rationaliser le processus et de le rendre plus efficace, par exemple en autorisant les services de police à embaucher du personnel spécialisé pour approuver les documents préparés et compilés, tâche que n'auraient pas à faire des procureurs déjà surchargés, une fois que les accusations ont été approuvées et que les affaires sont déjà inscrites. Plus tôt la divulgation peut se faire après la première comparution, plus efficace sera le système.
Sur ce, M. Carter et moi-même serons heureux de répondre à vos questions.
Le président : Merci à tous.
La sénatrice Jaffer : Merci beaucoup. Une fois encore, nous vous savons gré d'avoir préparé vos exposés à bref préavis.
J'aimerais préciser quelque chose. Vous nous parlez souvent des peines minimales obligatoires et des raisons pour lesquelles vous êtes contre. Je ne vous demande certainement pas de les répéter mais, d'après ce que je comprends, quand il s'agit des retards judiciaires, le problème des peines minimales obligatoires vient du fait qu'elles n'incitent pas à la négociation de plaidoyer. Pouvez-vous élaborer à ce sujet, s'il vous plaît?
M. Carter : Je ne peux que vous en parler de façon empirique, car je n'ai pas de statistiques sous les yeux. Les peines minimales obligatoires peuvent changer les choses si, selon les circonstances particulières d'un accusé, la peine devait être inférieure à une peine minimale obligatoire. Il n'y aura pas d'effet lorsque la peine doit être supérieure à la peine minimale obligatoire, seulement lorsque celle-ci devrait être inférieure.
Deux choses se produisent. Il est moins probable que l'accusé plaide coupable dans ce cas, ce qui fait qu'il faudra prévoir du temps pour le procès. Le deuxième aspect du problème est la politique que la Couronne semble suivre en la matière. Là encore, j'en parle de façon empirique en me basant sur mon expérience à Ottawa et dans d'autres villes où l'association est présente. Souvent, la politique en vigueur n'autorise pas les procureurs de la Couronne à négocier facilement un plaidoyer lorsqu'une peine minimale obligatoire est en jeu. Ils ont peu de manœuvre pour régler l'affaire qui va donc en procès, procès qui sont en conséquence de plus en plus souvent reportés. Lorsque je réserve du temps d'audience, il y a déjà beaucoup de procès prévus. Dans des villes comme Pembroke, où il y a un solide système de règlement des différends et moins d'actes criminels entraînant une peine minimale obligatoire, on peut prévoir un procès dans un délai de quatre à six mois. À Ottawa, il faut prévoir un délai d'attente de 10, 12 ou 13 mois.
La sénatrice Jaffer : On a beaucoup parlé hier des audiences préliminaires. Depuis que je suis avocate, on parle de s'en débarrasser. J'aimerais avoir votre opinion à tous les deux sur leur efficacité. À mon avis, elles peuvent souvent faire gagner du temps. J'aimerais donc que vous me donniez tous les deux votre avis.
M. Carter : Premièrement, il n'y a qu'une poignée d'infractions qui donne lieu à des audiences préliminaires. La vaste majorité des affaires est entendue dans les tribunaux provinciaux à l'occasion de procès ou de plaidoyers.
Dans les quelques cas graves, qui peuvent donner lieu à des audiences préliminaires, l'enquête préliminaire peut jouer un grand rôle pour faire accélérer les choses. Dans certains cas où j'ai la preuve, par exemple, que la victime pourrait mentir et que j'ai besoin de confirmer certaines choses sous serment, je dirigerai une enquête préliminaire. C'est une procédure qui est beaucoup plus courte qu'un procès. Compte tenu de l'information obtenue, j'écrirai au procureur de la Couronne pour lui dire : « Cette personne a fait les déclarations suivantes sous serment et je dispose des documents prouvant qu'elles sont fausses », et la Couronne peut alors retirer l'accusation. Ces enquêtes ont donc pour fonction de traiter les accusations auxquelles on ne devrait pas donner suite et de rationaliser ainsi les affaires.
M. Paisana : Je suis généralement d'accord avec ce qu'a dit M. Carter. Selon mon expérience, en particulier au sujet des affaires très graves, comme des meurtres, lorsqu'il n'est pas clair que c'est un meurtre au premier degré ou un homicide involontaire, je trouve que les enquêtes préliminaires sont très utiles pour vérifier la preuve de la Couronne et exposer les faiblesses du dossier, en rendant ainsi inutile le procès. L'exposition des faiblesses facilite la négociation de plaidoyers. Dans notre pratique en Colombie-Britannique, il est courant de procéder à ces types d'audiences préliminaires et d'engager immédiatement après des discussions susceptibles de transformer un meurtre au premier degré, dont le procès pourrait prendre des mois en cour supérieure, en plaidoyer de culpabilité d'homicide involontaire qui serait entendu par un tribunal provincial.
Le sénateur Plett : La sénatrice Jaffer vous a posé la question que je voulais vous poser moi-même sur les peines minimales obligatoires. Je vais donc vous en poser une autre, à laquelle les témoins d'hier n'ont pas pu répondre, car cela n'était pas de leur compétence.
J'ai lu cette semaine un article — et je pense que nous l'avons tous lu — à propos d'un agresseur d'enfants présumé qui pourrait éviter un procès en raison de retards dans le système judiciaire québécois. L'homme a été accusé en janvier 2014 d'agression sexuelle sur une fillette de sept ans et son procès n'a pas encore eu lieu. Le père de l'enfant a déclaré : « Cela fait plus d'un an que les avocats de l'accusé profitent de ces retards. Le procès n'a même pas commencé et notre fille a déjà oublié certains détails de l'agression. » Les parents ont en outre déclaré que le traumatisme causé par l'agression sexuelle est aggravé par l'anxiété que suscite un système de justice inadapté. La situation est manifestement très grave.
J'ai donc deux questions. Premièrement, à quelle fréquence les affaires d'extrême violence ou d'agression sexuelle sont-elles retardées de façon indue lorsqu'un juge ordonne l'arrêt des procédures?
Deuxièmement — et j'espère que vous me répondrez franchement —, quels contrôles les avocats de la défense peuvent-ils exercer pour retarder une procédure à l'avantage de l'accusé? À votre avis, dans quelle mesure peut-on reprocher aux avocats les délais que l'on constate dans de telles situations pour éviter les peines minimales obligatoires?
M. Carter : Je vais répondre aux deux questions.
La réponse à la première question est simple, c'est-à-dire très rarement. L'alinéa 11 b) de la Charte traite précisément des délais. Les demandes qui aboutissent le plus souvent concernent les cas courants, par exemple la conduite avec facultés affaiblies et taux d'alcoolémie dépassant 80 mg ne causant ni la mort ni blessures. Plus les affaires sont graves, moins les demandes ont des chances d'aboutir. C'est extrêmement rare.
Le sénateur Plett : Néanmoins, de tels cas arrivent, n'est-ce pas?
M. Carter : De tels cas peuvent survenir de temps en temps. Je n'arrive pas à me rappeler que ce soit survenu, par exemple, dans un cas d'agression sexuelle. Je n'ai même jamais essayé de le faire dans une cause grave, parce que la loi fait en sorte que c'est extrêmement difficile d'obtenir gain de cause concernant de telles demandes.
Votre deuxième question porte sur le rôle de l'avocat dans les délais, et vous vouliez une réponse honnête. Tout dépend des circonstances, mais il ne fait aucun doute que les agissements d'un avocat dans une cause peuvent entraîner des délais. Par exemple, si les avocats de la défense sont très occupés, il peut être impossible d'insérer dans leur horaire un procès particulièrement long avant un certain moment. Il est possible que les avocats de la défense ne soient pas en mesure de recevoir les directives de leurs clients pour faire quelque chose et faire avancer les procédures. Bref, ils peuvent jouer un rôle dans les délais, à l'instar de tout autre membre du système de justice.
Le sénateur Plett : Par contre, les avocats de la défense en font-ils usage intentionnellement pour les aider dans leur cause?
M. Carter : Dans la jurisprudence en ce qui concerne les demandes en vertu de l'alinéa 11b), le juge divise le temps. Si le délai est la faute de l'avocat de la défense, le juge n'en tiendra pas compte dans le délai. Autrement dit, il faut regarder les données chaque mois. Si l'avocat de la défense essaie de retarder les procédures, cela deviendra apparent dans les données, et ce n'est pas utile. En fait, cela joue contre lui lorsqu'il présente une telle demande.
Il y a eu quelques changements dans la loi à ce sujet. Il était possible de faire certaines choses par le passé, et certains avocats l'ont probablement fait. Selon les dispositions actuelles, c'est virtuellement impossible.
M. Paisana : J'aimerais ajouter un élément à ce sujet, si vous me le permettez.
J'ai représenté l'accusé devant la Cour suprême du Canada en octobre dans une cause qui deviendra, selon nous, le prochain arrêt Askov. Pour vous donner une idée de la difficulté d'obtenir un arrêt des procédures, dans la cause en question, il s'est écoulé 49 mois entre la mise en accusation et le procès de l'accusé, soit plus de 4 ans. Au cours de cette période, aucun des délais n'a été attribué à l'accusé, et sa demande en vue d'obtenir un arrêt des procédures a été refusée lors du procès et en Cour d'appel. C'est donc très difficile de satisfaire à cette norme.
Pour ce qui est de votre deuxième question au sujet des agissements des avocats de la défense, je me fais l'écho de bon nombre de commentaires de M. Carter, mais je crois qu'il est important de nous rappeler que les chances de succès des arguments de la Couronne ou de l'accusé peuvent diminuer au fil du temps. À cet égard, je considère comme pertinents les commentaires du juge Michael Code dans le livre Trial Within a Reasonable Time, qu'il a écrit à l'époque où il était avocat peu de temps après avoir représenté M. Askov. Il a dit :
La réalité des délais judiciaires est qu'ils prolongent tout simplement la peur du procès au lieu de la soulager. Au final, dans les rares causes où les délais étaient si énormes que les accusations ont dû être abandonnées, nous pourrions dire dans un certain sens que les délais ont en fait profité au client. Cependant, ce type d'analyse des violations des droits après les faits semble, à mon avis, confondre le redressement constitutionnel pour les dommages subis en raison des délais avec un avantage. L'approche de la Cour d'appel m'a profondément semblé injuste, parce qu'elle jetait le blâme sur l'accusé et son avocat ou son avocate pour leur peur très naturelle à l'égard de la date du procès et qu'elle leur imposait en plus le fardeau de régler le problème institutionnel des arriérés des tribunaux. Voilà ce qui m'a motivé à saisir les tribunaux des questions liées à l'alinéa 11b) dans le cadre de la cause.
Je crois que c'est une perspective intéressante.
Le président : Nous devons poursuivre la série de questions. J'encourage nos témoins à être plus brefs dans leurs réponses pour que tous les sénateurs puissent poser leurs questions.
Le sénateur Baker : Je remercie les témoins. Vous êtes d'excellents avocats. Je suis vos parcours dans la jurisprudence. Continuez votre bon travail. Je vais vous poser des questions concernant les principaux points que vous avez soulevés.
Monsieur Carter, vous avez mentionné l'engorgement des tribunaux et ce que nous appelons communément dans la majorité des endroits les interpellations, c'est-à-dire qu'une personne doit comparaître devant un juge d'ici relativement 24 heures, selon les dispositions du Code criminel. Vous avez dit qu'un juge de paix est sur place. Un juge d'une cour provinciale est considéré comme un juge de paix, et un juge de paix ne peut pas décerner un mandat de perquisition, par exemple, et ne peut certainement pas présider des interpellations, et ce, dans plusieurs endroits au pays.
Bref, vous faites valoir que cela engorge les tribunaux et qu'à plusieurs endroits cela accapare les tribunaux et les juges. Je crois que c'était l'élément principal que vous avez fait valoir.
Une suggestion a été faite au sujet des protonotaires, comme je les appelle. Mme Schellenberg utilise le bon nom. J'ai mal prononcé le mot, mais vous savez ce dont je parle. Serait-il à notre avantage de recommander de ne pas accaparer les juges et les salles d'audience et de faire appel à des avocats d'expérience?
Expliquez-nous comment vous régleriez ce problème. Le Code criminel prévoit que l'accusé doit comparaître devant un juge d'ici 24 heures. Vous avez proposé certaines solutions. Nous devrions modifier le Code criminel pour ce faire. Voilà ce que je vous demande.
Pour ce qui est de l'autre témoin, la divulgation était l'un de vos principaux points. Nous pourrions recommander qu'une divulgation adéquate signifie que vous soit divulgué, avant les plaidoyers, tout ce qui concerne les causes criminelles dont vous vous occupez — par exemple, les notes de l'agent, le rapport de continuation, le rapport du procureur de la Couronne; autrement dit, vous auriez une copie des éléments de preuve avant les plaidoyers. Le directeur des poursuites pénales a témoigné hier devant notre comité et a convenu que ce serait une bonne idée de fixer une échéance pour que soit faite la divulgation avant le procès. La Couronne aurait un certain nombre de jours avant le procès pour divulguer tout ce qu'elle compte présenter dans le cadre du procès. Il n'a rien trouvé à redire à ce sujet. Si nous suggérons que, par exemple, 15 ou 30 jours avant le procès la Couronne divulgue tous les éléments de preuve qu'elle présentera dans le cadre du procès, qu'en pensez-vous?
Voilà mes deux questions.
M. Carter : Je répondrai à votre première question. En ce qui a trait aux interpellations et à l'avancement des procédures, lorsque vous parlez de la question des 24 heures, cela concerne les personnes détenues qui comparaissent en cour.
Le sénateur Baker : Oui.
M. Carter : La vaste majorité des gens arrêtés sont remis en liberté sur la foi d'une promesse de comparaître ou d'une citation à comparaître, mais ils devront comparaître à une date ultérieure. Ils ne se présentent pas devant le tribunal. Il n'y a donc pas de problème à changer la procédure en vue de permettre une série — si un document de désignation est déposé — de comparutions électroniques qui ne gaspillent pas les ressources judiciaires.
Dans le cas où une personne est arrêtée et comparaît en cour, il faudrait maintenir ces comparutions. Dans la majorité de ces cas, il y a consentement quant à leur détention — dans un tel cas, le dossier peut être traité par le système électronique, parce qu'il y aura des comparutions normales durant les procédures pour essayer de régler la cause ou d'obtenir la divulgation — ou il y a une enquête sur remise en liberté — dans un tel cas, la personne est remise en liberté, et son dossier est traité par le système électronique.
Des changements pourraient facilement être apportés sans aller à l'encontre des dispositions du Code criminel.
M. Paisana : En ce qui a trait à votre question sur la divulgation, j'aurais quelques commentaires quant à la manière dont vous avez formulé votre suggestion. Premièrement, cela ne devrait jamais se limiter à ce que le procureur de la Couronne a l'intention de présenter en preuve. La divulgation doit être suffisamment vaste pour inclure tous les éléments inculpatoires et disculpatoires pour donner l'occasion à l'accusé de préparer une réponse et une défense adéquates et complètes.
Pour ce qui est de l'établissement d'une échéance, nous devons faire attention lorsque nous le faisons près des procès pour certaines raisons. Vous proposez 15 ou 30 jours. Premièrement, lorsque c'est possible dans notre système de justice pénale, nous avons l'habitude d'attendre jusqu'à l'échéance et de nous préparer jusqu'à ce moment au lieu d'assurer une divulgation en temps opportun bien avant la date limite.
Par ailleurs, deux semaines à un mois avant le procès, c'est très près de la date du procès. Si l'échéance n'est pas respectée pour diverses raisons, vous courez le risque d'entraîner l'ajournement du procès. C'est lorsque des choses semblables surviennent que les délais les plus importants se produisent dans notre système. Lorsque le procès doit être reporté à une date ultérieure, parce que les procédures ne peuvent pas se poursuivre ou que le temps a été sous-estimé, cela engorge grandement le système.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Je ne sais pas lequel d'entre vous a fait allusion à l'aide juridique, mais j'aimerais mentionner un fait à ce sujet. On sait que les membres des gangs de motards ne sont habituellement pas les plus pauvres, mais souvent, leur richesse est détenue par des prête-noms. Au Québec, un mégaprocès a été intenté contre des gangs de motards à la suite de l'opération SharQc. Lors de ce mégaprocès, des motards ont eu droit à l'aide juridique. Pour les contribuables, il est difficile de comprendre que des motards extrêmement riches puissent avoir bénéficié de l'aide juridique.
Cependant, j'aimerais revenir à la question des délais.
La plupart des avocats de la défense qui ont témoigné devant nous semblent vouloir rejeter un peu la responsabilité des retards sur l'administration des tribunaux. Ne pourriez-vous pas faire comme les médecins qui refusent de voir un patient lorsqu'ils savent qu'ils ne pourront l'opérer dans un délai raisonnable?
Ma question s'adresse à nos deux invités.
[Traduction]
M. Paisana : Nous demandez-vous si un avocat doit refuser un client en vue de préserver l'administration de la justice?
[Français]
Le sénateur Dagenais : Ne pourriez-vous pas tout simplement refuser le mandat lorsque vous savez pertinemment que vous ne pourrez pas défendre votre client en raison des délais déraisonnables qui vous obligeront à reporter la cause sans cesse, ce qui pourrait faire avorter le procès?
C'est d'ailleurs ce qui s'est produit lors du mégaprocès SharQc. Les délais ont été tellement déraisonnables que le procès a avorté. Il me semble que, dans des cas comme celui-là, quelqu'un, quelque part, doit être au courant de ces faits.
[Traduction]
M. Paisana : Vous êtes aux prises avec la même question que bon nombre d'avocats se posent, à savoir le conflit entre le droit d'un accusé d'avoir recours à l'avocat de son choix en vertu de l'article 10 de la Charte et le droit de l'accusé d'être jugé dans un délai raisonnable en vertu de l'article 11 de la Charte. Le problème a déjà été soulevé en vue de déterminer si la cour peut forcer un avocat à abandonner une cause, parce qu'il ne peut pas s'en occuper en temps opportun en raison de son horaire. C'est une situation délicate parce qu'il faut trouver l'équilibre entre les deux droits qui peuvent, en théorie, être concurrents.
Au final, la manière de traiter de ce problème au cours des dernières années a été de demander à l'accusé d'officiellement renoncer à son droit en vertu de l'alinéa 11b) d'être jugé dans un délai raisonnable. Voici comment cela se déroule. L'accusé dit qu'il veut cet avocat, mais qu'il est seulement disponible dans un an et demi. Le tribunal lui répondra donc qu'il ne pourra pas se plaindre dans un an et demi que le procès prend trop de temps et lui demande de renoncer officiellement à ce droit. Voilà normalement comment c'est fait.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Je reviens au procès des gangs de motards. Certains motards choisissaient parfois un avocat qui ne pouvait se rendre disponible avant un an et demi, fait dont ils étaient parfaitement au courant. C'est d'ailleurs ce qui a fait avorter le procès. C'est pour cela que je dis qu'à ce moment-là, l'avocat devrait refuser le mandat.
Vous m'avez bien répondu, et j'ai compris.
[Traduction]
Le président : Sénateur Joyal, vous avez la parole.
Le sénateur Joyal : J'ai deux principales questions. La première concerne un passage au bas de la page 2 de votre document, sous le titre « Favoriser le règlement des causes en amont ». Je vais le lire :
Le moyen le plus efficace de réduire les délais judiciaires consiste à favoriser le règlement des causes le plus tôt possible dans le processus.
J'aimerais demander à M. Carter ou à son collègue s'ils sont au courant que pour les affaires civiles au Québec il y a un nouveau Code de procédure civile qui est entré en vigueur en janvier dernier. Dans ce code — et je parle ici d'affaires civiles —, les autorités québécoises ont choisi d'adopter l'approche selon laquelle tout doit être fait pour essayer d'arriver à un règlement au lieu de se rendre au procès. Selon moi, il est temps de réviser la procédure du droit pénal pour adopter une approche similaire en vue d'essayer de régler au départ certaines causes et d'éviter d'en saisir les tribunaux.
Cela a absolument changé l'approche du système. Autrement dit, il faut suivre ce processus avant de pouvoir dire que vous voulez aller devant les tribunaux. Je crois qu'il y a là des leçons à retenir, parce que si nous voulons désencombrer le système nous devrons modifier l'approche à l'égard des procédures préliminaires et l'approche philosophique, soit d'essayer en premier d'éviter la tenue d'un procès et de voir si nous pouvons éviter d'utiliser les moyens auxquels l'accusé a droit, mais d'avoir au moins fait un effort en ce sens.
M. Carter : Pour vous répondre brièvement, je suis d'accord. Notre position va dans le même sens. Nous sommes d'avis que les procédures en amont visant le règlement des causes sont dans l'intérêt de l'administration de la justice.
Pour revenir sur la question de la modernisation des procédures habituelles, le droit pénal peut retenir des leçons de ce qui se fait dans le droit civil, et cela en est une. Les juristes du droit civil n'ont pas besoin de se présenter en cour toutes les deux ou trois semaines pour prendre la parole quant à leur cause et accaparer des ressources. Ils consacrent leur temps à organiser des conférences de règlement. Je ne suis pas spécialiste du droit civil, mais d'après les juristes de droit civil avec lesquels je discute une telle organisation serait utile dans le système de justice pénale. C'est le point que nous faisons valoir.
En discutant avec des collègues de partout au pays et notamment en me préparant à la séance d'aujourd'hui, j'ai constaté que le problème est en partie que les différents endroits ont différents systèmes et que certains sont plus organisés que d'autres. À Ottawa, en toute justice, notre système est assez bien organisé pour régler des causes avant leur procès. Nous sommes obligés de rencontrer un procureur de la Couronne pour chaque cause et de discuter avec un procureur de la Couronne qui est responsable du dossier. Il faut les rencontrer pour discuter du règlement de la cause.
Si vous n'êtes pas en mesure d'arriver à un règlement, mais que vous n'en êtes pas loin, vous devez ensuite organiser une conférence préparatoire. Si c'est un procès qui prendra plus de trois quarts d'une journée, soit la majorité d'entre eux, vous devez organiser une conférence préparatoire. Voici comment cela se déroule. Un procureur de la Couronne, un avocat de la défense et un juge se réunissent dans le cabinet du juge, et le juge incite les parties à essayer ensemble d'arriver à un règlement et à au moins réduire les points litigieux, s'ils n'arrivent pas à s'entendre. Par exemple, je pourrais dire que j'ai besoin de cinq jours. Le juge me demanderait alors de lui expliquer pourquoi j'ai besoin de cinq jours, pourquoi je ne peux pas le faire maintenant et pourquoi j'ai vraiment besoin de ce témoin. À Ottawa, cela fonctionne bien.
Ailleurs, les gens avec lesquels je discute me disent qu'ils n'ont pas cette possibilité, et je crois que cela pourrait leur être utile. Des avocats de la défense étaient quelque peu réticents à devoir faire tout cela, mais c'est honnêtement avantageux pour le système, d'après mon expérience.
Le sénateur Joyal : J'aimerais citer un extrait du paragraphe 214 de la décision du juge Cournoyer que nous avons déposée plus tôt, soit une décision récente qui date du 27 janvier :
À moins que la poursuite démontre le contraire, la cour est portée à conclure qu'est satisfait le critère pour la tenue d'une audience sur l'abus de procédure...
Je répète qu'il est question du « critère ». Autrement dit, les tribunaux sont capables de déterminer si à un moment donné il y a un abus de procédure.
J'ai l'impression que nous devons nous pencher sur le critère. Autrement dit, nous devons examiner la manière dont c'est mis en œuvre dans les causes et voir si sont satisfaits les divers critères que le juge doit constater dans la cause. Nous devons examiner la jurisprudence et déterminer si le critère qui existe dans les tribunaux signifie que l'audience doit avoir lieu un jour. C'est l'une des questions sur lesquelles nous devons nous pencher pour nous assurer d'examiner pleinement la procédure.
Le président : Répondez par « oui » ou par « non ». Nous devons passer à autre chose.
M. Carter : Je n'ai pas lu la décision. Tout ce que je sais, c'est que M. Cournoyer est un juge très respecté dans le domaine du droit criminel.
Le sénateur McIntyre : Ma question n'est qu'un complément à l'un des enjeux que vous avez évoqués tout à l'heure, monsieur Carter. Elle porte sur la modernisation des comparutions initiales de routine. Comme vous le savez, des mesures de rechange sont décrites à l'article 716 du Code, et il s'agit de mesures autres que des procédures judiciaires. Comment vos membres perçoivent-ils ces mesures?
M. Carter : En général, c'est le terme « déjudiciarisation » qui est utilisé pour faire référence à ces mesures de rechange.
Le sénateur McIntyre : Programmes de déjudiciarisation, cercles de détermination de la peine, médiation entre victimes et contrevenants, et cetera. C'est bien cela?
M. Carter : Oui, et ce sont des programmes importants.
Pour ce qui est de faire le lien avec la modernisation des comparutions initiales... En fait, même s'il s'agit de mesures de rechange et que l'on utilise le terme déjudiciarisation pour les désigner, vous allez quand même vous retrouver avec une grande quantité de comparutions. Si, pour une affaire donnée, l'avocat de la Couronne me dit qu'il est ouvert à une déjudiciarisation ou à des mesures de rechange, je vais fort probablement devoir me présenter en cour comme je le ferais pour n'importe quelle demande de renvoi, et dire au tribunal : « Nous devons présenter une demande de déjudiciarisation. Laissons l'affaire en suspens pendant deux semaines. » Je vais revenir deux semaines plus tard et poser cette question : « La demande a-t-elle été présentée? » On me répondra qu'elle n'a pas encore été reçue, et qu'il faudra revenir dans deux autres semaines.
Bref, même lorsqu'on a recours à cette déjudiciarisation ou à ces mesures de rechange, il faut quand même trois, quatre et parfois cinq comparutions inutiles. S'il y avait une façon de réussir tout cela sans avoir à se présenter en cour, ce serait formidable.
Il y a un domaine où cela se fait sans comparution en cour, et c'est celui qu'encadre la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. Les policiers ont la possibilité de déjudiciariser un jeune sans avoir le moindrement recours au système. J'ai eu à travailler avec des policiers, et j'avoue qu'ils sont formidables. Voilà ce que je leur dis : « Écoutez, voici ce que je veux faire avec votre client. Il doit reconnaître sa responsabilité, et je vais le réprimander sévèrement. Si vous le voulez, vous pouvez venir au poste pour assister à cela. » La chose est prise en main sur place et sur-le-champ. Le jeune est tout ébranlé. Il a appris sa leçon et il peut reprendre son chemin. Il n'aura pas fallu cinq ou six comparutions pour arriver au même résultat.
Le sénateur McIntyre : Et qu'en est-il des dispositions sur les juges responsables de la gestion de l'instance qui ont été ajoutées récemment au Code criminel? Est-ce que vos membres s'en servent?
M. Carter : Elles sont très efficaces.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Je remercie les témoins de leur présence à notre comité. Selon les statistiques, le Québec est dernier de classe au chapitre des retards au sein de son système de justice criminelle. D'ailleurs, un grand nombre de ces procès sont reliés à des agressions sexuelles, commises particulièrement contre des enfants. En cinq ans, les temps d'attente ont augmenté de 300 à 700 jours.
Un sondage effectué auprès des victimes révèle que presque 50 p. 100 des victimes abandonnent leur plainte pendant ou avant le début des procédures. L'une des plaintes les plus récurrentes se rapporte aux retards considérables. Les reports d'audience sont également un irritant pour les victimes. À Saint-Jérôme, une dame qui a été agressée sexuellement a dû attendre cinq ans avant que son procès ne puisse commencer; ce procès a été reporté 37 fois.
Y aurait-il moyen d'entrevoir des mesures — soit dans le Code criminel ou je ne sais trop — pour faire en sorte de remédier à ce problème? Ne devrait-on pas donner plus de pouvoir aux juges afin qu'ils puissent être plus rigoureux? Les retards vécus dans le système actuel « victimisent » à nouveau les victimes et favorisent les criminels. Ce système de justice n'est qu'apparence de justice pour les victimes. Ne pourrait-on pas intégrer des mesures dans le Code criminel ou dans l'administration de la justice pour limiter ce nombre de reports trop souvent exorbitants et exagérés?
[Traduction]
M. Carter : Tout d'abord, sachez que nous reconnaissons tout comme vous que les retards sont très pénibles pour les plaignants et les victimes. Ils sont un handicap pour le système juridique. Les accusés en souffrent eux aussi.
Les juges ont maintenant le pouvoir de contrôler. Ils peuvent refuser des demandes d'ajournement de n'importe quelle partie. Je crois que la solution consiste à faire tout qu'il est possible de faire pour simplifier le système. Cela dépend des faits particuliers à chaque dossier, mais si vous appliquez des mesures qui permettent de libérer les tribunaux et de résoudre plus tôt dans le processus un nombre accru d'affaires — ce qui permet aussi de libérer de l'espace —, vous allez pouvoir vous concentrer sur les affaires qui doivent être entendues rapidement.
Par exemple, la Couronne priorise les cas d'agression sexuelle, et surtout ceux qui concernent des enfants. Les représentants de la Couronne nous diront : « Écoutez, nous allons remanier les dossiers pour déplacer les procès moins importants. Celui-ci doit passer rapidement. »
De mon point de vue, il n'est pas rare que mon client veuille lui aussi que ces affaires soient traitées dès que possible. Alors, l'avocat de la Couronne fera des efforts — du moins, dans cette juridiction — pour faire passer ces dossiers le plus tôt possible. Je crois qu'il serait vraiment utile d'apporter des modifications au système afin de les aider à faire cela encore plus facilement.
M. Paisana : Nous avons ce qui s'appelle le système des dossiers K, selon lequel tous les dossiers de violence conjugale impliquant un conjoint ou un enfant se voient accorder la priorité dans le système; l'avocat est tenu de s'en occuper plus rapidement que s'il s'agissait d'un autre dossier.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Depuis environ 20 ans, Statistique Canada nous indique que le taux de criminalité au Canada diminue constamment, alors que les délais en cour augmentent sans cesse. Comment pouvez-vous expliquer cela?
[Traduction]
M. Carter : Je n'ai pas de statistiques pour expliquer cela. Tout ce que je peux vous donner, ce sont des observations empiriques recueillies auprès de collègues de tout le pays. Je peux vous parler de ce qu'ils constatent et de ce qu'ils croient être la cause des délais. Nous avons essayé d'en rendre compte dans notre mémoire.
Le sénateur White : Merci beaucoup d'être ici aujourd'hui. J'ai bien aimé votre réponse au sujet des mesures judiciaires de rechange.
Pour les besoins de l'auditoire ici présent, pouvez-vous faire un survol des programmes de justice réparatrice avant inculpation qui fonctionnent bien, comme c'est le cas en Nouvelle-Écosse? Par exemple, il y a la Nova Scotia Restorative Justice Community University Research Alliance, la NSRJ-CURA, qui commence à prendre également en charge les dossiers d'adultes avant inculpation, ce qui permet d'éviter de solliciter les tribunaux. Le processus nécessite peut-être l'intervention d'un avocat de la défense, mais seulement pour des conseils.
M. Carter : Je ne peux pas vous parler de ces programmes particuliers, car je ne connais pas cette information par cœur.
De façon générale, je peux dire qu'il y a eu une vague dans le système judiciaire pour la mise en place de ce type de programmes « préinculpation ». Les études montrent que de tels programmes, lorsqu'ils fonctionnent, sont bons pour toutes les parties concernées.
Mais je peux vous signaler que nous avons aussi un programme de justice coopérative. J'ai un client qui y participe actuellement. Le programme est sous-financé et est constamment menacé de disparaître. Pour nombre de ces programmes, le financement est un problème. On dirait qu'ils sont toujours à l'article de la mort, si je puis m'exprimer ainsi, mais les études montrent qu'ils fonctionnent.
Le président : Monsieur Carter, vous avez dit que l'une de vos priorités était d'éliminer les comparutions inutiles. Quelle proportion ces comparutions inutiles occupent-elles par rapport au temps total dont les tribunaux disposent?
M. Carter : Je peux parler de la situation qui prévaut à Ottawa.
Tous les matins, la salle d'audience 5 est utilisée pour les comparutions portant sur les renvois. Cela commence à 8 h 30 et cela finit quand toutes les comparutions sont terminées. Il y a souvent des centaines d'accusés qui se retrouvent là pour des comparutions inutiles. C'est un juge de paix qui les entend. L'avocat de la Couronne est là avec au moins deux employés de soutien, qui l'aident à gérer les centaines de dossiers devant être entendus. La salle est remplie d'avocats de la défense, de stagiaires en droit et de parajuristes, attendant d'intervenir selon leurs fonctions et leurs capacités. Et cela a lieu tous les matins, cinq jours par semaine.
Et ce n'est pas tout. L'après-midi, la séance reprend pour les comparutions vidéo, c'est-à-dire les comparutions de tous ceux qui n'ont pas obtenu de caution et qui sont toujours en prison. Ces comparutions commencent à 13 h 30 et se terminent, à l'instar de celles du matin, lorsque tous ont été entendus. Tous les détenus doivent être amenés de l'extérieur. Alors, il faut ajouter à la foule tout le personnel de soutien qui les accompagne depuis le pénitencier...
Le président : Je crois qu'on peut parler d'une quantité de gens considérable.
M. Carter : Considérable, en effet.
Le président : Je suis à la recherche de solutions. Vous en avez évoqué une dans votre lettre. Il s'agit de la création d'un système en ligne pour les comparutions de routine. Comment cela fonctionnerait-il?
Il y a des années, j'ai participé à quelque chose qui s'appelait « la justice intégrée », un concept qui est tombé en panne au moment d'arriver dans les tribunaux. Je ne sais pas ce qui est arrivé depuis. Comment voyez-vous le fonctionnement de ce système?
M. Carter : L'idée a besoin d'être étoffée à plus d'un égard. Deux façons de faire distinctes peuvent être envisagées. La fonction du système pourrait rester l'exercice de contrôles, d'abord entre l'avocat de la Couronne et l'avocat de la défense après la première comparution.
Comme l'a précisé le sénateur Baker, les personnes en détention doivent quant à elles être amenées de l'extérieur. Cela relève du Code criminel. Pour toute autre personne, il pourrait y avoir une série de contrôles effectués par voie électronique, entre la Couronne et la défense. Toutefois, si vous souhaitez passer à un autre système où...
Le président : Vous parlez de courriels? Est-ce le genre de choses que vous proposez?
M. Carter : Oui, ou un système informatique. La Couronne dispose d'un système informatique, ici, à Ottawa. Il n'y a qu'à cocher. Ou vous pouvez utiliser le courriel.
Si vous souhaitez qu'un juge soit présent, vous pourriez intégrer un juge administratif au processus pour veiller à ce que toute la procédure soit respectée. Par exemple, il pourrait y avoir une date fixée d'avance. Plutôt que d'avoir à passer à travers une légion de comparutions, vous cocheriez dans le programme ou le courriel pour indiquer que toutes les exigences en matière de communication ont été respectées et que vous êtes prêt à aller de l'avant, à retourner en cour.
Le président : Cet arrangement ne nous laissera pas beaucoup de temps pour répondre, mais si vous voulez fournir des réponses plus étoffées concernant l'enjeu soulevé par le sénateur Joyal et d'autres suggestions semblables, vous pourriez les acheminer ultérieurement au comité. Nous vous en serions reconnaissants.
M. Carter : Oui. Nous pouvons faire cela.
Le président : Je n'avais pas encore terminé. Mais allez-y avec une question supplémentaire rapide.
Le sénateur Plett : Merci, monsieur le président.
J'ai peut-être manqué l'explication, mais qu'entendez-vous par « inutile »?
M. Carter : Lorsque vous vous présentez en cour pour une première comparution. La personne a été inculpée. Habituellement, la Couronne essaie de préparer les documents à communiquer pour la première comparution, mais elle n'y parvient pas toujours. Dans la salle d'audience, l'avocat de la défense dispose d'un compartiment où sont déposés les documents à communiquer. Je n'ai pas besoin d'aller en cour pour les ramasser. Habituellement, je me présente en cour...
Le sénateur Plett : Vous avez répondu. Je croyais que vous vouliez dire que certaines affaires étaient inutiles.
M. Carter : Non, je ne parlais pas d'affaires inutiles, mais de comparutions inutiles.
Le sénateur Plett : Merci de cette précision.
Le président : Vous êtes peut-être réticent à parler de cela, mais je serais curieux de savoir ce qui en est du rôle des juges en chef en ce qui concerne la gestion des cas. Nous avons entendu parler des juges surnuméraires, par exemple, qui sont en fait des juges à temps partiel. Leur charge de travail n'est pas gérée correctement. Dans certains cas, le juge en chef doit intervenir. Ce sont des choses que j'ai entendues, mais je ne sais pas à quel point elles sont exactes.
Je sais que vous avez parlé de ressources judiciaires, mais, à l'instar du juge en chef, les juges eux-mêmes ont de toute évidence une responsabilité considérable pour ce qui est de superviser tout cela. Avez-vous un commentaire à formuler sur cette gestion qui s'exerce, pour ainsi dire, du sommet?
M. Carter : Je vais devoir me présenter devant certains de ces juges, alors je préfère m'abstenir de faire des commentaires à ce sujet.
Tout ce que je peux vous dire, c'est ceci : depuis le début de ma pratique, j'ai constaté des changements radicaux dans cette juridiction et dans d'autres juridictions de l'est de l'Ontario. De nos jours, on met beaucoup l'accent sur l'administration pour les juges. Ces enjeux les préoccupent beaucoup, et on leur accorde bien plus d'importance que jamais auparavant.
Le président : Je pense à une personnalité de la télévision dont le cas est devant les tribunaux depuis 10 mois. Nous en sommes maintenant aux conclusions finales. Après moult ajournements, il aura fallu plus d'un an avant d'arriver aux conclusions finales et à la détermination de la peine. Cette perspective me pose problème.
Quoi qu'il en soit, nous pouvons passer à un deuxième tour, au cas où certains auraient d'autres questions.
La sénatrice Fraser : Mon intervention est davantage une observation qu'une question, monsieur le président, et elle concerne un des commentaires que vous avez formulés.
J'ai remarqué avec intérêt et reconnaissance l'affirmation consignée dans la lettre que vous nous avez adressée, où vous indiquez qu'en raison du court préavis, vous n'avez pas eu tout le temps que vous vouliez pour vous préparer à témoigner, et que vous seriez par conséquent heureux de revenir devant le comité pour nous donner des détails additionnels sur ces questions. Je propose que nous fassions précisément cela — vous inviter à revenir. Même si nous aimerions bien entendu que ce soit le cas, l'étude qui nous occupe ne sera pas terminée d'ici demain après-midi.
Le président : Bien sûr.
Le sénateur Baker : Monsieur Paisana, j'aimerais revenir à vous pour un oui ou un non à la question de la divulgation. Le directeur des poursuites pénales a dit qu'il ne s'opposerait pas à l'idée que nous recommandions que la Couronne soit tenue, dans une affaire criminelle, de respecter un certain délai pour la présentation des documents à communiquer. Répondant à mes questions, il a dit que c'est ce qui se passe normalement de toute manière, et qu'il n'y voyait donc pas d'objection.
Lorsque je vous ai posé la question, vous avez pris mes deux semaines en exemple. La raison pour laquelle j'ai parlé de 15 jours, c'est parce que c'est le délai normalement accordé dans les procès provinciaux — du moins, dans l'Est, là d'où je viens — pour présenter un argument relatif à la Charte et, pareillement, pour présenter les arguments préalables au procès.
Convenez-vous que le comité devrait examiner la possibilité de recommander ou recommander un délai pour la communication avant le début du procès des documents qui seront utilisés durant le procès? Voilà la question principale. Que répondez-vous?
M. Paisana : Je conviens que cela serait une suggestion utile. Mes commentaires concernaient l'établissement de ce délai et son positionnement dans le temps. Mais l'idée générale de fixer un délai est un exercice utile. Il incitera tous les intervenants à penser à l'affaire longtemps d'avance, ce qui est toujours une bonne chose sur le plan de l'efficacité.
Le sénateur Baker : Excellent.
Le président : Merci à tous d'être venus témoigner malgré le très court préavis, et merci de votre aide. Question d'aller dans la même veine que la sénatrice Fraser, je ne voudrais pas que votre comparution ici vous empêche de nous transmettre des renseignements additionnels ou quelque proposition que ce soit. Nous pourrons y revenir lorsque nous aurons la chance de vous recevoir à nouveau. Merci beaucoup d'avoir été là aujourd'hui.
Pour notre deuxième heure, nous entendrons Leo Russomanno, membre de la Criminal Lawyers' Association et criminaliste. M. Russomanno est accompagné d'un autre membre de l'organisme, M. Dominic Lamb. Nous accueillons aussi deux personnes du Conseil canadien des avocats de la défense, soit William Trudell, président, et Greg DelBigio, membre.
Merci beaucoup d'être parmi nous aujourd'hui. Nous vous en sommes très reconnaissants.
Monsieur Russomanno, je crois comprendre que c'est vous qui allez commencer. Suivra M. Lamb. Nous passerons ensuite à M. Trudell et à M. DelBigio.
Monsieur Russomanno, vous avez la parole.
Leo Russomanno, membre et criminaliste, Criminal Lawyers' Association : Bonjour. Nous vous remercions de nous avoir invités à parler de ce très important enjeu. C'est un sujet très vaste, et j'ai prêté une oreille attentive aux témoignages qui ont été livrés au cours des derniers jours.
M. Lamb et moi sommes ici au nom de la Criminal Lawyers' Association pour vous parler de plusieurs aspects différents qui ont, selon nous, un lien avec la question des délais.
Je vais d'abord dire un mot sur l'orientation que ce débat devrait avoir. Il importe de souligner que le délai n'aide pas l'accusé. Le délai est préjudiciable à l'accusé. Lorsqu'il est question d'un procès mené dans un temps et des délais raisonnables, il faut tenir compte de deux choses : d'abord, les conséquences pour l'accusé — le préjudice qu'il subit— et, bien entendu, le préjudice subi par la société lorsque des décisions inefficaces sont rendues en raison de témoins dont les souvenirs sont flous, et cetera.
Les retards de procédure causent un préjudice considérable pour l'accusé. J'affirme que je n'ai tout simplement jamais entendu un client dire qu'il voulait que « je fasse traîner les choses le plus longtemps possible », qu'il voulait « être assujetti longtemps à des conditions strictes de mise en liberté » ou qu'il voulait « être détenu très longtemps et faire traîner les choses ».
Les avocats de la défense n'ont rien à gagner en prolongeant les procédures. Comme le sénateur Baker l'a mentionné l'autre jour dans l'une de ses questions, je crois, la comptabilisation des raisons de délai concernant une requête fondée sur l'alinéa 11b) est faite de façon très méticuleuse et on attribue du temps pour le délai de la défense, le délai de la Couronne et le délai institutionnel. Il n'est pas à l'avantage de la défense de présenter des demandes de divulgation tardive la veille d'un procès ou de prolonger les procédures. Je crois qu'il faut garder à l'esprit que le délai ne sert pas l'accusé; il lui nuit.
Je souhaite aborder la question des peines d'emprisonnement avec sursis. Au fil des ans, le nombre de ces peines a diminué et il est devenu plus difficile d'en obtenir. Si je ne m'abuse, M. Carter, au nom de l'ABC, a expliqué que les peines minimales obligatoires tendent à dissuader les plaidoyers de culpabilité.
Les peines avec sursis entrent dans la même catégorie. Lorsqu'il devient plus difficile d'obtenir une peine avec sursis, un accusé n'a rien à perdre à tenter sa chance dans le cadre d'un procès. La tenue d'un procès ne comporte pas davantage de risque parce qu'un élément pourrait permettre d'éviter la prison, issue qui serait inévitable en cas de déclaration de culpabilité. Si un accusé garde l'espoir d'une peine avec sursis, il peut peut-être bénéficier d'un retournement de situation. Je ne dis pas que l'accusé ferait nécessairement l'objet d'une peine avec sursis, mais que c'est à tout le moins ce qu'il souhaite.
Je cède la parole à M. Lamb qui, au cours du temps qui reste, abordera d'autres questions que nous estimons importantes.
Dominic Lamb, membre, Criminal Lawyers' Association : Monsieur le président, honorables sénateurs, je vous remercie de me donner l'occasion de m'adresser à un groupe de Canadiens de si haut calibre. Comme j'ai eu l'occasion d'assister à des séances précédentes, j'ai constaté que dans leurs questions, les membres du comité ont à maintes reprises fait état de l'importance de l'enquête préliminaire. Je prends un moment pour souligner brièvement quelques éléments importants au sujet de l'enquête préliminaire et pour expliquer pourquoi nous devrions être prudents avant d'en envisager l'abolition ou la réduction au point où elle n'existerait plus à toutes fins pratiques. J'ai brièvement abordé cet enjeu dans les notes d'allocution qui vous ont été remises.
Premièrement, l'enquête préliminaire permet de repérer les affaires qui ne sont pas du ressort des tribunaux de première instance. Bref, elle permet de faire un tri. Dans le cadre d'un procès, l'interrogatoire constitue l'élément clé du processus de recherche de la vérité. Dans des affaires qui selon toutes probabilités devraient faire l'objet d'un procès et où les témoins semblent crédibles et fiables, l'interrogatoire se révèle très efficace pour mettre en lumière des faiblesses et ouvrir la porte à un règlement.
De plus, les avocats de la défense reçoivent des instructions de leurs clients. C'est une occasion pour l'accusé de savoir ce qui pointe à l'horizon. À un certain moment — ce qui arrive souvent lors de l'enquête préliminaire —, l'accusé prend conscience de la force des arguments de la Couronne et il reconnaît le crime qu'il a commis et en accepte la responsabilité. L'enquête préliminaire est un moyen économique et efficace d'en arriver à ce résultat, sans la tenue d'un procès complet.
Enfin, selon la Criminal Lawyers' Association, et les avocats de la défense en général, dorénavant, on saute souvent l'étape de l'enquête préliminaire. J'exhorte le comité à obtenir des statistiques précises sur cette question. Je signale en passant que, la plupart du temps, je ne fais pas d'enquête préliminaire sauf dans les affaires les plus complexes et les plus sérieuses. Il est parfois important et nécessaire pour tout le monde d'accorder ses flûtes. C'est particulièrement le cas lorsqu'on demande à 12 citoyens de juger une affaire après le fait. Tout le monde doit être prêt à l'examiner, en tenant compte du point de vue de la Couronne et de celui de la défense. En outre, il faut faire le nécessaire pour que le procès se déroule de la façon la plus efficiente possible.
Je m'arrête ici. Merci.
William Trudell, président, Conseil canadien des avocats de la défense : Honorables sénateurs, nous sommes ravis d'avoir de nouveau l'occasion de témoigner devant le comité. Les membres du conseil ont pensé que j'ai témoigné tellement souvent devant le comité que je devrais être accompagné d'une personne qui connaît bien le domaine. Par conséquent, M. DelBigio, un éminent juriste de la Colombie-Britannique et membre du conseil, est ici pour me donner un coup de main.
Je vous ramène environ huit ans en arrière. À cette époque, l'Association canadienne des chefs de police, avec la participation de certains juges, a décidé d'organiser une conférence. Des juges, des avocats, des policiers et des fonctionnaires de partout au pays ont été invités à une réunion à huis clos sans programme préétabli. Il s'agissait du Symposium national sur la redéfinition du rôle de la justice pénale. Un jour et demi plus tard, les participants ont constaté qu'ils avaient davantage en commun qu'ils ne l'auraient cru.
La huitième édition du symposium vient tout juste de prendre fin. Nous avons étudié la mise en liberté sous caution, la santé mentale, et nous avons tenu une conférence sur la vulnérabilité. Les rapports de ces activités sont rendus publics et seront disponibles.
Je tiens à souligner que les intervenants du domaine ont collaboré, notamment au sujet d'enjeux qui vous intéressent. Le symposium en est un exemple. Il a remporté un succès remarquable.
Deuxièmement, il y a environ 10 ans, le ministère de la Justice a mis sur pied le Comité directeur national sur l'efficacité et l'accès en matière de justice. Ce comité composé de 15 membres, dont 3 juges en chef de cours supérieures, 3 juges en chef de cours provinciales, des sous-ministres et quelques avocats de la défense, s'est penché sur diverses questions dont les jurys, l'examen anticipé des affaires, et d'autres questions dont vous discutez aujourd'hui.
J'invite les membres de votre éminent comité à consulter les rapports que nous avons publiés parce que certaines des questions dont vous parlez maintenant ont déjà été abordées dans le cadre d'un examen collaboratif. J'estime important de souligner que depuis 10 ans ou peut-être même depuis les 5 dernières années, la police et les avocats de la défense et de la Couronne collaborent pour trouver des moyens de mieux gérer le système. Cette approche collaborative donne des résultats positifs et nous disposons maintenant d'énormément d'information.
Vraisemblablement, ces rapports et ces expériences font ressortir un problème de cloisonnement. On traite la justice pénale en vase clos, comme s'il s'agissait d'une réalité indépendante, ce qui n'est pas le cas. Un participant à l'une des dernières conférences a dit que le gouvernement devrait fournir du financement de façon à ce qu'il soit impossible de traiter des enjeux liés à la justice indépendamment de ceux liés à la santé, parce que les problèmes de santé mentale engorgent le système de justice pénale. L'approche collaborative devrait également remplacer l'approche par cloisonnement.
Trop de cas se retrouvent devant le système de justice pénale qui devient ni plus ni moins un pôle d'attraction pour toutes sortes de problèmes qui se manifestent dans les collectivités. Or, le système de justice pénale ne peut régler tous ces problèmes et il n'est pas outillé pour s'attaquer aux questions de santé mentale, entre autres.
On examine actuellement de nombreux aspects de la justice pénale.
Aujourd'hui, j'ai notamment entendu que le comité souhaite que nous revenions témoigner. J'avoue que nous serions ravis d'accepter une nouvelle invitation. Lorsque j'ai examiné le sujet à l'étude, je me suis dit que le comité faisait un travail comparable à celui d'une commission de réforme du droit. Nous nous concentrons aujourd'hui, sur certains enjeux concernant en particulier les associations canadiennes de juristes qui ont des représentants d'un océan à l'autre au Canada. Cependant, nous serions très reconnaissants de revenir à une autre occasion pour nous pencher sur d'autres questions.
À mon humble avis, le système fonctionne lorsque tous les intervenants disposent d'un certain pouvoir discrétionnaire, de la police jusqu'à la commission des libérations conditionnelles. Nous devons réfléchir à cet aspect de la question.
En dernier lieu, les affaires relevant de l'administration de la justice encombrent les tribunaux. Nous pourrions de nouveau nous pencher sur les questions de la remise en liberté sous caution et de l'administration de la justice qui engorgent le système judiciaire et que certains comités examinent actuellement.
Monsieur DelBigio, vous avez la parole.
Greg DelBigio, membre, Conseil canadien des avocats de la défense : Merci. Je suis ravi d'être ici.
Dans le cadre du présent examen, je vous exhorte à ne pas oublier les nombreux succès du système canadien de justice pénale qui est remarquable. Comme il s'agit d'un système fondé sur l'équité, il donne des résultats justes et appropriés. Cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas chercher à l'améliorer. Cependant, si on le compare à d'autres systèmes à l'échelle mondiale, nous pouvons en être fiers.
Les délais judiciaires ont une incidence différente selon la province ou le territoire. À certains endroits, ils ne posent aucun problème alors qu'ailleurs, les problèmes liés aux délais sont attribuables à diverses raisons.
Mon collègue, M. Trudell, a mentionné le symposium. J'ai eu le plaisir d'assister à ces symposiums. C'était une expérience audacieuse au début. Nous n'étions pas certains du résultat que nous allions obtenir en réunissant des juges, des policiers — des chefs de police, principalement —, des avocats de la Couronne et de la défense et d'autres intervenants dans une même arène pour discuter de ces enjeux. Certains craignaient que cette formule ne fonctionne pas, mais elle a eu un succès remarquable et la collaboration a donné des résultats fort intéressants. Somme toute, le niveau d'accord a été nettement supérieur au niveau de désaccord.
Dans le cadre de l'examen des délais judiciaires, je vous suggère de vous pencher sur l'utilité du système de justice pénale et sur ses éléments constitutifs. Bref, il faut se demander comment utiliser de façon optimale les importantes ressources du système de justice pénale.
Il est bien connu que dans de nombreux cas, les contrevenants sont aux prises avec la maladie mentale, la toxicomanie, la pauvreté et l'itinérance. C'est une spirale descendante. Une première peine pour une infraction mineure entraîne une contravention. Cependant, compte tenu du fonctionnement du système de justice pénale, la peine est plus sévère en cas de récidive et elle peut entraîner un emprisonnement de courte ou de longue durée.
Dans certains cas, le problème vient du fait que le système de justice pénale ne prévoit rien pour s'attaquer à la cause sous-jacente qui a amené le contrevenant devant le système de justice pénale. On ne tient pas compte des problèmes liés à la pauvreté, à la maladie mentale ou à la toxicomanie. En fait, il arrive que certains contrevenants qui sortent de prison n'ont plus de maison ou de foyer; ils les ont perdus. Ceux qui avaient un emploi n'en ont plus. La perte du foyer et de l'emploi peut certes avoir des répercussions sur la famille, ce qui à son tour aggrave la situation.
Si on évitait de saisir les instances judiciaires de certains cas, on pourrait mieux utiliser les ressources pour s'occuper des affaires qui doivent vraiment être soumises aux tribunaux.
Merci.
Le président : Je suis certain que vous aurez le temps de préciser votre pensée lorsque vous répondrez aux questions. Nous commençons par la vice-présidente.
La sénatrice Jaffer : Je remercie les témoins d'être ici aujourd'hui. Comme énormément de choses ont été dites, de nombreuses questions se posent. Je commence par la question que voici.
La discussion d'aujourd'hui vise à examiner la situation particulière des contrevenants et les problèmes auxquels ils sont confrontés afin de les empêcher de récidiver. Je croyais que les tribunaux spécialisés avaient été mis sur pied pour examiner la situation globale de chaque contrevenant, y compris les services disponibles, afin de faire en sorte qu'ils ne se retrouvent pas de nouveau devant les tribunaux.
J'aimerais que vous nous donniez une idée de l'efficacité de ces tribunaux spécialisés, notamment ceux qui s'occupent des cas de toxicomanie et de violence. Ces tribunaux contribuent-ils à réduire les délais devant les principaux tribunaux?
M. Trudell : Premièrement, les gens qui travaillent dans les tribunaux spécialisés soutiendront évidemment que ces entités sont efficaces. Cependant, on ne trouve pas ces tribunaux partout au Canada. Les tribunaux spécialisés, notamment dans les domaines de la santé mentale et du traitement de la toxicomanie, sont de nouveaux outils dans l'histoire de la justice pénale et il faut s'interroger sur leur principale raison d'être. Ils visent principalement à établir si un contrevenant devrait être traduit devant les tribunaux ou s'il devrait faire l'objet d'une autre procédure. Le tribunal spécialisé entretient des liens avec la collectivité, à l'instar du programme Hub en Saskatchewan.
Les tribunaux spécialisés sont très importants parce qu'ils reconnaissent un besoin spécial et qu'ils visent à éviter la récidive. Malheureusement, ces tribunaux sont disponibles seulement dans certains grands centres urbains. Néanmoins, il est très important qu'il y ait des ressources pour reconnaître que certains individus traduits devant le système de justice pénale ont des besoins particuliers.
M. DelBigio : Par surcroît, dès lors qu'une personne est arrêtée et que la police a pris le temps de préparer tous les rapports nécessaires pour la faire traduire en justice, un certain nombre de lacunes ont commencé à apparaître dans certains types de cas. Si la police disposait de plus de pouvoir discrétionnaire, notamment pour la déjudiciarisation avant le dépôt d'accusations, cela contribuerait à faire en sorte que certains contrevenants ne soient pas traduits en justice.
Il ne fait aucun doute que les tribunaux spécialisés sont importants, mais certaines mesures comme la déjudiciarisation avant le dépôt d'accusations et le traitement de davantage de cas par voie administrative seraient utiles. Par exemple, la Colombie-Britannique s'est maintenant dotée d'un système qui permet de traiter nombre de cas de conduite avec facultés affaiblies au moyen de procédures administratives. Cette mesure a permis de réduire de plusieurs milliers le nombre d'affaires devant les tribunaux.
La sénatrice Jaffer : J'ai une question à vous poser, monsieur Russomanno. Je sais que vous évoluez dans le système depuis longtemps. Pourriez-vous suggérer trois mesures qu'on pourrait mettre en œuvre de façon efficace et qui, selon vous, amélioreraient la situation immédiatement?
M. Russomanno : Pour faire suite aux observations concernant la déjudiciarisation, notamment avant le dépôt d'accusations, je pense que le comité devrait examiner la possibilité de donner aux autorités compétentes le pouvoir d'éviter des procédures pénales et de recourir à une autre formule. Cela permettrait de régler le problème à la source et de se limiter uniquement aux cas qui exigent vraiment des procédures judiciaires. Lors de son témoignage, le juge LeSage a abondamment parlé des infractions d'ordre administratif et du fait que certains individus sont libérés sous caution moyennant des conditions très strictes.
Cela nous amène à un autre élément concernant la mise en liberté sous caution et la réforme de celle-ci. Le juge LeSage a mentionné que 50 p. 100 des détenus dans les établissements provinciaux sont en détention provisoire. Autrement dit, ils sont innocents jusqu'à preuve du contraire; ils n'ont pas été trouvés coupables et ils ne purgent aucune peine. Ce genre de situation aggrave énormément le problème des délais. Prenons l'exemple de personnes soumises à des conditions très strictes et qui sont libérées à condition d'être en détention virtuelle à domicile. Si le délai dans les procédures dure jusqu'à un an dans le cas d'une personne en détention à domicile, cela signifie qu'elle ne peut quitter son domicile à moins de verser un cautionnement, cela cause un problème très grave. Ce genre de situation mène à une violation des conditions de libération sous caution.
Il faut apporter des changements à cet excès de procédures administratives.
J'ajoute qu'il faut intervenir entre autres en ce qui concerne les rapports avec l'aide juridique et que le gouvernement fédéral doit accorder un financement adéquat pour ce service. Une personne doit parfois comparaître plusieurs fois devant les tribunaux avant que sa demande d'aide juridique soit acceptée ou rejetée. Il faut ensuite présenter une requête au tribunal pour forcer le procureur général à payer pour la défense de cette personne même s'il est clair qu'elle n'est pas en mesure de payer de sa poche. Le financement de l'aide juridique est carrément insuffisant.
Voilà mes trois suggestions.
Le sénateur McIntyre : Je vous remercie tous de vos exposés.
Dans ma province, le Nouveau-Brunswick, de même qu'au Québec et en Colombie-Britannique, les avocats de la Couronne participent à l'examen des accusations avant que celles-ci ne soient déposées. Quelle a été l'expérience des membres de votre association en ce qui a trait à la vérification préalable avant le dépôt des accusations? Recommandez-vous que cette mesure soit mise en œuvre dans toutes les provinces et tous les territoires?
M. Trudell : Je demande à Greg DelBigio de parler de l'expérience de Vancouver, mais il y a un certain temps, le regretté juge Martin a dirigé une commission d'enquête connue sous le nom de Commission Martin. Au cours des travaux de la commission, il a été question de la vérification préalable effectuée par la Couronne avant le dépôt des accusations. À l'époque — je crois que c'est différent maintenant —, la police estimait qu'il lui incombait de déposer les accusations. En Ontario, cette vérification n'est pas une mesure reconnue officiellement. Toutefois, lorsqu'on demande à des policiers de prendre des décisions d'ordre judiciaire en amont, j'estime respectueusement que l'ensemble du système, à l'échelle du pays, fonctionnerait beaucoup mieux si des procureurs de la Couronne étaient désignés pour donner des conseils dès le début avant que des procédures judiciaires ne soient entamées.
Le sénateur McIntyre : Ma seconde question porte sur les pays étrangers. Connaissez-vous des modèles éprouvés à l'étranger que les gouvernements canadiens devraient envisager d'étudier pour gérer les procédures criminelles et limiter les délais?
M. Russomanno : J'ignore comment les pays étrangers gèrent la question des délais.
M. Trudell : Je vais avoir l'air intelligent, mais ce que je vais vous dire, je l'ai volé au sénateur White : je connais l'Australie. Il y existe un système de délivrance de procès-verbaux pour des infractions mineures, s'il est possible de les catégoriser, et d'autres infractions. D'autres pays les examinent. Les infractions n'ont pas à toutes être traitées de la même façon.
Pour ce qui est du symposium et du Comité sur l'efficacité en matière de justice, il s'agit d'une nouvelle façon de procéder dont il a été question assez souvent. Je pense que Greg a fait allusion à la situation en Colombie-Britannique. Je pense que d'autres pays essaient une approche différente, peut-être une approche à deux niveaux. L'Australie est un bon exemple. Je pense que la Suède est un autre pays qui privilégie ces types d'approches. Je crois que nous savons probablement tous que tous les pays cherchent des façons de régler ces types de questions; la santé mentale arrive en tête de liste partout.
M. Russomanno : Si je puis ajouter quelque chose, cela ne porte pas nécessairement sur d'autres études de différentes instances, mais il arrive souvent que l'on aille au bureau du coordonnateur des rôles pour fixer une date de procès et qu'on nous dise « Il n'y a pas de juge ou de salle d'audience de libre; le procès n'aura pas lieu avant 2017. » Je n'essaie pas de laisser entendre qu'il s'agit d'une panacée, mais si nous disposions de plus de salles d'audience et de juges, il nous serait plus facile de gérer les délais. En somme, il arrive souvent que des délais soient simplement institutionnels, car nous n'avons ni juges ni salles d'audience.
Bien sûr, le comité doit tenir compte des contraintes budgétaires. Je ne suggère pas que nous réglions le problème à coup d'argent, car les autres points qui ont été soulevés sont importants sur le plan des économies, mais c'est une question concrète avec laquelle nous devons composer au quotidien.
Le sénateur Baker : Ou les juges qui sont libres pourraient avoir à se récuser parce qu'ils ont émis un mandat ou une lettre de procédure pendant l'affaire à l'étude. J'ai seulement deux questions. Je vais les poser toutes les deux et il n'y aura pas de question supplémentaire. Mes deux questions s'adressent à M. Lamb et à M. Russomanno et portent sur ce sujet précis.
M. Russomanno a représenté Mohammed Harkat à la Cour fédérale en 2010. Au paragraphe 47, le juge dit :
À la suite de l'intervention de la protonotaire Tahib, un petit nombre de documents ont été jugés confidentiels et ont été rendus au demandeur.
C'est à la Cour fédérale, où des protonotaires sont là pour alléger la charge des juges. Nous avons ici affaire à des questions pénales. La Cour fédérale a aussi compétence en matière pénale, notamment dans le cas d'affaires relatives au SCRS.
J'aimerais poser à M. Lamb ou à M. Russomanno la question suivante : si le comité suggérait que l'on fasse appel à des protonotaires — il s'agit d'avocats chevronnés — pour gérer tous les arguments préalables au procès avant qu'un juge soit saisi d'un dossier, qu'en penseriez-vous?
Ma question pour M. Trudell et M. DelBigio, deux avocats très chevronnés — j'ai jeté un coup d'œil aux affaires qu'ils ont traitées —, porte sur l'alinéa 11b) de la Charte. Nous avons un problème de taille avec les affaires relatives à la Loi réglementant certaines drogues et autres substances qui portent sur l'alinéa 11b) de la Charte et, dans bien des décisions, les personnes sont libérées après avoir passé quatre ou cinq ans devant les tribunaux pour une question se rapportant à l'alinéa 11b) de la Charte.
Le directeur des poursuites pénales a formulé une suggestion devant le comité hier. Il a dit qu'il ne s'opposerait pas à ce que le comité recommande que l'on fixe une date limite pour transmettre, avant un procès, des documents devant servir dans le cadre d'un procès. C'est une date limite, une journée réservée, que nous n'avons pas dans notre système actuel.
J'aimerais connaître votre opinion sur ce point étant donné que, parmi les personnes qui témoigneront devant nous, vous serez l'un des rares avocats ayant une expérience de l'argument soulevé au titre de l'alinéa 11b) de la Charte. Je suis retourné en arrière. Vous avez déjà été procureur de la Couronne et avez perdu dans une affaire d'alcool au volant concernant l'alinéa 11b) de la Charte en 1987. Depuis ce temps, vous avez traité 300 ou 400 affaires. Votre curriculum vitæ est incroyable. Que pensez-vous de notre suggestion d'imposer à la Couronne une date limite pour divulguer toute l'information avant un procès?
M. Lamb : Selon moi, la question que le concept du protonotaire pourrait soulever est la suivante : la plupart des requêtes préliminaires dans les cours pénales se rapportent d'une façon ou d'une autre à la Charte des droits. Le Code criminel prévoit la tenue d'un procès devant juge en cas d'infraction punissable par mise en accusation, devant un juge de la Cour supérieure de l'Ontario ou devant un juge et un jury. On estime que ces requêtes préliminaires font partie d'un procès.
Ce qui me préoccupe, c'est que sans mesure législative, la question pourrait être vulnérable au plan constitutionnel. Elle pourrait finir par ne pas tenir devant les tribunaux. Je ne peux pas le dire, mais il me semble que ce soit un problème. Contrairement à une procédure civile, dans laquelle un protonotaire ou un maître équivalent devra tenir des conférences préparatoires au procès conformément aux Règles de procédure civile de l'Ontario, ce n'est pas le cas dans un processus pénal, car il est ici question de problèmes de divulgation comme dans l'affaire R. c. Stinchcombe, c'est-à- dire la violation des droits fondamentaux d'une personne que lui garantit la loi suprême du Canada. Je crois que c'est là que la question du protonotaire pourrait donner lieu à des contestations devant les tribunaux mêmes.
Le président : Nous allons maintenant entendre M. DelBigio.
M. DelBigio : J'avais oublié l'affaire sur les délais que j'avais perdue.
Le sénateur Baker : C'était en 1987.
M. Trudell : Lorsque vous ne perdez qu'une affaire, ce n'est pas problématique.
M. DelBigio : En règle générale, je ne suis pas favorable au critère de démarcation nette. Le processus de divulgation est important. Il est parfois facile de le faire, alors que dans des cas plus complexes, c'est remarquablement compliqué.
L'ennui avec un critère de démarcation nette, c'est que c'est un incitatif pour terminer dans les délais. Mais il fait en sorte que de nombreux documents de travail se retrouvent entre les mains de l'avocat de la défense sans que le procureur puisse y faire grand-chose.
Honnêtement, je veux que les choses se fassent en temps opportun lorsque je travaille pour mes clients, mais je pense que le problème avec le critère de démarcation nette est qu'il crée un incitatif. Vous devez ensuite vous demander ce qui arrive à cette démarcation nette si la date limite n'est pas respectée. Peut-on interdire à une affaire d'être traduite en justice parce que les délais n'ont pas été respectés? Si tel est le cas, je ne suis pas certain, honnêtement, que l'administration soit bien servie parce que la divulgation n'est pas faite avant la date fixée, même s'il pouvait y avoir de bonnes raisons pour justifier le retard.
Encore une fois, je crois qu'il devrait y avoir des mesures incitatives pour divulguer les documents nécessaires en temps opportun, mais je ne suis pas certain qu'un critère de démarcation nette soit la meilleure façon de procéder.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Merci beaucoup à nos témoins. Je ne sais pas lequel d'entre vous a déclaré tantôt que les délais n'aidaient pas les criminels, mais j'ai été un peu surpris de cette affirmation. Je me souviens que, en 2011-2012, plusieurs ministres de la Justice provinciaux, entre autres M. Jacques Dupuis, ont interpellé directement le ministère de la Justice du Canada pour mettre fin aux comptes en double, en triple, du temps présentenciel. Cette période donnait lieu à des abus de la part de la défense et permettait au criminel de rester en prison le plus longtemps possible avant son procès et de s'assurer ainsi que, une fois le procès amorcé, ce temps puisse réduire la sentence attribuée par le juge. De mon point de vue, qui est celui des victimes, je vous dirais que les retards affectent beaucoup plus les victimes que les criminels.
Monsieur Russomanno, vous êtes souvent venu témoigner dans le cadre de projets de loi qui visaient à durcir le Code criminel. Bien souvent, l'un de vos arguments consistait à remettre en question l'adoption de lois plus sévères alors que la criminalité diminue au Canada. C'est un peu l'argumentaire des avocats de la défense.
Si la criminalité diminue — ce qui est l'un de vos arguments — pourquoi les retards dans les cours augmentent-ils? Notre système de justice est-il rendu à ce point bureaucratisé que ce n'est plus la rapidité ou l'efficacité de la procédure qui est importante, mais bien le fait d'étirer le processus au maximum? C'est peut-être parce que c'est plus payant. Si la criminalité diminue, pourquoi les retards augmentent-ils? Pourquoi dit-on qu'il faudrait un plus grand nombre de juges et de salles d'audience? Il y a quelque chose de contradictoire dans votre argument. Pourquoi avoir besoin d'un plus grand nombre de juges et de salles d'audience si la criminalité diminue?
La juge en chef adjointe de la Cour du Québec a fait une déclaration aux médias, il y a deux semaines — fait plutôt rare—, selon laquelle notre système de justice est malade et que, si nous ne faisons rien pour changer nos habitudes, nous allons frapper un mur. Il y a donc un problème fondamental au sein de notre système de justice, qui est malade, ne croyez-vous pas?
[Traduction]
M. Russomanna : Je vais formuler quelques commentaires puisque vous avez mentionné l'alinéa 11b) de la Charte et le préjudice à l'égard des criminels.
Je fais allusion aux « accusés », car ils sont présumés innocents. Je comprends ce que vous dites, monsieur. Je conviens qu'un délai porte préjudice aux victimes. De toute évidence, le faire d'avoir une procédure qui n'en finit pas place les victimes dans une terrible situation. Les souvenirs s'estompent et le poids des procédures pèse beaucoup sur les victimes et leur rend la vie difficile. Cela ne signifie pas que cela ne porte pas préjudice à un accusé qui pourrait avoir de strictes conditions de mise en liberté sous caution ou qui attend le règlement de son affaire pendant qu'il est en détention.
Je dirais que les délais ne sont pas causés par des accusés qui veulent faire traîner les choses en longueur, car ils n'ont rien à gagner à le faire; et les avocats n'ont aucun intérêt, ni juridique ni financier, à faire traîner les choses.
Le problème au Québec semble être assez considérable, car lorsque vous prenez la durée moyenne des affaires dans cette province, du moins dans les tribunaux criminels pour adultes, le Québec accuse des délais de près de 250 jours ce qui, dans certains cas, est deux fois plus long que dans les autres provinces. Je ne connais pas assez bien le système québécois pour vous expliquer pourquoi exactement. Je peux vous montrer le tableau. La barre la plus longue est pour le Québec, qui accuse beaucoup plus de délais que chaque autre province; alors il serait bon de procéder à une analyse plus exhaustive de ce qui se passe au Québec.
Les taux de criminalité sont à la baisse, c'est incontestable. Vous posez une question intéressante : pourquoi se fait-il que, avec la baisse historique des taux de criminalité, les délais augmentent? Je pense que c'est en partie à cause de la complexité croissante et des exigences en matière de divulgation — il en est d'ailleurs question dans le rapport Code- LeSage. Cela s'explique peut-être par la diminution moyenne du montant de financement que le système de justice pénale reçoit. Les taux de criminalité diminuent, mais la population augmente.
C'est tout ce que je peux vraiment dire à ce sujet.
Le sénateur Joyal : J'aimerais revenir à l'argument principal du mémoire de l'Association du Barreau canadien, et je cite :
La façon la plus efficace de réduire les délais dans le système est d'encourager le règlement des affaires en temps opportun.
L'expression « en temps opportun » renvoie au facteur que mon collègue le sénateur Baker a mentionné. Le juge Cournoyer a conclu que le critère préliminaire est respecté pour un abus de procédure d'audience. Autrement dit, les tribunaux peuvent appliquer un facteur de temps dans le cas des procédures qui semblent traîner en longueur ou qui ne semblent pas pouvoir se régler. Il me semble que nous nous retrouvons en situation de devoir tout régler dans la mesure du possible avant de passer devant le tribunal; et en même temps, comme M. Lamb l'a mentionné, tenir compte du fait que le facteur temps pourrait donner lieu à une contestation fondée sur la Charte.
Comme le juge l'a mentionné, le tribunal peut définir des critères — le critère préliminaire. Il peut définir des critères qui respecteraient l'article 1 de la Charte concernant ce qu'il est raisonnable et acceptable de faire dans une société libre et démocratique, surtout si on tient compte du déni de justice qui finit par se produire si on n'intervient pas.
Comment arrivez-vous à concilier tous ces éléments pour vous assurer que le système fonctionne équitablement?
M. Trudell : J'ai lu la décision du juge Cournoyer et elle reflète quelque chose dont vous avez probablement entendu parler ici. Il s'agit de la planification judicieuse de la gestion des cas.
Le comité directeur national y travaille actuellement. Vous avez besoin d'une bonne gestion des cas, et le juge Cournoyer y a fait allusion. Tout le monde doit se rallier à cette vision. Je vais vous donner un exemple.
Si j'ai une affaire qui doit être portée devant les tribunaux à un moment donné, il y aura une conférence de la Couronne préalable au procès dans le cadre de laquelle on soulève des questions, et il y aura ensuite une conférence préalable à l'instruction. Si le juge d'instruction n'est pas disposé à faire avancer les choses, n'est pas bon médiateur ou n'est pas rassembleur, la conférence ne sera pas une réussite. Si la Couronne vient sans connaître à fond le mémoire ou sans le connaître du tout, ou si l'avocat de la défense arrive, ou envoie un étudiant à sa place parce qu'il n'est pas payé, cette occasion d'envisager de gérer cette affaire dès le départ a été perdue dans notre système.
À l'instar des juges LeSage, Code et Cournoyer, nous devons nous attacher à la bonne gestion des conférences préalables au procès. Tout le monde doit être d'accord. Sinon, comme le juge Cournoyer le disait — et la Couronne ne semblait pas intéressée par un secteur particulier —, une sanction était imposée. Une des choses les plus importantes que nous ayons négligées est la bonne gestion des cas pour toutes les affaires dans le système.
M. DelBigio : Comme je n'ai pas mené d'analyse précise, je vais vous donner mes impressions pour l'instant.
En Colombie-Britannique, il est très très rare qu'une affaire soit suspendue par un juge en raison d'un délai. La jurisprudence a évolué de façon à ce que, dans le cas d'une requête fondée sur un délai, un tribunal examine avec soin la durée du délai et les facteurs qui y ont contribué; en fonction de cela, il déterminera s'il y a lieu d'avoir recours à la solution la plus sérieuse : une suspension des procédures.
J'ai l'impression que la jurisprudence fonctionne bien en ce moment pour ce qui est de décider quand il convient d'accorder les recours les plus importants. En Colombie-Britannique, cela n'arrive presque jamais.
Je suis d'accord avec M. Trudell qu'au lieu de la bonne ou de la meilleure approche, au lieu d'examiner le critère qu'on utilise actuellement pour déterminer quand une affaire est trop retardée, la meilleure analyse serait de déterminer ce qui devrait se trouver dans le système dès le départ, de garder les affaires appropriées hors du système et, lorsque les affaires se trouvent dans le système, de les gérer adéquatement.
Le sénateur White : Merci à vous tous d'être venus aujourd'hui. J'aimerais revenir à la question de la proportionnalité avec M. Trudell et M. DelBigio.
En Ontario, dans les faits, 25 p. 100 de toutes les affaires finissent en absolution inconditionnelle, en absolution conditionnelle ou en sursis, mais il y a en moyenne neuf audiences par affaire pour en arriver à une conclusion fructueuse.
La discussion que vous avez tenue concernant les options administratives lorsqu'il est question de conduite avec facultés affaiblies est, pour moi, tout à fait sensée puisque nous avons besoin de traiter le dossier sans avoir recours au Code criminel du Canada et aux tribunaux. Cela réglerait la question de savoir si nous avons suffisamment de tribunaux, de juges, d'avocats et de temps si nous avions une autre façon de faire.
Pouvez-vous penser à d'autres options dont nous disposerions à part le système actuel, qui nous permettraient de déplacer certaines des affaires dont les policiers savent qu'elles ne devraient plus être là, mais pour lesquelles ils n'ont vraiment aucune autre option?
M. DelBigio : L'ennui avec la catégorisation d'une affaire comme criminelle, qu'il s'agisse d'un meurtre ou d'un type d'atteinte à la propriété foncière, est qu'une fois qu'elle est classée comme criminelle, elle déclenche toute une série de protections et de processus prévus par la Charte. C'est ainsi. On pourrait l'éviter, par contre, en traitant certaines affaires par le truchement de processus administratifs.
L'expérience en Colombie-Britannique avec les sanctions administratives appliquées en cas de conduite avec facultés affaiblies en est un très bon exemple. La province a décidé qu'elle pouvait se charger de ces affaires. Il s'agit toujours de mesures punitives, mais elles sont très rapides en ce sens que ces interdictions sont émises au bord de la route. Il existe une procédure administration pour régler les différends et, si je comprends bien, l'admissibilité constitutionnelle de cette démarche a été maintenue. Je ne vois aucune raison pour laquelle cela ne pourrait pas et, en fait, ne devrait pas être utilisé dans une gamme d'autres situations. Je crois que cela fonctionnerait.
M. Trudell : Nous devons ne pas avoir peur de toucher à des affaires que nous craignons presque de toucher, par exemple, les agressions par un conjoint. Je ne laisse aucunement entendre que la violence conjugale n'est pas un crime grave, mais il y a tellement de cas où un policier se rend sur place, où une ordonnance du tribunal de la famille a été délivrée et où une plainte a été déposée au criminel. Certaines administrations songent à émettre des ordonnances de protection, à d'autres façons de garder ces cas hors du système de justice pénale parce que, comme Greg l'a affirmé, dès que vous faites entrer quelqu'un dans le système de justice pénale, il est étiqueté : la famille, le travail et toutes sortes de choses auxquelles le système de justice pénale ne s'attendait probablement pas.
Nous avions peur de parler des cas de conduite avec facultés affaiblies, mais il y a des façons de les régler. Il nous faut vraiment trouver une autre façon de procéder dans les cas de violence conjugale « mineurs », à défaut d'un meilleur terme, qui engorgent le système, entraînent des procédures devant des tribunaux spécialisés et se terminent par une libération, car c'est une démarche en vase clos. Nous ne pensons pas aux répercussions que subit la famille.
Nous devons faire preuve de courage et nous pencher sur ce qui engorge le système et trouver une meilleure façon de procéder. Cela pourrait être un bon exemple.
Le sénateur White : Il y a un an, un certain nombre de députés et quelques sénateurs ont discuté de la possibilité d'utiliser la Loi sur les contraventions pour les accusations mineures de possession de drogue. On retirerait ainsi ce type de causes du système de justice, une personne pourrait plaider non coupable et s'y retrouver de nouveau si elle le souhaite, mais le policier et l'accusé auraient l'option.
Pensez-vous que c'est possible dans le cas de certaines infractions? Je pense au vol à l'étalage ou à l'intrusion de nuit, par exemple. Devrions-nous nouer le dialogue avec les provinces pour créer des mesures législatives provinciales qui couvriraient ces cas?
M. Trudell : Minimisation du risque : si un policier sait qu'il peut donner une contravention à un individu plutôt que de l'arrêter et que ses supérieurs l'appuieront; si un procureur de la Couronne sait qu'il peut retirer des accusations et que ses supérieurs l'appuieront; si un juge sait qu'il peut prendre ce type de décision et qu'il sait qu'il sera appuyé; si l'avocat de la défense peut le faire en sachant qu'il n'y aura aucune répercussion — les policiers ont une bonne longueur d'avance quant à la justice pénale.
Le sénateur White : Je n'ai plus de questions, Votre Honneur.
M. Trudell : Les policiers ont une bonne longueur d'avance, car ils constatent ces choses au départ. Ils savent que tout peut être intégré au système. C'est ce à quoi servent des rencontres de collaboration comme celle-ci. Nous essayons tous de trouver une différente démarche en matière de justice pénale.
La sénatrice Batters : Merci beaucoup à vous tous. Je suis ravie que nous examinions la question ensemble. Je vous remercie vraiment de toutes les propositions concrètes que vous nous avez présentées aujourd'hui pour réduire les délais judiciaires au Canada, un énorme problème.
Je me demande si chacun d'entre vous pourrait me donner très brièvement ses propositions concrètes les plus importantes concernant les accusations de conduite avec facultés affaiblies. Le témoin qui est assis le plus près de moi a déjà parlé des dispositions administratives qui s'appliquent en Colombie-Britannique, et il s'agit peut-être de sa suggestion la plus importante, mais j'aimerais que vous me donniez tous vos premières suggestions à cet égard. Il me semble qu'on a un énorme problème d'engorgement de tribunaux.
M. Lamb : Ma première proposition concrète consiste à adopter le modèle de la Colombie-Britannique pour les cas simples de conduite avec facultés affaiblies. Laissons les policiers déterminer la ligne de conduite à adopter.
Autrement, j'ai déjà entendu parler — et je pense avoir vu cela dans d'autres pays — de l'idée d'abaisser la limite légale actuelle et de la retirer complètement du Code criminel en en faisant simplement une infraction provinciale. Plutôt qu'un taux d'alcoolémie de 0,08 — qu'il s'agisse de 0,02 ou de 0,05, le fait est que si l'on établit une sanction administrative provinciale, on retire toutes les obligations liées à la procédure pénale et les droits réclamés dans les tribunaux criminels. Les gens ne devraient pas conduire lorsqu'ils sont en état d'ébriété de toute façon.
M. Russomanno : Je suis tout à fait d'accord avec M. Lamb.
Je pourrais ajouter ceci : la peine minimale obligatoire inclut une amende de 1 000 $ et la constitution automatique d'un casier judiciaire. Dans bon nombre de cas, les gens qui sont accusés de conduite avec facultés affaiblies n'ont pas été mêlés à d'autres affaires dans le système pénal; ils n'ont pas de casier judiciaire. De plus, la plupart du temps, l'idée, c'est qu'il y ait un procès. C'est un aspect technique de la loi et il pourrait y avoir des moyens de défense.
Je pense que cela illustre bien à quel point les peines minimales obligatoires causent d'autres retards en ne laissant aux accusés guère de raisons de plaider coupable.
M. Trudell : La sensibilisation est essentielle. Nous constatons qu'un grand nombre de jeunes comprennent maintenant le message véhiculé dans les formidables publicités informatives et campagnes médiatiques sur les risques et les causes de la conduite avec facultés affaiblies. J'ai pu constater personnellement que les jeunes se trouvent un conducteur désigné.
Je ne crois pas qu'il soit nécessaire que le système pénal règle ce problème. Il pourrait s'agir d'une infraction traitée comme une contravention et l'individu perdrait son permis aux termes de la loi provinciale.
M. DelBigio : Dans la mesure où il y a dissuasion immédiatement dans l'application, les procédures administratives assurent cette immédiateté.
La sénatrice Batters : Je veux revenir sur une observation précédente de M. Russomanno, concernant la nécessité d'augmenter le nombre de tribunaux et de juges. La Saskatchewan a pris une mesure novatrice — je crois qu'elle vient de là — concernant des tribunaux parallèles. Je ne sais pas si vous en avez entendu parler. Il s'agit en gros d'un tribunal fantôme constitué sur papier. Il y a tellement de procès qui tombent à l'eau à la dernière minute en raison d'une négociation de plaidoyer ou parce qu'un accusé plaide coupable à la dernière minute. Parce que c'est constitué sur papier, en principe, ils ont plus de tribunaux à leur disposition et ils s'assurent qu'ils en font une utilisation optimale, étant donné qu'une grande proportion des procès sont annulés à la dernière minute.
Est-ce que quelqu'un d'entre vous a entendu parler de cette innovation? Si c'est le cas, j'aimerais connaître votre point de vue.
M. Russomanno : Je n'en ai pas entendu parler, mais cela fait ressortir un point intéressant qu'a fait valoir, je crois, l'ABC concernant le renvoi. Lorsqu'un processus est enclenché, la personne a une première comparution devant le tribunal. Par la suite, quelques comparutions ont lieu, parfois même une douzaine ou plus; il y a les conférences judiciaires préparatoires au procès, le procès et le prononcé de la sentence. L'accusé doit souvent se présenter à de telles comparutions administratives, ce qui crée des retards.
Nous pourrions procéder de façon plus efficace, peut-être constituer quelque chose sur papier. Je pense à quelque chose qui s'apparente à ce que vous décriviez. Il y aurait peut-être un moyen de réformer les tribunaux de renvoi pour accroître l'efficacité du processus.
Le sénateur Baker : Monsieur DelBigio, vous avez formulé une réponse très judicieuse concernant les délais. Il y a des délais dans les procédures judiciaires. Les avocats de la défense doivent fournir leurs arguments fondés sur la Charte avant le procès, même avant que la preuve soit présentée. Je vous laisse convaincre le juge qu'un argument fondé sur la Charte a été soulevé durant le procès. Il y a des délais. L'affaire Morin établit des délais pour les procès — l'alinéa 11b) — de 6, 8, 10 mois.
Vous êtes contre mon idée d'obliger la Couronne à respecter un délai précis. Accepteriez-vous alors l'idée que la Couronne, ainsi que la défense, doive prévoir une période pour la divulgation avant le procès, dans la mesure où la preuve substantielle est utilisée au procès? Serait-ce une bonne idée? Êtes-vous d'accord? C'est que vous n'approuvez pas mon idée que la Couronne ait un délai à respecter pour la production de la divulgation.
Le sénateur White : C'est une excellente idée.
Le sénateur Baker : Le policier dit que c'est une excellente idée, en passant.
M. DelBigio : J'écoute attentivement.
Sans vouloir vous vexer, je ne partage pas votre avis pour une deuxième fois. Imposer une obligation semblable à la défense bouleverserait vraiment le système. Il y a certaines obligations dans certaines circonstances — par exemple, pour des demandes fondées sur la Charte — où il incombe à la défense de présenter l'information sur laquelle elle s'appuiera si elle souhaite poursuivre une demande. Cela fonctionne dans ce contexte.
Or, j'estime certes qu'imposer à la défense une obligation générale de divulguer l'information à la Couronne à l'avance, avant le procès, concernant des éléments de preuve de la défense qui pourraient être invoqués, est une mesure très importante dont il faudrait discuter longuement, et je m'y opposerais.
M. Trudell : Sénateur Baker, vous n'avez pas parlé des obligations pour les policiers. Ils ont beaucoup de pressions concernant la divulgation.
Le sénateur Baker : Et l'affaire McNeil.
M. Trudell : Exactement. Cela doit commencer au début, et les policiers ont besoin des ressources pour le faire, et il faut que cela fonctionne à toutes les étapes.
Une dernière chose : pour ce qui est de la divulgation et de la défense, dans une conférence judiciaire préparatoire au procès, le juge peut dire à la Couronne qu'il a examiné la preuve de la poursuite et qu'elle n'aura pas gain de cause, ou il peut dire : « Monsieur Trudell, vous n'avez pas de défense. » Donc, il s'agit de nous réunir — nous savons que nous aurons de l'aide —, plutôt que d'attendre la tenue du procès.
Si un juge fait le travail, je sais qu'il me mettra dans l'embarras si je ne suis pas prêt et qu'il mettra la Couronne dans l'embarras et lui dira que la politique qu'il évoque lui importe peu, car il n'y a pas de perspective raisonnable d'obtenir une déclaration de culpabilité. Voilà ce que je veux vous dire. La défense et la Couronne ne peuvent pas quitter la rencontre en se disant « Eh bien, nous n'avons pas aimé ce que nous avons entendu. » On parle donc de gestion initiale.
Le sénateur Joyal : Penchons-nous là-dessus en revenant à la démarche que nous avons mise de l'avant dès le début. Comment pouvons-nous apporter des changements au système de façon à ce que le juge suive la démarche que vous venez de décrire? Les juges sont-ils formés pour cela à l'heure actuelle? Comment devons-nous modifier le système pour faire en sorte qu'il soit obligatoire — je déteste utiliser ce mot — pour les juges de suivre cette démarche?
M. Trudell : Sénateur Joyal, vous êtes membres du comité depuis longtemps.
Le sénateur Joyal : Cela fait 18 ans.
M. Trudell : Je crois que cela fait 19 ans que je viens comparaître devant votre comité. Vous avez de l'expérience dans le milieu du droit pénal. Si vous ne faisiez pas partie du comité ou si d'autres membres n'en faisaient pas partie, ce serait une perte. Si un juge a de l'expérience en médiation et qu'il peut faire avancer les choses, c'est la personne que l'on envoie dans les conférences préparatoires. On n'envoie pas simplement quelqu'un qui ne fera que cocher une case.
Il existe une spécialisation pour ce genre de travail. C'est seulement que certains juges n'ont pas la formation ou la capacité de dire « Excusez-moi, mesdames et messieurs, mais cela ne passera pas. »
Il revient aux juges en chef et aux juges principaux régionaux du pays de donner la responsabilité aux bonnes personnes. Ce n'est pas quelque chose qui n'existe pas; le comité permanent national examine justement cette question.
M. Russomanno : Je suis complètement d'accord avec M. Trudell concernant les juges spécialisés qui ont les compétences et la médiation, mais si le procureur de la Couronne peut s'asseoir et, essentiellement, affronter la tempête et comprendre qu'il devra expliquer à son supérieur pourquoi il a reculé et décidé de retirer une accusation qui ne tient pas face à une politique qui indique le contraire, alors cela se résume à cela. Il y a bien des cas. Cela pourrait nous donner bonne figure à nous, les avocats de la défense, lorsque nous nous présentons au procès et que la Couronne décide de retirer une accusation. Or, une grande partie des délais tiennent au fait que la police ou la Couronne n'aurait jamais dû engager de poursuite en premier lieu, et les politiques qui entravent cela.
M. Trudell : La gestion du système s'applique à l'aide juridique également. Si l'on obtient un certificat d'aide juridique en Ontario, la gestion est importante. Il faut expliquer quels sont les besoins.
Nous considérons le système de justice pénale comme une entreprise, comme un outil en bon état, car sinon, cela ne fonctionnera pas. Or, c'est dans l'ensemble du système.
Le président : Messieurs, je vous remercie tous. Je sais que je vous ai interrompu au beau milieu des discussions à quelques occasions. Comme je l'ai dit aux témoins précédents, je vous invite à communiquer avec nous si vous voulez nous donner d'autres renseignements, ajouter quelque chose aux réponses que vous avez fournies ou à celles que vos collègues ont fournies. Nous serions vraiment ravis de recevoir cette information, tout comme nous sommes ravis que vous ayez comparu aujourd'hui.
Le sénateur Joyal : Il nous reste encore bien des années, monsieur Trudell.
(La séance est levée.)