Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule no 6 - Témoignages du 13 avril 2016
OTTAWA, le mercredi 13 avril 2016
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles s'est réuni ce jour à 16 h 28 pour étudier les questions relatives aux délais dans le système de justice pénale au Canada.
Le sénateur Bob Runciman (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonjour. Je souhaite la bienvenue à mes collègues, à nos invités et aux membres du public qui suivent aujourd'hui la séance du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.
Chers membres du comité, le Sénat a autorisé le comité, un peu plus tôt cette année, à entreprendre une étude sur les questions relatives aux délais dans le système de justice pénale du Canada, ainsi que les rôles joués par le gouvernement du Canada et le Parlement afin de réduire ces délais, en vue de préparer un rapport sur cette question. C'est la 11e séance que nous consacrons à cette étude, et nous allons entendre, pendant la première heure, l'honorable François Rolland, juge en chef retraité de la Cour supérieure du Québec.
Monsieur, je vous remercie d'être venu aujourd'hui. Nous apprécions beaucoup que vous soyez ici et nous avons hâte d'entendre votre témoignage. Vous avez la parole.
L'honorable François Rolland, juge en chef retraité de la Cour supérieure du Québec : Je vous remercie de m'avoir invité à témoigner et à vous parler de l'expérience québécoise.
[Français]
Si vous me le permettez, je vais faire une brève présentation en français, et je répondrai ensuite dans la langue de votre choix. D'abord, la situation de la Cour supérieure en matière criminelle au Québec est différente de celle qu'on retrouve ailleurs au Canada. Pour faire un bref historique, vous vous souvenez peut-être que dans les années 1940, le premier ministre Duplessis, du Québec, avait réussi à obtenir plus de compétences en matière criminelle pour ce qui était appelé alors la Cour des sessions de la paix, de telle sorte que la Cour supérieure au Québec ne traite pratiquement que les procès devant jury, soit les infractions les plus graves et les appels, les appels des décisions des cours municipales et de la Cour du Québec. Par conséquent, la Cour du Québec a une juridiction d'environ 95 à 97 p. 100 en matière criminelle.
Il n'en demeure pas moins que la Cour supérieure du Québec, au fil des ans et en raison de cette juridiction fort limitée, en a fait une spécialité en droit criminel. Il y a des juges à la Cour supérieure du Québec qui ne siègent qu'en droit criminel, qui ne font pas autre chose que du droit criminel, parce que les procès devant jury, lorsqu'il y a un appel et qu'on ordonne un nouveau procès, sont très coûteux. Alors, nous avons formé des juges qui ne font que du criminel, et qui œuvrent ont reçu de la formation pendant plusieurs années.
Je vais vous parler maintenant de la situation de la chambre criminelle de la Cour supérieure du Québec, en vous en donnant un résumé. J'ai appelé mon ancien collègue responsable de la chambre criminelle, qui est l'honorable Marc David. Au moment où je vous parle, pour l'année 2017, dans quelques jours, des procès devant jury ne pourront plus être fixés; ils sont déjà tous fixés partout. En 2018, il reste quelques dates disponibles — j'ai bien dit quelques dates disponibles —, et un procès a déjà été fixé en 2019. Voilà la situation pour la Cour supérieure du Québec dans la région de Montréal. Pour la région de Québec, la situation est à peu près similaire, mais un peu mieux.
J'ai été nommé juge en chef en septembre 2004 à la Cour supérieure du Québec et, à cette époque, des procès devant jury à la Cour supérieure étaient généralement fixés dans une année, soit à sept, huit ou neuf mois, exception faite des procès très longs qui pouvaient déborder d'une année, mais, généralement, il fallait moins d'un an.
Nous n'avions pas vraiment de difficulté à la Cour supérieure du Québec de 2004 à 2009. En 2009, nous avions neuf juges à Montréal qui siégeaient à plein temps en chambre criminelle, et nous fixions toujours dans l'année, soit à huit, neuf ou dix mois. À Québec, il y avait deux juges qui siégeaient en chambre criminelle et les procès étaient fixés également dans l'année. Il n'y avait donc pas de problèmes.
Au printemps 2009, le directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) a déposé une accusation dans l'affaire SharQc, dont tout le monde a entendu parler, où il y avait 156 accusés. Vous avez bien compris, 156 personnes accusées de 23 meurtres prémédités, de vivre des produits de la criminalité, de gangstérisme. Les faits dans cette cause s'échelonnent, pour le gangstérisme, de 1992 à 2009, pratiquement sur 17 ou 20 ans, et dans le cas des meurtres, sur 9 ans.
J'avais désigné deux juges pour gérer le dossier, le juge Brunton et le juge Wagner qui est maintenant à la Cour suprême. Le juge Brunton a géré seul plus de 200 requêtes préliminaires. Imaginez, il y a 156 accusés, dont 133 ont été arrêtés et dont les autres ont disparu. Imaginez aussi le nombre d'avocats, avec lesquels nous avons essayé de déterminer la façon de procéder. Il est impossible d'avoir 133 accusés dans une salle d'audience, cela ne se fait pas. Nous avons été obligés de diviser le dossier en deux pour la gestion, entre les juges Brunton et Wagner, pour faire ensuite quatre procès.
Dans ce dossier, grâce à des conférences de facilitation, que j'ai présidées personnellement en grande partie, nous avons réussi à éviter des procès, et 107 accusés ont plaidé coupables, dont plus de 70 à la suite de conférences de facilitation. Souvent, il est mentionné que le dossier SharQc a été un échec, mais il y a tout de même 107 accusés parmi les 133 personnes arrêtées qui ont plaidé coupables.
Il y a eu des procès qui ont avorté pour des raisons que nous connaissons, et je n'irai pas plus loin dans ce dossier, mais il faut aussi mentionner qu'au cours de cette même période, en 2009, d'autres mégadossiers ont été déposés, y compris le dossier Loquace, qui comptait plus de 80 accusés de contrebande de tabac et de vente de cocaïne sur la Rive- Sud de Montréal, et le dossier Chapitre 1 et Chapitre 2 qui comptait 46 accusés dans un vaste réseau de fraude de cartes de crédit. À l'heure actuelle, c'est la juge Éliane Perreault qui préside l'un des deux procès, car le procès a été divisé en deux pour la première fois au Québec. Il y a donc 23 accusés dans la salle d'audience avec les avocats de la défense et les avocats de la Couronne. Essayez d'imaginer la mécanique; même certaines salles d'audience ont dû être modifiées.
Il y a aussi le dossier Diligence où une douzaine de personnes ont été accusées de gangstérisme. Il y a le dossier Honoré où un ancien maire de Laval a été accusé de gangstérisme avec 36 autres personnes. Donc, dans ce dossier, il y a 37 accusés. Tous ces dossiers sont devant la Cour supérieure du Québec, à Montréal. Il y a le dossier Raynald Desjardins qui compte huit accusés. En outre, nous avons un procès à Montréal en ce moment avec le dossier Cinar ou Weinberg, qui est un dossier de fraude commerciale à sa deuxième année devant jury.
Voilà la situation pour les procès devant la Cour supérieure du Québec dans la région de Montréal, en plus des dossiers dits réguliers. En 2010, j'avais demandé au ministre de la Justice et au premier ministre du Québec de fournir des ressources additionnelles aux juges et, finalement, en 2012, le gouvernement du Québec a modifié la Loi sur les tribunaux judiciaires pour créer sept postes de plus. Comme vous le savez, il fallait aussi faire modifier la Loi sur les juges, ce qui a été fait en 2014 pour créer quatre postes de plus, et non pas les sept postes initialement prévus, dont deux seulement sont consacrés à la chambre criminelle qui ont été nommés et qui sont entrés en fonction en juin 2015.
En 2009, il y avait neuf juges qui siégeaient à plein temps en chambre criminelle à Montréal et, aujourd'hui, il y en a 15 qui siègent à plein temps en chambre criminel. Ces juges ont été retirés de la chambre civile pour siéger en chambre criminelle, afin d'éviter que les délais ne se détériorent davantage. Ainsi, quant aux délais des causes de la Cour supérieure du Québec, dans l'arrêt Askov et même dans l'arrêt Morin, vous verrez que le Québec était cité, dans les années 2000, comme étant un modèle de la Cour supérieure quant aux délais selon lesquels les dossiers étaient entendus devant jury. Or nous sommes bien loin de cela en ce moment.
En matière de causes et du nombre de mégaprocès, je suis heureux que ce comité s'intéresse à ce dossier, parce que nous allons parler de la communication de la preuve. La technologie a apporté des avantages à notre monde, mais en même temps, elles ont compliqué les choses. Au chapitre de la communication de preuve électronique, par exemple, dans le dossier SharQc, les avocats présentaient des requêtes et affirmaient que s'il fallait deux minutes pour ouvrir chaque fichier d'écoute électronique, à raison de 24 h par jour, sept jours sur sept, il aurait fallu sept ans et deux jours pour consulter cette preuve, en plus du procès à venir. Lorsqu'il s'agit de la communication de la preuve, selon le vieil adage, « trop, c'est comme pas assez ». Alors, lorsqu'une quantité importante de preuve est communiquée, cela invite des requêtes comme celles qui ont été déposées devant le juge Brunton qui, à lui seul, en a reçu plus de 200. La communication de la preuve est souvent incomplète et pas assez précise en général, malgré les pouvoirs de gestion confiés aux juges. Des modifications ont été faites au Code criminel pour prévoir la gestion des dossiers, qui permet de sauver du temps de procès dans la mesure où le juge gestionnaire a des pouvoirs plus coercitifs qu'il en avait dans le passé, parce qu'autrement, cela ne réduira pas la preuve. Le juge du procès pourrait faire cette gestion-là.
Vous aurez remarqué qu'au Québec, avec les grands dossiers, nous avons plus fréquemment recours aux actes d'accusation privilégiés, qui permettent de contourner l'enquête préliminaire. L'enquête préliminaire peut être utile dans certains cas. Toutefois, lorsqu'il n'y en a pas, il arrive que le dossier ne soit pas prêt au moment où les accusations privilégiées sont déposées, et c'est à la Cour supérieure et à la Couronne, au DPCP, de faire le ménage.
On a commencé à faire beaucoup de facilitation à la Cour supérieure en matière criminelle au début des années 2010-2011, mais ce n'est pas encore assez utilisé. Sans toutefois qu'il s'agisse de règlement de dossier, la facilitation permet aux parties, aux avocats, de faire des admissions sur des faits, dans le but de retirer des obstacles et de réduire la preuve.
Ce qui est difficile aussi avec les délais, c'est qu'il y a souvent des recours avec des actes d'accusation privilégiés. Le sénateur Dagenais en sait quelque chose. Au fil des ans, on a investi beaucoup dans les enquêtes policières. On a embauché et formé des spécialistes. Par la suite, on a embauché beaucoup plus de procureurs de la Couronne. Toutefois, c'est comme un entonnoir. En haut, on a toujours le même nombre de juges et il manque de salles d'audience. Au palais de justice de Montréal, on a transformé certaines salles d'audience, mais on n'a pas agrandi le palais de justice. Ce sont les mêmes salles d'audience. On a combiné deux salles d'audience pour en faire une grande, mais, ce faisant, on en perd une autre.
Une croissance très importante du nombre de mégaprocès de 15 accusés et plus est devenue pratique courante chez nous. Le gouvernement a nommé quatre nouveaux juges en 2015, dont deux ont été affectés à la section criminelle.
En termes de solutions, il faudrait favoriser d'abord une meilleure coordination entre la magistrature et le DPCP, entre la Couronne et la magistrature, pour prévoir le dépôt des accusations. On devrait nous appeler avant la veille pour nous informer que nous devrons déposer des accusations, afin de nous permettre de planifier. Lorsqu'on parle d'arrêt des procédures, la prescription en matière criminelle commence à courir à compter du dépôt des actes d'accusation. Alors, si on attend avant de déposer, la prescription ne court pas. On ne peut pas se plaindre des délais tant qu'il n'y a pas d'accusation. Cela permettrait à la cour de se préparer. Il faudrait donc qu'il y ait une meilleure communication entre le DPCP et la magistrature. Il faudrait aussi une meilleure communication entre les enquêtes policières et le DPCP.
En outre, il faudrait fixer une durée maximale pour les procès. On le fait en matière commerciale. J'ai rendu une décision en matière commerciale dans un très long dossier au Québec, soit le dossier Castor Holdings, qui ont été confirmées par la Cour d'appel. On pourrait dire : « on vous donne tant de temps pour faire votre procès, et arrangez- vous comme vous voulez, pourvu que ce soit raisonnable ».
Il faudrait utiliser plus souvent les conférences de facilitation. J'ai vu certains témoignages où l'on mentionnait le rôle des greffiers spéciaux, ce qu'on appelle des protonotaires au Québec et en Ontario. Il faudrait les utiliser pour des décisions de routine. Par exemple, dans des cas de mandats de perquisition, il y a parfois saisie de documents sous scellés. En vertu des lois actuelles, le juge seul peut autoriser, document par document, la levée des scellés. Un juge à la cour peut passer trois mois à regarder des documents. Entre vous et moi, il me semble qu'un protonotaire qui a une formation juridique pourrait très bien accomplir cette tâche à faible coût, et on ne perdrait pas ce juge.
Au fédéral, avec la Loi sur le terrorisme, on a élaboré une liste d'organisations terroristes. Il ne serait pas inutile de créer une initiative semblable ailleurs, par exemple une liste d'organisations criminelles. Lorsque vous devez prouver que les motards criminalisés forment une organisation criminelle, il ne suffit pas de dire qu'il s'agit des Hells Angels. Ce n'est pas un fait de notoriété publique reconnu judiciairement. Il faut faire la preuve que c'est une organisation criminelle. Pour ce faire, il faut des témoins, et on perd du temps. Il me semble que, compte tenu de tout ce qui s'est passé avec certaines organisations criminelles, par simple décret, on pourrait établir une liste des organisations criminelles. Ce sont de simples outils qui nous permettraient de revenir à des délais normaux en matière criminelle.
Je m'excuse d'avoir pris beaucoup de temps, mais je voulais vous expliquer la situation. Le Québec a toujours été très fier de ses résultats, or, en ce moment, la situation est désastreuse. Je pourrai maintenant répondre à vos questions.
[Traduction]
Le président : Merci. Nous allons commencer les questions par la vice-présidente.
La sénatrice Jaffer : Merci d'être venu. J'aimerais vous poser une brève question. Si je vous ai bien compris, vous avez déclaré qu'en 2017, il n'y avait aucune date d'audience de disponible et qu'en 2018, il y en avait quelques-unes et qu'une date a été fixée en 2019.
Savez-vous si certaines de ces personnes sont en détention?
M. Rolland : D'une façon générale, nous essayons d'obtenir des dates rapprochées pour les personnes qui sont en détention. Pour les autres, nous choisissons des dates plus éloignées. Par exemple, dans l'affaire concernant l'opération SharQc — les Hells Angels —, ces gens étaient en détention depuis cinq ou six ans.
La sénatrice Jaffer : Mais sans avoir subi de procès.
M. Rolland : Le procès avait commencé, mais il y a eu 200 requêtes à trancher, cela a pris du temps.
La sénatrice Jaffer : Il est intéressant que vous ayez mentionné que certaines parties des procès pouvaient se dérouler selon un processus administratif. D'autres témoins nous l'ont également mentionné.
L'autre aspect dont on nous a parlé est celui de l'enquête préliminaire. J'aimerais connaître votre point de vue. D'après ce que j'ai entendu, les opinions sont partagées sur l'utilité de l'enquête préliminaire et j'aimerais avoir votre avis à ce sujet.
M. Rolland : Les enquêtes préliminaires sont utiles et importantes pour certains types d'accusations et de procès. En l'absence d'enquête préliminaire, l'accusation doit être plus précise et il faut préparer le dossier. Si vous déposez des millions de documents — cela revient à peu près à devoir refaire le travail. Oui, ces enquêtes sont utiles, mais il faut éviter de les faire durer deux ou trois ans, parce que cela revient à multiplier les délais par deux.
La sénatrice Jaffer : Monsieur le juge Rolland, j'ai été intéressée par ce que vous avez dit au sujet du nombre maximum de jours que devrait durer un procès. J'ai été une avocate plaidante. Je peux comprendre cela dans les affaires civiles, mais cela me préoccuperait beaucoup dans les affaires pénales où les gens sont privés de leur liberté. Comment voyez-vous les choses?
M. Rolland : Franchement, je n'ai pas de réponse à vous fournir. On pourrait peut-être enregistrer les dépositions ailleurs que dans une salle d'audience. Ces dépositions pourraient être prises devant les parties ou devant un juge adjoint. Il doit bien y avoir une façon d'abréger le nombre de jours que l'on doit consacrer aux témoignages.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Merci beaucoup, monsieur le juge Rolland, pour votre présentation. Je crois que vous avez donné un très bon exposé de la situation au Québec, et je peux en faire foi pour l'avoir vécu de très près avec mes collègues de la Sûreté du Québec.
Vous avez mentionné le procès SharQc, où je crois qu'environ 31 accusés ont été acquittés.
M. Rolland : Si vous me le permettez, 31 accusés ont été libérés dès le début parce que, selon toute vraisemblable, ils n'auraient pas eu leur procès avant l'année 2019 ou 2021.
Le sénateur Dagenais : Vous avez raison de me corriger sur ce point. Aurait-il donc fallu plus de ressources? Vous en avez parlé, et il y a déjà deux ans que ces événements sont arrivés. Avez-vous été entendu par le politique? Si l'appareil politique ne vous donne pas plus de ressources, est-ce que la situation pourra s'améliorer? Il faut parler de ressources, mais jusqu'à quel point les juges ont-ils insisté pour que les choses avancent plus vite et pour se faire entendre par l'appareil politique? C'est toujours un peu délicat, mais il faut plus de ressources, bien entendu. Que pourrions-nous faire en ce sens? Vous comparaissez devant notre comité. Quelles seraient vos suggestions du point de vue législatif pour nous aider sur le plan des procédures?
M. Rolland : Je vous remercie de votre question. C'est toujours une question délicate en raison des budgets. Pour ce qui est des ressources, j'avais communiqué avec le ministre de la Justice provincial de l'époque, M. Fournier, et le premier ministre Jean Charest, en 2010, pour demander des ressources additionnelles. En fait, on avait demandé 12 juges de plus. À l'automne 2010, ce qui m'a aidé à obtenir une partie des juges, c'est que le bureau du premier ministre a appelé mon bureau pour obtenir la désignation d'un juge pour présider à l'enquête sur l'industrie de la construction. J'avais désigné la juge Charbonneau en sachant qu'on m'enlevait un juge. Je ne pouvais plus faire appel aux juges Brunton et Wagner. Le bureau du ministre de la Justice a donc accepté de modifier la loi et d'autoriser sept ressources supplémentaires. Par la suite, au printemps 2012, j'ai communiqué avec le ministre de la Justice pour l'informer qu'on avait obtenu sept postes de plus grâce aux modifications apportées à la Loi sur les tribunaux judiciaires. On demandait de pourvoir ces postes, mais il fallait modifier la Loi sur les juges, ce qui a été fait seulement en 2014, malheureusement. Sur les sept postes, quatre ont été créés et ils ont été comblés en juin 2015.
De plus, nous demandions d'obtenir plus de salles d'audience. Nous avons obtenu quelques salles, mais ce n'était pas suffisant. Il faut changer nos façons de faire. On pense régler le problème en nommant plus de juges et en aménageant de nouveaux palais de justice. Non. Il faut changer notre façon de travailler. Je ne jette pas le blâme sur la Charte canadienne des droits et libertés. Comme vous le savez, la Charte a compliqué un peu les choses au fil des ans, et je l'affirme avec tout le respect que je vous dois. Les procès pour meurtre sont fort simples. Il y a 10 ou 15 ans, un procès pour meurtre prenait trois semaines. Aujourd'hui, le même procès s'étalera sur six ou huit semaines.
Le sénateur Dagenais : Pour conclure, que signifie pour vous un délai normal, de nos jours, compte tenu des types de procès à mener, des événements et des ressources? Je comprends qu'on ne peut pas remonter 10 ans en arrière, mais qu'est-ce qu'un délai normal, selon vous?
M. Rolland : Les mégaprocès qui se déroulent à l'heure actuelle devraient être entendus dans les 15 à 18 mois, qu'il s'agisse ou non de personnes qui sont détenues. Les procès devraient se terminer plus rapidement. Par exemple, le procès de Weinberg pour fraude commerciale achève sa deuxième année devant un jury, qui est réuni depuis deux ans.
[Traduction]
Le sénateur Baker : Monsieur le juge, je vous félicite pour l'excellent travail que vous avez accompli. Vous êtes la première personne qui ait proposé à notre comité, avec des arguments solides, que l'on utilise les protonotaires pour qu'ils exécutent certaines fonctions que les juges exercent à l'heure actuelle et qui leur prennent beaucoup de temps, les questions préalables au procès, peut-être, la levée des scellés sur les mandats — une procédure particulièrement complexe que vous nous avez décrite. Seriez-vous disposé à affirmer, pour ce qui est de la levée des scellés, que cela constitue une perte de temps considérable que l'on pourrait éviter en confiant aux policiers et à la Couronne le soin de lever les scellés des mandats, de les examiner et de les autoriser, avant le procès? Je crois que c'est ce que vous proposez. Vous avez également proposé que les policiers se réunissent avec les procureurs de la Couronne pour établir une structure à l'intention des tribunaux pour qu'ils soient mieux préparés.
Vous suggérez donc que le protonotaire, qui est déjà prévu à l'article, je crois que c'est l'article 12 ou 22, de la Loi sur les cours fédérales...
M. Rolland : Nous avons la même chose à la Cour supérieure du Québec pour les affaires civiles et commerciales.
Le sénateur Baker : Oui. Si cela était mis en œuvre dans l'ensemble du Canada, cette libération des juges éviterait également qu'il y ait des conflits au moment des procès, parce que le juge qui délivre un mandat ne peut ensuite présider le procès dans le même dossier. Il y a tous ces problèmes.
J'aimerais vous demander ceci : serait-ce, d'après vous, suffisant et comment ferions-nous pour raccourcir le délai associé à ce domaine complexe qu'est la divulgation? Je ne m'inquiète pas de l'enquête préliminaire parce que c'est une étape limitée dans la mesure où, s'il existe des preuves qui, si elles étaient crues, entraîneraient la condamnation de procès, la question est réglée. C'est ce qui est exigé, c'est un seuil très faible.
Est-il possible de limiter l'ampleur de la divulgation exigée, disons, avant le plaidoyer, pour qu'elle comprenne uniquement les notes des policiers — le sénateur Dagenais sait de quoi je parle —, le rapport qui en résulte ou le rapport sur le dossier préparé par le procureur de la Couronne et le mandat principal, s'il y a eu un mandat, après qu'il ait fait l'objet de la levée des scellés et qu'il soit prévu quelque part, dans le Code criminel ou dans les règles des tribunaux, que c'est tout ce que la défense obtiendra et tout ce qu'elle aura le droit d'obtenir avant le plaidoyer et avant de démarrer le procès?
M. Rolland : Merci d'avoir posé cette question. Voilà comment je pourrais vous répondre : si, au moment où l'accusation est déposée, les preuves portent sur des accusations précises et limitées, au lieu de porter 25 accusations pour 3 ou 25 meurtres, le résultat est le même. Vous pouvez bien dire que cela fait partie des meurtres supplémentaires. Si vous limitez les preuves au moment du dépôt de l'accusation et que le poursuivant s'entretient avec les policiers qui ont procédé à l'enquête dans le but de décider quelles sont les preuves utiles et nécessaires, cela aurait pour effet d'abréger les procès. Le juge pourrait alors plus facilement dire, au moment d'examiner les requêtes, « Voilà, c'est tout ce qu'il y a. »
Le sénateur Baker : Vous constatez qu'il y a 10 accusations. La moitié d'entre elles pourraient être rejetées par l'application du principe de l'arrêt Kienapple ou de celui de la chose jugée. Vous proposez que la police et la Couronne se réunissent pour parler des principales accusations au lieu de faire perdre son temps au juge et d'étirer les choses. Est- ce bien ce que vous dites?
M. Rolland : Avec certaines nuances, oui, c'est ce que je dis. Il me paraît possible de réduire le nombre des accusations et d'accorder au juge le pouvoir de limiter le nombre des accusations dans certains cas. Le juge devrait pouvoir dire : « Cette personne est décédée. Nous avons le certificat de décès. Nous n'avons pas besoin d'autres preuves, à moins que vous vouliez savoir comment cette personne a été tuée. » Mais pour établir le décès d'une personne, il suffit d'avoir le certificat. Pourquoi entendre des témoignages à ce sujet pendant trois jours? Cela est évident.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Je vous souhaite la bienvenue à notre comité. Nous sommes ravis de vous revoir.
Récemment, vous avez dénoncé dans les médias, avec la juge Côté et le juge Fournier, une situation catastrophique qui comporte de nombreux inconvénients pour les victimes d'actes criminels. D'un côté, les criminels attendent leur procès, et de l'autre, les victimes d'actes criminels attendent que leur cause soit résolue. On pense entre autres aux crimes à caractère sexuel. En comparant le Québec et l'Ontario, on passe du simple au double. Le Québec est-il marqué au fer rouge en ce qui concerne le crime organisé, les gangs de rue et tout ce que j'appelle « les criminels de business organisés »? Le Québec est-il différent des autres provinces canadiennes à ce chapitre?
M. Rolland : Je m'avance sur un terrain délicat, mais au Québec, on a décidé de faire la guerre aux motards criminalisés. On a déployé beaucoup d'efforts pour régler la situation, notamment avec la Commission Charbonneau. On s'est attaqué à ces problèmes sans disposer de ressources supplémentaires, pas plus qu'ailleurs au Canada. Il n'y a pas de mégaprocès dans les autres provinces canadiennes. Au Québec, ce sont des procès devant jury. Heureusement, les procès au quotidien se déroulent relativement bien. Les procès qui sont courts ont lieu dans un délai raisonnable.
Oui, il y a des débordements dans certains dossiers. Ce que nous voyons à la cour, ce sont toujours les pires cas. Beaucoup d'accusés plaident coupables. S'il fallait que toutes les accusations se rendent à un procès, on ne pourrait pas suffire à la tâche. Des situations se présentent où, effectivement, il y a des débordements, mais je ne pourrais pas dire qu'on le fait au détriment d'une catégorie. Vous parlez des dossiers d'agressions sexuelles, et on essaie de leur accorder la priorité. On les fixe en priorité.
Le sénateur Boisvenu : Au Québec, le taux d'abandon des plaintes des victimes d'agressions sexuelles est de près de 50 p. 100.
M. Rolland : Je ne sais pas si c'est supérieur au taux des autres provinces. Présentement, il y a deux dossiers devant la Cour suprême — un de l'Ontario et un de la Colombie-Britannique — concernant des arrêts de procédure pour des retards. Je ne pourrais vous dire si c'est pire au Québec quant aux abandons.
Le sénateur Boisvenu : Je me préoccupe également beaucoup des portes tournantes dans les palais de justice. Un rapport sur la récidive est paru dernièrement, au Québec, et on y conclut que 70 p. 100 de la tranche des 18-24 ans reviennent dans les palais de justice. En moyenne, 55 p. 100 de ceux-ci reviennent devant nos cours et dans les pénitenciers fédéraux. Le taux de réincarcération se situe au-delà de 70 p. 100. N'y aurait-il pas là un examen de conscience sévère à faire? Si on veut réduire les délais, il faut aussi réduire la comparution des mêmes condamnés devant les juges, car 20 p. 100 des criminels occupent presque 70 p. 100 du temps dans les palais de justice.
M. Rolland : J'entends vos commentaires, mais je ne crois pas avoir l'expertise pour y répondre, à part vous dire qu'il y a matière à réflexion. Consacrons-nous assez de ressources pour tenter d'aider ces personnes? Avons-nous tout fait ce que nous devions faire? Je ne saurais répondre à cet aspect de la question, mais, oui, il faut l'examiner.
Pour répondre à votre question concernant les retards, je vous dirais qu'ils sont mauvais pour les accusés et extrêmement mauvais pour les victimes, pour la société canadienne et pour la crédibilité de notre système judiciaire, qui est apprécié.
Au moment où je vous parle, notre système est l'un des plus choyés dans le monde dans la mesure où on y maintient les délais qu'on avait auparavant. Cependant, on commence à dégénérer. C'est moi qui l'ai dit dans les journaux, il y a quelques semaines, ou quelques mois : si on ne fait rien, on frappe un mur et, une fois rentré dans le mur, on ne pourra plus reculer. Il faut faire quelque chose.
Le sénateur Joyal : Bienvenue, monsieur Rolland. Nous vous sommes certainement reconnaissants d'avoir accepté l'invitation du comité puisque, comme vous savez, il est toujours presque impossible d'obtenir le témoignage d'un juge en exercice. Nous avons l'avantage d'avoir avec nous un témoin particulièrement privilégié de l'expérience de la gestion des procès.
Une décision qui a fait grand bruit après vos déclarations a été la décision du juge Cournoyer dans l'affaire Kyling, où le juge a imposé un délai strict aux parties. Il faut comprendre le contexte particulier de cette affaire, mais ce qui semblait nouveau, c'est qu'on découvrait que les juges ont le pouvoir de fixer un calendrier.
M. Rolland : Un calendrier de gestion, tout à fait.
Le sénateur Joyal : De gestion du procès, oui. Partant — j'allais dire de cet incident — de cette décision, n'y aurait-il pas lieu, pour les juges, et singulièrement pour les juges en chef, de revoir avec les collègues du banc comment les procès sont gérés? Les juges ne devraient-ils pas aussi faire partie de la solution dans leur manière d'accepter les délais qui, souvent, sont perçus comme étant trop facilement acceptés? En d'autres mots, les juges ont une certaine responsabilité de l'efficacité du procès également.
M. Rolland : C'est une très bonne question, sénateur Joyal. Je vais vous expliquer un peu le fonctionnement de la cour. La cour est divisée en différentes chambres : la chambre criminelle, la chambre civile, la chambre commerciale, la chambre administrative et la chambre de la famille, et il y a un coordonnateur, un responsable pour chaque chambre. À titre d'exemple, la chambre criminelle se rencontre tous les mercredis pour parler des techniques de gestion, à savoir jusqu'où on va.
D'ailleurs, je suis très content de la nomination du nouveau sénateur Sinclair, et je vous en félicite. Il vous sera très utile.
Donc, il y a un principe qu'on ne peut transgresser, et c'est celui de l'indépendance du juge. Il n'y a pas deux personnes qui travaillent à la même vitesse et de la même façon. On peut établir des paramètres, sans plus. Les gens ont leur rythme. On essaie d'établir des techniques de gestion, et les juges en chef, les juges coordonnateurs, vous avez raison, rencontrent les juges pour déterminer, par exemple, qui aime le plus faire de la gestion. Certains sont meilleurs en gestion que d'autres et d'autres sont meilleurs en procès. C'est le rôle du juge en chef de déterminer qui sera le meilleur gestionnaire, mais on ne peut aller plus loin que cela.
Le sénateur Joyal : Exactement. Cependant, il y a tout de même ce qu'on appelle, dans le jargon du secteur privé, les meilleures pratiques.
M. Rolland : Et on le fait.
Le sénateur Joyal : Comment un exemple comme celui du juge Cournoyer dans l'affaire à laquelle je référais plus tôt peut servir d'exemple pour les autres juges? Ne pourrions-nous pas présenter cette démarche comme un exemple qui prouve que l'on peut établir des délais afin de mieux servir la justice? Fondamentalement, c'est cela l'objectif, non?
M. Rolland : Dans le dossier du juge Cournoyer, si je peux faire une petite précision, c'était un peu plus simple, parce qu'il ne s'agissait pas d'un premier procès. Il y a eu un appel et on a ordonné un nouveau procès. Il y a eu une répétition générale. Dans mon cas, dans l'affaire Castor, le premier procès avait duré sept ans; lorsque j'ai ordonné le deuxième procès, j'ai accordé deux ans : un an à la Couronne et un an à la défense. Les parties connaissaient les démarches qu'ils avaient entreprises dans le premier procès, je leur ai donc demandé de choisir ce qui était important. C'était plus simple. Lorsqu'il s'agit d'un nouveau procès, on établit un échéancier et on doit se fier à la bonne foi des avocats.
Le sénateur Joyal : L'autre question que j'ai à l'esprit, c'est l'exemple de la révision du Code de procédure civile. Il y a eu un allégement de la procédure en matière civile qui favorise davantage la conciliation que le procès, alors qu'on a l'impression que, dans le cas de la procédure criminelle, il n'y a rien de mieux qu'un procès pour vider la question. N'y aurait-il pas lieu de revoir, je dirais, la philosophie dans laquelle la procédure criminelle a été conçue et de se demander si, dans le contexte d'aujourd'hui, avec les moyens contemporains, on ne pourrait pas revoir et faciliter une procédure qui serait, disons — je n'ose pas dire le mot expéditif, parce qu'on a l'impression qu'on bâcle les choses —, mais plus efficace en termes de décision à prendre?
M. Rolland : Vous avez tout à fait raison et, en ce sens, le nouveau Code de procédure civile est en vigueur depuis le 1er janvier dernier; on a fait le premier titre, et le premier chapitre s'intitule « Le recours au mode privé de prévention et de règlement des différends ». C'est une nouvelle approche. Ce n'est plus un code de procédure judiciaire, mais un code de règlement, de protocole de règlement des différends.
En matière criminelle, j'ai tenté de mettre en place, avec le DPCP, l'année dernière, un comité pour permettre aux procureurs de la Couronne (DPCP) et aux procureurs de la défense de se parler. Cependant — c'est comme cela dans toutes les provinces —, les relations sont difficiles entre les avocats de la défense et les avocats de la Couronne. Il y a de la méfiance. Je l'ai vu en tant que juge, et juge en chef par la suite, parce que je rencontre ces avocats, et il y a une espèce de méfiance. Les gens ne semblent pas avoir confiance l'un envers l'autre, comme c'est le cas en matière civile. Peut-être que c'est parce que la liberté d'une personne est en jeu? Probablement. Il y a peut-être d'autres critères.
J'ai constaté cela. Je suis un « commercialiste » de nature; j'ai pratiqué comme avocat pendant plus de 20 ans et je faisais du litige commercial. Je n'avais donc jamais traité avec des avocats en droit criminel avant d'arriver à la cour. J'ai eu l'occasion de rencontrer des avocats fort compétents, mais je constate qu'il y a cette méfiance. Effectivement, par la voie de la facilitation, par la voie de la gestion, on pourrait simplifier les procès.
La sénatrice Fraser : Monsieur Rolland, bienvenu chez nous. Merci beaucoup d'être venu. Je voudrais revenir à cette question d'administration. Vous avez sans doute raison de dire — tout le monde le sait — que certains sont plus aptes à administrer que d'autres. Même là, il faut apprendre; c'est tout de même un métier que d'administrer. Existe-t-il des programmes de formation pour les administrateurs des cours?
M. Rolland : Les juges reçoivent de la formation régulièrement à la cour chez nous. Chaque semaine, nous recevons de la formation, et l'Institut national de la magistrature offre de la formation en gestion de cas et en gestion de procès criminels complexes. Je pense que nous bénéficions de la formation appropriée.
La sénatrice Fraser : Est-elle obligatoire?
M. Rolland : Elle est obligatoire, oui, quand les nouveaux juges font leur entrée à la cour. Ils doivent suivre cette formation. À titre de juge en chef de la cour, j'ai demandé aux nouveaux juges, au cours des trois premières années, de suivre trois formations obligatoires, soit la gestion, la conférence de règlement ou de facilitation — et ce, même s'ils ne veulent pas en faire, car certains juges ne veulent pas faire de conférence de facilitation et je respecte cela —, et la rédaction de jugements. Ce sont là trois formations obligatoires.
[Traduction]
Le président : Lorsque des représentants de l'Ontario ont comparu ici il y a quelques semaines, ils ont parlé d'un programme qui avait été mis sur pied il y a quelques années dont l'objectif était ciblé. Ils les appelaient les tribunaux problèmes. Ils envoyaient une équipe chargée de faire enquête ou utilisaient d'autres moyens. Pour ce qui est des délais nécessaires pour régler les dossiers pénaux, ils étaient à peu près la moitié de ce qu'ils étaient au Québec.
Je me demande si vous faites quelque chose de comparable au Québec.
M. Rolland : Oui, effectivement.
Le sénateur Joyal : Est-ce que vous ciblez ces zones problèmes et faites ce que vous pouvez pour les améliorer?
M. Rolland : Oui, nous faisons quelque chose de semblable au Québec. Je dis toujours que le rôle que jouent les juges en chef en matière d'attribution des dossiers est très important. Il faut trouver le bon juge pour le bon dossier. Il y a des juges qui ne sont pas très à l'aise lorsqu'il s'agit de tenir de longs procès alors qu'ils seraient tout à fait disposés à présider des procès plus courts même s'ils sont plus complexes.
De sorte que, oui, nous faisons ce genre de choses. Nous avons une équipe qui est chargée d'aider les collègues à s'améliorer.
La sénatrice Batters : Merci d'être venu. Il est extrêmement intéressant pour nous de vous avoir ici, parce que vous avez été le juge en chef de la Cour supérieure du Québec pendant 11 ans; vous avez donc une expérience considérable lorsqu'il s'agit de gérer les aspects administratifs des tribunaux, y compris les mégaprocès dont nous avons entendu parler.
Au Québec, le journal La Presse a écrit un certain nombre d'articles en 2015 et 2016, dans lesquels les déclarations suivantes vous étaient attribuées :
Pour améliorer les choses, il faut changer notre façon de faire et il ne suffira pas de construire simplement davantage de palais de justice, de salles d'audience ni de nommer davantage de juges.
Vous êtes également cité lorsque vous avez dit « Les ajournements ne sont pas toujours accordés pour de bons motifs. » Pour être exact, je dois ajouter que vous n'avez pas été jusqu'à dire que cela était le cas dans la majorité des dossiers.
Pour ce qui est des ajournements donc, qu'est-ce qui explique, d'après vous, le fait que les parties demandent souvent des ajournements, dans quelle mesure certains sont-ils mal fondés et s'agit-il là de motifs qu'acceptent souvent les juges? Si c'est le cas, pourquoi? Quelle serait, d'après vous, la meilleure façon de diriger un procès pour que les ajournements ne retardent pas indûment le déroulement de l'instance?
M. Rolland : Je vais faire une différence entre la Cour provinciale du Québec et la Cour supérieure. À la Cour supérieure, lorsque nous commençons un procès devant jury, nous le terminons. Il n'y a pas d'ajournement. Si le procès dure deux ans, cela veut dire qu'il va durer deux ans, quatre ou cinq jours par semaine pendant deux ans, sans aucun arrêt.
Devant la cour du Québec, il arrive que le rôle soit établi en évaluant mal la durée d'un procès. En fin de compte, les parties se sont vu accorder trois jours pour le procès, mais après deux jours et demi, elles constatent qu'elles auront besoin de quatre jours supplémentaires. Et le calendrier du juge est tel que l'instance ne pourra se poursuivre avant qu'il se soit écoulé trois mois pour tenir un jour d'audience et ensuite, quatre mois pour les autres.
Mais devant la Cour supérieure, cela ne se passe pas ainsi. Il n'y a pas d'ajournement, à moins qu'un avocat ou un membre d'un jury ne tombe malade.
La sénatrice Batters : Avec la vaste expérience que vous possédez dans ce domaine, pouvez-vous, d'une façon générale, nous suggérer des mesures pour lutter contre ce genre d'ajournements que nous voyons devant les tribunaux inférieurs.
M. Rolland : Quand je gérais la charge de travail de la Cour supérieure — et c'était la même chose avant mon arrivée —, il arrivait que l'on accorde un ajournement pour des dossiers peu importants, mais normalement, lorsqu'un procès est commencé, il faut le finir parce qu'un ajournement coûte très cher. Les avocats doivent préparer à nouveau le procès, s'ils doivent attendre deux mois avant de pouvoir tenir deux jours de procès. Si l'instance se prolonge — deux mois plus tard — ils doivent se préparer une nouvelle fois. Cela est très coûteux.
La meilleure façon de tenir un procès est de ne pas prévoir d'arrêt; s'il doit durer cinq jours, ce sera cinq jours. S'il faut ajouter une semaine, il faudra le faire la semaine suivante. Il s'agit donc de réarranger le calendrier.
Mais cela est plus facile à dire qu'à faire.
La sénatrice Batters : Je suis très heureuse que vous ayez mentionné l'affaire des motards du Québec, les quelque 156 motards qui étaient impliqués dans ce dossier.
Pour ce qui est de ces mégaprocès, je me demandais si vous pouviez recommander des améliorations pour gérer ce genre de procès complexes et importants et pour veiller à ce que des délais déraisonnables n'entraînent pas l'arrêt des poursuites, parce que ce serait le pire des scénarios dans un dossier de ce genre.
M. Rolland : Merci. Comme je l'ai dit il y a quelques instants : lorsque la Couronne dépose des accusations, elle doit y joindre les preuves. Nous ne pouvons pas dire que nous allons inculper 156 accusés de 175 accusations, 22 gangsters et meurtriers au premier degré et d'ajouter ensuite qu'il y a la preuve. Cela ne peut vraiment pas fonctionner de cette façon.
Cela est plus facile à dire qu'à faire, mais il faut cibler ces efforts, limiter le nombre des accusations et déposer les preuves qui sont associées aux accusations. De cette façon, on limite le nombre des requêtes parce qu'il est évident que la défense — si vous avez déposé toutes les preuves, c'est une excellente chose. Cela veut dire requêtes à volonté : les avocats de la défense vont déposer sans arrêt des requêtes. Dans ce dossier, c'est ce qu'ils ont fait.
[Français]
Le sénateur McIntyre : Monsieur le juge Rolland, merci d'avoir accepté de venir témoigner devant nous aujourd'hui. Vous avez été non seulement juge à la Cour supérieure du Québec, mais également juge en chef. Vous êtes donc en bonne position pour nous guider dans nos travaux.
En réponse à une question du sénateur Joyal, vous avez décrit brièvement ce que les juges pouvaient faire lors d'un procès afin qu'un dossier procède de façon efficace. J'aimerais que vous précisiez un peu le sujet.
Ma deuxième question est la suivante : les juges disposent-ils tous de l'autorité juridique nécessaire afin qu'un dossier procède rapidement? Ont-ils tous les outils juridiques nécessaires en main?
M. Rolland : Merci de votre question. Je vais d'abord répondre à votre deuxième question. La réponse simple, c'est non; nous ne disposons pas de tous les outils. Nous ne pouvons pas, de notre propre chef, dans le cadre d'un procès, éliminer la preuve et déterminer ce que sera la preuve ou empêcher que telle preuve ou telle preuve soit présentée, comme on peut le faire en droit civil maintenant.
Avec le Code de procédure civile, tel qu'il a été modifié en janvier dernier, le juge du procès ne peut pas limiter la preuve. Le juge du procès ne peut que s'assurer que la mise en état du dossier pour le procès devant jury se fasse de façon diligente. Il ne pourra pas dire aux avocats de revenir dans six mois et de faire ceci ou cela, puis de revenir dans huit mois. On veut un horaire strict pour la gestion du dossier, mais une fois le procès entamé, le juge, malgré le fait qu'il soit ferme, ne peut pas empêcher la preuve, parce que cela donnerait lieu à un appel de façon automatique, pas maintenant, mais après le verdict, et il s'agirait alors d'un nouveau procès. Il n'y pas d'outil dans le Code criminel en ce moment pour décider où on arrête la preuve.
Le sénateur McIntyre : De quels outils devrait-on disposer? Il est difficile de répondre à cette question.
M. Rolland : Il s'agit d'une question extrêmement complexe. La Charte prévoit qu'une personne a droit à une défense pleine et entière. Le législateur aurait beau prévoir une disposition dans le Code criminel autorisant un juge à exercer tous les pouvoirs pour restreindre la preuve... Je crois avoir élaboré suffisamment ma pensée à ce sujet. Vous savez ce qui arriverait.
Le sénateur McIntyre : Il y a non seulement la Charte, mais également la réforme du droit de la preuve pour la Cour suprême du Canada, et l'ajout de nombreuses dispositions complexes au Code criminel.
M. Rolland : Oui.
Le sénateur McIntyre : Monsieur le président, ai-je le temps de poser une autre question?
[Traduction]
Le président : Oui. Allez-y.
[Français]
Le sénateur McIntyre : Les procureurs de la Couronne et les avocats de la défense entretiennent-ils une certaine méfiance? Dans quelle mesure cette relation s'est-elle dégradée? Quel est en est l'impact?
M. Rolland : Je vais aborder la situation au Québec. Ailleurs, ce sont des ouï-dire et des rumeurs. Au Québec, on vit une situation particulière devant un changement de génération. Les procureurs de la Couronne, les plus âgés, partent à la retraite, et les jeunes procureurs de la Couronne sont débordés de travail.
La plupart des avocats de la défense ont une grande expérience et les avocats de la Couronne se méfient d'eux. Je l'ai vécu en participant à des conférences de facilitation. Je ne peux pas en dévoiler le contenu, mais l'ambiance était tendue. On faisait souvent intervenir le juge en chef pour tenter de calmer le jeu.
Les relations sont meilleures entre procureurs dans les dossiers en matière civile et commerciale, autres que criminelles.
[Traduction]
Le sénateur White : Je vous remercie d'être venu cet après-midi.
J'ai travaillé dans la police pendant 32 ans, et lorsque j'ai commencé ma carrière dans la police, les enquêtes préliminaires concernaient principalement la divulgation. Après l'arrêt Stinchcombe, il est vrai que cela a perdu de son importance, mais les enquêtes préliminaires l'ont conservée. Il m'a semblé que nous faisions les enquêtes préliminaires deux fois, une fois avec la divulgation et 10 boîtes de documents, ensuite l'enquête préliminaire elle-même, avec toujours les 10 boîtes de documents, pour en arriver au procès et réexaminer ces 10 boîtes de documents.
Oui, les mêmes arguments sont présentés à la fois à l'enquête préliminaire et au procès. Bien souvent, les juges rendent la même décision.
En sommes-nous arrivés à un point où la divulgation s'effectue à ce moment-là et la situation ne changera pas, à savoir que, si l'on considère l'enquête préliminaire et le procès, on peut dire : « Eh bien, s'il n'y avait pas la divulgation, les enquêtes préliminaires seraient importantes, mais en réalité, elles ne le sont pas. » Ou du moins supprimer la possibilité de présenter le même argument deux fois dans le même procès devant le même juge?
M. Rolland : Merci d'avoir posé cette question. Il incombe au législateur de décider ce qu'il doit faire avec le système, mais les avocats de la défense qui sont favorables aux enquêtes préliminaires soutiennent qu'elles aident leurs clients à prendre une décision avant d'aller en procès. Bien souvent, nous ne voyons pas ce résultat parce que le dossier n'est pas renvoyé à procès. Dans certains dossiers complexes, oui, le dossier donnera lieu à un procès de toute façon. C'est pourquoi nous avons les actes d'accusation privilégiés. Bien souvent, ils ne le font pas, mais bien souvent, l'instance s'arrête après l'enquête préliminaire.
Le président : Monsieur, je vous remercie encore une fois d'avoir comparu et permis aux membres du comité de s'inspirer, grâce à leurs questions, de votre grande expérience. Nous l'apprécions beaucoup.
M. Rolland : Je vous remercie de m'avoir invité.
Le président : Nous allons entendre pour notre deuxième heure, Carl Baar, professeur émérite des sciences politiques, Université Brock; Anthony Doob, professeur au Centre de criminologie, Université de Toronto; et Cheryl Webster, professeure agrégée, du Département de criminologie, Université d'Ottawa.
Bienvenue aux témoins. Nous avons hâte d'entendre vos exposés et de vous poser des questions ensuite. Je pense que M. Baar va commencer.
Carl Baar, professeur émérite des sciences politiques, Université Brock, à titre personnel : Merci, monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité et invités. Je veux démontrer que nous savons comment réduire les délais dans les affaires pénales depuis 40 ans, mais que nous n'avons pas fait beaucoup de progrès dans ce domaine.
Pratiquement, chaque fois que l'on a fait des efforts dans cette direction, cela a été un succès, mais ces efforts n'ont été ni renforcés, ni étendus, ni poursuivis.
La clé de la gestion de l'arriéré et de la réduction des délais devant les juridictions pénales est la participation de la magistrature à la gestion des dossiers judiciaires et à lui en confier la direction.
Lorsque la magistrature joue un rôle plus actif dans l'administration des tribunaux, dans la gestion des dossiers judiciaires depuis le déclenchement de l'instance jusqu'à la décision prise par ces tribunaux ainsi que dans les efforts de réduction des délais, il en résulte des gains impressionnants qui renforcent l'équité et la justice ainsi que la sécurité de la population et qui réduisent les dépenses tant publiques que privées.
J'ai constaté de tels résultats à Toronto, à Montréal et dans d'autres centres, quelle qu'en soit la taille, au Canada aussi bien que dans des endroits aussi divers que Karachi, au Pakistan, la République de Singapour, Addis-Ababa, en Éthiopie et même Detroit, au Michigan.
Dans tous ces endroits, des processus de gestion des dossiers judiciaires ont été conçus et mis en œuvre en s'inspirant de principes bien établis, qui ont été exposés aux États-Unis dès 1972 et au Canada dès 1982; ces principes ont été par la suite régulièrement affinés.
Cependant, au Canada, la mise en œuvre des stratégies et des programmes de réduction des délais est une responsabilité provinciale et le rôle que peut jouer le gouvernement fédéral dans ce domaine est limité. Celui-ci peut toutefois introduire des incitatifs en adoptant des mesures législatives, en utilisant le processus de sélection des magistrats et en modifiant les pratiques administratives. Le Sénat peut jouer un rôle clé, comme il le fait aujourd'hui grâce à votre comité permanent, pour instiller un nouveau sentiment d'urgence et convaincre la population que ces changements sont possibles.
Un livre a été publié l'an dernier en Angleterre qui décrit les grandes réformes introduites au Royaume-Uni au cours des 10 dernières années, tant sous les gouvernements conservateurs que travaillistes. Il y a trois pratiques qui semblent mériter d'être adoptées. Premièrement, comme cela est constaté de nos jours, la pratique canadienne a été observée aujourd'hui, avec des comités spéciaux de la Chambre des communes et de la Chambre des lords qui ont rassemblé, sur une période de neuf ans, de 2003 à 2012, les témoignages de 124 juges en activité. Ce chiffre passe à 281 si l'on ajoute les juges internationaux, les juges retraités et les magistrats. Cela indique comment il serait possible que le Parlement incite nos juges canadiens à jouer un rôle actif dans la promotion de cette réforme.
Deuxièmement, l'administration des tribunaux en Angleterre et au pays de Galles, ainsi qu'en Écosse et en Irlande, est maintenant confiée à un partenariat établi entre la magistrature et le gouvernement, après quelques années de vifs conflits entre les deux. Il est paradoxal que cette approche soit fondée sur le modèle de partenariat examiné dans le rapport de 2006 préparé par le Conseil canadien de la magistrature. Il demeure qu'ici, dans toutes les provinces, les ministères sont très réticents à partager leurs attributions et les magistratures hésitent à accepter des responsabilités accrues.
Le troisième aspect de l'expérience du Royaume-Uni concerne leur Judicial Appointments Commission qui choisit les candidats à tous les postes de la magistrature, depuis la High Court jusqu'à la cour de magistrat. Le gouvernement procède ensuite aux nominations à partir d'une liste très courte contenant les recommandations de cette commission. Cela a amélioré la qualité des nominations, tout en respectant le cadre de Westminster.
Je mentionnerai deux autres mesures qui amélioreront l'efficacité de la gestion judiciaire lorsqu'il s'agit de mettre en œuvre les principes de gestion des dossiers et de réduire les délais devant les juridictions pénales.
Premièrement, il convient de modifier le choix et la durée du mandat des juges en chef et des autres juges ayant des attributions administratives, tant au niveau des tribunaux que des provinces.
La participation au choix des juges en chef et des juges à fonction administrative devrait être davantage collégiale; on pourrait même penser à ce qu'ils soient élus par leurs pairs.
Les juges en chef et les juges à attributions administratives devraient conserver leur inamovibilité garantie par la Constitution en tant que juges d'audience, mais leur mandat devrait être d'une durée limitée pour ce qui est de leurs attributions administratives. Cela est conforme à la recommandation du juge ontarien Thomas Zuber qui prévoyait un « modèle du doyen de faculté » dans son enquête effectuée à la fin des années 1980.
Grâce à ces recommandations, les initiatives de réforme qui en découleraient obtiendraient un meilleur appui et créeraient une meilleure dynamique chez les personnes chargées de mettre en œuvre les changements. Les services judiciaires de l'Irlande montrent ce qui a donné de bons résultats; le Manitoba des années 1990, par exemple, a montré ce qui ne fonctionnait pas.
Deuxièmement, il conviendrait d'améliorer la structure des tribunaux pour favoriser la résolution conjointe des problèmes.
Pendant de nombreuses années, la structure des juridictions pénales a fait l'objet de débats axés sur la question de savoir s'il devrait y avoir un tribunal à un ou deux paliers pour les procès. Le livre auquel nous avons tous contribué avait même utilisé ce titre.
Cette impasse a fait en sorte que les efforts déployés pour réduire les délais ont entraîné, ou peuvent entraîner, des effets dysfonctionnels, notamment l'abus du système des élections et des réélections. Même l'unification formelle des juridictions pénales n'entraînerait pas nécessairement un système unifié cohérent capable de gérer les dossiers judiciaires.
Comme je l'avais écrit à l'origine en vue d'une réunion des sous-ministres fédéral-provinciaux-territoriaux tenue en 2000, on pourrait conserver les deux niveaux de juridiction, mais en unifiant la gestion des dossiers pénaux des deux tribunaux. On pourrait prendre comme modèle la « English Crown Court » dont la compétence relative aux actes criminels devrait être étendue également aux infractions sommaires. En fait, avant l'unification des cours municipales et supérieures à laquelle a procédé la Californie au cours des années 1990, certains comtés coordonnaient les dossiers confiés à ces deux niveaux et suivaient le déroulement des instances depuis le déclenchement de l'instance jusqu'à la décision, du début à la fin, et non pas en deux étapes, comme cela a été fait dans l'affaire Askov au Canada — et comme nous le faisons encore aujourd'hui, si l'on en juge par la première page du journal Metro que vous pouvez trouver à votre arrêt d'autobus. On y parle d'une affaire qui a duré trois ans, mais l'article privilégie les deux années écoulées à partir de la fin de l'enquête préliminaire plutôt que les 11 mois ayant précédé l'acquittement. Il est évident que l'accusé qui s'est suicidé a probablement été touché par la durée totale de l'instance et non pas simplement par une de ces moitiés.
Si l'on traitait les dossiers criminels comme un ensemble, on pourrait alors mieux définir et préciser le rôle de l'enquête préliminaire. En fait, une nouvelle analyse des données initiales de l'arrêt Askov indique que les enquêtes préliminaires avaient été écartées dans la moitié des dossiers qui avaient été entendus par des tribunaux ontariens visés par l'article 96, alors que le délai écoulé jusqu'au renvoi au procès était le même. Il est paradoxal que le délai écoulé jusqu'à la décision des tribunaux visés par l'article 96 était plus court lorsqu'il n'y avait pas eu d'enquête préliminaire — des conclusions qui vont à l'encontre du sens commun.
Je vais m'arrêter ici et reviendrai sur tous ces points s'il y a des questions à leur sujet.
Anthony Doob, professeur, Centre de criminologie, Université de Toronto, à titre personnel : Je vous remercie. Je suis heureux que vous étudiiez ces questions, parce qu'elles sont évidemment très importantes et qu'elles méritent qu'on les examine très soigneusement.
Je vais présenter un aperçu général des questions et Mme Cheryl Webster abordera de façon plus détaillée deux aspects, dont l'un a été mentionné plus tôt aujourd'hui — l'enquête préliminaire — et le second est la détention préventive et la mise en liberté sous caution.
D'une façon plus générale, j'aimerais vous signaler qu'il est possible, comme M. Baar l'a fait remarquer, de savoir ce qui se passe dans ces circonstances. Les données provenant de Statistique Canada ne sont que la pointe de l'iceberg de ce qui est possible; il est en effet possible d'avoir accès à des données beaucoup plus détaillées et Mme Webster et moi- même l'avons déjà fait.
J'aimerais commencer par ce que je qualifierais de données accablantes concernant l'Ontario, et il s'agit de données publiques. Elles proviennent du site web de la Cour de justice de l'Ontario, même si elles ne sont pas présentées exactement de cette façon. Si l'on remonte à quatre ou cinq ans, jusqu'en 2011-2012, on constate qu'il y a eu environ 255 000 dossiers de réglés cette année, pensez donc à 255. En 2015, ce chiffre est passé à 205 000, une diminution de près de 50 000 dossiers — 50 000 dossiers en moins. Le nombre des procès qui ont été tenus au cours de la même période est passé, lui, de près de 13 000 à moins de 10 000, de sorte qu'il y a aujourd'hui moins de procès et moins de dossiers.
Malheureusement, le point saillant est que les dossiers qui ont donné lieu à moins de procès ont exigé davantage de comparutions. Un des aspects que Mme Webster et moi avons examinés au cours de toutes ces années consacrées à l'étude des problèmes liés aux délais devant les tribunaux est que le délai qui s'écoule avant qu'un dossier termine son cheminement et le nombre des comparutions associées ne représentent pas toujours les deux côtés de la même médaille. Il s'agit bien souvent en fait de médailles différentes.
De sorte qu'en Ontario, la situation qui règne dans les cours provinciales est que les dossiers prennent plus de temps, exigent davantage de comparutions, mais que leur nombre a diminué. Ce n'est donc pas un problème de ressources.
Nous avons approfondi notre étude de cet aspect, dans l'idée qu'il y avait peut-être certains types de dossiers qui étaient à l'origine de ce problème. Malheureusement, cela n'a pas été établi. Si vous prenez les infractions contre la personne, contre les biens, contre l'administration de la justice — quelle que soit la catégorie, il semble que la situation ne fasse qu'empirer. Les affaires ordinaires, très nombreuses exigent de plus en plus de comparutions par rapport à ce qui était le cas, il y a quelques années seulement.
Un des aspects auxquels il serait bon, d'après moi, que vous réfléchissiez est que, devant les tribunaux ordinaires, l'idée que nous allons pouvoir résoudre ce problème en augmentant les ressources est optimiste, naïve et presque certainement erronée. Le problème réside dans le fonctionnement des tribunaux, comme vient à peu près de le dire M. Baar.
L'autre chose que j'aimerais dire au sujet des données que je viens de vous présenter est qu'elles sont extrêmement variables. Lorsque je dis « extrêmement variables », je parle de tribunaux comparables. Encore une fois, cela est conforme à ce que vous a dit M. Baar. Si vous prenez deux tribunaux de taille moyenne dans la région de Toronto, on peut avoir recours en moyenne à 5,9 comparutions pour régler un dossier alors qu'un autre, situé à proximité, peut en exiger 7,8. Si vous prenez deux tribunaux de petite taille situés dans l'Est de l'Ontario, il y en a un qui a recours à 4,3 comparutions en moyenne pour régler un dossier alors que l'autre a recours à 6,3 comparutions.
Il n'a pas été très difficile de trouver ces exemples. Ils semblent refléter les habitudes des différents tribunaux — les habitudes de ceux qui veulent que les dossiers suivent leur cours ou celles d'autres qui préfèrent les gérer de façon plus active.
L'autre aspect sur lequel j'aimerais insister est que les comparutions et les délais sont vraiment deux choses différentes. Nous sommes un peu gênés par le fait que ces dernières années, nous n'avons pas eu encore la possibilité d'examiner la question des délais devant les tribunaux. Mais il y a quelques années, lorsque Mme Webster et moi avons effectué ce travail, nous avons trouvé deux provinces — et peu importe leurs noms, mais l'une était l'Ontario et l'autre l'Alberta.
En Ontario, 46 p. 100 des dossiers exigeaient au moins huit comparutions avant d'être réglés. En Alberta à cette époque — cela remonte au début des années 2000 —, 11 p. 100 des dossiers environ exigeaient qu'on leur consacre autant de comparutions devant la cour provinciale. C'est une différence considérable.
Mme Webster a alors dit : « Nous allons essayer de trouver des dossiers comparables. Nous allons ainsi voir s'il s'agit vraiment d'un problème d'arriérés » — le fait que nous n'avons pas suffisamment de ressources dans notre province. Nous avons donc trouvé des dossiers comparables et je vais vous donner un exemple. Nous avons trouvé des dossiers concernant des actes criminels qui exigeaient cinq à sept comparutions avant leur règlement, sans qu'ils aient fait l'objet d'un procès, d'une enquête préliminaire ou qu'il y ait eu délivrance de mandat. C'était des affaires ordinaires de gravité moyenne.
Nous avons pris les dossiers associés à un nombre médian de comparutions pour savoir s'il s'agissait vraiment d'une question d'arriérés. D'un seul coup, l'Ontario a présenté une situation presque aussi bonne que celle de l'Alberta. Autrement dit, la façon dont était traité en Ontario un dossier donnant lieu à sept comparutions était la même que ce qui se faisait en Alberta. Le problème est qu'il y en avait très peu. L'Ontario ajoutait des comparutions inutiles au traitement de ces dossiers, ce qui entraînait de longs délais. D'un point de vue financier, ils faisaient appel à un beaucoup plus de comparutions.
Si l'on examine quoi que ce soit au Canada, il y a un aspect qui peut sembler encourageant — et qui peut sembler décourageant selon notre humeur, je suppose —, c'est que l'on constate une grande variabilité d'une province à l'autre et au sein des provinces, d'un tribunal à l'autre.
Il me paraît souhaitable d'examiner sérieusement ces problèmes. Je n'aime pas beaucoup les solutions toutes simples. Cheryl vous en dira davantage à ce sujet, mais je pense que l'idée que nous allons réussir à résoudre les graves problèmes constatés devant nos cours provinciales en augmentant les ressources est tout à fait erronée.
Je vais maintenant demander à la professeure Webster de vous parler des deux autres sujets.
Cheryl Webster, professeure agrégée, Département de criminologie, Université d'Ottawa : Avant d'arriver dans la salle, M. Doob et moi avons joué à pile ou face pour savoir qui commencerait et je dois avouer que j'étais quelque peu déçue d'intervenir à la fin. Mais en réalité, ce résultat m'a beaucoup apporté. C'est la première fois de ma vie que M. Doob m'appelle « professeure Webster ».
Les questions touchant l'efficacité des tribunaux peuvent également être examinées par rapport aux procédures pénales individuelles. J'ai choisi comme exemple l'enquête préliminaire, puisque certains pensent que c'est là l'origine des délais judiciaires. N'oubliez pas que M. Doob et moi avons examiné cette question il y a déjà quelque temps et que les choses ont certainement changé depuis.
Cela dit, nous avons quand même constaté à l'époque que cette étape de la procédure pénale représentait un très faible pourcentage des activités des tribunaux. Elle était utilisée très rarement et de moins en moins souvent. En outre, la plupart des enquêtes préliminaires n'exigeant qu'un petit nombre de comparutions.
Le recours aux enquêtes préliminaires varie de façon importante d'une province et d'un territoire à l'autre, mais il ne semble pas qu'il y ait une corrélation étroite entre cette variation et la durée ou le nombre des comparutions nécessaires au traitement d'un dossier par les cours provinciales.
Du seul point de vue de l'efficacité, le temps et les comparutions supplémentaires associés à l'enquête préliminaire sont parfois compensés dans une certaine mesure par les économies que celle-ci peut entraîner au cours des autres étapes du processus pénal. Plus précisément, il semble que cette étape procédurale continue à jouer un rôle pour ce qui est d'écarter les dossiers dans lesquels les preuves sont insuffisantes. Nous avons constaté que dans quelques provinces et territoires, un nombre significatif de dossiers dans lesquels il y avait eu une enquête préliminaire ont débouché au moins sur le rejet d'un certain nombre d'accusations.
En outre, dans pratiquement toutes les provinces que nous avons examinées, la majorité des dossiers ayant donné lieu à une enquête préliminaire ont été finalement réglés par la cour provinciale, évitant ainsi l'intervention de la cour supérieure, une étape qui exige davantage de ressources et de temps. Enfin, il y avait certaines indications montrant que dans plusieurs provinces, les enquêtes préliminaires étaient utilisées à titre d'alternative aux procès.
Dans ce contexte, il serait hasardeux de tenir pour acquis que l'introduction de changements structurels dans le processus pénal entraînera nécessairement des différences importantes sur le plan des délais judiciaires.
La mise en liberté sous caution est un autre mécanisme pénal que vous souhaiterez peut-être examiner. Lorsque nous réfléchissons aux solutions susceptibles de réduire la population des détenus, préventivement une population importante et en croissance, nous avons tendance à nous contenter d'examiner exclusivement la mise en liberté avec caution, parce qu'elle serait à la fois la cause et la solution de ce problème. Ce sont là bien évidemment des phénomènes reliés entre eux, mais la mise en liberté sous caution et la détention préventive soulèvent des questions d'efficacité différentes et appellent, probablement, des solutions différentes.
Si l'on examine d'abord la mise en liberté sous caution, il apparaît que les questions d'efficacité sont non seulement reliées aux pratiques policières, mais également à celles de la Couronne, des officiers judiciaires et des avocats de la défense.
Si l'on prend le cas de l'Ontario, on constate qu'entre 2001 et 2012, malgré la diminution constante de la criminalité et en particulier, des crimes violents depuis la fin des années 1990, le nombre des accusations portées par la police dans chaque dossier a augmenté.
De plus, le nombre des adultes inculpés n'a commencé à diminuer qu'en 2009. En 2012, la police transmettait près d'un dossier pénal sur deux aux tribunaux pour qu'ils tiennent une enquête sur cautionnement.
À l'enquête sur cautionnement, les dossiers ne sont pas toujours réglés rapidement. Soixante-quinze pour cent environ des enquêtes sur cautionnement en Ontario ont été résolues après deux comparutions en 2012, mais les autres dossiers ont exigé — dans certains cas — qu'on leur consacre beaucoup plus de temps. Et surtout, du point de vue de l'efficacité, les dossiers dans lesquels il y a eu au moins trois comparutions des parties représentaient plus de 52 p. 100 de toutes les comparutions aux enquêtes sur cautionnement, ou, plus concrètement, 73 000 comparutions supplémentaires en 2012.
Aspect qui fait tout autant problème est le fait que, bien souvent, les enquêtes sur cautionnement donnent lieu à des ajournements — une demande habituellement présentée par l'avocat de la défense, et qui, bien souvent, n'est pas contestée par la Couronne ni par le magistrat qui préside l'enquête. En outre, il ne semble pas qu'un tel ajournement ait pour effet d'accélérer le règlement du dossier au cours de la comparution suivante.
Même lorsque la Couronne remet finalement l'accusé en liberté, cette décision est souvent associée au dépôt d'un cautionnement, est assortie à de nombreuses conditions, qui n'ont bien souvent aucun rapport avec l'infraction principale initiale et qui suscitent souvent des attentes irréalistes. Si l'on combine tout ceci aux longues périodes pendant lesquelles l'accusé attend que son dossier soit réglé définitivement en étant en liberté sous caution, il n'est pas surprenant que ces individus ne respectent pas les conditions imposées, ce qui entraîne des accusations supplémentaires.
Étant donné que les individus ayant commis des infractions reliées à l'administration de la justice sont souvent détenus en attendant une enquête sur cautionnement, et que, s'ils sont remis en liberté encore une fois, cette liberté est bien souvent assortie d'un nombre de conditions plus important, ce cycle tend à se répéter.
Le cas de la détention préventive est quelque peu différent si l'on se place sur le plan de l'efficacité. Bien évidemment, les dossiers qui sont résolus après quelques comparutions et dans lesquels l'accusé est remis en liberté, entraînent une détention préventive relativement courte, habituellement inférieure à une semaine. Cependant, si ce groupe représente environ 65 p. 100 des personnes en détention préventive en Ontario en 2008, ce n'est pas lui qui influence la taille de la population en détention préventive.
En fait, la principale cause du nombre des accusés en détention préventive est le petit nombre d'accusés qui demeurent en détention pour de très longues périodes. Ce dernier groupe représentait moins de 10 p. 100 des accusés détenus préventivement en 2008, mais il représentait plus de la moitié des journées passées en détention préventive.
En fait, le lit d'un établissement de détention préventive peut être utilisé, au cours d'une année, pour accueillir 52 détenus différents l'occupant chacun une semaine ou un détenu qui l'occuperait pendant un an. Formulé différemment, cela veut dire qu'une personne qui est en détention préventive pendant un an équivaut exactement à 52 accusés en détention préventive pendant une semaine, pour ce qui est de leur contribution à la population globale de ces détenus.
Pour replacer tout ceci dans son contexte, l'Ontario a connu une augmentation relativement constante du nombre des accusés passant plus d'une année en détention préventive. C'est la raison pour laquelle une diminution importante du nombre de personnes qui ne passent qu'une semaine en détention préventive n'aura pas vraiment pour effet de réduire cette population.
En réalité, pour ce qui est des interventions possibles, les solutions visant à améliorer l'efficacité de la mise en liberté sous caution seront probablement différentes de celles susceptibles de réduire la population en détention préventive. En termes simples, la diminution de la population en détention préventive découlera principalement de l'amélioration de l'efficacité du traitement des dossiers dans l'ensemble du processus pénal.
L'attention devrait plutôt porter sur les efforts visant à réduire les délais dans le traitement des dossiers dans lesquels l'accusé fait un séjour particulièrement prolongé en détention préventive.
Il paraît également souhaitable d'accorder une attention particulière au nombre des Autochtones en détention préventive. Il y a non seulement le fait que le pourcentage des Autochtones en détention préventive est beaucoup plus élevé que dans la population générale, mais il y a aussi le fait que le pourcentage des Autochtones en détention préventive augmente régulièrement. On retrouve cette tendance même dans les provinces où le taux général de détention préventive est stable, comme l'Alberta, ou en diminution, comme c'est le cas en Colombie-Britannique.
Le président : Si vous pouviez terminer maintenant, cela nous donnerait le temps de poser quelques questions. Nous allons commencer par le sénateur Baker.
Le sénateur Baker : Merci aux témoins de nous avoir présenté d'excellents exposés. Vous nous avez cité certains faits au sujet de la mise en liberté sous condition et j'aimerais savoir si vous parliez de la mise en liberté provisoire par voie judiciaire en première instance ou de la révision de la mise en liberté ou si vous parliez en fait de ces deux aspects?
Mme Webster : Non, je faisais uniquement référence à la première.
Le sénateur Baker : La mise en liberté provisoire par voie judiciaire.
Mme Webster : Oui.
Le sénateur Baker : Lorsque vous avez constaté qu'il y avait moins de dossiers, mais qu'ils prenaient plus de temps à régler, avez-vous étudié les raisons susceptibles d'expliquer le nombre des chefs d'accusation portés contre un accusé aujourd'hui, comparé au nombre des chefs d'accusation portés contre des accusés semblables il y a 10 ans?
M. Doob : Dans une grande mesure, c'est bien là un problème. Si l'on examine le nombre des accusations portées par dossier, on constate qu'il a effectivement augmenté récemment. Je ne sais pas si, au cours de la période très récente que j'ai examinée, c'est la même chose. Nous sommes en train d'étudier ces aspects mais c'est un point important.
La raison pour laquelle cela me paraît peu probable est que si l'on prend en compte les différentes catégories de dossiers, toutes les catégories de dossiers qui existent, et ensuite les accusations individuelles, cela revient au même. Il me paraît donc peu probable que la situation s'explique par le seul fait que les dossiers sont plus complexes. Si effectivement, ils sont plus complexes, il y a également le fait qu'il y en a moins. Il y a eu 50 000 dossiers de moins en Ontario.
Le sénateur Baker : Je réfléchissais pendant que vous parliez de la durée de la détention, s'agit-il du non-respect d'une condition? Je me disais, oui, s'il y a inobservation d'une condition — l'accusé envoie un courriel qu'il n'aurait pas dû envoyer — cela représente trois chefs d'accusation. Il y a l'inobservation de la condition qui lui interdit de le faire, l'inobservation de l'interdiction de ne pas troubler l'ordre public, il y a ensuite un chef d'accusation de nature provinciale, selon une loi adoptée par la province, qui lui interdisait de communiquer avec cette personne.
Voici la principale question que je veux vous poser. Avez-vous examiné les différences qui existent entre les guides destinés aux procureurs de la Couronne dans ce pays; je vais vous donner un bref exemple.
En Ontario, la Couronne ne porte pas d'accusation en cas de conduite avec facultés affaiblies. Le Code criminel parle de 0,08, mais c'est 0,16. Après cinq ans, le certificat concernant une condamnation antérieure n'est pas présenté.
Les guides des procureurs de la Couronne semblent varier dans ce pays et ne pensez-vous pas que nous pourrions proposer qu'ils soient harmonisés dans toutes les provinces pour que le même nombre de personnes soient accusés de toutes ces infractions?
C'est la responsabilité de la Couronne, je le sais, et cette mesure ne pourrait être mise en œuvre que dans les trois provinces où la Couronne porte les accusations, ce qui est le cas en Ontario, en Colombie-Britannique et au Québec.
Avez-vous étudié en détail ces guides des procureurs de la Couronne dans les différentes provinces et territoires pour voir s'ils diffèrent grandement pour ce qui est du dépôt des accusations ou du cheminement d'une accusation après que celle-ci ait été déposée par la Couronne?
M. Doob : Je ne l'ai pas examiné de façon aussi détaillée que vous le souhaitez. Nous les avons examinés pour ce qui est des questions touchant la mise en liberté sous condition parce que nous voulions savoir si ces guides pouvaient encadrer notre recherche et nous avons constaté qu'effectivement, ils variaient énormément. Ce dont je me souviens, pour ce qui est de la mise en liberté sous caution, c'est que ces guides des différentes provinces ne présentaient, de la même façon, pas tous les éléments que le procureur de la Couronne devait prendre en compte pour sa décision.
Je pense que le problème serait que, si les provinces étaient présentes, elles défendraient jalousement leurs attributions en matière d'administration de la justice.
M. Baar : J'allais faire un commentaire général sur cet aspect parce que c'est le genre de discussion qui peut alimenter une politique générale ainsi que les décisions prises par les ministères de la Justice des provinces. J'ai régulièrement constaté que les ministères de la Justice des provinces, même s'ils sont informatisés, qu'ils disposent de données et d'un personnel technique capable de réunir toutes ces données, n'ont pas de personnel capable d'analyser ces données.
Je ne peux pas vous dire combien de fois j'ai dit à des hauts responsables de l'Ontario : « Le bureau de Tony Doob est situé à un mille de votre ministère. Il produit des étudiants vraiment brillants qui ont des compétences pointues dans le domaine des statistiques et vous ne les embauchez jamais ».
C'est en fait avec les ministères que nous devrions avoir le genre de discussion que nous avons aujourd'hui et ces derniers pourraient alors dire : « D'après tout ceci, que devrions-nous faire en matière de dépôt d'accusations? » Nous devrions peut-être tenir davantage d'enquêtes sur cautionnement devant des juges et nous ne pourrions pas prétendre que nous faisons des économies avec les juges de paix alors que ces derniers ne peuvent enregistrer les plaidoyers. Quel est le pourcentage de ces enquêtes sur cautionnement qui pourraient être terminées en acceptant un plaidoyer de culpabilité? Mais cela ne peut se faire, si c'est un juge de paix qui préside l'enquête sur cautionnement.
Le sénateur Baker : Je ne souscris pas à l'affirmation qu'il a faite devant le comité, dans son exposé, dans laquelle il affirme que la mise en œuvre des programmes de réduction des délais est de responsabilité provinciale.
C'est au Code criminel du Canada qu'il convient d'apporter des changements dans la gestion des instances. C'est le Code criminel du Canada qui définit ce qu'est un juge de paix, et lui attribue le pouvoir de délivrer des mandats, notamment. Les délais dans les procès ne sont pas uniquement attribuables aux gouvernements provinciaux, mais ils relèvent également de la responsabilité du gouvernement fédéral, comme cela est exposé dans le Code criminel. N'êtes- vous pas d'accord avec moi?
M. Baar : En partie, seulement. N'oubliez pas qu'il y a une différence entre la gestion des instances — qu'est-ce qui se passe une fois que le dossier est confié à un juge individuel et la gestion des dossiers, dans laquelle on essaie d'analyser la situation générale. Pensez à la différence qui existe entre le juge Rolland de la Cour supérieure qui nous parle d'une poignée de dossiers, et Cheryl et Tony qui nous parlent de milliers de dossiers. Si nous pouvions améliorer ce qui se passe pour ces milliers de dossiers, nous pourrions alors réduire notre population en détention préventive et économiser beaucoup de temps à ce niveau, ce qui pourrait se traduire par des gains que l'on pourrait utiliser pour les procès reliés à des dossiers complexes où il faut un responsable du déroulement de l'instance. L'analyse porte alors sur un autre niveau.
L'aspect que vous avez soulevé est important, mais je dis qu'il y en a un autre et que c'est celui-là que nous avons tendance à écarter. Les provinces qui travaillent sur cette question doivent embaucher du personnel, le former dans ces domaines et partager leurs responsabilités avec les juges et ne pas penser qu'elles peuvent faire cela toutes seules, qui était le problème qui était soulevé dans le rapport Justice face à l'objectif, en Ontario.
Le sénateur McIntyre : Je vous remercie tous pour vos exposés. Je vais commencer par faire une remarque. M. Baar est un ancien praticien. Je dois admettre que je souscris non seulement à vos recommandations, mais également aux recommandations supplémentaires qui figurent dans votre rapport.
Pour ce qui est de la troisième recommandation, dans laquelle vous invitez le comité à susciter un appui législatif pour la réduction des délais, il est regrettable que votre projet de loi soit mort au Feuilleton. Nous n'en dirons pas plus.
Les mesures de rechange sont un aspect sur lequel j'aimerais attirer votre attention. Comme vous le savez, les mesures de rechange sont définies à l'article 716 du Code criminel comme étant des mesures autres que les procédures judiciaires. À titre d'exemple de ces mesures, citons la médiation victime-délinquant, les cercles de détermination de la peine et les programmes de déjudiciarisation.
À votre avis, est-ce que les procureurs de la Couronne et les policiers devraient disposer d'une plus grande latitude lorsqu'il s'agit de prendre des mesures de rechange comme les amendes, les sanctions administratives, la médiation et les autres?
M. Doob : Je vais vous répondre en disant que je ne suis pas très à l'aise de répondre à votre question, à savoir si elles devraient être utilisées plus fréquemment, en partie parce que nous savons que ces mesures sont utilisées, apparemment, très souvent, mais que nous ne savons pas très bien dans quel cas elles le sont.
Permettez-moi de vous donner un exemple. Trente-deux pour cent environ de tous les dossiers au Canada — pas les accusations — se terminent par l'arrêt ou le retrait des accusations. Le pourcentage des dossiers qui font l'objet d'un arrêt ou d'un retrait des accusations varie énormément dans les différentes régions, de sorte qu'au Nouveau- Brunswick, il s'agit de 20 p. 100 et en Ontario, d'environ 44 p. 100 des dossiers. Ces pourcentages varient énormément.
J'hésite donc à répondre à la question de savoir s'il en faut davantage parce que je ne sais pas exactement pourquoi le retrait des accusations est ordonné dans un si grand nombre de dossiers.
Lorsque j'examine l'aspect traitement des dossiers du mandat confié au comité, la première chose que j'aimerais savoir est le moment auquel les accusations sont retirées. J'ai fortement l'impression que, du moins en Ontario, avec les jeunes, les accusations sont retirées à la fin du processus. Cela semble aller à l'encontre de la plupart des objectifs recherchés avec les mesures de rechange. L'idée de prendre une autre mesure qu'une poursuite pénale est, dans de nombreux dossiers, certainement excellente. Mais si elle vient s'ajouter à sept comparutions, cette idée semble moins intéressante.
Si vous le permettez, j'aimerais revenir sur la question des rôles du gouvernement fédéral et des gouvernements provinciaux et vous donner l'exemple d'un aspect où le gouvernement fédéral est intervenu alors que le problème aurait pu être résolu par les gouvernements provinciaux, mais ne l'avait pas été. Au cours des années 1990, pour ne pas remonter très loin, il y avait un consensus assez général parmi les personnes qui examinaient le fonctionnement du système de justice pour les jeunes pour dire que, dans la plupart des provinces et territoires, il y avait trop de jeunes qui étaient traduits devant les tribunaux pour adolescents.
L'exception était principalement le Québec. Puisque le Québec obtenait de bons résultats, on se demandait pourquoi les autres provinces ne pourraient pas non plus obtenir de bons résultats, comme ceux qui étaient obtenus au Québec. La réponse qu'a apportée le gouvernement fédéral a été, d'après moi, très bonne; elle a consisté à dire : « Nous allons préparer un projet de loi qui aura le même effet dans le reste du Canada que celui qui semble se produire au Québec. »
Ce que nous pouvons tirer des grandes variations qui existent entre les provinces et les territoires, ce sont les bonnes pratiques. On pourra ensuite réfléchir à la façon d'introduire ces bonnes pratiques dans les lois.
M. Baar : Il est vraiment important de faire preuve d'imagination. Quand je parle à mes étudiants, je ne leur parle pas seulement des modes de règlement extrajudiciaires, mais de prévention des conflits. Comment éviter que ces conflits se produisent? Lorsque j'ai préparé cette comparution, j'ai pensé aux quelques semaines que j'avais passées devant les tribunaux inférieurs de la République de Singapour, un pays qui est bien connu pour sa grande sévérité, et qui privilégie les peines.
Je me suis trouvé un jour dans un auditorium rempli de conseillers en orientation du secondaire et il y avait trois juges d'expérience qui leur parlaient de la façon de régler les différends entre élèves qui risqueraient autrement de déboucher sur des litiges soumis aux tribunaux. En réfléchissant aux façons de s'attaquer aux causes des conflits, ils avaient la possibilité d'apporter une contribution au lieu de simplement créer un autre mécanisme de résolution des conflits existants.
Le sénateur Joyal : Mme Webster et messieurs, je vous remercie pour votre contribution à notre réflexion.
Vous avez entendu l'ancien juge Rolland répondre à nos questions plus tôt cet après-midi. Il me semble que les juges assument une grande responsabilité dans la gestion des procès.
Je me demande si nous ne sommes pas prêts à accepter un changement de culture, pour ce qui est des initiatives que les juges pourraient prendre pour faire en sorte que les procès aient lieu dans un délai raisonnable. Je crois que, d'une certaine façon, nous dépendons trop des initiatives prises par la Couronne et par les avocats de la défense. Le juge est là qui attend les décisions des parties et il n'intervient en fait qu'en dernier recours au moment où le dossier est prêt d'être fermé, parce que les délais ont été tellement longs que le procès va se terminer sans qu'aucune des parties n'ait été entendue.
Je me demande si nous n'avons pas aujourd'hui, comme vous l'avez dit, M. Baar, la possibilité de faire preuve d'imagination par rapport aux mesures traditionnelles et essayer de les replacer dans le contexte de nos moyens modernes. Comme vous l'avez entendu dire aujourd'hui, nous ne mentionnons jamais que nous vivons à une époque différente. Lorsqu'on utilise la technologie, il est possible de communiquer beaucoup plus rapidement et d'obtenir des réponses également beaucoup plus rapidement.
Je me demande si nous ne sommes pas un peu passifs au lieu de faire preuve de créativité pour repenser le système — non pas faire autrement que ce que nous avons fait, mais utiliser des paramètres différents, combinés aux éléments essentiels que nous avons appris grâce à la Charte. Nous le savons. Nous ne voulons pas remettre cela en question. Il me semble que nous aurions la possibilité d'améliorer la situation, si les gens étaient prêts à y réfléchir.
Si je me base sur l'expérience brève et limitée que j'ai eue devant les tribunaux, il me semble que notre pays a la possibilité de progresser dans ce domaine. Je ne sais pas si je rêve en couleurs ni si vous pensez que cela existe, mais tout le monde se tient sur le trottoir en attendant que survienne quelque part une catastrophe avant de décider d'agir. Il existe, à mon avis, la possibilité de repenser les éléments essentiels du système en les replaçant dans le contexte actuel.
M. Baar : Je suis d'accord avec vous. La plupart de ces choses peuvent aussi se faire localement. Mon exemple favori est celui du tribunal du College Park Courthouse au centre-ville de Toronto. Le gouvernement a construit un nouveau palais de justice pour huit juges et il a trouvé un juge qui avait travaillé pendant des années comme détective dans le service de police avant de faire son droit. Il savait comment fonctionnait le système. Il a mis sur pied un système qui a été tellement rapide que, lorsque nous avons obtenu les données au moment de l'affaire Askov, son tribunal était deux à trois fois plus rapide que n'importe quel autre tribunal de la province à l'époque. Dès que le gouvernement a été obligé d'intervenir à cause du nombre des rejets des accusations, il a augmenté sa charge de travail de 50 p. 100 et ses tribunaux ont quand même continué à fonctionner plus efficacement que beaucoup d'autres.
Il est donc possible de trouver des solutions. Lorsque Winnipeg a connu des problèmes, ils ont dit : « Qu'est-ce que fait Charlie à Toronto », et ils ont adopté ce système. Ils l'ont essayé pendant quelques années, mais ils l'ont finalement abandonné.
Il faut bien documenter les bonnes pratiques. Nous ne pouvons pas utiliser la technologie — la technologie n'est pas la solution. Il n'est pas possible d'informatiser un mauvais système. Il faut d'abord concevoir un meilleur système et l'informatisation accompagnera sa mise en œuvre.
Si vous informatisez d'abord, alors tout le monde va réagir en disant : « Nous n'avons pas les ressources qui nous permettraient de recréer tous les programmes informatiques et tous les rapports qu'exige le nouveau système ». Il faut réfléchir à cet aspect.
Cette idée a été lancée au cours des 20 dernières années; elle a été davantage mise en pratique pour les affaires civiles que pour les affaires pénales. Je pense qu'il faudrait reprendre en considération les besoins du volet pénal, amener la magistrature à intervenir plus activement et à rechercher et choisir des personnes qui sont vraiment prêtes à le faire. Vous ne pourrez jamais convaincre tout le monde. Il faut donner les moyens dont ont besoin les personnes qui sont prêtes à faire les efforts nécessaires et tout d'un coup, les gens vont regarder ce qui se passe un peu plus loin ou dans la ville d'à côté et vont dire « Au mon Dieu. Si Untel peut le faire [...] ».
Le président : Nous prenons du retard. Nous avons déjà dépassé l'horaire. Je vais lever la séance à 18 h 30 pile. Je vais donc inviter les membres à resserrer leurs questions et nos témoins à le faire également pour leurs réponses. Je l'apprécierais beaucoup.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Ma première question s'adresse à M. Doob. Le sénateur Joyal a fait allusion au fait que, maintenant, la technologie permet à la planète entière d'être en contact de façon instantanée. Lorsqu'on écrit, on peut obtenir une réponse dans les secondes qui suivent. Notre vie est organisée autour de la technologie. Monsieur Doob, avez-vous l'impression que le système judiciaire est encore à l'âge de pierre par rapport aux moyens techniques disponibles aujourd'hui?
[Traduction]
M. Doob : La réponse simple à votre question est oui, je le pense. Je constate cela sur le plan de l'information, mais non pas sur celui des réponses. Nous pourrions avoir une meilleure idée de l'origine des délais si nous pouvions améliorer notre collecte des données et les rendre disponibles plus rapidement.
Parallèlement, malheureusement, les données dont nous disposons aujourd'hui, qui ont de graves lacunes, ne sont même pas utilisées autant qu'elles pourraient l'être.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Ma question s'adresse maintenant à Mme Webster. Si on met de côté les intervenants humains, les juges et les avocats, quelles sont les lacunes les plus importantes que vous pourriez cerner afin que nous puissions y faire référence dans notre rapport?
[Traduction]
Mme Webster : Dans le contexte de la mise en liberté sous caution, ce dont je parlais, il y a des possibilités. Je pense qu'un des plus grands défis auxquels nous faisons face est que nous avons adopté une attitude qui est très différente de celle dont devait s'inspirer au départ la mise en liberté sous condition.
Nous constatons que l'on cherche beaucoup à éviter les risques, il y a une mentalité qui s'oppose aux risques, et cela semble créer toutes sortes de problèmes à divers niveaux. Nous le voyons sur le plan des modifications législatives, par exemple, avec les clauses de renversement du fardeau de la preuve qui ont été ajoutées, avec les changements dans l'interprétation du premier et second motifs et maintenant, avec l'ajout d'un troisième motif.
Du côté législatif, nous le constatons également du côté de la procédure. Nous le constatons sur le plan administratif, où il semble — du moins de l'extérieur — que les principaux acteurs en matière de mise en liberté sous condition retardent le processus de prise de décision ou s'en déchargent sur quelqu'un d'autre.
Nous constatons, pour ce qui est des services de police, que ces derniers déposent davantage d'accusations par dossier. Ces services envoient maintenant près de la moitié de tous leurs dossiers à une enquête sur cautionnement, de façon à ce que quelqu'un d'autre se prononce sur la mise en liberté. Lorsque le dossier arrive à cette enquête, nous constatons que les avocats de la défense ont l'habitude de demander des ajournements. Ils demandent des ajournements successifs pendant qu'ils essaient de préparer parfaitement l'enquête sur cautionnement parce qu'il semble exister chez les procureurs de la Couronne, les juges de paix ou les fonctionnaires judiciaires, une tendance à imposer des conditions beaucoup plus lourdes en matière de mise en liberté, et cetera.
Même lorsqu'il y a des ajournements consécutifs qui ne semblent pas faire progresser le dossier, il est très rare que le procureur de la Couronne les conteste ou, comme le sénateur Joyal l'a mentionné, il y a cette notion de fonctionnaire judiciaire qui pourrait également intervenir et poser des questions.
La sénatrice Batters : Monsieur Doob, vous avez fourni tous ces pourcentages dans les différentes provinces pour ce qui est des accusations rejetées ou arrêtées au Canada. Quel est le pourcentage pour le Québec, si vous avez ça à portée de main?
M. Doob : Je n'ai pas mentionné le Québec, parce que cette province traite cet aspect de façon différente. Le pourcentage général des personnes qui ont obtenu un acquittement, ou dont les accusations ont été suspendues ou arrêtées, représente environ 24 p. 100.
La difficulté vient du fait que la plupart des provinces et territoires ne qualifient pas ces mesures d'acquittement, de sorte que, dans l'ensemble du Canada, le nombre des acquittements est minuscule — 3 ou 4 p. 100. Au Québec, ces données sont inscrites comme des acquittements et si vous prenez ces deux aspects pour l'ensemble du Canada, le chiffre serait d'environ 36 p. 100 et de 24 p. 100 pour le Québec.
La sénatrice Batters : Nous avons entendu beaucoup parler ici dans notre étude sur les délais des affaires de conduite avec facultés affaiblies. Lorsque j'examine les chiffres de Statistique Canada, il me semble qu'il y a, dans notre système, un arriéré considérable qui allonge les délais judiciaires. Premièrement, vous avez parlé de la durée d'une affaire de meurtre de gravité moyenne, je pense — ou c'était peut-être un autre témoin — et du fait que cette durée avait beaucoup augmenté, mais les procès pour conduite avec facultés affaiblies ont vu leurs délais augmenter de façon exponentielle et cette infraction est à l'origine d'un nombre de dossiers considérables.
Pourriez-vous nous dire ce que vous en pensez? Je sais que vous avez déclaré ne pas aimer beaucoup les solutions simples, mais pourriez-vous nous fournir quelques suggestions concrètes susceptibles de réduire les délais judiciaires dans les dossiers de conduite avec facultés affaiblies?
M. Doob : Voilà qui est intéressant. Pendant que vous parliez, je regardais les dossiers de la conduite avec facultés affaiblies en Ontario. En 2012-2013, ils nécessitaient en moyenne 5,3 comparutions. En 2015, il y en avait 5,9. On pourrait dire qu'une augmentation de 0,6 ne représente pas grand-chose, sauf si on multiplie ce chiffre par des milliers. Cela illustre bien le problème.
L'augmentation de dossiers de conduite avec facultés affaiblies est assez comparable au reste. Je ne pense pas pouvoir vous offrir une solution particulière pour cette infraction, mais j'aimerais en fait revenir sur quelque chose que le sénateur Joyal a déclaré pour répondre à votre question. Cela est en fait conforme à ce que M. Baar a dit : les juges peuvent faire un certain nombre de choses. Il y a une étude qui portait sur quatre tribunaux inférieurs écossais, dont trois ressemblaient beaucoup à nos pires tribunaux et il y en avait un qui était différent. Les chercheurs ont essayé d'étudier ce qui se passait, ce qui me semble être exactement le genre de choses qu'il faut faire.
Ils ont constaté que, dans le quatrième tribunal, le juge assumait ses responsabilités. Les gens savaient qu'ils devaient être prêts à présenter leurs arguments. Il n'y avait personne qui se présentait à une enquête sur plaidoyer en disant : « Nous aimerions remettre le dossier à une autre date ». Le juge répondait : « Oui, nous allons le remettre. Je l'entendrai à 13 h cet après-midi » et les gens comprenaient très rapidement que le juge contrôlait de près le déroulement de la procédure.
Il y a donc eu un certain nombre d'études qui portaient sur des tribunaux particuliers et qui ont montré ce genre de choses, par exemple, le fait qu'il fallait que le juge dise simplement : « Voici les nouvelles règles ». Bien sûr, cela peut poser certains problèmes — et je ne suis pas avocat — lorsqu'on oblige les avocats à présenter leurs causes non pas le lendemain, mais à 11 h du matin plutôt qu'à 9 h, et cetera. C'est peut-être la bonne façon de faire les choses. D'autres juges qui ont fait l'objet d'autres études ont parfois eu recours à ce genre de technique : « Vous voulez un ajournement? Très bien, combien d'heures voulez-vous? »
La sénatrice Batters : J'ai pratiqué le droit pendant de nombreuses années et ce dont vous parliez — oui, les avocats savent fort bien qu'il y a des juges qui sont plus exigeants que d'autres. C'est peut-être parce que le juge en chef a insisté sur certains aspects et a demandé aux juges de prendre ce genre de mesures.
Mme Webster : Si je peux ajouter quelque chose, je dirais qu'à l'Université d'Ottawa en criminologie, nous avions eu un étudiant de maîtrise qui a essayé de reproduire l'étude que vous venez de décrire. Il s'agissait de deux tribunaux qui tenaient des enquêtes sur cautionnement, des tribunaux de nature semblable, mais dont les délais et le nombre des comparutions étaient très différents. Il y en avait un qui était un peu plus lent et l'autre plus rapide.
Après avoir effectué un certain nombre d'entrevues, cette idée a été tout à fait confirmée parce qu'ils ont dit : Il y avait un tribunal qui était très rapide et dont le juge était proactif, interventionniste, posait des questions pour tous les ajournements, demandait aux avocats de présenter leur cause lorsque cela était possible, et cetera. L'autre juge était très passif et se préoccupait davantage de terminer le rôle fixé pour la journée.
Le président : Merci à tous. Je sais que nous avons à respecter certaines limites de temps. Si vous souhaitez vous étendre davantage sur certains aspects que vous n'avez pas eu vraiment l'occasion de mentionner, n'hésitez pas à communiquer avec notre greffière par écrit et vos commentaires seront distribués à tous les membres du comité.
Je vous remercie d'être venus et nous apprécions votre aide.
(La séance est levée.)