Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule no 4 - Témoignages du 10 mars 2016
OTTAWA, le jeudi 10 mars 2016
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd'hui, à 10 h 30, pour examiner les questions relatives aux délais dans le système de justice pénale au Canada.
Le sénateur Bob Runciman (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonjour. Chers collègues, invités et membres du public à l'écoute, je vous souhaite la bienvenue à cette séance du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.
Mesdames et messieurs, le mois dernier, le Sénat a autorisé le comité à étudier, en vue d'en faire rapport, les questions relatives aux délais dans le système de justice pénale au Canada et les rôles joués par le gouvernement du Canada et le Parlement pour réduire ces délais. Il s'agit de notre huitième réunion dans le cadre de cette étude.
Pour la première heure, nous recevons MmeKim Pate, directrice générale de l'Association canadienne des Sociétés Elizabeth Fry; MmeCatherine Latimer, directrice générale de la Société John Howard du Canada; et MmeRebecca Bromwich, membre du conseil d'administration et trésorière du Conseil des Églises pour la justice et la criminologie.
Nous vous remercions d'être ici aujourd'hui. Nous avons hâte de vous entendre.
Madame Bromwich, je crois que c'est vous qui allez ouvrir le bal.
Rebecca Bromwich, membre du conseil d'administration et trésorière, Conseil des Églises pour la justice et la criminologie : Je vous remercie de donner l'occasion au Conseil des Églises pour la justice et la criminologie de s'exprimer sur une question aussi importante.
Comme beaucoup d'entre vous le savent, le Conseil des Églises pour la justice et la criminologie est un organisme national fondé en 1972 par 11 confessions chrétiennes au Canada, catholiques et protestantes. Fort des valeurs communes de ses confessions membres, le CEJC fonctionne néanmoins de façon indépendante de celles-ci et aspire à changer la façon dont le Canada administre la justice et le système correctionnel.
Au moyen d'études, de projets, d'ateliers et de communications, le CEJC renseigne le public sur la justice réparatrice et parraine des initiatives visant à améliorer la santé et la sécurité des collectivités tout en favorisant de nouvelles façons originales de concevoir la justice.
Nous sommes ravis de pouvoir participer à votre étude spéciale sur les délais dans le système de justice pénale. Comme nous l'avons indiqué dans notre mémoire, nous avons formulé trois recommandations.
Tout d'abord, j'aimerais citer l'évêque Desmond Tutu qui, après avoir vécu les horreurs de l'apartheid en Afrique du Sud, a dit qu'il n'y avait pas d'avenir sans pardon. Les propositions du CEJC tracent une voie possible vers un nouvel avenir et visent à remédier aux problèmes endémiques au sein de notre système de justice pénale. Nous partageons l'avis de l'évêque Tutu et nous envisageons un nouvel avenir pour le système de justice.
Nous estimons que nous pourrons réduire les délais dans le système de justice pénale en changeant la logique opérationnelle de notre société ainsi que la façon dont nous rendons justice et assurons la sécurité publique au pays. Notre objectif est de mettre en lumière la justice réparatrice et de miser sur l'inclusion et la réconciliation à un niveau systémique afin d'assurer une meilleure protection des droits et une plus grande compassion à l'endroit de tous.
En nous appuyant sur une vision du monde globale et l'orientation théorique, nous avons formulé trois recommandations concrètes et précises.
Même si elles vous sont présentées dans un ordre différent dans notre mémoire, notre première recommandation consiste à renforcer les programmes de justice réparatrice à l'échelle nationale.
Nous recommandons également une réforme en profondeur du système de mise en liberté sous caution. Je sais que c'est également une des recommandations de l'Association du Barreau canadien.
Nous suggérons également de rétablir la Commission de réforme du droit du Canada afin de faciliter l'analyse systémique, professionnelle, détaillée, approfondie et continue de notre système de justice pénale.
Durant mon exposé, je vais surtout m'attarder à la justice réparatrice. J'aimerais d'ailleurs vous faire part de la définition de la justice réparatrice qu'a proposée M.Robert Cormier en 2002 :
La justice réparatrice est une approche de justice axée sur la réparation des torts causés par le crime en tenant le délinquant responsable de ses actes, en donnant aux parties directement touchées par un crime — victime(s), délinquant et collectivité — l'occasion de déterminer leurs besoins respectifs et d'y répondre à la suite de la perpétration d'un crime, et de chercher ensemble une solution qui permette la guérison, la réparation et la réinsertion, et qui prévienne tout tort ultérieur.
Une approche de justice réparatrice insiste sur le rétablissement de toutes les parties — tant la victime que le délinquant et la collectivité. Notre organisation reconnaît que le rôle de la justice ne revient pas uniquement aux professionnels; les collectivités doivent également en assumer une partie.
Il est vrai que les processus officiels du système de justice pénale sont actuellement surchargés, ce qui occasionne des retards. Ce fardeau pourrait être allégé si la charge de travail était mieux répartie entre les mécanismes de justice officiels et les processus informels au sein de la collectivité.
Comme vous le savez, la justice réparatrice n'est pas quelque chose de nouveau. En fait, je parle ici au nom des 12 confessions chrétiennes, et je ne suis pas ici pour présenter des idées fondamentalement nouvelles, mais ce sont des idées radicales. Le Conseil des Églises pour la justice et la criminologie fait valoir les bienfaits des programmes de justice réparatrice communautaires depuis plus de 40 ans. Pourtant, au cours des dernières années, ces programmes ont été sous-financés partout au pays.
Lors d'une activité de financement, nous avons accueilli Are Høidal, le directeur de la prison de Halden en Norvège, une prison reconnue mondialement pour son approche humaine. Ce qu'il a dit au public, et ce qu'il nous a dit également en privé par la suite, c'est qu'il avait trouvé ses idées, il y a de nombreuses années, auprès de Canadiens venus en Norvège. En fait, les processus et l'orientation réparatrice désormais adoptés avec grand succès dans des pays comme la Norvège sont inspirés des Canadiens. Cela n'a rien de nouveau, mais je pense qu'il faut simplement attirer l'attention de tous là-dessus.
On trouve de nombreuses initiatives de justice réparatrice fructueuses à la grandeur du Canada. Ici même à Ottawa, le CEJC a aidé à mettre sur pied le programme de justice collaborative au palais de justice. On en parle d'ailleurs dans notre mémoire.
Le CEJC est d'avis que la logique d'exclusion et d'exception et l'idée de vouloir jeter des gens en prison à tout prix par souci de sécurité nuisent à notre système de justice pénale.
Et je le dis sans naïveté. Nous ne proposons pas de remplacer le système correctionnel existant par un cercle où tout le monde se tient par la main en chantant «Kumbaya». C'est quelque chose qu'on nous reproche.
Dans ma propre collectivité, à quelques coins de rue de chez moi, ici à Ottawa, une personne a été abattue lundi soir entre une garderie et une école secondaire. C'était en plein jour, alors que des enfants déambulaient dans les rues. Je comprends la réalité de la criminalité et la nécessité d'assurer la sécurité publique au sein de nos collectivités. Le CEJC est conscient qu'il faut collaborer avec les services de police, les agents correctionnels, les tribunaux et toutes les parties prenantes du système de justice pénale. Nous ne préconisons pas une solution de rechange soudaine au système de justice. Nous recommandons plutôt de recourir davantage aux pratiques de la justice réparatrice.
J'aimerais également parler de nos autres recommandations, notamment la réforme du système de mise en liberté sous caution. Je sais que beaucoup d'autres sources en ont parlé. Je vous renvoie ici au rapport détaillé de l'Association canadienne des libertés civiles, paru en 2014 et intitulé Set Up to Fail, dans lequel on souligne que :
[...] le système de mise en liberté sous caution fonctionne d'une manière contraire à l'esprit, sinon parfois à la lettre, de la loi. Des personnes légalement innocentes sont traitées dans un système de mise en liberté sous caution chaotique et inutilement allergique au risque qui les pénalise d'une façon démesurée.
Le CEJC souscrit aussi aux recommandations formulées par Cheryl Webster, Ph. D, dans le rapport qu'elle a présenté en 2015 au ministère de la Justice, intitulé Broken Bail in Canada : How We Might Go About Fixing It.
Il est connu et inadmissible que les prisons bondées du Canada soient remplies d'un nombre sans cesse croissant de personnes en détention préventive. C'est un problème du point de vue idéologique et aussi du point de vue pratique. Nos établissements carcéraux sont surpeuplés à cause de nos pratiques actuelles.
L'article 515 du Code criminel et la façon dont il interagit avec les procédures et processus de mise en liberté provisoire des provinces et des territoires devraient être examinés en vue de remédier aux longs délais dans le système de justice pénale. C'est la nature surchargée du système qui est à l'origine des retards qu'on observe.
Le président : Pourrais-je vous demander de conclure?
MmeBromwich : Troisièmement, comme nous le savons tous, la Commission du droit du Canada, anciennement appelée la Commission de réforme du droit du Canada, n'a pas reçu de financement depuis 2006. Des consultations comme celles-ci sont utiles — et, encore une fois, nous vous remercions de nous donner cette occasion d'y participer —, mais elles ne remplacent pas la mise sur pied d'un organe spécialisé permanent et indépendant pour étudier et revoir systématiquement les lois canadiennes.
Le président : Merci.
Catherine Latimer, directrice générale, Société John Howard du Canada : C'est un plaisir d'être ici aujourd'hui pour discuter des délais dans le système de justice pénale. C'est quelque chose que nous prenons très au sérieux. Comme bon nombre d'entre vous le savent, la Société John Howard est un organisme de bienfaisance qui a pour mission de promouvoir les interventions efficaces, équitables et humaines face aux causes et aux conséquences du crime. Nous avons des bureaux de première ligne dans plus de 60 collectivités qui offrent divers services en matière de prévention du crime, des solutions de rechange au système judiciaire, notamment des programmes de surveillance des personnes en liberté sous caution, des programmes de réadaptation et du soutien à la réinsertion sociale pour les personnes qui sortent de prison.
Les politiques de répression du crime prônées par le gouvernement au cours des 10 dernières années, de même que les réformes législatives, ont eu un effet dévastateur sur nos services correctionnels et sur le système judiciaire. Le système judiciaire n'est pas le seul à accuser des retards; on observe également de longs délais au sein du système correctionnel, et toute cette lenteur a grandement contribué à la dysfonction actuelle.
La Société John Howard du Canada propose un plan en cinq points pour améliorer le système correctionnel. Bon nombre de ces points auraient pour effet de réduire les délais en diminuant le nombre de personnes dans le système de justice pénale et en traitant celles qui s'y trouvent de façon efficace, équitable et humaine.
Vous avez probablement tous reçu mon mémoire, alors je vais seulement passer en revue les cinq principaux points, puis vous expliquer en quoi ils pourraient permettre de réduire les délais.
Nous sommes d'accord avec le Conseil des Églises; l'un des problèmes les plus importants auquel le système de justice pénale est confronté est sans aucun doute la détention provisoire. Je pense qu'il est important qu'on rétablisse le respect pour la présomption d'innocence. À l'heure actuelle, plus de la moitié des détenus au sein des prisons provinciales n'ont pas été reconnus coupables d'un crime, ce qui entache sérieusement la réputation du système de justice. Certains demeurent en détention pendant des années avant que les accusations portées contre eux ne soient examinées par un tribunal. Ceux qui sont finalement libérés sous caution comparaissent devant le tribunal à plusieurs reprises et se voient imposer des conditions excessivement onéreuses qu'ils ne respectent souvent pas. Sachez qu'environ 20 p. 100 des adultes qui se retrouvent devant les tribunaux y sont pour des infractions liées à l'administration de la justice.
Même si des programmes de rechange au système de cautionnement et des changements aux politiques pourraient permettre de pallier ces problèmes, nous estimons que les dispositions du Code criminel qui encadrent la détention et la libération avant procès doivent être complètement revues. Nous devons renforcer les motifs de la détention, établir des limites pour les conditions de libération sous caution, éliminer les dispositions relatives à l'inversion du fardeau de la preuve et imposer des limites strictes sur la durée de la détention préalable au procès. Il faut légiférer à cet égard.
Les prochaines mesures de notre plan en cinq points visent à faire en sorte que ceux qui n'ont pas besoin d'être en prison n'y soient pas. Nous voulons aussi «rechercher la paix dans la guerre contre la drogue» et traiter les personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale plutôt que de les punir. L'inefficacité de la lutte antidrogue que nous menons et le manque de ressources pour traiter efficacement les personnes atteintes de troubles mentaux au sein de la collectivité ont donné lieu à un afflux de gens dans le système de justice pénale. On surcharge le système et celui-ci n'est pas en mesure de composer avec les problèmes de santé mentale fondamentaux. Nous pensons qu'il y a d'autres solutions plus constructives, et ces solutions doivent être envisagées.
Notre quatrième point concerne les peines proportionnelles et constructives. Au cours des 10 dernières années, de nombreuses peines minimales obligatoires ont été imposées. Certaines ont été invalidées par les tribunaux, mais il reste qu'elles engorgent le système judiciaire. Lorsque les gens encourent des peines minimales obligatoires, ils ne plaideront pas coupables; ils vont plutôt essayer de se défendre devant les tribunaux, ce qui a pour conséquence de ralentir tout le processus.
Et c'est sans compter les sanctions financières obligatoires. Même s'il est évident que certains contrevenants impécunieux ne sont pas en mesure de payer leur amende, ils doivent comparaître à plusieurs reprises pour éviter d'être incarcérés pour défaut de paiement d'une amende. On pourrait remédier à cette situation immédiatement.
Nous sommes d'avis qu'un amendement immédiat serait très utile pour résoudre ces problèmes. Vous pourriez rétablir le pouvoir judiciaire des juges en ajoutant une disposition qui permettrait aux juges de déroger à l'imposition d'une peine minimale obligatoire si celle-ci se traduisait par une peine disproportionnée ou manifestement inappropriée. Les recommandations de la Commission de vérité et de réconciliation évoquaient également cette idée. Des projets de loi d'initiative parlementaire du NPD et du Parti libéral ont fait la promotion, par le passé, d'une mesure semblable, et presque tous les autres pays disposent d'une soupape de sécurité qui donne aux juges la possibilité de déroger aux peines minimales obligatoires. Je pense que nous avons l'occasion de le faire dès maintenant.
Nous recommanderions également de recourir davantage aux options offertes au sein de la collectivité comme solutions de rechange au système de justice pénale et à l'incarcération, y compris le rétablissement des peines avec sursis, pour éviter d'envoyer en prison des gens qui ne devraient pas y être.
Notre cinquième point, et c'est probablement le plus pertinent pour nous, consiste à miser sur la contribution au sein de la collectivité plutôt que sur l'incarcération pour rétablir l'efficacité de notre système correctionnel. Les États-Unis et le Royaume-Uni ont tous deux reconnu la nécessité d'apporter d'importantes réformes pénales, et nous espérons que le Canada va leur emboîter le pas.
Avant toute chose, le système carcéral doit assurer des conditions humaines qui respectent les droits des prisonniers et qui répondent à leurs besoins essentiels, dont des soins de santé physique et mentale. Ce qui est encore plus préoccupant, selon nous, ce sont les délais dans le processus d'isolement préventif. Même si les Nations Unies et plusieurs experts ont affirmé que 15 jours en isolement pouvaient causer des problèmes de santé irréparables et constituer une forme de torture, notre système n'a aucune limite en ce qui a trait au temps passé en isolement préventif, et il n'y a pas de mécanisme efficace d'arbitrage indépendant pour examiner les cas de placement en isolement. Il faudrait exercer une surveillance et fixer des limites dans le processus d'isolement préventif, et ce, le plus rapidement possible afin de préserver les droits de ces gens et de veiller à leur santé mentale et à leur bien-être.
Notre système carcéral n'arrive plus à bien préparer les détenus à la mise en liberté. Nos programmes destinés à la réadaptation des délinquants et au perfectionnement de leurs compétences sont défaillants. Si je ne me trompe pas, le rapport 6 du vérificateur général, publié au printemps 2015, s'est penché sur le bilan du SCC pour ce qui est de la préparation des détenus à la mise en liberté. Il a conclu que les interventions correctionnelles n'étaient pas réalisées en temps opportun et que la plupart des délinquants n'avaient toujours pas terminé leurs programmes correctionnels au moment où ils devenaient admissibles à leur première mise en liberté. C'est très grave. Nous devons nous assurer que les prisonniers ont accès en temps opportun aux programmes dont ils ont besoin pour compléter leur plan correctionnel et être mieux préparés au moment d'être libérés dans la collectivité.
Nous savons qu'une libération graduelle et supervisée dans le cadre d'une libération conditionnelle réduit la récidive et que la plupart des prisonniers obtiennent leur première libération, non pas dans le cadre d'une libération conditionnelle, mais plutôt au moment de leur libération d'office ou à l'échéance du mandat de détention. Beaucoup trop de prisonniers dont les risques pourraient être gérés au sein de la collectivité se voient refuser la libération conditionnelle. Bon nombre d'entre eux sont libérés d'un établissement à sécurité moyenne et maximale, et les délais pour la préparation des détenus et la mise en liberté graduelle et supervisée sont inacceptables et ne favorisent pas la sécurité des collectivités.
C'est ce qui est à la base d'un système correctionnel efficace, et c'est là où nous avons besoin d'une urgente réforme.
On observe également des délais inutiles et inacceptables dans le processus de suspension des casiers judiciaires.
Le président : Je vous demanderais de conclure rapidement.
MmeLatimer : Dans bien des cas, les demandeurs doivent attendre des années avant qu'on traite leur demande de suspension de casier. Nous pourrons y revenir une autre fois, mais la situation est très grave.
En conclusion, j'aimerais souligner que les réformes législatives de la dernière décennie, qui visaient à accroître la sécurité publique, ont plutôt donné lieu à d'énormes retards et à l'encombrement des systèmes judiciaire et correctionnel, ce qui a pour effet de compromettre les droits des détenus et de nuire à l'efficacité du système correctionnel. Nous estimons que vous devez apporter des réformes majeures pour y remédier.
Nous rappelons aux sénateurs que la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition vous permet d'entrer dans les pénitenciers à tout moment, et nous vous exhortons à saisir cette occasion. Vous pourriez discuter avec les détenus et voir quelles sont leurs préoccupations et leurs idées pour réduire les délais et s'attaquer aux problèmes auxquels le système est confronté.
Kim Pate, directrice générale, Association canadienne des Sociétés Elizabeth Fry : Je vous remercie infiniment de nous avoir invités à comparaître devant le comité. C'est la première fois que je témoigne depuis l'arrivée au pouvoir du nouveau gouvernement, et je suis ravie d'être ici aujourd'hui.
Je vous remercie de me donner cette occasion de m'exprimer sur les enjeux importants que sont les causes et les conséquences des délais dans le système de justice pénale, à partir du dépôt des accusations jusqu'à leur règlement, et par la suite.
Comme vous le savez probablement tous, l'Association canadienne des Sociétés Elizabeth Fry représente 24 organismes de bienfaisance qui travaillent auprès des femmes et des jeunes filles qui sont marginalisées, qui sont des victimes, qu'on traite comme des criminelles et qui sont placées en établissement partout au pays. Dans ce contexte, notre mandat ne commence ni ne se termine avec le système de justice pénale, mais la plupart de nos services sont offerts au cours de cette période.
Tout d'abord — et je ne crois pas l'avoir déjà fait devant le comité —, j'aimerais signaler que nous nous trouvons en territoire algonquin. Je le reconnais partout où je m'exprime en public, sauf, je m'en suis rendu compte, aux audiences parlementaires et du Sénat. Il est encore plus important de le faire aujourd'hui, dans la foulée des recommandations de la Commission de vérité et de réconciliation. Nous avons créé la Commission royale des peuples autochtones il y a déjà 20 ans, et c'est sans compter les récentes recommandations du Tribunal canadien des droits de la personne sur l'éducation en particulier, mais aussi sur les questions liées à la protection des enfants autochtones.
Pourquoi je soulève cette question? Parce que si on regarde ce qui passe au sein de notre système de justice pénale, on voit un système qui essaie de s'attaquer à des problèmes sociaux et économiques ainsi qu'à des problèmes de santé qui relèvent d'un autre système. Ces gens sont de plus en plus criminalisés et incarcérés. Les femmes, particulièrement les femmes autochtones et celles aux prises avec des troubles de santé mentale, constituent le segment de la population carcérale qui croît le plus rapidement. J'imagine que le commissaire de la Commission canadienne des droits de la personne et l'enquêteur correctionnel parlent de ces enjeux dans leurs rapports annuels qu'ils s'apprêtent à déposer.
Pourquoi cette population carcérale connaît-elle la plus forte croissance? Parce qu'elles sont les proies les plus faciles du système de justice pénale, et elles sont celles pour qui il n'y a pas assez de services de soutien. Elles sont donc les plus susceptibles d'être arrêtées, accusées, condamnées et emprisonnées.
Je tenais à le mentionner. Je pense que nous devons absolument examiner ces questions dans ce contexte.
Sachez que 20 ans se sont écoulés depuis la Commission d'enquête Arbour. J'aimerais en parler un peu plus tard.
Entre-temps, quelles sont quelques-unes des questions que nous devons examiner? Je ne vais pas répéter ce que l'Association du Barreau canadien et mes collègues ici ont dit au sujet de ceux qui arrivent dans le système, des questions concernant les niveaux de soutien suffisants et des avocats qui défendent les accusés, des lacunes du système de libération sous caution, et du fait que parmi les hommes et les femmes autochtones, environ 70 p. 100 de ceux qui sont en détention avant leur procès, dans l'attente de leur procès, n'ont pas été reconnus coupables. C'est encore plus élevé que le pourcentage de 50 p. 100 que ma collègue de la Société John Howard, Catherine Latimer, a évoqué. Nous devons nous pencher sur certaines des approches où des poursuites ne seraient pas intentées.
Dans les cours que j'enseigne à l'école de droit, je parle beaucoup de l'importance que les procureurs prennent leur rôle d'officiers de justice au sérieux et respectent les dispositions de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents et, je dirais aussi, le Code criminel. Mais il serait utile de moderniser le Code criminel pour énoncer clairement que nous devrions examiner toutes les autres mesures existantes avant d'appliquer la justice pénale.
Comme bon nombre d'entre vous le savent, la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, sous la direction de mon amie à ma gauche, a vraiment élaboré un mécanisme dans le cadre duquel les juges doivent examiner pourquoi on n'a pas envisagé de recourir aux services d'aide à l'enfance, aux services de santé mentale et aux services d'éducation avant de prendre des mesures pénales. Les statistiques n'ont diminué que d'un tiers pour les filles et les jeunes femmes et que d'un tiers pour les jeunes issus de minorités, et plus particulièrement les Autochtones. Mais cette mesure à elle seule a changé les choses.
Donc, il faut réformer le système en amont et établir clairement — et je répète «établir clairement» — l'importance d'injecter des ressources dans des solutions de rechange à ces approches. Vous serez peut-être surpris d'apprendre que je ne pense pas que nous devrions envisager plus de mécanismes axés uniquement sur la déjudiciarisation. Je pense que si l'incarcération et la criminalisation ne sont pas les solutions de dernier recours, alors tous ces mécanismes deviennent complémentaires. En l'absence de ressources provinciales et territoriales, nous nous retrouvons avec une expansion par défaut du système de justice pénale. C'est ce que nous avons vu en premier avec la Loi sur les jeunes contrevenants et une tentative de la réformer, et nous le voyons encore. Je pense que nous avons une occasion importante de discuter également de l'importance des normes nationales dans ces domaines.
Un examen du système de justice pénale et des délais revient à disposer autrement les fauteuils de pont sur le Titanic si l'on ne se penche pas sur les normes nationales qui aideront les provinces et les territoires, dont les obligations financières pour veiller à ce que ces ressources soient en place. Autrement, on a des gens qui se retrouvent dans le système s'il n'y a pas d'autres endroits où ils peuvent recouvrer la santé.
J'ai un exemple parfait. Nous nous penchons actuellement sur l'un des décès survenus en détention. Les membres de la famille offraient beaucoup de soutien et avaient des ressources. On leur a dit d'emblée que le seul endroit où leur fille recevrait de l'aide serait dans le système de justice pénale en raison de l'éviscération des services de santé mentale et de traitement de la toxicomanie dans la communauté. Cela ne devrait pas arriver. Je ne pense pas que personne ici veut qu'une telle situation se produise, alors nous devons vraiment nous pencher là-dessus.
Je suis en faveur de rétablir le pouvoir discrétionnaire des juges au moyen, dans l'immédiat, d'une clause échappatoire comme celle qui a été recommandée dans deux projets de loi d'initiative parlementaire.
Je n'appuie pas l'idée de commencer à utiliser des mécanismes comme des tribunaux pour des cas spéciaux, et c'est pour la même raison que celle que j'ai mentionnée pour la déjudiciarisation. Nous devrions également insister pour que le ministère de la Justice, en plus d'une commission de réforme du droit et d'une commission sur la détermination de la peine — ce serait bien qu'il y en ait davantage —, reconnaisse que son rôle n'est pas d'adopter des projets de loi qui ne résisteront pas à une contestation en vertu de la Charte ou qui n'ont que 5 p. 100 de chances de passer l'épreuve de la Charte. Il doit reconnaître que son rôle est plutôt de faire respecter et de défendre la Charte, et pas de la défendre contre des revendications en matière d'égalité.
De nombreuses autres recommandations ont été faites au sujet des réformes législatives pour abroger des mesures. Je pense qu'il sera très utile de rétablir quelques approches axées sur des principes pour la justice pénale en tant que dernier recours et les droits de la personne en tant que mesures phares. J'ai beaucoup de choses à dire sur les changements qui pourraient être apportés si vous voulez parler du système carcéral, mais j'espère que les mesures que vous voulez examiner nous éviteront de discuter de ces changements.
J'appuie l'idée que vous vous rendiez dans les prisons. Il y aura une semaine demain, je me suis rendue avec quelques membres de la Commission canadienne des droits de la personne dans l'une des prisons, et je peux dire que la visite leur a ouvert les yeux. On ne peut pas pleinement comprendre la surpopulation, les délais, la peur et l'anxiété des détenus avant d'avoir eu l'occasion de discuter avec eux. J'exhorte vivement les sénateurs à le faire. Si vous voulez que je vous en parle davantage, je me ferai un plaisir de le faire à la période des questions.
Le président : Merci à tous. Nous allons commencer par les questions de la vice-présidente, la sénatrice Jaffer.
La sénatrice Jaffer : Merci beaucoup de vos exposés. Comme toujours, ils étaient très exhaustifs.
Mesdames Latimer et Pate, les témoins précédents que nous avons entendus ont parlé de la présomption d'innocence. Des gens sont incarcérés pendant des années, ce qui a des répercussions terribles, surtout sur les femmes détenues. Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet, s'il vous plaît?
MmeLatimer : Je pense qu'il n'y a aucun doute que l'incarcération a d'énormes répercussions. S'ils sont reconnus coupables, ces individus ont passé beaucoup de temps dans de très mauvaises conditions en détention préventive. Ces établissements sont surpeuplés. Les détenus n'ont pas accès aux programmes. Il y a de la violence. C'est un endroit très désagréable pour eux.
Les tribunaux ontariens ont rendu une décision récemment où ils augmentent le crédit accordé pour la détention avant procès en raison du nombre d'isolements cellulaires — l'isolement des détenus dans leur cellule pendant de longues périodes. Cela a des effets psychologiques importants et dévastateurs. Pour la plupart des gens qui sont en détention préventive, le niveau d'anxiété augmente lorsqu'ils sont condamnés et qu'ils purgent une peine car ils ne savent pas trop ce qui va leur arriver.
Pour ceux qui sont reconnus coupables, on accorde un certain crédit à la responsabilité criminelle en fonction du temps qu'ils ont passé en détention avant procès, mais si les condamnations sont retirées et qu'ils sont déclarés non coupables, leurs libertés ont été brimées et ils ne reçoivent aucune indemnisation ou reconnaissance pour cela, ce qui fait partie du processus du système de justice pénale. Cette situation déforme considérablement la perception d'équité et de justice des gens, tout comme la perte d'un emploi, la perte du soutien de la famille et tous les autres problèmes pratiques auxquels ils sont confrontés. C'est une crise grave dans le système correctionnel canadien, et nous devons intervenir pour la régler rapidement.
MmePate : Je suis d'accord et j'ajouterais que vous auriez du mal à trouver des gens qui travaillent au sein du système correctionnel et des gens de l'extérieur qui estiment que les femmes présentent un risque important pour la sécurité publique. La majorité des femmes — 91 p. 100 des femmes autochtones et 86 p. 100 des femmes en général — ont été victimes d'agressions physiques ou sexuelles. Bon nombre d'entre elles ont plaidé coupables aux accusations portées contre elles et, bien que certaines d'entre elles soient sous-représentées, bon nombre sont représentées. La majorité d'entre elles ont des enfants et s'occupaient seules de leurs enfants avant d'être incarcérées.
L'incarcération, que ce soit avant le procès ou après la condamnation, a une incidence sur de nombreuses communautés. Les nouvelles règles normalisées minimales sur le traitement des prisonniers viennent d'être renouvelées et présentées aux Nations Unies. On les appelle les règles de Mandela, et elles m'ont rappelé que l'une des premières choses que Nelson Mandela a faites lorsqu'il est devenu président a été de mettre en place une règle — l'affaire Hugo, pour ceux qui veulent le savoir — voulant qu'aucune femme qui a des enfants de moins de 12 ans ne doit être incarcérée. Il y avait une hausse considérable de la criminalité, et aucune question importante n'a été soulevée à ce sujet. Cette règle n'a pas été maintenue, mais il a reconnu, d'après son expérience et celle de nombreuses autres personnes, que l'incarcération des mères revenait également à punir les générations suivantes.
À la lumière de la recommandation no 30 de la Commission de vérité et de réconciliation, on pourrait examiner quelques stratégies de désincarcération, en commençant avec les femmes et les personnes souffrant de problèmes de santé mentale. L'article 29 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition vous permet actuellement de sortir de prison les personnes qui souffrent de problèmes de santé mentale. L'enquêteur correctionnel a découvert que 70 p. 100 des femmes détenues — je pense que c'est le chiffre exact — ont été hospitalisées pour des problèmes psychiatriques par le passé. Si je me suis trompée, je m'en excuse, mais je pense que c'est la statistique que l'on cite actuellement. Donc, ces personnes devraient être confiées à d'autres services.
Il y a des situations où des femmes deviennent plus violentes. Par exemple, j'allais parler de l'établissement d'Edmonton, mais je vais plutôt me concentrer sur celui de Grand Valley.
Cette semaine, vous avez peut-être vu dans les médias qu'il y a eu quatre séries d'isolements cellulaires en moins d'une semaine, et la quatrième a duré cinq jours. Les responsables de l'établissement ont procédé à un isolement cellulaire parce qu'ils ont appris de source sûre qu'il y avait de la drogue et des armes dans l'établissement. L'isolement cellulaire a finalement pris fin, et je pense sincèrement que c'était en raison de l'attention des médias. S'ils avaient trouvé de la drogue, de l'alcool ou des armes, nous en aurions sûrement entendu parler.
Toutefois, même si cela avait été le cas, la pratique beaucoup plus productive par le passé était de dire au comité des prisonniers — composé de détenus en qui l'administration a confiance et, d'après ce qu'on nous a dit, il y en a un en place dans l'établissement : «Faites vos recherches, et nous vous accorderons l'amnistie si vous trouvez quelque chose.» Dans la majorité des cas, s'il y avait quelque chose dans l'établissement, on le saurait en l'espace de quelques heures. Dans le cas contraire, le comité serait au courant qu'il ne se passe rien la majorité du temps. Les détenus vivent tous dans des conditions d'isolement.
Le président : Sénateur McIntyre.
Le sénateur McIntyre : Merci à tous de vos exposés. J'ai une question à poser aux témoins des Sociétés Elizabeth Fry et au Conseil des Églises pour la justice et la criminologie.
Madame Pate, je sais que l'Association canadienne des Sociétés Elizabeth Fry est affiliée à des groupes provinciaux et locaux. Je sais également que ces groupes offrent des programmes pour les femmes et les filles qui ont été incarcérées ou criminalisées ou qui sont à risque d'être criminalisées. Pourriez-vous me parler de ces programmes?
En ce qui concerne le Conseil des Églises, je crois savoir que le Cercle de soutien et de responsabilité est toujours en place. Pourriez-vous expliquer en quoi consiste ce programme? À quel point est-il efficace? Pourriez-vous fournir des données sur le succès du programme? Et enfin, savez-vous s'il existe des programmes semblables?
MmePate : Notre organisme fournit des services avant l'incarcération — des interventions précoces auprès des enfants et des adolescentes enceintes dans les écoles — et des services aux victimes également. Par exemple, en Colombie-Britannique et dans la région du Pacifique, un grand nombre des services offerts sont des services aux victimes rattachés aux bureaux de la Couronne et aux postes de police ou offerts conjointement avec eux.
De plus, plusieurs Sociétés Elizabeth Fry envoient des représentants dans les prisons ou offrent des options communautaires en tant que solutions de rechange aux peines, dont la possibilité de travaux communautaires, une collaboration avec les prisons et la prestation de programmes, des options de libération telles que des maisons de transition et des logements communautaires, dans certains cas. Il y a tout un éventail de services.
Certains d'entre vous savent que j'ai participé à des initiatives en matière de justice réparatrice précoce qui ont été élaborées. En fait, l'une des raisons pour lesquelles j'ai arrêté d'y participer, c'est que nous n'étions pas en mesure d'intervenir dans la majorité des cas graves. À l'époque, je travaillais avec des jeunes et ensuite avec des hommes, et nous tentions de mettre l'accent sur les infractions ou les situations qui avaient causé le plus de tort. La majorité de ces programmes sont toutefois des programmes de déjudiciarisation.
Pour les jeunes avec lesquels nous avons travaillé qui avaient commis des infractions très graves, nous avons reçu énormément de soutien du Service de police de Calgary. Le service de police a trouvé du financement pour que nous puissions travailler de façon intensive avec 10 jeunes qu'il avait identifiés comme étant des jeunes contrevenants récidivistes parmi les plus dangereux, car ils étaient pris dans le cycle de criminalité. L'un de ces contrevenants est une jeune femme avec qui j'ai gardé contact. Elle est sortie de prison depuis 17 ans et travaille avec d'autres jeunes femmes pour leur offrir du soutien. C'est juste un exemple de quelques-uns des services offerts.
MmeBromwich : Le projet du CSR est une initiative à laquelle le Conseil des Églises pour la justice et la criminologie a participé. Nous ne sommes pas un organisme de prestation de services, mais nous avons participé au programme d'une manière indirecte en offrant des fonds et du soutien administratif.
Le projet est une initiative de réintégration fondée sur les principes de justice réparatrice pour les délinquants sexuels à risques et à besoins élevés qui purgent une peine fédérale. La vision du projet est que bien que l'incarcération des délinquants atteigne l'objectif à court terme de protéger le public, la majorité d'entre eux seront libérés un jour ou l'autre. Le projet du CSR est un moyen d'intervenir auprès de ces délinquants sexuels très dangereux qui, comme les statistiques le montrent, sont des récidivistes notoires.
Le projet a été élaboré en 1994 pour réduire considérablement le risque de victimisation des membres de la communauté. Les rapports fondés sur ce projet ont révélé que les taux de récidive chez les délinquants sexuels qui participent au projet de CSR sont 80 p. 100 moins élevés que chez les hommes qui ne participent pas au projet. L'initiative a eu des répercussions extrêmement positives sur les participants.
Le projet va malheureusement se terminer. Il tire à sa fin et n'est plus financé ou administré par le Conseil des Églises, même si nous sommes très intéressés à mener à bien des programmes semblables dans le futur.
Le président : Nous allons devoir enchaîner. J'ai une longue liste devant moi, et nous n'aurons pas suffisamment de temps si les réponses sont longues. Je vous encourage tous à être le plus concis possible.
Le sénateur Baker : Je vous remercie de vos excellents exposés.
Vous n'êtes pas obligées de répondre à cette question aujourd'hui si vous ne le voulez pas. Elle s'adresse principalement à Mmes Pate et Latimer, qui sont des expertes juridiques bien connues dans ce domaine. Nous parlons d'essayer de faire épargner du temps aux tribunaux, et aujourd'hui, nous discutons avec l'Association des agents de probation, Service correctionnel du Canada, et cetera.
Ma question sort un peu des sentiers battus. Lorsqu'un individu enfreint une condition de sa libération et qu'un mandat d'arrestation est émis par l'agent de probation, l'affaire se retrouve devant la Commission des libérations conditionnelles qui doit rendre une décision. S'il y a une contestation en vertu de la Charte, la Cour suprême du Canada a déclaré que la Commission des libérations conditionnelles n'est pas un tribunal qui a la compétence d'entendre une contestation en vertu de la Charte. Ces affaires relèvent des tribunaux, et ce sont eux qui doivent en être saisis.
Maintenant, si je comparais devant le sénateur McIntyre, qui est le président de la Commission des libérations conditionnelles, et qu'il est seul avec deux psychiatres, c'est un tribunal compétent selon la Cour suprême du Canada. Il en va de même d'une audience disciplinaire devant une société du Barreau ou une association d'infirmières ou de médecins.
Pour faire économiser du temps aux tribunaux, devrions-nous suggérer que la Commission des libérations conditionnelles soit reconstituée pour en faire un tribunal compétent, tout comme d'autres organismes quasi judiciaires au Canada, afin qu'elle puisse entendre les contestations en vertu de la Charte et que la cour n'en soit pas saisie? Vous pouvez fournir une réponse écrite plus tard si vous le voulez, car je ne pense pas que vous ayez entendu cet argument auparavant.
MmePate : J'ai fait valoir cet argument dans un appel récemment, en fait. Je pense que la question de la Charte devrait être examinée par la Commission des libérations conditionnelles. La probation est une question distincte qui fait partie de la peine. Nous parlons ici de violations des conditions de libération conditionnelle.
Je dirais deux choses : premièrement, nous devrions nous débarrasser de nombreuses conditions. Il y a tellement de conditions spéciales à imposer aux gens, et c'est souvent parce qu'il y a un retard. Il arrive souvent qu'ils n'aient pas pu suivre tous les programmes à l'intérieur, alors pour les laisser sortir, on leur impose toutes ces conditions.
Le sénateur Baker : Ce sont les heures passées à la cour que nous essayons de réduire.
MmePate : Nous essayons de gagner du temps, alors, si vous envisagiez la possibilité pour la Commission des libérations conditionnelles d'avoir aussi compétence pour les questions liées à la Charte et pour des choses comme l'application de l'alinéa 718.2e), il ne serait pas nécessaire d'aller en cour.
S'il y a tant de personnes en libération d'office, c'est en partie à cause de ce dont j'ai déjà parlé : le surpeuplement du système. Dans la plupart des prisons pour femmes, maintenant, les femmes vivent en isolement virtuel dans presque tous les secteurs des prisons. Dans un établissement d'Edmonton — j'y étais tout récemment —, les femmes sont soumises à des déplacements modifiés, comme on le dit. Cela signifie qu'elles peuvent être confinées à leur cellule pendant 23 heures.
Le sénateur Baker : Oui, mais c'est la question des cours que nous essayons de régler ici.
MmePate : Oui.
Le sénateur Baker : C'est une bonne recommandation, et je vous félicite, madame Pate, d'être encore une fois à l'avant-garde.
La sénatrice Batters : J'ai deux choses. Premièrement, madame Pate, pour le problème des sanctions pécuniaires obligatoires que vous avez soulevé, il y a le programme de solutions de rechange à l'amende. J'en ai parlé quelquefois depuis que je siège au comité. La Saskatchewan et bien d'autres provinces ont un programme de solutions de rechange à l'amende. Si vous êtes incapable de payer une sanction pécuniaire obligatoire ou tout autre type d'amende, il existe des options de travail dans la collectivité et d'autres genres de choses pour cela. Le gouvernement libéral de l'Ontario n'a pas ce genre de programme. Je pense que ce pourrait être une façon d'atténuer une partie des pressions que le système de justice pénale subit à cause de ce genre de problèmes, et que ce serait probablement très utile pour les gens que vous aidez, mesdames Pate et Latimer. Pourriez-vous nous dire si cela pourrait représenter une bonne façon de réduire ces types de problèmes?
MmePate : Je vais répondre brièvement, mais je ne veux pas m'approprier le crédit. C'est en réalité ma collègue qui a soulevé cette question.
En effet, les programmes de solutions de rechange à l'amende sont bons et il devrait y en avoir. L'une des difficultés que nous avons constatées, c'est que les femmes qui ont des enfants et qui subviennent seules aux besoins de leurs enfants ont de réels problèmes. Nous avons dû faire preuve de créativité pour trouver des solutions de rechange à l'amende ou des solutions de travaux communautaires qui comportent la garde de leurs enfants pour que ces femmes puissent effectivement accomplir les travaux communautaires en remplacement de l'amende. Soyez conscients des obstacles, car ces modèles ont été créés en complément de ce qui existe déjà pour les hommes.
La sénatrice Batters : C'est vrai, mais cela reste préférable à une sanction pécuniaire obligatoire qu'elles sont incapables de payer.
MmeLatimer : Je suis d'accord : je pense que les programmes de solutions de rechange à l'amende sont bons. Je pense qu'il est aussi très important de redonner aux juges un certain pouvoir décisionnel, car il y a des personnes qui se font imposer des amendes et qui ne peuvent pas participer à un programme de solutions de rechange à l'amende.
J'ai comparu en tant que témoin expert pour un homme schizophrène, sourd et dépendant du crack qui vivait dans un refuge. Il n'aurait d'aucune façon pu participer à quelque programme structuré que ce soit pour en tirer des revenus. Ce sont les personnes comme lui qui sont particulièrement vulnérables aux dispositions concernant les amendes obligatoires.
La sénatrice Batters : Même s'il y a des cas difficiles, les programmes de solutions de rechange à l'amende peuvent quand même aider un vaste éventail de personnes dans de telles situations. Est-ce que vous êtes toutes les deux d'accord sur ce point?
Le gouvernement libéral ontarien va peut-être finalement instaurer un tel programme. Je ne sais pas qui les pousse à le faire, mais c'est peut-être une chose qui découlera de cette étude.
Madame Pate, je pense vous avoir entendue dire, dans votre exposé, que vous n'aimez pas particulièrement les tribunaux spécialisés, notamment pour le traitement de la toxicomanie, la santé mentale ou la violence conjugale, mais je vous ai peut-être mal entendue.
Ma question s'adresse à vous deux. Est-ce que vous pensez que les tribunaux spécialisés de ce genre peuvent contribuer aussi à ce processus?
MmePate : Vous m'avez bien entendue. J'ai bien dit que je ne les aime pas particulièrement. Les gens ont effectivement besoin de soutien, et il y a des moments où — en particulier ici au Tribunal de la santé mentale — les gens qui sont en charge agissent et peuvent en faire énormément pour sortir des gens du système. Ce n'est pas la raison. Il y a des tribunaux qui travaillent vraiment bien dans des contextes particuliers en raison des personnes qui les dirigent, d'après mon expérience, et des personnes qui se trouvent autour de la table. Le problème, c'est que si vous avez un tribunal spécialisé, vous avez tendance à constater une plus grande volonté de criminaliser les personnes, de les réintégrer dans le système judiciaire, plutôt que d'envisager les solutions de rechange au système. C'est le problème, avec les tribunaux spécialisés. Ce n'est pas qu'on ne se concentre pas sur les enjeux en question, mais c'est plutôt que cela étend le filet qui sert à attraper ceux qui vont vraisemblablement faire leur entrée dans le système pénal au lieu d'élargir les paramètres des autres services et de garantir qu'ils répondent aux besoins des personnes.
Le sénateur Joyal : J'aimerais revenir sur une recommandation de MmeBromwich dans son mémoire. Je pense qu'elle est très importante, et elle vise le rétablissement de la Commission fédérale de réforme du droit. Comme vous le savez, quand la commission a été abolie, les arguments ne portaient pas tant sur les aspects budgétaires, car le montant n'était pas vraiment considérable. On prétendait plutôt que la rédaction des lois incombait au Parlement et que c'était au Parlement d'en décider. On estimait que la Commission fédérale de réforme du droit éclipsait en quelque sorte le rôle du Parlement.
Vous nous revenez avec cette suggestion. Je pense que MmePate a indiqué qu'elle appuyait cela, dans son exposé, et MmeLatimer aussi peut-être. Pourriez-vous nous en dire plus sur les bienfaits d'une commission de réforme du droit et sur la façon dont elle pourrait entrer en jeu dans la réduction du retard qui cause tant de problèmes dans le système judiciaire? Comment liez-vous le rétablissement de la commission au problème que nous devons résoudre?
MmeBromwich : Je vous remercie de votre question.
Oui, l'une de nos recommandations est de rétablir la Commission fédérale de réforme du droit, et nous croyons que le Parlement ne doit pas se sentir menacé.
La commission de réforme du droit fait des recommandations. Au bout du compte, dans un processus démocratique, c'est le Parlement qui décide.
L'avantage d'une commission de réforme du droit, c'est que les experts consultent le public et les intervenants et ont le temps de discuter avec eux d'une manière systématique afin de se pencher sur l'ensemble du contexte des dispositions.
Comme vous le savez, le Code criminel a été modifié chaque année de son existence, mais il n'a pas fait l'objet du changement systématique proposé bien des fois au fil des années par la commission de réforme du droit puis par la commission du droit.
L'avantage d'un tel organisme, c'est qu'on pourrait déléguer une partie des enquêtes et des réflexions qui se fait dans le contexte parlementaire à un organisme qui peut faire une partie du travail préliminaire, et ce, d'une façon approfondie, systématique et régularisée. Comme je l'ai dit, cette consultation est très bienvenue et elle présente une occasion. Une commission de réforme du droit, relativement peu coûteuse pour le contribuable, pourrait se charger du type de consultation qui compléterait et raffermirait le travail que le gouvernement accomplit.
MmePate : J'approuve et j'appuie cela.
J'aime beaucoup vous voir. J'aime beaucoup venir vous visiter de temps en temps, entre autres quand il y a des dispositions législatives à étudier.
Le sénateur Joyal : Nous vous connaissons depuis bien des années.
MmePate : Vous tous, les sénateurs et les membres du comité, de même que le personnel du comité.
Cependant, quand j'ai commencé à faire ce travail — et j'imagine que c'est l'avantage ou l'inconvénient d'être vieille et d'être là depuis plus de 30 ans —, il était rare que je vienne. C'était une fois par année, parfois une fois par deux ans, pour des dispositions législatives. Je venais faire un exposé complet. Vous savez comme il a été rare que je vienne faire un exposé complet.
La commission de réforme du droit et la commission de réforme de la détermination des peines représentaient la possibilité de faire de la recherche et, comme vous l'avez entendu, de recueillir des données probantes et des rapports ainsi que de donner au comité parlementaire la meilleure expertise possible, pour qu'ensuite vous, les sénateurs, puissiez examiner le tout d'une manière bien mûrie et avec l'indépendance du Sénat pour enfin déterminer s'il fallait aller de l'avant ou pas. Nous avons un grand besoin de réforme. Il faut revenir sur 60 années de réforme fragmentaire. Je pense qu'il est vraiment bien avisé de recommander la création d'un organisme qui se concentrerait sur de telles choses et qui ne ferait que des recommandations. Vous n'auriez pas à nous voir si souvent.
Le président : Il faut que nous progressions. Le temps file et j'ai encore quatre sénateurs sur la liste. Je vous demande à tous de garder cela à l'esprit.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : D'abord, je tiens à vous remercier pour vos témoignages. Je suis d'accord avec l'une de vos propositions concernant la santé mentale. Je ne sais pas quel témoin l'a émise.
Selon moi, il faut trouver des solutions de rechange à l'emprisonnement. J'ai visité des pénitenciers fédéraux au Québec et je n'ai pas constaté de surpopulation. J'ai même vu des ailes qui étaient fermées à cause d'un manque de clientèle.
Certaines installations dans nos pénitenciers sont même de meilleure qualité que les gymnases et les salles de classe dans nos écoles secondaires. La situation n'est donc pas aussi dramatique qu'on semble le laisser croire.
J'ai récemment mené une étude pour tenter d'établir un lien entre les récidives et les délais devant les tribunaux. J'ai comparé le taux de récidive et les retards à la cour pour l'ensemble des provinces. J'ai constaté que dans les établissements pénitenciers provinciaux, particulièrement au Québec, le taux de réincarcération est d'environ 70 p. 100. Ce taux est plus élevé chez les 18 à 24 ans. Ce constat est dramatique. Je l'ai comparé aussi à la réincarcération dans les pénitenciers fédéraux. Si on inclut les personnes qui en sont à leur première détention dans un pénitencier fédéral et qui ont déjà été incarcérées dans une prison provinciale, le taux de réincarcération se situe autour de 70 p. 100. Un criminel peut passer en moyenne entre quatre et huit fois devant les tribunaux.
À mon avis, la solution passe par une meilleure performance de nos programmes de réhabilitation. Si on revient constamment devant les tribunaux, c'est un élément principal du point de l'engorgement des tribunaux. Si on réduit ce taux de 50 p. 100, on serait en mesure de réduire les délais de cour.
Au Canada, aucune étude indépendante n'a été menée sur la performance des programmes de réhabilitation et de réinsertion sociale. C'est le milieu qui a toujours effectué ses propres études. Seriez-vous d'accord à ce qu'une étude indépendante soit réalisée sur les programmes de réhabilitation dans les pénitenciers et sur les programmes de réinsertion?
[Traduction]
MmeLatimer : Je crois qu'il faudrait évaluer tous les programmes, en particulier les programmes de réinsertion sociale. Il serait intéressant d'examiner les taux de récidive cinq ans après que la personne a été libérée de prison. Il serait intéressant de voir si ces personnes libérées d'office ou libérées à l'expiration du mandat risquent plus de revenir dans le système.
Je crois qu'il faut se poser de vraies questions, en ce moment, au sujet de l'efficacité du processus progressif de mise en liberté. Je pense qu'il est probablement loin de fonctionner comme il le devrait et que c'est lié à l'incapacité d'offrir des programmes efficaces au moment opportun qui permettaient aux personnes d'être prêtes, d'avoir du soutien et de la supervision au moment de leur sortie de prison. Nous ne voyons pas cela.
Nous constatons une légère augmentation des personnes qui reviennent après avoir commis des crimes violents, dans les cinq années suivantes, et je pense que cela pourrait très bien être lié au moins grand nombre de personnes libérées sous condition et au nombre élevé de personnes libérées plus tard au cours de leur peine.
En effet, un examen indépendant serait vraiment très utile.
La sénatrice Fraser : Bon retour parmi nous. Nous vous aimons aussi.
J'ai deux questions brèves pour MmeLatimer à propos de l'isolement préventif, l'euphémisme officiel pour parler d'isolement cellulaire. Je pense vous avoir entendue dire qu'il faut une surveillance du processus d'isolement préventif, mais l'enquêteur correctionnel, Howard Sapers, examine cela et fait régulièrement rapport — comment dirait-on — des faiblesses du système. Que vous faudrait-il d'autre sur le plan de la surveillance?
Deuxièmement, je pense que vous n'êtes pas la seule personne à faire remarquer que l'isolement de longue durée en cellule est cause de problèmes mentaux. Existe-t-il des données sur la mesure dans laquelle cela pourrait contribuer à la récidive, une fois que les détenus sont libérés?
MmeLatimer : En ce qui concerne votre premier point, le vrai problème, c'est que si une personne est mise en isolement pour des raisons disciplinaires, il y a des processus de décision neutres et indépendants. Un président qui n'est pas au SCS regarde la qualité de la preuve et rend une décision.
Pour l'isolement préventif, il n'y a pas d'examen indépendant de la raison pour laquelle la personne est mise en isolement. Il n'y a pas d'observation indépendante de la raison pour laquelle la personne n'est pas relâchée. On est censé les relâcher le plus rapidement possible. D'après les dossiers que j'ai vus, on ne garantit pas assez rigoureusement le respect des droits fondamentaux des personnes.
Quand les libertés résiduelles de ces personnes sont restreintes parce qu'elles sont placées en isolement, leur droit à un traitement juste et équitable garanti par l'article 7 de la Charte entre en jeu, mais il n'y a aucun moyen alors de vérifier si cela se produit ou pas.
Je sais que Kim va parler de cela, mais c'est une recommandation que la Commission d'enquête Arbour et Michael Jackson ont faite à tout un éventail d'experts qui se sont penchés sur ce qu'il faut pour que le processus d'isolement préventif devienne conforme aux principes fondamentaux de justice. Pour nous, il est extrêmement important que cela fasse l'objet d'une surveillance indépendante et neutre.
La sénatrice Fraser : Au cas par cas.
MmeLatimer : Oui.
Howard Sapers est bon, mais tout ce qu'il fait, c'est des recommandations. Les gens avec qui je fais affaire et dont les droits de la personne sont bafoués recevront de l'enquêteur correctionnel un message comme : «En effet, vous avez raison; nous voyons que vous n'avez pas accès aux documents juridiques et nous allons inclure cela dans notre rapport.»
[Français]
Le sénateur Dagenais : Ma question sera très courte. La Société John Howard offre des services partout au Canada. Dernièrement, je lisais qu'au Québec vous êtes en voie de réaménager cet organisme. Pourquoi ne pouvez-vous pas offrir les mêmes services au Québec? J'aimerais connaître vos vues sur cette situation au Québec.
[Traduction]
MmeLatimer : Vous avez tout à fait raison. La Société JohnHoward du Canada essaie de rétablir les services au Québec, et cela progresse relativement lentement. Il y a de bons services offerts par l'intermédiaire de...
MmePate : L'Association des services de réhabilitation sociale du Québec, l'ASRSQ.
MmeLatimer : C'est cela, avec Patrick Altimas, qui offre beaucoup de soutien à la réhabilitation. Nous essayons de rétablir certains services, mais nous ne sommes toujours pas très fonctionnels au Québec.
Le sénateur White : Merci de votre présence.
Madame Bromwich, vous avez parlé de CoSA, qui fonctionne très bien à Ottawa. Cette organisation a eu des moments formidables, honnêtement. Est-ce qu'il y a eu un examen national ou une recherche nationale sur le succès de CoSA dans l'ensemble, qui aurait été rendu public? Je n'ai rien vu. Si c'est le cas, j'aimerais en avoir un exemplaire. Sinon, je me demande pourquoi.
MmeBromwich : Je sais qu'il y a eu une recherche. Je suis ici en tant que membre bénévole du conseil d'administration, alors pour ce qui est de notre personnel qui intervient dans le projet CoSA, je ne sais pas vraiment où en est le rapport final. Je peux veiller à ce que vous receviez toute information disponible. Des travaux de recherche ont été réalisés sur une période donnée, et les constatations sont très positives.
Il se peut que le rapport final ne soit pas encore publié, mais je vais faire le suivi et vous tenir au courant.
Le sénateur White : Félicitations à CoSA. Ils ont fait de l'excellent travail à Ottawa.
Le président : Merci à vous toutes. Je sais que c'est tout un défi pour les sénateurs et pour vous, en tant que témoins, de veiller à ce que tout ce que vous voulez dire soit au compte rendu. Si vous avez de l'information additionnelle sur ce que nous essayons d'accomplir, veuillez nous l'envoyer. Nous vous en saurions gré. Merci encore.
Pour notre deuxième heure, nous recevons Andrea Markowski, directrice de district, Manitoba/Saskatchewan/ Nord-Ouest de l'Ontario, Service correctionnel du Canada; et Elana Lamesse, présidente de l'Association des agents de probation de l'Ontario.
Merci d'être venues aujourd'hui. Nous sommes impatients d'entendre vos exposés. La parole est à vous.
Andrea Markowski, directrice de district, district du Manitoba/Saskatchewan/Nord-Ouest de l'Ontario, Service correctionnel du Canada : Bonjour, monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité. Je suis ravie d'être là et d'avoir l'occasion de parler du Service correctionnel du Canada dans le cadre de l'étude du comité sur les questions relatives aux délais dans le système de justice pénale du Canada.
Je suis en ce moment directrice de district, Manitoba, Saskatchewan et Nord-Ouest de l'Ontario, ce qui fait que je supervise les bureaux de libération conditionnelle et les centres correctionnels communautaires de cette partie de la région des Prairies. Au début de ma carrière, j'ai été agente de libération conditionnelle, puis responsable des agents de libération conditionnelle dans les Territoires du Nord-Ouest. Plus récemment, avant de devenir directrice de district, j'étais directrice de l'Établissement d'Edmonton pour femmes. J'espère que mon expérience me permettra de vous donner sur les établissements correctionnels fédéraux des renseignements qui seront utiles à votre étude.
Monsieur le président, je crois que plusieurs membres du comité connaissent le rôle et le fonctionnement du Service correctionnel du Canada, et je sais que notre commissaire, Don Head, est venu témoigner devant vous à maintes reprises. Les membres du comité se souviendront peut-être que le mandat du Service correctionnel du Canada est d'administrer les peines d'emprisonnement de deux ans ou plus imposées par les tribunaux. Notre rôle comprend la prise en charge et la garde des détenus, la prestation de nombreux types d'interventions correctionnelles, la préparation des détenus à leur libération et la surveillance des délinquants mis en liberté conditionnelle ou d'office et des délinquants visés par une ordonnance de surveillance de longue durée après la date d'expiration de leur peine.
Le Service correctionnel du Canada administre des peines qui sont le résultat de poursuites devant les tribunaux pénaux, ce qui minimise notre rôle dans le processus judiciaire avant le prononcé de la sentence. Notre participation au système de justice pénale est en général en aval du processus judiciaire. Cependant, la preuve présentée au tribunal, notamment la nature et les circonstances de l'infraction, l'effet sur la victime et le temps passé en détention préventive ou en liberté sous caution, influence assurément l'administration de la peine du délinquant.
Plus directement, le personnel du Service correctionnel du Canada témoignera devant un tribunal pénal tout particulièrement lorsqu'il est question de déclarer un individu délinquant dangereux et d'imposer une ordonnance de surveillance de longue durée. Nous nous assurons également que les délinquants sous notre garde sont en mesure de prendre part à la procédure judiciaire, comme l'exige le tribunal, que ce soit en personne ou par vidéoconférence.
Pour autant que je sache, le comité s'intéresse particulièrement à la manière dont le Service correctionnel du Canada administre la mise en liberté sous condition, soit comment il effectue la recommandation, la surveillance et l'application des conditions.
Les membres du comité savent probablement que les délinquants sous responsabilité fédérale mis en liberté sous condition sont assujettis à des conditions automatiques ou spéciales imposées par la Commission des libérations conditionnelles du Canada. Bien que ces conditions puissent ressembler à celles imposées par les tribunaux dans le cadre des ordonnances de cautionnement, d'engagement ou de probation, la violation d'une condition liée à une libération conditionnelle entraîne rarement une accusation au pénal. Les violations et autres indicateurs d'augmentation du risque entraînent plutôt une réévaluation de la capacité de gérer le risque présenté par un libéré conditionnel et peut-être la suspension ou la révocation de sa liberté par la Commission des libérations conditionnelles du Canada.
Toutefois, les délinquants assujettis à une ordonnance de surveillance de longue durée constituent une exception notable. En effet, un manquement à une ordonnance de surveillance de longue durée est un acte criminel et peut entraîner une accusation administrée par les tribunaux.
Des conditions automatiques s'appliquent à tous les délinquants libérés sous condition et comprennent l'obligation de respecter la loi et de ne pas troubler l'ordre public, de se présenter à un agent de libération conditionnelle et à la police au besoin et de limiter ses déplacements. De plus, la Commission des libérations conditionnelles du Canada peut imposer des conditions spéciales. Ces dernières, qui sont le plus souvent recommandées par le Service correctionnel du Canada, tiennent compte de la situation particulière du délinquant, des crimes qu'il a commis et du niveau de risque qu'il présente.
Ainsi, un délinquant qui a commis des infractions sexuelles à l'égard d'enfants peut se voir interdire tout contact avec les enfants ou la fréquentation des lieux où des enfants peuvent être rassemblés. Des conditions d'abstention de consommation de drogues ou d'alcool peuvent également être imposées aux délinquants pour qui la toxicomanie a constitué un facteur contributif dans la perpétration de leurs infractions. Les délinquants peuvent être tenus d'habiter dans un lieu précis, par exemple, un centre résidentiel communautaire ou un centre correctionnel communautaire. Ils peuvent être obligés de respecter des heures de rentrée également.
Les agents de libération conditionnelle dans la collectivité surveillent les délinquants libérés sous condition et sont chargés d'assurer leur accès à une gamme de programmes et de services devant faciliter leur réinsertion sociale en toute sécurité dans la collectivité. Les délinquants doivent se présenter à une fréquence minimale et l'agent de libération conditionnelle garde contact avec les services de soutien communautaires, les employeurs et autres partenaires du système de justice pénale pour s'assurer que le délinquant respecte les conditions fixées et que le risque qu'il présente est gérable.
Je tiens à souligner que la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, qui régit l'administration des peines de ressort fédéral et la libération conditionnelle, place la protection du public au premier rang des préoccupations du processus correctionnel.
La législation limite également les mesures compatibles avec l'objectif de protéger la société à ce qui est nécessaire et proportionnel pour y arriver. Ces principes guident le travail des agents de libération conditionnelle au moment de la planification de la libération et de la surveillance des libérés conditionnels. Les agents de libération conditionnelle reçoivent une formation spéciale et un perfectionnement professionnel annuel et ont accès à un éventail d'outils et de spécialistes, ce qui les aide à formuler des recommandations opportunes à la Commission des libérations conditionnelles du Canada.
Monsieur le président, le processus de mise en liberté sous condition et la surveillance des délinquants sous responsabilité fédérale dans la collectivité comportent de multiples facettes. J'espère que les réponses que je donnerai à vos questions sauront vous éclairer davantage. Je tiens à remercier de nouveau le comité de m'avoir donné l'occasion de m'exprimer devant lui aujourd'hui.
Elana Lamesse, présidente, Association des agents de probation de l'Ontario : Bonjour, je m'appelle Elana Lamesse. Je suis agente de probation et de libération conditionnelle, à Ottawa. Je suis également la présidente de l'Association des agents de probation de l'Ontario. Je suis ici pour représenter mon association.
En tant qu'agente de probation et de libération conditionnelle, je supervise les délinquants en probation, les délinquants assujettis à une ordonnance de sursis et les délinquants en libération conditionnelle sous responsabilité provinciale.
Je prépare également des rapports présentenciels complets pour aider les tribunaux à déterminer la peine. Tous les délinquants devant purger une peine dans la collectivité sont soumis à une évaluation rigoureuse. Cette évaluation vise à déterminer, au moyen de divers outils et grâce à une formation ciblée et continue, le niveau de risque que pose tout individu qui se présente devant nous. Dans le cadre de notre analyse, nous évaluons aussi les besoins du délinquant et les problèmes de réceptivité dont il faut tenir compte pour traiter efficacement avec le délinquant en question.
Toutes les options de mise en liberté dans la collectivité peuvent imposer un traitement à titre de condition, et c'est habituellement le cas. C'est souvent là que surviennent les problèmes avec les délinquants supervisés dans la collectivité. Il y a un manque flagrant de services en général, mais cela se complique beaucoup plus lorsqu'on a affaire à un délinquant qui ne respecte pas ses conditions, qui n'est pas motivé ou qui souffre peut-être de troubles de santé mentale ou qui est autrement désavantagé. Avant qu'un délinquant ne soit admis à un programme, notamment les programmes de traitement de la toxicomanie, le temps d'attente excède souvent la durée de la supervision.
Certains organismes n'acceptent plus de renvois de la part des services de probation. Ils exigent maintenant une recommandation d'un médecin de famille. Bon nombre des délinquants que nous supervisons n'ont pas de médecin de famille. On s'attend à ce qu'ils se présentent à une clinique sans rendez-vous et qu'ils demandent à un médecin, un parfait inconnu, de leur donner une telle recommandation. Je répète qu'on a la plupart du temps affaire à des gens non motivés qui ne respectent pas les conditions qu'on leur impose, qui ont souffert d'un traumatisme ou d'une forme quelconque de violence, et qui ont appris au fil du temps à ne faire confiance à personne. C'est les vouer à l'échec de les placer dans une telle position.
Parce qu'il était si difficile de faire admettre les délinquants à un programme, le ministère de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels de l'Ontario a récemment embauché 14 agents de développement des programmes. Ce sont des agents de probation qui sont également chargés des programmes, et ils ont reçu le mandat d'offrir aux délinquants des programmes auxquels ils n'ont pas accès dans leur collectivité. L'AAPO a encensé l'initiative à son annonce, et elle croit toujours à la validité du concept. Cependant, 14 agents, ce n'est pas suffisant pour répondre à tous les besoins de la province.
À Ottawa, nous avons la chance d'avoir accès à des programmes par l'entremise des Sociétés John Howard et Elizabeth Fry. Ce n'est toutefois pas offert à toutes les collectivités. Les temps d'attente pour recevoir des soins, ou l'incapacité d'en offrir, peuvent faire en sorte que les délinquants sont davantage à risque de récidiver, et donc de réintégrer le système de justice pénale à répétition.
Les conditions d'interdiction d'association sont régulièrement appliquées, notamment dans les cas de violence conjugale. Ces conditions posent problème en ce sens qu'elles permettent généralement au plaignant de fournir une autorisation de communiquer, un consentement écrit et révocable. Il s'agit d'une condition appliquée à la lettre. En fait, toutes les conditions associées à des délinquants auteurs d'actes de violence conjugale sont scrutées à la loupe et dictées par des politiques. Chaque fois qu'on déconseille aux agents de probation et de libération conditionnelle de recourir à leur discrétion professionnelle, on accroît les risques de récidive.
Ce sont des personnes, pas les composantes d'une chaîne de montage. Chaque situation est unique et doit être évaluée comme telle. Ce sont des situations chargées d'émotion et les enjeux sont énormes pour toutes les parties concernées. Les cas de violence conjugale résultent souvent d'un déséquilibre d'autorité et de dominance. Les tribunaux tentent peut-être de donner plus de pouvoir à la victime en lui permettant de décider d'autoriser ou non les communications, mais c'est une dynamique extrêmement complexe qui exige qu'on tienne compte d'une foule de facteurs. Parfois, la victime est la personne la mieux placée pour prendre cette décision, mais souvent, ce n'est pas le cas.
Les conditions interdisant de consommer certaines substances peuvent poser problème en ce qui a trait à la surveillance dans la collectivité. Est-ce réaliste de forcer un alcoolique à s'abstenir de consommer de l'alcool ou un accro à la méthamphétamine à ne pas consommer de drogues? S'attendre à ce qu'un délinquant ne consomme pas de ces substances sans toutefois lui donner accès à un traitement, c'est courir à sa perte. Et nous devons constamment composer avec de telles situations. Ce type de condition est moins souvent associé aux ordonnances de surveillance dans la collectivité, mais c'est tout de même encore très fréquent.
Une autre condition qui pose problème pour les agents de probation est celle de l'assignation à résidence. Quand on empêche quelqu'un de retourner chez soi et qu'on le force à s'organiser autrement, cela aboutit généralement à un séjour dans un refuge. Là, il est difficile pour cette personne de se conformer aux autres conditions, car elle fait ce qu'elle peut pour s'adapter à un style de vie d'itinérance.
Un des plus grands défis à ce jour renvoie aux services pour les personnes atteintes de troubles mentaux. Premièrement, je ne suis pas formée pour traiter avec un esprit malade; je suis formée pour traiter avec un esprit criminel. Une formation déficiente entraîne une compréhension déficiente, et cela peut encore une fois se solder par un retour dans le système judiciaire.
On peut également avoir des attentes irréalistes à l'égard d'une personne souffrant de troubles de santé mentale. Dans un cas qui m'avait été confié, le délinquant avait été condamné à 240 heures de travail communautaire. C'est une personne qui était hospitalisée régulièrement en raison de son état, et le garder en dehors de l'hôpital pendant une semaine relevait de l'exploit. Je suis persuadée que le juge qui a prononcé la peine avant les meilleures intentions du monde, croyant probablement que le délinquant pourrait s'associer à un organisme communautaire quelconque et que le fait de se sentir utile pourrait le guérir de ce qui l'affligeait. Mais en réalité, il savait qu'il n'arriverait pas à respecter les conditions de l'ordonnance. Alors, quand il est devenu évident qu'il ne pourrait pas accumuler les heures déterminées avant la fin de la période de probation, il a arrêté de se présenter. À qui rend-on service dans un tel cas? À personne.
Je crois qu'il est de la responsabilité des tribunaux de s'assurer qu'ils imposent des peines appropriées. La seule façon pour un juge d'y arriver, c'est d'avoir un peu de contexte concernant le délinquant qui se tient devant lui et de connaître les programmes offerts dans la collectivité.
Merci de m'avoir donné l'occasion de m'adresser à vous aujourd'hui. Je vous en suis très reconnaissante.
Le président : Merci.
Nous allons commencer avec la vice-présidente.
La sénatrice Jaffer : Merci beaucoup pour vos exposés et bienvenue à vous deux.
Madame Lamesse, vous avez conclu votre exposé sur la question des personnes souffrant de problèmes de santé mentale. J'aimerais que vous me disiez toutes les deux quelles sont les mesures qui ont été prises dans la foulée de l'incident AshleySmith. Est-ce qu'il y a d'autres Ashley Smith dans nos établissements?
MmeMarkowski : Il y a eu de nombreux examens d'entrepris suivant le décès d'Ashley Smith, et des mesures ont été prises en conséquence. Je note entre autres la réponse publiée par SCC aux 104 recommandations formulées à la suite de l'enquête. D'importants changements ont été faits. Je n'ai pas toute la documentation avec moi, car je croyais venir vous parler de la surveillance dans la collectivité et comment cela peut influer sur les retards potentiels du processus judiciaire.
Je dirais que l'approche a beaucoup changé, de même que la prestation des services et la formation du personnel, afin qu'on puisse offrir les meilleurs soins possibles aux personnes souffrant de problèmes de maladie mentale dans nos établissements, ainsi qu'aux détenus qui ont des comportements d'automutilation. Ils sont peu nombreux, mais ils sont surtout très perturbés.
J'espère que cela vous aide. Si cela peut vous être utile, je peux vous fournir des copies de la réponse du Service correctionnel du Canada à l'enquête ou aux autres examens. Je serai heureuse de le faire.
La sénatrice Jaffer : Je suis au courant de cela, mais j'aimerais vraiment qu'on me dise qu'il n'y a pas d'autres Ashley Smith ou qu'on s'en occupe, à tout le moins.
MmeLamesse : Au niveau provincial, c'est l'arrêt Jahn qui nous occupe, un rapport de la Commission ontarienne des droits de la personne. Nous tentons donc maintenant de mettre en place de la formation en santé mentale pour tout le personnel. Nous l'offrons d'abord au personnel des services correctionnels, mais nous espérons que le tout se rende à la collectivité. C'est en cours d'élaboration, alors c'est tout nouveau. Nous espérons que cela aura les résultats escomptés, mais à l'heure actuelle, très peu de formation est offerte sur la façon de traiter avec les délinquants souffrant de troubles mentaux.
La sénatrice Jaffer : Si c'est si important, c'est qu'ils vont récidiver et se retrouver encore derrière les barreaux.
MmeLamesse : Exactement, et ils sont coincés dans un système qui ne leur convient pas. Nous n'avons rien à leur offrir.
Il y a une différence entre non-conformité volontaire et non-conformité. Nous devons agir différemment avec ceux qui n'ont pas la capacité de se conformer aux ordonnances. Selon moi, cela signifie entre autres de les retirer du système de justice criminelle. Nous ne pouvons rien pour eux. En fait, cela ne fait qu'empirer leur état.
Le sénateur McIntyre : Merci pour vos exposés. Comme vous le savez, notre étude porte principalement sur les tribunaux et les retards dans la tenue des procès.
Nous avons divers processus : libération conditionnelle, probation, mise en liberté sous condition, libération d'office et détention provisoire. Il semble en fait y avoir une hausse des détentions provisoires au Canada. On a beaucoup parlé des personnes en attente de procès en détention. De quoi le comité devrait tenir compte dans le cadre de son étude à cet égard, et quelles répercussions est-ce que cela a sur les retards judiciaires?
MmeMarkowski : Si j'ai bien compris votre question, vous voulez parler des moyens pour réduire les longues périodes de détention provisoire. Selon son mandat, le Service correctionnel du Canda intervient en aval des déclarations de culpabilité, alors il ne peut pas vraiment faire quoi que ce soit pour les facteurs contribuant à la longueur des détentions provisoires. Je peux vous dire ce que nous faisons pour ce qui est de l'évaluation, du traitement, de l'aide et de la réintégration des délinquants.
Le sénateur McIntyre : Ce que je veux savoir, c'est si le système a la capacité de surveiller les personnes en attente de procès dans la collectivité plutôt que de les garder en détention.
MmeMarkowski : Ce volet est de compétence provinciale.
Le sénateur McIntyre : Alors vous n'intervenez pas du tout auprès des personnes libérées dans la collectivité en attente de leur procès?
MmeMarkowski : Pas avant la déclaration de culpabilité, non. Nous administrons les peines de deux ans et plus, alors ce n'est pas notre champ de compétence.
MmeLamesse : Et les services de probation ne surveillent pas les cas de mise en liberté sous caution ou les choses connexes. La Société John Howard a un programme de surveillance des mises en liberté sous caution. Les services de probation ne s'occupent pas de ces choses-là.
Lorsqu'on dépose des accusations de manquement, cela a des répercussions sur les délais, car c'est très long. En fait, je crois qu'il faut entre six et huit comparutions pour régler le dossier, puis on intervient après la période de probation. Les retards judiciaires sont en partie responsables du fait que nous ne pouvons pas faire grand-chose pour les délinquants.
Le sénateur McIntyre : Vous n'avez pas de rôle à jouer dans tout cela?
MmeLamesse : Non, pas vraiment.
Le sénateur Baker : Merci aux témoins. J'aimerais d'abord avoir des précisions par rapport à votre témoignage, puis je vous poserai ensuite ma vraie question.
Éclairez-moi d'abord sur ceci : supposons que MmeLamesse soit la surveillante d'un délinquant auteur d'un crime très grave et assujetti à une ordonnance de surveillance de longue durée de 10 ans.
MmeLamesse : Je ne fais pas de surveillance.
Le sénateur Baker : Disons que ce serait MmeMarkowski, dans son emploi antérieur. L'une des conditions que le délinquant doit respecter est de ne pas consommer d'alcool en public, une condition souvent imposée.
Il se présente ivre au bureau de surveillance. Vous pourriez alors, si j'ai bien compris, délivrer un mandat d'arrestation et de suspension, pour manquement aux conditions de la probation ou pour prévenir un tel manquement.
Je pensais qu'on soumettait ensuite le dossier à la décision de la Commission des libérations conditionnelles, mais vous venez de dire que les ordonnances de surveillance à long terme relèvent d'un tribunal. Pourriez-vous m'éclairer sur ce point?
MmeMarkowski : Un petit nombre de délinquants qui relèvent de nous sont assujettis à des ordonnances de surveillance à long terme après l'expiration du mandat, c'est-à-dire pour une période postérieure à la détention. La gestion de leurs cas est tout à fait différente de celle des libérés conditionnels sous surveillance ordinaire ou des libérés d'office, et les manquements sont gérés différemment dans une certaine mesure.
La première réponse stratégique à une augmentation du risque ou au manquement à une condition de la libération consiste à évaluer la possibilité de gérer le risque dans la collectivité. S'il est impossible de gérer le risque, il faut délivrer un mandat — pouvoir qu'on possède — et remettre le délinquant en détention.
En fait, pour une ordonnance de surveillance à long terme, l'agent de libération conditionnelle a la double responsabilité d'envoyer un rapport à la Commission des libérations conditionnelles, de collaborer avec la police et la Couronne et de les informer. Le seul pouvoir de la commission est de formuler une recommandation sur le dépôt d'une accusation, ce qui entraîne une procédure criminelle pour le manquement.
Le sénateur Baker : Donc l'affaire doit être confiée au tribunal?
MmeMarkowski : En vue de porter des accusations. En même temps, tous les renseignements doivent avoir été communiqués à la Couronne, et la Couronne a peut-être déjà décidé de porter des accusations ou elle peut décider d'en porter, d'après la recommandation qu'elle aura reçue.
Le sénateur Baker : Automatiquement, la personne pourrait retourner en prison pendant des années pour ce manquement?
MmeMarkowski : Les tribunaux détermineront la sanction appropriée, s'ils constatent qu'il y a eu un manquement.
Le sénateur Baker : Ce n'était pas une ordonnance à long terme — et il y en avait très peu...
MmeMarkowski : Si vous voulez, je peux vous communiquer des statistiques.
Le sénateur Baker : Pour un manquement normal, l'agent de libération conditionnelle fait un signalement, il délivre le mandat, puis la décision est rendue par la Commission des libérations conditionnelles. J'ai posé la question à des témoins. J'ignore si vous avez une opinion, mais ils ne considèrent pas la Commission des libérations conditionnelles comme une juridiction compétente pour entendre les arguments invoquant la Charte des droits et libertés. J'ignore si vous connaissez bien cette question. La personne, ensuite, doit comparaître devant le tribunal pour obtenir un jugement sur ses arguments, ce qui consomme beaucoup de temps du tribunal.
J'ai demandé aux témoins, deux avocats réputés du domaine : Nous, le comité, ne devrions-nous pas reconstituer la Commission des libérations conditionnelles pour en faire un tribunal compétent, simplement comme tout autre organisme quasi judiciaire de notre société, ce qui diminuerait la pression sur nos tribunaux? Avez-vous une opinion là- dessus?
MmeMarkowski : Non, parce que ça ne fait pas partie de mes compétences. Je représente ici le Service correctionnel du Canada.
Voici ce sur quoi je peux vous éclairer : si la mise en liberté habituelle sous condition, c'est-à-dire la semi-liberté, la libération conditionnelle totale ou la libération d'office font augmenter le risque, y compris celui d'un manquement à l'une des conditions, ou si on veut prévenir un manquement, il est possible de remettre le délinquant en détention, mais ce n'est pas une réponse automatique. Un mécanisme de révision des circonstances permet de déterminer si nous pouvons mettre en place plus de mesures de contrôle ou si nous devons protéger la société en renvoyant la personne en détention
Il serait extrêmement rare qu'un manquement à une condition de la libération conditionnelle entraîne des accusations, à l'exception, parfois, du manquement pour liberté illégale. Contre un délinquant qui a quitté une maison de transition alors qu'il n'était pas censé le faire ou un délinquant dont on ignore où il se trouve, la police portera parfois des accusations de liberté illégale. Dans quelle mesure ce pouvoir est-il exercé? Cela varie selon la juridiction. Il y aura procès, mais rarement.
Le sénateur Baker : La Commission des libérations conditionnelles peut-elle renvoyer quelqu'un en prison pour le manquement.
MmeMarkowski : Service correctionnel Canada délivrera le mandat. La commission rendra une décision sur la révocation ou l'annulation de la libération.
Le sénateur Baker : Exactement. Elle le renvoie en prison. Si le délinquant invoque la Charte des droits et libertés, il doit aller faire plaider sa cause devant le tribunal.
MmeMarkowski : Ça, je l'ignore.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Tout d'abord, je vous tire mon chapeau, parce que votre travail à titre d'agent de probation n'est pas facile. J'aimerais revenir sur la question des récidives. Même si on veut réhabiliter les gens, il y a toujours un risque de récidive.
Selon un rapport déposé par la Commission des libérations conditionnelles de l'Ontario, il faudrait étudier les risques de récidive et, dans le cadre des initiatives à venir, mettre davantage l'accent sur les risques de récidive plutôt que sur les besoins des détenus libérés.
Vous vous retrouvez parfois dans des situations explosives. Comment peut-on diminuer les risques de récidive? Malheureusement, c'est la réalité. Comment pensez-vous améliorer la situation, qui est très préoccupante soit dit en passant?
[Traduction]
MmeLamesse : Je recommande toujours le traitement. Il est très difficile de faire suivre un traitement à quelqu'un, vu la rareté des programmes. Les cas de toxicomanie et de maladie mentale pullulent. Quand la personne recourt à l'automédication, le principal, pour moi, est de lui faire suivre un traitement pour gérer sa colère, apprendre à interagir avec autrui, ne pas agresser son partenaire, tout cela. Nos besoins en services pour nos délinquants sont tellement extrêmes, mais le réseau provincial en est simplement dépourvu.
MmeMarkowski : Je témoigne ici avec ma collègue, mais nous parlons de deux systèmes dont le mode de fonctionnement est très différent. Dans le système fédéral, les délinquants qui purgent une peine d'au moins deux ans sont confiés à notre garde, ils reçoivent une évaluation approfondie, et nous élaborons à leur intention un plan correctionnel, pour bien répondre à tous les besoins concernant leurs comportements criminels et atténuer les risques. Nous sommes déterminés à atteindre le plus rapidement possible ces objectifs, dans l'espoir d'abaisser graduellement le niveau de sécurité de ces délinquants et, à la date la plus rapprochée et la plus sûre possible, les réintégrer dans la société, sous surveillance, ce qui, nous le savons, est le moyen le plus efficace de diminuer la récidive.
Dans la collectivité, la difficulté provient de l'accès difficile aux services. Nous la contournons par nos propres programmes et services, qui sont nombreux, à l'intention des délinquants qui sont sous notre surveillance, notamment la fourniture de logements à certains.
Nous travaillons très fort pour recruter des partenaires et encourager la collectivité à se charger de ses responsabilités pour répondre aux besoins des résidants, y compris les délinquants, pour qu'ils puissent accéder à des services de santé, y compris de santé mentale, et de logement, et cetera. Notre objectif, à la fin du mandat, est de renvoyer dans la collectivité une personne totalement intégrée, indépendante, employée, en bonne santé et capable de se conduire sans danger. Nous y parvenons souvent.
Je possède des statistiques, pour vous, sur la récidive pendant que les délinquants sont sous notre surveillance. Les taux sont très faibles. La plupart des délinquants reviennent en détention sous notre surveillance pour un manquement de pure forme aux conditions de mise en liberté.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Nous sommes ici pour examiner les délais devant les tribunaux. Il faut axer nos efforts sur la question des récidives pour éviter que les gens reviennent devant les tribunaux.
[Traduction]
Le président : Vous avez parlé de statistiques. Pouvez-vous les communiquer au comité?
MmeMarkowski : Je peux le faire tout de suite ou après.
Le président : Elles seront très utiles.
La sénatrice Fraser : Je vous remercie toutes les deux d'être ici.
Madame Lamesse, votre anecdote sur le délinquant condamné à 240 heures de services communautaires, alors qu'il ne pouvait pas se passer plus d'une semaine avant qu'il ne soit admis à l'hôpital, m'a vivement intéressée. Que lui est-il arrivé quand il a cessé de se présenter à ses rendez-vous? Est-il retourné devant les tribunaux, pour contribuer à leur engorgement?
MmeLamesse : Ça n'est pas arrivé, parce que des intervenants ont fait preuve d'imagination et ont peut-être enfreint ou contourné quelques règles. On aurait dû signaler les rendez-vous manqués, mais, encore une fois, si j'avais eu moins d'expérience et si j'avais été plus à cheval sur la discipline, ç'aurait peut-être été une tout autre histoire. Je ne pouvais pas me résoudre, dans mon for intérieur, à le ramener devant un juge, et je ne renie pas cette décision.
La sénatrice Fraser : Je ne vous critique pas. Nous examinons les retards dans le système de justice et l'engorgement des tribunaux.
MmeLamesse : C'est une partie importante du problème. Celui qui est assujetti à une ordonnance qu'il ne peut pas respecter se retrouve devant le juge, qui ne le connaît pas, pas plus que ses aptitudes et ses antécédents.
Un peu plus tôt, il a été question d'amendes. Le système de probation voit souvent l'imposition d'amendes exorbitantes de 800$ par mois. Je dois ensuite jouer à l'agente de recouvrement, ce à quoi je ne suis pas formée; ça ne sert à rien. Revenir devant un juge n'a aucun bon sens. C'est un système tellement surchargé par des dossiers qui n'ont pas besoin d'y passer.
La sénatrice Fraser : Avez-vous des données sur la proportion des cas qui finissent par se retrouver devant le tribunal à cause de manquements aux conditions de probation?
MmeLamesse : Non. La Probation Officers Association of Ontario ne collecte pas de données. Je suppose que vous pourriez en obtenir du ministère de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels de l'Ontario. Il y a des sujets qui font l'objet d'évaluations et de réévaluations constantes, mais certains types d'infractions et d'ordonnances échappent à notre pouvoir discrétionnaire, et il faut signaler tout manquement, peu importe sa nature. Je n'ai vraiment aucune idée de ce que disent les statistiques ontariennes.
La sénatrice Fraser : Mais vous croyez, d'après votre vécu, que la proportion est élevée.
MmeLamesse : Elle est très élevée.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : J'ai en main des données sur la réincarcération de la Commission des libérations conditionnelles du Canada. Dans certains cas, des détenus en semi-liberté ont un taux de réincarcération de 55 p. 100, ce qui est très élevé, étant donné que nous investissons considérablement dans le suivi et l'encadrement de ceux-ci.
Ce qui m'interpelle le plus, c'est l'écart important du taux de réincarcération entre les provinces. Au Québec, il est de 47 p. 100, alors que dans les provinces de l'Atlantique, il est 32 p. 100, et dans les Prairies, de 37 p. 100. Pourquoi le taux de réincarcération est-il aussi important au Québec par rapport à d'autres provinces?
[Traduction]
MmeMarkowski : Petite précision, je ne représente pas ici la Commission des libérations conditionnelles du Canada, mais Service correctionnel Canada. Je ne connais pas les statistiques que vous citez et j'ignore ce à quoi elles se rapportent. Je peux cependant parler, en toute certitude, des taux de récidive pendant que les délinquants sont sous notre surveillance, et ces taux sont très faibles.
Par exemple, pour les contrevenants en semi-liberté qui sont de notre ressort, le taux de mises en liberté révoquées — autrement dit, ceux qui perdent la liberté — pour une infraction commise sans violence est de 1 p. 100, tandis que, pour une infraction commise avec violence, il est de 0,2 p. 100. Bien sûr, les taux augmentent quand nous passons aux libérés d'office, plus loin dans la durée de la peine. Leur taux de réussite n'est peut-être pas aussi bon : en 2013-2014, 7,4 p. 100 d'entre eux ont vu leur remise en liberté révoquée pour commission d'une infraction sans violence, mais seulement 1 p. 100 de ceux qui étaient sous notre surveillance ou qui relevaient de nous sont retournés en détention pour une infraction avec violence.
Toute infraction est grave, et toute infraction commise avec violence l'est particulièrement, mais, pendant que nous les surveillons, nous offrons à nos délinquants des services, et leur taux de succès est très élevé. Sinon, la plupart retournent en détention pour des manquements de pure forme aux conditions de leur mise en liberté.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Mes données proviennent du Service correctionnel. J'essaie de comprendre la raison de cet important écart entre les provinces. Au Québec, comme dans d'autres types de criminalité, le taux de réincarcération est toujours plus élevé.
[Traduction]
MmeMarkowski : Je vous propose de nous communiquer le rapport que vous citez, et nous vous enverrons sûrement nos observations. Mais, comme je ne l'ai pas sous les yeux, je ne me sens pas à l'aise d'en parler.
Le sénateur Joyal : Des observations ont été faites, ici, sur l'état des prisons au Québec. Je voudrais déposer par l'entremise de la greffière un article à la une du Devoir d'aujourd'hui sur la situation de la prison Leclerc, un établissement devenu mixte, pour hommes et femmes, par décision du gouvernement du Québec. Il s'ensuit beaucoup de problèmes et de difficultés, et ce n'est certainement pas fidèle aux propos entendus ici, ce matin, sur les prisons du Québec. Je voudrais que la greffière l'annexe à nos délibérations aujourd'hui.
Le président : Est-ce un établissement de la province?
Le sénateur Joyal : Oui.
Je voudrais d'abord questionner MmeLamesse, puis MmeMarkowski.
Madame Lamesse, je vous remercie pour votre mémoire. Je l'ai lu avec beaucoup d'inquiétude, puisque, dès la première page, au troisième paragraphe, vous écrivez :
En général, il y a un manque sans équivoque de services, et, en ce qui concerne les délinquants qui, d'habitude, ne se conforment pas au règlement, ne sont pas motivés, qui affrontent peut-être des problèmes de santé mentale ou qui sont par ailleurs défavorisés, la situation est encore bien pire.
Et, à la page suivante, encore une fois au troisième paragraphe :
Les retards dans les traitements ou l'incapacité de fournir des traitements peuvent exposer les délinquants à un risque plus grand de récidive, ce qui les ramène constamment dans le système de justice pénale.
Quand, à cette lecture, j'essaie de comprendre la détresse des malades mentaux, ou des Autochtones, et j'y reviendrai, parce que vous êtes du Manitoba, de la Saskatchewan et du Nord de l'Ontario, où la population autochtone pose un véritable problème, je suis convaincu de l'exercice d'une discrimination systématique par le système contre les délinquants autochtones ou souffrant de problèmes de santé mentale.
Ça m'incline à croire que, tôt ou tard, vous serez l'objet d'une plainte auprès du tribunal des droits de la personne et que vous pourriez vous retrouver exactement dans la position visée par le jugement publié il y a un mois sur la situation de la protection de l'enfance dans les réserves.
Vous entretenez consciemment une situation par laquelle les personnes souffrant de problèmes de santé mentale ou les Autochtones sont défavorisés, ce qui les conduit à la récidive, faute de l'appui qu'ils ont normalement le droit de recevoir de l'État, les établissements de détention. Cela ne vous inquiète-t-il pas?
MmeLamesse : Oui, bien sûr, c'est très inquiétant.
Le sénateur Joyal : Que ferez-vous pour y répondre?
MmeLamesse : Nous exerçons des pressions pour la mise en place de programmes plus nombreux. Les 14 postes qui nous ont été attribués pour l'élaboration de programmes constituent un premier pas. Il est sûr que nous espérons plus de programmes, plus de programmes pour les délinquants. Nous avons très peu de programmes pour les femmes. Dans notre bureau, plusieurs programmes s'adressent aux délinquants masculins, mais il n'y en a pas pour les délinquantes.
Il y a tellement de problèmes à étudier, et nous continuons de demander du financement et de formuler des idées. C'est un travail de longue haleine. Nous avons accompli un premier pas, grâce aux 14 postes, et nous espérons que, désormais, grâce à l'arrêt Jahn, on accordera un financement plus généreux aux délinquants et aux agents qui travaillent avec eux, sans bien comprendre ce qui se passe et sans savoir ce qui serait, peut-être, le programme approprié.
Le sénateur Joyal : Madame Markowski, avez-vous des observations?
MmeMarkowski : Service correctionnel Canada ne choisit pas ses détenus, mais nous avons certainement beaucoup de responsabilités et de comptes à rendre sur la réponse aux besoins des délinquants et leur réinsertion. La loi nous a confié des responsabilités accrues pour les besoins en matière de santé mentale et les besoins particuliers des délinquants autochtones, et cetera.
Nous avons beaucoup investi dans la formation de notre personnel, dans le recrutement d'agents autochtones et de personnes âgées autochtones et dans l'élaboration, recherche à l'appui, d'une chaîne d'interventions qui tiennent compte des particularités des Autochtones. Nous évaluons nos programmes et nous les soumettons à de la recherche. Les résultats nous disent qu'ils ont été efficaces pour la réduction du risque.
Le problème — et nous sommes prêts à relever ce défi —, c'est que tout ce travail n'a pas nécessairement donné, pour les délinquants autochtones, les résultats voulus quant à l'augmentation du nombre de mises en liberté sous condition ou le nombre de cas où la mise en liberté sous condition a été maintenue. Nous devons composer avec de nombreux facteurs sociaux dont nous ne sommes pas responsables et qui peuvent échapper à notre contrôle, mais nous collaborons étroitement avec nos partenaires, avec les collectivités autochtones. La loi nous permet d'avoir des pavillons de ressourcement, que nous gérons nous-mêmes ou dont nous avons confié la gestion à des organismes et à des communautés autochtones. De plus, avec d'autres partenaires communautaires, nous essayons de contrer les effets des désavantages avec lesquels les Autochtones doivent composer au cours de leur vie.
Je suis très fière du travail que nous faisons, et je suis déçue de constater que cela n'a pas donné les résultats escomptés jusqu'à maintenant. Cela dit, nous renouvelons constamment notre engagement à cet égard. Je suis heureuse de voir qu'un nouveau volet de programme est rendu aux dernières étapes de la mise en œuvre à l'échelle nationale.
Nous avons dû nous ajuster à l'arrivée dans notre système de délinquants ayant reçu des peines plus courtes. Nous avons révisé nos programmes; l'idée est d'avoir des programmes mieux intégrés et modulaires dont la prestation se ferait plus tôt, même au début du processus. Il y a un continuum d'activités liées à ce programme à l'échelle communautaire ainsi qu'un volet autochtone. J'ai confiance en l'avenir.
La sénatrice Batters : Vous avez peut-être entendu les questions que j'ai posées plus tôt au sujet des tribunaux spécialisés.
Madame Lamesse, étant donné vos commentaires sur les questions de santé mentale et de toxicomanie, que pensez- vous des tribunaux spécialisés pour les questions de traitement de la toxicomanie, de santé mentale, de violence familiale, et cetera? Selon vous, est-il utile de réduire les délais judiciaires, ou êtes-vous d'un autre avis?
MmeLamesse : Encore une fois, je ne suis pas vraiment à l'aise de faire des commentaires à ce sujet. Nous intervenons après le prononcé de la peine. Nous ne nous attardons pas trop à ce qui se passe dans les tribunaux.
La sénatrice Batters : Lorsque vous avez affaire à des délinquants qui sont passés par ce genre de processus, trouvez- vous qu'ils ont une expérience différente de celle des délinquants qui ne sont pas passés par des tribunaux spécialisés? N'est-ce jamais arrivé?
MmeLamesse : Je n'ai pas vraiment eu de cas de ce genre, peut-être parce qu'ils sont dirigés ailleurs. Je ne vois pas vraiment de différence dans les chiffres que je possède.
MmeMarkowski : À ma connaissance, les tribunaux spécialisés ont tendance à se concentrer sur les infractions moins graves. Je n'ai pas souvent eu affaire à des délinquants qui ont été condamnés par un tribunal spécialisé.
Dans le cadre de notre travail, nous nous servons de toutes les informations qui nous sont fournies par les tribunaux et que nous recueillons, comme les évaluations, les évaluations présentencielles, les évaluations psychiatriques, les rapports Gladue, et cetera.
Le président : Madame Lamesse, vous avez parlé d'un pouvoir discrétionnaire à l'égard des manquements aux conditions de libération conditionnelle. Vous avez indiqué qu'il y a des lignes directrices sur les situations pour lesquelles vous pouvez exercer cette discrétion ou non. Comment cela fonctionne-t-il? Pouvez-vous nous donner un exemple d'une situation où vous avez une telle latitude?
MmeLamesse : Une situation pour laquelle nous avons un pouvoir discrétionnaire de déposer ou non une accusation de manquement à une condition?
Le président : Par exemple, vous avez parlé d'une personne qui a l'obligation de s'abstenir de consommer de l'alcool, et vous avez évoqué la futilité de cette exigence. À quelle fréquence renvoyez-vous ces gens devant les tribunaux? Je suppose que c'est ce que nous cherchons à savoir. Est-ce un problème important pour vous?
MmeLamesse : La condition de ne pas consommer?
Le président : Je parle des manquements. À quelle fréquence ces gens sont-ils renvoyés devant les tribunaux, par vous et par vos collègues?
MmeLamesse : Le dépôt d'une accusation de manquement à une condition relève des services de police, selon la condition.
Habituellement, les gens ne sont pas en état d'ébriété lorsqu'ils se présentent à mon bureau. Je ne les vois pas consommer de l'alcool; je n'ai aucune preuve. Donc, habituellement, ce sont les services de police qui procèdent à leur arrestation et qui déposent l'accusation de manquement à une condition.
En ce qui concerne le pouvoir discrétionnaire dans le cas de violence familiale, ces questions sont intimement liées à des politiques, et si les personnes en cause ne satisfont pas aux critères, nous retournons l'affaire devant les tribunaux, que ces gens doivent suivre un traitement immédiatement ou non.
Le président : Le ministère de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels de l'Ontario a-t-il des données concernant les types de manquement et le nombre de cas, ce qui pourrait nous donner une indication de la gravité du problème pour les tribunaux? Savez-vous si un ministère quelconque pourrait nous fournir ces renseignements?
MmeLamesse : J'imagine que c'est possible.
Le président : Très bien; c'est quelque chose que nous pourrons leur demander.
MmeLamesse : Je pourrais me renseigner et vous fournir ces données.
Le président : Madame Markowski, plus tôt aujourd'hui, nous avons accueilli la représentante de l'Association canadienne des Sociétés Elizabeth Fry. Elle a parlé des femmes délinquantes, et selon elle, quelque 70 p. 100 de ces femmes délinquantes ont suivi un traitement psychiatrique au cours de leur vie. Le ministre chargé de votre organisation a-t-il des données sur les types d'infractions? Existe-t-il un profil quelconque que vous pourriez nous fournir et qui pourrait nous renseigner sur les gens qui ont souvent des démêlés avec la justice et sur la gravité des accusations qui pèsent contre eux?
MmeMarkowski : Nous avons toutes ces données, y compris les taux de prévalence des problèmes de santé mentale au sein de nos populations. C'est avec plaisir que nous vous les fournirons.
Le président : Merci.
En ce qui concerne l'Ontario, je suis au fait de l'affaire relative aux droits de la personne dont vous avez parlé. Le gouvernement ontarien est maintenant tenu d'offrir des services. Je crois savoir que la tâche a été confiée à l'hôpital de North Bay, mais aux dernières nouvelles, l'hôpital de North Bay n'avait toujours pas un psychiatre judiciaire. Je pense donc que c'est toujours en suspens.
À l'établissement de Brockville, que les membres du comité ont visité, ils ont joué un rôle essentiel dans la réduction des taux de récidivisme en offrant aux détenus de sexe masculin une occasion concrète de se réadapter.
La sénatrice Fraser : En quelque sorte, vous venez de poser ma question. Je voulais que MmeLamesse nous donne, aux fins de compte rendu, des explications sur la décision dans l'affaire Jahn, et je crois que c'est ce que vous venez de faire. Voulez-vous ajouter quelque chose?
MmeLamesse : Le ministère a été chargé de faire une formation aux agents afin qu'ils puissent mieux s'occuper des délinquants qui sont atteints d'une maladie mentale.
Le programme devait être mis en œuvre l'été dernier. Il y a eu des retards en raison d'enjeux relatifs aux conditions de travail. Je crois savoir qu'on est prêt à lancer le programme. Malheureusement, je ne connais pas les détails ni la façon dont le programme sera mis en œuvre. Cela dit, l'objectif est d'offrir à tous les employés des services correctionnels qui interagissent avec les détenus une formation, de préférence continue, sur la façon de composer avec les délinquants qui ont des problèmes de santé mentale.
Je crois que l'objectif...
Le président : Je crois savoir qu'outre la formation, il y a l'obligation d'avoir 14 places en établissement aux fins de traitement.
La sénatrice Fraser : Madame Markowski, Service correctionnel Canada a-t-il une exigence semblable en matière de formation pour toute personne qui interagit avec les détenus?
MmeMarkowski : Une formation sur la santé mentale? Il y a une série de normes nationales en matière de formation, qui est offerte en fonction des rôles et des responsabilités. Il s'agit d'une formation exhaustive sur la santé mentale qui est offerte à tout membre du personnel qui interagit avec les délinquants.
Le sénateur Joyal : Madame Markowski, quel est le pourcentage d'Autochtones parmi la population carcérale au Manitoba, en Saskatchewan et dans le nord-ouest de l'Ontario, et quel est le pourcentage de personnes atteintes de maladies mentales, selon vos critères?
MmeMarkowski : Je n'ai pas de statistiques réparties par district. Nous avons des statistiques sur la population globale, et nous vous fournirons des données sur les profils. Il s'agissait à l'origine de données sur les femmes, mais nous serons peut-être en mesure de vous fournir des données sur les profils sur l'ensemble des délinquants ainsi que des données précises sur le nombre de délinquants autochtones et de délinquants atteints de maladies mentales. Cela vous serait-il utile?
Le sénateur Joyal : Cela nous serait assurément très utile.
M.Nicholson : Nous inclurons ces renseignements dans notre mémoire.
Le président : Je vous remercie toutes les deux. Nous vous sommes reconnaissants d'être venues et d'avoir aidé le comité dans ses délibérations.
(La séance est levée.)