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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule no 5 - Témoignages du 23 mars 2016


OTTAWA, le mercredi 23 mars 2016

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd'hui, à 16 h 18, pour étudier les questions relatives aux délais dans le système de justice pénale au Canada ainsi que l'ébauche d'un budget.

Le sénateur Bob Runciman (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : La séance est ouverte. Je suggère que nous commencions la réunion par un moment de silence en hommage à notre collègue de la Chambre des communes, M. Jim Hillyer, un député de l'Alberta qui est mort ce matin. Nous offrons aussi nos condoléances à sa famille et à ses amis.

Les honorables sénateurs observent une minute de silence.

Le président : Merci. Bonjour, et bienvenue aux invités et aux représentants du grand public qui suivent les débats du comité cet après-midi.

Au début de l'année, le Sénat a autorisé le comité à examiner les questions relatives aux délais dans le système de justice pénale au Canada ainsi que les rôles que pourraient jouer le gouvernement du Canada et le Parlement afin de réduire ces délais, et à en faire rapport. C'est notre neuvième séance sur cette étude.

Au cours de la première heure, nous recevons, par vidéoconférence, M. Tom Stamatakis, président de l'Association canadienne des policiers. Monsieur Stamatakis, nous sommes heureux de vous recevoir de nouveau à notre comité. Nous avons hâte d'entendre votre exposé.

Le sénateur Joyal : Monsieur le président, avant que nous donnions la parole à M. Stamatakis, je voudrais demander le consentement des membres du comité. Le lundi 21 mars, un éditorial du Devoir portait essentiellement sur les délais intenables du système judiciaire du Québec. Il s'agit justement de l'objet de notre étude d'aujourd'hui. On y présente quelques-unes des statistiques que nous étudions présentement au comité. Je voudrais donc, avec le consentement des membres, que cet éditorial soit annexé au procès-verbal de la réunion d'aujourd'hui.

Le président : D'accord?

Des voix : D'accord.

Le président : Monsieur Stamatakis, vous pouvez présenter votre déclaration préliminaire.

Tom Stamatakis, président, Association canadienne des policiers : Merci. Bonjour, monsieur le président et honorables sénateurs; merci de m'avoir invité à témoigner cet après-midi dans le cadre de votre étude sur les délais dans le système de justice pénale du Canada. Je représente 60 000 civils assermentés en tant que membres de services policiers de première ligne au Canada, qui sont aussi membres de l'Association canadienne des policiers.

Il n'y a pas de doute que les membres de l'association sont bien au fait des difficultés que suscite le statu quo dans le système de justice pénale du Canada. Les policiers qui sont aux premières lignes sont les seuls à interagir avec une personne avant et après qu'elle soit accusée. Ils sont de plus en plus irrités en constatant les délais apparemment injustifiés. Ces délais peuvent engendrer beaucoup de coûts importants, mais je veux en faire valoir deux en particulier.

Premièrement, il n'est pas nécessaire de chercher longtemps pour trouver un agent de police, au Canada, qui a vu des semaines, des mois et, dans certains cas, des années de travail anéantis du fait qu'un non-lieu a été prononcé en vertu de l'alinéa 11b) de la Charte. Deuxièmement, il suffit de visiter n'importe quel palais de justice provincial, ou presque, pour voir un nombre étonnamment grand de policiers qui attendent leur tour de témoigner dans une affaire criminelle. Bien souvent, ceux-ci se font dire que l'audience a été reportée à la demande de la Couronne ou de la défense, qui peuvent par exemple avoir besoin de plus de temps pour se préparer. Un tel manque d'efficacité grève lourdement le budget de la police, puisqu'il faut non seulement payer l'agent qui doit se présenter au tribunal avant ou après un quart de garde, mais aussi le remplacer s'il doit témoigner durant ses heures de travail.

Le coût est un facteur important, mais je dois ajouter que ces délais peuvent aussi être un fardeau pour les agents touchés par ces affaires. Tous les reports autorisés augmentent le délai entre l'incident et le témoignage du policier. Nos agents font du travail extraordinaire, mais ils sont humains. Je vous demande de vous mettre à leur place et de vous demander à quel point vous pourriez efficacement vous rappeler de détails précis concernant un incident survenu il y a deux ou trois ans, surtout dans le cadre d'un contre-interrogatoire mené par un avocat de la défense endurci, si vous avez depuis fait enquête sur de nombreux incidents semblables.

Je pourrais passer presque toute l'heure à expliquer les défis que doivent surmonter nos agents qui ont affaire au système judiciaire, mais je vais conclure en proposant deux solutions que le comité pourrait vouloir envisager pour contribuer à atténuer certains des problèmes. D'abord, on pourrait moderniser la procédure pour permettre aux policiers de présenter des déclarations écrites à certains procès, afin de leur éviter d'avoir à attendre que vienne le moment de témoigner en personne. Cela améliorerait grandement les choses. Je comprends que cette option risque de déplaire aux avocats de la défense, mais certaines juridictions, comme la ville de Winnipeg, ont mis cette pratique à l'essai, surtout pour les infractions au code de la route. Ensuite, le comité voudra peut-être recommander dans son rapport que les juges soient chargés d'exercer un meilleur contrôle dans leurs propres salles d'audience. Cela peut sembler simpliste, mais si l'on insistait davantage pour que les avocats de la Couronne et de la défense justifient adéquatement leurs demandes de report, le temps d'attente au tribunal en serait peut-être considérablement réduit.

Je termine mon exposé là-dessus, parce que je veux vous laisser suffisamment de temps pour poser des questions. Une chose est sûre, les horaires des tribunaux sont l'un des aspects du problème que le comité devra examiner. Les exigences de production de renseignements et la complexité croissante des enquêtes criminelles, en bonne partie attribuable à l'avancement de la technologie, qui compliquent d'autant les procédures de mise en accusation, sont aussi des facteurs dont je serai heureux de discuter. Et n'hésitez pas à me poser toute autre question particulière. Merci encore de m'avoir invité à témoigner.

Le président : Merci beaucoup. Je laisse la vice-présidente, la sénatrice Jaffer, poser la première question.

La sénatrice Jaffer : Merci beaucoup pour cet exposé. Je veux aussi profiter de l'occasion pour souligner que vous êtes toujours disponible pour notre comité et que nous l'apprécions grandement.

Je voudrais des précisions. Vous avez parlé, au début de votre intervention, de la modernisation des règles, notamment des règles régissant les déclarations dans certains procès. Pouvez-vous nous donner une idée du genre de procès dont il est question?

M. Stamatakis : J'ai d'abord parlé du projet pilote ou de l'expérience de la ville de Winnipeg. Je ne vois aucune raison interdisant qu'un policier témoigne par écrit, par exemple s'il s'agit d'une infraction mineure au code de la route, au moyen d'une déclaration assermentée, ce qui lui éviterait d'avoir à témoigner au tribunal. Je peux vous dire que les policiers passent énormément de temps en cour pour des accusations d'infraction au code de la route, ce qui n'est pas nécessaire à mon avis. Je pense qu'il faudrait examiner sérieusement la possibilité de procédures semblables dans des affaires plus graves, où il y a des victimes et d'autres témoins, et voir si, selon le rôle joué par les policiers dans l'enquête, il n'y aurait pas moyen d'accepter également leur témoignage par déclaration assermentée.

La sénatrice Jaffer : Je suis sûre que ma prochaine question ne vous surprendra pas, parce que vous êtes très au fait du fonctionnement de l'appareil judiciaire. Les avocats de la défense revendiqueront le droit de faire un contre- interrogatoire. Qu'arrive-t-il dans ce cas?

M. Stamatakis : Bien sûr, je m'y attendais. Je pense que, si le comité se penche sur le problème des délais dans le système de justice pénale et si les Canadiens disent qu'ils en ont assez de ces délais, nous devons trouver le bon équilibre entre le droit au contre-interrogatoire et les conséquences des délais inutiles. Personne ne conteste que ces délais ont des conséquences graves et engendrent des coûts supplémentaires pour les victimes. On pourrait même dire qu'ils peuvent nuire aux accusés, qui sont alors en droit de se plaindre qu'on les a privés du droit à un procès rapide et qu'ils n'ont pas eu la chance de se défendre.

La sénatrice Jaffer : Donc, si j'ai bien compris, quand vous dites « certains procès », pour le moment, vous parlez essentiellement d'infractions au code de la route. C'est bien cela, dans l'état actuel des choses?

M. Stamatakis : C'est un exemple que j'ai donné. Je pense qu'on peut trouver de nombreux exemples où, même pour des infractions plus graves, les policiers pourraient témoigner par écrit, surtout s'ils n'ont pas à témoigner de ce qu'ils ont vu de leurs yeux. Il peut arriver qu'ils doivent simplement expliquer comment ils ont recueilli la preuve pour la présenter à la Couronne afin qu'il puisse y avoir mise en accusation. D'autres témoins pourraient être tenus de se présenter parce qu'il s'agit de témoins directs. Je pense que ce serait réalisable dans tous les tribunaux et pour différents enjeux. Actuellement, cela ne se fait pas, et c'est l'une des raisons de l'inefficacité du système.

Le sénateur White : Merci, Tom, de témoigner de nouveau à notre comité. Nous apprécions énormément.

La question que je veux vous poser porte sur la manière dont la Colombie-Britannique traite actuellement les cas de conduite avec facultés affaiblies. Les analyses des résultats de cette expérience sont favorables, pour la grande majorité. Des procureurs de la Couronne de la Nouvelle-Écosse que nous avons reçus ici, il y a quelques semaines, ont réagi négativement dans certains cas. Comme vous exercez en Colombie-Britannique, je me demande si vous voyez les avantages du traitement d'ordre administratif qui est réservé aux affaires de conduite avec facultés affaiblies.

M. Stamatakis : Absolument. Le fait qu'on traite les affaires de conduite avec facultés affaiblies dans le contexte de la réglementation en Colombie-Britannique a eu des répercussions très favorables. Ainsi les policiers peuvent patrouiller et s'occuper activement de faire appliquer la loi, au lieu d'être assis dans un tribunal à attendre le moment de témoigner.

C'est particulièrement vrai dans le cas de la conduite avec facultés affaiblies. Je le sais d'expérience pour avoir mené l'enquête sur de tels incidents. Ces témoignages sont parmi les plus difficiles à faire. Ce n'est pas l'enquête qui est compliquée, mais c'est que l'avocat de la défense met souvent tout en jeu pour faire un contre-interrogatoire serré et tenter de faire tomber les accusations contre son client.

Le sénateur White : Merci. Pensez-vous que d'autres délits pourraient être classés dans la même catégorie? Aujourd'hui, nous avons les infractions mixtes, qui permettent de procéder par mise en accusation ou déclaration sommaire de culpabilité. Pourrait-on élargir l'éventail des infractions mixtes, y ajouter des infractions relevant du droit criminel ou des lois provinciales, de manière à nous permettre de simplement émettre des contraventions à leur égard?

M. Stamatakis : Oui, je le pense. Il pourrait y avoir bien des possibilités de ce genre. Il faudra probablement tenir beaucoup de discussions. On peut penser d'abord aux crimes qui ne font pas de victimes, qu'on pourrait traiter à peu près de la même façon, je pense. Toutefois, quand il y a des victimes et que cela peut avoir des répercussions sur la population en général, il faut être prudent.

Mais il y a quand même beaucoup de possibilités. Le modèle appliqué en Colombie-Britannique a été bien reçu par la police et le grand public.

Le sénateur Baker : Ne croyez-vous pas, cependant, que les cas de conduite avec facultés affaiblies sont peut-être les affaires les plus complexes et les plus litigieuses au Canada? Cela se compare aux affaires de drogue. Ces procès peuvent s'éterniser; on peut faire valoir plusieurs arguments fondés sur la Charte et faire en sorte que les policiers soient interrogés et contre-interrogés. Il faut donc penser que ce sont des affaires très complexes et que, quand une personne est accusée de conduite avec facultés affaiblies pour la deuxième fois, cela devient une affaire très importante. On ne peut pas laisser une cour inférieure s'en occuper.

Quoi qu'il en soit, la question que je voulais poser a trait à l'obligation de communication découlant de l'arrêt McNeil. C'est un nouvel élément à prendre en considération, à la suite de la décision de la Cour suprême du Canada rendue il y a cinq ou six ans. Cette obligation s'applique à tous les agents que vous représentez si bien. Chacune des procédures disciplinaires prises à l'encontre d'un policier, tout ce qui peut faire ressortir son caractère, doit être dévoilée. Dans un très grand nombre d'affaires, cette obligation a causé des retards dans la constitution de la preuve et a suscité des discussions entre procureurs de la défense et de la Couronne à savoir si la communication était nécessaire pour respecter la décision McNeil et, sinon, si l'on pouvait faire appliquer cette même obligation en conformité de la décision O'Connor.

J'aimerais entendre vos réactions. Je suis heureux que vous soyez ici aujourd'hui, parce que c'est la première fois que nous rencontrons quelqu'un qui comprend l'obligation de communication découlant de l'arrêt McNeil et ses conséquences pour les policiers. Que pensez-vous de l'obligation de communication imposée par McNeil, et que pouvons-nous recommander pour faire en sorte qu'elle ne retarde pas les procès?

Avant tout, expliquez-nous ce que vous comprenez de l'obligation de communication découlant de l'arrêt McNeil.

M. Stamatakis : C'est une très bonne question. C'est un bon exemple de complication récente du fardeau administratif ou des nouvelles obligations liées au système de justice pénale et aux procédures judiciaires.

Essentiellement, McNeil est une décision de la Cour suprême qui oblige des organisations policières, le personnel des services de police, à communiquer les conclusions de toute procédure disciplinaire ou condamnation relative à différentes accusations d'inconduite. C'est une explication très sommaire.

Franchement, à mon avis, la plupart des organisations policières et des procureurs, de la défense ou de la Couronne, sont allés beaucoup plus loin dans leur interprétation de cette décision que la Cour suprême le souhaitait. La Cour suprême a aussi précisé qu'il devait s'agir d'une inconduite grave.

Le sénateur Baker : En effet.

M. Stamatakis : La matière à communiquer devait aussi être pertinente dans une affaire mettant en cause un accusé qui tente de se défendre. Malheureusement, il arrive trop souvent que les services policiers doivent allouer des ressources pour l'accomplissement d'énormes efforts et d'une lourde charge de travail administratif, et que la Couronne doive allouer des ressources aux mêmes fins avant même le début du procès, simplement pour déterminer ce qui est grave et pertinent et ce qui devrait être communiqué à la Couronne. C'est une obligation expresse dans ces cas.

Puis il y a tout le problème que vous avez décrit, monsieur, soit cette discussion entre la Couronne et la défense à savoir si des documents devraient être dévoilés à la défense. Tout cela se passe avant même le début du procès, quelle que soit l'affaire portée devant les tribunaux.

Les effets de cette décision sont énormes. Je peux faire état d'un autre motif de frustration, qui retarde encore les procédures : on voit maintenant des procureurs de la défense, dans des procès pour infractions au code de la route relativement mineures, présenter ce qu'on appelle maintenant une demande de type McNeil pour obtenir la production de renseignements sur le dossier disciplinaire d'un policier. Or, je ne vois absolument pas comment le dossier disciplinaire d'un policier pourrait être pertinent dans une affaire d'infraction au code de la sécurité routière.

C'est un très bon point. J'espère que vous vous pencherez là-dessus pour tenter de déterminer où tracer la ligne entre ce qui est grave et pertinent et devrait être communiqué et le principe insensé appliqué actuellement par la plupart des services policiers et des procureurs selon lequel tout devrait être dévoilé.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci beaucoup. Je suis très content de vous revoir.

Nous constatons tous la même chose, les délais s'allongent surtout à cause de certains types de dossiers. Entre autres, on parle de mégaprocès, de crimes à caractère financier, de l'alcool au volant, comme vous l'avez mentionné. Si nous voulions cerner une source de solutions, d'où proviendrait-elle? Des gouvernements, des juges ou des procureurs de la Couronne? Si nous avions un choix à faire, qui prendrait la responsabilité dans ce dossier?

[Traduction]

M. Stamatakis : J'y ai fait allusion dans ma déclaration préliminaire. À mon avis, il faudrait tout d'abord que les juges fassent preuve de plus de fermeté et de rigueur dans leurs salles d'audience, notamment à l'égard des demandes de délai ou d'ajournement. Ces demandes quasi continuelles d'ajournement que présentent les avocats de la défense, sans trop donner d'explications, à cause d'une difficulté ou une autre associée à l'accusé sont particulièrement frustrantes pour mes membres — et je sais que ce l'est aussi pour les victimes, autant celles que j'ai côtoyées dans ma carrière de policier que celles dont me parlent constamment mes membres. Ces demandes ont des répercussions sur l'agent de police ou sur le témoin ou la victime qui a dû prendre congé de son travail ou faire garder ses enfants pour aller témoigner à l'audience. J'estime qu'il faut un meilleur équilibre au sein du système. Ce serait un bon point de départ.

Je crois que les gouvernements, tant fédéral que provinciaux, ont un rôle à jouer. Ils devraient formuler de bonnes directives, des directives claires, et créer une politique régissant le processus de justice criminelle et les procédures judiciaires afin de régler le problème des délais.

La question de la divulgation, c'est-à-dire l'obligation imposée par suite de l'arrêt dans la cause Stinchcombe et son application, est également très importante. Pour remplir cette obligation, nous devons affecter des policiers. Lorsqu'il y a eu une enquête relativement aux émeutes qui ont suivi la défaite des Canucks de Vancouver en séries éliminatoires il y a quelques années, de nombreux agents de mon service de police, à Vancouver, ont été affectés durant plus d'un an à tout ce qui entoure la divulgation. Il a fallu divulguer de l'information à propos d'agents qui n'étaient même pas concernés et qui n'avaient joué qu'un rôle secondaire lors des événements. Là encore, je crois que les gouvernements pourraient intervenir et donner des directives claires quant à ce qui est approprié et ce qui ne l'est pas.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Je vous entendais parler des finales des séries éliminatoires à Vancouver. Ne soyez pas inquiet car, à Montréal, il n'y aura pas de manifestations liées aux séries cette année, malheureusement.

Cependant, j'aimerais revenir aux procureurs de la Couronne, parce que plusieurs d'entre eux sont venus nous parler de l'augmentation de leur charge de travail liée aux preuves électroniques, maintenant que les policiers peuvent en présenter à la cour. Voyez-vous une façon de régler cette situation du côté de la police? Vous avez parlé des arrêts que les policiers doivent respecter. Cependant, en ce qui concerne les preuves électroniques, y aurait-il une façon d'accélérer le processus de présentation des preuves électroniques?

[Traduction]

M. Stamatakis : Absolument. Je suis heureux que vous posiez la question. C'est un aspect important. Je sympathise avec les procureurs de la Couronne. Ils doivent composer avec des problèmes de ressources et de charge de travail, mais une partie de ces difficultés pourrait se régler très facilement.

Permettez-moi de donner un exemple brûlant d'actualité. Un vif débat fait rage à l'heure actuelle au Canada et dans d'autres pays au sujet des caméras vidéo corporelles. Les vidéos sont de plus en plus utilisées dans le cadre des enquêtes criminelles et font partie de l'information que nous fournissons à la Couronne pour l'aider à intenter des poursuites. Nous produisons des vidéos, puis il faut faire une transcription de ce qui se dit dans les vidéos, et ainsi de suite. Voilà un cas où nous pourrions nous servir de la technologie afin de divulguer des éléments de preuve sans être contraints de reproduire l'information encore et encore.

Une autre solution prometteuse consisterait à moderniser les procédés technologiques qu'utilise la Couronne pour effectuer son travail, de manière à ce que tous les organismes soient dotés de systèmes compatibles. Il suffirait ensuite de transférer les fichiers d'un organisme à l'autre au lieu de suivre un processus compliqué pour présenter la preuve dans un format qui fonctionne dans le système dont se sert la Couronne, mais qui n'est pas compatible avec celui de la police, par exemple. Nous avons d'excellentes occasions de simplifier ces procédés technologiques.

Le sénateur Joyal : Monsieur Stamatakis, je vous demande pardon d'avoir retardé votre exposé en déposant un éditorial publié dans un journal de Montréal lundi. L'une des raisons qui m'ont poussé à le faire, c'est que l'auteur en arrive à une conclusion qui rejoint parfaitement votre deuxième suggestion, soit que le comité recommande que les juges soient chargés d'exercer un meilleur contrôle dans leurs propres salles d'audience. Je veux vous lire la fin du texte paru dans ce journal montréalais lundi. L'auteur écrit : « L'exemple doit venir des juges en premier lieu. C'est à eux de faire la gestion d'instance avec une main de fer [...] » Il emploie des mots encore plus durs que vous. Il poursuit ainsi : « Il y a moyen de freiner l'essor de l'industrie de la requête préliminaire, entre autres les demandes frivoles d'arrêt des procédures, et de fixer des limites à la durée d'une cause sans pour autant brimer le droit des accusés à un procès juste et équitable. »

Voilà les propos tenus dans l'éditorial. Je voulais vous en faire la lecture.

Il semble régner chez les intervenants directs, comme vous, et chez les observateurs tels que cet éditorialiste montréalais une perception répandue voulant que les juges soient trop complaisants à l'égard des demandes d'ajournement. Êtes-vous d'avis qu'il conviendrait d'établir des critères d'admissibilité pour les demandes d'ajournement?

M. Stamatakis : Tout à fait. C'est une excellente suggestion. Ce serait un bon début que d'énoncer des critères justifiant des délais supplémentaires. À mon sens, il ne s'agit pas d'une perception. C'est la réalité. J'ai vécu ce genre de situations lorsque j'étais un policier œuvrant sur le terrain. Les policiers de tout le pays me disent vivre la même chose. Il s'agit d'établir un certain équilibre entre le droit de l'accusé à un procès équitable et rapide et toutes les autres obligations que la société a envers les victimes et à l'égard des coûts et de tout le reste.

Je crois qu'il ne serait pas difficile de définir des critères raisonnables en ce qui concerne non seulement l'obtention d'un ajournement, mais aussi le nombre approprié d'ajournements qu'on peut demander durant un procès. Dans certaines affaires, on peut voir jusqu'à trois, quatre ou cinq reports d'audience, bien souvent pour des raisons extrêmement futiles. Je suis totalement d'accord avec vous et je souscris parfaitement aux propos contenus dans l'article de journal que vous avez cité. Ce sont des observations justes.

Le sénateur Joyal : Je vous ai entendu faire allusion à votre expérience, à des situations que vous avez vécues. Pouvez-vous nous décrire les cas auxquels vous songiez?

M. Stamatakis : Je vais vous donner deux exemples. Tout d'abord, quand j'étais policier sur le terrain, je faisais surtout de la patrouille et j'ai souvent eu à gérer des cas de violence conjugale, de conduite avec facultés affaiblies, de voies de fait et de vol. Je ne puis vous dire combien de fois je me suis rendu au tribunal après un quart de nuit ou pendant une journée de congé uniquement pour me voir dispensé d'être là parce que la défense avait demandé un ajournement, car elle avait besoin de plus de temps pour se préparer ou pour consulter l'accusé ou parce que celui-ci ne s'était pas présenté. Jamais n'aurait-on vu une suspension d'instance ou une condamnation lorsque l'accusé omettait de venir, mais bon sang, si un agent de police ou un témoin ne se présentait pas, les juges réagissaient bien différemment, d'après mon expérience. C'est arrivé souvent quand je travaillais sur le terrain.

Ce genre de situations est devenu très frustrant pour moi lorsque je suis passé d'un poste de policier ayant des responsabilités générales à un poste d'instructeur en contrôle des armes à feu au sein du service de police de Vancouver. Le lieu de formation était assez éloigné du palais de justice, situé au centre-ville de Vancouver. Je devais souvent interrompre mon travail d'instructeur pour me rendre au tribunal — à 20 milles d'où j'étais, soit un trajet d'environ 45 minutes en voiture — pour témoigner dans des affaires dans lesquelles j'étais intervenu alors que j'étais policier sur le terrain. À mon arrivée, on m'informait que ma présence n'était plus requise ou alors la défense souhaitait soudainement se lancer dans une négociation de plaidoyers avec la Couronne relativement à son client. Il s'agissait d'un énorme gaspillage de temps et de ressources et cela interrompait la formation que j'essayais de donner à d'autres policiers, sans parler des désagréments pour les témoins civils et les victimes, lesquels s'absentaient de leur travail ou faisait garder leurs enfants pour mieux se faire dire de s'en aller. J'aurais des tonnes d'exemples à donner.

La sénatrice Batters : Merci beaucoup de comparaître devant le comité aujourd'hui. En réponse à une question de la sénatrice Jaffer, vous avez dit qu'il arrive souvent que des agents de police soient appelés à témoigner à un procès pour présenter des éléments secondaires. Pourriez-vous nous fournir quelques exemples de ce que vous avancez?

M. Stamatakis : Prenons l'exemple d'un vol de banque. La police dépêche des enquêteurs principaux pour recueillir la preuve matérielle sur les lieux mêmes de la banque, mais des policiers sont aussi chargés d'établir un périmètre de confinement à l'extérieur, et ceux-ci peuvent tomber sur un témoin secondaire. Je ne comprends pas pourquoi, dans pareil cas, un policier recevrait un avis de comparution à l'instance. Pourquoi cet agent ne pourrait-il pas faire une déclaration sous serment par écrit, dans laquelle il expliquerait ceci : « Alors que je me trouvais dans le périmètre extérieur lié au vol de banque, un citoyen est venu nous dire qu'il avait peut-être vu sortir de la banque une personne correspondant à la description du voleur. » Pourquoi cet agent ne pourrait-il pas présenter les éléments de preuve limités dont il dispose au moyen d'une déclaration sous serment? Celle-ci pourrait être incluse dans l'instance et faire partie de la preuve du ministère public. C'est un exemple parmi d'autres.

De nos jours, la police consacre énormément de temps à des tâches administratives qui consistent à demander à des agents de photocopier leurs carnets de notes pour confirmer qu'ils n'ont aucun élément de preuve à fournir dans le cadre d'une enquête. Quand la police doit mener des enquêtes d'envergure — qu'il s'agisse d'un homicide ou d'un autre événement encore plus grave qui exige une intervention policière importante impliquant de nombreux membres —, ce genre de tâches prend du temps et se révèle tout simplement inutile. Courir après des policiers dans le seul but de confirmer qu'ils ne disposent d'aucun élément de preuve ne fait qu'alourdir le fardeau administratif. Ce n'est pas nécessaire, à mon avis.

La sénatrice Batters : Vous avez acquis une grande expérience à titre de policier de première ligne en Colombie- Britannique, d'où vous venez. De plus, en qualité de président de longue date de l'Association canadienne des policiers, vous entendez parler de ce que vivent vos collègues de l'ensemble du pays. Fort de cette expérience, pouvez-vous formuler deux suggestions pratiques afin de contribuer à régler le problème des délais judiciaires? Elles peuvent découler de votre propre pratique en Colombie-Britannique ou de ce que vos collègues de partout au pays vous ont signalé.

M. Stamatakis : Il me semble que nous avons abordé le sujet. J'ai proposé des solutions dans ma déclaration préliminaire.

Je crois réellement que, s'il y a une chose qui devrait ressortir de vos travaux, c'est l'idée de permettre, dans certaines circonstances, à un agent de police de fournir ses éléments de preuve par la voie d'une déclaration sous serment au lieu de devoir comparaître. Cette mesure changerait considérablement les choses, de mon point de vue et de celui de la police, et elle contribuerait à atténuer le problème des délais dans le système de justice pénale.

La deuxième recommandation, dont j'ai aussi parlé, vise les ajournements, lesquels surviennent à répétition, souvent pour des raisons insatisfaisantes. Je peux vous donner des exemples, mais je suis persuadé que vous en connaissez déjà tout plein.

Le sénateur McIntyre : Monsieur Stamatakis, je vous remercie pour votre exposé.

J'ai deux brèves questions à poser, mais avant, je veux faire une observation. Dans votre déclaration préliminaire, vous avez fait deux recommandations. Ayant exercé le droit un certain nombre d'années, je souscris à ces recommandations, surtout celle se rapportant aux juges de première instance qui retardent les choses.

J'estime que non seulement on devrait assurer un suivi auprès des juges de première instance, mais aussi que le juge en chef de chaque province devrait faire de même. C'est très important, car un grand nombre de juges ne mettent pas leurs culottes. C'est aussi simple que cela. Je n'ai pas d'autres mots pour décrire la situation.

Le sénateur White : Ou leurs jupes.

Le sénateur McIntyre : Ou leurs jupes, oui. Merci de nous avoir offert ces recommandations. Je m'en réjouis.

Ma première question a trait à l'examen des accusations et la seconde porte sur la consultation des procureurs de la Couronne.

Dans trois provinces, dont la mienne, le Nouveau-Brunswick, les procureurs de la Couronne interviennent dans l'évaluation des accusations avant qu'elles ne soient portées. Dans les autres provinces, les services de police sont responsables de porter les accusations. Quelle est l'expérience des agents de police en ce qui a trait à l'évaluation des accusations?

Par ailleurs, dans certaines provinces, la police consulte les procureurs de la Couronne quant à l'obtention de mandats de perquisition appropriés. Pensez-vous que ce type de consultation devrait se poursuivre?

M. Stamatakis : Je viens d'une province où c'est la Couronne qui porte les accusations. Étant donné mon expérience dans la police en Colombie-Britannique, je pense que les interactions doivent être renforcées entre la police et la Couronne relativement aux dossiers transférés à cette dernière en vue d'une mise en accusation éventuelle. Cela permettrait d'éliminer beaucoup de retards. Je crois que c'est la même chose dans les trois provinces auxquelles vous avez fait allusion. Je crois que la collaboration est plus grande dans les autres provinces, où c'est la police qui porte les accusations. Selon moi, il faut accroître la collaboration.

À l'heure actuelle, si j'envoie un dossier à la Couronne et que, pendant l'enquête, je veux consulter le procureur pour savoir si je satisfais à tous les éléments constitutifs d'une infraction ou si je devrais prendre telle ou telle mesure aux fins de l'enquête, la Couronne reste en retrait et refuse de participer au processus pour préserver son indépendance par rapport à l'enquête de la police. Le hic, c'est que, une fois que je transmets mes documents d'enquête au procureur, il en prend connaissance et se met à déceler des problèmes. C'est alors qu'il me dit : « Vous devez faire un suivi à tel sujet. » Cela ne fait qu'allonger les délais.

Si la collaboration était meilleure, le système gagnerait en efficacité. Il faut maintenir la collaboration.

Le sénateur McIntyre : Je suis d'accord. Il faut séparer l'enquête de la poursuite. Il va sans dire que les deux processus doivent demeurer indépendants l'un de l'autre. Merci.

M. Stamatakis : Absolument.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : La question que je veux vous poser est la suivante. Dans certaines provinces, les accusations sont portées directement par les policiers, tandis que dans d'autres, ce sont les procureurs de la Couronne qui font ce travail. Or, c'est le cas du Québec. À votre connaissance, le fait que les policiers portent directement les accusations a-t- il un impact sur les retards?

[Traduction]

M. Stamatakis : Tout dépend à qui vous vous adressez. Si vous parlez aux gens du ministère public et de la Direction de la justice pénale de la Colombie-Britannique, ils affirmeront que la qualité des accusations est plus élevée étant donné le processus en vigueur dans la province, selon lequel la police transfère le dossier à la Couronne, qui s'occupe de porter les accusations.

Par contre, si vous vous adressez aux gens de l'Ontario ou des provinces où c'est la police qui porte les accusations, ils vous répondront que le fait que ce soit la police qui soit responsable des accusations accélère l'entrée du dossier dans le système ainsi que les poursuites. L'opinion diffère selon l'interlocuteur.

À mes yeux — et je suis d'accord avec le sénateur McIntyre —, il importe que la Couronne demeure indépendante, mais rien ne l'empêche de jouer un rôle consultatif et, comme je l'ai dit, d'aider la police à produire les éléments de preuve adéquats pour établir tous les éléments constitutifs de l'infraction et à prendre toutes les mesures nécessaires dans le cadre de l'enquête pour faciliter la poursuite. Il faut mieux concerter les efforts.

Or, il n'y a pas de concertation, pas de collaboration. Il est cependant déjà arrivé qu'un service de police établisse un dialogue avec la Couronne, fasse un suivi et obtienne de bons résultats.

Pour revenir aux observations du sénateur McIntyre, en Colombie-Britannique, lorsque nous avons communiqué avec le bureau du juge en chef pour assurer un suivi à l'égard des problèmes soulevés, il s'est montré très réceptif et efficace. Il faut multiplier ces interactions.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Vous soulevez un problème intéressant. Vous dites qu'il peut y avoir un manque de collaboration entre les corps policiers et les procureurs? Est-ce bien ce que vous avez dit?

[Traduction]

M. Stamatakis : En effet, je crois que c'est le cas. J'estime que les procureurs de la Couronne peuvent jouer un rôle accru en cernant les problèmes des enquêtes tôt dans le processus. Ainsi, un service de police n'enquêterait pas pendant une longue période — certaines enquêtes, comme nous l'avons entendu, sont assez complexes et peuvent prendre beaucoup de temps — avant d'envoyer le dossier à la Couronne pour mieux se faire dire que la Couronne a décelé des problèmes.

Pourquoi ne pas collaborer durant l'enquête de manière à régler les problèmes sur-le-champ? Quand le procureur de la Couronne serait saisi du dossier final, il serait prêt à intenter des poursuites. Voilà qui réduirait les délais, à mon avis.

Le président : Je veux aborder l'autre aspect du problème. Le comité a reçu des témoins du ministère du Procureur général de l'Ontario, province où c'est la police qui porte les accusations, comme vous l'avez mentionné. À leurs yeux, l'un des principaux facteurs qui expliquent le nombre élevé d'affaires devant les tribunaux, c'est que les services de police ontariens n'exercent pas leur pouvoir discrétionnaire qui consiste à libérer des suspects en échange d'une promesse de comparaître ou d'un engagement. Quelle est votre réaction?

M. Stamatakis : Je crois qu'on m'a demandé plus tôt quel rôle pouvaient jouer les gouvernements. Voilà un domaine où il y aurait lieu d'élaborer des politiques.

En Colombie-Britannique, car c'est là d'où je viens, des orientations stratégiques ont été adoptées à ce sujet. On libère plus de personnes que jamais sous promesse de comparaître ou à l'aide d'autres moyens dans le but de réduire les délais. Je suis sûr que vous êtes au courant du travail effectué en Colombie-Britannique. La province a effectué des examens très exhaustifs du système de justice pénale.

On est en train de mettre en œuvre un certain nombre de recommandations qui ont émergé de ces examens, notamment en ce qui a trait — je crois que c'est le sénateur White qui en a parlé — à la réglementation sur la conduite avec facultés affaiblies. Cependant, il faut aller plus loin. Il faudrait envisager plus de mesures du genre, comme libérer les gens aussitôt que possible, tout en tenant compte, bien entendu, de la sécurité publique et en veillant à éviter toute récidive ou risque pour la population.

Le président : Avez-vous discuté de ce sujet avec vos membres de l'Ontario? Acceptez-vous le point de vue du gouvernement voulant qu'il existe un problème? Le cas échéant, qu'est-ce qui explique la réticence des agents de police à se prévaloir de cette option?

M. Stamatakis : À vrai dire, non, nous n'avons pas discuté de cette question récemment. Puisque vous la soulevez, je vais faire un suivi et tâcher de connaître l'opinion des membres. S'il y a de la réticence, quelle en est la raison? Les policiers ont-ils des motifs valables de refuser? L'Alberta, me semble-t-il, encourage aussi fortement la libération sous promesse de comparaître ainsi que d'autres moyens. En toute franchise, en Colombie-Britannique, cela n'a jamais posé problème. Il revient à l'agent de décider dans quelles circonstances il est approprié d'utiliser cette option.

La sénatrice Jaffer : Je veux aborder une tout autre question, la déjudiciarisation. Je sais que, aux termes de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, les policiers sont habilités à soustraire les jeunes au système judiciaire, mais pareils pouvoirs n'existent pas pour les accusés adultes. Quelle est la position de l'Association canadienne des policiers? Recommanderiez-vous qu'on accorde à la police des pouvoirs accrus — pas nécessairement les mêmes — en matière de déjudiciarisation?

M. Stamatakis : Avant de répondre, permettez-moi de dire ceci : les policiers exercent chaque jour leur pouvoir discrétionnaire pour soustraire de manière informelle des gens au système de justice pénale. Avouons-le, si nous ne le faisions pas, le problème serait beaucoup plus grave. Pour répondre à la question, je suis en faveur de donner aux policiers un pouvoir discrétionnaire en bonne et due forme afin d'appliquer des mesures de déjudiciarisation dans certaines circonstances. Souvent, l'agent de police se fie à son expérience et à ses connaissances lorsqu'il interagit avec un citoyen, en particulier une personne qui a visiblement commis une erreur, n'est pas un récidiviste ou contribue à la société. Dans de telles circonstances, j'estime qu'il est préférable de ne pas entraîner la personne dans le système de justice pénale. Je crois que l'appui à l'égard de ce genre de mesures est élevé.

Le sénateur White : Je veux seulement apporter une précision. Corrigez-moi si je me trompe à propos de la décision dans l'affaire McNeil, Tom, mais, en réalité, rares sont les condamnations au criminel du côté du policier. On applique la plupart du temps des mesures disciplinaires. Il n'y a aucune notion de « pardon ». Un agent cumulant 22 années de service peut se retrouver dans le système, sans égard à la cause elle-même, parce qu'il s'est mis dans le pétrin quand il en était à sa deuxième année de service. Il faut divulguer ses agissements d'il y a 20 ans. L'agent n'a aucun moyen de faire rayer cette information de son dossier. Est-ce que je me trompe?

M. Stamatakis : Vous avez raison : la plupart des données ou des dossiers disciplinaires relèvent des diverses lois provinciales régissant les plaintes du public relativement à la police.

Quelques-unes de ces lois contiennent des dispositions de radiation, mais beaucoup n'en prévoient pas. Vous avez absolument raison. Un policier peut avoir commis une faute à sa troisième année de service, puis avoir fait un travail exemplaire durant 20 ans; il n'en demeure pas moins qu'il faudra divulguer son dossier. Je soutiens que là n'était pas l'intention de la Cour suprême. En effet, j'ignore comment on peut affirmer qu'un incident survenu pendant la troisième année de la carrière d'une personne est encore pertinent au bout de 20 ans.

Le sénateur White : Les procureurs de la Couronne se plaignent du temps que met la police à leur soumettre une affaire. Seriez-vous favorable à ce que la Couronne ait accès au système de gestion des dossiers de la police, sur la base du principe du besoin d'accéder, de sorte qu'elle puisse examiner les documents au lieu d'attendre la divulgation par la police?

M. Stamatakis : Oui, j'y serais favorable, dans un contexte approprié. Je crois que certaines provinces ont des systèmes communs qui permettent pareil accès. C'est un autre exemple de mesure proactive qui intègre la Couronne tôt dans le processus dans le but d'éviter des retards par la suite. Je suis donc en faveur de cette idée.

Le sénateur White : Encore une fois, je vous remercie de votre présence.

Le sénateur Baker : Je veux mettre les choses au clair relativement à l'obligation de communication qui découle de la décision dans la cause McNeil. Comme vous l'avez dit, à l'heure actuelle, si des accusations sont portées dans une affaire complexe, la Couronne demande à chaque agent qui a joué un rôle dans l'affaire de produire toute information requise en vertu de l'arrêt McNeil. On peut donc avoir 40 policiers qui doivent fournir leurs dossiers à la Couronne, laquelle décide ce qui s'applique et ce qui ne s'applique pas. Si je comprends bien, vous suggérez que la police soit tenue de respecter l'obligation de communication prévue dans la décision McNeil — rendue par la Cour suprême —, mais uniquement pour les agents qui seront appelés à témoigner durant le procès. C'est bien ce que vous préconisez?

Autrement dit, il n'est pas nécessaire d'appliquer l'ensemble du processus, de retarder la tenue d'un procès et d'examiner les dossiers de 40 policiers qui, comme vous l'avez mentionné, ne participent peut-être même pas à la poursuite engagée contre l'accusé. C'est pourtant ce qui se produit dans de très nombreuses causes, où l'on doit attendre que soient produits et examinés les dossiers d'une vingtaine, voire d'une quarantaine de policiers. Selon vous, seuls les dossiers des policiers directement liés à la poursuite engagée, ceux qui seraient appelés à témoigner, devraient être visés — c'est bien ce que vous dites?

M. Stamatakis : Oui, tout à fait. J'ajouterais même que le contenu du dossier ne devrait être communiqué que si l'inconduite reprochée au policier est grave et pertinente. Si j'étais reconnu coupable d'une infraction donnée — je ne sais pas quel exemple employer...

Le sénateur Baker : Ou si vous aviez fait l'objet d'une plainte.

M. Stamatakis : Pourquoi une infraction qui n'est aucunement liée à une affaire dont est saisi le tribunal et à l'accusé en cause devrait-elle être divulguée? La question ne devrait même pas se poser. Et je tiens à préciser que ce n'est pas la Couronne qui soumet des demandes; la décision de la Cour suprême a créé une obligation de communication pour les services de police.

La sénatrice Batters : De nombreux témoins que nous avons entendus ont parlé du temps nécessaire pour traiter les causes, et Statistique Canada nous a fourni des données concernant la durée de traitement des causes associées à divers types d'infractions en 2013-2014. Au cours de cette année, près de 39 000 accusations pour conduite avec facultés affaiblies ont été portées, et la durée médiane de traitement des causes portées devant les tribunaux était de 141 jours. En raison du nombre phénoménal d'accusations portées et du nombre moyen de jours nécessaires pour régler une cause, on se retrouve à mon avis avec un problème de taille, soit l'engorgement du système causé par les retards judiciaires. En vous fiant à votre expérience, seriez-vous prêt à dire que la conduite avec facultés affaiblies est l'une des principales causes des retards judiciaires au Canada? Ai-je raison de faire ce constat ou y a-t-il quelque chose qui m'échappe?

M. Stamatakis : Je suis entièrement d'accord avec vous. Je crois que c'est le sénateur Baker qui a fait allusion à la complexité croissante des causes liées à la conduite avec facultés affaiblies. Ce ne sont pas nécessairement les faits ou les éléments de preuve qui font qu'elles sont devenues plus complexes. C'est plutôt la façon dont elles sont plaidées devant les tribunaux — l'approche adoptée par les avocats de la défense, où l'on se préoccupe souvent non pas des faits, de ce qui s'est passé, mais des questions de procédure. Voilà ce qui augmente la durée du procès.

La sénatrice Batters : D'accord. Il y a de nombreuses années, un procès pour conduite avec facultés affaiblies durait de deux à trois heures. De nos jours, un tel procès s'étire souvent sur trois ou quatre jours.

Le sénateur Baker : Ou même des années.

La sénatrice Batters : Peut-être, mais je parle des cas où le temps passé devant le tribunal est de trois à quatre jours. Le fait que le temps consacré à de telles causes, qui sont si nombreuses, s'est accru de la sorte entraîne inévitablement un important engorgement du système.

Le sénateur McIntyre : Les policiers utilisent-ils pleinement leurs pouvoirs de mise en liberté d'office dans les cas de sommations, de citations à comparaître, de promesses, d'engagements et autres situations du genre?

M. Stamatakis : D'après mon expérience, oui, ils utilisent ces pouvoirs, peut-être plus maintenant que par le passé.

Le sénateur McIntyre : Pour des affaires mineures, bien sûr.

M. Stamatakis : Oui, bien sûr. Ils ont recours à la mise en liberté d'office avant tout pour des raisons de disponibilité des ressources, mais aussi pour des questions de disponibilité de l'espace, puisqu'il faut disposer d'installations adéquates pour les personnes placées en détention.

D'après mon expérience, si un agent de police a la possibilité de libérer un prévenu, il le fait. À moins qu'il y ait un risque pour la sécurité publique ou que l'infraction risque de se poursuivre, les personnes sont mises en liberté lorsque c'est possible.

Le sénateur Joyal : Monsieur Stamatakis, quels sont les facteurs qui ont incité le gouvernement de la Colombie- Britannique à mener cette étude sur les délais et à faire des recommandations qui semblent avoir eu des retombées concrètes pour le système provincial? Est-ce que c'était les pressions exercées par les forces policières, le public, les juges? Sur quoi s'est-on fondé pour dire que le gouvernement doit intervenir?

M. Stamatakis : Je crois qu'il y a eu un certain nombre de facteurs. Le public et les corps policiers se plaignaient beaucoup des longs délais et de leurs répercussions sur les ressources. On s'inquiétait aussi énormément de la hausse des coûts du système de justice pénale et du fait que celui-ci devenait de plus en plus difficile à gérer. Il y a eu différents facteurs.

Le gouvernement provincial a donc mené de vastes consultations auprès des intervenants, de la population et de divers groupes, ce qui lui a permis de recueillir de nombreux points de vue. Un monsieur dont le nom m'échappe a été nommé pour analyser le tout et formuler des recommandations.

Je crois qu'il reste beaucoup de chemin à parcourir, mais certaines améliorations ont quand même été apportées. La principale amélioration en Colombie-Britannique résulte de l'instauration d'un nouveau régime de réglementation très efficace concernant la conduite avec facultés affaiblies.

Le président : Je vous remercie au nom du comité, monsieur Stamatakis. Vos témoignages sont toujours très utiles dans le cadre de nos travaux, et nous vous en sommes tous très reconnaissants.

Honorables sénateurs, nous accueillons maintenant notre deuxième groupe de témoins. Je souhaite la bienvenue à Raymond Wyant, ancien juge en chef de la Cour provinciale du Manitoba, qui témoignera à titre personnel par vidéoconférence, et à Josh Paterson, directeur général de l'Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique.

Messieurs, soyez les bienvenus. Nous vous remercions de votre présence et de votre contribution à nos délibérations. Si vous le voulez bien, monsieur Wyant, nous commencerons par votre déclaration préliminaire. La parole est à vous.

Raymond Wyant, ancien juge en chef de la Cour provinciale du Manitoba, à titre personnel : Je vous remercie, monsieur le président. Je tiens d'abord à dire que c'est un grand honneur et un privilège pour moi d'être ici, et je remercie le comité de son invitation. Comme je suis encore un juge en exercice, je dois éviter de me prononcer sur toute question de principe ou de nature politique. Je vais donc peser mes mots. Je peux toutefois dire que je considère que l'étude est extrêmement importante. Il y aurait lieu de se pencher sur de nombreux changements qui pourraient être apportés pour réduire les délais et les arriérés qui touchent les cours criminelles. Je ne crois pas que des modifications législatives suffiront à régler le problème. À l'heure actuelle, le temps de traitement des causes augmente, tout comme le nombre de renvois et le temps d'attente avant les procès. Tous ces éléments s'additionnent et contribuent à engorger le système et à causer des arriérés.

Plus de temps il faut pour traiter une cause, moins on peut traiter de causes, de toute évidence. Les retards s'accumulent, et l'arrivée de nouvelles causes ne fait qu'ajouter au problème. On parle du système de justice, mais en réalité, il ne s'agit pas du tout d'un système. C'est plutôt une organisation composée essentiellement d'acteurs farouchement indépendants qui s'affrontent en quelque sorte. Il n'y a pas de directeur général ni d'organigramme qui permettraient d'assurer une certaine reddition de comptes au sein du système. En gros, il s'agit d'un système bâti par les avocats, pour les avocats.

Même si nous n'aimons pas employer le mot « client » pour désigner les personnes qui utilisent notre système, elles sont bel et bien des clients. Nous appartenons au secteur des services. Au fur et à mesure que nous avons bâti notre système, nous y avons intégré de nombreux éléments qui en réduisent l'efficacité. À mon avis, le plus important serait de changer notre façon de faire les choses ainsi que notre culture organisationnelle. Il y a 10 ans, il aurait été impensable que les différents acteurs du système se réunissent et discutent ensemble des améliorations à apporter au système. Je suis heureux de pouvoir dire que, maintenant, grâce à des organisations comme le Comité sur l'efficacité en matière de justice et le symposium national sur la réforme de la justice pénale, des juges, des policiers, des procureurs de la Couronne et des représentants du gouvernement se réunissent, tant à l'échelle locale que nationale, pour discuter de façons dont nous pourrions modifier le système.

Les résultats escomptés ne sont pas toujours au rendez-vous. Certaines entités sont plus progressistes que d'autres. Au bout du compte cependant, nous avons encore de la difficulté à changer la culture organisationnelle et à amener les gens à se réunir pour discuter de solutions communes.

À cette difficulté s'ajoute le fait que nous n'avons pas encore eu de discussion au Canada sur ce que devraient être les objectifs d'un système bien administré. Sans objectifs, il nous est impossible de mesurer le rendement du système. Nous n'avons pas défini pourquoi nous offrons nos services et ce que nous voulons mesurer. Même si certaines parties du système évaluent certains paramètres qui leur sont propres, nous ne mesurons pas le rendement du système dans son ensemble. Cela donne lieu aux problèmes que nous connaissons. Les différents acteurs réclament davantage de financement, mais je n'ai jamais cru qu'il suffisait d'injecter des fonds dans le système pour tout régler.

Je sais que votre étude porte sur différents aspects bien précis, comme les enquêtes préliminaires et la réforme du Code criminel. Dans le peu de temps de parole dont je dispose, du moins pendant ma déclaration préliminaire, je voudrais vous suggérer trois choses à examiner. Deux de ces suggestions pourraient être considérées comme quelque peu radicales et non conventionnelles, mais je crois que c'est le genre de choses que le comité et d'autres intervenants devraient envisager si l'on veut changer le système en profondeur.

Permettez-moi d'établir une analogie avec le système de santé. Lorsqu'une personne se présente à l'urgence d'un hôpital, elle passe par le triage, où le personnel évalue la gravité de son cas. On n'accorde pas la même priorité à une personne qui se présente avec une toux qu'à une autre qui se plaint de douleurs à la poitrine, par exemple. Le tri des patients se fait en fonction du diagnostic que l'on pose, et les ressources sont évidemment affectées aux patients qui en ont le plus besoin. On ne fait pas passer un examen par IRM pour déterminer la cause d'une petite peau qui s'est détachée d'une cuticule.

Dans le système de justice pénale, ce genre de tri est essentiellement absent. Par conséquent, nous déployons toutes les ressources du système, avec la même intensité, pour à peu près tous les genres de causes dont les tribunaux sont saisis. Nous consacrons autant d'énergie à poursuivre l'auteur d'un vol à l'étalage qu'une personne qui a commis un vol qualifié, souvent suivant le principe du premier arrivé, premier servi. C'est la date où l'infraction a été commise qui détermine le moment où la cause sera entendue. En conséquence, nous n'affectons pas nécessairement nos ressources aux causes auxquelles nous devrions accorder la priorité.

Une étude réalisée en Ontario a révélé que 25 p. 100 des causes entendues dans un domaine de compétences donné dans cette province s'étaient soldées par une absolution conditionnelle ou inconditionnelle ou encore par un sursis au prononcé de la peine — des sentences qui soit n'entraînent aucun casier judiciaire, soit imposent uniquement une forme de probation. Pourtant, il a fallu jusqu'à 18 mois pour traiter ces causes et on comptait en moyenne 11 renvois par cause, ce qui représente des coûts astronomiques pour le système et nuit à la capacité de celui-ci de traiter d'autres causes.

Une autre étude réalisée en 2007 a révélé que 63 p. 100 des causes entendues dans 8 des 10 provinces au pays ne s'étaient pas soldées par une peine d'emprisonnement. On parle d'infractions relativement mineures, comme des voies de fait simples, des vols, de la fraude et le défaut de se conformer à une ordonnance d'administration de la cour, tels un manquement aux conditions d'une probation ou l'inobservation d'un engagement. Pourtant, toutes les ressources du système sont affectées à ces causes et on leur accorde autant d'importance qu'à des infractions plus graves.

Les mêmes droits garantis par la Charte et les mêmes droits en matière de divulgation s'appliquent dans toutes ces causes, à juste titre sans doute, mais, compte tenu des ressources limitées dont nous disposons, nous devrions peut-être commencer à penser à établir des priorités selon l'importance que nous voulons accorder aux causes et à utiliser nos ressources de façon efficace.

L'une des suggestions que j'aimerais vous faire est plutôt inédite et peut-être quelque peu radicale. Elle consiste à reconnaître un troisième plaidoyer au Canada. À l'heure actuelle, nous avons le plaidoyer de culpabilité et le plaidoyer de non-culpabilité. Or, s'inspirant de l'ancien droit anglais, certains États américains ont adopté un plaidoyer de non- contestation. Je ne suggère pas que nous instaurions un tel plaidoyer de non-contestation, ni même que nous adoptions la même vision que les Américains, mais nous pourrions envisager de reconnaître un troisième plaidoyer, qui permettrait à une personne d'admettre sa responsabilité à l'égard de certaines infractions de moindre importance, de manière à éviter que sa cause mobilise le système. Par exemple, une personne accusée de vol pour la première fois pourrait plaider la non-contestation plutôt que la culpabilité, ce qui lui éviterait une déclaration de culpabilité au criminel. L'infraction serait simplement consignée et cela finirait là. Dans de tels cas, les prévenus n'auraient pas nécessairement besoin de défendre leur cause parce que l'infraction commise n'entraîne pas de casier judiciaire. Nous pourrions aussi avoir recours à ce genre de plaidoyer pour d'autres types d'infractions mineures, peut-être pour les délinquants vulnérables ou chroniques, de même que pour les personnes qui se retrouvent souvent devant les tribunaux à cause de problèmes de toxicomanie ou de santé mentale. Nous pourrions peut-être définir des situations où un prévenu peut enregistrer un plaidoyer autre qui sera simplement consigné, ou encore enregistrer un plaidoyer autre et se voir imposer certaines conditions à respecter, par exemple.

Bon nombre de ces cas pourraient alors être traités très tôt dans le système sans qu'il soit nécessaire de mobiliser le temps précieux des tribunaux et d'intenter des poursuites avec toute la rigueur de la loi. Selon le régime en place, nous pourrions adapter les cas aux types de délinquants et d'infractions en cause, compte tenu d'une politique publique convenue.

Nous pourrions aussi envisager d'élargir la portée de l'article 810 du Code criminel, qui porte sur l'engagement de ne pas troubler l'ordre public. Nous pourrions examiner les façons de gérer les infractions mineures ou les cas des délinquants qui sont sans abri, qui ont des problèmes de toxicomanie et qui volent de l'alcool pour entretenir leurs dépendances, ou encore qui ne savent pas où ils vont dormir le soir et qui doivent voler de la nourriture pour se maintenir en vie. Plutôt que de les soumettre à toute la rigueur du système, il vaudrait peut-être mieux avoir recours aux autres types d'ordonnances prévus dans le Code criminel qui pourraient leur permettre d'obtenir de l'aide sans avoir à subir toute la rigueur de la loi.

Voilà des exemples de situations qui pourraient se prêter à la présentation de plaidoyers subsidiaires. L'idée, c'est de discuter au pays de la façon dont nous pourrions prioriser l'utilisation de nos ressources, de déterminer quelles sont les personnes que nous devons servir et sur lesquelles nous souhaitons axer nos ressources limitées et d'essayer de faire en sorte que les cas des petits délinquants récidivistes et des personnes vulnérables soient gérés autrement. On dit que les tribunaux ont affaire à trois types de délinquants : les fâchés, les méchants et les tristes. En tant que société, je suis d'avis que nous souhaitons avant tout assurer la sécurité publique. Nous souhaitons certainement gérer les cas des méchants, mais il est peut-être possible de traiter les fâchés et les tristes de manière différente, surtout si les infractions qu'ils commettent ne constituent pas une menace pour la sécurité publique.

Vous pourriez aussi envisager l'idée de mettre sur pied une seule juridiction criminelle de première instance au pays. Il y a plusieurs années, nous avons procédé à l'unification des tribunaux de la famille. Bien que cette idée ne se soit pas concrétisée dans toutes les administrations du pays, nous pensons qu'il est possible d'améliorer l'efficience et l'expertise du système en ayant recours à des juges qui possèdent les compétences requises pour entendre les causes relevant du droit de la famille. Nous pourrions ainsi éliminer les procédures qui font double emploi et régler les cas plus rapidement.

Nous croyons qu'un seul tribunal de première instance, composé d'experts en la matière et de criminalistes, pourrait traiter les cas plus efficacement, ce qui permettrait probablement de réduire le nombre de juges requis et d'éliminer les obstacles les concernant. Le système compte de nombreuses procédures qui font double emploi.

Le fait de devoir passer d'un tribunal à un autre fait augmenter le nombre de cas de détention provisoire. Il me semble qu'il serait bon d'examiner aussi cette question en vue de simplifier le système, de faire des gains d'efficience et d'économiser des ressources.

Je pense que le recours accru aux moyens technologiques pourrait aussi faire l'objet d'étude. Il y a plusieurs années, je me suis rendu à Saint-Pierre-et-Miquelon, un archipel situé au large de Terre-Neuve. J'ai alors remarqué que les autorités avaient recours à un système très élaboré de télévision en circuit fermé afin de tenir des procès en France, notamment à Paris, ainsi que dans de nombreuses anciennes colonies françaises situées un peu partout dans le monde. Les juges pouvaient présider des procès alors que des témoins se trouvaient à des milliers de kilomètres de là, dans un autre pays.

Nous n'en sommes pas encore là au Canada, bien que l'on ait un peu recours à la technologie dans des tribunaux criminels où des témoins ne sont pas convoqués, comme dans le cas peut-être de certaines demandes de cautionnement. En règle générale, nous rejetons toutefois le recours à la technologie comme façon d'utiliser plus efficacement le temps des tribunaux, de réduire les inconvénients que représentent les déplacements pour les témoins et d'autres obstacles du genre, surtout dans les cas où leur témoignage risque peu de soulever la controverse.

Le président : Monsieur le juge, je suis désolé de devoir vous interrompre, mais nous n'avons pas beaucoup de temps. Nul doute que vos commentaires susciteront un certain nombre de questions, et nous espérons que les sénateurs pourront vous les poser. Je regrette, mais nous devons maintenant céder la parole à M. Paterson.

M. Wyant : Je suis désolé d'avoir pris autant de temps.

Josh Paterson, directeur général, Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique : Honorables sénateurs, je vous remercie de m'avoir invité à discuter aujourd'hui avec vous de cette question importante.

D'entrée de jeu, je tiens à vous signaler, monsieur le président, qu'il y a 25 ans, je vous ai servi en tant que page à Queen's Park. Sénateur Baker, il y a 20 ans, je vous ai aussi servi en tant que page à la Chambre des communes. Je suis content de vous retrouver dans un contexte différent bien des années plus tard.

Les questions touchant l'équité dans le système de justice pénale et le milieu policier préoccupent depuis plus de 50 ans l'Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique. En 1963, l'association a publié un rapport sur l'aide juridique en matière pénale. Depuis, elle a rédigé un grand nombre de rapports, elle est intervenue dans de nombreuses affaires devant la Cour suprême et des tribunaux à d'autres paliers et elle a très souvent exercé des pressions sur le gouvernement dans le domaine de l'équité et des procès criminels.

Aujourd'hui, je mettrai l'accent sur quelques aspects du problème des délais sur lesquels nous nous sommes penchés récemment. Je vais d'abord parler de la question des peines minimales obligatoires. Je sais que le comité est bien au fait de la tendance observée ces dernières années en matière de recours accru aux peines minimales obligatoires en vertu du Code criminel.

Après avoir effectué une recherche approfondie, l'Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique a publié il y a tout juste un peu plus d'un an un rapport intitulé More Than We Can Afford : The Costs of Mandatory Minimum Sentencing.

Même s'il a toujours existé au Canada une catégorie d'infractions nécessitant l'imposition de peines obligatoires minimales, nous avons constaté — et c'est évidemment un fait — une prolifération des peines de ce genre. Les peines minimales obligatoires touchent maintenant plus d'infractions que par le passé, ainsi que d'autres types de restrictions, comme celles auxquelles sont assujetties les solutions de rechange à l'incarcération telles que les peines d'emprisonnement avec sursis.

Cette tendance va à l'encontre d'un très grand nombre de recherches portant sur les effets dissuasifs des peines minimales obligatoires. Nous sommes aussi d'avis qu'elle est contraire au principe de la proportionnalité. Votre comité sait bien que la proportionnalité des peines est le principe prépondérant que doivent suivre les juges au moment de déterminer les peines afin que celles-ci ne soient pas trop sévères ou trop clémentes — deux choses qui préoccupent notre association.

Nous sommes d'accord avec le mémoire dans lequel l'Association du Barreau canadien affirme que la prolifération des peines minimales obligatoires et l'élimination des autres types de peines, comme les peines avec sursis, ou l'accès restreint à celles-ci, ont eu pour effet de prolonger les délais tout en réduisant la souplesse du système. C'est très simple : un délinquant sera moins susceptible de plaider coupable à une accusation s'il n'a aucune possibilité de voir sa peine être réduite s'il agit ainsi, et il courra donc le risque de subir un procès. Il s'agit d'un effet évident de cette tendance, sur lequel je n'insisterai pas.

Nous exhortons le comité à tenir compte d'une recommandation voulant que ces questions soient réexaminées alors que le Parlement se penche sur le Code criminel.

Je vais maintenant parler de l'aide juridique. J'ai appris en lisant le hansard que cette question avait déjà été abordée, mais nous sommes d'avis qu'il faut vraiment mettre l'accent là-dessus. En Colombie-Britannique, en dollars de 1995, le financement de l'aide juridique est maintenant 40 p. 100 inférieur à ce qu'il était en 1995, alors que la province compte aujourd'hui une population plus importante. Les taux de criminalité ont bel et bien diminué, mais, comme on vous l'a dit, les procès criminels sont de plus en plus complexes pour toutes sortes de raisons dont il n'est pas nécessaire que je parle ici aujourd'hui.

Par conséquent, les critères d'admissibilité ont été resserrés. En Colombie-Britannique, un particulier ne peut pas bénéficier de l'aide juridique s'il gagne plus de 18 000 $ par année. Les personnes qui font deux ou trois fois ce salaire ont beaucoup de mal à payer les services d'un bon avocat de la défense dans une cause criminelle. La situation est encore pire dans les affaires civiles. Les accusés non représentés sont devenus un véritable problème, non seulement en Colombie-Britannique, mais partout ailleurs au Canada.

Tout récemment, le juge en chef de la Colombie-Britannique — et d'autres rapports du gouvernement portent aussi sur cette question — a affirmé que ce problème mobilise le temps des procureurs de la Couronne, des administrateurs judiciaires et d'autres responsables.

Mme Jennifer Bond, de l'Université d'Ottawa, a publié un excellent article dont je vous recommande la lecture et qui s'intitule The Cost of Canada's Legal Aid Crisis. Dans cet article, Mme Bond aborde directement l'incapacité d'accorder des délais raisonnables aux avocats en raison de l'absence d'une aide juridique suffisante, et ce, pour toutes sortes de raisons. Les tarifs sont soit trop faibles, soit plafonnés. La situation est donc difficile pour de nombreux criminalistes qui sont loin de faire fortune en acceptant ce genre de causes. Ils ne peuvent tout simplement pas se permettre de travailler sur ces affaires.

Des membres mécontents du barreau de l'Ontario et de la Colombie-Britannique se sont mis en grève ou ont exercé des moyens de pression concernant l'aide juridique parce qu'il leur est extrêmement difficile d'accomplir le travail qui leur est confié. Il existe aussi de longs délais administratifs, dont on parle moins. Lorsqu'il y a moins d'argent pour l'aide juridique, il y en a aussi moins pour le système qui est chargé de l'administrer et de fournir de l'aide au moment opportun.

Mme Bond souligne que, en vertu de la Charte, l'État doit offrir les services d'un avocat à certaines personnes accusées au criminel, c'est-à-dire celles qui ne pourraient pas être représentées autrement, et qu'il est nécessaire d'assurer la tenue de procès justes et équitables. Dans ce contexte, l'incapacité de faire cela n'est pas vraiment différente de l'incapacité d'affecter un procureur de la Couronne compétent, de doter adéquatement les tribunaux en personnel et de nommer un nombre suffisant de juges. Il s'agit de l'incapacité de l'État de fournir les ressources qu'il doit affecter pour assurer le bon fonctionnement du système.

Le dernier sujet que j'aimerais aborder — et je pourrai y revenir —, c'est le fait qu'on a entendu parler à maintes reprises — et M. Stamatakis y a fait allusion — de l'innovation dont fait preuve la Colombie-Britannique en utilisant le système administratif, en particulier pour ce qui est des véhicules automobiles.

L'Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique est tout à fait favorable au recours à des solutions de rechange, à des mesures comme celles auxquelles Son Honneur a fait allusion. Elle souhaite qu'on étudie ces solutions pour déterminer s'il existe d'autres façons de faire les choses de manière équitable. Toutefois, nous avons bel et bien des préoccupations, et il convient de mettre en garde le comité contre les provinces qui adoptent des lois qui, à première vue, peuvent sembler de nature pénale, mais qui, en fait, sont de nature réglementaire et administrative. Dans ces cas, l'équité procédurale s'apparente davantage aux procédures administratives et les sanctions ressemblent davantage à celles imposées lors de procédures criminelles.

Pour ce qui est de l'interdiction de conduire, on parle de l'imposition d'amendes sévères et de la suspension du permis de conduire. La Cour suprême a statué qu'en agissant ainsi, on n'empiète pas sur les pouvoirs des provinces. Toutefois, elle a aussi statué que les premières mesures prises par la Colombie-Britannique à cet égard ont constitué un manquement déraisonnable à la Charte. Lorsqu'une personne échoue l'alcootest, qu'elle ne bénéficie pas d'une équité procédurale, qu'elle ne peut immédiatement interjeter appel et qu'elle subit toutes sortes de problèmes de nature procédurale, on parle d'un cas de fouille, de perquisition ou de saisie abusive en vertu de la Charte. Le gouvernement de la Colombie-Britannique a donc dû apporter certains changements.

Je dis donc que vous devez faire preuve de prudence. Si vous formulez une recommandation à l'égard de ces questions, je vous incite ardemment à recommander qu'on examine l'équité procédurale. La rapidité administrative est une question importante, mais il est essentiel d'assurer le respect des droits garantis par la Charte.

Je terminerai mes observations là-dessus. Je suis prêt à répondre à vos questions.

Le président : Merci beaucoup. Nous allons commencer par la vice-présidente du comité, la sénatrice Jaffer.

La sénatrice Jaffer : Mes premières questions s'adressent à vous, monsieur Paterson. Le témoin précédent — que vous avez décrit comme un ami de la Colombie-Britannique, de l'Association canadienne des policiers — m'a laissée très perplexe en parlant des contre-interrogatoires. Il a parlé de la modernisation des règles de procédure afin de permettre aux policiers de présenter des déclarations écrites dans certains procès.

Pour être juste, lorsque je l'ai interrogé, il parlait de questions secondaires, et non du cœur même de l'affaire. Toutefois, compte tenu de l'exemple qu'il m'a présenté, j'aurais aimé lui poser beaucoup de questions concernant le contre-interrogatoire. Par exemple, il a dit qu'il suffirait qu'une personne dise qu'il s'agit bel et bien de l'intéressé, qu'elle identifie celui-ci et qu'elle inscrive cette information dans un affidavit. Je résume simplement ses propos.

Mes préoccupations portent sur le contre-interrogatoire et la présentation d'affidavits dans des affaires criminelles. Avez-vous réfléchi à cela? Qu'en pensez-vous?

M. Paterson : Eh bien, les membres du comité ne seront peut-être pas étonnés d'apprendre qu'une organisation de défense des libertés civiles est très inquiète lorsqu'il est question de restreindre les contre-interrogatoires et lorsque, dans des procédures criminelles, les défenseurs voient leur capacité de contre-interroger les témoins de l'État être limitée. Nous ne prétendons toutefois pas que cette pratique devrait être proscrite dans toutes les circonstances. Les intervenants du monde de la procédure civile et des procès civils savent bien qu'on peut faire beaucoup de choses à l'aide d'affidavits. Si l'on souhaite contre-interroger une personne, on peut la convoquer.

Aujourd'hui, je ne peux pas élaborer la politique de l'Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique au nom de son conseil d'administration; il s'agit d'une responsabilité qui lui incombe. J'aimerais simplement dire que nous sommes très préoccupés par la proposition de restreindre la capacité de contre-interroger des témoins de l'État, et ce, même au sujet de questions secondaires. Je parle simplement en mon nom, en réponse à votre question, sénatrice. Il y aurait peut-être lieu de commencer à appliquer cette pratique à certaines questions secondaires — comme M. Stamatakis et vous l'avez dit —, mais il faut que les défendeurs aient la possibilité d'aller au-delà des affidavits et de contre-interroger les témoins, si nécessaire.

La sénatrice Jaffer : Monsieur le juge, merci beaucoup de votre présence. Vos propos sont très intéressants et nous allons y réfléchir, c'est certain.

Ce que vous avez dit au sujet des « vrais criminels » et des « prisonniers dépressifs ou ayant des troubles psychologiques » m'intéresse particulièrement, et je veux être certaine de bien vous avoir compris. Vous dites que le triage devrait être réservé aux vrais criminels et qu'il faudrait s'occuper ailleurs des cas de prisonniers dépressifs ou ayant des troubles psychologiques. C'est bien cela?

M. Wyant : Oui, madame la sénatrice, selon la nature de l'infraction, évidemment, parce qu'il ne faut pas tenir seulement compte du délinquant, mais aussi de l'infraction qu'il aurait commise. Si l'infraction est particulièrement grave, on ne peut pas l'excuser en prétextant que le délinquant était peut-être dépressif ou qu'il avait des troubles de santé mentale, sauf dans les cas où les troubles psychologiques sont si graves qu'ils peuvent servir de défense.

Beaucoup de gens qui comparaissent en justice ont manqué de bien des choses dans leur vie, ou alors ce sont des toxicomanes, des sans-abri, des analphabètes ou des gens ayant des troubles connexes de santé mentale, et les problèmes de ces gens les ont amenés à avoir des démêlés avec la justice. En fait, beaucoup d'infractions sont relativement mineures et découlent des problèmes dont souffrent ceux qui les commettent. Il semble souvent que ces gens sont jugés avec toute la rigueur de la loi alors qu'une approche thérapeutique et holistique conviendrait beaucoup mieux. L'intervention d'organismes sociaux ou gouvernementaux, notamment en matière de santé ou de santé mentale, serait plus efficace que les simples poursuites au criminel, car 18 mois après l'infraction, les délinquants se retrouvent avec une ordonnance pendant laquelle on espère qu'ils se comporteront mieux, mais qu'ils ne respecteront probablement pas à cause des problèmes qu'ils doivent surmonter. Il me semble que nous pourrions faire preuve de beaucoup plus de créativité pour aider ces gens et améliorer la sécurité publique; nous devrions d'ailleurs consacrer des ressources considérables aux cas de ce genre et à ces gens, dont nous devrions nous occuper davantage.

Le sénateur McIntyre : Je vous remercie tous les deux de vos déclarations. Monsieur le juge Wyant, je suis d'accord avec vous. Certains délits mineurs ne devraient pas faire l'objet de procédures pénales en bonne et due forme. On pourrait considérer certaines infractions comme des manquements ou des questions administratives. Je vous remercie de votre déclaration.

Monsieur Paterson, votre association a publié un rapport il y a quelques années. En fait, elle a publié beaucoup de rapports, mais je parle de celui qui a été publié il y a quelques années et qui s'intitule Justice Denied, ce qu'on pourrait traduire par « Déni de justice ». J'en ai ici un exemplaire.

Dans ce rapport, votre association dresse la liste de ce qui va et de ce qui ne va pas dans le système judiciaire et recommande des mesures à prendre. Notre étude porte sur les délais dans le système de justice pénale. À la lumière de ce rapport, quels sont les principaux éléments qui ralentissent le système pénal canadien? S'agit-il d'un mélange de ce qui ne va pas et de ce qui devrait être fait pour éviter les retards administratifs?

M. Paterson : Comme vous l'avez entendu, il s'agit sans doute d'un mélange. Ni mes connaissances ni celles de l'Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique ne me permettent de dire ce qui fait défaut dans les différentes régions du Canada. Nous avons étudié en profondeur le système judiciaire de la Colombie-Britannique et avons produit ce rapport à partir de là.

Selon moi, il vaudrait la peine de se pencher sur le fait que — et je sais qu'on vous en a déjà parlé —, en Colombie- Britannique et, bien sûr, au Nouveau-Brunswick et au Québec, c'est la Couronne qui procède aux mises en accusation. Avec tout le respect que nous devons aux anciens policiers qui sont parmi nous, nous estimons qu'il est tout à fait logique que ces décisions soient prises par la Couronne.

En Colombie-Britannique, le critère est assez rigoureux. Il doit y avoir une forte probabilité de déclaration de culpabilité et la mise en accusation doit être dans l'intérêt de la population. Il ne faut pas répondre à l'un ou l'autre des aspects, mais aux deux. C'est ce que la Couronne doit décider chaque fois.

En Colombie-Britannique, le taux de déclaration de culpabilité est supérieur à ce qu'il était, ce qui laisse entendre une meilleure utilisation du temps des tribunaux. Le rapport en fait d'ailleurs état. Je ne suis pas en train de dire que la raison d'être des tribunaux soit de condamner des gens. Leur rôle consiste évidemment à rechercher la vérité et à rendre justice. Ces mesures semblent avoir une certaine efficacité. Nous estimons donc qu'elles sont judicieuses.

Il est aussi question dans le rapport de l'incidence de la santé mentale et des maladies mentales sur le système judiciaire. Au moment de la rédaction du rapport, le service de police de Vancouver estimait qu'environ 31 p. 100 des appels reçus mettaient en cause des gens ayant des troubles psychologiques. Au total, 29 p. 100 des personnes détenues dans les prisons provinciales de la Colombie-Britannique avaient des troubles psychologiques; de plus, les statistiques les plus récentes du Bureau de l'enquêteur correctionnel confirmaient que la situation était la même dans le système correctionnel fédéral.

Nous recommandions dans ce rapport — et nous recommandons toujours — d'affecter des fonds aux services communautaires en santé mentale à l'extérieur du système pénal; à l'intérieur du système pénal, il faudrait consacrer davantage de fonds aux autres solutions et mesures dont Son Honneur a parlé, qu'il s'agisse d'augmenter le nombre d'intervenants en santé mentale, de créer des programmes de déjudiciarisation ou d'offrir plus de services.

Les gens nous ont notamment dit que, même lorsque des programmes de déjudiciarisation sont offerts, les ressources sont concrètement insuffisantes pour s'occuper de toutes les personnes qui en ont besoin. Il faut réfléchir sérieusement à la façon dont notre société soutient ces services.

Le sénateur McIntyre : Il va sans dire que beaucoup de gens qui ont des troubles psychologiques se retrouvent dans un autre système, c'est-à-dire qu'ils sont inaptes à subir un procès ou, s'ils sont aptes à le subir, sont reconnus non criminellement responsables pour cause de troubles mentaux. Leur dossier est alors confié à la commission d'examen de leur province.

M. Paterson : Oui, c'est exact.

Le sénateur Baker : Je remercie les témoins de leur témoignage et je vous remercie plus particulièrement, monsieur le juge, parce que vous êtes juge en exercice. Nous sommes reconnaissants de votre témoignage, de vos idées qui sortent des sentiers battus et de vos trois principales recommandations. Nous allons les examiner très attentivement.

Je dois dire, avant de poser ma question, que j'admire les décisions que vous avez rendues au fil des ans, celles dont on a parlé. Vous êtes un rédacteur accompli, excellent même, et vous avez rendu des décisions comme nous voulons tous qu'elles soient rendues.

Vous avez aussi été avocat de la défense, procureur de la Couronne et juge en chef. En outre, vous avez récemment conseillé un autre pays quant à la façon de mettre sur pied son système judiciaire. Par conséquent, vous vous y connaissez. Vous avez tout fait. Voici ma question qui, je crois, ne porte pas sur ce que vous avez dit : les différentes provinces du Canada ont presque toutes leur façon d'éviter de faire perdre du temps aux juges, aux tribunaux et aux institutions. Ici, en Ontario, les juges de paix ne font pas que délivrer des mandats; ils siègent aussi au tribunal des cautionnements. Ce n'est pas ce qui se fait dans ma province; ce sont les juges qui exercent cette fonction. Dans les tribunaux fédéraux, les protonotaires s'occupent de certaines choses, ce qui libère du temps précieux pour les tribunaux et les juges. La principale question, qui se rapporte au paragraphe 11b) de la Charte, concerne les retards causés par les représentants des institutions judiciaires et étatiques, autrement dit les policiers et la Couronne.

Avez-vous des choses à nous suggérer pour la rédaction de notre rapport, des idées pour que toutes les provinces disposent des mêmes ressources pour faire gagner du temps aux juges et aux tribunaux en déléguant certains actes actuellement réservés aux juges?

M. Wyant : Premièrement, je vous remercie de vos commentaires, sénateur. Oui, j'ai des suggestions à vous faire, et c'est avec beaucoup de fierté que j'attirerai votre attention sur ma province, le Manitoba. Nous avons procédé à des réformes importantes au milieu des années 2000. C'est ainsi que le projet de gestion en amont et en aval des cas de violence familiale a vu le jour, en 2003. Nous avons regardé les causes dont nous étions saisis et nous nous sommes aperçus que les causes de violence familiale prenaient un temps anormalement long à traiter : plus de 15 ou 18 mois seulement pour établir la date du procès. Souvent, un prévenu pouvait demeurer en détention préventive durant 6 ou 9 mois. Nous avons dénombré 12 ou 15 détentions préventives, à l'époque, et nous estimions qu'il était temps que le système s'interroge sur la manière dont il traitait ces cas. Nous avons alors constaté qu'il arrivait qu'un juge passe 4 ou 5 heures en cour à ne rien faire d'utile et à être payé des sommes considérables pour, essentiellement, approuver les yeux fermés les demandes de détention provisoire ou d'ajournement qu'on lui soumettait.

Voici, très brièvement, ce que nous avons fait. Nous avons créé une procédure administrative qui nous permettait de dire ceci aux policiers et aux avocats : « Nous comprenons que vous avez un travail à faire, que vous devez mener vos enquêtes et faire vos démarches juridiques avant que le tribunal puisse entendre une cause, mais vous n'avez pas besoin de vous adresser chaque fois au tribunal et de faire perdre son temps au juge et au greffier pour sans cesse ajourner, ajourner, ajourner — et c'est sans parler des coûts associés à toutes ces étapes. Nous allons plutôt vous allouer un laps de temps X — qui variera selon la nature et la complexité de la cause — pour faire ce que vous avez à faire. Maintenant, vaquez à vos affaires. Vous n'avez pas besoin de vous présenter devant le tribunal. Voici plutôt le calendrier que nous allons suivre, et voici la date à laquelle vous devrez être prêts à poursuivre. » Nous avons ainsi libéré un grand nombre de tribunaux qui n'instruisaient plus de procès parce qu'ils étaient en quelque sorte devenus des tribunaux spécialisés dans les demandes de détention préventive. Sans injecter la moindre ressource et grâce à un simple effort de bonne volonté, nous avons fait passer de 18 à 6 mois le temps d'attente pour les procès de violence familiale. Nous avons éliminé les inutiles tribunaux qui s'étaient pour ainsi dire spécialisés dans les demandes de détention préventive et donné aux juges plus de temps pour se consacrer aux choses utiles, comme les sentences, les demandes de libération sous caution, les procès, les enquêtes préliminaires. Et tout cela sans injecter de ressources. Voilà pourquoi nous avons gagné plusieurs prix, au Canada et à l'étranger. C'est pourtant tout simple, à mon avis. Il fallait simplement que toutes les parties intéressées y mettent du leur et qu'elles reconnaissent, d'une part, qu'il y avait un problème et, d'autre part, qu'il était dans l'intérêt public de rendre le système plus efficace. Nous avons ensuite étendu notre démarche à d'autres secteurs.

Il ressort de tout cela une façon de faire davantage axée sur la collaboration. L'Alberta a adopté notre modèle, tout comme la Colombie-Britannique et d'autres administrations. Nous avons changé la culture, c'est certain, en incitant les gens à prendre sur eux le bon fonctionnement du système. Les juges, surtout — parce qu'on considère qu'ils sont à la tête du système —, ont donné l'exemple en modifiant les pratiques administratives des tribunaux.

Personnellement, je suis convaincu que cette façon de faire peut être reproduite à l'échelle locale et provinciale. Il suffit d'un changement radical d'attitude et de culture. Beaucoup d'autres provinces et administrations sont très portées sur les litiges. Les avocats ne s'entendent pas toujours entre eux. Selon moi, tout le monde doit y mettre du sien, et pour que la culture change, il faut que les juges donnent l'exemple, parce qu'on parle après tout de fonds publics. La population nous a confié le mandat d'instruire ces causes, comme le soulignait M. Paterson, selon les principes de la primauté du droit et dans le cadre de procès équitables, mais personnellement, j'ai l'impression qu'on tombe souvent dans le déni de justice en faisant tellement traîner les procédures qu'il arrive parfois qu'un procès s'effondre de lui- même. Alors oui, il y a moyen de trouver des solutions qui ne requièrent pas nécessairement de changements législatifs, tant que toutes les personnes concernées acceptent de se retrousser les manches.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Ma question s'adresse au juge Wyant.

J'aimerais que vous nous parliez des témoins experts. D'expérience, je puis vous dire que pour chaque partie qui amène son témoin expert, celui-ci dira ce que cette partie veut bien entendre, parce qu'elle l'a embauché dans cette optique. Sinon, il ne serait pas appelé à témoigner. Or, dans certains dossiers, les témoins experts prennent beaucoup de place, ce qui a pour effet de prolonger les retards.

Quelle est votre opinion de la situation de l'utilisation des témoins experts? Auriez-vous des suggestions à donner pour améliorer le système tout en respectant les droits de l'accusé? J'ai comme l'impression, et nous l'avons vu dans certains procès au Québec, que les témoins experts ont fait perdre de la crédibilité au système de justice.

[Traduction]

M. Wyant : Certainement. On assiste souvent à une bataille de témoins experts — vous avez absolument raison, sénateur — où une partie oppose ses propres experts en rapport à ceux de l'autre. D'aucuns considèrent qu'il serait possible de régler la question différemment, en rendant les témoins experts beaucoup plus indépendants qu'ils ne le sont à l'heure actuelle. Car pour le moment, ils font tout ce que veut bien la partie qui les engage.

Il s'agit bien évidemment d'un problème. Toutefois, vous devez reconnaître — et nous le reconnaissons tous — que les gens doivent avoir accès à une défense pleine et entière. Mais il y a un autre problème que j'ai observé dans les tribunaux. Bien souvent nous n'examinons pas suffisamment les qualifications des personnes qui se présentent comme des témoins experts. Nous sommes des avocats. Nous ne sommes pas nécessairement des experts judiciaires, des médecins ou des spécialistes de la fission nucléaire. Il arrive souvent qu'une personne se présente avec un curriculum vitae comportant de très nombreuses pages, affirmant être expert dans un certain domaine. Bien franchement, il est très difficile de s'opposer à la notion qu'elle est un expert, car elle est présentée comme tel. Bien souvent, l'avocat ne parvient pas à interroger ou contre-interroger adéquatement la personne, de manière à vérifier son expertise dans le domaine pour lequel on lui demande de donner un témoignage d'expert. Il est fréquent qu'une personne donne un témoignage d'expert alors qu'elle n'a pas nécessairement d'expertise dans un domaine particulier; elle n'est pas spécialisée. Il n'est pas rare que cela sème la confusion et mène à des décisions qui ne sont pas forcément correctes. En vérité, nous avons tous la responsabilité d'être beaucoup plus vigilants à l'égard des qualifications des experts afin de nous assurer de cerner leur domaine d'expertise.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Monsieur Paterson, nous sommes ici pour parler des retards qui causent des préjudices aux victimes, autant qu'aux accusés. On met beaucoup d'accent, dans les cours de justice, sur les droits individuels, et ceux- ci sont souvent mis en cause. Jusqu'à quel point cet aspect entraîne-t-il des retards judiciaires aujourd'hui? Lorsqu'on invoque les droits individuels, cela peut-il entraîner des retards? Si oui, jusqu'à quel point?

[Traduction]

M. Paterson : Il est certain qu'une affaire où l'on invoque des arguments fondés sur la Charte prendra plus de temps qu'une affaire où l'on cherche simplement à établir l'innocence ou la culpabilité sans vraiment invoquer d'arguments fondés sur la Charte.

Si un accusé et son avocat soulèvent des questions liées à la Charte qui sont pertinentes dans le cadre du procès, nous ne considérerons pas qu'il s'agit d'un retard, car nous parlons alors de justice. C'est le système de justice pénale.

Il y a peut-être moyen d'accélérer ou de modifier les façons de faire. Cela variera d'une province à l'autre et dépendra des différentes pratiques dans les différents tribunaux. Je ne serais pas prêt à dire que la défense des droits de personne au sein du système est la cause des retards. Le retard de quoi? Le résultat dépend d'une évaluation visant à déterminer s'il y a eu violation des droits de la personne, et ainsi de suite. Il s'agit donc simplement de faire le travail.

Nous savons que des gens ont exprimé des préoccupations par le passé — même des juges participant à des conférences. Je sais que cela a fait partie de témoignages, notamment. Le juge Lesage et d'autres personnes en ont parlé, brièvement, et se sont demandé si des requêtes frivoles avaient été présentées. Je ne peux dire, de manière empirique, à quelle fréquence cela se produit. Nul doute que certains avocats font parfois valoir un argument plutôt mince qui n'a pas grand mérite; ils en ont parfaitement le droit. D'autres — je n'accuse personne — le font peut-être avec un peu moins de sagesse.

Nous nous montrerions habituellement très prudents à l'idée de restreindre le recours de la partie défenderesse à ce genre d'arguments en raison de préoccupations liées à des lenteurs administratives.

Le sénateur Joyal : Monsieur le juge Wyant, je vous remercie d'avoir accepté notre invitation à comparaître à titre de témoin dans le cadre de cette étude, surtout parce que vous êtes juge en chef.

Nous avons entendu régulièrement des commentaires provenant de sources variées, de témoins et même de l'opinion publique. Avant votre témoignage, j'ai eu l'occasion de lire un éditorial publié dans un journal de Montréal lundi. Nous avons entendu le témoignage du représentant de l'Association des policiers, M. Stamatakis. Je vais lire une phrase de son exposé, car celle-ci résume la préoccupation générale manifestée par bien des gens qui ont affaire au système judiciaire à l'égard de la conduite des juges et de leur responsabilité de gérer les procès. Il a dit que le « comité voudra peut-être recommander dans son rapport que les juges soient chargés d'exercer un meilleur contrôle dans leurs propres salles d'audience ».

Les gens pensent qu'un avocat n'a qu'à se présenter devant un juge et à déclarer : « Je demande un report, car je n'ai pas eu le temps d'examiner le dossier » ou « J'ai été appelé dans le cadre d'un autre procès. » Vous connaissez la panoplie d'arguments pouvant être présentés à un juge pour demander le report d'une affaire. Là où je veux en venir, c'est que vous êtes juge en chef. Quelle est votre attitude? Que pensez-vous de la recommandation selon laquelle les juges devraient faire preuve de plus de discipline dans l'établissement et le respect du calendrier, quitte à l'imposer aux parties s'ils ont l'impression qu'il y a de l'abus?

Autrement dit, les gens s'attendent à une meilleure gestion des affaires judiciaires de la part des juges. Comment réagissez-vous à cela?

M. Wyant : Je vais parler à titre personnel, car je vais probablement m'avancer un peu plus que je ne le devrais. De manière générale, je suis d'accord avec l'affirmation. Je crois qu'il est vrai que pendant de nombreuses années — dans certaines affaires — les juges n'ont pas contrôlé le déroulement de l'instance aussi efficacement qu'ils l'auraient dû. Je suis d'accord avec le commentaire de manière générale, mais je ne critique aucun juge en particulier. À mon avis, il y a des situations où il incombe au juge de se montrer exigeant envers les avocats, en obligeant ceux-ci à respecter les délais et à présenter des motifs légitimes dans le cas d'un report, par exemple, au lieu de dire automatiquement : « D'accord, je vous accorde le report »; le juge se doit d'examiner les questions d'un œil particulièrement critique.

J'ai déjà indiqué qu'au fil des ans, les juges semblent s'être beaucoup adoucis — ils sont du moins beaucoup plus affables et gentils que ne l'était la majorité de ceux auxquels j'avais affaire lorsque j'étais jeune avocat. Il faut naturellement protéger les droits des personnes. Toutefois, je dirais que, règle générale, les juges doivent contrôler le déroulement de l'instance dans la salle d'audience, faire en sorte que l'avocat respecte les règles de procédure et que ces dernières sont claires et appliquées avec transparence. Je crois que dans l'ensemble, les juges, dans l'exercice de leur profession, pourraient beaucoup mieux gérer le fonctionnement des tribunaux.

Le sénateur Joyal : Monsieur Paterson, vous parlez des peines minimales obligatoires ajoutées au Code criminel au cours des dernières années, mais je voudrais vous poser une question dans une perspective plus large.

Diriez-vous que, ces dernières années — et je ne donne pas le nombre d'années pour ne pas laisser entendre qu'il s'agit d'un gouvernement en particulier —, les modifications apportées au Code criminel par le Parlement ont eu pour effet d'ajouter sans cesse des couches au Code criminel? Pensez-vous que le droit criminel aujourd'hui très complexe peut contribuer aux retards que nous constatons dans l'ensemble du système? Et, par conséquent, n'est-il pas temps de réviser le Code criminel et de le simplifier?

M. Paterson : Merci pour votre question, sénateur. En ce qui concerne la première partie de votre question, y répondre m'obligerait certainement à faire des suppositions parce que je n'ai pas fait de travaux de recherche personnellement pour déterminer si la multitude de modifications apportées au fil des ans constitue en soi un facteur, qui aurait un effet distinct, par exemple, de l'effet des peines minimales obligatoires dont j'ai parlé. J'ose imaginer toutefois que la croissance du nombre de dispositions au fil du temps, en réaction à des problèmes particuliers qui se posent dans la société, est probablement de nature à compliquer passablement les choses. Il ne fait aucun doute que nous devrions exhorter le Parlement et le présent comité à recommander une révision complète du Code criminel, comme il n'y en a pas eu depuis les années 1960, je crois. Une révision a peut-être eu lieu dans les années 1980. Je n'étais encore qu'un enfant à l'époque, alors excusez-moi de ne pas me rappeler des dates exactes. Mais je pense qu'effectivement, il y a longtemps qu'une telle révision aurait dû avoir lieu, car beaucoup de dispositions ne sont pas bien harmonisées les unes avec les autres. Et comment pourraient-elles l'être? En tout respect pour les législateurs, il est difficile pour eux de conserver, au fil du temps, une bonne vue d'ensemble d'une loi aussi volumineuse lorsque leur travail exige qu'ils concentrent leur attention sur des dispositions bien précises. Je pense que le Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes a inclus une telle révision dans son plan de travail.

Le sénateur White : Merci beaucoup. Merci à vous deux d'être présents avec nous. Je suis très heureux de vous voir, monsieur le juge Wyant. Ma question concerne la toxicomanie et la santé mentale. Vous nous avez parlé brièvement des délinquants qui ont un problème de toxicomanie, un problème de santé mentale ou un autre problème connexe, qui viennent comparaître devant vous et que vous voyiez aussi dans les tribunaux avant de devenir juge.

Certains modèles mis en œuvre dans des pays nordiques prévoient une intervention précoce, comme vous l'avez indiqué tout à l'heure. Le délinquant a le choix de suivre un traitement plutôt que de subir un procès et de risquer l'incarcération. À Ottawa, plus de 800 adolescents ont suivi un traitement de désintoxication au cours des six dernières années. Ils avaient presque tous été impliqués dans des activités criminelles avant le traitement, et presque aucun ne l'a été depuis. Seriez-vous favorable également à l'idée d'offrir cette option aux délinquants, en particulier lorsque le problème vient surtout du manque d'accès aux traitements de désintoxication plutôt que d'un penchant pour la criminalité typique des « méchants », comme vous dites?

M. Wyant : Je suis tout à fait pour l'idée d'offrir au délinquant l'option de ne pas passer par le système de justice pénale lorsque ce genre de solution peut être appropriée, sénateur. Il vaut beaucoup mieux, autant que possible, opter pour une thérapie et des services complets si ces solutions permettent de réduire le plus possible le risque que les délinquants représentent pour eux-mêmes et pour la société. Pour beaucoup de délinquants, le système de justice pénale est essentiellement l'équivalent d'un petit pansement qu'on mettrait sur un cancer. Au bout de plusieurs mois, ils sont envoyés dans un milieu qui n'a rien à voir avec l'aide dont ils auraient un besoin urgent.

La Ville d'Ottawa a déployé des efforts de prévention considérables avec ses équipes de traitement communautaire dynamique et ses travailleurs spécialisés en santé mentale qui interviennent avec le service de police. Les mesures de ce genre réduisent la criminalité et le récidivisme. Elles permettent de gérer chaque cas avec les méthodes qui conviennent. Le modèle HUB de la Saskatchewan est, lui aussi, très efficace pour repérer les personnes qui auraient besoin d'un traitement avant qu'elles ne se retrouvent dans le système. Cela ne signifie pas que nous devions exclure tout le monde du système, mais nous pouvons certainement y réduire le nombre de délinquants. Donc, ce sont des programmes qui méritent certainement que nous nous y intéressions.

Le sénateur White : Savez-vous quel est le délai d'attente au Manitoba pour suivre une cure de désintoxication en établissement?

M. Wyant : Non, je ne connais pas exactement le délai d'attente. Cependant, des organismes manitobains fournissent des traitements de désintoxication en établissement aux personnes inculpées qui souhaitent bénéficier d'une mise en liberté provisoire. Le délai d'attente est de plusieurs semaines pour pouvoir commencer le programme de traitement lorsqu'une personne y est admise et que le juge donne son accord. Le nombre de lits disponibles pour ce genre de programme est minime dans ma province et probablement ailleurs aussi.

Au cours de ma carrière, j'ai pu constater l'absence et la pénurie de solutions de rechange communautaires à l'incarcération. Les ressources ne sont pas disponibles ou ne sont pas adéquatement financées, en particulier dans le cas des demandes de mise en liberté provisoire, pour qu'on puisse vraiment offrir des solutions de rechange aux gens. Nous devrions certainement examiner cette question de nouveau, de manière à pouvoir employer d'autres méthodes que l'incarcération lorsque c'est souhaitable.

Le sénateur White : À titre d'information, monsieur le président, je vous signale que le délai d'attente est de six mois en Ontario.

La sénatrice Fraser : Merci à tous les deux pour vos présentations très intéressantes. Monsieur le juge Wyant, je vous ai écouté avec grand intérêt nous décrire les changements de culture qui se sont produits rapidement dans le système manitobain, semble-t-il.

Une chose me laisse toutefois perplexe. Quelle formation reçoit-on lorsqu'on est nommé juge ou, à plus forte raison, juge en chef? Quelle formation le juge reçoit-il normalement non pas en matière juridique, mais dans le domaine de l'administration, de la gestion et du traitement de ces problèmes?

M. Wyant : Aucune formation officielle n'est fournie, madame la sénatrice. Il serait également important de se pencher sur cette question. Essentiellement, lorsqu'une personne est nommée juge en chef, c'est en raison de ses connaissances et de son expertise dans le domaine du droit, espérons-le. Il n'est écrit nulle part que cette personne doit posséder de l'expérience en administration, en gestion des ressources humaines, voire en comptabilité.

J'ai eu la chance de pouvoir suivre des cours en administration publique, alors je savais que j'avais au moins une certaine formation dans le domaine. Mais il n'y a aucune exigence à cet égard.

Une fois qu'une personne est nommée juge en chef, elle n'est pas tenue officiellement de suivre des cours obligatoires qui seraient prescrits. L'Institut national de la magistrature offre certains cours. Bon nombre de juges en chef se réunissent tous les deux ou trois ans pour parler des problèmes qui leur sont propres. Mais, franchement, aucune formation spécialisée n'est exigée ou offerte, et il revient au juge d'en suivre une s'il le souhaite.

Un juge en chef dirige une grosse entité judiciaire qui engloutit beaucoup de deniers publics. Il doit administrer cet argent. Il a d'importants problèmes de gestion des ressources humaines, qui sont d'autant plus importants que, lorsqu'il s'agit de juges, ceux-ci rappellent quotidiennement au juge en chef qui leur demande ceci ou cela qu'ils jouissent de l'indépendance de la magistrature. Le juge en chef qui n'a ni les capacités, ni la formation, ni la possibilité d'en obtenir rencontre de grosses difficultés, alors je crois qu'il est important d'avoir ce qu'il faut.

Je suis d'avis que limiter la durée du mandat des juges en chef dans les tribunaux provinciaux est une bonne idée, même si elle ne me plaît pas sur le plan personnel. Le juge en chef peut ainsi avoir un programme, avec des buts et des objectifs à atteindre dans un certain laps de temps. Les changements de garde au sommet de la pyramide sont importants dans n'importe quelle organisation, quelles que soient les qualités du dirigeant ou sa popularité au sein du personnel. Il est toujours bon de changer d'orientation de temps à autre.

Mais il y a certainement un problème. On ne sait jamais à quoi s'attendre. Parfois, le juge en chef s'avère excellent en administration, parfois il ne s'y intéresse pas ou n'a pas la capacité de bien administrer.

La sénatrice Batters : Monsieur le juge Wyant, corrigez-moi si j'ai tort, mais j'ai cru comprendre, lorsque le sénateur Baker énumérait toutes vos belles qualités, que vous étiez originaire de la Saskatchewan.

M. Wyant : De la Saskatchewan. J'ai encore de la famille là-bas.

La sénatrice Batters : Effectivement, c'est le cas. Votre frère, Gordon Wyant, est le ministre de la Justice de la Saskatchewan. Le sénateur Plett a mentionné que le Manitoba était mieux, mais c'est tout à fait inexact.

Merci à tous les deux d'être avec nous aujourd'hui.

Monsieur le juge Wyant, dites-nous, au sujet des provinces et des territoires, vous avez indiqué qu'à certains endroits, on avait opté pour des moyens plus progressistes de réduire les délais dans le système judiciaire. Pourriez-vous nous indiquer deux ou trois provinces ou territoires ayant des programmes novateurs qui mériteraient un examen un peu plus approfondi de notre part, au cours de notre étude?

M. Wyant : En fait, je crois que la Saskatchewan est probablement parmi les provinces les plus progressistes, et je ne le dis pas parce que...

Des voix : Oh, oh!

Le sénateur White : Voyons donc.

M. Wyant : Il se passe des choses formidables en Saskatchewan. Dale McPhee, l'ancien chef de police de Prince Albert qui travaille maintenant dans l'administration provinciale, ainsi que d'autres personnes sont en train de réaliser des changements formidables. J'ai le privilège de faire partie d'un comité consultatif d'experts formé par le ministère de la Justice de la Saskatchewan. Ce comité réunit des personnes d'un peu partout en Amérique du Nord qui sont en mesure de conseiller les décideurs au sujet des concepts de pointe dérivés des modèles HUB et COR de la Saskatchewan.

Il y a des progrès intéressants dans toutes les provinces et tous les territoires, mais la Saskatchewan est en tête de peloton selon moi.

L'un des problèmes que nous avons au pays, en outre, est l'absence d'un grand réseau pour échanger sur les réussites et les pratiques exemplaires. Ce qui se passe d'intéressant à l'échelle locale ou à l'échelle d'une province n'est pas connu ailleurs au pays parce que nous n'avons pas d'échanges au sujet de ces pratiques souhaitables. Nous devons mieux faire connaître, de manière organisée, ce qui se passe dans certaines provinces. D'autres provinces ou territoires observent les changements effectués en Saskatchewan, et il est à souhaiter qu'ils adoptent les mêmes idées.

La sénatrice Batters : Je serais prête à continuer, mais j'aurais peine à imaginer une meilleure conclusion que celle-là. Alors, merci beaucoup.

Le président : Au nom du comité, je veux vous remercier tous les deux, messieurs, d'avoir témoigné aujourd'hui et d'avoir fait une contribution à nos délibérations sur cet important sujet. Monsieur le juge Wyant, je vous adresse des remerciements bien particuliers. Vous êtes le premier juge à avoir accepté de témoigner devant nous. Je suis assez certain que vous ne vous êtes pas mis dans le pétrin aujourd'hui.

Le sénateur Joyal : Il vient de faire œuvre de précurseur.

Le président : Espérons que votre témoignage servira d'exemple à d'autres pour les inciter à faire comme vous, monsieur.

Merci à tous les deux d'avoir été présents avec nous. C'est grandement apprécié.

M. Wyant : Merci beaucoup. Merci, mesdames et messieurs les sénateurs.

Le président : Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, il nous reste encore un dernier point à l'ordre du jour : le budget du comité.

Je pense que vous avez tous le budget sous les yeux. Il me faut une motion pour que nous puissions entreprendre la discussion ou le débat. La sénatrice Jaffer nous propose d'adopter le budget tel quel.

Le sénateur Plett : Avant de l'adopter...

Le président : La motion peut maintenant être débattue. Allez-y.

Le sénateur Plett : L'élément numéro 5 sur la première page — qui est peut-être l'élément numéro 5 sur toutes les pages — consiste en une somme d'argent importante pour les taxis. Pourtant nous disposons d'un autocar nolisé le même jour. Serons-nous en mesure de justifier une somme aussi élevée pour les taxis, soit 200 $ pour chaque sénateur et chaque employé? Dans chaque ville, nous disposons d'un autocar nolisé.

Jessica Richardson, greffière du comité : Cet argent est pour les déplacements entre le domicile et l'aéroport à l'aller et au retour. De plus, s'ils prennent des vols distincts, ce peut être pour aller de l'aéroport à l'hôtel.

La somme que nous prévoyons est la même pour tous les déplacements de comité.

Le sénateur Plett : Si c'est une somme standard, alors qu'il en soit ainsi. Je n'ai aucune objection.

Je voulais simplement dire que, si je réclame 50 $ pour le taxi entre chez moi et l'aéroport, j'imagine que la Direction des finances vérifiera avec Google et me dira que je devrais avoir payé seulement 28 $. Elle me remboursera seulement 28 $. Je tiens pour acquis que la Direction des finances vérifiera avec Google pour s'assurer que nous payons le bon prix.

Mme Richardson : Les remboursements se font uniquement sur présentation des reçus. Nous devons avoir des reçus.

La sénatrice Jaffer : La Direction des finances a déjà donné son autorisation.

Le sénateur Plett : Pardon?

La sénatrice Jaffer : La Direction des finances a déjà autorisé ce budget.

Le président : Le comité doit aussi l'autoriser.

La sénatrice Jaffer : Oui.

La sénatrice Fraser : Comme vous le savez, je vois tout ce plan d'un mauvais œil.

Le président : Nous n'en doutons pas un instant.

La sénatrice Fraser : Les absents ont toujours tort, et je n'étais pas présente lorsque la décision a été prise.

Quoi qu'il en soit, vous vous rappelez sans doute que j'ai déjà indiqué ne pas avoir besoin d'une chambre d'hôtel lorsque les travaux du comité ont lieu à Montréal, tout comme plusieurs autres personnes. Je vois que vous en avez tenu compte.

Mais je ne vois pas pourquoi vous m'accordez une indemnité quotidienne. Je ne vois pas pourquoi vous m'accordez 200 $ pour aller à l'aéroport et en revenir. En fait, je crois que ce n'est pas le cas. Mais pourquoi m'accordez-vous une indemnité quotidienne?

Mme Richardson : Madame la sénatrice, nous avons enlevé ce que vous nous avez dit d'enlever. C'est seulement un oubli. L'argent ne sera pas dépensé. Il ne sera pas réclamé. Il sera récupéré par l'État. Je vous demande pardon. Nous avons fait de nombreuses versions de ce budget, et nous avons oublié d'effectuer cette modification.

Le sénateur Joyal : Je suis dans la même situation que la sénatrice Fraser parce que je n'ai pas besoin qu'on me paye l'hébergement, une indemnité quotidienne ou le transport à Montréal.

Mme Richardson : À Montréal, nous avons réduit de quatre le nombre de sénateurs ayant besoin de séjourner à l'hôtel ou de prendre le taxi, comme l'ont déjà demandé les sénateurs membres du comité qui habitent à Montréal et qui voulaient être exclus de ces dépenses. Nous avons reçu votre demande et avons enlevé ces deux sommes dans votre cas.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Je voudrais porter un fait à votre attention. Je demeure à Blainville, sur la rive nord de Montréal. Compte tenu de la circulation à Montréal, il est plus long pour moi de partir de Blainville en direction de Montréal que de me rendre à Ottawa. Il se peut donc que je sois en retard aux réunions du matin. Je devrai peut-être trouver un hébergement au centre-ville. Est-ce qu'il est trop tard?

[Traduction]

Mme Richardson : Non, il n'est pas trop tard et je suis certaine que nous aurons assez d'argent. Une fois qu'une enveloppe budgétaire est accordée à une activité, le greffier ou la greffière peut affecter l'argent de l'enveloppe pour cette activité selon les besoins du comité. Je suis certaine que nous aurons amplement l'argent nécessaire lorsque nous en aurons besoin.

[Français]

Le sénateur Dagenais : À titre de renseignement, la ville de Montréal est la troisième ville au Canada où il y a le plus de problèmes de circulation.

Le sénateur Boisvenu : C'est aussi la ville où les délais des cours sont les plus longs.

[Traduction]

Le président : Quelqu'un souhaite-t-il encore prendre la parole au sujet de la motion?

La sénatrice Jaffer propose que nous adoptions le budget tel quel. Que ceux qui sont pour se manifestent. La motion est adoptée avec une abstention.

Cela termine notre réunion pour la soirée. Merci, mesdames et messieurs.

(La séance est levée.)

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